Polyarthralgie inflammatoire: quand penser à une ... · a polychondrite chronique atrophiante...

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L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts. 8 | La Lettre du Rhumatologue Suppl. au n° 393 - juin 2013 CAS CLINIQUE Mots-clés Polyarthralgie inflammatoire : quand penser à une polychondrite chronique atrophiante ? V. Seta* * Service de rhumatologie, groupe hospitalier de la Pitié- Salpêtrière, AP-HP, Paris. Mots-clés Polychondrite − Polyarthralgies − Biothérapie L a polychondrite chronique atrophiante (PCA) est une connectivite définie par l’inflammation récidivante des fibrocartilages, parfois suivie d’une atrophie définitive à l’origine de déformations caractéristiques. Il s’agit d’une affection rare dont le diagnostic, clinique, repose sur un faisceau de manifestations, en particulier rhumatologiques (70 %), telles que des arthralgies, voire des arthrites séronégatives. Le rhumatologue peut ainsi être amené à établir son diagnostic. Madame L., 35 ans, d’origine martiniquaise, présente depuis 5 ans un tableau de poly- arthralgie inflammatoire. Au cours de l’évolution, de nouveaux symptômes sont apparus. Ainsi, 2 ans après l’apparition des premières douleurs articulaires sont survenus une dysphonie intermittente, pouvant durer plusieurs jours, voire semaines, à type de raucité de la voix, ainsi qu’un empâtement de la base du nez et de l’arête du nez (figure 1). Un an après ces nouveaux symptômes, la patiente décrit des douleurs et des gonflements au niveau des pavillons des oreilles (avec respect des lobes) [figure 2], mais aussi des douleurs oculaires associées à un syndrome sec. Un examen ophtalmologique peut alors montrer des signes d’inflammation oculaire. Cependant, le bilan complémentaire reste négatif, avec en particulier un bilan immunologique normal et un bilan d’imagerie sans particularité ainsi que l’absence de syndrome inflammatoire. Seul un TEP-TDM au 18F-FDG montre une hyperfixation des trompes d’Eustache (figure 3), du pouce droit, et une discrète fixation de plusieurs articulations. Finalement, au vu de ces éléments, après discussion pluridisciplinaire, le diagnostic de PCA est retenu. Sur le plan thérapeutique, la patiente est d’abord traitée par méthotrexate (MTX) 20 mg/semaine associé à une corticothérapie, traitement qui permet une amélioration partielle des douleurs pendant 6 mois. Cependant, elle doit être hospitalisée à nouveau devant une recrudescence des douleurs articulaires, cartilagineuses et oculaires, associées à des signes inflammatoires au niveau du pavillon de l’oreille gauche. Devant le contrôle insuffisant de la maladie par le MTX, l’introduction d’un traitement par anakinra est décidée malgré l’absence de syndrome inflammatoire biologique qui aurait pu constituer un paramètre fiable de surveillance. Dès le deuxième jour de traitement, la patiente rapporte une nette amélioration des douleurs et l’absence de nouveaux signes inflammatoires locaux. La dapsone aurait pu être une alternative thérapeutique intéressante, mais la patiente présente un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase. La PCA a été décrite pour la première fois en 1923 par Jaksch-Wartenhorst sous le terme de “polychondropathia”. Son pronostic repose sur la combinaison de critères cliniques empiriques proposés par Michet et al., dont la chondrite nasale, auriculaire ou laryngo- trachéale, l’inflammation oculaire, l’hypoacousie, le syndrome vestibulaire ou l’arthrite séronégative. La chondrite laryngotrachéale constitue une atteinte possiblement sévère, avec un risque de détresse respiratoire aiguë. L’évolution se fait par poussées, avec rémission prolongée possible. La physiopathologie de la maladie est encore mal connue, mais un mécanisme auto-immun est soupçonné avec, pour cibles, des protéines du cartilage telles que le collagène de type II ou la matriline-1. La maladie est souvent associée à des syndromes myélodysplasiques, des vascularites, des connectivites ainsi qu’à d’autres pathologies inflammatoires. Sur le plan thérapeutique, les connaissances actuelles reposent sur des cas cliniques, aucun essai randomisé n’ayant été conduit jusqu’à présent, avec des améliorations décrites sous MTX, dapsone ou encore sous biothérapies. Légendes Figure 1. Empâtement de la base et de l’arête du nez. Figure 2. Inflammation du cartilage de l’oreille gauche avec respect du lobe au cours d’une poussée de polychondrite chronique atrophiante. Figure 3. TEP-TDM au 18F-FDG avec hyper- fixation au niveau des trompes d’Eustache, conduit osseux et fibrocartilagineux. Edrees A. Relapsing polychondritis: a description of a case and review article. Rheumatol Int 2011;31:707-13. Francès C, Piette JC. Polychondrite chronique atro- phiante. Thérapeutique dermatologique, Médecine- Sciences Flammarion © 2001. www.afpca.fr/cgi-bin/ adherent/file/PCA-piette.pdf Kempta Lekpa F, Kraus VB, Chevalier X. Biologics in relapsing polychondritis: a litterature review. Semin Arthritis Rheum 2012;41:712-9. Michet CJ Jr, McKenna CH, Luthra HS, O’Fallon WM. Relapsing polychondritis. Survival and predictive role of early disease manifestations. Ann Intern Med 1986;104(1):74-8. Pour en savoir plus...

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L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

8 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au n° 393 - juin 2013

CAS CLINIQUE

Mots-clés

Polyarthralgie inflammatoire : quand penser à une polychondrite chronique atrophiante ? V. Seta*

* Service de rhumatologie, groupe hospitalier de la Pitié- Salpêtrière, AP-HP, Paris.

Mots-clés Polychondrite − Polyarthralgies − Biothérapie

La polychondrite chronique atrophiante (PCA) est une connectivite définie par l’inflammation récidivante des fibrocartilages, parfois suivie d’une atrophie

définitive à l’origine de déformations caractéristiques. Il s’agit d’une affection rare dont le diagnostic, clinique, repose sur un faisceau de manifestations, en particulier rhumatologiques (70 %), telles que des arthralgies, voire des arthrites séronégatives. Le rhumatologue peut ainsi être amené à établir son diagnostic.

Madame L., 35 ans, d’origine martiniquaise, présente depuis 5 ans un tableau de poly-arthralgie inflammatoire. Au cours de l’évolution, de nouveaux symptômes sont apparus. Ainsi, 2 ans après l’apparition des premières douleurs articulaires sont survenus une dysphonie intermittente, pouvant durer plusieurs jours, voire semaines, à type de raucité de la voix, ainsi qu’un empâtement de la base du nez et de l’arête du nez (figure 1). Un an après ces nouveaux symptômes, la patiente décrit des douleurs et des gonflements au niveau des pavillons des oreilles (avec respect des lobes) [figure 2], mais aussi des douleurs oculaires associées à un syndrome sec. Un examen ophtalmologique peut alors montrer des signes d’inflammation oculaire. Cependant, le bilan complémentaire reste négatif, avec en particulier un bilan immunologique normal et un bilan d’imagerie sans particularité ainsi que l’absence de syndrome inflammatoire. Seul un TEP-TDM au 18F-FDG montre une hyperfixation des trompes d’Eustache (figure 3), du pouce droit, et une discrète fixation de plusieurs articulations. Finalement, au vu de ces éléments, après discussion pluridisciplinaire, le diagnostic de PCA est retenu. Sur le plan thérapeutique, la patiente est d’abord traitée par méthotrexate (MTX) 20 mg/ semaine associé à une corticothérapie, traitement qui permet une amélioration partielle des douleurs pendant 6 mois. Cependant, elle doit être hospitalisée à nouveau devant une recrudescence des douleurs articulaires, cartilagineuses et oculaires, associées à des signes inflammatoires au niveau du pavillon de l’oreille gauche. Devant le contrôle insuffisant de la maladie par le MTX, l’introduction d’un traitement par anakinra est décidée malgré l’absence de syndrome inflammatoire biologique qui aurait pu constituer un paramètre fiable de surveillance. Dès le deuxième jour de traitement, la patiente rapporte une nette amélioration des douleurs et l’absence de nouveaux signes inflammatoires locaux. La dapsone aurait pu être une alternative thérapeutique intéressante, mais la patiente présente un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase.La PCA a été décrite pour la première fois en 1923 par Jaksch-Wartenhorst sous le terme de “polychondropathia”. Son pronostic repose sur la combinaison de critères cliniques empiriques proposés par Michet et al., dont la chondrite nasale, auriculaire ou laryngo-trachéale, l’inflammation oculaire, l’hypoacousie, le syndrome vestibulaire ou l’ arthrite séronégative. La chondrite laryngotrachéale constitue une atteinte possiblement sévère, avec un risque de détresse respiratoire aiguë. L’évolution se fait par poussées, avec rémission prolongée possible. La physiopathologie de la maladie est encore mal connue, mais un mécanisme auto-immun est soupçonné avec, pour cibles, des protéines du cartilage telles que le collagène de type II ou la matriline-1. La maladie est souvent associée à des syndromes myélodysplasiques, des vascularites, des connectivites ainsi qu’à d’autres pathologies inflammatoires. Sur le plan thérapeutique, les connaissances actuelles reposent sur des cas cliniques, aucun essai randomisé n’ayant été conduit jusqu’à présent, avec des améliorations décrites sous MTX, dapsone ou encore sous biothérapies. ■

Légendes

Figure 1. Empâtement de la base et de l’arête du nez.Figure 2. Inflammation du cartilage de l’oreille gauche avec respect du lobe au cours d’une poussée de polychondrite chronique atrophiante.Figure 3. TEP-TDM au 18F-FDG avec hyper-fixation au niveau des trompes d’Eustache, conduit osseux et fibrocartilagineux.

•� Edrees A. Relapsing polychondritis: a description of a case and review article. Rheumatol Int 2011;31:707-13.•� Francès C, Piette JC. Polychondrite chronique atro-phiante. Thérapeutique dermatologique, Médecine-Sciences Flammarion © 2001. www.afpca.fr/cgi-bin/adherent/file/PCA-piette.pdf•� Kempta Lekpa F, Kraus VB, Chevalier X. Biologics in relapsing polychondritis: a litterature review. Semin Arthritis Rheum 2012;41:712-9.•� Michet CJ Jr, McKenna CH, Luthra HS, O’Fallon WM. Relapsing polychondritis. Survival and predictive role of early disease manifestations. Ann Intern Med 1986;104(1):74-8.

Pour en savoir plus...

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