Position du problème - CODESRIA · idéologique lié aux grandes mutations du capitalisme mondial...

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1 Position du problème À la faveur du phénomène de grande portée non seulement économique et politi- que, mais aussi historique et culturelle que constitue la mondialisation, et afin de donner un nom à l’époque actuelle, certaines tendances de la pensée bourgeoise ont ajouté un segment supplémentaire à l’histoire universelle. C’est ainsi qu’après la préhistoire et l’histoire, le pré-moderne et le moderne, l’humanité serait entrée dans un nouveau cycle historico-culturel, celui de la posthistoire ou, plus généralement, de la postmodernité. Selon Lipovetsky (2004:28), « la postmodernité représente le moment historique précis où tous les freins institutionnels qui contrecarraient l’éman- cipation individuelle s’effritent et disparaissent, donnant lieu à la manifestation de désirs singuliers, de l’accomplissement individuel, de l’estime de soi. Les grandes structures socialisantes perdent de leur autorité, les grandes idéologies ne sont plus porteuses, les projets historiques ne mobilisent plus, le champ social n’est plus le prolongement de la sphère privée: l’ère du vide s’est installée, mais sans tragédie ni apocalypse ». La logique culturelle de l’économie néolibérale Mais, comprendre aujourd’hui les idéologies postmodernes, c’est avant tout, saisir la logique culturelle du capitalisme avancé (Jameson 1991) ou encore les conséquen- ces culturelles de la globalisation (Appadurai 1996). La vérité est que « le libre jeu des marchés et le libéralisme économique sont à la mode chez les postmodernes de l’ère postindustrielle » (Barber 1996:241). C’est donc comme phénomène culturel et idéologique lié aux grandes mutations du capitalisme mondial que le postmodernisme s’est imposé à la conscience philosophique contemporaine. Profondes, ces muta- tions n’ont pas manqué de retentir sur le contenu et le destin de l’humanisme lui- même, en tant que grande synthèse politique et culturelle de l’époque moderne. Créateur de communauté, l’humanisme constitue, pour ainsi dire, l’âme vivante de l’État-nation bourgeois, construit d’après le modèle de la société littéraire (Sloterdijk 2000). Chap 1.pmd 25/11/2008, 10:54 29

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1Position du problème

À la faveur du phénomène de grande portée non seulement économique et politi-que, mais aussi historique et culturelle que constitue la mondialisation, et afin dedonner un nom à l’époque actuelle, certaines tendances de la pensée bourgeoise ontajouté un segment supplémentaire à l’histoire universelle. C’est ainsi qu’après lapréhistoire et l’histoire, le pré-moderne et le moderne, l’humanité serait entrée dansun nouveau cycle historico-culturel, celui de la posthistoire ou, plus généralement,de la postmodernité. Selon Lipovetsky (2004:28), « la postmodernité représente lemoment historique précis où tous les freins institutionnels qui contrecarraient l’éman-cipation individuelle s’effritent et disparaissent, donnant lieu à la manifestation dedésirs singuliers, de l’accomplissement individuel, de l’estime de soi. Les grandesstructures socialisantes perdent de leur autorité, les grandes idéologies ne sont plusporteuses, les projets historiques ne mobilisent plus, le champ social n’est plus leprolongement de la sphère privée: l’ère du vide s’est installée, mais sans tragédie niapocalypse ».

La logique culturelle de l’économie néolibérale

Mais, comprendre aujourd’hui les idéologies postmodernes, c’est avant tout, saisir lalogique culturelle du capitalisme avancé (Jameson 1991) ou encore les conséquen-ces culturelles de la globalisation (Appadurai 1996). La vérité est que « le libre jeudes marchés et le libéralisme économique sont à la mode chez les postmodernes del’ère postindustrielle » (Barber 1996:241). C’est donc comme phénomène culturel etidéologique lié aux grandes mutations du capitalisme mondial que le postmodernismes’est imposé à la conscience philosophique contemporaine. Profondes, ces muta-tions n’ont pas manqué de retentir sur le contenu et le destin de l’humanisme lui-même, en tant que grande synthèse politique et culturelle de l’époque moderne.Créateur de communauté, l’humanisme constitue, pour ainsi dire, l’âme vivante del’État-nation bourgeois, construit d’après le modèle de la société littéraire (Sloterdijk2000).

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Le roman réaliste est très significatif de ces évolutions. Produit de son temps,l’histoire de ce roman est inséparable des mutations structurelles et idéologiquespropres à la société bourgeoise. Ces mutations sont avant tout celles induites par lesprogrès de la science et de la philosophie: la physique de Newton, le positivisme deComte, la méthode expérimentale de Claude Bernard, etc. Pensons seulement àZola ou encore à Balzac. Le roman réaliste prend donc son essor dans une sociétéprofondément travaillée par le rationalisme, la causalité, le déterminisme historique,la croyance au progrès scientifique et moral de l’humanité. Dans ce roman, le héros,figure nette et bien identifiable, témoigne de son monde, qui se veut rationnel, par-faitement intelligible. Sujet universel parlant au nom de l’humanité, le héros du ro-man réaliste est porteur de significations, parce que le monde et l’histoire eux-mê-mes ont un sens interprétable par tout sujet raisonnable. Sa mission est donc dedélivrer à toute l’humanité un message audible et intelligible.

Le monde post-littéraire et post-humaniste

Le discours de Sloterdijk sur la domestication de l’homme moderne s’appuie sur lesconsidérations de cet ordre. Les rappeler donc, c’est, dans le même temps, montreren quoi la crise de l’État-nation moderne par exemple est de la même nature que lacrise qui ébranla l’humanisme, la métaphysique, bref l’ensemble de l’édifice de laculture moderne.

Depuis l’offensive néolibérale, l’arrogante et dogmatique séquelle dupostmodernisme et de la mondialisation se plaît à rappeler que la brève parenthèseouverte par l’ère humaniste s’est refermée, que par conséquent, les sociétés contem-poraines sont de la nature des sociétés post-littéraires, post-humanistes, post-méta-physiques, et donc post-nationales. À la suite de nombreux autres critiques, Sloterdijk(p. 13) tente d’établir que la raison profonde de ces transformations est à chercherdans deux phénomènes convergents: l’irruption de la culture dite de masse et larévolution des réseaux. La culture de masse et les réseaux auraient ébranlé les assisessur lesquelles reposait l’être-ensemble des hommes de l’époque moderne. Car, lalecture des classiques et des génies nationaux ne suffirait plus à cimenter le liensocial, culturel et politique dans les sociétés de masse. Il s’agit là d’une autre façon dedire que la société post-humaniste ou postmoderne est une société où la littératurene constitue plus le moyen privilégié de production de la synthèse politique et cultu-relle, les nouveaux médias de la télécommunication politique et culturelle ayant dé-trôné le schéma désormais caduc « des amitiés nées de l’écrit » (ibidem). Le tournantnietzschéo-heideggerien signifierait donc que nous avons définitivement tourné ledos à cette période d’un siècle et demi, où l’on connut non seulement la dominationsans partage de l’idéal de clarté et de raison, mais aussi le « pouvoir absolu d’imposerles classiques à la jeunesse et d’affirmer la validité universelle des lectures nationa-les » (p. 12), l’objectif étant de fabriquer un sujet moderne, lucide, maître de sespassions et raisonnable.

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Il serait erroné de penser que la société spectaculaire (Debord 1992) et de réseau(Castells 1998), suffit à elle seule à expliquer ces mutations. Deux autres facteurssemblent plus décisifs encore:

• Sur le plan politique, il s’agit des mutations structurelles induites par un capi-talisme arrivé à maturité et prêt à inaugurer l’époque impérialiste et coloniale.La montée de l’irrationalisme vers la fin du XIXè siècle et au début du XXèsiècle reflète sur le plan idéologique, ces mutations. La philosophie de pen-seurs comme Nietzsche, Bergson, Spengler, James et plus tard Heidegger,serait inintelligible sans ce contexte. C’est la période où le corps est réhabilitéen tant que siège des phénomènes les plus irrationnels de l’âme et où l’ins-tinct, l’intuition et l’élan vital détrônent le savoir, la pensée logique. Les idéo-logies racistes de l’époque impérialiste trouvent ici également leur explication,tout comme les deux grandes guerres mondiales. On oublie souvent de sou-ligner le caractère impérialiste de ces conflits en se contentant de leur trouverdes causes métaphysiques fictives: dictature de la raison, impasse de l’huma-nisme moderne, dogmatisme des philosophies de la totalité, etc. Faire l’im-passe sur les rivalités de puissance pour expliquer des guerres qui sont denature inter-impérialiste, c’est se condamner à errer sur l’essentiel. Seul lecapitalisme de l’époque impérialiste avait un intérêt idéologique à déconstruirela métaphysique traditionnelle, la raison et l’humanisme. Il s’agissait pour lui,de s’affranchir de ces entraves et de libérer les instincts, au besoin, en lesbarbarisant. L’objectif visé était de justifier une politique inhumaine: la con-quête impérialiste du monde, le pillage des nations, la guerre, le racisme.

• Sur le plan scientifique, il s’agit d’une mutation décisive dans le domaine dessciences: la découverte par Einstein de la théorie de la relativité. Involontaire-ment, et malgré les réserves de son auteur lui-même, la théorie de la relativitéfournit un argument philosophique de poids aux partisans du relativisme etde la déconstruction des philosophies dites de la totalité.

C’est cette ambiance qui vit naître le Nouveau Roman français. Ses thèmes fonda-mentaux alimentent abondamment la postmodernité et se résument ainsi: rejet de lalogique et de la dictature de la raison; inefficacité des catégories rationnelles; mé-fiance à l’égard de la pensée classificatrice; refus des systèmes; fin du héros; rejet dela causalité, du déterminisme et de l’histoire; installation de l’homme dans le présentet dans un univers sans épaisseur; prévalence de l’idée de chaos universel; recon-naissance de l’immensité du monde, de son caractère complexe, changeant, poly-morphe, etc.; méconnaissance de l’essence humaine et affirmation du caractèremultiple de l’identité de l’homme; affirmation du caractère métamorphique du mondeet de l’être; rejet de l’utopie et refus de l’engagement; parti pris en faveur duperspectivisme (le savoir que nous avons du monde et des choses est relatif à nosopinions, à nos croyances, à notre situation et à nos goûts) (Robbe-Grillet 1963).

Le Nouveau Roman signe la fin de la littérature à thèses, du roman « scientifi-que », reflet des aspirations positivistes de l’auteur; il décrète la mort de la littérature

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de combat, porteuse des idéaux de révolution sociale et politique. Comme le surréa-lisme, il déplace l’accent vers l’inconscient, le moi subjectif, la mystique.

Depuis la révolution surréaliste, l’on s’était en effet habitué à l’idée que la créa-tion scientifique, artistique et littéraire relevait d’un ordre différent de celui de laraison. Par exemple, le surréalisme se définit lui-même comme un « automatismepsychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écritsoit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée » (Breton 2003:36)L’œuvre d’art qui rompt avec le formalisme, le conscient, la raison, s’autorise toutesles fantaisies, en fonction de l’inspiration du moment ou de l’état de grâce du créa-teur. Comme tentative de libération de la pensée et de la créativité humaine, lesurréalisme s’adresse directement à l’inconscient et propose aux créateurs de tra-vailler sous sa dictée. Le surréalisme, écrit Breton, c’est la « dictée de la pensée, enl’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupationesthétique ou morale ». C’est à ce titre qu’il s’en prend au réalisme dont il critiquel’attachement au réel et au vrai, l’inclination à « l’enchaînement logique des actes etdes pensées »; le « désir de ramener l’inconnu au connu et au « classable » (p. 19).

Le surréalisme voit par exemple dans la poésie une révélation de l’inconscientlui-même, avec ses absurdités et ses incohérences, son refus de la censure et sesexcentricités. Ceci est suffisant pour susciter une forte résistance à l’égard de laconscience et de la raison – symbole par excellence de la censure. Le surréalismemilite véritablement en faveur de l’élargissement des concepts de raison, de mé-thode et de vérité, au motif qu’il faut intégrer les valeurs de toutes les cultures. Pourses inspirateurs, il n’existe pas, d’un point de vue méthodologique, philosophique,scientifique et culturel, de système standard, de patron; il n’existe aucun modèle,aucune référence, qui imposent que tout le monde s’y conforme. C’est ce qui faitdire à Breton que:

Tous les systèmes en cours ne peuvent raisonnablement être considérés que commedes outils sur l’établi d’un menuisier. Ce menuisier c’est toi. À moins d’être tombédans la folie furieuse, tu n’entreprendras pas de te passer de tous ces outils à l’excep-tion d’un seul, et d’en tenir par exemple pour la varlope au point de déclarer erronéet coupable l’usage du marteau [...] Sans éclectisme aucun, il doit être permis derecourir à l’instrument de connaissance qui semble en chaque circonstance le plusadéquat (p. 155).

C’est cet assouplissement des concepts de raison et de méthode qui inclina le surréa-lisme à l’irrationalisme. Ce dernier exerçait en effet un puissant attrait sur les surréa-listes en raison de la place importante qu’il attribue au merveilleux et au fantastique.Rien, de ce qui se rapportait à l’insolite, à l’occultisme, à l’univers des mystères, desapparitions et des fantômes, ne leur était étranger. Notons cependant que l’irrationa-lisme du surréalisme jouait un rôle contestataire. En cela, ses objectifs et ceux duNouveau Roman sont loin d’afficher une quelconque homologie.

La raison en est que la théorie de Breton et ses amis était particulièrement atten-tive aux pulsions de la société et aux soubresauts de l’histoire,1 tandis que le NouveauRoman se caractérise notoirement par son indifférence à l’égard de la société, de

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l’histoire et donc, des utopies du progrès, de la liberté et de l’émancipation. C’est direque le Nouveau Roman a repris les thèmes essentiels du surréalisme, mais en lesémasculant, en leur ôtant toute leur charge contestataire et émancipatrice. Il metl’accent sur l’incompatibilité totale entre la révolution sociale, politique et la révolutiondes formes artistiques. Suivant un mot que ses partisans empruntent à Kant, l’art estune fin dépourvue de toute finalité. Né sur les décombres des vieilles idéologies etde l’humanisme lui-même, le Nouveau Roman a opéré un déplacement d’accent enrevenant au primordial, à l’élémentaire, au contingent. Robbe-Grillet écrit:

Défunte […] l’ancienne suprématie du sens [...] nous a laissés l’esprit dans unejoyeuse dérive: les multiples signifiants tout alentour [...], les significations parcellai-res et les signes égarés, ayant perdu de proche en proche leurs cohésions œcuméniques,leur solidarité totalitaire, se sont désintégrés bientôt en un grouillement de particulesélémentaires de plus en plus fines, qui se déplacent maintenant sans repos en quêtede possibles assemblages, aléatoires, instables, dans une immense production d’éner-gie dépourvue de finalité (cité par Allemand 1996:42).

De ceci, il découle que l’art romanesque relève de la sphère du non-savoir, la signi-fication de ce monde étrange échappant définitivement à toute tentative de repro-duction et de représentation. C’est une autre façon de dire que le texte littéraire n’esten mesure de refléter fidèlement ni le réel, ni les aspirations les plus profondes del’homme, en tant que sujet de l’histoire, ainsi que le prétendait le roman réaliste.

Prendre acte de la fin de cette époque, c’est se convaincre, comme l’affirmeSloterdijk, qu’il est de nos jours illusoire de maintenir les grandes structures écono-miques et politiques, organisées selon le modèle amiable de la société littéraire. Cetournant – improprement appelé heideggerien: le rôle du penseur allemand étantsouvent exagéré par ses zélateurs – nous inviterait donc à penser le monde entermes de transhumanisme et de transnational. C’est donc la fin de la modernitéelle-même qu’il nous faut penser ainsi. Selon le vœu de Vattimo (1987), il s’agit parconséquent d’envisager tout ce qu’il y a de nihiliste, d’herméneutique et de pragma-tique dans la culture contemporaine. Le nihilisme suppose le scepticisme à l’égard detout ce que la modernité, elle, considérait comme valeurs. C’est ici seulement quenous retrouvons la définition la plus radicale du postmodernisme, aux dires mêmesde ses propres théoriciens. Car, pour Lyotard (1979:7) « on tient pour postmodernel’incrédulité à l’égard des méta-récits ». Ce concept de méta-récit renvoie aux « fic-tions » nées de la « culture humaniste armée et lettrée » (Sloterdijk 2000): la Raison,la Liberté, l’Émancipation, la Nation, l’État...

Rappelons que les penseurs de la génération de Barthes avaient réduit l’histoire àun simple récit. De la même façon, la raison apparaît à Lyotard comme un méta-récit. L’explication de ce phénomène est fournie par ce penseur lui-même. D’ori-gine, nous apprend-il, la science est en conflit avec les récits, les fables. « Mais pourautant qu’elle ne se réduit pas à énoncer des régularités utiles et qu’elle cherche levrai », cette science « se doit de légitimer ses règles de jeu ». Ainsi naît par exemple laphilosophie, vue comme méta-discours. Le méta-discours philosophique est un dis-cours de légitimation que la science tient sur son propre statut. Or, selon Lyotard,

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« Quand ce méta-discours recourt explicitement à tel ou tel grand récit, comme ladialectique de l’Esprit, l’herméneutique du sens, l’émancipation du sujet raisonnableou travailleur, le développement de la richesse, on décide d’appeler « moderne » lascience qui s’y réfère pour se légitimer » (p. 17). Un exemple édifiant à cet égard, lerécit des Lumières. Ici, « le héros du savoir travaille à une bonne fin éthico-politique,la paix universelle ». Sur ce cas précis, la légitimation du savoir par un méta-récitimplique une philosophie de l’histoire. Une telle légitimation amène nécessairementà s’interroger sur la « validité des institutions régissant le lien social: elles aussi de-mandent à être légitimées. La justice se trouve ainsi référée au grand récit, au mêmetitre que la vérité » (ibidem). Définir le postmoderne, c’est donc saisir l’état de laculture bourgeoise, suite aux « transformations qui ont affecté les règles de jeu de lascience, de la littérature et des arts à partir du 19e siècle » (ibidem). C’est surtoutprendre acte de la grave crise qui a ébranlé ces grands récits. Le postmoderne signi-fie donc « l’incrédulité à l’égard des méta-récits », qui correspond à la « crise de laphilosophie métaphysique » (ibidem).

Sur ce point précis, le postmoderne coïncide avec les objectifs de la déconstructionqui suppose en effet une critique de la représentation et de son contenu de vérité.Par exemple, dans la philosophie de Derrida, la déconstruction se saisit comme unetentative de subversion de l’héritage philosophique occidental ou encore, un effortde problématisation, de remise en question de la domination du concept et de laraison elle-même. Comme établi plus haut, la crise de la raison que veut saisir lepostmodernisme s’accorde parfaitement avec la crise de l’humanisme, entendu icicomme un effort d’assignation à l’homme du rôle éminent de sujet. Rappelons quedans le système d’un penseur comme Hegel, le sujet est la conscience de soi commeesprit. Or c’est précisément dans cette philosophie que « l’esprit qui se sait ainsidéveloppé comme esprit est la Science » (Hegel 1941:23). Le postmodernisme répu-gne justement à voir dans le sujet, le siège de l’évidence, de la clarté et de la science.

Les raisons d’une telle évolution dans les tendances majeures de la pensée con-temporaine sont connues. Ajoutons celle-ci, inverse à l’optimisme qui accompagnaitl’humanisme bourgeois. Comme le rappelle fort à propos F. Jameson, les dernièresdécennies du XXè siècle ont été marquées par l’émergence d’un nouveau milléna-risme. Dans ce millénarisme à l’envers, les prédictions de l’avenir en termes decatastrophe ou de rédemption ont nettement cédé la place au sentiment général dela fin: fin de l’histoire, fin de l’art, fin des idéologies, fin de la lutte des classes, à quois’ajoute l’idée de crise: crise du marxisme, crise de la social-démocratie, crise del’État-providence. Or, précisément, l’objectif déclaré du postmodernisme est d’af-franchir l’humanité de la logique typiquement moderne du dépassement et de lanouveauté. La notion dialectique de “dépassement”, qui a joué un rôle décisif dansl’univers philosophique et culturel moderne, saisit tant les phénomènes du mondeque les processus de la pensée comme un développement progressif où le nouveause confond avec l’idéal lui-même (Meschonnic 1988:212).

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Depuis les utopies de Bacon et de More en effet, le dépassement, la nouveautéet le progrès font partie de l’esprit même de la modernité. C’est cet esprit qu’onrencontre aussi bien dans la philosophie des Lumières (Kant veut sortir l’homme desa Minorité), que chez Hegel et Marx (la dialectique résume les progrès dans laRaison comme dans l’Histoire). Du point de vue postmoderne, l’élimination de lalogique du dépassement et de la logique du nouveau vont de pair (p. 213). La littéra-ture romanesque de la postmodernité illustre bien cette tendance. Dans le NouveauRoman, le temps du récit n’est plus linéaire et ne vise pas à produire du nouveau,d’où l’importance jouée par la plurivocité, la multiplication des niveaux temporels, lapolyvalence des significations, l’amalgame, l’inclusion de multiples fragments, etc.(Allemand 1996:56-57). Ceci veut dire que produire du neuf ne constitue plus uncritère esthétique décisif. L’esthétique postmoderne recycle les modes tombées endésuétude, il amalgame les styles et les registres, exactement comme il amalgame lescultures et les traditions. Tous ces faits donnent un contenu concret à l’idée de fin etrendent vain tout espoir de changement qualitatif du monde.

C’est chez Nietzsche (avec le concept de l’Éternel retour) et Heidegger (avec le« dépassement » de la métaphysique), qu’il faut chercher la justification philosophi-que ultime de cette idée. Nietzsche annule le temps historique et dissout le progrèsdans l’Éternel et l’Instant; Heidegger lui, postule carrément l’avènement d’un mondepost-métaphysique. Consacrant l’affaiblissement des notions métaphysiques fonda-mentales, celles de sujet et d’objet, de réalité et de vérité, d’essence et de fondement,le monde post-métaphysique rompt radicalement avec l’idée d’un savoir privilégié,pur; au contraire, il trouve sa vérité dans la conception que tous les ordres de savoirset de pratiques se contaminent les uns les autres.

Une conclusion provisoire s’impose ici. L’émergence des doctrines de lapostmodernité est inséparable du sentiment général d’épuisement, de lassitude et dedésenchantement. Tout ce qui a été dit sur le Nouveau Roman ne s’explique pasautrement. Il en va de même pour tout ce qui touche au nouvel expressionnisme, aunouveau cinéma, aux films commerciaux, à la vidéo, à l’architecture. Les vuespostmodernistes dans ce dernier domaine sont inséparables de la critique des ten-dances les plus radicales de la modernité avancée. On attribue à ce modernisme ladestruction de l’architecture et du modèle de la ville traditionnelle, avec ce que celle-ci comprenait comme culture et tradition de voisinage. Nous avons là un débutd’explication de ce populisme esthétique qui s’est imposé comme composante essen-tielle de la postmodernité. Au niveau proprement artistique, le populisme signifieque l’objet esthétique a cessé d’être l’apanage d’une élite. Ceci explique la disparitiondes anciennes frontières entre la grande culture et la culture dite de masse, autre-ment appelée culture commerciale. C’est un tel effacement des frontières que l’onrencontre généralement dans la « culture » des aéroports où dominent les œuvres descience fiction, les biographies de stars, le roman fantastique, le livre de poche. Là,réside donc la rupture avec l’histoire passée de la culture, telle que l’humanité l’aexpérimentée depuis la Renaissance.

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Un phénomène spécifique à la société postindustrielle

Jameson le souligne bien: la « rupture » que constitue le postmodernisme ne doit passeulement être pensée en termes purement culturels, puisque cette doctrine estcontemporaine des théories sociologiques sur la société postindustrielle encore ap-pelée société de consommation, société des médias, société de l’information, sociétéde l’électronique ou, pour être plus précis, société du capitalisme avancé. La missionprécise de cette théorie est de démontrer que la formation sociale actuelle n’obéitplus aux pures lois du capitalisme classique, notamment avec le primat de la produc-tion industrielle et son corollaire nécessaire, la lutte des classes permanente.2

Sur ce point précis, ces vues ne manquent pas de pertinence. Selon Jameson eneffet, n’importe quel point de vue postmoderniste en rapport avec la culture nemérite d’être vu que comme une posture politique, explicite ou implicite, sur lanature du capitalisme multinational actuel. Car, de nos jours, la production esthéti-que est inséparable de la production des marchandises. Ces phénomènes ont pris unaccent particulier dans l’architecture qui, de tous les arts, est sans doute le plussoumis aux mutations de l’économie capitaliste actuelle. C’est en particulier sous lepostmodernisme, que la sphère de la culture a perdu la semi-autonomie que lamodernité avait réussi à imposer contre les vieilles formations précapitalistes. Con-trairement à ce que l’on pourrait penser, une telle perte d’autonomie ne signifie pasnécessairement la disparition de la culture comme telle, mais au contraire, son explo-sion littérale et son expansion, au point où n’importe quel phénomène peut devenirculture et, dans le même mouvement, marchandise.

La tonalité particulière de l’esthétique postmoderniste s’explique par le fait queles nouvelles formes d’expansion du capitalisme multinational ont réussi à infiltrer età coloniser même les enclaves pré-capitalistes qui, jusque là, offraient une certainerésistance à la pénétration de la valeur d’échange. Bien entendu, une telle entreprises’opère en dehors de toute finalité visant à la totalité. C’est donc dans cette perspec-tive que, même du point de vue de la société traditionnelle, la sphère de la culturedevient indiscernable de la sphère de la marchandise (Jameson 1991:49). Les phéno-mènes de cette nature justifient bien la qualification du postmodernisme en termesde logique culturelle du capitalisme avancé, ainsi que l’indique le sous-titre du livrede Jameson. C’est donc à l’intérieur de la dynamique même du capitalisme multina-tional qu’il faut chercher les raisons fondamentales de cette nouvelle théorie socialequ’est le postmodernisme, présenté comme alternative à tout ce que la modernité aproduit comme type industriel, structure économique, modèle de société, dynami-que culturelle, etc.

Nous le savons déjà: depuis qu’une économie axée sur les services et les financesa commencé à s’affirmer, les sciences sociales se sont mises à dessiner les contoursde cette nouvelle société. Les sociologues notamment avaient très vite acquis lacertitude que l’humanité occidentale était en train d’accomplir une nouvelle rupture,sans doute comparable à celle qui scella définitivement le sort du monde médiévalvers le XVè siècle. L’utopie postindustrielle était née.

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Le défi américain de Servan-Schreiber (1967) décrit ainsi un monde nouveaucapable d’assurer à l’individu une liberté sans précédent par rapport aux restrictionsphysiques, économiques et biologiques. L’utopie postindustrielle porte notammentsur l’élimination du travail manuel, la suppression des distances, le développementcolossal des moyens culturels et informatifs, un pouvoir décuplé sur la nature et lavie. Le cadre de vie des hommes n’a pas échappé à la théorie postindustrielle. C’estainsi que Dahl considère la ville géante, la mégalopole, comme l’un des symboles lesplus typiques de l’ère industrielle, avec ses conséquences culturelles négatives, enparticulier sur la démocratie (Dahl 1973:217). Pour cet auteur, la mégalopole « estun anachronisme économique, culturel et politique » (p. 221). On peut donc devinerà quoi ressemble une cité postindustrielle, créée pour permettre l’exercice d’une« autorité modèle », locale et directe (ibidem). Lyotard s’efforce quant à lui de saisircette notion à partir des changements radicaux intervenus dans la sphère du savoir.À l’âge des sociétés postindustrielles et de la culture postmoderne, le savoir changeradicalement de statut. Lyotard note ainsi la place hégémonique de l’informatique etde son corollaire, l’informatisation de la société, à quoi s’ajoute la mercantilisationdu savoir (Lyotard 1979:12).

La « convergence » et la fin des idéologies

Un autre élément, en rapport avec la société postindustrielle mériterait notre atten-tion. Il s’agit de la théorie de la convergence, développée en Occident depuis la findes années 1950. Pour R. Aron par exemple, cette théorie repose sur l’idée d’unrapprochement des voies de développement suivies par les systèmes capitaliste etsocialiste. Selon Aron, la convergence des systèmes socioéconomiques différentsdevait aboutir à la fusion et à la formation d’une société industrielle unique (Aron1962). La découverte de la théorie de la convergence avait été importante, puisquec’est elle qui, de façon explicite, et pour la première fois, annonçait la fin des idéolo-gies. Récemment, F. Fukuyama a reformulé cette théorie à partir d’une catégorienéo-hégélienne: l’État universel et homogène (Fukuyama 1992).

La convergence des peuples par la consommation et la démocratie, suffit large-ment à expliquer la fin des idéologies. Organisée autour de la démocratie et de laconsommation, la société postindustrielle était censée assurer la prospérité générale.Mais son but explicite était de rapprocher les niveaux sociopolitiques différents, etpar-là, induire le nivellement de la vie sociale et l’homogénéisation des modes depensée et de comportement.

C’est bien à cela que pensent certains théoriciens en parlant de l’épuisement desidéologies (Bell 1997). À partir de la théorie de la convergence, Brzezinski etHuntington étaient convaincus que la société démocratique de consommation, ap-pelée à achever la fusion du capitalisme et du communisme, ferait immanquable-ment une victime: le communisme. Pour ces auteurs (cités par Trapeznikov 1973:211),la « convergence », largement répandue en Occident, postule une idée fondamen-tale, à savoir que « les aspects cardinaux du système démocratique seront retenusaprès que l’Amérique et la Russie auront “convergé” vers un certain point historique

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non encore déterminé ». Le parti communiste et son monopole du pouvoir serontincapables de résister durablement à ce processus historique inévitable. Tous lesdeux sont appelés à disparaître.

D’un certain point de vue, l’histoire récente du monde semble donner raison auxdeux « visionnaires ». Le désir de rassembler tous les peuples de souche européenneet de culture judéo-chrétienne, ne semble pas non plus étranger à une telle conver-gence (Agbobli 2002:21-22). Selon la perspective néo-hégélienne, la fin de l’histoires’inscrit au cœur d’une eschatologie à vocation messianique. Cette eschatologie pos-tule l’émergence, à la fin des temps (le temps occidental), un super-État chrétienmondial, libéral et capitaliste, sous la direction conjointe des États-Unis et de l’Unioneuropéenne (Fukuyama 1992:233; Foé 2001:91).

Mais, par-delà le socialisme et le communisme, la fin des idéologies désigne engénéral le déclin de tous les systèmes intellectuels censés se réclamer de la vérité etde la certitude dans leur vision du monde. Bell (1997) prétend que les idéologiesentraîneront dans leur déclin, de larges pans de la superstructure sur laquelle repo-sent les grandes visions du monde. La désidéologisation, ou encore l’effondrementdes grands systèmes idéologiques de l’humanité, signifie qu’une connaissance scien-tifique concrète et spécialisée remplacera les recherches métaphysiques qui obsè-dent l’esprit humain depuis l’Antiquité. L’homme qui, durant des siècles, s’est inter-rogé sur sa vie, sa raison d’être, son destin dans le monde, ne peut trouver deréponses à ces questions vitales ni dans les réflexions philosophiques, ni dans lesrévélations religieuses, ni dans les théories morales, mais seulement dans une recher-che analytique scientifiquement contrôlée. Ceci veut dire que les idéologies mour-ront pour que naisse enfin la connaissance spécialisée. Une telle perspective signifieque l’homme doit se débarrasser de tout ce qui rappelle, de près ou de loin, laconception du monde. Aussi annonce-t-on l’avènement d’une ère nouvelle, oùl’homme sera affranchi de la tyrannie des idées sociales échappant au contrôle strictde l’activité scientifique elle-même.

C’est dans la consommation qu’il faut chercher le sens ultime de cette quête quis’efforce de précipiter l’humanité dans l’ère post-métaphysique. Les masses étant enproie à la psychologie de la consommation, elles tendent uniquement vers leur bien-être individuel et leur confort personnel. Or, les techniques produites par la révolu-tion scientifique en cours assurent pleinement la satisfaction de ces besoins. C’estseulement ainsi que l’effondrement des idéologies coïncide avec la grande époquede la consommation, moteur de la société postmoderne.

C’est depuis cette période que le monde a commencé à se familiariser avec l’idéeque les grands récits de l’époque moderne – la Raison, l’État, la nation, la classesociale, etc. – étaient des réalités caduques. Sous le régime de la société postindustrielle,les différences et les oppositions de classes en particulier sont appelées à perdre lerôle qui était le leur dans le passé. Seule donc la démocratie constitutionnelle, fondéesur la négociation et le compromis, convient à une société libérale qui ne comprendplus qu’une seule classe: la « classe » des consommateurs. Nous sommes ici au pointque Rorty nomme l’utopie libérale réalisée. Cette utopie, non inscrite dans le futur

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comme dans la plupart des utopies modernes, est effective, effectivement réelle etcorrespond à notre société postmoderne, qui se veut « une société idéalement libérale »et « dont les idéaux peuvent être réalisés par la persuasion plutôt que par la force, par laréforme plutôt que par la révolution, par la confrontation libre et ouverte des pratiqueslinguistiques, et autres » (Rorty 1993a:96). Comme les autres théoricienspostmodernistes, cet auteur est convaincu que la société libérale idéale n’a d’autrefin que la liberté elle-même, et « d’autre but que l’empressement à voir comment sefont ces confrontations et à se soumettre à leur résultat » (ibidem).

Rappelons que chez Watkins, le fait qu’elles se fondent sur la lutte des classes etla confrontation au sein de la société, explique largement l’inclination des idéologiesaux « simplifications excessives », avec leurs « distinctions nettes entre bien et mal,ami et ennemi », toutes choses « propices à une assimilation par les masses » (Watkins1966:234). L’idée réelle qui se camoufle derrière cette critique est la dispositionnaturelle des idéologies à être facilement assimilées par les masses. C’est donc lanature révolutionnaire des idéologies qui est en cause, car, « c’est un trait typique desidéologies modernes que leur nature agressivement révolutionnaire » (p. 17). Cecin’est possible que parce que « la fonction principale, latente, de l’idéologie est d’ex-ploiter l’énergie émotionnelle » (Bell 1997:53).

Il faut mettre en rapport la critique des idéologies avec le développement dupositivisme dans la pensée bourgeoise. La vérité est que « la pensée bourgeoiseoscille entre le positivisme en période de paix et de stabilité relative et le romantismeplus ou moins explicite ou plus ou moins teinté de fascisme et d’irrationalisme enpériode de crise » (Towa 1977:252).

C’est donc le contexte social lui-même qui, dans la pensée bourgeoise, explique lamontée ou non des professions de foi « messianiques ». Comme le souligne Lukacs(1961), la crise de l’époque fasciste transforme l’existentialisme allemand en unephilosophie activiste. Cette époque donne à voir Heidegger, alors recteur de l’uni-versité de Fribourg, marchant avec ses étudiants devant les urnes. En rangs serrés,tous devaient sanctionner par leur vote, la sortie de l’Allemagne de la Société desNations (SDN).

L’idée qu’une démocratie constitutionnelle fondée sur la négociation et le com-promis vaut mieux que les régimes nés des transformations radicales de la société,constitue l’une des assises doctrinales d’un pays comme les États-Unis d’Amérique.Ceci explique largement la nature particulière du syndicalisme américain (Reich1993:47). En effet, les syndicats sont perçus non comme des mouvements sociauxà part entière – avec leur fort potentiel révolutionnaire ou, à tout le moins, contes-tataire – mais comme des institutions politiques, économiques et culturelles à partentière. Convaincu qu’il n’y a aucune alternative viable à l’économie de marché et àsa superstructure – la société bourgeoise – et entièrement acquis au système, lemonde du travail s’auto-émascule, pour partager avec le capital, la responsabilitécivique d’assurer la prospérité de la nation. La « comédie musicale » – où, soft, lesconfrontations se règlent « sur le mode de la farce » – est vraiment typique de lasociété postindustrielle.

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Les États-Unis d’Amérique font partie des rares pays au monde où la rébellionest vue comme « le crime le plus atroce qui puisse être perpétré par l’homme »,d’après les termes virils d’une lettre de Daniel Leonard adressée aux habitants de laBaie du Massachusetts, le 6 février 1775 (Barth 1971:255-257). La thèse de cettecorrespondance porte sur la coïncidence entre l’allégeance à l’autorité et la protec-tion du citoyen. Ainsi, par le contrat social, le « sujet est tenu d’obéir au gouverne-ment et, en contrepartie, il a le devoir d’en recevoir la protection ». Or, d’aprèsLeonard, « lorsque le gouvernement est mis à bas », l’humanité régresse dans « l’étatde nature », qui est un état de bestialité.

D’après les théoriciens de la société postindustrielle, le monde post-historique,limité à l’Europe occidentale, aux États-Unis d’Amérique et au Japon, continue decoexister avec un vaste monde historique. Ce dernier, réductible à la mosaïque desmondes non occidentaux – africain, asiatique, sud-américain et est-européen – seraitle domaine privilégié des luttes historiques, des guerres, des injustices, et, bien évi-demment aussi, de la pauvreté (Fukuyama 1992:358). Se caractérisant par la civili-sation et la prospérité, le premier monde (qui est aussi post-industriel) voit disparaî-tre les formes traditionnelles d’affrontements, pour laisser la place à un type nou-veau d’activités. Ainsi en est-il de la Coupe du monde de football. Excellent exutoiredes passions nationalistes et forme de guerre et de violence euphémisées, cettecompétition planétaire aurait pris la place des vieilles rivalités militaires spécifiquesde l’époque historique. Dans la même perspective, les violentes luttes économiquesqui, au XIXè siècle, avaient abouti à une implacable lutte des classes à l’échelleeuropéenne, auraient cédé la place à des activités de loisir à haut risque et à finalitéconsensuelle et « thymotique » étant donné qu’elles sont destinées à attirer la recon-naissance du public. Il s’agit de l’alpinisme, de la course automobile, du vol libre, dusaut acrobatique, du cyclisme… (p. 359). La Californie apparaît à Fukuyama commela région la plus post-historique des États-Unis, et probablement aussi, du monde.

L’Amérique postmoderne

Vue de l’extérieur, la perspective d’une société postindustrielle a quelque chose d’ef-frayant. N’apparaît-elle pas à beaucoup sous la figure menaçante d’une puissanceimpérialiste, les États-Unis d’Amérique? D’ailleurs, malgré de faux airs de cosmopo-litisme, ni le postmodernisme ni la mondialisation elle-même ne cherchent plus àcacher leurs desseins patriotiques et en même temps impérialistes. Illustrons: Rorty,qui voit dans l’Amérique, le peuple du futur, écrit: « Nous pouvons nous féliciter,nous autres Américains, d’être le peuple du futur » (Rorty 1995:52). Thomas Friedmanest plus explicite encore. Pour lui en effet, la mondialisation, c’est d’abord l’Améri-que. « Si nous Américains, sommes rendus responsables de cette évolution, écrit-il,c’est parce que la mondialisation, c’est nous » (Friedman 2001:330). Sans doute, lamondialisation est-elle un « cheval fou », « mais c’est nous qui sommes le mieuxcapables de le monter et de le diriger. Alors, nous disons à tous les autres: “Montezderrière nous et ôtez-vous du chemin”. Si nous excellons tant dans la maîtrise de cecheval, c’est parce que nous l’élevons depuis sa tendre enfance » (p. 331). Selon

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toujours ce dernier auteur, ce n’est donc pas par hasard que la mondialisation tendà imposer au monde entier non seulement le capitalisme anglo-américain, mais aussila culture et les images culturelles américaines (p. 330). John McDermont défendaitdéjà ces idées dans sa tentative de définition de la vocation mondiale de l’Amérique,à partir des principes d’une « philosophie globale », pour la structuration d’un mondenouveau (McDermont cité par Deledalle 1987:242). Pour ce penseur, la questionessentielle aujourd’hui est d’identifier les dimensions de la culture américaine sus-ceptibles de constituer des facteurs opératoires dans la formulation d’une culturemondiale, tandis que la tâche principale de notre temps consiste à s’attaquer résolu-ment aux problèmes posés par le monde global qui s’annonce et qui n’est rien d’autrequ’un monde nouveau à construire par tous et pour tous (ibidem).

Les vues de Kurth (1993:11) le confirment: le hasard à lui seul n’aurait guèresuffi à expliquer la création d’organisations internationales sous la houlette des États-Unis: l’ONU, l’OTAN, la BM, l’OMC. Sans doute, la manière spécifique dont lesÉtats-Unis d’Amérique se sont constitués comme État-nation, explique-t-elle large-ment la grande mutation qui permit à cet État-continent de créer parallèlement lemonde postmoderne. Par exemple, le vieil État-nation américain des siècles passésest fondamentalement différent de ceux qui surgirent ailleurs dans le monde. Ensuivant un autre argument de Kurth (pp. 9-13), l’on peut appréhender le mouve-ment dialectique qui le conduisit à créer cet univers à vocation postmoderne, tout enpréparant sa propre fin comme État-nation. Apparaissant comme la seule grandepuissance entourée de minuscules entités politiques, il sut se créer des zones d’in-fluence à travers le monde, y compris en Europe occidentale, après la SecondeGuerre mondiale. Ce bouleversement fait apparaître la combinaison d’importantsfacteurs idéologiques, culturels, économiques et militaires.

Contrairement aux autres États-nations fondés sur un libéralisme d’essence na-tionale et communautaire, la puissance nord-américaine semble avoir été puissam-ment aidée par son libéralisme individuel et universel. La force d’un tel libéralismerésiderait non seulement dans sa souplesse, mais aussi dans sa vocation universalistefondamentale. Plus que tout autre régime socioéconomique, un libéralisme d’es-sence individuelle et universelle semble plus favorable à la constitution d’une Sociétédes Nations. Fondée sur l’initiative privée, le capitalisme américain affiche sans com-plexe sa vocation mondiale. Sur le plan militaire, l’arme nucléaire, élément clé dudispositif dissuasif, permit aux États-Unis de maintenir sous protectorat un nombresans cesse croissant de nations, sans qu’il leur soit nécessaire de déployer d’énormesmoyens militaires.

Le multiculturalisme vient comme pour couronner cet édifice, puisqu’il consa-crerait définitivement les États-Unis comme société postmoderne par excellence, lapremière de toute l’histoire mondiale. Kurth (1993) reste convaincu que les traitsdéfinissant l’Amérique comme État-nation ont complètement disparu, notammenten matière d’éducation et de culture. Les médias planétaires spécialisés dans lesloisirs, les spectacles, les divertissements de masse – synthèse d’une culture interna-tionale d’origine populaire – semblent avoir supplanté l’école nationale. Propre à

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l’ère moderne et vouée à assurer l’éducation populaire dans la perspective d’unepuissante culture nationale, éclairée et laïque, la finalité de l’éducation nationale étaitla modernisation économique, scientifique et culturelle de la nation. À l’èrepostmoderne, le journaliste de spectacle a pris la place du parent et de l’instituteur.

Pourquoi les ruptures postmodernes?

Les ruptures dont la société postindustrielle est l’architecte incontestable concernenttant l’ordre interne des États que l’ordre mondial lui-même. La modernité aurait étéimpensable sans le puissant Léviathan qui a su mobiliser les énergies humaines, lesforces économiques et sociales les plus colossales de toute l’histoire mondiale, dansun espace économique et culturel unique. Pour des raisons d’efficacité politique,économique et industrielle, la modernité ne pouvait que s’appuyer sur la puissantemachine de l’État-nation avec ses administrateurs, ses savants, ses professeurs, sesinstituteurs, ses ingénieurs, ses médecins, etc. Quant à la société postmoderne, elles’appuie essentiellement sur une économie financière et une industrie à vocationinternationale. Dans la perspective de Kurth, une « économie haute » de servicesfinanciers exportables peut parfaitement coexister avec une « économie basse » né-cessitant une main-d’œuvre peu qualifiée, dans la perspective d’un marché stricte-ment local (restauration, tourisme, etc.). C’est ici que le travailleur post-industriel del’économie basse de services renoue avec le destin indigène et local du travailleur del’époque préindustrielle, sa contribution ne dépassant guère le voisinage immédiat.

Décidément, l’idée pré-moderne ne cesse de hanter la critique postmoderniste.Et, les théoriciens de la société postmoderne ne cachent pas les paradoxes de cenouveau monde. Prenons les classes sociales. Les penseurs postmodernes s’accor-dent à reconnaître que si les différences de classe s’estompent dans la société postin-dustrielle, c’est pour mieux faire ressortir les oppositions de langue, de race, dereligion. Le monde post-historique voit dans l’ethnicité, le communautarisme et lareligiosité, des facteurs de différenciation de premier ordre. Le renouveau ethniqueet l’approfondissement du sentiment religieux apparaissant comme des phénomènestypiques de cette nouvelle ère, il est donc légitime de s’interroger sur la naturevéritable et la visée de ces ruptures postmodernes. Habermas (1981:965-967) ap-porte une réponse digne d’intérêt. Son exceptionnelle lucidité a permis au penseurallemand de caractériser les ruptures postmodernes d’un mot sévère, mais juste: lenéo-conservatisme. La nostalgie du monde pré-moderne, l’attrait de l’archaïque, larégression vers le passé, ne sont jamais loin lorsqu’on évoque l’univers postmoderne.Regardons de près cette société multiculturelle censée supplanter l’État-nation mo-derne. Essentiellement orientée vers la consommation et la guerre, elle est le proto-type même de la culture post-lettrée (Kurth 1993:13). Ne fonctionnant que sur labase des coalitions provisoires, ses armées non conventionnelles font penser, parexemple, aux formations militaires médiévales impliquées dans les Croisades. Enfin,cessant « d’être un État pour s’orienter vers un gouvernement divisé et mis enéchec », la société multiculturelle présente de nombreuses similitudes avec certainesmonarchies moyenâgeuses, celle des Habsbourg, par exemple (ibidem). Ceci explique

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sans doute la place prise par la société civile, qui est un univers complètementantithétique au monde rationnel des Lumières. Le citoyen de l’époque nouvelle estpétri de valeurs qui auraient fait la force des sociétés traditionnelles: l’art, la religion,le mythe.

L’esthétique postmoderniste est vraiment caractéristique du néo-conservatismedont parle Habermas. Parler de postmodernisme, c’est, avant tout, évoquer

une galaxie de styles et de tons que l’on perçoit dans nombre d’œuvres: le pastiche, ledépouillement, une certaine impression d’épuisement, le mélange de divers niveaux,formes ou styles, un goût pour les copies et la répétition, un savoir qui se dissoutdans l’ironie, une timidité aiguë à l’égard de tout ce qui est formel, construit dans letravail; le plaisir de jouer avec les surfaces, le refus de l’histoire (Gitlin 1990:13).

C’est aux phénomènes de ce type qu’il faut penser, chaque fois que la problématiquede la « post-avant-garde » est en question. Le tableau terne et bigarré qu’offre lapostmodernité esthétique contraste singulièrement avec le tonus et la pugnacité del’art moderne. Il suffit de penser à l’avant-garde, incarnée par Baudelaire, les dadaïs-tes ou encore les surréalistes regroupés autour de Breton.

La modernité esthétique, c’est, pour reprendre le mot d’Adorno (cité par Haber-mas 1981:953), une grosse énergie anti-traditionaliste devenue tourbillon vorace,force subversive d’ampleur historique. La modernité ne vit que parce qu’elle déclasseinlassablement un présent sombrant sans cesse dans l’obsolescence et la décadence;c’est une énorme machine à produire le passé, la tradition, la barbarie, le primitif.Rien ne résiste à l’effet destructeur de ce tourbillon vorace (Habermas 1981:953).La modernité ne peut exister sans chercher à révolutionner constamment les choses,les êtres, les idées, les croyances, les goûts. Marx avait vu juste. Le principal traitcaractéristique de la modernité bourgeoise, c’est ce constant ébranlement de l’en-semble du système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle. Ainsi, sous lerègne de la bourgeoisie, et contrairement à toutes les époques précédentes,

les rapports sociaux, figés et couverts de rouille avec leur cortège de conceptions et d’idéesantiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pus’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui est sacréest profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence etleurs rapports réciproques avec des yeux désabusés (Marx-Engels 1976:114-115).

Là réside le problème posé par l’avant-garde. D’après les vues des néo-conserva-teurs, il s’agit de cet « état d’esprit du modernisme qui contamine le monde vécu »(Habermas 1981:954). Le néo-conservatisme voit dans le modernisme le corrup-teur absolu « qui porte au pouvoir le principe d’une réalisation illimitée de l’individu,l’exigence d’une expérience individuelle authentique et le subjectivisme d’une sensi-bilité exacerbée, libérant par-là des motivations hédonistes inconciliables avec ladiscipline de la vie réglée par la rationalité fins-moyens » (ibidem).

Comment expliquer ce néo-conservatisme? La modernité ayant accompli sa mis-sion historique, il ne restait plus rien de l’énergie créatrice qui avait animé cetteavant-garde, et à laquelle elle doit son expansion jusqu’à aujourd’hui. Les critiquespostmodernes sont convaincus que sur le plan culturel, la modernité n’a plus rien à

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offrir au mouvement civilisateur. La question permanente qui se pose donc à lapostmodernité reste la suivante: si la modernité continue, ne risque-t-elle pas decompromettre l’avenir culturel de la fraction la plus avancée de l’humanité? Commele note Habermas (1981:954), « la question de savoir comment imposer des normesqui contiendraient le libertinage, rétabliraient la discipline et l’éthique du travail etopposeraient au nivellement qui caractérise le Welfare State les vertus de la concur-rence individuelle », apparaît au centre de la critique postmoderniste. Sans être vrai-ment originale, la solution envisagée par D. Bell (1997) a le mérite de renouer avecla tradition culturelle d’un pays comme la puissance nord-américaine, construite surfond de pragmatisme et de conservatisme. C’est bien ce qui rend séduisante laperspective d’un « renouveau religieux », venant comme pour couronner « le retourà des traditions naturalistes qui échappent à la critique, permettent des identifica-tions nettement typées et procurent aux individus des certitudes existentielles » (Ha-bermas 1981:954-955).

Marchant sur les pas du pragmatisme des pères fondateurs – le pragmatisme deWilliam James en particulier – le postmodernisme ne pouvait guère se développeren marge de la croyance et de la religion. L’ambition de cette doctrine est même detransformer l’idéal religieux – chrétien en particulier –, en idéal civique. C’est ici queles vues d’un penseur comme Thomas Bridges prennent toute leur signification. Ál’époque postmoderne, enseigne-t-il, le libéralisme cessera nécessairement de s’iden-tifier à la vision scientifique du monde héritée des Lumières comme à toute autrevision du monde hostile aux croyances religieuses et aux idéaux moraux fondés surla foi (Bridges 1997:178). Dans cette perspective Dieu occupe une place de choixdans l’espace du discours civique ou encore de la culture civique postmoderne. Il estsignificatif que Bridges termine son essai par un chapitre surprenant: « God and theSpace of Civic Discourse » (p. 177). Cet auteur ne conçoit pas l’émergence d’uneculture civique postmoderne viable sans le nécessaire appoint de l’éthique religieuse,notamment d’inspiration chrétienne. Il parle même de la nécessité d’établir une « théo-logie civique », dont le but explicite serait par exemple d’articuler autour d’un idéalcivique unique, l’amour pour la justice civique et l’amour pour Dieu. Pour Bridges,une communauté chrétienne façonnée par une telle théologie pourrait parfaitementinspirer et soutenir les institutions politiques libérales des États capitalistes et démo-cratiques (p. 221).

Ces vues ont donné une justification philosophique à tous les courants néo-conservateurs actuels, coalisés pour promouvoir la ré-christianisation de l’Occident,parfois, sur fond d’intégrisme religieux. C’est cet intégrisme que véhiculent toutes lessectes protestantes qui, œuvrant sous la bannière de la théologie de la prospérité, seprésentent comme la seule alternative viable à la théologie de la libération. Animéepar les chrétiens de gauche en Amérique latine et en Afrique du Sud, la théologie dela libération expliquait la pauvreté par les mécanismes injustes de l’économie mon-diale. D’inspiration nord-américaine, la théologie de la prospérité prétend au contraireque, s’il y a des pauvres, c’est parce qu’il existe des gens insuffisamment comblés par lagrâce divine. Cette vision du monde trouva un puissant écho dans les principaux

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bastions du conservatisme chrétien, y compris au Vatican où un pape postmoderne,Jean-Paul II, précipita l’effondrement de la théologie de la libération dans le Tiers-Monde, devenant ainsi l’allié objectif des fascistes manipulés par Washington.

Parlant des États-Unis, Tocqueville notait déjà en 1831, que la religion constitueen fait la première institution politique de la démocratie américaine. Ceci est plusvrai encore, depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition chrétienne en 2000. Lesidéologies de la fin de l’histoire, redécouvertes par Fukuyama (1992), ont su prépa-rer cette nouvelle ère chrétienne sur le plan idéologique. D’après ce penseur etbeaucoup d’idéologues contemporains, la religion (Chrétienne) donne à la démocra-tie libérale sa légitimité et sa force. C’est pourquoi leurs destins sont inséparables. Ilen rend compte lorsqu’il déclare que l’État démocratique libéral qui naquit à la suitede la Révolution française, n’était rien d’autre que la réalisation de l’idéal chrétien deliberté et d’égalité humaine. Il ne s’agissait pas simplement d’une tentative de déifierl’État ou même de donner une portée métaphysique au vieux libéralisme anglo-saxon. L’objectif au contraire était la reconnaissance explicite du fait que « c’étaitl’homme qui avait créé le Dieu chrétien à sa place, donc que c’était aussi l’hommequi pouvait faire descendre dieu sur terre, pour qu’il vécût dans les parlements, lespalais présidentiels et les bureaucraties des États modernes » (p. 233).

Il est difficile d’occulter l’instrumentalisme qui se dissimule dans ces vues. Pour-tant, l’on ne saurait éluder cette question essentielle: la religion – chrétienne – n’a-t-elle pas la prétention de constituer, en définitive, le stade suprême de l’idéologielibérale actuelle? Sans doute, n’est-ce pas un hasard si une Eglise comme celle desTémoins de Jéhovah, pointe en direction de la mondialisation. « En sa qualité deSouverain de l’univers », enseigne-t-elle, « Jéhovah Dieu, par l’intermédiaire de sonFils, utilisera sa puissance avec sagesse pour réaliser les changements nécessaires àl’unification mondiale » (La Tour de Garde 2005:6-7). Cette inclination à la religiositéest déjà présente dans le pragmatisme lui-même, complément nécessaire d’un capi-talisme infirme, sans l’étai de la religion.

La réhabilitation des anciennes formes directrices de la pensée humaine est ap-parue comme l’horizon ultime de la problématique postmoderniste. Qu’on fasseabstraction de l’irrationalisme, de la religiosité, du dogmatisme moral et de l’autorita-risme social, alors, le néo-conservatisme devient totalement inintelligible. Les tenta-tives en cours de réinvention de la philosophie ne s’expliquent que par le désir depromouvoir une nouvelle manière de vivre où la morale, la religiosité et les croyan-ces trouvent leur pleine raison d’être (Novak 1976). Les doctrines de la « mort del’homme » (Foucault 1966) et de la « déconstruction » (Derrida 1967a, 1967b, 1967c)ont eu aussi leur importance. Sans doute, est-il difficile d’appliquer le défi nietzs-chéen, sans toucher à l’instance décisive où se produisent les phénomènes les plusirrationnels de l’âme.

Pensée globale d’Empire

Il faut savoir ce que visent, en définitive, les « déconstructionnistes ». Le terme finalde la déconstruction est l’ouverture au forceps d’un « univers historique » marqué

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par la clôture et la résistance – économique, culturelle, politique, militaire. La résis-tance constitue l’essence même du nationalisme moderne. Construit à l’ombre del’État-nation, le nationalisme tire sa force de sa bureaucratie, de son armée, maisaussi de son économie, de son école et de sa culture. Loin d’être de simples orne-ments, ces trois dernières données constituent de véritables facteurs de puissance.Le nationalisme des États-nations a toujours constitué le principal obstacle à l’expan-sion mondiale du capitalisme. Comme sous l’Allemagne de F. List dont la pensée afait l’objet d’une critique vigoureuse (Marx 1975), les États-nations modernes cher-chent à résister à la poussée de l’économie-monde, en brandissant l’étendard, nonseulement de l’économie nationale, mais aussi de la culture nationale.

Depuis Adam Smith, la question permanente que se posent les idéologues dulibre échange est, pour reprendre Assoumou (1983): comment « en finir avec lemercantilisme? » Nul n’ignore que de nos jours, l’OMC constitue la réponse écono-mique la plus radicale à cette question (Rainelli 2000:5-14). L’Accord général sur lecommerce et les services (AGCS), montre que cette réponse est globale et totale. Enconséquence, elle n’épargne aucun secteur de la vie, pas même la santé, l’éducationet la culture (George 2001:52-72). Ce n’est donc pas par hasard que dans lepostmodernisme, la déconstruction des catégories de la modernité prolonge ladéconstruction socioéconomique amorcée par les institutions du néolibéralisme. Cesont ces préoccupations que reflète, sur le plan idéologique, la doctrine de la postcolonie,dont Mbembé (2000) est l’un des principaux évangélistes en Afrique. Pour cet apo-logiste zélé de la mondialisation et des programmes d’ajustement structurel, la « sor-tie du ghetto » coïncide nettement avec l’abandon de toute idée nationale, la tâcheurgente prescrite aux sociétés africaines étant de relever le « défi de l’internationa-lisme », c’est-à-dire de la mondialisation néolibérale.

Comme toute pratique économique et sociale visant à la totalité, l’économiemondialisée avait besoin d’une expression culturelle et philosophique à sa mesure.C’est ainsi que les doctrines postmodernistes ont été appelées à sa rescousse.Déconstruire l’État-nation, l’économie nationale, la culture nationale et les structu-res anthropologiques des peuples, telle est la finalité du déconstructionnisme dont lepostmodernisme est le vecteur. On peut voir dans cette théorie l’indice le plus signi-ficatif du « transfert de souveraineté ». Selon Michael Hardt et Antonio Negri(2000:179), ce transfert concernerait plus exactement « le passage général du para-digme de la souveraineté moderne à celui de la souveraineté impériale ». Pour cesauteurs, il ne fait aucun doute que les doctrines postmodernistes « pointent en direc-tion de l’Empire », bien que de façon vague et confuse (p. 181).

L’ambiguïté du concept d’Empire mérite d’être notée, puisqu’il ne rend paspleinement compte de la réalité de notre monde livré à un impérialisme brutal.L’idée d’Empire renvoie à l’existence d’un Empire sans impérialisme et suppose quele monde serait entré dans une ère nouvelle, « post-impérialiste ». Rien ne justifieune telle affirmation. La vérité est que le système international actuel est, au contraire,un système impérialiste exacerbé à l’extrême (Amin 2003:25). Depuis la conquêtecoloniale de l’Irak au printemps 2003 par les armées du capitalisme anglo-américain,

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la théorie de l’« impérialisme libéral » a été sans cesse réaffirmée. Aux yeux desidéologues occidentaux les plus radicaux, un tel impérialisme n’a rien de répugnant.L’impérialisme libéral tirerait sa légitimité de son caractère moral. Comme au XIXèsiècle, la « mission civilisatrice » de l’Occident et le « fardeau de l’homme blanc »suffisent à justifier la conquête et la soumission des peuples étrangers. Selon TheSpectator, l’Occident libéral et impérialiste a pour mission essentielle d’apporter auxpeuples arriérés de la terre les bienfaits de la civilisation (« civilising mission »), de ladémocratie et de l’économie de marché. Parlant de la vocation civilisatrice de l’ONUet de l’Amérique, cette revue britannique écrit :

En Irak, elles [l’ONU et l’Amérique] sont engagées dans un exercice de type impéria-liste et libéral dont le but est d’apporter les bienfaits de la démocratie au peuple[irakien] qui, au début de cette année encore, souffrait sous une vicieuse tyrannie. LesNations Unies et les États-Unis souffrent cependant d’un paradoxe qui a toujoursaffligé l’impérialiste libéral. Pour apporter la liberté aux peuples les moins heureuxque lui, il se trouve d’abord contraint de leur imposer sa volonté par la force desarmes (The Spectator 2003:7).

Ces vues indiquent le caractère brutal de l’impérialisme libéral qui divise le mondeen civilisés et en barbares; les uns sont faits pour dominer, les autres pour obéir. Seulun contexte authentiquement colonial peut justifier le regard porté sur les vaincusd’Irak, mais aussi la violence à laquelle ils sont soumis.

Les contours de l’Empire postmoderne méritent aussi qu’on s’y attarde. Lepostmodernisme cherche à nous convaincre que l’Empire post-historique diffèrefondamentalement des empires de l’époque moderne, surgis au terme d’une expan-sion hors de leurs frontières de puissants État-nations, à la recherche de débouchésnouveaux. De fait, la grande époque de l’impérialisme concerne essentiellement lesimpérialismes nationaux. C’est ainsi que chaque grande puissance coloniale des der-niers siècles se tailla un ensemble de territoires, souvent outre-mer. Ainsi s’expli-quent les vastes empires de l’époque moderne: britannique, français, portugais etmême espagnol.

Or, depuis que la puissance nord-américaine a commencé sa transformation ensociété multiculturelle, avec les sociétés transnationales comme base économique etsociale de ses institutions, la nation et son capitalisme auraient cessé de fournir àl’Empire son socle fondamental. Les luttes historiques pour la domination n’oppose-raient plus les États-nations les plus puissants de la terre aux nations faibles. SelonJames Kurth (1993), l’époque postmoderne serait marquée par une lutte titanesqueentre les entreprises multinationales et les médias planétaires d’un côté, les États-nations les plus puissants du Tiers-Monde de l’autre côté. Jusqu’ici, les faits n’ontpas démenti ce point de vue, si l’on reconnaît qu’à la tête de l’État capitaliste, siègentnon des dirigeants, au sens politique du terme, mais des membres d’un Conseild’administration, gérant, de la façon la plus vulgaire, les intérêts des grandes entre-prises dont ils sont les mandataires rétribués.

La « mission civilisatrice » de l’impérialisme libéral est une hypocrisie. Les guer-res postmodernes ont ceci de particulier qu’elles s’appuient sur une vaste gamme

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d’arguments: 1) militaires (occupation violente des pays hostiles, accusés par exem-ple de menacer la sécurité nationale des États-Unis ou encore le « mode de vie » del’Occident; 2) politiques (extension forcée de l’idéal « démocratique » au reste dumonde);3 3) économiques (extension de l’économie libérale et capitaliste à toutes lesnations de la planète, notamment par le biais des Programmes d’ajustement structu-rel); 4) culturels (monopole des acquis de la science, de la technique et des canonsesthétiques). Le but explicite des guerres postmodernes est d’empêcher l’émergencede nouvelles puissances de la science, de la technologie, de l’économie et de laculture. Ainsi s’explique l’entreprise de « re-périphérisation » du Tiers-Monde, no-tamment des États-nations les plus puissants qui tentent d’échapper à leur destinpériphérique, grâce à la maîtrise de la science et de la technique.

De ce point de vue, les fameuses théories sur les périodes « post-héroïques » ouencore « post-idéologiques » semblent renforcer dans leur conviction les néo-con-servateurs américains et leurs épigones de la « Nouvelle Europe ». Pour Luttwak(2002:38) par exemple, les nations ne seraient plus prêtes à payer le prix du sangpour protéger leur souveraineté et leur indépendance. Résignées, et par pragma-tisme, elles seraient disposées à accepter la servitude et à sacrifier leur dignité et leurindépendance. Les forces dominant le monde actuel sont tellement écrasantes qu’el-les ne laissent pas d’autre choix aux hommes. La délégitimation des grands récits dela liberté, de l’émancipation et de la nation s’explique ainsi, tout comme le monopoledes armes de destruction massive par les principales puissances postmodernes.

Arrêtons-nous avec Baudrillard sur cette dé-légitimation du concept d’émancipa-tion qui n’a pas cessé de prendre des accents messianiques. C’est le scepticisme àl’égard de l’idée d’émancipation et de libération qui parcourt par exemple Le Paroxysteindifférent (1997). Selon ce penseur, le vingtième siècle a « fait son travail de deuil etde repentir de toutes les libérations qu’il a voulues et assumées ». Partout, souligne-t-il, il y a comme une « récession de tous les acquis de la modernité et de la libéra-tion » (p. 112). Pourquoi « tout ce qui a été libéré » est-il en voie d’être liquidé? Laréponse de l’auteur est la suivante: « le paradoxe de la libération est que celui qui estlibéré n’est jamais celui qu’on croit: l’enfant, l’esclave, la femme, le colonisé ». Lavérité serait au contraire la suivante:

C’est toujours l’autre qui se libère de lui, qui s’en débarrasse au nom d’un principe deliberté et d’émancipation. D’où la préoccupation dramatique des enfants, de faire ensorte que les parents veuillent bien ne pas cesser d’être des parents, en tout cas, le plustard possible. D’où la préoccupation collective de supplier l’État de ne pas cesserd’être l’État, de le forcer à assumer son rôle, alors que lui ne cesse de vouloir s’endessaisir – et il a de bonnes raisons pour cela. L’État n’a de cesse de « libérer » lescitoyens, leur enjoignant de se prendre en charge, ce dont ils n’ont pas envie du tout.Nous sommes tous en ce sens des Bartleby en puissance: “I would prefer not to”Soyez libres ! Soyez responsables ! Assumez-vous ! – “I would prefer not to” (Jepréférerais ne pas) (pp. 112-113).

Voilà en quels termes – étranges et démagogiques, en effet –, le postmodernismepose le problème du discrédit des principes qui ont rythmé la marche de la modernité.

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Aucun partisan de l’idéologie néolibérale ne peut récuser leur orientation. Pourtant,il y a de la sophistique dans les vues de cette nature. Baudrillard ne se contente pasde légitimer toute entreprise de domination, mais aussi, il ne peut concevoirl’émancipation que dans la mesure où celle-ci livre des masses d’hommes sans défenseaux puissances aveugles du marché. C’est pure démagogie que de demander auxfaibles de « se prendre en charge », de « s’assumer », dans un monde où les forcesdu capitalisme sont les premières à se servir de l’État si brocardé, comme un étaipuissant. Au fond, qu’est cet État qui cherche aujourd’hui à « libérer » les hommes?N’est-ce pas l’État libéral lui-même?

C’est cet État au service du capitalisme qui cherche à faire peur aux hommes, enleur montrant les dangers qu’ils courent, s’ils s’aventurent seuls hors de l’enclos où illes tient captifs. Les mots d’ordre de liberté et d’émancipation sont contemporainsde la montée des mouvements révolutionnaires en lutte contre l’exploitation capita-liste en Occident comme dans les colonies. C’est ici que l’idée d’émancipation revêttoute sa signification. On ne peut la mesurer par rapport à l’individu instinctif, créa-tion de la société de consommation. Il va sans dire que Baudrillard s’adresse avanttout à ce sujet chétif de la postmodernité et non à l’authentique sujet moderne,conscient de la véritable signification des concepts de liberté et d’émancipation. Untel sujet ne peut raisonnablement céder devant pareille manœuvre d’intimidation.

L’intimidation et le sarcasme sont aussi les armes de prédilection de Mbembé(2000), qui définit le post-colonialisme comme un état de post-nationalisme et depost-résistance. Du fait de leur hétérogénéité et de leur fluidité essentielle, les iden-tités postcoloniales se caractériseraient, selon ce penseur post-moderne, par des for-mes particulières de culture politique plus disposées à la connivence avec les pou-voirs qu’à la résistance contre l’État oppresseur et à la mondialisation. L’idéologiepost-colonialiste apparaît donc comme la fin de toute politique de résistance natio-nale.4 Désarmer et désindustrialiser les États-nations les plus « agressifs » de la sphèrenon occidentale, tel est l’objectif poursuivi avec cohérence. Le postmodernismeconstitue l’expression culturelle et idéologique de ce désarmement général. L’Occi-dent ne désespère pas d’atteindre les mêmes objectifs par la voie pacifique. Aussi lepostmodernisme interdit-il non seulement une éducation nationale de masse, maisaussi l’édification d’une authentique culture nationale. La fonction des entreprisesmulticulturelles de divertissement est justement d’empêcher l’émergence d’une cul-ture de ce type.

Un travail approfondi sur le postmodernisme et la mondialisation ne peut pasfaire l’économie de ces questions, si cruciales qu’elles méritent une réflexion sérieuse.Ainsi, le prétexte « d’une approche plurielle de la rationalité » (Ossah Eboto 2001:41)ne suffit plus à dédouaner le postmodernisme ni à le sauver de ses turpitudes. L’idéed’une « rupture radicale avec la conception européocentrique de la rationalité véhiculéedans la tradition philosophique occidentale » (ibidem) semble donc totalement naïve.Revel a raison lorsqu’il note, non sans perfidie – mais pour une fois avec lucidité –que chez le « menu fretin des “postmodernes” actuels », « le déni de pertinence àl’encontre de la science atteint des sommets d’arrogance et d’incompétence »

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(Revel 1998:76). C’est une telle arrogance qui a fait croire à ces idéologues quel’humanité serait entrée dans une nouvelle ère: l’ère post-philosophique. Durantcette ère, jadis annoncée par Heidegger lui-même, la philosophie renoncerait à sesprétentions les plus profondes, accepterait la dilution de son identité, en s’affranchissantnon seulement de sa prétention à dire la vérité, mais aussi à exercer sa fonctioncritique essentielle. Á partir de son « identité contaminée », « mobile », « hybride », laphilosophie rendrait au symbole, au mythe et à la religion, l’hommage qui leur est dû,mais s’interdirait de s’interroger sur l’être social de l’homme et le destin historiquedes peuples, au nom du « plan d’immanence » (Deleuze 1991/2005:38-59).

Marx (1976) lui aussi parlait d’une ère post-philosophique, en montrant l’im-passe d’une idéologie allemande qui n’avait fait qu’interpréter le monde, au lieu de letransformer. Le champ politique et la sphère économique lui apparaissaient alorscomme le nouveau terrain sur lequel devait se construire le monde nouveau. Il estsignificatif que les nouvelles doctrines revêtent les habits de la vieille idéologie alle-mande, avec pour mots d’ordre: « Interpréter le monde ! » – selon un slogan toni-truant de Philippe Raynaud (2003:44) – ou encore, « Une nouvelle politique de lavérité » – suivant le verdict sans appel d’Ossah Éboto (2004:163-180).

Le temps est donc venu pour que la philosophie reprenne ses droits. Elle ne peutle faire qu’en ruinant ces doctrines qui refusent aux sciences toute objectivité ou quiprétendent que les théories scientifiques ne sont que « des mythes, des “narrations” oudes “paradigmes” », toutes choses qui « relèvent d’une causalité sociologique ouculturelle, liée à une zone géographique ou à une conjoncture sociale » (Revel 1998:76).C’est donc le destin de la pensée critique dans le monde qui est ici en jeu. Or, ilconvient de rappeler avec Paul Couderc (1974:83) que notre monde n’est pas endanger par excès de raison, de rationalisme et de pensée critique. C’est même lecontraire qui est vrai.

Il faut donc aller au-delà des poncifs interminablement recyclés par certainscourants de la pensée contemporaine et qui n’apprennent rien sur la véritable naturedes idéologies postmodernistes et leurs enjeux culturels et politiques. Aller au-delàdes lieux communs habituels, c’est par exemple chercher à comprendre le sens duconservatisme que revendique le postmodernisme. Ce n’est pas peu. Mon effort icia donc consisté à descendre au lieu de préfiguration de cette théorie éclectique quiemprunte certes à la philosophie analytique, mais également à tous les irrationalis-mes de notre époque: le pragmatisme anglo-saxon, mais surtout le nietzschéismequi, sous certains aspects, relie le postmodernisme au structuralisme. Foucault (1966)et Derrida (1997) ont été adoubés au royaume du pragmatisme et de la philosophieanalytique, l’Amérique ! Un tel adoubement relève-t-il du pur hasard?

Notes

1. La Révolution surréaliste correspond à un engagement pour le progrès historique despeuples, d’après le « Second manifeste du surréalisme » (Breton 2003:72-137).

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2. « Such theories have the obvious ideological mission of demonstrating to their own relief, that the newsocial formation in question no longer obeys the laws of classical capitalism, namely, the primacy ofindustrial production and the omnipresence of class struggle » (Jameson 1991:3).

3. Cf. les analyses pleines de lucidité de Ryn (1994:99-100). Le refus par l’Occident dereconnaître la victoire électorale incontestable du Hamas en Palestine (janvier 2006) prouvel’hypocrisie qui accompagne un tel idéal.

4. Voir les critiques de Nkolo Foé (2001a:8-9, 2001b:6-7), Robins (2004:20-28) et Murunga(2004:30-35).

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