POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

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( 5w/u° , bec34-n PRINCIPAUX OUVRAGES DU MÉME AUTEUR Etudes sémiologiques, Klincksieck, Paris, 1971. Utopiques, jeux d'espaces, Minuit, Paris, 1973. La critique du discours études sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, Minuit, Paris, 1975. Détruire la peinturé, Galilée, Paris, 1977. Le récit est un piége, Minuit, Paris, 1978. La voix excommuniée, essais de mémoire, Galilée, Paris, 1981. Le portrait du Roi, Minuit, Paris, 1981. La Parole mangée et autres essais théologico-politiques, Méridiens Klincksieck, Paris, 1986. Opacité de la peinture, Essii.i sur la représentation au Quattrocento, Usher, París, 1989. Lecturés - Traversiéres, Albin Michel, Paris,1992. Des Pouvoirs de l'image. Gloses, Seuil, Paris, 1993. De la représentation, éd. Daniel Arasse, Alain Cantillon, Giovanni Careri, Dankiéle Cohn, Pierre-Antoine Fabre et Frangoise Marin, Seuil, Paris, 1994. Philippe de Champaigne ou la présence cachée, Halan, Paris, 1995. Sublime Poussin, Seuil, Paris, 1995. Pascal et Port-Royal, éd. Alain Cantillon, avec la coll. de Daniel Arasse, Giovanni Careri, Daniéle Cohn, Pierre-Antoine Fabre et Frangoise Marin, Bibliothéque du Collége International de Philosophie, PUF, Paris, 1997. L'écriture de soi, éd. Pierre-Antoine Fabre, avec la coll. de Daniel Arasse, Alain Cantillon, Giovanni Careri, Daniéle Cohn et Frangoise Marin, Bibliothéque du Collége International de Philosophie, PIJE Paris, 1999. LOUIS MARIN POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION Édition établie par Alain Cantillon, Giovanni Careri, Jean-Pierre Cavaillé, Pierre-Antoine Fabre et Frangoise Marin Éditions Kimé 2, impasse des Peintres PARIS IIe I I

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( 5w/u° , bec34-n PRINCIPAUX OUVRAGES DU MÉME AUTEUR

Etudes sémiologiques, Klincksieck, Paris, 1971.

Utopiques, jeux d'espaces, Minuit, Paris, 1973.

La critique du discours études sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, Minuit, Paris, 1975.

Détruire la peinturé, Galilée, Paris, 1977.

Le récit est un piége, Minuit, Paris, 1978.

La voix excommuniée, essais de mémoire, Galilée, Paris, 1981.

Le portrait du Roi, Minuit, Paris, 1981.

La Parole mangée et autres essais théologico-politiques, Méridiens Klincksieck, Paris, 1986.

Opacité de la peinture, Essii.i sur la représentation au Quattrocento, Usher, París, 1989.

Lecturés -Traversiéres, Albin Michel, Paris,1992.

Des Pouvoirs de l'image. Gloses, Seuil, Paris, 1993.

De la représentation, éd. Daniel Arasse, Alain Cantillon, Giovanni Careri, Dankiéle Cohn, Pierre-Antoine Fabre et Frangoise Marin, Seuil, Paris, 1994.

Philippe de Champaigne ou la présence cachée, Halan, Paris, 1995.

Sublime Poussin, Seuil, Paris, 1995.

Pascal et Port-Royal, éd. Alain Cantillon, avec la coll. de Daniel Arasse, Giovanni Careri, Daniéle Cohn, Pierre-Antoine Fabre et Frangoise Marin, Bibliothéque du Collége International de Philosophie, PUF, Paris, 1997.

L'écriture de soi, éd. Pierre-Antoine Fabre, avec la coll. de Daniel Arasse, Alain Cantillon, Giovanni Careri, Daniéle Cohn et Frangoise Marin, Bibliothéque du Collége International de Philosophie, PIJE Paris, 1999.

LOUIS MARIN

POLITIQUES

DE LA REPRÉSENTATION

Édition établie par Alain Cantillon, Giovanni Careri,

Jean-Pierre Cavaillé, Pierre-Antoine Fabre et Frangoise Marin

Éditions Kimé 2, impasse des Peintres

PARIS IIe

I I

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4. LE POUVOIR ET SES REPRÉSENTATIONS*

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exposé était: « Comment lire un tableau ? « Son théme et son contenu se sont amplement déplacés et peut-étre approfondis dans celui que je vais vous faire ce soir, intitulé: « le pouvoir et ses représentations ». J'abrierais jouer de ce titre, représentations du pouvoir, et pour com-mencer, pouvoir de la représentation: c'est cette inversion que je voudrais explorer avec vous. Parler de pouvoir et de ses représentations, cela signifie que l'institution du pouvoir s'approprie ou produit ses représen-tations aussi bien de langage que d'usage : elle se les donne comme siennes. Evidemment la question est alors de se demander á quelles fins et quel est son intérét ; et si le pouvoir ou l'institution du pouvoir s'ap-proprie ou se donne, ou produit ses représentations, de savoir si elles ont quelque pouvoir; et tout ceci ne serait qu'un pur jeu de mots si je n'es-sayais pas au moins de préciser ce que j'entends par représentation et ce que j'entends par pouvoir.

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Politiques de la représentation 70

bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tulles. Que ques temps apres, 1 Chat, ayant vu que l'Ogre avait quitté sa premiare forme, descendit, et avoua qu'il avait eu bien peur. « On m'a assuré encore, dit le Chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits Animaux, par exemple, de vous changer en un Rat, en une souris ; je vous avoue que je tiens cela tout á fait impossible. - Impossible ? reprit l'Ogre, vous allez voir », et en mame ternps il se changea en Souris, qui se mit _á courir sur le planchet Le Chat ne l'eut pas plus telt apergue qu'il se jéta dessus, et la mangea. Cependant le Roi, qui vit en passant le beau Cháteau de l'Ogre, voulut entrer dedans. Le Chat, qui entendit le bruit du Carrosse qui passait sur le pont-levis, courut au-devant, et dit au Roi:

, „, - ur le _M •uis de « 'otre V ale . . Carabas. - Comment, Monsieur le Marquis, s'écria le Roi, ce Cháteau est encore á vous ! Il ne se peut rien de plus beau que cette cour et que tous ces Bátiments qui l'environnent ; voyons les dedans, s'il vous plait. » Le Marquis donna la main á la

. jeune Princesse, et suivant le Roi qui montait le premier, ils entrarent dans une grande Salle oh ils trouvarent une magnifique collation que l'Ogre avait fait pré- parer pour ses amis qui le devaient venir voir ce mame jour-lá, mais qui n'avaient pas osé entrer, sachant que le Roi y était. Le Roi charmé des bonnes qualités de Monsieur le Marquis de Carabas, de mame que sa filie qui en était folie, et voyant

les-grandsliensAulLpossédait, lui dit, aprés avoir bu cinq ou six coups : « 11 ne tiendra qu' á vous, Monsieur le Marquis, que vous ne soyez mon gendre-.-»- e Marquis, faisant de grandes révérences, accepta l'honneur que lui faisait le Roi; et das le mamé jour épousa la Princesse. Le Chat devint grand Seigneur, et ne courut plus aprés les souris, que pour se divertir.

MORALITÉ

Quelque grand que soit l'avantage De jouir d'un riche héritage Venant á nous de pére en fils, Aux jeunes gens pour l'ordinaire, L'industrie et le savoir-faire Valent mieux que des biens acquis.

AUTRE MORALITÉ

Si le fils d'un Meunier, avec tant de vitesse, Gagne le cceur d'une Princesse, Et s'en fait regarder avec des yeux mourants, C'est que l'habit, la mine et la jeunesse, Pour inspirer de la tendresse, N'en sont pas des moyens toujours indifférents.

-••

Tout d'abord `représentation' ; je vais partir de choses au fond trés banales et tras simples mais comme toujours les banalités et les choses simples sont peut-étre les plus intéressantes á explorer... Qu'est-ce que cela veut dire `représenter' ? Quelle est la valeur du préfixe 're' dans représenter ? Si vous ouvrez le Littré ou le Robert vous voyez qu'un des premiers sens de représenter c'est `présenter á nouveau' ou 'á la place de quelque chose'. nouveau' dans le temps ou á la place de quelque chose dans l'espace. Quelque chose était présent et ne l'est

'Article publié en deux livraisons dans la revue Noroit, n° 249-250, mai-juillet 1980. Nous avons choisi de laisser á cette intervention ses marques d'oralité (NdE). • « Comment lire un tableau », Norolt, novembre 1969 (article repris dans L. Marin, Études sémiologiques, Paris, Klincksieck, 1971).

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72 Politiques de la représentation Pouvoinrepris'sánlation 73 .

plus, quelque chose est donné présent ici á la place de quelque chose qui est ailleurs. Par exemple, l'ambassadeur dans un pays étranger repré-sente le gouvernement de sa nation, ou encore l'ange au tombeau vide, qui dit: n'est pas ici, il est ailleurs', est le représentant de celui qui est lá-bas. Dans cette acception du terme, dans le lieu de la représenta-tion, il y a une absence, un autre et représenter, c'est au fond opérer une substitution, la substitution de quelque chose á la place de cet autre, de quelque chose qui est, si j'ose dire, le `méme' de cet autre; qui lui res-semble, qui lui est proche : c'est lá ce que j'appellerai le premier effet de la représentation, faire comme si l'absent était ici maintenant. Entendez bien : comme si'. Il ne s'agit pas de sa présence mais il s'agit d'un effet de présence. Ce n'est pas le méme mais tout se passe comme si c' é-tait le méme et parfois, c'est souvent mieux que le méme. Ainsi la photographie d'un disparu sur la cheminée ou le récit d'une bataille de jadis par l'historien d'aujourd'hui, voilá des représentations. On trouve dans le traité de la peinture d'Alberti, une évocation extraordinaire de ce qu'il appelle la rlierVeále de la représentation picturale : la nouvelle peinture de l'époque, dit en substance Alberti, fait revenir les morts, elle les fait revivre, elle les évoque en quelque sorte magiquement. Autrement dit, c'est bien le mort, l'absent, mais ce n'est pas lui tout á fait, c'est presque lui.

Ce premier effet de la représentation est un extraordinaire pou-voir, dimension transitive de la représentation', le fait de représenter quelque chose qui est le méme mais pas tout á fait le méme et peut-étre mieux que le méme.

Un autre exemple serait le `rompe l'ceil' en peinture. C 1 est une représentation dont l'effet de présence est si puissant que le spectateur en est trompé. Voici une anecdote personnelle : visitant un jour une exposition de natures mortes du xvne siécle, j' al apergu une goutte d'eau sur la surface du tableau et je me suis approché. En fait c'était une goutte d'eau peinte. Voilá un effet de présence qui révéle'un -extraordi-naire pouvoir de la représentation puisque j' al failli sortir mon mouchoir pour essuyer la goutte d'eau.

Premier sens donc oa le préfixe 're' de représenter a une valeur de substitution et premier pouvoir de la représentation. Mais en méme temps, si vous continuez á lire le dictionnaire, vous vous apercevez que

représenter, c'est redoubler une présence, exhiber, exposer devant les yeux. Ainsi selon le Littré, on représente sa carte d'identité, on repré-sente sa lettre de patente, on représente son passeport. Représenter un objet, dit-il encore, c'est exhiber l'objet qui a été mis en dépót :. Ce sens est tout á fait différent du premier : représenter signifie redoubler, insister, intensifier une présence et dans le cas de la carte d'identité, de la lettre de patente ou du passeport, exhiber ún tare de droit. PAr. exemple, représenter son passeport signifie que non seulement re déten-teur du passeport se présente á la frontiére, mais qu'il présente sa pré-sence légitime, le titre qui autorise sa présence. La représentation intensifie le `méme' ou encore, la représentation est la réflexion du méine en lui-méme et représérifer c' est toüjours se représenter ou se pré-senter représentant quelque chose. Et du méme coup, s'il y a ainsi par réfleilion comme une sorte d' intensification de présence, la représenta-tion constitue par a méme un sujet de représentation. C'est a le deuxiéme effet de la représentation en général, la constitution d'un sujet par réflexion du dispositif représentatif. Autrement dit, tout se passe colme si — c'est lá le signe de l'effet — un sujet, un moi, un étre, une force produisait la représentation qu'il a des choses, comme s'il n'y avait un monde, une réalité que pour et par un sujet, centre de c'¿mérrtle, alors que ce sujet n'est qu'un effet de fonctionnement du dispositif représentatif puisqu'u n'est que la résultante de cette réflexion du dispo-sitif sur lui-méme et son intensification par redoublement. 11 y a donc deux effets du dispositif représentatif, un double pouvoir de la repré-sentation, un effet de présence et un effet de sujet ou encore un effet de légitimation, d'institution, d'au.torisation, de présence.

Si donc la représentation a pour effet un double pouvóir, celui de rendre imaginairement présent et celui de constituer son propre sujet légitime et autorisé, ü n'est pas étonnant que le pouvoir cherche á s'ap-proprier la représentation puisque la représentation est elle-niéme pou-voir. Autrement dit, représentation et pouvoir sont peut-étre de mémq nature. *––"'Qu'est-ce donc que le pouvoir ? Qu'est-ce donc que pouvoir ?

Pouvoir, c'est étre en état d'exercer une action sur quelqu'un ou sur quelque chose; non pas agir ou faire, mais avoir la puissance, avoir la force de faire ou d' agir. Pouvoir c'est, dans son sens le plus général,

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&re capable de force, avoir une réserve de forces qui ne se dépense pas mais qui est en état de se dépenser. On peut mame se demander ce qu'est une force qui ne se manifeste pas. Pouvoir ainsi signifie d'abord avoir puissance mais c'est aussi et de surcrolt valoriser - cette puissance comme contrainte obligatoire, génératrice de devoir comme loi. En ce sens, pouvoir, c'est instituer comme loi la puissance, elle-méme coligue comme possibilité et capacité de force. Et c'est ici que la représentation

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quand je rencontre un duc vatu de brocatelle, je le salue, « Eh quoi je ne le salue pas il me fera donner des étriviéres. Un homm" e suivi de sept ou huit laquais [...] c'est une force.' » Entendons qu'un « duc » est simplement un systéme de signes qui représentent des forces.' La repré-sentation est ici une force mise en signes. Rappelez-vous dans le film de Rossellini, La plise de pouvoir de Louis XIV, le moment oh: Louis XIV y compose le costume du courtisan. On voit trés bien ¿mit ent cette eom-

et son fondement. Autrement dit, je propose comme hypothése de tra- vail que le's sitif re rUeilt,...,,k..,a,._.....Lransfo transformation de la force en n 2uissance, de la force en pouvoir ; d'une part en mettant en réserve la force, c'est la puissance et d'autre part, en valorisant cette puissance en état légitime, obligatoire, en justifiant la puissance.

Mais comment la représentation peut-elle opérer cette transfor- mation? D'abord, la représentation met la force en si es et d'autre part elle signifie la force ans le discours de la loi. Cela veut dire que la représentation subsistue á l' arte extérieur oh une force se manifeste, les ,—,..r. sil , - • e la force ui n'ont besoin ue d'étre vus • sur • ue la force it croe. La notion de re sentation et celle de croyance sont ainsi jitrUz..o- ches. La re sentation, dans et par les signes, représente la force. Dés lors on apergoit que les signes ne sont pas simplement des représentants de significations mais que ce sont presque toujours des représentants de forces saisissables seulement dans leurs effets, dans les effets qui les représentent.les i52résentations sont des délé:atis de forres<hm les jiteesi Elles sontlle es-i—rieines des forrces des signes-effets qui sont ainsi eux-mames des forces. ri y a un tras beau texte dans les Pensées oh Pascal écrit : « acre brave [et brave au sens du xvue siécle

Y veut dire étre bien habillé] c'est montrer sa force ». Cet habit-lá est une ot force non pas paree que celui qui porte un bel habit se manifeste comme

fort en allant boxer ceux qu'il rencontre mais simplement paree que, comme dit Pascal, cela signifie qu'un grand nombre de gens travaillent pour soi. Il faut avoir un parfumeur pour les cheveux, une dentelliére pour le jabot, un cordonnier pour les bottes, etc. etc. Etre bien habillé, dit-il c'est « avoir plusieurs bras ». Ces signes que sont le bel habit, les dentelles, les rubans, les bottes sont des forces. Ce sont des signes repré-sentant des forces qui sont eux-mames des forces et Pascal ajoute :

forces. J'ajouterai que la représentation va opérer l'agencement des signes de la force dans le discours de la loi. Elle valorise, légitime les signes de la force, elle construit un systéme qui vaut pour la force parre qu'elle est le systéme de ses signes. Le pouvoir c'est le diácours de la force, c'est la force qui se met á parler et qui dit qu'elle est juste,

En ce sens done le pouvoir, et le pouvoir politique en particulier, est l'effet d'un systéme de représentation dans la mesure oh la repr -é-sentation a opéré la transformation de la force en puissance et celle de la puissance en pouvoir. La représentation valorise la puissance á ce moment-lá non plus comme pouvoir faire mais comme deiroir faire : « je dois saluer le duc qui passe ». Le pouvoir est effet du dispositif de repré-sentation en tant que celui-ci met la force en signes et en discours ; la représentation produit un pouvoir á titre d'effet de ses opérations. Autrement dit, l'effet-pouvoir de la représentatipn, c'est la repilsInta- • don méme.

Troisiéme probléme: qu' est-ce que k faire d'une force? Pouvoir, avons-nous dit, c'est &re en mesure de faire quelque chose sur quel-qu'un ou sur quelque chose. Ce `faire' d'une force, nous le saisissons dans le procés de lutte et d'affrontement d'une force contre une autre force et ce procas d'affrontement n'a d'autre objectif que l'anéantisse-ment de la force adverse, son annihilation. C'est lá la définition mame de la force. La force n'est force que par destruction, annihilation de toute autre force et c'est en ce sens que toute force dans son essence mame est absolue puisqu'elle n'est force que d'anéantir toute autre

• Pascal, Pensées, fragmenta 95-316, 89-315.

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force. Elle n'est force que d'étre sans altérité, sans autre et c'est cela l'absolu. Etre absolu, c'est n'avoir pas d'extérieur, n'avoir pas d'exté-riorité et c'est bien lá la lutte á mort des forces que l'on va trouver dans toute la réflexion politique occidentale de Pascal ou de Hobbes á Hegel ou Clausewitz, lutte á mort, ce qui veut dire, montée aux extremes, montée á l'absolu, tension á l'absolu.

Si donc je reviens á l'idée précédente que le pouvoir c'est la mise en réserve de la force dans les signes, sa mise en représentation, je dirais que cette mise en représentation qu'est le pouvoir, cette mise en repré-sentation de la force sera á la fois la négation et la conservation de l' ab-solu de la force ; sa négation puisque la force ne s'exerce pas, ne se manifeste pas, puisqu'elle est mise en réserve dans les signes qui la signifient et la désignent mais sa conservation aussi puisque la force, par et dans la représentation, se donnera comme loi, comme obligation et comme obligation absolue. Pour résumer cela dans une formule, on peut dire que le pouvoir, c'est la tension á l'absolu de la représentation de la force, ou encore, pour parler plus simplement, le pouvoir est désir de l'absolu du pouvoir. Cela veut dire que la représentation dont le pouvoir est l'effet est á la fois l'accomplissement de ce désir mais accbmplisse-ment imaginaire car cet accomplissement réel est toujours différé. C'est une idee qui a été souvent énoncée Pouvoir de ne jamais se consoler de ne pas etre absolu. La représentation ou le Pouvoir ce serait, si 1 on peut dire, le travail infini du deuil de l'absolu. Et il y a de multiples formes de ce travail infini du deuil. C'est vrai du pouvoir politique ou du pouvoir militaire et relisez Alain á ce sujet, mais c'est vrai de tout pouvoir, méme et d'autant plus Iiirsqu'il n'est pas en apparence question de gouverner. Et c'est une des formes les plus remarquables du désir d'absolu du pouvoir que de se dénier ou de dénier ce désir comme le sien. Le discours du dominant au dominé est le plus souvent: 'Je ne veux rien pour moi, je ne veux que pour toi, je veux ton bien. Je ne désire pas le pouvoir pour moi, je le désire pour toi.' C'est le discours du chef, du pédagogue, du médecin, du pare, des multiples pouvoirs qui se donnent sans désir, c'est-a-dire sans autre désir que de s'assurer la maltrise du désir des autres et oú finalement le désir d'ab-solu se cache dans les déclarations d'un savoir omniscient. 'Je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi' ou `tu ne sais pas ce que tu veux,

Pouvoir, représentation 77

tu ne sais pas vraiment ce que tu désires, moi je le sais et je vais te lé dire', discours que nous avons souvent entendu, suffit d'avoir l'oreille attentive.

Le pouvoir, dirai-je, se définirait comme désir de. l'absolu du pouvoir, effet de représentation de la force absolue ; i1-1' est nécessaire-ment et c' est par et dans la représentatión qu'U inapaggiuisque la représentation — souvenez-Vous des deux défiftition "aue al données de ce terme au début — sera simultanément ce qui differdinfiniment son accomplissement et l' opere imaginairement. En effet représenter c'est faire revenir l'absent comme s'il était présent, intensifier la présence, instituer le sujet de la représentation. -

Si nous suivons ces deux directions, ce qui va etre substitut ima-ginaire de l'accomplissement total du désir absolu -du pouvoir, ce sera précisément l'image puisqu'elle sera la représentation de l'accomplisse-ment du désir qui définit le pouvoir. Et la différence infinie de la réali-sation de ce désir dans le réel, ce sera le récit. En effet dans le récit, l'investissement du désir d'absolu prendra la forme du temps et cet accomplissement sera toujours différé et constituerálalors le sujet dans le temps comme effet de la représentation narrative. Le sujet sera ..un effet de récit, tres précisément l'effet du récit de l'histoire, l'effet de ce récit calme sujet qui fait l'histoire.

Apres ces themes un peu abstraits, je voudrais passer précisément á mon domaine de recherche sur pouvoir et représentation : le xvrr siécle frangais et en particulier Louis XIV.

Le xvne siécle frangais, vous le savez, dans ses diWrses produc-tions philosophiques, littéraires, artistiques, a été considéré, et s' est considéré lui-méme comme le siécle de la représentation, de la rév olu-tion philosophique et scientifique cartésienne et de la mise en place d'une théorie. générale et raisonnée du signe et du discours, á la réflexion critique et théorique sur les ceuvres et les textes. Malgré les oppositions, malgré les différences, malgré les variétés, tous ces textes, ces oeuvres toument autour de cette notion centrale de représentation. Ce méme siecle est le siécle de Louis-XIV dit le pouvoir d'état se construit et se pense en méme temps dans ce que l'historien Mandrou a appelé le modele frangais de l' absolutisme,-- le monarque absolu. `L'État c'est moi' est une formule qu'aurait prononcée le jeune Louis XIV en habit

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Pouvoicrepré~

de chasse devant le parlement de Paris. Modéle: je dirais qu'il faut entendre ce terme en deux sens. D'une part, l'idée, l'image, la repré-sentation dont la réalité correspondante est moins importante que sa pro-duction historique et idéologique, á propos de laquelle la question pertinente n'est pas : 'Est-ce que Louis XIV fut vraiment un monarque absolu ?', mais sous quelles conditions le pouvoir politique a pu se penler, s'Imagine', se représenter comme abáolu ? Maiá modele aussi au sens d'une construction, d'un artífice que construisent le philosophe,

n • e e exp quer un ensemble chaotique de faits culturels et sociaux, d'événements, de décisions historiques, de produits philosophiques, artistiques, littéraires, religieux et c'est pourquoi l'interrogation philosophique, théorique sur pouvoir et représentation croise et rencontre cene, plus limitée, sur le monarque absolu : Louis XIV, et ses représentations. Et je ne pene pas que tout ce que nous pouvons cifre de la représentation du pouvoir poli-tique et du pouvoir politique de la représentation soit dépourvu d'appli-

cours, un 'je' qui parle á un `tu' de quelque chosé : l'énoncé de son dis-cours. Mais habituellement cet appareil n'apparait pas dans le discours. Par exemple, en ce moment je suis en train de vous parler, et je ne dis pas : `je vous parle'. Mais dans les textes on rencontre tras fréquemment `je' ou `tu' et les temps verbaux qui leur sont associés : le présent ou le futur ou le parfait. Or ce qui caractérise le récit, un récit pur, est la trcil siéme personne : 'ils, elles, eux', et le temps du passé sirripleZerrfran-gais). Dans l'his discours á locuteur absent. Il y a bien sar quelqu'un qui écrit l'histoire, mais tout se passe comme s'il n'y avait personne et du méme coup nous apercevrons quel est le pouvoir du récit, ce pouvoir commeeffet prag-matique de cette modalité d'énonciation qui le caractérise. Benveniste le résume dans une belle formule : « Dans le récit d'histoire les événe-ments semblent se raconter eux-mémes », sans renvoyer explicitement á l'acte producteur du récit. Tout se passe comme si le récit de l'histoire, la re ésentation

. ... • . e, ea pu lelt , • s moyens audio-visuels, etc.

Tout á l'heure j'ai évoqué tras rapidement le double investisse-ment du pouvoir effet de représentation et de la représentation effet de pouvoir dans le temps et dans l'espace, dans le temps comete la repré-sentation narrative dont l'effet est la production d'un sujet historique, d'un sujet qui fait l'histoire; et dans l'espace comme la représentation iconique qui donne á voir, mais imaginairement, l'accomplissement du désir d'absolu du pouvoir. Ce sont ces deux dispositifs représentatifs iconiques et narratifs d'image et de langage qu'il faut examiner plus précisément pour mettre en évidence les procés du dispositif représen-tatif dans ces deux domaines oú la représentation se réalise comme pou-voir et le pouvoir comete représentation.

Premier point : le dispositif représentatif narratif, qui trouve son modele dans le récit historique.

Vous connaissez la caractéristique fondamentale du récit histo-rique. Le récit historique est un type de discours tras étrange, car c'est un discours dont la caractéristique est qu'il efface ou qu'il dissimule toutes les marques de l'énonciation dans l'énoncé. Je m'explique : qu'est-ce que l'énonciation ? C'est l' appareil méme du langage, du dis-

récit de la vérité ou plutót sa simulation qui a pour effet d'assujettir le lecteur á cette simulation. Si donc le dispositif représentatif narratif a cet effet de pouvoir : le réel se raconte, la vérité méme se dit, on comprend l'intérét du pouvoir d'État d'occuper le lieu de l'instance narratrice, d'ate cette instance méme pour s'assurer de cet effet sur Tallocuté', sur le lecteur du récit. Mais naturellement ce détournement de l'effet de pouvoir du récit par l'institution d'État a pour conséquence que celle-ci n'y trouve son pouvoir qu'i titre d'effet du dispositif narratif. Le pou-voir d'État, dans et par le récit de son histoire, se réalise comete effet de récit, le pouvoir d'État n'est que le simulacre du récit de son-histoire 1f ceci est une tras longue histoire. C'est une tras longue histoire jusqu'ay présent le plus contemporain. C'est l'histoire des relations entre l'fiisto-rien et le pouvoir d'État. C'est en particulier l'histoire de l'historiogra-phie de l'institution royale et c'est pourquoi je me suis beaucbup intéressé aux historiographes du roi Louis XIV, pour apercevoir tras vite une sorte de complicité. entre celui qui fait l'histoire, l'homme politique, en l'occurrence, le roi, et celui qui l'écrit. S'il y a un pouvoir du récit, le récit historique le porte á sa plus haute puissance. Dél lors est tras intéressant pour le pouvoir, le roi, que celui-ci, sinon raconte sa propre histoire, mais ait au moins quelqu'un qui la raconte. Si vous ouvrez les

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mémoires de Louis XIV, vous vous apercevez que Louis XIV a essayé lui-méme d'écrire sa propre histoire, il a utilisé des secrétaires auxquels il dictait et qu'il corrigeait et enfin il a recruté un historiographe, d' a-bord Pelisson et ensuite Racine et Boileau pour écrire son histoire. Cette complicité est intéressante. C' est un échange, un échange entre les actes de la toute puissance royale et le récit de ces actes qui doit en opérer les effets sur le lecteur et de nombreux textes expliquent que, si l'histoire du roi est bien écrite, les lecteurs doivent étre assujettis á ce récit et admirer le roi. Seulement n' est pas historien du roi qui veut et c'est la méme chose aujourd'hui. On ne peut pas s'improviser historien du pou-voir. L'écrivain ne peut raconter le roi que si celui-ci lui donne le pou-voir d'écrire qui lui est nécessaire pour le faire, et qu'est-ce que ce pouvoir d'écrire sinon occuper la position officielle de témoin oculaire des hauts-faits du prince, sinon etre au plus proche de l'ceil du roi, de l'ceil du maitre. Et pourquoi au plus proche de l'ceil du maitre? Parce que, et c'était un phantasme du monarque absolu, l'ceil du maitre c'est un ceil qui, en voyant, réalise. il suffit au roi de voir pour faire.

Il faut donc que l'historiographe du roi soit tout prés de cet ceil que j'appelle 'un ceil performant' puisque quand il voit il réalise. Le récit est ainsi le produit d' une application du pouvoir sur une écriture mais il y a l'inverse ; ce premier temps de l' échange est contemporain d'un nutre, car le roi aussi a besoin de l'historien. Le pouvoir ne peut trouver son achévement, son absolu que si l'historien le raconte, que si Pacte royal devient l'histoire et le roi, son sujet par cette écriture, si l'historien représente au roi ce que le roi vient de voir. L'histoire royale est le produit de l' application du pouvoir narratif sur les manifestations de la toute puissance politiquea

Tele est la complicité entre deux pouvoirs; le pouvoir de l'État c'est mor et le pouvoir du récit et cette complicité, le résultat de cet échange doit &re la représentation totale et parfaite de l'histoire puisque l'un la fait et l'autre la raconte mais vous apercevrez que bien évidem-ment, dans cet échange, aucun des deux pouvoirs ne s'assume, ne s' ins-titue en lui-méme mais seulement par l'autre. Au point central de cet échange nous avons un . double simulacre en reflet qui est le pouvoir méme.

Pouvoin représeritation 81

Je passe maintenant á l'autre aspect, c'est-á-dire le dispositif représentatif iconique et c'est sur celui-lá que je ierminerai cet exposé -avec une petite illustration. De la méme fagon que le récit trouvait son modéle dans une certaine forme d'énonciation, celle oú personne ne parle, personne n'écrit, oil les événements semblent se raconter eux-mames, c' est-á-dice cette forme d' énonciation oil les marques de l' é-nonciation dans l'énoncé narratif se trouvent _effagées, éme- le dispositif narratif iconique trouve son modele ¿Fans les•pers-pectif qui systématise la représentation de l'espace sur un plan et -dans la disposition des figures, dans cet espace illusoire créé sur une surface.

Nous avons la chance d'avoir une description tras exacte d'un petit dispositif construit par l'un des inventeurs de la perspective en peinture: Brunelleschi (ill. 5). Sur un tableau, il peint conforrnément-aux principes de la perspective ce qu'il voit, lui, Bruntllesc hi, quand il est installé dans le porche central de Sainte-Marie-des-Fleurs, la cathé-drallde Florence ; il voit d'abord une belle place dallée, il voit le bap-tistére, il voit des tours et des maisons et ce spectacle, il le construit selon le príncipe perspectif, les orthogonales au plan du tableau conver-geant sur la ligne d'horizon dans le point de fuite.11 perce d'un petit trou ce point de faite et il demande au -gpectateur de placer l'autre ceil au revers du tablean et avec la main libre de tenir un miroir en face. Le spectateur contemplera donc le reflet dans le miroir de la face peinte du tableau, en plagant son ceil au point de vue qui est identique au trou du point de fuite. Le dispositif de Brunelleschi établit done l'équivalence dans le systéme représentatif entre le point de vue et le point de fuite. C' est quasi le méme point, le miroir ne faisant que réfléchir la repré-sentation équivalente donc entre la production de l'apparence peinté et sa réception par l'ceil du spectateir. Le dispositif établit l'éqtlivalence du regard et de rail en ce- qu'il sotunet le régard á l'ceil, á sa loi géo-métrique et óptique á la condition que le spectateur se place en un lieu bien défini et qu'il n' en change pas sinon tout reffet sera détruit. Tout le dispositif vise á produire une position de l'ceil, fixe et unique au revers du tableau. Le spectateur doit se placer lá pour pouvoir voir la réalité méme mise en représentation. Le sujet du regard dans son ceil ést bien l'effet du dispositif et lorsque j' al parlé tout á l'heure de l'intensi-fication par réfiexion du dispositif de représentation comete pouvoir, en

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Politiiues de la reiré -

v oilá la parfaite illustration. Le spectateur ne peut voir que s'il se soumet aux regles du fonctionnement du dispositif, mais en récompense de cet assujettissement scéne représentée est stupéfiante de réalité : c' est la réalité méme'. La réalité dans sa représentation, voilá la récom-pense de son obéissance.

Deuxiémement, le récit iconique pour s'effectuer inscrit les figures qu'il met en scéne dans ce dispositif représentatif et le neutra-lise. De la mame fagon que nous avons vu • ue le récit en lana e e n

neutraliser les marques de l'énonciation pour opérer ses effets, de mame le récit iconique doit dénier, doit effacer par lui-méme les marques de l'énonciation, de la représentation. Autrement dit la disposition des figures dans l'espace représenté représente le dispositif de représenta-tion mais en mame temps le neutralise pour que l'événement semble se donner á voir lui-méme sans marques de l'instance narratrice produc-trice de son récit. Le roi est au point de vue, sujet de pouvoir produit au titre d'effet par le dispositif. Le point de vue est le lieu du •rince. Ainsi dans le théátre á l'italienne construit selon le dispositif perspectif, la loge centrale, la seule place qui soit convenable est au point de vue : c'est la loge royale. Alberti dans son traité De la peirzture,parlant du rayon visuel qui relie le point de vue au point de fuite le nomine 'prince des rayons' ; c'est le rayon visuel du prince. Mais le prince, le roi est également au point de fuite. Le roi est produit par le dispositif comme le spectateur l'était dans l'expérience de Brunelleschi. Mais ce que le roi va voir au centre du tableau, c' est lui-méme, mais cette fois comme l'ac-teur absolu et central de l'histoire. 11 se contemple dans sa figure histo-rique.

titre d'illustration de cette analyse, j'ai choisi dans un immense corpus, une tapisserie de Le Brun tirée de l'Histoire du Roi : la rencontre entre Louis XIV et Philippe IV d'Espágne dans l'ile des Faisans (ill. 6). Rappelons nos deux hypothases : le dispositif perspectif est la structure mame de la représentation mais pour que celle-ci s'ef-fectue il faut qu'elle efface ce dispositif. Regardons maintenant la tapis-serie. Il est tout á fait possible de construire le dispositif perspectif du tableau notamment par les lattes du parquet orthogonales au plan du tableau convergeant au point de fuite qui se trouve précisément dans l'angle inférieur gauche d'une fenétre. Toutefois si nous regardons d'un

peu plus prés nous nous apercevons que ce n'est pas une fen'étre mais un miroir qui refiéte une fenétre. Oú se trouve donc la fenece ? Elle se trouve en dehors de l'espace représenté par le tableau, au lieu du point de vue que refléte le miroir qui porte le point de fuite, Je n' al pas besoin du dispositif de Brunelleschi avec le petit trou au point de fuite — point de vue au revers du tableau. Le tableau, la représentation fonctionne toute seule pour expliciter un de ses procés dé fonctionnement. La repré-senta • • - - - - e - - — - • • - . . l'équivalence entre le point de vue et le point de fuite.

Mais si nous tirons les conclusions concretes de l'analyse, si moi, spectateur, je suis au point de vue, il faut que je me vois dans le reflet, dans le miroir de la fenétre. Si je suis au point de vue, ii faut que se des- sine une petite tete dans le miroir. Or cette tate n'y est pas. Si le roi, puisque la tapisserie a été faite pour lui, est au point de vue il faut qu'il soit derriére la fenétre comme un voyeur en train de regarder la scéne. Or ne s' acteur de l'histoire, il se voit dans sa figure de personnage historique.

Deuxiéme point: une représentation de ce genre vise essentielle-ment á faire produire un récit. Mais elle éprouve une difficulté á le faire de par les principes mames du fonctionnement du dispositif repráen-tatif, puisque la représentation ne peut représenter qu'un seul moment de l'histoire. Ainsi ici, ce moment unique oú les deux rois se serrent la main et s'approchent l'un de l'autre pour se donner l'accolade. Voilá le moment qui est représenté mais il n'en reste pas moins que la disposi-tion des figures va inciter le spectateur á raconter toute une histoire. En effet, remarquez la disposition des pieds de tous ces nobles personnages. Ils sont représentés en ordre de marche mais pourquoi marcheraient-ils puisque les deux rois qui se trouvent á la tate de la délégation sont déjá arrivés au centre ? Le récit que nous allons produire á partir de cet instant unique qui est représenté sera le suivant: «Les deux délégations frangaise et espagnole conduites l'une et l'autre par leur roi entrérent par les deux portes opposées de la piéce centrale, s'avancérent á la rencontre l'une de l'autre et les deux rois se serrérent la main et se donnérent l'ac-colade, signe symbolique de la paix des Pyrénées dont le mariage de Louis XIV avec l'Infante était une des clauses. » Nous avons raconté une histoire dont ne nous est présenté qu'un seul moment gráce á la

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84 Politiques de la représentation

disposition des pieds des figures des deux délégations qui les présentent allant á la rencontre l' une de l'autre. Autrement dit l'histoire, la repré-sentation narrative iconique nous a fait raconter un récit. De la mame fagon, diront les historien du Roi, l'art d'écrire un récit, c'est finale-ment de faire voir une image á la fois une et totale de toute l'histoire, en un mot celle du Roi qui en est l' acteur principal. Le Roi est au point de vue et au point de fuite puisqu'ici le point de fuite refléte le point de vue. Et cependant il n'y est pas. Cela veut dire que le Roi spectateur a été déplacé au centre de la scéne : il est devenu la figure de l'instant repré-senté de l'histoire et c'est ainsi que nous assistons dans ce tableau á l'ef-facement des marques d'énonciation dans l'énoncé lui-méme. La marque d'énonciation que nous devions trouver au point de faite (1Image reflétée du Roi spectateur) a été effacée par déplacement de la figure du Roi au centre de la scéne. Le rayon du prince, le rayon qui relie le point de vue au point de faite, le voici désormais représenté mais représenté sous la forme de la disposition des figures dans un plan grossiérement paralléle au plan du tableau.

Cenes, me direz-vous, mais il y deux rois. Comment Louis XIV va-t-il *are mis en évidence comme figure centrale ? Vous avez remarqué ce beau rideau qu'on a relevé pour laisser passer la lumiére et éclairer la scéne. Ce rideau `réel' est en 'méme temps chapé exactement comme un rideau de scéne relevé par un de ses coins. 11 théátralise l'ensemble de la représentation. Voyez surtout que le pli important est placé au-dessus des deux rois : c'est le signe symbolique du baldaquin royal qui marque les deux figures centrales royales. Mais il y a toujours deux rois, Philippe IV et Louis XIV Vous avez remarqué que la délégation fran-gaise entre par la gauche. Or l'ordre de lecture habituel est de com-mencer par la gauche pour aller vers la droite ; donc presque immanquablement parcourant du regard la disposition des figuresatous allons commencer par la gauche pour arriver au centre, c'est-a-dire que nous allons donner la prééminence á la délégation frangaise et á son acteur principal : le roi. Alors, me direz-vous 'Et nous alors ? Et le spec-tateur ?' Le spectateur est bien au point de vue et au point de fuite. Nous nous sommes substitués au roi maintenant que nous regardons le tableau. Nous en avons deux marques tout á fait intéressantes. Vous avez ici ce personnage qui est Monsieur le frére du roi et que regarde

Póuvo r, représeniátion 85

Monsieur le frére du roi ? Il regarde lé spectateur ; il le regado au point de vue. Et si vous examinez son visage, vous remarquerez qu'il n'a aucune espéce d'expression, sínon de regarder. Autrement dit, Monsieur le frére du roi nous positionne nous, spectateur, au point de vue' en un sens précis : tout ce que vous avez á faire, c'est de cóntempler, tréi exac-tement d'admirer. Vous n'avez qu' á admirer tout en participant dans une certaine mesure, comme l'historien au -pluipré~oyal, á ce qui , se puse sur scéne. Comment ? Nous avons'notre ¿Ialégué sur la scéne ;- c'est le seul personnage qui tourne le dos ; le piecl de ce personnage pointe en direction du lieu qu'occupe Monsieur le frére du roi et son index désigne le point de fuite. Ces deux personnages se complétent l'un l'autre ; l'un nous exclut de la scéne pour nous placer simplement_en spectateurs d'un acte admirable du roi et l'autre nous indique notre posi-tion et nous renvoie au point de fuite. Et alors j' al tendance á croire que ce personnage de dos, c'est Le Brun. C'est le peintre et c'est en méme temps le spectateur qui se trouve lá avec le peintre son délégiié, partici-pant á la grande' histoire royale.

Pour conclure, je dirai qu'il y a quatre points fondamentaux dans cette toile : le point de fuite effacé et déplacé comme instant central de la représentation et moment représenté de l'histoire et qui est littérale-ment la matrice du récit que la représentation nous fait raconter. Et si l'on prolonge la ligue qui joint ces deux points, on trouve dans la partie supérieure de la bordure de la tapisserie les armoiries royales et le col-lier de l'ordre du Saint-Esprit avec les palmes de la victoire et la cou-ronne du roi de France, et sur la mame ligue mais dans la partie inférieure du cake le cartouche dans lequel est écrit le récit de la ren-cbntre des deux rois. Tous les différents -types de signes sont présenfl sur cette ligue : le point de fuite, signe formel de l'appareil du,dispositif de. la représentátion, le moment central de la représentation, l'énoncé his-torique fondamental á partir duquel le spectateur raconte le récit écrit sur le cache et enfin le signe motivé qui est le nom du roi, son appella-tión: le roi de France. Pour conclure d'une phrase sur 'le pouvoir et sa représentation', on peut dire ceci : le roi au point de vue et au point de fuite contemple sur la scéne le mi en train de faire l'histoire. Cette repré-sentation nous révéle que tout pouvoir est fondamentalement narcis-

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86 !IP ill_rilrialltarian,

sigue et que la représentation est, si l'on peut dire, á la fois l'instrument et le fétiche de ce narcissisme.

5. LA CATASTROPHE DE LA MÉDAILLE HISTORIQUE*

Au début du xvne siécle , Pierre Antoine Rascas, sieur de Bagarris propose au roi Henri IV de constituer une histoire de son régne. Il lui explique en effet que l'établissement de la gloire des grands Princes consiste essentiellement á les publier dans une représentation qui, en

vivante et leur histoire á jamais auguste, et á les perpétuer par le plus parfait des Moniments.

Avec une solennelle pédanterie, Rascas fait remarquer á son Maitre qu'il écrit moniment au lieu de monument, car ce dernier serme, lui explique-t-il, signifie dans le langage courant le sépulcre des morts, alors que le monument qu'il envisage pour lui, loin d'étre son tombeau, signe de sa disparition, doit au contraire le rendre á jamais vivant, dans une permanente présence face á laquelle la postérité pourra et devra prendre conscience de son absence aux lieux et aux temps de sa gloire. Ainsi la parfaite mémoire de la gloire du Prince devra é'tre une repré-sentation, une et totale, á la fois publique et perpétuelle qui rendra son sujet présent. Mais quel est lé monument qui, plus efficacement que le tombeau, `avertirr de la gloire du Roi ceux que le temps exclut de son rayonnement et les incitera á raconter sa légende et á voir sa face ? Celui-ci n'est autre que la médaille, explique Rascas, seule capable de contenir l' auguste histoire et la vivante mémoire du grand Prince, de

4A, • Article publié dans le catalogue de l'exposition La Ghigliotina del terrore, éd. D. Arasse, Florence-Paris, 1987, p. 109-115.

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Pouvoir, représentation 88 Politiques de la représentation

faire lire l' une et de faire voir l'autre. Au droit, la médaille présentera l'effigie du Prince, sa figure gravée, son profil. De méme que, sur la piéce de monnaie, ce profil en authentifie le poids et le titre et en légi-time la valeur incontestable dans l'usage public, de méme sur la médaille, il authentifiera la devise qu'á son revers elle porte, il autori-sera le type, la gravure qui fait voir le haut fait du Prince et légitimera la légende qui en fait lire le sens général. A l'articulation de la figure du Prince et de l'inscription de son histoire, lá médaille exhibe la vérité nécessaire et universelle du pouvoir politique absolu, incamé dans un corps singulier et contingent et réalisé dans le temps et l'espace empi-riques dans un événement daté et localisé á l'exergue.

Ltmédaille est ainsi la monnaie du pouvoir absolu royal, son mémorial : elle est sa présence réelle et symbolique, l'hostie du sacre-ment de l'État, l'eucharistie du pouvoir dans sa perpétuité historique, corps du Roi, corps de 1"État-c'est-Moi' présent dans sa représentation.

On sait que le grandiose projet de Rascas sera, en fin de compte, réalisé pour Louis XIV en quatre étapes de 1660-1670 á 1723 sous la direction de la petite Académie créée en 1663 par Colbert.

Les médailles de Warin et de ses contemporains, gravées dans les premiares années du régne, constitueront la base de la premiare grande tentative d'Histoire métallique du Roi dans les aimé¿s E0, puis de l'Histoire Complete publiée en 1702 avec un volume in-folio d'accom-pagnement et enfin dans la version révisée de 1723. L'Histoire de Louis le Grand par les médailles (Paris, 1702) sera alors un ensemble com-plexe dont chaque élément est un monument historique et dont le corpus ordonné est le monument de l'Histoire du Roi, la totalisatiowunifiée de sa mémoire, son corps historique élevé á l'Universalité de l'idéal et transsubstantié en vérité historique permanente. Qu'on ne croie pas que chaque médaille soit un `fragment' de ce corps, que la série des médailles malgré leur sérialité, ou peut-étre á cause d'elle, le constifue en corps morcelé. De méme que Jésus-Christ est tout entier présent dans chaque hostie, de méme chaque médaille montre dans chaque événe-ment de l'espace-temps empirique la fulguration d'une des perfections de l'étre royal: elle en exhibe l'épiphanie. Ainsi la grande entreprise d'une histoire métallique du' régne vise-t-elle á constituer une mémoire du Roi qui transcenderait le temps et économie de ses séquences nar-

ratives linéaires par causes et effets, dans la monumentálité imMobile de sa présence définitive.

La réussite de cette histoire fut incontestable ; la marque assez l'immense prestige dont elle jouit en Europe jusque chez les ennemis du Roi-Soleil. La raison en est simple cependant: le pouvoir monarchique — le pouvoir absolu qui en est le comble — avait trOuvé dans les médailles de Louis XIV les formules de son expressionlistórique et au-delá d'elles, avec le modéle de sa légitimation po litigie, la consécration á la fois théologique et théorique du corps du Monarque.

11 est, au sens exact du terme, bouleversant d'évoquer l'histoire métallique de Louis le Grand en se penchant sur les médailles commé-morant l'exécution de Louis XVI et Marie-Antornette que l'exposi-tion présente*: bOuleversant dans la mesure oú le regard préVenu par la gloire louis-quatorzienne assiste, dans la forme méme de la médaille historique, á la catastrophe théologico-politique du pouvoir d'état qu'elle devait consacrer et dont cependant elle commémore la fin.

En apparence, le droit des médailles exhibe, comme moins d' un siécle auparavant, l'effigie royale, celle de Marie-Antpinette dans les médailles 1, 3, 5, 6 ou celle double, du roí. Louis XVI et de la reine dans la série 2, 4; - 7 (ill 7-13), profils gauches pciur trois d' entrelles(1, 2, 5) et droits pour les quatre autres, entourés circulairement par les noms et titres princiers et royaux ; tétes en buste, découpées, comme cela est la norme, au niveau de l'épaule á l'exception de la médaille 5 oa une partie plus importante du buste de la reine se laisse apercevoir ; coiffures et costumes contemporains discrétement évoqués par les rouleaux des per-ruques, les rubans des cadogans, les drapés des vétementi-rrexception de la médaille 2 oú les deux effigies superposées du Roiret de la Reine coupées á la base du cou portent une couronne romaine, gtais de palme et non de laurier.

La description de ces portraits royaux qui, au droit de la piéce de métal, obéissent aux normes de la médaille historique classique fixées par Louis XIV lui-méme, Colbert et la petite Académie, lorsque le soleil royal était au .zénith du ciel frangais et européen, ne peut cependant

Louis Marin renvoie ici á l'exposition présentée á Florence par Daniel Arasse (NdE).

89-

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on Pouvoir, représentation 91

manquer de laisser s'installer un étrange malaise dans le regard : l'art de la médaille, avec ses normes et ses regles, réitare pour le portrait prin-cier á la fois la découpe de la machine de Guillotin et le geste de son ser-vant bourreau. Le couteau de la machine au droit de la médaille passe seulement un peu trop bas pour détacher les tetes de leurs corps et les inscrire, les graver, les écrire dans le métal ; la main de Salson tenant les tetes pour les présenter au peuple a disparu de l'image ou plut8t c'est la

commémoration de la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette en se conformant aux contraintes `grand style' de la médaille historique monarchique, loin de construire le monument du corps historique du Roi, répate en fin de compte l'horreur de l'exécution á la faveur d'une sorte de mauvais calembour ou de gringant lapsus de l'image elle-méme. Cenes, tout portrait royal au droit de la médaille est une tete coupée, et ce depuis quelques siacles de monnayage et de médaillage.

condamné consiste réellement á lui tirar le portrait. Et si comme nous avons tenté de le suggérer, la médaille historique monarchique opérait, dans et par sa représentation, la transsubstantiation théologico-polirique du pouvoir d'État dans son désir d'absolu, alors il faut avouer qu'avec l'affreux sous-entendu de la description des portraits du Roi et de la Reine á la face des médailles commémorant leur mort, c'est, au sens rigoureux de ce terme, la catastrophe de cette transsubstantiation qui est allusivement opérée, son retournement ou son inversion : ce n'est pas la représentation qui construit la présence réelle de son sujet (füt-ce á titre d'effet). C'est le réel lui-méme qui devient représentation.

De cette catastrophe, le droit de certaines de nos médailles conserve une trace écrite. On sait, et avec Rascas de Bagarris nous -l'a-vons répété, que la légende qui encercle le portrait du Roi en reproduit l'icone en écriture. Double inscription donc : celle d'une image gravée dans le métal, celle d'un lexte' creusé dans le méme métal; d'une part, celle du corps du Roi dans son `chef', oa corps de dignité et corps phy-sique s'échangent sans perte ni résidu: le Roi est ce roi; ce roi est le Roi, l' un et l' autre s'y reconnaissant réciproquement ; d' autre part, celle du nom du Roi qui articule la marque d'appriopriation du royaume comme son corps propre et celle de sa place individuelle dans la lignée dynas-

tique. Ainsi dans la médaille 4 avec les tetes accolées de Louis XVI et de Marie-Antoinette, de ,profil - á droite et la légende : « Lud. XVI D: G. Fr. et Nav. Rex Mar..Ant. Auste. reg. » (ill. 10). Et pourtant dans cette méme médaille, á la base des cous des deux tales, une inscription insiste dans un autre sens : Fati iniqui. Elle ne nomme ni ne titre lesa portraits mais releve d'un autre `genre', celui de la légende quise lit au revers de la médaille et qui dégage par une phrase brave le plus sou-

ol lee .1 - que pr- sen e e au reg. . out se passe

donc comme si le revers de la médaille en un de ses lieux en était devenu l'avers : geste qui est tras précisément catastrophique, ou tout au moins sa trace inscrite et écrite, gravée á jamais sous les portraits royaux.

Cette place n'est pas innocente : elle occupe exactement, á la face de la médaille, le lieu nominé `exergue' á son revers : petite lunule oú sont écrits la date et le lieu de l'événement historique que le type exalte , dans ses allégories et dont la légende extrait la vérité universelle dans la

que. xergue, e terme est significatif : hors-oeuvre. L'histoire métallique de 1"État-c'est-Moi' n'hésite pas á repousser aux lisiares de son monument, á sa frontiare et á son bord, le temps et l'espace' de l'expérience. Nous retrouvons la forme réguhare de l'exergue au revers de la médaille que nous considérons « XXI Januarius anno MDCCXCIII ». Mais en introduisant sous les effigies de Louis XVI et de Marie-Antoinette un lieu `exergonal' et en l'occupant par un légende qui `titre' ces effigies d'une vérité universelle de devise, « d'un injuste destin », c'est á la répétition abstraite de l'exécution du Prince ou de son Principe que vous assistons, d'autant que la formule, par son inscription mame en ce lieu, exhibe le .mouvernent m'arríe de la machine á exécuter.

Lorsque nous retournerons la médaille, en un sens nous repro-duirons sa catastrophe, mais sans étonnement : nous y contemplerons non point l'ultime haut-fait, la supréme action oú jadis se condensaitia gloire du Roi et dont la densité mame exigeait tous les traits soigneuse-ment codés de l'abstraction allégorique, mais l'événement historique lui-méme du 21 janvier 1793, l'exacte description du lieu, du site et de ses circonstances et plus précisément encore, l' instant de l'événement : instant central parce que choisi par l'auteur de la médaille pour repré-senter la mort du Roi, et qui n'est autre que la présentation au peuple

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92 Politiques de la représentation

par le bourreau de la téte coupée, la `monstrueuse monstration' d'une téte que nous avons déjá vue, tranchée par la légende Fati iniqui au droit de la médaille. Quant á la légende de la devise au revers, « Crinemque Rorantes Sanguinem Populis Ulularunt Tristia Galli », contrairement á toutes les regles, elle est seulement la séquence narrative décrivant, avec quelque amplification tragique, le geste du bourreau et son effet.

Nous pourrions répéter cette analyse, á quelques variantes prés, pour la plupart des médailleá commémoratives de la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette présentées dans l'exposition. Seule la médaille 1 pourrait passer pour une médaille historique `réguliére', avec, au revers, son type — figure allégorique du `peuple' tenant d'une main un flam-beau, de l'autre une hache et foulant aux pieds des fleurs de lys — et sa légende: Seconde victime — d'un peuple régicide', n'était sa thé-matique oú le principe royal correctement imagé, nominé et titré au droit ne trouve, dans la légende au revers, d'autre qualification que celle victime répétée de son propre peuple, qualification ontologique inversée .

de la substance du pouvoir d'État. La médaílle 6 qui est tras voisine de la précédente par la thématique allégorique du revers, (« une prétresse antique offrant un sacrifice » avec la légende « Victimes (sic) des inrames révolutionnaires » et á l'exergue « 1793 ») introduit ce que nous avons nominé la `catastrophe' de la médaille historique dans la légende de la figure royale á son avers puisque s'y inscrivent, au mame plan que le nom et le titre, la mort et sa date : « Décapitée á Paris — le 16 octobre 1793 », une mort nomrnée dans sa caractéristique spécifique mais dont le terme qui la nomine est lui-méme graphiquement abrégé « Deca& » imitant ironiquement, par la syncope graphique, la significa- tion que le mot énonce. Il semblerait que la machine á Guillotin condarnne la médaille historique commémorant la mort du Roi á une macabre caricature d'elle-méme et á une sombre ironie oil la représen-tation du pouvoir monarchique et le `portrait du Roi' sont posés, mais négativement, par l'inversion totale des principes qui en fondaient l'ef-ficace et la légitimité.

Deux exemples encore : dans la médaille 5, nous contemplons bien au droit le portrait de la reine ; nous y lisons bien son nom et sa titu-lature, mais au-dessous, dans un petit bandeau, l'auteur de la médaille a introduit les principales dates de son existence : « Nat. 2 Nov. 1755.

Pouvoir représentatioií 93

Nup. 16 mai 1770. Cir. 11 jun. 1775 ». « Couronnée le 11 juin 1775 », l'inscription s'arréte lá. C'est alots- que nous retournons la médaille, comme il se doit, pour y voir, selon la direction mame de l'inscription de 1' avers, Marie-Antoinette arrivant dans la charrette sur' le lieu de l'exécution et pour lire á l'exergue la date « XVI Oct. 1793 ». Qu'est-ce á lire et á voír sinon qu'au couronnement succéde comme pour I' ac---

complir négativement, par retournement, un dé-cou-ronnement oil ne tombe pas seulement la couronne, mais la téte qui la porte.

Dans la médaille 7 qui reprend le droit de la médaille 4 que nous avons plus longuement examiné, le revers représente la scéne touchante des « Adieux de Louis XVI á sa famille » avec 114914e « An est dolor par dolori nostro ». Notons au- assage ceta r~rquábfe déviation sub-jectíve et affective de la devise d'histoire ; notons également son ambi-glité,.oú « nutre douleur » peut etre celle de la ou celle du sfectatetti, leCtetir de la-médaille. Mais dans les deux cas, le fait histo-rique est devenu instant émotionnel et la pensée de l'histoire, moment sentimental : la représentation politique s'embourgeoise dans l'anecdote touchante. Mais plus remarquable encore est l'exérgue oú se lisent sur guate lignes trois dates : « Natus XVIII Aug. MDCCLIV / Succ. 10 May. MDKKLXXIV // Decoli. XXI Jan. ll MDCCXCIII » ; naissance, accession au tróne, mort du Roi ou plutót sa décollation : est remar-quable en l'occurrence moins la spécification du supplice du Roi, moins le résumé biographique du 'corps' individuel, physique, mortel du monarque, que le fait de mettre á l'exergue, hors ceuvre, á la marge de ,

la représentation, dans l'espace de bord que les grands_créateurs de. la médaille historique classique réservaient á l'espace et áú terñps humains et profanes, ceux de l'expérience commune, d'y mettre done l'inscrip-tion dans laquelle le corps de dignité, celui de "L'État-c'-est-Moi ; se sécularise, se spécifie, s'individualise; pour en fin de compte s'annuler par la séparation de son chef. Laissons á tous ces mots leur sombre ironie, celle qui flotte, quand on veut les écrire et les inscrire, dans les crépuscules de l'histoire sur les grandes catastrophes.

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14. BAROQUE, CLASSIQUE VERSAILLES OU L'ARCHITECTURE DU PRINCE *

y a sans nul doute quelque paradoxe á faire de Versailles un haut lieu de l' architecture baroque. L'immense fagade qui se développe sur les jardins, construite par Louis Le Vau et Jules Hardouin Mansart a r.;)

pu passer, passe et vraisetnblablement á juste titre, pour le modele clas-

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áltm",g1-44, ~4. 14.-~4~,d4 4.4" In) . A digZe4.4"i 1N..

faitement défitú en soi-méme est subordonné á un centre oa un portique indépendant de six colonnes au niveau de l'étage principal --- royal -- par son puissant relief rompt le rytlírne répétitif de -la fagade au'profit d'un foyer stable et fermement déterminé.

Quels que puissent etre les titres legitimes de Versailles á pré-tendre au 'classicisme', il n'en reste pas moins qu'en pays anglo-saxon en particulier, le classicisme en art et en architecture notamment est bien souvent consideré comme une péripétie frangaise d'une grande période baroque née du maniérisme international au xvie siécle pour s'acheyer dans les gráceCprécieuses et chantournées du rococo, en attendant une résurrection dite `néo-classique' vers 1750.

11 ne saurait étre question de résoudre ici soit par une combina- • toire de traits formels et stylistiques, soit par uñe diachronie toujours plus fine de développements historiques particularisés selon les aires culturelles et géographiques, les problemes voire les aportes de méthode et de théorie, de périodisation et de chronologie que posent les qualifi-cations baroques ou classiques données á une ceuvre d' art, á un pro-gramme de construction, á une qualité de réception. Je laisserai donc de.

Article publié en traduction anglaise dans Yale French Studies, « Baroque topographies : literature, history, philosophy », n° 80, 1991, p. 167-182. (NdE).

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248 Politiques de la représentation

caté cet interminable questionnement pour seulement évoquer dans sa plus grande ampleur l'architecture du Prince, le palais du Monarque absolu, le lieu de son plus haut pouvoir, Versailles, au lendemain du voyage du Bernin á. Paris (1665), pour essayer de discerner comment s'y exprime et s'y construit — dans tous les sens du terme la représen- tation tul zal.wj1& j11zge.inzdena' dans une tension que rouent — sous réserve d'inventaire —,nornmer celle du baroque et du classique.

***

L'architecture du Prince : d'emblée ii convient de souligner la double—váleur objective et subjective de l'expression qui titre cette étr K17.re Prince, en l'occurrence Louis XIV, fut on le sait un grand constructeur. Passion, démesure `baroaues' ? En un sens, sa fonc-tion de Roi trouvait son accomplissement, sa dignité de monarque, sa manifestation privilégiée dans l'édification du Palais : le Roi est un archi-architecte, le Sujet architecte de Versailles dans lequel le Royaume regort sa plus parfaite consécration. Mais l'architecture du Prince

Powjat",-, signifie tout autant la construction, l'édification du Roi gomme Monarque S et par son Palais ; ers w, en ce sens, ns, cháteau et jar- dins, 'arclute etur pour en faire non seulement l'abso1u du pouvoir politique, mais Je centre du cosmos tout entier. Dans cette double mesure, Versailles est le résultat d'une productión, d'une cons-truction á la fois réelle, imaginaire et symbolique réelle, le palais existe : on le visite aujourd'hui encore, imaginaire : il révale le désir `baroque', fantastique, fantasmatique de (se) montrer l'absolu pouvoir, symbolique, il est, en quelque fagon, la Norme souveraine, la Loi 'clas-sigue' de l'assujettissement universel aux signes; il C6nstitue un univers cultrrlret politique transcendant et sans extériorité, ni civile ni natu-relle.

Trois notions me paraissent essentielles á la compréhension de l'architecture du Prince en.Monarque absolu (á Versailles): la notion de lieu d'abord dans sa relation á l'espace et au temps, á l'espace c'est-á-dire au paysage et au site, et au temps, c'est-á-dire á l'histoire et á l'é-vénement historique ; la notion de pouvoir ensuite dans sa relation historiquement et philosophiquernent complexe á la représentation ; et enfin constituant peut-étre le sens et l'essence du lieu de pouvoir et de

Signe et force : mises enIcéne., 249

l'architecture du Prince, notion de monum.ent ott le pouvoir se met en représentation pour s'accomplir absolu en un lieu universel' et oti la_ représentation du Prince et de son lUstoire se présente en une penna-nente et définitive présence.

I. LIEU-ESPACE-ÉVÉNEMENT

gou' est-ce • u'un Comment un lieu se différencie-t-il de Álter,et 1.157284 II n'est peut-étre pas mutile de rappeler la polysémie extreme de la notion de lieu au xvir siacle dont le dictionnaire de Agi 1) y Furetiare donne un bel échantillonnage, s.v. lieu, dans son ouvrage qui est, á bien des égards, un véritable traité d'anthroeologie dilturelle.. Furetiare commence par donner, non sans quelque ironle:ta définition aristotélicienne du lieu: « Surface premiare et irnmobile d'un corps qui en environne un autre ou, pour parler plus clairement; Pespace dans lequel un corps est lacé » ; et dans l'exemple qu'il donne « chaque corps occupe son lieu », il convient d'insister sur le possessif; « il ne peut y avoir deux choses dans le mame lieu », etc.-C'est ce motif qu'il développe ensuite : « Endroit destiné á piacer quelque chose soit par nature, soit par art. Dieu a rangé tous les tres en un lieircónvenable. Chaque chose est dans son lieu naturel, quand elle est dans son élé-ment. » On appelle également `lieu' un endroit fixe et déterminé qu'on veut marquer et distinguer des autres, acception qui n'est pas sans intérat pour notre propos avec ces quelques exemples;- « cet homme a voyagé en divers lieux, c'est-á-dire en diverses contrées ; c'est le sei-gneur du lieu ». Ou encore avec la cléfmition du chef-lieu: « Le principal manoir d'une seigneurie oú on est obligé de p9rter la foi et l'hom-mage ». Furetiare en vient ensuite á l'acception plus particuliarenrent architecturale. On nomine lieu" une « maison particuliare á la ville ou á lásánlone ; l'état des lieux; lá clef des lieux ; il y a bien du lieu dans cette maison ». Cene notion'architecturale du lieu se lie inunédiatement, dans l'esprit d'un homme de la fin du xvue siacle, aux acceptions socio-culturelles du terme : un lieu est distingué par les rivila es ui sont attribués á sa destination ivers usages ; « 11 .1111 est un lieu sacré; les

la sont des lieux pieux, le lieu d'honneur, c' est le premier rang á la guerre, c'est-á-dire le lieu oú il y a du danger á courir et de la gloire

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Signe et force : mises en sane - - 251 o ques e a repr sentation

á remporter »: derniére définition qui conduit Furetiére á la notion de « place aux rangs d'honneur qui sont établis dans la république ou dans l'opinion des hommes ; le président tient le premier lieu de sa compa-gnie ». Et enfin : « Origine, extraction, maison, famille ; cet homme vient d'un bon lieu, il est alijé en bon lieu, il a fait un bon mariage ».

On peut généraliser toutes ces définitions ein notant que : « Est lieu, ou reléve de la notion de lieu, l'ordre dans tous les sens du terme,

ans un rappo • e coe-xistence » ; il ne peut y avoir deux choses dans le mame lieu et, pour citer M. de Certeau, « le lieu obéit á la loi du proweetge la propriété ». Les chOsj,Zlirffit re o e local, sont les unes á caté des autres e-irroTdre local est une configuration synchronique de positions. Donc tout lieu implique nécessairement une indication de stabilité et par lá mame, tout lieu exhibe une loi. Classicisine du lieu?

e,4 l C. C En revanche, il y a espace quand on prend en considération des

ox • see:, es • • i ase-- s • e vi sse, • s vana. ejter_p.n o- relles, des mouvements. L' espace est, pourrait-on dire, par les mouvements qui s'y déplacent ou plus précisément, les espaces sont des effets de ces mouvements. Est espace, l'effet produit par des opérations d' orientation qui, du mame coup, • le lemporalisene. D' une autre maniére, on peut dire que le lieu est fait de détertninations par des 'ates- la', par des présences (le corps mort comme fondation d'un lieu, par exemple), par opposition á l'espace qui serait déterminé par les opéra-tions qui le spécifient, c'est-á-dire par des actions de sujets, de sujets historiques.

Soit deux exemples tirés de la série des Tapisseries dites de l'Histoire du Roy. Dans celle qui représente l'événement historique que fut le Renouvellement de l'Alliance suisse (1662), le Roi est montré á l'intérieur de son palais, immobile comme la figure souveraine de la Loi du lieu monarchique. 11 en est 1"actane principal, le sujet; il en confi-gure la propriété locale. Au contraire dans la tapisserie qui met en scéne l'Entrée á Dunkerque (ill. 17) le Roi, agent et acteur de l'histoire, une histoire en traii*de se faire, est représenté en `actane d'espace. C'est un procés de spatialisation qui est mis en figure, un mouvement d'appro-priation de l'espace par orientation dans un programme conflictuel. La représentation est alors essentiellement une organisation de mouve-

ments dans l'espace, de mouvements dont les effets sont des espaces. Le Roi est situé sur une éminence, un site et, avec sa canne de corilhande-ment, en regardant le spectateur, il pointe la vine dans laquelle il va ren-trer, Dunkerque dont on apergoit la vue topographique au fond de la tapisserie. Autrement dit, l'acte du sujet historique désigne dans tous les sens du terme, l'espace. 11 le désigne conune direction de sa puissance á partir d'un site qu'il occupe (qui est un site stratégique), et oii le geste •e canne • e comman. emen r pon. exac emen a • - nition • u rex, de celui qui trace un trajet. Ce geste est á la fois dans l'histoire celui de l'ordre donné á ses troupes d'aller vers Lille, mais aussi celui qui désigne, pour les spectateurs, la ville upcupée.:21Espace `baroque' ?2"

Comme on le constate avec ces eXeniges, semble espace' Italut8t lié á l'action et au procés de l'histoire, á son mouvement,

• s que e eu parai r serv au terme • un mouvement, ce qui conclut une action, á ce qui achéve un mocas. D'un c8té.laTbatAille..le e;em, conflit, la conquate ; de l' autre, le contrat, le traité, l'alliance. Lieu, g+óce...

espace et événement: la dialectique qui se joue entre ces trois'notiOns est sans doute constitutive de la notion de lieu. L'événement est une notion tres complexe dans sa définition. En effet, l'événement est congu, au xvne siacle, comme le ultat d'une intention, d'un projet, comme l'issue d'une action. événemen est aussi « une chose grande, stupre-nante et singuliére, qui atuve s le monde ». L'importance de l'évé- nement est alorkme§urée par sa singularité. L'événement-accident échappe á l'homogénéité de la série causale. Ce qui est événement par sa singularité, conque ou présentée telle, surprend et provoque étonne- . ment devant son apparition. 286 Et du mame coup, le résultat de cette ten-- sion sémantique entre ces deux sens du mot `événement' fait que l'événement est toujours pris dans une certaine forme de théátralité, comme le montrent tant les dictionnaires que les ceritextés d'usage : « ce chame est fait d'événement », « l'événement change la face des dioses dans une tragédie ou dans une comédie ». Dés lors,11 n'est sans doute pas excessif de dire qu'au xvne siécle, il n'y a d'événement que pris, construit ou inventé par une théátralité. L'événement est `baroque' et c'est un dispositif de représentation qui l'institue comme tel.

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Page 17: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

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(~Ámt.4-t.;^- 252 Politiquea aeld esentation

L'echitecture du PriTic), au double sens le plus général de l'ex-pression, constitue un tel dispositif de construction et d'ostentation de l'événement historique. C'est dans cet espace et dans ce lieu que l'évé-nement est révélé comme la manifestation miraculeuse d' une perfection de la `substance royale'. Dans leteLpn s profane il est cettepéripétie, cette 'épiphanie', cette merveille par laquelle un acte du RoilpLaralt comme le surgissement éclatant de sa Puissance, de sa Sesse, de sa Clémenc-e ou de sa Justice. L'architecture du Prince, en son lieu de pou-voir, constitue la scéne théátrale qui institue et construit la représenta-tion de l'acte royal comme révélation du Monarque' dans le temps et

espace.

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D'oú la nécessaire prise en compte des relations entre pouvoiret représentation pour saisír le sens de l'architecture du Prince. Le pouvoir politique, le pouvoir d'État, s'approprie les dispositifs de la représenta-tion, il en produit, il en construit, paree que ce dispositif de représenta-tion se construit lui-méme comme puissance d'effets. Autretnent dit, la

représentation, dans le cadre de cette pensée de l'absolutisme, serait cette 'fagade', I"orthographie' palatiale, comme disent les traités "d'architecture de l'époque, oú emerge, se présente et se résume le fond, l'arriére-fond sombre du pouvoir. Mais inversement, quoique dans le méme mouvement, la représentation est non plus fagade, mais machine á effets. La représentation développe une théatralité qui _mais et assujettit le regard. De ce point de vue, comment fonctionne l'échange du pouvoir et de la représentation ? Qu'est-ce que pouvoir ? C'est etre `capable' de force, avoir une réserve de force, une force qui ne se dépense pas, mais est en état de se dépenser et que serait une force qui ne se dépenserait pas ? C' est á ce moment-lá que la représentation inter-vient pour mettre la force en signes : mettre la force en signes, c'est-á-dire substituer á l'acte extérieur oil la force se manifeste, les signes de la force qui n'ont besoin que d'etre présentés (c'est-á-dire vus), pour que leur signifié, le signifié de ces signes, la force, soit cru. La repré-sentation, dans et par ses signes, représente la force. Ce qui est en jeu dans le jeu des signes, ce n'est • as de for •• de aire

Signe et fórcé

croire á la réalité de ce qu'II& simulenr. Lis" signes, dans cette mesure, sont le pouvoir et le pouvoir n'est que l' effet irresistible de ce que ron pourrait nommer leur `texte', le texte du lieu que les signes construisent.

C'est ce qui apparait, me semble-t-il, dans les deux premiers pro jets du Bemin pour le Louvre, oú la fagade est un texte qui représente, au titre de leuréaets, les forces internes á l'ensemble de l'édifice, forces de captation de l'extériorité et d'oblation de l'absolu royal et ten- dant potentielletnent á intégrer cette extériorité - et á faire édifice architectural un lieu virtuellement ou potentiellernent absolu.

Puissance, le pouvoir est, également et de surcroft, valorisation de cette puissance comme contrainte obligatoire, génératrice de devoirs comme loi. En ce sens, pouvoir, c' est instituer comme loi, la ztissance elle-méme conque comete possibilité et capacité de force. La représen-tation, moyen de la puissance est aussi l'opération de sá fondation. Non seulement elle modalise la force en puissance, mis elle válorise la puis-sanee en état légitime et obligatoire. Elle la justifie.

C'était lá encore l'intention du Bernin avec le projet du Louvre qui sera, en fin de compte, réalisé á Versailles; texte des signes archi-tecturaux tout en constituant la modalisation des forces en puissances éri eait., par les.fagaes, le • alais en une totalité s mbóli tement du Roi, son lieu propre, devait, par sa position centrase, trouver sa fondation légitime, tout en autorisant et en justifiant son appropria- ....... tion universelW.

Qu'est-ce que représenter ? Sinon présenter á nouveau, ou au lieu de, á la place de... Á quelqu'un, á quelque chose qui était présent et qui ne l'est plus, á un absent, á un autre, est substitué un 'merne' de cet autre, á sa place. Tel est le premier effet de la représentation, faire_ comme si l'autre, l'absent, était ici maintenant le méme, présent, non pas présence, mais effet de présence locale : force divine de la peinttire, selon Alberti, qui non seulement rend les absents présents, comme on dit que l'amitié le fait, mais plus encore fait *que les morts semblent presque vivants. Cet effet est son pouvoir, une force divine en prise sur la dimension transitive de la représentation : représenter quelqu'un, la, ,fskrcuárses si,gi"-----'7¿i7TéIWp. ar son portrait ou c_ omme nous le découvre aujourd'hui encore Hardouin M, • , avec la fa ade de Versailles. sur les jardins de Le Vau.,

4.51.10f-e,e.,4kr Li4 iy."fr.A.) >Ir 1-55

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POUVOIR-REPRÉSENTATION

Page 18: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

254 Folitiques de la représentation

Mais représenter signifie aussi montrer, intensifier, redoubler une présence. 11 ne s'agit plus, pour représenter quelqu'un, d'étre son héraut ou son ambassadeur, mais de l'exhiber, de le montrer. 11 s'agit pour ce quelqu'un de se présenter et de se constituer par cette présentation, de construire son identité légitime. Représenter, c'est se présenter : tel serait le deuxiéme effet de la représentation, de constituer su ,,son sujet; effet de suiet, c'est-á-dire pouvoir d'institution, d'autorisation et

u onc' onnemen C 1•ti• spo-sitif sur lui-méme. Un double pouvoir de la représentation apparait ainsi : par délégation, effet et pouvoir de présence au lieu de l'absence et de la mort; par auto-présentation, effet et pouvoir de sujet, c'est-á-dire d'institution, d'autorisation et de légitimation ; d'un c6té, rendre á nouveau et imaginairement présent, l'absent ou le mort; de Paute, construire une identité légitime et autorisée • ar exhibition ostentatoire

Signe et force : mises en sclne 255

local, en Monarque absolu. Et pour cela, il est utile de s'attarder un moment sur la notion de 0111.1114L221)li té n cherchant á la construire comme l'essence méme du lieu du pouvoir absolu, de sa représentation et de sa structure. Pour entrer dans la matiére, citons, non sans quelque anachronisme, mais il n'en sera que plus significatif pour notre propos, un texte des Turniéres', un article de l'Encyclopédie rédigé par le che-valier de Jeaucourt sur la notion de monument. On appelle monument « -twit ouvrage • aro tecture et s e scu pture art pour conserver la mémoire des hommes illustres ou des grands événements, comme un mausolée, une pyramide, un are de triomphe et autres semblables. » Le monument est dono d'abord et fondamentalement un lieu de mémoire, mémoire du héros, du Prince, du Roi et mémoire del'événement dont la grandeur n'est essentiellement mesurée que par celle de celui qui en fut l'acteur et dont il révéle, dans le temps próláns_une de seá

de qualifications et de justifications. C'est au croisement et á 1 échange de ces diverses sigrufications

.1

et processus que se constitue la représentation du pouvoir d'état en monarque absolu ; le lieu du pouvoir, l'ordre local de l'abSóln, nous

w" "^` l'avons vu, c' est la tension á l'absolu de la force, c'est le désir d' absolu. ~lo ~f. , 4AV~ Des lors, la re résentation est l'accom lissement ima

ar~tm.1-D Si dans le politique, il est de l'essence de tout pouvoir de tendre á l'ab-solu, il est dans sa réalité de ne jamais se consoler de ne pas l'étre. La représentation (dont le pouvoir est l'effet et qui, en retour, le permet et l'autorise) sera le travail infini d'un deuil, celui de l'Objet manquant, de l'Absolu. Ainsi la représentation transformerait l'infinité de ce manque réel en l'absolu d'un imaginaire qui en tient lieu. Telle.serait la dialec-tique du `baroque' et du 'classicisme' dans la sphére du Pouvoir d'État. Tel serait le lieu du Roi camine position de l'espace du Monarque absolu, son monument ou plus précisément la monumentalité de son lieu.

440 ct.el rodar / fre Postkr ,

d ; III. LE MONUMENT, MEMORIAL D'ÉVÉNEMENT ET TOMBEAU DE PRÉSENCE

C'est á partir de a que pourrait se poursuivre l' examen de l'ar-chitectonique du lieu du pouvoir d'État, sa représentation, dans l'ordre

fections. Le monument, comme mémorial, consacre l'événement, il le sacralise par son éditication ; comme, inversement, Jédífice est consacré par l'événement, en tant qu'il est d'abord et essentiellement ácte du Prince, héros ou detni-dieu. Ainsi par exemple, les aros de triomphe des Portes Saint Martin et Saint Denis qui édifient, á la `fron-fiare! de la capitale du Royaume, la représentation d'un acte du Roi, c'est-á-dire du corps immuable et étemel de la Royauté. C'est ce corps qui est ici constitué, construit, en forme de senil triomphal d'entrée dans - Paris et qui, dans cette commémoration, accomplit le geste immuable d'appropriation de la Ville á lui-méme et au Monarque. Jeaucourt continue :

Les premiers monuments que les hommes aient érigés, n'étaient autre chose que des pierres entassées, tantót dans une campagne, pour conserver le souvenir d'une victoire, tantót sur une sépulture pour honorer un partitulier. Ensuite l'industrie a ajouté insensi-blement á ces constructions grossiOres, et l'ouvrier est enfin par-venu quelquefois á se rendre lui-méme plus illustre par la beauté de son ouvrage, que le fait.ou la personne dont il travaillait célé-brer la rnémoire [...] Quelque nombreux et quelque somptueux que soient les monuments élevés par la main des hommes, ils n'ont pas plus de priviléges que les villes entitres qui se convertissent en ruines et en solitudes3"

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256 Politiques de la représentation

On ne retiendra pas de ce beau texte le témoignage explicite de l'idéologie des Lumilres sur le progrés des arts et avec lui, la gloire des artistes en lieu et place de celui qu'ils devaient honorer, le pouvoir d'État dans la persone de son incarnation monarchique. On soulignera seulement l'insistance mise sur l'autre valeur sémantique du monument que l'Encyclopédie lie d'ailleurs au motif pré-romantique de la ruine. Lieu de mémoire, le monument est aussi le lieu de la mort, le tombeau; c'est d'ailleurs en ce sens qui apparait, dans le texte de l'Encyclopédie

au titre de l'architecture: « Monument: terme d'architecture, ce mot signifie en particulier un tombeau quia monet mentem, parcl- qu'il avertit l'esprit ». la référence au mausolée et á la pyramide qui, comme on le sait, sera dans l'Esthétique de Hegel, la figure du moment de l'architecture comme moment du comrnencement symbolique de l'art parce que lieu du Mort. L'Encyclopédie esquisse déjá le mouve-ment hégélien: la pyramide s'offre comme une nature inorganique (entassement de pierres), mais c'est déjá le commencement d'une inté-riorité qu'elle contient. Édification par excellence pour Hegel, elle n' est telle que parce qu'elle est habitation destinée aux morts : « C'est du mort qu'elle contient que lui vient toute sa signification. La mort signifie donc bien l'ébauche d'une intériorité spirituelle, d'un invisible intérieur, mais qui ne s' exhibe que sous la forme de l'édifice qui lui sert d'abri ou d'enveloppe et dans lequel elle demeure cachée invisible. » La crypte est ainsi pour Hegel la premiare réalisation de l'art et de l'architecture. Il semble bien que certains tombeaux du Bemin érigés pour ces souve-rains absolument absolus que furent les Papes, soient un commentaire de ces passages de l'Esthétique de Hegel, avec toutefois cette nuance capitale, que l'ceuvre architecturale monumentale, tout en obéissant á la structure `pyramidante', n'indique ni ne dissimule plus l'autre seas et

l'autre esprit caché á l' intérieur, mais le signifie et le révéle dans sa vio-lence souterraine, tout en la soumettant á l'effigie du successeur de Pierre.

Or du celé du Roi, nous assistons á un déplacement essentiel que remarque un texte tras intéressant, du début du xvue siécle (1602) du conservateur du Cabinet des Médailles et Antiquités du Roi Henri IV, Rascas de Bagarris. Ce discours qui concerne l'établissement de la gloire et de la mémoire des grands Princes, autrement dit l'érection de

Signe et force : mises en scéne 257

leur monument, vise, en fait, á créer une histoire dú Roi par « . ..vraies et parfaites médailles ». . 11 faut, écrit notre auteur, publier et perpétuer son histoire auguste et vive mémoire par le Monument le plus parfait » ; á quoi il ajoute le commentaire suivant pour justifier ce néorogisgie: « Le nom général de Monument qui vient du latin monitor pour signi fier toutes choses qui admonestent les absents ou de lieu ou de temes, • de la mémoire de quelque sujet semble d'autant plus négessaire d'are regu dans ce discours que Paute nom de Monument setrouve restreint par l'usage du vulgaire á signifier les sépulcres des morts qui sont aussi faits pour la mémoire. » La forme accomplie de la gloire du Prince doit donc &re comme un tombeau, mais á la différence du sépulcre du mort qui marque son passage définitif au passé, en consacrant sa mort par sa représentation, cene fonne doit &re « Yivante présente mémoire », c'est-i-dire la présentation du Roi, sa présence réelle dans une repré-sentation « publique et perpétuelle ». C'est le monument de gloire du

eiui défits lieu et le temes dpsjáiR:Aése ce enteixitie comme une permanence transcendantale fondant toute pré'sence. Aussi dans l'avenir qui s'ouvre, ce n'est pas le prime cLuLest absent, perdu et mort dans un passé révolu qu'il s'agirait de faire revenir en représentation: c'est la postérité que le monument de loire et de comme absente dutem_ps et du p_nactieu du , de sa prés .ence stable qui autorise cette postérité á se concevoir dans le temps et le lieu de sa propre histoire. Quel est ce monument qui, inieu_ juue le tombeau, avertit tous les absents de temps et de lieu de la °réspice du Roi (.7 Un monument qui articulerait les deux dimensions de la représentation, faire revenir le mort dans une présence imaginaire et fonder légitime-ment la présence du présent en lui donnant sa dimealonsyMtiolique, en - l'inscrivant sous le régime du souverain et de la loi.

Ce monument, c'est son palais. 11 faudrait ainsi analyser le palais du Roi, comme le dispositif architectural d'approprialon de l'espace géographique-urbain paf ° le corps .du Roi, la tan- ásubstantiation de l'espace en corps monarchique, pour en observer précisé-ment l'étymologie, principe originel et pouvoir unique ou absolu. Comment soumettre l'espace á cette monarchitectonique de la repré-sentation du Prince et insister sa présence réelle, produ:aion d'un lieu symbolique exemplaire sous l'espéce de cette représentation.

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Page 20: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

Politiques de la représentation 259

IV. LE PALAIS DE VERSAILLES : LE MONDE TRANSSUBSTANTIÉ EN CORPS ROYAL

Nous trouvons le fonctionnement de ce dispositif á Versailles, ou tout au moins dans les représentations qui sont faites du cháteau et de son parc et dépendances au xvue siacle. 11 ne saurait s'agir ici d'entrer dans l'étude de l'histoire de Versailles et de ses significations. On se hornera, pour conclure, á confronter quelques plans et quelques vues topographiques du cháteau qui font apparaitre cette appropriation de l'es •ace et sa

• . n - • , a chambre ; bref le lieu de son corps et dans ce corps, sa tate, sa face, son keil. Autrement dit, luían du p L _arc te inon comete la matrice, du moins cornete la ro'ection latouée' sur l'e • ace géographique, d'un réseau régulier, réglé, normé de tracés qui l'appro-prient au Roi, le rendent `propres' comete sa propriété ; ou encore il opere l' expansion du corps du Prince selon la loi de son regard, le rayon qu'Alberti déjá appelait le rayen centrique, le rayon du Prince, le rayen du Sujet. Ce réseau, autour de l'axe central organise un quadrillage régulier que viennent enserrer deux grandes diagonales, á droite l'a-venue du Trianon, avec son correspondant á gauche.

Cette premiare approche se confirme avec le Plan général de Versailles, son parc, son Louvre, ses jardins, ses fontaines, ses bosquets et sa vine levé par Nicolas de Fer (ill. 25), géographe de Monseigneur le Dauphin en 1705 (on notera qu'il est l'auteur en 1693 de La France triomphante sous le régne de Louis le Grand et d'une Ilistoire des rois de France depuis Pharamond jusqu'a Louis XV (1722), collection de portraits). Avec le grand Parc et le prolongement de l'axe central du Grand Canal, le réseau se poursuit et s'arnplifie en développant le quadrillage par des étoilements organisés sur de grandes diagonales.

Toutefois si dans le haut de la carte, l'ensemble se trouve clóturé parle mur du Grand Parc, la pointe de Galie qui est le sommet de ce mur pointe une rose des vents, entre les légendes, qui l'ouvre, potentielle-ment, á l'espace universel.. Mais c'est surtout dans la parte basse du plan que se rencontre une remarquable conversion de la géo-métrie et de la géo-graphie du pouvoir d'État, de son architectonique ou plus préci. sément de son `iconographie' : en effet, tout se basse comete si, autour d'un axe horizontal marqué par la rue des Réservoirs et fa me de la

urm en ce, entre Avant-Cour et Cour du cháteau, s'effectuait un rabattement des lignes directrices du tracé du Grand et du Petit Pares qui, cette fois, n'articuleraient plus l'espace de la Nature pour_r assu-jettir en pouvoir du regard central en le traniformarit en lieu royal en expansion, mais construiraient l'espace urbain en portrait du Prince.

,Lá encore, la regle est celle d'un axe central, l'Avenue du Parc ou laGrande Avenue visara Paris ii.-71-cTe faisceau ouvert des Avenues de . Sceaux et de Saint Cloud (lieux royaux) á partir de la Place d'Armes • axe cene-1 accompagné d'un double quadrillage cette fois exteme aux deux bras diagonaux du vieux Versailles et de la Ville Neuve. Un double pliage du plan inscrit donc ses plis dans l'espace cartographique, l'un central qui définit l'axe du regard du Prince á partir de son appartement, de sa chambre, l'autre, horizontal, qui définit un axe latéral (projection á la ligne du point de vue, de la ligne d'horizon) qui détermine le par-tage du monde naturel géographique et du monde culturel, urbain, poli- fique. C'est ce double pliage qui se répéte sur l'ensemble du plan. Mais bien évidemment, dans la vue générale , i l'axe de son o re re ne petit se rixer á un point de vue, mais la représentation le met en mesure, par sa position transcendante et réflexive, de parcounr la grande priure. -centle de l'espace et de maitriser á partir d'un point idéal situé au-dessus du

rarG—Wranal le demi-mfini culturel urbain délimité ici para grande honzontale du palais.

Ici apparait la production du lieu symbolique du pouvoir, du pou-voir d'État, du pouvoir absolu par l'a ro riatior ivers á ce lieu au moyen du regard. Á la différence des conceptions du Bernin, ainsi á Rome avec la colonnade de la place Saint Pierre, oú l'espace uni-versel est saisi dans une sorte d'embrassade physique cornme avec des

criti"r44-‘441'• ,t4k, SiDamAl thvuZvene./2-.

quelques textes descriptifs. Dans le « plan général des jardins, bosquets et places d'eau du petit parc de Versailles » gravé a....__Lrylnhoeck (ill. 24) á la veille de la mort de Louis XIV42párálldans toute sa forceje axe cen_ trabe ui, du corps, du palais articule la smInzie des jardins pour se perdre, au-delá du balsillaáa 19191Letkwure les 1 com-pacts de la légende á droite et á gaucho. Cet axe vise un point littérale-ment indéterminé, á l'infini, qui est le rigoureux équivalent structural du lieu du Roi •récis fi •

Page 21: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

bras qui l'envelopperaient en développant le grand geste ostentatoire t Cu^ baroque de la charité catholique et rornaine, á Versailles, le Roi estála

ProZzAd.ro foispartout_at_iun p e art. n'est pas dans l'espace ou plutót il n'y est 1". SaitAl2a présent que comme regard dominan qui en le lieu das- ghwyrod

sismo. Un texte que Louis XIV a écrit sur la maniere de visiter les jar-dinsde Versailles confirmerait ces remarques :

0(4(

Une vue symétrique de la premiare est ici indiquée. Un deuxibme demi-infini ici se découvre le long de l'axe central du Grand Canal, pointé par le jet d'eau de l' Apollon. On notera également que, dans les eux_gravures d'Aveline et de Perelle, le Grand Canal est devenu une

er rteuse d'immenses vaisseaux : c'est bien l' ensemble du monde qui se troje arc itecturé en lieu du Roi et transsubstantié en corps monarchique sous les espéces optiques de son portrait, c'est-á-dire de son regard omnivoyant : production symbolique du lieu royal exem-plaire.

On citera pour conclure deux passages d'une description de Versailles par ce grand courtisan, grand théoricien et critique d'art qu'est Félibien. A l'arrivée de Paris, par la Grande Avenue, la Place d' Armes, l'Avant-Cour et la Cour, juste avant d'entrer dans le cháteau, le visiteur regoit cette instruction :

Il est len de remarquer que comme le Soleil est la devise du Roi et que les Poétes confondent Apollon et le Soleil, il n'y_a den dans cette superbe maison qui n'ait rapport A cette divinité : aussi toutes les figures et omements qu'on y voit n'étant point placés au hasard, ils ont relation ou au soleil ou aux lieux oti ils sont mis.

260 Politiques de la représentation Signe et force mises en scéne 261

comparable absolu, Nec pluribuá. impar. Le principe d' interprétation qui fournit au ‘voyage narratif', l'instruction de son prograntink (« Il faut partout lire le Soleil ou Apollon ») est ainsi rigoureusemént identique á celui, irnpérieux, qui a présidé á l'architecture de la scéne et de sa repré- sentation, identité qui donne au parcours sa totale sécurité et lui offrp 4144, sa définitive certitude. A travers la représentation topographique, le )4 411.¿ ;Asible architectural est totalement fisible et le fisible descriptif, visible ;

et le symbole se on ent daris uue metioir réalité de disc-ours et de lieux, celle d'un parfait simulacre qui manifeste une identique pro-sopographie, le portrait du Roi-Soleil.

Il y a ainsi un ordre `théorique' des lieux qui., dans leur silen-cieuse immobilité monumentale, accompagnent et, pus. pcore peut-are, exigent de leur regard structural la `théorilatioá''&;&elpaces que le parcours opére par ses déplacements de points - de vue' et ses stases de contemplation. L'un représente l'autre, le second performe le premier, et le monarque dans son palais, visité par ses sujets, est comme un Argus aux cent yeux auquel nul regard ne peut échapper ; il est á la fois son cháteau en expansion continue dans V espace et dans . 1é temps, et son centre, son coeur qui lui donne son sens et .regoit des structures qui scan-dent et articulent cet espace et ce temps, la légitimation de sa .réalité symbolique. Et c'est ainsi que s'accomplirait á Versailles, dans le palais du Monarque, la reléve 'classique' frangaise des puissances baroques de l'architecture berninienne.

En sortant du cháteau par le vestibule de la cour de marbre, on ira sur la terrasse, il faut s'arrater sur le haut des degrés pour considérer la situation des parterres, des piéces d'eau et les fontaines des cabinets [...] On descendra á 1'Apollon oú l'on fera une pause [...] On yerra aussi le canal [...]

Rien n'est laissé au hasard, qu'il s'agisse de l'architecture des bátiments et des jardins ou de l'omementation. Le principe qui les regle, la norme de leur visibilité et de leer lisibilité est le roi en sa devise dont le corps et le type est le soleil et l'áme, la légende, celle-lá mame de l'in-

Page 22: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

COLIEC TION 'CRITIQUE»

OUVRAGES DE LOUIS MARIN

=PIQUES : JEUX D'ESPACES, 1973.

LA CRITIQUE DU DISCOURS, ÉTUDES SUR LA LOGIQUE DE PORT•ROYAL ET LES PENSÉES DE PASCAL, 1975.

LE RÉCXT EST UN PIÉGE, 1978.

LE PORTRAIT DU ROI, 1981.

Chez d'autres édüeurs :

ÉTUDES SÉMIOLOGIQUES, ÉcanuaE, PENTURE, Kiincksieck, 1971. SÉMIOTIQUE DE LA PASSION, TOPIQUES ET FIGURES, Desdée de

Brouwer, Aubier-Montaigne, 1972. LE RÉCIT ÉVANGÉIIQUE, en eollaboration avec Cl. Cimbra,

Aubier-Montaigne, 1972.

DÉTRUIRE LA PEINTURE, Galilée, 1977. LA vont EXCOMMUNIÉE, Galilée, 1981. LA PAROLE MANGÉE ET MITRES ESSAIS THÉOLOGICO-POLITIQUES,

Klindcsieck, 1986. JEAN-CHARLES BLAIS, DU FIGURABLE EN PEINruRE, Blusa" 1988. OPACITÉ DE LA PEINTURE, ESSAIS SUR LA REPRÉSEIVTATION AU

QUATTROCENTO, Ulster, 1989. LECTORES TRAVERS~S, Albin Michel, 1992.

LOUIS MARIN

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

LES ÉDITIONS DE MINUIT

Page 23: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES chapitre 12

dégénérescence utopique Disneyland

de la tradition réalité par la n par leurs dota que Par raPPot mame dans son d'autre trace d retour, se trouve de l'écriture, la

11 V 1.1 sisa^ /ampirisme de la poses est absorbé

n'ont de sens icent qu'en elle ; aya, il n'y a plus tes ». Ainsi, en itée la « réalité PROPOSITION

Vne utc~générée estjmeidé ous la forme d'un mythe.

ItAPPELS :

1. L'idéologie est la représentation du rapport ima-ginaire des individua á leurs conditions réelles d'exis-tence.

2. L'utopie est un lieu idéologique : rutopie est une espace du discours idéologique.

3. L'utopie est un lieu idéologique oii l'idéologie est mire en jeu : rutopie est une scane de représenta- -_ tion de ridéológre.,

«.t

solution d'une contradiction sociale fondamentale.

COMMENTAIRES :

visiteur.. Apergu sous cet angle, son parcours possible

296 297

En présentant cette analyse de Disatzand comete espace utopkue, nous visons un double but : d'abord mon-trer nce, la solidité de , certaines structures d'or- ganisation • • que on peut, fuste tttre• . ríe

Urna d' et dans les ouvrages que ron range vement dans cet ensemble, mais encare elles remplissent des fonctions déterminées par rapport á la réalité, á l'his-toire, aux relations humaines, fonctions que nous avons pré-cisées théoriquement et spéculativement et- rangées sous rexpression de pratique utopique. Force critique de neu-tralisation, celle-ci définit dans ridéologie respace de cons-truction de la théorie sociale. Ce sont ces structures et ces fonctions que nous retrouverons dans la topographie d'un

réel e

Page 24: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

énonce la narration affabulatrice carasd•w&wo ,r ie, cependant quéra-Far~limix~~ de la descrip-tion et occupe la pkice du tableau représentatif, spécifique également de l'ouvrage utopique. Mais dans le méme temps nous voulons faire apercevoir sur ce cas un exemple de dé énérescence de la rae utopique dans son produit et montrer comment a figure utopique est, dans ce pro-cessus négatif, tout entitre transie par l'idéologie que, dans sa phase d'émergence, elle-contribuait i réfléchir et a faire apparattre fictivement.

Ainsi Disn land est une ut..ie saisie par l'idéologie en ce qu'elle est la représentation • u . ... 'magma= que la classe dominante de la société américaine entretient avec ses conditions réelles d'existence et plus précisément avec rhistoire réelle des Etats-Unis et avec l'espace extérieur. Elle est la projection fantasti ue de l'hi5toire de la nation américaine daos sa ble instauration can- ger et égard du. monde sature , m t.ap ore déplacée de la n a o— riZSrá---pque.

Cette projection a bien évidemment une fonction idéo-logique : aliéner le visiteur dans une représentation. de la vie quotidienne, dans une image du paseé et du futur, de l'étranger et du familier ; confort, bien-étre, consommation, progrés technique et scientifique indéfmi, toute-puissance et bonne conscience, telles sont les valeurs de la violence et de l'exploitation qui s'exposent sous les espéces visibles de la loi et de l'ordre.

Mais, paree que toutes les pressions idéologiques, toutes les formes et tous les aspects de raliénation capitaliste et impérialiste moderne sont représentées, paree que Disney-land est la résentation ,dek rm__.é.s:ttation constdútvé de logie contemp—o—rame, paree que ce lieu est une ~----d un espace de projection oh nous pouvons voir et expérimenter l'idéologie de la classe dominante de la société américaine, nous pouvons penser que le monde réalisé de Walt Disney remplit la fonction idéologique-critique que nous rec,onnaissons i la production utopique. -- "-

II n'en est rien toutefois, car la scéne utopique, cet espace de mire en jeu de l'idéologie par oh. l'utopie opére sa fonction critique n'en est pas un : pour la raison simple! que le visiteur de Disneyland est sur la scane ; acteur del

DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

la l'Ice qui s'y joue, il est pris par son r8le conune le rat est prii .au piége et s'aliéne dans son personnage idéo-logique saos savoir qu'il le joue. Dans cette mesure, Disney-land ne « fonctionne » comme une -.ésentation de_

tion 1 ogiat. L'utopie , diUsney nSi(

qu'au moment oh un rnétadise.oun analytique, comí.- dérant sa carte pour en construire les structures sémantiques, prenant en compte le parcours du. visiteur comme un récit, son itinéraire comme une « lexie »". possible .du tableau, les fait jouer les unes par rapport aux autres, dans leurs divergences et leurs corrélations et ainsi fait apparattre leurs ressorts cachés et leurs effets idéologiques de leen. L'utopie dégénérée ramenée i son texto et i. son tableau peut abra recommencer i. produire et i découvrir ce que nous savions déja depuis qu'une théorie de réconomie poli-tique et de l'idéologie a ¿té rendue possible.

En d'autres termes, le visiteur..de Disneyland est dans la position durécitant cérémoriiel du rétit mythiqiae-des ori-gines antagoniques de la société. 11 en miine les contradie-tions dan.s le présent de sa visite et sa gesticulation rituelle, qui le conduit de la caverne des pirates au sous-marin atomique, du Palais de la Bolle au Bois dormant a la fusée spatiale, et par laquelle il renverse, dans le_jeu, les déter-minismes de la vie quotidienne pour les réaffirmer, légitimés et justifiés, par son geste instaurateur ; sa promenade est le récit orille fois renouvelé de l'harmonisation leurrante des contraixes, la solution fictive de leer tension conflictuelle. En « performant » rutopie de Disney, le visiteur « réalise » riaéologie dec ass&—T—i-dminauttrzonm e

a a soci •ue vit.

La limite.

Une des caractéristiClues les Oís remarquable,s de la figure utopique que le discours inscrit dans l'espace imagi- naire de la carte est un trait qui en interdit définitivement rinscription géographique : il s'agit de l'existence d'un hia- tus, d'un écart entre la réalité de ce monde-ci et la figure

"autre. Cette distance est le plus souvent dotée d'une marque dans le contenu narratif, voire dans le signifiant. Ainsi, le manuscrit retrouvé par hasard par le narrateur

298 299

Page 25: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

rr . . g del

Le second lieu est linéaire et discontinu : est constitué par les guichets d'entrée vera iesquels le visiteur, est dirigé, pris en charge par des micro-bus qui sillonnent du parc a voitures. Leur franchissement est la condition néces- saire de rentrée en Disneyland, can s'y effectue une opé- ration de substitution de signes monétaires : ne s'agit pas, en effet, d'acheter un billet d'entrée moyennant une certaine somme d'argent, mais d'acguérir, ui-

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

utopiste et oh se trouve consigné le journal de bord d'un ancien mana a perdu ses premiares pages, qui justement portent les coordonnées géographiques de lile merveilleuse ; ainsi, le narrateur tamal sera plongé dans un évanouisse-ment brutal lora d'un naufrage pour s'éveiller dans le continent perdu ; ainsi un serviteur peut avoir une quinte de tour au moment oh le récitant donne la position exacte d'Utopie. 11 semble • a cette condition que puisse commencer vooyage a rintérieur e ce n am~irigr-descri: En d sufres termes, cette marque du texto utopique indique ropération figurativo dans le discours, en signalant la condition de possibilité de la représentation : elle est la transposition sémiotique du cadre du tableau, que cette transposition utilise le détour du signifiant ou du signifié pour s'effectuer.

écart tron- are entre la réalité (le monde dans son articulation spatio-temporelle, géographique, historique) et l'utopie, qui révale le travail de neutralisation de la pratique utopique : ruto-pie n'est pas seulement une contrée tras éloignée, á l'autre

mon es p on. -urs • turre ou • les hauteurs du ciel. Elle est 1'Autre Monde, le monde comme autre, l'autre du monde. Elle est renvers de ce monde-ci, son négatif au sena photographique du tenme. L'utopie est ainsi le produit d'un travail par lequel un systame déterminé, doté de coordonnées spatio-temporelles, est converti en un autre systame tout aussi déterminé et également doté de ses propres coordonnées, de sea struc-tures, de sea ragles d'articulation. La limite dont la e

ti re est mdex est ainsi le zéro du passage, le point de franchissement

Limite externe.(podkj.-s)

A Disneyland, ' utre de la limito selon trois lieux chacun, d'une onction sémiotique

on retrouvera les trois fonctions du cadre- limite de la ..25 résentation : • are a v ou la limite

e, c en 5 ou a te mter-

300

DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

médiaire, circ,k_uit du skjeLchemin de Santa-Fé et Disney- land ou la limite mteñ-li ze. premier lieu est un espace ouvert, isotrope, saos limite potentielle, faiblement structuré par le réseau géométrique indéfiniment extensible des places et des Iota numérotés. Le visiteur y abandone sa voiture personnelle qui 1'a amené jusqu'a cette banlieue de Los Angeles, a 1' • uivalent du naufr de l'éva- nouissement, ou de la dééhirure de rancien. - t utopique, car le visiteur n'est en vérité qu'une -performance possible du texte utopique, narration en arte et discours agi de cette « utopie » contemporaine, élément de surface « anthropo- morphisé » de ce texte inscrit dont réactive les signes et les marques selon des ragles syntaxiques précises que le guide de Disneyland énonce. Lorsque ron sait l'importance de la voiture automobile personnelle aux Etats-Unis, et en Cali- fornie en particulier, le parc oh elle est laissée acquiert, au-dela de sa fonction pratique utilitaire, une kurdétermina- don sémiotigue dans l'espace et-dans le cómpoitement : - est le d'un chaagement d'acfivité et passa—gér son contnure, -.

cement d'éttonzaata rutilité pragmatique et msertion dans un e réglé de signes et de comportements, l'actualisation d'un agir productif, doit se substituer l'autre de ces signes et de ces comportements, le systame ouvert des symboles ludiques, le champ libre de la .« sonsumatioh » gratuite, le parcours passéiste et aléatoire dans le spectacle. •

queo visiteur p---i'Mr15Mriperurr la vie « utopienne » :

301

• : • ue dune

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1111J • II .71:1:51 *Al di

II ue • • 1•

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302

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DLSNEYLAND

non pas acheter des biens que ron peut acquérir ou consom-mer avec de l'argent « réel », mais avoir les signes ou tout au moins les signifiants du lexique « utopien ., grite auxquels le parcours du visiteur acquerra sa signification dans une performance propre. Deuxiame abandon, deuxiéme échange, deuxiame moment du travail neutralisant de la limite : aptas la voiture automobile, l'argent, apres la Ford, le dallar, pour atteindre rAutre Monde par un autre moyen de transport, pour acquérir les signes d'un autre discours qui n'est plus, au molas en apparence, réchange monétaire. Le premier de ces nouveaux signes que le visi-teur émet est celui qui, en retour, lui donne le draft d'entrée, c'est-i-dire de discourir le parcours « utopien ., de parla la premiare phrase de ce discours. L'échange des dollars et des signes « utopiens » peut etre plus ou moins important, plus ou moins dense. C'est ce critare quantitatif qui déter-minera directement le volume general et la complexité du discours utopien que le visiteur palma articuler et indirec-tement le nombre des regles syntaxiques des différentes unités signifiantes, et, avec elles, le nombre des énoncés-parcours possibles du visiteur. Ainsi, pour prendre un exemple, le visiteur échange six dollars contre dix e signes utopiens » composés de un A, un B, deux C, trois D, tras E qui lui permettent d' « énoncer » les parcours possibles suivants :

le . :Charrlot a cheval de la le Cinéma de la

Grand'Rue Grand'Rue, rOmnibus de la Grand'Rue, la Maison du Ro-

binson .suisse,

et/ ou bien la Grand'Rue et/ou bien d'Alice au Paye la Voiture de pompler de les Aventures

des Merveilles, le Chatean de la Bello au la Croislare en Bola dormant, batean a moteur, le Carroussel du Rol Arthur, le Train du cirque

Case);

le ThUtre du monde fan- les Roquettes de 1 tastique, respace,

le Salon de thé en folie, les Canoas de „_wn,_ ere des Indigna,.

etet/ouMen les « Antoples s, *ti" v le Vayas° dans la ,

.

le Stand de dr, etc. etc.

les B n- C$bs/éighs du

le Paradis polyné- sien,

le Sons-marin sous la ba

la Caveme des pirateo,

et/ou bien 1 quise du Ole Nord, et bien Cervin' la Malean bantée, °u n la Croisiare sur une rivibre tropi- cale, etc.

etc.

Limite interne. (P4A ...J..,,—.4)

Le troisiame lieu est circulaire et linéaire, -continu et articulé á la fois : il est constitué par Ie remblai surélevé du chemin de fer de Santa-Fé et Disneyland, ponctué de quel sques pres. Le visiteur franchit cette demiare limite par deux tunnels qui ramanent dans l'Autre Monde. Ainsi cette derniere limite n'est pas une frontiére pour le e narrateur », puisqu'il _ n'utilise pas nééessairement le véhicule qui .1a parcourt pour pénétrer dans r « utopie », mais elle en est une pour respace « utopien » qui trouve avec elle sa limite extreme, sous la forme du moyen de co~ication hérol-que, mala archaktue, qui re 6t. On n'entre paa par elle

Ldans Disneyland, on n'en son pas non plus ; on .en parcourt la frontiare ciréhlaire oh. sa représentation a la fois com-

ence et se termine. Le remblai du Santé-Fé et Disneyland Railway trace le parcours de « rile bienheureuse » : il constitue la derniére limite du e cadre » du tableau et le premier linéament de la figure. Avec lui, le monde extérieur est définitivement neutralisé dans la premiare inscription du « lieu de mulle part ».

Toutefois, cette pure !rondare infranchissable (sinon par les deux tunnels) est transgressée par le chemin de fer du futur, le monorail, qui n'enclót rien, puisque le rail sus-pendu est porté par des pyl8nes, mais qui relie l'hótel de Disneyland i une région de l'utopie, e le Monde-Demain ». Ainsi la limite est donnée et, avec elle," Si- transgression. C'est le passé qui eliden 1' e tle utopienne » avec le double en modele réduit de la locomotive de la conquéte de l'Ouest. Mais c'est la technologie avancée de ravegir qui franchit la limite et relie I'espace bienheureux au monde de la réalité. Le progres technique n'est ainsi qu'une transgression : ü

303

Page 27: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

se défmit par la regle qu'il dépasse. Sur la limite extreme de 1' « Utopie », au premier dessin de la figure, avec l'énoncé inicial du parcours narratif-descriptif, s'explicite la tension sans fin de la neutralisation qui travaille dans l'espace dif-férenciant entre la réalité et l'utopie : celle de la limite et de son franchissement.

L'utopie est non seulement un monde différent, non seu-lement le monde de la différence, mais aussi la différence du monde, r « autre » du monde. C'est ce qu'exprime la double neucn"-~i&-W~ et de rargent et leur inversro—~isurantre-ratopique-n-hrp~, dans les véhicules de transpon du XIX' ou du xxf dedo ; la seconde, dans les « signes monétaires-utopiens » fonction-nant moins comme des équivalents abstraits d'échange de bien consommables que comme les signes permettant les Men, et limites d'un discours-parcours de res- pace « utopien », conversion qui se produit sur et par-dell la derniere limite, qui est aussi le premier dessin de la figure. La ligue de chemin de fer est sémiotiquement le résultat signifiant des deux formes neutralisantes d'espace que le « ruurateur-visiteur » a d'abord parcourues : á la

or- ace ou m u pare v tures, s'oppose la ligue discontinue, á forte structure, des guichets d'échange, et cette opposition trouve sa récon-ciliation dans la ligue circulaire, cl&urant de frieron combine, un espace dos, fermé, anisotrope, á forte structure, tout en autorisant son acces par la ponctuation de segments conti-gus : réconciliation qui fait apparaltre ainsi l'ambivalence du « travail » de neutralisation, e la fois tension de la contra-diction et harmonisation ;b1e des contraires au de •

syn La transgression du =moran souli-gnerait encore cene ambivalence, mais en lui donnant une dimension temporelle : la synthése possible, e l'état zéro, des contrariétés de l'espace (surface // ligue, continu // dis-continu, ouverture // clóture, .ie // . de, etc.) recoit une détermination onque qui - a sur-

„ determine, celle d'une tension du passé et du futur, du II s' sacie au L'articulation de respace dans son ambi- -

valence est ainsi le support d'une opposition historique qui recevra des divers énoncés-parcours du visiteur une mul • 1 valonsation. cene surdetermination constitue le « cadre

304

DÉGÉNÉRESCEOCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

méme de . son discours », rinjonction latente et - insistante _ d'un signifié imposé, qui oblitere le présent par le double 7 - ' pele historico-axiologique de l'origine et de la. fin, de la conquete passée de l'Ouest et de calle futuro de 1' « Esparce ».

L'accés au centre, fantasme. (11 m44.49,‹ deppeu...t"2,¿

Disneyland est un .ace centré. Un chemin conduit directement au centre : « ue Améri » ; Main street U. S. aie ce chemin vera la place e est aussi celui qui conduit directement le visiteur vera le « Monde fanue », un des quatre dimos de Disneylanci-~

p évident et le plus insistant de 1' « utopie » dirige non seulement le visiteur de la circonférence vera le centre, de la ~ere au cceur de l'espace dos, mala de la réalité au fantasme • c'est d'ailleurs ce fantasme qui cona-titue ensmgae p Wall-e, le signe de Disneyland, rimage de marque de rutopie elle-meme.

En consiste Ce lieu frontal chi • ar- cours est fait d'imago personnages, d'animaux, etc., des contes de fées Bistres par Walt Disney dans ses dessins animes, filmo, alburas, magazines, etc. II est fait d'images cela sigui& que ces images sont rendues réelles et vivantes par leur transposition dans des matériaux réels, bois, pierre, caoutchouc, plastique, ¡nitre-, et par leur « animarion » par des humains déguisés en personnages de gravares ou de cinema. L'image est doublée par la réalité en deux sena

donne pas comme le sim • support de la viste qui traverse le figurant pour atteindre cette autre chose dont le figurant est le simple représentant.11[4.~est devenu le figuré, le « Chevalier » de la gravare de Dürer devenu non seu-' lement « . le chevalier-dépeint », le termo de la visé e de portraiture, mais le chevalier en chair et en os ; toutefois, en un mouvement inverso, la réalité s'y transforme en image ; le figuré n'est autre que le figurant et le Chevalier, la Mort ou le Diable n'ont pas d'autre réalité que celle de

_tour figure, _un etre asid par la neutrallaatinndo; naire.

305

11

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UTOPIQUES JEUX D'ESPACES

Ainsi, la réalité que le narrateur-visiteir a laissé l'exté-deur par le double jeu de la limite neutralisant sa voiture et ses dollars, il la retrouve á nouveau, mais comme réalité de rimaginaire, avec la • uissance, la violence, mais s

on amm et du fantasme. Autrement ,.&1—k--11W-'4 ~que vera eque nous conduit directement la

« Grand'Rue Amérique » n'est autre que le retour fantas-tique de la réalité, la résur vence de la réalité dans son autre qu'est rhallucination. Ce retour une réalité aliste et enfaiia8 qui s'effectue dans la réalité du fan-tasme, c'est-á-dire dans l'hallucinatoire accomplissement du désir, est en fait médié par un systéme de représentations, élaborées par Walt Disney et constituant un code et un lexique rhétorique et iconique parfaitement mattrisés par le « narrateur-visiteur ». Le retour de la réalité oubliée ne se fait que dans et par cene formation secondaire qui n'est pas seulement un matériel d'images et de représentations que modélerait le désir, mais constitue la réalité mente du fan-tasme oh le désir est saisi dans son leurre.

D'oh la violence exercée dans rimaginaire par le fan-tasme de ce district de Disneyland : l'autre de la réalité apparatt et en cela, le « Monde fantastique » est le lieu utopique privilégié de Disneyland mais fi -a,pparatt comme la réalité des images banalisées, routinisées, des films de Walt Disney, signes pauvres d'une imagination homogénéi-sée par les masa-media ; cet autre est bien le leurre oh le désir se prend, mala ce leurre est la forme collective, tota-litaire, que l'imaginaire d'une société a regue et on elle s'est contrainte dans le face-a-face asimilé-, digéré et cari-caturé de sa propre image. De mame qu'a Disneyland l'or-ganisation utopienne de l'espace regoit une sur-détennina-tion historique idéologique qui en infléohissait le sena et la valeur, de mamefo.k essentielle de la figure utopique qui qt de manifester urikurre du désir dans une co a-

, tionrefiativement fil reset un, stkme cien ations immo • ile,_f_LAL,Mgit3gtes : nouvelle inflexión u sena — nous en rencontrerons d'au-tres — par laquelle les prochs utopiques découvrent leur appartenance idéologique et l'affaiblissement remarquabie de leur force critique.

DÉGÉNÉRESCENCE VTOPIQUE : DISNEYLAND

La fonction pratique du centre. IvIcv„

La « Grand'Rue Amérique » est, dans une certaine mesure, une simple voie d'accés. Potr visiter en effet Disney-land, pour énoncer le discours-parcours total, elle est le moyen d'arriver au centre et de • ouvo* choisir un itiné-raire c'est- orman l e e. angue• Le narratelir pourra au centre,

• it parrar du centre, articuler entre elles les diverses unités narratives, les multiples séquences de son parcours au moyen des signes qu'il a regus i> rentrée en échange de son argent. En d'autres termes, au niveau du texto utopique, la

de transuussion

Elle permet communication. Sa fonction est la plus pauvre, mais la plus priniitive des fono ons, car, avec elle, aucune information n'est échangée, sinon que de rinformation pourra r8tre ; elle engage la relation d'émis-sion et de réception du discouri, relation circulaire comme la figure utopique ou elle s'instaure, puisqu'en roccurrence rémetteur du message, le visiteur-narrateur, ne fait • 'un avec eur, Disney n an • r e I ers • lectures enc ve qu'une pluralité de lexies constitu-tives du tente utopique qu'échangent sans fin les visiteurs selon les coda, lexique et syntaxe, imposés par les auteurs de rutopie de Walt Disney.

Or cette fonction sémiotique, condition de póssibilité des messages-parcours dans la langue utopienne de Disney, est inscrite structurellement par une lexie de deuxibme ordre dans la figure diagrauunatique de la somme ouverte et

En effet, on constate en voyant la carie ce que ron ne pergoit pes lorsqu'on parcourt le récit de rentrée et du centre, que la « Grand'Rue Amérique » n'est pas

-dire d'amorcer la formulation de la

Pluralité sémiotique.

307 306

Page 29: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

et =te, entre réalité et imaginaire, le pluriel fonctionnel de la « Grand'Rue » qui justement porte le nom « Amérique » sa diversité et sa polyvalence sémiotiques dont U, nous faudrá clon= les contenus sémantiques.

La « Grand'Rue Amérique » est un axe orienté vers le centre qui est le lieu privilégié de la circularité utopique paree qu'il est la condition de possibilité de tous les récits- . arcours de la totalité : o2Mni~ laisimmo4 c est moment yuutems~~~tiné-

UTOPIQUES : YE= D'BSPACES

seulement une rue, mais un district, un « Mondes qui sépase et relie les diStricts-mondes de l'Ouest et de l'Est. L'axe qui permet au narrateur de rejoindre le centre pour y amorcer son discours narratif et se situer en une position de parole-parcours lui permettant de le dire, est, pour le spectateur, un espace ou un lieu de la carte, de la synopsis figurative et du scholme de la fiction utopique qui articule le « Monde-Frontihre » et le « Monde-Aventure » d'une part l'Ouest ou á sa gaucho) au « Monde-Demain » d'auto part l'Est ou sa droite) : cet espace lui fait voir

la fois leur relation et leur différence, sano qu'il perspive, sinon dans leurs noma, comment jis communiquent et ce qu'ils communiquent. ese district est la condition dewssi-bilité d'articulation de la carta • avec Íui iinscrit dans une

retr -u-1 'ure se présentait comme le moment déatoire d'un choix et d'un départ possibles. Si ron ajoute enfin que, dans le parcours de la « Grand'Rue Amérique », un premier récit se racontait, récit originaire puisqu'il est meme de l'utopie en étant le récit de la transformation de la réalité dans son autre, le Untas= devenu réalité et la réalité devenue fantasme, alors on aper-9oit se manifestant entre récit et description, entre narration

raire. est é alement l'axe de fondation de rutwie ent comment la

orme dans son autre, son antastique retour dans .on Cependant, au niveau de la synoptique, elle est respace qui divise l'utopie en deux parties et l'oriente selon la droite et la gaucho, l'Est et l'Ouest, et aussi le lieu qui en permet la communication et qui joue, sur le plan et dans la surface de visibilité, le rae que jouait, dans le récit et dans la ~ligue de urs,

axe unen ue » se

nfaafazdazscancE UTOPIQUE : DISNETI.Áib -

tembo. Condition de possibilité de rarticulation de respace dans le visible, elle est condition de possibilité du discours dans le récit : élément textuel essentiel espace et axe, centre et vecteur, elle divise et unit —, la « Grand'Rue Amérique ». est un opérateur d'articulation et de construc-tion á tous les niveaux du texto visible et racontable.

Polyvalence sémantique.

La pluralité des fonctions sémiotiques de la « GrandRue Amérique » pose la question de sa polvalence sémantique et de sa rais> on : cette voie d'acola est en effett le seul lieu dans rensemble de respace « utopique » orrargent exté-rieur a cours, oh le dollar a une valeur effective, non seule-ment pour acheter des souvenirs, mais ancore toute esphce de . marchandises, vétements, bonbons, cameras, appareils photographiques, etc. En d'autres termes, la « Grand'Rue Amérique », pour réaliser parfaitement son refle de vede coarte d'une petite vMe du AriddleWest en 1880, dans le granel. jeu « surdéterminant » du passé h storique, se doit de déployer ses boutiques, ses magasins de denrées et de biens de consommation. Les boutiques font partie du jeu, de la pléce thékrale en représentation.

Mais, en méme temps, elle est le lieu de réchan e réel, le .lieu du marché et de95-ónsommation véritables entreprises américaines d'aujourd'hui vendent leurs pro- . • pienne est cachée durare la fonction initiale et la plus apparente de la rue de conduire á la place central et au « Monde fantastique ». Cette fonction joue un r6le d'écran secondaire pour la fonction véritable et migue- de la • Grand'Rue Amérique » d'étre un lieu de vézité et de consommation : tespace réel de la nwrchandise.

C'est en fin dé compte zcz7" -W-E-1--M-inn 'Rue », que s'effectue le retour de la réalité -daní un systbme médiat de représentations Vives, réalité « autre » comme le

du monde de Walt Disney. Aussi bien, toute cette entreprise

308 309

Page 30: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

est-elle h la gloire d'un auteur de filma d'animation. Mais ces images, ces représentations, devenues rée-lles, ont pour fonction, dans la « Grand'Rue » qui méne le visiteur direc-tement á leur spectacle, d'en occulter la vérit6 : &se le lieu de la réalité dans l'utopie, la place oh le visiteur contemple dans les vitrines son double et son exact contemporain, oh l'argent retrouve sa puissance, oh aucune des activités uto-piennes n'a lieu. Dans le « Monde fantastique » c'est aussi son image qu'il perwit, mais travers les déformations métriques et formelles d'un systéme imaginaire de repré-sentations que la collectivité partage.

Dans la « Grand'Rue ., l'individu, la personne privée, le consommateur est limé lui-méme et affronte dans l'utopie l'épreuve de la réalité extérieure : l'extérieur est

l'intérieur et ne tire de cette intériorisation qu'une puis-sanee supplémentaire de persuasion consommatrice, puis-qu'elle est prise dans le jeu utopien que manifeste le • décor » de la rue : celui-ci la met en représentation par sea maisons de la fin du xix' siécle en bois peint aux cou- leurs vives. Par son décor, la « Grand'Rue Amérique » appartient á l'un des districts de l'Ouest de Disneyland, le « Monde-Frontiére », qui évoque le passé hérolque de la conquéte de l'Ouest. Mak, par le..corte nu réel de seis bou-tiques, par les marchandises exposées derriére leurs vitrines, elle se rattache au district de l'Est, le « Monde-Demain », oh sont présentés les doubles des produits de la technologie et de la science américaines les plus avances.

Que la « Grand'Rue » se nomine Amén » (exac-tement Etats-Unis d'Amérique) n'est supplé-mentaire de l'opération que ce lieu effectue dais l'utopie de Disneyland : sous ce nona — par la vertu, par la puis-sance qui lui apiiartie- e"-is propre se « réalis' e • la réconciliation des contraires, mais en re tation : passé et .4e1 . t aCe, et le et imaginaire. Vutopte s'y accomp t rfection, mais cette per-fection est un spectacle ; son harmonie est une représenta-tion. De ce point de vue, le travail de la fiction utopique se transcrit dans une figure idéologique oh fi s'immobilise ; et c'est ainsi qu'une utopie perd la force critique qui la travaille dans l'idéologie oh elle est d'ores et déji prise et

DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

oh désormais elle cesse de jouer pour représenter le face. a-face que les hommes ont aves eux-mérnes, dans l'imagi-naire.

Les mondes de Disneyland : du récit au systéme des lexies.

Abandonnons en ce -point le mouvement d'énonciation du narrateur aux aléas de ses parcours multiples : la syntaxe de son discours a été définie á la fois par les limites dont le franchissement équivaut á racceptation d'un certain nom-bre de codos et par le parcours de l'axe conduisant au centre qui compléte l'apprentissage des codea et done au narra-teur les ~tés de « discourir-son-récit », les conditions phatiques communication. Mais, dans le méme temps, il a requ de ces codes et de ces possibilités de communiquer des régles..supplémentaires, des injonctions nouvelles, des - déterminations qui contraignent, sitien son parcours, du moins, malgré sa liberté, les effets de sena de son parcours. De l'acota au centre, il ne retire pas simplement la possibilité de commencer á. émdtre sa communication, mais encone la surdétermination de son: dis-cours posible par une certaine représentation de l'histoire dans rimaginaire, et par un blocage de cet imaginaire dans un systéme de stéréotypes représentatifs dont il doit emprun-ter les images pour s'exprimen.

Nous alloza désormais recourir á la carte, c'est-h-dire au texto utopique dans sa totalisation visible et substituer au récit possible et á la narration performantielle la descriptiva réelle, assertorique, d'un ordre des coexistants dans res- pace. Ce qui revient méthodologiquement h supposer effec-tué le systéme des parcours-discours dans la structure du tente-schéme dont la cante est une des wprésentations : note métadiscours analytique entre dans le tablean, se développe sous fetme de représentation totalisante, substi-tut structural de la succession des parcours posibles, systéme de lexies.

Le tableau-carte a une e arde anche et une partie droite au eur -7e-WE»

carte de l'utopie. 11 l'oriente ainsi , un espace

310 311

Page 31: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

ce mais ell~en- tation ; sulSi i K se trouvent - .111 I assimilée cst Lx:._2if n dues et neutTun.e—ar autre, par exhibition tm_la m e

' Lii partie droite du tableau est occupée par un seul

tant la distance temporelle et spatiale, rabatt s réelle pássée dans l'espace distancié de rethno-

• les deux districti de 1'Ouest, dans la .: auca

10• u leau, extériorité • 4 7jf21 2

et rintériorité • ; •

DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DI&NEYLAND UTOPIQUES : JBUX D'ESPACES

deuxibme ordre dont 11 est le ..* i t de vue • n ‘ié. C'est ce • e I e er . kr • th lar ' en jeu . .. utopique, e e e e ObP

lisée dans la représentation imaginaire du narrateur, sur-déterminée idéologiquement ; mais il la remet en jeu au prix d'un leurre, d'une substitution qui !jaque fort de passer inapenue. En effet, le spectateur est nécessairement, dans sa fonction ménze t t^ apocase órs tabes et en 1 occurrence, hora • t n pas dans ~E----- rieur de la qu'elle neutralise et trans- forme par sa figure,ais dxktJzt un acwwwst2. jai recouvre respace u • di ue, ar une coextension • arfaite et

e e l.3 • ' 4 e e. op6ration •

-..., remiso en ;en .. su 7, succession des

parcours, a la syntagmatique des lexies pluridles, leur modble paradigmatique oil elles sont présentes dans leur

4mnulation. Ainsi la structure vaut pour la manifestation, la laingue pour la parole, le systhme des paradigmes pour la succession aléatoire des syntagmes, ranalogon totalisant pour rarticulation des unités narrativos et des séquences de piutoun.

11 se pourrait que cette substitution ffit nécessaire au méta-ch~m ytlque pour s'effectuer. Mais il doit, á tout le mona, le thématiser pour ne point confondre les proa* narratifs et le systéme du teste dans rétude des figures archi-tecturales qui sont á la fois « spectaculaires et « parcou-rabies en fonctionnant aux deux niveaux du spectacle et de la demeure, de la représentation et de l'habitation. L'aliénant privilége d'ensembles signifiants comme Disney-land est de déplacer rhabitabilité de respace dans sa repré-sentation de faire de r

Square ». Le « Monde-Frontitre a représente des acalles dé la conquéte de 1'Ouest dans le paseé : récits de conquéte dont les archives s'inscrivent dans l'appropriation améri-caí= sana cense croissante de ternes et de ressources exploi-tables ;.> 17L.4~. mala une trans- gresstoretrou ons dans le « contenu antique

ce cuscours utopique ce qui nous était apparu comme constitutif de son code général : la frontare áI la fois clóture et transgression ; la limite, prétexte la transgression. 11 est remarquable, en effet, que les épisodes du « Monde-Frontibre » soient essentiellement ceux du voyage de conque,- te et d'exploitation, depuis les bateaux de Mike Fink et les radeaux de Tom Sawyer jusqu'aux convois muletiers d'ex-ploitation des mines de métaux précieux et aux grands navires á subes et á vapeur du 1Vfississipi : pénétratiaa, conquéte sur les premiers possesseurs de la terre, les Indiens, dont la présence est marquée en représentation par les stands de tira et par les canoas de pene.

Le « Monde-Aventure a est la représentation de adanes de la vio sauvage dans les contrées exotiques, au hasard des ten :1 h 1,1,1_ 2_11 rivihre tropicale. ' le de-F ' la SlietWo temporelle de rhistoire passée de la nation ~ le Monde-Aventure » si • la distance atiale

Ir de la lie du monde extérieur érique du monde sauv ériatu actuel d'action posa e, car l'aventure est aussi une frontiére et les pri-mitifs cannibales qui surgissent sur les rives apparaissent comme les mémes adversaires exploitables que les Indiens

:,...`_1111

dans l'unité aléatoire d'un parcours une représentation spec-taculaire, si bien que le mouvement de substitution du dia-gramme et du rnodéle analogique au parcours et i la mai-son peut resten complétement occulté.

La cante de Disneyland.

La partie gauche du tableau est constituée de deux dis-tricts : deux mondes, le « Monde-Froutare » et le «

venturo•, .77-s • un centre excentré, « New Orléans I : . .1! : VI

cette mpture de symétrie par rapport á la pardo gauche. 11

312 313

Page 32: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

Le Monde Frontiére (3) rArnérique Le Monde Espace Présent

Aujourd'hui Demain Temps Demain = la Grand'Rue (5) Amérique (1)

Liznite (a) (6)

kli Temps Histoire

esisnétain 1 geté

Le Monde- Aventure

• (4)

Fantamie. I Le Monde Fantastique (2)

Réalité (7)

liétel de Dienqtaeld

• (4).

Figure 33. — Carta diagramme de Disneyland.

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

s'agit du « Mon >main », conga essentiellement sous la forme du futur einsteinien, espace-temps qui réalise donc la synthase harmonique des deux dimensions du monde en général que la partie gauche du tableau représentait dans leur distance propre et á leur distance spécifique, le temps comme histoire nationale passée et l'espace comete exotisme primitif étranger. Le c Monde-Demain », c'est l'espace comme temps, l'univers possódé par la science et la technique américaines déja présente ici et maintenant. Le « Monde-Demain » possade lui aussi son centre excentré, le théatre en rond, mobile, du Progras, offert par la General Electric, sur lequel nous reviendrons.

Modales.

Nous pouvons abra construire deux modales successifs qui présentent, run, la carte de Disneyland ou diagramme purement analogique de respace réel, rautre, la structure sémantique de cette carta qui en articule avec plus de pré-cision sea oppositions :

314

Figure 34.1— Structure sémantique de^la carta de Disneyland.

De nouveau, le centre.

Deux remarques sur les modales qui, kpremier, rejré- le second, bolise, dans des capaces de deuxlme et

de trois e systame des lexies-parcours de res- pace de premier orare qu'est la figure utopique inscrite dans la topographie urbaine de Los Angeles. La premiare concome la fonction sémiotique du centre dans la structure sém.antique. Le centre de la structure n'est pas le centre de la carte - en d'autres termes, la structure n'est pas une carte simplifiée. Le centre symbolise la pluralité des fonc-tions sémiotiques de la « Grand'Rue Amérique » comme amas au_ centre, axe de conversion de la réalité en fantasme et de la distance historico-géographique disjointe en conjonc-tion technique et scientifique de respace et du temps.

La deuxiame est également relative au centre : on notera que la « Grand'Rue Amérique » est formellement et matériellement, sémiotiquement et sémantiquement, un

315

11

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UTONQUES : MEM D'ESPACES IYAGÉNÉABSCENCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

lieu d'échange et de travail, échange et transit des mar-chandises et des objets de consommation róeles, mais aussi échange et transit des significations que la carte et la struc-ture de la carte ont fait apparattre. Le centre de la struc-ture fonctionne ainsi á la fois dans la structure et hors d'elle : dans la structure, puisqu'il est rigoureusement déter-miné par les deux grandes corrélations qui la constituent, réalité et fantasme d'une part, distance historico-géogra-phique et espace-temps d'autre part.

Mais il n'est pas seulement le point d'intersection des deux axes sémantiques : dans une certaine mesure, il les produit: En effet, c'est par lui que les pilles contraires des corrélations s'échangent Fun dans l'autre, que la réalité devient fantastique et le fantasme réel, que la distance extérieure-intérieure du lointain exotique et du passé natio-nal se transforme en espace-temps, universels-amérieains, de la science et de la technologie, et vice versa, que la science et la technique américaines se convertissent en passé hís-torique et étrangeté extérieure. Le centre est en effet doté d'une grande polyvalence sémantique ; il cumule toutes les fonctions sémiotiques. 11 offre la présence, dans un décor du

et voie «sexta. 11 est la représentation de la médiation dia-lectique transformatrice-créatrice des solutions narratives ; il est l'image des inventions déterminés de l'histoire en ses différents niveaux.

Que cette représentation, que cette image se nomment « Etats-Unis d'Amérique » et se déclinent au présent, découvre l'ultime opération que le centre réalise dans l'es-pace utopique : la conversion de l'histoire en idéologie, en

par °gte. 1 n est pas mutile d'ajouter, pour dore cette remarque, que nous découvrons dans le centre structural de la carta l'existence d'un élément qui a été souvent noté dans l'organisation de l'espace pictural représentatif du Quattrocento aux Imprees-sionnistes : un élément central par otl s'effectue la conver-sion des figures sémantiques et des fonctions sémiotiques du tableau et dont la polyvalence permettait, en particulier dans le tableau d'histoire,, la convasion du temps en espace et du récit en symbole. Que Disneyland soit une représenta-

-• ií • ij ii jit e *1..4(1 If :re I(

représentation de cette représentation et le lieu oil elle se produit dans son systhme, cortes, on pouvait d'avance en étre persuadé par son caracthre spectaculaire : comme telle, rutopie de Disney obéiss' ait aux lois généralees de la repré-sentation. Enfin la médiation « représentative » de la « Grand'Rue Amérique » fait apparaitre que peut-etre, dans ce lieu utopique, les marchandises sont des significations et les significations des marchandises. Par la vente des pro-duits de consommation up-to-date dans le décor d'une rue du >zas, entre réalité adulte et fantasme enfantin, l'utopie de Walt Disney convertit les unes dans les autres et récipro-quement : ce gui est acheink. ce sont des signes ; mais, ces signes, ce sont des marchandises.

Les centres excentriques.

Les districts de gaucho et de droite du tableau sont dotés de centres secondaires qui sont eux-mémes reliés de fa9on signifiante. c New Orléans Square » á gauche, comme le « Carrousel du Progrés » á droite sont, chacun á sa .lace, les éléments métaphoro-métonymiques du sous-ensemble dont jis font partie. Le premier réunit, dans le méme lieu, deux ittractions (il ne faut pas oublier que la partie gauche du tableau est composée de deux districts disjoints sémantique-ment et topographiquement, distants, run et l'autre, dans l'histoire et la géographie), la « Caverne des Pirates » de la Mer des Caras-bes et la « Maison hantée » extraite d'un conte de Poé. Le second représente une succession de scénes

á U@ .4 e,. y,: • .:2§

déji des lendemains et dont la « morale • est la satis-faction progressive des besoins humains par la technique et la science : l'espace et le temps y sont réconciliés, puisque les personnages du passé se retrouvent magiquement iden-tiques á ceux de demain et que la forme modeste de 1' « ori-gine » se transforme progressivement dans un duplex perdu entre deutifirmaments, celui de l'espace stellaire et celui des lumiéres de la ville. Attractions parmi les autres attractions des dm' tricts on ils sont situés, « New Orléans Square » et

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fication des Mondes dont lis sont les partiese

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316 317

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UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE : DISNEYLAND

Le fantasme de l'accumulation primitive.

La « Cavarle des Pirates » ne révale tout son contenu sémantique primitif que dans un récit. Le narrateur doit ici reprendre la parole pour réciter son parcours souterrain, car rorganisation syntagmatique de l'itinéraire qu'il suit dans une barque contient la clef d'une premiare et essentielle strate de significations. En effet, premiare séquence .du discours, cette caverne est d'abord un lieu oh cadavres, squelettes á demi-vétus, sont étendus sur des monceaux de piaces d'or et d'argent, des tas de pierres précieuses, de joyaux, de vaisselle d'or, etc. Deuxiame séquence : le visi- teur assiste, ensuite, á une bataille navale (les bateaux piratea canonnent les vaisseaux d'un post) et sa barque se glisse entre les deux lignes de feu ; troisiame séquence, la ville est pase d'assaut par les piratea débarqués : on tue, on viole, on pille, cris aigus des femmes, grondement de l'incendie ; le butin s'entasse dans les barqueo et les gal-lions. Domare séquence, enfin, la barque du visiteur quitte la caverne, saluée par les pirares qui font bombance pour féter leur victoire. La narration, on l'a compris, s'y déroule selon une succession chronologique inversée : en effet, si les séquences ~me, troisiame et quatriame y sont cor-rectement ordonnées, calle qui est la premiare dans l'ordre de l'énonciation discursive devrait étre la demiare dans rordre de l'histoire : n'est-ce pas á partir de son présent que le narrateur s'en va découvrir un morceau de passé et son présent n'est-il pas contemporain de la fin despiratea 7 Cene inversion complexe du cours du temps dans l'organisation du grand syntagme narratif a un double sena : éthique et moralisateur d'abord ; le crime ne paie pas. Comme par-fois dans les fables, rargument moral est présenté d'abord, avec la représentation des squelettes concha sur leut trésor. Mais, au-delá de ce sémantame de surface, le renversement de la chronologie des événements typiques dans cene du récit qui les prend en charge signifie une sorte d'équivalence formelle des chronologies et, du méme coup, prépare leur neutralisation. Dans ce lieu qui est au-deld de l'espace, puisque c'est une caverne, le temps du récit et le temps de l'événement s'échangent, le temps de l'énonciation et

celui j'Inonct~sent : le~tur~1 com-mence son parcours dans l'espace, sait la fin de rhi—iiifie dont il assiste au successif surgissement temporel. L'orga-nisation syntagmatique de son parcours a, d'emblée,. une ,

valeur paradigmatique reconnue en manifístation dans" la legon de morale qu'elle recale. La succession chronblágique est neutrahsée dans le lieu de la représentation, par la scéne du spctacle. Des remarques analogues pourraient etre faltes á propos de la « Maison. hantée ».

Economie morale et morale économique.

Mais, si nous introduisons la narration avec les ambiva-lences chronologiques de son énoncé et de son énonciation dans le schame structural de la cate, si -nous relions le paradigme qu'elle expose dans la succession de son récit aux autres relations constitutives de la. structuration de la figure totale, et en particulier á la relation matricielle que produit le centre de la structure, alors apparatt une deuxiéme couche de seas : le centre en effet est un aujourd'hui réel », c'est-i-dire un líen d'échanges de ..marChandises, et de produits, un marché de biens de consommation et un lieu de consommation. Corrélé au centre excentrique de la partie gaucho du tablean, le centre de l'utopie de Disney signifie au visiteur que la vie est un échange constant et une perpétuelle consommation. Corrélativement, la « Cavan; des Pirates » (et la « Maison hantée ») lui apprennent, au-delá, de la legon de morale et cies émotions de son parcours, que la distance historico-géographique déplacée et condensée dans cet au-delá de l'espace et ,du temps qu'elles représentent est un lieu fantastique otl raccumulation féodale des richesses, la thésamisation « bis-panique » de l'Anclen Monde, fiont non seulement morale-ment condamnables, mala des signes et 'des symptómes de mort. Le trésor enfoui au fond de la caverne est une chose 'norte. La marchandise produite et vendue est un bien vivant parco que produit et consommable.

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Page 35: POLITIQUES DE LA REPRÉSENTATION

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

Le mythe du progrés technique.

La validité de cette corrélation signifiante s'affirme si nous construisons dans la structure la séquence de la « Caverne des Pirates » et du « Carrousel du Progrés ». En effet, la représentation que la General Electric are au visiteur est produite sur une schne circulaire et mobile : le narrateur ne parcourt pas un itinéraire, comme dans la « Caverne des Pirates », fflt fi quelque peu chronologiquement 11 est devenu spectateur immobile et passif, assis dans un fauteuil, et assiste, á partir du point free d'aujourd'hui, au

-mouvement du temps : ce temps n'est plus celui de Mis-toire, mais linéaire indéfinie de la technique et de la ademe. ais,7la comete succession narrativo

—draTtUr"--veme des Pirates », la dynamique du « Carrou-sel du Progrés » est, au moros en apparence, quelque peu • chahutée ». Le plateau de la scne est mobile et son mouvement, circulaire. Les « tableaux » auxquels assiste le apectateur ne sont pas présentés par une succession dis-continuo de schnes marquant une étape déterminée du pro- gola, mala par une progression continue.

ou t ms, cette progression, puisque sa caractéristique est de cons- tamment revenir á son point de départ ? En vérité, si la « monde » de la représentation est la linéarité sana terne du progrés scientifique et technique, le mouvement circu-laire continue de la scéne est un simple signifiant de la réconciliation du temps et de respace saisie et représentée comme la progression cumulative indéfinie des biens de consommation et de rentourage « ustensilaire ' de rindi-

e caractére indéfini du progrés, comme l'organisation spécifique de l'espace de représentation traduit la satisfaction passive des besoins

Nulle allusion I l'argent, encone molas á son accumulation stérile et mortelie : la richesse représentée n'est pas de l'ordre des signes monétaires ou des métaux précieux. Elle reléve de la complexification croissante de la sphére des ustensiles qui progressivement constitue la totalité de l'environnement humain. Elle sígnale, dans une certaine mesure, la maftrise de l'individu • ar l'ustensile

Plan de Paris par Gomboust (1647)

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par Mathieu MÉRIAN - 1615 PLAN de PARIS sous LOUIS XI • L,«

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DÉGÉNÉRESCENCE UTOPIQUE DISNEYLAND

ment qui, ainsi, 1' « agit » mécaniquement. Les signes de la richesse sont constitués par rampleur et la diversité, non de la consonunatiot- comme dans le centre structural « réel » de l'utopie — mais des moyens et des instrtiments de la consommation, de ses médiations techniques et scien-tifiques.

Les centres excentriques sont, avons-nous dit, les parties métaphoro-métonymiques des ensembles dont ils sont des éléments. C'est gráce aux effets de sena qu'ils induisent sur la totalité et sur ses grands sous-ensembles que nous allons pouvoir mettre en évidence une trés fondamentale relation qui structure rutopie de Disney. Elle articule de fagon diver-sifiée et complexe la machine et le vivant, la technique et l'individu et, en fin de compte, la nature et la culture.

Machine et vivant.

Les parties gauches du tableau ont montré les sauvages contrées exotiques et l'héroIque conquéte de l'Ouest contre

féroces Indiens et les Mes fauves. Au fond, l'idéologie simple qui se e i nes y sont montrées est celle de la culture portée par rAméri- cain au xtx• alele et par le Blanc, adulte, civilisé, malo, dans les espaces extérieurs et étrangers. Or, tous les étres

nous apercevons dans ces mondes—o—ccidentatia de rutopie et ce a es encore p us vrai eses et fant8mes de « New Orléans. Square ») sont des reproduc-ti • des doubles : la « Caveme Pirares » est la cavemí

rom nent, avec cette différence que ce ne sont pas leurs ora • res sur e –eux-mérnes que les visiteurs voient. Cela revient au cependant, puisqu'ils sont des quasi-vivants. On les croirait réels et comme dans la caverne platonicienne, les montreurs de marionnettes se cachent.

• Rien n'est vrai pourtant ; tout le vivant n'est qu'artifice, toute la « nature » n'est qu'un simulacre. En d'autres termes, la nature est montrée comme un monstre primitif et sauvage. Mais ce monstre n'est qu'une apparence que puncUL, machine dans la gratuité ludique de rutopie, de l'Autre Monde. Ce monstre es un

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savoir offert aux I 1 nivers ceuvre un eu clissim '-"a;5aiien es est se aire •'b me,

topiens s agit une mace . e ,

es et dont e dessem e se aire pren re son contraire : la vie naturelle.

UTOPIQUES : JEUX D'ESPACES

dédaléenne. Toutefois, une vérité pointe dans ce jeu de l'artifice et dans l'activité désintéressée des automates, vérité qu'il, faut désimpliquer des apparences. Ce qui se siznifie dans laezdiuchejrjás qart arte c'est ue la machine est la éantla vérité du ~t. N.msrrore retrouvons clan rutopla

istémique du méca-tusme que nous avions remarqué dans rutopie ongmaire de More et dont raffinnation est coé~ve avec IrEnTa-t-

nce ef-E1:11Velo menrainapitaliárne liTlausMel. Nous. retrouvon mt d'un

Le modéle réduit.

Mais cette vérité cachée des éléments de la partie gauche du tableau se réva e-méme i droite dans « M Demain » : les machines sont la, partout présentes, éclatan-tes, du sous-marin atomique a la fusée vers la lune, comme si ce qui était dissimulé dans les deux districts de la dis-tance historico-géographique était devenu explicite á tra-vers et grice i la médiation du centre, de la « Grand'Rue Amérique ». Pourtant, si les machines sont ainsi manifes-tées, elles ne sont pas de vraies_machines : la fusée lunaire n'est pas ime vraie fusée ; le sous-marin atomique, un vrai sous-marin. Elles ne sont pas fausses, non plus. Leur réalité est celle du modaladuit : ce ne sont as des faux bl mais e vitr—'in -is m'c'ialie---s:dans esque un cenan' nombre de

-781-átlw-c-aractéristiques de robjet réel se trouvent conser-

1 vées par la décision de leur constructeur. Faux vivants et . 1 machines cachées a gauche, machines manifestées et vrais'

modales it droite ; la nature réelle est rapparence, la machine-modale réduit est la réalité. L'utopie de Disney opere l'échange de la .nature biologique et de la technique mécaniste, dans le chassé-croisé de l'apparence et de la réalité oú l'une et l'autre se neutralisent.

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DÉGÉNÉRESCÉNCE UTOPIQUE DISNEYLA/k)

Nous rencontrerons la mame fonction des modales réduits sur une autre isotopie, _dans le « Monde fantastiqué ». Nous avons vu que ce Monde est fait des « images réelles-réali-sées » des contes de fées mis eux-mames en images et en sean par Walt Disney. Le « Monde fantastique » est le retour de la réalité, mairsbus sao e r gres sive

son. cutre en "útopie, mais cet autre n'est qu'une réalité imaginaire. Or

cet imaginaire réel est la répétition, ia-reprochiction de ce que le narrateur a vu dans la - « Caveme des Pirates » ét -- - dans la « Maison hantée », mais régressivement, sur le mode de la petitesse, á la taille de l'enf ant. Nous y rencon-trons les mames fantasmes de mort, de toute-puissance, de destruction, de violence, de dévoration, mais comme des modales réduits de ceux qui animaient les deux grandes attractions de « New Orléans Square ». Modales réduits comme ceux du « Monde-Demain », mais modales réduits de la mort, de l'étrange et de rexotique dans rimaginaire,- au contraire de ceux de la science et de technique qui sont la vie, le consommable, familier dans leur image. Dé ce point de vue, le « Mcmde fantastique » est une complexe mais importante médiation entre les machines de Demain et les fantatmes historiques-géographiqués de la Frontiare et de l'Aventure métaphorisés dans le jeu du Pirate et du Fantóme.

Nous pourrions, sans doute, guidés par les relations de la structure sémantique de la carte, articuler le domaine du

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i 41,"

Ainsi s'exténue la force utopiqüe_du nutre dans ridéo-logie de la représentation et de ra machine. - Ce que Copie ici indique dans le double jeu du vrai et du faux, du vivant et de rartefact, c'est l'image du double éloignement que ressent rindividu de cette société, de la double distance qu'il éprouve á 1'égard de la nature et de la science : il ne rencontre plus la nature ou celle qu'il rencontre est une nature préservée, réservée. Et la science l'agit, le meut par l'intermédiaire de la technique et des machines qqi créent plus de besoins qu'elles n'en satisfont. La nature qu'il volt est une représentation dont la face cachée est une machine. La machine qu'il utilise et avec laquelle il joue est - un modele réduit d'une machine qui le saisit et qui se joue de lui.

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ki. Peat Hisioire. »dama Ausouan'aur

halada. Eme, tenkairelmadises. Temps. Demaia.

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• Ckliuret «Xelrie hidéfiai de 1 comommaiket techaólogIque = me.

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UTOPIQUES : JEU7C D'ESPACES

Vivant « grandeur nature » et celui de la Machine « modéle réduit ». Le premier est une apparence naturelle dans la distance du passé historique ou de l'espace géographique. Le second est la vérité culturelle dans le maintenant et l'ici de la vie américaine qui se pergoit comme la vie univer-selle : la fonction de l'utopie de Disney dans son centre a été de représenter la transformation de l'un dans l'autre, d'en explorer l'idéologie sur la scéne et dans les décors de I'utopie.

Inscrivons, pour terminer, les nouvelles relations que nous avons fait apparaltre par le métadiscours analytique dans la structure sémantique de la carte :

Faaresone. nux mookus *holt*.

Smr•Tratisrel, JiiZtaire. Seweriturd. Muniese acmiam. ladee de riebesses /V•rlis males Mide = soal

de eaddeer = ummen.a.

chapitre 13'

á proposde enikis l'utopie de lá verticalité l

Il ne s'agira ici que d'un texte 2, qui ne nous conduira pas á Xenakis le musiten, mais á Xenakis le poéte-mathémati-cien de rarchiteclure, et plus encore, peut-étre, á la pratique poétique dont il est la voix et qui a nom « utopie ». 11 s'agira aussi d'une ville, de la ville construite sous les espéces d'un modéle en forme de texte qu'ailleurs des dessins illustrent, saos á proprement parler la reproduire dans un schéma ou une carte, mais qu'a donnent á voir á l'horizon d'un voyage, au regad itinérant de rexplorateur d'une autre planéte — la n8tre.

Cette ville et ce texto seront, á leur tour, les prétextes á un autre voyage dans la figure que les pages de Xenakis dessinent en filigrane de leur écriture, voyage qui en dépla-cera librement les lignes, qui en fera jouer les formes, qui en ir °nuera a c es pour - I s

« tester » le modéle dont elle est, á travers les remarques écrites á Berlin, la représentation.

Les mythes : décentralisation et orthogonisme.

Xenakis entre en utopie par la critique d'un mythe á double face • ui lui paralt animer toute la politique urbaine

Vrak mitades. MON.

Figure 3S. ---, Structure sémantique de la représentation idéologique de Disneyland.

intemation. e, ce m qui s exprime par e gran. prole • décentralisation et par son instrument conceptuel, rortho-gonisme. Cet itinéraire vers l'Autre Monde par un acte de -

1. Ce texto est le développement d'un article paru dans te numéro que l'Are a consacré k Xénakis en novembre 1972. Noui remercions la direction de cette revue, et en particulier M. Bernard Iringaud, d'avoir autorisé sa reprise dans cet ouvrage.

2. « La Ville cosmique » a été publié pour la premiare fois par Frangoise Choay dans son livre, Urbanisme, utoples et rialités, Le Senil, Paris, 1965. Le texto a été repris dans le recueil de lannis • • = 160.

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Jacques Ranciére

Le spectateur érnancipé

La fabrique éditions

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Le spectateur émancipé

Ce livre a pour origine a = e sée il y. a quelques années d'introduire la réflexion d'une académie d'artistes consacrée au spectateur á partir des idées développées dans mon livre Le Maitré ignorant'. La proposition suscita d'abord en moi quelque perplexité. Le Maitre ignorant exposait la théorie excentrique et le destin singulier de Joseph Jacoto qui : • . - e t du xixe siécle en affirmant qu'un ignorant pouvait apprendre á un autre ignorant ce qu'il ne savait pas lui-méme, 'en proclamant l'égalité des intelligenceá et en opposant l'émancipation intellectuelle á l'instruction du peuple. Ses idées étaient tombées dans l'oubli dés le milieu de son siécle. J'avais cru bon de les faire revivre, dans les années 1980, pour lancer le payé de l'égalité intel-lectuelle dans la mare des débats sur les fmalités de l'École publique. Mais quel usage faire, au sein de la réflexion artistique contemporaine, de la pensée d'un homme dont l'univers artistique peut étré emblémá-tisé par les noms de Démosthéne, Radne et Poussin?

A la réflexion pourtant, il m'apparut que l'absence de toute relation évidente entre la pensée de l'éman-cipation íntellectuelle.et la question du spectateur aujourd'hui était aussi une chance. Ce pouvait étre l'occasion d'un écart radical á l'égard des présuppo-sitions théoriques et politiques qui soutiennent encore, méme sous la forme postmoderne, l'essentiel du débat

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Le spectateur émancipé

sur le théátre, la performance et le spectateur. Mais, pour faire apparaitre la relation et lui donner sens, iI fallait reconstituer le réseau des présuppositions qui placent la question du spectateur au centre de la discussion sur les rapports entre art et politique. Il fallait dessiner le modéle global de rationalité sur le fond duquel nous avons été habitués á juger les impli- . cations politiques du spectacle théátral. J'emploie ici cette expression pour inclure toutes les formes de spectacle action dramatique, danse, performance, mime ou autres - qui placent des corps en action devant un public assemblé.

Les critiques nombreuses auxquelles le théátre a donné matiére, tout au long de son histoire, peuvent en effet étre ramenées á une formule essentielle. Je l'appellerai le paradoxe du spectateur, un paradoxe plus fondamental peut-étre que le célébre paradoxe du comédien. Ce paradoxe est simple á formulen il n'y a pas de théátre sans spectateur (fút-ce un spec-tateur unique et caché, comme dansla représenta-tion fictive du Fils natural qui dohne lieu aux Entretiens de Diderot). Or, disent les accusateurs, c'est un mal que d'étre spectateur, pour deux rai-sons. Premiérement regarder est le contraire de connaitre. Le spectateur se tient en face d'une appa-rence en ignorant le processus de production de cette apparence ou la réalité qu'elle recouvre. Deuxihme-ment, c'est le contraire d'agir. La spectatrice demeure immobile á sa place, passive. Étre spectateur, c'est étre séparé tout á la fois de la capacité de connaitre et du pouvoir d'agir.

Ce diagnostic ouvre la voie á deux conclusions dif-férentes. La premiére est que le théátre est une chose absolument mauvaise, une scéne d'illusion et de pas-sivité qu'il faut supprimer au profit de ce qu'elle inter-dit la connaissance et l'action, l'action de connaitre et l'action conduite par le savoir. C'est la conclusion

Le spectateur émancipé

jadis formulée par Platon : le théátre est le lieu oú des ignorants sont conviés á voir des hommes souf-frants. Ce que la scéné théátrale letir óffi-e est le spec-tacle d'un pathos, la manifestation d'une maladie, celle du désir et de la souffrance, c'est-á-dire de la division de soi qui résulte de l'ignorance. L'effet propre. du théátre est de transmettre cette ma-ladie par le moyen d'une autre : la maladie du regard-syhjugué par des ombres. Il transmet la maladie d-Ignoránct qui fait souffrir les personnages par une machine d'ignorance, la machine optique qui forme les regards á, l'illusion et á la passivité. La communauté juste est donc celle qui ne tolére pas la médiation théátrale, celle oú la mesure qui gouverne la cornmunauté est directement incorporée dans les attitudes vivantes de ses memores.

C'est la déduction la plus logique. Ce n'est pas pour-tant celle qui a prévalu chez les critiques de la mime-sis théátrale. Ils ont le plus souvent gardé les prémisses en changeant la conclusion. Qui dit théátre dit spectateur et c'est lá un mai; ont-ils dit. Tel est le cercle du théátre tel que nous le connaissons, tel que notre société l'a modelé á son image. II nous faut donc un autre théátre, un théátre sans spectateurs : non pas un théátre devant des siéges vides, mais un théátre oú la relation optique passive impliqué° par le mot méme soit sournise á une autrereration, celle qu'implique un cutre mot, le mot désignant ce qui est produit sur la scéne, le drame. Drame veut dire action. Le théátre est le lieu oú une action est conduite á son accomplissement par des corps en mouvement face á des corps vivants á mobiliser. Ces derniers peu-vent avoir renoncé á leur pouvoir. Mais ce pouvoir est repris, réactivé dans la performance des premiers, dans l'intelligence qui construit cette performance, dans l'énergie qu'elle produit. C'est sur ce pouvoir actif qu'il faut construire un théátre nouveau, ou plu-

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Le spectateur émancipé

essence véritable dont les spectacles qui emprunten ce nom n'offrent qu'une version dégénérée. Il faut un théátre sans spectateurs, oil les assistants appren-nent au lieu d'étre séduits par des images, oú ils deviennent des participants actifs au lieu d'étre des voyeurs passífs.

Ce renversement a connu deux grandes formules, anta oniques dans leur principe, méme si la pratique

et la théorie i u ea re re mélées. Selon la premiére, il faut arracher le spec-tateur á l'abrutissement du badaud fasciné par l'ap-parence et gagné par l'empathie qui le fait s'identifier avec les personnages de la scéne. On lui montrera done un spectacle étrange, inusuel, une énigme dont iI ait á chercher le sens. On le forcera ainsi á échan-

l'en- quéteur ou de l'expérimentateur scientifique qui observe les phénoménes et recherche leurs causes. Ou bien on lui proposera un dilemme exemplaire, semblable á ceux qui se posent aux hommes enga-gés dans les décisions de l'action. On lui fera ainsi aiguiser son propre sens de l'évaluation des raisons, de leur discussion et du choix qui tranche

Selon la seconde formule, c'est cette distante rai-sonneuse qui doit étre elle-méme abolie. Le spectateur doit étre soustrait á la position de l'observateur qui examine dans le calme le spectacle qui luí est pro- posé. 11 doit étre dépossédé de cette maitrise illusoire, entramé dans le cercle magique de l'action théátrale

échangera le privilége de l'observateur rationnel contre celui de I'étre en possession de ses énergies vitales intégrales.

Telles sont les attitudes fondamentales que résu-ment le théátre épique de Brecht et le théátre de la cruauté d'Artaud. Pour l'un, le spectateur doit prendre de la distante ; pour l'autre, il doit perdre toute dis- 10

Le spectateur émancipé

tance. Pour l'un il doit affiner son regard, pour l'autre er la i osition méme du regardeur. Les

i --

positive qu op substituer á la communauté démocratique et igno-rante du théátre une autre communauté, résumée dans une autre performance des corps. Il lui oppo-sait la communauté chorégraphique oú nul ne demeure un spectateur immobile, oú chacun doit se mouvoir selon le rythme communautaire fixé par la

e i 'tte á ce qu'il faille pour e i - 14 e • •• .. 1 el . M,

cela enivrer les vieillards rétifs á entrer i ans a collective.

Les réformateurs du théátre ont reformulé l'oppo-sition platonicienne entre chorée et théátre comme opposition entre la vérité du théátre et le simulacre du spectacle. Ils ont fait du théátre le lieu oil le public passif des spectateurs devait se transformer en son contraire : le corps actif d'un peuple mettant en acte son principe vital. Le texte de présentation de la Soirj-merakademie qui m'accueillait l'exprirnait en ces termes : « Le théátre reste le seul lieu de confrontation du public ávec lui-méme comme collectif». Au sens restreint, la phrase veut seulement distinguer l'au-dience collectíve du théátre des visiteurs individuels d'une exposition ou de la simple addition des entrées au cinéma. Mais il est clair'qu'elle signifie davantage. Elle signifie que le «théátre » est une foi'me commu-nautaire exemplaire. Elle engage une idée de la com-munauté comme présence á soi, opposée á la distante

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entreprises modernes i e r o constamment oscillé entre ces deux peles de l'en-quéte distante et de la participation vitale, .quitte á méler leurs príncipes et leurs effets. Elles ont pré-tendu transformer le théátre á partir du diagnostic: - qui conduisait á sa suppression. 11 n'est donc pas éton-nant qu'elles aient repris non seulement les attendus de la critique platonicienne mais aussi la formule

e e • • ;- : ; • en voulait

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Le spectateur émancipé

de la représentation. Depuis le romandsme allemand, la pensée du théátre s'est trouvée associée á cette idée de la collectivité vivante. Le théátre est apparu comme une forme de la constitution esthétique - de la constitution sensible - de la collectivité. Entendons par lá la communauté comme maniére d'occuper un lieu et un temps, comme le corps en acte opposé au simple appareil des lois, un ensemble de perceptions, de gestes et d'attitudes qui précéde et préforme les lois et institutions politiques. Le théátre a été, plus que tout autre art, associé á l'idée romantique d'une révolution esthétique, changeant non plus la méca-nique de l'État et des lois mais les formes sensibles de l'expérience humaine. La réforme du théátre signi-fiait alors la restauration de sa nature d'assemblée ou de cérémonie de la communauté. Le théátre est une assemblée oú les gens du peuple prennent conscience de leur situation et discutent leurs inté-réts, dit Brecht aprés Piscator. 11 est, affirme Artaud, le rituel purificateur oú une collectivité est mise en possession de ses énergies propres. Si le tliéátre incarne ainsi la collectivité vivante opposée á l'illu-sion de la mimesis, on ne s'étonnera pas que la volonté de rendre le théátre á son essence puisse s'adosser á, la critique méme du spectacle.

Quelle est en effet l'essence du spectacle selon. Guy Debord? C'est l'extériorité. Le spectacle est le*régne de la vision et la vision est extériorité, c'est-á,-dice dépossession de soi. La maládie de l'homme specta-teur peut se résumer en une bréve formule «Plus il contemple, moins il est 2 . » La formule semble anti-platonicienne. De fait, les fondements théoriques de la critique du spectacle sont empruntés, á travers Marx, á la critique feuerbachienne de la religion. Le principe de l'une et de l'autre critique se trouve dans la vision romantique de la vérité comme non-sépa-ration. Mais cette idée est dépendante elle-méme de 12

Le spectateur émancipé

la conception platonicienne de la mimesis. La «contemplation» qúe Debord dénonce, c'est la contemPlation de l'apparence sépapée de sa vérité, c'est le spectacle de souffrance produit par cate sépa-ration. «La séparation est l'alpha et l'oméga du spec-tacle3 .» Ce que l'homme contemple dans le spectade est l'activité qui lui a été dérobée, c'est sa própre essence, devenue étrangére, retournée contre lui, ofgánisatrice d'iun monde collectif dont la réalité est selle de cette dépossession.

11 n'y a pas ainsi de contradiction entre la critique du spectacle et la recherche d'un théátre rendu á son essence originaire. Le «bon» théátre est celui qui utilise sa réalité séparée pour la supprimer. Le para-doxe du spectateur appartient á ce dispositif singu-lier qui reprend au compte du théátre les principes de la prohibition platonicienne du théátre -. Ce sont done ces principes qu'U conyiendrait aujourd'hui de réexaminer, ou plutót, c'est le réseau de présuppo-sitions, le jeu d'équivalences et d'oppositions qui sou-tient leur possibilité équivalences entré public théátral et communauté, entre regará et passivité, extériorité et séparation, médiation et simulacre ; oppositions entre le collectif et l'individuel, l'image et la réalité vivante, l'activité et la passivité, la pos-session de soi et l'aliénation.

Ce jeu d'équivalences et d'oppositions_compose en effet une dramaturgie assez tortueuse de faute et de rédemption. Le théátre s'accuse lui-rnéme de rendre les spectateurs passifs et de trahir ainsi son essence d'action communautaire. II s'octroie én conséquence la mission d'inverser ses effets et d'expier ses fautes en rendant aux spectateurs la possession de leur conscience et de leur activité. La scéne et la perfor-mance théátrales deviennent ainsi une médiation éva-nouissante entre le mal du spectacle et la vertu du vrai théátre. Elles se proposent d'enseigner á leurs

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Le spectateur émancipé

spectateurs les moyens de cesser d'étre spectateurs et de devenir agents d'une pratique collective. Selon le paradigma • rec tien, a me a ion ea a e rend conscients de la situation sociale qui lui donne lieu et désireux d'agir pour la transformen. Selon la logique d'Artaud, elle les fait sortir de leur position de spectateurs : au lieu d'étre en face d'un speétacle, ils sont environnés par la performance, entrainés dans le cercle de lladiorkgyi leur rend leur énergie collective. Dans l'un et l'aütre cas, le théátre se donne

pression. C'est ici que les descriptions et les propositions de

l'émancipation intellectuelle peuvent entrer en jeu et nous aider á reformuler le probléme. Car cette média- tion auto-évanouissante n'est pas pour nous quelque chose d'inconnu. C'est la logique méme de la rela-

: le róle dévolu au maitre est de supprimer la distante entre son savoir et l'ignorance de l'ignorant. Ses leQons et les exercices qu'il donne ont pour fin de réduire progressivement le gouffre qui les sépare. Malheureusement il ne peut réduire l'écart qu'á la condition de le recréer sans cesse. Pour remplacer l'ignorance par le savoir, il doit toujours marcher un pas en avant, remettre entre l'éléve et lui une ignorante nouvelle. La raison en est simple. Dans la logique pédagogique, l'ignorant n'est pas seu- lement celui qui ignore encore ce que .le maitre sait. Il est celui qui ne sait pas ce qu'il ignore ni comment le savoir. Le maitre, lui, n'est pas seulement celui qui détient le savoir ignoré par l'ignorant. Il est aussi celui qui sait comment en faire un objet de savoix, á quel moment et selon quel protocole. Car á la vérité, il n'est pas d'ignorant qui ne sache déjá une masse de choses, qui ne les ait apprises par lui-méme, en regardant et en écoutant autour de lui, en observant et en répétant, en se trompant et en corrigeant ses 14

Le spectateur émáncipé

erreurs. Mais un tel savoir pour le maitre n'est qu'un savoir d'ignorant, un savoir incapable de s'ordonner

du lus sintole aú plus compliqué. L'ignorant progresse en comparan ce qu'il découvre á ce qu'il sait déjá, selon le hasarddes rencontres mais aussi selon la régle arithmétiqu e, la régle démocratique qui fait de l'ignorance un moindre savoir. II se préoccupe seulement de savoir plus, de savoir ce qu'il ignorait encore. Ce qui lui manque, ce qui manquera toujours á l'éléve, á moins de devenir

_maitre lui-méme, c'est le savoir de i'ignorance, la connaissance de la s is anee

n es pas position. L'exacte distance est la distance qu'a,ucune régle ne mesure, la distance qui se prouve por le seul jeu des positions occupées, qui s'exerce par la pra-tique interminable du «pas en avant » séparant le maitre de celui qu'il est censé exercer á le rejoindre. Elle est la métaphore du gouffre radical qui sépare la maniére du maitre de celle de l'ignorant, paree qu'il sépare deux intelligences : celle qui sait en quoi. consiste l'ignorance et celle qui ne le sait pas. C'est d'abord cet écart radical que l'enseignement pro-gressif ordonné enseigne á l'éléve. Il lui enseigne d'abord sa propre incapacité. - Ainsi vérifie-t-il inces-samment dans son acte sa propre présupposition, l'inégalité des intelligences. Cette vérification inter-minable est ce que Jacótot :nomme abrutissement.

A cette pratique de l'abrutissement il opposait la pratique de l'émancipation intellectuelle. L'émanci-pation intellectuelle est la vérification de l'égalité des

15

savoir de l'ignorance. Cette mesure-lá échappe précisément á l'arithmé:

tique des ignorants. Ce que le maitre sait, ce que le protocole de transmission du savoir apprend d'abord á. l'éléve, c'est que l'ignorance n'est pas un moindre savoir, elle est l'opposé du savoir ; c'est que le savoir

il.est une

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Le spectateur émancipé

intelligences. Celle-ci ne signifie pas l'égale valeur de toutes les manifestations de l'intelligence mais l'éga-lité á soi de l'intelligence dans toutes ses manifesta-tions. II n'y a pas deux sortes d'intelligence séparées par un goliffre. L'animal humain apprend toutes choses comme il a d'abord appris la langue maternelle, comme il a appris á s'aventurer dans la forét des choses et des signes qui l'entourent afín de prendre place parmi les humains : en observant et en compa-rant une chose avec une autre, un signe avec un fait, un signe avec un autre signe. Si l'illettré connait seu-lement une priére par mur, il peut comparer ce savoir avec ce qu'il ignore encore : les mots de cette priére écrits sur du papier. Il peut apprendre, signe apréá signe, le rapport de ce qu'ii ignore avec ce qu'il sait. 11 le peut si, á chaque pas, il observe ce qui est en face de lui, dit ce qu'il a vu et vérifie ce qu'il a dit. De cet ignorant, épelant les signes, au savant qui construit des hypothéses, c'est toujours la méme intelligence qui est á l'ceuvre, une intelligence qui traduit des signes en d'autres signes et qui procéde par compa-raisons et figures pour communiquer ses aventures intellectuelles et comprendre ce qu'une autre intelli-gence s'emploie á lui communiquer.

Ce travail poétique de traduction est au cceur de tout apprentissage. 11 est au cceur de la pratique émanci-patrice du maitre ignorant. Ce que celui-ci ignore, c'est la distante abrutissante, la distante transformée en gouffre radical que seul un expert peut «combler». La distance n'est pas un mal á abolir, c'est la condi-tion normale de toute communication. Les animaux humains sont des animaux distants qui commtmiquent á travers la forét des signes. La distante que l'igno-rant a á franchir n'est pas le gouffre entre son igno-rance et le savoir du maitre. Elle est simplement le chemin de ce qu'il sait déjá á ce qu'il ignore encore mais qu'il peut apprendre comme 1 a appris le reste,

Le spectateur émancipé

qu'il peut apprendre non pour occuper la position du savant mais pour mieux pratiquer l'art de tra-duire, de mettre ses expériences en -mots et,ses mots á l'épreuve, de traduire ses aventures intellectuelles á l'usage des autres et de contre-traduire les tra-ductions qu'ils lui présentent de leurs propres aven tures. Le maitre ignorant capable =dé-raider á parcourir ce chemin s'appelle ainsi non parte qu'il ne sait ríen, mais parte qu'il a abdiqué le .« savoir de l'ignorance» et dissocié ainsi sa maitrise de son savoir. Il n'apprend pas á ses éléves son savoir, il leur commande de s'aventurer dans la forét des choses et des signes, de dire ce qu'ils ont vu et ce qu'ils pensent de ce qu'ils ont vu, de le vérifier et de le faire vérifier. Ce qu'il ignore, c'est I'inégalité des intelligences. Toute distance est une distance fac-tuelle, et chaque acte intellectuel estun ehemin tracé entre une ignorante et un savoir, un chemin qui sans cesse abolit, avec leurs frontiéres, toute falté et toute hiérarchie des positions.

Quel rapport entre cette histoire et la question du spectateur aujourd'hui? Nous ne sommes plus au temps oií les dramaturges voulaient expliquer á leur public la vérité des relations sociales et les moyens de lutter contre la domination capitaliste. Mais on ne perd pas forcément ses présupposés avec ses illusions, ni l'appareil des moyens avec l'horizon des fins. 11 se peut méme, á l'inverse, que la perte de leurs illusions conduise les artistes á faire monter la pression sur les spectateurs : peut-étre sauront-ils, eux, ce qu'il faut faire, t condition que la performance les tire de leur attitude passive et les transforme en participants actifs d'un monde commun. Telle est la premiére conviction que les réformateurs théátraux partagent avec les pédagogues abrutisseurs : celle du gouffre qui sépare deux positions. Méme si le dramaturge ou le metteur en scéne ne savent pas ce qu'ils veulent que le spec-

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tateur fasse, ils savent au moins une chose : ils savent eft41-deit-faimungcliase,...fra fre gui sé are l'activité de la passivité.

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travaillaient pour gagner leur vie. Les termes peu-vent .changer de sens, les positions peuvent s'échan-gm-Hsseittie1-~e„me ere ta structure opposant

Mais ne pourrait-on pas inverser les termes du pro-bléme en demandant si ce n'est pas justement la volonté de supprimer la distante qui crée la distance ? Qu'est-ce qui perrnet de déclarer inactif le spectateur assis á sa place, sinon l'opposition radicale préala-blement posée entre l'actif et le passif? Pourquoi

entifier re ard et passivité, sinon par la présuppo-sition que regarder veut re se com et á l'apparence en ignorant la vérité qui est derriére l'image et la réalité á l'extérieur du théátre ? Pour-quoi assimiler écoute et passivité sinon par le pré-jugé que la parole est le contraire de l'action? Ces oppositions regarder/savoir, apparence/réalité, acti-vité/passivité sont tout autre chose que des opposi- tions 1 1 . 5 e •_

définissent proprement un partage du sensible, une distribution a priori des positions et des capacités et in.capacités attachées á ces positions. Elles sont des allégories incarnées de l'inégalité. C'est pourquoi l'on peut changer la valeur des termes, transformer le «bon» terme en mauvais et réciproquement sans changer le fonctionnement de l'opposition elle-méme. Ainsi on disqualifie le spectateur parce qu'il ne fait rien, alors que les acteurs sur la scéne o_ u les tra-vailleurs á l'extérieur mettent leur corps en action. Mais l'opposition du voir au faire se retourne aussi-tót quand on oppose á l'aveuglement des travailleurs manuels et des praticiens empiriques, enfoncés dans l'immédiat et le terre á terre, la large perspective de ceux qui contemplent les idées, prévoient le futur ou prennent une vue globale de notre monde. On appe-lait naguére citoyens actifs, capables d'élire et d'étre élus, les propriétaires qui vivaient de leurs rentes et citoyens passifs, indignes de ces fonctions, ceux qui 18

deux catégories, ceux qui possédent une capacité et ceux qui ne la possédent pas.

L'émancipation, elle, commence quand on remet en question l'opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartien- nent elles-mémes á la structure de la domination et

étion. Elle commence quand on comprend

en ace • e tu. refaisant á sa maniére, en se dérobant par exemple á l'énergie vitale que celle-ci est censée transmettre pour en faire une pure image et associer cette pure image á une histoire qu'elle a lue ou révée, vécue ou inventée. Ils sont á la fois ainsi des spectateurs dis-tants et des interprétes actifs du spectacle qui leur est proposé.

C'est lá un point essentiel : les spectateurs voient, ressentent et comprennent quelque chose pour autant qu'ils composent leur propre poéine, comme le font á, leur maniére acteurs ou dramaturges, metteurs en scéne, danseurs ou performers. Observons seulement - la mobilité du regard et des expressions des speciá-teurs d'un drame religieux chilte traditionnel com-mémorant la mort de i'imam Hussein, saisis par la caméra d'Abbas Kiarostami (Tazieh). Le dramaturge ou le metteur en scéne ~draft que les spectateurs voient ceci et qu'ils ressentent cela, qu'ils compren-

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que regarder est aussi une ac ion qui transforme cette distribution des positions. Le spec-tateur aussi agit, comme l'éléve ou le savant. observe, il sélectionne, il compare, il interprété. 11 lie ce qu'il voit á bien d'autres choses qu'il a vues sur d'autres scénes, en d'autres sortes de lieux. Il com-, pose son propre poéme avec les éléments.du poéme

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nent telle chose et qu'ils en tirent telle conséquence. C'est la logique du pédagogue abrutissant, la logique de la transmission droite á l'identique : il y a quelque chose, un savoir, une capacité, une énergie qui est d'un cóté - dans un corps ou un esprit - et qui doit passer dans un autre. Ce que l'éléve doit apprendre est ce que le maitre lui apprend. Ce que le specta-teur doit voir est ce que le metteur en scéne lui fait voir. Ce qu'il doit ressentir est l'énergie qu'il lui com-munique. A cette identité de la cause et de l'effet qui est au cceur de la logique abrutissante, l'émancipa-tion oppose leur dissociation. C'est le sens du para-doxe du maitre ignorant : l'éléve apprend du maitre quelque chose que le maitre ne sait pas lui-méme. 11 l'apprend comme effet de la maitrise qui l'oblige á chercher et vérifie cette recherche. Mais 11 n'apprend pas le savoir du maitre.

On dira que l'artiste, lui, ne veut pas instruire le spectateur. Il se défend aujourd'hui d'utiliser la scéne pour imposer une legon ou faire passer un message. Il veut seulement produire une forme de consciente, une intensité de sentiment, une énergie pour l'action. Mais il suppose toujours que ce qui sera pergu, res-senti, compris est ce qu'il a mis dans sa dramatur-gie ou sa performance. Il présuppose toujours l'identité de la cause et de l'effet. Cette égalité sup-posée entre la cause et l'effet repose elle-méme sur un principe inégalitaire : elle repose sur le privilége que s'octroie le maitre, la connaissance 'de la «bonne» distance et du moyen de la supprimer. Mais c'est lá confondre deux distantes bien différentes. fi y a la distance entre l'artiste et le spectateur, mais il y aussi la distance inhérente á la performance elle-méme, en tant qu'elle se tient, comme un spectacle, une chose autonome, entre l'idée de l'artiste et la sensa-tion ou la compréhension du spectateur. Dans la logique de l'émancipation il y a toujours entre le

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maitre ignorant et l'apprenti émancipé une troisiéme chose - un livre ou tout autre morceau-d'écriture étrangére á l'un comme á l'autre et á laquelle ils peu-vent se référer pour vérifier en comal- un ce que l'éléve a vu, ce qu'il en dit et ce qu'il en pense. Il en va de rnéme pour la performance. Elle n'est pas laizans-mission du savoir ou du souffle de l'artiste tursinc-tateur. Elle est cette troisibme chose dont aucun n'est propriétaire, dont aucun ne possede le sens, qui se tient entre eux, écartant toute transmission á 'Piden-tique, toute identité de la cause et de l'effet.

Cette idée de l'émancipation s'oppose ainsi claire-ment á celle sur laquelle la politique du théátre et de sa réforme s'est souveiit app Siée : l'émancipation comme réappropriation d'un rapport á soi perdu dans un processus de séparation. C'est cette idée de la séparation et de son abolition qui lie -la critique debor-dienne du spectacle-á la critique feuerbachiennt de la religion á travers la critique marxiste de l'aliéna-don. Dans cette logique, la médiation d'un troisiéme terme ne peut étre qtrillusion fatale d'autonoinie, prise dans la logique de la dépossession et de sa dis-simulation. La séparation de la scéne et de la salle est un état á dépasser. C'est le but méme de la per-formance que de supprimer cette extériorité, de diverses maniéres : en mettant les spectateurs sur la scéne et les performers -dans la salle, en supprima.nt la différence de l'une á l'autre, en déplagant la per-formance dans d'autres lieux, en l'identifiant á la prise de possession de la rae, dé la ville dú de.la vie. Et assurément cet effort pour bouleverser la clistri-bution des places a produit bien des enrichissements de la performance théátrale. Mais une chose est la redistribution des places, autre chose l'exigence que le théátre se donne pour fin le rassemblement d'une comrnunauté mettant fin á la séparation du spectacle. La premiére engage l'invention de nouvelles aven-

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tures intellectuelles, la seconde une nouvelle forme leur bonne •lace • ui est

en l'occurrence leur place communielle. Car le refus de la médiation, le refus du tiers, c'est

l'affirmation d'une essence communautaire du théátre comete tel. Moin,s le dramaturge sait ce qu'il veut que fasse le collectif des spectateurs, plus 11 sait qu'ils doi-vent en tout cas agir comme un collectif, transformer leur agrégation en conununauté.11 serait grand temps pourtant de s'interroger sur cette idée que le théátre est par uz-meéhun eu communau des corps vivants sur scéne s'adressent á des corps réunis dans le méme lieu, il semble que cela suffise á faire du théátre le vecteur d'un sens de communauté, radicalement différent de la situation des individus assis devant une télévision ou des spectateurs de cinéma assis devant des ombres projetées. Curieu-

toutes sortes de projections dans les mises en scéne théátrales ne semble rien changer á cette croyance. Des images projetées peuvent s'adjoindre aux corps vivants ou se substituer á eux. Mais, aussi longtemps que des spectateurs sont assemblés dans l'espace théátral, on fait comme si l'essence vivante et com-munautaire du théátre se trouvait préservée et comme si l'on pouvait éviter la question : que se passe-t-il au juste, parmi les spectateurs d'un théátre, qui ne pourrait avoir lieu ailleurs? Qu'y a-t-il de plus inter-actif, de plus communautaire chez ces spectateurs que dans une multiplicité d'individus regardant á la méme heure le méme show télévisé?

Ce quelque chose, je crois, est seulement la pré-supposition que le théátre est communautaire par lui-méme. Cette présupposition continue á devancer la performance théátrale et á anticiper ses effets. Mais dans un théátre, devant une performance, tout comme dans un musée, une école ou une rue, il n'y a

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jamais que des individus qui tracent leur propre che-min dans la forét des choses, des actes et des signes qui leur font ace ou es en ouren . e mun aux spectateurs ne tient pas á leur qualité de membres d'un corps collectif ou á quelque forme spé-cifique d'interactivité. C'est le pouvoir qu'a chacun ou chacune de traduire á sa maniére ce qu'il ou elle pergoit, de le lier á l'aventure intellechlek s'ingu-libre qui les rend semblables á tout autre pozr autant que cette aventure ne ressemble á aucune autre. Ce

individus, leur fait échanger leurs aventures Intel-lectuelles, pour autant qu'il les tient séparés les uns des autres, également capables d'utiliser le pouvoir de tous pour tracer leur chemin propre. Ce que nos per-formances vérifient - qu'il s'agisse d'enseigner ou de jouer, de parler, d'écrire, de faire de l'art ou de le

as notre e artici • ation á un pouvoir incarné dans la communauté. C'est la capacité des anonyrnes, la capacité qui fait chacun(e) égal(e) á tout(e) autre. Cette capacité s'exerce á travers des distances irréductibles, elle s'exerce par un jeu impré-visible d'associations et de dissociations.

C'est dans ce pouvoir d'associer et de dissocier que réside l'émancipation du spectateur, c'est-á-dire l'émancipation de chacun de nous comjne spectateur. Étre spectateur n'est pas la condition passive qu'il nous faudrait changer en activité. C'est notre situation normale. Nous apprenons et nous enseignons, nous agissons et nous connaissons aussi en spectateurs qui lient á, tout instant ce qu'ils voient á ce qu'ils ont vu et dit, fait et révé. Il n'y a pas plus de forme pri-vilégiée que de point de départ privilégié. Il y a par-tout des points de départ, des croisements et des nceuds qui nous permettent d'ap -prendre quelque chose de neuf si nous récusons premiérement la dis-tance radicale, deuxiémement la distribution des

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róles, troisiémement les frontiéres entre les terri-toires. Nous n'avons pas á transformer les specta-teurs en acteurs et les ignorants en savants. Nous avons á reconnaitre le savoir á neuvre dans l'ignorant et l'activité propre au spectateur. Tout spectateur est déjá acteur de son histoire, tout acteur, tout homme d'action spectateur de la méme histoire.

J'illustrerai volontiers ce point au prix d'un petit détour par ma propre expérience politique et intel-lectuelle. J'appartiens á une génération qui se trouva tiraillée entre deux exigences opposées. Selon l'une, ceux qui possédaient l'intelligence du systéme social devaient l'enseigner á ceux qui souffraient de ce sys-téme afin de les armer pour la lutte ; selon l'autre, les supposés savants étaient en fait des ignorants qui ne savaient rien de ce qu'exploitation et rébellion signifiaient et devaient s'en instruire auprés de ces travailleurs qu'ils traitaient en ignorants. Pour répondre á cette double exigente, j'ai d'abord voulu retrouver la vérité du marxisme pour armer un nou-veau mouvement révolutionnaire, puis apprendre de ceux qui travaillaient et luttaient dans les usines le sens de l'exploitation et de la rébellion. Pour moi, comme pour ma génération, aucune de ces deux ten-tatives ne fut pleinement convaincante. Cet état de fait me porta á rechercher dans l'histoire du mou-vement ouvrier la raison des rencontres ambigués ou manquées entre les ouvriers et ces intellectuels qui étaient venus leur rendre visite pour les instruire ou étre instruits par eux. Il me fut ainsi donné de comprendre que l'affaire ne se jouait pas entre igno-rance et savoir, pas plus qu'entre activité et passi-vité, individualité et cornmunauté. Un jour de mai oú je consultais la correspondance de deux ouvriers dans les années 1830 pour y trouver des informa-tions sur la condition et les formes de conscience des travailleurs en ce temps, j'eus la surprise de ren-

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contrer tout autre chose :. les aventurés de deux autres visiteurs en d'autres jours -de mai, cent qua-rante-cinq ans plus tót. L'un des deux ouvriers venait d'entrer dans la communauté saint-simonienne á Ménilmontant et donnait á son ami l'emploi du temps de ses journées en utopie : travaux et exercices du jour, jeux, choeurs et récits de la soirée. Son corres-pondant lui racontait en retour la partie de cam-pagne qu'il venait de faire avec deux cónIffagn-ons pour profiter d'un dima,nche de printemps. Mais ce qu'il lui racontait ne ressemblait en rien au jour de repos du travailleur restaurant ses forces physiques et mentales Iota* le travail de laiseInajne á venir. C'était une intrusion dans une tout autre sorte de loi-sir : le loisir des esthétes qui jouissent des formes, des lumiéres et des ombres du paysage, des philosophes qui s'installent dans une a,uberge de campagne pour y développer des hypothéses métaphysiques et des apótres qui s'emploient á communiquer leur foi á tous les compagnons rencontrés au hasard du chemin ou de l'auberge4 .

Ces travailleurs qui auraient dú me fournir des informations sur les conditions du travail et les formes de la conscience de classe m'offraient tout autre chose : le sentiment d'une ressemblance, une démons-tration de l'égalité. Eux aussi étaient des spectateurs et des visiteurs au sein de leur propre crassé. Leur activité de propagandistes ne pouvait se séparer de leur oisiveté de proméneurs et de contem- plateuts. La simple chronique de leurs loisirs contraignait á reformuler les rapports établis entre voir, faire et parler. En se faisant spectateurs et visiteurs, ils bou-leversaient le partage du sensible qui veut que ceux qui travaillent n'aient pas le temps de laisser trailer au hasard leurs pas et leurs regards et que les membres d'un corps collectif n'aient pas de temps á consacrer aux formes et insignes de l'individualité.

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Pour entendre l'histoire de ces deux visiteurs, il fal-done brouiller les frontiéres entre l'histoire empi-

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C'est ce que signifie le mot d'émancipation : le

ceux qui regardent, entre individus et membres d'un corps collectif. Ce que ces journées apportaient aux deux correspondants et á leurs semblables n'était pas le savoir de leur condition et l'énergie pour le travail du lendemain et la lutte á. venir. C'était la reconfiguration ici et maintenant du partage de l'es-pace et du temps, du travail et du loisir.

Com rendre cette ru • ture opérée au cceur méme du temps, c'était développer les imp ications une similitude et d'une égalité, au lieu d'assurer sa mai-trise dans la táche interminable de réduire l'écart irréductible. Ces deux travailleurs étaient des intel-lectuels eux aussi, comme l'est n'importe qui. Ils étaient des visiteurs et des spectateurs, comme le chercheur qui, un siécle et demi plus tard, lisait leurs e es

la théorie marxiste ou les diffuseurs de tracts aux portes des usines. Il n'y avait nul écart á combler entre intellectuels et ouvriers, non plus qu'entre acteurs et spectateurs. 11 s'en tirait quelques consé-quences pour le discours propre t rendre compte de cette expérience. Raconter l'histoire de leurs jours et de leurs nuits obligeait á brouiller d'autres fron-tiéres. Cette histoire qui parlait du temps, de sa perte et de sa réappropriation ne prenait son sens et sa portée qu'á étre mise en relation avec une histoire similaire, énoncée ailleurs, en un autre temps et dans un tout autre genre d'écrit, au livre II de la Répu-blique oú Platon, avant de s'en prendre aux ombres menteuses du théátre, avait expliqué qu'en une com-munauté bien ordonnée, chacun devait faire une seule chose et que les artisans n'avaient pas le temps d'étre ailleurs que sur leur lieu de travail et de faire autre chose que le travail convenant aux (in) capacités que leur avait octroyées la nature.

rique et la philosop e pure, es disciplines et les hiérarchies entre les nWeaux de dis-cours. Il n'y avait pas d'un caté le récit des faits, de l'autre l'explication philosophique ou scientifique découvrant la raison de l'histoire ou la vérité cachée derriére. Il n'y avait pas les faits et leur interpréta-tion. Il y avait deux maniéres de raconter une his- - toire. Et ce qu'il me revenait de faire était une ceuvre

dimanches printaniers et les dialogues du philosophe se traduisaient mutuellement. I1 fallait inventer. l'idiome propre á cette traduction et á cette contre-traduction, quitte á ce que cet idiome demeure inin-telligible á tous ceux qui demanderaient le sens de cette histoire, la réalité qui l'expliquait et ialecon ~le-donnait-pour l'action. Cet idiome, de fait, ne pouvait étre lu que par ceux qui le traduiraient a par-tir de leur propre aventure intellectuelle.

Ce détour biographique me raméne au centre de mon propos. Ces histoires de frontiéres á traverser et de distribution des redes á brouiller rencontrent en effet l'actualité de l'art contemporain oú toutes les compétences artistiques spécifiques tendent á sor-tir de leur domaine propre et á échanger leurs places et leurs pouvoirs. Nous avons aujourd'hui du théátre sans parole et de la danse p.arlée ; des installations et des performances en guise d'ceuvres plastiques ; des projections vidéo transformées en cycles de fresques ; des photographies traitées en tableaux vivants ou peintures d'histoire ; de la sculpture méta-morphosée en show multimédia, et autres combinai-sons. Or il y a trois maniéres de comprendre et de pratiquer ce mélange des genres. II y a cene qui réac-tualise la forme de l'ceuvre d'art totale. Celle-ci était supposée étre l'apothéose de l'art devenu vie. Elle

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tend plutót á étre aujourd'hui celle de quelques égos artisticfues surdimensionnés ou d'une forme d'hyper-activisme consumériste, sinon les deux á la fois. Il y a ensuite l'idée d'une hybridation des moyens de l'art propre á la réalité postmoderne de l'échange inces-sant des róles et des identités, du réel et du virtuel, de l'organique et des prothéses mécaniques et informa-tiques. Cette seconde idée ne se distingue guére de la premihre dans ses conséquences. Elle conduit sou-vent á une autre forme d'abrutissement, qui utilise le brouillage des frontiéres et la confusion des róles pour accroitre l'effet de la performance sans ques-tionner ses principes.

Reste une troisiéme maniére qui ne vise plus l'arn-plification des effets mais la remise en cause du rap-port cause-effet lui-méme et du jeu des présuppositions qui soutient la logique de l'abrutisseinent. Face á •l'hy-per-théátre qui veut transformer la représentation en présence et la passivité en activité, elle propase á l'inverse de révoquer le privilége de vitalité et de puis-sance communautaire accordé á la scéne théátrale pour la remettre sur un pied d'égalité avec la narra-tion d'une histoire, la lecture d'un livre ou le regard posé sur une image. Elle propose en somme de la concevoir comme une nouvelle scéne de l'égalité oú des performances hétérogénes se traduisent les unes dans les autres. Car dans toutes ces performances il s'agit de lier ce que l'on sait avec ce que ron ignore, d'étre á la fois des performers déployant leurs com-pétences et des spectateurs observant ce que ces com-pétences peuvent produire dans un contexte nouveau, auprés d'autres spectateurs. Les artistes, comme les chercheurs, construisent la scéne oú la manifesta-tion et l'effet de leurs compétences sont exposés, ren-dus incertains dans les termes de l'idiome nouveau qui traduit une nouvelle aventure intellectuelle. L'ef-fet de l'idiome ne peut étre anticipé. Il demande des

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spectateurs qui jouent le reile d'interprétes actifs, qui élaborent leur propre traduction pour s'approprier l'«histoire» et en faire leur prapre histoire. Une com-munauté émancipée est une communauté de conteurs et de traducteurs.

Je suis conscient que de tout ceei il est possible de dire : des mots, encore et seulement des mots. Je ne l'entendrai pas comme une insulte. Nous avons entendu tant d'orateurs faisant passer'llIhrmots-pour plus que des mots, pour la formule de l'entrée dans une vie nouvelle ; nous avons ArU tant de repré-sentations théátrales prétendant étre non plus des spectacles mais des cérémonies comrnunautlires ; et méme aujourd'hui, en dépit de tout lé" scepticisme «postmodern.e » á l'égard du désir de changer la vie, ' nous voyons tant d'installations et de spectades trans-formés en mystéres religieux qu'il n'est pas néces-sairement scandaleux d'entendre dire que des mots sont seulement des mots. Congédier les fantasmes du verbe fait cha_ ir et du spectateur rendu actif, savoir que les mots sont seulement des inots et les spec-tacles seulement des spectacles peut nous aider á mieux comprendre comment les mots et les images, les histoires et les performances peuvent changer quelque chose au monde oil nous vivons,

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