Politique(s) et bibliothèques

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Politique(s) et bibliothèques Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venir La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ? BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 2 3 bbf :

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Étude des rapports entre les bibliothèques et la (les) politique(s), en France et à l'étranger : projet de loi sur les bibliothèques ; évolution et développement des missions ; bibliothèques territoriales et concours particulier ; politique européenne des bibliothèques ; ce qui se passe en Colombie, au Royaume-Uni et au Burkina Faso ; histoire politique de l'archivage du web.

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Politique(s) et bibliothèques

Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venir

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?

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Dossier

Politique(s) et bibliothèques

1 – OuvertureUne loi sur les bibliothèques : ni pour ni contre (bien au contraire)Danielle Oppetit et Matthieu Rochelle

2 – Politiques françaisesTrop loin, trop proche : les politiques et la bibliothèqueBenoît Tuleu

Les bibliothèques publiques et le modèle politique françaisCristina Ion

À quoi sert une bibliothèque ?Stéphane Wahnich

L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulierThierry Ermakoff et François Rouyer-Gayette

Pour Cécil GuitartGérald Grunberg

La réforme du concours particulier : une évolution dynamique des textes réglementaires au profit des investissements des collectivités dans les bibliothèques territorialesChristophe Séné et Laure Collignon

3 – Relations étrangèresDéveloppement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie : une politique ambitieuse concertéeMarc Sagaert

Le « cas » des bibliothèques britanniques : du Library Act à la Big Society, portrait d’une politique de lecture publique tout sauf intrusiveOphélie Ramonatxo

La coopération française en matière de lecture publique au Burkina FasoGuillaume Juin

Les bibliothèques nationales et l’EuropeÉlisabeth Freyre

Une histoire politique de l’archivage du web : le consortium international pour la préservation de l’internetGildas Illien

À proposLe Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venirVéronique Falconnet, Jérôme Sirdey et Xavier Borda

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?Laurent Marty

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BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2009 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 6

BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2009 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 6

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: 2011/Numéro 2

Le Bulletin des bibliothèques de France paraît tous les deux mois et est publié par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des biblio­thèques (Enssib).

Directrice de la publicationAnne­Marie Bertrand

Rédaction17­21 bd du 11 novembre 1918 69623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 75 90fax 04 72 11 44 57

Rédacteur en chef Yves Desrichard tél. 04 72 44 43 00mél [email protected]

Rédactrice en chef adjointeCatherine Muller tél. 04 72 44 75 92mél [email protected]

Rédactrice (« Tour d’horizon »)Claire Roche­Moigne tél. 04 72 44 75 93 mél claire.roche­[email protected]

Rédactrice (« Critiques »)Catherine Jackson tél. 04 72 44 15 59 mél [email protected]

Mise en pages et publicitéCelestino Avelartél. 04 72 44 75 94mél [email protected]

Gestion des contributeursSilvia Ceccanitél. 04 72 44 43 73mél [email protected]

Mise en ligneAlexandre Bocquiertél. 04 72 44 43 76mél [email protected]

Traduction des résumésVictor Morante, Vera Neaud, Susan Pickford

Comité de rédactionThierry Ermakoff, Anne Kupiec, Christophe Pérales, François Rouyer­Gayette, Laurence Tarin, Sarah Toulouse, Benoît Tuleu

Les liaisons dangereuses (1988)Film de Stephen Frears avec Glenn Close, John Malkovich, Michelle Pfeiffer

Correspondants étrangersJean­Philippe Accart (Suisse)Trix Bakker (Pays­Bas) Peter Borchardt (Allemagne) Gernot U. Gabel (Allemagne) Alain Jacquesson (Suisse) Jack Kessler (États­Unis) Maurice B. Line (Grande­Bretagne) Anna Machova (République tchèque) Elmar Mittler (Allemagne) Maria Jose Moura (Portugal) Amadeu Pons (Espagne) Réjean Savard (Québec) James H. Spohrer (États­Unis) Catharina Stenberg (Suède) Eric Winter (Grande­Bretagne)

AbonnementsEnssibService abonnements17­21 boulevard du 11 novembre 191869623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 43 05

Tarifs 2011AbonnementsL’abonnement est annuel, par année civile.• France : 85 € Tarif dégressif dès le deuxième abonnement souscrit dans un même établissement : 68 €• 40 € pour les étudiants en filière bibliothèques et métiers du livre• Étranger : 95 €

Vente au numéro : 17 € (tarif étudiant : 10 €)par correspondance à l’Enssibou sur place à la rédaction.

FabricationCréation graphique Bialec sas, Nancy (France).

ImprimeurImprimerie Bialec54001 Nancy – FranceDépôt légal : no 75625 mars 2011

Commission paritaireno 0412 B 08114

Issn 0006­2006

Le Bulletin des bibliothèques de France est dépouillé dans les bases Pascal de l’Inist et Lisa (Library Information Science Abstracts).

Protocole de rédactionLe Bulletin des bibliothèques de France publie des articles portant sur les biblio thèques, le livre, la lec­ture, la documentation, et tout sujet s’y rapportant.

Présentation des textesLes manuscrits (saisis avec le logi­ciel Word ou enregistrés au format RTF) peuvent nous être adressés par courrier électronique. La frappe au kilomètre, sans enrichissement, est impérative.

Les graphiques et schémas doivent être accompagnés de leurs données chiffrées (par ex. courbes avec don­nées sur Excel) afin de pouvoir être réalisés dans la mise en pages.

Les illustrations et les photogra­phies peuvent être fournies enregis­trées en EPS binaire, JPEG qualité maximale ou TIFF, avec une résolu­tion de 300 dpi.

L’institution à laquelle est affilié l’auteur est précisée à la suite de son nom, ainsi que l’adresse élec­tronique de l’auteur.

Les articles peuvent être rédigés en français, en anglais, en allemand ou en espagnol. Ils seront accompa­gnés d’un résumé d’auteur (environ 100 mots) indiquant rapidement le contenu et les principales conclu­sions.

Présentation des notesLes notes infrapaginales, signalées dans le texte en appel de notes, doi­vent être placées en bas de page où se trouvent les appels respectifs et numérotées de façon continue.

Les références bibliographiques fi­gurent en fin d’article : les appels dans le texte sont mis entre cro­chets.

Sigles et abréviationsLes sigles et acronymes seront suivis du nom complet de l’organisation ou du système qu’ils représentent.

Les opinions émises dans les arti­cles n’engagent que leurs auteurs.

Le Bulletin des bibliothèques de France est consultable gratuitement sur internet à l’adresse suivante : http://bbf.enssib.fr

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É D I T O R I A L

:Les liaisons dangereuses

« La politique est la conduite des affaires publiques pour le profit des particuliers ». Diable *. Si tous les bibliothécaires étaient comme vous, cher Ambrose Gwinnett Bierce, où en seraient les relations entre politique, politiques, et bibliothèques ? Quoique. Et pourtant.

Qu’est-ce, pour un bibliothécaire, que la politique ? Esquissons. La « politique documentaire », qui explicite ce pour quoi on dépense par tombereaux l’argent public à constituer des collections ; la « politique en direction des publics », qui conditionne jusqu’au traumatisme la relation entre professionnels et fréquentants. Dans ce cas, qui sont les particuliers ? On n’ose répondre : les bibliothécaires. Mais bon.

Qu’est-ce, pour un politique, qu’une bibliothèque ? Un instrument, un réflexe, une obligation, une corvée, une contrainte, une vitrine, un boulet, un mystère, un nid, une incompréhension, une perspective, un désespoir (un espoir), une complication, un service, un projet, un budget, une équipe, des trouble-fêtes, des zélateurs, des électeurs, une influence (une mauvaise influence), des livres, des frais de chauffage, de la sécurité incendie, des collections électroniques – et à quoi ça sert, au fait, une bibliothèque ? Qui, encore, a besoin de bibliothèques ?

Le fossé est large, ou il est comblé. L’abyme se creuse, ou le pont se construit. Mais les attentes sont là, et elles sont de part et d’autre. Entre ignorances et répulsions, intelligences et envies. Ce n’est pas de l’amour, mais ça y ressemble. Diable.

Première provocation : pour un bibliothécaire de lecture publique, l’élu à la culture est le jouet de l’exécutif, qui est lui-même le jouet de son parti, qui est lui-même le jouet de son chef de parti, qui est lui-même le jouet du gouvernement (s’il est au pouvoir) ou des candidats au gouvernement (s’il n’est pas au pouvoir). Et tout ce beau monde est le jouet des médias, des banquiers, qui sont eux-mêmes les marionnettes du pouvoir.

Deuxième provocation : pour un bibliothécaire d’université, le président est le jouet de son conseil d’administration, dont les représentants sont les jouets de ceux et celles qu’ils représentent, qui sont les jouets de réseaux d’influence, d’intérêts contradictoires, etc. Et tout ce beau monde est le jouet des médias, des banquiers, qui sont eux-mêmes les marionnettes de (compléter suivant les pointillés).

Champ de ruines. Libération. La vérité est ailleurs, dans la mutuelle compréhension des uns et des autres, dans l’échange et l’intérêt bien compris du service public – pardon pour le gros mot. Se connaître, primordial. Se comprendre, essentiel. Le reste viendra tout seul. Utopie ? Bien sûr, mais l’utopie est une valeur politique qui ferait du bien, non ?

Le lecteur habituel est habitué : après un prologue à deux voix consacré à la Loi, prolégomènes et serpent de mer considérée comme un des beaux-arts, ce dossier du Bulletin des bibliothèques de France s’autorise un balancement qu’on espère fécond entre les affaires françaises et les affaires étrangères, qui offre déstabilisations et confortations, actions et réflexions et, donc, politique(s) et bibliothèques.

Yves Desrichard* En fait Le dictionnaire du diable, publié en 1906.

2 bbf : 2011 Paris, t. 56, no 2

sommaire : 2011/Numéro 2

01 Dossier

Politique(s) et bibliothèques

1 – OuvertureUne loi sur les bibliothèques : ni pour ni contre (bien au contraire) 6Danielle Oppetit et Matthieu Rochelle

2 – Politiques françaisesTrop loin, trop proche : les politiques et la bibliothèque 14Benoît Tuleu

Les bibliothèques publiques et le modèle politique français 18Cristina Ion

À quoi sert une bibliothèque ? 23Stéphane Wahnich

L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulier 27Thierry Ermakoff et François Rouyer-Gayette

Pour Cécil Guitart 31Gérald Grunberg

La réforme du concours particulier : une évolution dynamique des textes réglementaires au profit des investissements des collectivités dans les bibliothèques territoriales 33Christophe Séné et Laure Collignon

3 – Relations étrangèresDéveloppement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie : une politique ambitieuse concertée 38Marc Sagaert

Le « cas » des bibliothèques britanniques : du Library Act à la Big Society, portrait d’une politique de lecture publique tout sauf intrusive 46Ophélie Ramonatxo

La coopération française en matière de lecture publique au Burkina Faso 51Guillaume Juin

Les bibliothèques nationales et l’Europe 56Élisabeth Freyre

Une histoire politique de l’archivage du web : le consortium international pour la préservation de l’internet 60Gildas Illien

02 À proposLe Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venir 71Véronique Falconnet, Jérôme Sirdey et Xavier Borda

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ? 77Laurent Marty

bbf : 2011 3 Paris, t. 56, no 2

03 Tour d’horizonLe libre accès consolidé en 2010 – Nice, Metz, Paris et ailleurs 85Joachim Schöpfel et Hélène Prost

Les politiques de site : 40e Congrès de l’ADBU 88Yves Desrichard

Bibliothécaires et jeunes publics face au numérique 89Nicolas Beudon

Signalement, numérisation et valorisation : 13es Journées des pôles associés et de la coopération 91Jean-Jacques Vandewalle

Les 2es Assises de la lecture publique en Martinique ou « lire le monde comme un grand livre » 93Marie-Françoise Bernabé et Jean-Philippe Accart

Deuxième colloque bilatéral franco-tunisien des sciences de l’information et de la communication 95Natacha Romma

04 CritiquesPierre Bourdieu et Roger Chartier Le sociologue et l’historien

Les historiens français à l’œuvre. 1995-2010 Sous la direction de Jean-François Sirinelli, Pascal Cauchy et Claude Gauvard 98Anne-Marie Bertrand

André Cabanis et Michel Louis Martin L’universitaire dans tous ses états 99Jean-Paul Metzger

Thierry Grillet La tour des temps 100Christelle Di Pietro

Gérard Mauger, Claude Poliak et Bernard Pudal Histoires de lecteurs 100Christophe Evans

Chris Oliver Introducing RDA : A Guide to the Basics 102Thierry Clavel

Frédéric Poulard Conservateurs de musées et politiques culturelles. L’impulsion territoriale 103Odette Balandraud

George Steiner Lectures : Chroniques du New Yorker 104Sylvie Ducas

Lire, voir, entendre : la réception des objets médiatiques Sous la direction de Pascale Goetschel, François Jost et Myriam Tsikounas 105Joëlle Garcia

Résumés des articles 107

Annonceurs Éditions en Lecture publique du ministère de la Culture en Communauté française de Belgique (p. 45) Électre (p. 4 et 3e de couverture) Livres Hebdo (p. 83) Presses de l’enssib (p. 69)

4 bbf : 2011 Paris, t. 56, no 2

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Politique(s) et bibliothèques

1 – Ouverture

Une loi sur les bibliothèques :

Dans le contexte de la décentra-lisation, Jean Gattegno rappe-lait à une assemblée de biblio-

thécaires, lors d’un discours en 1987, après un début un peu provocateur 1 :

« Je tiens […] à faire part de quelques réflexions : la première d’entre elles, c’est que les communes comme les départe-ments sont libres d’administrer comme ils l’entendent leurs bibliothèques et qu’il ne faut pas attendre une quelconque remise en cause de ce principe intangible. Pour autant vous n’êtes pas démunis. Face à ce qu’il faut bien parfois considérer comme de la censure, le Ministre, et moi-même à mon niveau ne manquerons jamais de rappeler que les bibliothécaires ont voca-tion et compétence à constituer les collec-tions des bibliothèques. À vous de savoir justifier vos choix si besoin est, d’abord par votre professionnalisme, qu’il ne faut jamais manquer de faire valoir, ensuite par la reconnaissance que vous aurez pu obtenir dans votre collectivité 2. »

Après plus de vingt ans, les biblio-thèques universitaires connaissent dé-sormais une situation quasi identique à celle des bibliothèques publiques :

« Dans les bibliothèques, secteur où depuis une cinquantaine d’années l’État a, comme dans bien des domaines, oc-cupé une place déterminante, l’évolution vers un fort transfert de responsabilités

1. Jean Gattegno avait alors déclaré : « Effectivement, la Direction du livre et de la lecture a délibérément cessé de considérer les bibliothèques et les bibliothécaires comme étant en situation d’assistance perpétuelle. »

2. Bulletin d’information de l’ABF, no 136, 3e trimestre 1987.

vers les établissements publics constitue un véritable changement de modèle 3. »

Ces mutations successives, dans une profession très attachée à l’unité d’un métier, ont suscité, au gré des turbulences politiques diverses, le désir d’un cadre législatif à la fois co-hérent et lisible, mais aussi protecteur.

Des enjeux à relever

À propos du combat mené par l’Association des bibliothécaires fran-çais (ABF)4 en faveur d’une loi sur les bibliothèques, on citera utilement l’extrait d’un texte de référence de l’association sur les bibliothèques pu-bliques daté du 29 janvier 1990 qui, en conclusion – après avoir énoncé les principes, missions et moyens (docu-mentaires, matériels et humains) de ces bibliothèques publiques –, trace à grands traits ce que doit être l’engage-ment de l’État :

« L’égalité d’accès des citoyens au réseau national de la lecture et de la do-cumentation appelle de la part de l’État des actions de soutien et de rééquilibrage.

3. Daniel Renoult, La filière bibliothèque de la fonction publique d’État, situation et perspectives : rapport à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Paris, Inspection générale des bibliothèques, 2008, p. 59. Les rapports de l’IGB sont consultables en ligne sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche : www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid20150/inspection-generale-des-bibliotheques-i.g.b.html

4. Dénomination de l’époque.

Danielle [email protected]

Matthieu RochelleBibliothèque départementale des Bouches-du-Rhô[email protected]

Archiviste-paléographe, Danielle Oppetit a entre autres travaillé dans les bibliothèques municipales classées de Colmar et de Mulhouse comme conservatrice adjointe, et a dirigé les bibliothèques municipales de Marseille et d’Aix-en-Provence, avant de rejoindre l’Inspection générale des bibliothèques de 1998 à 2008. Elle a contribué au volume Provence-Alpes-Côte d’Azur dans la collection « Patrimoine des bibliothèques de France » (Payot, 1995).

Professeur à l’université de Montpellier et conservateur des bibliothèques, Matthieu Rochelle dirige la bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône depuis 2007 et est chargé de mission pour le livre et l’édition. Il a depuis 2008 un rôle d’expert au sein du pôle « Bibliothèques et patrimoines » de l’Inset (Institut national spécialisé d’études territoriales) de Nancy, et est secrétaire adjoint de l’Association des bibliothécaires de France. Spécialiste du Moyen Âge littéraire, il est l’auteur d’articles et d’ouvrages sur les récits de voyage en latin.

6 bbf : 2011 t. 56, no 2

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Ni POUR Ni CONTRE (BiEN AU CONTRAiRE)

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Une loi sur les bibliothèques :

Le réseau des bibliothèques publiques remplit des missions d’intérêt national : enrichissement, conservation et mise en valeur du patrimoine, soutien de la pro-duction éditoriale, diffusion de la créa-tion, formation, information, insertion sociale… À ce double titre, l’État doit s’engager : participer aux charges qu’en-traînent pour les collectivités territoriales des missions qui dépassent leur zone de compétences ; évaluer par des outils statis-tiques et analytiques l’activité des biblio-thèques ; apporter conseil et assistance technique aux collectivités et aux établis-sements ; définir et gérer, en concertation avec les partenaires concernés, le réseau bibliographique national ; impulser et soutenir les actions de coopération, d’in-novation technique, de formation et de recherche. Cette politique doit être stimu-lée et coordonnée par le Conseil supérieur des bibliothèques, et trouvera sa légitimité dans l’adoption d’une loi sur les biblio-thèques 5. L’État est garant de l’égalité des citoyens devant l’accès au service public de la lecture et de la documentation 6. »

La détermination des adhérents de l’association se fonde de manière conjoncturelle sur une nécessité émer-geante de créer des réseaux d’informa-tion et de coopération documentaire dans le contexte atomisé – et parfois effrayant – de la décentralisation, déjà bien engagée : souci d’harmonisation, d’amélioration de l’offre de services, d’organisation de la carte documen-taire et de tout ce qui régit le monde des bibliothèques comme les textes, les réformes statutaires, le catalogue collectif national… Une attente forte qui, malgré les diverses batailles conduites, ne trouvera finalement pour meilleure concrétisation au sein de la profession que la Charte des bibliothèques adoptée le 7 novembre 1991 par le Conseil supérieur des bi-bliothèques, alors présidé par André Miquel.

5. C’est nous qui soulignons.

6. « Réseaux à l’étude », Bulletin d’informations de l’ABF, no 147, 1990, p. 56-61.

La recherche d’une loi : occasion manquée ou chance pour l’avenir ?

Cette volonté de se doter d’une loi, comme celle des archives par exemple 7 – volonté déjà évoquée dans le rapport Vandevoorde de 1981 8, mais occultée au moment de la décentra-lisation menée par Gaston Defferre – exprimée au sein d’une bonne partie de la profession, ressurgit quelques années plus tard, notamment au mo-ment de l’arrivée à des fonctions élec-tives, lors des élections municipales de 1995, de candidats issus de partis d’ex-trême droite, au sud-est de la France, candidats dont les pratiques de cen-sure, contraires au principe même du pluralisme, sont violemment dénon-cées.

En effet, après ces élections muni-cipales, les nouveaux responsables administratifs du Front national entre-prennent d’imposer, dans les biblio-thèques des quelques villes qu’ils administrent désormais, des suppres-sions d’abonnements de périodiques ainsi que le retrait d’ouvrages considé-rés comme tendancieux ou néfastes, au profit d’achats conformes à une ligne de pensée favorable à la nouvelle orientation politique. La vigueur et la brutalité de ces actions suscitent alors l’inquiétude légitime de nombreux

7. Un avant-projet de loi sur les bibliothèques avait été élaboré essentiellement par la Direction du livre en 1979 à la demande du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing. Mais les dispositions financières qui sous-tendent l’avant-projet et qui impliquent un fort engagement de l’État font débat et le projet d’une loi est vite abandonné. Pourtant aucun projet, aujourd’hui encore, n’a mieux répondu aux vœux de la profession.

8. Ce rapport s’inscrit dans le prolongement de l’avant-projet de loi de la Direction du livre. Comme l’indique Guillaume de La Taille dans son article intitulé « Le rapport Vandevoorde, un rapport pour rien ? », BBF, 2009, no 3 : « Ses propositions ne sont pas éloignées de celles du projet de loi initial, mais elles sont exprimées de façon différente. » Les auteurs du rapport conviennent que la loi doit permettre de rattraper le retard. « Aussi veulent-ils, [malgré la décentralisation], que l’État reprenne son rôle de chef de file et que les communes soient incitées à construire des bibliothèques. […] Dans ce cadre, la Direction du livre entend jouer un rôle souple de conseiller des communes. »

bibliothécaires de lecture publique qui se sentent totalement désarmés face à des décisions arbitraires et contraires à leurs pratiques. La profession s’inter-roge alors beaucoup sur les notions d’encyclopédisme et de pluralisme ainsi que sur la place de publications à caractère politique dans les collec-tions.

Il faut rappeler qu’alerté par les personnels territoriaux, le ministère de la Culture diligente plusieurs mis-sions de l’Inspection générale des bibliothèques, tour à tour à Orange (1996) et à Marignane (1997). Les deux ministres successifs, Philippe Douste-Blazy et Catherine Trautmann, donnent une grande publicité aux missions confiées à l’Inspection géné-rale dans ces deux villes en mettant très rapidement en ligne les rapports sur le site du ministère. Ces rapports ont permis, dans un premier temps, de tester le contrôle technique 9 en matière de pluralisme et de qualité des collections, puis de mettre au point des méthodes pour une analyse plus fine des politiques d’acquisition.

C’est sur fond de débats dans la presse nationale que Philippe Douste-Blazy lance officiellement, dès 1996, une réflexion en vue de l’élaboration d’une loi sur les bibliothèques, prise de position que confirme Catherine Trautmann après son entrée en fonc-tion en juin 1997. Sous la pression d’une actualité brûlante liée directe-ment aux problèmes rencontrés dans les quelques villes du sud de la France déjà citées, la question d’une loi sur les bibliothèques est largement débat-tue dans la profession et fait l’objet de travaux préparatoires au niveau minis-tériel. Le débat sur les collections sus-cite un vif écho dans le pays et remet à l’ordre du jour la « fragilité » du cadre juridique dans lequel s’inscrivent les bibliothèques publiques. La demande d’une loi sur les bibliothèques, thème récurrent, retrouve une nouvelle légi-timité.

Cependant, la question du plura-lisme des collections, bien que cru-

9. Le décret sur le contrôle technique par lequel l’État réaffirme et étend son droit de contrôle, notamment sur les fonds patrimoniaux des bibliothèques municipales, est paru le 8 novembre 1988.

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ciale et douloureuse à vivre pour les professionnels sommés d’obéir à des injonctions partisanes, n’est pas le seul domaine dans lequel le dispositif juridique ou réglementaire soit jugé insuffisant ou inadapté. Très rapide-ment, d’autres points sont soulevés. Dans le rapport de l’Inspection géné-rale des bibliothèques de 1996, on constate que deux cas de conflits entre collectivités territoriales et conserva-teurs mis à disposition de ces collec-tivités (Nîmes et Troyes) ont été trai-tés à la demande de l’administration. Le rapport souligne, par la plume de Denis Pallier, l’inadaptation du dispositif de mise à disposition, qui est source de conflits récurrents, car aucun texte ne définit avec précision les fonctions d’un directeur de biblio-thèque municipale, à la différence de celles des directeurs des bibliothèques universitaires, « […] dont les compé-tences en matière de budget, de person-nel, de relations documentaires avec les partenaires extérieurs, d’élaboration de dossiers documentaires, sont précisées par décret 10. Cette absence de définition constitue un handicap, car la biblio-thèque municipale type est un service communal, en régie directe, sans person-nalité morale ni conseil d’administration, parfois composante d’un ensemble plus vaste. Le directeur d’une bibliothèque municipale classée, qui n’est pas nommé par arrêté municipal, a des délégations de signature variables suivant les lieux […]. La hiérarchie dont il dépend peut être simple ou complexe, partagée entre élus et responsables de services municipaux ».

Il convient donc de clarifier la situation des personnels mis à dispo-sition, de définir la durée de leurs acti-vités et les modalités de l’évaluation et du contrôle de celles-ci. La procédure de gestion de ces personnels en serait simplifiée, ainsi que la résolution des conflits éventuels.

Par ailleurs, concernant le patri-moine écrit, le contrôle de l’État est jugé toujours aussi faible en moyens et les textes mériteraient d’être cla-rifiés et harmonisés. Sur le sujet très

10. Décret no 85-694 du 4 juillet 1985 modifié, sur les services de la documentation des établissements d’enseignement supérieur, notamment l’article 10.

sensible de la qualification profession-nelle, la nomination d’attachés sur des postes vacants dans les bibliothèques départementales suscite un certain tollé. On constate une diminution de la proportion des emplois qualifiés dans les bibliothèques territoriales, et les formations post-recrutement des personnels y sont très complexes. Enfin, le droit de prêt s’invite dans le débat.

La Direction du livre et de la lec-ture réunit, dès 1996, un groupe de travail qui doit permettre de définir le cadre d’une loi et de ses modalités ainsi que de recueillir de nombreux avis. Les réunions sont suivies très at-tentivement par l’Inspection générale. Le professeur Henri Comte, consulté, rend un rapport intitulé Étude sur le projet de loi relatif aux bibliothèques publiques, sur lequel le ministère de-mande l’avis de l’Inspection.

La Direction du livre et de la lec-ture présente, devant plus de trois cents professionnels, les pistes de travail envisagées lors du Salon du livre de Paris, le 23 mars 1998. Elles sont déclinées en six éléments de ré-flexion :

1. La définition des missions et des objectifs des bibliothèques qui comprennent la notion de travail en réseau afin de favoriser les associations intercommunales ; mais aussi l’affir-mation des principes sur lesquels elles fondent leur action de service public, c’est-à-dire la volonté générale et ency-clopédique des bibliothèques, la neu-tralité, l’objectivité, la tolérance, les va-leurs de la démocratie, sans pressions ni politiques ni commerciales ; et enfin la coopération, c’est-à-dire le partage des acquisitions, le signalement et la communication des documents à dis-tance, la conservation des documents patrimoniaux, la formation des person-nels, le développement de la lecture.

2. La détermination de critères qualitatifs et quantitatifs et le déve-loppement de la professionnalisation, particulièrement aux postes de direc-tion.

3. La généralisation du contrôle scientifique et technique de l’État à toutes les bibliothèques et le renforce-ment du rôle de l’Inspection générale des bibliothèques.

4. L’amélioration des aides de l’État aux bibliothèques territoriales, insuffisantes pour le fonctionnement et l’équipement des bibliothèques (augmentation de la subvention de fonctionnement sur des critères qua-litatifs dont la part du personnel qua-lifié et le montant des crédits d’acqui-sition ; ouverture des subventions d’équipement aux nouvelles techno-logies de l’information ; création d’un concours particulier départemental pour le fonctionnement des biblio-thèques départementales de prêt).

5. La création d’un statut pour les bibliothèques ayant un rôle particu-lier dans la coopération (BMVR – bi-bliothèques municipales à vocation régionale) et le développement (biblio-thèques patrimoniales conservant des fonds patrimoniaux importants, BMC – bibliothèques municipales classées) puis la mise à disposition par l’État de personnels scientifiques.

6. La clarification du dispositif relatif à la protection du patrimoine écrit : seuls les documents anciens, rares et précieux appartiendraient au domaine public ; les ouvrages anciens, propriété de l’État, pourraient être dévolus aux collectivités gestionnaires avec une aide de ce dernier 11.

On voit que les questions abor-dées, si elles répondent aux préoc-cupations exprimées par les profes-sionnels, sont de nature et de niveau très différents. Très vite, dès le débat qui suit la présentation par la Direc-tion du livre et de la lecture des pro-positions élaborées par le groupe de travail, on perçoit la complexité de la mise en œuvre d’un texte juridique cohérent. Jean-Marie Borzeix, chargé de mission par Catherine Trautmann, doit remettre un rapport sur le droit de prêt au mois de juin 1998. L’ABF, qui soutient le projet d’une loi sur les bibliothèques, précise qu’elle défendra toujours la gratuité 12.

11. D’après Claude Combet, « La loi : les hypothèses de la Direction du livre et de la lecture », Livres Hebdo, no 286, 27 mars 1998.

12. Compte rendu par Isabelle Masse de la table ronde organisée dans le cadre du Salon du livre, le 23 mars 1998, et intitulée « Quelle loi pour les bibliothèques ? », BBF, 1998, no 4, p. 123-125. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1998-04-0123-008

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Une loi sur les bibliothèques :

Pour ou contre, telle n’est pas la question

Étonnamment, dans les réseaux professionnels, beaucoup se sont fait un avis sur l’opportunité ou non d’une loi, et l’évoquent souvent d’un air par-faitement entendu. Cependant, on peut chercher à poser véritablement la synthèse des arguments évoqués par les défenseurs et les adversaires d’un tel projet.

De l’opportunité d’une loi

À travers différentes interventions favorables à une loi, les principaux arguments qui se dégagent sont les suivants :

• la loi représente une protection contre des élus jugés trop interven-tionnistes (les turbulences rencontrées notamment dans les bibliothèques d’Orange et de Marignane en sont les conséquences) ;

• les différences considérables de niveau entre les collectivités néces-sitent l’accompagnement d’un État ré-gulateur, dont les soutiens financiers pallieraient les insuffisances des plus démunis ;

• la qualification des personnels, pour être assurée, devrait être inscrite dans la loi 13.

L’importance de cette loi est réaf-firmée par la présidente de l’ABF, Claudine Belayche 14, dans une tri-bune de Livres Hebdo, le 23 janvier 1998, dont le cœur de l’argumentaire porte sur la nécessité de définir claire-ment les missions et objectifs légaux assignés aux bibliothèques, de déter-miner les principes de gestion, de fon-der l’intervention des collectivités sur le développement de la lecture et de la documentation afin de permettre l’ac-cès de la culture à tous, de garantir un contrôle technique rigoureux de l’État dans le cadre même des agissements

13. On notera que la qualification n’est alors pas distinguée de la compétence.

14. Lors de son congrès annuel de 1996, l’ABF avait déjà adopté une motion demandant instamment une loi sur les bibliothèques. Par ailleurs, en 1992, l’association publiait un projet de loi dans son Bulletin d’informations de l’ABF, no 154, 1992, p. 61-75.

de censure évoqués ci-dessus, d’ancrer le développement de la lecture et de la documentation dans l’aménagement culturel du territoire et de favoriser la constitution de réseaux documentaires entre les bibliothèques de collectivités publiques.

Le lien entre principe de plura-lisme et réseau documentaire est ainsi clairement montré :

« Le pluralisme et l’encyclopédisme ne seront une réalité dans les bibliothèques que le jour où le réseau des bibliothèques sera une réalité réfléchie, organisée, in-cluant toutes les collectivités soucieuses de la diffusion de l’information, État, universités, collectivités territoriales, dans l’intérêt de l’usager et du citoyen 15. »

Du point de vue du contrôle de l’État, point de vue magistralement exposé par Jean-Luc Gautier-Gentès 16, une loi aurait permis de se poser quelques questions et de résoudre quelques problèmes plus ou moins significatifs. En effet, si des textes ont déjà prévu le contrôle des différents types de bibliothèques qu’elles soient municipales, universitaires, ou pari-siennes 17, etc., il n’en demeure pas moins qu’il subsiste trois difficultés.

Tout d’abord, la façon dont cha-cune d’entre elles est contrôlée varie, d’après la loi du 20 juillet 1931 : il s’agit soit d’un contrôle permanent, soit d’un contrôle occasionnel. La nature de ce contrôle est manifestement en contradiction avec la loi du 22 juillet 1983 qui rend le contrôle de toutes les villes et de tous les départements permanent. Or, seule une loi peut per-mettre de réviser une autre loi…

Ensuite, dans le cadre d’une délé-gation du service public de la lec-ture par les collectivités territoriales à des associations subventionnées par convention ou à des entreprises, il conviendrait que ces prestataires soient soumis au contrôle spécialisé de l’État, ce qui – même si ces situa-

15. Livres Hebdo, no 277, 23 janvier 1998.

16. Jean-Luc Gautier-Gentès, « Loi sur les bibliothèques et contrôle de l’État », BBF, 1998, no 4, p. 8-12. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1998-04-0008-001

17. Par un simple usage, les bibliothèques de la ville de Paris n’entrent pas dans le champ des contrôles pratiqués par l’Inspection générale des bibliothèques.

tions restent encore marginales – n’est encore pas le cas aujourd’hui 18. Une loi serait un cadre approprié pour fon-der en droit la politique de l’État dans ce domaine.

Enfin, le contrôle des biblio-thèques autres que celles citées plus haut ne peut s’effectuer qu’à la de-mande ou avec l’accord des minis-tères concernés, ce qui s’avère parfois un frein pour celles-là mêmes qui peuvent en avoir besoin. Une loi four-nirait un cadre adapté à la résolution de ces difficultés.

Une loi permettrait aussi de pla-cer quelques éléments du contrôle technique de l’État tels que définis dans le décret du 9 novembre 1988 comme une obligation claire faite aux bibliothèques, ce qui n’est évidem-ment pas le cas pour l’heure. En effet, il n’est probablement ni possible ni souhaitable d’imposer aux collectivi-tés territoriales le respect absolu de toutes les prescriptions qu’impose ce décret sur le contrôle technique. De fait, la nature qualitative de certaines prescriptions en rendrait la mise en œuvre difficilement applicable et éva-luable, notamment si elles étaient per-çues comme trop contraignantes et donc contraires au principe de liberté des collectivités. Comme le souligne Jean-Luc Gautier-Gentès : « […] il est néanmoins souhaitable, sinon possible, d’imposer aux collectivités territoriales certaines de ces prescriptions [telles que] le “caractère pluraliste” des collections, qui gagnerait d’ailleurs à être replacé dans le cadre général du concept dont il n’est qu’une des expressions, le concept de neutralité 19. »

De même, une loi permettrait, de façon habile et détournée, de clarifier

18. Un contrôle spécialisé de l’État, via le contrôle de légalité en préfecture, est obligatoire selon le montant de la délégation de service public envisagé, conformément aux dispositions de la loi (dite loi Sapin) no 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence. Il ne s’applique pas au regard de conditions de qualité à respecter en rapport avec la lecture publique. Cependant, on constate que la majorité des délégations est effectuée en dehors de tout contrôle eu égard aux montants et à la taille des communes qui les pratiquent.

19. Jean-Luc Gautier-Gentès, « Loi sur les bibliothèques et contrôle de l’État », op. cit.

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et d’expliciter certaines obligations des tutelles des bibliothèques contrôlables ainsi que les sanctions qu’elles en-courent. Par ailleurs, elle permettrait de réaffirmer le rôle de l’Inspection générale des bibliothèques au sein de l’administration d’État et de clari-fier ses missions par rapport à celui des directions régionales des affaires culturelles qui, de fait, participent dans la plupart des cas, par leur proxi-mité du terrain, à une certaine forme de contrôle, tout au moins dans leur préparation et dans leur suivi 20.

Comme l’indique Daniel Renoult, dans son article intitulé « Les rapports de l’Inspection générale des biblio-thèques 21 » : « Ces dernières années, l’évolution de la notion d’évaluation et de contrôle dans le secteur public, la mise en œuvre de la Lolf (loi organique relative aux lois de finances) ont entraîné une évolution du rôle effectif et des missions des inspections générales. […]. Compte tenu de toutes ces évolutions, il était utile que les missions de l’Inspection générale des bibliothèques soient reprécisées, ce qui a été fait en 2007 et 2008 à l’occasion de la publication de la lettre de mission de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche 22. »

Réticences à la promulgation d’une loi

Bien souvent, la loi était vue sous l’angle du contrôle des bibliothèques par l’État.

S’agissant de ce dernier, s’il est vrai qu’une loi apporterait des amé-liorations, il faut constater que, dans la plupart des cas, d’autres types de textes réglementaires le permettraient tout autant ; ce qui évidemment ren-drait l’usage d’une loi, qui ne doit énoncer que des principes et non des modalités d’application et d’évalua-

20. Le 19 octobre 1988, le ministre de la Culture adresse aux préfets des régions et des départements une circulaire sur le thème « Patrimoine des bibliothèques et lecture publique. Compétences et missions de l’État ».

21. BBF, 2009, no 3, p. 13. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-03-0012-002

22. Cette lettre de mission a été publiée dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale, no 38, du 9 octobre 2008.

tion, disproportionné. On notera ainsi que les bibliothèques dotées du statut d’établissement public (Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque pu-blique d’information, Bibliothèque na-tionale et universitaire de Strasbourg) ne sont pas soumises au contrôle per-manent de l’Inspection générale des bibliothèques, ce qui devrait cepen-dant rester possible par le recours à d’autres outils qu’une loi, comme l’in-troduction, dans les décrets régissant ces bibliothèques, d’un article préci-sant le fait qu’elles sont soumises au contrôle permanent de l’État. L’intérêt d’une telle démarche serait donc de ne pas placer le contrôle du seul ressort de leurs ministères de tutelle respec-tifs. Jean-Luc Gautier-Gentès s’inter-roge lui-même sur l’opportunité d’une loi à propos du contrôle et conclut : « Si l’amélioration du contrôle exercé par l’État sur les bibliothèques n’appelle pas une loi dans tous les cas, elle la requiert dans certains cas 23. »

Néanmoins, il établit très claire-ment que, sur plusieurs points, des dispositions d’ordre réglementaire suffiraient à régler les points liti-gieux. Enfin, il rappelle les limites du contrôle – celles que s’impose l’État lui-même quand il ne se donne pas les moyens de l’exercer – et exprime ses doutes sur l’efficacité d’une loi sur les bibliothèques pour combattre des pratiques de gestion douteuses : qu’en serait-il, en effet, des sanctions ?

Ainsi, on peut douter qu’une loi puisse limiter les dérives affectant le pluralisme des collections. Seule l’ins-cription de la bibliothèque dans un réseau semble un rempart contre des débordements locaux.

Durant ce débat, et par la suite, de nombreuses voix s’élèvent face à l’opportunité d’une loi. Une loi sur les bibliothèques pourrait-elle se résoudre à une loi sur le pluralisme ? Une loi de plus, pour quoi faire ? Une loi, est-ce bien d’actualité ? Une loi, n’est-ce pas contraire au principe de libre adminis-tration des collectivités territoriales et des universités ?

Un des opposants à cette loi, Cécil Guitart, alors directeur du Pôle euro-

23. Jean-Luc Gautier-Gentès, « Loi sur les bibliothèques et contrôle de l’État », op. cit.

péen universitaire et scientifique de Grenoble, refuse « une loi qui fige tout et pour longtemps », et affirme que « l’absence de loi ne nous a pas empêchés d’avoir le plus beau réseau de biblio-thèques du monde […] 24. » En effet, une loi figerait le paysage des biblio-thèques alors même que la décentra-lisation est à peine achevée et que les conséquences des nouveaux statuts sur l’évolution des métiers n’ont pu être évaluées.

Les bibliothécaires, en tant que fonctionnaires, bénéficient déjà d’une protection juridique et fonctionnelle. Par ailleurs, une loi qui « garantirait » le pluralisme ferait le jeu du Front national, dont il faut rappeler qu’il sait parfaitement utiliser les armes juridiques, alors que l’arsenal de lois en France est déjà assez étendu en matière de répression du racisme, de l’antisémitisme, de protection de la jeunesse… Ses contradicteurs re-lancent alors le débat en exposant les arguments de l’essor des nouvelles technologies, du développement de l’intercommunalité, de la défense du service public, de la formation des per-sonnels, du statut des BMVR et des bi-bliothèques patrimoniales, de l’insuf-fisance des aides financières de l’État en matière de fonctionnement, des problèmes liés au droit de prêt, des questions de pluralisme, de gratuité… Tous ces points méritent bel et bien selon eux un cadre. Des profession-nels s’élèvent également contre l’idée de collections trop consensuelles, où le débat d’idée ne trouverait plus sa place si l’on en exclut les textes qui s’écartent de la pensée dominante.

Un chantier en perpétuel renouvellement

Après le départ de Catherine Traut-mann du ministère de la Culture, en mars 2000, le groupe de travail sur la loi est mis en sommeil. D’autres ur-gences sont à régler, comme l’accord avec les éditeurs sur le droit de prêt.

24. Propos tenus par Cécil Guitart lors de la table ronde organisée dans le cadre du Salon du livre le 23 mars 1998, Livres Hebdo, no 286, 27 mars 1998.

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Une loi sur les bibliothèques :

Tout ce travail préparatoire a montré la difficulté d’élaborer une loi dans le contexte politique et administratif in-duit par la décentralisation.

Par ailleurs, d’autres points ne sont plus vraiment d’actualité : depuis 1998, l’Inspection générale a effectué plusieurs missions à la Bibliothèque nationale de France, ainsi qu’à la Bi-bliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, à l’Enssib, etc., à la demande des différentes tutelles, et son domaine d’intervention tend à se diversifier. Quant à la mise à dispo-sition de personnels d’État dans les bibliothèques municipales classées 25, la refondation du dispositif s’appuie désormais sur des objectifs négociés et formalisés par des conventions pas-sées entre l’État et les collectivités 26. Enfin, la possibilité réglementaire de nommer des personnels adminis-tratifs ou enseignants sur des postes de direction (bibliothèques départe-mentales ou universitaires) a permis de régler certaines difficultés, parfois en cas de carence de candidats, et a pu faire entrer dans les bibliothèques des personnalités riches d’expériences diverses dont les aptitudes à l’enca-drement ne sont pas contestées. Cette ouverture préfigure d’autres défis qui s’annoncent : d’ores et déjà, la pro-fession doit se préparer à mettre en œuvre les dispositifs prévus par la loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours profession-nels dans la fonction publique. Le mi-nistère de l’Éducation nationale a déjà

25. Daniel Renoult, Les mises à disposition des conservateurs d’État dans les bibliothèques municipales classées : rapport à Madame la ministre de la Culture et de la Communication. Paris, Inspection générale des bibliothèques, Inspection générale de l’administration des affaires culturelles, décembre 2007.

26. C’est une conséquence de la loi no 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique d’État, complétée par le décret no 2007-1 542 du 26 octobre 2007 relatif à la mise à disposition et modifiant le décret no 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l’État et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions : le conventionnement est désormais obligatoire et la date limite de mise en conformité des mises à disposition avec les nouvelles règles législatives et réglementaires a été fixée au 1er juillet 2010.

élaboré les procédures qui organisent une seconde carrière pour les ensei-gnants.

On a pu parfois considérer que les fonctions de direction dans les biblio-thèques universitaires et publiques divergeaient profondément ; l’intégra-tion totale des SCD dans des univer-sités plus autonomes 27 consacre au contraire la dimension politique de la direction d’un SCD et la rapproche de la direction d’une bibliothèque territo-riale :

« Résumons notre position ainsi. C’est au nom du droit du public à dispo-ser de collections de qualité et plurielles, en un mot de la démocratie, que les bibliothécaires demandent plus d’auto-nomie par rapport au politique. Il est de l’intérêt commun que cette revendication soit entendue. Mais la même protection des droits du public, la même préoccupa-tion démocratique exigent que les biblio-thécaires ne s’exemptent pas d’être atten-tifs à l’attente de la collectivité et de se soumettre à son contrôle 28. »

Cette remarque de Jean-Luc Gau-tier-Gentès peut désormais s’appliquer à tous les postes de direction. L’unité du métier ne peut être que renfor-cée par le changement de modèle que viennent de connaître les biblio-thèques universitaires.

Le rapport annuel du Conseil supérieur des bibliothèques de 1997 conclut ainsi un chapitre prémonitoire consacré à l’identité professionnelle et

27. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) a introduit un changement important en donnant désormais aux universités une place prépondérante : « Les modifications introduites par la loi LRU génèrent une recomposition du jeu des acteurs dans lequel l’université acquiert une place déterminante. Avec la loi LRU, cette dernière dispose de marges de manœuvre plus importantes dans la gestion des bibliothèques, ce qui renforcera leur intégration au sein de l’université. De ce point de vue, la loi LRU concrétisera les objectifs fixés par le décret du 4 juillet 1985 instaurant les SCD ». Isabelle Gras, « La loi LRU et les bibliothèques universitaires », mémoire d’étude, DCB 18, Enssib, 2010. Disponible en ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-48199

28. Jean-Luc Gautier-Gentès, « Réflexions exploratoires sur le métier de directeur de bibliothèque : le cas des bibliothèques municipales », BBF, 1999, no 4, p. 14-26. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1999-04-0014-002

la responsabilité intellectuelle des per-sonnels de direction :

« Car, ce n’est pas à “l’État”, c’est au président de l’université, c’est au maire, c’est au président du conseil général, qu’il faut proposer les éléments d’une poli-tique documentaire, d’un projet culturel et intellectuel. Ce sont eux qui attendent des propositions et un diagnostic compé-tents. L’aide de l’État ne peut qu’éventuel-lement venir conforter ce dialogue-là sans s’y substituer. C’est cette recherche du dialogue qui constitue la seule attitude conforme à la réalité administrative (au-tonomie des universités, décentralisation, déconcentration) et la seule qui permette d’inscrire chaque établissement dans une perspective dynamique en le faisant échapper à un fonctionnement routinier ou médiocre.

La qualité du dialogue ainsi instauré passe par la reconnaissance du directeur de la bibliothèque au sein de la collecti-vité pour laquelle il travaille. Cette recon-naissance ne peut être fondée que sur une double compétence :

– une compétence technique qui permette aux décideurs de construire les meilleures décisions ;

– une compétence intellectuelle qui porte sur le contenu des collections et de la documentation, sur la qualité et la va-lidité des informations transmises.

C’est cette forme de compétence, centrale et constitutive du métier, qui le légitime. Se réfugier derrière ses seules compétences techniques, et y borner ainsi son identité, mettrait en péril l’identité même de la profession. La détermination de la politique d’achat des bibliothèques s’appuie sur cette légitimité profession-nelle 29. »

Pour une stratégie du contournement

Il convient de constater, au terme de notre réflexion, qu’une loi nouvelle n’est manifestement pas l’outil juri-dique le mieux adapté aujourd’hui aux difficultés et aux dysfonctionnements que les bibliothèques peuvent rencon-trer dans leur environnement. Des

29. Rapport annuel du CSB 1997 : http://enssibal.enssib.fr/autres-sites/csb/rapport97/csb-rapp97-accueil.html

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textes déjà existants, tels les décrets, les arrêtés, les codes, les circulaires, les chartes, les manifestes mais aussi les politiques d’incitation ou de dis-suasion, financière ou autre, consti-tuent des cadres réglementaires qui permettent aujourd’hui d’agir de façon satisfaisante.

La longue quête d’une loi pour les bibliothèques n’est sans doute pas terminée. Dans les propositions du rapport Pour que vive la politique du livre 30, Sophie Barluet écrivait : « Un projet de loi se justifierait principalement par un souci de clarifier le rôle de l’État, celui des collectivités territoriales et celui des établissements publics vis-à-vis des collections patrimoniales. Il pourrait éga-lement proposer un cadre général pour les missions des bibliothèques publiques, vi-sant à améliorer l’efficacité de ces services publics et leur travail en réseau. »

30. Paris, La Documentation française, juin 2007, p. 35.

Dans un contexte de décentrali-sation et d’autonomie élargie des ins-titutions, une loi pourrait toutefois permettre de réaffirmer le rôle des bi-bliothèques, de préciser les modalités de mise en œuvre de leurs missions et objectifs, de définir précisément les manières de sanctionner a posteriori – comme c’est le cas pour le contrôle de légalité – leurs manquements et dérives.

Finalement, la véritable ques-tion, à notre sens, ne consiste pas tant – a priori – à savoir si une loi est nécessaire ou pas, mais plutôt à savoir comment, par leurs compétences, les professionnels peuvent utilement et raisonnablement poursuivre le déve-loppement de la lecture publique et des services de documentation au sein des universités au moyen des outils mis à leur disposition, ou par la mise en œuvre de quelques mesures complé-mentaires plus légères, et sans doute plus efficientes, qu’une loi qui pourrait s’apparenter, dans le contexte actuel, à une simple loi d’affichage. De la même

manière que, dans le débat actuel sur une réforme du statut des fonction-naires, les détracteurs mêmes de la fonction publique évoquent la néces-sité de nouveaux outils pour « mieux gérer », il apparaît, somme toute, qu’une bonne application des textes suffirait bien souvent à pallier les diffi-cultés que ces derniers dénoncent.

L’affirmation d’une politique – choisie et revendiquée – de dévelop-pement de la lecture, dans le respect des valeurs démocratiques, accom-pagnée de moyens et de ressources suffisants et adaptés, peut permettre d’assurer l’accès de tous à la culture et au savoir. À l’ère de l’accompagne-ment des bibliothèques, du conseil et de l’expertise, plus qu’à celle de leur contrôle, la déontologie veut donc que la responsabilité de chacun – élu ou professionnel – ou de chaque institu-tion joue à plein, dans la reconnais-sance des mérites de sa politique pu-blique culturelle ou, à l’inverse, de ses insuffisances. •

Février 2011

Politique(s) et bibliothèques

2 – Politiques françaises

Trop loin, trop proche :

Comment (re-)mobiliser les politiques sur la question des bibliothèques 1 ? Entre les

36 000 bibliothèques qui couvrent les zones desservies du territoire et les 514 519 élus communaux qui assu-ment leur autorité politique 2, il serait impossible sans tomber dans la cari-cature de définir avec assurance un mode de relation uniforme. La rela-tion entre les bibliothèques et les poli-tiques dépend d’abord des personnes en place, élus et direction de l’établis-sement. Elle leur est évidemment spé-cifique, chargée selon les lieux du sub-til mélange de l’accumulation ou non d’un capital de confiance, des aléas d’une histoire administrative particu-lière, le tout pimenté de particularités culturelles locales.

Dans cet ajustement où négocia-tion et dialogue devraient réguler les relations et en assurer la qualité, l’im-pression générale est pourtant celle d’une distance mal contrôlée. D’abord, cette relation n’est jamais égalitaire, car d’un côté l’élu a le pouvoir (géné-ralement, il s’agit du maire ou de son adjoint chargé des affaires culturelles), et de l’autre le bibliothécaire est au service de sa politique. Il est alors dif-ficile d’avoir une relation équilibrée et, du coup, le bibliothécaire a bien des reproches à faire au personnel poli-tique à qui il rend des comptes.

1. Si elle concerne les bibliothèques de tous types, cette contribution prend surtout pour objet la lecture publique municipale, celle pour laquelle la proximité entre l’élu et le service est la plus grande.

2. On peut y ajouter 5 917 élus régionaux et départementaux, ce qui porte à 520 426 le nombre des élus locaux (source : effectifs des élus locaux sur le site de la Direction générale des collectivités locales, www.dgcl.interieur.gouv.fr).

Soit les politiques sont trop près des bibliothèques, soit ils en sont trop éloignés. Trop près, ils s’immiscent dans des questions techniques qui devraient n’être gérées que par des professionnels ; dans les cas les plus extrêmes, les élus font et défont les directeurs de bibliothèques et même exercent un droit de censure sur les choix de programmation culturelle ou même sur les collections dont ils croient pouvoir disposer à leur guise. Moins grave mais tout de même épui-sant au quotidien, il leur arrive de considérer que la médiathèque doit être le bras armé de leur communica-tion politique et que les moyens qu’ils lui confient doivent légitimement être mis au service du projet du moment, au détriment d’une mission culturelle qui – on y reviendra – n’est d’ailleurs jamais formulée.

Mais l’inverse existe aussi. À côté du « blanc manteau de médiathèques » qui a couvert le pays depuis le début des années 1980, une partie impor-tante du territoire reste dépourvue de bibliothèques. Étant donné les dis-positifs d’aide à l’investissement qui existent encore, si la population de ces collectivités est exclue de l’accès à ce service public, c’est bien que ce der-nier reste considéré par une partie du personnel politique local comme su-perflu, ou tout du moins comme non prioritaire.

Et, dans les zones desservies, la bi-bliothèque ou la médiathèque est par-fois le parent pauvre de la collectivité. Passé les années d’engouement qui suivent l’inauguration d’un nouveau bâtiment, parfois le désir des élus s’éteint : l’excitation passe, les moyens stagnent et la médiathèque s’installe dans la spirale du manque de moyens qui éloigne les publics, et du succès insuffisant qui entraîne une baisse des moyens… Il arrive aussi que, mal in-

Benoît TuleuBibliothèque nationale de [email protected]

Titulaire d’un DESS Direction de projets culturels et conservateur en chef des bibliothèques, Benoît Tuleu est depuis 2009 chef du service des Échanges au département du Dépôt légal à la Bibliothèque nationale de France, après avoir travaillé en bibliothèque départementale ainsi qu’à la Bibliothèque publique d’information au Centre Pompidou. Il a dirigé la bibliothèque municipale classée de Boulogne-sur-Mer et le réseau des médiathèques de Nanterre. Il a contribué à la revue Vacarme, à la Revue des Livres pour enfants ainsi qu’à la dernière édition du Métier de bibliothécaire publié par l’Association des bibliothécaires de France (2009). Il est membre du comité de rédaction du BBF.

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LES POLiTiqUES ET LA BiBLiOThèqUE

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Trop loin, trop proche :

formé ou inattentif aux avertissements du professionnel pendant la phase de construction, l’élu n’a pas suffisam-ment anticipé les coûts de fonction-nement induits par un service valo-risant au moment de son ouverture, mais exigeant sur la durée en matière de ressources humaines et de crédits. Il se peut enfin que, dans certaines villes, la bibliothèque apparaisse en-core – à tort ? – aux yeux des politiques et de l’administration comme une sorte de club un peu désuet, réservé à une petite coterie d’amateurs loca-lement identifiés, retraités hantés par leurs marottes et leurs recherches per-sonnelles, amateurs de livres dépassés par l’essor des nouvelles technologies, mais aussi élèves à qui sont prescrits des temps d’activités obligatoires dans ce qui apparaît au mieux comme un satellite des établissements scolaires.

Trop près ou trop loin : au fond, tout se passe comme si les politiques gênaient les bibliothécaires. On les a tout le temps dans les pattes, ou au contraire c’est en vain que l’on gratte à leur porte.

Le fait du prince

Pourtant, il n’y a pas de biblio-thèque sans politique. L’acte fonda-teur d’une bibliothèque est toujours un geste politique, non seulement dans le sens premier du terme – un geste dans la vie de la cité – mais aussi un geste du politique. Petite ou très grande, la bibliothèque est toujours à l’origine « le fait du prince » : expres-sion dévalorisante, souvent utilisée pour dénigrer l’intervention du poli-tique, mais qui pourrait être ici enten-due de manière moins péjorative. Car, quand on considère les moyens qu’il faut déployer pour construire et faire fonctionner une bibliothèque, la puis-sance publique seule possède ce pou-voir (et aussi d’éventuels mécènes). Il serait absurde d’en vouloir au respon-sable politique qui assume cette res-ponsabilité.

En France, historiquement, le chef politique est quelqu’un qui veut laisser sa trace historique dans la pierre des bâtiments et, si possible, dans celle des monuments publics. La biblio-thèque joue ce rôle, mais aussi parti-

cipe au dessin d’un centre-ville, struc-ture un quartier, devient un repère toponyme pour les habitants qui en sont donc tous un peu usagers. Dans cette tradition, c’est la bibliothèque en tant que bâtiment qui est attrayante et valorisante pour l’élu. D’ailleurs, le trait de génie des inventeurs du concours particulier de l’État pour l’in-vestissement dans une bibliothèque publique, c’est le critère unique du nombre minimum de mètres carrés construits par habitant (les fameux 0,07 m2 par habitant nécessaires pour obtenir le concours de 50 % par l’État). Peu importe le jugement que l’on peut porter sur la motivation qui a poussé les élus à construire : cela a fonctionné, quels que soient le type et la dimension des bibliothèques consi-dérées.

C’est donc ensuite que ça se gâte et que « le fait du prince » se manifeste par son interventionnisme ou, pire, par son indifférence. Évidemment, pour (r)éveiller son désir, de vieilles recettes peuvent évidemment encore fonctionner : le voyage d’étude dans le-quel on emmène quelques élus et dé-cideurs visiter les bibliothèques d’un territoire où ces dernières sont per-formantes, pour qu’ils constatent leur succès et prennent conscience de la possibilité d’en transposer le modèle dans leur propre collectivité ; la soirée exceptionnelle (inauguration, vernis-sage, conférence, etc.) qui assure la promotion de la bibliothèque orga-nisatrice. Enfin, dans un contexte de rationalisation des coûts, le souci des chiffres et des indicateurs de perfor-mance : aux élus soucieux de valoriser leur politique culturelle, mais qui ou-blient la bibliothèque dans les bilans et discours, il peut être utile de rappe-ler que, parmi les services publics lo-caux, la bibliothèque est l’un des plus fréquentés. Là où la jauge d’un théâtre se compte en centaines de personnes par semaine, c’est au minimum en milliers que se comptent les passages hebdomadaires des usagers des mé-diathèques, emprunteurs ou simples visiteurs.

Localement, ces recettes peuvent fonctionner et font partie depuis près de trente ans d’un capital d’expérience, qui pourrait d’ailleurs être utilement formalisé dans le cadre de la forma-

tion des futurs bibliothécaires de lec-ture publique afin de les aider à maî-triser des techniques de promotion et de communication auprès des élus dans le contexte administratif fran-çais 3. En fait, au niveau des territoires, on sait promouvoir la bibliothèque publique ; la marge de progrès relève juste de la professionnalisation et de la transmission des savoir-faire. De nombreuses bibliothèques font preuve de dynamisme et d’inventivité et dé-fendent très bien leur utilité sociale au niveau de leur collectivité ; leurs élus de tutelle les plus proches savent aussi reprendre et élaborer ce discours de promotion.

Mais c’est plus globalement que l’on aurait des raisons d’être inquiet face au désintérêt de la classe politique pour la question des bibliothèques. On constate en effet un silence presque complet des partis politiques : rareté du mot « bibliothèque » dans les pro-grammes des partis ; oubli de la lec-ture publique dans les discours sur la culture, l’éducation ou la recherche ; absence totale de pages consacrées aux bibliothèques et même à la question fondamentale de la lecture dans les livres publiés par les candidats poten-tiels aux prochaines élections présiden-tielles. La faiblesse du taux de réponse au questionnaire sur la politique en matière de bibliothèques envoyé aux partis politiques des candidats à l’élec-tion présidentielle de 2007 par l’Asso-ciation des bibliothécaires de France (ABF) confirme ce désintérêt 4.

On pourrait commencer par déplo-rer l’absence de groupe de pression structuré en faveur des bibliothèques. Mais ce serait oublier l’engagement de centaines de bibliothécaires dans des associations professionnelles aussi dynamiques et réactives que dans les pays où le soutien aux bibliothèques relève de la priorité politique, sans compter leur éventuelle présence au sein des syndicats et des partis poli-

3. Il faut signaler à ce sujet les outils méthodologiques et les expériences relatées dans le récent Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes, sous la direction de Jean-Philippe Accart, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010.

4. Seulement deux candidats à l’élection présidentielle sur les douze avaient répondu.

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tiques. La faute n’est pas aux biblio-thécaires français, qui ne sont ni moins courageux ni moins engagés qu’ailleurs , ni aux associations, struc-turées comme des groupes de pres-sion… mais sans leur répondant.

On pourrait aussi chercher les causes de cette distance dans le recru-tement de la classe politique française, qui méconnaît l’importance des biblio-thèques publiques ou en a, dans le meilleur des cas, une image déformée. Masculine, âgée, issue des classes sociales les plus favorisées, diplômée en un temps où les médiathèques publiques n’existaient pas dans le paysage, la catégorie des politiques a presque tout pour les ignorer ou les confondre avec les bibliothèques uni-versitaires, qu’ils ont peut-être d’ail-leurs fréquentées aux temps les plus sombres de leur manque de moyens. Cette hypothèse correspond peut-être pour partie à la réalité, mais ne peut expliquer le silence général de par-tis politiques dont le recrutement et l’audience restent très diversifiés. Il faut chercher plus profondément et émettre l’hypothèse que ce malaise profond correspond à deux types de symptômes, d’abord conjoncturels et aussi, plus gravement, structurels.

(R)évolution permanente

Reconnaissons qu’il est difficile d’expliquer simplement à un élu de bonne volonté ce qui se passe dans les bibliothèques publiques depuis leur spectaculaire prolifération dans les années 1980 et 1990. Leur évolu-tion a suivi tous les bouleversements. Les médiathèques ont accompagné et intégré les supports les plus divers et parfois les plus éphémères, et leurs usages se sont diversifiés jusqu’à l’illi-sibilité. Par-dessus le marché, ce déve-loppement joyeux et tous azimuts s’est surtout accompagné de deux évolu-tions majeures et qui sont loin d’être terminées : d’une part, la constitution de collections non plus à partir de l’idée assez académique de ce que doit être une offre, mais à partir de ce que l’on croit repérer de la demande et des besoins du public ; d’autre part, la ré-volution numérique qui bouscule tous les modes d’accès à cette offre et rend

poreuse la frontière entre collections et services.

À l’appréhension de cette réalité dans toute sa complexité mouvante, on peut comprendre que les élus pré-fèrent des solutions simples : par exemple, l’idée que les bibliothèques vont disparaître puisque chacun peut avoir accès au savoir depuis chez soi. Passé l’engouement des espaces culturels multimédias dans les média-thèques, il faut aujourd’hui une éner-gie considérable pour faire admettre aux décideurs que les usages sont hybrides, que les collections maté-rielles et les ressources numériques vont coexister encore de longues an-nées, et que la médiathèque en tant que bâtiment est plus que jamais « le lieu du lien 5 ». Le contexte budgétaire contraint rend plus compliquée en-core la défense de cette conception ou-verte et évolutive des bibliothèques pu-bliques. Mais ces difficultés ne doivent pas masquer les causes structurelles du désintérêt des politiques pour les bibliothèques.

Mission invisible

D’abord, les bibliothèques pu-bliques sont presque les seuls ser-vices publics dont les missions ne sont définies par aucun texte 6, d’où la demande permanente des associations professionnelles d’un cadre juridique qui les préciserait – demande qui ren-contre du côté des politiques l’indiffé-rence qu’elle pourrait pourtant contri-buer à combattre.

Et puis les élus changent : aux com-mandes des villes qui ont construit les médiathèques avec des dispositifs mis en place il y a presque trente ans, d’autres élus sont arrivés. Ils agissent sous la pression constante de la réduc-

5. Michel Melot, La sagesse du bibliothécaire, Paris, L’Œil neuf, 2004.

6. Ce point est souligné par Anne-Marie Bertrand dès 1994 dans Les bibliothèques municipales : acteurs et enjeux (Paris, Éditions du Cercle de la librairie), qui préfère parler du « rôle » des BM plutôt que de leurs « missions », ces dernières n’étant fixées dans aucun texte juridique. Cette question fait l’objet de débats au sein des associations professionnelles depuis de longues années.

tion des moyens (baisse de la dotation générale de décentralisation, aggra-vation de la crise économique, endet-tement) et de la mesure de la perfor-mance publique. Ils ne sont pas ceux qui ont voulu ces bâtiments, ces ser-vices exigeants et coûteux dont les rôles sont multiples et mal définis, dont les enjeux techniques sont complexes et surtout dont les missions ne sont écrites nulle part. Bien sûr, les publics sont là, mais pour quels services, avec quelles missions et quels objectifs ? Et avec quels indicateurs pour en mesurer les progrès ou la régression ?

Au vu des questions essentielles qu’il soulèverait, le débat qui s’ouvri-rait ne serait pourtant pas luxueux : accès à la culture, à la formation et à l’information, lutte contre l’illettrisme, aménagement culturel du territoire, modèle de service public, offre et de-mande, gratuité ou tarification des ser-vices, mais aussi équilibre des droits (droit d’auteur, droit à l’oubli, etc.) dans le contexte mouvant décrit ci-des-sus. On ne peut pas espérer que les bi-bliothécaires et le personnel politique local résoudront isolément toutes ces questions depuis leurs collectivités, ni que l’action d’une sorte de main invi-sible finira par homogénéiser les dis-cours et les pratiques. Il semble aussi qu’après trente ans de décentralisa-tion, s’éloigne enfin le risque d’enfer-mer les bibliothèques dans un carcan juridique qui les priverait de créati-vité, comme le craignaient à juste titre les adversaires d’un cadre juridique sur les bibliothèques il y a encore quelques années 7.

Peut-être les bibliothèques, en tant qu’outils d’accès au savoir où œuvre une sorte de « pédagogie libertaire », embarrassent-elles encore trop les décideurs d’un pays historiquement centraliste et autoritaire ? Peut-être, au contraire, les bibliothécaires eux-mêmes ont-ils du mal à assumer – et

7. Parmi les plus brillants adversaires d’une loi-cadre, Cécil Guitart, pour qui « la loi fige tout ». Voir : Isabelle Masse, « Quelle loi pour les bibliothèques ? », BBF, 1998, no 4, p. 123-125. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1998-04-0123-008 Voir aussi dans ce numéro l’article de Danièle Oppetit et Matthieu Rochelle, « Une loi sur les bibliothèques : ni pour ni contre (bien au contraire) », p. 6-12.

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Trop loin, trop proche :

même à énoncer – ce rôle pédago-gique ou, si l’on préfère, éducatif dans le sens le plus large : lieu de soutien aux formations initiales, à la forma-tion continue, d’autoformation, d’ini-tiation artistique, littéraire et musicale, point d’accès au savoir multimédia, lieu de découvertes et d’apprentissages les plus divers ?

C’est pourtant cela qui les relierait directement à une mission politique claire, facile à admettre et à défendre pour le personnel politique comme pour les professionnels. Que la biblio-thèque soit une « école après l’école », c’est une réalité, cela transcende le niveau local et énonce déjà une mis-sion nationale – et donc politique – qui n’exclut d’ailleurs aucun autre usage, et qui n’enferme pas les établis-sements dans une forme unique de pédagogie. Il y a plusieurs pédagogies possibles, et le mot n’est pas la chasse gardée de l’Éducation nationale. En-core faudrait-il ne pas avoir honte de l’employer quand il s’agit du secteur culturel, encore faudrait-il être fier des publics actuels (hordes de jeunes

et d’étudiants avides, personnes en formation continue, simples curieux) plutôt que de se lamenter sur le public qui ne vient pas.

Inventer un nouveau triangle

Peut-être faudrait-il enfin laisser ce public s’immiscer dans le face-à-face parfois brutal entre le bibliothécaire et le politique, dans lequel s’élaborent des décisions qui le concernent. On se méfie traditionnellement des comités d’usagers et l’on craint qu’ils décident à la place des professionnels sur des questions fondamentales de gestion qui demandent des compétences tech-niques et scientifiques que le public ne possède pas. Mais les élus non plus ne maîtrisent rien de tout cela, et une instance permanente de participa-tion des publics à la décision pourrait contribuer à mettre entre le politique et la bibliothèque la juste distance si difficile à maintenir. La richesse des expériences récentes de participation

des usagers sur des projets majeurs 8 donne envie de réfléchir à la possibi-lité de telles instances sur le modèle des Library Boards dans les biblio-thèques publiques américaines 9. Dans un contexte nouveau où les missions pédagogiques de la bibliothèque se-raient enfin garanties, on aurait tout à gagner à inventer un nouveau triangle élu/bibliothécaire/usager, et à placer en son centre la bibliothèque comme objet politique fondamental. •

Février 2011

8. À Méricourt (Pas-de-Calais), la municipalité a suscité la création d’un « collectif médiathèque » qui a participé au montage du projet dès les premiers travaux de l’architecte. Voir le site : www.mairie-mericourt.fr et les interventions de Christel Duchemann, directrice.

9. Sur ce dispositif spécifique aux bibliothèques publiques américaines, voir l’ouvrage d’Anne-Marie Bertrand, Bibliothèque publique et Public Library : essai de généalogie comparée, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010.

Les bibliothèques publiques et le modèle politique français

Nul auteur politique n’a été plus sensible que Machiavel à la vie et à la mort des institu-

tions. En historicisant radicalement le monde des affaires terrestres réglées par la politique, Machiavel a plongé les constructions humaines dans un univers hanté par la finitude, qu’elles ne peuvent espérer conjurer si ce n’est en revenant périodiquement à leurs débuts vertueux. Si l’action à court terme du prince est contrainte de s’adapter aux circonstances pour contourner les aléas du temps, les institutions, quant à elles, s’inscri-vent dans un temps plus long, celui de la relation complexe qui s’engage constamment entre une humanité corruptible et les structures qui ten-tent de la lier. Machiavel était d’une nature inquiète, mais pas catastro-phiste. S’il avait été bibliothécaire, il aurait sûrement orienté sa pensée vers la relation entre l’institution et la société, précisément pour la replacer dans le temps long qui devrait être le sien, l’arracher à cette obligation impérieuse et réflexe de « s’adapter ou mourir » qui semble caractériser de plus en plus, de nos jours, la ges-tion des bibliothèques 2. Aller dans

1. Œuvres, Robert Laffont, 1996, coll. « Bouquins », p. 370.

2. Voir John E. Buschman, Dismantling the Public Sphere. Situating and Sustaining

le sens de l’histoire signifierait donc, en termes machiavéliens, sonder les changements de la société pour en tenir compte, certes, mais en revisi-tant les principes fondamentaux qui ont présidé à la naissance de la biblio-thèque publique afin d’en mesurer l’actualité.

Les bibliothèques sont ces institu-tions qui, nées pour incarner la lecture publique dans un moment de consen-sus sur leur utilité, subissent à l’heure actuelle la pression d’évolutions so-ciales, économiques et politiques. Le consensus qui a rendu possible leur naissance révèle son caractère contin-gent. La relation entre l’institution et la société se situe donc, à plus d’un titre, au cœur du questionnement po-litique des bibliothèques, lesquelles ne peuvent exister en dehors des rapports qu’elles nouent avec leurs usagers, avec les pouvoirs centraux ou locaux ou avec l’opinion publique. En 2005, dans un article fixant les grands axes de la recherche sur les bibliothèques du point de vue des sciences poli-tiques, Anne-Marie Bertrand écrivait : « La place de la bibliothèque dans l’espace public, son articulation avec la société civile restent à étudier 3. » La réflexion

Librarianship in the Age of the New Public Philosophy, Libraries Unlimited, 2003, p. 86.

3. « Bibliothèque, politique et recherche », BBF, 2005, no 2, p. 35-40. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2005-02-0035-006

Cristina IonBibliothèque nationale de [email protected]

Cristina ion est conservateur au département Philosophie, histoire, sciences de l’homme de la Bibliothèque nationale de France. Docteur de l’EHESS en études politiques, elle est l’auteur d’un livre, La politique de Machiavel. Art de la guerre ou art de la paix ? (Éditions de l’Académie Roumaine, 2008), et de plusieurs articles sur Machiavel et le machiavélisme.

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« Il est très vrai que toutes les choses de ce monde ont un terme à leur existence. […] Comme je parle des corps mixtes, telles les républiques et les religions, je dis que les altérations qui les ramènent à leurs origines servent à leur salut. »

(Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, III, 1)1

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Les bibliothèques publiques et le modèle politique français :

professionnelle se tourne aujourd’hui de plus en plus vers l’analyse de la place prise par les publics à la fois dans le discours idéologique véhiculé par la profession et dans l’interroga-tion théorique sur le modèle français de bibliothèque publique. Cela va au-delà de l’évaluation, nécessairement décevante, des activités de la biblio-thèque par le prisme de la fréquenta-tion. Dans ce qui suit, nous allons ten-ter d’apporter une contribution à cette réflexion en examinant les corres-pondances entre le modèle de biblio-thèque et le modèle politique français, sous l’angle particulier de la relation entre l’institution de service public et la société.

La bibliothèque dans la société

La « culture politique de la géné-ralité », qui caractérise, selon Pierre Rosanvallon, le modèle politique français, n’est sans doute pas sans conséquences sur la relation entre la bibliothèque publique et la société 4. Concept fort et discriminant, l’État re-présente un ordre normatif supérieur et apparaît comme une antithèse de la société 5. S’il fallait faire une lecture antijacobine de l’histoire moderne des bibliothèques françaises, une lecture dans laquelle tiendrait une grande place l’affirmation des contre-pouvoirs locaux et de la société civile contre l’État seul acteur de l’intérêt commun, c’est dans la critique de la centralisa-tion qu’elle trouverait sa meilleure formulation. Les bibliothèques qu’Eu-gène Morel appelait de ses vœux devaient être de véritables services publics édifiés à travers des « centrali-sations minuscules », capables de don-

4. Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Le Seuil, 2004, coll. « Points ». Voir également le compte rendu critique de Jean-Fabien Spitz : « La culture politique républicaine en question. Pierre Rosanvallon et la critique du “jacobinisme” français », Raisons politiques, no 15, 2004, p. 111-124. En ligne : www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2004-3.htm

5. Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française 1875-1945, La Découverte, 2000.

ner consistance aux réalités locales. Ainsi, l’État n’est pas au service de lui-même mais de l’utilité publique. Et Eugène Morel de dénoncer l’al-liance perverse entre l’administration bureaucratique et la technocratie bi-bliothéconomique au détriment d’un public qui « ne compte pas, n’a aucun moyen de se faire entendre 6 ». Plus de cinq décennies plus tard, Jean Hassen-forder constatait à son tour que l’une des causes du sous-développement des bibliothèques françaises en com-paraison des bibliothèques anglo-saxonnes résidait dans la faiblesse des associations et des communautés locales : « Dans les pays anglo-saxons, le mouvement en faveur des bibliothèques publiques vient en quelque sorte des pro-fondeurs de la société. Le rôle du pouvoir central reste limité 7. »

Les temps ont changé depuis Eugène Morel et Jean Hassenforder. Les bibliothèques publiques sont de-venues, avec la décentralisation, des institutions locales. Cependant, l’inter-vention de l’État demeure et, dans la profession, « la demande d’État comme juge de paix et référent » reste forte 8. Aussi assistons-nous à une situation quelque peu paradoxale. D’une part, les bibliothécaires restent attachés aux principes d’expertise et de neutralité qui caractérisent le service public, se distinguant ainsi du monde politique, tout en prêtant le flanc à une critique des élites au nom de la démocratie, et se méfiant donc de toute ingérence partisane. D’autre part, la bibliothèque se retrouve au milieu d’un paysage politique complexifié, « triangle consti-tué par les élus-financeurs, les usagers-électeurs et les bibliothécaires-offreurs du service 9 », où les certitudes ont

6. Bibliothèques. Essai sur le développement des bibliothèques publiques et de la librairie dans les deux mondes, Mercure de France, 1908-1909, vol. 2, p. 111, 347 et 351.

7. Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du xixe siècle (1850-1914), Éditions du Cercle de la librairie, 1967, notamment p. 89-102.

8. Voir Anne-Marie Bertrand, Bibliothèque publique et Public Library : essai de généalogie comparée, Presses de l’Enssib, 2010, p. 82-84 et chapitre iii, « Pouvoirs et bibliothèques ».

9. Jean-Pierre Durand, « L’effet générationnel : les directeurs de bibliothèques publiques »,

laissé la place à la négociation et à l’évaluation.

Si, sur le plan du système poli-tique, il convient de s’interroger sur le degré d’enracinement du service public de bibliothèque dans les col-lectivités territoriales, sur le plan de la culture politique, on peut ques-tionner la place réservée aux publics dans l’institution. De ce point de vue, « la distance avec l’usager semble […] constitutive du modèle français 10 ». Pour expliquer cette constante, on a convoqué les rapports différents que le catholicisme et le protestantisme entretiennent avec le livre ; on a pro-cédé à une critique sociologique de la démocratisation culturelle pour dénoncer la promotion de la culture légitime en bibliothèque ; enfin, on a entrepris une étude comparée des modèles de bibliothèque en France et dans les pays anglo-saxons. Comme pour leurs systèmes d’éducation res-pectifs, on pourrait dire que, si la bibliothèque publique aux États-Unis vise l’implication dans le monde et le développement des capacités d’action, en France, elle encourage le raisonne-ment adéquat sur le monde et dévoile les dangers de la superstition et de l’ignorance 11. Et puisque la critique du jacobinisme nous guette imman-quablement lorsque nous examinons la relation entre les institutions poli-tiques et la société, nous pourrions étendre cette analyse à la relation entre les bibliothèques et leurs pu-blics. La suspicion pèse en effet sur les instances représentatives et les corps intermédiaires, qui éloignent le peuple de l’expression de sa volonté. La même suspicion semble peser sur la représentation des usagers en bibliothèque : le modèle français de bibliothèque n’a jamais été « représen-tatif ». Sera-t-il un jour « participatif » ?

BBF, 2005, no 3, p. 22-29. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2005-03-0022-004

10. Christophe Evans, « La place des publics dans le modèle français : une approche sociologique », Anne-Marie Bertrand et coll., Quel modèle de bibliothèque ?, Presses de l’Enssib, 2008, p. 92.

11. Denis Meuret, Gouverner l’école : une comparaison France/États-Unis, PUF, 2007, p. 97-98.

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Cultures professionnelles, cultures politiques

Heureuse situation que celle des bibliothèques nordiques : s’adapter au changement social n’est pas pour elles une obligation, c’est une évidence. La bibliothèque est au service de la com-munauté qu’elle dessert, à l’écoute de ses besoins, partie prenante de la vie locale : « Les bibliothèques doivent s’adapter aux changements survenus dans la société environnante et recher-cher de nouvelles solutions. Leur but doit être d’améliorer leurs services en instau-rant une meilleure collaboration avec les activités culturelles locales, une réponse à la demande en connaissances de la communauté et un dialogue plus étroit avec le public 12. » Les bibliothécaires finlandais formalisent la conjoncture actuelle comme un passage de la « bi-bliothèque classique » – bibliothèque « transactionnelle » fonctionnant en circuit fermé, statique, non compé-titive, avec des services routiniers, s’adressant au public en général – à la « bibliothèque moderne », biblio-thèque « relationnelle », ouverte, dyna-mique, flexible, compétitive, centrée sur l’usager autonome, prenant en compte à la fois les individus et les groupes particuliers 13. Ce n’est pas le modèle de bibliothèque qui doit chan-ger, c’est le changement qui est prag-matiquement intégré au modèle de bibliothèque, pour autant qu’il reflète la diversité de la société, que la biblio-thèque doit accueillir en son sein.

Les bibliothèques publiques fran-çaises sont aujourd’hui à la recherche d’une nouvelle identité, comme si les bibliothécaires ne parvenaient pas à se contenter de ce nouveau réalisme pratique acquis à force de profession-

12. « Library Plans for a Changing Society », Scandinavian Public Library Quarterly, no 2/2010, p. 3 [traduit par nos soins].

13. « The Modern Library : Yesterday’s Traditions are Today’s Foundations », intervention de Kristina Virtanen (bibliothèque municipale d’Helsinki) au colloque « Le livre, la Roumanie et l’Europe », Bucarest, 20 au 23 septembre 2010. Voir compte rendu du colloque paru dans le BBF, 2011, no 1, p. 85, disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-01-0085-009

nalisation, de diversification des acti-vités et de multiplication des projets locaux, au prix d’un renoncement « à l’idée de diriger impérialement toutes les batailles de la lecture 14 ». La nou-velle bibliothèque publique telle que l’imagine l’Association des bibliothé-caires de France sera hybride, lieu de vie, orientée publics 15. Anne-Marie Bertrand identifie deux étapes dans l’avènement de la « bibliothèque pu-blique » : les pionniers du début du xxe siècle qui se sont élevés contre la bibliothèque savante, sous l’influence du modèle anglo-saxon de la Public Library ; les militants qui ont promu la médiathèque dans les années 1960-1970 selon une promesse d’émancipa-tion qui a pris la forme de la démocra-tisation culturelle et a été répercutée dans l’organisation des collections, des espaces et des services 16.

Il se pourrait bien qu’une troi-sième étape soit en cours, qui ren-verse complètement la logique de l’offre pour marquer le passage du pu-blic comme objet au public comme ac-teur, et donc la fin de l’hétéronomie de la culture et de ses desservants. Cette postmodernité de la médiathèque voit émerger des notions comme la partici-pation et la personnalisation, suscep-tibles d’installer les bibliothèques dans une relation directe avec leurs usa-gers, parallèlement aux glissements épistémologiques dans la constitu-tion et l’appropriation des savoirs à l’ère numérique. Car le paradigme du public comme objet était fondé sur la croyance dans le progrès par la connaissance, à travers la médiation d’une élite savante, et sur l’effort pour la diffusion de la culture, dans lequel les sciences sociales étaient chargées de donner corps à une introuvable pa-role du public. Le modèle « diffusion-niste » de la démocratisation culturelle

14. Max Butlen, Les politiques de la lecture et leurs acteurs, INRP, 2008. Voir le chapitre « Les bibliothécaires : de l’enchantement à la marginalisation ? », p. 123-147.

15. Gilles Éboli, « De l’accès : la bibliothèque, lieu de l’accessibilité ? », BBF, 2009, no 5, p. 6-10. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-05-0006-001

16. Anne-Marie Bertrand, « Le modèle de bibliothèque, un concept pertinent ? », in Quel modèle de bibliothèque ?, op. cit., p. 10-24.

s’est essoufflé avec la sortie du mythe de l’émancipation par la culture. On a pris ainsi acte de la disjonction radi-cale entre la bibliothèque et ceux aux-quels elle s’adresse : les usagers sont imprévisibles devant l’offre institu-tionnelle (le « savoir-faire et la ruse ») ; la compétence revendiquée par les bibliothécaires est mise à mal par le dévoilement de la légitimité culturelle dont elle est l’instrument, puis par les critiques de la notion même de légitimité culturelle (l’« éclectisme », la « culture des individus »).

Les deux premiers projets de bibliothèque publique ont comporté une dimension politique forte. Le « modèle bibliothécaire du pluralisme cohérent » défendu par Eugène Morel est habité par l’esprit d’une démocra-tie républicaine, où les lecteurs sont également des électeurs 17. La média-thèque, quant à elle, lieu d’accueil de nouveaux médias, ambitionnant d’élargir et de diversifier les publics, a partie liée avec la démocratie 18. Avant d’examiner dans quelle mesure on est en droit de parler d’un projet poli-tique pour le nouveau modèle de la bibliothèque « orientée publics », arrê-tons-nous un instant sur la manière dont les évolutions des deux dernières décennies ont affecté les attitudes des professionnels. Car la légitimité est en train de changer de camp, le bibliothé-caire se retire devant les publics, en réaction à un « bibliocentrisme » dé-crié. Plusieurs postures idéal-typiques en témoignent :

1. Une vision administrative tente de renouveler le service public à travers de nouvelles méthodes de gestion. L’association des usagers à la démarche de service est une tendance de fond dans l’administration. Chez les « manageurs militants de la lecture publique 19 », l’évaluation de la biblio-

17. Robert Damien, « Procès et défense d’un modèle bibliothécaire de la démocratie », BBF, 2000, no 5, p. 35-40. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2000-05-0035-001

18. Michel Melot, « Le temps des médiathèques », in Regards sur un demi-siècle. Cinquantenaire du Bulletin des bibliothèques de France, numéro hors série, Enssib, 2006, p. 207-231.

19. Jean-Pierre Durand et coll., Bibliothécaires en prospective, Ministère de la Culture et de

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Les bibliothèques publiques et le modèle politique français :

thèque peut accompagner une poli-tique exigeante de l’offre, mais intro-duit une culture du résultat dans un univers longtemps habitué à la seule définition des fins (la « démocratisa-tion culturelle »), dans lequel l’évalua-tion était apportée de l’extérieur par les sciences sociales 20. Cette orienta-tion n’a pas manqué de susciter des critiques car « en se focalisant ainsi sur la mesure des résultats, on évite plus faci-lement de se confronter à la question cri-tique des fins 21 ».

2. Une vision libérale tire les der-nières conséquences de l’importation du modèle anglo-saxon en France. Le courant fondateur de la bibliothèque moderne tend ainsi à se débarrasser des particularités de son implantation française et évolue, pour partie, vers une conception attentive à la demande sociale car, « dans son souci de décalage, la médiathèque a fini par se retrouver ex-centrée, peut-être un peu trop à l’écart du monde tel qu’il évolue 22 ». Il faut donc « redéfinir l’activité de la bibliothèque en fonction de ses publics 23 ». Ainsi, la bibliothèque universaliste et encyclo-pédique, née au sein du modèle répu-blicain d’intégration, est sommée de devenir plus représentative de la diver-sité sociale actuelle 24.

3. Une vision technophile et dé-mocratique se rapproche de la précé-dente en ceci qu’elle critique la biblio-

la Communication, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), 2006. En ligne : www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/tdp_bibliothecaires.pdf

20. Thierry Giappiconi, « Les dimensions politiques et stratégiques de l’évaluation en bibliothèque », BBF, 2008, no 3, p. 6-20. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-03-0006-001

21. Bertrand Guillaume, « Indicateurs de performance dans le secteur public : entre illusion et perversité », Cités, no 37/2009, dossier « L’idéologie de l’évaluation », p. 101-109.

22. Catherine Clément, « L’essoufflement du modèle : symptômes et causes », in Quel modèle de bibliothèque ?, op. cit., p. 68.

23. Ibid.

24. Voir Olivier Tacheau, Bibliothèque publique et multiculturalisme aux États-Unis. Jalons pour repenser la situation française, Mémoire d’étude pour l’obtention du diplôme de conservateur de bibliothèque sous la direction de Martine Poulain (1998). En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-1602

thèque en tant qu’institution coupée du public concret ; néanmoins, elle s’en écarte car ce qui lui importe, ce n’est pas la satisfaction d’une multi-plicité de désirs individuels ou com-munautaires mais la valorisation de l’intelligence collective illustrée par la métaphore spatiale du réseau. Ren-voyant à une organisation réticulaire, horizontale, le réseau s’inscrit ainsi en faux contre une organisation verti-cale, hiérarchique et bureaucratique. Plus qu’une forme de sociabilité (que désignent, par exemple, les « réseaux sociaux »), il est un véritable acteur de l’action collective : insaisissable, informel, acéphale, éphémère, inter-mittent, doté d’une faible identité, le réseau se distingue des structures classiques comme la communauté, la

clientèle, l’administration. L’arrivée du web participatif en bibliothèque, avec ses avantages et ses limites 25, repré-sente sans doute un saut qualitatif dans la manière dont on peut conce-voir la relation entre la bibliothèque et la société.

4. Enfin, une vision engagée est reconduite dans le souci de réduire les inégalités qui affectent l’accès aux savoirs et de souligner le rôle de la bibliothèque dans la construction de l’autonomie individuelle et du lien social. Ainsi, le « débat […] entre qualité

25. Voir les considérations de Bertrand Calenge dans : Muriel Amar et Véronique Mesguich (dir.), Le web 2.0 en bibliothèques.Quels services ? Quels usages ?, Éditions du Cercle de la librairie, 2009, p. 185-189.

Cette pancarte à l’intérieur de la New York Public Library est assez significative des rapports entre la bibliothèque et son environnement sociopolitique aux États-Unis. © Cristina ion

[Traduction : Merci au maire Bloomberg et à la présidente du conseil municipal quinn d’avoir rétabli le financement municipal des bibliothèques ! Aux New-Yorkais d’avoir écrit plus de 35 000 lettres et fait plus de 1 000 dons lors de la campagne « Gardez votre bibliothèque ouverte ». Grâce à vous, la Bibliothèque publique de New York continuera à servir un nombre sans précédent d’habitants qui comptent sur nous pour la programmation jeunesse, les ressources pour les usagers en recherche d’emploi, les livres et les DVD, l’accès gratuit à l’internet et un personnel compétent et prêt à rendre service. Gratuitement, six jours par semaine !]

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des lectures et quantité des lecteurs 26 » est lui aussi reconduit, et, avec lui, le procès fait à la bibliothèque envisa-gée « comme sanctuaire d’une certaine conception de la culture 27 ».

Malgré la diversité de ces courants à l’intérieur de l’institution, le consen-sus public sur l’utilité sociale des bi-bliothèques ne semble pas vraiment menacé : « les Français sont unanimes à souligner l’utilité des bibliothèques et médiathèques municipales 28 » et l’idée qu’elles puissent fermer leur paraît extravagante. L’offre ou la demande, les citoyens ou les consommateurs, les réalités concrètes ou les fins illusoires, les collections ou les services, chan-ger la société ou s’adapter au change-ment : autant de dilemmes qui sont apparus dans le sillage de la moder-nisation de la bibliothèque publique française. Celle-ci s’est toujours pen-sée comme une institution séparée de la société, la « faiblesse de l’insti-tution » étant fréquemment évoquée pour expliquer son échec à transfor-mer son environnement. Si, comme nous le présumons, un pas de plus est en train d’être franchi dans l’évolution de la relation entre la bibliothèque et ses publics, quel est le projet politique qui l’accompagne ? Pour le dire autre-ment, la bibliothèque publique est-elle soluble dans la fiction d’une société autorégulée ?

Faut-il brûler le modèle politique français ?

Écoutons donc Machiavel et reve-nons aux principes fondateurs de la bibliothèque publique, laquelle est inséparable du projet d’instruction du citoyen né avec les Lumières. Des

26. Martine Poulain, « Retourner à Tocqueville pour comprendre l’histoire comparée des bibliothèques américaines et françaises au xixe siècle », BBF, 2002, no 5, p. 72. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-05-0066-001

27. Claude Poissenot, La nouvelle bibliothèque. Contribution pour la bibliothèque de demain, Territorial éditions, 2009, p. 24.

28. Bruno Maresca, avec la coll. de Christophe Evans et Françoise Gaudet, Les bibliothèques municipales en France après le tournant Internet, Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2008, p. 148.

institutions comme la bibliothèque sont capables de préparer les indivi-dus indépendants et privés à devenir des citoyens responsables envers la chose publique. En étudiant les rap-ports entre bibliothèque et société, nous avons suivi l’hypothèse tocque-villienne de la société civile contre l’État. Dans cette perspective, la société n’a pas besoin d’un référent extérieur pour s’instituer et faire sens, il importe pour sa liberté de transfor-mer la matrice universelle et abstraite du politique par la négociation, le plu-ralisme, le compromis entre intérêts particuliers. Tocqueville insiste sur l’importance des échelons locaux et de la vie associative comme vecteurs de la démocratie et de la liberté, et les bibliothèques ont évidemment leur place dans cette configuration. Si Toc-queville privilégie l’autonomie de la société face aux institutions politiques, Machiavel pour sa part insiste sur l’importance de la forme politique de la société. Selon l’hypothèse machia-vélienne, les constructions politiques sont lisibles à partir des catégories de la société, elles en forgent le caractère en même temps qu’elles sont forgées par elles. La citoyenneté jette un pont entre les deux registres, et les biblio-thèques constituent le relais à travers lequel les usagers peuvent s’accomplir comme citoyens sans se trahir comme individus. Elles ne sauraient donc se concevoir contre ou en dehors de la cité.

Que l’on soit tocquevillien ou machiavélien, que la bibliothèque soit donc une institution sociale suscep-tible de préserver la liberté politique ou une institution politique suscep-tible d’assurer l’égalité citoyenne, une notion reste incontournable, celle d’es-pace public. Si bien que la nouvelle bibliothèque « orientée publics », en train d’émerger lentement des inter-rogations identitaires qui marquent la postmodernité de la médiathèque, s’en fait régulièrement l’écho. La bibliothèque « troisième lieu » est présentée comme offrant « un cadre propice à l’échange, aux débats pu-blics 29 ». La bibliothèque 2.0, quant à

29. Mathilde Servet, « Les bibliothèques troisième lieu : une nouvelle génération

elle, tente de trouver sa place dans la « cité numérique » qui se recompose sous la forme du réseau 30. Dire que la bibliothèque fait partie de l’espace public, ce « forum où les personnes pri-vées rassemblées en un public s’apprê-taient à contraindre le pouvoir de se jus-tifier face à une opinion publique 31 », c’est dire que la bibliothèque occupe cette place particulière, différente à la fois de la société et du pouvoir poli-tique, d’où elle contribue à instruire et à informer celle-là pour déjouer la propension de celui-ci à s’abriter der-rière la raison d’État. Peut-on dès lors envisager que la bibliothèque se retire de l’espace public pour devenir une maille de la société de marché ? Car, en plus des empiètements du pouvoir politique, l’espace public, notion abs-traite et formelle, a souvent été invité à se confronter à la réalité sociale. De cette confrontation sont nées des objections fécondes. On a ainsi dé-noncé les inégalités socioculturelles étouffées par la complicité de l’insti-tution avec la culture dominante. On a également reconnu l’individualisa-tion d’une société qui cherche à s’ex-primer et à trouver satisfaction dans ses aspirations diverses, réactivant ainsi le spectre d’un effritement de la conscience publique et d’un repli gé-néralisé sur la sphère privée. Pour que les bibliothèques continuent d’occuper leur place dans l’espace public, sans doute faut-il maintenir vivante cette confrontation, se réapproprier leurs missions pour réinventer le récit de l’égalité. Il faut aussi contribuer à bâtir des politiques publiques plus justes et plus adaptées, en rattachant par exemple la question de la bibliothèque au projet politique d’une démocratie participative, pour réinventer la légiti-mité de l’institution. •

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d’établissements culturels », BBF, 2010, no 4, p. 58. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-04-0057-001

30. Louise Merzeau, « Du nouage au nuage : espaces publics numériques », Médium, no 20-21, 2009. En ligne : www.merzeau.net/txt/mediation/nouage-nuage.html

31. Jürgen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, traduction française, Payot, 1962, p. 36.

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À quoi sert une bibliothèque ?

Àquoi sert une bibliothèque ? La réponse à cette question est, de prime abord, évidente. En

effet, il est acquis que la bibliothèque tire son existence du principe même d’égalité d’accès à la culture pour le plus grand nombre. Pourtant, au-delà de ce principe établi et sous un prisme différent – celui de l’élu local –, il est intéressant de savoir à quoi peut servir la construction ou la rénovation d’une bibliothèque.

Il se trouve que mon activité pro-fessionnelle allie les deux aspects de cette question. En effet, en tant que « sociologue » de la lecture et conseil-ler en communication politique et publique, j’ai pu mesurer que les enjeux d’une bibliothèque vont bien au-delà de sa mission première. Vingt-cinq années de vie professionnelle et plusieurs contributions à la créa-tion de médiathèques me permettent aujourd’hui de mesurer combien une bibliothèque ou une médiathèque – en plus de l’accès à la culture pour le plus grand nombre – peut devenir un outil de communication et un enjeu urbain. Ainsi, dans le monde des collectivités locales, une médiathèque est un lieu qui offre une visibilité communica-tionnelle. C’est également un élément structurant en terme d’urbanisme, et enfin un lieu de sociabilité porteur de valeurs, qui participe à l’attractivité du territoire.

Un bon vecteur de communication

La création d’une bibliothèque permet à l’élu le développement d’un discours démocratique et égalitaire au-tour du livre. En effet, même si le livre entre directement en concurrence avec les documents électroniques, l’objet livre demeure valorisé. Il est possible d’avancer que la tradition judéo-chrétienne explique que le livre

qu’est la Bible est encore prégnant dans notre société, et que la consé-quence induite est celle d’un attache-ment fort, voire d’une sacralité autour de l’objet. Le fait est que, aujourd’hui encore, un lieu de lecture est auto-matiquement porteur de valeurs de liberté, de respect de l’autre, de savoir.

Cet état d’esprit se retrouve égale-ment dans le fait vérifié que tout pou-voir dictatorial va chercher à censurer, à interdire les livres qui dérangent, voire à les brûler. Par voie de consé-quence, symboliquement et dans la conscience collective, tout discours sur la lecture et les bibliothèques est facilement consensuel, et il paraît dif-ficile de s’y opposer tout en conservant un discours démocratique. Ainsi, une bibliothèque permet aux élus de déve-lopper une image positive qui prouve une attention au citoyen, car les biblio-thèques constituent non seulement des lieux de culture grand public, mais offrent aussi une image portant l’idée de société pacifiée et civilisée par l’ob-jet même de la lecture, et développent lors l’idée d’un service public légiti-mant l’action politique. Enfin, l’image positive de la lecture publique renvoie aux habitants une certaine idée d’eux-mêmes qui crée ce consensus déjà souligné.

Pour exemple, les critiques oppo-sées à la création d’un lieu de lecture publique sont souvent inefficaces, car elles entrent en contradiction avec des valeurs fondamentales, démocratiques et humanistes, de notre société, mais aussi avec les représentations sociales des publics ci-dessus évoquées.

En dernier lieu, les bibliothèques constituent des lieux utiles à des pro-fils de public très différents. Elles offrent en effet la possibilité de mettre en œuvre une communication par réseau auprès de publics qu’il est sou-vent difficile, pour un élu, de rencon-trer, tels que les professions libérales, les enseignants…

Stéphane WahnichSCP [email protected]

Stéphane Wahnich, directeur de l’institut d’études et de sondages SCP Communication, est professeur associé à l’Upec – Université Paris-Est Créteil. Il a coécrit Le Pen, les mots : analyse d’un discours d’extrême droite (La Découverte, 1998) et La communication politique locale (Que sais-je ?, 1995).

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Cependant, une bibliothèque ne constitue pas qu’un objet de commu-nication facile, c’est aussi un véritable enjeu urbain.

Un élément urbain structurant

Une bibliothèque, par sa taille et sa fonction sociale, peut devenir, si l’on y prête attention, un élément structurant du développement urbain d’une ville. Les bibliothèques sont en effet susceptibles d’être parties pre-nantes de la réactivation identitaire lo-cale, de représenter le renouvellement d’une promesse de nouveau dévelop-pement microlocal, voire de redéfinir l’urbanité de la ville.

Ainsi, une bibliothèque peut por-ter en elle un renforcement ou une « re-création » identitaire, dès lors qu’elle occupe un espace ayant rem-pli une autre fonction auparavant. La construction et la modernisation de cet espace peuvent devenir por-teuses d’une identité renouvelée, si tant est qu’elle respecte pour une part l’architecture de l’ancien lieu. C’est le cas de la « Maison des Savoirs » de la ville d’Agde, qui a été construite en lieu et place d’un ancien lycée datant du xixe siècle. La cour intérieure a été recouverte d’une verrière deve-nant la pièce centrale (le cœur) de la médiathèque. La remise en valeur des « vieilles pierres » a permis de donner une forte lisibilité à l’équipement qui contribue indéniablement à son suc-cès (la Maisons des Savoirs compte jusqu’à 40 % d’inscrits) mais renforce aussi le socle identitaire d’une ville qui accueille en été 200 000 touristes, soit dix fois sa population hivernale.

Néanmoins, le caractère identitaire peut également être renforcé par une création ex nihilo, autrement dit sans avoir recours à un ancien bâtiment public ayant marqué la conscience collective. En l’espèce, la bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen en Seine-Ma-ritime rappelle, par son architecture intégrant la brique, l’identité architec-turale cheminote traditionnelle de la commune, et offre une modernisation de l’identité locale en évitant le rappel d’une certaine nostalgie, comme cela peut être le cas à Agde. Le parti pris

architectural de la bibliothèque de Sot-teville est d’abord fondé sur un espace au sein duquel la lumière permet de créer un moment à part. La qualité de la lumière du bâtiment conçu par Henri Gaudin et sa répartition spatiale procurent une ambiance propice à la lecture et à l’acquisition des connais-sances. Cette modernité ne s’inscrit pas à l’encontre de l’aspect identitaire, elle affirme au contraire cette identité.

Mais une bibliothèque peut égale-ment devenir la promesse d’un nou-veau développement, annonciateur d’une restructuration plus importante d’un quartier. Elle devient alors le pre-mier acte d’une rénovation urbaine et contient par essence une repré-sentation de l’évolution d’un quartier ou d’un centre-ville. C’est le cas de la bibliothèque de Marseille à vocation régionale (BMVR), qui marque le re-nouveau urbain de la Canebière tout en s’appuyant sur la façade historique de l’Alcazar. Lors de sa construction, la BMVR était le signe et la preuve du futur renouvellement urbain du quar-tier.

C’est aussi le cas – peut-être de manière plus modeste mais dans le même temps davantage adaptée à la ville – de la médiathèque de Mérignac. Cette commune proche de Bordeaux a entamé la complète restructuration de son centre-ville, trop longtemps délaissé. Le premier acte, couplé avec l’arrivée du tramway, consiste en la construction d’une médiathèque mo-derne reposant sur l’histoire de la ville.

En effet, comme à Agde, la média-thèque est créée à partir de l’ancienne mairie et d’une ancienne école, mais, contrairement à Agde, la médiathèque de Mérignac constitue non seulement la preuve de l’évolution du centre-ville, mais donne aussi le ton du renouveau architectural du quartier tout entier, permettant de réaffirmer la centralité de la ville, alors même que l’arrivée du tramway aurait pu être le signe d’une « banlieurisation » de cette commune. La modernité de l’équipement, tant dans son aspect architectural que dans les pratiques culturelles qu’il propose, mais aussi le succès qu’il rencontre, ont permis de redynamiser le centre-ville de Mérignac, de marquer l’espace par la présence d’un service public et de donner à voir la modernité de de-

main aux habitants de la ville. La mé-diathèque est devenue à la fois mar-queur d’un renouveau du centre-ville et immeuble « témoin » des construc-tions de logements futurs.

Enfin, ces équipements, au pre-mier rang desquels ceux de Sotteville et de Mérignac, organisent, par leur situation géographique choisie, l’es-pace urbain. Pour Sotteville, la nou-velle bibliothèque, proche du marché et de l’hôtel de ville, agrandit de facto le centre-ville ; pour Mérignac, la média-thèque, jouxtant l’église, marque de manière laïque un centre-ville renou-velé dans le sens où l’hôtel de ville, excentré, n’est pas à même de jouer ce rôle.

Un lieu de sociabilité

Les lieux de lecture publique peuvent aussi contribuer à la socia-bilité de la ville, y compris pour les faibles ou non lecteurs. En effet, une ville est faite de rencontres, c’est d’ail-leurs son principal intérêt pour celui qui y vit et qui y est attaché. Ces ren-contres constituent autant de décou-vertes, autant d’échanges impromptus qui favorisent la formation des êtres humains. Une notion particulière-ment structurante dans la construc-tion humaine d’une ville est celle de parcours. Les équipements publics et privés contribuent à ce(s) parcours.

Disposer d’un café, d’une biblio-thèque, d’une maison des jeunes et de la culture et même d’un espace vert n’est pas neutre dans la structu-ration de long terme des individus. Les élus locaux en sont conscients, l’absence d’espaces publics et de lieux de découverte crée un enfermement et développe une mauvaise adaptation à la société. Une étude que nous avons menée pour un département plutôt urbain nous a permis de démontrer que l’absence d’équipements culturels grand public provoque pour les jeunes générations une faible connaissance du monde qui les entoure, et surtout un enfermement quasi clanique entre amis par manque de lieux où cha-cun pourrait partager « autre chose » ensemble. Ce phénomène d’enferme-ment contribue à une très faible pour-suite d’études dans le supérieur et crée

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À quoi sert une bibliothèque ?

une faible mobilité, notamment dans la recherche d’emploi.

Cela signifie par conséquent que, même si les individus ne sont pas de « bons lecteurs », les lieux publics tels que les médiathèques influent malgré tout sur une évolution des mentalités. Croiser chaque jour une médiathèque revêt un autre sens que de croiser un simple endroit de consommation cou-rante, donc peu porteur de valeurs. Les médiathèques, par leur ouverture à tous et surtout leur utilité dans les études, structurent petit à petit le rap-port aux savoirs, le rapport au monde, sinon aux livres.

C’est la raison pour laquelle, selon notre expérience, une médiathèque doit apporter autre chose que de l’offre documentaire. Elle a en effet pour mission de devenir un lieu où l’on se donne rendez-vous, où l’on peut boire un café, regarder par hasard une exposition… Ce rôle de sociabilité ne doit pas être négligé, car il assure une fonction structurante pour ceux qui ne bénéficient pas d’un capital fami-lial culturel important. De fait, l’archi-tecture ne doit pas véhiculer l’idée ou

l’image d’un temple du savoir réservé aux initiés, de même que la commu-nication mise en œuvre à l’égard de l’équipement doit émettre les signes de bienvenue à tous, par la présence d’activités différentes et complémen-taires de ce que permet l’offre docu-mentaire classique, afin d’intégrer, dans un parcours, tous ceux qui sont en quête de sociabilité.

Pour y parvenir, il convient que les locaux prévoient cette sociabilité, que les fréquentants y trouvent des zones de silence mais aussi des zones de bruit, que l’accueil ne décourage pas d’entrée les non-lecteurs. Cette fonction de sociabilité des lieux de lec-ture est très importante, car elle peut changer la vie d’individus auxquels les bibliothèques ne s’adressent pas tradi-tionnellement, en tout cas en France.

La symbolique sociale

La création d’une bibliothèque est aussi l’occasion, à travers son règle-ment, son offre, de communiquer des valeurs. Pour exemple, la gratuité

de l’inscription, totale ou partielle, ou encore la facilité pour s’inscrire, sont autant de signes porteurs de valeurs politiques. Pour certains, la culture se mérite et revêt une valeur intrinsèque et, dans ce cas, l’inscription a souvent un coût. Ce coût peut être symbolique (de l’ordre d’1 euro par exemple) mais il peut aussi être réel (15 à 20 euros). Il peut être réservé aux supports audio, DVD ou électroniques, tandis que les documents papier sont gratuits. Le signe émis alors par cette formule revient à dire qu’il existe une biblio-thèque pour les « riches », qui peuvent s’offrir tous les documents, et pour les autres qui n’ont le droit qu’aux sup-ports « traditionnels », ce qui émet par ailleurs un signe de dévalorisation des documents papier, contradictoire avec l’idée même de bibliothèque.

La création d’une carte famille, l’ouverture ou non le dimanche, mais aussi les horaires, sont des signes d’attention au public qui vont valori-ser l’action du politique et qui vont donner « l’autorisation » sociale de fré-quentation ou d’exclusion à certaines populations.

Bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen. © Ville de Sotteville-lès-Rouen

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L’organisation interne de la biblio-thèque, la valorisation ou non de cer-taines collections, la mise en valeur des documents patrimoniaux ou pas, sont autant de signes qui peuvent inclure ou exclure des populations.

Comme on peut le constater, une bibliothèque, selon sa conception, ses collections et son règlement, peut devenir un espace réservé à une classe sociale ou au contraire le lieu de tous. En général, le taux d’inscription donne, sur ce point, de bonnes indications.

L’attractivité du territoire

Les collectivités locales se placent en concurrence entre elles, et l’attrac-tivité des territoires est devenue, au fil des années, un enjeu important. La culture sous toutes ses formes permet de créer des distinctions entre collec-tivités qui leur offrent une possibilité de démarquage au sein du « mille-feuille » territorial français. Entre autres signes, le développement du nombre de festivals organisés direc-tement ou sous l’égide de collectivités locales n’est pas étranger à cette ques-tion. Par ailleurs, il apparaît que les bibliothèques constituent aussi des marqueurs pour la création d’image de villes modernes, cultivées, dans les-quelles chacun peut éduquer convena-blement ses enfants.

Disposer d’une « belle » biblio-thèque est un gage d’avenir. Les biblio-

thèques municipales à vocation régio-nale (BMVR) de Troyes ou de Limoges par exemple, par leur architecture ori-ginale et le rôle qui leur a été assigné, ont été le symbole d’une certaine re-naissance pour ces villes. Cet enjeu est aussi partagé par les intercommunali-tés. De plus en plus, ces dernières ont en charge la compétence « culture », et, dans ce cadre, l’installation d’une bibliothèque intercommunale, sur-tout en ruralité, est un signe impor-tant que le territoire se place dans une dynamique de modernité. En termes d’image, l’apport d’une bibliothèque est donc important pour un territoire, surtout quand elle devient la tête de pont d’une animation culturelle locale.

Ainsi, le livre et, plus largement, la culture sont synonymes de vitalité, d’humanité, et la dynamique liée au livre véhicule une image valorisante pour le territoire et ses habitants.

Conclusion

Par l’ensemble des signes qu’elle émet et les enjeux sous-jacents d’image et d’urbanisme qu’elle porte, la création d’une bibliothèque consti-tue une décision éminemment poli-tique. C’est une certaine idée de l’homme dans la cité que l’on véhi-cule, une certaine idée de la tolérance, du débat d’idées. La présence dans une ville d’une bibliothèque n’est pas chose anodine, elle fait partie des élé-

ments qui structurent à moyen terme une population et une cité. Cet apport est lié à ce que donnent à voir, à dé-couvrir, les bibliothèques, c’est aussi la réaffirmation d’un contrat social selon l’accueil, l’organisation et les possibles qu’offre la bibliothèque à sa popula-tion. Les signes peuvent être élitistes ou au contraire universels. Pour toutes ces raisons, il est clair que la program-mation, la réalisation architecturale et le règlement constituent des objets politiques à part entière, car ils vont construire à moyen et long terme un rapport au savoir, un rapport à la lec-ture, qui détermineront pour une part non négligeable le devenir d’une po-pulation et d’un territoire tout entier.

Prendre en compte les probléma-tiques identitaires et urbaines dans la création d’une bibliothèque n’est pas seulement valorisant pour le poli-tique, cela l’est aussi pour la lecture publique. En effet, les bibliothèques de Sotteville-lès-Rouen et de Mérignac, qui ont pris en compte l’ensemble de ces facteurs, obtiennent depuis plu-sieurs années plus de 30 % d’inscrits. Autrement dit, la lecture publique ne doit pas seulement s’affirmer dans une logique culturelle mais aussi dans une logique de ville. •

Janvier 2011

Bibliothèque de Mérignac. © Ville de Mérignac

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L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulier

« La décentralisation, non seulement la loi qui est actuellement en débat devant le par-lement, mais la deuxième loi sur le partage des compétences qui doit suivre dès la ses-sion extraordinaire de janvier [1982], ou, au plus tard avant le 1er avril, cette loi va introduire une dimension totalement nouvelle dans les rapports que vous pouvez avoir avec les élus locaux, avec nous à l’échelon national, et que nous aurons, à notre tour, avec les élus locaux. »

Jean Gattégno 1, clôture du colloque d’Henin-Beaumont, novembre 1981 2

Tout semble avoir été dit, lu, écrit, pensé sur les relations particulières qu’entretiennent

les bibliothécaires territoriaux fran-çais, leurs élus, et leurs administra-tions dites centrales.

Qu’on relise à profit – et d’ailleurs cet article leur doit tout – Anne- Marie Bertrand 3, Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard 4, Philippe Poirrier et René Rizzardo 5, Robert Damien 6, Max Butlen 7, le constat est établi et comme l’éléphant : il est irréfutable.

1. Jean Gattégno (1934–1994), directeur du livre et de la lecture et président du Centre national du livre de 1981 à 1989.

2. Cf. « Colloque “Lecture et bibliothèques publiques” », BBF, 1981, no 12. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1981-12-0703-005

3. Anne-Marie Bertrand, avant-propos de Pascal Ory, Les villes et leurs bibliothèques : légitimer et décider : 1945-1985, Éd. du Cercle de la librairie, 1999 (collection Bibliothèques).

4. Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard, avec la collaboration d’Emmanuel Fraisse, Martine Poulain et Jean-Claude Pompougnac, Discours sur la lecture : 1880-2000, Fayard/BPI, 2000 (collection Nouvelles études historiques).

5. Philippe Poirrier et René Rizzardo (dir.), préface de Frédéric Mitterrand, Une ambition partagée : la coopération ente le ministère de la Culture et les collectivités territoriales, 1959-2009, La Documentation française/Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2009 (collection Travaux et documents, no 26).

Les bibliothécaires, après la défaite politique des « sectoristes 8 » emmenés par Michel Bouvy et Albert Ronsin, au profit des « municipalistes », après le compromis historique avec l’adminis-tration d’État, ont souhaité et pu cogé-rer la politique de lecture publique et, par voie de conséquence, appuyer sur le besoin de financement pour la construction des bibliothèques, muni-cipales d’abord, les bibliothèques cen-trales de prêt relevant encore (jusqu’en 1986) de l’État.

Les grands directeurs de la lecture, Julien Cain 9, Étienne Dennery 10, ont

6. Robert Damien, La grâce de l’auteur. Essai sur la représentation d’une institution politique : l’exemple de la bibliothèque publique, Encre marine, 2001.

7. Max Butlen, « De la politique de la lecture publique aux politiques publiques de lecture », in Regards sur un demi-siècle : cinquantenaire du Bulletin des bibliothèques de France, Enssib, 2006.

8. Cf. Dominique Lahary, « La bibliothèque de secteur (1967/1988) : quand s’imaginait un réseau national de lecture publique », BIBLIOthèques, no 28, juin 2006. En ligne : www.lahary.fr/pro/2006/BIBLIOtheques28-secteur.htm

9. Julien Cain (1887–1975), administrateur de la Bibliothèque nationale de 1930 à 1938 et de 1946 à 1964.

10. Étienne Dennery (1903–1979), administrateur de la Bibliothèque nationale et directeur des bibliothèques de France de 1964 à 1975.

Thierry ErmakoffÉcole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib)[email protected]

Conservateur des bibliothèques, Thierry Ermakoff est chef du département Services aux bibliothèques à l’Enssib après avoir été directeur de la bibliothèque municipale de Blois puis conseiller pour le livre et la lecture à la Drac Auvergne. Il a participé à Littérature contemporaine en bibliothèque (Éd. du Cercle de la librairie, 2001) et collabore régulièrement au BBF dont il est membre du comité de rédaction.

François Rouyer-GayetteCentre national du [email protected]

Titulaire d’une maîtrise d’histoire moderne, François Rouyer-Gayette est directeur adjoint de la Direction de la diffusion au Centre national du livre après avoir exercé pendant six ans (2001–2006) des fonctions au sein du Bureau des bibliothèques territoriales à la Direction du livre de la lecture. Il a dirigé les bibliothèques municipales de Tremblay-en-France, Montreuil, puis Cergy. Il a contribué aux actes du colloque de Montbrison, Lecture publique et territoires : trente ans de mutation en BDP (Presses de l’Enssib/Conseil général de la Loire, 2005) et publie régulièrement des recensions dans le Bulletin des bibliothèques de France.

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souvent été de grands bibliothécaires, ou sont passés par de « grandes » bibliothèques (essentiellement la Bibliothèque nationale) sauf pour Jean-Claude Groshens 11, et ce jusqu’à l’arrivée de Jean Gattégno, universi-taire atypique dont certains se sont de-mandé ce que ce spécialiste de Lewis Carroll venait faire dans une direction où, selon l’expression de Pierre Van-devoorde, si tout ne « reste pas à faire, beaucoup reste à entreprendre ».

L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 s’accompagnait d’un profond désir d’émancipation : dans le pro-gramme du candidat François Mit-terrand, la proposition no 54 intro-duisait la décentralisation, « la tutelle de l’État sur les décisions des collectivités sera supprimée », elles seront donc ren-dues libres de leur administration.

Le ministère de la Culture, dont les capacités financières ont été dou-blées en 1982, ne l’entendait pas de cette manière, et ce, pour deux raisons essentielles :

• la première, d’ordre politique : « Alors que depuis tant d’années des mil-liers de créateurs, l’ensemble des élus, […] partagent la même hostilité au désenga-gement de l’État en matière culturelle, on ne peut comprendre que la nouvelle prési-dence soit inaugurée par un transfert de crédits qui transiteraient simplement par le ministère de la Culture » (Jack Lang)12 ;

• la seconde, d’ordre plus suspi-cieux ; il est coutume d’attribuer au même ministre de la Culture cette expression : « Ils vont construire des bor-dures de trottoirs avec nos crédits. »

Tout au plus concédera-t-il la dé-volution des bibliothèques centrales (puis départementales) de prêt et les archives aux départements ; et encore, s’agissant de ces dernières, l’État conserve une fonction régalienne pré-cisément contrôlée.

On se souvient de l’angoisse du/de la bibliothécaire départemental(e) devant le président du conseil général. L’idée que les bibliothèques munici-

11. Jean-Claude Groshens (1926–2010), directeur du livre et de la lecture, président du Centre national du livre de 1976 à 1980 et président du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou de 1980 à 1987.

12. Laurent Martin, Jack Lang : une vie entre culture et politique, Complexe, 2008.

pales étaient elles aussi dans le giron de l’État, et qu’elles furent elles aussi également transférées, est tellement forte, que même la plaquette éditée par le ministère de la Culture et de la Communication pour commémorer son cinquantenaire le reprend, alors même qu’elles sont « propriétés » des communes depuis 1803.

L’outil astucieux de la décentralisation : le concours particulier

Afin de continuer, de (re)commen-cer à bâtir, plus exactement, selon les recommandations du rapport Vande-voorde, environ 1 400 000 m² en six ans, l’administration a inventé ce dis-positif astucieux, dont beaucoup s’at-tribuent la paternité (mais qui, selon l’aveu même de Cécil Guitart 13, doit tout à Jean-François Chougnet) : le concours particulier créé au sein de la dotation générale de décentralisation, comme les concours particuliers des villes en matière d’investissement des ports de pêche… allez savoir. Ce dispo-sitif dérogatoire permet à l’État de sou-tenir la construction des bibliothèques (et, à l’origine, leur fonctionnement), grâce à des crédits fléchés pour les communes et les départements, mais est instruit par le préfet de région.

Ce concours particulier a survécu à tous les avatars de la Direction du livre et de la lecture, jusqu’à sa transforma-tion en Service du livre et de la lecture, en janvier 2010, et même, élément surprenant, à la deuxième série de lois de décentralisation, beaucoup plus libérale, décidée en 2002, et mise en œuvre à partir de la loi constitution-nelle du 28 mars 2003 14 : l’an II de la décentralisation, « mère de toutes les réformes », allait épargner le concours particulier.

13. Cécil Guitart (1944–2010). Voir l’article en hommage à Cécil Guitart par Gérald Grunberg, dans ce numéro du BBF, p. 31.

14. Loi constitutionnelle no 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000601882&fastPos=2&fastReqId=1358412709&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

En 1982, 679 000 m² de biblio-thèques étaient construits ; ce seront 1,2 million de mètres carrés qui seront achevés en 1990 et, en 2008, près de 2,3 millions de mètres carrés, grâce à ce dispositif. La part consacrée au fonctionnement des bibliothèques municipales, le plus emblématique des liens entre l’État et les collectivi-tés, n’a jamais excédé 6,25 % 15. Cette part était appelée soit à disparaître, à mesure que les collectivités s’éman-cipaient, soit à croître, à mesure que l’investissement diminuait ; on sait que c’est la première solution qui a prévalu. Rien n’a été simple dans ce choix, et le sourcilleux comité des finances locales a été le gardien du temple de cette aide de plus en plus dérisoire (3,29 % des dépenses sub-ventionnables en 2003, 3,16 % en 2005) et a longuement demandé un rééquilibrage entre le fonctionnement et l’investissement : paradoxe éter-nel. La dernière position publique en faveur d’un abondement massif en faveur du fonctionnement fut celle de Cécil Guitart : paradoxe éternel, l’émancipation doit aussi avoir ce prix. Or, la nouvelle version du décret 16 portant modification du concours par-ticulier ne pourrait-elle s’apparenter à une recentralisation ?

La mallette aux trésors de la démocratisation culturelle

Pour autant, cette politique du « bâti » ne s’est pas accompagnée, loin s’en faut, d’une augmentation significative de la fréquentation des

15. 6,25 % en 1989, pour se situer entre 4 et 3 % généralement. Cf. l’article de François Rouyer-Gayette, « La réforme des concours particuliers : une modernisation attendue des aides de l’État aux collectivités territoriales », BBF, 2007, no 1, p. 20-21. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-01-0020-003

16. Décret no 2010-767 du 7 juillet 2010 relatif au concours particulier de la dotation générale de décentralisation relatif aux bibliothèques municipales et aux bibliothèques départementales de prêt. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022451384&fastPos=1&fastReqId=1096500192&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

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L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulier :

bibliothèques. Ce fut même comme une lente descente aux enfers, sous la forme d’une évolution décroissante et parfois douloureuse des inscrits, pas plus que d’une intensification des pratiques de lecture, alors même que 48 % des communes possèdent une bibliothèque. La question du rapport à la bibliothèque est d’une autre nature, que beaucoup ont depuis longtemps signalée.

L’État incitateur a donc développé très tôt des politiques contractuelles : succédant au Fonds d’intervention culturel (FIC), les conventions de développement culturel avaient pour but de soutenir/accompagner l’effort des collectivités (et, en arrière-pen-sée, de professionnaliser le secteur). Ces conventions, d’abord générales, ont ensuite été plus ciblées : pour ce qui concerne le livre et la lecture, il s’est agi des protocoles « Culture-Justice 17 », « Culture-Santé 18 », tou-jours réactualisés, et des éphémères « Culture-Défense », pour soutenir le moral des troupes, des contrats Ville-Lecture, de la création des ser-

17. Protocole Culture/Justice – 2009. www.culture.gouv.fr/culture/politique-culturelle/justice/pdf/protocole2009.pdf

18. Culture à l’hôpital – 2010. www.culture.gouv.fr/culture/politique-culturelle/hopital/convention.htm

vices éducatifs. Les deux premières séries de conventions/protocoles avaient pour objectif d’inciter (finan-cièrement) les collectivités à s’investir dans le développement de la lecture des publics dits empêchés (de sor-tir). Les contrats Ville-Lecture avaient une ambition plus ample : ils étaient censés intégrer localement tous les acteurs impliqués de façon directe ou indirecte au développement de la lec-ture (services éducatifs et de loisirs, la petite enfance, les services sociaux et de santé, l’Éducation nationale, etc.) : l’idéal était même que – dans certains cas – le comité de pilotage soit confié à un élu qui ne soit pas en charge de la culture ; quant aux services éduca-tifs, à l’instar des musées, ils avaient pour objectif la construction et la réa-lisation d’actions pérennes, comme on dit, dans le milieu scolaire (primaire, secondaire). Une évaluation nationale de l’ensemble de ces dispositifs reste à réaliser.

La fin de la déploration ?

Les bibliothèques territoriales sont tiraillées, écartelées entre les demandes contradictoires des élus : un service culturel, un service social, un rôle éducatif, l’élargissement des publics, l’ouverture à tous les sup-

ports (y compris, et surtout, les jeux vidéo), l’augmentation de la fréquen-tation, le management d’équipe. Ils/elles comptent sur la main puissante et l’œil bienveillant, parce que loin-tain, de l’État pour leur transmettre quelques indications – les « bonnes pratiques » – concernant l’illettrisme, le patrimoine, la création et l’action culturelle, les enquêtes nationales, le numérique, etc., et exprimer son ex-pertise autrement que par une vague bénédiction, c’est-à-dire par des crédits qui ne soient pas de l’ordre du denier du culte. Ils se méfient des élus, qu’ils ne comprennent pas, ou peu, ils se méfient du numérique, puis après ils s‘en emparent pour ne plus le lâcher, on en a vu même tomber malades ; ils se méfient de la communication, qu’ils maîtrisent mal, ils se méfient du public, du lectorat, des usagers, qu’ils accueillent, servent, conseillent tous les jours, des documentalistes, des enseignants, avec qui ils travaillent au quotidien ; et pourtant, les biblio-thèques départementales de prêt ne se sont jamais autant épanouies que depuis leur transfert (il faudra juger cette affirmation péremptoire après la réforme des collectivités territoriales et les effets du désengagement qu’évo-quait Jack Lang en 1982), ils/elles ont conçu des plans départementaux de lecture, assortis d’aides financières,

Bibliothèque municipale de Roura (Guyane)

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suivant ainsi le précurseur que fut Rodolphe Pesce 19. Les bibliothécaires veulent une loi sur les bibliothèques, qui ne soit pas qu’émotive (comme en 1995, après l’élection des maires issus du Front National), qui tiendrait éventuellement en deux lignes. Ils veulent que les conservateurs d’État dirigent les bibliothèques munici-pales classées, et même d’autres, et ne comprennent pas la position de leur association professionnelle, trop timo-rée à leur goût, sans doute tiraillée de positions antagonistes ; quand ils ne sont pas d’accord avec leur associa-tion professionnelle, ils en créent une autre ; ils veulent bien que leurs col-lègues territoriaux soient leurs égaux. C’est bien pourquoi l’Enssib se bat pour l’unicité de la formation, de la profession, des fonctions publiques. La qualité de la formation, la capacité à l’anticipation, sont des conditions nécessaires pour que bibliothécaires et élus, bibliothécaires et tutelles s’éman-cipent un peu.

Refonder

Jean Gattégno avait raison : la dé-centralisation dont il parle lors de ce colloque d’Hénin-Beaumont a intro-duit des rapports totalement nouveaux entre l’État, les élus et leurs biblio-thèques et bibliothécaires ; il envisa-geait encore les relations sous forme de coopération entre les bibliothèques de l’État (BCP, grandes bibliothèques) et les bibliothèques municipales de l’époque, où les agents étaient des agents municipaux. En 2010, les don-nées politiques, économiques (le poids des collectivités en matière culturelle), sociologiques, statutaires, ont considé-rablement évolué ; le bâti n’a pas suffi, même si ce fut/reste une condition nécessaire, pour accroître la fréquenta-tion des bibliothèques.

Peut-être faut-il aussi refonder un discours politique, qui, nous en sommes convaincus, n’est pas mort sous les cendres managériales : certes, il est convenu de dire que l’État ne

19. Rodolphe Pesce (1935 –), ancien président du conseil général de la Drôme (de 1985 à 1992).

peut pas tout faire, ou qu’il devrait tout faire, selon les circonstances : quel est donc son rôle ? Les collectivi-tés territoriales, passées sur le grill ou le tamis de la réforme, auront-elles en-core les moyens de leurs ambitions ? Après les investissements intenses, qu’en est-il aujourd’hui des besoins en lecture publique, en surface, en taille des bâtiments, en services ? En proximité, à défaut d’utiliser un autre terme, qui sonne un peu comme la police de, les élus de… ? En heures d’ouverture, même si on ne risque plus sa peau en évoquant l’ouverture le dimanche ? En gratuité ? En parte-nariats, à défaut, là aussi, d’autre mot, avec l’enseignement scolaire, secon-daire et supérieur ? En accès aux col-lections ? Quels liens avec la librairie ?

Les directeurs de bibliothèques universitaires sont aujourd’hui, à cause ou grâce à la loi liberté et res-ponsabilité des universités 20 (dite loi LRU) confrontés aux mêmes interro-gations et aux mêmes défis : seul un discours politique peut convaincre le président de l’université, les ensei-gnants chercheurs, de l’utilité d’une bibliothèque affectée de moyens : il sera indispensable de suivre leurs dé-bats et que le champ du politique réin-vestisse les bibliothèques territoriales.

Laissons à Jean Gattégno les mots de la fin, prononcés lors de ce colloque d’Hénin-Beaumont : « La décentralisa-tion, c’est quelque chose d’assez énorme, et finalement, je crois (en tout cas tous ceux d’entre vous qui sont bibliothécaires le savent) quelque chose que nous ne maîtrisons pas encore. » Il n’avait pas tort, ce grand directeur du livre qu’il fut, et nous ne sommes pas au bout de nos tâtonnements. Néanmoins, il nous semble, malgré ces turbulences législatives, statutaires, financières, cette sorte de volte-face permanente, que si l’idée même du concours par-ticulier, comme un symptôme, a sur-vécu à toute révision générale des politiques publiques, à tout organi-gramme, c’est que l’État a toujours

20. Loi no 2007-1199 relative aux libertés et responsabilités des universités. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=BBD2BFE51AF7BD9482ADA92AF83A0BB7.tpdjo12v_2&dateTexte=?cidTexte=JORFTEXT000000824315&categorieLien=cid

un rôle à jouer en matière de lecture publique : qu’il y a toujours des poli-tiques publiques du livre et de la lec-ture non à défendre, mais à dévelop-per, à inventer, à construire. •

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« Indignez-vous ! » Par la vertu d’un petit texte que nous a livré un grand résistant, c’est devenu le slogan de ce début d’année 2011. Cela ne t’aurait pas déplu, cher Cécil. Il faut dire que les raisons de s’indigner ne manquent pas, même pour les bibliothé-caires, comme on l’a vu l’an passé, mais tes amis et tous ceux qui ont simplement eu la chance de te croiser, ceux-là ont une raison supplémentaire, indiscutable et insuppor-table, de s’indigner.Tu es parti, comme ça, sans crier gare, sans dire au revoir, et ça ne te ressemble pas. Toi qui avais toujours un mot pour chacun, une attention pour chacune, et tant à partager avec tous. C’est d’abord cela qui m’est venu à l’esprit quand la nouvelle nous a brutalement frappés : va nous manquer ce je ne sais quoi d’inimitable que ta présence irradiait. Plus que de la cordialité, quelque chose qui nous donnait envie d’être ton ami, ce qu’un philo-sophe de ma connaissance appellerait l’ami-calité, ce qu’avec ton accent chaleureux tu nous donnais en partage et qui créait ce sen-timent de devoir travailler ensemble, quelles que soient nos divergences, pour « tendre vers une communauté de destins » selon la belle formule de Malraux que tu aimais rappeler à ceux qui aujourd’hui confondent culture, indicateurs de performance et chiffre d’affaires.Militant de la culture, tu le fus peut-être plus qu’aucun de nous, mais sans carte et toujours libre de tes propos. Comme bibliothécaire et conservateur, puis dans tes différents postes au ministère de la Culture, bien sûr comme élu, maire adjoint de la ville de Grenoble et, ce n’est pas le moindre, comme président de « Peuple et culture ». Militant : le mot ne t’a jamais fait peur et tu as toujours refusé de lui tourner le dos. Autres temps diront d’aucuns. Certes, et nul ne prétendra que ce fut le temps des cathédrales, mais ce fut au moins celui durant lequel la France se couvrit de bibliothèques publiques. Est-ce une simple coïncidence ?Enfant de la République et prêt à tout don-ner pour elle, tu te méfiais en même temps de ses ors, de son fameux « élitisme républi-cain » qui n’a que trop souvent servi d’alibi au maintien des privilèges que tu dénonçais. Tes méfiances étaient connues et en ont souvent agacé plus d’un, à commencer par les profes-

sionnels de la profession dont tu n’as cessé de dénoncer les risques qu’ils faisaient selon toi courir aux meilleurs des projets culturels : l’institutionnalisation et ses lourdeurs, la confiscation des droits du public. Dès 1981, dont tu avais préparé l’échéance avec ardeur – beaucoup se souviennent des journées so-cialistes sur la politique du livre à Valence en janvier 1981 –, tu nous mettais en garde. En novembre de la même année, alors que nous étions dans l’effervescence de la nouvelle politique du livre que mettait en place Jack Lang, tu déclarais lors d’un colloque à Hénin-Beaumont : « Enfin, notre action est amputée de sa principale force si elle n’associe pas étroite-ment la population. Sans assise sociale, sans la participation, sans l’adhésion de la population, y compris même dans la gestion de nos institu-tions, la bibliothèque est en danger. »Nous avons parfois souri de ces propos : tu exagères, Cécil ! Mais aujourd’hui, le sourire s’est un peu figé car le fait est là : le corpora-tisme qui fait le lit du consumérisme contri-bue à reléguer les institutions culturelles loin derrière les grands groupes industriels et leur stratégie de dévoiement des aspirations du public à la démocratie culturelle. Tu n’as cessé de dénoncer ce risque, toi qui rappelais toujours le primat du politique, qui ne doit pas rester l’apanage des politiques.C’est bien là un point que tu avais en com-mun avec notre ami Jean Gattégno, qui fit appel à toi pour créer la fonction de chargé de mission en région. Nous étions six à nous lancer en mai 1982 et nous n’étions pas peu fiers de notre titre de chargé de mission. Tout un programme. Puis Jean Gattégno t’appelle à la Direction du livre et de la lecture pour prendre la direction du service des biblio-thèques. Tu hésites car tu n’as guère envie d’être parisien, encore moins de devenir fonctionnaire d’administration centrale. Mais tu acceptes, pensant pouvoir à ce poste accé-lérer la décentralisation des bibliothèques qui te paraît une condition sine qua non de leur développement. Sous la direction de Jean Gattégno, nous y avons travaillé ensemble. Tu étais plutôt réticent à la mise en place d’une dérogation au droit commun de la décentra-lisation : le fameux concours particulier créé au sein de la dotation générale de décentra-lisation pour permettre à l’État de continuer à subventionner la construction et l’équipe-

ment de bibliothèques. Tu nous expliquais que ce n’était pas la bonne façon de faire, que la négociation valait mieux que l’obligation et que le contrat était plus incitatif que la loi : du vrai Cécil Guitart ! Mais qui savait écouter, qui admettait les divergences, et qui nous a laissé faire. Heureusement d’ailleurs, parce qu’en l’occurrence le système a fonctionné au-delà de toute espérance. Tu avais néanmoins tenu bon sur une exigence : la norme, puisque norme il y aurait, devrait être la plus simple possible. Ce fut le fameux 0,7 m² par habitant dont l’apparente simplicité est inversement proportionnelle au nombre de soirées pas-sées à faire et refaire nos calculs.Que de souvenirs : ces éléments pour une chronique des bibliothèques publiques dans notre pays à quoi tu as pris, avec d’autres mais à ta façon toujours singulière, une part décisive, mais aussi tous les bons moments que nous avons passés avec toi, à partager ton amour de la vie et des bonnes choses, dans les restaurants que tu nous faisais découvrir (un autre point commun avec Jean Gattégno), sur les routes de ta région, et plus loin encore, s’il t’en souvient, dans un res-taurant de poissons à côté d’Alger où nous étions venus en 1981 pour organiser diverses coopérations entre bibliothèques publiques. Car tu étais convaincu que la réponse aux difficultés rencontrées dans certains quar-tiers – on ne parlait pas encore de quartiers sensibles, on disait bêtement quartiers dif-ficiles – passait par l’échange et le dialogue des cultures.Ta générosité, ton enthousiasme, la chaleur de tes convictions vont terriblement nous manquer. Mais rassure-toi : nous sommes nombreux à vouloir transmettre ce que tu viens de nous léguer.

Gérald GrunbergBibliothèque nationale de France

[email protected]

Pour Cécil Guitart

no 3 Le droit contre les bibliothèques

La facilité avec laquelle peuvent être copiés et diffusés à l’identique les fichiers numériques (textes, images, sons…) a sécrété chez les acteurs de la production des biens culturels une méfiance, voire une panique, qui se sont incarnées dans une offensive juridique tous azimuts de grande ampleur. Ce mouvement aboutit aujourd’hui, parfois involontairement (car les bibliothèques sont les grandes oubliées de ces reconfigurations), à rendre impossibles certains usages licites dans l’univers analogique, menaçant, plus que la révolution numérique elle-même, le rôle et les fonctions traditionnelles des bibliothèques, et au-delà la circulation des savoirs. Jusqu’à la contre-productivité ? Avec quelles menaces pour la création ? Pour les libertés fondamentales ? Sur la base de quelle vision des usages de l’écrit ?

Parution : mai 2011

no 4 Archives, bibliothèques, musées : confluences

Archives, bibliothèques, musées, documentation : vers la fusion ? Les collections, leurs descriptions, les lieux, leurs usages, les services, les pratiques, les usagers, les contraintes, tout ou presque semble inviter à une convergence plus ou moins rapide, plus ou moins volontaire, plus ou moins convaincante, de ces mondes hier si spécifiques : vérités et mensonges de cet état réel et supposé des lieux.

Parution : juin 2011

no 5 Métamorphoses de la lecture

La question de l’avenir du livre a donné lieu ces dernières années à quantité de rapports centrés sur les métamorphoses pressenties de l’objet ou les évolutions à venir de sa chaîne de production, de distribution, de diffusion. Force est de constater qu’aucune de ces analyses n’a emporté une complète adhésion. Peut-être parce qu’avant d’aborder les questions de support, de format, ou d’économie du livre, il convient de s’interroger sur les métamorphoses de la lecture à l’ère du numérique. En croisant les points de vue de divers professionnels du livre (éditeurs, libraires, bibliothécaires, historiens et sociologues de la lecture), sans oublier bien sûr ceux des lecteurs, on fait ici l’hypothèse que ce sont les usages en marche, ou pressentis, ou simplement possibles du livre qui pourraient le mieux bien dessiner les contours de son avenir.

Parution : octobre 2011

no 6 L’avenir des bibliothèques : vues d’ailleurs

Le projet est simple, si sa réalisation peut être complexe : puiser le temps d’un dossier et dans l’actualité le meilleur des revues bibliothéconomiques étrangères. De quoi parlent nos collègues ? Quels sont leurs enjeux, leurs enthousiasmes, leurs craintes, leurs espoirs ? Croient-ils à la disparition prochaine des bibliothèques – ou non ?

Parution : décembre 2011

bbf : Dossiers 2011

Les propositions de contributions sont à adresser au rédacteur en chef, à l’adresse suivante : [email protected]

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La réforme du concours particulier :

Les bibliothèques sont les lieux culturels les plus présents sur le territoire français, et les plus fré-

quentés. Depuis les lois de décentrali-sation dites « lois Deferre », les biblio-thèques départementales sont gérées par les départements ; les bibliothèques municipales, elles, ont toujours été des services municipaux. Cependant, l’État a choisi de conserver un levier pérenne pour soutenir les collectivités dans le développement de la lecture publique sous la forme d’un concours particulier créé au sein de la dotation générale de décentralisation, abondé par les crédits qu’il consacrait aux bibliothèques avant la décentralisation.

Un dispositif créé en 1986

Ce dispositif, créé en 1986, a connu plusieurs états, décrits dans un article de ce numéro 1 : part muni-cipale pour le fonctionnement, part municipale pour l’investissement, part départementale, part réservée aux bibliothèques municipales à vocation régionale… Une des plus importantes réformes a été celle de 2006, où les différents concours ont été fusionnés en un seul, destiné à l’ensemble des bibliothèques territoriales, et dont les

1. Voir l’article de Thierry Ermakoff et François Rouyer-Gayette, « L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulier », p. 27-30.

crédits sont centrés sur l’investisse-ment.

La réforme de 2006 2 a mis en place une architecture simple :

• une première fraction dédiée aux projets de petite et moyenne im-portance dont la gestion est déconcen-trée au niveau régional ;

• une seconde fraction, plafonnée à 15 % du montant du concours par-ticulier, qui est mobilisable pour les projets structurants d’intérêt régional ou national, qui permettent le dévelop-pement d’actions de coopération avec les différents organismes en charge du livre et de la lecture ; les préfets de région transmettent les projets dépo-sés par les collectivités territoriales aux ministères chargés des collecti-vités territoriales et de la culture, qui arrêtent conjointement chaque année la liste définitive des opérations à subventionner.

Le dispositif est codifié dans la partie réglementaire du Code général des collectivités territoriales aux articles R. 1614-75 à R. 1614-95.

Après trois ans d’exercice, le bilan de cette réforme est positif : à l’issue des mesures financières transitoires qui avaient accompagné la mise en œuvre de la réforme de 2006 (extinc-tion de la part de fonctionnement du précédent dispositif ), les crédits disponibles au profit de la première

2. Décret no 2006-1247 du 11 octobre 2006 et circulaire no NOR MCTB0600080C du 29 novembre 2006.

Christophe Séné[email protected]

Laure [email protected]

Ministère de la Culture et de la CommunicationService du livre et de la lecture

Christophe Séné a rejoint le ministère de la Culture et de la Communication en 2005. Il est adjoint au chef du département de la Lecture depuis 2009, chargé plus spécifiquement du suivi des bibliothèques territoriales. Conservateur des bibliothèques, diplômé en histoire, histoire de l’art et muséologie de l’École du Louvre, il a collaboré à plusieurs publications, et notamment à Architectures de la culture, culture de l’architecture (Éditions du patrimoine, 2009).

Archiviste-paléographe et conservateur des bibliothèques, Laure Collignon a rejoint l’administration centrale du ministère de la Culture et de la Communication en 2006, où elle est actuellement chef du département de la lecture. Entre 1999 et 2005, elle a été successivement adjointe du chef du service reproduction puis chef du service technique du département de la Conservation de la BnF.

UNE ÉVOLUTiON DYNAMiqUE DES TExTES RÉGLEMENTAiRES AU PROFiT DES iNVESTiSSEMENTS DES COLLECTiViTÉS DANS LES BiBLiOThèqUES TERRiTORiALES

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fraction ont augmenté de près de 68 %. Quant à la seconde fraction, elle a permis depuis cette date de mobili-ser des crédits importants pour des projets d’envergure, notamment ceux des bibliothèques communautaires de Strasbourg (subvention de l’État de 12 millions d’euros), de Béziers-Méditerranée (subvention de l’État de 4,3 millions d’euros), de la biblio-thèque départementale de l’Hérault (subvention de l’État de 4,6 millions d’euros) ou de la bibliothèque départe-mentale de la Réunion (subvention de l’État de 1,3 million d’euros).

À un niveau plus fin, le bilan de l’exercice budgétaire 2009 est éloquent : le concours particulier a permis de soutenir 276 opérations sur les bâtiments, 132 opérations d’équi-pement mobilier, 198 opérations liées au numérique, 10 opérations pour le patrimoine (numérisation ou aména-gement de locaux de conservation), 8 achats de bibliobus. Par ce biais, l’État a été en mesure d’aider les inves-tissements de 481 communes, 119 in-tercommunalités et 24 départements.

En 2011, le concours particulier est doté de 80,4 millions d’euros répartis en 68 358 212 € pour la première frac-tion et 12 063 214 € pour la seconde fraction.

Le contexte de la réforme de 2010

Cependant, quatre ans après la réforme d’envergure de 2006, les dis-positions réglementaires relatives au concours ont dû être modifiées afin de prendre en compte l’impact de deux textes législatifs : l’ouverture du concours aux communes de la Poly-nésie française 3 et le changement de statut apporté aux collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin 4. En effet, le caractère fermé

3. Ordonnance no 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du Code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics.

4. Loi organique no 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

de l’enveloppe de crédits affectée à ce concours imposait une intégration de ces collectivités dans le système actuel de calcul des crédits de la première fraction et dans les modalités de répar-tition de la seconde, et, de ce fait, une modification de certains articles du décret.

Le ministère instructeur des dos-siers (ministère de la Culture et de la Communication) et le ministère ges-tionnaire des crédits (ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collec-tivités territoriales et de l’Immigration) ont choisi de profiter de cette mise en conformité des textes pour adapter, clarifier et apporter des compléments aux textes réglementaires, sans en mo-difier l’architecture et l’esprit.

Les nouveautés apportées par la réforme de 2010Le projet culturel au cœur des démarches

Une des modifications les plus symboliques de cette réforme est la fourniture par les collectivités, parmi les documents du dossier de demande de subvention, d’une note explicative décrivant les axes du projet culturel, scientifique, éducatif et social de la bibliothèque. En effet, la bibliothèque

constituant souvent le principal équi-pement culturel des collectivités et participant à l’attractivité et à la struc-turation des territoires, il a paru néces-saire d’affirmer sa place dans les poli-tiques locales.

Dans ce document, il s’agit pour la collectivité de présenter l’opéra-tion qu’elle se propose de réaliser en énonçant les actions prioritaires et les moyens mis en œuvre pour y parvenir (conditions de constitution et de com-munication des ressources documen-taires, organisation des locaux, déve-loppement de services spécifiques, médiation culturelle, politique des publics...). En un sens, il est demandé de mettre en corrélation la volonté politique, l’enjeu que représente la construction d’une bibliothèque ou le développement d’un service numé-rique pour un territoire, les crédits d’investissement, les crédits de fonc-tionnement, etc. Les professionnels des bibliothèques ont tout intérêt à transformer cette « demande adminis-trative » en opportunité afin d’asseoir leur rôle et celui de leur établissement au sein de la cité 5.

5. Une fiche méthodologique sur le projet culturel sera mise à disposition courant 2011 sur le site internet de la Direction générale des médias et des industries culturelles, rubrique Service du livre et de la lecture. En

Bibliothèque départementale de la Réunion, vue du jardin intérieur, extension due à Denis Paul. Photo : Conseil général de la Réunion

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La réforme du concours particulier :

L’adaptation aux modalités d’investissement des collectivités sur les bâtiments des bibliothèques

Depuis 1986, 2 680 630 m² ont été construits grâce aux crédits du concours particulier. Malgré le rythme encore important des constructions (chaque année, près de 80 000 m² nouveaux sortent de terre), il s’agissait de prendre en compte les besoins im-portants de rénovation et de mise aux normes réglementaires des bâtiments des bibliothèques existants afin de favoriser l’émergence de pratiques de lecture diversifiées, ce qui n’était que peu possible dans le dispositif précé-dent, centré sur les constructions, les extensions et les restructurations.

Les modifications apportées par le Conseil d’État ont permis en outre de renouer avec l’esprit des textes de 1986 : les collectivités qui assurent l’investissement, mais pas forcément la maîtrise d’ouvrage, des opérations sur les bâtiments de leurs biblio-thèques, peuvent recevoir des subven-tions de l’État. Concrètement, il est désormais possible, via le concours particulier, de subventionner des opé-rations réalisées non plus unique-ment sous le régime de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée (loi MOP), mais aussi sous le régime des contrats de partenariat 6 (notamment les partenariats public–privé) ou de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)7, dans le respect des règles juridiques en vigueur.

outre, la publication portée par le ministère de la Culture et de la Communication, Concevoir et construire une bibliothèque aux Éditions du Moniteur, propose des éléments pratiques pour déterminer le contenu et rédiger un tel document.

6. Ordonnance no 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat codifiée aux articles L. 1414-1 à L. 1414-16 du Code général des collectivités territoriales et informations générales sur : www.ppp.minefi.gouv.fr

7. Code de la construction et de l’habitation, articles L. 261-1 à L. 621-22 et R. 261-1 à R. 261-33, et Code civil, articles 1601-1 à 1601-4.

Le soutien à l’accessibilité au cadre bâti et aux services des bibliothèques

L’accueil de tous les publics consti-tuant une priorité pour les biblio-thèques, il a paru capital aux rédac-teurs des nouveaux textes de faire une place importante à la mise en accessi-bilité des lieux de lecture. En effet, au sens de la loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyen-neté des personnes handicapées 8, le principe d’une accessibilité générale au cadre bâti et aux services est posé pour les établissements recevant du public (ERP).

Par conséquent, le concours parti-culier réformé peut à présent soutenir les collectivités dans leurs investisse-ments destinés à rendre accessible le cadre bâti (installation d’ascenseur, de rampe d’accès, de boucle magnétique, de bande podotactile, etc.), le mobilier (installation de banque de prêt adap-tée, de table à hauteur réglable, etc.) et les services numériques (achat de matériel informatique ou de logiciel spécifiques, comme la synthèse vocale ou le grossissement des caractères, création ou refonte d’un site internet accessible, etc.).

Un axe fort : le numérique

Le développement d’une culture de l’écran, confirmé par l’enquête sur les Pratiques culturelles des Français 9 à l’automne 2009, et les attentes de la population en matière de numérique modifient le rapport des Français aux bibliothèques, qui doivent être aux premières lignes du développe-ment numérique et être identifiées comme des équipements modernes et attractifs. Pour ce faire, les textes du concours particulier ont été adap-tés et font apparaître plus nettement la distinction entre opérations d’infor-matisation ou de réinformatisation et

8. Code de la construction et de l’habitation, articles L. 111-7 à L. 111-7-4.

9. Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique : enquête 2008, La Découverte/Ministère de la Culture et de la Communication, 2009.

développement de nouveaux services aux usagers, aussi bien en première qu’en seconde fraction. En outre, la circulaire introduit de nouvelles modalités de calcul des assiettes sub-ventionnables en prenant en compte, outre les matériels et logiciels utilisés dans les bibliothèques qui étaient au-paravant subventionnés, les études et développements, ainsi que les frais de migration de bases de données et les frais de rétroconversion.

Les modalités liées à la numérisa-tion des collections sont étendues et précisées : elles concernent tous les supports et les documents de toute na-ture conservés dans les bibliothèques territoriales (manuscrits, imprimés, presse, fonds sonores ou audiovisuels, iconographie…)10. Les projets peuvent s’inscrire dans une démarche d’amé-lioration de la conservation des docu-ments rares, précieux ou fragiles et/ ou dans une démarche de valorisation des documents numérisés.

Cet axe fort du nouveau concours a trouvé un écho dans les « 14 propo-sitions pour le développement de la lecture » présentées par le ministre de la Culture et de la Communication en mars 2010, en particulier dans les pro-positions regroupées sous la dénomi-nation du « contrat numérique » que l’État propose aux collectivités territo-riales. Deux objectifs sont décrits, qui peuvent prendre appui sur le concours particulier : informatiser et dévelop-per des sites internet propres dans les bibliothèques des villes de plus de 20 000 habitants (12 % d’entre elles ne sont pas équipées) ; faire émerger au moins cinq bibliothèques numériques de référence proposant services numé-riques et/ou collections numérisées de premier plan au niveau régional, qui prennent en compte les recom-mandations du Schéma numérique des bibliothèques 11 et s’inscrivent dans le

10. La numérisation peut porter sur des documents libres de droit ou bien sur des documents protégés, sous réserve que la collectivité puisse fournir la preuve formelle qu’elle est titulaire ou cessionnaire des droits de propriété littéraire et artistique.

11. Rapport de Bruno Racine élaboré dans le cadre du Conseil du livre (décembre 2009), disponible en ligne : www.dgmic.culture.gouv.fr/IMG/pdf/SNB_Rapport_Racine.pdf

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cadre des grandes orientations de la politique numérique de l’État.

La refonte de la seconde fraction

Sans modifier la part de crédits du concours affectée à la seconde frac-tion (15 %), les ministères partenaires ont souhaité la caractériser plus pré-cisément : elle est à présent réservée aux projets de bibliothèques à rayon-nement départemental ou régional portés par des collectivités chefs-lieux de région ou de département (chefs-lieux de région uniquement dans les textes de 2006) ou des collectivités (communes ou intercommunalités) de plus de 60 000 habitants (80 000 ha-bitants dans les textes de 2006). Les bibliothèques municipales classées 12 ont accès à cette fraction, quels que soient la population ou le statut admi-nistratif de leur collectivité d’implan-tation.

Grâce à ces modifications, l’État peut mobiliser des enveloppes de cré-dits conséquentes, et soutenir de ma-nière adéquate les projets ambitieux des collectivités locales éligibles. Il reconnaît ainsi un rôle prépondérant à ces bibliothèques en termes d’ani-mation territoriale dans le champ de la culture, et plus spécifiquement du développement de la lecture ou de la conservation et de la médiation du patrimoine écrit.

C’est pourquoi, afin de donner toute l’ampleur possible aux actions, les opérations subventionnables en seconde fraction sont complétées par de nouveaux types d’investissements : l’équipement mobilier et l’aménage-ment des locaux destinés à améliorer les conditions de préservation et de conservation des collections patri-moniales, la création de services aux usagers qui utilisent l’informatique et la numérisation des collections patri-moniales. Ce dernier point devrait per-mettre l’émergence des bibliothèques numériques de référence mention-nées au paragraphe précédent.

12. Code général des collectivités territoriales, articles R. 1422-1 à R. 1422-3.

La mise en place

Le décret étant paru tardivement dans l’année 2010 13, il n’a pas été possible d’appliquer les nouvelles modalités d’instruction pour l’en-semble des dossiers du concours : seule la seconde fraction reflète l’évo-lution des textes, avec l’arrêté du 5 no-vembre 2010 relatif à la constitution du montant de la seconde fraction du concours particulier.

Ainsi, en 2010, ont pu être sou-tenues, grâce aux nouveaux critères d’éligibilité, la restructuration de la bibliothèque communautaire d’Au-rillac (collectivité chef-lieu de dépar-tement), la restructuration de la biblio-thèque communautaire de Moulins

13. Décret no 2010-767 du 7 juillet 2010 relatif au concours particulier de la dotation générale de décentralisation relatif aux bibliothèques municipales et aux bibliothèques départementales de prêt.

(bibliothèque municipale classée et collectivité chef-lieu de département), la première phase de la bibliothèque numérique de référence de Moulins et la première phase de la bibliothèque numérique de référence d’Orléans (bi-bliothèque municipale classée et col-lectivité chef-lieu de région).

Ce n’est donc qu’en 2011 que les effets de cette réforme seront vérita-blement opérationnels avec la publi-cation de la circulaire d’application du 17 février 2011 14 : il ne tient qu’aux collectivités et aux professionnels de se rapprocher des conseillers pour le livre et la lecture en Drac et de se saisir de ces nouvelles procédures au plus grand bénéfice des publics des bibliothèques. •

Février 2011

14. No NOR MCCB102689ZC

Atrium central de la médiathèque communautaire d’Aurillac. Photo : Basalt Architecture

Politique(s) et bibliothèques

3 – Relations étrangères

Développement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie :

«Que savons-nous aujourd’hui de la Colombie ? » s’inter-rogeaient Jean Ristat et

Gérard-Georges Lemaire, dans l’édito-rial du numéro spécial que Les Lettres françaises consacrèrent à ce pays en 2006 1 : « Au fond, bien peu de choses. Et surtout ce que l’actualité veut bien nous en dire de plus sensationnel […], une réalité terrible dont on a extrapolé un grand roman d’horreur et de mort. »

Le but des rédacteurs de ce dos-sier n’était évidemment pas de rayer d’un trait de plume coups de force, narcotrafic, criminalité et autres dé-rives autoritaires. Il s’agissait plutôt de « saluer toute une nouvelle génération de créateurs » trop souvent oubliés, « des hommes et des femmes qui, en dépit de tout, ont eu le courage d’aller de l’avant et d’inventer un langage novateur pour fournir des clés de lecture à ce monde en crise 2 ». Non, écrit Gilles Éboli, « ces images ne doivent pas occuper tout le champ de nos regards au risque de ne rien laisser voir d’un pays qu’on ne peut résumer à cette triste litanie ».

Lina Espitaleta, ex-directrice de la Bibliothèque nationale de Colombie 3, rappelait à bon escient, lors du pre-mier colloque franco-colombien des bibliothèques, la devise formulée par l’Unesco : « Comme c’est dans l’esprit des hommes que naît la guerre, c’est dans l’es-prit des hommes que nous devons ériger

1. Les Lettres françaises, 3 juin 2006.

2. Ibid.

3. www.bibliotecanacional.gov.co

les remparts de la paix. Le livre constitue une des principales défenses de la paix en raison de son énorme influence dans la création d’un climat intellectuel d’amitié et de compréhension mutuelle 4. » Et les bibliothèques possèdent assurément, comme l’écrit Camille Rohou, « ce merveilleux pouvoir de révéler l’identité d’un peuple et d’un pays, de conserver sa mémoire et de donner accès à son patri-moine 5 ».

Pour sortir du cycle infernal de la violence et de l’exclusion, la Colom-bie a choisi la musique, le livre et les bibliothèques.

Ces vingt dernières années en par-ticulier, les actions menées dans ce dernier domaine, au niveau national, départemental et municipal, sont re-marquables : création de méga-biblio-thèques regroupées en réseau dans les grandes villes, de bibliothèques plus modestes dans les petites municipa-lités, et incitation à la lecture par la

4. Lina Espitaleta, in Memorias del primer coloquio colombo-francés de bibliotecas públicas : biblioteca y sociedad, coordinador Marc Sagaert, Bogotá, Embajada de Francia en Colombia, Ministerio de Cultura de Colombia, Biblioteca nacional de Colombia, 2004.

5. Camille Rohou, ambassadeur de France en Colombie, préface de l’ouvrage Emoción, risa, convicción : cuatro años de cooperación colombo-francesa en bibliotecas/Émotion, rire, conviction : quatre ans de coopération franco-colombienne en bibliothèques [textes de Sergio Zapata León, Juan David Correa Ulloa, Jhon Alexander Rodriguez Castañeda], éd. bilingue, Bogotá, Ministerio de Cultura, Embajada de Francia, El áncora editores, 2006, p. 13-17. Textes traduits en français par Marc Sagaert.

Marc [email protected]

Marc Sagaert est bibliothécaire et gestionnaire culturel. En charge du réseau des bibliothèques françaises à l’étranger au ministère des Affaires étrangères, il a dirigé entre autres la médiathèque du Centre culturel français à Alger, les services documentaires de l’Institut français de Barcelone et occupé les postes d’attaché culturel en Colombie et de directeur-adjoint de l’Institut français d’Amérique latine à Mexico. Il a été le rédacteur en chef adjoint de la revue Les bibliothèques de France à l’étranger, et a collaboré à plusieurs ouvrages dont Les nouvelles Alexandries (Éd. du Cercle de la librairie, 1996), Dictionnaire encyclopédique du livre (Éd. du Cercle de la librairie, 2002), Les partenariats en bibliothèque (Presses de l’Enssib/ADPF, 2002).

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UNE POLiTiqUE AMBiTiEUSE CONCERTÉE

* Nous remercions Carmen Barvo, Mary Giraldo, Angela Nieto, Alicia Santana, Fanny Cuesta, Leonardo Parra et Josefina Castro pour les documents communiqués.

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Développement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie :

distribution de livres jusque dans les coins les plus reculés et défavorisés du pays, quitte à construire des « biblio-charrettes » ou à créer des « valises-voyageurs » pour en assurer la distri-bution !

Pour « faire de la Colombie un pays de lecteurs 6 », les professionnels du livre ont su réunir les acteurs publics et les acteurs privés, les associations et les fondations, et s’assurer l’appui de la coopération internationale.

Si les acquis, comme nous le ver-rons, sont importants, ils sont certai-nement dus à une volonté politique forte, mais aussi et surtout à des ac-teurs convaincus, d’une grande qualité professionnelle et humaine, et qui ont travaillé en concertation, ainsi qu’à des bibliothécaires de terrain passionnés, d’autant plus qu’ils œuvrent souvent dans des conditions difficiles.

Cet article nous permettra de pré-senter les principaux organismes qui ont participé à ce travail de longue ha-leine, de faire le point sur les grandes

6. Slogan lancé comme un défi par la Fondation pour le développement de la lecture, Fundalectura, lors de sa création en 1990. www.fundalectura.org

actions menées, et de voir les projets en chantier.

La Bibliothèque nationale, tête de pont des bibliothèques publiques

La responsabilité du développe-ment des bibliothèques publiques sur le territoire colombien a toujours été dévolue à la Bibliothèque natio-nale – première Bibliothèque natio-nale créée en Amérique en 1777 ; il faudra cependant attendre de nom-breuses années avant que l’État lui permette de jouer vraiment son rôle, et qu’une véritable politique en faveur de l’éducation, de la culture et de la lecture soit mise en place. Ce sera le cas en 1934 avec la création du projet « bibliothèques de villages ». Ce pro-jet a permis, note Orlanda Jaramillo, dans sa passionnante étude sur les politiques documentaires publiques en Colombie, de créer 1 250 fonds de bibliothèques de village dans tout le pays, de servir de base à la création de quelques bibliothèques publiques à caractère municipal, mais aussi de

faire une première tentative pour l’éta-blissement d’un système national de bibliothèques publiques 7.

À Medellín : une bibliothèque pilote pour l’Amérique latine

Une convention passée entre l’Unesco et le gouvernement colom-bien en 1952 permet à la ville de Medellín et sa région de se doter de la première grande bibliothèque mo-derne du pays : la Biblioteca Pública Piloto (BPP)8 pour l’Amérique latine. Aujourd’hui, la bibliothèque gère le réseau municipal des bibliothèques comprenant sa propre structure et ses quatre filiales, les huit bibliothèques dépendant du secrétariat à la Culture ainsi que les cinq parcs-bibliothèques de la ville.

7. Orlanda Jaramillo, « Políticas públicas para el desarrollo y fortalecimiento de la biblioteca pública », Revista interamericana de bibliotecología, vol. 29, 2006, no 1, p. 31-62, Universidad de Antioquia, Medellín.

8. www.bibliotecapiloto.gov.co

Bibliothèque du centre culturel Santo Domingo

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Une création de la banque de la République : la BLAA de Bogota

En 1958, la banque de la Répu-blique crée à Bogota la bibliothèque Luis Ángel Arango (BLAA)9. Pour Jorge Orlando Melo, qui en fut son directeur de 1994 à 2005, il s’agit là d’un vrai tournant. L’institution pour-suivra son œuvre en créant, entre 1978 et 2002, de nouvelles bibliothèques publiques de grande qualité dans 18 villes colombiennes, introduisant des systèmes modernes de catalogage et en créant en 1996 le premier pro-jet de numérisation, « la bibliothèque digitale 10 ».

L’apport des bibliothèques des caisses de compensation familiales

Les caisses de compensation fami-liales sont une composante de la sécu-rité sociale en Colombie. La première d’entre elles à offrir un service de bi-bliothèques fut Comfama à Medellín en 1974. En 1983, le premier réseau de bibliothèques de caisse de compensa-tion est créé. Comfenalco voit le jour en 1995, Comfamilia en 1998. Comme le précise Jorge Orlando Melo, des bi-bliothèques du type de celles de Com-fenalco ont réalisé un excellent travail dans l’établissement de centres d’in-formation citadins ou civiques dans lesquels les lecteurs peuvent consulter les normes légales, vérifier les procé-dures mises en place par les autorités ou suivre les processus de développe-ment des politiques publiques.

Il existe aujourd’hui en Colombie 55 caisses de compensation avec des services de bibliothèques, dont 41 par-ticipant au réseau.

Colsubsidio, la première caisse de compensation du pays, se veut à ce titre exemplaire. Elle propose à son

9. www.banrepcultural.org/blaa

10. Jorge Orlando Melo, Hacia una política de bibliotecas públicas y patrimoniales en Colombia : un esfuerzo tardío pero indispensable, Bogotá, Ministerio de Cultura, 2009.

public de véritables centres de res-sources éducatifs et culturels et met en œuvre des actions de promotion de la lecture développées soit dans ses propres espaces soit dans ceux des bibliothèques du district, voire des bi-bliothèques scolaires.

Un plan national pour la lecture et les bibliothèques

Pour le gouvernement colombien, le Plan national de lecture et biblio-thèque (PNLB) est : « Une politique publique, mais surtout un mouvement social. Les bibliothécaires sont les chefs d’orchestre communautaires capables de promouvoir des processus culturels à long terme, engagés dans le partage et le

pluralisme, et les bibliothèques le cadre de participation citadine où se gèrent les grandes transformations sociales 11 » ; « Un pari pour que dans chaque recoin de notre territoire les yeux d’un Colom-bien puissent trouver la page dont il a be-soin et qu’il mérite, celle qui alors pourra suffire à ses rêves. 12 »

Coordonné par la Bibliothèque nationale, tête de pont du réseau des bibliothèques publiques, le plan, déve-loppé sur tout le territoire national, est, depuis sa mise en place en 2003, destiné à améliorer les infrastructures,

11. Préface de M. Álvaro Uribe Vélez, président de la République de Colombie, à l’ouvrage Emoción, risa, convicción : cuatro años de cooperación colombo-francesa en bibliotecas, op. cit., p. 13-17.

12. Elvira Cuervo de Jaramillo, ministre de la Culture, op. cit.

Formation des personnels

Formations 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Total

Gestion de bibliothèques – 334 278 175 87 146 – 1 020

Ministère de la Culture Fundalectura – 815 684 683 105 489 – 2 776

Asolectura – 1 006 1 383 – – – – 2 389

Ministère de l’Éducation Cerlalc (enseignants) – – 4236 1637 – – 135 6 008

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Montant en millions de dollars Institutions soutenant le PNLBMinistère colombien de la Culture

2007 2008 2009 2010

Financement du PNLB – Deuxième phase

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Développement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie :

équipements et collections, la forma-tion des personnels, la promotion et le développement de la lecture.

Projet phare du ministère colom-bien de la culture, le plan bénéficie en outre de l’appui du ministère des Relations extérieures, du ministère de l’Éducation, ainsi que de grands organismes tels la Banque de la Répu-blique13 ou Fundalectura par exemple. De 2003 à 2008, l’intervention est d’environ 70 millions de dollars améri-cains, plus 5 millions de dollars améri-cains apportés par les gouvernements locaux entre 2008 et 2009.

Le plan incite les autorités locales à mettre à disposition des usagers des installations et du personnel dédiés, en soutenant leur action par le biais de comités de sélection de documents, d’expertise et d’évaluation, par la dota-tion de livres, l’appui à la formation et la contribution à l’organisation de ré-seaux départementaux, et enfin par la mise en place de campagnes de com-munication pour la valorisation de la lecture.

Le ministère de la Culture fait au-jourd’hui état des avancées suivantes du plan :

• couverture à 100 % des munici-palités ;

• 853 bibliothèques publiques do-tées par le PNLB ;

• 809 conventions avec les muni-cipalités ;

• 101 constructions de biblio-thèques municipales ;

• 22 départements ayant un ré-seau de bibliothèques en fonctionne-ment ;

• plus de 12 000 professionnels formés ;

• 500 bibliothèques connectées à internet ;

• 450 bibliothèques suivies par le PNBL dans ses premières phases ayant vu leurs collections actualisées ;

• près de 90 programmes de pro-motion de la lecture réalisés.

Malgré ces avancées importantes, le PNBL se heurte à certains problèmes qu’il a identifiés tels que la forte rota-tion des bibliothécaires, l’implication ir-régulière des municipalités, le nombre relativement faible de connexions à

13. www.banrep.gov.co/index.html

internet (38 %), mais aussi la faible récupération du patrimoine bibliogra-phique local et régional.

Selon Jorge Orlando Melo, l’actua-lisation opportune et continue des col-lections n’est pas encore totalement résolue, et il est de première impor-tance d’offrir une connexion internet à toutes les bibliothèques comme de proposer leurs catalogues sur le ré-seau.

Bibliored : un réseau de grandes bibliothèques publiques pour la ville de Bogotá

En 2007, Bogotá est désignée capi-tale mondiale du livre par l’Unesco. Cette distinction, attribuée pour la pre-mière fois à un pays d’Amérique latine, récompense son projet Bibliored 14,

14. http://portal.biblored.edu.co

mis en place dans les quartiers défavo-risés de la capitale colombienne.

Il s’agit là d’un des grands projets appartenant au plan de développe-ment économique et social de la mu-nicipalité de Bogotá et du secrétariat à l’Éducation, qui consiste à doter la ca-pitale d’un réseau de bibliothèques pu-bliques destiné au plus grand nombre, faisant la promotion de la lecture et favorisant l’intégration sociale.

Créé en 2001, grâce à un parte-nariat public et privé, le projet reçoit l’appui de la fondation internationale Bill et Melinda Gates, qui lui a attri-bué le prix Accès à la connaissance 15, ainsi que celui de riches familles co-lombiennes. Il comporte aujourd’hui quatre grands établissements et sept bibliothèques satellites, ouvertes 7 jours sur 7, qui accueillent près de 5 millions de lecteurs par an.

15. Ce prix de 1 million de dollars a été attribué une nouvelle fois à la Colombie en 2009 (Fundación empresas públicas de Medellín).

Carte du réseau de bibliothèques publiques de Bogotá

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Confiées à de grands architectes colombiens comme Daniel Bermú-dez pour El Tintal, ou Rogelio Sal-mona pour la Virgilio Barco, ces bibliothèques-centres culturels se caractérisent par l’élégance des bâti-ments, une distribution intérieure des espaces judicieuse et fonctionnelle, un aménagement soigné et des services tournés vers les besoins du public. Leur situation au cœur de larges es-paces de parcs et de quartiers réhabili-tés ajoute à l’attrait des lieux.

Située au sud-ouest de la ville, la bibliothèque El Tintal, rebaptisée récemment du nom de l’homme de lettres colombien Manuel Olivella Za-pata, a vu le jour en 2000. La biblio-thèque El Tunal, située dans la partie sud de la ville, a, quant à elle, ouvert ses portes en mai 2001. La biblio-thèque Virgilio Barco avec sa structure circulaire entourée d’eau (à notre avis la plus spectaculaire d’entre elles), a été inaugurée en décembre de la même année. La dernière en date, si-tuée dans le quartier nord, ouverte au public le 26 mai 2010, porte le nom de son donateur Julio Mario Santo Domingo, patron de la fondation éponyme. L’équipement de la biblio-thèque comprend un grand théâtre de 1 300 places ainsi qu’un « théâtre expé-rimental » de 300 places.

Ces bibliothèques se veulent de vé-ritables centres de développement so-cial et culturel. Elles ont une capacité allant de 110 000 à 150 000 volumes, bénéficient de tous les équipements ad hoc, et sont très fréquentées.

Une fondation pour la lecture : Fundalectura

Organisme privé sans but lucratif, Fundalectura appuie le gouvernement dans l’organisation de programmes de développement de la lecture et de l’écriture dans tout le pays, spéciale-ment en direction des publics jeunes.

Cette fondation met en place des formations destinées aux personnes qui travaillent directement avec des enfants – bibliothécaires, enseignants, promoteurs de la lecture – et égale-ment aux parents.

Elle organise chaque année un Congrès national de lecture (dont

elle publie les actes), dans le cadre de la Foire internationale du livre de Bogotá, des campagnes de lecture – « C’est en lisant que La Colom-bie grandit » – ainsi que différents concours tels que « Rencontres litté-raires », « L’Album illustré », etc. Elle publie des ouvrages de qualité.

Ainsi, en 2006, le 7e Congrès na-tional de lecture réalisé conjointement avec le 4e Colloque franco-colom-bien des bibliothèques sur le thème « Lecteurs et lecture » a réuni près de 1 000 participants venant de toutes les régions du pays. Pour sa dixième édi-tion, le congrès abordera en 2011 les thèmes des droits culturels de la petite enfance et bénéficiera de la présence d’experts d’Allemagne, du Royaume-Uni, des États-Unis, de Colombie, d’Argentine et d’Uruguay.

Toujours en 2006, a été orga-nisé, avec l’appui du service cultu-rel de l’Ambassade de France, un concours de « Rencontres littéraires à la française », doté de cinquante bi-bliothèques portatives réunissant une trentaine d’ouvrages d’auteurs français en langue espagnole.

La Fondation est membre du comité permanent de l’Ifla 16 et repré-sente la Colombie auprès de l’Ibby 17.

Deux lignes de travail ont été spé-cialement explorées ces dernières an-nées :

16. International Federation of Library Associations : www.ifla.org

17. International Board on Books for Young People : www.ibby.org

• La lecture dans les espaces dits non-conventionnels, c’est-à-dire hors des bibliothèques publiques et des espaces sco-laires. « En ce moment, dit sa directrice Carmen Barvo, nous travaillons à Bo-gotá et dans quatre autres villes du pays à offrir des espaces de lecture sur les places de marché – ce qui contribue en parti-culier à éloigner les enfants du travail infantile ; dans les parcs (lecture sur place et prêts à domicile) ; dans les stations de bus du Transmilenio 18 (1 000 ouvrages proposés au prêt pour une période de 15 jours dans six stations)19. »

18. Voir tableau ci-dessus.

19. Propos recueillis le 14 janvier 2011.

Différents visuels de campagnes de valorisation de la lecture

Données générales sur les bibliothèques de stations de bus du Transmilenio

Description Quantité

Total des prêts 2008-2010 102 036

Total des prêts 2010 26 491

Total des inscriptions 2008-2010 20 273

Total des inscriptions 2010 2 777

Prêts réalisés entre 2008 et 2010

Station Prêt Pourcentage

Americas 10 528 10,3 %

Av. Jimenez 15 149 14,8 %

Ricaurte 27 702 27,1 %

Suba 19 237 18,9 %

Sur 14 072 13,8 %

Usme 15 348 15,1 %

Total 102 036 100 %

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Développement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie :

• Des programmes de lecture en famille destinés à la petite enfance. Des programmes inspirés de ceux mis en place par des institutions comme Bookstart en Angleterre et Accès en France, et bénéficiant de leur expertise, se sont développés depuis 2004 au niveau national. Carmen Barvo signale que ce sont quelque 825 jardins d’enfants qui ont été dotés de collections de livres grâce à un travail réalisé avec le confort fami-lial (Bienestar familial), dont 200 à Bogotá ; et que des centres de lecture en famille ont été mis en place dans les quartiers les plus défavorisés de Bogotá. Elle précise également que des pochettes de lecture contenant un livre pour que la mère ou l’adulte réfé-rent puisse lire une histoire au bébé, un disque de comptines ainsi qu’une brochure contenant des conseils pour la lecture, ont été répartis dans 40 000 familles.

C’est en insérant ces programmes par le biais d’organismes d’État que ces actions peuvent perdurer sur le long terme. Ce souci constant de l’ar-ticulation de ces programmes avec ceux des structures nationales, dépar-tementales et municipales publiques et privées permet une efficacité maxi-mum : « Il s’agit, souligne encore Car-men Barvo, de le faire en reconnaissant les forces propres des autres institutions et la spécificité des actions. »

La coopération internationale : un organisme dédié à la coopération ibéro-américaine, le Cerlalc

Créé à Bogotá en 1971 sous les auspices de l’Unesco, le Centre régio-nal pour le développement du livre

en Amérique latine et aux Caraïbes (Cerlalc)20 s’est attribué quatre mis-sions fondamentales :

• la promotion de la lecture et de l’écriture ;

• la protection et le développe-ment de la création intellectuelle ;

• l’appui à la production et à la circulation du livre ;

• l’intégration culturelle par le biais de la construction de sociétés de lecteurs.

Les pays membres sont : Argen-tine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Équateur, Salva-dor, Espagne, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Para-guay, Pérou, Portugal (depuis 2005), République dominicaine, Uruguay et Venezuela.

20. www.cerlalc.org

Page présentant le réseau de bibliothèques publiques sur le site de la Bibliothèque nationale de Colombie

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Différents comités œuvrent à la mise en place d’alliances stratégiques et de travaux communs aux diffé-rentes institutions de la région, maté-rialisés par des conventions et des accords de coopération.

Il s’agit aujourd’hui, dit le direc-teur du Cerlalc, Fernando Zapata López, de mettre en place un instru-ment de développement de la diversité culturelle et de développement cultu-rel et social.

Le Cerlalc a célébré en no-vembre 2010 ses 40 années d’exis-tence et d’activité en faveur du livre, de la lecture et de l’édition, occasion de faire le point sur les années écou-lées, mais surtout de se fixer de nou-veaux objectifs autour de quatre pro-grammes stratégiques :

• une loi type de développement de la lecture, du livre et des biblio-thèques : un comité intergouverne-mental s’est réuni en décembre 2010 à Bogotá pour analyser la proposition d’une loi-type pour la promotion de la lecture, du livre et des bibliothèques. Assistaient à cette réunion 19 des 21 pays membres de l’organisation, des organismes intergouvernemen-taux – Unesco, OMPI, OEA, BID et Segib – ainsi que des organisations non gouvernementales ;

• un catalogue de l’offre éditoriale latino-américaine ;

• des programmes de traduction d’œuvres du portugais et de l’espagnol vers d’autres langues ;

• la promotion de bibliothèques scolaires.

La coopération avec d’autres pays étrangers

Différents pays ont collaboré à des titres divers avec la Colombie dans le domaine des bibliothèques et de la lecture, en particulier dans le cadre du nouveau Plan lecture et biblio-thèques : l’Allemagne, la Suède, l’Es-pagne, la France et le Japon.

Le gouvernement japonais a construit, depuis 2003, une centaine de petites bibliothèques municipales dans les régions les plus pauvres et les plus vulnérables du pays. D’une capacité d’accueil d’environ 240 per-sonnes, ces bibliothèques comportent

une salle de lecture adulte et une salle de lecture enfant, une ludothèque et une salle internet.

La coopération mise en place entre la France et la Colombie a été parti-culièrement active de 2003 à 2006 : réalisation de quatre colloques franco- colombiens de bibliothèques, de sémi-naires, de voyages d’étude, de stages, de conférences, d’expositions, de publications et d’opération de promo-tion de « réunions littéraires à la fran-çaise ». Une vingtaine d’experts fran-çais ont été invités dans ce cadre 21.

Cette coopération a conduit à ce que la Colombie soit l’invitée d’hon-neur du Congrès du centenaire de l’Association des bibliothécaires fran-çais en 2006. L’ouvrage Émotion, rire, conviction 22, publié pour l’occasion par le ministère de la Culture colombien et l’ambassade de France en Colombie, a été présenté dans ce cadre.

La France a fait don en 2010 d’une collection de livres à la bibliothèque de Guapi dans la région du Cauca.

En 2010, l’Association suisso-co-lombienne Alpandes appuie une cam-pagne visant à recueillir des fonds des-tinés à l’acquisition de 10 000 livres

21. Parmi lesquels Dominique Arot, Annie Brigant, Olivier Chourrot, Gilles Éboli, Michel Fingerhut, Catherine Massip, Alain Massuard, Michel Melot, Gilles Pierret, Martine Poulain, Pascal Sanz et Dominique Tabah.

22. Op. cit.

d’enfants pour la nouvelle biblio-thèque Santo Domingo 23.

Politiques du livre et de la lecture articulées mises en place en Colom-bie depuis sept ans et engagement de professionnels motivés ont porté leurs fruits et permis de remplir l’essentiel des objectifs fixés au plan national pour les bibliothèques et la lecture. Les forces vives du pays ont participé à la conception et à la mise en œuvre de ce programme, dont Gilles Éboli avait bien mesuré, lors de sa venue en Colombie, l’ambition, le souffle, la diversité.

Les bibliothèques sont de magni-fiques lieux de questionnement des cultures et des sociétés. Elles peuvent être aussi de merveilleux outils de construction de la paix et du déve-loppement par le dialogue et le débat d’idées.

Gageons que les efforts entrepris ne se relâcheront pas et que la Co-lombie saura construire dans le futur la société qu’elle mérite, un monde plus juste et plus serein, apaisé et fra-ternel. •

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23. http://portal.bibliored.edu.co

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Pourcentage de municipalités comptant au moins une bibliothèque publique en Colombie

- Lectures : Revue bimestrielle avec les rubriques « Bibliothèque de chez

nous », « Bibliothèque d’ailleurs », « Bibliothèque au quotidien », « Internet et multimédia », « Portrait d’auteur » et « Portrait Jeunesse », ainsi que des articles de fonds (ou de brèves recensions) sur « L’actualité éditoriale » en littérature générale, littérature d’évasion, littérature ados / jeunesse / BD.

Lectures élabore aussi régulièrement des dossiers thématiques tels ceux consacrés dernièrement aux sujets suivants, déclinés en bibliothèque publique : droits d’auteurs, sciences, architecture – design – expositions, communication, évaluation d’une bibliothèque, bibliothèques itinérantes, management, enjeux du numérique, rencontres littéraires, Europe et bibliothèques publiques, censure, etc.

- Collection « Cahiers des bibliothèques » : La collection reprend des actes de colloques, études, bibliographies

thématiques sur diverses questions liées à la promotion du Livre et de la Lecture, notamment : internet dans les bibliothèques

(Cahier 9), le documentaire jeunesse (Cahier 10), formations au métier de bibliothécaire (Cahier 11), politiques d’acquisitions

(Cahier 13), bibliographie d’ouvrages de références (Cahier 14), enquête Contrats-Lecture Jeunesse (Cahier 15), enquête Alphabétisation (Cahier 16), Héroïc Fantasy (Cahier 17), ressources électroniques (Cahier 18), publics éloignés de la lecture (Cahier 19).

- Bibliothéconomie : Notamment la bibliographie Le patrimoine en Communauté

française : fonds locaux et régionaux et Les institutions belges : liste d’autorité matière.

- Jeunesse : Notamment le Répertoire des auteurs et illustrateurs jeunesse et

la Biennale Jeunesse (incontournables ou thématiques : art, loup, spectacle, ville, écologie, musique, corps humain).

Infos :Éditions en Lecture publiqueTél : +32 4 232 40 17 – Fax : +32 4 221 40 [email protected]

Lectures et les Éditions en Lecture publique sont publiés par le Ministère de la Culture en Communauté française de Belgique.

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ues Le « cas » des

bibliothèques britanniques :

Unsung heroes 1 (héroïnes incon-nues), les bibliothèques bri-tanniques sont aujourd’hui

plus que jamais célèbres car plus que jamais menacées.

Les « cathédrales des temps mo-dernes » britanniques sont protégées depuis 1964 par le Public Libraries and Museums Act 2 (loi sur les biblio-thèques publiques et les musées) qui les relient aux autorités locales (les councils, qu’on traduira par comtés) sous la responsabilité du gouverne-ment central, et qui rend leur exis-tence obligatoire. Pourtant, elles sont aujourd’hui un millier à être mena-cées de fermeture courant 2011 dont un tiers à court terme (février 2011). Bibliothèques scolaires, universitaires, publiques et même privées : aucune n’est épargnée par une rumeur réson-nant chaque jour dans les médias britanniques avec davantage de véra-cité. Londres, Grand Londres, villes moyennes et petites, campagne pro-fonde, Pays de Galles et Écosse : une carte géographique des fermetures existe désormais (voir illustration p. 47), établie par Voices for the Library, un site internet militant 3 contre le processus.

1. Citation du ministre britannique de la Culture, Ed Vaizey, dans son interview par Elspeth Hyams, « Custodian of public libraries ? », Cilip Update Magazine, janvier 2011. Disponible en ligne : www.cilip.org.uk/publications/update-magazine/Documents/Ed Vaizey interview.pdf

2. www.legislation.gov.uk/ukpga/1964/75?view=extent

3. www.voicesforthelibrary.org.uk/wordpress/

Le tout jeune gouvernement « Tory-Lib Dem 4 », en n’entravant pas cette évolution dramatique due à une conjoncture de récession, se montre-t-il impuissant face à un contexte dé-sastreux et porteur de conséquences fatales dont il ne fait qu’hériter ? Ou « surfe »-t-il sur une vague garante d’économies hors du commun justi-fiant budgets en baisse et obligation de trouver des solutions extérieures pour les bibliothèques qui soient moins directement coûteuses (exter-nalisation, privatisation, bénévolat) ? Volontariste dans ses propos, le mi-nistre de la Culture n’a en tout cas pas encore su rassurer la profession et les usagers qui se révoltent, à leur manière, contre une politique perçue comme un retrait, un « diktat », voire un abandon.

Les victimes non désignées de la Spending Review

Le 20 octobre 2010, la principale association des bibliothèques pu-bliques, la Public Library Authorities, branche du Chartered Institute for Libraries and Information Professio-nals (Cilip)5 tient congrès à Leeds, sur le thème « Quel futur pour les biblio-

4. Appellation politique donnée à la coalition entre le parti conservateur et le parti libéral-démocrate issue des élections législatives de mai 2010.

5. www.cilip.org.uk/Pages/default.aspx

Ophélie RamonatxoInstitut français du [email protected]

Directrice de la médiathèque et de Culturethèque (bibliothèque numérique) au sein de l’Institut français du Royaume-Uni à Londres, Ophélie Ramonatxo coordonne en outre l’ensemble des bibliothèques françaises au Royaume-Uni. Directrice des médiathèques de la communauté d’agglomération de l’aéroport du Bourget de 2006 à 2010, elle a également présidé l’Association des bibliothèques en Seine-Saint-Denis. Titulaire d’une licence de lettres modernes, d’un master d’ingénierie culturelle et du diplôme de conservateur territorial des bibliothèques, elle a contribué à l’ouvrage Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes sous la direction de Jean-Philippe Accart, paru en 2010 aux Presses de l’Enssib, ainsi qu’à l’ouvrage Concevoir et construire une bibliothèque piloté par le ministère de la Culture et de la Communication (Éditions du Moniteur, 2011).

DU LiBRARY ACT À LA BiG SOCiETY, PORTRAiT D’UNE POLiTiqUE DE LECTURE PUBLiqUE TOUT SAUF iNTRUSiVE

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Le « cas » des bibliothèques britanniques :

du ministère est entamé de manière conséquente mais, comme dit pré-cédemment, les finances des biblio-thèques publiques sont entièrement décentralisées. Ne sont en réalité citées que quelques institutions de poids, souvent pour préciser qu’elles seront plutôt épargnées, comme la British Library 8 ou le Public Lending Right 9 (PLR, organisme gérant les droits d’au-teur liés aux prêts en bibliothèques) pour lesquels le gouvernement s’en-gage à ne pas aller au-delà d’une baisse de 15 % des budgets 10. En revanche, le Museum Libraries and Archives Council (MLA)11, structure semi-pu-blique/semi-privée que l’on pourrait comparer à un Conseil supérieur des bibliothèques français aux compé-

8. www.bl.uk

9. www.plr.uk.com

10. Il est également décidé que le PLR continuera de se limiter aux livres physiques et ne s’étendra ni aux livres audio ni aux livres électroniques.

11. www.mla.gov.uk

tences élargies (musées et archives) et qui aurait réussi (veille, notamment statistique ; attribution de subventions ; gestion de projets ; audits…), sera tout simplement fermé à l’horizon 2012. Ses missions devraient être reprises par le Arts Council England (ACE)12 à l’exception des archives dont le sort reste en suspens. Le budget prévu pour l’ACE est de 46 millions de livres, là où le MLA en dépensait 62. Des négociations s’engagent entre les membres du MLA et les syndicats, qui devraient durer quatre mois.

C’est dans les crédits décentralisés attribués aux comtés qu’il faut aller chercher pour prendre la mesure des coupes drastiques dans le budget des bibliothèques britanniques. Ces collec-tivités locales vont voir leurs finance-ments baisser de 7,1 % par an pendant quatre ans. Les coupes ne sont bien entendu pas fléchées vers les biblio-thèques, mais de nombreux comtés (Cornwall, Nottingham, Warrington, Leeds, Richmond…) ont annoncé très tôt que ces dernières constitueraient les secteurs les plus touchés par des économies nécessaires. On sait déjà que la chronique nécrologique des pages bibliothéconomiques sera bien remplie : le comté de Northumber-land ne pourra faire face aux coupes budgétaires qu’en fermant 6 à 12 bi-bliothèques ; celui de Croydon en en fermant 6 sur 12 ; celui de Northamp-tonshire 8 sur 38 ; celui de Conwy 7 sur 12. En tout, on évoque le chiffre d’un millier de fermetures dans toute l’Angleterre (sur un total de 3 500 bi-bliothèques publiques) d’ici l’année prochaine 13, dont environ 300 à court terme et 130 pour la seule ville de Londres.

Face à cette situation, le gouverne-ment essaie de jouer un rôle salvateur à l’aide d’un discours plus qu’ambigu. Tout en coupant les crédits décentra-lisés, il préconise une réflexion au cas par cas, prêchant pour des pra-tiques strictes d’évaluation avant déci-sion, mais remettant finalement en cause la loi de 1964 et son principe d’obligation. Dans une lettre datée du

12. www.artscouncil.org.uk

13. Cf. www.thebookseller.com/libraries Voir aussi encadré p. 49.

thèques publiques en cette ère d’austé-rité ? ». Au milieu des discours, débats et interventions diverses, un dialogue en duplex est proposé aux congres-sistes avec rien moins que le ministre de la Culture 6, Ed Vaizey, en direct de la Chambre des députés. Ce jour-là, le ministre de l’Économie et des Finances, Georges Osborne, annonce publiquement les grandes lignes du projet phare du gouvernement promis depuis plusieurs mois : la Comprehen-sive Spending Review (CSR)7 ou « Plan de réduction des dépenses publiques », au sein duquel la culture, avec une baisse de 50 % de son budget, occupe une place « de choix ».

Une étude du texte lui-même peut laisser penser au prime abord que les bibliothèques ne sont pas très concernées. Certes, le budget global

6. Aussi en charge des médias et des sports au sein du DCMS (Department for Culture, Media and Sports).

7. http://cdn.hm-treasury.gov.uk/sr2010_completereport.pdf

Carte des fermetures de bibliothèques publiques au Royaume-Uni.Les pointeurs – de différentes couleurs sur le document original – indiquent les fermetures de bibliothèques annoncées par les comtés (incluant le transfert de gestion à des bénévoles), les bibliothèques menacées de fermeture, et les bibliothèques déjà fermées. Y figurent aussi les licenciements (personnages blancs) et autres coupes budgétaires (punaises).Cette carte évolue tous les jours ! Pour voir la version actualisée : http://publiclibrariesnews.blogspot.com

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3 décembre 2010 adressée à tous les comtés, Ed Vaizey remet au goût du jour un rapport rédigé avant son élec-tion : le rapport Wirral. Ce document remet en cause les normes et stan-dards nationaux et guide pas à pas les décideurs vers un audit méticuleux de leurs bibliothèques, sans doute nécessaire, mais aussi dangereux en fonction des méthodes utilisées et de la lecture des statistiques qui peut être faite. Un gouvernement donc qui laisse les comtés et les bibliothèques plutôt livrés à eux-mêmes : « Beyond that appeal to clear thinking, Ed says little » [« Au-delà de cet appel à une réflexion sereine, Ed en dit peu »]14. Un attentisme qui tranche avec le volon-tarisme des premiers mois du gouver-nement, quand le ministre lançait en juillet 2010 le « Future Libraries Pro-gramme » (le programme des biblio-thèques du futur), « programme d’aide aux bibliothèques britanniques » consistant à mener des expériences pilotes porteuses de bonnes pratiques pour les bibliothèques et leur assu-rant un avenir. De bonnes pratiques qui sont finalement désignées comme telles pour les économies d’échelle et les rationalisations engendrées plus que par l’idée d’un service public amé-lioré. Un programme confié à la Local Government Association 15 (LGA, as-sociation des collectivités locales), seul acteur – ou presque – à s’être publi-quement opposé au rapport Wirral et à l’utilisation qui en est faite ; un pro-gramme confié aussi au MLA, dont on sait désormais qu’il va disparaître dans l’année…

Un « business » qui ne ferait pas recette ?

Comme dans le reste de l’Europe, les indicateurs d’activité des biblio-thèques britanniques ne sont, certes, pas au beau fixe. Selon le gouverne-ment, le pourcentage de Britanniques fréquentant les bibliothèques est passé de 48,2 % en 2005-2006 à 39,4 % en 2009-2010 et a enregistré une

14. « 1964 and all that, in 2011 », Cilip Update Magazine, janvier 2011.

15. www.lga.gov.uk/lga/core/page.do?pageId=1

baisse de 1,7 % par rapport à l’année dernière. Seuls le North East et l’East Midlands sont épargnés, avec un taux de visite stable depuis 2005. Si l’on ne prend pas en compte les usagers occa-sionnels (une ou deux visites par an), la fréquentation des publics adultes chute à 29 % alors qu’elle était à 38 % il y a quatre ans 16.

Cependant, dans un pays où la population déclare lire pour les trois quarts, dont 80 % de manière heb-domadaire, la « crise » des biblio-thèques britanniques est, pour le moment, à nuancer. Selon la Reading Group Agency 17 (Agence de lecture nationale), si la fréquentation globale chute, celle des jeunes se maintient : 77,9 % des 5-10 ans et 71,6 % des 11-15 ans sont allés au moins une fois en bibliothèque en 2009-2010, soit des résultats similaires à ceux de l’an-née précédente. Les chiffres de prêt de livres pour la jeunesse sont quant à eux en progression depuis cinq ans. Les bibliothèques publiques totalisent 288 millions de visites physiques et 48 millions de visites virtuelles (sites internet) par an. Elles fournissent 33 000 points d’accès à internet et 81 millions de livres à leurs utilisa-teurs pour 296 millions de prêts an-nuels effectués 18.

La contestation ouverte et les manifestations publiques ne font pas partie de la culture britannique, et pourtant les professionnels, usagers et sympathisants des bibliothèques ont tout de même décidé de se soule-ver contre ces décisions. Sans attendre les annonces dramatiques de la Spen-ding Review, le Cilip s’est mobilisé, dès 2009, tout d’abord aux côtés des bibliothèques scolaires pour la recon-naissance de ces dernières par leur inscription dans la loi. Cette revendi-cation fait d’ailleurs partie d’un mani-feste rédigé par l’association et rendu public en mars 2010, à la veille de l’élection, et visant à mettre d’entrée de jeu la pression au futur gouverne-

16. « La fréquentation des bibliothèques britanniques poursuit sa chute », Livres Hebdo, no 829, 20 août 2010.

17. www.readingagency.org.uk/adults/chatabout

18. Statistiques 2007 : CIPFA 2006/7 Actuals. www.cipfa.org.uk

ment élu 19. On y trouve six revendica-tions :

1. L’inscription des bibliothèques scolaires dans la loi.

2. La défense et l’inscription d’une exception pour les utilisateurs des bibliothèques au sein de la loi sur les droits d’auteur.

3. La construction d’une économie de la connaissance viable.

4. La préservation du patrimoine numérique national.

5. Le financement et la défense d’une information sanitaire digne de ce nom.

6. La mise en place d’une charte des droits des utilisateurs des biblio-thèques publiques.

Suite à la Spending Review et au courrier à double tranchant du mi-nistre aux différents comtés (voir plus haut), le Cilip a tout d’abord répondu par l’envoi d’une lettre à chaque dé-puté du pays mettant en avant des statistiques prouvant la popularité des bibliothèques et les invitant à une autre forme d’audit, basé sur la participation des lecteurs et des pro-fessionnels, avant toute prise de déci-sion (idées reprises dans un autre manifeste du Cilip intitulé « À quoi reconnaît-on une bonne bibliothèque publique ? »)20. En janvier 2011, le Cilip a prolongé cette action en écrivant à chaque lord (équivalent de nos séna-teurs) et en rencontrant les députés. L’association a aussi œuvré à la réac-tivation d’un groupe parlementaire consacré aux bibliothèques (All Party Parliamentary Group for Libraries)21 ainsi que celle d’une collaboration avec d’autres acteurs associatifs du secteur : le National Literacy Trust 22, la Reading Agency (voir plus haut) ou encore le Booktrust 23. À une échelle

19. Cilip, Library and Information Manifesto 2010 : six priorities, mars 2010. www.cilip.org.uk/get-involved/advocacy/manifesto/Documents/ManifestoA4(web).pdf

20. Cilip, What Makes A Good Library Service ?, édition révisée, décembre 2010. www.cilip.org.uk/get-involved/advocacy/public-libraries/Documents/What_makes_a_good_library_service_CILIP_guidelines.pdf

21. www.cilip.org.uk/sitecollectiondocuments/PDFs/policyadvocacy/appgfinalreport.pdf

22. www.literacytrust.org.uk

23. www.booktrust.org.uk

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Le « cas » des bibliothèques britanniques :

Sauvez nos bibliothèquesUne journée d’action le 5 février 2011 *

Cilip soutient la manifestation « Sauvez nos bibliothèques », une journée d’action visant à attirer l’attention sur les baisses de budget et les fermetures de nombreuses bibliothèques publiques.

Nous voulons que tous ceux qui se sentent concernés par la lecture, la litératie et les bibliothèques aillent dans leurs bibliothèques publiques le 5 février, et demandent à autant de personnes que possible d’en faire de même.

Impliquez-vous, en utilisant notre « échelle mobile de temps libre »• Vous avez moins de 2 minutes ?

Tweetez votre amour pour les bibliothèques en utilisant le hashtag #savelibraries ; Postez cette page sur votre profil Facebook, et passez le mot.

• Vous avez 2 minutes ? Visitez le site web de votre bibliothèque pour télécharger un livre électronique ou utiliser des ressources disponibles en ligne.

• 5 – 10 minutes ? Contactez tous vos amis, toute votre famille, et demandez-leur d’aller dans leur biblio-thèque et d’utiliser ses services le 5 février. Cherchez et réservez des livres via le « guide des services de bibliothèques en Angleterre ».

• 10 – 15 minutes ? Envoyez un courriel, écrivez à votre député, au correspondant du journal local, au secré-taire d’État à la culture, à propos de la contribution unique des bibliothèques à la société.

• 15 – 30 minutes ? Précipitez-vous dans votre bibliothèque le 5 février. Empruntez autant de livres que vous pouvez. Pendant que vous y êtes, lisez un journal, cherchez en ligne ce qui se passe dans votre quartier.

Mais quels livres emprunter ?Cherchez des livres correspondant à votre humeur avec whichbook.net. Choisissez-y votre humeur et regardez les suggestions de prêt. Vous pouvez ensuite vérifier si le livre souhaité peut être emprunté dans votre bibliothèque.

RessourcesCi-dessous des ressources disponibles sur le site de Cilip pour accompagner et soutenir la campagne :• Messages sur la valeur unique des bibliothèques publiques et de professionnels salariés.• Informations sur ce qui fonde un service efficace en bibliothèque publique.• Utilisez le kit de campagne pour mettre en œuvre un plan d’action.• Visitez notre page « Restez impliqués ! » pour plus d’arguments.

* Tract Save Our Libraries Day – A day of action on the 5th February traduit de l’anglais par Yves DesrichardTexte original disponible sur le site du Cilip : www.cilip.org.uk

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plus large, le Cilip est cosignataire d’une déclaration commune à destina-tion des autorités locales et en défense des bibliothèques aux côtés d’autres institutions prestigieuses comme la Society of Authors, la Royal Society of Literature, la Campaign for the Book, le Public Lending Right (voir plus haut), la Booksellers Association, Voices for the Library (voir plus haut), la Society of Chief Librarians, la Pu-blishers Association, Unison, l’Asso-ciation of Authors’ Agents et le Mu-seums, Libraries and Archives Council (voir plus haut)24.

De nombreux écrivains et person-nalités tels que Michael Rosen, Kate Mosse, Will Self, Philip Pullman ou encore Joanna Trollope se sont égale-ment engagés auprès des bibliothé-caires, jusqu’à demander une entrevue avec le ministre Vaizey. Selon le jour-nal The Telegraph, ce serait d’ailleurs suite à cette rencontre que le ministre aurait décidé d’écrire aux différents comtés 25. En tout, plus d’un mil-lier d’auteurs, éditeurs, illustrateurs, agents littéraires, poètes, enseignants et journalistes soutiennent une cam-pagne nationale de soutien aux biblio-thèques.

La solution par l’autogestion

Les coupes budgétaires prévues risquent d’encourager la baisse de l’activité des bibliothèques, et du coup de s’auto-justifier plutôt que de rationaliser un secteur conduit par des politiques plus pragmatiques que « laxistes » ou dépensières depuis déjà de nombreuses années. Depuis 1997, selon le Guardian, le nombre d’employés travaillant en bibliothèque aurait diminué de 14 %, et le bénévolat est encouragé au détriment de l’em-bauche de salariés et de profession-nels. L’externalisation (outsourcing) des missions est poussée à un niveau

24. www.mla.gov.uk/what/programmes/the_future_libraries_programme/~/media/Files/pdf/2010/libraries/The_value_impact_and_potential_of_public_library_services.ashx

25. Rosa Prince, « Leading authors including Kate Mosse warn about Library closures », The Telegraph, 20 décembre 2010.

tel qu’elle ne se limite plus à certaines missions bien définies comme l’équi-pement des documents ou l’animation et concerne au contraire la gestion pure et simple de réseaux entiers de bibliothèques : à Londres, plusieurs dizaines de bibliothèques sont entiè-rement gérées par l’entreprise privée John Laing, comme dans l’arrondisse-ment d’Hounslow par exemple. Il est ici monnaie courante de voir les bi-bliothèques sollicitées par différentes entreprises leur offrant l’aide et les partenariats nécessaires au maintien d’un service de qualité au sein d’une conjoncture austère : « Et si les biblio-thèques décidaient de devenir des généra-teurs de recettes plutôt que de demeurer une dépense que l’on doit diminuer ? » propose le groupe Civica, spécialiste de l’externalisation des services pu-blics dans les domaines de l’éducation, du logement social et de la santé 26.

En coupant les moyens, en préco-nisant leur rationalisation maximale et en encourageant l’appel à la société civile et aux bénévoles dans son grand projet de société intitulé Big Society, on se demande si le gouvernement va vraiment à l’encontre d’une dyna-mique passée qu’il souhaiterait inflé-chir ou si, au contraire, il ne va pas dans le même sens. Annoncé à l’été 2010, ce projet, présenté comme une initiative globale basée sur une sorte de démocratie participative, et comme l’affirmation que sortie de crise peut rimer avec passions et engagements individuels, se révèle être l’apolo-gie presque cynique d’un désenga-gement étatique hors du commun incluant coupes sombres, délégation de missions à la société civile et donc déprofessionnalisation. Dans un dis-cours prononcé à Leeds, le Premier ministre, David Cameron, a lui-même déclaré que les citoyens « devraient être capables de gérer eux-mêmes les bureaux de poste, les bibliothèques, les transports en communs et les constructions de loge-ments 27 ».

26. Simon Parkes, « Outsourcing or transformation ? », dans The Annual Buyers’ Guide Directory, Cilip, 2011.

27. « David Cameron launches Tories’ “big society” plan », BBC News, 19 juillet 2010. www.bbc.co.uk/news/uk-10680062

Selon le Cilip, près de 6 000 biblio-thécaires pourraient perdre leur emploi dans les quatre années à venir, du fait des fermetures et du recours de plus en plus fréquent aux bénévoles. Sue Char-teris (de la société Shared Intelligence), s’appuyant sur le rapport Wirral et soutenue par le ministre Vaizey qui la cite dans ses préconisations aux com-tés, accuse d’une part les anciennes autorités d’avoir sous-investi dans leurs bibliothèques, créant un déca-lage entre l’offre de ces dernières et la demande de leurs usagers ; d’autre part, elle préconise d’aller plus loin dans les économies d’échelle, l’intégration de la bibliothèque aux autres services locaux et le privilège donné au « front line » (les missions d’accueil, par opposition aux missions internes) jusque dans les bi-bliothèques de quartier où automatisa-tion et bénévolat seraient une solution à tous les problèmes 28.

Dans une société où les biblio-thécaires semblent mieux armés face au politique, en ayant pris très tôt le tournant de la modernisation, du mar-keting, de l’évaluation et du lobbying mesuré auprès des instances diri-geantes, il est intéressant (et désolant) de voir que c’est également là que la suppression des services publics se fait également la plus précoce et la moins scrupuleuse.

L’ambiguïté des discours des diri-geants se retrouve malheureusement dans l’attitude des professionnels, dont le militantisme affiché et réel se trouve contrebalancé par un pragma-tisme de tous les instants. Dans les bibliothèques britanniques, ces der-niers mois, on embauche et forme des bénévoles plus qu’on ne manifeste ; on demande des sponsorships pour l’orga-nisation de congrès professionnels aux mêmes sociétés pourvoyeuses de services externalisés ; on organise des journées de formation pour mettre en pratique la « Big Society » et se prépa-rer à des réformes critiquées, destruc-trices et incroyablement mal vécues mais, finalement, presque déjà accep-tées. •

Février 2011

28. « 1964 and all that, in 2011 », Cilip Update Magazine, janvier 2011.

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La coopération française en matière de lecture publique au Burkina Faso

Le fonds de solidarité prioritaire, un instrument de coopération privilégié pour le ministère des Affaires étrangères et européennes

Si l’existence d’instruments finan-ciers publics propres à l’aide au déve-loppement date en France de 1959, c’est en 1998 que la politique de co-opération du gouvernement français a été redéfinie et clarifiée grâce à une répartition des responsabilités entre le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE)1 et l’Agence française de développement (AFD)2. Dans le même temps, le MAEE s’est doté d’un outil de coopération spé-cifique consacré principalement aux programmes d’appui institutionnel et de renforcement de la société civile, le fonds de solidarité prioritaire (FSP). Ce fonds finance les opérations et les projets d’aide au développement pro-posés par les différents services du ministère de façon pluriannuelle, afin d’appuyer leurs missions par des ac-tions concrètes sur le terrain. Seuls les 58 états considérés comme « pays les moins développés » (PMA) par le gou-vernement français, formant la « zone de solidarité prioritaire » (ZSP), pou-vaient à l’origine bénéficier de projets financés par le FSP.

1. www.diplomatie.gouv.fr

2. www.afd.fr

Les projets FSP concernent prio-ritairement des thématiques liées à la gouvernance et au renforcement de l’état de droit, à l’éducation, à la recherche, à la promotion de la langue française et de la culture. Chaque projet se fonde sur des partenariats forts avec les institutions et la société civile des pays concernés, mais aussi avec les institutions françaises pu-bliques associées et différents bail-leurs de fonds. Réglementé par un cadre logique précis, un projet FSP doit comporter des objectifs clairs et mesurables, un calendrier et des indi-cateurs de suivi. Ces projets prennent plusieurs formes :

• « Mobilisateurs » : ils sont conçus et financés par les services compétents de l’administration cen-trale du ministère et concernent des actions simultanées et complémen-taires dans un domaine d’importance commune pour un groupe de pays, avec une logique d’intégration régio-nale.

• « États » : ils visent à la mise en place d’une coopération bilatérale ciblée avec les autorités du pays de la présence diplomatique.

La coopération dans le domaine du livre en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest

Des programmes de coopération dans le domaine du livre, mis en place par la France, existent en Afrique cen-trale et en Afrique de l’Ouest depuis 1977, avec l’objectif de contribuer à

Guillaume JuinMinistère des Affaires étrangères et europé[email protected]

Guillaume Juin, chargé de mission « Livre » au ministère des Affaires étrangères et européennes, a travaillé notamment à l’Opéra national de Paris, au château de Versailles, au musée international de la Croix-Rouge, au sein de l’Encyclopaedia Universalis et de Nouveau Monde éditions. Il est docteur en histoire et diplômé en management.

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est intimement liée à l’investissement des acteurs français de la coopération. À la fin des années 1980, un réseau de 17 centres de liaison des actions culturelles (CLAC) a vu le jour grâce au soutien de l’Organisation interna-tionale de la francophonie (OIF)3. Au début des années 1990, une coopéra-tion bilatérale avec la France à travers trois projets d’appui au développement de la lecture publique (PLP) a permis de compléter ce réseau par 28 biblio-thèques communales de lecture pu-blique (BCLP) bien dotées en res-sources et en personnel compétent.

L’évaluation de la coopération fran-çaise dans le domaine du livre entre 1992 et 2001 a montré un réel impact sur la création des bibliothèques mu-nicipales, mais également les limites institutionnelles et la nécessaire struc-turation d’une politique du livre au Burkina Faso. Malgré ces déficiences, il est clair que l’appui français aux pro-jets reste structurant, voire vital pour le réseau de lecture publique dans le pays, même si le Burkina Faso est l’un des rares pays de la région où le gouvernement a fait preuve d’un inté-rêt prononcé pour les domaines du livre et de la lecture comme outils de développement social et de vulgarisa-tion culturelle. Le ministère burkinabé de la Culture avait notamment solli-cité les instances francophones lors du 10e Sommet de la francophonie de Ouagadougou en novembre 2004 pour obtenir la création d’une biblio-thèque régionale de la francophonie et le renouvellement d’un soutien au programme de lecture publique.

Le fonds de solidarité prioritaire « Appui au réseau des bibliothèques de lecture publique »

Initié par le MAEE, le FSP « État » « Appui au réseau des bibliothèques de lecture publique » est mis en œuvre depuis 2006. Grâce à une méthodo-logie originale, il associe directement les principaux acteurs de la promo-tion de la lecture publique au Burkina

3. www.francophonie.org

Faso : une instance burkinabé pu-blique unique et de référence pour le domaine de la lecture publique créée spécifiquement, le Centre national de lecture et d’animation culturelle (Cenalac), la coopération bilatérale et l’OIF, principaux bailleurs de fonds du programme. L’objectif essentiel de ce projet est d’unifier les efforts des par-tenaires afin de permettre l’accès aux biens culturels sur l’ensemble du terri-toire en densifiant le réseau de biblio-thèques publiques et en rationalisant la politique nationale du livre. La par-ticipation d’autres bailleurs de fonds permet de diversifier les ressources de financement. Diverses prolongations du projet l’amèneront à se clôturer durant l’été 2011.

Le Centre national de lecture et d’animation culturelle

Le projet s’est construit autour de deux objectifs principaux structurés par plusieurs mesures et composantes. Ainsi, un appui institutionnel à la poli-tique nationale du livre a été apporté, avec notamment la conception d’un plan de développement de l’accès au livre. De plus et comme indiqué plus haut, l’État burkinabé a créé en no-vembre 2006 une structure nationale dédiée à la lecture publique, le Centre national de lecture et d’animation culturelle, le Cenalac. Cet établisse-ment public à caractère administratif dépendant du ministère de la Culture et du Tourisme a pour vocation de coordonner les différents volets de ce projet FSP ainsi que, sur le long terme, le développement des bibliothèques municipales du pays. Le Cenalac s’est par ailleurs vu confier la responsabi-lité de la coordination, de l’animation et de la dotation d’un nouveau réseau, formé par la fusion des anciens CLAC et BCLP, regroupés en 34 Celpac (Centre de lecture publique et d’ani-mation culturelle) présents dans tout le pays. Ce réseau a été réorganisé en quatre sous-divisions régionales, dont la charge a été confiée à des coordina-teurs spécialement recrutés :

• Réseau de l’Est : Celpac de Bogandé, Boulsa, Diapaga, Fada N’Gourma, Garango, Koupela, Manga, Pama, Tenkodogo (9 Celpac) ;

la structuration et à la profession-nalisation des chaînes du livre dans ces pays. Dans les années 2000, des FSP-États « Lecture publique et do-cumentation » ont été menés dans douze pays d’Afrique subsaharienne, contribuant notamment à la mise en place d’un réseau de bibliothèques de lecture publique, mais négligeant peut-être parfois l’importance de la dimension régionale. Néanmoins, ces actions ont permis d’inciter certains états partenaires à développer des poli-tiques publiques en faveur de l’écrit.

Plus récemment, le FSP Mobilisa-teur « L’Écrit et l’accès documentaire au service du développement dans la ZSP » (EDOCDEV, 2003-2010) a favorisé l’émergence d’une approche régionale de la politique du livre en Afrique francophone. Il a de plus encouragé une politique de dévelop-pement fondée sur la valorisation des compétences en mettant l’accent sur la formation des acteurs locaux du livre et sur la structuration de réseaux pro-fessionnels et d’information dans la zone. Ce projet a ouvert la voie à une conception plus transversale et fédéra-trice des actions, touchant l’ensemble des partenaires des chaînes du livre, organisant des coopérations sud-sud et associant des professionnels du nord et du sud. L’avenir des projets dans ce secteur reste cependant soumis à une logique d’évaluation, selon des critères précis d’évaluation des politiques pu-bliques, afin de bien mesurer l’impact et les effets de notre coopération.

La lecture publique au Burkina Faso

Au Burkina Faso, pays multieth-nique et multilingue, le livre reste un produit importé, cher et très large-ment inaccessible à une grande partie de la population, tout comme dans de nombreux pays de la région. Dans ce contexte, l’essor de la lecture publique est une solution nécessaire et lar-gement souhaitable car permettant d’offrir un accès gratuit et diversifié au livre, au savoir, et donc au développe-ment.

Le réseau des bibliothèques pu-bliques au Burkina Faso date d’une vingtaine d’années, et sa naissance

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La coopération française en matière de lecture publique au Burkina Faso :

• Réseau du Nord : Celpac de Djibo, Gourcy, Gorom-Gorom, Ouahi-gouya, Réo, Toma, Tougan, Yako, Yalgo (9 Celpac) ;

• Réseau du Centre : Celpac de Kombissiri, Koudougou, Léo, Ouaga-dougou (2), Pouytenga, Ziniaré, Zor-gho (8 Celpac) ;

• Réseau de l’Ouest : Celpac de Boromo, Bobo-Dioulasso (Dafra, Konsa), Banfora, Dédougo, Diébou-gou, Niagoloko, Nouna (8 Celpac).

Le Cenalac a bénéficié d’un sou-tien important permettant son équi-pement en mobilier, en matériel et en personnel. La coopération française a notamment appuyé la réhabilitation du bâtiment, tandis que l’aménage-ment complémentaire et les équipe-ments ont été assurés par l’OIF et l’État burkinabé. Ce dernier finance annuellement le Cenalac à hauteur de 15 %. Ces investissements ont permis au Cenalac de devenir compétent dans la conception et la gestion de la poli-tique du livre.

Il a notamment œuvré pour l’ac-quisition régulière d’ouvrages pour le réseau et des fournitures nécessaires à l’équipement de ces ouvrages. Le

renforcement du fonds documen-taires des bibliothèques a été défini comme l’une des priorités, comptant pour près de 58 % du budget de l’éta-blissement. Chaque bibliothèque s’est vue dotée de 500 nouveaux ouvrages par an, avec en priorité des achats de livres traitant de problématiques spé-cifiquement africaines, notamment burkinabé, et adaptés aux besoins locaux. Les éditions burkinabé ont évi-demment été favorisées. Cette dyna-mique d’accroissement des collections a permis de rationaliser la politique de dons d’ouvrages systématisée depuis des années, pour favoriser la défini-tion d’une véritable politique d’acqui-sition sur le long terme.

Des manifestations culturelles et littéraires d’envergure

Le secteur du livre a été fortement dynamisé grâce à la multiplication de manifestations culturelles et litté-raires d’envergure. La Foire internatio-nale du livre de Ouagadougou (Filo), née en novembre 2000 de la volonté conjointe du ministère de la Culture

du Burkina Faso et de l’ambassade de France, qui apporte un soutien finan-cier et logistique, a connu un réel essor au cours de la décennie passée, jusqu’à devenir l’une des principales mani-festations annuelles de promotion du livre francophone en Afrique. Cet évè-nement connaît un vrai succès popu-laire, surtout auprès des intellectuels et étudiants burkinabé qui trouvent là l’occasion d’acquérir une multitude de titres habituellement introuvables et à un prix très accessible. Cette foire est de plus un lieu essentiel de rencontres et d’échanges d’expériences non seu-lement entre les professionnels afri-cains du livre et de l’édition, mais aussi pour tous les acteurs du monde de la culture de la région. En 2009 ont par exemple été abordés pendant les tables rondes des sujets tels que la politique du livre en Afrique, la promotion de la coopération entre pays africains, les raisons de la défection du lecto-rat africain, l’implication des auteurs dans l’intégration culturelle des pays africains, les possibilités de mettre en œuvre des coéditions, ou encore le contenu des manuels scolaires. En dé-cembre 2010, l’Association internatio-nale des éditeurs indépendants (AIEI) a organisé parallèlement à la Filo des « Rencontres sur l’édition numérique » qui ont permis de réunir et d’informer dix éditeurs d’Afrique de l’Ouest, de Suisse, du Québec et de France sur les aspects techniques, juridiques et éco-nomiques spécifiques au livre numé-rique.

Depuis 2004, l’Association inter-nationale des libraires francophones (AILF)4 organise annuellement la « Caravane du livre », financée entre autres par le MAEE, évènement de promotion de la lecture, de la fran-cophonie et de la chaîne du livre en Afrique de l’Ouest. La Caravane per-met à une dizaine de libraires de l’AILF de sept pays de proposer une sélection d’ouvrages de littérature afri-caine à des prix bonifiés et de valori-ser la production locale. Des libraires du Bénin, du Togo, de Côte-d’Ivoire, du Tchad, du Sénégal, du Niger, du Mali et du Burkina Faso animent les espaces publics et les écoles pour aller

4. www.librairesfrancophones.org

Entrée du Celpac de Ziniaré (réseau du Centre)

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à la rencontre du public. Traversant une cinquantaine de villes, chaque édition de la Caravane touche plus de 50 000 personnes auxquelles elle donne accès au livre. Le projet FSP a permis d’aider et de soutenir les actions liées à cet évènement pour le volet Burkina. En 2009, une opération parrainée par un ancien représentant de l’Unicef 5 a proposé un bus itiné-rant de Ouagadougou à Ouahigouya, passant par Koupela et Tenkodogo. 2010, année du cinquantenaire de l’indépendance du pays, a été marquée par une vraie mobilisation des acteurs de la « Caravane du livre ».

Des actions de formation

Un volet important a été consacré à des actions de formation des cadres du Cenalac et plus largement du per-sonnel des bibliothèques. En effet, le Burkina Faso ne dispose d’aucune école spécialisée ou cursus de forma-tion en gestion de bibliothèques. Le réseau de lecture publique souffre donc d’un manque évident de pro-fessionnalisation et de spécialisation des responsables de bibliothèques, la plupart du temps des professeurs ou des instituteurs dont les mutations successives affectent la viabilité et la qualité du réseau. Les coordinateurs des réseaux régionaux ont ainsi pu bé-néficier de stages de formation de for-mateurs en France, totalement pris en charge par le service culturel de l’am-bassade de France à Ouagadougou.

Un partenariat précieux avec l’as-sociation Cobiac (Collectif de biblio-thécaires et intervenants en action culturelle)6 a permis d’organiser des séjours à la bibliothèque Louis Aragon de Martigues, et dans les bibliothèques départementales des Alpes-Maritimes et des Bouches-du-Rhône. Les cadres du Cenalac affectés au programme ont notamment bénéficié de formations en gestion de projet, en bibliothéconomie, en gestion informatique et traitement des statistiques, ainsi qu’en animation culturelle, dans l’optique de former

5. Fonds des Nations unies pour l’enfance : www.unicef.fr

6. www.cobiac.org

de futurs formateurs. Un programme de formation des bibliothécaires bur-kinabé a été mis en place localement avec la contribution de structures pro-fessionnelles formatrices comme l’As-sociation des bibliothécaires de France (ABF)7, l’association La joie par les livres 8 et l’Association des bibliothé-caires burkinabé. Un cycle de forma-tion annuel par sous-réseau a permis d’initier les responsables locaux à l’ac-cueil du public, à l’animation, aux nou-

7. www.abf.asso.fr

8. Devenu service du département Littérature et art de la Bibliothèque nationale de France : www.lajoieparleslivres.bnf.fr

velles technologies et à la recherche documentaire, avec un rappel des bases en bibliothéconomie. Pour au-tant, la mise en place d’une dynamique « réseau » aux niveaux régional, natio-nal, sous-régional et interprofessionnel avec les différents acteurs de la chaîne du livre et de la lecture publique pré-vue à travers des rencontres a été peu soutenue.

Consolider et renforcer le réseau de lecture publique

Le second objectif de ce projet de coopération a été de poursuivre et d’améliorer les efforts entrepris au

Affichage du règlement intérieur du Celpac de Gourcy

bbf : 2011 55 t. 56, no 2

La coopération française en matière de lecture publique au Burkina Faso :

cours des décennies précédentes pour consolider et renforcer le réseau des bibliothèques de lecture publique 9. Il était ainsi envisagé initialement de créer 16 bibliothèques supplémen-taires, afin d’atteindre un réseau de 50 structures publiques et d’offrir un accès au livre sur toute l’étendue du territoire. En complément, il était prévu de créer une bibliothèque dite « pilote » localisée à Ouagadougou, laquelle n’a jamais pu voir le jour. Quatre bibliothèques ont néanmoins acquis un statut de bibliothèque ré-gionale, avec vocation de desservir et d’épauler les bibliothèques locales. L’objectif d’amélioration du fonc-tionnement et de modernisation des bibliothèques existantes a été mieux rempli, bien que des inégalités d’ap-provisionnement au sein du réseau perdurent. Le renforcement des maté-riels, du mobilier et du fonds docu-mentaire n’a pas été homogène, et dif-fère beaucoup d’un Celpac à l’autre. De même, les travaux de réhabilitation et l’acquisition d’ouvrages, qui devaient être entrepris avec le soutien des com-munes concernées, ont été dépendants des priorités politiques locales.

Le réseau de l’Ouest, soit huit Celpac, est le seul à avoir bénéficié d’un réel soutien des localités. La mai-rie de la ville de Konso a par exemple financé entièrement la rénovation de sa bibliothèque municipale. Les abonnements aux revues et journaux, initiés dans le cadre du projet, ont cependant été arrêtés en 2008 faute de crédits. L’aide à la mise en place d’une vraie politique d’animation et à la diversification des manifestations a porté ses fruits. Les animations sont nombreuses et pertinentes, attirant un public de plus en plus important, surtout scolaire. Un effort supplémen-

9. Voir : Michael Kevane et Alain Joseph Sissao, « Habitudes de lecture au Burkina Faso : l’exemple des élèves de 3e dans les villages et les petites villes», BBF, 2007, no 2, p. 86-93. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-02-0086-004 et Félix Compaoré, Michael Kevane et Alain Joseph Sissao, « Habitudes de lecture et performances scolaires : le cas des élèves des classes de 3e et de 1re de la ville de Ouagadougou, Burkina Faso », BBF, 2009, no 4, p. 83-90. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-04-0083-001

taire devrait être fait vers des anima-tions orientées vers la lecture publique, la lecture, en s’appuyant notamment sur les enseignants et le travail en bibliothèque. La plupart des Celpac régionaux disposent en moyenne d’un fonds de 1 500 à 2 000 ouvrages et d’un public de 1 000 abonnés.

Le livre est un vecteur précieux de promotion des échanges interna-tionaux et de la diversité culturelle et linguistique. Les chaînes du livre dans les pays d’Afrique restent peu structu-rées et s’organisent souvent de façon informelle. Elles sont contraintes par des problèmes de coûts, de capaci-tés de production, de distribution, de manque d’infrastructures, de manque de formation, et un encadrement lé-gislatif et normatif insuffisant. Dans ce domaine comme dans d’autres, les pays francophones d’Afrique de l’Ouest gardent évidemment un lien historique et linguistique fort avec la France. Cette relation privilégiée affecte directement le milieu local du livre, puisqu’une grande majorité des ouvrages disponibles sont importés de France.

Des actions entreprises et des suites à donner dans le cadre de la coopération française

La présence au Burkina Faso d’un réseau structuré qui couvre l’ensemble du territoire ne suffit pourtant pas à pallier les nombreux problèmes que ce pays rencontre. L’appui institutionnel joué par l’outil technique de coordina-tion (Cenalac) doit trouver un relais auprès du ministère de la Culture et auprès des maires qui semblent sen-sibilisés à l’importance d’une présence des bibliothèques au sein de leur com-mune. Le FSP « Appui au réseau des bibliothèques de lecture publique » a permis de consolider un réseau de bibliothèques à travers le pays, de for-mer les équipes d’animateurs et de bibliothécaires, de doter les établisse-ments en ouvrages, matériel et mobi-liers.

La présence de coordinateurs pour les réseaux en région consolide les rencontres régulières. Leur visite des

établissements permet d’établir l’état des fréquentations, des animations et des besoins. La communication du projet pourrait aussi être un moyen de sensibiliser les autorités nationales comme communales.

Cependant, la nécessaire antici-pation de la fin du projet doit mener à une réflexion globale sur notre dis-positif de soutien aux réseaux de lec-ture en Afrique subsaharienne. L’éva-luation récente des FSP de lecture publique et les conclusions qui les accompagnent conduisent naturelle-ment le ministère à envisager de façon novatrice ces dispositifs en fonction des résultats tant quantitatifs que qua-litatifs.

Le ministère des Affaires étran-gères et européennes entend bien poursuivre avec le nouvel Institut français son soutien à l’ensemble de la chaîne du livre francophone, soutien basé sur la diversité des partenariats, l’appui régulier aux microprojets qui pourraient apparaître, l’aide via les postes diplomatiques à des actions de terrain, le support tant financier que logistique à de nombreuses associa-tions ou organismes agissant dans le domaine. •

Février 2011

Les bibliothèques nationales et l’Europe

Une bibliothèque nationale européenne se situe dans des cercles concentriques qui vont

du local à l’international en passant par le national et l’européen, très im-briqués entre eux du fait de l’environ-nement, celui d’une société de l’infor-mation mondiale.

Le cercle européen est un cercle privilégié qui renforce et démultiplie la coopération ; c’est particulièrement vrai pour les pays membres de l’Union européenne. Une institution culturelle comme la Bibliothèque nationale de France (BnF) va ainsi bénéficier, de la part de cette Union, d’une politique volontariste et ciblée. Celle-ci va fixer le cadre, les programmes et les lignes d’action qu’elle entend privilégier à un moment donné. Actuellement, et on le verra par la suite, la priorité est donnée aux actions qui sont en faveur d’Europeana 1, la bibliothèque numé-rique européenne.

Des bibliothèques nationales européennes avec une ambition commune

Les bibliothèques nationales, pour leur part, ont ressenti très tôt, au début des années 1980, le besoin de se re-grouper au sein de la Conférence des directeurs de bibliothèques nationales européennes (CENL)2. De Moscou à Reykjavik, d’Ankara à Lisbonne, la CENL a ainsi permis aux bibliothèques nationales de tisser un véritable réseau

1. www.europeana.eu/portal

2. Conference of European National Librarians : www.cenl.org

qui va s’attacher à offrir à tous les ci-toyens un accès unique, multilingue et gratuit à leurs collections et à leurs catalogues, à promouvoir la diversité culturelle et, enfin, à coopérer avec d’autres institutions patrimoniales, des universités, des éditeurs ou encore des fournisseurs de contenus.

Ce réseau fournit aux biblio-thèques nationales la possibilité de disposer d’un niveau d’information partagé, d’une influence stratégique certaine et d’un terreau fertile qui va entraîner l’émergence d’initiatives ou de projets communs, le plus souvent multilatéraux, qu’elles vont pouvoir porter au niveau européen.

TEL/The European Library 3 en est une belle illustration. En effet, ce pro-jet a vu le jour grâce à la conjonction de deux volontés politiques : celle de la Commission européenne qui, au cours des années 1990 et au début des années 2000, a fortement soutenu la construction de l’Europe des biblio-thèques avec le financement d’études et de projets de recherche ; et celle des membres de la CENL qui ont exprimé le souhait de mettre en place un por-tail unique pour leurs ressources tant numériques (livres, affiches, pério-diques, enregistrements sonores, pho-tos, vidéos, etc.) que bibliographiques. Actuellement, TEL/The European Li-brary offre, dans 35 langues, un accès à plus de 150 millions de ressources issues des collections de 48 biblio-thèques nationales d’Europe. Il donne également accès à des expositions virtuelles qui mettent en valeur les collections numérisées de ses parte-naires.

3. www.theeuropeanlibrary.org

Élisabeth FreyreBibliothèque nationale de [email protected]

Diplômée en bibliothéconomie et en informatique de gestion, Élisabeth Freyre est chargée de mission pour la coopération multilatérale européenne au sein de la Délégation aux relations internationales de la BnF. Elle est notamment responsable au sein de cette Délégation de la gestion des projets Europeana, Arrow, BHL-Europe ou Europeana Regia et des projets de recherche et développement tels qu’Impact et Keep.

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Les bibliothèques nationales et l’Europe :

tuent un acteur essentiel. Au même moment est lancée une consultation publique en ligne pour recueillir l’opi-nion de l’ensemble des acteurs (biblio-thèques, éditeurs, musées, archives, laboratoires de recherche, entreprises, etc.). En mars 2006, la Commission européenne prend acte des résultats de cette consultation pour esquisser sa feuille de route en faveur d’une bibliothèque numérique européenne capable d’offrir un accès unique et multilingue aux ressources numé-riques des institutions culturelles européennes. Enfin, en août 2006, elle publie sa recommandation sur la numérisation et l’accessibilité en ligne du matériel culturel et la conservation numérique, approuvée par le Conseil des ministres de la Culture et de l’Au-diovisuel de novembre.

Depuis, cette bibliothèque numé-rique européenne a été lancée sous le nom d’Europeana. Ce projet, financé par la Commission européenne et les états membres et dans lequel la BnF prend une part active, a pour objec-tif de diffuser en ligne le patrimoine culturel européen en s’appuyant sur une coopération renforcée entre biblio-thèques, archives, musées et collec-tions audiovisuelles en Europe. Euro-peana a franchi une étape décisive en novembre 2008 avec le lancement d’un prototype qui donnait accès à plus de 2 millions d’objets numériques : textes, images, sons, vidéos. Une nouvelle étape a été franchie à l’automne 2010 avec la mise en service opérationnelle d’une nouvelle version d’Europeana, qui donne désormais accès à plus de 15 millions d’objets numériques.

Par ailleurs, au printemps 2010, l’Union européenne a lancé sa straté-gie Europe 2020, qui prend la suite de la Stratégie de Lisbonne et qui vise à développer une croissance « intelli-gente, durable et inclusive » qui s’effor-cera d’imbriquer davantage politiques nationales et politique européenne.

Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, Neelie Kroes, vice-prési-dente de la Commission européenne chargée de la stratégie numérique, a initié, en mai 2010, l’Agenda numé-rique pour l’Europe 4, qui a pour ob-jectif d’obtenir à l’horizon 2020 une économie numérique prospère et de définir les actions et politiques néces-saires pour maximiser les bénéfices de la révolution numérique pour tous. Cet Agenda numérique encouragera également la numérisation à grande échelle des collections des biblio-thèques, archives et musées natio-naux, et facilitera l’accès à ces collec-tions via Europeana.

Dans la même dynamique, en mai 2010, le Parlement puis le Conseil européen ont adopté les conclusions de la consultation publique menée fin 2009 concernant l’avenir d’Euro-peana, intitulée « Europeana : nou-velles étapes ». Ces conclusions in-vitent la Commission européenne à faire des propositions pour assurer à Europeana un financement pérenne et lui permettre de devenir un outil de référence incontournable à l’ère du numérique.

Toujours au printemps, un groupe de réflexion sur la numérisation du patrimoine culturel européen, appelé « Comité des sages », a été mis en place par Neelie Kroes et Androulla Vassi-liou, commissaire chargée de l’éduca-tion et de la culture, afin de faire des recommandations sur les moyens de rendre la création et le patrimoine culturels européens accessibles en ligne, et de les préserver pour les géné-rations futures.

Après avoir recueilli les besoins et les attentes des acteurs concernés et organisé plusieurs auditions au cours de l’été et de l’automne 2010,

4. http://ec.europa.eu/information_society/digital-agenda/documents/digital-agenda-communication-en.pdf

En 2005, au moment où l’Union européenne lance son initiative en fa-veur des bibliothèques numériques, la CENL aura une longueur d’avance sur les autres institutions culturelles (ar-chives, musées et collections audiovi-suelles), et TEL/The European Library constituera naturellement le point de départ tant sur le plan organisationnel que politique de la Bibliothèque nu-mérique européenne, Europeana.

Un cadre européen favorable

Le contexte européen permet des échanges réguliers entre bibliothèques nationales, institutions culturelles, états membres et Commission euro-péenne, qui vont nourrir les stratégies de l’Union européenne.

L’initiative i2010 va s’élaborer, au milieu des années 2000, dans un contexte international particulier, puisque Google a annoncé fin 2004 son accord avec de grandes biblio-thèques anglo-saxonnes pour la nu-mérisation de 15 millions de pages. À ce moment-là, l’Union européenne est à mi-parcours de la Stratégie de Lisbonne qu’elle a lancée en 2000 et qui est destinée à faire de l’Europe « l’économie basée sur la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde d’ici 2010 ». Elle a, de plus, été interpellée par la France et cinq autres pays européens (Allemagne, Espagne, Hongrie, Italie et Pologne) à la suite de l’annonce de Google. Pour l’occa-sion, la Commission européenne va bénéficier des « Principes de Lund », définis en 2001 par les états membres pour coordonner et valoriser les acti-vités de numérisation au niveau de l’Europe et lancer i2010, qui a pour objectif de tirer profit des nouvelles technologies de l’information afin de contribuer à la croissance écono-mique, à l’emploi et à la qualité de vie des Européens, révisant ainsi la Stra-tégie de Lisbonne en lui donnant une ligne d’action plus précise.

En septembre 2005, Viviane Re-ding, alors commissaire à la société de l’information et aux médias, rend pu-blique la communication i2010 pour les bibliothèques numériques, dans laquelle les bibliothèques nationales consti-

The Conference of European National Librarians

The Conference of European National Librarians (CENL) – la Conférence des directeurs de bibliothèques nationales européennes –, fondation de droit néer-landais, a pour objectif d’accroître le rôle des bibliothèques nationales en Europe, conformément à leurs missions de collecte et de conservation du patrimoine culturel national. Sont membres de la CENL les bi-bliothèques nationales des pays membres du Conseil de l’Europe, soit actuellement 49 membres représentant 46 pays.

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ce comité a rendu ses conclusions en janvier 2011 dans un document intitulé « La nouvelle renaissance ». Celles-ci renforcent Europeana dans son objec-tif de devenir une référence incon-tournable pour le patrimoine culturel européen en ligne ; appellent les états membres à renforcer leur effort de numérisation ; demandent d’étudier la possibilité de la mise en ligne des œuvres sous droits, et que les œuvres orphelines fassent l’objet d’une régle-mentation ; encouragent les partena-riats public-privé et préconisent un archivage pérenne sur Europeana.

Toutes ces actions montrent que la nouvelle Commission européenne entend poursuivre un rôle clé dans l’accès à la culture numérique. Pour mettre en œuvre les stratégies évo-quées plus haut, la Commission met en place des programmes qui, par le biais de cofinancements, permettent de développer ou de lancer des appli-cations principalement sur l’accès et la préservation à long terme des objets numériques.

Deux programmes remplissent tout d’abord un rôle particulier dans ce contexte. Il s’agit, en matière de re-cherche et développement, du 7e Pro-gramme-cadre de recherche et de dé-veloppement (PCRD), qui constitue le principal instrument de financement de la recherche de l’Union avec un budget d’environ 50 milliards d’euros sur 7 ans, dont 9 milliards consacrés aux technologies de l’information et de la communication. S’agissant des bibliothèques numériques, le 7e PCRD a pour objectif de financer un réseau de centres de compétences pour la numérisation et la conserva-tion numérique.

Le deuxième programme relatif à la valorisation des contenus est le programme-cadre pour l’innovation et la compétitivité, doté d’un budget de 3 milliards d’euros, dont 728 millions d’euros sont consacrés au programme d’appui stratégique en matière de technologies de l’information et de la communication 5, et qui cofinance par exemple des projets relatifs à l’indexa-

5. http://ec.europa.eu/information_society/activities/ict_psp/about/index_en.htm

tion sémantique ou à l’accès aux col-lections numériques.

Ces programmes impliquent tous les partenaires européens : non seu-lement les institutions culturelles, les bibliothèques, les archives et les musées, mais également le secteur privé, grandes entreprises comme pe-tites et moyennes entreprises. Dans la mesure où ils ont de fortes contraintes tant sur le plan administratif que sur le plan des résultats, ils permettent aux bibliothèques nationales d’élabo-rer des stratégies communes, de tra-vailler ensemble sur des sujets com-plexes et d’être plus performantes.

Le rôle de la Bibliothèque nationale de France

Pour prendre l’exemple de la BnF, la participation aux projets européens menés avec le soutien de la Commis-sion européenne est l’axe prioritaire de son action européenne. Cela se traduit par un investissement humain, scien-tifique, technique et financier impor-tant, et par une implication forte, tant sur le plan stratégique qu’au niveau opérationnel :

• d’une part, elle a des représen-tants dans les instances de la CENL et de la Fondation pour la Bibliothèque numérique européenne ;

• d’autre part, elle participe à de nombreux projets de recherche et de développement réalisés avec d’autres partenaires européens, bibliothèques, musées, centres de recherche et entre-prises privées. Elle s’implique de plus en plus maintenant dans des projets de contenus qui ont pour objectif d’ali-menter Europeana.

Ainsi, le projet Europeana v1.0, lancé en mars 2009, vise à développer la version opérationnelle d’Europeana en la dotant d’une infrastructure consolidée, de services et de fonction-nalités améliorés et d’une offre numé-rique accrue.

Le projet BHL-Europe (Biodiver-sity Heritage Library for Europe)6, inauguré en mai 2009, concourt à accroître les contenus et à renforcer la dimension scientifique d’Europeana

6. www.bhl-europe.eu

en y apportant un corpus de littérature scientifique sur la biodiversité d’envi-ron 25 millions de pages de docu-ments conservés dans les collections européennes.

La BnF coordonne le projet de bibliothèque virtuelle collaborative de manuscrits royaux du Moyen Âge et de la Renaissance, Europeana Regia 7, qui a débuté en janvier 2010.

Enfin, l’objectif d’Europeana 1914-1918 est de constituer une bibliothèque virtuelle sur la Première Guerre mon-diale d’environ 500 000 documents, accessible à tous et susceptible d’inté-resser le grand public comme les cher-cheurs.

La BnF coordonne le projet Keep (Keeping Emulation Environment Por-table) lancé en février 2009, qui s’at-tache à concevoir et réaliser une plate-forme logicielle capable de pérenniser la consultation à long terme des conte-nus multimédias (logiciels, jeux vidéo), en s’affranchissant des plateformes constructeurs ainsi que des contraintes dues à l’obsolescence des logiciels et des matériels informatiques.

Arrow (Accessible Registries of Rights Information and Orphan Works towards Europeana)8, projet conjoint entre des bibliothèques, des éditeurs et des gestionnaires de droits, vise à développer un registre des œuvres orphelines et à étudier com-ment donner accès à des œuvres nu-mériques sous droits via Europeana. Au niveau national, la BnF participe à un groupe de travail national réunis-sant la librairie de livres numériques Numilog, le Syndicat national de l’édi-tion, le Centre français d’exploitation du droit de copie et la société Électre.

En ce qui concerne le projet Im-pact (IMProving ACcess to Text)9, qui a pour objet de développer des outils innovants pour la reconnais-sance optique de caractères, amélio-rer l’accès aux textes numérisés et, à terme, mettre en place un centre de compétences en numérisation, la BnF met à disposition du projet et de ces recherches son savoir-faire en ma-tière de numérisation de masse, ses

7. www.europeanaregia.eu/fr/index.html

8. www.arrow-net.eu

9. www.impact-project.eu

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Les bibliothèques nationales et l’Europe :

lexiques et un nombre important de ses corpus numérisés.

Enfin, dans le projet TELPlus 10, clos en décembre 2009, l’apport de la BnF s’est particulièrement affirmé dans le domaine de la conversion en mode texte de haute qualité : 6,5 mil-lions de pages de livres et de pério-diques ont été océrisées et rendues disponibles via le portail TEL/The European Library ainsi que via Euro-peana. C’est dans le cadre de ce pro-jet qu’ont également été menées des études utilisateurs approfondies et qu’un prototype permettant de tester des fonctionnalités innovantes pour la recherche sémantique a été réalisé.

La Commission européenne à l’écoute des institutions culturelles

Pour établir sa politique straté-gique, l’Union européenne lance régu-lièrement des appels à contributions qui lui permettent d’évaluer les at-tentes des institutions, des acteurs pri-vés, des citoyens, et de définir sa stra-tégie et ses lignes d’action. Ces appels à contributions vont permettre aux bibliothèques nationales en particu-lier et plus largement aux institutions culturelles d’exercer leur influence sur les politiques préconisées.

Les programmes actuels arrivant à échéance en 2013, la Commission a déjà lancé les actions grâce aux-quelles il va être possible non seule-ment d’évaluer la pertinence des pro-grammes mais également de recueillir les attentes et les volontés de changer de la part des différents acteurs. La Commission a par ailleurs et à cette occasion publié un Livre vert, Quand les défis deviennent des chances : vers un cadre stratégique commun pour le finan-cement de la recherche et de l’innovation dans l’UE 11.

Avec ce mode d’élaboration, les actions des institutions culturelles

10. www.theeuropeanlibrary.org/portal/organisation/cooperation/telplus

11. www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1297328152_com_2011_48_csf_green_paper_fr.pdf

peuvent être relayées et amplifiées au niveau européen par les états membres tant au niveau de leur gou-vernement que de leurs ministères. En 2001, des représentants et experts de la Commission européenne et des états membres se sont réunis à Lund (Suède) pour établir une concertation pour une coordination et une valori-sation des programmes nationaux de numérisation au niveau européen. De cette réunion sont issus des principes, appelés « Principes de Lund », qui ont établi une liste d’actions à réaliser par les états membres, par la Commis-sion, et par les deux conjointement, en vue d’améliorer l’approche de la numérisation à travers l’Europe.

C’est ainsi qu’en 2005, la France et cinq autres états (Espagne, Allemagne, Italie, Hongrie, Pologne) ont adressé une lettre à Jean-Claude Juncker, alors président du Conseil européen, et à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, en faveur d’une numérisation et d’une valorisa-tion importantes du patrimoine euro-péen, et ont obtenu leur soutien.

Enfin, l’Union a mis en place, à la suite de sa recommandation

d’août 2006 sur la numérisation et l’accessibilité en ligne du matériel culturel et la conservation numérique, un groupe d’experts chargé d’évaluer la mise en œuvre de cette recomman-dation, de constituer un forum pour la coopération au niveau européen, entre les organismes des états membres et la Commission, ainsi que d’échanger des informations et des bonnes pra-tiques en relation avec les politiques et stratégies des états membres dans le domaine de l’accessibilité à long terme du patrimoine numérique.

Enfin, l’Union européenne va inter-venir par le biais de directives que les états devront ensuite adopter. Pour le domaine qui nous concerne, citons par exemple la directive de 2001 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins, ou encore celle de 2003 concernant la réutilisation des informations du sec-teur public. L’Union envisage égale-ment de proposer une directive-cadre sur la gestion collective des droits et une autre sur les œuvres orphelines.

Conclusion

Les bibliothèques nationales euro-péennes prennent toute leur place dans la société de l’information mon-diale car elles ont su très tôt se regrou-per au sein d’un réseau, la CENL. Elles ont également établi très tôt un dia-logue constant avec la Commission eu-ropéenne qui soutient les institutions culturelles désirant mener à bien des projets communs, à créer des syner-gies et à donner un accès unique à leur patrimoine numérique. Ce dialogue peut intervenir directement par le biais de projets ou d’appel à contributions. Il peut aussi être relayé et amplifié grâce aux états membres. Enfin, l’Union européenne apporte tout son sou-tien aux institutions culturelles, aux organismes de recherche et au secteur privé à travers sa Stratégie numérique pour l’Europe. •

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Europeana

Composé de collections issues de musées, de bibliothèques et d’archives de biblio-thèques européennes, Europeana a pour mission de partager la riche diversité de l’héritage culturel et scientifique européen. Environ 1 500 institutions contribuent à Europeana, comme la Bibliothèque na-tionale de France, mais aussi la British Library, le musée du Louvre, le Rijksmu-seum, etc.

Europeana Regia

Europeana Regia est le premier projet collaboratif européen de numérisation en nombre de manuscrits du Moyen Âge et de la Renaissance. Il réunit cinq grandes bibliothèques européennes : Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque royale de Belgique, Bayerische Staatsbibliothek, Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel, Biblioteca historica de la Universitat de Valencia pour la numérisation de plus de 300 000 pages de manuscrits.

Une histoire politique de l’archivage du web :

Le web a vingt ou trente ans de moins que la plupart des biblio-thécaires, et peu nombreux sont

ceux qui se soucient d’en garder la mémoire. En France, comme dans la plupart des pays, le dépôt légal de l’internet est de création récente 1, et la responsabilité juridique de sa conservation incombe principalement à la Bibliothèque nationale. C’est un champ d’expertise isolé, dont la tech-nicité rebute souvent les profession-nels. Pourtant, à l’échelle mondiale, le projet d’archiver le web soulève des questions indéniablement politiques. Les bibliothèques nationales sont hé-ritières du concept d’État-nation, qui présuppose une certaine unité entre une culture, une langue, un territoire, des supports de publication. Com-ment peuvent-elles prétendre conser-ver un média dont les contenus sont massivement dématérialisés et parta-gés hors des frontières de l’État ? De quel droit ? Et à quel coût ? Quelles pu-blications doivent-elles sauver en prio-rité ? Selon quels critères de sélection ? L’immensité du réseau conduira-t-elle demain les institutions de mémoire des grandes puissances à se partager, façon Yalta, la conservation de tous les savoirs nés numériques du monde ? Qu’adviendra-t-il du patrimoine im-matériel des régions moins favori-

1. Pour une présentation de l’organisation du dépôt légal du web à la BnF, voir l’article de Gildas Illien, « Le dépôt légal de l’internet en pratique : les moissonneurs du web », BBF, 2008, no 6, p. 20-27. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-06-0020-004

sées ? Parce que le web appartient à tout le monde et est devenu la source principale de la mémoire collective de ce début du xxie siècle, il est essentiel de mieux faire connaître les dispositifs conservatoires en cours de construc-tion, ainsi que les organisations qui les portent.

Dans la jeune galaxie de la pré-servation numérique, la coopération internationale s’organise dans les marges, voire tout à fait en dehors des principales associations et conférences de bibliothécaires. Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de groupements interlopes et relative-ment confidentiels. Qu’ont-ils de par-ticulier ? D’abord, leurs méthodes de travail sont issues de la culture et des pratiques du web. Ensuite, ces com-munautés favorisent la rencontre de professionnels qui, jusqu’ici, se par-laient assez peu : bibliothécaires, ar-chivistes, ingénieurs, entrepreneurs, chercheurs. Enfin, on pourrait dire que ce sont des organisations de tech-nocrates, dans la mesure où leur créa-tion résulte au départ d’un problème technique nécessitant la mobilisation d’experts. Leurs échanges portent d’abord sur les données, les logiciels, les normes. Ce n’est que dans un se-cond temps que leur activité est sus-ceptible de provoquer l’intervention du politique. C’est justement cette ques-tion qui nous intéresse : dans quelles circonstances un problème technique devient-il politique ?

On a choisi d’explorer cette pro-blématique à partir de l’exemple du consortium international pour la pré-servation de l’internet (International

Gildas IllienBibliothèque nationale de [email protected]

Gildas illien est conservateur en chef au service Dépôt légal numérique de la Bibliothèque nationale de France. Depuis 2007, il a été également responsable technique et trésorier du Consortium international pour la préservation de l’internet (IIPC). Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et titulaire d’un master en communication de l’université McGill (Montréal), il a auparavant exercé à la bibliothèque universitaire de Paris 8, fait partie de l’équipe de préfiguration de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art et dirigé les médiathèques de l’Institut français de Vienne et du Centre culturel français d’Oslo.

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LE CONSORTiUM iNTERNATiONAL POUR LA PRÉSERVATiON DE L’iNTERNET

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Une histoire politique de l’archivage du web :

Internet Preservation Consortium, lIPC)2, qui regroupe aujourd’hui une quarantaine d’institutions. Il est en effet représentatif de ces nouvelles or-ganisations qui interrogent la capacité des bibliothèques à transformer un fait technique en enjeu de politique publique.

L’objectif de cet article est à la fois de dresser l’état des forces inter-nationales engagées dans ce secteur et d’identifier de bonnes pratiques de gouvernance et des méthodes de travail innovantes. On verra ainsi comment le numérique active de nouveaux leviers de coopération et d’influence, qui nécessitent en retour le développement d’organisations et de compétences ad hoc. En toile de fond du récit de l’histoire de l’IIPC, on s’intéressera à trois activités qui découlent de ses missions fonda-mentales : le développement logiciel

2. Site officiel du consortium IIPC : www.netpreserve.org

(la technique), la communication et le lobbying (la politique), la création collaborative de contenus (les collec-tions).

Aux origines du consortium IIPC : s’unir pour moissonner le monde

À la fin des années quatre-vingt-dix, l’archivage des sites web, pourtant bien moins nombreux et moins com-plexes qu’aujourd’hui, constituait déjà un défi si considérable qu’une seule institution, fût-elle la fondation pion-nière Internet Archive 3, ne pouvait le relever seule. Les ressources à mobi-liser étaient importantes, alors qu’il n’existait aucun débouché commer-

3. www.archive.org Internet Archive a commencé à archiver le web en 1997.

cial. La révolution qu’allait jouer le web dans la transformation des pratiques culturelles et sociales n’allait pas de soi non plus. Trouver des financements publics pour s’engager dans cette voie a nécessité l’intervention de personna-lités visionnaires dotées d’une grande force de conviction. Ces personnali-tés, comme Brewster Kahle, fondateur d’Internet Archive aux États-Unis, ou Catherine Lupovici 4 et Julien Masa-nès 5 en France, avaient un profil aty-pique, marqué à la fois par une grande maîtrise technique et une vision patri-

4. Catherine Lupovici, « Web archives long term access and interoperability : the International Internet Preservation Consortium activity », dans Actes du 71e Congrès de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions (IFLA), Oslo, Norvège, 2005. En ligne : http://archive.ifla.org/IV/ifla71/papers/194e-Lupovici.pdf

5. Julien Masanès, « Towards continuous Web archiving : first results and an agenda for the future », dans D-Lib Magazine, 2002, vol. 8, no 12. En ligne : www.dlib.org/dlib/december02/masanes/12masanes.html

Carte des membres de l’iiPC (janvier 2010).

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moniale résolument futuriste. C’est grâce à leurs efforts de dissémination qu’une première prise de conscience internationale a été possible. Celle-ci s’est concrétisée quelques années plus tard lorsqu’une dizaine de biblio-thèques nationales réparties entre l’Eu-rope (en particulier les pays nordiques, la France et la Grande-Bretagne), l’Amérique du Nord et l’Australie ont choisi de s’associer à Internet Archive pour fonder le consortium.

Pourquoi cette alliance ? Pour ces bibliothèques nationales, l’archivage du web présentait une particularité inédite au regard de traditions structu-rées par les législations et les cultures de chaque pays : il pouvait difficile-ment se concevoir en dehors du reste du monde. L’internet était et demeure un média international, tant du point de vue de sa gouvernance, de son ar-chitecture, que de ses contenus. Tout partage documentaire du web allait de fait impliquer une concertation sur les frontières et les responsabilités, concertation forcément plus complexe que lorsqu’on pouvait s’en tenir aux critères relativement simples du terri-toire, de la nationalité ou de la langue. Car, si l’on conçoit aisément que le site de l’Élysée est un site français et celui de la Maison-Blanche un site amé-ricain, la chose se complique quand on pense aux archives de Twitter, de YouTube ou de Wikipedia. La nature même de ce gigantesque fonds néces-sitait donc, dès le départ, une vision d’interopérabilité entre collections : il eût été irresponsable de ne pas se pro-jeter dans l’avenir, même lointain, où un citoyen serait en droit de disposer d’un accès unique au patrimoine du web, nécessairement planétaire, plu-tôt qu’à ses pièces détachées confinées dans des silos nationaux. La solution la plus simple, qui fut d’ailleurs propo-sée par Brewster Kahle en 2003, aurait peut-être été la construction d’une seule et unique archive mondiale ali-mentée par toutes les bibliothèques nationales. Cependant, du fait des conventions internationales comme des législations nationales sur le droit d’auteur et sur la protection des don-nées personnelles, ce projet ne put voir le jour. En effet, la plupart des lé-gislations nationales imposent des res-trictions de consultation aux archives

de l’internet. Pour pouvoir les commu-niquer en ligne, il est généralement nécessaire d’obtenir l’accord préalable des éditeurs – une démarche qui n’est pas possible pour des collections qui se chiffrent en millions de sites 6.

La solution qui se dégagea fut une solution de compromis. Chaque insti-tution allait archiver de son côté, mais en concertation étroite avec les autres, afin d’éviter la dispersion des efforts, la redondance des contenus et surtout afin de garantir la possibilité de fu-sionner ou de relier un jour entre elles toutes les collections nationales. Il fau-dra probablement attendre des décen-nies pour que ce rêve se réalise, s’il se réalise jamais, mais la gestion du pa-trimoine implique forcément de faire des paris et de prendre des risques sur le long terme. À l’heure où l’on s’évertue à numériser en nombre les fonds d’imprimés des bibliothèques pour les diffuser en ligne, il reste évi-demment paradoxal de territorialiser des segments de l’internet qui ne sont le plus souvent consultables qu’entre les murs des institutions, mais les bi-bliothèques nationales ne peuvent en aucun cas s’affranchir du droit.

Ces choix conduisirent rapide-ment à placer la technique au centre des préoccupations. L’urgence était de disposer de robots capables de collec-ter automatiquement de très grands volumes de sites. Par ailleurs, les pionniers de l’IIPC comptaient parmi eux des professionnels expérimen-tés, qui avaient œuvré à la réalisation de catalogues collectifs. Ces derniers comprirent très vite que l’interopéra-bilité future des collections nécessi-tait l’établissement en amont d’une communauté de formats, de normes et de logiciels, facilitant la production de données homogènes par les insti-tutions. Les entreprises et les logiciels propriétaires n’étaient pas légion dans

6. Seuls Internet Archive et la Bibliothèque nationale et universitaire d’Islande prennent le risque juridique de diffuser leurs archives en ligne sans permission préalable des éditeurs. D’autres institutions, comme la British Library, proposent la consultation en ligne d’un nombre limité de publications archivées pour lesquelles elles ont obtenu l’accord individuel de chaque éditeur de site.

ce secteur. Un appel d’offres pour le développement d’un robot répondant à leurs besoins, lancé conjointement par les trois poids lourds du groupe, la British Library, la Bibliothèque du Congrès et la BnF, resta infructueux. Elles durent se rendre à l’évidence : le marché n’était pas mûr. Elles firent alors le choix de s’engager dans la voie du développement open source, à partir des nombreuses briques déjà conçues par Internet Archive. C’est la raison historique pour laquelle les technolo-gies aujourd’hui utilisées par toutes les bibliothèques moissonneuses sont des logiciels libres, propices aux déve-loppements collaboratifs qui allaient marquer les premières années du consortium.

Historiquement conçu et construit en réseau, c’était donc en réseau qu’internet devait être conservé. Les pionniers étaient isolés et avaient besoin d’un forum au sein duquel partager leurs expériences et leur foi en « l’importance d’une collaboration internationale pour assurer la préser-vation des contenus de l’internet pour les générations futures » – le credo de l’IIPC, qui figure en préambule de son accord fondateur. C’est fondamen-talement la nécessité d’une commu-nauté dédiée à l’archivage du web qui a motivé la création du consortium en juillet 2003.

Une organisation virtuelle ?

Lors de sa fondation, le consor-tium s’est fixé trois missions fon-damentales (missions techniques, politiques, documentaires) et quatre activités principales, qui figurent dans l’accord signé par ses membres (voir encadré). On verra que ces missions et activités ont toutes été explorées au cours des sept dernières années, mais plutôt par phases que simulta-nément. L’interprétation que l’on pro-pose de l’histoire de l’IIPC est en effet celle d’une évolution progressive de la technique vers la politique, une dyna-mique que l’on retrouve dans toute forme d’innovation.

L’adhésion à l’IIPC s’est toujours faite par cooptation, les institutions candidates devant justifier de réalisa-

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Une histoire politique de l’archivage du web :

tions ou de projets significatifs dans le domaine de l’archivage de l’internet, s’acquitter d’une cotisation annuelle (de 2 000 à 8 000 euros, selon l’im-portance de leur budget) et accepter les termes de l’accord signé pour trois ans par toutes les parties. Celui-ci a été renouvelé à trois reprises depuis 2003, chacune de ces périodes de trois ans correspondant, on le verra, à un cycle d’évolution.

La gouvernance du consortium a en effet évolué au fil des ans afin de s’adapter à l’effectif et aux aspira-tions de ses membres. Ces évolutions reflètent un triple mouvement : dé-concentration, professionnalisation, démocratisation. Le pilotage était initialement assuré exclusivement par la BnF, mandatée à ces fins par le comité de pilotage composé des membres fondateurs. Puis les tâches ont été progressivement réparties entre plusieurs institutions : la Biblio-thèque du Congrès a pris en charge la communication de l’IIPC en 2007, tandis qu’Internet Archive s’est vu confier son pilotage technique à par-tir de 2010. Cette répartition a favo-risé une spécialisation des tâches au sein de l’équipe qui assure la gestion opérationnelle du consortium. La présidence du consortium est deve-nue tournante et annuelle à partir de 2007, la France, l’Islande, le Canada, Singapour et la Grande-Bretagne se succédant à ce poste. À partir de 2010, la douzaine de représentants, inamo-vibles, qui siégeaient au comité de pilotage furent élus et renouvelés par tiers par l’assemblée générale. Celle-ci, instituée en 2007, n’avait jusqu’alors aucun pouvoir décisionnel.

Le consortium est une organi-sation quasiment virtuelle, dont les membres ne se rencontrent en per-sonne qu’une ou deux fois par an. Il ne dispose pas de siège, ni de personnel salarié permanent. Son fonctionne-ment repose entièrement sur le volon-tariat et l’engagement collaboratif des membres. Ses ressources financières proviennent des cotisations annuelles, qui couvrent les dépenses associées à l’organisation de réunions et confé-rences, à la maintenance du site web, au financement de développements informatiques, d’études, et à la prise en charge de certains frais de mission.

Le comité de pilotage (Steering Committee) définit la stratégie de l’IIPC. Il vote les décisions impor-tantes, notamment budgétaires. Il se réunit deux ou trois fois par an et, depuis peu, organise tous les deux mois une conférence téléphonique et des votes électroniques. Quatre per-sonnes, appelées officiers de l’IIPC, occupent des fonctions de coordina-tion spécifiques : le président (Chair), élu chaque année par le comité de pilotage, joue un rôle d’impulsion et de représentation pour l’ensemble de la communauté, dont il préside toutes les rencontres ; le responsable de la communication (Communication Offi-cer), désigné pour 3 ans par le comité

de pilotage, coordonne la communica-tion (site web, liaisons internes, orga-nisation des réunions et conférences) ; le responsable des programmes (Pro-gram Officer) est également désigné pour 3 ans par le comité de pilotage. Il coordonne la stratégie technique et les activités des groupes de travail ; le trésorier (Treasurer), désigné dans les mêmes conditions, assure la coordi-nation administrative et financière du consortium.

Trois groupes de travail perma-nents (working groups) et des groupes d’intérêt (task forces) complètent ce dispositif. Ils constituent les espaces de rencontre et de collaboration privi-légiés. Les groupes de travail perma-nents, dont chacun est copiloté par un binôme issu de deux institutions différentes, sont organisés autour de trois axes : collecte, préservation, accès. Les pilotes de ces groupes par-ticipent au comité de coordination du consortium, sorte de bureau exécutif où siègent également le président et les trois officiers. Les groupes d’inté-rêt sont créés en fonction de l’agenda de la communauté. Par exemple, un groupe d’intérêt intitulé Advocacy and Outreach Task Force travaille actuelle-ment à l’amélioration de la visibilité politique de l’IIPC auprès de l’indus-trie du web et des pouvoirs publics.

Chaque groupe est libre d’orga-niser son travail comme il l’entend, en utilisant notamment la télécon-férence, indispensable compte tenu de l’éparpillement géographique des membres sur quatre continents. Le décalage horaire est évidemment une difficulté lorsqu’il s’agit de réunir, par exemple, des collègues installés à San Francisco, Washington, Paris, Tokyo et Wellington : il n’est pas rare de se réunir virtuellement en pyjama depuis son domicile. C’est pourquoi, malgré les coupes budgétaires qui affectent tous les établissements, la réunion de l’assemblée générale, accueillie une fois l’an dans une ville chaque fois différente, est l’occasion privilégiée de rencontres en face-à-face indispen-sables à la cohésion d’un groupe qui se nourrit des relations personnelles qui se tissent au fil du temps.

Le travail au quotidien au sein du consortium doit s’accommoder des contraintes propres à toute forme de

Les missions fondamentales du consortium IIPC

• Travailler en collaboration, dans le cadre législatif de leurs pays respectifs, pour identifier, développer et faciliter la mise en œuvre de solutions permettant de sélectionner, de collecter et de préserver les contenus de l’internet et d’en assurer l’accessibilité.

• Faciliter la couverture internationale des collections d’archives de contenus de l’in-ternet, en conformité avec leurs cadres lé-gislatifs nationaux et en accord avec leurs politiques respectives de développement des collections nationales.

• Plaider vigoureusement au niveau inter-national en faveur d’initiatives et de lois encourageant la collecte, la préservation et l’accès aux contenus de l’internet.

Afin de réaliser ces objectifs, le consortium s’engage à :– offrir un forum pour le partage des connaissances sur l’archivage des conte-nus de l’internet ;– développer et promouvoir des normes pour la collecte, la préservation et l’accès à long terme aux contenus de l’internet ;– favoriser le développement de logiciels et d’outils appropriés et interopérables, de préférence sous licence libre (open source) ;– améliorer la sensibilisation aux ques-tions liées à la préservation des contenus de l’internet et aux initiatives associées, notamment par le biais de conférences, d’ateliers, de formations, de publications.

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coopération internationale. L’année budgétaire n’est pas la même d’un pays à l’autre, ce qui complique la gestion administrative. Les institu-tions qui ont les moyens de financer les déplacements réguliers de leurs représentants jouent un rôle décisif. Celles qui sont brutalement frappées par la RGPP 7 locale suivent les pro-jets plus mollement et finalement plus du tout. L’hiver des uns est l’été des autres, rendant difficile la collabo-ration pendant les grandes vacances. La question de la langue de travail est évidemment centrale : la maîtrise de l’anglais (et de ses différents accents : américain, écossais, australien… mais aussi espagnol, allemand ou japo-nais) est indispensable à la survie au sein du groupe. Le français est peu parlé, sinon avec les Québécois et les Suisses. L’organisation des réunions et des événements sociaux requiert un tour de force programmatique et culi-naire pour tenir compte des régimes et des horaires alimentaires propres aux différentes cultures et religions. Certains clichés inavouables se véri-fient en pratique. Les Américains, qui marchent au café clair, sont plutôt concis et efficaces de bon matin. Les Français sont très bavards et aiment travailler tard autour d’un bon repas. L’ingénieur anglais est particulière-ment inventif au pub. Le collègue japonais ne dit jamais non (culturel-lement, cela lui est impossible), ce qui oblige à formuler les propositions de manière assez diplomatique lorsqu’on doit procéder à un vote. Cependant, les effets secondaires associés au déca-lage horaire et aux temps de vol pèsent sur tous et finissent par aplanir les différences. C’est souvent dans des moments d’épuisement collectif que les décisions les plus pragmatiques et les plus tranchées sont prises.

Ce tableau peut sembler anecdo-tique. Les facteurs culturels et géogra-phiques jouent pourtant un rôle aussi important que les compétences et les affinités professionnelles dans le suc-cès ou l’échec de la plupart des projets – on aurait tort de les minorer.

7. Révision générale des politiques publiques.

L’ère des ingénieurs

Après cette présentation du cadre général de fonctionnement de l’IIPC, nous pouvons en survoler l’histoire. La première phase du consortium (2003-2006) a été celle de l’innovation tech-nologique. À cette époque, le consor-tium ne compte que douze membres, et ses réunions mobilisent au mieux une trentaine de personnes. Il s’agit principalement d’ingénieurs férus du web, chaperonnés par des décideurs au profil technico-stratégique, qui des-sinent la trajectoire et veillent sur les ressources budgétaires ; en revanche, peu de bibliothécaires sont impliqués. C’est l’âge d’or du développement lo-giciel, où sont posés les fondements technologiques de l’archivage d’un web encore assez simple, principa-lement en HTML. On travaille alors principalement à consolider l’architec-ture de logiciels, tels le populaire robot moissonneur Heritrix 8, adopté par la BnF pour ses collectes du dépôt légal, ou encore la Wayback Machine 9, la « machine à remonter le temps », qui permet l’indexation et la recherche par adresse URL. Dans le même temps, des groupes de travail aux noms mys-térieux (« Framework », « Metrics », « Deep Web ») planchent sur des sujets pointus et prospectifs qui préfigurent des questions devenues centrales de-puis, qu’on pense à l’archivage du web profond ou à la difficulté de mesurer de manière uniforme les contenus et les usages des archives.

Les pionniers commencent à moissonner la Toile, généralement à titre expérimental, et saturent, dans l’euphorie des commencements, leurs premiers serveurs de test. Internet Archive, installée dans une petite mai-son en bois du parc du Presidio, à San Francisco, accueille en stage de jeunes ingénieurs fraîchement recrutés par les BN d’Islande, du Danemark, de France ou d’Australie. Ceux-ci re-viennent chez eux avec des photos où on les voit boire des sodas et manger des pizzas tout en scrutant joyeuse-ment des lignes de code et d’URL sur des écrans. Dans une ancienne mine

8. http://crawler.archive.org

9. www.waybackmachine.org

du Cercle polaire, à Mo i Rana, les Norvégiens installent leur première ferme de serveurs et partent à l’assaut de leur domaine national, le .no. En Islande, un ingénieur de 25 ans cap-ture et indexe à lui seul tout le web national, mais ne fait pas cela à temps plein. On apprend sur le tas, on parle de données plutôt que de collections. Les choses se font en masse et à la louche. Les partenaires de l’IIPC sont peu nombreux à proposer une consul-tation publique de ce qui s’apparente encore à une boîte noire. L’urgence est alors de collecter, l’accès et la conser-vation de long terme ne sont pas iden-tifiés comme des besoins immédiats. Si bien qu’il n’est pas rare de perdre ou de détruire des données qui, faute de loi, ne sont pas encore devenues inaliénables. Cette époque, profondé-ment sympathique et créative, signe la rencontre du troisième type entre les cadres de bibliothèques nationales multicentenaires et des ingénieurs fous. Cette rencontre focalisée, on l’a vu, sur les logiciels libres, va durable-ment marquer la culture de l’organi-sation, qui conservera un style résolu-ment décontracté et pragmatique ainsi que l’habitude du travail collaboratif à distance.

À la conquête du monde

La seconde phase de l’IIPC (2007-2009) conduit à l’élargissement du consortium. De nombreux pays mais aussi d’autres types d’organisations (archives nationales et audiovisuelles, comme l’INA ; bibliothèques univer-sitaires, comme celle de Harvard) frappent à la porte. Les membres du comité de pilotage s’interrogent : prendront-ils le risque d’accueillir des débutants et d’enrayer la dynamique d’innovation ? Ils choisissent d’étendre le réseau afin d’atteindre la taille cri-tique qui lui fait défaut pour que la cause de l’archivage du web soit défen-due par une communauté audible. C’est un choix décisif, qui marque les débuts de la « politisation » de l’IIPC, et en particulier son souci d’acquérir une vraie stature internationale. La Biblio-thèque du Congrès prend les rênes de la communication et conduit de main de maître une campagne de recru-

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Une histoire politique de l’archivage du web :

tement et de sensibilisation dans de nombreuses régions du monde, y com-pris au Sud. Les motivations de l’élar-gissement ne sont en effet pas seule-ment guidées par l’instinct de survie ou de rayonnement de l’organisation. Il s’agit aussi de sensibiliser les pays émergents aux enjeux du patrimoine numérique. Le choix de logiciels open source utilisables gratuitement par tous répondait à cette même préoccupa-tion : faire financer par les institutions occidentales des outils que les moins nantis pourraient réutiliser pour archi-ver leur propre patrimoine.

Le consortium ne réussit cepen-dant pas à recruter dans les pays en développement. Conserver le web n’est pas une priorité quand on manque de bibliothèques, de livres, d’ordinateurs et d’électricité. L’IIPC s’ouvre néanmoins largement à l’Asie, avec l’arrivée des BN du Japon, de Sin-gapour, de Corée du Sud, de Nouvelle-Zélande et même de Chine. La partici-pation européenne se renforce aussi, que ce soit en Allemagne, en Pologne, en Espagne, ou en Slovénie, et avec

la participation inédite d’organismes de recherche et de développement (la Fondation European Archive, deve-nue depuis Internet Memory Foun-dation 10), et de « jeunes pousses » (comme la société britannique Hanzo). Au terme de cette campagne, l’IIPC triple en deux ans le nombre de ses adhérents. Sa liste de diffusion compte plus de 250 destinataires dans 39 institutions. Son modèle de fonc-tionnement est imité par d’autres or-ganisations comme le NDIIPP (Natio-nal Digital Information Infrastructure and Preservation Program) qui coor-donne les actions nationales pour la préservation du numérique aux États-Unis et compte aujourd’hui plus d’une centaine d’institutions membres.

Les cotisations abondent un bud-get qui se chiffre désormais en cen-taines de milliers d’euros que l’on n’arrive pas toujours à dépenser faute d’institutions et d’ingénieurs pour por-ter les projets informatiques.

10. http://internetmemory.org

Ce mouvement d’expansion est indubitablement le fruit d’une bonne campagne de marketing. Mais il cor-respond également à des évolutions plus profondes au sein des insti-tutions. Les archives du web com-mencent en effet à y perdre leur statut expérimental et à poser des problèmes classiques de fonctionnement et de pérennisation. En 2006, en France et en Finlande, le dépôt légal du web est devenu une mission officielle, inscrite dans la loi. Un petit nombre d’archives s’ouvrent même au public : c’est par exemple en 2008 que les archives de l’internet français sont déployées dans les salles de lecture de la BnF 11. Les données collectées se chiffrent rapidement en dizaines, puis en cen-taines de téraoctets. Leur masse leur

11. Sara Aubry, « Les archives de l’internet : un nouveau service de la BnF », dans le dossier « Pleins feux sur la veille », Documentaliste – Sciences de l’information, 2008, vol. 45, no 4, p. 12-13. En ligne : www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2008-4.htm

Réunion de l’iiPC à Vienne en 2010

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donne de la visibilité et soulève des problèmes de coûts. Ce passage pro-gressif de l’expérimentation à ce que les Anglo-Saxons appellent « business as usual » conduit à mobiliser des équipes peu nombreuses sur des opé-rations de traitement et de mainte-nance qui requièrent la formalisation de procédures, l’établissement de contrats de service, la fixation d’objec-tifs volumétriques, au détriment de la recherche et du développement. Pour répondre à ces nouvelles préoccupa-tions, les bibliothèques nationales qui siègent au comité de pilotage y désignent des professionnels de plus en plus gradés, qui ne sont plus néces-sairement des directeurs de l’informa-tique ou des spécialistes de la préser-vation numérique : des gestionnaires et des conservateurs de haut rang rejoignent le groupe, apportant avec eux des méthodes de travail qui dif-fèrent de celles de l’ère précédente. La comptabilité analytique, les « business plans » et la gestion de projet à l’anglo-saxonne font leur apparition.

En Europe, la bibliothèque nu-mérique Europeana se construit en réponse à Google et à ses projets et capte l’attention des politiques et des médias. Le dépôt légal numérique grandit discrètement à l’ombre de la numérisation. Pourtant, la Confé-rence des directeurs de bibliothèques nationales et la Commission euro-péenne identifient, encore timide-ment, l’archivage du web comme un enjeu potentiellement stratégique. Un premier projet européen (Living Web Archive, LIWA)12 est financé par la Commission à partir de 2008. Des liens se tissent également entre les membres de l’IIPC et les commu-nautés de la préservation numérique, comme celles que rassemble la confé-rence iPRES 13 : alors que s’engage la construction d’entrepôts numériques comme Spar (à la BnF) ou Rosetta (en Nouvelle-Zélande), destinés à accueillir d’importants volumes d’ar-chives du web, cette coopération s’im-pose. Elle permet de faire reconnaître

12. http://liwa-project.eu

13. iPRES : International Conference on Preservation of Digital Objects. Existe depuis 2003.

les spécificités de ces nouvelles col-lections, qui suscitaient jusque-là une certaine méfiance en raison de leur vo-lumétrie monstre et de la diversité de leurs formats de fichiers. Les travaux de normalisation orchestrés par l’IIPC contribuent pour beaucoup à leur re-connaissance institutionnelle, en par-ticulier la normalisation en 2009 par l’ISO du format WARC 14, le format conteneur des archives du web.

La conjonction de ces évolutions (plus de membres, aux profils plus variés, et dont un certain nombre sont désormais tenus par leurs légis-lations nationales à une obligation de résultat) oblige à repenser les moda-lités de travail au sein de l’IIPC. Aux objectifs de collecte s’ajoutent désor-mais de manière plus tangible ceux de la consultation et de la préservation. C’est à cette époque que ces trois pro-blématiques, qui recoupent celles du circuit du document en bibliothèque, sont retenues pour coordonner du-rablement l’activité des groupes de travail permanents, rendant l’organi-sation plus lisible par des non-techni-ciens. Elles posent aussi la question de l’intégration des archives du web dans des flux de traitement existants : peut-on les cataloguer, les indexer, les conserver selon des procédures connues des services et des person-nels en place ?

Le consortium se heurte alors aux différences d’attentes et de styles qui opposent les ingénieurs, conscients que les technologies inventées quatre ans plus tôt ne suivent pas les évolu-tions du web, et les décideurs, impa-tients de stabiliser des modèles de production. Ces derniers trouvent difficilement leur place dans un envi-ronnement encore très marqué par l’informatique et la modélisation. Le consortium s’attache alors à mainte-nir le lien entre ces communautés. À Paris, Canberra, Ottawa et, plus tard, à Singapour, il organise pen-dant quatre années consécutives cinq jours de conférences, ateliers, for-mations et réunions dans le but de

14. Information and documentation – WARC file format, ISO 28500:2009, ISO TC46/SC4, 2009.

brasser les métiers, les compétences, les cultures, les pratiques. Une cen-taine de personnes assistent à chaque fois à ces rencontres. Il est devenu nécessaire d’affréter un ou deux cars pour les transporter ; on produit les premières mallettes et les premières clés USB marquées du logo de l’IIPC. La réception d’ouverture de l’assem-blée générale de 2008 a lieu dans le spectaculaire hall d’honneur de la BN d’Australie. Elle s’ouvre par la tradi-tionnelle danse du kangourou, qui précède l’allocution d’un chef maori. À la surprise générale, celui-ci explique, en substance, que l’archivage du web s’inscrit dans le sillage des initiatives de l’Unesco pour sauvegarder le patri-moine immatériel des civilisations en voie d’extinction.

Ce temps d’expansion et d’intense dissémination aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de la communauté est ainsi le moment où la technique bascule vers le politique. Pendant ces années, l’organisation a perdu en rapidité et en agilité informatique ce qu’elle a gagné en visibilité politique. Paradoxalement, alors que les outils qu’elle a développés sont adoptés par un nombre croissant d’institutions, ils sont en perte de vitesse car ils n’ont pas su évoluer aussi vite que le web : une grande part du patrimoine échappe désormais aux robots.

Des données devenues collections : vers une géopolitique du patrimoine numérique ?

L’année 2010 est scellée par la signature d’un troisième accord et un renouvellement important des ins-tances de pilotage du consortium. Les difficultés du développement logiciel sont reconnues mais pas franchement résolues. Certains voudraient renouer avec l’âge d’or informatique et don-ner aux ingénieurs des bibliothèques les moyens de travailler davantage ensemble. D’autres, frappés de plein fouet par les réductions budgétaires, considèrent au contraire que les défis technologiques de l’archivage ne peuvent plus être résolus de cette ma-nière. L’amélioration de la qualité des

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Une histoire politique de l’archivage du web :

captures du web et la maintenance des applications vont probablement néces-siter que l’on se tourne vers des orga-nismes extérieurs entièrement dédiés à la recherche et au développement, voire vers l’industrie informatique et les grands éditeurs de sites. Ce sont les questions politiques qui prennent aujourd’hui une place prépondérante dans les discussions. Elles s’orientent de plus en plus vers des probléma-tiques de contenus et de responsabi-lité que l’on pourrait qualifier de géo-politique patrimoniale.

Dès 2009, huit bibliothèques na-tionales européennes avaient réalisé conjointement la collecte des sites web de la campagne des élections euro-péennes, tandis qu’une coalition de bibliothèques américaines avait sau-vegardé dans l’urgence des centaines de sites documentant les huit années de pouvoir de l’administration Bush, sites que la NARA (National Archives and Records Administration)15 avait renoncé à archiver. Dans le même temps, l’IIPC avait lancé un projet pilote sur trois ans visant à expérimen-ter l’interopérabilité des collections nationales : un essai d’archivage colla-boratif en grandeur réelle des sites des Jeux olympiques de Londres de 2012. Mais, début 2010, l’histoire du web semble s’accélérer, poussant les insti-tutions à élargir sans plus attendre les frontières de leurs interventions patri-moniales. Tous les observateurs s’ac-cordent à reconnaître que le jeu des relations internationales est profon-dément transformé par l’internet. Les sites d’interactivité et d’échanges iden-tifiés sous le sigle 2.0 apparaissent de plus en plus clairement comme des catalyseurs des aspirations, revendica-tions et mobilisations politiques des sociétés civiles. L’administration amé-ricaine prend acte de la puissance poli-tique du web. Dans un discours pro-noncé en janvier de la même année, la secrétaire d’État Hillary Clinton déclare que la défense et la promotion de l’internet dans le monde sont l’axe prioritaire de la nouvelle doctrine di-plomatique de Washington. Au même moment, la Bibliothèque du Congrès, la BnF et Internet Archive réalisent

15. www.archives.org

ensemble la collecte d’urgence d’un ensemble de sites relatifs au séisme en Haïti. Un an plus tard, elles renou-vellent cette coopération spontanée, d’abord pour archiver les sites de Wikileaks, puis, très récemment, à l’occasion de la révolution du Jasmin en Tunisie et dans le reste de l’Afrique du Nord. Au risque de s’écarter de leurs missions initiales, elles laissent leurs robots s’aventurer dans des zones grises, sans territoire fixe. Car les bibliothèques du consortium ne peuvent plus ignorer des événements et des contenus numériques particu-lièrement volatils documentant une future histoire du monde qui n’est pas réductible à la somme de leurs his-toires nationales.

Plus nombreux à être associés à leur sélection et à leur valorisation, les bibliothécaires finissent ainsi par s’intéresser aux archives du web. On recense les premiers cas de disparition critique de contenus de l’internet et les premières demandes de particuliers, d’entreprises et même de partis poli-tiques qui ont perdu leurs données. L’émergence d’un public potentiel pour ce nouveau fonds qui dépasse celui des chercheurs universitaires stimule les travaux documentaires et scientifiques. Pour répondre à ces be-soins, les professionnels commencent à formaliser des politiques documen-taires d’un genre nouveau 16. Parce que l’archive du web devient plus intelligible et plus respectable en tant qu’objet bibliothéconomique, on com-mence à la regarder comme une collec-tion à part entière. Ironiquement, sept ans après sa fondation, la politique du consortium s’empare enfin des ques-tions documentaires qui avaient mo-tivé sa création.

16. Voir, par exemple, la contribution de Gildas Illien et Clément Oury, « Quelle politique documentaire pour l’archivage des sites internet ? », in Les collections électroniques, une politique documentaire en mouvement, sous la dir. de Pierre Carbone et François Cavalier, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2009, p. 157-178.

Conclusion

Au terme de ce récit, que retenir de l’expérience de l’IIPC ? La sociolo-gie des organisations nous enseigne que les intentions initiales d’une orga-nisation se réalisent rarement. En réa-lité, ce qu’elles produisent est le fruit d’une conjonction de facteurs internes (valeurs, croyances et interactions individuelles des acteurs) et externes (hasards, accidents, opportunités). La brève histoire de l’IIPC confirme cette analyse. Ce qui est néanmoins remarquable, et à porter au crédit des personnalités à l’origine de cette aven-ture, c’est qu’elles avaient dès le départ identifié les grands sujets mais aussi les points de tension qui allaient dé-terminer toute sa dynamique d’inno-vation. Essayons d’en tirer quelques enseignements utiles pour le dévelop-pement de la coopération internatio-nale dans le domaine numérique.

Dans le domaine des bibliothèques numériques, le développement logiciel est le nerf de la guerre

C’est peut-être une évidence, mais il est bon de la rappeler : ce n’est pas parce qu’il est gratuit qu’un logiciel libre ne coûte pas cher. Dans les acti-vités du patrimoine, vouées par défi-nition à fonctionner sur un temps long, il est encore plus dangereux qu’ailleurs d’être tributaire de logiciels propriétaires. Néanmoins, le recours à l’open source implique de disposer de moyens informatiques conséquents, et d’accepter en outre de contribuer ponctuellement à des développements qui ne répondent pas aux priorités im-médiates de l’établissement. À la place du paiement de licences, il faut impé-rativement prévoir du temps de travail d’ingénieur dédié au développement (distinct du temps de travail consa-cré aux opérations de production), ainsi que de certains déplacements à l’étranger. La coopération internatio-nale offre des possibilités de mutuali-sation des charges de l’open source qui sont réellement intéressantes. Mais, pour que ce calcul soit rentable, il faut que le développement s’appuie sur une communauté d’utilisateurs assez

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nombreuse et assez active. C’est un peu toute la différence entre la poi-gnée de développeurs qui a inventé le robot Heritrix et l’immense com-munauté qui maintient le navigateur Firefox.

La mixité et l’organisation interne des communautés numériques déterminent leurs chances de réussite

Pour que les bibliothèques s’empa-rent durablement d’un défi technique et se donnent les moyens de le relever, il est nécessaire que des décideurs, des bibliothécaires et des usagers se mobilisent dès le départ au côté des experts techniques afin que les pro-blèmes soulevés fassent sens pour l’ensemble des acteurs potentielle-ment impactés par l’innovation – et susceptibles de la mettre en œuvre ensuite. Sans cette alliance objective et cet accompagnement métier de l’expertise, la portée politique de l’in-novation technologique ne sera pas comprise assez tôt. La construction

d’une relation de confiance entre ces familles professionnelles est toutefois la chose la plus difficile à réaliser. Si la structure de l’organisation enferme les experts, elle les étouffera et, avec eux, toutes les forces innovantes. Si, au contraire, elle les laisse inventer en orbite, trop à l’écart des contraintes documentaires, humaines et écono-miques, l’innovation ne trouvera pas non plus le chemin de la production.

La question de la taille et du champ de l’organisation est déterminante

Trop petite, confinée à un seul aspect du problème, ou à une seule région du monde, une organisation n’aura ni l’audience ni la taille critique nécessaires à sa survie. Trop grande, trop ambitieuse, elle aura à embrasser trop de problèmes pour en résoudre aucun correctement. De ce point de vue, la culture professionnelle des Américains, moins holistique et plus pragmatique que celle des Français, peut être une source d’inspiration :

plutôt que de s’attaquer en perma-nence à tous les problèmes dans leur globalité sans en avoir les moyens, il vaut mieux couper le travail en plus petits morceaux (les « work packages »), les répartir entre acteurs autonomes, et phaser leur réalisation dans le temps, à raison d’un ou deux grands objectifs par an. De la même façon, on préférera des organisations souples et évolutives, affranchies de contraintes administratives ou salariales potentiel-lement paralysantes dans le cas où le besoin de s’adapter rapidement à un environnement en mutation se ferait sentir. De ce point de vue, le modèle de l’IIPC, qui conduit à revisiter les modalités de gouvernance tous les trois ans, est intéressant, puisqu’il permet d’envisager assez facilement toutes sortes d’évolutions. Y com-pris sa propre dissolution, le jour où l’archivage du web aura été banalisé et ne justifiera plus l’existence d’une entité distincte des autres organisa-tions et associations de bibliothèques. Une organisation n’est pas une fin en soi. •

Février 2011

Lire dans un monde numériqueSous la direction de Claire BélisleCollection Papiers296 pages • Format 15 x 23 cmISBN 978-2-910227-85-2 • 39 €

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Institutions et particuliersLes commandes des établissements publics et des particuliers se font par l’intermédiaire d’un libraire ou directement sur le site du Comptoir des presses d’universités : www.lcdpu.fr

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Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes

Sous la direction de Jean-Philippe AccartCollection La Boîte à outils # 21176 pages • Format 15 x 21 cmISBN 978-2-910227-84-5 • 22 €

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Presses de l’enssib

Que devient la lecture dans un monde numérique ? Zapping, émiettement, pa-pillonnage ou interaction, participation, immersion : la diversité croissante des modalités sur supports numériques sus-cite autant l’intérêt que la consternation. Bien que le texte soit omniprésent dans la société actuelle, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour stigmatiser des modes de lecture qui ne seraient plus que des « parents pauvres » de la « véritable »

pratique de lecture. Cet ouvrage constitue une analyse précieuse pour appréhender de manière raisonnée les processus et les nou-velles modalités de la lecture sur supports numériques.Claire Bélisle, titulaire d’un doctorat en psychologie cognitive et ingénieure de recherche au CNRS en sciences humaines et sociales, a publié La lecture numérique : réalités, enjeux et perspectives en 2004 aux Presses de l’enssib.

L’enjeu de la communication en direc-tion des élus, des décideurs, mais aussi des journalistes, est devenu vital pour les bibliothèques : il s’agit de donner à voir aux tutelles leurs activités, de rendre intel-ligible leur stratégie de développement, de construire une image institutionnelle forte.De quels moyens dispose la bibliothèque pour faire la preuve du bien-fondé de son existence ? Comment communiquer en

direction d’un élu municipal ou régional, d’un responsable politique de la biblio-thèque ? Que peut apporter une bonne collaboration avec des journalistes, avec les partenaires naturels ou hiérarchiques au sein de l’université ou de la collectivité territoriale ? Comment utiliser à bon escient les méthodes du lobbying et du marketing, ou l’emploi des réseaux sociaux ? Voilà quelques-unes des questions abordées ici.

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Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venir

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?

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Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ?

L’année 2010 aura été pour le Catalogue collectif de France (CCFr)1 une année décisive d’enrichissement, dans la continuité de ses objectifs ini-tiaux et en harmonie avec les évolutions du paysage documentaire fran-

çais, notamment la multiplication des catalogues accessibles en ligne.Au moment du lancement du projet du CCFr, dans les années 1990, une

de ses missions essentielles était de mettre en ligne, grâce à une base dédiée, les notices de bibliothèques qui n’offraient pas encore de catalogue à distance. Ainsi, alors qu’en 2004, sur les 61 institutions hébergées à l’époque dans cette base, seules 31 en étaient dotées, elles sont désormais 54, et plus encore si l’on inclut les bibliothèques présentes dans les catalogues collectifs régionaux. Qui se souvient qu’à cette date pourtant proche, les bibliothèques municipales de Lille, Rouen, Paris, Toulouse ou Marseille étaient encore démunies de cet outil aujourd’hui considéré comme évident et indispensable. En 2010, on dénombre, grâce au Répertoire national des bibliothèques et des fonds documentaires (RNBFD), 530 bibliothèques avec catalogue accessible en ligne sur l’ensemble du territoire.

L’échelle a changé, mais le besoin est toujours là d’un espace où regrouper les fonds patrimoniaux, pour y faire des recherches spécifiques, plus exigeantes que celles menées généralement sur les collections des bibliothèques de prêt. La base Patrimoine regroupe en son sein des ensembles aussi bien thématiques que régionaux et offre une visibilité à des bibliothèques pour le moment dépourvues de catalogue en ligne, pour des villes comme Semur-en-Auxois ou Châteaudun, ou pour des institutions spécialisées telles la chambre de commerce et d’indus-trie de Marseille ou les musées de la marine de Rochefort et Paris.

Outre le développement de l’outil accessible à tous sur internet, le service du Catalogue collectif de France, intégré au département de la Coopération de la Bibliothèque nationale de France (BnF), joue aussi le rôle de catalyseur et de mo-teur pour inciter des institutions documentaires de tous types à signaler leurs ri-chesses sous diverses formes, de la plus simple, en signalant un fonds non traité dans le RNBFD, jusqu’à la plus détaillée, en procédant à la rétroconversion ou au catalogage de fonds anciens, locaux ou spécialisés. Une aide technique, mais aussi financière, peut être apportée dans le cadre de projets individuels ou col-lectifs. Le service du CCFr est à la disposition des porteurs de projets pour toutes les étapes décisives des opérations engagées, depuis l’analyse des collections jusqu’à la mise en ligne des notices dans le CCFr, en passant par la formation ou le conseil 2. Il est également devenu maître d’œuvre au niveau national pour des opérations de rétroconversion de catalogues collectifs avec le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France et plus récemment la col-lection Patrimoine musical en région (voir encadré p. 73).

1. http://ccfr.bnf.fr

2. www.bnf.fr/fr/professionnels/cooperation_nationale.html

ÉTAT DES LiEUx ET ÉVOLUTiONS À VENiR

Véronique [email protected]

Jérôme [email protected]

Xavier [email protected]

Bibliothèque nationale de France

Conservateur des bibliothèques, Véronique Falconnet est, au sein du département de la Coopération de la BnF, chef du service du Catalogue collectif de France (CCFr).

Conservateur des bibliothèques, Jérôme Sirdey est, depuis juillet 2010, coordinateur du programme national de signalement des manuscrits au sein du CCFr.

Conservateur des bibliothèques, xavier Borda est chef de projet pour la conversion rétrospective du programme « Patrimoine musical régional ».

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Au-delà de la recherche globale, des interfaces spécialisées offrant des critères de recherche plus ou moins riches

La base Patrimoine, une recherche unique dans plus de 100 catalogues de bibliothèques

Disposant d’un accès propre depuis 2007, la base Patri-moine du CCFr recense plus de trois millions de documents conservés dans plus de 100 fonds patrimoniaux, locaux ou spécialisés des bibliothèques françaises. C’est l’héritière de l’ancienne base BMR (Bibliothèques municipales aux fonds rétroconvertis), qui avait été constituée dans les années 1990 à l’issue des grands programmes de conversion rétrospec-tive des catalogues des principales bibliothèques françaises, notamment ceux des bibliothèques municipales classées, dépositaires de fonds anciens importants issus des confis-cations révolutionnaires. Désormais ouverte aux établisse-ments de toute taille, elle inclut également les fonds rétro-convertis dans le cadre d’opérations mutualisées au sein des pôles associés régionaux de la BnF, comme en Picardie ou en Haute-Normandie, en lien avec la mise en œuvre du Plan d’action pour le patrimoine écrit (PAPE) du ministère de la Culture et de la Communication.

La base Patrimoine a vocation à décrire en priorité les fonds anciens, spécialisés et locaux conservés dans les bibliothèques françaises de tous types (bibliothèques mu-nicipales ou intercommunales, bibliothèques de musées ou d’archives, bibliothèques privées…), à l’exception des établissements relevant de l’enseignement supérieur dont les fonds sont signalés dans le Sudoc. Elle concerne en majorité les documents imprimés, sans exclusive toutefois en cas d’intégration d’un fonds multisupport. La frontière chronologique pour le livre ancien, fixée dans un premier temps à 1811, a été étendue au xixe siècle afin de rendre accessibles les nombreux ouvrages parus avant 1914, qui restaient difficiles à repérer en raison de leur seul signale-ment dans des catalogues papier. Les catalogues de fonds locaux, consacrés à une région ou une ville, sont intégrés sans limitation de date, tout comme les fonds spécialisés, constitués à partir d’une unité de provenance (dons ou legs) ou d’une thématique (collections de factums, catalo-gues de ventes…).

Le CCFr permet désormais d’accéder à la base Patri-moine par un menu spécifique, disposant de nombreux critères d’interrogation, dont la recherche sur l’ensemble des mots de la notice, y compris les particularités d’exem-plaires chères aux amateurs de livres anciens. De plus, tous les critères sont interrogeables indépendamment les uns des autres : on peut ainsi rechercher tous les im-primés publiés entre 1789 et 1792 et conservés en région Bourgogne ou tous les ouvrages en anglais des collections alsaciennes. Les retours d’expérience de la part de biblio-thèques ayant intégré leurs fonds à la base Patrimoine sont extrêmement positifs en termes de notoriété auprès d’un lectorat qui découvre leur existence par le biais d’une inter-rogation du CCFr.

Des catalogues interrogeables simultanément quelle que soit leur nature

Aux origines de la refonte du CCFr figurait entre autres l’arrivée prévue des catalogues de manuscrits dans un format nouveau, EAD 3. Le CCFr devait non seulement permettre d’interroger ces bases d’un nouveau type, mais aussi de rassembler enfin en une seule interrogation des documents imprimés et manuscrits. C’est chose faite grâce à une recherche globale qui porte sur des catalogues de toute nature que l’on peut combiner à loisir. Une interro-gation par le nom d’une petite ville du Sud-Ouest, Ciboure, permettra par exemple d’identifier et localiser des docu-ments de toutes sortes – manuscrits, livres, périodiques, cartes, chansons, photos – conservés aussi bien à Reims et à La Rochelle qu’à Paris.

L’extension à d’autres catalogues va se poursuivre dans les années à venir. Un premier palier a permis d’ajou-ter aux trois grands catalogues historiques d’imprimés et multimédia (le Catalogue général de la BnF, le Système universitaire de documentation, Sudoc, accessible par le protocole Z39.50, et la base Patrimoine), les catalogues des bibliothèques municipales de Dijon, Rennes et Limoges, également via Z39.50. À la fin de l’année 2010 a été ajouté un accès au catalogue des bibliothèques spécialisées de la ville de Paris (également en Z39.50).

Des enrichissements conséquents sont prévus pour 2011, avec le catalogue de la bibliothèque municipale de Bordeaux et un accès, grâce à un moissonnage d’entrepôts OAI 4, aux catalogues des huit bibliothèques du réseau de Rhône-Alpes Lectura (Annecy, Bourg-en-Bresse, Cham-béry, Grenoble, Lyon, Roanne, Saint-Étienne et Valence)5, et au catalogue collectif Rachel (Réseau européen des bibliothèques hebraica et judaica)6. L’utilisation de l’OAI ouvre de nouvelles perspectives de contournement des dif-ficultés techniques de mise en service des modules Z39.50.

Pour optimiser la recherche parmi des catalogues in-dépendants les uns des autres, un mécanisme de « grap-page » des notices a été développé, qui permet aux usa-gers d’exploiter plus facilement les résultats obtenus. Un algorithme regroupe les notices dont les données biblio-graphiques sont similaires, notices qui sont cependant visibles individuellement pour profiter des éléments spéci-fiques à chacune.

3. Encoded Archival Description ou Description archivistique encodée.

4. Open Archive Initiative.

5. www.lectura.fr

6. Voir l’article de Jean-Claude Kuperminc, « Le réseau Rachel : une vitrine des sources juives », BBF, 2010, no 1, p. 58-60. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-01-0058-012

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Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ?

Un accès fédéré aux collections de manuscrits des bibliothèques françaises

Mise en ligne en 2008, l’interface Manuscrits du CCFr permet d’identifier et de localiser des centaines de milliers de documents conservés dans les bibliothèques françaises et dans de nombreuses autres institutions grâce à l’interro-gation conjointe des trois bases suivantes :

• Le Catalogue général des manuscrits (CGM). Cette base est issue de la conversion rétrospective du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France (CGMBPF), conversion réalisée sous la conduite de la BnF entre 2005 et 2008 7. Vaste projet éditorial qui a duré près d’un siècle et demi (de 1849 à 1993), le CGMBPF se com-pose de 106 tomes en 116 volumes et collationne les col-lections de manuscrits de plus de 500 établissements. Les 182 000 notices qu’il regroupe sont désormais accessibles à partir du CCFr, à l’exception, pour le moment, de celles des établissements relevant de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui ont été versées dans Calames 8, le Catalogue en ligne des archives et des manuscrits de l’en-seignement supérieur.

L’informatisation du CGMBPF facilite largement sa consultation et sa mise à jour, les établissements déten-teurs des fonds de manuscrits ayant la possibilité de corri-ger et d’enrichir les fichiers issus de la rétroconversion. Le groupe des « bonnes pratiques de l’EAD en bibliothèque 9 » livrera sous peu un ensemble de recommandations pour mettre à jour et enrichir le CGM en ligne de manière cohé-rente et efficace.

• BnF archives et manuscrits (BAM). Ce catalogue spécialisé de la BnF décrit les manuscrits et documents d’archives conservés aux départements des Manuscrits et des Arts du spectacle et à la bibliothèque de l’Arsenal. BAM s’enrichit au rythme de la rétroconversion progressive des catalogues imprimés des xixe et xxe siècles et du signale-ment des manuscrits nouvellement acquis par l’établisse-ment. Ce catalogue est interrogeable via le CCFr depuis juin 2010.

• Palme, le Répertoire national des manuscrits litté-raires français du xxe siècle 10. Réalisé entre 1995 et 2006, ce répertoire compte près de 122 000 notices qui décrivent les fonds de quelque 430 établissements. Les documents signalés sont regroupés par auteurs et selon un cadre de classement uniforme (œuvres, correspondance, papiers personnels). D’abord consultable sur BN-Opaline, l’ancien catalogue des collections spécialisées de la BnF, Palme a été réparti, comme le CGM, entre le CCFr et Calames. Les institutions présentes dans Palme offrent une large diver-

7. Florent Palluault, « Le catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France : informatisation et avenir », BBF, 2009, no 1, p. 68-72. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-01-0068-010

8. www.calames.abes.fr

9. www.bonnespratiques-ead.net

10. Gérard Cohen, « Le répertoire national des manuscrits littéraires français du xxe siècle », BBF, 2007, no 5, p. 72-77. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-05-0072-001

L’année 2011 verra l’aboutissement du projet de conversion rétro-spective des catalogues de la collection Patrimoine musical régio-nal (PMR) et l’intégration des notices correspondantes dans le CCFr. Lancé en 1988 à l’initiative du ministère de la Culture (Di-rection de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles et Direction du livre et de la lecture), ce projet visait à recenser l’ensemble des sources musicales manuscrites et imprimées des xviie et xviiie siècles, avec quelques exceptions notables lorsque, pour ne pas scinder artificiellement un fonds, les catalogueurs ont été conduits à repousser les limites chronologiques, par exemple jusqu’au xixe siècle pour le fonds de musiques de vaudevilles et de mélodrames de la bibliothèque municipale de Lille, et jusqu’au xxe siècle pour le fonds du Grand Casino de Vichy. L’opération a permis la publication de trente-six catalogues décrivant les fonds de musique notée conservés dans dix-huit régions, au sein de biblio-thèques ou d’autres institutions telles que les musées, les conser-vatoires ou les théâtres.Après une longue phase de préparation et d’analyse des catalogues, le marché de rétroconversion a été lancé par la BnF en 2009, piloté pour sa partie opérationnelle par le département de la Coopération, et supervisé par le département de la Musique pour la coordination scientifique. La société Safig a fourni en un an et demi les fichiers en Unimarc des 34 000 notices résultant de l’opération, en assurant la reprise de l’ensemble des informations disponibles sous forme papier, y compris les renseignements complémentaires décrits dans les nombreux index. Les notices ont commencé à être intégrées au sein de la base Patrimoine, qui offre un lien hypertexte vers les fiches du RNBFD des nombreuses institutions concernées. Les notices bénéficieront à terme d’une visibilité plus importante par la création au sein du CCFr d’une interface spécifique consacrée à la musique notée, représentant la déclinaison nationale du Réper-toire international des sources musicales (RISM)*. Cette interface interrogera simultanément les notices du département de la Mu-sique de la BnF, qui poursuit ses opérations de rétroconversion, et les notices de la collection Patrimoine musical régional, enrichies des images des incipits musicaux numérisés lors de l’opération de conversion rétrospective. Les nouveaux catalogues de PMR en pré-paration seront intégrés au fur et à mesure, et la base sera alimen-tée également par les notices issues de la rétroconversion de fonds de musique notée n’ayant pas été recensés, à l’instar de la collec-tion de partitions d’Albert Sarrazin conservée à la bibliothèque municipale de Moulins.

x.B.

Incipit musical numérisé issude la collection Patrimoine musical régional

* Catherine Massip, « Les répertoires internationaux de musique », BBF, 2002, no 2, p. 81-84.Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-02-0081-012

Les fonds patrimoniaux de partitions musicales intègrent le Catalogue collectif de France

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Le RNBFD, un annuaire national recensant tous les gisements documentaires

Le Répertoire national des bibliothèques et des fonds documentaires (RNBFD) a un double objectif : fournir des informations sur toutes les institutions conservant des documents signalés dans le CCFr, mais aussi et surtout constituer un annuaire national des institutions documen-taires françaises. Il fournit des informations générales et scientifiques sur plus de 4 800 institutions et sur plus de 1 800 fonds documentaires, et propose ainsi une véritable cartographie documentaire nationale.

Première base opérationnelle du CCFr, en ligne depuis 1998, le Répertoire est constitué de plusieurs sources : d’une part, les notices de bibliothèques fournies par des organismes extérieurs, comme le Répertoire des centres de ressources du Sudoc géré par l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes) ; d’autre part, les notices produites et mises à jour par l’équipe du RNBFD ; enfin les notices créées et actualisées par les établissements eux-mêmes à l’aide de formulaires adaptés.

Si la majorité des institutions présentes appartient au réseau des bibliothèques municipales ou universitaires, le nombre d’établissements spécialisés s’est fortement accru ces dernières années, avec l’intégration de nombreux centres de ressources liés à diverses institutions cultu-

sité tant par leurs statuts que par l’ampleur de leurs col-lections. Si les bibliothèques publiques tiennent une place majeure au sein du répertoire, celui-ci signale également des manuscrits conservés par des services d’archives dépar-tementales ou communales, des musées, des bibliothèques privées, des sociétés savantes, des fondations ou encore des centres de recherche.

L’interrogation de Calames à partir du CCFr constitue désormais un objectif prioritaire : elle permettra en effet d’effectuer des recherches, à partir d’une interface unique, sur l’ensemble quasi complet des collections de manuscrits signalées en France.

Les trois bases Manuscrits du CCFr utilisent le format EAD. Ce format permet de structurer des données sur plu-sieurs niveaux : il s’avère donc particulièrement adapté à la description de fonds d’archives et de collections de docu-ments manuscrits, dont il restitue fidèlement le plan de classement. Lorsqu’on accède à une « notice » de manuscrit sur le CCFr, ce plan apparaît à gauche de l’écran, sous la forme d’une arborescence que l’on peut faire défiler, déve-lopper ou replier. L’emploi de l’EAD facilite ainsi l’explora-tion des ensembles documentaires : il permet d’en saisir aisément la structure et incite à « rebondir » d’une notice à l’autre.

Structure du Catalogue collectif de France

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Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ?

les mots des notices de fonds ou de bibliothèques) est dis-ponible dès la page d’accueil ; les autres formulaires ont été enrichis et offrent de nombreux critères d’interrogation, tant sur la localisation que sur les types d’institutions ou les types de services et de collections. Des recherches par sujets ou domaines sont également proposées pour les bibliothèques et les fonds, ainsi qu’une recherche cartogra-phique.

Le prêt interbibliothèques (PIB)

Le CCFr met gratuitement à la disposition des usa-gers/internautes et des bibliothèques un outil de prêt interbibliothèques (PIB). L’ensemble des bibliothèques participantes constitue un réseau de près de 200 biblio-thèques publiques ou spécialisées. Les réseaux PIB et PEB (réseau de prêt entre bibliothèques universitaires et de recherche piloté par l’Abes) étant interconnectés, les demandes peuvent porter sur l’ensemble des collections conservées dans l’un et l’autre réseau. De ce fait, l’usager/internaute peut demander le prêt ou la reproduction d’un document dans l’une quelconque des bibliothèques de ces deux réseaux. Pour garantir le bon déroulement des opé-rations, il doit avoir recours à une bibliothèque relais, dite bibliothèque de rattachement, faisant partie du réseau PIB. Il suit son dossier sur le site web du CCFr : acceptation et arrivée du document dans la bibliothèque de rattache-ment choisie, acceptation de la demande, refus, renvoi de la demande vers une autre bibliothèque, coût du service. Chaque bibliothèque détermine ses conditions particu-

relles (bibliothèques des centres d’archives, des musées, des conservatoires), mais aussi d’institutions privées telles que bibliothèques des sociétés savantes, bibliothèques dio-césaines, fondations ou centres de documentation spécia-lisés.

Les fonds, quant à eux, se définissent comme « des en-sembles cohérents de documents constitués autour d’un thème, d’un donateur, d’un support original… accessibles au lecteur dans leur globalité grâce à un outil (catalogue, inventaire, re-gistre d’entrée) ou à une identification spécifique (rangement à part, cote spécifique) 11 ». Certains thèmes sont ainsi issus des spécificités locales et régionales (fonds culinaire et œnologique à Dijon, fonds tauromachie à Nîmes) ou liés à la spécialisation des établissements (dossiers d’artistes au Centre national de la danse de Pantin, fonds de livres de prix à l’Institut national de recherche pédagogique de Lyon). Décrits désormais dans un format proche de l’EAD, les fonds patrimoniaux peuvent être signalés quel que soit leur état de traitement, depuis les fonds non inventoriés jusqu’aux collections cataloguées ou numérisées. Des re-censements régionaux systématiques ont déjà été intégrés au RNBFD (Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté) ; d’autres sont en cours (Rhône-Alpes, Poitou-Charentes…).

L’accès aux interfaces de recherche a été simplifié dans le nouveau CCFr : une recherche globale (interrogeant tous

11. Édith David et Véronique Mullon, « Recensement des fonds particuliers et des collections singulières : le Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation du CCFr », BBF, 2007, no 4, p. 64-67. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-04-0064-010

La nouvelle interface du Catalogue collectif de France

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Les résultats d’une enquête de satisfaction et d’usage mise en ligne au second semestre 2010 permettront de mesurer le chemin parcouru depuis cinq ans par le Cata-logue collectif de France et de déterminer celui que ses usagers désirent lui voir emprunter. Des évolutions sont déjà programmées pour les années à venir 14, mais il ne fait nul doute que les changements actuels du paysage documentaire influeront également sur la feuille de route prévue 15. •

Janvier 2011

14. Il est possible d’être informé via une messagerie électronique de l’actualité du CCFr en s’abonnant à la lettre d’information à l’adresse suivante : [email protected]

15. Voir également les actes des 13es Journées des Pôles associés et de la coopération (Lille, 7-8 octobre 2010) : www.bnf.fr/fr/professionnels/journees_poles_associes/a.13es_journees_poles_associes.html et l’article « Le Catalogue collectif de France aujourd’hui ? » dans le no 57 de la revue Chroniques de la BnF (janvier-mars 2011), disponible en ligne : www.bnf.fr/documents/chroniques57.pdf

lières de rattachement, de prêt, de reproduction. Elle suit et provoque la succession des opérations via une interface spécifique qui lui permet d’accepter les demandes des lec-teurs ou de déclencher elle-même ses demandes.

Cohérence et liens dans le CCFr

La richesse du CCFr ne tient pas seulement aux élé-ments qui le composent, mais désormais plus encore à la cohérence et aux liens qui existent entre eux. L’usager peut non seulement obtenir des informations sur une biblio-thèque détentrice d’un document qui a retenu son atten-tion, mais aussi avoir des détails sur l’histoire du fonds qui contient ce document, son état de traitement, sa composi-tion ou, inversement, à partir d’une notice de bibliothèque, voir les notices de manuscrits présentes dans le CGM. L’accès simplifié à ces données grâce à des liens directs aussi bien sur les instances des manuscrits 12 que sur les notices de bibliothèques et de fonds ouvre la voie à une va-lorisation des contenus par les institutions partenaires qui sont libres de les réutiliser sur leurs sites 13.

12. La liste des volumes du CGM en ligne sur le CCFr est accessible à l’adresse suivante : www.bonnespratiques-ead.net/sites/default/files/structure_CGM_imprime.html

13. Voir l’utilisation qui en est faite sur le site de l’Observatoire du patrimoine écrit en région (Oper) : www.patrimoineecrit.culture.gouv. fr pour les bibliothèques, ou sur le site d’Eulalie, portail du livre et de la lecture en Nord-Pas-de-Calais pour les fonds : www.eulalie.fr/spip.php?article1755 (exemple des fonds d’Arras).

Les bibliothèques de la base Patrimoine en janvier 2011

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La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?

Le thrène sur la mort annoncée des bibliothèques musicales – en vrac déser-tées par le public, condamnées par la disparition des CD et le développe-ment d’internet –, pour exagéré qu’il puisse paraître, marque bien la pro-

fonde inquiétude d’une profession qui se sent aujourd’hui menacée dans ses pratiques bien plus que dans son existence. Car le sort de ces espaces n’est pas tant lié aux supports qui les constituent qu’à l’idée qui les porte : la musique ne disparaîtra pas avec le disque compact, mais il semble par contre certain que le modèle de la discothèque a fait son temps. D’où une crise de fréquentation et une crise d’identité qui imposent un renouvellement profond de conception, une remise à plat des pratiques.

Il est relativement simple de tirer ces conclusions de l’observation de l’état actuel de la musique en bibliothèque ; il est sans doute plus difficile d’imaginer une nouvelle architecture intellectuelle des collections et des services liés.

Au-delà des manuels pratiques ou des retours d’expérience, ce texte voudrait poser les bases d’une méthodologie permettant d’appréhender la dimension in-tellectuelle de la mise en espace de la musique, en replaçant cette question dans une perspective dépassant les seules bibliothèques.

Car, penser la musique en bibliothèque, c’est, avant tout, s’interroger sur les différences de représentation, d’attente et de vision de cet art qui séparent public et professionnels. Ces distorsions, ancrées dans nos habitudes, imprègnent la conception même de nos collections et pourraient, si nous n’y prenons garde, creuser un fossé avec nos usagers. Conscientes, analysées, travaillées, ces fric-tions entre deux horizons d’attente différents mais jamais irréconciliables peuvent, au contraire, faire naître un dialogue contrasté et fructueux.

Pour une herméneutique des espaces

Les outils intellectuels ne manquent pourtant pas. Ainsi, le recours aux dis-ciplines d’analyse, a priori plus purement littéraires, peut apporter un éclairage complémentaire à l’approche d’une collection en permettant, non de dégager une théorie générale des systèmes signifiants qui constituent une bibliothèque musi-cale, mais plutôt d’interroger ces lieux, de « faire parler les signes et de découvrir leurs sens » pour reprendre l’expression de Michel Foucault 1.

Rien de si étonnant à cela : de façon plus ou moins consciente, toute collec-tion est mise en forme d’un savoir par son organisation spatiale et architectu-rale. Renversant la phrase de Michel de Certeau, « tout récit est une pratique de l’es-pace 2 », on pourrait dire que toute mise en forme de l’espace, et particulièrement

1. Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 44-45.

2. Michel de Certeau, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais » 1990, p. 171.

Laurent Marty Université Paul [email protected]

Docteur en lettres, critique musical et conservateur des bibliothèques, Laurent Marty est actuellement responsable des ressources documentaires des bibliothèques de santé à l’université Paul Sabatier de Toulouse. Il est également membre associé de l’équipe de recherche Erelha (Lettres et histoire de l’art) de la faculté libre des lettres de Toulouse. En 2005, il publie aux éditions de l’Harmattan 1805, la création de Don Giovanni à l’Opéra de Paris, pour lequel il obtient le prix Adrien Gaussail de l’Académie des Sciences Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse. En 2010, il contribue aux Actes du séminaire de l’équipe Littérature et herméneutique de l’université Toulouse 2, La Séduction. Donjuanismes Européens et littératures émergentes, avec un article sur « Don Giovanni et les femmes ».

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immédiate, mais également dans son interprétation cultu-relle et le rapport d’altérité qui se noue avec le lecteur.

Un département de bibliothèque, quel que soit le do-maine concerné, renferme alors en lui trois espaces dis-tincts :

• l’espace conçu par l’architecte, habité par le range-ment voulu par les bibliothécaires, extérieur au lecteur et qui dessine un parcours dans la discipline : « l’architecture ne dicte pas les comportements, elle les influence. La média-thèque est toujours plus efficace quand elle assume et transfi-gure les richesses qu’elle accueille 5 » ;

• l’espace propre de la discipline, la représentation visuelle culturelle commune d’une matière, son déroule-ment dans l’espace en fonction de son organisation, de ses rapports aux autres domaines du savoir ;

• l’espace intérieur du lecteur, sa propre conception dans l’espace de la discipline, reflet de ses expériences, de son savoir, de sa personnalité, de ses attentes.

Il ne faut pas oublier que c’est bien le lecteur, in fine, qui sera le récepteur du discours de la collection, qui imposera sa lecture, lui donnera son sens, né du jeu des rapports entre ces trois espaces, leur harmonie et leurs dissonances. Un espace public de savoir doit donc à la fois répondre à un topoi – le lieu commun d’une vision parta-gée favorisant l’appropriation par le lecteur –, obéir aux lois spécifiques de la matière – en ce sens il ne saurait y avoir de réponse unique à cette question en fonction des cultures et des matières –, puis déranger ces repères selon un plan conscient du bibliothécaire pour pousser à la dé-couverte, en exaltant le sentiment d’une rupture, une alté-rité féconde – l’empreinte du bibliothécaire.

Ainsi, malgré cette conscience d’une nécessaire part de création, il faut accepter que le sens ultime donné à l’espace échappe à son concepteur et revienne aux lecteurs – il sera donc multiple, imprévisible, peut-être décevant car sans rapport avec nos attentes secrètes ; ce sera alors la preuve d’une parfaite appropriation du lieu et, donc, de son succès.

Pour ajouter encore à la complexité, on peut remarquer que les rapports d’espace entre usagers et musique se dé-clinent selon plusieurs modalités :

• espace public de la performance, pour reprendre un terme de linguistique, c’est-à-dire le moment où l’artiste joue, énonce la musique ;

• espace public de l’écoute partagée en concert ;• espace intime de l’écoute pour soi.Cette dimension d’intimité, qui appartient aussi à la

pratique de la lecture, se pose de façon très aiguë dans l’au-dition de la musique et ne peut être négligée, sous peine d’aboutir à ce que Michel de Certeau déplorait en parlant de la Bibliothèque publique d’information (BPI) : « Ce qui manque, c’est du secret, c’est de l’ombre, de l’invisible et donc aussi la séduction qu’instaure le caché 6. »

5. Jean-François Pousse, « Vers le client roi ? », Techniques et architectures, juin-juillet 2001, p. 28.

6. Michel de Certeau, « Le sabbat encyclopédique du voir », Esprit, février 1987.

de l’espace culturel, est un récit, une fiction racontée par le bibliothécaire à son public – parfois à lui-même.

Quoi de plus normal, alors, que l’organisation d’une matière, musique ou autre, dans une bibliothèque, en tant que discours, appelle une approche herméneutique. Comme pour toute écriture, on peut étudier le procès d’une collection, sa représentation, les relations qu’elle noue avec le lecteur et celui-ci avec son auteur – le biblio-thécaire. Obéissant à la définition de Paul Ricœur, « la tâche de l’herméneutique [est] de reconstruire l’ensemble des opérations par lesquelles une œuvre s’enlève sur le fond opaque du vivre, de l’agir et du souffrir, pour être donné par un auteur à un lecteur qui la reçoit et ainsi change son agir 3 ».

Il s’agit ici de placer l’interaction entre collection, bibliothécaire et lecteur au cœur de l’analyse, puis de construire un sens autour de cette lecture, dialogue entre une nouvelle forme de l’intentio auctoris, le bibliothécaire organisant sa collection dans l’espace défini par l’archi-tecte, et intentio lectoris, la lecture du public. Lecture qui doit prendre en compte, au-delà du signe, son sens, imma-nent à la situation de communication dans laquelle il a été produit mais également à celui qui l’interprète ; cette conscience de l’interprétant est en effet primordiale pour garder à l’esprit la valeur symbolique donnée au signe comme élément de la culture.

La définition même d’une bibliothèque comme dis-cours intimement lié au moment et à la civilisation qui l’ont fait naître paraît d’autant plus valide que l’on consi-dère un art vivant fortement enraciné dans la culture occi-dentale – rien de plus ethnocentriste qu’une collection mu-sicale de bibliothèque, comme le montre la part souvent congrue des « musiques du monde » (comme si l’Occident n’était pas partie de ce monde-là !). Il s’agit donc de consi-dérer la réception de l’espace de la collection en l’inscrivant dans un « horizon d’attente » à la fois en continuité et en rupture de l’environnement culturel, historique et idéolo-gique du public et des bibliothécaires, pour reprendre la terminologie de Hans Robert Jauss.

Musique et espace

Trois espaces

Il est certain que si l’architecture, comme l’a écrit Daniel Payot, doit exprimer, en leur donnant une forme visible et « parlante », les significations « abstraites », voire métaphysiques, qui s’y trouvent affirmées 4, ce problème se pose de façon encore plus cruciale lorsqu’il s’agit d’aména-ger des espaces spécialisés dans une discipline artistique. D’autant qu’il nous faut considérer que toute matière n’existe pas seulement par elle-même, dans sa réception

3. Paul Ricœur,Temps et récit, Paris, Éditions du Seuil, 1983, p. 106-107.

4. Daniel Payot, « La bibliothèque comme espace architectural », in : Anne-Marie Bertrand, Anne Kupiec avec la collaboration de Joseph Belmont, Michel Melot, Daniel Payot, Ouvrages et volumes : architecture et bibliothèques, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1997, p. 17.

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La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?

L’harmonie, au contraire, se déplace toujours du bas vers le haut, c’est le sens de lecture normal d’un système, inverse donc de celui de la lecture d’un texte même si chaque ligne d’une partition se lit ensuite de bas en haut. Contrepoint et harmonie, cependant, ne s’excluent pas, ils sont simplement deux facettes de l’écriture musicale, une relation complexe entre deux dimensions, auxquelles la structure d’ensemble, elle, donne sa profondeur.

Existe par ailleurs une architecture culturelle de la musique occidentale, c’est-à-dire une forme de hiérarchie des rapports entre les supports et la construction de son approche. Pour résumer, et sachant que la musique occi-dentale est depuis plusieurs siècles un art écrit, par oppo-sition à la plupart des musiques traditionnelles – de tradi-tion orale – ou du jazz – musique improvisée –, on peut dire que l’interprétation est la rencontre entre une partition et un savoir, et l’enregistrement une simple fixation tech-nique accessoire de cet instant éphémère.

Il paraît donc logique qu’une collection de musique en bibliothèque retrouve cette connexion logique entre texte et savoir historique, qui construit et nourrit l’approche artistique dont le disque n’est, au fond, qu’un épiphéno-mène technologique. Cette dimension à la fois d’archi-tecture structurelle, interne, et d’architecture culturelle modèle profondément notre perception dans l’espace de la musique, selon le principe de ce que Jean-Yves Bosseur nomme équivalences structurelles. Au bibliothécaire de s’interroger sur la possibilité d’en proposer une illustration dans l’organisation de sa collection.

Musique et mise en scène du savoir

La collection comme discours

De même qu’une exposition est une forme en soi de communication et d’expression culturelle, une collection de bibliothèque et son rangement communiquent quelque chose à la fois de la matière et de la culture du concepteur, au travers du prisme de la subjectivité du visiteur. En ce sens, la collection est la projection d’une identité culturelle à la fois commune et individuelle. Commune, car c’est là que s’affirme l’image d’une communauté. Individuelle puisque, comme tout discours, il opère dans un champ particulier, ici plus culturel que réellement linguistique, et devient le jeu d’une appropriation, d’une forme de contrat – on renvoie ici à l’analyse d’Émile Benveniste 8.

Une collection musicale n’est pas qu’un réservoir de disques et de livres, plus rarement de partitions, plus ou moins commodément agencé. Elle est également exposi-tion d’un savoir spécifique qui doit obéir à sa scénographie propre et une traduction dans l’espace du message qu’il porte. La mission de cette scénographie est complexe : à la fois exposer à sa façon l’essence de la matière musique, sa-tisfaire les nécessités d’un rangement clair des documents,

8. Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, vol. 1, p. 251-266.

La cohabitation de ces différents publics et de ces multiples paramètres doit aboutir, peut-être plus qu’à un espace indifférencié, à une superposition possible des niveaux de lectures selon la culture de chacun – profane, amateur, ou initié – et ses usages. Enfin, il est évident qu’un espace musique ne doit pas ressembler, dans son organisation, à un département littérature ou peinture, qui auront eux-mêmes leurs singularités. Or, aujourd’hui, la même pensée, ou à peu près, préside à l’aménagement de tous les espaces de la bibliothèque.

La musique comme espace

La musique obéit à ses propres espaces, elle est archi-tecture. Mélodie, harmonie, rythme et formes se déploient dans différentes directions : horizontalité, verticalité, pro-fondeur du temps. Ce rapport au temps, la construction de son déroulement, est primordial tant il structure l’ap-proche occidentale de la musique.

C’est à ce propos que le compositeur Iannis Xenakis, architecte de formation et assistant de Le Corbusier, a pu déduire des formes de la musique un « édifice musical général » qu’il rapproche de la construction architecturale dans l’espace et qu’il scinde en deux parties selon ses rap-ports au temps : « a) ce qui appartient au temps, ce qui est une application d’êtres ou de structures à la structure d’ordre du temps ; b) ce qui est indépendant du devenir temporel.

Donc deux catégories : en-temps et hors-temps. Dans la catégorie hors-temps sont incluses les durées et les constructions (relations et opérations) qui ont trait aux éléments (points, dis-tances, fonctions, etc.) qui appartiennent à et qui peuvent s’ex-primer sur l’axe du temps 7. »

Ainsi, pour Xenakis, les fonctions tonales de la mu-sique occidentale sont une expression des architectures en-temps, un jeu de construction dont les structures les plus courantes (forme-sonate, aria…) sont basées sur la symétrie des parties, une répétition variée des motifs, une progres-sivité de déroulement fondée à la fois sur la relation moti-vique et tonale et les oppositions dramatiques. Le discours musical a donc un caractère architectural certain, la forme rend la distance, et l’élaboration des motifs leur articula-tion et leurs symétries.

La construction polyphonique obéit à un déploiement dans l’espace différent et qui a d’ailleurs changé au fil du temps, la primauté passant à la Renaissance de la tessiture intermédiaire, le ténor – littéralement « celui qui porte », qui soutient le contrepoint, auquel est confié le cantus fir-mus –, au superius, le dessus, appelé même tout simple-ment cantus au xve siècle, la partie de soprano. Toute poly-phonie est donc un jeu d’opposition et de complémentarité entre le bas et le haut où, culturellement et de façon mo-derne, le haut domine – caractère que la monodie a forte-ment accentué.

7. Iannis Xenakis, Musique et architecture, Tournai, Casterman, 1971, p. 81-82.

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L’écriture du discours

Il ne suffit pas de remplir les attentes, plus ou moins avouées, des fréquentants, d’harmoniser offre et demande, il faut aussi permettre aux désirs latents, non exprimés, de surgir, en proposant des associations inédites, en obli-geant à sortir des sentiers trop bien balisés. La friction est nécessaire : elle dérange le lieu commun et pousse l’usager à découvrir de nouveaux horizons. Le discours de l’espace est une création, construction d’une altérité.

Tout comme l’écriture littéraire, en effet, l’écriture de la collection est un jeu entre scripteur et récepteur, sur leurs attentes et leurs représentations réciproques, une quête créatrice de sens et de signification. En ce sens, la gestion des espaces, le mobilier, la signalétique, l’éclairage, la décoration, ne doivent pas seulement être vus dans une approche pratique, mais également comme des éléments actifs de la scénographie et de la découverte, conduisant à une définition de la collection comme une « promenade dans le savoir » pour reprendre les mots de Bruno Car-bone, directeur de la bibliothèque municipale de La Ro-chelle 11, cheminement qui doit prédisposer au passage à l’acte, en suggérer une infinité de perspectives.

Les outils scripturaux que le bibliothécaire tient à sa disposition, couleurs, lettrages des panneaux, mobilier, espace et perspective, liens et rapprochements, doivent permettre de sortir d’une conception rigide de la classifica-tion pour restituer sa profondeur et sa vie à une matière qui, par essence, échappe à toute hiérarchie. La musique de Bach, toute pleine des rythmes populaires de son temps, est-elle, en soi, d’essence moins populaire que le jazz contemporain ? On oublie trop souvent qu’une grande partie du catalogue de Mozart est consacrée à des danses – il fournissait la musique des grands bals de la cour impé-riale. À rebours, les essais de musique concrète de Björk sont-ils à ce point moins savants que les pièces d’Henri Schaeffer pour être classés au rayon « pop » ? La dimension historique, par contre, donne une profondeur nécessaire à la connaissance de l’art – profondeur et non hiérarchie ver-ticale.

Se pose, au travers de cette question d’écriture de la col-lection, l’inévitable problème de la tension entre mission de découverte et tentation encyclopédique : trop peu de do-cuments et la bibliothèque ne remplit pas sa fonction, trop et ce n’est plus qu’un cimetière décourageant toute ten-tative d’exploration. L’écriture comme mise en scène doit donner vie à cette matière figée des documents. Comme le rappelle Anne-Marie Bertrand : « Le découpage du savoir n’est qu’une des difficultés auxquelles se heurte la mise en espace des collections dans la bibliothèque. Les deux difficultés essen-tielles sont sans doute aujourd’hui la question de la hiérarchisa-tion du savoir et celle de la circulation dans ce savoir spécialisé : comment résoudre la contradiction entre l’exercice d’intelligibi-lité (l’organisation des collections) auquel procède le bibliothé-

11. Bruno Carbone, « De l’esprit des collections », BBF, 1995, no 3, p. 33. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1995-03-0027-004.

mais également proposer un parcours vers la connais-sance, dégager une forme de pédagogie invisible, susciter une envie, déranger peut-être les schémas préconçus. Il ne s’agit pas seulement d’accueillir, mais également de créer une atmosphère propice à la découverte. La muséographie, mieux l’expographie, aurait sans doute en ce domaine beaucoup de choses à apprendre aux bibliothécaires. Alors qu’il est courant que les musées fassent appel à des met-teurs en scène de théâtre pour concevoir le cadre d’une exposition, temporaire ou permanente, de telles initiatives semblent encore rares en bibliothèque.

La définition de la mise en espace de la collection comme discours et récit rejoint la définition du récit selon Michel de Certeau : « Là où la carte découpe, le récit traverse. Il est “diégèse” dit le grec pour désigner la narration : il instaure une marche (il “guide”) et il passe à travers (il “transgresse”). L’espace d’opération qu’il foule est fait de mouvements : il est topologique, relatif aux déformations de figures et non topique, définisseur de lieux 9. »

La collection, comme le récit, guide mais n’est pas fixe ; elle est moins une carte du savoir que la double lecture d’un savoir par le concepteur d’espace puis l’usager. Récit d’une altérité, d’une transgression du lieu, ce que Michel de Certeau appelle sa délinquance, contradiction entre la description d’un espace et ses différentes lectures qui en rendent impossible toute délimitation.

Michel Melot avait sans doute raison de voir dans la spécialisation des bibliothèques musicales en discothèques un obstacle majeur à une véritable réflexion sur la mise en valeur de la musique : « D’une certaine façon, le succès des sections de disques dans les bibliothèques publiques a été et demeure un frein au développement de sections musicales, alors qu’il devrait en être le noyau. La spécialisation de “disco-thécaire” a été souvent conçue, devant la demande massive du public, comme un métier autosuffisant, exclusif des autres pra-tiques musicales. Le discothécaire ainsi formé se trouve souvent dans l’incapacité de gérer un fonds de musique imprimée, confi-nant ainsi l’offre musicale de sa bibliothèque dans la musique enregistrée 10. »

Il serait pourtant exaltant de concevoir une collection de musique comme un récit du savoir, une activité créa-trice en soi. Il faut pour cela accepter que ce savoir évolue, que son usage, sa lecture ne puissent être figés ; accepter que sa topologie évolue, se métamorphose, que ses fron-tières soient changeantes et ne puissent se définir que par leur mouvement même. Un art n’est jamais immobile, son discours ne peut l’être.

9. Michel de Certeau, L’invention du quotidien, op. cit., p. 189.

10. Conseil supérieur des bibliothèques, Rapport du Président pour l’année 1995, Paris, Association du Conseil supérieur des bibliothèques, 1996. En ligne : http://enssibal.enssib.fr/autres-sites/csb/rapport95/csb-rapp95integral.html#7.raisons

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La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?

Conclusion

La crise actuelle a ceci d’intéressant qu’elle met crû-ment en lumière la curieuse contradiction à l’origine de la naissance des discothèques de prêt.

Art du vivre ensemble, du partage, de l’acceptation de l’autre, la musique s’est construite sur un champ lexical qui rend compte de sa dimension éminemment sociale : la symphonie, du grec συμφωνία, signifie tout autant l’harmo-nie entre les personnes qu’entre les sons ; de même, que l’on fasse remonter son étymologie au latin chrétien concer-tare, « agir ensemble, agir dans un but commun », ou au latin classique conserere, « réunir, joindre », le mot concerto signifiera toujours dialogue 13.

La musique est, dans son essence, un art pluridiscipli-naire (mélange de culture historique, d’analyse et de tech-nique), qui aboutit à une expérience vivante et éphémère (le moment où elle se crée, où elle s’interprète) collective (née le plus souvent d’un groupe, d’un orchestre, d’un en-semble) et à destination d’un public plus ou moins nom-breux, du salon à la salle de concert. La bibliothèque, en totale contradiction avec cette démarche, a plaqué sur cet art le principe de la lecture, silencieuse, intime, et a, par là même, favorisé le transfert vers les technologies qui faci-litent cette personnalisation (téléchargement sur lecteur MP3). La bibliothèque musicale, en se focalisant sur une approche uniquement passive, fait fuir son propre public alors même que la pratique musicale amateur ne cesse de s’accroître, et avec elle un public potentiel.

Il est ainsi particulièrement révélateur de voir à quelles difficultés se heurte le simple fait de diffuser de la mu-sique en bibliothèque ou de favoriser le passage à l’acte des usagers en mettant des instruments à leur disposition. Bruyant, gênant, à l’encontre de tous les usages établis. La musique serait-elle définitivement persona non grata en bi-bliothèque, nuisance indésirable ? C’est qu’elle échappe par sa nature à l’enfermement des bibliothèques, à la rationali-sation apaisante des classifications.

Ne nous étonnons pas de la déshérence actuelle du pu-blic des bibliothèques musicales. Leur conception même, enfermée dans la logique de support et sans liens avec les autres disciplines, en est la cause principale. La diffé-rence évidente de conception de la musique entre biblio-thèque de lecture publique et bibliothèque spécialisée est sur ce point éclairante quant au décalage existant entre une démarche active et pratique qui, même en amateur, gagne aujourd’hui du terrain, et une approche passive qui semble marquer le pas.

La question de la suppression pure et simple des pho-nogrammes, de la numérisation des supports, ne changera rien à ce problème fondamental. Il est urgent de repenser le modèle même d’un espace qui s’essouffle, son accès, son ouverture, son rangement, pour aboutir à une véritable re-présentation de la musique aujourd’hui.

13. A. C. Keys, « The Etymology of Concerto », Italica, vol. 48, no 4, 1971, p. 446-462.

caire et le travail du lecteur (du public à l’œuvre) qui s’appro-prie le savoir en s’y promenant librement 12. »

Mobilier déplaçable, espaces ouverts et modulables, doivent rendre compte de cette dimension vivante de l’art musical, par une écriture du lieu en perpétuel devenir. Il est alors logique que la mise en espace des collections change au fil du temps pour amener de nouvelles décou-vertes, proposer régulièrement de nouveaux parcours, mais aussi en fonction des fluctuations de sa définition et des délimitations de sa culture.

Internet, espace dans l’espace

Internet et la musique numérique et immatérielle ne mettent pas en soi en danger la bibliothèque de musique. Plus que la suppression du support, sans doute irréver-sible mais encore prématurée, l’informatique inaugure une nouvelle conception du rapport entre musique et public, de nouveaux usages, une nouvelle géographie intime de la musique.

La discothèque de prêt dans sa conformation actuelle vit sans aucun doute ses derniers instants, même s’il im-porte d’être prudent – le MP3 apparaît plus comme une pratique cumulative qu’un remplacement, les enquêtes montrent le fort attachement des internautes au support disque. Internet doit être le prolongement de l’espace de la bibliothèque en proposant un espace virtuel échappant à toute contrainte matérielle, ouvert à l’infini.

La bibliothèque virtuelle permet d’imaginer, sans aucune espèce de contrainte physique, toutes les architec-tures intellectuelles, tous les degrés d’organisation et de structuration. Guider le lecteur, ou le laisser libre d’enri-chir sa visite selon ses propres modalités – espace ouvert, permettant toutes les intertextualités. Surtout, les outils de personnalisation permettent à chacun de construire son propre espace, de constituer son propre horizon. Le bibliothécaire doit alors permettre toutes ces liaisons, pour guider sans contraindre, permettre à chacun de construire son propre discours en fonction de ses goûts, de sa culture, de ses attentes. Il est tout à fait possible de concevoir, par exemple, que la page rattachée à la Symphonie no 5 de Beethoven contienne à la fois un bref historique, la parti-tion, des liens vers d’autres œuvres du compositeur, des œuvres d’autres compositeurs de l’époque, mais également des vers de poètes l’ayant influencé (Goethe, Schiller) ou des représentations de peintres contemporains (Friedrich).

Bibliothèque idéale, espace sans limites permettant tous les recoupements, toutes les lectures : dossiers thé-matisés, conseils d’audition, de lecture, internet permet toutes les constructions/déconstructions, mais nous oblige encore plus qu’une bibliothèque physique à abandonner l’espace de l’écriture des collections à nos lecteurs.

12. Anne-Marie Bertrand et Anne Kupiec, Ouvrages et volumes : architecture et bibliothèques, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1997, p. 175.

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Naissent ainsi plusieurs axes de réflexion : l’organi-sation spatiale très rigide des sections musique ne peut rendre la complexité et la vie de cet art ; la trop faible part laissée à la pratique et à l’étude est à rebours des tendances actuelles qui voient l’éclatement de la pratique amateur et l’envie de plus en plus grande d’être acteur de son propre savoir et de sa formation. Les bibliothécaires, modernes dragons, dorment sur leurs trésors entassés et éprouvent quelques difficultés à en faciliter l’accès pour le simple mortel, perdu dans la masse.

Reste à se poser la question fondamentale : à qui s’adresse la bibliothèque musicale ? Impossible péréqua-tion d’intéresser à la fois les connaisseurs – qui recherchent une référence précise – et le néophyte qui vient simple-ment découvrir un domaine qu’il ignore. Sans perdre de vue, comme l’écrit encore Jacqueline Gascuel, que : « Beau-coup plus qu’une institution […], la bibliothèque est un espace où s’inscrit un certain nombre de démarches intellectuelles ; un espace doué d’un étrange pouvoir sur ces démarches dont il va marquer le contenu et le rythme, cerner les limites 14. »

Internet a changé pour toujours notre rapport au savoir. Il nous paraît parfaitement naturel de disposer au même moment et au même endroit de toutes les res-sources qui nous intéressent. Sur ce modèle et face aux nouvelles attentes qu’il a fait naître, nous pouvons rendre sa richesse à l’univers musical en mettant en pratique cette

14. Jacqueline Gascuel, Un espace pour le livre. Guide à l’intention de tous ceux qui construisent, aménagent ou rénovent une bibliothèque, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, nouvelle édition, 1993, p. 17.

logique du multimédia, qui n’est pas tant la réunion de dif-férents supports au même endroit que la logique des liens qui restituent à la matière sa profondeur.

Reste à inventer un lieu qui institue un rapport fertile à la musique, à la fois illustration de son contenu, discours du savoir et de la pratique, confrontation des formes et des expressions, et qui sache dialoguer avec son visiteur. Favori-ser une approche plus active non seulement de la musique, mais aussi de la culture dans laquelle elle s’insère, remettre la musique, son architecture et la complexité de ses rap-ports à l’espace, au centre de la bibliothèque musicale, c’est accepter que, tout comme l’art qu’elle met en valeur, la bibliothèque soit un lieu vivant, changeant, offrant des espaces mobiles pour en épouser toutes les variations.

La bibliothèque doit apparaître comme un lieu plus fa-cile à investir, moins codé, espace stimulant de découverte et d’échange, d’apprentissage libre. Pour cela, il serait sans doute primordial de laisser une place à l’apprentissage de la musique en autodidaxie, car le mélomane actuel, et c’est la plus grande leçon d’internet, veut instituer un rapport actif et interactif avec sa matière. Il ne s’agit nullement de prétendre remplacer une école de musique – remarquons cependant que les espaces dédiés à l’apprentissage des lan-gues sont courants, sans que l’on ait jamais prétendu que les bibliothèques entendaient pour autant remplacer les écoles de langue. La mise en espace de la musique doit donc à la fois laisser à chacun la possibilité de se perdre et de se découvrir, en permettant, de manière non injonc-tive, un cheminement vers le savoir. Tâche difficile. Un vrai roman, en somme. •

Janvier 2010

Le libre accès consolidé en 2010 – Nice, Metz, Paris et ailleursJoachim Schöpfel et Hélène Prost

Les politiques de site : 40e Congrès de l’ADBUYves Desrichard

Bibliothécaires et jeunes publics face au numériqueNicolas Beudon

Signalement, numérisation et valorisation : 13es Journées des pôles associés et de la coopérationJean-Jacques Vandewalle

Les 2es Assises de la lecture publique en Martinique ou « lire le monde comme un grand livre »Marie-Françoise Bernabe et Jean-Philippe Accart

Deuxième colloque bilatéral franco-tunisien des sciences de l’information et de la communicationNatacha Romma

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organisé les 29 et 30 mars 2010 un col-loque 2 autour de la diffusion de la pro-duction scientifique, pour « confronter les pratiques et les expériences en cours dans la communauté académique, afin de dégager les enjeux, la prospective et des pistes d’ac-tion ».

Le colloque a suscité beaucoup d’in-térêt et a réussi le pari d’un forum, au risque de mettre à nu les divergences et contradictions des quelque 140 profes-sionnels, chercheurs et éditeurs. Agir oui, mais comment, et pourquoi ? Avec, sans, contre les éditeurs ? Le partenariat entre bibliothécaires et enseignants-chercheurs est indispensable. Là où des enseignants et chercheurs sont à l’origine du projet et le soutiennent, le succès est au rendez-vous.

La numérisation et la mise en ligne du patrimoine scientifique des univer-sités est l’un des projets fédérateurs du libre accès. Cependant, de tels projets ne sont pas faciles à mettre en place, sont parfois mal financés et peu coordonnés, avec des objectifs et modalités contra-dictoires. Faut-il développer de nouvelles compétences sur le campus ou sous-trai-ter ? Alimenter une grande bibliothèque numérique ? Créer une archive institu-tionnelle ?

L’administration veut surtout un outil d’évaluation. Les documentalistes souhaitent disposer d’un réservoir pour la diffusion et la préservation des collec-tions et de la production scientifique ; ils cherchent parfois aussi un nouveau rôle. Quant à la communauté scientifique, elle n’est pas toujours au courant, ne voit pas nécessairement l’intérêt, s’interroge sur la légalité du dépôt d’une publication.

Trois exemples réussis et pourtant divergents ont été cités : la collection de revues libres Revel@Nice 3 de l’université de Nice, OATAO 4 de Toulouse et Spire 5 de Sciences-Po Paris. Le même modèle

2. http://bibliotheque.unice.fr/jahia/Jahia/site/bibliotheque/pid/13645

3. http://revel.unice.fr/

4. http://oatao.univ-toulouse.fr

5. http://spire.sciences-po.fr/web/

ne convient pas nécessairement à tous les domaines scientifiques [1]. À Nice, les sciences humaines et sociales ont occupé le devant de la scène, avec les trois acteurs « historiques », le Cléo 6 du Centre national de la recherche scienti-fique (CNRS), Persée 7 du ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche (MENR) et Cairn.info 8, projet privé. Mais quand on compare leurs réalisations en sciences humaines et sociales avec l’offre des éditeurs commerciaux davantage centrée sur les sciences, technologies et la médecine, on se rend compte qu’il s’agit d’une niche – intéressante, riche, mais marginale.

Peut-on par ailleurs les considérer comme « initiatives locales », peuvent-ils réellement servir de modèle pour des projets fédérateurs sur le terrain ? Cléo et Persée sont des projets d’envergure nationale, Cairn.info est une plate-forme privée au service des éditeurs publics ou privés. En plus, Cléo se développe à l’in-ternational et lance un nouveau modèle économique, avec des services à valeur ajoutée payants. Ce choix, lié sans doute à la baisse des subventions de la part des tutelles (CNRS, École des hautes études en sciences sociales, universités), corres-pond à la stratégie des éditeurs du sec-teur privé qui, eux, mettent l’accent sur la valeur ajoutée et expérimentent plusieurs modèles économiques, le paiement par l’auteur ou son institution 9, les revues hybrides et complètement « libres », ou encore les licences nationales.

Le web comme espace public et bien commun (Pierre Mounier) a déclen-ché un vif débat. La communication directe, l’interactivité et le partage sont entrés dans les mœurs des chercheurs [2]. Blogs, wikis, etc., sont devenus une source d’information, en complément

6. http://cleo.cnrs.fr

7. www.persee.fr/web/guest/home

8. www.cairn.info

9. Cf. contrat entre Springer et la Max-Planck-Gesellschaft : www.couperin.org/archivesouvertes/spip.php?article91

Le libre accès consolidé en 2010 – Nice, Metz, Paris et ailleurs

2010 a été une année de consolida-tion pour le libre accès en France, et le mouvement a confirmé sa place

au cœur de la communication scienti-fique. Les journées d’études de Couperin en avril 2009, à la Bibliothèque interu-niversitaire de médecine, et la confé-rence Berlin 7 en décembre 2009, à la Sorbonne, avaient témoigné du dyna-misme et de la vigueur des initiatives françaises, notamment dans les sciences humaines et sociales. 2010 a transformé l’essai.

Cette année riche en événements 1 fut aussi marquée d’une première ré-flexion sur le chemin parcouru et sur les enjeux à venir.

L’analyse des colloques et journées d’études à Nice, Metz et Paris dégage trois points à l’ordre du jour du libre accès à l’information scientifique et tech-nique (IST) en France : la stratégie poli-tique à Nice, où le campus universitaire se mobilise pour une reprise de la fonc-tion éditoriale, l’approche service à Metz avec la mise en place d’une archive insti-tutionnelle pour et avec les chercheurs, et le projet institutionnel à Paris par l’opti-misation d’une archive institutionnelle puissante et exhaustive en cohabitation avec la chaîne éditoriale des revues. Les trois événements avaient également en toile de fond la question de l’environne-ment légal et juridique de ce mouvement.

« Penser global, agir local »

Quelle riposte locale aux défis de l’édition scientifique ? Comment mobili-ser le campus autour d’un projet de libre accès pour développer la fonction édito-riale ? L’université Nice Sophia Antipolis a

1. Le lecteur trouvera d’autres informations sur les sites de veille : •  Libre accès à l’IST : http://openaccess.inist.fr •  Les archives ouvertes : www.couperin.org/archivesouvertes •  Libre accès à la communication scientifique : http://open-access.infodocs.eu •  La boussole : http://blplaboussole.wordpress.com

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La direction de l’Inra a décidé en avril 2010 de rendre le dépôt dans ProdInra obligatoire pour tous les per-sonnels de l’institut, y compris les cher-cheurs non évalués par l’Inra. L’obliga-tion devrait entrer en vigueur début 2011, avec le lancement de la nouvelle version de ProdInra 2. L’intérêt pour la direction est double – renforcer la valorisation et la visibilité des travaux de l’Inra et disposer d’un outil performant de reporting et de pilotage.

ProdInra 2 facilite le suivi de la pro-duction scientifique, produit des indica-teurs bibliométriques, fait le lien avec le budget et répond aux critères d’évalua-tion de l’Agence d’évaluation de la re-cherche et de l’enseignement supérieur. Elle est étroitement adossée au système d’information de l’Inra pour la terminolo-gie, les activités et les affiliations.

L’interface et les fonctionnalités de dépôt de fichiers et d’import de notices sont conçues de façon à faire face à la réduction du nombre de postes dans la fonction documentation de l’Institut. Au-trement dit : des fonctionnalités simples, moins contraignantes que dans HAL, et un dépôt effectué si possible par l’auteur lui-même.

Par ailleurs, l’auteur est vivement encouragé à déposer ses documents non publiés (littérature grise). Comme ils ne sont pas intégrés dans le circuit classique de l’édition, ProdInra leur as-sure visibilité et pérennité d’accès : 45 % des dépôts relèvent déjà de la littérature grise. À terme, protocoles expérimentaux et données structurées s’y ajouteront.

Michèle Maximilien (Erist – Équipe régionale d’information scientifique et technique) a souligné l’importance d’un accompagnement et d’une communica-tion de proximité pour emporter l’adhé-sion des chercheurs au projet d’archive institutionnelle. Le documentaliste est une personne relais ; son rôle est de faci-liter, vérifier, compléter, valider le dépôt, tout en participant au développement de l’outil.

Odile Hologne, directrice déléguée à l’IST (information scientifique et tech-nique) de l’Inra, a résumé la portée de ProdInra 2 en trois idées-forces : l’archive institutionnelle est un défi pour l’Inra, elle représente un investissement hu-main et financier significatif, et elle s’ins-crit dans le projet d’établissement.

La clé de ce succès : un soutien insti-tutionnel constant, un réseau dynamique de professionnels, et un projet fédéra-teur. À sa manière, ProdInra rejoint les

valeur ajoutée 16. Le résultat est là : ORBi se positionne au 35e rang mondial sur 988 dans le Ranking Web of World Reposito-ries 17 en juillet 2010, avec en moyenne 800 téléchargements par jour.

Liège propose également à ses cher-cheurs un Portail de publication de pério-diques scientifiques (PoPuPS)18 qui per-met d’éditer et de diffuser leurs revues en libre accès. La plateforme contient actuel-lement 13 revues avec 4 000 articles. Elle enregistre en moyenne 400 consulta-tions par jour.

Comme à Nice, la divergence d’ob-jectifs et logiques entre institutions et chercheurs fut tangible. L’ULg cherche un moyen pour faire face aux dépenses documentaires. La bibliothèque est devenue un centre de coût au lieu de jouer son rôle de centre de documenta-tion. L’aspect économique ne joue pas le même rôle pour les communautés scientifiques. Lors d’une table ronde animée par Ghislaine Chartron (Institut national des techniques documentaires), plusieurs chercheurs ont exprimé leur intérêt pour le libre accès afin de rendre leurs publications plus visibles, de valo-riser l’institution et de faciliter le contact avec d’autres équipes de recherche. Pour eux, le libre accès n’est pas en opposition avec les éditeurs commerciaux, ils sont complémentaires.

« Quelles connaissances et quel rôle pour le professionnel de l’information scientifique ? »

La direction Valorisation/Information scientifique de l’Institut national de la re-cherche agronomique (Inra)19 a organisé une journée d’étude le 15 octobre 2010 à Paris pour faire le point sur l’évolution de ProdInra 20 (créé en 2005) qui est, avec plus de 7 000 documents en texte inté-gral en accès libre pour tout le monde, la deuxième archive ouverte en France après HAL 21.

16. Dépôt en dix minutes, interfaces disciplinaires, authentification LDAP, assistance juridique et hot-line, statistiques et indicateurs bibliométriques.

17. http://repositories.webometrics.info

18. http://popups.ulg.ac.be/index.htm

19. www.inra.fr

20. www.prodinra.inra.fr

21. http://hal.archives-ouvertes.fr

d’autres vecteurs, avec un impact assez limité à ce jour.

« Publier et être lu »

Promouvoir le libre accès, convaincre les chercheurs qu’« avec un minimum d’effort, ils en retireront un maximum de bénéfices » (Annaïg Mahé), fédérer la communauté : c’est indispensable pour le succès d’un projet, et c’était l’objectif des organisateurs 10 de la journée d’étude qui a réuni 120 chercheurs, doctorants, étudiants et professionnels à l’Arsenal de Metz, le 21 septembre 2010 11.

Les quatre universités lorraines 12 veulent lancer une plateforme pour les thèses qui, quoique liée au dispositif national des thèses électroniques Star 13, pourrait évoluer vers une archive institu-tionnelle lorraine.

Le modèle pourrait être celui pré-senté par l’université de Liège (ULg) avec ses deux archives ouvertes, BICTEL/e 14, le serveur des thèses de doctorat dont le dépôt est obligatoire (450 thèses à ce jour, dont deux tiers avec texte intégral), et surtout ORBi 15. Le dépôt dans ORBi – en moyenne, 75 références par jour – est sous-tendu par une politique forte selon laquelle toutes les publications de tous les auteurs de l’université de Liège depuis 2002 doivent être déposées dans ORBi dans le respect des droits de chaque acteur. Seules les références pré-sentes sur ORBi seront prises en compte dans tout processus d’évaluation de dos-sier. L’archive compte plus de 50 000 ré-férences de 4 652 auteurs différents et reliées au texte intégral pour 60 %, mais dont la moitié reste en accès restreint.

Le succès de cette politique s’explique par la responsabilisation de l’auteur, placé au centre du processus de publication et qui bénéficie de nombreux services à

10. Les services communs de documentation lorrains, Médial Nancy et l’Urfist de Strasbourg.

11. http://openaccess.univ-lorraine.fr/spip.php?article1

12. Henri Poincaré (Nancy), Nancy 2, Institut national polytechnique de Lorraine, Paul Verlaine (Metz).

13. Voir dans le BBF, 2011, no 1, « Star : au-delà d’une application » par Marianne Giloux (dans l’article « Valorisation de la production académique : collecte, conservation, diffusion »), p. 30-31. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-1-0026-006

14. http://edoc.bib.ucl.ac.be

15. http://orbi.ulg.ac.be

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recommandations du GFII font preuve d’un « souci d’équilibre général », d’une approche par discipline et du besoin d’un lieu de coordination, d’analyse et de suivi.

Trois mois plus tard et sous l’égide du ministère de l’Enseignement supé-rieur et de la Recherche, le consortium Couperin et le CNRS ont produit un état des lieux du libre accès [7]. L’accent est mis sur la complémentarité entre HAL et l’initiative des universités.

En juillet, l’université de Lille 3 a pu-blié les résultats d’un projet de recherche de 2009 sur le développement des ar-chives ouvertes en France [8]. Ce rapport témoigne du succès du libre accès en France mais pose, face à la grande diver-sité des réalisations, la question de la na-ture même du concept d’archive ouverte.

En France comme ailleurs, les ar-chives ouvertes sont entrées dans une logique de « deuxième génération », plus riches, plus fonctionnelles, mais aussi plus hétérogènes. Faut-il freiner et réduire ce mouvement à un modèle standard ? Certainement pas. L’essentiel n’est pas l’uniformité mais plutôt l’accès et l’interopérabilité des réalisations. Que cent fleurs s’épanouissent…

Le libre accès, c’est aussi une his-toire d’hommes et de femmes. ArXiv, c’était Paul Ginsparg ; HAL, c’est Franck Laloë ; Revues.org, Marin Dacos. Le re-groupement des universités ouvre la voie à de grands réservoirs de données, de documents et de publications. C’est une situation tout à fait exceptionnelle. Où sont les porteurs des projets de la deuxième génération ?

À Paris, Hélène Bosc a pronostiqué que d’ici deux ou trois ans un taux de rem-plissage spectaculaire des archives institu-tionnelles et de HAL est réalisable. Notre idée est différente : nous pensons plutôt que le concept de l’archive ouverte se fondra dans l’infrastructure émergente de l’eScience, sur le modèle de l’université de Stanford par exemple [4], et sera intégré dans une architecture de collections, pu-blications, documents, données et outils.

Dans un tel scénario, le taux de rem-plissage deviendrait vite secondaire ; seul compterait l’intérêt réel des contenus pour les communautés scientifiques, l’usage fait de l’offre et le retour sur in-vestissement. Histoires à suivre. •

Joachim Schö[email protected]

Hélène [email protected]

avec le site espagnol Dulcinea 25 mais sans lien avec RoMEO. ProdInra sera capable de gérer l’embargo des éditeurs, et un bilan sera fait après un an de fonc-tionnement. Une suggestion de la salle : l’Inra ne pourrait-il pas demander aux éditeurs de verser eux-mêmes une copie du post-print dans ProdInra, suivant la procédure préconisée par le projet PEER 26 ? Elsevier semble prêt à explorer cette procédure (manuscript posting pré-senté à la conférence Berlin 8) mais il faudra probablement attendre les résul-tats de PEER avant de connaître le choix stratégique des éditeurs. Toujours est-il que, lors de cette journée à Paris, on était loin d’une croisade contre les éditeurs.

Et maintenant ?

Les trois rendez-vous ont dressé le panorama du mouvement vers le libre accès à l’IST en France : mobiliser le campus universitaire pour une reprise de la fonction éditoriale (Nice), mettre en place une archive institutionnelle pour et avec les chercheurs (Metz), optimiser une archive institutionnelle puissante et exhaustive en cohabitation avec la chaîne éditoriale des revues (Paris), avec en toile de fond la question légale et juridique.

Il y a eu d’autres événements en 2010, comme la journée d’étude sur le cadre juridique du libre accès et la com-munication scientifique directe organisée par le CNRS à Grenoble en mars 27, ou la conférence que l’Institut universitaire européen de la mer organisa en octobre à Brest dans le cadre de la semaine internationale du libre accès 28. Tous ensembles, ils ont contribué à donner de la visibilité au mouvement et créer un espace de partage et d’échange.

Et maintenant ? Après un dévelop-pement rapide, il est temps de faire un bilan du libre accès en France, de mesu-rer, comparer, évaluer [1]. Ce travail est engagé, avec notamment trois rapports.

En janvier 2010, le Groupement fran çais de l’industrie de l’information (GFII) a rendu publique la synthèse d’un groupe de travail sur le libre accès [6]. Les

25. www.accesoabierto.net/dulcinea

26. Publishing and the Ecology of European Research, un projet cofinancé par la Commission européenne : www.peerproject.eu

27. http://mi2s.imag.fr/pages_video/videos_journee_droit.html

28. www.a-brest.net/article6634.html

dix modèles réussis de libre accès éva-lués par Armbruster [1].

À propos de la légalité

Les aspects juridiques occupèrent une place importante à Nice, Metz et Paris. Le colloque de Nice a consacré une session entière à la propriété intellectuelle. Fabrice Siirianen, Carine Bernault et Danièle Bour-cier ont présenté la loi relative au droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi) de 2006 et les licences Creative Commons (CC). Faut-il créer un statut spécifique pour la pro-duction scientifique ? Pourquoi protéger davantage des œuvres qui sont déjà bien protégées ? Libre accès ne signifie pas libre utilisation. Les licences CC expriment la volonté de l’auteur d’autoriser telle ou telle exploitation de son œuvre en ligne. Mais, même sans les CC, l’utilisation de l’information en libre accès reste soumise au droit d’auteur.

À Metz, Marie Déroche, de l’université de Strasbourg, a présenté un contrat type de cession de droit qui encadre le dépôt d’une (post)publication dans une archive institutionnelle, en préservant les intérêts des auteurs, éditeurs et institutions. Mais les chercheurs préfèrent le principe d’une licence CC car elle ne cède aucun droit.

Comment garantir la légalité des dé-pôts ? Comment informer les chercheurs de leurs obligations et droits ? La jour-née de Paris a placé au centre du débat un projet dont Ghislaine Chartron avait déjà parlé à Metz : Héloïse, l’équivalent de RoMEO pour les éditeurs français. Le consortium britannique Sherpa 22 renseigne sur la politique open access d’environ 700 éditeurs (RoMEO)23 et 60 agences de moyens (JULIET)24. Le projet Héloïse complétera ce service avec des informations sur les éditeurs français et francophones, notamment en matière d’embargo (délai entre la publication par un éditeur et la mise en ligne du texte in-tégral dans une archive ouverte).

D’après Catherine Thiolon, Héloïse sera accessible via ProdInra, compatible

22. Une trentaine d’établissements de l’enseignement supérieur outre-Manche : www.sherpa.ac.uk

23. www.sherpa.ac.uk/romeo Le 700e éditeur sur le site RoMEO est AgroParisTech (ENGREF) avec la Revue forestière française sur le site I-Revues de l’Inist.

24. www.sherpa.ac.uk/juliet Pour la France, JULIET contient l’ANR et l’Inserm.

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[7] MESR (2010), Open Access in France. A State of the Art Report – April 2010, Ministère de l’Enseignement supé-rieur et de la Recherche.

Disponible en ligne : www.heal-link.gr/SELL/OA_reports/

FranceReport.pdf

[8] Joachim Schöpfel et Hélène Prost (2010), Développement et usage des archives ouvertes en France. Rapport. 1re partie : développement, Université Charles-de-Gaulle Lille 3, laboratoire Geriico.

Disponible en ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/

49/73/89/PDF/DUAO_Partie1.pdf

[4] Tom Cramer et Katherine Kott (2010), « Designing and implementing se-cond generation digital preservation services », D-Lib Magazine, 16(9/10).

Disponible en ligne : www.dlib.org/dlib/september10/

cramer/09cramer.html

[5] Claire Creaser et al. (2010), « Au-thors’ awareness and attitudes to-ward open access repositories », New Review of Academic Librarianship, 16: 1, 145 – 161, 2010.

Disponible en ligne : www.informaworld.com/smpp/

content~db=all?content=10.1080/ 13614533.2010.518851

[6] GFII (2010), Synthèse des discussions du groupe de travail sur le libre accès, Groupement français de l’industrie de l’information, coll. « Études et en-quêtes », 2010.

Disponible en ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/

document-48941

Bibliographie

[1] Chris Armbruster (2010), « Imple-menting Open Access: Policy Case Studies », Social Science Research Network Working Paper Series.

[2] Évelyne Broudoux et Ghislaine Chartron (2009), « La communica-tion scientifique face au web 2.0 : premiers constats et analyse », in : Imad Saleh et coll. (coordination), H2PTM’09 – rétrospective et perspec-tive 1989-2009, Hermès/Lavoisier, 2009.

Disponible en ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/

00/42/48/26/PDF/Broudoux-Chartron-H2PTM09-ComScW2.pdf

[3] Caroline Bruley et Claire Nguyen (2009), « Archives ouvertes », BBF, 2009, no 4, p. 100.

Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/ consulter/bbf-2009-04-0100-006

ou non, d’autres équipements, dans des « politiques de site », chacun de ces termes prêtant, on s’en doute, à d’infi-nies variations.

Un ensemble foisonnant et parfois fastidieux

Ces politiques induisent de très nombreux partenaires car, s’il faut conve-nir que l’université française est bien malade, les médecins (ou autres) sont nombreux à son chevet. L’État bien sûr, l’Union européenne parfois, les collectivi-tés territoriales de tous ordres plus sûre-ment. Chacun avec ses ambitions, ses façons d’être et de faire – ses moyens. Comment s’y retrouver ? C’était, à notre sens, le thème de la journée d’étude et, pour part, des débats qui l’avaient pré-cédée la veille. Il n’est pas sûr, au terme d’une bien longue journée, qu’on puisse avec décision répondre à cette question.

Dans un ensemble foisonnant, mais parfois un peu fastidieux, il est bien diffi-cile de traiter de telle ou telle intervention, mais, s’il fallait n’en retenir que deux, ce serait sans conteste celles de Michel De-neken, premier vice-président de l’univer-sité de Strasbourg, et celle de Michel Lus-sault, président de l’université de Lyon.

Le premier parla de « l’exemple stras-bourgeois », à savoir de la fusion pure et simple, actée en 2009, des trois univer-sités strasbourgeoises. Avec modestie et pragmatisme, il indiqua que, à son sens, l’exercice était « facile », et que « c’était presque un péché mortel que de ne pas fu-sionner ». Il insista sur le fait, sans doute fondamental car peu repris par les autres intervenants, que c’est de la base qu’a été initiée cette fusion, sans cacher les difficultés, notamment pour ce qui est de l’accompagnement social et (soyons clair) salarial d’une telle opération. Pour indiquer finalement qu’on avait privilégié « une fusion plutôt qu’un pôle de recherche

Les politiques de site

Pour son quarantième congrès, l’ADBU (Association des direc-teurs, des personnels de direction

des bibliothèques universitaires et de la documentation) avait choisi la bonne ville de Lyon, et la proximité (hélas, seu-lement la proximité) de son magnifique parc de la Tête d’or pour s’entretenir, le 10 septembre 2010, d’un sujet plutôt aride dans son énoncé, celui des « poli-tiques de site ». On se permettra d’en résumer brutalement la problématique : d’un côté, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), longtemps combattue, désormais quasi partout en vigueur, et qui renforce très largement et l’autonomie des universi-tés et les pouvoirs de son président et de son conseil d’administration dans la gestion de l’équipement, de ses person-nels, de ses ressources. De l’autre, un grand nombre de dispositifs, anciens ou modernes, qui se proposent de fédé-rer les universités et, accessoirement

40e CONGRèS DE L’ADBU

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Et pourtant, la tâche est immense : universités, Centre national de la re-cherche scientifique, autres grands orga-nismes de recherche, grandes écoles, etc. Tout cela est, « vu de Shanghai » (il en fut beaucoup question) parfaite-ment insensé, et, à part Strasbourg, peu d’exemples semblaient aller dans le sens de la simplification, plutôt d’un accom-modement d’avec la complexité au prix… d’une plus grande complexité, qui faisait penser à Labiche : « Le mariage, c’est ré-soudre à deux des problèmes que l’on aurait jamais eus tout seul. »

Et le pire est peut-être à venir, puisque, dans sa magistrale et dernière intervention en tant que président de l’ADBU, Albert Poirot dénonça le groupe de travail mis en place par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Re-cherche, au départ pour plancher sur le cas des bibliothèques interuniversitaires à l’heure de la LRU, mais au final pour réfléchir à la refonte des décrets fonda-teurs de 1985 et de 1991 sur la mise en place des services communs de la docu-mentation, symboles s’il en est d’une « politique de site » bien comprise. À l’heure où ces lignes paraîtront, la situa-tion aura sans doute évolué. Souhaitons que le syndrome de Labiche soit battu en brèche. •

Yves [email protected]

de cette journée. Dans le cas de Lyon, la tâche s’annonce rude : quatre univer-sités, quinze écoles et instituts (dont l’Enssib), et une « culture d’opposition » qu’il s’agira sinon de vaincre, du moins d’amadouer. Deux cents millions d’euros seraient prévus avec, parmi les compo-santes documentaires, la construction d’un silo semblable à celui du Centre technique du livre de l’enseignement su-périeur (CTLEs) pour accueillir les collec-tions peu utilisées des bibliothèques des différentes composantes.

Le syndrome de Labiche

Avec ce « balancement » entre deux villes, deux régions, deux cultures, deux approches, la journée ménagea un contrepoint idéal que, il faut l’avouer, d’autres interventions plus convenues, voire trop éloignées du sujet initial, ne purent que conforter dans leur excellence. Il fut, ainsi, beaucoup question d’évalua-tion, sans qu’on comprenne vraiment ce qu’il en retournait, plutôt effrayé à vrai dire de la complexité technocratique renouvelée des dispositifs, qui tentent de s’accommoder de ce « système anoma-lique » dénoncé (encore lui) par M. Lus-sault, et permettant de l’applaudir quand il déclara dans sa synthèse que l’on n’avait pas besoin de « l’État notaire des indicateurs produits par l’établissement ».

de l’enseignement supérieur (PRES) extrê-mement cosmétique », ajoutant même que, à son sens, la constitution de PRES entre universités ne pouvait être qu’une étape avant la fusion des établisse-ments impliqués. On ne sait trop si c’est en hommage au président sortant de l’ADBU, Albert Poirot, par ailleurs admi-nistrateur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU), mais la situation documentaire de Strasbourg, il est vrai en plein bouleversement, fut évoquée dans plusieurs autres interven-tions, cela dit jamais avec la même per-tinence et le même esprit d’à propos que ceux de M. Deneken.

Michel Lussault était, quant à lui, tout à la fois le « grand témoin de la journée » et le plus vigoureux avocat des PRES – en tout cas de « son » PRES, qu’il défendit avec vigueur, humour et concision, assénant d’emblée : « Aucun des problèmes d’un établissement ne peut être réglé au niveau d’un établissement. » Pour lui, l’affirmation de l’autonomie des universités n’est pas contradictoire avec la mise en œuvre de politiques co-opératives ambitieuses : on ne coopère vraiment que quand on est maître de sa destinée. L’idée est séduisante, certes, et les bibliothèques universitaires n’ont pas attendu de telles injonctions pour déve-lopper des « politiques de site », pardon, des programmes coopératifs, desquels il fut curieusement peu question lors

Bibliothécaires et jeunes publics face au numérique

Le 23 septembre 2010, la « Petite Bibliothèque ronde 1 » organisait, en partenariat avec la Caisse des

dépôts et le ministère de la Culture et de la Communication, un colloque consacré aux nouvelles pratiques culturelles des jeunes face au numérique.

1. www.lapetitebibliothequeronde.com

L’ombre des digital natives

Sous-titré « Y aura-t-il des enfants lecteurs au xxie siècle ? », le colloque s’est ouvert d’emblée par un rappel op-portun de la part de Bruno Jammes (bibliothèque des sciences et de l’indus-trie) : les espaces multimédias ont déjà une longue histoire en bibliothèque. La didacthèque de la Cité des sciences et de l’industrie proposait dès 1986 à ses usa-gers des postes informatiques et des lo-giciels. À l’époque, les enfants représen-tent tout de suite un public privilégié : le

plan « informatique pour tous », lancé en 1985, avait alors permis à une véritable offre de logiciels éducatifs de fleurir.

Depuis lors, il va sans dire que le rap-port des jeunes au numérique s’est méta-morphosé. La notion de digital natives, forgée par le sociologue Marc Prensky, renvoie à l’idée d’un véritable tour-nant générationnel opposant les jeunes « natifs du numérique » aux simples « migrants » initiés à cette culture sur le tard, comme à une langue étrangère. Le colloque fut largement hanté par cette interrogation inquiète : si les adolescents

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enfants 5, le nouveau portail jeunesse de la Bibliothèque nationale de France que présentait Françoise Juhel, relève à cet égard d’une démarche originale : des-tiné aux 8-12 ans, il permet d’explorer de façon ludique des ressources numérisées issues des collections patrimoniales de la BnF mais également de fonds d’éditeurs jeunesse partenaires.

La présence de Dominique Korach (Nathan Jeunesse) a permis de connaître le point de vue de l’un des éditeurs phares du secteur. Selon elle, le livre numérique représente à la fois une occa-sion de renouveler le genre du pop-up (les tablettes comme l’iPad ouvrent un champ de création ignoré des anciennes liseuses plus austères), mais aussi d’impliquer plus étroitement le jeune dans ses lectures, de façon ludique et sensorielle. La technologie de la réalité augmentée permet par exemple d’intera-gir via un ordinateur avec l’encyclopédie Dokéo de Nathan. Sur un registre voisin, Arnaud Vincenti et René Denis (Marlo Production) ont relaté l’expérience d’une heure du conte conduite à l’aide d’une interface tactile développée par leur société : le conteur déclenche lorsqu’il le souhaite sons, événements et anima-tions via un écran interactif qui tient lieu de kamishibaï électronique.

Hésitant entre le gadget et l’innova-tion, ces expériences encore tâtonnantes ne permettaient pas véritablement de dire, à l’issue de la journée, si les res-sources numériques constituent pour les bibliothèques jeunesse une innovation décisive face à des offres plus tradition-nelles, un bouleversement suffisamment important pour refonder notre culture professionnelle, une véritable plus-value pour l’usager, ou une simple mode, un enrobage technologique permettant d’at-tirer vers le livre un public volatile, plus familier des écrans et des claviers. •

Nicolas [email protected]

5. http://enfants.bnf.fr

y aurait lieu de parler, comme le propose Jean-Noël Lafargue, de « digital naïves 2 » !

Loin de disqualifier le bibliothécaire, ce mélange d’assurance et de mala-dresse qui caractérise les jeunes usa-gers le conforte dans son rôle de média-teur. À une condition toutefois : ne pas se contenter d’une simple logique de réponse à la demande. Un alignement d’écrans affichant la page d’accueil de Google ne représente aucune plus- value pour un public largement équipé à domi-cile. La légitimité des bibliothèques passe plutôt par des offres ciblées et originales. Pour les jeunes publics, il peut s’agir de portails jeunesse ou d’interfaces spé-cifiques d’interrogation du catalogue. Franck Queyraud a évoqué le blog ado-lescent Mediazone 3 de la bibliothèque de Saint-Raphaël et les rencontres autour du jeu en réseau Dofus ; Violette Kanma-cher les ateliers multimédias de la biblio-thèque municipale de Lyon.

Les échanges avec la salle ont permis de soulever la question de la formation des professionnels, tour à tour biblio-thécaires, animateurs et informaticiens, sans disposer toujours du temps ou des compétences nécessaires. Une solution possible réside dans les partenariats avec des structures comme le Cube 4. Représenté par Isabelle Simon Gilbert, ce centre, créé en 2001 à l’initiative de la ville d’Issy-les-Moulineaux, intervient dans le champ de la création, de la for-mation et de la médiation aux nouvelles technologies, avec une attention particu-lière pour les jeunes (ateliers de création, clubs d’activités, anniversaires multimé-dias, accueils de classes, etc.).

Des contenus numériques encore balbutiants

Construire des offres à la fois inno-vantes et intéressantes pour les usagers suppose de disposer de contenus à forte valeur ajoutée. Or, on sait que l’édition numérique en est encore à ses balbutie-ments. La bibliothèque numérique des

2. « Les jeunes ne sont plus intéressés par l’outil-ordi », entretien avec Astrid Girardeaux, sur le site Écrans : http://ecrans.fr/Les-jeunes-ne-sont-plus-interesses,9392.html

3. www.bm-saintraphael.fr/blog/mediazone

4. www.lecube.com

disposent d’une affinité presque innée avec les ordinateurs, quel intérêt peuvent-ils trouver dans nos bibliothèques ? Com-ment conforter la place et les missions de nos établissements vis-à-vis de ces jeunes surdoués ?

La légitimité des bibliothèques interpelée

Pour les intervenants venus du nord de l’Europe, comme Sergio Dogliani (Idea Stores, Londres), Jannick Mulvad (concepteur de l’Interactive Children Li-brary de Aarhus, au Danemark) ou Karen Bertrams (Probiblio, Pays-Bas), il revient indiscutablement aux bibliothèques de se renouveler de fond en comble en tenant compte des attentes de ces nouvelles générations (connectivité, interactivité, convivialité), en recourant si nécessaire à d’importantes enquêtes de public, aux techniques du marketing, et bien sûr aux technologies informatiques (jeux vidéo, réseaux sociaux…).

À l’inverse, d’autres professionnels ont préféré défendre le cœur de métier des bibliothèques. Ainsi, pour Geneviève Patte (fondatrice de la Joie par les livres), internet prétend créer des « liens », mais ce sont les bibliothécaires de chair et d’os qui savent mieux qu’aucun écran instaurer un véritable échange convivial autour du livre.

Yann Leroux (psychanalyste, Obser-vatoire des mondes numériques) avait opté quant à lui pour une stratégie dif-férente : plutôt que d’opposer la culture traditionnelle et les nouvelles technolo-gies, il s’est efforcé de souligner leurs affinités. Les jeux vidéo, par exemple, contribuent comme les livres au déve-loppement de la personnalité, à la cana-lisation des pulsions, à la mise en forme d’expériences intimes, ou à l’exploration de mondes imaginaires.

Inventer une offre spécifique

L’intervention d’Axelle Dessaint (Ter-ritoires 21) permettait de dépasser ces postures quelque peu crispées en por-tant d’abord un regard critique sur les prédispositions supposées des jeunes face au numérique. En effet, si les adoles-cents doutent rarement de leurs compé-tences, on réalise dans les faits que leurs horizons sont des plus bornés : un ado connaît en moyenne cinq sites internet. Il

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important travail a été complété par la signature de conventions constituant des pôles associés régionaux pour la valorisa-tion de leurs fonds patrimoniaux via des programmes de rétroconversion alimen-tant le CCFr. La constitution de ces pôles leur a permis de bénéficier du soutien de la BnF sur les aspects techniques et financiers (jusqu’à 50 % pour la rétrocon-version). Déjà, les acteurs réfléchissent à la suite, qui concernera la numérisa-tion et la valorisation via des portails régionaux. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 91 fiches descriptives de fonds pour 28 établissements ont été ajoutées dans le RNBFD (Répertoire national des biblio-thèques et des fonds documentaires) et signalées dans le CCFr et sur le portail régional du livre Eulalie 4. Actuellement, une large enquête auprès de tous types d’établissement vise à préciser les fonds patrimoniaux numérisés et « numéri-sables » dans la région.

Numérisation

La table ronde « Bibliothèques natio-nales et coopération numérique » animée par Arnaud Beaufort, directeur des ser-vices et des réseaux et directeur général adjoint à la BnF, et Bruno Sagna, chargé de mission pour les relations interna-tionales à la BnF, a réuni des collègues belges, anglais et hollandais. Les inter-ventions ont principalement porté sur les programmes de numérisation mis en œuvre par les bibliothèques nationales de ces pays.

Frédéric Lemmers, de la Bibliothèque royale (KBR) de Belgique, a rappelé le contexte institutionnel de son pays, dans lequel les actions de numérisation sont nécessairement réparties entre le niveau fédéral et les entités fédérées, flamandes

4. www.eulalie.fr

et wallonnes, qui disposent de la com-pétence culturelle. Au niveau fédéral, le programme Digipat 5, lancé en 2004, a permis de rétroconvertir 1,5 million de notices des fonds des établissements scientifiques fédéraux et de numériser 40 titres de la presse quotidienne belge et de la presse clandestine pendant les deux guerres mondiales, soit 3 % des col-lections de la KBR. Le portail numérique Belgica 6 ne permet pas de consulter ces titres à cause de problèmes de copyright, mais ils peuvent l’être à la KBR. En 2010, un appel d’offres, dans le cadre d’un par-tenariat public-privé, a été lancé pour la numérisation des 10 milliards de pages du patrimoine libres de droit. Le budget d’investissement est estimé à 150 mil-lions d’euros, en échange de vingt ans d’exploitation commerciale non exclusive.

Pour le Royaume-Uni, Jamie An-drews, de la British Library (BL), men-tionne que vient d’être créé un départe-ment « digital research » chargé d’aider les « conservateurs traditionnels » sur les questions du numérique et de la numé-risation. Il a souhaité placer la réflexion dans le cadre du texte « Cloud Culture, the future of global cultural relations » rédigé par le think tank « Counterpoint » du British Council, qui pose la question du financement de la numérisation, et dans celui du rapport « Digital Britain » qui n’aborde pas le sujet de la numéri-sation du patrimoine... Il a ensuite men-tionné des projets de numérisation qui se déroulent généralement dans un cadre d’économie mixte (avec Microsoft pour 65 000 livres du xixe siècle imprimables à la demande via un partenariat avec Amazon, et avec BrightSolid portant sur 40 millions de pages de journaux du do-maine public et sous droits dont l’accès sera gratuit à la BL et payant hors les

5. http://digipat.stis.belspo.be/digipat.asp?lang=FR

6. http://belgica.kbr.be/fr/accueil_fr.html

Signalement, numérisation et valorisation

Les 13es Journées des pôles asso-ciés et de la coopération de la Bibliothèque nationale de France

(BnF)1ont réuni, les 7 et 8 octobre der-niers, près de 200 participants, dont cer-tains venus de Belgique, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.

Signalement

Comme l’ont rappelé nombre d’inter-venants, avant de numériser, il convient de signaler. À cet égard, le Catalogue collectif de France (CCFr)2, présenté par Véronique Falconnet, chef du service du CCFr au département de la Coopération à la BnF est, sans aucun doute, un outil important 3. Le CCFr accueille depuis fin 2010 une interface dédiée aux partitions patrimoniales qui permet d’interroger le Répertoire international des sources musicales (RISM-France) ainsi que le résultat de la rétroconversion des 36 ca-talogues du Patrimoine musical régional (PMR).

Puisque l’heure était à la co opération régionale, on a pu rêver avec la présen-tation imag(in)ée d’une interface « per-sonnalisable » du CCFr, sorte de portail régional « clé en main ». On a aussi pu regretter le fait que le référencement des notices du CCFr dans le moteur de recherche Google soit encore à améliorer.

Avant de signaler, de faire connaître, il faut d’abord connaître, c’est-à-dire recenser. C’est ce qu’ont illustré les agences régionales du livre en Picar-die (Picasco) et Haute-Normandie. Cet

1. www.bnf.fr/fr/professionnels/journees_poles_associes/a.13es_journees_poles_associes.html

2. www.ccfr.bnf.fr

3. Voir, dans ce numéro, l’article de Véronique Falconnet, Jérôme Sirdey et Xavier Borda, « Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venir », p. 71-76.

13es JOURNÉES DES PôLES ASSOCIÉS ET DE LA COOPÉRATION

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Guadeloupe et Guyane, le conseil régio-nal de la Guadeloupe, la ville de Pointe-à-Pitre, et le conseil général de Guyane. Il offre l’accès à la fois aux collections patri-moniales (livres numériques avec liseuse exportable et images détourées libre-ment réutilisables) et à des documents contemporains, ainsi qu’au catalogue collectif des périodiques. Sa richesse, qui mêle patrimoine et documents contem-porains, souligne la diversité culturelle et actuelle de ces territoires au-delà de l’his-toire coloniale.

En Franche-Comté, un portail régio-nal concernant le patrimoine écrit dans son ensemble (musées, bibliothèques, sociétés savantes et archives) sera mis en œuvre en janvier 2011. Il est porté par l’Agence régionale de coopération de Franche-Comté, lecture, audiovisuel et documentation (Accolad).

La valorisation du patrimoine numé-rique écrit passe nécessairement par Gal-lica, que Frédéric Martin, chef du service Pôles associés – Gallica et chef de pro-duit Gallica, et Guillaume Godet, chef de projet « Services numériques aux biblio-thèques et aux éditeurs » au département de la Coopération de la BnF, ont présenté comme une plateforme numérique au service des bibliothèques.

F. Martin a décrit le partenariat avec Wikimedia France sur la correction col-laborative des textes de 1 400 ouvrages ; la présence de Gallica sur Facebook, Twitter et les services associés comme la page Netvibes ; la lettre mensuelle et le blog Gallica, ainsi que l’impression à la demande (avec TheBookEdition.com et i-kiosque). Parmi les nouveautés, on notera le prochain renouvellement du moteur de recherche, la volonté accrue de développer la valorisation édito-riale, la mise en ligne d’une sélection de contenus sur des sites de partage (tels que Flickr ou Scribd), et l’accord avec Microsoft pour un meilleur référence-ment des documents dans le moteur de recherche Bing. Du côté du partenariat avec l’édition, huit nouveaux partenaires viendront enrichir l’offre de 30 000 docu-ments sous droits proposés par les treize « e-distributeurs » actuels. Une nouvelle ergonomie pour la présentation de ces documents permettra de séparer feuille-tage et achat et offrira des liens de re-bond sur le modèle d’Amazon.

G. Godet a, quant à lui, détaillé les partenariats entre Gallica et les biblio-thèques. Le moissonnage OAI, qui per-met de signaler dans Gallica, avec ren-voi sur le site source, des documents

qui pourrait entraîner des changements dans les modalités.

Les actions en matière de numé-risation de la BnF s’inscrivent dans le contexte du contrat de performance 2009-2011 prolongé jusqu’en 2013 qui établit la BnF comme une bibliothèque numérique de référence dans un cadre collaboratif ; du rapport « Schéma nu-mérique des bibliothèques », qui re-commande le développement de pro-grammes coopératifs de numérisation et de réservoirs de données OAI ; et du rap-port 2009 de l’Inspection générale des finances qui demande à la BnF de passer à une logique plus quantitative et parte-nariale. Le budget global est de 3 millions d’euros, pour des financements pouvant représenter jusqu’à 50 % du coût de l’opération (hors frais de personnel et de matériel) dans le cadre, soit d’un pôle as-socié, soit d’un appel à projets de numé-risation concertée thématique. Enfin, des crédits du Centre national du livre per-mettront d’intégrer, en 2011-2014, des bi-bliothèques partenaires dans les marchés de numérisation de la BnF, qui ont pour objectif d’inclure 20 000 livres par an (un tiers du total) fournis par les partenaires qui récupèrent ensuite les fichiers numé-riques.

Valorisation

En Languedoc-Roussillon, le portail « Culture et patrimoine » renvoie vers les sites des musées, archives et biblio-thèques 7. Ce portail montre la pertinence de l’échelon régional, qui gère l’inventaire du patrimoine mais aussi les musées et centres d’art contemporain. L’encadre-ment fourni par la constitution du pôle associé régional a servi de catalyseur pour tous les acteurs de la numérisation et de la valorisation. À l’avenir, le portail devrait se doter d’un moissonneur OAI pour l’intégration dans Gallica, et devrait mettre en ligne des œuvres sous droits.

Le portail Manioc 8 est une biblio-thèque numérique initiée en 2006 par le service commun de la documentation (SCD) de l’université des Antilles et de la Guyane et financée depuis par le minis-tère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Il a bénéficié du sou-tien du pôle associé interrégional consti-tué par la BnF, les Drac de Martinique,

7. www.laregion-culture.fr

8. www.manioc.org

murs), mais aussi grâce au mécénat et, parfois, avec des subventions publiques telles celles du Joint Information System Committee, qui finance la numérisation des œuvres des poètes de la Première Guerre mondiale, les archives gouver-nementales du début du xxe siècle, des enregistrements sonores et des jour-naux du xixe siècle. Enfin, J. Andrews a mentionné le programme de numérisa-tion européen, toujours sur la Première Guerre mondiale, auquel participe la BL.

Hans Jansen, de la Bibliothèque royale des Pays-Bas (KB), a indiqué qu’il n’y avait pas de politique nationale de numérisation dans son pays et que la volonté de mettre en place un portail unique d’accès aux documents numéri-sés était confrontée à la situation éco-nomique difficile. Cependant, le plan stratégique 2010-2013 de la KB vise à la numérisation de l’ensemble des col-lections pour 2030. Le financement de ce plan est en partie public et en par-tie avec des partenaires privés comme Google (convention pour 32 millions de pages d’ouvrages entre 1700 et 1900) et ProQuest (négociation en cours pour les livres antérieurs à 1700).

Concernant la France, Fabien Plazan-net, chef du département du Patrimoine et de la Politique numérique au service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication (MCC) et Aline Girard, directrice du départe-ment de la Coopération à la BnF, ont synthétisé les dispositifs de financement pour la numérisation et le développe-ment numérique des bibliothèques.

On notera du côté du ministère l’ap-pel à projet de numérisation 2011 prévu pour financer des projets d’une durée d’un an maximum, et les dispositifs rela-tifs à la numérisation issus des 14 pro-positions pour le développement de la lecture. Le contrat numérique pour les médiathèques permet de financer l’infor-matisation d’établissements, la mise en place de nouveaux services aux usagers et des opérations de numérisation (finan-cement jusqu’à 60 % pour numérisation externe de documents libres de droits), tandis que la mise à disposition de conservateurs d’État et des financements sont accordés pour la constitution des cinq grandes bibliothèques numériques de référence dont la première sera, sans doute, celle de l’Orléanais et du Centre. Ces financements étant réalisés par le concours particulier de la dotation géné-rale de décentralisation (DGD), il faudra suivre l’actualité de la réforme territoriale

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tue le véritable retour sur investissement du numérique. Sa mise en œuvre doit tenir compte de la dimension territoriale et intégrer des problématiques transver-sales avec des pratiques telles que la coo-pération, le souci de l’interopérabilité, le moissonnage croisé et le sourçage.

L’avenir, pour la BnF, passe par l’usage des fonds du Grand emprunt dans le domaine du patrimoine. La ques-tion des modèles économiques ayant pris de l’importance, la BnF doit y tra vailler avec des partenaires privés. Du côté du MCC et du MESR, la coordination est à l’ordre du jour avec la mise en place d’un comité de pilotage conjoint pour la future commission Bibliothèques numé-riques, présidée par Pierre Carbone. Cette commission est chargée de mettre en œuvre les recommandations du rapport « Schéma numérique des bibliothèques » dans les domaines prioritaires suivants : les acquisitions numériques, la numéri-sation, l’archivage pérenne et l’évalua-tion. •

Jean-Jacques [email protected]

et numérique à la BnF, a brièvement pré-senté le projet de « pivot documentaire » (ou data.bnf.fr) qui consiste à fédérer les données pour améliorer l’accès aux ressources de la bibliothèque depuis les moteurs de recherche. Il s’agit d’aboutir à un très bon référencement dans ces moteurs de « pages d’atterrissage » qui regroupent et alignent les données de la bibliothèque avec les notions d’œuvres et d’auteurs comme pivot.

Demain, le patrimoine et le numérique

La reconnaissance de l’importance du signalement comme préalable à la numérisation et de la nécessaire valo-risation comme objectif subséquent au signalement et à la numérisation est fondamentale. Le numérique permet de constituer un véritable réseau de biblio-thèques offrant des services innovants à un large public. L’accès ouvert aux ressources favorise le partage qui, vu comme une externalité positive, consti-

externes aux collections de la BnF, a, depuis le début 2010, multiplié par deux le nombre de documents concer-nés (31 000) et devrait bientôt intégrer quatre nouvelles sources. Le nombre de visiteurs qui se rendent sur les sites des partenaires est en progression. La numé-risation par la BnF de documents « prê-tés » par les partenaires devrait passer de 101 000 pages en 2009 à 800 000 en 2010, avec une meilleure mise en valeur de la mention de source et la possibilité de rechercher ces documents par leur origine. Il y a aussi le projet d’une offre « Gallica Marque Blanche » qui pourrait intéresser, par exemple, des établisse-ments sans bibliothèque numérique souhaitant utiliser ce moyen pour valori-ser les documents qu’ils ont prêtés à la BnF lors de leur numérisation. Enfin, le Système de préservation et d’archivage réparti (SPAR) sera en test à la fin 2010 et devrait être ouvert aux partenaires de Gallica.

Plus prospectif, Romain Wenz, res-ponsable de data.bnf.fr au sein du dépar-tement de l’Information bibliographique

représentée par Michèle Nardi, le conseil général de la Martinique ainsi que la Région Martinique ont soutenu cette manifestation très attendue par les parti-cipants. En dix années, il est peu de dire que le paysage de l’information a changé, plongeant la profession de plain-pied dans l’ère du numérique.

Le professeur Jean Bernabé, linguiste et écrivain, a introduit de belle façon les Assises en mentionnant la biblio-thèque comme « outil d’ingénierie sociale, permettant de mieux vivre ensemble » : la mondialisation est vue comme une mise en relation des individus où l’on

parle de culture, de civilisation et de civi-lité. Les Antilles sont un carrefour entre l’Europe, l’Afrique, l’Orient, le Levant, où la question de l’identité se pose. Il faut « apprendre à lire le monde, qui est un grand livre ». La bibliothèque est devenue « transculturelle ». Les participants ont particulièrement apprécié les interven-tions d’Anne-Laure Collomb, responsable du Guichet du Savoir à la bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, et de Jean-Philippe Accart, de l’université de Genève. Les pistes dégagées par ces types de service de référence en ligne seront certainement utiles localement.

Les 2es Assises de la lecture publique en Martinique ou « lire le monde comme un grand livre »

Après une première édition en 2000, la seconde édition des Assises de la lecture publique

en Martinique a eu lieu les 17 et 18 novembre 2010 à Fort-de-France, et une centaine de professionnels ont pu échanger autour du thème « Livres, multimédia et internet : quels nou-veaux enjeux pour les bibliothèques ? ». L’Association des bibliothèques publiques de Martinique (ABPM) et sa dynamique présidente Anique Sylvestre – en outre directrice de la Bibliothèque Schoelcher –, la direction régionale des affaires culturelles de Martinique (Drac)

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l’information, en charge de la gestion de trente bibliothèques de proximité, expose le Plan d’action post-séisme à court, moyen et long terme élaboré par les pro-fessionnels. Alice Gradel, conservateur, adjointe au directeur du service commun de la documentation, lance la discussion en présentant les actions concrètes de collaboration entre le service commun de la documentation, Bibliothèques sans frontières et Haïti, et pose la délicate question du don de livres. •

Marie-Françoise Bernabé [email protected]

Jean-Philippe [email protected]

de la moyenne nationale. Raoul Maran, évoquant les grandes lignes du plan aca-démique, rend compte de la riche expé-rience « programme parler », menée dans les communes du Marin, du François et de Saint-Pierre, et intégrée dans le Plan régional d’action 2011-2013.

Vif débat autour du livre aux Antilles

La table ronde sur l’édition, la dif-fusion et la distribution du livre aux An-tilles, objet d’un débat passionné entre auteurs, éditeurs, libraires, diffuseurs, réunis autour d’Arlette Pacquit, journa-liste, a montré l’acuité du problème en Martinique, pays de très grande produc-tion desservi par une médiocre diffusion et menacé de tomber partiellement dans l’oubli, faute de réédition. Tous les handi-caps répertoriés amènent le débat sur le projet d’agence régionale du livre, pour lequel, depuis trois ans, Madame Nardi, de la Drac, a constitué un groupe de tra-vail. À ce sujet, Yvette Gallot, représen-tante du conseil régional, précise l’état de la réflexion des élus, soucieux de sou-tenir la production locale du livre comme facteur de promotion des langues et cultures créoles.

Dix ans après

Les premières Assises avaient établi un constat général de carence en matière de mètres carrés de bibliothèque, de formations initiale et continue des per-sonnels, de chiffres fiables, et surtout de volonté politique affirmée. Dix ans après, le déficit a été pratiquement comblé en Martinique. Dans sa conclusion, au terme d’une journée et demie d’intenses travaux, Anique Sylvestre insiste avec raison sur l’ampleur des tâches à venir, forcément tributaires d’une collabora-tion améliorée des différents acteurs. Un constat final : de notables progrès accomplis, une feuille de route et des projets émergents, propres à améliorer le « mieux vivre ensemble » de la popula-tion martiniquaise.

Le Plan d’action post-séisme pour Haïti

Dernière demi-journée dédiée à la si-tuation du livre et de la lecture en Haïti : Érik Toussaint, ingénieur en sciences de

Les bibliothèques en Martinique : trente ans d’existence, et de nombreux projets

En Martinique, le mariage réussi entre cyberbase et bibliothèque munici-pale de Rivière-Salée offre un exemple de collaboration intelligente entre deux ser-vices municipaux. Le projet Ribino (Ré-seau informatisé des bibliothèques du Nord), mené sans réelle implication des bibliothèques concernées et non abouti depuis des années, permet en contre-point de mesurer les effets néfastes d’une gestion technocratique. Béa Bazile, directrice de la bibliothèque départe-mentale de prêt (BDP) de Guadeloupe, expose un bilan très documenté de la mise en application du « Plan développe-ment lecture » signé il y a une quinzaine d’années entre conseil régional, conseil général et Drac : toutes les communes guadeloupéennes, à une exception près, participent au réseau informatique de la BDP. Le Portail documentaire guadelou-péen, incluant toutes les bibliothèques, y compris universitaires, est pour bientôt. Simone Marie-Rose, directrice de la BDP de Martinique, détaille le plan dépar-temental de lecture publique en Marti-nique, voté et appliqué depuis deux ans. Le débat suggère la nécessité d’un dia-logue entre l’ensemble des élus et leurs bibliothèques prenant en compte l’exis-tant et cherchant des solutions pour le faire évoluer au mieux.

Le rôle de la lecture publique dans la lutte contre un important problème d’illettrisme

Marcellin Nadeau, président de la commission culture du département, évoque les principales dispositions prises pour la lecture publique, véritable enjeu pour la solidarité. Il rappelle que la popu-lation en Martinique (soit 402 000 habi-tants) compte un peu plus de 15 % d’illet-trés (9 % en métropole) : l’objectif visé est bien entendu la réduction dans les cinq ans de ce chiffre. Sont ensuite men-tionnés les contrats territoires-lecture, qui sont de véritables partenariats entre les différents acteurs de la lecture. À sa suite, Myriam Sangre détaille les raisons qui font que la Martinique déplore un pourcentage qui est presque le double

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S’appuyant sur l’exemple de Google Books, Ahmed Hidass, de l’Institut supérieur de l’information et de la com-munication (Maroc), s’est penché sur quelques aspects juridiques des projets de bibliothèques numériques mondiales. Entre la gestion des droits d’auteur et les intérêts financiers en jeu, les biblio-thèques virtuelles posent aujourd’hui de nombreux problèmes juridiques, éco-nomiques et éthiques. Le débat sur leur avenir reste ouvert, mais des éléments de réponse sont probablement à chercher du côté de la philosophie du partage et de l’open access qui propose une nou-velle vision de la propriété intellectuelle en accord avec les idéaux de la société numérique.

Les médiations culturelles à l’ère du numérique en Tunisie et dans l’espace euro-méditerranéen

Safi Chehimi, de l’Institut supé-rieur de documentation de Tunis, et Fredj Zamit, de l’université Paul Ver-laine – Metz, ont successivement abordé le rôle des nouveaux médias dans la mé-diation du patrimoine culturel immatériel et des événements politiques. Si on peut déplorer l’apparente marchandisation du patrimoine ancestral dans les pays du Maghreb, comme le prouvent deux en-quêtes réalisées dans le sud-ouest tuni-sien, internet se présente comme un es-pace alternatif de médiation mémorielle et historique qui pourrait permettre aux jeunes générations de se réapproprier le patrimoine immatériel grâce à la mise en visibilité et l’archivage de nombreux documents à valeur historique. L’examen d’un corpus de contenus multimédias

consacrés à la carrière de l’ex-président tunisien Bourguiba, occultée par les mé-dias traditionnels (voire par la mémoire collective), fournit un exemple concret d’une construction d’un lieu de mémoire et d’histoire sur internet.

Les nouveaux médias font également évoluer les stratégies et les dispositifs de médiation environnementale. Sur la base du projet de recherche européen Fire Paradox impliquant trente-six parte-naires de seize pays, Patrick-Yves Badillo, professeur à l’université Aix-Marseille, et ses collègues ont analysé les apports des dispositifs numériques participatifs pour sensibiliser la population à la prévention des feux de forêt. Les résultats issus des enquêtes en ligne et de l’observation des communautés numériques confirment l’impact positif des échanges entre les internautes et quelques individus relais d’information et d’opinion, impact qui peut être plus important que la com-munication traditionnelle, générale, des organisations. Les médias sociaux numé-riques favorisent l’interaction, l’empathie et la confiance au sein des communautés d’usagers en ligne, ce qui les rendrait plus efficaces pour la diffusion des mes-sages de sensibilisation et de prévention.

L’appropriation et les usages des technologies de l’information et de la communication dans les pays du Maghreb

Le déploiement des technologies de l’information et de la communica-tion dans les pays du Maghreb soulève de nombreuses questions concernant l’appropriation et l’usage des nouveaux outils numériques. Nabil Ghaoui, de l’université Lyon 2, et Tarek Ouerfelli, de

Deuxième colloque bilatéral franco-tunisien des sciences de l’information et de la communication

Les 9 et le 10 décembre 2010 s’est tenu à Toulon le deuxième col-loque bilatéral franco-tunisien des

sciences de l’information et de la com-munication. Organisé par le laboratoire I3M de l’université du Sud Toulon-Var avec le concours de la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC), ce colloque s’inscrit dans la continuité des travaux scientifiques initiés lors du colloque d’avril 2008 et faisant suite au Sommet mondial sur la société de l’information.

Les nouveaux défis des bibliothèques de la région de Constantine

Dans un monde marqué par le nu-mérique, il semble impératif de repenser le rôle et les compétences du bibliothé-caire afin que celui-ci puisse s’adapter au nouvel environnement information-nel et aux nouvelles réalités sociétales. Azzedine Bouderbane, maître de confé-rences au département de Bibliothéco-nomie de l’université de Constantine, et ses collègues ont mené une enquête auprès de 80 bibliothécaires de la région de Constantine pour mieux comprendre leur perception de la mutation informa-tionnelle engendrée par les technologies de l’information et de la communica-tion, et leur sentiment sur l’avenir de la bibliothèque publique. Malgré le manque de maîtrise informatique et de moyens financiers, les bibliothécaires algériens se montrent prêts à relever le défi de la société numérique. Mais derrière cette position se cache également l’inquié-tude sur l’avenir de l’institution et, plus trivialement, la peur de perdre son em-ploi si les bibliothèques venaient à dispa-raître.

96 bbf : 2011 t. 56, no 2

du web 2.0. Une autre récente évolution concerne le développement de la télévi-sion mobile interactive. Franck Debos, maître de conférences à l’université de Nice, a abordé la question des usages et des communautés d’utilisateurs de cette nouvelle génération d’images véhiculées par le téléphone portable. Si ce type de média semble correspondre aux besoins des consommateurs en quête d’usages nomades, beaucoup de chemin reste à parcourir, à savoir enrichir et diversifier les contenus, pallier les contraintes tech-niques, et surtout déterminer un business model performant.

Particulièrement riches, les échanges avec la salle ont ponctué les présenta-tions des intervenants. Ils témoignent de l’actualité des problématiques abordées lors de ces journées, et de l’intérêt que leur portent les chercheurs des deux rives de la Méditerranée. •

Natacha [email protected]

la nécessité pour les journalistes d’adop-ter de nouveaux outils de travail collabo-ratif et, plus globalement, de repenser le modèle de formalisation et de capitali-sation des connaissances au sein d’une entreprise de presse.

Les nouveaux modes de consommation des médias sur les deux rives de la Méditerranée

Les technologies de l’information et de la communication changent égale-ment les modes de consommation des médias traditionnels. Comme l’a expliqué Hamida El Bour de l’Institut de presse et des sciences de l’information de Tunis, les médias écrits tunisiens tentent de développer des stratégies pour maintenir le lectorat existant et gagner de nouveaux lecteurs. Plusieurs journaux quotidiens proposent dorénavant une version élec-tronique. Cependant, les professionnels de la presse tunisienne regrettent que cette politique de fidélisation ne s’appuie pas sur les études d’audience, trop coû-teuses, mais sur des réactions de lec-teurs récoltées au hasard.

Qu’en est-il de la qualité des écrits produits par les rédacteurs volontaires de sites d’information ? Pour répondre à cette question, Moncef Ayari, maître-assistant à l’Institut de presse et des sciences de l’information de Tunis, a ana-lysé un échantillon d’articles diffusés sur deux sites web d’actualités, AgoraVox TV et OhmyNews. Les résultats de son étude montrent que, malgré la difficulté pour les journalistes amateurs de se confor-mer aux règles techniques et déontolo-giques de rédaction journalistique, les nouveaux médias citoyens ont réussi la cohabitation, voire la collaboration avec les médias écrits traditionnels.

Enfin, les technologies de l’informa-tion et de la communication ont engen-dré des changements dans les modes de consommation de la télévision. Laure Bolka-Tabary, maître de conférences à l’université Lille 3, a esquissé l’évolution de l’offre des sites web des chaînes de té-lévision depuis les dix dernières années, et a proposé une analyse des discours numériques accompagnant les contenus télévisuels. Après la multiplication des weblogs et forums de discussion dédiés aux émissions, les documents natifs de la télévision investissent aujourd’hui les réseaux sociaux et autres espaces

l’Institut supérieur de documentation de Tunis, se sont interrogés sur la qualité de l’environnement numérique des ins-titutions pédagogiques tunisiennes en analysant respectivement les sites web des écoles et départements en sciences de l’information et les contenus pédago-giques hébergés sur le site web de l’Uni-versité virtuelle de Tunis. Compte tenu de nombreuses lacunes et défaillances constatées tant dans l’organisation que dans le contenu des éléments analysés, leur efficacité et leur utilité pédagogique sont remises en question.

Si l’espace web tunisien semble encore en stade de développement, qu’en est-il de l’appropriation par les usagers des ressources disponibles en ligne ? C’est la question que se sont posée Besma Bsir Mkadmi et Abderrazak Mkadmi de l’Institut supérieur de docu-mentation de Tunis. Ils se sont intéres-sés aux pratiques de lecture numérique et aux usages du web participatif dans le cadre scientifique. L’enquête menée en 2008 auprès des enseignants chercheurs tunisiens met en évidence une moindre utilisation des outils numériques chez les femmes (elles accèdent moins sou-vent aux ressources numériques, privi-légient la lecture papier, et sont moins impliquées dans les communautés scien-tifiques virtuelles), et chez les chercheurs plus âgés ayant moins de repères dans le monde numérique. Il existe également une différence entre les chercheurs des sciences sociales et des sciences dures : ces derniers sont plus enclins à diffuser leurs travaux scientifiques sur internet et utilisent les outils du web 2.0 de manière plus régulière.

La question de l’usage des res-sources numériques a ensuite été abor-dée dans le contexte des pratiques pro-fessionnelles des journalistes. Aïssa Merah, maître-assistant à l’université de Béjaïa (Algérie), a examiné l’usage des sources d’information médicale sur in-ternet par les journalistes de santé de la presse quotidienne nationale en Algérie. Il a souligné la prolifération des sources numériques dans le domaine de la santé. Afin d’assurer la crédibilité des informa-tions restituées, il serait important que les journalistes acquièrent de nouvelles compétences techniques et information-nelles leur permettant de tirer pleine-ment profit des ressources du web. Se basant sur une enquête menée auprès de l’Agence Tunis Afrique Presse, Yousra Se-ghir de l’Institut supérieur de documen-tation de Tunis a, quant à elle, insisté sur

Pierre Bourdieu et Roger Chartier Le sociologue et l’historien

Les historiens français à l’œuvre. 1995-2010 Sous la direction de Jean-François Sirinelli, Pascal Cauchy et Claude Gauvard

Anne-Marie Bertrand

André Cabanis et Michel Louis Martin L’universitaire dans tous ses états

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Thierry Grillet La tour des temps

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Gérard Mauger, Claude Poliak et Bernard Pudal Histoires de lecteurs

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Chris Oliver Introducing RDA : A Guide to the Basics

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Frédéric Poulard Conservateurs de musées et politiques culturelles. L’impulsion territoriale

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George Steiner Lectures : Chroniques du New Yorker

Sylvie Ducas

Lire, voir, entendre : la réception des objets médiatiques Sous la direction de Pascale Goetschel, François Jost et Myriam Tsikounas

Joëlle Garcia

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Pierre Bourdieu et Roger ChartierLe sociologue et l’historienMarseille, Agone & Raisons d’Agir, 2010, 104 p., 21 cmColl. Banc d’essaisISBN 978-2-7489-0118-4 : 13 €

Les historiens français à l’œuvre. 1995-2010Sous la direction de Jean-François Sirinelli, Pascal Cauchy et Claude GauvardParis, PUF, 2010, 328 p., 22 cmISBN 978-2-13-058498-8 : 29 €

Plusieurs éléments récents (le colloque « Sciences de l’information et des bibliothèques :

quel dialogue ? », la réflexion sur la politique scientifique de l’Enssib) ont placé les questions épistémologiques au premier plan de mon horizon personnel. Ces deux ouvrages, à des titres divers, ont enrichi cette interrogation. J’évoquerai le contenu de chacun d’eux, avant de traiter de certains points de rencontre, d’interrogations communes aux deux.

Le sociologue au regard de l’historien

Ce joli petit livre reprend le texte de cinq entretiens entre Pierre Bourdieu et Roger Chartier, enregistrés en décembre 1987 et diffusés en 1988 sur France Culture dans la série « À voix nue ». Il faudrait plutôt dire « entretiens de Pierre Bourdieu avec Roger Chartier », le premier étant l’objet de ces émissions, le second en étant l’animateur – certes éminent. L’origine

orale de ces interventions ne nuit pas du tout à la lecture : le travail éditorial a été fait, il reste très peu de scories (une phrase pas finie, des « si j’ai encore une minute », le tutoiement, la fin abrupte des textes qui devaient, j’imagine, avoir une phrase de clôture à l’antenne).Ces cinq textes sont précédés d’une préface où Roger Chartier redessine le paysage intellectuel à l’époque de ces entretiens, rappelle la chronologie éditoriale de Bourdieu (La distinction 1 a été publiée, et sévèrement attaquée, il travaille à ce qui deviendra Les règles de l’art 2), et souligne l’étrangeté de sa position scientifique : « Le sujet qui produit la connaissance est lui-même pris dans l’objet à connaître » – étrangeté qui à vrai dire n’est pas propre aux sociologues, y compris ceux qui travaillent sur leur propre milieu, mais qui est partagée, par exemple, par les historiens du temps présent ou par les lettrés travaillant sur les pratiques de lecture. Je souligne ce point parce que Roger Chartier y revient dans le premier entretien, soulignant que « le sociologue débat de choses vivantes » – ce qui ne lui est pas propre.Les cinq entretiens sont thématisés : « Le métier de sociologue », « Illusions et connaissance », « Structures et individu », « Habitus et champs », « Manet, Flaubert et Michelet ». Ils ont pour objet principal de permettre à Bourdieu de parler de son travail. Roger Chartier, dans sa préface, souligne qu’il le fait de façon gaie, détendue. On peut, complémentairement, remarquer qu’il le fait d’une façon souvent prétentieuse, méprisante, désagréable. Oui, il s’agit de Pierre Bourdieu, grand scientifique, et qui deviendra (postérieurement à ces entretiens) un intellectuel engagé, comme on ne dit plus. Il a légitimement conscience de sa valeur et de la position qu’il occupe. Pour autant, rien ne l’obligeait à dire qu’il n’a pas d’adversaires, seulement des ennemis, parce que « pour me réfuter, il faut se lever de bonne heure, il faut travailler » (p. 27), ou que « la science sociale » est meilleure que les essayistes, les journalistes ou la fausse science (c’est heureux !) (p. 25), ou que « le sociologue dit des choses que personne ne veut voir » (le politiste, l’historien contemporain aussi !) (p. 44), ou que l’histoire produit des « cadeaux de Noël » (il veut dire des histoires rassurantes publiées dans des livres qui peuvent être offerts à Noël) (p. 68), ce qui est normal puisque l’histoire est

1. La distinction. Critique sociale du jugement, Minuit, 1979.2. Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992.

« un monde tranquille » (p. 67). Ni à se comparer à Proust (p. 42) ou à Flaubert (passim).Bref, je ne sais pas si c’était une bonne idée de faire interroger le sociologue par l’historien, tant le sociologue (ce sociologue) est épistémologiquement éloigné de l’histoire.

Les historiens au regard des historiens

Tout autre registre, on s’en doute, pour ce second ouvrage : Les historiens français à l’œuvre 1995-2010, pur travail académique commandité par le Comité français des sciences historiques, aujourd’hui présidé par Jean-François Sirinelli, pour faire suite au précédent bilan élaboré par la même institution sous la houlette de François Bédarida, L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995 3.On aura compris qu’il s’agit d’un bilan historiographique et épistémologique, exercice dont les historiens français se délectent régulièrement – au moins depuis Faire de l’histoire (Gallimard, 1974). Sur quoi travaillent les historiens, quelles sont les tendances, les frontières de la discipline, les problématiques qui émergent, celles qui disparaissent, les nouveaux objets scientifiques, les débats, etc. Ce bilan est organisé en deux parties : « Bilan des quatre périodes » et « De quelques thématiques » : un découpage chronologique, selon les disciplines universitaires (Antiquité, Moyen Âge, époque moderne, époque contemporaine), et une approche thématique.Chacune avec ses mérites, ces deux parties font pareillement preuve d’érudition et de lucidité : s’il s’agit de décrire l’état du champ scientifique, il s’agit aussi d’en analyser les points forts, les points faibles ou les impasses. Un certain nombre de constantes traversent tout le livre, j’y reviendrai.Ce bilan fait émerger quelques constats principaux. Si l’histoire médiévale se porte bien, l’époque moderne connaît un « déclin relatif » et l’histoire contemporaine est en pleine recomposition. L’histoire économique est à l’agonie, l’histoire religieuse et l’histoire politique se sont réinventées. L’histoire culturelle méritait sans doute mieux que le court chapitre un peu naïf qui lui est consacré.

3. L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, sous la direction de François Bédarida, avec la collaboration de Maurice Aymard, Yves-Marie Bercé et Jean-François Sirinelli, Maison des sciences de l’homme, 1995.

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Transversalement à tout le bilan sont évoquées des questions de périodisation (les bornes chronologiques), l’émergence de nouveaux objets, la montée en puissance de l’histoire comparée (ou transnationale), de nouvelles méthodes de travail (portails, corpus numérisés), de nouvelles alliances disciplinaires, en particulier avec l’anthropologie. Signe sans doute que l’histoire culturelle, ses objets et ses méthodes ont contaminé l’ensemble du champ historique et lui imposent ses propres questionnements.Ce qui me ramène au sociologue.

historiens, sociologues et historiens

Pierre Bourdieu n’est pas absent de ce second ouvrage. Claude Gauvard et Régine Le Jan écrivent ainsi que « l’histoire du Moyen Âge est un sport de combat », tandis que Roger Chartier constate que l’ego-histoire, « malgré les mises en garde de Pierre Bourdieu », est florissante.Surtout, un certain nombre de questions rejoignent ou dépassent les entretiens Bourdieu-Chartier. J’en vois au moins trois : les contraintes institutionnelles et culturelles ; le rapprochement des problématiques avec celles de la société ; l’instrumentalisation de l’histoire.À plusieurs reprises, dans ce bilan historique, est évoqué le poids des contraintes. Contraintes institutionnelles (les modes de financement de la recherche), contraintes des découpages disciplinaires, contraintes de l’évaluation, contraintes du petit nombre de postes offerts aux jeunes chercheurs, etc. Mais aussi fragilité de publier dans une langue qui n’est plus une langue scientifique, diminution du lectorat de sciences humaines, faibles achats des bibliothèques universitaires : l’historien travaille dans un contexte, un champ, qu’il analyse avec lucidité.Les nouveaux objets de recherche ou les nouvelles spécialités sont largement influencés par l’évolution sociale – la fin du « monde rural », la fin du « monde chrétien », la mondialisation et ses effets. Citons ainsi le développement des études de genre, de l’histoire coloniale, de l’histoire globale (Histoire du monde au xve siècle), de l’histoire des émotions, de l’histoire de la violence, de l’histoire religieuse aujourd’hui marquée par « la poussée du sacré », de l’histoire des emprunts et des passeurs culturels, de l’histoire des techniques et des inventions, etc. L’analyse sociologique de ce champ ne manquerait pas d’intérêt.Autre élément qui pourrait intéresser le sociologue : l’usage politique de l’histoire. On se souvient des débats,

toujours actuels, sur « les lieux de mémoire », la guerre des mémoires, le prisme obligé (?) d’analyse de l’histoire contemporaine à travers la mémoire des communautés/groupes/minorités. Il y a eu des cas où la participation des historiens à cette métamorphose culturelle fut active et volontaire (René Rémond et « le fichier juif », « l’historien dans le prétoire »). Mais c’est plutôt une véritable instrumentalisation qui est dénoncée ici ou, du moins, une véritable interrogation sur « le rôle social de l’historien » qui est avancée. Avec ce paradoxe, souligne Philippe Poirrier, d’être simultanément soumis à la « tyrannie de la mémoire » et à l’injonction de présentisme.Bref : ce bilan, lucide et intéressant, se place plutôt sous les auspices de Michel Foucault et de quelques autres (Françoise Héritier, Paul Ricœur, notamment) que de Pierre Bourdieu.Mais la lecture simultanée de ces deux ouvrages ne manque pas de piquant.

Anne-Marie [email protected]

André Cabanis et Michel Louis MartinL’universitaire dans tous ses étatsParis, Klincksieck, 2010, 169 p., 22 cmColl. HourvariISBN 978-2-252-03782-9 : 17 €

Récemment paru aux éditions Klincksieck, dans la collection Hourvari 1, l’ouvrage des

professeurs André Cabanis et Michel Louis Martin mérite le détour. Pour comprendre le propos des auteurs, il suffit de se rapporter à la présentation de la collection : « Toute action, au

1. Hourvari : croisement de houre, cri pour exciter les chiens, et de charivari.

départ habile ou avisée, peut produire de la bêtise. Toute pensée, si intelligente soit-elle, peut, en se pétrifiant, en se répétant et déclinant, devenir bête. Car la bêtise n’est pas une essence : elle est potentiellement incluse dans tout geste et toute posture, à l’état latent, finalement réveillée par on ne sait quoi : la répétition ? le seuil d’incompétence ? la volonté de plaire ? la mauvaise foi ? Peut-être simplement par ce moment où, paresse ou habitude, on arrête de penser ce qu’on fait, ce qu’on croit. Dans cette collection, des écrivains nous rappellent qu’il n’existe pas de remède à la pétrification de la pensée et que tenir la bêtise à distance exige de constants exercices de vigilance. Leurs essais sont moins des pamphlets que des avertissements et des appels à la responsabilité intellectuelle. Des sortes de “coins” dans la pensée contemporaine. De stimulants éloges de la liberté d’esprit. »Pour présenter ce livre, l’éditeur indique à juste titre que cet essai rappelle Un tout petit monde de David Lodge 2, qui a dépeint avec beaucoup d’ironie certains travers de la jet-society universitaire.Il ne s’agit pas, ainsi, d’une analyse ethnographique du monde universitaire actuel, ni d’une étude critique des nouveaux modes d’évaluation des performances universitaires mais, plutôt, d’un livre d’humeur, et d’humour, où se côtoient l’agacement, l’amusement, la compassion, parfois la condescendance, et surtout les délices de croquer certains caractères du milieu universitaire dans lequel les deux auteurs ont baigné durant plus de trente ans.Le style, leste et souvent précieux, et le texte, truffé de mots rares et d’expressions latines peu usitées, relèvent probablement d’une certaine coquetterie de la part de ces universitaires juristes rompus au maniement expert de la langue française. Tout ceci peut rendre la lecture peu aisée à un public non averti. Mais ne s’adressent-ils pas avant tout à leurs pairs ? Lesquels, avec un peu d’humour et de distance, devraient apprécier l’exercice.Pour qui a eu l’occasion de fréquenter les facultés de droit françaises, l’on ne pourra s’empêcher de penser que les figures décrites sont issues directement de l’environnement immédiat des auteurs. Mais les types représentés dépassent largement ce cadre, qu’ils concernent les collègues, les manies, la typologie des directeurs de thèses et des responsables de l’administration universitaire, le rôle de l’expert-évaluateur à l’heure de l’idéologie du h-index 3 et

2. Publié aux éditions Rivages Poche, 2004.3. Indicateur de performance d’un enseignant-chercheur.

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des classements internationaux, ou bien encore les habiles demandes de report de délai formulées par le rédacteur d’un ouvrage ou d’un article. Le trait caricatural en agacera certains, et tous les collègues universitaires ne se retrouveront pas dans l’ouvrage, ce qui serait dommage. La cible des auteurs est suffisamment générale pour englober tout le monde sans heurter quiconque, et la lecture, par l’enseignant-chercheur, s’apparente à une mini-évaluation de ses propres travers, invitant à s’améliorer sans doute plus efficacement qu’avec n’importe quelle autre méthode.Pour qui est extérieur aux corps des enseignants-chercheurs, l’on découvrira un monde professionnel à la fois enviable et nostalgique, plein de grandeur et de vicissitudes, bourré de rites et de symboles, empli de jalousies et de mesquineries, soumis à des pressions jugées souvent insupportables de la part des autorités de tutelle, mais qui, malgré tout, s’acquitte honorablement de ses deux missions principales et indissociables : l’élaboration et la transmission du savoir.

Jean-Paul [email protected]

Gérard Mauger, Claude Poliak et Bernard PudalHistoires de lecteursBellecombe-en-Bauges, éditions du Croquant, 2010, 540 p., 25 cmColl. Champ socialISBN : 978-2-91496866-9 : 32 €

Des trajectoires de lecteurs : une enquête racontée

Cet ouvrage, publié avec le soutien de la Région Rhône-Alpes, est une réédition à l’identique d’un livre paru initialement chez Nathan en 1999 dans la collection « Essais et recherches » (avec le concours à l’époque de l’Observatoire France Loisirs de la lecture, qui n’existe plus aujourd’hui). Son principe : analyser dans le détail des trajectoires de lecteurs – gros ou faibles pratiquants – à travers les propos mêmes que ceux-là tiennent pour décrire et justifier leur niveau d’investissement dans la lecture (de livres, essentiellement). Le protocole repose ainsi sur une enquête qualitative conduite par entretiens approfondis complétés d’observations détaillées des bibliothèques personnelles des interviewés 1, le tout réalisé dans les

1. Qu’il s’agisse, comme l’écrivent les auteurs, des « bibliothèques montrées », des

Thierry GrilletLa tour des tempsParis, Anne carrière, 2010, 294 p., 24 cmISBN 978-2-8433-7544-6 : 19,50 €

Un jeune gardien de nuit de la Très Grande Bibliothèque et une conservatrice débutante

enquêtent sur le mystère de la Tour des Temps : alors qu’une faille béante dans les sous-sols menace le bâtiment d’effondrement, des âmes en peine hantent les couloirs, la nuit, tandis qu’un ancien livre de divination disparaît.

Entre polar et science-fiction

Thierry Grillet, directeur des affaires culturelles de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et excellente plume, livre un premier roman qui hésite entre polar et science-fiction, et dont le principal personnage est la BnF. Entre lieu fantasmé (la bibliothèque aurait été construite sur un ancien camp nazi) et espace concret (six cents kilomètres de rayonnages), la BnF devient prétexte à une intrigue qui n’est pas sans rappeler le Da Vinci Code : un passé historique trouble, de jeunes héros courageux et érudits, des lieux imposants et énigmatiques, des événements étranges et mystiques où se mêlent magie africaine et ésotérisme nostradamien. Si le temple du savoir est dépeint de façon minutieuse et vivante, l’argument du roman peine à trouver son rythme. L’intrigue ne se noue vraiment qu’aux deux tiers de l’œuvre et semble comme expédiée, laissant le lecteur avec un goût d’inachevé.Les personnages sont bien campés mais ne convainquent pas vraiment. Isabelle, la jeune conservatrice effacée mais brillante, offre une vision passéiste de son métier, telle qu’elle subsiste dans l’imaginaire collectif, pratiquant la « religion du papier » contre celle d’internet (en quoi d’ailleurs les deux sont-elles antagoniques ?). La fascination qu’elle éprouve pour l’aspect conservateur (au sens littéral du terme) de son métier balaie son apprentissage fraîchement acquis : alors qu’elle sort d’un entretien avec un conservateur retraité de la « Nationale », elle avoue en avoir plus appris que dans ses années de formation.Sékou, jeune métis lettré mais éjecté du système scolaire, qui tente de trouver un boulot stable pour acquérir son indépendance, apparaît bien plus moderne, tiraillé qu’il est entre traditions familiales et désir d’intégration. Sauf qu’il est tout autant improbable que le personnage d’Isabelle (doté d’une mémoire eidétique, il est aussi un virtuose du piratage de fichiers), tout autant que l’idylle shakespearienne qui naît entre les deux jeunes gens.

L’exploration des coulisses de la BnF

Être à la fois bibliothécaire et lecteur gêne la lecture de l’œuvre, car on est sans cesse tenté de porter un regard professionnel sur cet ouvrage qui demeure une œuvre de fiction. Mais il n’est pas certain que le lecteur amateur du genre « thriller surnaturel » puisse y trouver son compte, tant l’omniprésence

de la dimension professionnelle dans ses moindres détails catalographiques gêne une immersion sans retenue dans l’intrigue. Les nombreuses références littéraires amplifient ce décalage qui laisse au final une impression de déjà-vu. Demeure l’exploration des coulisses de la BnF, comme vous ne les avez sûrement jamais vues.

Christelle Di [email protected]

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années 1990. Le corpus d’entretiens, relativement restreint, porte sur 24 personnes interrogées pour la plupart en couple, âgées à l’époque de l’enquête de 32 à 53 ans, et dont les origines sociales et les situations professionnelles sont volontairement diversifiées (du lieutenant-colonel au jardinier municipal, en passant par la styliste de mode et la femme au foyer).

La « génération 68 », les femmes et les hommes

Avec un tel corpus, ce que les auteurs perdent ici en termes de représentativité statistique, ils le gagnent en finesse quant à la description précise des modalités « d’entrée en lecture » et quant à l’évolution à la hausse et/ou à la baisse de cette pratique au cours de l’existence. On comprend bien par ailleurs que les personnes rencontrées sont sélectionnées en fonction des « cas » qu’elles sont en mesure d’illustrer et que le travail sociologique de construction de figures « idéales-typiques » de lecteurs, réalisé à travers un double mouvement de mise à distance et d’interprétation, permet d’envisager des formes de généralisations à l’ensemble de la population. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans ces « histoires de lecteurs » – le terme est bien choisi puisqu’il s’agit d’une enquête basée sur des déclarations portant sur une pratique culturelle légitime – des personnes diplômées appartenant à des milieux sociaux favorisés qui ne lisent pas, et des personnes peu diplômées appartenant à des milieux sociaux moins favorisés qui lisent beaucoup. On notera également au passage que la transformation de « cas » en « histoires » racontées à plusieurs voix facilite l’appropriation par le lecteur, puisqu’il se trouve confronté à des procédés de narration qui ne sont pas sans rappeler ceux du récit et du texte littéraire. Au-delà des singularités et des singularismes, le pari de l’enquête consiste bien à tenter de dégager des principes d’intelligibilité des pratiques de lecture contemporaines (du moins celles de l’époque). Parmi d’autres, un axe structurant permet à cet effet d’organiser une grande partie du questionnement, l’axe générationnel, la majorité des interviewés appartenant à la « génération de mai 1968 ».Avant de parler résultats, quelques mots sur ce choix éditorial un peu curieux

« bibliothèques reléguées » ou des « bibliothèques cachées » des lecteurs, mais également de l’ensemble des livres disséminés au domicile et plus ou moins rangés.

à première vue d’une reparution à l’identique, c’est-à-dire sans nouvelle préface, sans ajout de postface ou d’avertissement au lecteur. Il faut dire que l’enquête est logiquement datée et que, s’agissant de matériaux qui font l’objet d’une analyse sociologique, l’ancrage historique de l’entreprise constitue de fait un élément déterminant qui n’est pas suffisamment retravaillé. Il est en effet au principe même d’une partie de la problématique de l’enquête avec cette notion d’approche générationnelle 2, mais, que l’on soit sociologue ou lecteur interviewé dans le cadre d’une enquête, on ne tient pas le même discours sur la lecture, le monde du livre et des imprimés en général, dans les années 1990, au xxe siècle, et dans les années 2010, au début du xxie siècle. Les nombreuses et précieuses références qui sont faites par ailleurs à d’autres travaux et enquêtes sociologiques ne vont pas au-delà des années 1990, ce qui peut poser problème pour un lecteur non spécialiste ou averti. S’agissant d’une enquête résolument qualitative, il faut reconnaître toutefois que cet aspect daté n’est pas totalement insurmontable : les témoignages rapportés et les analyses qui en découlent demeurent bien évidemment pertinents pour une génération et une époque données et devraient pouvoir être transposés à d’autres générations de lecteurs moyennant quelques précautions : ce qui a été fait, par exemple, pour les lecteurs assidus de romans policiers étudiés par Annie Collovald et Erik Neveu en 2004 3.Côté résultats, on peut dire avec le recul que cette enquête a fait date et qu’elle continue à rayonner dans le domaine de la sociologie de la lecture, au moins sur trois points importants :• Les incidences des évènements biographiques et historiques sur les trajectoires culturelles individuelles : l’importance notamment des rencontres interindividuelles dans le choix des investissements et désinvestissements culturels ; le poids de l’appartenance à une même génération 68, empreinte pour certains de contre-culture et d’engagements politiques au sein desquels le livre occupe une place centrale (que l’on peine un peu à lui voir jouer aujourd’hui).

2. Utilisée avec profit dans le registre quantitatif par Olivier Donnat. Voir : Olivier Donnat et Fabienne Lévy, « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques », Culture et prospective, no 3, 2007.3. Annie Collovald, Erik Neveu, Lire le noir : enquête sur les lecteurs de récits policiers, Éditions de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, 2004.

• Le dimorphisme sexuel marqué de la lecture dans nos sociétés occidentales et ses racines socioculturelles : sous-entendu les différences hommes/femmes dans le domaine du lire, que les auteurs expliquent notamment par la césure entre « le monde des choses matérielles » des uns, et « le monde des choses humaines » des autres, aiguillage fondamental dont découlent beaucoup de représentations et de pratiques (au point que l’on peut parler d’une sphère sociale masculine et d’une sphère sociale féminine où la biologie n’a ni le premier, ni le dernier mot).• Enfin, les principaux usages sociaux de la lecture, ou « fonctions sociales », saisies à partir des témoignages mêmes des lecteurs interviewés, sont ici mis en valeur et finement analysés : la fonction de divertissement (« lire pour s’évader ») ; la fonction didactique (« lire pour apprendre ») ; la fonction salutaire (« lire pour se sauver ») ; et la fonction esthétique (« lire pour lire »)4.

Difficile décentrement pour le lettré ethnocentré

Sur ce dernier point, l’ouvrage est à son tour salutaire dans la mesure où il permet de montrer que la fonction esthétique de la lecture – « la lecture pure », fonction historiquement survalorisée par les institutions culturelles –, est celle qui est pourtant la moins répandue parmi la grande masse des lecteurs ordinaires. D’après Mauger, Pudal et Poliak, la lecture d’évasion elle-même fait d’ailleurs l’objet d’un partage entre ceux qui possèdent cette aptitude (à se laisser prendre au jeu littéraire ou romanesque), et ceux qui ne la possèdent pas. Bref, c’est l’ethnocentrisme lettré qui est au cœur du travail d’analyse critique et de déconstruction entrepris par les trois sociologues : cette tendance des gros lecteurs à universaliser (de façon non consciente) leurs propres modalités de rapport aux textes et aux œuvres. Si les références scientifiques sont nombreuses et mélangées, l’approche est donc volontairement distanciée et critique, et la filiation avec la sociologie

4. À comparer aujourd’hui avec les logiques d’usages des réseaux sociaux mises au jour par Virginie Lethiais et Karine Roudaut : la logique « expressive » (les amitiés virtuelles répondent à un besoin d’exprimer ses opinions, son vécu) ; la logique « instrumentale » (un moyen de faire des rencontres, de compter sur les autres) ; la logique « évasive » (par le jeu) ; la logique « d’exploration » (découvrir d’autres réalités). Voir : « Les amitiés virtuelles dans la vie réelle », Réseaux, octobre-novembre 2010.

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bourdieusienne particulièrement explicite.Ce parti pris débouche parfois sur une analyse désenchantée du rapport à la lecture, qui va dans certains cas jusqu’à un sentiment de mise à nu, notamment quand il est question des différences entre hommes et femmes et surtout du jugement que les uns portent sur les pratiques de lecture des unes (et vice-versa), même au sein du couple. On est loin, comme on le voit, des synthèses d’enquêtes qualitatives qui caressent le lecteur dans le sens du poil. L’écriture vise bien ici à entreprendre un travail d’objectivation.À ce titre, il me semble très intéressant, comme les auteurs eux-mêmes proposent de le faire, de lire ces Histoires de lecteurs en se livrant soi-même à un travail d’autoanalyse pour interroger sa propre biographie de lecteur et son propre rapport aux imprimés, livres et institutions du livre (la bibliothèque et la librairie n’étant évidemment pas absentes des témoignages recueillis). Signalons pour terminer qu’il est un cas intéressant, quoiqu’un peu décalé, qui à lui seul mérite le détour : celui d’un garde forestier, très grand lecteur, qui vit retranché entouré de livres au cœur de la forêt (il possède 3 000 à 4 000 ouvrages, selon sa propre estimation, dont une grande partie concerne la poésie et la philosophie, pour un budget annuel d’approvisionnement de 30 000 à 40 000 francs !). Intitulé « La lecture au fond des bois d’un neveu de Zarathoustra », ce témoignage d’un esthète pur – le rangement méticuleux de ses livres et le rituel de ses séances de lecture sont éminemment codés – apparaît pour le moins exotique, surtout à près de vingt ans de distance. Il met en valeur de façon singulière la ligne de clivage entre le sacré et le profane qui est souvent très signifiante chez les grands lecteurs férus de genres à forte légitimité ; il est également éclairant pour les aspects à la fois socialisants mais aussi désocialisants des pratiques de lecture en général :– « C’est son monde à lui [dit sa compagne], sur lequel il ne faut pas empiéter.– Qu’est-ce que tu en penses de cette passion de Jean-Baptiste pour les livres ? C’est quelque chose d’important entre vous ?– “Entre” nous…, il y a plusieurs milliers de livres “entre” nous », répond Mauricette en riant et en détournant le sens du mot.

Christophe [email protected]

Chris OliverIntroducing RDA : A Guide to the BasicsLondon, Facet Publishing, 2010, 117 p., 28 cmISBN 978-1-85604-732-6 : £ 29,95

Après la République démocratique allemande…

RDA, en français « Ressources : description et accès », est le tout nouveau code 1 de catalogage anglo-américain qui succède à la 2e édition des Anglo-American Cataloguing Rules (AACR) eux-mêmes fondés sur l’ISBD 2.Introducing RDA : A Guide to the Basics est le premier livre publié sur ce sujet.L’auteure, Chris Oliver, a été catalogueuse pendant vingt ans. Elle est actuellement coordinatrice du catalogue à l’université McGill à Montréal. Membre du « Joint Steering Committee For Development of RDA » (JSC), présidente du Comité canadien de catalogage, elle a activement participé à la création de ce code.Dès les premières lignes, on comprend que le code RDA s’inspire et met en œuvre les modèles Functional Requirements for Bibliographic Records (FRBR) et Functional Requirements for Authority Data (FRAD). Un chapitre entier leur est consacré. Très bien fait, il peut suffire au non-initié pour appréhender ces deux modèles.

L’information bibliographique orientée usagers

Chris Oliver synthétise habilement le copieux chapitre 0 du code RDA pour en faire ressortir sa substance :

1. Notons au passage que, pour désigner RDA, les puristes francophones ne parlent pas de « norme » de catalogage, terme réservé aux organismes officiels de normalisation comme Afnor ou ISO, mais de « code », au sens de « code de la route » ou « code du travail ».2. International Standard Bibliographic Description.

une approche de l’information bibliographique qui se veut orientée vers les besoins de l’usager des catalogues de bibliothèque, un code fait pour l’environnement numérique et le web, avec l’ambition d’être utilisé par d’autres communautés : archives et musées notamment.Tout au long de ce guide, il est fait abondamment référence au texte du code RDA pour justifier ici sa vocation internationale, là son intégration au contexte normatif mondial : nouveaux principes de catalogage de l’Ifla 3, ISBD, Marc 21 sont régulièrement cités, mais aussi Dublin Core et Onix avec lesquels des passerelles sont réalisées et intégrées au code. Pas un mot cependant d’Unimarc. Mais qui s’est jamais soucié d’Unimarc dans le monde anglo-saxon ?

L’angoisse du catalogueur…

Soucieuse de faciliter la compréhension du lecteur, Chris Oliver montre par l’exemple les similitudes et différences entre FRBR, RDA et AACR. Elle propose ainsi une version simplifiée du modèle FRAD et un exemple de notice bibliographique en Marc avec, en regard, les entités et relations FRBR correspondantes.Après un rapide historique du projet dans le contexte des AACR, l’auteure présente la structure du code et ses principales innovations. Le fidèle lecteur des normes françaises de catalogage, toutes organisées autour des huit zones du célèbre pavé ISBD, y découvrira avec angoisse que la structure du code, composée de 10 sections dédiées aux attributs et aux relations des entités FRBR et FRAD est totalement différente de ce qu’il connaît.À l’aide d’extraits et de copies d’écran du RDA Toolkit 4, Chris Oliver présente notamment les objectifs fonctionnels, tous centrés sur l’usager, et s’attarde longuement sur quelques différences majeures avec les AACR ou l’ISBD. Sept pages sont ainsi consacrées aux éléments « Content Type », « Media Type » et « Carrier Type » qui remplacent avantageusement l’indication générale du type de document dont « [Texte

3. International Federation of Library Associations and Institutions.4. « RDA Toolkit » est une base de données en ligne, gérée par l’American Library Association, la Canadian Library Association, et Cilip (Chartered Institute of Library and Information Professionals), accessible sur abonnement depuis juillet 2010. Il s’agit pour l’instant du seul mode d’accès au code RDA, aucune version imprimée n’ayant été publiée à ce jour. http://rdatoolkit.org

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imprimé] » ou « [Images animées] » sont des exemples connus en France.

… et les objectifs ambitieux du code RDA

Pour Chris Oliver, ce code RDA est un jeu de métadonnées (Metadata Element Set) fait d’éléments, d’attributs et de relations qui, à l’image du Dublin Core, distingue les éléments de base, les « Core Elements », que l’on pourrait qualifier de « notice minimale », et les éléments additionnels que le catalogueur peut choisir si nécessaire. Elle met en avant la souplesse du code RDA qui, par exemple, n’attribue pas de caractère obligatoire ou optionnel aux éléments, ou encore vante l’importance des relations entre éléments.Une bonne partie du livre est consacrée à l’implémentation de RDA, louant, un peu trop peut-être, les mérites du RDA Toolkit et de ses fonctionnalités, toutes destinées à aider le pauvre catalogueur à s’y retrouver : diagrammes pour les entités et leurs relations, tables de correspondance avec Marc 21 ou MODS 5 et « workflows » personnalisables, afin, par exemple, de décrire un type de document particulier.On peut toutefois regretter que les trois scénarios d’implémentation 6 prévus par le JSC ne soient pas du tout abordés ici.Dans sa conclusion, Chris Oliver rappelle les objectifs ambitieux de RDA : répondre aux besoins des usagers, maîtriser les coûts, être flexible et assurer la continuité des catalogues. En cela, les avantages qu’elle accorde à RDA sont nombreux, tant pour les usagers que pour les bibliothèques. Les possibilités de liens entre entités, l’ouverture vers d’autres schémas de métadonnées comme Onix, constituent, c’est certain, une amélioration sensible pour l’usager.Chris Oliver ne trouve que des avantages à RDA – le contraire serait étonnant –, et elle nous affirme que RDA va simplifier la tâche des catalogueurs. Nous pouvons raisonnablement en douter.

Un guide pratique

Introducing RDA n’est donc pas une réflexion ou une critique de RDA ou FRBR. Écrit par une convaincue, c’est un guide pratique destiné à faciliter

5. Metadata Object Description Schema, schéma de métadonnées inspiré de Marc 21 et maintenu par la Bibliothèque du Congrès.6. Trois scénarios d’implémentation de RDA dans les catalogues ont été prévus par le JSC. www.rda-jsc.org/docs/5editor2.pdf

l’apprentissage de RDA et de son outil en ligne, le RDA Toolkit, qui explique simplement et, disons-le, plutôt bien, les choses. Avec pédagogie, Chris Oliver a atteint l’objectif qu’elle a fixé à ce livre : décrire les caractéristiques de base de RDA pour en faciliter l’implémentation et l’utilisation.À l’heure où la France songe très sérieusement à adopter le code RDA en remplacement des normes Afnor de catalogage, ce livre est une bonne première lecture sur le sujet. Il y en aura certainement d’autres.

Thierry [email protected]

Frédéric PoulardConservateurs de musées et politiques culturelles. L’impulsion territorialeParis, La Documentation française, 2010, 190 p., 24 cmColl. Musées-MondesISBN 978-2-11-007805-6 : 21 €

Comment les conservateurs de musées, en tant que groupe professionnel, ont-ils exercé une

influence sur la définition des politiques culturelles, entre autorité de l’État et priorités des collectivités locales ? Frédéric Poulard, maître de conférences en sociologie, identifie les jeux d’acteurs et esquisse le profil du conservateur aujourd’hui.L’ouvrage s’inscrit dans une histoire des politiques publiques, en particulier le passage « de la tutelle au partenariat ». Mais, en faisant l’hypothèse que les conservateurs des musées territoriaux ont contribué à façonner cette transition, l’auteur examine aussi les conditions d’émergence du métier.

La place des musées au sein des politiques publiques, locales et nationales

Si les deux premiers chapitres resituent la valorisation des musées dans les grandes phases de la politique culturelle et de la décentralisation au xxe siècle, c’est pour signaler que l’évolution a été lente, discontinue et variable selon les territoires, et souvent le fait de personnalités marquantes. Le renforcement de la tutelle de l’État à partir du Front populaire et jusqu’aux trente glorieuses s’est essentiellement traduit par les prérogatives de l’Inspection des musées, par la diffusion de normes touchant la gestion et la présentation des collections et par la mise à disposition – très progressive – de conservateurs, même si beaucoup d’établissements échappaient au contrôle de la Direction des musées de France (DMF). Depuis les années 1970, les rénovations d’établissements se sont accompagnées de nouveaux modèles muséaux et du rééquilibrage des processus de décision.Un examen attentif des sources, à différents niveaux (archives de la DMF, comptes rendus de réunions de groupements professionnels, monographies de musées, revues professionnelles) permet de dire que l’État n’a pas pu appliquer en province la même politique que dans les musées nationaux, du fait d’une implication précoce des municipalités dans le développement de leurs musées, de l’inadaptation de ses propres modèles et de l’insuffisance de ses moyens financiers et humains.

Un groupe professionnel dans le mouvement

Désignés par l’État, du fait de leur qualification professionnelle, pour gérer des collections, bon nombre de conservateurs ont relayé les revendications locales et se sont trouvés aux avant-postes du renouveau des doctrines, des pratiques et du cadre du métier. De la fin des années 1960 aux années 2000, on peut en suivre l’écho dans l’inflexion que prennent la politique de la DMF et les cadres réglementaires.Plusieurs groupements professionnels ont alors servi de creuset aux réflexions sur la diversification des musées et la prise en compte des besoins des publics : l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France publiait en 1969 un Livre blanc ; le secrétariat national à l’action culturelle du Parti socialiste appelait dès 1977 à un changement de mentalité ;

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l’association « Muséologie nouvelle et expérimentation sociale » militait dans les années 1980 pour diffuser de nouvelles pratiques, au plus près des territoires ; en 1989 fut fondée la Fédération des écomusées et musées de société.Les débats portèrent sur l’abandon du modèle unique du « musée de Beaux-Arts », sur le traitement muséal du patrimoine ethnologique, archéologique ou des œuvres d’art contemporain, sur le fondement territorial des musées et leurs missions auprès des populations. On revendiquait la liberté d’expérimenter des formes nouvelles dans des projets locaux où le partenariat devient indispensable*. Les différences entre conservateurs d’État et territoriaux, faisant apparaître pour ces derniers des besoins spécifiques de formation et un champ de recrutement nécessairement plus large, posèrent la question de l’unité du statut.

Les conservateurs et la nouvelle donne

Dans le dernier chapitre, Frédéric Poulard s’appuie sur des observations directes et des interviews pour mesurer ce qui change dans l’exercice du métier.À partir des années 1970, c’est en mettant en avant leur prérogative d’expert que les conservateurs ont construit leur légitimité : auprès de la DMF, ils ont défendu l’ancrage territorial du musée ; auprès des collectivités, ils ont mis en œuvre les doctrines communes de la muséologie. Désormais, gérer un musée de collectivité, perçu comme l’un des équipements d’une politique culturelle contractuelle, impose une démarche plus « entrepreneuriale ». L’auteur constate l’émiettement des tâches au quotidien et l’érosion de la part scientifique du métier de conservateur, tandis que deviennent nécessaires une culture du projet et des compétences relationnelles pour activer de nouveaux réseaux de collaboration et gérer « l’impulsion territoriale ».

Odette [email protected]

* Ceci préparait la « Charte de déontologie des conservateurs du patrimoine des musées de France » institutionnalisée dans la circulaire du 26 avril 2007. Parmi les rubriques : « missions de service public », « conduite professionnelle », « les collections », « la politique des publics ». Voir : www.icom-musees.fr/index.php/page/index/Documents-de-reference

George SteinerLectures : Chroniques du New YorkerParis, Gallimard, 2010, 404 p., 19 cmColl. ArcadesISBN 978-2-07012692-7 : 18 €

Le volume Lectures publié par les éditions Gallimard regroupe trente critiques, traduites de l’anglais

par Pierre-Emmanuel Dauzat, parmi les 130 recensions que George Steiner a fait paraître dans le prestigieux magazine américain The New Yorker, de 1967 à 1997. Elles constituent une excellente introduction à la pensée de ce philologue, philosophe et critique littéraire mondialement connu, mais aussi comparatiste et spécialiste de la traduction, auteur d’essais majeurs comme Les Antigones (1986), Après Babel (1998) ou La mort de la tragédie (1993). Pour les connaisseurs, ce volume constitue un rappel éclairé des thèmes qui hantent toute son œuvre : les rapports entre culture et éthique, le mystère des racines européennes de la barbarie, l’impuissance de la culture à conjurer ce que Malraux, après Kant, nomme le « Mal absolu », l’éblouissant rayonnement de la culture gréco-latine et des grands classiques face à la sombre médiocrité contemporaine et l’hécatombe culturelle de « notre siècle de camelote » (p. 364).Composée de trois sections, la compilation d’articles met de l’ordre dans le vertigineux foisonnement des sujets abordés. Elle s’organise autour d’une triple question : celle des rapports de l’intellectuel ou de l’écrivain avec « Histoire et politique », qu’il s’agisse d’Anthony Blunt, critique d’art et transfuge du KGB, de Soljenitsyne et de l’enfer du Goulag, du musicien Anton Webern au crépuscule nazi de Vienne ou du destin d’Albert Speer, architecte d’Hitler ; celle, ensuite, des liens consubstantiels entre « Écrivains et écriture », de Karl Kraus à George Orwell, de Thomas Bernhard à Hermann Broch, de Louis-Ferdinand Céline

à André Malraux, sans oublier des auteurs moins illustres commentés à l’aune de l’actualité éditoriale ; et celle, enfin, du contexte qui détermine les trajectoires intellectuelles des plus grands « Penseurs » de l’intelligentsia contemporaine, parmi lesquels Simone Weil, Claude Lévi-Strauss, Cioran, Russell, Canetti, Koestler ou Foucault, recadrage qui invite souvent à démonter la Vulgate et à réévaluer les icônes.

« Le phare d’Alexandrie 1 » ou la critique selon George Steiner

À ceux qui déploreraient que la publication en magazine simplifie et caricature une pensée complexe en sombrant dans un simple exercice de vulgarisation intellectuelle, on rétorquera que le temps court de l’article de presse, par opposition au temps long de l’essai, offre au contraire un formidable condensé des exigences intellectuelles et formelles qu’implique tout geste critique. Et c’est le premier intérêt de ce florilège d’articles que de pousser celui qui avait juré que Les livres que je n’ai pas écrits 2 était son testament intellectuel, à revisiter le genre aujourd’hui si dévalué et galvaudé de la critique littéraire et à donner à lire, dans ce format étroit du « paper » (article de presse), véritable gageure pour la pensée comparatiste dont il se réclame, rien moins que le meilleur de lui-même.Ce que Roland Barthes appelait « la critique-chronique » s’enrichit en effet, sous la plume de George Steiner, de cet « espace de résonance » dont parlait Blanchot, de cette épiphanie de la création littéraire qui transcende le banal commerce de l’édition et les hasards de rééditions, de traductions ou de biographies publiées en librairie, et l’élève au rang de la critique scientifique ou universitaire la plus exigeante. L’auteur n’oublie pas non plus que la critique est un genre littéraire, une littérature sur la littérature, avec ses codes, ses aphorismes passionnés ou ses sentences au couperet, qui aide à trier et classer les œuvres au rythme des enthousiasmes et des aversions, en les passant au crible d’une culture dite légitime et des étalons du passé. Sous sa plume, elle ne doit rien au structuralisme et autres formalismes théoriques nés

1. Jean-Yves Tadié, La critique littéraire au xxe siècle, Belfond, 1987, rééd. Pocket, collection « Agora », p. 15 : « La critique est cette lumière qui éclaire les œuvres du passé, mais ne les a pas créées, qui les domine, mais ne suscite pas leurs égales : c’est le phare d’Alexandrie. »2. Éditions Gallimard, 2008.

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avec les sciences humaines et sociales qui ont révolutionné la façon de lire les textes. Elle est résolument comparatiste et érudite, riche des nombreuses langues que parle son auteur et de la culture européenne plurielle dont il est héritier. Elle dresse avec bonheur des passerelles culturelles et des parallèles littéraires entre les époques et contextualise sans cesse les analyses en un heureux retour aux trajectoires biographiques des écrivains et penseurs étudiés. C’est bien d’une poétique de la pensée dont il est ici question.Celle-ci a toutefois ses limites : la lecture est certes toujours un dialogue scrutateur et sans complaisance, « un regard responsable et acribique sur un corpus compliqué » (p. 279), avec les classiques de la pensée contemporaine comme avec l’actualité la plus immédiate, signe d’une mission de passeur ou de médiateur culturel dont il ne se départit jamais. L’analyse peut se faire ainsi fine analyse stylistique du lexique de « l’urgent désespoir » de Paul Celan (p. 290), du « moment musical de la pensée » de René Char (p. 340). Mais elle peut aussi tourner à la formule cruelle ou à la sentence assassine contre « la tache acide d’antisémitisme intellectuel » d’une Simone Weil (p. 317) ou « l’alarmante facilité » des « jérémiades », quand ce n’est pas « le comble de la sottise pontifiante » de Cioran (p. 346-348), voire éreintement déconcertant de l’autorité de Michel Foucault jugée « de seconde main et défraîchie » et du « discours académique, curieusement suranné » d’un ouvrage aussi novateur que son Histoire de la sexualité (p. 392-394), ou encore de Claude Lévi-Strauss dont le révolutionnaire Tristes tropiques est hâtivement réduit à une « allégorie morale et métaphysique de la faillite humaine » (p. 337).

« Le maître à lire » : quels oursins et quels coquillages dans les rayonnages de la bibliothèque ?

Mais l’intérêt de l’ouvrage tient aussi à l’interrogation sur la culture qu’il suscite, même malgré lui. Pour cet « historien de la morale », fervent défenseur de la « haute culture » et des humanités gréco-latines, pour qui le travail de lecteur, comme celui d’enseignant, est central et engage une véritable responsabilité de « maître à lire », comme il aime à se désigner, la jubilation bibliophilique et l’art de la digression savante occultent pour partie les enjeux de la démocratisation culturelle dont la bibliothèque moderne est aujourd’hui l’un des acteurs privilégiés.

Certes, la culture gagne à se faire interrogation morale et métaphysique de la faillite humaine, regard tendu sur l’insupportable paradoxe d’une humanité capable de « jouer du Schubert ou du Mozart le soir et [de] torture[r] le matin », d’une haute culture qui ne rend pas plus humain, consciente que les racines du mal et du totalitarisme plongent dans l’histoire d’une Europe qui autrefois massacra des musulmans et des juifs, où la Weimar des arts côtoya le camp de Buchenwald et où « l’élixir de la passion intellectuelle » n’empêcha jamais les charniers des épurations ethniques. Si plus que jamais, il est urgent d’écouter George Steiner rappeler après Adorno qu’« écrire un poème après Auschwitz est barbare car toute culture consécutive à Auschwitz n’est qu’un tas d’ordures », mais parier malgré tout avec Paul Celan sur « la notion d’un idiome futur dont la clarté et le refus total du mensonge, de la haine, de l’inhumanité diraient la venue de l’heure messianique », on ne peut que s’interroger sur l’improbable adéquation d’une bibliothèque moderne dévouée à une culture ouverte et pour tous, et de ce périmètre étroit d’une érudition absolue et d’une culture lettrée réservée aux élites. George Steiner plaide pour une bibliothèque de grandes œuvres où le grand écrivain ou le penseur est une vertu cardinale. Une bibliothèque d’œuvres complètes de La Pléiade, en somme, qui n’est pas sans rappeler les analyses de Malraux dans L’homme précaire et la littérature, où seul compte le livre qui fait anthologie et où la collection préfigure le panthéon de quelque « République mondiale des lettres ». Mais Steiner n’est pas Malraux, qui pensa le musée imaginaire, mais fit aussi de la culture une affaire d’État et créa la démocratie culturelle, ce droit d’entrée de tous dans la bibliothèque, sans passeport ni hiérarchie culturels.La culture engage aujourd’hui un « être ensemble » qui ne peut se limiter à celui d’un échange érudit entre auteur et lecteur issus d’une même culture savante. Et l’on se plaît à croire que, même avec des oursins dans ses rayonnages, ceux de biens culturels de masse qui peuvent être sans littérature, sans œuvre et sans auteur, mais participent d’un effort nécessaire pour instituer une culture « partagée » fondée sur la diversité, la bibliothèque peut aussi continuer de recueillir des coquillages « sur les rives de l’océan infini » (Steiner nous rappelle que l’image est de Coleridge), coquillages qui gardent en eux la rumeur immense de ce que Freud appelait « le sentiment océanique ».

Sylvie [email protected]

Lire, voir, entendre : la réception des objets médiatiquesSous la direction de Pascale Goetschel, François Jost et Myriam TsikounasParis, Publications de la Sorbonne, 2010, 400 p., 24 cmColl. Histoire contemporaineISBN 978-2-85944-648-2 : 35 €

Rédiger la courte recension d’une somme aussi foisonnante d’études sur la réception des

objets médiatiques est un exercice difficile. À la fois bilan historiographique et outil de réflexion interdisciplinaire, cet ouvrage est né d’un colloque sur « La réception des objets médiatiques, xixe-xxe siècles », organisé, en 2008, par le Centre de recherches en histoire du xixe siècle et le Centre d’histoire sociale du xxe siècle de l’université de Paris 1, et le Centre d’études sur les images et les sons médiatiques de l’université de Paris 3. Les « objets médiatiques » y sont définis au sens le plus large : il s’agit non seulement des produits des médias contemporains mais aussi des productions culturelles ou artistiques, écrits, images et sons.

Une approche résolument pluridisciplinaire

Les questions autour de la réception des productions médiatiques se sont multipliées, depuis la féconde réflexion de Hans Robert Jauss en 1967 jusqu’à notre société contemporaine, où l’adoption régulière et rapide de nouveautés technologiques bouleverse notre appréhension des textes, des images et des sons. Les sciences de l’information et de la communication, l’histoire culturelle et la sociologie se nourrissent de réflexions fondamentales sur l’impact des messages émis par les productions culturelles de notre société médiatique.Les analyses portent sur les xixe et xxe siècles, lorsque se développent les

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cultures médiatiques. L’ouvrage est structuré selon trois grandes questions : « les discours de la réception », « les usages et appropriations » et « la spirale production/réception ». Chacune fait l’objet d’une synthèse qui met en perspective réflexions théoriques et études de cas pour développer des pistes de réflexion transversales.L’originalité du colloque est, en effet, son approche résolument pluridisciplinaire, mettant à contribution toutes les sciences humaines et sociales. Une cinquantaine d’historiens, philosophes, sociologues, anthropologues, créateurs, médiateurs, apportent leur contribution sur les objets traditionnellement privilégiés par les études sur la réception : la littérature, la presse, le spectacle vivant, le cinéma, la télévision, l’internet ou la mémoire d’événements historiques, mais également sur la médecine légale, la peinture, la photographie, le contrôle de la publicité, la culture rock, ou les messages de prévention de la sécurité routière.

Une boîte à outils pour penser la réception

Cette diversité des champs étudiés est synthétisée et problématisée par des analyses transversales qui structurent l’ouvrage selon une approche très pédagogique. C’est par une interrogation sur la question même de la réception qu’il s’ouvre, ce qui offre au lecteur une base critique solide pour s’interroger avec les différents auteurs. Les différentes contributions montrent l’intérêt de croiser tous les angles de vue et outils qu’offrent les différentes disciplines du savoir. Les approches sont transculturelles et transfrontalières, confrontant, de façon très féconde, l’évolution des catégorisations et des interprétations des objets médiatiques selon les cultures, les milieux sociaux et les époques. Le rôle des professionnels de la médiation et de la réception dans la structuration de la réception est très justement souligné. Un espace de réflexion, original et stimulant,

est spécifiquement consacré au son et à la musique, qui ont été jusqu’à présent beaucoup moins étudiés en tant qu’objets médiatiques. La dernière partie de l’ouvrage ouvre des pistes de réflexion sur la complexité des relations dynamiques qui lient les différentes composantes de la réception. Une bibliographie de référence conclut le volume.Cet ouvrage apporte des éléments de réflexion fondamentaux sur l’étude des conditions sociales et culturelles de la réception, sur la mutation des systèmes médiatiques et leur appréhension, sur le rôle des imaginaires sociaux et sur la relativité de la définition des objets médiatiques comme des publics. La tentative d’appréhension globale de ces questions et la pluridisciplinarité à l’œuvre dans cette démarche rendent la lecture de ce volume indispensable au chercheur qui se penche sur cet aspect fondamental de la recherche.

Joëlle [email protected]

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Une loi sur les bibliothèques : ni pour ni contre (bien au contraire)Danielle Oppetit et Matthieu Rochelle

Après un bref rappel historique du projet de loi sur les bibliothèques, ardem-ment défendu par les bibliothécaires par la voix des associations profession-nelles, les auteurs analysent avec précision les arguments en faveur d’un tel texte et ceux qui s’y opposent. De manière nuancée, ils prennent position pour une stratégie du contournement, considérant que, dans le contexte sociopoli-tique actuel, une loi nouvelle n’est pas l’outil le mieux adapté aux difficultés et aux dysfonctionnements rencontrés et constatés par les bibliothécaires. Ils esti-ment que le véritable enjeu est celui de l’affirmation d’une politique – choisie et revendiquée – de développement de la lecture publique, dans le respect des valeurs démocratiques, accompagnée de moyens et de ressources suffisants et adaptés. La question essentielle est, selon eux, celle de la responsabilité de cha-cun – élu ou professionnel – ou de chaque institution, qui doit jouer à plein, avec les outils réglementaires existants, dans la reconnaissance des mérites de sa politique culturelle ou, à l’inverse, de ses insuffisances.

Trop loin, trop proche : les politiques et la bibliothèqueBenoît Tuleu

Comment mobiliser à nouveau les politiques sur la question des bibliothèques ? En prenant appui sur les bibliothèques territoriales où le rapport au politique est le plus direct, l’article commence par analyser une situation où la juste dis-tance entre la bibliothèque et le politique est difficile à contrôler. Ensuite, pour connecter efficacement et durablement l’une et l’autre, l’article montre trois pistes de travail : d’une part, la formalisation d’une politique de promotion des bibliothèques auprès des décideurs, notamment par sa prise en compte des professionnels dès la formation initiale ; d’autre part, la nécessité que soient énoncées clairement les missions des bibliothèques, ce qui n’a jamais été le cas dans le cadre administratif et juridique en France ; enfin, la nécessité d’inviter les usagers à prendre part à la décision sur des équipements qu’ils fréquen-tent, en inventant la structure qui permettrait de sortir du face à face entre le bibliothécaire et l’élu, tout en affirmant la dimension pleinement politique des bibliothèques.

Les bibliothèques publiques et le modèle politique françaisCristina Ion

La « culture politique de la généralité » qui caractérise, selon Pierre Rosanvallon, le modèle français, n’est sans doute pas sans conséquences sur la relation entre la bibliothèque publique et la société. Les mutations actuelles de la bibliothèque portent à croire qu’une étape supplémentaire est en train d’être franchie dans cette relation, qui fait basculer la légitimité des bibliothécaires vers les publics. Plusieurs questions se posent. Comment évoluent les attitudes des profession-nels ? Quel est le projet politique qui accompagne cette évolution ? La biblio-thèque publique est-elle soluble dans la fiction d’une société autorégulée ?

À quoi sert une bibliothèque ?Stéphane Wahnich

Une bibliothèque est bien plus qu’un lieu de lecture d’offre documentaire. C’est un lieu qui structure l’espace urbain et qui peut donner une identité à la collec-tivité et aux habitants. Par son architecture, son organisation spatiale et sociale, la décision de (re)construire une bibliothèque est d’abord un acte politique. À travers les exemples des projets de Mérignac et Sotteville-lès-Rouen, l’auteur montre que la bibliothèque peut devenir ou redevenir un lieu de sociabilité, à la symbolique sociale forte, et qui peut servir d’exemple pour témoigner de l’attractivité d’un territoire.

L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulierThierry Ermakoff et François Rouyer-Gayette

Lorsque Jean Gattégno, ancien directeur du livre et de la lecture, déclarait, en novembre 1981, que « la décentralisation c’est quelque chose que nous ne maî-trisons pas encore », il parlait d’or. Trente ans après, les liens entre les biblio-thèques territoriales et l’État central, représenté par la direction puis par le ser-vice du livre et de la lecture, se sont distendus, mais, pour autant, ils n’ont pas disparu. Symbole, symptôme de cette permanence, le concours particulier, qui a survécu à toutes les tempêtes.

La réforme du concours particulier : une évolution dynamique des textes réglementaires au profit des investissements des collectivités dans les bibliothèques territorialesChristophe Séné et Laure Collignon

Le concours particulier des bibliothèques de la dotation générale de décentrali-sation est l’outil principal de soutien de l’État aux investissements des collecti-vités en faveur des bibliothèques. Profondément réformé en 2009, il vient d’être modernisé et complété par de nouvelles aides pour suivre au mieux l’évolution des besoins qui se font jour dans les établissements de lecture publique (mise aux normes des bâtiments, dont l’accessibilité, développement des services numériques, etc.) et contribuer ainsi à leur attractivité.

Développement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie : une politique ambitieuse concertéeMarc Sagaert

La Colombie a mis en place ces dernières années une politique active et déter-minée en faveur des bibliothèques et de la lecture, organisée autour d’un plan national associant partenaires publics et privés : ouverture de grands établisse-ments, renforcement des bibliothèques régionales, formation des personnels, coordination en réseaux. Le but avoué est de faire de la Colombie un pays de lecteurs en agissant pour le développement socioculturel : des livres pour sortir du cycle effréné de la violence et de l’exclusion.

Le « cas » des bibliothèques britanniques : du Library Act à la Big Society, portrait d’une politique de lecture publique tout sauf intrusiveOphélie Ramonatxo

Un millier de bibliothèques britanniques sont menacées de fermeture dans le courant de 2011, conséquence de la mise en œuvre d’un important plan de réduction des dépenses publiques, mis en place dans le cadre de la Big Society par le nouveau gouvernement. L’article rappelle les causes de ce plan, les moda-lités de sa mise en œuvre, et détaille les campagnes de soutien mises en place en réaction, campagnes qui associent auteurs, lecteurs et organisations profes-sionnelles britanniques comme le Chartered Institute for Libraries and Infor-mation Professionals (Cilip), le National Literacy Trust, la Reading Agency ou le Booktrust.

La coopération française en matière de lecture publique au Burkina FasoGuillaume Juin

Depuis près de vingt ans, la France mène d’ambitieux programmes de lecture publique dans différentes régions du monde afin d’accompagner le développe-ment des réseaux de bibliothèques dans le cadre d’accords de coopération bila-téraux signés avec des états partenaires. Instrument privilégié de cette politique, les fonds de solidarité prioritaire (FSP) du ministère des Affaires étrangères

résumés des articles

108 bbf : 2011 t. 56, no 2

et européennes permettent cet accompagnement sur le long terme. Un FSP « Appui au réseau des bibliothèques de lecture publique » est ainsi en cours depuis 2006 au Burkina Faso, dont l’article décrit la mise en œuvre, les réalisa-tions et l’évaluation.

Pour une politique européenne des bibliothèquesÉlisabeth Freyre

Regroupées au sein de la Conférence des directeurs de bibliothèques nationales européennes (CENL), les bibliothèques nationales s’investissent fortement dans les projets mis en œuvre par l’Union européenne et la Commission européenne, projets liés à la société de l’information, et tout particulièrement aux chantiers de numérisation. The European Library, Europeana, Europeana Regia font partie des projets de numérisation de contenus dans lesquels la Bibliothèque nationale de France est impliquée et qui sont évoqués ici. Cet article fait aussi le point sur des projets connexes comme Arrow, Keep, Impact, en rappelant le contexte stratégique de développement à l’échelle européenne.

Une histoire politique de l’archivage du web : le consortium international pour la préservation de l’internetGildas Illien

Cet article s’intéresse aux nouvelles organisations internationales qui, dans le domaine de la préservation numérique, sont les tremplins de la coopération entre bibliothèques nationales. À partir d’une étude de cas, le consortium in-ternational pour la préservation de l’internet, IIPC, fondé en 2003, il décrit les forces et dispositifs en présence pour assurer l’archivage du web mondial par la fédération d’initiatives patrimoniales nationales. L’histoire du consortium IIPC, approchée sous l’angle de la sociologie des organisations, révèle une dynamique typique de l’innovation où un besoin initialement technique devient progressivement l’enjeu de mobilisations politiques avant de (re)devenir un sujet bibliothéconomique. Elle montre également comment le développement logiciel, les actions de communication et l’invention de nouvelles pratiques

documentaires contribuent à la réussite de l’innovation tout en créant potentiel-lement des situations de concurrence entre les communautés d’ingénieurs, de bibliothécaires et de décideurs.

Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venirVéronique Falconnet, Jérôme Sirdey et Xavier Borda

Après dix ans de fonctionnement, le catalogue collectif de France (CCFr) n’a-t-il pas été dépassé par les évolutions récentes du paysage documentaire français ? Un bilan de ses contenus, de ses évolutions récentes et à venir laisse apparaître que le CCFr reste un outil fondamental pour la recherche d’information mais aussi pour la coopération entre institutions de tous types. Le signalement des imprimés se poursuit et s’amplifie, celui des manuscrits s’organise et celui des partitions anciennes débute.

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?Laurent Marty

La disparition annoncée du disque et la déshérence du public des discothèques de prêt nous forcent à remettre en question les modèles actuels pour imaginer ce que pourrait être réellement un espace de musique répondant aux nouveaux usages qui se dessinent. Pour cela, il est important de se pencher d’abord sur la question de la mise en espace de la musique, c’est-à-dire de réfléchir aux schémas intellectuels et culturels à l’œuvre dans notre représentation de cet art, pour en exposer la complexité. Puis de comprendre comment l’espace de la bibliothèque et de la collection peuvent se construire pour rendre compte de cette complexité par un jeu d’équivalences structurelles, véritable discours de la collection. Sans oublier que seule l’appropriation de cet espace par l’usager lui donnera son sens. Au bibliothécaire, alors, de suggérer des pistes, de mettre en scène des dissonances qui établiront le dialogue entre le public et la matière, pour en restituer toute la profondeur.

abstracts

Legislating for libraries: The third wayDanielle Oppetit and Matthieu Rochelle

The article begins with a brief history of the proposed new law on libraries, for which librarians and their professional bodies have lobbied hard, before ana-lysing the arguments for and against such a law. The authors take a thoughtful position, arguing in favour of an alternative strategy, given that in the current socio-political climate, a new law is perhaps not the most suitable tool for deal-ing with the difficulties and problems encountered by librarians. They argue that what is really needed is a genuine, enthusiastic, adequately and appropriately funded policy to develop library use, in line with the principles of democracy. The key question is then to outline the responsibilities of the various stakehold-ers –elected representatives and librarians– and their institutions, ensuring that these responsibilities are carried out in full within the current legislative frame-work, while acknowledging the strong points and shortcomings of the current cultural policy.

Too near, too far: Politicians and librariesBenoît Tuleu

How can the library sector get politicians to focus on its needs? The article draws on regional libraries, which have the most direct contact with politicians, to analyse a situation where the ideal distance between libraries and politics is hard to gauge. The author proposes three methods to forge closer, lasting links between librarians and politicians: 1. formalising the policy of lobbying elected representatives on library issues, particularly by getting profession-als involved from the very first stages of librarianship training; 2. clarifying the remit of France’s network of libraries –a task which remains to be done, both

administratively and legally; 3. giving readers a say in the future of libraries by setting up a body that looks beyond the two-way discussion between librar-ians and politicians, while still underlining the political importance of library provision.

Public libraries and the French political modelCristina Ion

What Pierre Rosanvallon refers to as the “political culture of generality” in France doubtless shapes the relationship between public libraries and the wider society. The changes currently underway in libraries suggest that this relation-ship is moving to a new stage, shifting legitimacy from librarians to users. This raises several important questions. How are professional attitudes changing? What political project does this change reflect? Will public libraries lose their identity in the utopia of a self-regulating society?

What are libraries for?Stéphane Wahnich

Libraries are so much more than just a place for reading. They structure urban space and help create an identity for the community and the people who live there. The decision to build or renovate a library is first and foremost an act of political will, particularly in terms of architectural, spatial, and social planning. The author studies cases from Mérignac and Sotteville-lès-Rouen to demon-strate that libraries can become –or rediscover their role as– social hubs with a powerful symbolic dimension for the local community, making it a more desir-able place to be.

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Decentralising libraries and dedicated state fundingThierry Ermakoff and François Rouyer-Gayette

When Jean Gattégno, formerly Director of Books and Reading at the French Ministry of Culture, declared in November 1981 that “we haven’t got the hang of decentralisation yet”, never a truer word was spoken. Thirty years on, and the links between regional libraries and central government, represented by the Di-rectorate (later the Service) for Books and Reading, have grown looser, but still remain. Dedicated state funding, which has survived all the upheavals of the past thirty years, is both symbolic and symptomatic of these links.

Reforming dedicated state funding: The dynamic development of legislation in favour of local authority investment in regional librariesChristophe Séné and Laure Collignon

Dedicated state funding for libraries –part of the general financing for the wider decentralisation project– is the principal means by which central government supports local authority investment in libraries. This funding underwent a thor-ough modernisation in 2009, receiving additional sources of funding to keep up with the changing needs of libraries. These include bringing buildings in line with current regulations such as provision of access for handicapped users, increasing digital collections, and so on. This in turn has made libraries more desirable community assets.

Developing libraries and public literacy in Colombia: An ambitious joint policyMarc Sagaert

In recent years, Colombia has begun to implement an ambitious policy promot-ing libraries and reading. The policy is based on a national project of public and private partnerships, and involves opening major libraries, strengthening re-gional libraries, improving training for librarians, and creating library networks. The stated aim of the initiative is to turn Colombia into a nation of readers as a means of furthering the country’s social and cultural development. Books are thus seen as a means of loosening the grip of violence and exclusion.

From the Library Act to the Big Society: Libraries in Britain todayOphélie Ramonatxo

This article describes current British public literacy policy, that is nothing if not circumspect. A thousand British libraries are facing closure in 2011 as part of a major plan to cut public expenditure, launched by the new coalition govern-ment as part of its Big Society project. The author looks at the causes behind the project and how it is to be implemented. She also outlines the campaigns against the cuts, involving authors, readers, and professional bodies including the Chartered Institute for Libraries and Information Professionals (Cilip), the National Literacy Trust, the Reading Agency, and Booktrust.

The role of French overseas aid in developing public literacy in Burkina FasoGuillaume Juin

France has been promoting ambitious public literacy programmes around the world for nearly twenty years, helping develop library networks as part of the bi-lateral aid programmes launched in co-operation with partner states. The Fonds de Solidarité Prioritaire (FSP) programme, run by the Ministry of Foreign Af-fairs, has been the key channel for the delivery of such aid. One such FSP was launched in 2006 to support the public library network in Burkina Faso. The arti-cle looks back at how the project got underway and evaluates its results to date.

Towards a European policy on librariesÉlisabeth Freyre

The members of the Conference of European National Libraries (CENL) have a major role to play in the projects launched by the European Union and the Euro-pean Commission to develop the information society, particularly those aspects of the project dealing with issues of digitisation. The Bibliothèque nationale de France is a key player in digitisation projects such as the European Library, Eu-ropeana, and Europeana Regia, all discussed in the present article, which also looks at related projects such as Arrow, Keep, and Impact, studying their strate-gic development in the wider European context.

A political history of web archives: The international internet Preservation ConsortiumGildas Illien

The article focuses on the new international organisations in the field of digital preservation, fostering co-operation between national libraries. It begins with a case study of the IIPC, founded in 2003, describing the methods used to create an archive of material from the world-wide web by bringing together initiatives launched at the national level. The author draws on the sociology of organisa-tions to study the history of the IIPC, which reveals a typical dynamic of innova-tion, in which an initially purely technological need gradually takes on a political dimension before becoming (or returning to) an issue for library science. The article also demonstrates how the development of software, communication strategies, and the invention of new document management practices have made a success of this innovation, while creating potential for conflict between software engineers, librarians, and policy-makers.

The role of the Catalogue collectif de France, past, present, and futureVéronique Falconnet, Jérôme Sirdey and Xavier Borda

Ten years after its launch, has the CCFr been overtaken by more recent develop-ments in the management of library resources across France? A study of the catalogue’s content, recent developments, and future projects suggests that the CCFr remains a key tool for users in search of information and for co-operation between institutions, whatever their role. The listings for printed material are still being extended; the catalogue of manuscript holdings is in the planning stage, while work has recently begun cataloguing historical musical scores.

Do music libraries still have a place in an MP3 world?Laurent Marty

The often-announced death of the CD and the fall in the number of users chal-lenges the current model of music libraries, forcing library professionals to come up with an alternative in line with new modes of music consumption. It is important first of all to study how music functions spatially –in other words, to think about the intellectual and cultural models involved in our representa-tion of music as a means of underlining its complexity. The next step is under-standing how libraries and collections can be shaped to reflect this complexity by means of the forms of structural equivalence that are at the heart of all collec-tions. Furthermore, it needs to be borne in mind that only when the user makes the space his own will it take on its full meaning. Librarians can therefore sug-gest avenues of thought, perhaps staging forms of dissonance that will establish the grounds for a dialogue between the audience and the material.

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Ein Bibliotheksgesetz: nichts dafür, nichts dagegen (ganz im Gegenteil)Danielle Oppetit und Matthieu Rochelle

Im Anschluss an einen kurzen geschichtlichen Abriss des Konzeptes eines von den Bibliothekaren durch die Stimme der Berufsverbände stark verteidigten Bibliotheksgesetzes, analysieren die Autoren mit Genauigkeit die Argumente zu-gunsten eines solchen Textes und jene, die dagegen sprechen. Auf differenzierte Art und Weise befürworten sie eine Umgehungsstrategie unter der Berücksich-tigung, dass ein neues Gesetz im aktuellen sozialpolitischen Kontext nicht das geeignetste Mittel ist, um den Schwierigkeiten und Funktionsstörungen, auf die die Bibliothekare gestoßen sind und die sie festgestellt haben, gerecht zu werden. Sie sind der Ansicht, dass die wahre Herausforderung jene der Bekräfti-gung einer gewählten und geforderten Politik der Weiterentwicklung des öffent-lichen Bibliothekswesens ist, unter Respekt der demokratischen Werte, verbun-den mit angemessenen und angepassten Maßnahmen. Die wesentliche Frage ist ihres Erachtens jene der Verantwortung jedes Einzelnen – Abgeordneter oder Fachmann – oder jeder Einrichtung, die mit den existierenden vorschriftsmäßi-gen Hilfsmitteln in der Anerkennung der Verdienste ihrer Kulturpolitik oder im Gegensatz ihrer Unzulänglichkeiten voll zum Tragen kommen muss.

Zu weit, zu nah: die Politik und die BibliothekBenoît Tuleu

Wie die Politik erneut zum Thema Bibliotheken aktiv werden lasser? Der Arti-kel beginnt, indem er sich auf die regionalen Bibliotheken stützt, wo der Bezug zur Politik am direktesten ist, mit der Analyse einer Situation, in der die richtige Distanz zwischen Bibliothek und Politik schwer kontrollierbar ist. Dann zeigt der Artikel drei Arbeitsansätze zur wirksamen und dauerhaften Verbindung des einen mit dem anderen: zum einen die Formalisierung einer Förderungspolitik der Bibliotheken bei den Entscheidungsträgern, insbesondere durch ihre Be-rücksichtigung von Fachleuten bereits bei der Grundausbildung; zum anderen die Notwendigkeit, dass die Aufgaben der Bibliotheken klar dargelegt werden, was im administrativen und juristischen Rahmen in Frankreich noch nie der Fall war; schließlich die Notwendigkeit, die Benutzer dazu anzuregen, an der Entscheidung über die Einrichtungen, die sie besuchen, teilzuhaben durch die Erfindung der Struktur, die ein Wegkommen vom Streitgespräch zwischen Bib-liothekar und Abgeordneten ermöglichen würde, während die voll und ganz po-litische Dimension der Bibliotheken unter Beweis gestellt wird.

Die öffentlichen Bibliotheken und das französische politische ModellCristina Ion

Die „politische Kultur der Allgemeinheit“, die nach Pierre Rosanvallon das fran-zösische Modell charakterisiert, ist wahrscheinlich nicht ohne Auswirkungen auf die Beziehung zwischen der öffentlichen Bibliothek und der Gesellschaft. Die aktuellen Veränderungen der Bibliothek weisen darauf hin, dass in dieser Beziehung eine zusätzliche Stufe dabei ist, überwunden zu werden, die die Le-gitimität der Bibliothekare gegenüber den Benutzern umschwenken lässt. Es stellen sich mehrere Fragen. Wie entwickeln sich die Einstellungen der Fachleute weiter? Welches politische Vorhaben ist es, das diese Entwicklung begleitet? Ist die öffentliche Bibliothek in die Fiktion einer selbstregulierten Gesellschaft auflösbar?

Wozu dient eine Bibliothek?Stéphane Wahnich

Eine Bibliothek ist weitaus mehr als ein Leseort des Medienangebots. Es ist ein Ort, der das Stadtgebiet strukturiert und der der Gemeinschaft und den Einwoh-nern eine Identität geben kann. Die Entscheidung, eine Bibliothek (wieder-) zu errichten ist aufgrund ihrer Architektur, ihrer räumlichen und sozialen Organi-sation zunächst ein politischer Akt. Der Autor zeigt anhand der Projektbeispiele von Mérignac und Sotteville-lès-Rouen, dass die Bibliothek ein Ort der Gesellig-keit werden oder erneut werden kann, mit starker sozialer Symbolik, und der als Beispiel dienen kann, um von der Attraktivität eines Gebiets zu zeugen.

Der Baum, die Dezentralisierung der Bibliotheken und die SondersubventionThierry Ermakoff und François Rouyer-Gayette

Als Jean Gattégno, ehemaliger Direktor der Direction du Livre et de la Lecture, im November 1981 erklärte, dass „die Dezentralisierung etwas ist, was wir noch nicht beherrschen“, sprach er das richtige Wort zur richtigen Zeit. Dreißig Jahre später haben sich die Beziehungen zwischen den regionalen Bibliotheken und dem Zentralstaat, vertreten durch die Direktion und den Bereich Buch und Bib-liothekswesen, gelockert, sich aber noch lange nicht aufgelöst. Die Sondersub-vention – Symbol, Symptom dieser Fortdauer, die allen Stürmen standgehalten hat.

Die Reform der Sondersubvention: eine dynamische Entwicklung der Verordnungstexte zu Gunsten der investitionen der Körperschaften in die regionalen BibliothekenChristophe Séné und Laure Collignon

Die Sondersubvention der Bibliotheken der allgemeinen finanziellen Ausstat-tung der Dezentralisierung ist das grundlegende Unterstützungsmittel des Staates zu den Investitionen der Körperschaften zu Gunsten der Bibliotheken. Sie wurde im Jahr 2009 grundlegend reformiert und soeben modernisiert und durch neue Hilfen zur besseren Verfolgung der Entwicklung der Bedürfnisse, die in den öffentlichen Bibliothekseinrichtungen zu Tag kommen (normgerechte Gebäude, darunter fallen die Zugänglichkeit, Entwicklung der digitalen Dienst-leistungen, etc.), ergänzt und die somit zu ihrer Attraktivität beitragen.

Entwicklung der Bibliotheken und des öffentlichen Bibliothekswesens in Kolumbien: eine ambitiöse abgestimmte PolitikMarc Sagaert

Kolumbien hat in den letzten Jahren eine aktive und zielstrebige Politik zu Gunsten der Bibliotheken und des Lesens eingeführt, die sich um ein nationales Konzept, das öffentliche und private Partner teilhaben lässt, gestaltet: Eröffnung großer Einrichtungen, Ausbau der Regionalbibliotheken, Ausbildung von Perso-nal, Koordination in Verbünden. Das erklärte Ziel ist es, aus Kolumbien ein Land von Lesern zu machen, indem zu Gunsten der soziokulturellen Entwicklung ge-handelt wird: Bücher, um aus dem rastlosen Kreislauf der Gewalt und der sozia-len Ausgrenzung herauszukommen.

Der „Fall“ der britischen Bibliotheken: vom Libary Act zur Big Society, Portrait einer alles andere als aufdringlichen Politik des öffentlichen BibliothekswesensOphélie Ramonatxo

Tausend britische Bibliotheken sind im Laufe des Jahres 2011 von der Schlie-ßung bedroht, Folge der Umsetzung eines bedeutenden Plans zur Reduzierung der öffentlichen Ausgaben, der im Rahmen der Big Society von der neuen Re-gierung eingeführt wurde. Der Artikel erwähnt die Ursachen dieses Plans, die Modalitäten seiner Umsetzung und beschreibt ausführlich die infolge einge-setzten Unterstützungskampagnen, Kampagnen, die Autoren, Leser und briti-sche Berufsverbände wie das Chartered Institute for Libraries and Information Professionals (Cilip), den National Literacy Trust, die Reading Agency oder den Booktrust vereinen.

Die französische Zusammenarbeit auf dem Gebiet des öffentlichen Bibliothekswesens in Burkina FasoGuillaume Juin

Seit fast 20 Jahren führt Frankreich ambitiöse Programme im Bibliothekswe-sen in verschiedenen Regionen der Welt durch, um die Entwicklung der Bib-liotheksverbünde im Rahmen bilateraler von den Partnerstaaten unterzeich-neten Abkommen zu begleiten. Die prioritären Solidaritätsfonds (Fonds de solidarité prioritaire, FSP) des Ministeriums für auswärtige und europäische

zusammenfassungen

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Angelegenheiten, ein privilegiertes Instrument dieser Politik, ermöglichen diese Begleitung auf lange Zeit. Ein FSP „Unterstützung des Verbunds der öffentli-chen Bibliotheken“ ist so seit 2006 in Burkina Faso im Einsatz. Der Artikel be-schreibt die Umsetzung, die Realisierungen und die Auswertung.

Für eine europäische BibliothekspolitikÉlisabeth Freyre

Die in der Conference of European National Libraries (CENL) zusammenge-schlossenen Nationalbibliotheken engagieren sich stark in den von der euro-päischen Union und der europäischen Kommission umgesetzten Projekten, Projekte, die im Zusammenhang mit der Informationsgesellschaft und ganz besonders mit den Digitalisierungsvorhaben stehen. Die European Library, Eu-ropeana, Europeana Regia gehören zu den Projekten der Digitalisierung von Inhalten, an denen die französische Nationalbibliothek beteiligt ist und die hier beschrieben werden. Dieser Artikel zieht auch Bilanz über zusammenhängende Projekte wie Arrow, Keep, Impact und erinnert an den strategischen Kontext der Weiterentwicklung auf europäischer Ebene.

Eine politische Geschichte der Web-Archivierung: das internationale Konsortium zur internetarchivierungGildas Illien

Dieser Artikel beschäftigt sich mit den neuen internationalen Organisationen, die das Sprungbrett der Kooperation zwischen Nationalbibliotheken auf dem Gebiet der digitalen Archivierung sind. Ausgehend von einer Fallstudie, dem 2003 gegründeten internationalen Konsortium zur Internetarchivierung, IIPC, beschreibt er die gegenwärtigen Leistungen und Maßnahmen, um die weltweite Web-Archivierung durch die „Fédération d’initiatives patrimoniales nationales“ sicherzustellen. Die Geschichte des Konsortiums IIPC, unter dem Aspekt der Soziologie der Organisationen betrachtet, bringt eine typische Innovations-dynamik zutage, wo ein ursprünglicher technischer Bedarf schrittweise zum Thema politischer Einsätze wird bevor er (wieder) ein Bibliotheksthema wird. Sie zeigt auch, wie die Programmentwicklung, die Kommunikationsmaßnahmen und die Entwicklung neuer Dokumentationspraktiken zum Gelingen der Inno-vation beitragen, obwohl möglicherweise Konkurrenzsituationen zwischen den

Gemeinschaften der Ingenieure, der Bibliothekare und den Entscheidungsträ-gern geschaffen werden.

Der französische Gesamtkatalog, zu welchem Zweck? Aktueller Stand und kommende EntwicklungenVéronique Falconnet, Jérôme Sirdey und Xavier Borda

Ist der französische Gesamtkatalog (Catalogue Collectif de France, CCFr) nicht nach 10-jährigem Betreiben von den jüngsten Weiterentwicklungen der franzö-sischen Dokumentationslandschaft überholt worden? Eine Bilanz seiner Inhalte, seiner jüngsten und geplanten Veränderungen lässt erkennen, dass der CCFr ein grundlegendes Hilfsmittel zur Informationsrecherche, aber auch bei der Zu-sammenarbeit zwischen Institutionen jeglicher Art ist. Die Anzeige von Drucken wird fortgesetzt und ausgeweitet, jene der Handschriften wird vorbreitet und die der alten Partituren beginnt.

Kann die Musikbibliothek im MP3-Zeitalter ihre Stellung bewahren?Laurent Marty

Das angekündigte Verschwinden der CD und das nachlassende Interesse der Benutzer der Musikbibliothek zwingen uns, die derzeitigen Modelle in Frage zu stellen, um sich vorzustellen, was wirklich ein Musikbereich sein könnte, der auf die neuen sich abzeichnenden Anwendungen eingeht. Hierzu ist es wichtig, sich zunächst mit der Frage der Aufstellung der Musik zu befassen, das heisst, sich erst Gedanken über die intellektuellen und kulturellen Schemata zu machen, über das Werk in unserer Darstellung dieser Kunst, um die Komplexität heraus-zustellen. Dann zu verstehen, wie der Raum der Bibliothek und des Bestands aufgebaut werden können, um anhand eines Spiels struktureller Äquivalente diese Komplexität abzubilden, wahrhaftiger Diskurs des Bestands. Ohne zu ver-gessen, dass einzig und allein die Aneignung dieses Raums durch den Benutzer ihm seinen Sinn verleihen wird. Jetzt liegt es also am Bibliothekar, Möglichkei-ten vorzuschlagen, Dissonanzen, die den Dialog zwischen den Benutzern und der Materie herstellen werden, in Szene zu setzen, um die ganze Tiefe davon wiederzugeben.

resúmenes

Una ley sobre las bibliotecas: ni a favor ni en contra (sino todo lo contrario)Danielle Oppetit y Matthieu Rochelle

Después de un breve recuerdo histórico del proyecto de ley sobre las bibliote-cas, ardientemente defendido por los bibliotecarios, a través de la voz de las asociaciones profesionales, los autores analizan con precisión los argumen-tos a favor de tal texto y los que se oponen. De manera matizada, ellos toman posición a favor de una estrategia de rodeo considerando que, en el contexto sociopolítico actual, una ley nueva no es la herramienta mejor adaptada a las dificultades y a los disfuncionamientos encontrados y constatados por los bi-bliotecarios. Estos estiman que el verdadero reto es el de la afirmación de una política – escogida y reivindicada – de desarrollo de la lectura pública, en el respeto de los valores democráticos, acompañada de medios y recursos su-ficientes y adaptados. La cuestión esencial es, según ellos, la de la responsa-biblidad de cada uno – cargo electo o profesional – o de cada institución que debe jugar plenamente, con las herramientas reglamentarias existentes, en el reconocimiento de los meritos de su política cultural o, a la inversa, de sus insuficiencias.

Demasiado lejos, demasiado cercano: las políticas y la bibliotecaBenoît Tuleu

¿Cómo movilizar de nuevo a los políticos sobre la cuestión de las bibliotecas? Tomando apoyo en las bibliotecas territoriales donde la relación a la política es más directa, el artículo comienza analizando una situación donde la justa

distancia entre la biblioteca y el político es difícil de controlar. Después, para conectar eficazmente y durablemente una y otra, el artículo muestra tres pistas de trabajo: de una parte, la formalización de una política de promoción de las bibliotecas con los responsables, en particular mediante su toma en cuenta de los profesionales desde la formación inicial; de otra parte, la necesidad que sean enunciadas claramente las misiones de las bibliotecas, lo que nunca ha sido el caso en el marco administrativo y jurídico en Francia; finalmente, la necesidad de invitar a los usuarios a tomar parte en la decisión sobre equipos que ellos frecuentan, inventando la estructura que permitirá salir del cara a cara entre el bibliotecario y el cargo electo, afirmando al mismo tiempo la dimensión plena-mente política de las bibliotecas.

Las bibliotecas públicas y el modelo político francésCristina Ion

La “cultura política de la generalidad” que caracteriza, según Pierre Rosanva-llon, el modelo francés, no puede sin lugar a dudas no tener consecuencias en la relación entre la biblioteca pública y la sociedad. Las mutaciones actuales de la biblioteca llevan a creer que una etapa suplementaria está siendo franqueada en esta relación, que hace bascular la legitimidad de los bibliotecarios hacia los públicos. Varias preguntas se plantean. ¿Cómo evolucionan las actitudes de los profesionales? ¿Cuál es el proyecto político que acompaña esta evolución? ¿La biblioteca pública es soluble en la ficción de una sociedad autorregulada?

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¿Para qué sirve una biblioteca?Stéphane Wahnich

Una biblioteca es mucho más que un lugar de lectura de oferta documental. Es un lugar que estructura el espacio urbano y que puede dar una identidad a la colectividad y a los habitantes. Por su arquitectura, su organización espacial y social, la decisión de (re)construir una biblioteca es en primer lugar un acto político. A través de los ejemplos de los proyectos de Mérignac y Sotteville-lès-Rouen, el autor muestra que la biblioteca puede devenir o volver a devenir un lugar de sociabilidad, con un lado simbólico social fuerte, y que puede servir de ejemplo para testimoniar de la atractividad territorial.

El árbol, la descentralización de las bibliotecas y el concurso particularThierry Ermakoff y François Rouyer-Gayette

Cuando Jean Gattégno, antiguo director del libro y de la lectura, declaraba, en noviembre 1981, que “la descentralización es algo que nosotros no dominamos todavía”, hablaba de oro. Treinta años después, los lazos entre las bibliotecas territoriales y el Estado central, representado por la dirección y después por el servicio del libro y de la lectura, se han distendido, pero, sin embargo, no han desaparecido, síntoma de esta permanencia, el concurso particular, que ha so-brevivido a todas las tempestades.

La reforma del concurso particular: una evolución dinámica de los textos reglamentarios en provecho de los involucramientos de las colectividades en las bibliotecas territorialesChristophe Séné y Laure Collignon

El concurso particular de las bibliotecas de la dotación general de descentrali-zación es la herramienta principal de apoyo del Estado a los involucramientos de las colectividades en favor de las bibliotecas. Profundamente reformado en 2009, acaba de ser modernizado y completado por nuevas ayudas para seguir de la mejor manera la evolución de las necesidades que se hacen día en los es-tablecimientos de lectura pública (puesta en las normas de los edificios, cuya accesibilidad, desarrollo de los servicios numéricos, etc.) y contribuir así a su atractividad.

Desarrollo de las bibliotecas y de la lectura pública en Colombia: una política ambiciosa concertadaMarc Sagaert

Colombia ha instalado los últimos años una política activa y determinada en favor de las bibliotecas y de la lectura, organizada alrededor de un plan nacional que asocia socios públicos y privados: apertura de grandes establecimientos, reforzamiento de las bibliotecas regionales, formación de los personales, coor-dinación en red. La meta confesada es hacer de Colombia un país de lectores actuando por el desarrollo sociocultural: libros para salir del ciclo desenfrenado de la violencia y de la exclusión.

El “caso” de la bibliotecas británicas: del Library Act a la Big Society, retrato de una política de lectura pública que lo es todo salvo intrusivaOphélie Ramonatxo

Un millar de bibliotecas británicas están amenazadas de ser cerradas en lo que va del año 2011, consecuencia de la ejecución de un importante plan de reducción de los gastos públicos, instalado en el marco de la Big Society por el nuevo gobierno. El artículo recuerda las causas del plan, las modalidades de su ejecución y detalla las campañas de apoyo montadas en reacción, campañas que asocian autores, lectores y organizaciones profesionales británicas como el chartered Institute for Libraries and Information Professionals (Cilip), el Natio-nal Trust, la Reading Agency o el Booktrust.

La cooperación francesa en materia de lectura pública en Burkina FasoGuillaume Juin

Desde hace más de 20 años, Francia lleva a cabo ambiciosos programas de lectura pública en diferentes regiones del mundo con el fín de acompañar el

desarrollo de las redes de bibliotecas en el marco de acuerdos de cooperación bilaterales firmados con estados socios. Instrumento privilegiado de esta polí-tica, los fondos de solidaridad prioritario (FSP) del ministerio de Asuntos exte-riores y europeos permiten este acompañamiento a largo plazo. Un FSP “Apoyo a la red de bibliotecas de lectura pública” está de esta manera en curso desde 2006 en Burkina Faso, que el artículo describe la ejecución, las realizaciones y la evaluación.

Por una política europea de las bibliotecasÉlisabeth Freyre

Reagrupadas en el seno de la Conferencia de los directores de bibliotecas nacio-nales europeas (CENL), las bibliotecas nacionales se involucran fuertemente en los proyectos ejecutados por la Unión europea y la Comisión europea, proyec-tos ligados a la sociedad de la información, y muy particularmente a las obras de digitalización. The European Library, Europeana, Europeana Regia forman parte de los proyectos de digitalización de contenidos en los cuales la biblioteca nacional de Francia está implicada y que son evocados aquí. Este artículo hace también el inventario sobre proyectos conexos como Arrow, Keep, Impact, recor-dando el contexto estratégico de desarrollo a escala europea.

Una historia política del archivamiento de la web: el consorcio internacional para la preservación de la internetGildas Illien

Este artículo se interesa a las nuevas organizaciones internacionales que, en el ámbito de la preservación digital, son los trampolines de la cooperación entre bibliotecas nacionales. A partir de un estudio de caso, el consorcio internacional para la preservación de la internet, IIPC, fundado en 2003, describe las fuerzas y dispositivos en presencia para asegurar el archivamiento de la web mundial por la federación de iniciativas patrimoniales nacionales. La historia del consorcio IIPC, enfocada bajo el ángulo de la sociología de las organizaciones, revela una dinámica típica de la innovación donde una necesidad inicialmente técnica se vuelve progresivamente el reto de movilizaciones políticas antes de volver a de-venir un tema biblioteconómico. Esta muestra igualmente cómo el desarrollo de los programas, las acciones de comunicación y la invención creando al mismo tiempo potencialmente situaciones de competencia entre las comunidades de ingenieros, de bibliotecarios y de responsables.

El catálogo colectivo de Francia, ¿para hacer qué? inventario y evoluciones por venirVéronique Falconnet, Jérôme Sirdey y Xavier Borda

Después de 10 años de funcionamiento, el catálogo colectivo de Francia (CCFr) ¿no ha sido superado por las evoluciones recientes del paisaje documental fran-cés? Un balance de sus contenidos, de sus evoluciones recientes y por venir dejà aparecer que el CCFr permanece como una herramienta fundamental para la búsqueda de información pero también para la cooperación entre instituciones de todo tipo. El señalamiento de los impresos se prosigue y se amplifica, el de los manuscritos se organiza y el de la particiones antiguas comienza.

¿La biblioteca musical puede jugar su partición a la hora del MP3?Laurent Marty

La desaparición anunciada del disco y la ausencia del público de las discotecas de préstamo nos fuerzan a cuestionar los modelos actuales para imaginar lo que podría ser realmente un espacio de música que responda a los nuevos usos que se dibujan. Para esto, es importante inclinarse primeramente sobre la cues-tión de la puesta en espacio de la música, es decir reflexionar sobre los esque-mas intelectuales y culturales a la obra en nuestra representación de este arte para exponer en él la complejidad. Enseguida comprender cómo el espacio de la biblioteca y de la colección pueden construirse para dar cuenta de esta com-plejidad mediante un juego de equivalencias estructurales, verdadero discurso de la colección. Sin olvidar que sólamente la apropiación de este espacio por el usuario le dará su sentido. Al bibliotecario, entonces, le toca sugerir pistas, poner en escena disonancias que establecerán el diálogo entre el público y la materia, para restituir ahí toda la profundidad.

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Malgré le raz-de-marée du numérique etd’Internet, les enquêtes récentes montrentque les étudiants, comme le public engénéral, fréquentent de plus en plus lesbiblio thèques. Par tout, on observe une de -mande croissante d’actualité, de rencontresautour d’intérêts partagés, de lieux ouverts,confor tables et conviviaux. Le besoin delecture sur papier coexiste avec celui d’une

information virtuelle et multimédia facilementaccessible. Cet ouvrage, qui concerne tousles types de bibliothèques, s’appuie surdes exemples innovants pris en France etdans les pays voisins. Il fournit un éventail de recommandationset de pistes nouvelles pour la conceptionde bâtiments accueillants et chaleureux,en phase avec les appétits sans cesse

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Politique(s) et bibliothèques

Le Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venir

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?bb

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Dossier

Politique(s) et bibliothèques

1 – OuvertureUne loi sur les bibliothèques : ni pour ni contre (bien au contraire)Danielle Oppetit et Matthieu Rochelle

2 – Politiques françaisesTrop loin, trop proche : les politiques et la bibliothèqueBenoît Tuleu

Les bibliothèques publiques et le modèle politique françaisCristina Ion

À quoi sert une bibliothèque ?Stéphane Wahnich

L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulierThierry Ermakoff et François Rouyer-Gayette

Pour Cécil GuitartGérald Grunberg

La réforme du concours particulier : une évolution dynamique des textes réglementaires au profit des investissements des collectivités dans les bibliothèques territorialesChristophe Séné et Laure Collignon

3 – Relations étrangèresDéveloppement des bibliothèques et de la lecture publique en Colombie : une politique ambitieuse concertéeMarc Sagaert

Le « cas » des bibliothèques britanniques : du Library Act à la Big Society, portrait d’une politique de lecture publique tout sauf intrusiveOphélie Ramonatxo

La coopération française en matière de lecture publique au Burkina FasoGuillaume Juin

Les bibliothèques nationales et l’EuropeÉlisabeth Freyre

Une histoire politique de l’archivage du web : le consortium international pour la préservation de l’internetGildas Illien

À proposLe Catalogue collectif de France, pour quoi faire ? État des lieux et évolutions à venirVéronique Falconnet, Jérôme Sirdey et Xavier Borda

La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ?Laurent Marty

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