Portrait A l’écoute des futures mamans · D oula. Ce nom était donné en Grèce antique à...

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D oula. Ce nom était donné en Grèce antique à l’esclave chargée de s’oc- cuper de la maison et de sa maî- tresse. Il est maintenant attribué aux accompagnantes en périnatalité – et Ra- chel Nerny, à Froideville (VD), le porte avec fierté depuis quelques mois. «Depuis toute petite, j’ai toujours adoré m’occuper des en- fants. Je faisais semblant d’allaiter mes pou- pées et, à 6 ans, je proposais parfois de chan- ger les couches de ma petite sœur. J’ai deux sœurs et trois demi-frères et sœurs et j’ai toujours baigné dans ce monde-là.» Néan- moins, après une formation «qui ne lui per- met pas d’être sage-femme», la jeune femme se tourne vers un apprentissage d’horticul- trice. Où les soins aux plantes compensent plus ou moins ceux aux bébés, et qui lui per- met malgré tout de boucler son travail de fin d’études en proposant un dossier sur… l’ac- couchement – «Le thème était libre, alors j’en ai profité!» Mais à la naissance de sa première fille, en 2005, elle reçoit «la claque de sa vie»: «J’avais 23 ans et j’étais la première de mon entourage à avoir un enfant. Je me suis sentie incroyablement seule, sans soutien et sans écoute.» La situation em- pire avec une fausse couche, et la souffrance d’un deuil qui se heurte à l’incompréhension et l’indifférence de son entourage. «C’est là que je me suis dit: il faut faire quelque chose, ce n’est pas possible que les femmes restent seules dans ce genre de situations!» Une vraie révélation Enceinte de sa deuxième fille, Rachel Nerny découvre alors la formation de doula. Une véritable révélation pour la jeune maman. «Chaque mot que je lisais, chaque descrip- tion de ce travail me correspondait totale- ment, c’était incroyable. J’ai ensuite com- mencé les cours et ça a été un éblouisse- ment. C’est bien simple: avant, l’hiver me donnait toujours le blues. Mais depuis que je me suis lancée dans ce travail, je n’ai plus ja- mais souffert de la saison froide! J’ai aussi bien plus confiance en moi et dans ma capa- cité de communication.» Soutien émotionnel et pratique Mais en fait, en quoi consiste son travail? «La doula a pour mission de soutenir les pa- rents avec bienveillance, écoute et respect lors de la grossesse, à l’accouchement et du- rant la période postnatale, résume Rachel Nerny. La naissance est un moment char- nière. Un simple petit souci peut changer complètement la relation au bébé, au mari, entre les enfants, et la doula est là pour ras- surer et aider tout le monde à trouver un équilibre émotionnel qui leur permettra d’aller de l’avant.» La formation de doula dure un an, et consiste en cinq modules avec des examens. Mais en sus des connaissances académiques de base, il faut également avoir accompagné deux mamans durant leur ac- couchement, suivi des cours de préparation à l’accouchement, avoir soi-même des en- fants et s’être posé beaucoup de questions personnelles sur ses relations aux autres. On l’a bien compris, le travail de la doula n’a donc rien à voir avec celui d’une sage- femme. Elle n’effectue pas de gestes médi- caux, mais va pouvoir être utile à différents niveaux, que ce soit dans le quotidien pra- tique – tâches ménagères, courses, massages à la future maman, etc.–, dans l’information concrète tout comme dans le soutien émo- tionnel de toute la famille. Rachel Nerny rêve d’ailleurs que doulas et sages-femmes puissent collaborer étroitement et se com- pléter, chacune à leur niveau d’accompagne- ment. Et que les frais d’engagement d’une doula soient bientôt pris en charge par les assurances complémentaires… Une disponibilité à 200% Etre doula n’est pas non plus un métier à part entière et la jeune femme allie donc sa grande disponibilité aux parents à son tra- vail quotidien de maman auprès de ses trois puces de 10, 7 et 3 ans, son métier d’aide à l’enseignement et ses cours d’athlétisme aux enfants du village. Elle anime par ailleurs de nombreuses rencontres autour de la périna- talité et va lancer prochainement des cafés deuil, destinés aux parents qui ont perdu un bébé. Selon les règles de l’association suisse des doulas, elle doit aussi être disponible 24 h/24 durant les deux semaines avant et après l’accouchement des femmes qu’elle accom- pagne. «Ce n’est pas vraiment un travail, puisque c’est une passion! Mais c’est clair qu’il faut être bien organisée.» Ses secrets de superwoman? Une précieuse belle- maman qui habite à côté, et une préparation des repas à 7 h 30, «qu’il suffit ensuite de réchauffer à midi, comme ça on mange quand même équilibré». Mais aussi une excellente communication au sein de la famille. La bienveillance et le respect chers à la jeune femme semblent d’ailleurs déjà avoir fait des émules: «Maman, je peux faire entrer ma copine? demande son aînée alors qu’on termine l’entretien. Elle pleure devant chez nous parce que des garçons lui ont lancé des boules de neige.» MM Portrait A l’écoute des futures mamans Rachel Nerny est doula à Froideville (VD). Un travail qu’elle accomplit avec passion, tout en gérant de front vie familiale, rencontres périnatales, cours d’athlétisme et aide à l’enseignement. Texte: Véronique Kipfer Photos: Christophe Chammartin Spécial familles 26 | MM05, 1.2.2016 | SOCIÉTÉ

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D oula. Ce nom était donné en Grèce antique à l’esclave chargée de s’oc-cuper de la maison et de sa maî-tresse. Il est maintenant attribué

aux accompagnantes en périnatalité – et Ra-chel Nerny, à Froideville (VD), le porte avec fierté depuis quelques mois. «Depuis toute petite, j’ai toujours adoré m’occuper des en-fants. Je faisais semblant d’allaiter mes pou-pées et, à 6 ans, je proposais parfois de chan-ger les couches de ma petite sœur. J’ai deux sœurs et trois demi-frères et sœurs et j’ai toujours baigné dans ce monde-là.» Néan-moins, après une formation «qui ne lui per-met pas d’être sage-femme», la jeune femme se tourne vers un apprentissage d’horticul-trice. Où les soins aux plantes compensent plus ou moins ceux aux bébés, et qui lui per-met malgré tout de boucler son travail de fin d’études en proposant un dossier sur… l’ac-couchement – «Le thème était libre, alors j’en ai profité!»

Mais à la naissance de sa première fille, en 2005, elle reçoit «la claque de sa vie»: «J’avais 23 ans et j’étais la première de mon entourage à avoir un enfant. Je me suis sentie incroyablement seule, sans soutien et sans écoute.» La situation em-pire avec une fausse couche, et la souffrance d’un deuil qui se heurte à l’incompréhension et l’indifférence de son entourage. «C’est là que je me suis dit: il faut faire quelque chose, ce n’est pas possible que les femmes restent seules dans ce genre de situations!»

Une vraie révélationEnceinte de sa deuxième fille, Rachel Nerny découvre alors la formation de doula. Une véritable révélation pour la jeune maman. «Chaque mot que je lisais, chaque descrip-tion de ce travail me correspondait totale-ment, c’était incroyable. J’ai ensuite com-mencé les cours et ça a été un éblouisse-ment. C’est bien simple: avant, l’hiver me donnait toujours le blues. Mais depuis que je me suis lancée dans ce travail, je n’ai plus ja-

mais souffert de la saison froide! J’ai aussi bien plus confiance en moi et dans ma capa-cité de communication.»

Soutien émotionnel et pratiqueMais en fait, en quoi consiste son travail? «La doula a pour mission de soutenir les pa-rents avec bienveillance, écoute et respect lors de la grossesse, à l’accouchement et du-rant la période postnatale, résume Rachel Nerny. La naissance est un moment char-nière. Un simple petit souci peut changer complètement la relation au bébé, au mari, entre les enfants, et la doula est là pour ras-surer et aider tout le monde à trouver un équilibre émotionnel qui leur permettra d’aller de l’avant.» La formation de doula dure un an, et consiste en cinq modules avec des examens. Mais en sus des connaissances académiques de base, il faut également avoir accompagné deux mamans durant leur ac-couchement, suivi des cours de préparation à l’accouchement, avoir soi-même des en-fants et s’être posé beaucoup de questions personnelles sur ses relations aux autres.

On l’a bien compris, le travail de la doula n’a donc rien à voir avec celui d’une sage-

femme. Elle n’effectue pas de gestes médi-caux, mais va pouvoir être utile à différents niveaux, que ce soit dans le quotidien pra-tique – tâches ménagères, courses, massages à la future maman, etc.–, dans l’information concrète tout comme dans le soutien émo-tionnel de toute la famille. Rachel Nerny rêve d’ailleurs que doulas et sages-femmes puissent collaborer étroitement et se com-pléter, chacune à leur niveau d’accompagne-ment. Et que les frais d’engagement d’une doula soient bientôt pris en charge par les assurances complémentaires…

Une disponibilité à 200%Etre doula n’est pas non plus un métier à part entière et la jeune femme allie donc sa grande disponibilité aux parents à son tra-vail quotidien de maman auprès de ses trois puces de 10, 7 et 3 ans, son métier d’aide à l’enseignement et ses cours d’athlétisme aux enfants du village. Elle anime par ailleurs de nombreuses rencontres autour de la périna-talité et va lancer prochainement des cafés deuil, destinés aux parents qui ont perdu un bébé.

Selon les règles de l’association suisse des doulas, elle doit aussi être disponible 24 h/24 durant les deux semaines avant et après l’accouchement des femmes qu’elle accom-pagne. «Ce n’est pas vraiment un travail, puisque c’est une passion! Mais c’est clair qu’il faut être bien organisée.» Ses secrets de superwoman? Une précieuse belle- maman qui habite à côté, et une préparation des repas à 7 h 30, «qu’il suffit ensuite de réchauffer à midi, comme ça on mange quand même équilibré». Mais aussi une excellente communication au sein de la famille. La bienveillance et le respect chers à la jeune femme semblent d’ailleurs déjà avoir fait des émules: «Maman, je peux faire entrer ma copine? demande son aînée alors qu’on termine l’entretien. Elle pleure devant chez nous parce que des garçons lui ont lancé des boules de neige.» MM

Portrait

A l’écoute des futures mamans

Rachel Nerny est doula à Froideville (VD). Un travail qu’elle accomplit avec passion, tout en gérant de front vie familiale, rencontres périnatales, cours d’athlétisme et aide à l’enseignement.

Texte: Véronique Kipfer Photos: Christophe Chammartin

Spécial

familles

26 | MM05, 1.2.2016 | SOCIÉTÉ

Page 2: Portrait A l’écoute des futures mamans · D oula. Ce nom était donné en Grèce antique à l’esclave chargée de s’oc-cuper de la maison et de sa maî-tresse. Il est maintenant

Rachel Nerny: «La doula a pour mis-sion de soutenir les parents avec bien-veillance, écoute et respect lors de la grossesse, à l’accouchement et durant la période postnatale.»

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