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1 PHILOSOPHIE DE L'ART, DE LŒUVRE DART ET ESTHETIQUE (notes d’étudiant) Cours de philosophie de l'Art expérimental: c'est la première année. Place de ce cours dans le cursus de séminariste? Il faut une vision d'ensemble des cours. Il y a des cours historiques et des cours systématiques. Les cours systématiques abordent pour eux-mêmes les thèmes qui y sont abordés. Ils peuvent être répartis en 5 grands domaines: - La métaphysique se pose la question du sens et de la finalité de tout ce qui est. - La philosophie de la nature (cosmologie) pose la même question mais dans le seul domaine du monde dans lequel nous vivons. Quel est le sens de cet univers matériel dans lequel nous sommes perdus? - L'anthropologie se pose la même question du sens de la réalité mais cette fois ci à propos de l'homme. Qu'est-ce que l'homme dans sa spécificité? Quelle est sa raison propre? Le problème de l'union du corps et de l'âme. - La philosophie de l'épistémologie: L'être humain se distingue de l'animal par deux choses: son pouvoir de connaître et son agir libre. L'épistémologie parle donc des limites et des pouvoirs de la connaissance humaine. C'est l'objet du cours d'épistémologie et de logique. - La philosophie morale pose la question de la finalité, des moyens et des normes de l'agir humain. Ce domaine est étudié en philosophie morale générale, droit naturel et philosophie politique, philosophie de l'économie, philosophie de l'art (qui est un domaine particulier de l'agir humain). Le cours que nous allons suivre s'inscrit donc dans le domaine de la morale. 0 Introduction: 0.1 Généralités: Les réalités en quoi consiste ce qu'on appelle l'art sont complexes et on en a dit des tas de choses…. On peut être sûr que quoi qu'on en dise, on dit toujours quelque chose de vrai, comme disait E.Gilson. On peut donc se faire une idée cohérente de la chose. Que ce soit la réflexion des artistes, de ceux qui les écoutent ou les contemplent, des psychologues et des philologues… on peut se rendre compte que tout cela constitue une sorte de "bavardage"… Tentons de mettre de l'ordre dans cette forêt, de faire une sorte de carte de cette matière. On peut aborder cette matière de façon historique mais ici, le point de vue sera systématique. Ce point de vue pourrait aussi comprendre plusieurs orientations: toutes les traditions ont développé des réflexions sur l'art: le réalisme métaphysique (antiquité, moyen-âge,

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PHILOSOPHIE DE L'ART,

DE L’ŒUVRE D’ART ET ESTHETIQUE

(notes d’étudiant)

Cours de philosophie de l'Art expérimental: c'est la première année.

Place de ce cours dans le cursus de séminariste? Il faut une vision d'ensemble des cours. Il y a des

cours historiques et des cours systématiques.

Les cours systématiques abordent pour eux-mêmes les thèmes qui y sont abordés. Ils peuvent être

répartis en 5 grands domaines:

- La métaphysique se pose la question du sens et de la finalité de tout ce qui est.

- La philosophie de la nature (cosmologie) pose la même question mais dans le seul

domaine du monde dans lequel nous vivons. Quel est le sens de cet univers matériel dans

lequel nous sommes perdus?

- L'anthropologie se pose la même question du sens de la réalité mais cette fois ci à propos

de l'homme. Qu'est-ce que l'homme dans sa spécificité? Quelle est sa raison propre? Le

problème de l'union du corps et de l'âme.

- La philosophie de l'épistémologie: L'être humain se distingue de l'animal par deux choses:

son pouvoir de connaître et son agir libre. L'épistémologie parle donc des limites et des

pouvoirs de la connaissance humaine. C'est l'objet du cours d'épistémologie et de logique.

- La philosophie morale pose la question de la finalité, des moyens et des normes de l'agir

humain. Ce domaine est étudié en philosophie morale générale, droit naturel et

philosophie politique, philosophie de l'économie, philosophie de l'art (qui est un domaine

particulier de l'agir humain). Le cours que nous allons suivre s'inscrit donc dans le domaine

de la morale.

0 Introduction:

0.1 Généralités:

Les réalités en quoi consiste ce qu'on appelle l'art sont complexes et on en a dit des tas de

choses…. On peut être sûr que quoi qu'on en dise, on dit toujours quelque chose de vrai, comme

disait E.Gilson. On peut donc se faire une idée cohérente de la chose.

Que ce soit la réflexion des artistes, de ceux qui les écoutent ou les contemplent, des

psychologues et des philologues… on peut se rendre compte que tout cela constitue une sorte de

"bavardage"…

Tentons de mettre de l'ordre dans cette forêt, de faire une sorte de carte de cette matière.

On peut aborder cette matière de façon historique mais ici, le point de vue sera

systématique. Ce point de vue pourrait aussi comprendre plusieurs orientations: toutes les

traditions ont développé des réflexions sur l'art: le réalisme métaphysique (antiquité, moyen-âge,

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contemporains, renaissance thomiste…), le nominalisme et le rationalisme, l'idéalisme

(Descartes, Hegel) La tradition anti-intellectualiste (Kant, Schopenhauer, Nietzsche, Adorno…)

Le point de vue de ce cours sera celui du point de vue de la tradition du réalisme

métaphysique. La réflexion sera tributaire de la réflexion d'Aristote sur l'art…

Dans le cours de métaphysique, on trouve les justifications des positions de ce cours.

Nous parlerons de l'art en général et non pas appliqué à tel ou tel domaine.

"Voir clair" sera la devise de ce cours.

0.2 Quelques distinctions:

Réfléchir sur l'art nécessite trois grandes distinctions:

- La production de l'œuvre d'art (point de vue de l'artiste)

- L'œuvre d'art elle-même (point de vue de l'œuvre)

- La réception (contemplation) de l'œuvre d'art (point de vue de celui qui regarde)

0.3 Plan du cours:

L'art est la capacité habituelle à produire des artefacts. Cette capacité est l'objet de l'étude

de la philosophie de l'art. La philosophie de l'art est un domaine de la philosophie de l'action.

Le premier chapitre "philosophie de l'art" portera sur la finalité de l'art, le but. Est-ce le

beau, est-ce l'utile, est-ce la connaissance du réel? Est-ce que l'art est une science? Les rapports

entre l'art et la morale? Qu'est-ce que l'art et comment décrire le processus de production de l'art

?

Le deuxième chapitre: Considérer l'œuvre d'art en elle-même concerne l'ontologie de

l'œuvre d'art, la métaphysique appliquée au seul domaine des œuvres d'art. L'ontologie va donc

considérer l'œuvre d'art dans son être propre: Quel est le statut ontologique de l'œuvre d'art?

Quelle est sa valeur propre en regard des êtres (animaux, végétaux, homme) ou des matériaux

qu'elle met en oeuvre? En quoi consiste la beauté de l'œuvre d'art? Une œuvre d'art est-elle

ouverte ou fermée sur la réalité qui l'entoure?

Le troisième chapitre concernera l'objet de contemplation qu'est l'œuvre d'art. L'étude de la

perception de l'œuvre d'art relève de l'esthétique. Elle peut être analysée, étudiée sur toutes les

coutures. Tant la perception sensible qu'intellectuelle relève de l'épistémologie appliquée à

l'œuvre d'art. Comment juger de la valeur de l'œuvre d'art?

1 Chapitre 1er

: Philosophie de l'art.

1.1 Définition de l'art:

Au 13ième

, saint Thomas, en reprenant Aristote, le définit comme ceci:

"L'art est la droite règle des choses à faire".(I,II…)

L'art est une vertu de l'intelligence en tant qu'elle s'applique à la pratique, qu'elle dirige

notre activité. Il est la vertu qui régit le faire, comme la prudence est la vertu qui régit l'agir en

général.

L'art est une vertu (bonne habitude, un "habitus"): C'est une capacité à poser un acte bon,

qui est devenue comme une seconde nature. Par exemple partager ses richesses. Les vices ont les

mêmes capacités, mais dans les actes mauvais. Les vices deviennent aussi une seconde nature,

dans la pratique du mal, alors que les vertus deviennent une seconde nature dans la pratique du

bien.

L'art ("ars", en latin qui traduit "technê", en grec) est une vertu de notre intelligence. C'est

une capacité habituelle de notre intelligence à régir notre activité de production d'artefact. Elle

implique une connaissance des lois qui régissent la production des choses.

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L'art ne se confond pas avec le savoir (la science) qu'il implique mais il consiste en la capacité

que nous avons à le faire. L'art sans le savoir n'est rien mais il ne se confond pas pour autant avec

la science. Le "savoir-faire" est nécessaire mais il ne se confond pas avec l'art.

La prudence est la capacité habituelle à régir notre action, notre agir. Elle est la capacité à

appliquer les lois générales à des cas particuliers, dans l'action concrète.

L'art est la capacité à appliquer les lois de l'art à des situations particulières. Par exemple,

pour le menuisier, ce sera la capacité à appliquer les lois de la menuiserie à tel ou tel morceau de

bois…

La réflexion sur l'art, pour des raisons historiques, ne pourra pas suivre totalement cette

définition, car par exemple, au moyen-âge, on ignore totalement l'idée d'ordonner la fabrication

d'un objet dans le seul but de sa beauté, et ce jusqu'au 17ième

au moins. Une telle ordination

théorique de l'art à la beauté seule est un fait historique très récent puisqu'il date, au plus tôt, du

milieu du 18ième

et surtout du 19ième

siècle. La beauté n'est pas le but recherché en théorie et en

premier lieu. Ce que l'on recherche avant tout est la fonction de la chose.

En conséquence, le moyen-âge et saint Thomas ignorent complètement la distinction entre

l'art qui aurait une fonction ordonnée au beau et l'art qui serait ordonné à l'utile. La distinction

entre art servile et art libéraux est la seule qui existe à l'époque, et implique un certain dédain du

corps au profit de l'intelligence.

Les arts serviles (que nous appellerions l'art: peinture, sculpture, musique…) et les arts

libéraux (que nous n'appellerions plus des arts: rhétorique (l'éloquence), dialectique, logique!…):

Le paradoxe tient en ceci que les arts serviles étaient considérés comme des arts mineurs, moins

nobles que les arts libéraux. Les arts libéraux seraient supérieurs parce qu'ils s'attachent aux

exercices de l'intelligence et n'impliquent pas l'exercice du corps. Gilson et d'autres ont souligné le

caractère paradoxal de cette conception et ont tous dénoncé cet "intellectualisme outré".

Les arts libéraux ne sont considérés comme art que par analogie avec les arts serviles. La

démonstration et les mathématiques ne produisent pas des artefacts…c'est donc une analogie. Il y

a d'autant plus art que l'intelligence s'ordonne à produire des artefacts et nécessite le rôle du

corps. Il ne vient spontanément à l'esprit de désigner la logique ou la rhétorique comme des

arts…L'art est d'autant plus art qu'il est lié à la matière et au corps mais paradoxalement il est

qualifié par les médiévaux comme mineur. L'art est qualifié de supérieur alors qu'il est moins de

l'art, puisqu'il est art par analogie aux arts serviles. Tout vient de la conception négative du corps.

S'adonner aux tâches manuelles est asservissant pour les Grecs. La matière est considérée

négativement.

Cette distinction trahit un mépris du corps, qui déteindra sur la doctrine de saint Thomas. Il

se contente de recopier Aristote. "Capacité habituelle de l'intelligence à régir le faire". Le mot

intelligence trahit le fait qu'il pense aux arts libéraux et non pas aux arts serviles. Saint Thomas

définit l'art en pensant à la logique. Corrigeons cette définition:

Bien évidemment l'intelligence intervient dans l'art, mais l'art est une capacité de l'homme

tout entier…de son imagination (capacité de produire des images), de son corps (pour la peinture:

les mains), de sa volonté… Saint Thomas ne devrait plus faire cette distinction entre arts serviles et

arts libéraux, puisqu'il a intégré le corps dans sa pensée, par rapport aux autres auteurs qui l'ont

précédé, mais cela vient du fait qu'il recopie Aristote. L'art désigne la capacité du producteur.

1.2 Science et art, art et imitation:

Première question: la finalité de l'art. E. Gilson, dans "introduction aux arts du beau", dit

que l'art n'est pas une façon de connaissance mais du faire (de la faculté de faire).

L'art relève du faire et non du connaître. Par essence, l'art est plutôt un moyen d'aimer et non de

connaître ou de transmettre des idées ou des messages. L'œuvre d'art est plus un témoignage

d'amour qu'un message donné, mais ceci "de jure", car "de facto", ces deux aspects sont mêlés et

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la réalité de l'art est ambiguë de ce fait même. L'art relève de l'agir humain et donc "in fine" de

l'amour. Ce n'est qu'accidentellement qu'elle peut être le lieu d'une connaissance. L'art n'a pas

pour finalité de rendre compte de ce qui existe déjà, d'un ordre réel pré-existant. Cela relève de la

science, du savoir. Au contraire, l'art est la faculté d'instaurer une nouvelle réalité qui n'existait

pas avant, de créer quelque chose. Faire naître des réalités nouvelles c'est agir, c'est faire-être.

L'art relève donc de la création et non de la connaissance. Nous sommes appelés à participer à

l'œuvre de Dieu, et l'art est une modalité de cet agir auquel l'homme participe.

C'est Platon qui le premier fait la confusion entre connaître et faire, entre science et agir.

L'essence de l'art se situe pour lui dans l'imitation (mimesis) de ce qui existe. Toute réalité ici bas

constitue les images dégénérés de celles du monde des idées. L'idée est plus digne dans l'individu

qui les réalise imparfaitement. La mission de l'artisan est de réaliser l'idée. L'art pour Platon est de

contempler les idées dans le but d'en faire une copie plus conforme. Ce qui va à l'encontre de

notre position qui ne considère pas l'art comme une imitation mais comme une création.

L'artisan qui produit un lit produit l'idée de lit qui existe de toute éternité… Il y a donc priorité

de la science sur l'art. L'art est réduit à une connaissance inférieure des idées pour Platon. La

peinture par exemple pour Platon est abominable car c'est la représentation d'une imitation. Elle

imite des imitations…puisque les réalités ne sont déjà que des images des idées.

L'art doit donc se détacher de la matière et du corps le plus possible pour se rapprocher des

idées pour Platon. L'art sera mieux accepté par Platon d'autant plus qu'il sera détaché de la

matière, d'où la primauté des arts libéraux. L'art suprême sera la dialectique…

Le seul art qui trouve grâce aux yeux de Platon est l'art archaïque car il ne représente pas

des individus mais des formes vagues qui peuvent donc représenter l'humanité en général. Il y a

donc une grande différence entre l'art archaïque et l'art hellénistique.

Pour Aristote il en va autrement: le maître mot de sa philosophie est "poiésis" (fabrication,

faire). Il est l'auteur d'une "poiétique". Le faire implique un savoir-faire (épistêmê poiêtikê), qui est

ordonné à la fabrication sans se confondre avec. Il faut connaître les matériaux que l'on va

produire et l'essence de l'art (la têchnê) ne se situe pas dans le savoir mais dans la production elle-

même.

Aristote est conscient de l'irréductibilité de l'agir au connaître. Cela se manifeste dans sa

conception de l'art, qui est la fabrication elle-même. Ceci dit, on trouve aussi chez Aristote le mot

"mimesis". C'est pourquoi la conception de l'art chez lui sera mal comprise. "L'art imite la nature",

dira Aristote, mais saint Thomas ajoute, "mais dans son opération". Il ne s'agit pas de la copier.

La nature pour Aristote (et saint Thomas) est ce qui dans la chose préside à son activité, ce

qui nous permet d'agir de telle ou telle façon, conformément à notre nature. Les choses

produisent des effets conformément à leur nature. Il appartient à la nature du feu de brûler… De

même, l'art produit des effets (comme le pommier produit des pommes). Quand il dit que l'art

produit des effets, il s'agit de produire des choses et non pas de reproduire la nature existante.

(Idiosyncrasie: caractère propre au comportement d'un individu).

Aristote sera mal compris et cela donnera naissance au naturalisme (imitation servile des

choses qui tombent sous le sens) au 17ième

et au 18ième

. L'art est défini comme imitation de la

nature. Par exemple, l'art français: les natures mortes de Chardin sont pratiquement des photos,

volonté de reproduire la réalité de manière littérale. Antoine Watteau s'acharne à reproduire les

choses telles qu'elles sont. L'intention est d'imiter, cela ne veut pas dire que la réalité est

reproduite telle quelle. Par exemple, la musique française de clavecin de Couperin, de Rameau ont

l'intention de décrire la réalité. "Les moissonneurs", "le moucheron", "la commère"…. "Les quatre

saisons" de Vivaldi.

La confusion se retrouvera entre science et savoir dans la réflexion philosophique sur l'art

au 19ième

siècle. On constate dans la philosophie au 19ième

et 20ième

une remise en question de la

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raison telle que les Grecs l'avaient définie. Un rejet massif de la raison métaphysique va s'observer

dans toute l'histoire de la philosophie à cette époque.

Rejetant la raison, beaucoup de philosophes vont voir dans les beaux-arts une manière supra

rationnelle pour nous faire pénétrer le cœur de la réalité. Ils réduiront la connaissance à l'art et ils

diront qu'il n'y a pas de meilleure manière de connaître qu'à travers l'art. La raison sera réduite à

être qu'une manière de vivre de façon cohérente et à organiser la vie quotidienne.

1.2.1 Schopenhauer:

Dans le livre 3 de "le monde et son objet de représentation" il voit dans l'art l'essence de la

volonté sourde et aveugle de la réalité. Cette force aveugle est l'essence de la réalité. La raison

n'est pas capable d'aller au-delà de ses représentations et est prisonnière de celles-ci. (Dans la

ligne droite de Kant). Le seul moyen d'accéder au noumène (au-delà des apparences, la "volonté")

c'est l'art (qu'il définit comme une "contemplation de la réalité dans son essence"). Par exemple,

la peinture de C. David Friedrich imite selon Schopenhauer les différentes formes naturelles

d'objectivation de cette volonté. La musique est la reproduction littérale de cette volonté sourde

qui porte le réel. Elle est reproduction de la volonté.

1.2.2 Nietzsche:

Il voit dans la poésie et dans la musique de Wagner le moyen privilégié pour voir l'essence

conflictuelle de la vie. Dans "la naissance de la tragédie", il accorde une place essentielle à l'art.

L'essence de la vie est conflictuelle (principes apollinien et dionysiaque). La fonction de l'art est de

prolonger dans des œuvres nouvelles ce conflit qui est constitutif de la réalité. Le connaître se

réduit à l'art. La tragédie grecque est pour lui la forme par excellence de l'art car elle met en scène

des situations conflictuelles insolubles entre les hommes et les dieux.

Les drames musicaux de Wagner sont en quelque manière la renaissance de la tragédie grecque.

"La tétralogie" de Wagner représente aussi ce conflit entre le peuple des ténèbres et les dieux.

Wagner et Nietzsche ont été influencé par Schopenhauer.

1.2.3 Heidegger:

"L'origine de l'œuvre d'art" dans "les chemins qui ne mènent nulle part", synthétise sa

pensée: la finalité de l'œuvre d'art est de manifester la vérité, de la dévoiler. Au-delà des

apparences, il faut accéder à la vérité et la poésie est le moyen qu'il privilégie pour découvrir

l'être. Ce ne sera donc plus la métaphysique mais la poésie. Dans "la limitation de l'être" il le dit

explicitement.

Il rejette la raison théorique et lui substitue la poésie grecque. Mais la poésie est incapable

de réaliser complètement l'art, car elle n'emploie que des mots et reproduit donc la réalité. Il faut

donc pour lui réduire la connaissance à l'art. La poésie doit donc se substituer à la métaphysique.

Il opère une hybridation entre production et contemplation. "Technê" signifiait

originellement, dit-il, le savoir fondamental de la réalité. Donc il veut unir la production et la

contemplation et nier la différence. L'authentique philosophie est la poésie et se rejoignent au-

delà de la logique. Parménide s'exprime dans des vers et pour lui c'est l'art dans son vrai sens.

1.2.4 Carnap:

Néopositiviste du cercle de Vienne, il estime que la musique doit se substituer à la

métaphysique pour dire l'essence de la vie. Les mots de notre langage qui ne correspondent pas à

des phénomènes sensibles sont dénués de sens. Il faut donc recourir à la musique qui sera en

mesure de nous révéler ce qu'est l'essence de l'existence.

Ce qui nous montre que le rôle de l'art est de connaître la réalité telle qu'elle est, au-delà de

la conception du langage et du rationnel.

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L'art ne relève pas de la contemplation du réel selon la définition des anciens. Il ne relève

pas de la science (qui étudie le réel) même s'il a besoin de la science. Il est en fait production

d'une réalité qui n'existait pas avant lui. Il relève de l'activité d'une personne humaine plutôt que

de sa passivité. Il ne s'agit pas de contempler passivement ce qui existe mais de produire

activement du nouveau. Agir c'est produire du nouveau. Cela vaut pour l'art.

Certes, l'art relève bien de l'être comme le disait Heidegger, en le faisant subsister, mais

sous des formes nouvelles et il ne se substitue pas à la connaissance, même s'il a besoin de cette

dernière. L'art a sa science propre. La finalité de l'homme est d'aimer nous dit St Jean.

L'art peut se mettre au service de la science et de la connaissance, de l'imitation, même s'il

n'est pas dans son essence une connaissance et une imitation (il est une production). L'objet peut

avoir pour l'artiste le seul but d'imiter, c'est le cas de la production artistique depuis les grottes de

Lascaux… La finalité de l'art nous fait introduire la distinction dans le point suivant:

1.3 Distinction entre Art fonctionnel et Art non fonctionnel

Aujourd'hui, par art, on pense tout de suite aux arts ordonnés au beau. Mais cela ne s'arrête

pas là. L'esthétique que l'on comprend généralement comme la science de la contemplation du

beau, naît au 18ième

avec Alexander Baumgarten (1714-1762) dans son ouvrage "esthetica" écrit en

1750. C'est le premier ouvrage qui traite de l'art ordonné au beau. Cette idée se répandra surtout

au 19ième

avec l'institution des musées. Au Moyen-âge, l'art est reconnu légitime dans la mesure

où il a une fonction utile. L'artiste est un fonctionnaire (bien) payé par l'Eglise ou par des princes

pour fournir des choses utiles. (Michel Ange, Lulli...). Ils ont le rang de ministre!

A partir du moment où il est ordonné au beau, les artistes perdent leur rang social. A partir

de la révolution française l'état se désintéresse complètement de l'art. C'est une des raisons pour

lesquelles la musique perd complètement son essor à partir de cette époque, en tout cas en

France!

C'est au 19ième

que l'art prend la place de la religion, en quelque sorte. Quand on remonte à

St Thomas, il y a un certain dédain à l'égard des arts serviles, sauf quand ils remplissent une

fonction didactique, liturgique ou de divertissement… La beauté des artefacts réside dans la

parfaite adéquation de l'objet à sa fonction (Une peinture murale dans une église doit mettre en

relief l'évangile…) Est beau ce qui remplit bien sa fonction, dans le contexte de l'art, pour St

Thomas. Il n'y a pas d'art du beau… La beauté des tenues des femmes par exemple est légitime car

elles doivent plaire à leur mari, selon St Thomas. Leur tenue n'est pas appréciée pour elle-même.

La beauté, pour St Thomas est de donner l'être et de le donner par amour, car on fait

"monter" l'autre dans l'être… Avec Mozart, émancipation de l'artiste. Il veut composer de la

musique indépendamment de toute fonction. Il rompt avec ses employeurs (l'archevêque de

Salzbourg) afin de composer gratuitement pour produire des chefs-d'œuvre. Cela mènera à une

certaine déviation, l'Art devient une "religion". La distinction entre art fonctionnel et non

fonctionnel est une distinction qui s'impose mais en réalité elle dépasse la seule distinction de

fonction.

Un art non fonctionnel ne poursuit pas d'autres finalités que l'objet produit lui-même. Son

seul but est de faire exister une chose qui n'existait pas, de la faire être, on verra que cela s'appelle

la beauté. Le beau pour les philosophes du 13ième

est la réalité en tant qu'elle se manifeste et pour

celui qui la contemple. C'est donc la manifestation de son être propre. La beauté est

proportionnelle à l'être des choses. Cet art vise à ce que l'objet ait la plus forte personnalité

possible.

Un art fonctionnel subordonne l'objet produit à une finalité autre que de le seul

rayonnement de sa beauté. C'est une grosse part de l'art des origines jusqu'à aujourd'hui.

Première forme d'art fonctionnel, l'artisanat (poterie, menuiserie, couture… aujourd'hui arts

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mineurs.). Dans les arts majeurs (architecture, danse, peinture…) il n'y a quelque fois pas de

séparation entre la fonction et la réalisation (dans l'architecture notamment, on ne fait pas un

bâtiment qui soit seulement beau, il faut qu'il tienne debout!). En ce qui concerne la musique ou la

peinture, elles avaient pour fonction d'agrémenter la vie des gens mais n'étaient pas élaborées

dans le but premier de la beauté. La fonction religieuse aussi est importante. Autre fonction, la

fonction éducative (didactique), comme par exemple la littérature, les peintures dans les églises,

une fonction moralisatrice (chez les grecs, le mode phrygien de musique avait pour but d'éveiller

la vertu de courage…). Dans la littérature française, Boileau et La Fontaine, Molière et Racine.

L'idée d'une poésie qui aurait le seul but d'être belle aurait été abominable…La fonction peut

être aussi le savoir (l'art d'écrire), pour transmettre des informations au lecteur. Même si les livres

de philosophie, de science sont bien écrits, leur premier but est de transmettre des informations.

La peinture religieuse transmet un savoir de foi (les enluminures). L'art de l'imitation (rendre

compte du réel) est primordiale. L'art littéraire du roman n'a pas pour première finalité d'être

beau mais de nous parler de la vie des hommes à un moment donné… le cinéma a pour but de

nous raconter des histoires, pas d'être beau.

Les arts ordonnés au beau. Si on se situe de ce point de vue avec St Thomas, on est alors

appelé à voir les arts en tant que subordonnés au beau seulement et non à sa fonction.

On ne s'en tiendra pas aux arts fonctionnels en tant qu'ils sont fonctionnels mais en tant

que l'objet qu'ils produisent est esthétique.

Au Moyen-âge St Thomas considérait l'art fonctionnel, mais il admet dans certains textes que

l'on peut jeter un regard qui ne soit pas purement fonctionnel mais aussi esthétique. On peut

poser un regard esthétique sur une œuvre d'art dont la beauté n'est pas l'objectif premier. Même

si l'artiste poursuit un but fonctionnel, il peut produire quelque chose de beau. La finalité de la

musique de Bach était liturgique, cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas belle. En produisant une

œuvre fonctionnelle, un artiste peut produire du beau. Dans l'architecture, le bâtiment doit

remplir la fonction de l'habitat mais cela n'empêche pas que ces bâtiments soient beaux.

1.4 L'activité artistique comme particularisation de l'action en général:

L'art est-il un moyen privilégié de connaître ou un moyen d'aimer? Nous avons vu que même

si l'art peut se subordonner au savoir ou plus largement à la volonté d'exprimer quelque chose du

réel, l'art est art quand il réalise son essence (la réalisation d'une réalité nouvelle, au sens fort du

verbe "être"). En ce sens, à la lumière de la métaphysique, on peut comprendre l'art comme un

moyen d'aimer: Comment, avec les transcendantaux, peut-on comprendre l'art comme un moyen

pour aimer soi-même et autrui? Comprise comme un moyen d'aimer, l'activité artistique sera

comprise comme une particularisation de l'agir humain pour aimer.

1.4.1 La doctrine des transcendantaux

Elle relève de la métaphysique. Qu'est-ce que la métaphysique? Elle est, selon Aristote, "la

science de l'étant en tant qu'étant". Un savoir rigoureusement constitué, mais pas dans le sens

d'une science expérimentale. La science de l'étant est la science de ce qui est, de ce qui existe,

c'est-à-dire la science du Tout. Rien n'échappe à la métaphysique, même pas les illusions et les

pensées.

De la formule "étant en tant qu'étant", nous pouvons dire que le premier "étant" est le

substantif, le second "étant" est à entendre au sens verbal actif, non substantivé. C'est la science

de ce qui existe en tant qu'elle existe. La feuille est un étant, elle existe. Je peux l'étudier sur

d'autres plans ( pragmatique: elle me sert, sensible: elle est blanche, quantitatif: je peux la

mesurer, chimique: étude des molécules qui la constituent…)

Tous ces plans sont complémentaires mais toutes ces approches passent à côté du rapport

métaphysique. S'il elle n'existait pas, elle ne pourrait pas être étudiée. Affirmer que cette feuille

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existe est la plus grosse des banalités. A première vue, oui. Mais c'est parce qu'elle existe que l'on

peut dire qu'elle existe. C'est l'objet de la métaphysique que d'expliquer cela.

C'est pourquoi St Thomas substituera à la table des catégories, la table des

transcendantaux. Les transcendantaux sont des manières diverses de dire l'être:

Définition générale des transcendantaux: c'est parce que St Thomas a pris conscience de ce

qu'est l'être (trans-objectif), qu'il utilise les transcendantaux qui sont diverses manières de

renvoyer vers l'être.

Les transcendantaux sont différents entre eux, mais c'est une différence de raison et non

réelle. C'est une distinction au niveau de notre esprit mais qui désigne une seule réalité (explicitée

de divers points de vue). Il ne correspond donc pas de distinction réelle même si le concept est

différent. Ainsi les transcendantaux désignent toujours l'être mais sous des éclairages différents

pour mieux sonder son mystère. Historiquement St Thomas distingue six transcendantaux

auxquels on peut en ajouter un septième même s'il ne le classe pas parmi eux.

- Ens (commune): L'être dans l'étant (il faut l'entendre au sens du concept d'être, comme

toile de fond). Il utilise aussi "esse" ou bien "actus essendi"(l'être positivement infini.)

- Res : c'est la chose. En fait c'est la subsistence ("substentia"). C'est la chose en elle-même,

en tant qu'elle est.

- Unum: l'un.

- Aliquid: quelque chose (la chose par opposition à autre chose).

- Verum: le vrai.

- Bonum: le bon.

- Pulchrum: le beau.

Le concept de l'Un: l'être est toujours un. Le mot "un" a deux significations. Soit c'est son

indivision, soit c'est son unicité.

- Il est indivisible car les étants ne divisent pas l'être, ne le coupent pas en morceaux.

- Il n'y a pas plusieurs êtres, on ne peut pas le multiplier (il est unique et en dehors de lui il

n'y a rien). Mais le métaphysicien est obligé d'aller plus loin et de dire que c'est de l'unité

plurale. Intérieurement à lui, il y a pluralité. La pluralité n'intervient pas accidentellement.

La pluralité qui est à l'intérieur de l'être est une propriété (mais ce n'est pas de la

multiplicité ni une division).

Plus une réalité est singulièrement, plus elle est une. Le poisson X n'est pas le poisson Y.

Le concept de vrai: le vrai désigne l'être en tant qu'il est intelligible pour toute intelligence.

Le mot vrai signifie donc la capacité de l'être à être connu par l'intelligence. Le premier sens de

vrai est donc le connaissable de l'être. Les étants dont nous faisons l'expérience quotidienne, sont

connaissables par notre intelligence du seul fait qu'ils sont. C'est un fait premier, évident. Dire

que quelque chose est c'est reconnaître qu'il est connaissable (non pas qu'il est connu). Il désigne

une propriété qui lui appartient par nature, intrinsèquement. L'inconnaissable n'existe pas même

si de fait je n'arrive pas à connaître tout de la chose, elle est en principe connaissable.

Inversement, plus une chose existe plus elle est vraie. Plus elle est vraie, plus elle est

susceptible de combler notre désir de connaître. Il y a plus à connaître dans un homme que dans

un chien, qualitativement (non quantitativement). L'être est intelligible.

On sera amené à conclure que Dieu est la vérité en plénitude, que seul Dieu sera susceptible

de combler notre ouverture infinie de l'intelligence. En Dieu intelligence et vérité se confondent.

La vérité est proportionnelle à l'être en intensité.

Le concept de bon (ou de bien): il désigne l'être en tant qu'il est communication généreuse

de soi ("difusinum sui", St Thomas) pour l'appétit de l'homme (le désir de l'homme). Il se donne

9

gratuitement de lui-même à l'homme en droit à tout désir, tout appétit. L'être est appétible. C'est

l'être comme cadeau qui se donne. L'appétit de St Thomas, c'est la volonté voulante de Blondel, le

cœur de Pascal, le désir de Bruaire.

L'infinitude du désir le fait être de nature spirituelle. Cet appétit est l'envers passif de la

volonté qui elle est active et est le principe de notre agir humain. Notre désir est assimilateur, il

reçoit "passivement". Les choses en tant qu'elles sont se donnent à nous, sont un don qui m'est

fait. Reconnaître qu'une chose est c'est affirmer qu'elle est bonne et susceptible de venir combler

mon appétit. Les choses peuvent faire défaut et c'est ce que l'on appelle le mal. Ce sont les choses

qui se donnent mais non pas comme elles devraient se donner. Elles ne se donnent pas comme on

attend qu'elles se donnent. On ne peut parler du mal que parce qu'on a un fond de bon et de bien.

Le mal est une privation du bien, d'où la souffrance. Une erreur est une erreur sur fond de

vérité. Le mal est l'être qui ne se donne pas comme il devrait se donner. Il est donc second et on

sait déjà qu'il ne peut pas gagner et qu'il est vaincu puisqu'il ne se pense que par rapport au

bien.

Le concept de beau:

Le "pulchrum" de St Thomas. Le beau signifie la manifestation de soi et de l'être pour l'être

humain dans son humanité. Il signifie l'unité du vrai et du bien. La relation de l'être à l'esprit

humain. C'est l'unité indivisible du vrai et du bien pour l'unité de l'appétit humain.

Cette notion transcendantale de beau est pour signifier que l'intelligence et l'appétit ne

marchent pas séparément et que le vrai et le beau c'est la même chose.

Si cette intelligibilité n'est pas donnée gratuitement à l'intelligence, cette dernière n'y aurait

pas accès. L'intelligibilité de l'être est donnée, donc le vrai implique le bien (la donation de soi de

l'être), inversement nous avons vu que l'être est bon. L'être qui se donne ainsi à l'appétit c'est

l'être vrai. Quand nous jouissons de quelque chose nous savons de quoi. L'appétit assimile en

même temps l'intelligibilité. Le vrai implique le bien comme le bien implique le vrai. C'est ce qu'on

appelle le beau. Ce concept de beau dit l'indivisibilité du vrai et du bien.

L'être est donc intrinsèquement beau. On ne perçoit la laideur que sur le fond d'une attente

de la beauté. Si je dis que quelque chose est beau aujourd'hui c'est que ça me plait. Mais les

anciens philosophes avaient une conception beaucoup plus large de la beauté (des pancalies: qui

affirment la beauté universelle de toute chose). La laideur provoque l'affect de peine car c'est une

privation de la beauté et une frustration.

Si je connais quelque chose, c'est que j'ai le désir de le connaître, sinon je ne serai pas

motivé pour l'étudier. De même, il n'y a pas de désir sans connaissance. On ne peut donc pas

séparer l'appétit et l'intelligence.

Indivision du vrai et du bien, ils sont liés l'un à l'autre, par le beau.

Autre définition: La définition de l'amour. La beauté, quand elle est réfléchie, porte le nom

de l'amour. L'amour est donc la beauté consciente de soi. Le beau est l'être intelligible qui se

donne à l'esprit humain. Or, nous savons que l'être ne subsiste que dans les étants et

particulièrement dans l'homme. L'être humain est, donc il est vrai, donc il est bon donc il est beau.

Mais chez l'homme le fait de s'offrir, de se donner (la bonté) est un acte réfléchi, conscient de soi,

et donc libre. L'acte d'offrir sa vérité est libre. Cet acte libre est la définition même de l'amour.

C'est la beauté réfléchie, suspendue à la liberté. L'amour est la plus haute forme de beauté,

spirituellement.

Cette bonté et cette vérité sont réfléchies en l'homme et l'acte de se donner est suspendue

à sa liberté. La beauté désigne la moralité de l'être humain. Cette notion est très enracinée chez

les anciens (par exemple Platon).

L'amour est la beauté spirituelle, chez les humains, car il faut, pour aimer, être doué de

réflexion et de liberté.

10

1.4.2 L’amour comme essence de l’action humaine:

L'essence de l'agir humain est l'amour. Si on admet que l'être est ce qu'il y a de plus

fondamental, on peut comprendre que la finalité ultime de l'activité humaine soit l'être et non pas

son paraître, son pouvoir ou son avoir. Qu'est-ce que c'est que pour une personne que d'être?

C'est être une (unifiée et unique), vraie, bonne et belle.

Une personne sera d'autant plus belle qu'elle sera unifiée, corps et esprit, affect et idée. Elle

se manifestera avec d'autant plus d'éclat qu'elle existera avec plus d'unité intérieure. C'est cela la

manifestation d'une personne et non pas seulement la beauté corporelle.

La beauté profonde d'une personne consiste dans le don gratuit de son propre être en vérité

pour autrui. La particularité de l'homme est que son don de soi est un don conscient et donc libre.

Une fleur n'épanouit pas sa beauté dans l'œil de celui qui la regarde mais se donne sans avoir

conscience de se donner, contrairement à l'homme qui donne son être librement à autrui. Ce qui

implique aussi la possibilité de ne pas se donner (égoïsme et égocentrisme).

La beauté quand elle est ainsi réfléchie dans la personne humaine, porte le nom d'amour.

C'est en ce sens que la beauté est un thème central dans la morale de St Thomas.

L'acte de se donner est conscient et libre, c'est donc l'amour ("amour de bienveillance"

agape, de St Thomas). L'amour est la plus haute forme propre de la beauté humaine (spirituelle).

Pour les anciens, un être beau est une personne qui aime. Cela dépasse donc le thème de

l'art et implique aussi la morale. Agir moralement, c'est être beau c'est-à-dire aimer. "Aime et fais

ce que tu veux". A la lumière des transcendantaux, on peut comprendre qu'être une personne

humaine, c'est être beau, aimer, donner en partage son propre être à autrui.

Ceci implique de recevoir cet amour d'autrui pour pouvoir le donner. La personne doit donc

grandir elle-même dans l'être pour pouvoir le donner ensuite. On ne donne que ce que l'on reçoit.

L'essence de l'art se situe dans cet amour et est une modalité pour la personne humaine de

partager son amour à autrui.

1.4.3 L’art comme expression de l’amour et donc comme prolongement de la beauté de la

personne humaine

L'art est irréductible au connaître, à la science. Produire et créer n'est pas connaître. La

personne est douée de deux faces, passives et actives.

La personne humaine doit d'abord se recevoir passivement pour ce qu'elle est. Cette

passivité se manifeste dans la connaissance de l'intellect sur le réel et dans la jouissance de

l'appétit sur ce même réel. Connaître implique des activités mais ordonnées à notre absorption du

réel.

Ces activités ont pour but de rendre compte de ce qui est, c'est-à-dire une passivité

fondamentale par rapport au réel. On déploie beaucoup d'activité pour in fine absorber l'objet du

désir. La phase active pour elle-même est la sphère de l'agir humain, où après avoir assimilé l'être,

l'homme le donne aux autres.

L'artiste se situe à l'égard des autres souvent comme les parents se situent par rapport à

leurs enfants. L'activité artistique est un cas particulier de l'agir humain. L'essence de l'activité

humaine se situant dans l'amour, l'art peut être le moyen particulier d'aimer autrui.

La particularité de l'art est de donner cet amour à travers un objet. L'amour humain étant

réfléchi, l'œuvre d'art est donc expression de la beauté humaine, prolongement de l'amour

humain pour autrui. La beauté de l'œuvre d'art sera le prolongement matériel de la beauté de

l'artiste.

L'artiste augmente le domaine de l'être puisqu'il crée une nouvelle œuvre (pour qu'elle soit

contemplée). En donnant l'être à une œuvre d'art, il l'offre à la contemplation et au regard

d'autrui.(ou aux oreilles!). Il enrichit autrui de l'être qu'il donne à son œuvre.

11

Remarque: ceci est une description idéale de l'art et les artistes n'agissent pas toujours

dans le même sens… (au moins consciemment!). La réalité concrète est foncièrement ambiguë et

la finalité première avouée par les artistes n'est pas de donner l'être….

Il n'en demeure pas moins vrai que l'artiste doit toujours produire l'œuvre dans son être,

quelle que soit la fonction à laquelle il la destine.

Inscrire l'activité artistique comme un cas particulier de l'agir humain pose le problème des

rapports de l'art et de la morale. La morale est la partie de la philosophie qui entend prescrire les

lois auxquelles l'agir humain doit se confronter. Mentir à autrui n'est pas la meilleure manière de

l'aimer…

On pourrait en conclure que si l'art doit se donner par amour, il suffirait alors à l'artiste de se

conformer à la morale. Mais les choses ne sont pas aussi simples.

Le19 mars 2003.

1.4.4 L’art et la morale

En tant qu'expression particulière de l'agir humain, l'activité artistique doit avoir un rapport

avec la morale. La philosophie morale ne doit pas pour autant être confondue avec la philosophie

de l'art. Cette dernière précise les lois et s'occupe de l'artefact. La philosophie morale explique les

lois de l'agir humain. Mais les lois propres de l'art ne se confondent pas avec les lois de la morale.

Il ne suffit pas de connaître les lois de l'agir humain pour produire des œuvres d'art.

On fait de la philosophie morale quand on se préoccupe de la manière dont sont produits les

artefacts. Quelle est la nature et à quelles normes doit obéir cette production?

En réfléchissant sur l'agir humain, on est amené à réfléchir sur la finalité ultime de l'art, mais

en partant du cas particulier de l'art on ne peut pas parler de l'agir humain en général. On ne fait

pas de la philosophie morale à partir de l'art. Une œuvre d'art poursuivant une fonction artistique

peut être belle, même si elle n'est pas morale. Une œuvre littéraire parfaitement écrite est une

œuvre d'art, mais son contenu peut être totalement immoral. D'autre part, un artisan peut faire

parfaitement son métier dans le seul but de tromper ses clients.

Nous voyons bien qu'en général l'art peut être bien réalisé alors que l'artiste mène une vie

immorale, comme la plupart, d'ailleurs. La beauté tient à la cohérence de l'œuvre en elle-même.

L'activité artistique de la personne n'est qu'une partie de l'amour humain qui est plus englobant.

Un artefact qui serait imparfait du point de vue des lois, ne peut pas être le produit d'un art

moral. Les beaux sentiments ne font pas forcément les bonnes œuvres.

La peinture religieuse par exemple: des toiles bien peintes sur le plan de la peinture peuvent ne

pas sembler adéquates au sujet religieux… de même, la noblesse du sujet ne fait pas de fait la

beauté de la toile (un crucifix peut être moche). Quand on traite des rapports entre l'activité

artistique et la finalité de l'agir humain, on doit aussi se poser la question du contenu de l'œuvre.

Un art non figuratif ne pose pas de problème moral particulier.

Du point de vue de l'œuvre elle-même: Il est rare qu'elle n'ait pas de rapport avec

l'extérieur. L'artiste se sert toujours d'un support pour son imagination. Toutes les formes de

peinture qui gardent un rapport avec la figuration gardent aussi un rapport avec la morale. En

musique aussi puisqu'il peut y avoir texte ou bien représentation de sons. Et on peut extrapoler

aux différentes autres formes d'art. (le cas le plus coupé de la réalité est le lettrisme, poésie qui

sont faites avec des mots qui n'existent pas et dont le but est de faire des sons). Toute œuvre

artistique sera toujours ouverte sur le monde, car elle utilise les mots ou une certaine forme de

langage.

Une œuvre laide est immorale, puisque l'activité artistique ne se sépare pas de l'agir moral.

Dans tous les cas ou l'œuvre tend à la beauté, l'activité artistique tendra toujours vers une

ouverture dont elle a besoin pour exister (sauf peut-être pour la musique). Une œuvre, même si ce

12

n'est pas son intention, qui est ouverte sur des suggestions perverses en étant conformes aux lois

de l'art, reste dans son contenu immorale mais peut présenter des côtés beaux et d'autres moins

beaux, les choses sont en généralement mêlées. Les lois morales ne sont d'aucun secours pour

faire une œuvre belle. Les choses sont distinctes sans qu'on puisse pour autant les séparer

complètement.

Le 26 mars 2003.

1.5 L'activité artistique en elle-même.

1.5.1 Modèle descriptif général de l'activité artistique.

Pour la décrire, Aristote a développé la théorie des 4 causes. On y ajoute une 5ième

cause que

l'on trouve chez Platon, la cause exemplaire.

Cause efficiente de l'œuvre d'art: L'artiste qui produit son œuvre volontairement et

librement.

Cause finale: En vue d'un but. C'est ce que nous avons développé dans les cours précédents.

Les arts ordonnés à la seule beauté ou bien dans une vue didactique, fonctionnelle….

Cause matérielle: L'œuvre ne constitue jamais une création ex-nihilo. Il y a toujours une

matière, contrairement à Dieu qui crée à partir de rien. L'activité artistique est toujours la

transformation d'un matériau pré-existant. C'est donc la matière à partir de laquelle est crée

l'œuvre.

Cause formelle: Forme de l'œuvre que l'artiste conçoit à l'intérieur de son intelligence et

qu'il imprime à la matière par son travail corporel. Ce peut être la scène imaginée et qui est

imprimée à l'aide des couleurs dont il dispose. De cette union de la matière et de la forme est née

l'œuvre d'art.

Cause exemplaire: L'œuvre implique une cause exemplaire qui peut être comprise dans

deux grands sens: L'essence de l'art pour Platon est l'imitation servile du monde des idées. Pour

Aristote il y a aussi imitation de la nature dans l'art mais dans un sens très différent de celui de

Platon. C'est dans le sens de son opération que l'œuvre d'art imite, c'est-à-dire, l'œuvre produit

des formes de la même manière que la nature produit des formes (production en vertu de sa

culture, prolongement de la nature humaine). La production, pour Aristote, ne doit pas forcément

se faire de manière servile en regard de la nature. La cause exemplaire de l'œuvre d'art (le

modèle) est dans tous les cas la nature: dans un sens d'imitation et dans un sens plus large (fait de

produire comme la nature). Ouverture de l'œuvre sur un domaine extra-artistique.

Il ne s'agit plus d'imitation servile, mais de faire comme la nature fait, de produire des

formes nouvelles. L'homme peut donc produire des formes nouvelles qui seront des formes

culturelles, prolongement volontaire et conscient de la nature humaine.

Résultat: Œuvres d'art plus ou moins fortement fermées sur la réalité extra-artistique.

Exemple: la peinture non figurative qui ne prend plus des formes préexistantes comme support, la

musique qui n'imite plus des sonorités mais qui met des sons les uns à côté des autres.

L'œuvre parfaitement close n'existe pas et celle complètement ouverte non plus.

Nous traiterons de ces causes dans le chapitre 2, sauf de la cause efficiente.

1.5.2 La cause efficiente, l'artiste:

C'est l'artiste qui cause intelligemment, volontairement et librement son œuvre. Cela

implique chez lui la présence de la vertu d'art (capacité habituelle à produire des artefacts). Cet art

est marqué par une certaine méprise du corps, vision négative de la matière.

L'artiste doit réfléchir avant d'agir si on veut que son œuvre soit humaine et non animale

mais elle doit aussi être une capacité à concevoir et imaginer une forme picturale et pouvoir

l'appliquer ensuite à une matière par un travail corporel. Pour bien effectuer ce travail, l'artiste

13

doit acquérir une faculté du corps pour appliquer cette forme imaginée aux pigments de la toile

par exemple.

Pour le compositeur, faculté de pouvoir imaginer en son intérieur une forme musicale et la

transposer ensuite sur une partition. La partition est donc le lieu où est transposée la création

artistique qui devra ensuite être achevée dans une matière sonore concrète. La scission dans la

musique entre la composition et l'œuvre jouée. En effet l'œuvre jouée n'existe que par rapport au

temps, car une fois terminée, la pièce musicale n'existe plus. Les arts plastiques se déploient par

contre dans l'espace et durent plus longtemps. La pièce de théâtre aussi connaît cette dissociation

entre composition et exécution. Il y a donc plusieurs causes efficientes pour le théâtre ou la

musique: celui qui compose et celui qui joue.

Le 2 avril 2003.

La dissociation entre la composition et l'exécution n'existe pas dans les musiques populaires

et traditionnelles car le compositeur est généralement son propre interprète. Dans les autres

formes, l'interprète aura le rôle de mettre en œuvre la création du compositeur, par son travail

corporel. Pour les arts plastiques, il n'y a pas de dissociation entre composition et exécution.

Si l'art ne se confond pas avec la science, il implique la science. En morale, d'une manière

générale, on dira qu'il faut réfléchir avant d'agir, cela vaut aussi pour la création artistique. En quoi

consiste ce savoir, impliqué par l'art? D'une part il implique la connaissance des lois de l'art et

ensuite dans la connaissance de la matière de l'œuvre d'art.

La connaissance des lois de l'art: Elles ne sont pas les lois de la morale. Elles ont pourtant des

lois. Ces règles sont déterminées par la finalité de l'œuvre. En art "la fin justifie les moyens". C'est

la fin qui détermine les règles à suivre pour la production d'une œuvre. Distinguer deux cas de

figure. Les arts fonctionnels et les arts non-fonctionnels.

Dans le cas où l'art se subordonne à une fonction, c'est la fonction extra-artistique qui

détermine les lois à suivre dans la production de l'artefact. (Une scie doit être faite pour scier).

Dans le cas des arts non fonctionnels, les lois de l'art sont beaucoup plus complexes. Pour

produire le beau, l'art doit se soumettre à des lois… ces lois ne sont pas à confondre avec des

codes artistiques qui ont vu le jour à certaines époques dans certains endroits, ce serait trop

simple… A condition d'entendre sous la notion de beau ce que les anciens entendaient, ces lois de

l'art et de la beauté sont intégralement énoncées dans la table des transcendantaux. Qu'en est-il

de tous ces codes qui ont vu le jour dans les différentes formes d'art? (exemples, le canon

mathématique des grecs, le nombre d'or, les règles de l'alexandrin classique en poésie, la loi de

l'unité de lieu de temps et d'action dans le théâtre du 17ième

, le système tonal en musique au

18ième

et jusqu'au 20ième

…)

Tous ces systèmes ne sont pas inutiles, mais ils sont des particularisations contingentes de

l'unique loi métaphysique du beau, la loi d'unité. Le transcendantal "l'un" est l'unité d'ordre, le

"proportio" (St Thomas). Il est l'unique critère de beauté qui résiste. Tous les autres systèmes de

règles concourent à cette unité, et donnent une valeur à cette unique loi d'unité. (La pluralité dans

l'unité). La plus haute forme de beauté pour un chrétien, c'est la Trinité, trois personnes en une. Le

critère de la beauté est la pluralité dans l'unité). Les systèmes sont des particularisations de cet

unique système.

Pour être belle une œuvre doit être, et doit être une. On ne peut pas contourner ce

problème. Produire une œuvre est toujours produire quelque chose d'original, d'unique,

d'indivisible de cohérent. L'artiste prélève des matériaux dans la nature et l'œuvre artistique

consiste à refaire l'un ité avec les différents matériaux. Le tord de certains artistes a été de vouloir

absolutiser ce qui était contingent. Les systèmes de règles sont contingents donc contournables,

même si ces règles n'en sont pas moins indispensables pour concrétiser cette loi d'unité.

Il s'agit de singulariser l'universel pour arriver au particulier. Quel que soit le degré de l'objet,

s'il existe, c'est de l'art. Car pour qu'il existe, il faut qu'il ait en lui un principe d'unité. Il est

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impossible de produire le désordre, quand on produit quelque chose, il contient un minimum

d'unité.

"En art comme en tout, les chaînes sont libératrices", Antoine Webern. Les chaînes sont

contingentes. Cela ne veut pas dire qu'elles sont arbitraires. Elles doivent tenir compte d'autres

lois (celles de la matière par exemple). Ces règles ne peuvent donc pas être n'importe quelles

règles. Certaines règles sont établies avant, d'autres naissent pendant la production mais de toute

manière il y a une antériorité logique de la règle sur la production (pas une antériorité

chronologique). Il y a de la belle musique non tonale, de la poésie qui se moque des alexandrins.

Ne pas rendre nécessaire ce qui est contingent.

La connaissance de la matière de l'art. L'artiste ne crée pas à partir de rien. Toujours il

prélève dans la réalité la matière de son œuvre d'art. Il va sans dire qu'il doit connaître les lois

intrinsèques de son matériau. On ne bâtit pas une cathédrale avec du sable fin…Le son se propage

à 340m/s. le compositeur doit le savoir… pour organiser ses concerts et ses représentations…sinon

il y a des décalages de fraction de secondes et cela donne une distorsion.

Troisième chose à considérer, les lois des matériaux sont à considérer en vertu des lois de la

perception humaine, car c'est l'homme qui contemple ou écoute les œuvres d'art.

Le 9 avril 2003.

Trois moments logiques dans la production de l'œuvre d'art:

Premier temps:

- Connaissance des lois de l'art et de la matière de l'œuvre d'art d'autre part.

- L'artiste doit connaître les lois de la matière en général avec laquelle il va produire son

œuvre. (Le marbre en général). Les lois de la matière pour produire son œuvre. Les

caractéristiques propres de la matière particulière qu'il va employer (tel bloc de marbre

Deuxième temps:

- Le moment de la conception de la forme de l'œuvre qui procède de l'intelligence et de

l'imagination (sensible). Il y a un abîme entre la conception abstraite intellectuelle

(abstraite) et la manière dont il l'imagine (concret). Il y a un caractère double à cette

conception. Le concret est toujours plus riche que l'abstrait. La conception sera toujours

réductrice en regard de ce qu'il aura imaginé.

- C'est une des causes qui explique que l'artiste n'a pas une réelle maîtrise de ce qu'il

produit. Le peintre Henri Matisse disait qu'il découvrait son œuvre dans ce que ceux qui

regardaient ses toiles lui en disaient. Il peut y mettre des tas de choses qu'il ne découvre

jamais. Ce qui signifie que l'on peut s'attarder sur l'étude de l'œuvre en elle-même et non

pas des intentions explicites de l'auteur. Il y a distorsion entre l'universel et la singularité.

- La partition, en musique, est la conception intellectuelle de l'œuvre qu'il veut créer. Cette

œuvre existe dans son intelligence et dans sa pensée mais ensuite la façon de jouer cette

œuvre sera différente selon les musiciens. L'artiste n'a donc pas une parfaite maîtrise de ce

qu'il fait.

Troisième temps:

- La réalisation corporelle de la forme dans la matière par le travail. C'est la concrétisation,

l'incarnation. Il imprime la forme dans la matière concrète ce qu'il a imaginé et conçu. Par

une technique, une capacité habituelle qu'il a apprise.

- On trouve un schéma exactement parallèle pour ce qui concerne l'agir humain. On connaît

les lois morales, on projette notre action avant de la concrétiser finalement dans l'agir

moral proprement dit qui implique l'exercice du corps.

Il est capital de bien comprendre que cet ordre est logique et non chronologique. Les trois

moments se télescopent sans cesse et il y a des aller-retour entre les trois. C'est souvent en

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fonction de la matière aussi dont l'artiste va imaginer la forme ou la corriger… La matière que

l'artiste choisit à ses caractéristiques propres qui sont contraignantes.

L'artiste ne maîtrise jamais la matière parfaitement et elle lui résiste sans cesse et il ne finit

jamais de la découvrir. Il doit continuellement corriger son projet par rapport à la réalisation

concrète. Le fait que l'artiste ne maîtrise jamais la matière complètement explique aussi que

l'artiste ne maîtrise pas complètement son œuvre d'art. l'artiste est beaucoup plus proche du

démiurge de Platon que du Dieu créateur ex-nihilo de la Bible.

2 Chapitre 2 : Ontologie de l’œuvre d’art : l’œuvre d’art et sa beauté

L'œuvre d'art pour elle-même, indépendamment de l'artiste. On s'occupe maintenant de

l'objet d'art pour lui-même et en lui-même. On parlera maintenant de l'art ordonné au beau, qu'il

soit non fonctionnel ou fonctionnel (ordonné secondairement au beau).

2.1 La cause formelle et la cause matérielle de l’œuvre d’art:

2.1.1 La cause formelle

On l'a vu quelle que soit l'œuvre, elle naît toujours de l'union d'une matière et d'une forme.

Cause matérielle et cause formelle.

Toutes les réalités qui nous entourent sont simultanément une et multiples. Toutes les

choses de notre expérience sont toujours incarnées, matérielles. Toute réalité en tant qu'elle est,

est forcément une. Cette unité est en vertu de leur forme qui est le principe d'unité des choses qui

nous entourent. La forme est le réseau de relations qui tient ensemble les différents éléments

d'une chose.

La forme est ce qui unifie les éléments du corps selon leurs différentes fonctions. Si je

coupe la table en morceaux on ne pourra pas dire que les différents morceaux ont encore leur

fonction.

La matière d'une réalité est l'ensemble des parties qui composent la chose, de façon

sensible. Les cellules par exemple, pour le corps humain.

On ne peut donc jamais concevoir la matière sans la forme. Inversement dans notre

expérience, on ne conçoit jamais la forme sans relation avec la matière et on ne pense jamais la

pure matière sans la forme, sinon c'est le pur désordre (absence de relation). Il n'y a jamais de

désordre absolu, puisque le fait d'exister est toujours commun a deux éléments. Il n'y a d'absence

de relation que sur un fond de relation. Tout désordre repose nécessairement sur un fond d'ordre.

Le matérialisme est donc une position intenable.

Ceci implique que toute matière est donc déjà toujours informée, le pur chaos n'existe

pas. Nous pouvons donc appliquer tout ce que nous venons de dire à l'œuvre d'art en elle-même.

Cette dernière est composée d'une matière et d'une forme. Elle est faite d'une multiplicité de

choses matérielles unies par la forme projetée par l'artiste. Produire une œuvre d'art est toujours

informer une matière, mettre une forme dans une matière. Mettre ensemble selon un certain

réseau fonctionnel une multiplicité d'éléments matériels en leur attribuant une fonction bien

précise dans le tout. Le compositeur met en relation une multiplicité de sons différents qui n'ont

pas de sens formel en dehors de l'ensemble. La forme de cette mélodie sera le réseau de relation

institué entre les sons.

Nouvelle distinction entre matière et forme: la forme de l'œuvre d'art est à la fois

transcendante et immanente aux parties matérielles qu'elle organise. La forme artistique est

transcendante en ce sens qu'elle ne se réduit pas à la somme arithmétique de la matière que l'on

voit ou que l'on entend. Il faut que les sons (matière) se succèdent de façon telle ou telle et avec

un certain rythme pour former une mélodie. C'est la forme qui organise les sons. En ce sens la

forme est le réseau institué par le musicien entre les sons. La forme est transcendante (antériorité

métaphysique) aux divers sons qui la composent, elle est transcendante à ces sons. C'est plus la

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forme qui fait la mélodie que la matière qui la compose. Ce qui ne veut pas dire que la forme

existe sans la matière.

En ce sens, on dit que la forme de la mélodie est immanente à la matière. Elle n'existe que

dans la matière et par rapport à cette matière. Une forme artistique n'existe que dans un

matériau bien précis.

Le 30 avril 2003.

2.1.2 La cause matérielle

La matière que l'artiste prélève pour faire son œuvre d'art a déjà sa propre organisation et

ses propres lois. Elle est déjà une matière informée. Le marbre a déjà une forme. Le compositeur

utilise des sons qui ont eux-même leurs lois…Qu'en est-il du statut de la forme qu'il applique à la

matière qu'il choisit? Selon Aristote, la forme que l'artiste applique à la matière est accidentelle. St

Thomas précise en disant que cette forme est une figure: la forme figurale.

Cela signifie que, déjà pour Aristote, la forme artistique n'organise pas le matériau selon

toutes ses virtualités. Par exemple, la matière du sculpteur n'est pas en réalité vraiment le marbre

mais la visibilité du marbre, les apparences du marbre, ses propriétés d'être visible. Il semble

évident que quand Michel Ange sculpte, il ne modifie pas les lois propres du marbre. Le sculpteur

n'agit donc que sur la visibilité du marbre. Il modifie l'apparence visible du marbre, pas les lois des

molécules du marbre.

Même quand il peut y avoir des modifications chimiques, le but de l'artiste n'est pas cette

modification mais bien l'apparence qu'il donne à la matière. Les modifications chimiques qui

peuvent survenir ne sont que des accidents et des moyens.

Le peintre a pour matière la visibilité de la toile et des couleurs, pas la matière en elle-

même. L'artiste n'a pas pour dessein propre d'agir sur la matière en elle-même. Dans le cas de la

poésie, le poète n'agira que sur l'audibilité ou le sens des mots, pas sur les sons produits par la

gorge ou imaginés par le lecteur. Il s'agit ici de la beauté des apparences sensibles, qui est celle de

l'art. Quand on parlera de la beauté de la personne humaine ou de celle de Dieu, il ne s'agira plus

des apparences sensibles mais d'une beauté transcendantale qui ne se confine pas au sensible.

L'âme est la forme du corps. La forme artistique n'agit que sur la visibilité ou sur l'audibilité

de la matière qui lui sert de support. La forme artistique n'est qu'une forme figurale.

2.2 Le statut ontologique de l’œuvre d’art:

Posons-nous la question de savoir quel est le statut ontologique de l'œuvre d'art… Nous

admettons une hiérarchie entre les diverses réalités qui nous entourent. Ainsi, les réalités vivantes

sont supérieures aux réalités non vivantes… Mais à l'intérieur même des êtres vivants nous

admettons aussi une hiérarchie… Spontanément, nous situons l'être humain au-delà de toutes les

réalités vivantes. Un oiseau ne compose pas de mélodie et exécute un chant qui ne lui appartient

pas en propre.

Où situer l'œuvre d'art? Songeons un peu avec quel soin jaloux on prend soin des œuvres

d'art. On fait des musées…Elles sont évaluées financièrement… Exemple des salles de concert,

dans lesquelles on se déplace pour écouter des œuvres d'art, phénomène sociologique curieux…

Les œuvres d'art ne sont que de la matière et de la matière non vivante… Une œuvre d'art

musicale n'est que des sons, une toile n'est que la somme de couleurs mises sur un morceau de

tissu… Or, simultanément, on envoie des millions d'animaux à l'abattoir pour manger. On tue des

êtres vivants et on contemple des morceaux de matière inertes… contradiction…

On a même vu dans l'histoire des gens qui préféraient les œuvres d'art à leurs semblables…

Les nazis volaient des œuvres d'art, tout en envoyant des milliers de personnes dans les camps de

concentration… C'est un cas pathologique…

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Il y a quelque chose d'insupportable et de paradoxal. Le statut ontologique de l'œuvre d'art

est paradoxal. Si on se situe du côté de la matière de l'œuvre d'art, elle a la dignité de ses

matériaux, tout simplement…et est donc au plus bas de la hiérarchie ontologique… si on considère

cela de ce point de vue, tous les arts deviennent profondément immoral.

Mais il doit sans doute y avoir plus. Le problème ne peut pas être résolu de manière aussi

simpliste. L'œuvre d'art ne peut pas se réduire à sa matière. Sinon la carotte est supérieure à la

pietà de Michel Ange. Tuer une vache devient un crime…

Il n'est pas évident de comprendre pourquoi une œuvre d'art est supérieure à un légume…

en fait, on compare deux choses qui ne le sont pas. On compare des réalités au sens premier du

terme (un choux-fleur est une substance pour Aristote) avec des réalités qui sont des accidents…

On compare l'effet de l'opération de substance avec la substance elle-même. L'œuvre d'art

procède de l'activité d'une substance qui est l'homme (accident) sur une autre substance, alors

que la substance en elle-même n'est pas le fruit de l'œuvre d'art.

En fait, toutes les réalités (substances) exercent sur leur milieu des causalités. Le chant de

l'oiseau est une modification apportée sur la matière sonore. Ces réalités accidentelles (de second

ordre) sont comparables entre elles. On ne doit pas comparer l'œuvre d'art avec l'oiseau, mais

avec l'effet de l'oiseau, c'est-à-dire le chant de l'oiseau. On peu comparer les causes avec les

causes et les effets avec les effets.

L'œuvre d'art n'est que l'effet de la personne humaine, cette dernière étant la cause de

l'œuvre d'art. Ce sont donc les effets des êtres inférieurs que l'on doit comparer avec les effets de

l'homme. L'effet participe toujours peu ou prou de la dignité de sa cause. L'œuvre d'art est un

effet qui participe de la dignité de l'homme. Quand on honore l'œuvre d'art, on n'honore pas un

tas de matière mais la personne humaine qui la produit. Les effets seront hiérarchisés en fonction

de la hiérarchisation de la cause.

Le statut de l'œuvre d'art s'en trouve modifié et il devient alors compréhensible que l'on

accorde plus de valeur à L'annonciation de Fra Angelico qu'à une truite. L'œuvre d'art est donc un

effet accidentel qui révèle sa cause. Elle n'est donc pas matière mais se définit davantage par sa

forme. On rejoint aussi cette vérité par le biais ontologique de l'œuvre d'art qui n'est pas un

simple tas de matière mais bien une forme qui est immanente et transcendante à la matière

qu'elle organise.

Le 7 mai 2003.

2.3 La cause exemplaire de l’œuvre d’art : œuvre close et œuvre ouverte:

La nature est la cause exemplaire de l'œuvre d'art en deux sens différents (sens platonicien:

l'œuvre d'art imite la nature en reproduisant des figures pré-existantes, sens aristotélicien:

l'œuvre d'art imite la nature dans le sens où elle est une production de la nature comme le sont

les autres effets des substances). C'est donc en fonction de cela que l'œuvre d'art sera close ou

ouverte.

L'œuvre close ou ouverte sont des idées limites. L'œuvre d'art, parfaitement close ou

parfaitement ouverte, n'existe pas. Les œuvre d'art se situeront donc sur une échelle entre ces

deux limites.

Une photographie, par exemple aura sa cohérence propre et est donc fermée par rapport à

son original. Il y a une priorité de la fermeture sur l'ouverture dans l'œuvre d'art car elle est

toujours une reproduction de ce qui existe, en quelque manière. Une œuvre parfaitement ouverte

serait la réalité, une œuvre parfaitement fermée serait une œuvre qui ne renvoie qu'à elle-même.

C'est sans doute l'œuvre musicale qui a le plus de facilité pour se rapprocher de l'idée

d'œuvre close (par rapport à la réalité extérieure).

L'idée d'œuvre close est l'idée d'une œuvre qui révélerait seulement l'artiste qui est sa

cause, et donc elle n'est pas totalement close. Elle ne révèle que les capacités artistiques de

18

l'artiste, les capacités de son imagination et de son intelligence à faire quelque chose de plus que

la nature.

L'œuvre d'art close serait une œuvre où l'artiste ne cherche pas à exprimer quelque chose

d'autre que l'œuvre elle-même, donc qui ne renvoie pas à une autre réalité. Elle est l'objet même

de l'expression de l'œuvre. L'architecture par exemple n'existe que du seul compromis entre l'art

fonctionnel et non fonctionnel. Une cathédrale gothique considérée pour l'art en lui-même révèle

des formes artistiques, en dehors de sa représentation…

Ce qui tend vers l'œuvre close est donc le lettrisme, certaines formes de musiques…..

Ce que l'on entend par œuvre ouverte, c'est une œuvre qui imite intentionnellement ou non,

littéralement ou non, la réalité extérieure à l'œuvre d'art. Une œuvre absolument ouverte est

absurde, ce serait le clone auquel elle se réfère indiscernable de la réalité.

Etant donné que tout œuvre d'art avant d'imiter doit exister en elle-même à titre de support

de ce qu'elle doit représenter. Elle doit donc être l'union d'une matière et d'une forme, et doit

être une réalité nouvelle qui ne se confond pas avec le modèle que l'artiste a utilisé. L'œuvre d'art

est donc un minimum fermée. Une œuvre totalement ouverte n'existe pas.

C'est en tant qu'elle est close qu'elle aura une beauté qui lui est propre. Si la beauté de

l'œuvre se limite à la beauté du modèle, elle n'a pas lieu d'être car on peut contempler

directement l'original. C'est donc que l'on trouve à l'œuvre d'art une beauté qui lui est propre…

fut-ce inconsciemment.

C'est en vertu de sa cohérence propre que l'on trouvera qu'une œuvre est belle. C'est donc

ici que se trouve l'essence de l'art. Sans cette beauté intrinsèque à l'œuvre elle-même, c'est la

beauté que l'artiste produit lui-même. Depuis que les arts existent, la réalité n'est qu'un prétexte

pour avoir un support à réaliser dans l'œuvre…

L'ouverture de l'œuvre est donc complexe. Essayons d'ébaucher une analyse des différentes

ouvertures que l'œuvre peut réaliser. Abordons trois couples:

- Elle peut être ouverte soit intentionnellement, soit accidentellement.

- Elle peut être ouverte soit de manière univoque, soit de manière équivoque.

- Elle peut être ouverte soit de manière immédiate, soit de manière médiate.

Dans le premier cas si elle est ouverte intentionnellement, c'est que l'artiste veut

représenter tel ou tel sujet. Si elle est ouverte accidentellement, c'est quand par exemple, il y a un

menuet dans une symphonie de Mozart, il n'est plus qu'un prétexte car le but, l'intention, n'est

pas de faire danser les gens, même s'il continue de référer à l'art de la danse. Autre exemple, les

messes de la Renaissance étaient construites sur des chansons paillardes. Quand on les entendait,

cela faisait référence à ces chansons…malgré que l'intention première est de servir la liturgie.

Dans le deuxième cas, si elle est ouverte sur la réalité de manière univoque, on voit ou on

entend immédiatement ce à quoi l'œuvre fait référence. Il n'y a pas d'ambiguïté dans la

compréhension. Si elle est ouverte de manière équivoque, cela signifie que ce qui est imité est pris

seulement comme support et peut entraîner une modification très importante. Le résultat est que

la compréhension de ce à quoi cela renvoie n'est pas évident de soi. On croit deviner ce à quoi elle

renvoie mais pas avec assurance. On n'est pas certain de l'objet de sa référence, ce qui est très

fréquent en musique. Plus elle sera ouverte plus elle sera univoque, plus elle sera fermée plus elle

sera équivoque.

Dans le troisième cas, si elle est ouverte sur la réalité de façon médiate ou immédiate, c'est-

à-dire qu'elle peut être ou non codée. Si elle est médiate, c'est qu'il y a un code pour lire cette

œuvre, tout un symbolisme. L'œuvre implique un code qui permettra à celui qui contemple de

comprendre la référence. Dans le cas ou l'ouverture est immédiate, la référence pourra être

comprise sans avoir un code. Si on a besoin d'un code conventionnel pour comprendre la

19

référence, on dira que l'œuvre est ouverte de façon médiate car il faut passer par la médiation

d'un code, d'une grille de lecture.

Dans les faits, les œuvres d'art se situent quelque part sur l'échelle entre la fermeture

complète et l'ouverture complète. L'essence de l'art ne peut pas se situer que dans l'imitation ou

la référence. La beauté de l'œuvre d'art naîtra donc de l'union de la matière et de la forme que

l'artiste aura imaginée à partir du "modèle".

Le 14 mai 2003.

2.4 La beauté de l’œuvre d’art:

La beauté propre de l'artiste consiste en l'amour qu'il met pour réaliser son oeuvre, voyons

maintenant en quoi consiste la beauté de l'œuvre d'art en elle-même.

Avant toute chose, rappelons ce que l'on entend par beauté: la beauté est la manifestation

de l'être pour l'esprit humain, la manifestation d'une chose pour celui qui la contemple. Si on

définit la beauté comme ceci, de fait et la plupart du temps, on juge belle une œuvre qui nous

donne du plaisir et laide celle qui nous cause du déplaisir. Cela revient à dire que ceci ou cela nous

plait.

Mais les causes de plaisir et de déplaisir sont diverses et complexes. Elles n'ont pas

forcément à voir avec l'œuvre en elle-même. Bien sûr la beauté peut être cause de plaisir, et

même de béatitude, de joie…mais il ne faut pas non plus exagérer en voyant la beauté

uniquement dans le plaisir qu'on en ressent.

Si on appréhende la beauté d'une œuvre, elle sera normalement la cause d'un plaisir, mais

tous les plaisirs ne sont pas dus forcément à la beauté. Le pourquoi de notre attrait sur telle ou

telle œuvre ne pourra donc pas se réduire à l'étude de sa beauté. Il y a les goûts et les couleurs qui

sont subjectifs. Par ailleurs, on peut rechercher autre chose que la beauté dans l'œuvre d'art.

Une œuvre d'art sera d'autant plus belle qu'elle existera avec intensité, mais dire cela c'est

dire que sa beauté sera proportionnelle à son unité. Elle sera belle dans la mesure où elle sera

une. Pour les anciens "la loi de la beauté est la juste proportion des parties les unes avec les autres

et avec le tout" (Plotin). Cette définition va traverser toute l'histoire.

Saint Thomas assigne au beau deux conditions: la proportion et la perfection. EN réalité tout

cela revient au transcendantal "unum". Qu'est-ce que l'unité d'une œuvre d'art? c'est l'unité qui

est obtenue par le réseau de relations qui unifie entre elles les parties de l'œuvre, c'est la forme.

C'est ce que les anciens appellent une proportion, le réseau de relation, ce qu'on appelle l'unité

d'ordre.

La proportion de saint Thomas est donc l'ensemble des relations qui unifient ces parties

entre elles, et qui font une réalité dont tous les éléments qui la composent sont unis entre eux.

Plus le réseau de relation sera dense, plus les parties vont s'effacer devant le tout et plus la chose

sera une.

Au minimum, une œuvre d'art doit d'abord être l'unification d'une matière sous une forme

et c'est donc établir ce réseau de relations. Plus ce réseau sera dense, plus les réalités différentes

et matérielles seront intégrées dans le tout.

Une œuvre d'art belle sera donc une œuvre où l'artiste a réussi la plus parfaite union

possible entre le matériau choisi et la forme qu'il lui met. C'est une œuvre où il n'y aura plus de

partie matérielle qui demeure en dehors de ce réseau de relation. Une œuvre laide sera celle dans

laquelle il y a des parties matérielles non exploitées et qui ne permettent pas une parfaite

réflexion de ce que l'artiste a imaginé.

Il y a pour toute œuvre, comme pour toute réalité, un maximum possible entre les parties

qui constituent une réalité. Il y a une disproportion naturelle (une imperfection naturelle): L'unité

des réalités qui nous entourent est toujours l'unité de la multiplicité, il n'y a pas d'unité parfaite

20

(sauf pour Dieu). On peut donc comprendre qu'il y a un maximum d'intégration possible de la

multiplicité dans l'unité pour toute réalité. Les différents éléments d'un tout peuvent cohabiter de

manière plus ou moins parfaite. Plus ils cohabitent de façon parfaite, plus le tout, l'unité qu'ils

forment est belle.

Concrètement, qu'est-ce qu'une œuvre d'art laide? C'est une œuvre dans la quelle toutes les

parties matérielles ne sont pas ordonnées ensemble. La forme n'aboutit pas à unifier la matière et

à resplendir au-dessus de cette matière. L'œuvre d'art semble alors être un bricolage non articulé,

une sorte d'agrégat artificiel, dont les parties ne sont pas unifiées entre elles.

Que serait donc une belle peinture? Ce serait que dans l'unité d'ensemble il y a une

disproportion et que l'harmonie peut être brisée si on en retire un élément. Tous les éléments ont

une fonction complémentaire dans l'ensemble et s'harmonisent avec les autres. Tout s'harmonise

parfaitement et la matière se fait oublier au profit du tout.

L'œuvre d'art pour être belle doit avoir une personnalité assez forte pour dire qu'elle est

unique. Elle sera donc unifiée, ordonnée, unique, irremplaçable, elle aura une personnalité propre.

Une toile ratée, laide sera une toile ou la matière est trop riche pour la forme que l'artiste

veut lui appliquer. On n'a pas le sentiment que chaque partie a sa fonction et que tout participe à

une unité d'ensemble. Il n'y a pas de raison que tel ou tel élément soit là ou absent. Elle laisse une

impression de désordre.

Le 21 mai 2003.

La matière de l'œuvre peut donner le résultat d'un plaisir mais elle n'aura pas en elle-même

sa beauté propre. Autre cas: la nature de la matière picturale est très faible… Il n'y a pas de forme.

Ce genre de toile a une autre fonction que celle de la beauté, mais a des finalités autres

(mystiques ou pseudo-mystiques). Que serait une belle œuvre musicale? Elle sera une œuvre où

tous les sons qui la composent sont intégrés parfaitement dans l'ensemble et dans laquelle on ne

peut pas retrancher de notes. Une œuvre laide sera une œuvre trop riche de notes mais sans être

développées complètement ou bien une œuvre qui ne possède qu'une seule note…

Entre ces cas extrêmes, il y a aussi des intermédiaires qui sont plus difficiles à discerner. La

beauté d'un œuvre d'art naîtra toujours d'une parfaite adéquation entre la matière et la forme. La

laideur naîtra d'une disproportion de la matière et de la forme (soit trop hétérogène, soit trop

homogène).

La forme singulière est la singularisation d'une forme plus générale qui peut être énoncée

sous différentes formes. Ce n'est pas parce que tel ou tel artiste n'obéit pas à certaines règles que

son œuvre sera laide, les seules lois sont en fait les transcendantaux. Il n'y a pas de canon

universel à respecter…

Esthétique vient du grec "aisthêsis" qui signifie connaissance sensible. Cette appellation

vient en fait de Kant. Il réduisait toute réflexion de l'art à la seule perception du spectateur de

façon subjective.. Or la beauté d'une œuvre d'art ne se réduit pas à la perception sensible que l'on

peut en avoir.

3 Chapitre 3 : Esthétique (appréhension de la science de l'art)

Contemplation de l'œuvre d'art.

3.1 L’appréhension subjective de l’œuvre d’art et de sa beauté

Notre appréhension subjective est de deux ordres. Sensible et intelligible. Après avoir vu ou

entendu l'œuvre d'art nous pouvons verbaliser et mettre des mots sur ce que nous avons perçu.

21

Nous appréhendons par les sens et ensuite nous verbalisons. Dans tous les cas dans ce

second ordre, nous usons de concepts généraux et nous émettons des jugements à propos de ce

que nous voyons.

Appréhension sensible: par la vue et l'ouie surtout qui sont les plus importants. La sensibilité

humaine est intelligente (cogitative). Quand l'homme voit il a conscience de voir ce qu'il voit,

contrairement aux animaux (estimative). Notre sensibilité est intelligente et donc réflexive. Nous

appréhendons l'œuvre d'art avec notre vue intelligente, notre ouie intelligente.

Nous sommes donc susceptibles d'être attiré et aimanté par une œuvre d'art. Il n'y a pas que

notre intelligence qui peut être rassasiée par cette œuvre mais aussi notre appétit. Ce désir, cet

appétit est d'ordre spirituel chez l'homme mais incarné dans la sensibilité. Le beau est un

transcendantal qui unifie le vrai et le bon. La beauté de l'œuvre d'art qui est sa propre

manifestation vient toucher et combler d'abord notre sensibilité intelligente et notre désir

sensible et comble notre vue et notre ouie en se donnant.

Mais nous sommes des humains et notre commerce avec l'art n'est jamais idéalement

seulement sensible. Nous pouvons chercher à comprendre ce que nous voyons et ce que nous

entendons et nous en parlons. Donc nous émettons des jugements à propos de ce que nous

voyons et notamment des jugements de valeur. C'est le stade de la connaissance intellectuelle de

l'œuvre d'art qui présuppose le premier. Nous devons conceptualiser pour les agencer dans des

jugements.

Nous cherchons donc à analyser ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu. Nous

cherchons à argumenter et à comprendre les raisons de notre plaisir ou de notre déplaisir. Mais

souvent c'est avec fort peu de rigueur que l'on parle de l'art. L'analyse scripturale et musicale

peuvent être rigoureuses.

Le drame c'est que la connaissance intellectuelle de l'œuvre d'art est abstraite, alors que

notre appréhension sensible est concrète. Si on écoute ou on voit, on a une appréhension directe

avec l'œuvre d'art et quand nous commençons à en parler nous prenons du recul et c'est ce qu'on

appelle l'abstraction. Il y a un fossé entre l'universel concret vu par les sens et notre connaissance

intellectuelle. En effet, notre connaissance intellectuelle ne sera jamais une connaissance

exhaustive car nous en parlons avec des concepts… dans le discours sur l'art il y a inévitablement

perte du contact avec le concret, toute connaissance intellectuelle est inévitablement réductrice

de la réalité.

Nous n'avons que des concepts que nous enchaînons les uns derrière les autres, et nous

n'avons pas accès à l'idée, que seul Dieu peut connaître. La réalité est une, alors que nos concepts

sont très nombreux et multiples. Même le nom propre est un concept et une étiquette… Il n'est

que le pysalée de l'idée divine.

Pourtant la connaissance dintellectuelle de l'œuvre d'art est ondispensable car nous sommes

des humains. La connaissance sensible est imparfaitement réfléchie et donc elle demeure confuse

et est enfoncée dans notre sensibilité. C'est quand nous conceptualisons que le moment de la

pleine réflexion est vraiment atteint et que donc nous pouvons vraiment connaître. C'est pourquoi

nous éprouvons le besoin impérieux de mettre des mots sur les choses. Notre conscience devient

alors parfaitement réfléchie.

Notre connaissance sensible a le privilège d'aborder le concret dans sa plénitude mais c'est

au désavantage de la réflexion. La connaissance intellectuelle a l'avantage d'être réfléchie mais

elle ne redonne pas la plénitude du réel. C'est pourquoi la connaissance humaine est une

oscillation entre ces deux connaissances. Nous voyons et nous écoutons et simultanément nous

parlons de ce que nous voyons et écoutons.

La beauté s'adresse à l'esprit humain par le biais de la sensibilité pour atteindre le désir et

l'intelligence. Notre commerce avec l'œuvre d'art ne peut pas se satisfaire de la sensibilité qui

pourtant atteint l'œuvre d'art immédiatement et concrètement. En même temps il n'en reste pas

22

seulement au sensible qui est une imperfection car non réfléchie complètement. L'appréhension

de l'œuvre d'art intellectuellement atteint une connaissance réfléchie. C'est pourquoi une

connaissance parfaite serait un mélange pur de connaissance sensible et de connaissance

intellectuelle. Cela nous ne le trouvons qu'en Dieu.

L'intellect hérite de la pleine réflexivité de la connaissance et la sensibilité hérite de la

pleine intuition de la connaissance.

Nous avons dans la distorsion de la connaissance humaine la raison profonde de l'aporie

dans le jugement de beauté

3.2 Le jugement de beauté

Un problème se pose inévitablement dans l'art: sa valeur intrinsèque de l'œuvre d'art.

Pourquoi un musée présente les œuvres de tel ou tel et pas d'un autre? Tout cela est plein de

jugement de valeur… Pourquoi l'état subventionne-t-il tel ou tel, pourquoi l'UNESCO classe tel ou

tel monument dans le patrimoine mondial et pas d'autres…

Pas de réponse définitive et nous en resterons sur une aporie. Certains vont dire que

l'histoire fera le tri… Mais nous attribuons à l'histoire une personnalité qui n'est en fait pas autre

chose que les hommes qui la font… Les personnifications de l'histoire ou de la justice avec des

lettres majuscules sont des réminiscences du platonisme qui sont de vagues supercheries…

Qui a jugé que Michel Ange a de la valeur? C'est l'histoire? Ou bien c'est quelqu'un?

Un exemple en musique. Une histoire de la musique en France. On peut y lire que des

compositeurs sont lourds, ennuyeux, germaniques… Mais dans une autre histoire de la musique

on trouvera que les même compositeurs sont les meilleurs du siècle….

Les jugements de valeurs sont continuellement présents et ce qui est le plus juste est

d'essayer de limiter l'arbitraire. Il y a divers types de jugement de valeur: le seul jugement de

valeur n'est pas le jugement de beauté. Souvent on juge au plaisir ou au déplaisir, mais ce n'est

qu'un jugement subjectif qui ne parle que de lui-même et qui n'intéresse pas les autres.

FIN