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Ports du Maroc La leon de stratgiePar Najib Cherfaoui, ingnieur des Ponts et Chausses

Mars 2012

Ports du Maroc : La leon de stratgiePar Najib Cherfaoui, ingnieur des Ponts et Chausses

Rsum :De 1960 1980, la planification portuaire est inexistante car noye dans la lourde mouvance des programmes nationaux pluriannuels. lorigine, il nest pas question de politique portuaire densemble, mais seulement de lentretien des quais et des digues, ainsi le plan biennal (1958-1959), le premier plan quinquennal (1960-1964) et le premier plan triennal (1965-1967). Par contre, le plan quinquennal (1968-1972) souligne la distinction entre la planification nationale et la planification rgionale, sous-entendu sectorielle : il faut y voir l lacte de naissance de ce qui sera appel plus tard le Plan Directeur Portuaire National (PDPN). Le plan quinquennal (1973-1977) tranche pour la construction des ports de Nador et de Jorf Lasfar. Enfin, le plan triennal (1978-1980) de Dveloppement conomique et Social insiste, nouveau, sur la problmatique de la planification, et propose ltablissement dun plan national portuaire. Donc, la premire stratgie portuaire nationale remonte 1981 : elle sen tient dailleurs au commerce et la pche. Cest videmment un chec, do le remaniement de 1991 (commerce, pche et plaisance), lajustement de 1998, le ramnagement de 2001 (commerce, pche, plaisance, croisires et rparation navale) tal sur quinze ans ; ce qui nous conduit directement lactualisation amorce en 2008 et prsente officiellement en 2012. Ainsi, depuis prs dun demi sicle, on se demande quelle est la meilleure faon dorganiser, de piloter et danticiper lvolution des ports, la plus libre, la plus juste et la plus rentable. On a cru le savoir. Daucuns soutiennent que les systmes portuaires voluent au rythme dun progrs irrversible, du rgime communautaire au rgime libral. Dautres affirment que lvolution et la concurrence vont exactement en sens contraire. Dautres enfin, les plus nombreux, sengouffrent dans le tourbillon des tendances, sgarent dans le labyrinthe des prvisions et engloutissent les budgets. Il nous a sembl dcouvrir quil y a, derrire chacun de ces comportements qui se sont succds et entrechoqus, comme un signal toujours prsent, comme un handicap incontournable que nous rsumerons ainsi : par del lignorance des choses de la mer ou labsence totale de culture portuaire, il y a fixation sur les chiffres, avec acharnement, jusqu labrutissement.

Ports du Maroc : La leon de stratgie

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a t l a n t i q u e

Tanger Asilah Larache Mohammedia-Casablanca El Jadida Jorf Lasfar SafiSouira Kdima Sables dOr Skhirat

Rabat-Sal Fs

O c a n

EssaouiraImessouane

Marrakech

Agadir Ouarzazate Sidi Ifni Tan Tan TarfayaLongueur des ctes : 2 934 km 512 km en Mditerrane et 2 422 km en Atlantique Sebta-Cap Spartel : 82 km Agadir-Tarfaya : 466 km Dakhla-Lagouira : 492 km

Layoune Smara Boujdour

Sadia-Sebta : 430 km ; Cap Spartel-Agadir : 842 km ; Tarfaya-Dakhla : 622 km ;

Dakhla

Systme portuaire du Maroccarte de situation des ports Lagouirafigure 1 : Systme portuaire du Maroc (60 km de digues ; 50 km de quais ; 1 800 ha de bassins ;1 500 ha de terre-pleins). Notre priple, dans le temps et dans lespace, fait apparatre un socle dinfrastructures et de techniques, certes dlaisses, mais toujours vivantes. Il rvle aussi une multitude dnergies individuelles et associatives, certes inexploites ou ngliges, mais rsolument engages dans le dfi du rtablissement aprs le traumatisme de 1960.

Ksar Seghir Tanger Med (Oued Rmel) Mdiq, Kabila, Restinga Chmaala Jebha Cala Iris Al Hoceima Sidi Hsane Nador Ras Kebdana

Mdi terrane

Sadia

Knitra

Oujda

Figuig

Ports du Maroc : La leon de stratgiePar Najib Cherfaoui, Ingnieur des Ponts et Chausses

1. Quel est le problme ?

Voici le problme : partir de 1960, en raison de labsence totale de culture portuaire, ceux qui prsident aux destines des ports du Maroc commettent une srie derreurs rptitions, non seulement scientifiques et techniques mais aussi de gestion. Ils engloutissent, en pure perte, des 1 sommes colossales avec vaporation dun savoir faire millnaire. Mais il y a plus proccupant : force de produire des erreurs, ils ont fini par sy habituer jusqu labrutissement et la dpendance, c'est--dire au point den faire un critre de normalit et mme dexcellence.

2.

Gnrique du problme

De 1960 2011, le systme portuaire plonge dans un profond traumatisme. Tel un rouleau compresseur, lignorance crase le fabuleux hritage accumul par le pays. Il y a dabord, de 1962 1972, le dmantlement sauvage du rgime des concessions, pourtant en vigueur depuis le milieu du XVIIIme sicle. Ensuite, par incomptence, des ouvrages dune valeur inestimable tombent en ruines ou disparaissent ; ainsi le radiophare de Casablanca (1984), le tlphrique de Sidi Ifni (1973) ou bien encore la plate-forme Nord du wharf de Layoune (1976). Les premiers ttrapodes fabriqus au monde, pices uniques, ayant une immense valeur scientifique, sont abandonns dans lindiffrence gnrale depuis 1989. Labsence de qualification fait des ravages dans la conception des ports. Les dysfonctionnements sont multiples, rptitifs et de nature trs varie : ttonnement autour du zro hydrographique (Port de Tanger Med), zone de mouillage non dfinie (Port de Safi), entre bloque par les rochers (port de Chmaala et port de Sables dOr), ouverture du port place dans la mauvaise direction (Port de Jorf Lasfar), postes rouliers mal orients face aux vents dominants (Port de Nador), hangars avec des portes trop basses pour les lvateurs fourche (Port de Tanger), portique MGM achet, rceptionn et presque jamais utilis (Port de Casablanca), terminal conteneurs revtu de faon inapproprie (Port dAgadir), appontement non conforme au profil dune tranche importante de tankers (Port de Mohammedia), cercle dvitage dangereux (Port dAl Hoceima), ensablement du plan deau abrit (Port de Tan Tan), chenal daccs mouvant (baie de Dakhla), grues de quai inadaptes et absence de portiques dentreposage (Terminal Est au port de Casablanca). Lanalphabtisme portuaire engendre dinnombrables fautes prvisibles, notamment de 1980 2011. La plus stupfiante est commise au port dAsilah, la plus incroyable au port de Sables dOr (Rabat), la plus tragique au port de Martil (Ttouan), la plus mdicale au port de Larache et la plusPour ceux qui ne trouvent leur repre qu travers les budgets, disons quen termes dinvestissements, ltat injecte dans le secteur portuaire, de 1983 2000, prs de treize milliards de dirhams ; soit en moyenne 700 millions par an, avec un pic de 977 millions en 1999 et un creux de 535 millions en 1993. De 2001 20011, je vous laisse deviner le gouffre financier creus par les erreurs du complexe Tanger Med.1

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stupide au port Chmaala (2007). En 2011, labri de pche de Fnideq est non utilisable la fin des travaux cause de laccumulation des galets dans le bassin. Le port de Sidi Hsane est une vritable baignoire (2004). En raison de lensablement, plusieurs ports connaissent de graves difficults dexploitation, ainsi Layoune (1987), Tan Tan (1986), Sidi Ifni (1996), Boujdour (1982) puis (2011), le port dAsilah jamais inaugur (1988), Tarfaya (1984), le nouveau port de Dakhla (2001), lextension du port de Dakhla (2011) ou bien encore Sadia (2002) puis 2010, pour ne citer que ceux l car la liste est longue. Les pertes sont saisissantes et considrables ; si, tout de mme, on cherche valuer le prjudice social et le cot humain, on trouve en dollars un chiffre qui donne le vertige, avec plus de neuf zros droite. Dans le sillage de cette spirale derreurs, la mise en uvre du port de oued Rmel (2008), composante du projet Tanger Mditerrane, nchappe pas cette rgle et se caractrise, son tour, par une srie dimprovisations, dhsitations et derreurs tout fait inquitantes.

3.

Quelle stratgie ?

Voici la stratgie : Devant ltendue du dsastre, lurgence est triple : identifier les fautes, modifier le comportement et rattraper le retard. Cela exige de prendre la peine de penser lavenir, de savoir do il vient pour pouvoir lamliorer. Cest concevable, car lHistoire obit des lois : leur lecture permet de prdire la forme future, de cadrer les enjeux, danticiper les tendances et dindiquer les pistes suivre. Le temps est donc arriv de rflchir autrement la destine de nos ports, au-del du contexte politique, de lordre social ou bien encore de ltat.

4.

Quel chemin suivre ?

Voici la dmarche : Pour nous guider dans cette entreprise, la lumire du grand philosophe Ibnou Rochd (Averros) savre dcisive. Au XIIme sicle, ce Marocain - que le monde entier nous envie - expliquait qu'une thorie ne mrite qu'on s'y intresse que dans la mesure o elle peut tout la fois s'exprimer en quelques mots, se dcrire en quelques lignes et se dmontrer en plusieurs paragraphes. Le premier des trois textes doit rsumer la thse principale ; le deuxime, rassembler l'essentiel des propositions ; le troisime, analyser en dtail les matriaux fournis par la connaissance et la pratique du sujet tudi. Nous allons donc formuler en quelques mots, exprimer en quelques lignes et dvelopper en plusieurs paragraphes, le chemin suivre pour initier un possible et rapide retour un ge dor.

5.

En quelques mots

En interrogeant le pass de nos ports, nous dcouvrons une Histoire la fois fascinante et mouvemente. Mais il y a plus important : elle nous rvle les invariants de lvolution. En six sicles, de 1260 1860, le systme portuaire marocain subit cinq traumatismes rcurrents, tous de natures trs diffrentes. Chaque preuve fait apparatre une rsilience nouvelle, c'est--dire une remarquable capacit rsister, se rparer, rebondir et se surpasser. Aprs chaque agression, le systme retrouve ce qui a t cras, cherche comment a t cras, reconstruit l-dessus, et remonte superbement la surface : la rsilience est un caractre permanent. Un cycle de cent ans spare au minimum le choc et le rtablissement de notre systme portuaire : cest linvariant commun toutes ses rsiliences.

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Ibnou Rochd (1126-1197) demeure aujourdhui encore lun des plus grands penseurs de tous les temps. cette poque, il donne de toutes les uvres dAristote, en sa possession, un rsum et un commentaire pdagogique. Pour cinq dentre elles, il fournit une explication mot mot. Cest Maimonide (1138-1204), grand philosophe andalou marocain, qui prennisera le travail de Ibnou Rochd.

figure 2 : Derniers ras marocains de Sal, actifs jusqu la fin du XIXme sicle, fiers descendants des fameux corsaires qui ont port trs haut le niveau de la navigation au Maroc. Aujourdhui, les gens de mer du Maroc sont les dpositaires de cet hritage.

6.

En quelques lignes

Tout commence au XIIIme sicle, le 10 septembre 1260 (2 chaoual 658). Ce jour l, une escadre castillane attaque la ville de Sal et pille ses richesses ; aussitt, la cit mobilise ses forces vives, difie une forteresse maritime et construit autour de ce traumatisme le mythe fondateur du systme portuaire marocain. Dans le sillage de cette naissance, le XIVme sicle donne au Maroc le grand navigateur, gographe et historien Ibn Batouta (1304-1377) ; son livre Rihla demeure toujours une rfrence. C'est aussi l'poque du premier trait maritime de Fs de 1309 qui garantit aux navires trangers (Gnois, Aragonais et Catalans) l'ouverture de tous les ports du Royaume et labolition du droit de naufrage : navires et cargaisons qui s'chouent sont restitus leurs propritaires. Durant tout le XVme sicle, les Portugais convoitent lor africain. En consquence, ils envahissent les principales places ctires pour en faire des relais ; cette occupation dstabilise le fonctionnement des ports ; mais comme en tmoigne Lon lAfricain, le cur (Sal) se maintient et volue un rythme florissant. Le sicle suivant (XVIme), le systme portuaire marocain surmonte le traumatisme de la convoitise, se ressaisit, relance les mtiers de base et puise, dans son propre cur, la vitalit qui va le propulser, lui-mme et la nation toute entire, au premier plan de la scne mditerranenne. Au dbut du XVIIme sicle, en accueillant les Andalous en dtresse, le systme portuaire marocain sexpose des reprsailles particulirement prouvantes ; mais loin de se laisser abattre, il lie son propre destin celui des rfugis, partage leurs souffrances, met profit leur savoir-faire et transforme un traumatisme solidaire en une puissance navale qui suscite ladmiration et le respect de lEurope toute entire. Au milieu du XVIIIme sicle, un violent tremblement de terre, suivi dun tsunami gant, dtruit le port de Sal, c'est--dire le cur historique ; en raction ce traumatisme gologique, le systme portuaire se reconstitue autour dun nouveau cur (Mogador) et assure au Maroc la position de moteur marchand dun nouvel ordre maritime et terrestre qui stend de Tombouctou au Sud Manchester au Nord.

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laube du XIXme sicle, le ngoce caravanier se trouve fortement concurrenc par les progrs normes de la navigation maritime. Aussi, il exige et obtient, la stupfaction gnrale, le verrouillage des ports. Sous leffet anesthsiant de ce traumatisme cannibale, le systme portuaire sefface jusquau dbut du XXme sicle. Ensuite, il amorce une ascension irrsistible autour dun nouveau cur : Casablanca (Anfa). Au cours de cette renaissance, il produit un faisceau douvrages lgendaires qui stend du mle de Tanger (1904) lappontement de Dakhla (1959), en passant par les jetes de calibrage de Mehdia (1926), le quai-lot de Sidi Ifni (1964) et le wharf de Layoune (1968). Base sur le rgime des concessions, lexploitation de ces infrastructures est remarquablement performante. Lingnierie portuaire marocaine est alors au sommet de son art et les phares, symboles forts, cristallisent aux yeux du monde une russite exceptionnelle. De 1960 2011, cest le choc de lignorance : en faisant table rase du pass, les centres de dcision privent la communaut dun prcieux patrimoine, patiemment engrang par le pays depuis sept sicles. Amput de sa mmoire, le systme portuaire pntre dans une crise identitaire profonde. Toutefois, les lois de notre Histoire montrent quil y a espoir, rel et lgitime, de rebondir sur ce traumatisme pour en faire un nouveau dpart.

7.

En plusieurs paragraphes

ce stade, nous avons voqu les fractures saillantes, les grandes dates et les repres marquants, pour clairer notre route et en dduire une logique. Ainsi, elles nous ont permis de revisiter le pass maritime, didentifier les principaux traumatismes (de 1260 1860) et de mettre en vidence cinq rsiliences, vritables piliers de notre systme portuaire. En plusieurs paragraphes (de 8 33), notre rcit prcise la gense de ces formidables rsistances, mesure la gravit des dgts provoqus par lignorance des centres de dcision, recense les squelles du traumatisme de 1960, constate la rsilience actuelle et annonce une possible renaissance lhorizon 2020. Comme toute prdiction est discours sur le prsent, ces paragraphes racontent galement les mtiers portuaires, dcodent les vnements, dcryptent lactualit et dmontrent le ralisme de notre optimisme dtermin.

8.

Rparer lavenir

Aprs avoir brill au cours de la premire moiti du XXme sicle, le systme portuaire marocain sest brutalement effac partir de 1960, suite au choc de lignorance. Dans le paragraphe 2 (gnrique du problme), nous avons voqu les multiples formes de ce traumatisme. Nous avons galement analys la nature des squelles, expliqu la profondeur du recul et constat lampleur des sommes dpenses en pure perte. Mais notre propos se situe ailleurs, une autre chelle, un autre niveau : il sagit de rparer lavenir. Lune des interrogations fondamentales consiste savoir si notre systme portuaire va sunifier ou bien va-t-il se laisser entraner dans la logique strile du fractionnement et des improvisations 3 irresponsables . Bien que ce problme soit difficile modliser, il peut nanmoins tre schmatis. L'ide est que dans certaines circonstances historiques, le mme type d'volution peut s'observer dans un milieu : un moment donn domine la division, cest--dire la parcellisation dicte par les convoitises, les tentations et les abus de pouvoir, tandis que souterrainement se produit un nouveau3

En 2012, on ne compte pas moins de onze autorits portuaires ; outre le dpartement de tutelle, on peut citer par exemple : les agences du Sud, du Nord, de lOriental, de la valle du Bou Regreg, de Mar Chica ; la socit damnagement du port de Tanger Ville ; le haut commissariat aux eaux et forts, lOffice national des pches, lOffice Chrifien des Phosphates et lUnesco Mazagan (El Jadida).

regroupement unitaire fond sur de nouvelles bases. S'ensuit une priode o alternent les cycles de destruction et de reconstruction, alternance qui prlude une organisation dont tous les aspects et tous les mcanismes sont suffisamment imbriqus et quilibrs pour que le systme soit dsormais capable d'affronter le temps et de vivre sous cette forme maintenant stable et durable. Sur ce socle, peut ensuite commencer la construction d'une nouvelle aventure, vers un niveau de complexit encore plus lev, mais selon une trame prvisible. Pour mettre en vidence le relief de cette trame, nous nous sommes appliqus patiemment rendre visibles, mtier par mtier, les germes et les signes de la lente renaissance de notre systme portuaire. En effet, notre priple dans le temps et dans lespace fait apparatre un socle dinfrastructures et de techniques, certes dlaisses, mais toujours vivantes. Il rvle galement une multitude dnergies individuelles, associatives et professionnelles, inexploites ou ngliges, mais rsolument engages dans le rtablissement promis par lHistoire. Comme dj annonc, les paragraphes (9 33) rcapitulent et rsument ces rvlations. Elles forment un ensemble indissociable qui autorise, pour lhorizon 2020, le possible retour acclr un ge dor. Mais ce retour est conditionn par la cration du Conseil national des ports, charg, entre autres, dorganiser, de soutenir et dpanouir cette esprance rendue lgitime par sept sicles dpreuves et daccomplissements.

figure 3 : uvre merveilleuse de lingnieur marocain Mohamed ben Ali, la porte marine Bab el Mrisa, construite entre 1260 et 1270, ouvre sur le soleil levant et relie la ville oued Bou Regreg. A cette poque, le port de Sal comporte un bassin protg par une muraille et reli oued Bou Regreg ainsi qu lOcan au moyen de deux canaux mnags depuis deux portes marines, lune destine lentre des navires et lautre leur sortie.

9.

Une identit millnaire

Le systme portuaire marocain est n Sal le 10 septembre 1260. Le port de Sal et son canal tmoignent de lapport prcoce du peuple marocain lart des travaux maritimes. Les deux portes marines (Bab El Mrisa et Bab Dar e ana) conservent lempreinte de cette contribution majeure, malgr les ravages du temps, de lignorance et de lindiffrence. Le redploiement de la mmoire collective, autour de cette contribution majeure, donnera aux futures gnrations un ancrage identitaire fort, profond et puissant. Il leur permettra ainsi de se rconcilier

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avec un pass scientifique et technique, certes oubli ou mconnu, mais valeureux, qui a atteint une splendeur ingale vers le milieu du XXme sicle. Face au retard portuaire accumul entre 1960 et 2011, cette mobilisation guidera nouveau nos ingnieurs, avec une confiance ressource, vers les chemins de la rhabilitation, du renouvellement et de linnovation.

10. Appel aux terriens

Au Maroc, les phares se dclinent dans un paysage o ils sont marginaliss, parfois jusqu lexclusion ; ainsi le cap des Trois Fourches, cap Spartel, cap Ghir, Casa del Mar (Tarfaya) ou bien encore le phare historique de Martil situ sur la rive gauche de lembouchure du Rio Martin.

42.44m

+ 19m + 15m

figure 4 : Casablanca (El Hank), btiment du radiophare construit en 1937 ; la sortie dantennes et la nappe triangulaire de fils support, tendue entre la tour du phare et les deux pylnes mtalliques. Radiophare dEl Hank (Casablanca) ; cest un metteur d'ondes hertziennes, sur lesquelles le navigateur oriente un cadre ou radio compas pour dterminer sa position. Il a une porte de 200 milles marins : cest lanctre du systme de positionnement global (GPS).

Contrairement aux apparences, la fin des phares nest pas pour demain, car ils sont investis dune mission nouvelle, tout fait inattendue : construits pour annoncer la cte aux marins, ils annoncent dsormais la mer aux terriens. Mais il y a plus que cela. Tout dabord, tant des lieux mythiques, peupls de lgendes, nos phares peuvent parfaitement sintgrer dans le tissu urbain, constituer une ressource culturelle et fournir un outil pdagogique. Il faudra donc initier un accompagnement qualifi, soutenu et durable. Ensuite, objets emblmatiques, ils dessinent une frontire de lumire qui focalise plusieurs enjeux, notamment, le fameux devoir de mmoire : ils sont la preuve tangible des trs hautes performances atteintes par notre dispositif daide la navigation entre la fin du XIXme sicle et la premire moiti du XXme sicle. Enfin, chargs d'une histoire qui s'est fixe sur eux, ils rsistent et deviennent, par rapport limaginaire collectif, un rfrentiel populaire et un dterminant urbanistique (phare de Boujdour, de

Sidi Bouafi El Jadida ou bien encore dEl Hank Casablanca). En ce sens, ils affirment la mmoire de notre systme portuaire.

11. Marins lavant-garde

Ils sont pilotes, lamaneurs, hydrographes, quipages de remorqueurs ou de dragues : les marins de lombre contribuent laccueil et la scurit des navires dans des conditions extrmes, parfois au pril de leurs vies. Entre 1904 et 2011, soit plus dun sicle, ils ont assur, au port de Casablanca, laccueil de plus de 500 000 navires de commerce. Cependant, lactualit, toujours ingrate, ne retient que quelques images spectaculaires, et passe sous silence le travail considrable accompli par ces marins dexception. Aucune reconnaissance na jamais t formule leur gard : leur mrite est victime, la fois, de lignorance et de loubli. Il faut rparer cette injustice, non seulement pour rendre hommage ces gens de mer, mais surtout pour faire dcouvrir aux gnrations montantes la dimension humaine de notre hritage portuaire, hritage qui remonte loin dans le temps et qui tmoigne de la capacit de survie de notre culture 4 maritime.

12. Moteurs portuaires

Chargeurs Au milieu des annes 70, lmergence dun grand nombre de pays engendre dans les circuits de lchange une vive concurrence, accompagne de fortes tensions. Dans le sillage de cette pousse, les exportateurs marocains finissent par comprendre que leur propre performance nest pas lie seulement la qualit du produit, mais aussi lintgration au sein de toute la chane, de lapprovisionnement la distribution. Aussi, ds 1982, ils focalisent leurs efforts sur les modes conteneuriss et rouliers, luttent pour prserver et largir les dbouchs de leur production. Pour cela, ils se regroupent autour de lASMEX (Association Marocaine des Exportateurs), prparent louverture sur le march mondial, diversifient les comptences, multiplient linvestissement, dfendent la profession et contribuent au rayonnement plantaire du pays. Armateurs Larmement national est dans une rcession persistante : la flotte marchande a diminu de moiti en vingt ans ; en consquence, le cot des transports maritimes sest aggrav jusqu atteindre lquivalent de la facture ptrolire. Si rien nest fait, le dsquilibre ira en saccentuant avec perte concomitante dune source durable demplois varis, valorisants et stables. Au-del du devoir dagir pour rparer lavenir, nous sommes guids par une double conviction : dune part le Maroc a les moyens pour impulser une forte croissance marchande sa propre faade maritime ; dautre part, tout ce qui ne sera pas entrepris ds maintenant ne pourra bientt plus ltre ou mme sil est entrepris, sera sans effet. Pour cela, on a dress un diagnostic, la fois, de ltat du monde maritime et du Maroc maritime, de ce quil faut modifier, de ce qui peut tre transform et de la faon de mettre en uvre le changement. La thrapie propose nest ni un rapport, ni une tude, ni un inventaire et encore moins une liste de recommandations ou dides originales condamnes rester marginales. Cest plutt et surtout un manuel, usage immdiat, en vue dactions homognes, urgentes et fondatrices, pour permettre au

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Il convient de signaler linitiative de la Direction des Ports et du Domaine Public Maritime qui a eu le grand mrite de rendre hommage aux gardiens des phares du Maroc en organisant le 29 novembre 2011 la journe Valorisation historique des phares du Maroc .

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pays, non seulement, davoir une prsence active sur la scne mondiale, mais aussi de disposer 5 dune flotte de scurit authentiquement nationale. Agents maritimes En 1999, pour combler le vide et labsence dencadrement, quelques hommes de bonne volont prennent linitiative riche et fconde de fonder l'Apram (association professionnelle des agents maritimes, consignataires de navires et courtiers d'affrtement du Maroc). En 2006, l'Apram intervient de faon cruciale : ceux qui prsident aux destines du secteur maritime proposent un texte qui comporte de multiples garements. Lerreur la plus grave concerne la contradiction avec les rgles de Hambourg (1978), notamment la partie relative la dfinition du transporteur et de la responsabilit du consignataire de navires. Face ce drapage, caus par lignorance des choses de la mer, lensemble du corps de mtier se mobilise et communique avec efficacit pour viter labsurde. Dockers En 2005, on commet lnorme erreur de confondre restructuration des caisses portuaires et rforme portuaire. On oublie tout simplement la main duvre portuaire. Dcouvrant leur faute, les responsables tentent dvacuer le problme vers la juridiction prive via un concessionnaire cr pour la circonstance (Somaport). Mais le syndicat des dockers de bord comprend la manuvre, anticipe les vnements et oppose une pdagogie admirable. Il met en avant les articles 19 et 131 du code du travail pour rclamer la reconduction intgrale de la charte jusqualors en vigueur. De la sorte, il parvient arracher la garantie de ltat pour la sauvegarde de lemploi de la totalit des dockers (protocole du 14 dcembre 2006) ; enfin, il exige et obtient linscription de la mme clause dans le contrat de concession (art. 5). Les Dockers sont lun des piliers incontournables de lconomie portuaire, il ne faut donc jamais les oublier lorsque lon dcline une stratgie portuaire nationale. Experts La construction et l'exploitation des navires font appel des techniques de plus en plus pousses et de plus en plus nombreuses. Les marchandises convoyes se multiplient et leur transfert par mer pose des problmes de plus en plus dlicats. Pour fixer les ides, on peut citer la constatation davaries et lanalyse de leurs causes. Aussi, pour clarifier les responsabilits aux interfaces, l'industrie des transports a donn naissance une discipline nouvelle comprenant plusieurs branches : lexpertise maritime. Au Maroc, le concept dexpert maritime fait sa premire apparition lgale en 1919. Il subsiste aujourdhui un domaine o les comptences des experts maritimes ne sont jamais sollicites : celui de la prvention des avaries. Par exprience, ils connaissent pour chaque type de cargaison le risque de dommages au cours dun voyage par mer. Cependant, chaque fois, le problme se rpte car toujours mal pos ; et lexpertise ne peut quenregistrer les pertes ou les dgts. Par exemple, dans ltude dun emballage, il faut considrer le climat, la manutention, loutillage portuaire, les mthodes darrimage et la nature de la marchandise. Cependant, malgr les conseils expressment formuls, lexpditeur nen comprend pas en gnral la profondeur.5

Pour ce qui est des mesures adopter, voici les cinq dcisions de base. Dcision 1 : Instituer ds le 1er janvier 2013 le systme de taxation au tonnage pour maintenir en vie larmement national existant et pour inverser la tendance au dclin du pavillon national. Dcision 2 : Supprimer la retenue la source de 10% sur le fret verse au trsor, pour le compte des frteurs trangers, dans les oprations daffrtement de navires de commerce. Dcision 3: Rduire le cot du travail bord des navires et rendre attrayant le pavillon national. Dcision 4: Librer le code des assurances maritimes. Dcision 5: Reconnatre et faire connatre lexcellence des gens de mer du Maroc, revaloriser leur diplme par la mise jour des textes et augmenter leur nombre. Faciliter le retour la formation aprs et pendant une exprience professionnelle . Impliquer lenseignement maritime dans la globalisation, en favorisant laccueil des tudiants et des chercheurs trangers, en ouvrant des antennes lextrieur, Abou Dhabi par exemple, et en stimulant lchange de professeurs avec dautres pays.

Il est bien dautres secteurs o ce corps de mtiers pourrait rendre dimmenses services. Nous pensons la prvention des naufrages et des pollutions marines, aux consquences tragiques pour lenvironnement naturel, conomique et social. Il ne sagit plus uniquement de faire appel aux experts maritimes pour constater les catastrophes, mais aussi et surtout, pour les empcher ou en diminuer les effets. Dans ce sens, en 1999, les experts maritimes du Maroc fondent un collge associatif et se dotent dune vision future. Depuis cette date, ils uvrent la prservation du patrimoine naval, maintiennent une veille technologique et militent pour faire voluer les mentalits.

figure 5 : Jete Sud de Mehdia ; le 10 mars 2003, une tempte soudaine dferle sur les ctes marocaines. Les vagues atteignent un pic de 8 m pour 19 secondes de priode. Les ttrapodes protgeant le musoir sont emports, provoquant le basculement de la dalle dassise et du mur de garde.

13. tats de la mer

La mtorologie ocanographique est ne au Maroc : en 1920, une tempte paralyse le port de Casablanca pendant sept mois ; cet vnement conduit les autorits instituer lanne suivante un service pour la prvision de ltat de la mer. Des bulletins tlgraphiques quotidiens sont alors dits pour annoncer lavance la lente progression des houles menaantes. Cest partir de 1907 et tout au long du chantier de construction du port de Casablanca que les spcialistes du gnie maritime ont eu pour la premire fois loccasion denregistrer et darchiver un grand nombre dinformations concernant le mauvais temps qui svit dans le Nord de lAtlantique. Tenues secrtes, ces donnes ont jou, durant la seconde grande guerre, un rle dterminant dans le choix des stratgies adoptes lors des batailles navales. Par exemple, lors de lopration Torch, dbarquement de novembre 1942 au Maroc, les scientifiques ont pu prvoir un calme relatif sur des plages soumises habituellement, durant ce mois, des houles violentes. Cest la premire fois que lon mettait profit lexprience humaine pour prvoir ltat de la mer le long dune cte. Il fallait considrer la visibilit, les courants, la profondeur, la mare, les vents et surtout les caractristiques des vagues. Aujourd'hui, au sein de lUniversit marocaine, plusieurs chercheurs isols consacrent leur temps ltude de la progression des vagues. Leur travail contribuera faire renatre, dans notre pays, la science de lhydrodynamique marine, outil essentiel lingnieur spcialis dans les travaux la mer.

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figure 6 : Vue sur le petit wharf de Layoune en 1970, aujourdhui disparu suite une grave erreur. On remarquera labsence densablement des deux cts du pont. Il nempche pas le transit des sables car il est sur pieux. Cependant, suite une erreur de conception du nouveau port, le petit wharf se trouve aujourdhui condamn car enfoui depuis 1983 dans le noyau de la digue principale du nouveau port. Il aurait mieux valu dplacer laxe de cette dernire de 300 mtres vers le Nord et incorporer ainsi ce bel ouvrage dans larchitecture du plan masse. Toujours, cette absence totale de culture portuaire .

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figure 7 : Pice matresse de ldifice portuaire marocain, le wharf minralier de Layoune permet daller chercher les profondeurs de 18 mtres tout en vitant de les perdre par ensablement. Construit de 1963 1967 et long de 3 100 mtres, il est ralis en bton prcontraint et compos de 260 piles, 474 poutres, 137 chevtres, 44 000 m2 de tablier.

14. Survivances en action

Aprs lchec caus par lensablement du nouveau port de Dakhla (1996), le premier wharf (1956) demeure la seule plate-forme disposant des profondeurs compatibles avec les dimensions des navires frquentant la baie. De mme, suite aux erreurs de conception commises dans llaboration du nouveau port de Layoune (1982), lancien wharf (1967) possde toutes les caractristiques requises pour assurer avec fluidit et efficacit un trafic minralier annuel de lordre de dix millions de tonnes. Il est donc grand temps de penser remettre en tat la partie Nord de lappontement accidentellement abme en 1975. Il est rvlateur cet gard de rapporter la conclusion suivante sur la prennit de cet ouvrage telle que la formule en 1981, la brochure officielle : la dure de vie du grand wharf de Layoune, quelle que soit lampleur des rparations envisages, est limite une dizaine dannes. Lavenir apporte un dmenti cinglant cette affirmation dicte par lignorance et, son corollaire, larrogance. En effet, de

1980 2008, il a permis lexport dun total cumul de prs de 60 millions de tonnes. Le grand wharf de Layoune est, aujourdhui, le seul point dembarquement des phosphates de la province de Oued Dahab. On retiendra en substance que les wharfs de Dakhla (1956) et Layoune (1967) sont, dans le cadre du Sahara marocain, lexpression la plus accomplie de lart de la danse avec les vagues. Uniques au monde, ces deux ouvrages tmoignent, avec force, de ladaptation de nos infrastructures portuaires pour faire face aux preuves du temps et de lincomptence.

figure 8 : Tempte sur le port de Casablanca en 1954, avec dferlement de la houle par-dessus le mur de garde au milieu de la grande jete Delure, baptise jete Moulay Youssef en 1968. Faisant preuve dune remarquable rsilience, la digue dveloppe naturellement une double protection : la premire contre la force destructive de locan, la seconde contre lignorance de ceux qui ont en charge les travaux dentretien de notre patrimoine portuaire.

15. Une digue de lgende

Le port de Casablanca, implant dans un environnement marin hostile, a t conu selon des principes datant du XVIIme sicle. Pourtant, de manire surprenante, lentreprise se solde par une immense russite. Ainsi, en un sicle, de 1904 2011, ce port a assur le transit dun milliard de tonnes de marchandises toutes catgories confondues, et continuera traiter annuellement prs de trente millions de tonnes, au moins jusquen 2020. Le succs de ce vaste projet rside essentiellement dans laudace de ses auteurs : ils ont su le transformer en un dfi et en une cole dnergie. Finalement en 1956, aprs cinquante ans de travaux, la digue atteint la configuration actuelle. Elle stire sur 3 182 mtres et possde un prolongement sous-marin inachev de 400 m aras la profondeur - 7 m. Ceci veut dire en particulier que cette admirable digue ne possde pas de musoir et quelle nest donc pas termine. Faisant preuve dune remarquable rsilience, la digue a dvelopp naturellement une double protection : la premire contre la force destructive de locan, la seconde contre lignorance de ceux qui ont en charge les travaux dentretien de notre patrimoine portuaire.

16. Ttrapodes de lhonneur

En 1950, le Maroc est le premier pays au monde tudier, exprimenter et utiliser le bloc ttrapode dans le domaine maritime. (Brevet dpos Casablanca le 19 fvrier 1951 sous le numro 6 946). Cet hritage fait dsormais partie du patrimoine commun de lhumanit.

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Mais depuis 1962, ceux qui prsident aux destines du secteur portuaire marocain ignorent totalement cette remarquable performance. Parmi les innombrables garements, disons quen 1964, ils sollicitent trs officiellement une notice T explicative sur lutilisation des ttrapodes pour les ouvrages la mer (note n 398 du 19 fvrier 4 1964). Ils rcidivent en 1970, puis trois ans plus tard (lettre CB/MD du 16 aot 1972). Tout de mme, cela faisait plus de dix ans que lon produisait des ttrapodes Safi, Tanger, Martil et Mehdia. Sous cet angle, la situation apparat grotesque, lincomptence tragique et la rcurrence inquitante. Cependant, malgr la malveillance et loubli, les ttrapodes, fabriqus et poss en 1950 Casablanca, se dressent toujours au milieu des vagues et leur bton affiche une durabilit exceptionnelle. Par del lhommage quil convient de rendre la rsilience de ces ttrapodes, il est venu le temps dapprendre conserver pour transmettre. Cest le seul moyen de maintenir un lien fertile entre nos anctres et nos enfants, de lancer le dfi de la mmoire vivante et de lutter contre loubli. On prendra donc, avec respect, un un ces blocs et on les installera lentre de chaque port, dabord pour rappeler aux gnrations futures que le Ttrapode maritime est n au Maroc, mais aussi pour voquer l'identit plurielle de notre systme portuaire.

figure 9 : Vue densemble de la carapace dune digue talus en ttrapodes disposs en vrac. Les ttrapodes permettent un bon coulement de leau aprs le choc des vagues et prsentent un indice des vides de lordre de 50, c'est--dire une excellente porosit.

figure 10 : Centrale thermique de Casablanca o, pour la premire fois au monde, on utilise le bloc ttrapode ; 256 ttrapodes de 15 tonnes sont poss pour protger les deux musoirs des digues du canal dacheminement de leau de mer destine la rfrigration des condensateurs. (Photo prise durant lhiver 1950).remplissage central par des matriaux de premier choix quai en pierre taille22 3 9 6 15

mur de garde en pierre taille

haute mer basse mer

caisson massif de fondation en enrochements

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5

10 15 20 25

30 40

45 pieds

figure 11 : Port de Tanger (1677) ; profil de la digue verticale en caissons construite sous la direction de Monsieur Shere ; cest un mur pais assis sur un talus. Chaque caisson est obtenu en immergeant des caisses en bois remplies denrochements naturels.

Jete Moulay Youssef

port de Casablanca

15.5 m ct port niveau haute mer radier en bton ct mer blocs artificiels de 30 m3 talus de pente 1/5 blocs artificiels de 20 m3 en bton dos 3/2 enrochements 500 kg 6 T blocs artificiels de 20 m3 en bton dos 2/1

16 m

70 m

figure 12 : Port de Casablanca, profil de la jete Moulay Youssef (Delure) entre les points mtriques 1 200 et 1 900. Ce deuxime tronon a t construit entre 1920 et 1923. Sur les 1 200 premiers mtres, le corps de cette jete est entirement constitu de cubes de bton de 50 tonnes de poids unitaire. Cette ralisation est dautant plus remarquable quelle a t construite une poque o les formules modernes de stabilit et de granulomtrie nexistaient pas encore. Cette jete, inacheve, possde aujourdhui une longueur de 3 182 mtres.

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figure 13 : Wharf de Sidi Ifni en 1966 ; ralise entre 1962 et 1965, cette construction originale, unique au monde, prsente lavantage dviter lensablement auquel est confront aujourdhui le bassin portuaire mitoyen achev en 1988, puis ramnag en lan 2000.

17. Innovations ternelles

Le Maroc possde une longue exprience des matriaux liants utiliss dans les constructions tablies sur le front de mer. Notre plus ancien exemple concerne le comptoir phnicien de Lixus (Larache au Xme sicle av. J. C.). On y fait un grand usage de la chaux, notamment pour assurer ltanchit des rservoirs destins la prparation du garum, clbre condiment base de poisson macr. On peut galement citer le bassin du port historique de Sal, le canal du moulin mare de Mazagan (El Jadida, 1542) ou bien encore les quais intrieurs de la forteresse de Mogador (Essaouira, 1760). Cependant, le gnie marocain apporte une innovation majeure cette technique : en ajoutant du savon noir, on obtient le fameux tadelakt, enduit connu pour son clat et son lgendaire toucher de soie. Paralllement la chaux, lingnierie marocaine a parfaitement assimil depuis au moins vingt sicles la pratique des ciments naturels dcouverts par les Romains. Cet hritage est attest par la survivance, dans le principal dialecte du pays (darija), dune appellation dorigine latine. Il sagit du mot boslana qui signifie ciment. Or ce vocable, sauvegard et transmis par la langue berbre, nest autre que la transposition orale du mot latin pouzzolane qui dsigne les cendres volcaniques extraites des carrires de Pouzzoles, ville italienne situe proximit du Vsuve. En effet, la pouzzolane est un liant hydraulique, c'est--dire un ciment naturel, prise lente, samliorant avec le temps. Au cours de la premire moiti du XXme sicle et dans le prolongement de ces traditions, les caissons de Larache, puis ceux de Sidi Ifni, tmoignent du haut niveau de matrise accumule par le pays dans le domaine des liants base de chaux. Malheureusement, partir de 1980, on assiste lvaporation de ce savoir faire millnaire. Beaucoup douvrages portuaires subissent des dommages irrversibles, quelques mois seulement aprs leur mise en service. Ainsi, en 1989, les caissons des quais du nouveau port dAgadir et en 2002, ceux du terminal de commerce de Jorf Lasfar : sous leffet de la corrosion, les aciers gonflent, le bton clate et les caissons se disloquent. Il y a plus inquitant. Tanger Med 1 (2003) et Tanger Med 1 Bis (2007), sachant que le bton utilis est vulnrable, c'est--dire prdispos la fissuration et donc linfiltration de leau de mer, on prend la dcision de munir les caissons dune protection cathodique. Il est dornavant clair que si lon avait pris la peine dinterroger la mmoire vivante des caissons de Larache et de Sidi Ifni, on aurait pu en tirer des enseignements prcieux : aprs plusieurs dcennies,

vritables laboratoires grandeur nature, ils sont toujours debout, en plein ocan, avec des ferraillages en parfait tat de conservation. Battus en permanence par la houle, soumis aux cycles incessants des mares et malmens par les temptes, ils sont, aujourdhui, la preuve tangible que lon peut faire du bton arm durable, ne ncessitant ni entretien ni autre protection cathodique. Enfin, lempreinte phontique boslana, superbe rsilience linguistique du Maroc authentique, fournit un exemple la fois saisissant et mouvant de la capacit commune de nos dialectes accepter, assimiler et intgrer lapport des autres cultures, c'est--dire enrichir le patrimoine universel de lhumanit.

figure 14 : Nouveau wharf de Dakhla en 2012 ; son exploitation commerciale est compromise par lensablement du quai-lot. Il aurait fallu le concevoir sous forme dune plate-forme sur pieux ; de mme, la digue talus est une erreur, il aurait fallu opter pour un pont sur pieux.

figure 15 : droite, le nouveau port de Boujdour (2012), On a commis lerreur de ne pas interroger la mmoire gologique, on aurait alors appris que les falaises attenantes au port sont composes de coquilles saint jacques, cest--dire friables et donc prdisposes aux boulements . gauche, le port construit en 1982, un bassin de deux hectares envahi par les sables rendant cette infrastructure inexploitable ds lachvement des travaux. En fait, lcosystme de Boujdour est entrain de donner une magnifique leon de rsilience : espace vivant, il se protge en bloquant par les sables.

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figure 16 : Port de Layoune (2005) ; on distingue nettement la trane de sable qui contourne la digue principale, elle-mme totalement submerge par les sables sur la premire moiti de sa longueur suite une erreur de conception. De plus, on commet en 2004 lerreur grossire de chercher isoler la partie ensable par une digue intrieure parallle la digue principale. Cet amnagement accentue lagitation lintrieur des bassins que lon veut protger et dclenche de nouveau leur ensablement.

18. De Lagouira Layoune

Dakhla dispose dune multitude de plages de sable aux couleurs en dgrad, passant du blanc au dor, parmi lesquelles : Oum Gouira, Tarf Lazrak, El Argoub, Porto Rico . Dautres baies sont citer, comme celles de Oued Dahab, Cintra ou encore la baie des phoques de Nagba Zarga. Des paysages lunaires, des forts naturelles, des sites archologiques et une faune trs varie en font un des derniers paradis vierges sur Terre. Il convient, ce titre, dinscrire la baie de Dakhla dans la liste du patrimoine universel prserver, limage de la cit portuaire de Mazagan (El Jadida). En consquence, lindustrie des loisirs simposera. Elle engendrera ncessairement un faisceau de ples moteurs. Nous pensons notamment aux mouvements de croisire et de plaisance. Dans le domaine des sciences de la vie, la baie de Dakhla est dj en elle-mme un laboratoire en grandeur nature. Il ne reste qu le structurer par ltablissement dun institut, articul autour dun aquarium gant, un parc naturel, une exposition permanente de pierres fossiles et un centre ddi la collecte des mtorites. Le port, excroissance artificielle, cre un risque pour la stabilit biologique de la baie, et il faudra en tenir compte. La construction du nouveau wharf en 1996 a cot en pure perte plus de 50 millions de dollars ; la moiti de cette somme suffisait pour raliser un imposant dbarcadre sur pieux ; lautre moiti aurait pu tre plus judicieusement dpense pour attnuer limpact des nuisances portuaires sur ce milieu la fois inestimable et fragile. Boujdour possde un littoral magnifique qui stend sur des dizaines de kilomtres, bord par de belles falaises de coquilles saint jacques sdimentes. Le relief de larrire-pays abrite des espces animales telles que les renards, hynes, chats sauvages, loups, antilopes, chvres et dromadaires. La composante cologique ne peut rester au second plan. Lmergence du terroir savre dcisive. Elle gnrera ncessairement un attrait spcifique auquel le port devra ds prsent se prparer. Il sagit en particulier de la pche sportive et de la dynamique culturelle. Ce milieu dsert est idal pour lorganisation des rallyes ariens ou automobiles. Un aquarium, un parc naturel et un muse maritime consacr lpope des pices, voquerons la charge motionnelle que suscite, aujourdhui encore, le cap Bojador dans limaginaire des navigateurs du monde entier. Layoune, le secteur des mines et lcotourisme constituent deux piliers majeurs, annonciateurs dun futur florissant. Dans les environs, le long de la Seguiat el Hamra en direction de Smara, on trouve des gravures rupestres en relation avec la prhistoire ; les plus remarquables sont Asli et Oued Miran. 25 km l'Ouest de la ville, la plage de Foum El Oued assure le relais urbain sur la mer. Deux rserves, lune au Nord-Est, lautre au Sud de la ville, contribuent la sauvegarde dun

cosystme vulnrable. Perdrix, livres et gazelles forment l'essentiel des ressources. Les dunes qui entourent la ville, ainsi que les sabkhat (immenses lacs sals) offrent un rel intrt. Il est donc clair que Layoune doit imprativement prtendre au statut de plaque tournante entre le pass et lavenir. Le nouveau port devra anticiper cette ambition en favorisant lpanouissement des mtiers de la culture, de la plaisance et de la croisire.

figure 17 : Scne satellitaire qui met en vidence le grand fleuve sous-marin de sable qui coule au large de la cte atlantique marocaine. partir de la zone englobant Sidi Ifni et Tarfaya, les mandres de ce fleuve sous-marin de sable touchent directement le littoral et submergent de sables tout obstacle, tel que digue, pi ou bassin portuaire. (Vue prise par le satellite Meris le 10 mai 2007).

figure 18 : Port de Tarfaya (cap Juby). En 1979, lachvement des travaux, les sables envahissent le port. On aurait pu viter cet norme gchis si les concepteurs de ce nouveau port avaient tant soit peu interrogs la mmoire du lieu. Ils auraient, en effet, appris que cap Juby signifie cap de Sable .

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figure 19 : Port de Tan Tan en 1996 ; la lutte dsordonne contre lensablement conduit une cascade dimprovisations qui confrent au port de Tan Tan une ressemblance trange avec un tableau de Malevitch. Au final, les deux tiers des bassins demeurent sous lemprise des sables. Lautre tiers ne doit sa survie qu des consignes de dragages dmesures.

19. De Tarfaya Sidi Ifni

La rgion de Tarfaya possde un rythme propre, elle est action, elle est vie, elle est lie lhabitant. Elle est fortement attache aux principes terrestres, et il faut tendre cet ancrage llment marin. Dans un premier temps, on adaptera le port et son voisinage aux exigences de laquaculture. Les bassins ensabls font dexcellents viviers. Le btiment Casa del Mar de Mackenzie fait figure de monument et mrite une rhabilitation digne de sa dimension historique. Larodrome, revtu du cachet des annes vingt, fixera lempreinte de la saga de lAropostale. Dailleurs, le muse Antoine de Saint-Exupry, inaugur le 28 septembre 2004, mmorise dj cette poque hroque. Pour le moment, la pche reprsente lunique usage du port. La quasi-totalit des prises est congele, surtout en raison de lloignement la fois des usines et des centres de consommation. Parmi les niches explorer, citons le ramassage des algues et lexportation du sable destination des les Canaries. Du point de vue des infrastructures, la construction dun petit wharf affranchira les bassins des contraintes densablement. Il sera ddi la pche, la plaisance et au cabotage. Certes, en raison du mauvais temps, cette installation ne sera disponible en moyenne que neuf mois sur douze, mais au moins le port fonctionnera normalement durant cette priode. lheure actuelle, il est seulement accessible aux petites embarcations. Enfin, rappelons que ds 1950, loffice italien des hydrocarbures dnomm ENI (Ente Nazionale Idracarbur) simplante au Maroc afin dexplorer le sous-sol. En 1958, sa filiale Agip obtient lautorisation de sonder le territoire de Tarfaya dont la structure gologique sapparente celles de sites ptrolifres reconnus. En lan 2000, les prospections reprennent. Lespoir rside galement dans la prsence de schistes bitumineux recenss dans la province ainsi que dans celle de minerai de fer haute teneur. moyen terme, un avenir de prosprit est donc promis Tarfaya, possible exutoire ptrolier. Il faut donc ds maintenant finaliser un projet de grand wharf ddi aux vracs solides et liquides. La place de Tan Tan englobe un arrire-pays trs vaste, avec des rivages qui abritent une grande richesse halieutique. Dans le sillage de la Marche Verte, lexploitation de ce potentiel sest avre un atout majeur plein desprance pour lensemble de la rgion. Mais aujourdhui, il est au bord de lpuisement. Il faudra donc repenser la fois la gestion de la pche et son articulation autour des industries de transformation. Si le repos biologique semble tre une rponse acceptable la premire proccupation, le poisson dbarqu nest en revanche pas du tout utilis bon escient. La

quasi-totalit des prises est en effet convertie en farine, processus faible rendement et gnrant peu d'emplois. Autrement dit, les captures ayant atteint leurs limites, il devient ncessaire de se fixer des objectifs spcifiques, horizon matrisable. On pourrait par exemple sorienter vers la fabrication de denres alimentaires haute valeur ajoute, impliquer le secteur de la parapharmacie dans lutilisation de la flore locale ou bien encore cibler un levage marin intensif. De plus, la possible extraction des schistes bitumineux et d'autres minerais demeure trs raisonnable. Cette perspective peut conduire une emprise de plus en plus importante sur le front ocanique. Auquel cas il ne faudra pas refaire lerreur de construire un port ferm, mais plutt un grand wharf respectant le passage des sables.

figure 20 : Sidi Ifni en lan 2008. Suite une grossire erreur de conception le port sensable ds lachvement de la premire phase de construction. Dautres erreurs viennent aggraver la situation en 1999 : les travaux de remblaiement transforment le bassin en une vritable caisse rsonance. Dans ces conditions, les mouvements de leau se traduisent par des dbattements dsordonns. Au niveau du chenal daccs, les bateaux de pche sont ballotts par le balancement contraire du reflux. Les plus petits sont parfois renverss ou couls par les remous. On a ainsi englouti dans les sables, en pure perte, un total cumul de plus de 50 millions de dollars.

Le territoire de Sidi Ifni demeure sous lemprise de son pass insulaire. Nanmoins, son dsenclavement constitue une ralit forte. Il est subordonn au redploiement autour des les Canaries. Le sous-sol possde un potentiel minier riche et diversifi. Concrtement et court terme, la rgion peut alimenter lEspagne en sables, exporter le sel destination des pays du grand Nord et reprendre les expditions de granit rose vers lEurope. Le cabotage accompagnera le dveloppement de la ville. Ces trafics exigent ltablissement dun nouveau wharf. Pour cela, on difiera un pont sur pieux, implant dans lalignement de lancien wharf. Il prendra appui sur les pylnes. On fera revivre le quai-lot en harmonie avec le paysage ctier. On rhabilitera larodrome dans le contexte mythique de lAropostale.

20. Focus

La rgion allant de Dakhla Sidi Ifni, centre sur Layoune, fait preuve, aujourdhui, dune puissante sdentarisation qui emprunte ses rfrences aux fondements nomades du Sahara marocain. Cette rgion est actuellement en connexion directe avec la globalisation des changes, de plus en plus oprante. Il y a dabord les sjours de touristes trangers (nomades des temps modernes), campant plusieurs semaines le long du littoral dsert la recherche du dpaysement et de la solitude. Il y a ensuite les flux tendus de camions frigorifiques (clones mcaniques des dromadaires et des

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anciennes caravanes). Ces convois relient les ports aux marchs de consommation du Sud de l'Europe. On est donc l au contact d'un rseau de nuds metteurs, de donneurs d'ordres ou de fournisseurs de produits et services. Mais cette tonnante perce, sur un espace conomique largi, ne doit pas faire oublier les risques de dpendance vis--vis de ce mme rseau. Laction de l'tat demeure donc cruciale, dabord pour protger un cadre de vie prcieux et rare, ensuite pour prvenir les entraves aux initiatives prives et surtout pour fdrer les inclusions sans rupture avec les traditions. Enfin, du point de vue de la prservation de la ressource marine, il est urgent et impratif de grer durablement la flore et la faune. Pour cela, on favorisera lattraction des espces, leur croissance et leur reproduction par limplantation de rcifs artificiels.

21. Safi

Au milieu du vingtime sicle, Safi, grand port de pche et de commerce trs diversifi, avec ses milliers de marins, ses centaines de bateaux et usines, ses chantiers navals et premier port sardinier de la plante pendant un certain temps, va rgresser brutalement partir des annes 70, voyant ses conserveries fermer et ses gens de mer acculs migrer vers dautres horizons. Il y a au moins deux raisons ce dclin et elles datent toutes les deux de 1950, poque de son apoge. La premire correspond la mise en place de lcho sondeur bord des sardiniers. Lhomme intervient par des prlvements de plus en plus importants, venant rompre ainsi un quilibre naturel. La deuxime a trait la transformation des phosphates. Cette spcialisation occulte les activits traditionnelles, beaucoup plus riches et diversifies. Faiblement intgr dans le tissu social, vivant presque en autarcie, le complexe chimique napporte aucune valeur ajoute la ville ; il contribue au contraire desservir les intrts de la cit en matire de pche et de tourisme. Cette maldonne est de surcrot aggrave par le cannibalisme du port de Casablanca. Ce port, qui a tout pour propulser la ville, va chouer dans cette mission. En instituant une veille, ce dclin aurait pu tre vit. Carrefour routier, ferroviaire et maritime, Safi na pas su transformer cet avantage en se tournant vers le multimodal. Que faire maintenant ? Safi, ville jeune, est paradoxalement confronte au syndrome dAlzheimer. Il faut donc faire table rase du mirage des phosphates, effacer ses illusions, oublier ses malentendus et dissiper ses effets anesthsiants. En consquence, on dplacera le terminal minralier vers le Sud, non loin du complexe industriel, par exemple Jorf Al Yhoudi. Les zones portuaires ainsi libres seront ddies la croisire et aux activits culturelles. Conscient de cette ncessaire requalification, lOCP renonce depuis 2006 la rception de lammoniaque, produit class dangereux. Lamnagement de lespace ctier stendant de la plage Ras Lafa permettra via Sidi Bouzid de relier la trame urbaine leau. Une zone verte rafrachira les installations portuaires. Un belvdre, un club nautique et un aquarium brancheront la cit sur le front de mer. On retiendra en substance que la renaissance de Safi passe par lancrage de la ville dans le port, unique moyen de recentrer sa mmoire clate autour des valeurs qui ont forg une identit maritime millnaire.

22. Jorf Lasfar

Le port de Jorf Lasfar possde une caractristique trs spciale. Pour la premire fois au Maroc, on exprimente un mode dagencement nouveau. Lenceinte portuaire est dbite en tranches aussi minces que possible : quais trs longs, mles et darses troites. En effet, tant donn le cot lev de la grande jete, il est apparu essentiel de tirer le meilleur parti de la zone quelle abrite afin de retarder le plus possible le moment o les besoins du commerce rendraient ncessaire une nouvelle extension de labri. Ce type damnagement prsente linconvnient de cristallier le dispositif dexploitation en des formes immuables. Il ne permet aucun remaniement ni adaptation. Aujourdhui, le port est satur et rien na t planifi pour prserver le futur. Il est pris en tenailles, au Nord par la prise deau des phosphates et au Sud par les installations ddies au charbon. Il y a donc auto asphyxie. Par ailleurs, le site de Jorf Lasfar devait, lorigine, accueillir un complexe la fois minralier et ptrolier. Le port actuel est donc inachev, car il reste faire le terminal ptrolier, li ltablissement d'une raffinerie ncessaire pour la production des matires azotes incorpores aux engrais. En 1975, ds l'annonce du projet, la socit Samir ragit fermement et s'oppose avec acharnement sa ralisation. Son but : conserver l'exclusivit du raffinage du ptrole, monopole qu'elle exerce sur tout le pays partir de Mohammedia (Fdala). Elle parviendra finalement dtourner l'attention des dcideurs et faire barrage. Pour cela, elle appelle au secours son gniteur, le groupe italien Agip qui fait construire par sa filiale GIS (Groupement Impregilo Sider) un nouveau port Mohammedia (19801984). Le financement s'effectue via l'tat italien avec un taux d'intrt quasiment nul. Aujourd'hui, il faut rtablir le cours normal des choses : le dossier de la composante ptrolire, toujours l'ordre du jour, mrite d'tre ractiv ; la scurit de l'approvisionnement du pays en dpend. Enfin, cration rcente, Jorf Lasfar est un port sans ville. On prendra soin d'viter l'erreur rcurrente de laisser la pression urbaine touffer lactivit portuaire. Ce qui suppose une redistribution fonctionnelle des espaces autour d'El Jadida, avec en arrire-plan cette question lancinante : sera-t-elle centre directionnel ou simple ville dortoir pour le complexe ?

figure 21 : Vue arienne du port de plaisance de Sables dOr ; comme le fait apparatre cette illustration, lentre du port est bloque par des rcifs sur lesquels la houle vient se briser ; les bateaux ne peuvent donc ni entrer ni sortir. En vingt ans, le port na ainsi jamais fonctionn. La stupfaction est grande devant une erreur aussi grossire. Cette erreur a cot quand mme la bagatelle de dix millions de dollars, un investissement en pure perte. (Photo prise en 1994).

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figure 22 : Port de plaisance de Skhirat construit en 1968, mais qui sensable. En 1982, on tente de rsoudre le problme en difiant un pi darrt des sables. Mais on sest tromp sur le lieu dimplantation de cet pi. En effet, on a commis lerreur de croire que les sables arrivent du Nord. En fait, ils proviennent du Sud, comme le prouve lensablement de lenracinement de la digue principale. Il fallait donc construire lpi au Sud, 400 m de cet enracinement. En effet, les pcheurs de cette rgion savent bien que, le long de ce littoral, le courant porte vers le Nord.

figure 23 : Suite au tremblement de terre de 1755, la rive Sud du fleuve Bou Regreg sest effondre. En consquence le lit du fleuve a gliss vers le Sud et la rive droite s'est progressivement remplie de vase. Cest donc un endroit techniquement inappropri pour construire le port de plaisance. Il fallait au contraire le construire sur la rive gauche. Lautre erreur fut davoir construit ce port de plaisance lemplacement exact du canal historique perc en 1260, dtruisant par l mme un site dpositaire de la mmoire de notre systme portuaire. Ce sont l, les ravages de lignorance.

23. Oued Bou Regreg (Rabat-Sal)

En deux mille ans dHistoire, les villes de Rabat et Sal ont volu de manire quilibre autour de lestuaire, l o locan atlantique rencontre oued Bou Regreg. De manire gnrale, un estuaire, anim et en bonne sant, rattache toujours la vie urbaine la voie deau fluviale, structure primaire de

toute civilisation. Cependant, en 1974, cet quilibre est boulevers par le choix inappropri du lieu dimplantation dun barrage 25 kilomtres de l'embouchure. Il aurait fallu pargner oued Grou ou un autre affluent pour permettre le renouvellement des eaux de lestuaire, unique moyen dassurer la Valle du Bou Regreg un dveloppement durable. Cette erreur se solde par un impact catastrophique sur lcosystme. En effet, on nouvre les vannes de la retenue que pour se dbarrasser de la vase. Ces rejets de boue paralysent lestuaire et appauvrissent la faune et la flore. En fait, de la cte au barrage, il n'y a plus de fleuve : il ne reste que l'ancien lit dans lequel balancent les mares. Dans lindiffrence gnrale, l'alose (chabel) disparat. Cest un poisson voisin de la sardine, la chair trs apprcie. Il se dveloppe en mer et remonte pondre ses ufs en eau douce, au printemps. Conscient des erreurs commises, ltat ragit en 2005, par la cration dune agence charge de rconcilier les deux cits avec le fleuve qui leur a donn naissance. Elle est investie, entre autres, des prrogatives dautorit portuaire. Mais sur le terrain, les responsables, dpasss par lampleur du mal, se perdent dans le labyrinthe rcurrent des convoitises foncires. Il faudrait surtout se recentrer sur llment cologique, instrumenter les berges et accorder la priorit au rtablissement des eaux malades et fatigues. Ldition rgulire dun bulletin biologique permettra de mesurer lefficacit des traitements. Lestuaire nentrera dans la phase de convalescence qu partir du jour o lalose rapparatra, pas avant. Il va sans dire que cela ncessitera la mise en place dlvateurs au niveau du barrage. Il ne faut pas se faire dillusion : le retour de lalose constitue le seul signe tangible dun possible avenir solidaire entre le Bou Regreg et le couple Rabat-Sal. En ce qui concerne lchec du port de plaisance de Sables dOr, on peut rattraper lerreur en le transformant en un espace dtude, de culture et de loisir. Un conservatoire, ddi la mer, abritera des aquariums, des ateliers et un laboratoire danalyses. Une ferme aquacole dexprimentations et de recherches compltera les installations ; elle se consacrera par exemple la rintroduction de lalose, poisson emblmatique des oueds marocains.

24. Oued Sebou (Knitra)

Idalement plac sur la rive gauche de oued Sebou, le port de Knitra est le point vers lequel devraient aboutir tous les produits miniers et agricoles convergeant Mekns et venant soit du Maroc central, soit de la haute Moulouya et du Tafilalet, soit encore de la rgion de Taza. Cependant, il nen est rien, car toutes ces marchandises ne sy arrtent pas. Une bonne partie d'entre elles, malgr la distance, continuent jusqu' Casablanca o les possibilits de chargement sont plus nombreuses et plus rgulires, notamment pour lutilisation du fret de retour. Par ailleurs, le port de Knitra (Port-Lyautey) naurait pu, de toute faon, chapper la loi commune des ports en rivire qui veut que les installations intrieures soient doubles par un tablissement en eaux profondes rapproch de lembouchure. Normalement, son dveloppement aurait d trouver sa conclusion dans la dlocalisation vers lavant-port de Mehdia. Mais cette possibilit sera sacrifie lautel des barrages. Quatre retenues deau, disposes sans gards pour lcosystme sur les principaux affluents, vont touffer lestuaire. Lensablement qui sensuit dtriore les performances nautiques du fleuve et diminue la taille admissible des navires. En consquence, les oprateurs quittent progressivement la place. Il convient donc de rester lucide et de voir dans cette rgression, non pas un acharnement du sort, mais plutt un choix humain, celui de la scurit de lapprovisionnement en eau douce. Consciemment ou non, le dclin du port de Knitra tait programm. Il faut cesser de cristalliser les nergies autour dun hypothtique retour lge dor des annes trente. Par contre, les gisements de gaz, dcouverts en 2008 au large de Larache, relancent lide dun port gazier au nord de Knitra, au lieu dit Bled Al Bahria. En fait, ltendue du dsastre dpasse le monde portuaire. Ampute de son port et nayant plus de repres, la ville se dveloppe, sous la pression dmographique, dans le plus grand dsordre. Pour traiter le traumatisme, il faut revenir aux sources et se rappeler que depuis la cration de Knitra en 1913, les destins du port et de la ville sont scells celui du Sebou. Cest donc, dans le cadre global de lestuaire quil faut repenser leur avenir commun. En particulier, la connexion au fleuve rattachera les valeurs urbaines des lignes architecturales qui emprunteront leurs rfrences leau, essence de la vie sur terre.

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25. Oued Loukkos (Larache)

La place de Larache doit son existence oued Loukkos. Depuis plusieurs millnaires, cet oued entretient avec lOcan une relation essentiellement fragile et dlicate. Les lments marins et fluviaux conjuguent avec intelligence leurs antagonismes et donnent lembouchure une atmosphre qui charmera dabord les Phniciens, puis plus tard les Romains. Ensuite, tout au long du XXme sicle, on croit pouvoir adapter la nature aux choses portuaires, et on fait subir lembouchure une srie doprations chirurgicales aux effets catastrophiques. Aucun objectif ne sera jamais atteint. chaque fois, la nouvelle prothse implante ne fera quaugmenter le mal, jusqu dfigurer compltement un cosystme quilibr. Comme si cela ne suffit pas, les trois barrages difis sur les principaux affluents de loued vont dfinitivement condamner le port. Aujourdhui, il ny a quun moyen pour sortir de ces cycles dchecs rptition : mettre fin au refus obstin de reconnatre les erreurs. La cause des problmes tant parfaitement identifie, il faudra dornavant se rsoudre accepter sans tabous le principe de dmolition totale ou partielle des ouvrages portuaires construits tort. Au lieu de sapitoyer sur le sort de oued Loukkos et du port, il est bien plus utile de rflchir aux moyens de restituer au site sa valeur mythique, tout en respectant son immense pass maritime. Il va sans dire quun tel programme sinscrit forcment dans le cadre largi de la valle du Loukkos dont lagencement devra tre confi un organisme spcialement cr cet effet.

figure 24 : Port de Larache en 2006 sur la rive gauche du fleuve Loukkos. Comme le montre cette photo, lembouchure de loued est compltement dfigure par un sicle derreurs. En 2006, se rendant lvidence, on retient le principe de faire du port de Larache un port sablier. Autrement dit, il a fallu exactement cent ans pour comprendre que lon a fabriqu une machine accumuler les sables et non pas un port.

prolongement de 110 mtres effectu en 1998

dig ue des Allemands de 600 m difie entre 1908 et 1913

endiguement du lit (1950)

OUED LOUKKOSdigue de protection contre les courants de flot ( 1920) digues de calibrage construites en 1934

digue Sud courbe longue de 252 m, ralise en 2002 digue submersible construite en 1986

D A R S E(ens able)

Port de Larache

entre du port

figure 25 : Port de Larache (2008) ; cycle dun sicle derreurs. La toute dernire erreur est commise en construisant la digue Sud ; au lieu de faciliter lauto-curage du chenal, elle ne fait quaggraver lenvasement de lembouchure et de la darse. De plus, la digue Nord devait tre prolonge sur 250 mtres, mais seulement la moiti est ralise car une tempte, survenue en janvier 2000, emporte les cent premiers mtres.

figure 26 : Le port dAsilah ravag par les sables en 1988, comme en 1943. Une dpense de vingt millions de dollars en pure perte.

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26. Asilah

Le port dAsilah possde un avenir qui est dans son pass. Il sagit de rattacher la ville au paysage ctier qui lui a donn naissance. Il faut rendre lemprise portuaire, aujourdhui dfigure, sa beaut originelle. La gravure des Civitates est l pour nous guider et nous aider rtablir lordre naturel. Pour ce faire, on doit absolument rompre le cercle vicieux des erreurs de conception portuaire. On commencera donc par dmonter les deux digues, au moins ct terre. On tera donc un un les ttrapodes de la carapace du coude de la Jete Poniente. On enlvera ensuite le tout-venant ainsi que le revtement en enrochements. La dalle sera dcoupe et remplace par une passerelle daccs la partie parallle au rivage, tronon quon prendra bien soin de transformer en brise-lames paysager. Le million de mtres cubes de sables qui encombrent le rivage sera dragu, cest laffaire de quelques jours. Dans lensemble, il faudra, avec persvrance et passion, sappliquer recrer une atmosphre digne de lempreinte laisse par les Carthaginois ou bien encore par Christophe Colomb. Ce retour aux sources fera du front de mer un lieu privilgi dchanges intelligents entre la ville, le port et la mer.

figure 27 : Port dAsilah ; cycle des erreurs de 1923 2008. La construction du port commence en 1923 ; les sables envahissent lenceinte portuaire. En 1945, on dmolit les ouvrages construits tort. Mais ne retenant pas la leon de lHistoire, le port est reconstruit, partir de 1986, sur les vestiges des anciens amnagements. En 1988, lachvement des travaux, les sables remplissent nouveau les bassins et le port ne fonctionnera jamais.

figure 28 : Le port de pche de Chmaala dlimit par une digue de 325 m de long et une traverse de 92 m ; il est situ lEst de oued Laou ; achev en 2007, ce port fonctionne mal. Comme le montre cette photo, on a commis deux erreurs de conception en amnageant un bassin dont lentre est bloque par les rochers et par les sables. Il fallait ouvrir lentre sur la face oppose. De plus, lenceinte nest pas protge contre lagitation des vagues.

27. Oued Moulouya (Sadia)

Lestuaire de oued Moulouya, trs proche du port de Sadia, se compose dune zone humide de grande qualit biologique. Il abrite des espces piscicoles rares en voie dextinction comme lalose ou languille, et plusieurs milliers doiseaux migrateurs y font escale, tels le goland dAudouin, la sarcelle marbre ou bien encore larmoise blanche. Mais lafflux sauvage du bton engendre un mouvement urbain incontrl sur le cordon dunaire, perturbe la flore naturelle. cela sajoute ltablissement du grand espace touristique avec son cortge de nuisances. Ces mutations fragilisent lquilibre marin et menacent directement lcosystme. Aussi, plusieurs associations alertent la communaut scientifique. Ltat rpond superbement leurs appels : il cre, en janvier 2005, le parc national de la Moulouya. La rserve couvre une superficie de 5 000 hectares, englobe les berges et une emprise maritime de 600 mtres. Le commissariat aux eaux et forts est donc autorit portuaire sur ce front de mer. En ce qui concerne le port de Sadia proprement dit, malgr la tentative de correction du chenal daccs, son fonctionnement pose toujours problme. Mais, quoiquil en soit, la rgion doit tirer avantage de la saturation du port de Mellilia et accder au rang de port dquilibre, c'est--dire au rang de port capable de recevoir les bateaux de plaisance de haute mer.

figure 29 : lachvement des travaux du port de Sadia en 1999, les sables se dversent directement dans le bassin portuaire, ce qui rend le port inutilisable. En juillet 2008, on se dcide difier une seconde jete principale qui enveloppe le premier port ; il y a encore des difficults (Photo prise en Mai 2010).

28. Un destin plantaire (Nador)

Depuis vingt ans, le conteneur acclre lespace maritime. La course au gigantisme demeure la seule constante dans une industrie navale qui tourne plein rgime. Lancien ordre goportuaire disparat de la scne et un nouvel ordre apparat. Cet ordre change sans cesse. Cependant, tout indique quil tend vers une forme dquilibre stable. En effet, clairs dhypothses raisonnables, nous pouvons dj entrevoir ses grandes lignes lhorizon daujourdhui. La prdiction de cette forme est importante. Elle constitue une proccupation majeure pour lconomie de chaque nation. Dans le cas du Maroc, elle se rvle un outil prcieux pour anticiper le repositionnement de son systme portuaire et surtout pour lui permettre dentrer dans le club trs ferm des ports vocation globale. Avant de continuer, disons un mot pour dissiper les doutes et les hsitations que pourraient faire natre la rcession plantaire survenue la fin de lt 2008.

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Au cur de ce phnomne, on trouve lincapacit du libralisme fournir des salaires dcents aux classes moyennes. Il les pousse sendetter pour financer lachat de leur logement. De ce fait, les mnages les plus dmunis, qui on a propos des prts immobiliers dits subprimes (sous la premire catgorie), ont cru faire fortune en acceptant largent que la hausse de la valeur de leurs maisons leur permettait demprunter. Dans la ralit, les choses se droulent autrement. En 2006, ils se rvlent incapables de payer les chances. La titrisation et la spculation, travers des mcanismes simples et artificiellement complexes, engendrent le report de ces crdits vers une multitude dtablissements bancaires et autres compagnies dassurances. Ces mmes institutions, et leur suite les pargnants, finissent par en dcouvrir linsolvabilit : la bulle boursire explose. Il sensuit une panique et une crise bancaire extension plantaire, qui se transforme en crise conomique, sans atteindre la phase de crise montaire. Cela tant, il faut se souvenir que cette crise, certes profonde, brutale et puissante, nest pas la premire dans lHistoire. Il faut galement garder en mmoire que par rapport aux traumatismes financiers, le capitalisme a toujours fait preuve de rsilience, ainsi en 1890 (Empire britannique), 1929 (tats-Unis), 1973 (choc ptrolier), 1987 (premier krach de lre informatique), 1997 (dpression asiatique). De plus, il ne faut pas oublier que la population mondiale continuera daugmenter, c'est--dire que les changes, et en particulier le transport maritime, reprendront leur croissance acclre. Enfin, il faut comprendre que la plante dispose des moyens humains, matriels et techniques pour faire en sorte que la crise actuelle ne soit quun accident de parcours. Eu gard ces considrations, lhypothse de dpart consiste retenir une progression annuelle de 10% pour les changes mondiaux par conteneurs. Un calcul lmentaire montre alors qu lhorizon 2020, il faudra doubler la capacit cumule de la flotte mondiale, estime actuellement 12 millions devp. Pour satisfaire cette demande tout en diminuant les charges dexploitation par le biais des conomies dchelle, les oprateurs comptent spcialiser lespace maritime. Ceci est notre deuxime hypothse. Tout dabord, des porte-conteneurs normes, de 15 000 voire 18 000 evp, seront dploys sur la route pendulaire quatoriale autour du monde. Elle est la plus longue et possde la plus grande densit de trafic. Pour acclrer la cadence, seulement sept ports, dits pivots globaux, seront touchs au cours de chaque voyage. La priode de rotation sera ainsi ramene 40 jours dans un service sans dbut ni fin qui fonctionnera comme un immense tapis roulant. Le remplissage de ces navires gants sera effectu par des navettes, elles-mmes charges dans des ports intermdiaires, dits pivots rgionaux. la priphrie, on trouvera les ports dits secondaires, relis au rseau central par des bateaux de faible tonnage. Dans tous les cas, les ports qui se trouvent plus de deux jours de dviation de la ligne quatoriale, seront desservis par des navires, petits moyens, de capacit allant de 100 3 000 evp. Il y aura donc transbordement en cascade, c'est--dire mergence dune nouvelle hirarchie portuaire articule autour de pivots globaux, rgionaux et secondaires. Il deviendra donc ncessaire de crer des places portuaires rigoureusement adaptes au phnomne de la massification. Or, la faade mditerranenne marocaine est idalement situe par rapport ce besoin. Comme dans le meilleur des cas, Tanger Med 1 et Tanger Med 2 ne seront que des pivots rgionaux, il faudra construire un nouveau port, par exemple dans la rgion de Nador, lombre du cap des trois fourches. Ancr sur le march chinois, ce pivot global, dit Nador Med sera spcialement ddi au tapis roulant plantaire.

Asie Dtroit de Bring

Route du Nord-Ouest

15 700 km

Ple Nord

Route du Nord-Est

13 500 km

Canal de Panama

Europe Dtroit de Gibraltar (Maroc) Canal de Suez

figure 30 : partir de 2020, le nouvel empire nomade, l'Empire maritime, mettra en comptition non seulement deux, mais trois couloirs sdentaires, chacun deux aspirant attirer le maximum de navires pour son compte propre : le dtroit de Gibraltar, le canal de Panama et le dtroit de Bring. En effet, au dbut du mois de septembre 2008, les deux routes de lArctique sont pour la premire fois dgages simultanment, au sens de lOrganisation mondiale de la mtorologie, c'est--dire que leurs eaux sont libres de glaces plus de 90%. (National Ice Center U.S.A.). lhorizon 2020, La migration des navires vers ces nouveaux passages bouleversera en profondeur lordre maritime et portuaire mondial. Le systme portuaire du Maroc doit anticiper limpact de cette menace, en dfendant et en prservant le potentiel maritime du pays. Le programme franais dUnion Pour la Mditerrane (UPM) nous semble idal par rapport cet objectif.

29. Bring versus Gibraltar

Les armateurs possdent aujourdhui le statut dacteurs universels, en ce sens quils intgrent la manutention et lacheminement, c'est--dire lensemble des prestations terrestres. Ils amnagent des quais, organisent des alliances et affectent les navires les plus importants sur les segments les plus porteurs de croissance. Ils se projettent loin dans le futur et investissent sur la base de concessions de longue dure, entre 20 30 ans. Ils ne sinstallent dans un endroit quen tant certain de contrler loutillage, la main-duvre et les circuits commerciaux. Alors, ils peuvent globaliser loffre, reconfigurer les maillages et concentrer les services sur un petit nombre de grands ports, situs au cur des places fortes de lchange : Extrme Orient, Amrique du Nord et Europe. Lefficacit de ce nouvel ordre se mesure en termes de dpense nergtique ; c'est--dire en termes de rduction des distances parcourir. Les deux principales routes ocaniques relient lEurope et lAsie : lune passe par le dtroit de Gibraltar et le canal de Suez (21 200 km), lautre par celui de Panama (23 300 km). Le canal de Suez, creus en 1869, pargne aux navires de longer lAfrique par le cap de Bonne Esprance ; profond de 20 m et large de 190 m, il est capable dassurer la circulation des porte-conteneurs de la gnration des 15 000 evp. Le canal de Panama, ouvert en 1914, relie directement le Pacifique lAtlantique et vite le contournement du cap Horn. Les travaux dlargissement et dapprofondissement en cours permettront, ds 2015, le transit des porte-conteneurs de la classe des 13 000 evp. Mais les armateurs, toujours la recherche dune productivit meilleure, envisagent de migrer, lhorizon 2020, vers le ple Nord pour emprunter deux nouvelles lignes maritimes encore plus courtes (15 000 km) en passant par le dtroit de Bring. Cette migration est rendue possible par le rchauffement de locan arctique. Ainsi, le nouvel empire nomade, l'Empire maritime, mettra en comptition non seulement deux, mais trois couloirs sdentaires, chacun deux aspirant attirer le maximum de navires pour son compte propre : le dtroit de Gibraltar, le canal de Panama et le dtroit de Bring. lvidence, cette redistribution des rles va gnrer le dtournement de certains trafics transitant par

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la Mditerrane, y compris le transbordement. Il en rsultera une baisse de frquentation du dtroit de Gibraltar, passage qui place le Maroc au cur des enjeux actuels. La menace est relle, prcise et pressante. Dans une bataille venir, le systme portuaire marocain doit anticiper limpact de cette menace, en dfendant et en prservant le potentiel maritime du pays. Le programme franais dUnion Pour la Mditerrane (UPM) nous semble idal par rapport cet objectif.

30. Gestion dlgue

LHistoire nous enseigne que le Maroc a appliqu avec succs, de 1760 1960, une multitude de modles de concessions portuaires, tous en avance sur leur poque. Tout dabord, au milieu du XVIIIme sicle, plusieurs ngociants de Copenhague fondent, avec lappui du Roi du Danemark, Frdric V, une compagnie prive pour faire du commerce avec le Maroc. La socit ainsi cre envoie aussitt Marrakech une mission laquelle le futur Sultan Sidi Mohamed, alors Khalifa, accorde la concession des douanes de Safi et dAgadir ainsi que le monopole du trafic de ces deux ports, moyennant une redevance fixe. Puis en 1766, Sidi Mohammed rpond favorablement la demande du roi dEspagne, Charles III, et attribue la Compagnie Los Cinco Gremios Mayores de Madrid la concession du trafic des crales aux ports de Casablanca (Anfa) et de Mohammedia (Fdala). En 1786, il confie une socit hollandaise la concession du port de Larache. De mme, la fin du XIXme sicle, sur ordre du Sultan Moulay Hassan 1er, le grand vizir Ba Hmad accorde, avec option de rachat, la concession du port de Tarfaya (cap Juby) une compagnie anglaise. En ce qui concerne la premire moiti du XXme sicle, les concessions portuaires rsultent de lacte dAlgsiras de 1906. Ce trait tablit louverture des ctes au commerce extrieur. En consquence, les ports font lobjet de concessions. Ce systme, remarquablement performant, structure en profondeur le paysage portuaire marocain. Ainsi, en 1913, la construction et lexploitation dun port public Mohammedia sont concdes la Compagnie Franco-Marocaine de Fdhala. Par la suite, en dcembre 1915, La Manutention Marocaine, prend en charge le remorquage et laconage au port de Casablanca. partir de 1916, la Socit des Ports Marocains construit et exploite le complexe portuaire de Mehdya-Knitra et Rabat-Sal. En 1921, le port de Tanger est remis la Socit du Port de Tanger. LOffice Chrifien des Phosphates finance le quai des phosphates du port de Casablanca et en assure lexploitation partir de 1925. En 1932, ce mme office prend en charge la construction et la gestion du port de Safi. En 1940, les ports de Larache et Ttouan sont confis des particuliers. Cependant, partir de 1962, les responsables des ports ne savent pas tirer profit de cet hritage et commettent lerreur de supprimer le rgime des concessions. Cette mesure entrane les ports dans une crise structurelle, toujours dactualit. Mais il y a plus grave : en faisant table rase du pass et en dtruisant des archives dune valeur inestimable, ils plongent les centres de dcision dans lignorance des formidables richesses techniques et administratives accumules par le pays. Par exemple, le projet Tanger Atlantique (1993-2001) a chou, non pas par manque de volont, mais plutt en raison de lignorance du formidable patrimoine accumul par notre pays dans le domaine de la gestion dlgue des projets portuaires. Aprs cet chec, on finit enfin par assimiler les vertus de la fragmentation des risques, procd de gestion rig en principe par le Sultan visionnaire Sidi Mohamed Ben Abdallah (1750-1798). Dans ses grandes lignes, cette mthode tire son efficacit de la notion de partage des risques entre ltat et le secteur priv. Dune part, lAutorit portuaire supporte le risque de dpassement du cot, parfois particulirement lourd, des infrastructures de base. Pour cela, elle assure la construction des ouvrages de protection et la maintenance des chenaux daccs. Dautre part, lexploitant concessionnaire prend en charge le

risque commercial essentiellement gnr par les fluctuations du trafic et par la dprciation des tarifs. Se rendant lvidence et devant lurgence de disposer dun terminal de transbordement, on opte en 2002 pour la sparation des risques dans le cadre dun nouveau port dit Tanger Mditerrane. Par cet acte, les responsables ne recollent quune partie de la mmoire brise de notre systme portuaire, celle du mode de gestion. Lautre partie, relative lart et aux fondements lmentaires des travaux la mer, demeure clate.

figure 31 : La brochette des erreurs de Oued rmel (2011), au premier plan Tanger Med 2 en chantier, puis Tanger Med 1 Bis passagers et Tanger Med 1 ddi au transbordement ; lagence responsable TMSA est cre au dbut de lautomne 2002. Auparavant, en 2001, on a fix le site pour y tablir le transbordement et pris la dcision dhberger cette activit avec le trafic des passagers. Aprs lanne 2004, ayant constat la petitesse et le caractre non volutif du projet initial, on maintient le transbordement Tanger Med 1 ; puis on entreprend un troisime port (Tanger Med 1 Bis) ddi au trafic des passagers.

31. Robustesse

Laffaire Tanger Atlantique a raffirm la force de proposition de nos gens de mer : ds lannonce de lchec, ils nont pas hsit un seul instant pour indiquer le chemin de la russite. Ainsi, dans un superbe lan de patriotisme saisissant, des marins valeureux alertent les plus hautes instances (lettre date du 05 novembre 2001) de la ncessit de relancer le mme projet au niveau de la cte mditerranenne entre Sebta et Nador. Leur appel reoit, deux ans plus tard, un cho tardif mais favorable (septembre 2003). Cependant, il nest qu moiti entendu, car on choisit malheureusement le site le moins appropri pour implanter les deux ports de transbordement Tanger Med 1 et Tanger Med 2, car cause des conditions naturelles, ils ne sont pas volutifs. Par contre, il est clair que cet endroit (Oued Rmel) est idal pour ltablissement du port passagers et roulier (Ro-Ro) Tanger Med 1 bis (malgr son caractre non volutif, puisquil est coinc entre les deux Tanger Med 1 et 2). En effet, il ne faut pas confondre autoroute maritime (liaison par ferries reliant le Maroc lEspagne, la France ou lItalie) et route maritime (ligne de navigation de haute mer reliant lAsie lEurope du Nord via le dtroit de Gibraltar et le canal de Suez). Ce qui nest videmment pas la mme chose. Enfin, au commencement de ce XXIme sicle, aprs cinquante annes dgarements, le recours gnralis au principe ancien des concessions atteste du haut degr de matrise atteint, entre 1760 et 1960, par notre pays dans le domaine de la gestion fonctionnelle des ports. Ce changement dattitude, certes dict par la dure ralit conomique, constitue inconsciemment un retour aux racines. Mais il y a plus important : il confirme un lment cl de la rsilience de notre systme portuaire, savoir la robustesse par rapport aux chocs rpts de lignorance. Lensemble de ces considrations montre quel point le champ portuaire marocain gagnerait couter, enregistrer et interroger son pass, en instituant une veille portuaire et maritime.

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32. Instinct de lexcellence

Actuellement, par del la tentation et la convoitise que suscite le budget des ports, le systme portuaire marocain accumule plusieurs paradoxes qui relvent de lordre humain. Le systme se compose essentiellement de deux populations qui agissent selon des directions opposes : l'une, conomiquement motrice, anime par les chargeurs, les armateurs et les dockers ; l'autre, bureaucratique et passive, fait rfrence aux divers services administratifs de ltat. Daprs ses principes fondateurs, le rle de lAdministration consiste encadrer les oprateurs, organiser le contrle et percevoir les taxes destines son propre fonctionnement. Mais sur le terrain, les choses prennent une tournure contraire. Les bureaucrates portuaires parasitent les rouages et freinent toujours quelque action, bonne ou mauvaise. De manire tendancieuse, ils font adopter des procdures plus svres que ncessaire et pratiquent certaines tolrances de faon pouvoir constamment tirer avanta