POLITIQUE, ET PHYSIQUE DE L’EMPIRE DE LA CHINE · Chine, la Tartarie chinoise, la Corée, & le...

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@ DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE HISTORIQUE, CHRONOLOGIQUE POLITIQUE, ET PHYSIQUE DE L’EMPIRE DE LA CHINE ET DE LA TARTARIE CHINOISE par le père J.-B. DU HALDE, de la Compagnie de Jésus TOME premier 1735

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    DESCRIPTIONGOGRAPHIQUE

    HISTORIQUE, CHRONOLOGIQUEPOLITIQUE, ET PHYSIQUE

    DE LEMPIRE DE LA CHINEET

    DE LA TARTARIE CHINOISE

    par le pre J.-B. DU HALDE,de la Compagnie de Jsus

    TOME premier

    1735

    http://books.google.fr/books?id=-UE0AAAAMAAJ&pg=PA451&lpg=PA451&dq=saint+evremond+confucius&source=bl&ots=8IOxKD73pJ&sig=eGDrpQ_vSz76dZtXp5LOh-dbi-g&hl=fr&ei=qM2tS_XtB4qt4QbE5N28Dw&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=2&ved=0CBAQ6AEwAQ%23v=onepage&q=&f=falsehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54962623.image.r=du+halde+description.f728.langFR

  • Description de lempire de la ChineTome premier

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    partir de :

    DESCRIPTION GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE,CHRONOLOGIQUE, POLITIQUE, ET PHYSIQUEDE LEMPIRE DE LA CHINE ET DE LA TARTARIECHINOISE

    enrichie des cartes gnrales et particulires de ces pays, de la cartegnrale & des cartes particulires du Thibet & de la Core, & ornedun grand nombre de figures & de vignettes graves en taille-douce.En trois ou quatre volumes in-folio.

    par le P. Jean-Baptiste DU HALDE, de la Compagnie de Jsus(1674-1743)

    Tome premierA Paris, chez P. G. LEMERCIER, Imprimeur-libraire, rue saint Jacques,au livre dOr. MDCCXXXV.

    Avec approbation et privilge du Roi.

    VOIR LA TABLE DES MATIERES

    mise en format texte parPierre Palpant

    www.chineancienne.fr

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    3

    @

    p.1 Les connaissances quon a donn jusquici de la Chine nont t

    que fort imparfaites, & ont servi plutt exciter la curiosit du public

    qu la satisfaire : Cest ce qui a dtermin lauteur travailler sans

    relche depuis plusieurs annes une description complte de ce grand

    empire & de la Tartarie, qui lui est maintenant soumise.

    Les recherches quil a faites avec discernement dans des mmoires

    imprims, ou p.2 manuscrits dauteurs qui ont demeur la Chine, &

    surtout le commerce assidu quil a depuis vingt-deux ans avec les

    missionnaires rpandus dans toutes ses provinces, lont mis en tat de

    remplir fidlement un si vaste dessein.

    Il a eu un autre avantage, auquel il ne devait pas sattendre.

    Un ancien missionnaire jsuite & fort expriment 1, qui a pass

    prs de trente-deux ans la Chine, partie dans la capitale, partie dans

    les diffrentes provinces de lempire, ayant t dput lanne dernire

    en France pour des affaires particulires de sa mission, a eu tout le

    loisir, pendant le sjour dun an quil a fait Paris, de lire plus dune

    fois & dexaminer cet ouvrage avec la plus srieuse attention et avec la

    plus svre critique.

    En profitant de ses lumires, ou pour discuter certains faits douteux,

    ou pour y ajouter des particularits intressantes, le pre du Halde

    sest assur de lentire exactitude de ce quil avance.

    1 Le pre Contancin.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    4

    Les cartes toutes nouvelles au nombre de quarante & une qui font

    partie de louvrage, seraient capables elles seules denrichir la

    Rpublique des Lettres. On sait que nos plus habiles gographes

    nont connu que trs confusment tous ces vastes pays que renferme la

    Chine, la Tartarie chinoise, la Core, & le royaume de Thibet. Les

    missionnaires qui ont t employs par les ordres & aux frais de

    lempereur Cang-hi en dresser les cartes, ont parcouru la mesure

    actuelle la main ces pays immenses de la Chine & de la Tartarie, &

    nont pargn ni soins ni fatigues pour nous les donner, comme ils font,

    avec une exactitude & une prcision, quon ne trouve gure dans les

    cartes que nous avons depuis longtemps des pays les plus connus.

    Mais pour mieux donner le plan dun ouvrage qui est en tat de

    paratre, & qui ne peut tre retard que par la gravure des cartes & dun

    grand nombre de figures dont il sera orn, le pre du Halde a cru devoir

    dfrer au sentiment de personnes dun grand mrite qui lui ont conseill,

    1 dinstruire le public en dtail de toutes les matires quil renferme.

    2 dexpliquer la mthode que les missionnaires mathmaticiens ont

    observe en dressant les cartes. Cest ce quon va faire le plus

    succinctement quil sera possible.

    I

    Il y aura la tte de louvrage & avant la prface une premire

    carte gnrale, qui comprend la Chine, la Tartarie, la Core, le

    Royaume de Thibet & autres pays de la Tartarie, jusqu la Mer

    Caspienne.

    Aprs la prface sera la carte gnrale de la Chine. Puis viendront

    toutes les matires quon traite en autant darticles spars dans lordre

    suivant.

    Ide gnrale de lempire de la Chine, qui reprsente sommairement

    & en gros ce quon expliquera plus en dtail dans le cours de louvrage.

    Description dtaille de la grande & fameuse Muraille qui spare la

    Chine de la Tartarie, avec le plan dune partie de cette Muraille, & des

    forts qui la soutiennent du ct de Yong-ping-fou.

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    Histoire abrge

    1 Des peuples Si-fan ou Tou-fan, qui formaient anciennement

    un vaste royaume, redoutable mme aux empereurs de la

    Chine, mais que des divisions intestines ont forc dans la suite

    se soumettre la domination chinoise.

    2 De la nation des Lo-los, autrefois indpendante, &

    maintenant soumise lempereur de la Chine.

    3 De la nation des Miao-Ssee, dont les uns sont soumis, &

    les autres vivent dans lindpendance labri des montagnes

    inaccessibles quils habitent.

    Route que tinrent les pres Bouvet, Fontaney, Gerbillon & le Comte,

    depuis le port de Ning-po jusqu Peking, avec une description trs

    exacte & trs circonstancie de tous les lieux par o ils passrent dans

    les provinces de Tche-kiang, de Kiang-nan, de Chan-tong, & de Pe-

    tche-li.

    Route que tint le pre Fontaney, depuis p.3 Peking jusqu Kiang-

    tcheou dans la province de Chan-si, & depuis Kiang-tcheou jusqu

    Nan-king, capitale de la province de Kiang-nan.

    Route que tint le pre Bouvet depuis Peking jusqu Canton, lorsquil

    fut envoy par lempereur Cang-hi en Europe en lanne 1693.

    Route depuis Siam jusqu la Chine, titre des mmoires de

    quelques Chinois qui en ont fait le chemin.

    On y a remarqu avec tant de soin tout ce qui concerne la nature du

    pays, & jusquaux moindres particularits qui sy trouvent, quen les

    lisant il semble quon fasse soi-mme ces voyages.

    Description gographique des quinze provinces de la Chine, & des

    principales villes de chaque province. Aprs la description de chacune

    de ces provinces, on trouvera la carte particulire de la province avec le

    plan de quelques unes de ses villes.

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    De lantiquit & de ltendue de la monarchie chinoise.

    De lautorit de lempereur, des sceaux de lempire, de ses dpenses

    ordinaires, de son palais, de ses quipages & de sa marche lorsquil sort

    de son palais.

    De la forme du gouvernement de la Chine, des diffrents tribunaux,

    des mandarins & des honneurs quon leur rend, de leur pouvoir, & de

    leurs fonctions.

    Du gouvernement militaire, des forces de lempire, des forteresses,

    des gens de guerre, de leurs armes, & de leur artillerie.

    De la police de la Chine, soit dans les villes pour y maintenir le bon

    ordre, soit dans les grands chemins pour la sret & la commodit des

    voyageurs, des douanes, des postes, &c.

    De la noblesse.

    De la fertilit des terres, de lagriculture, & de lestime quon fait de

    ceux qui sy appliquent.

    De ladresse des artisans, & de lindustrie du menu peuple.

    Du gnie & du caractre de la nation chinoise.

    De lair & de la physionomie des Chinois, de leurs modes, de leurs

    maisons & des meubles dont elles sont ornes.

    De la magnificence des Chinois dans leurs voyages, dans les

    ouvrages publics, tels que sont les ponts, les arcs de triomphe, les

    portes, les tours & les murs des villes ; dans leurs ftes, &c.

    Des crmonies quils observent dans leurs devoirs de civilits dans

    leurs visites, & les prsents quils se font les uns aux autres ; dans les

    lettres quils scrivent ; dans leurs festins ; dans leurs mariages & dans

    leurs funrailles.

    Des prisons o lon renferme les criminels, de lordre qui sy

    observe, & des chtiments dont on les punit.

    De labondance qui se trouve la Chine, & ce quelle produit dutile

    aux besoins & aux dlices de la vie.

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    Des lacs & des rivires dont lempire est arros, des barques & des

    vaisseaux, ou sommes chinoises.

    De la monnaie qui en diffrents temps a eu cours dans lempire ; on

    en gravera quelques-unes des plus extraordinaires.

    Du commerce des Chinois, soit au dedans de la Chine, soit au

    dehors ; & comme ce commerce consiste principalement dans les

    ouvrages de vernis, dans la porcelaine, & dans les soieries, on expliquera

    comment se fait leur vernis & leur porcelaine, quoi lon ajoutera

    lextrait dun ancien livre chinois qui enseigne la manire dlever & de

    nourrir les vers soie, pour lavoir & meilleure & plus abondante ;

    Du gnie de la langue chinoise, & de la manire de prononcer &

    dcrire les mots chinois en caractre dEurope.

    Abrg de la grammaire chinoise.

    Du papier, de lencre & des pinceaux, de limprimerie & de la reliure

    chinoise.

    De quelle manire on fait tudier les jeunes Chinois, des divers

    degrs par o ils passent & combien ils ont dexamens soutenir pour

    parvenir au doctorat.

    Extrait dun livre chinois sur ltablissement des coles publiques,

    qui contient : 1 La forme de cet tablissement, le choix des matres, &

    lordre quon y doit observer pour linstruction des enfants. 2 Quelques

    p.4 exemples dun recueil dhistoires courtes & la porte des enfants,

    quon doit leur faire apprendre pour les former aux bonnes murs. 3

    Lexamen des tudiants qui aspirent aux divers degrs, & comment il se

    doit faire. 4 Le modle dun discours tel quon peut le faire dans le Hio,

    ou salle des assembles des lettrs. 5 Le projet & les rglements dune

    acadmie ou socit de savants.

    De la littrature chinoise.

    On donne le prcis de ces livres si anciens, & que les Chinois

    rvrent infiniment tant cause de leur anciennet, que pour

    lexcellente doctrine quil prtendent y tre enseigne. Ils les appellent

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    8

    Ou-King, cest--dire les cinq livres par excellence. Ces livres quils

    regardent comme canoniques du premier ordre sont :

    1 Ly-King qui est un ouvrage purement symbolique, dont on donne

    la connaissance quen ont les Chinois.

    2 Le Chu-King, qui contient ce qui sest pass de mmorable sous

    les premiers empereurs & lgislateurs de la nation chinoise, leurs

    instructions sur le gouvernement, leurs lois, & leurs rglements pour les

    murs, dont ces premiers hros ont t autant de modles. Outre le

    prcis quon donne de la doctrine de ce livre, on en rapporte divers

    extraits.

    3 Le Chi-King, qui contient des odes ou des posies o lon fait

    lloge des hommes illustres, & o lon tablit les lois & les coutumes de

    lempire. On a fait choix de quelques-unes de ces odes quon a

    fidlement traduites.

    4 Le Tchun-tsiou, qui est infrieur aux trois premiers, mais qui ne

    laisse pas dtre fort estim des savants. Il contient les annales du

    royaume de Lou, maintenant la province de Chan-tong.

    5 Le Li-ki, qui est comme un mmorial des lois, des crmonies, &

    des devoirs de la vie civile.

    Aprs avoir fait le prcis de ces livres, qui sont dune antiquit trs

    recule, & quon appelle Canoniques du premier ordre, on vient aux

    quatre livres classiques ou Canoniques du second ordre, appels Sse-

    Chu lesquels ne sont proprement parler que des explications & des

    maximes fondes sur ces anciens monuments. Ces livres sont de

    Confucius, ou ont t recueillis par ses disciples des maximes & des

    entretiens de ce philosophe. On suit par ordre les chapitres ou les

    articles de chacun de ces livres, & lon donne en abrg ce quils ont de

    plus essentiel.

    On commence dabord par la vie de Confucius ce clbre philosophe,

    que les Chinois regardent comme leur matre, & pour lequel ils ont la

    plus profonde vnration.

    On vient ensuite ses ouvrages. Le premier, sappelle Ta-ho ;

  • Description de lempire de la ChineTome premier

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    cest--dire, la grande science, ou la science des adultes.

    Le second, se nomme Tchong-yong, qui signifie le milieu immuable,

    ce juste milieu qui se trouve entre deux choses extrmes, & en quoi

    consiste la vertu.

    On nomme le troisime, Lun-yu, cest--dire discours moraux &

    sentencieux.

    Le quatrime, est intitul Meng-tsee ou livre du philosophe Mencius,

    qui donne lide dun parfait gouvernement.

    Aprs avoir parl de ces quatre livres, on passe deux autres qui

    sont fort estims, & que les Chinois mettent au nombre des livres

    Classiques.

    Le premier, sappelle Hiao-King ; cest--dire, du respect filial, &

    contient les rponses que fit Confucius son disciple Tseng.

    Le second, se nomme Siao-Hio, qui signifie la science ou lcole des

    enfants.

    Cest l proprement ce quon appelle la science chinoise, qui

    renferme les principes fondamentaux de leur gouvernement, & qui

    maintient un si bel ordre dans lempire. Cette partie qui pourrait

    paratre sche & ennuyeuse, sera peut-tre celle qui occupera le plus

    agrablement le lecteur, & on se persuade que lingnieux crivain 1

    des uvres mles, sil vivait encore, changerait de sentiments &

    dide sur la doctrine du clbre philosophe Confucius.

    Mais comme on pourrait se figurer que le gouvernement de la Chine,

    appuy dabord sur ces principes, a d saffaiblir p.5 pendant une si longue

    suite de sicles, & sous tant de diffrents rgnes, les Chinois eux-mmes

    nous apprendront quils ne se sont jamais relchs de la sagesse de ces

    maximes. Cest ce quon verra en parcourant chaque dynastie dans un

    recueil fait par les ordres & sous les yeux de lempereur Cang-hi dont le

    rgne qui a prcd celui daujourdhui, a t si long & si glorieux.

    1 Saint-vremond.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

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    On trouve dans ce recueil qui est traduit avec beaucoup

    dexactitude. 1 Les dits, les dclarations, les ordonnances, & les

    Instructions de diffrents empereurs, envoyes aux rois ou aux princes

    tributaires, soit sur le bon & le mauvais gouvernements & sur le soin de

    se procurer pour ministres des gens de mrite ; soit pour recommander

    aux peuples le respect filial & lapplication lagriculture & aux

    magistrats le dsintressement & lamour des peuples. 3 Des discours

    des plus habiles ministres tantt au sujet des calamits publiques & des

    moyens de soulager les peuples & de fournir leurs besoins, tantt sur

    lart & la difficult de rgner, sur la guerre, sur lavancement des

    lettrs, sur les qualits propres dun ministre ; ou bien contre les sectes

    qui corrompaient lancienne doctrine, & surtout contre la secte de lidole

    Foe, ou comme dautres lappellent Fo ; sur la fausset des augures, &

    contre ceux qui les font valoir, &c. La plupart de ces pices sont

    termines par de courtes rflexions de lempereur Cang-hi, qui les a

    crites du pinceau rouge, cest--dire, de sa propre main.

    On joint ce curieux recueil des extraits dune compilation faite

    sous la dynastie des Ming, o lon traite des devoirs des souverains, des

    ministres dtat, des gnraux darme, & du choix quon en doit faire,

    de la politique, des princes hritiers, des remontrances faites aux

    empereurs par leurs ministres, du bon gouvernement, des filles des

    empereurs, de ceux qui abusent de la faveur du prince avec diffrents

    discours des ministres les plus distingus concernant le bien de ltat.

    On y ajoute un autre extrait dun livre Chinois intitul, Les femmes

    fortes, o lon verra que sous diffrents rgnes, les dames chinoises se

    sont conduites & ont gouvern leurs familles selon ces maximes.

    On jugera aisment par cette espce de tradition que les principes

    fondamentaux du gouvernement, stant toujours maintenus la Chine

    par une observation constante, il nest pas surprenant quun si vaste tat

    ait subsist depuis tant de sicles, & subsiste encore dans tout son clat.

    Des religions approuves ou tolres la Chine. On expose selon

    lordre des temps la doctrine des diffrentes sectes de cet Empire & lon

    traite : 1 Du culte des anciens Chinois. 2 De la secte des Tao-ssee,

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    11

    dont on dcrit le systme. 3 De la secte de lidole Foe dont on explique

    ce que ces idoltres appellent doctrine intrieure & doctrine extrieure.

    4 De la secte de quelques lettrs modernes qui se sont fait une espce

    de philosophie, au moyen de laquelle en sattachant moins au texte des

    anciens livres qu la glose & aux commentaires de quelques auteurs

    rcents, ils prtendent tout expliquer par les causes naturelles. Et pour

    mieux faire sentir jusquo sgarent ces demi-savants, on donne la

    traduction dun de leurs ouvrages.

    Dialogue o un philosophe chinois moderne expose son systme sur

    lorigine & sur ltat du monde.

    Histoire de ltablissement de la religion chrtienne la Chine, & des

    progrs quelle y a fait jusqu prsent.

    De la philosophie morale des Chinois, & en quoi elle consiste. On ne

    peut en tre mieux instruit que par les Chinois mmes, & cest pour

    quoi lon donne la traduction de deux ouvrages qui renferment les

    principes de leur morale & dont les Auteurs sont trs clbres.

    Le premier & le plus ancien, est intitul : Recueil de maximes, de

    rflexions, & dexemples en matire de murs.

    Le second, lequel a t compos tout rcemment par un philosophe

    moderne qui est en grande rputation, a pour titre : Caractres &

    murs des Chinois. Il traite en autant de chapitres. 1 Des devoirs des

    parents & des enfants, des frres entreux, du p.6 mari & de la femme,

    des amis & des proches. 2 De ce quil faut faire pour rgler son cur.

    3 Du soin de perfectionner son extrieur. 4 De lamour des Lettres.

    5 De la manire de gouverner sa maison, & lappartement spar des

    femmes. 6 Des maisons de ville & de campagne. 7 Des rgles de

    conduite auxquelles on ne fait pas assez dattention. 8 Des entretiens

    quon a dans le commerce de la vie. 9 Des devoirs d la vie prive.

    10 De la lecture des livres. 11 De la manire de se conduire dans

    lusage du monde. 12 De la persvrance dans la pratique du bien.

    13 De la civilit & de ses devoirs. 14 De la modration & du milieu

    quil faut tenir en toutes choses. 15 De la manire dont il faut se

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    12

    comporter avec les gens de diffrents caractres. 16 Enfin des

    ouvrages desprit & de quelques rgles de conduite.

    De la connaissance des Chinois dans les autres sciences, telles que

    sont la logique, la rhtorique, la musique, la gomtrie, lastronomie, &c.

    quoi lon ajoutera en dtail ce que firent les premiers missionnaires

    jsuites pour les aider perfectionner ces sciences & pour leur

    apprendre les autres parties des mathmatiques quils ignoraient.

    Du got des Chinois pour la posie & pour lhistoire, soit pour

    lhistoire universelle de leur nation, soit pour composer de petites

    histoires semblables nos romans, mais lesquelles bien que mles

    dun grand nombre dincidents qui surprennent, nont pour but que la

    fuite dun vice ou la pratique dune vertu. Afin de connatre le gnie

    quont les Chinois pour ces sortes dhistoires, on en rapporte quatre qui

    sont exactement traduites, & quon lira avec plaisir.

    La premire, fait voir quen pratiquant la vertu on illustre la famille.

    La seconde, raconte un jugement o le crime tant dabord absous,

    le Ciel, au moment quil triomphe, le confond & le punit.

    Dans la troisime, linnocence accable & prte succomber, vient

    tout coup tre reconnue par une protection particulire du Ciel.

    La quatrime est dun philosophe, qui aprs les bizarres obsques

    de sa femme sadonne la philosophie & devient trs clbre.

    De la mdecine des Chinois : systme gnral de leurs mdecins. Ce

    quils ont de singulier, savoir leur habilet juger des maladies par les

    battements du pouls, & connatre lutilit des simples pour composer

    leurs remdes. Trois ouvrages de mdecins chinois en ce genre, feront

    connatre lide quon doit se former de leur science en fait de mdecine.

    Le premier, est un trait intitul Le secret du pouls. Lauteur est trs

    ancien, & a compos cet ouvrage quelques sicles avant lre chrtienne.

    Le second, est un extrait de lHerbier chinois.

    Le troisime, est un recueil de plusieurs recettes de ces mdecins,

    propres gurir diverses maladies.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    13

    Cartes gnrales de la Tartarie chinoise.

    Observations gographiques sur la Tartarie, faites par les missionnaires

    qui en ont dress les cartes.

    Mmoire gographique sur les terres occupes par les princes

    mongous, rangs sur 49 Ki, cest--dire, sous 49 tendards ou

    bannires.

    Observations historiques sur la Tartarie.

    Premier voyage du pre Verbiest dans la Tartarie orientale la suite

    de lempereur en lanne 1682.

    Second voyage du mme la suite de lempereur dans la Tartarie

    occidentale en lanne 1683.

    Autres voyages faits par le pre Gerbillon en Tartarie, soit la suite

    de lempereur, soit par son ordre.

    Premier voyage en lanne 1688.

    Second voyage en lanne 1689.

    Troisime voyage en lanne 1691.

    Quatrime voyage en lanne 1692.

    Cinquime voyage en lanne 1696.

    Sixime voyage la mme anne.

    Septime voyage jusqu Ning-hia.

    Huitime voyage en lanne 1698.

    Suivent les douze cartes particulires de la Tartarie.

    Ces voyages sont crits en forme de p.7 journal, & lon marque jour

    par jour & dans le plus grand dtail tout ce qui concerne un pays si peu

    connu jusquici.

    Carte du Royaume de Core.

    Observations gographiques sur le royaume de Core.

    Histoire abrge de ce royaume, tire de lhistoire des Chinois.

    Carte gnrale du Thibet.

    Observations sur la carte du Thibet, contenant les terres du grand

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    14

    lama & des pays voisins qui en dpendent jusqu la source du Gange.

    Neuf cartes particulires de ce royaume.

    Fastes de la monarchie chinoise, o lon voit en abrg & selon

    lordre chronologique ce qui sest pass de plus remarquable sous

    chaque empereur.

    Table dune grande partie des latitudes observes & des longitudes

    mesures gomtriquement de la carte de lempire de la Chine & de la

    Tartarie, faite par les missionnaires qui ont dress ces cartes.

    II

    Les cartes, qui font une partie considrable & trs intressante de ce

    mme ouvrage quon annonce au public, donneront dans un grand

    dtail, & dans une gale prcision, non seulement la Chine entire,

    mais encore une grande tendue de la Tartarie, surtout celle qui est

    soumise lempereur de la Chine, & le Thibet ; vastes pays dont on

    navait presquaucune connaissance.

    La Chine & la Tartarie on t leves sur les lieux de la manire quon

    verra expose en dtail dans la prface de louvrage. Quil suffise quant

    prsent de dire sommairement quon sest servi de la mthode des

    triangles, comme la plus prcise, pour dterminer la position des lieux

    vrifie frquemment par la hauteur mridienne du soleil, ou par celle

    des toiles polaires. Ce grand ouvrage, entrepris par ordre de

    lempereur Cang-hi, qui en avait lexcution fort cur, a occup

    plusieurs missionnaires jsuites depuis lan 1708 jusquen 1717. Il est

    constant que cest louvrage de gographie le plus vaste qui ait encore

    t fait selon les rgies de lart. Quant au Thibet, sil na pas t lev de

    mme par les jsuites, du moins a-t-il t dress sur divers routiers

    fort dtaills, & sur les mesures prises dans le Thibet mme par des

    Tartares envoys exprs, qui avaient connaissance des mathmatiques,

    & qui avaient reu des missionnaires linstruction & la direction

    ncessaire pour y russir.

    Pour faire connatre le dtail des cartes dont il sagit, il suffit de dire,

    que les provinces de la Chine, qui sont au nombre de quinze, ont

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    15

    chacune leur carte particulire. Comme on les a toutes mises sur une

    mme chelle, la diffrence dans ltendue & la situation des Provinces

    en a apport invitablement dans la grandeur de ces cartes. Mais la

    Tartarie & le Thibet, qui ne sont point diviss en portions aussi

    distinctement que la Chine, ont t traites tout dune pice, dont la

    Tartarie occupe douze feuilles gales, & le Thibet en occupe neuf. On a

    joint la Tartarie chinoise une carte particulire de la Core, prise

    daprs celle qui sest trouve dans le palais mme du roi de ce pays, &

    examine par ceux qui ont t employs faire la carte de la Tartarie.

    Toutes ces parties ont t mises non seulement au mme point, mais

    mme sous une projection gnrale, comme si toutes les pices nen

    devaient composer quune, & effectivement on pourra les rassembler

    toutes & nen faire quun seul morceau. Aux cartes des provinces de la

    Chine, on a joint un assez grand nombre de plans de villes chinoises dont

    la forme & la situation pourront donner une ide de toutes les autres.

    Pour rdiger ce grand nombre de diverses pices, & les mettre dans

    ltat dtre graves & mises au jour, on a fait choix de M. dAnville,

    gographe ordinaire du roi, qui, joint beaucoup de capacit, le plus

    grand zle pour la perfection de la gographie. Des cartes particulires

    il a dresse les cartes gnrales, non pas succinctes, mais trs p.8 amples

    & propres faire connatre indpendamment mme des cartes

    particulires, jusquo le dtail & la prcision ont t portes dans cet

    ouvrage ; cest ce qui paratra principalement dans la carte gnrale de

    la Chine, pays extrmement rempli de circonstances, & quon sest

    trouv en tat dexprimer proportion. Quand M. dAnville entreprit la

    carte gnrale de la Tartarie, ce fut aprs avoir pris communication des

    Mmoires particuliers du P. Gerbillon jsuite & mathmaticien de

    lempereur, & aprs les avoir combins avec ses cartes. Pour remplir

    mme le carr de cette carte, il a t ncessaire quil y ft entrer le

    Japon tout entier, & quelques terres plus septentrionales quil y fait

    paratre avec des circonstances particulires. Il a conform la carte du

    Thibet, dans la partie qui confine lIndostan, aux connaissances

    positives quon peut prendre par ce ct-l. Enfin dans la carte qui doit

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    16

    tre la tte de louvrage, & qui comprendra toutes les autres en

    gnral, outre la vaste tendue de tous les pays dont on vient de

    parler, on se portera jusque sur la mer Caspienne. Car les Pres

    jsuites de la Chine en ont eu quelques connaissances, & ils ont

    souhait quon en ft usage, aprs les avoir compares & jointes aux

    connaissances quon peut rassembler dailleurs, ce que M. dAnville

    sest engag de faire.

    Outre les cartes, les planches, & les plans de villes qui seront en

    grand nombre, les cartouches & les vignettes seront ornes de figures,

    de symboles, danimaux & des plantes les plus singulires de la Chine.

    @

    AVERTISSEMENT

    Comme la quantit de cartes & de planches que contient cet ouvrage obligera nentirer quun certain nombre dexemplaires, ceux qui en voudront avoir sont avertis de lesretenir de bonne heure. Ils pourront sadresser ou au pre du Halde, qui demeure laMaison Professe, rue Saint-Antoine, ou P. G. Le Mercier fils, imprimeur-libraire, rueSaint-Jacques, au Livre dor Paris.

    On aura soin dinformer ceux, qui auront retenus des exemplaires, du temps auquel oncommencera limpression de louvrage, & du prix auquel il leur sera livr. Ce sera auplus tard dans quatre ou cinq mois.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    17

    AU ROY@

    Le favorable accueil que Votre Majest a daign faire

    au grand nombre de cartes rpandues dans cet ouvrage,

    ma inspir la confiance avec laquelle jose le faire paratre

    sous son auguste nom, & ma fait mme esprer quelle

    pourra prendre quelque plaisir le lire. Jai cru quune

    description exacte de tant de pays soumis lempereur de

    la Chine, & si peu connus, ne serait pas tout fait indigne

    de lattention de Votre Majest.

    Vous y verrez, Sire, que la plus ancienne monarchie de

    lunivers ne doit sa dure, sa splendeur, & sa tranquillit

    qu la parfaite subordination qui a rgn constamment

    entre les diffrents membres dun vaste tat.

    Vous y trouverez ces grandes maximes graves de si

    bonne heure dans votre me par les mains habiles qui

    ont cultiv vos vertus naissantes, quun prince nest si

    fort lev au-dessus du reste des hommes, que pour

    procurer leur bonheur, en protgeant la vertu & en

    rprimant le vice ; que la bont & la justice sont les

    deux plus fermes appuis du trne ; quun souverain est

    n le pre de son peuple, & que sa plus solide gloire est

    de rgner sur les curs de ses sujets.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    18

    Mais, ce qui ne touchera pas moins Votre Majest, cest

    sans doute le progrs de la vraie religion chez une nation,

    laquelle, en parler en gnral, il ne manque pour son

    bonheur que le don prcieux de la foi.

    Dans le dernier sicle on vit natre en faveur des ouvriers

    vangliques un merveilleux concours de protection entre le

    plus puissant monarque de lEurope, & le plus grand prince

    de lOrient. Lardeur infinie que lempereur Cang hi eut pour

    les sciences, donna aux ministres de lvangile un accs

    facile auprs de sa personne, & leur assura un ferme appui

    contre les ennemis du nom chrtien.

    Dune autre part, Louis le Grand, tout occup quil tait

    des affaires les plus importantes, & dans le fort des plus

    cruelles guerres, porta ses vues jusqu cette extrmit de

    lAsie : dans le dessein quil avait form dy tendre le

    royaume de Jsus-Christ, & den tirer des connaissances

    utiles lavancement des sciences, il jeta les yeux sur un

    nombre de jsuites, dont il connaissait la vertu & la

    capacit. A leur dpart pour la Chine, il les honora du titre

    de ses mathmaticiens ; il accrdita leur ministre, il leur

    assigna des pensions, il les combla de bienfaits.

    Il ny a gure eu dannes dans la suite quon nait vu

    des successeurs de leur zle, partir de nos ports, pour aller

    partager leurs travaux, & tcher de remplir les intentions

    dun si religieux monarque.

    Comme en succdant au trne de ce grand prince, que

    vous avez pris pour modle, vous vous tes fait une loi,

    Sire, de succder ses grandes vues, son amour pour

    les lettres, sa pit sincre, & son zle pour la religion,

    ces hommes apostoliques prouvent la mme protection

    de la part de Votre Majest ; ils jouissent des mmes

    grces & des mmes libralits.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    19

    Ce nest pas vainement, Sire, que vos peuples se sont

    flatts de voir revivre ce grand roi en la personne de Votre

    Majest. Cette longue paix mnage par vos soins, &

    affermie par votre sagesse, a t le fruit des dernires

    instructions quil vous fit, en vous remettant son sceptre &

    sa couronne. LEurope entire la si bien reconnu, quelle a

    cru devoir vous confier ses intrts, en vous rendant le

    mdiateur et larbitre de ses diffrends.

    Elle jouirait encore de cette heureuse paix, si des

    ennemis secrets de votre grandeur & de votre modration,

    ne vous avaient forc de prendre les armes, non pas pour

    reculer vos frontires ou pour augmenter votre puissance,

    mais uniquement pour venger la majest de votre trne

    offense, & pour soutenir les droits dune nation libre, &

    dun illustre alli quon voulait opprimer.

    Mais, ce quon ne saurait assez admirer, Sire, cest

    quau milieu de ses succs & de ses triomphes, Votre

    Majest nen est pas moins dispose couter des paroles

    de paix, & quelle prfre le repos public & la flicit de ses

    peuples aux plus clatantes victoires.

    Ces vertus pacifiques verses dans votre sein par

    lesprit de sagesse, qui prside vos conseils, ne

    pouvaient manquer dattirer sur votre personne & sur

    votre tat, les plus prcieuses faveurs du Ciel. Nous en

    avons des tmoignages bien sensibles.

    Combien la divine Providence a-t-elle t attentive la

    conservation de vos jours dans ces premires annes, o

    la dlicatesse de votre sant, & diverses atteintes de

    maladies nous causaient les plus justes alarmes !

    Quelles bndictions le Seigneur ne continue-t-il pas de

    rpandre sur les nuds sacrs, qui vous unissent une

    Reine ne dans le sein de la pit, & qui en donne chaque

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    20

    jour les plus grands exemples !

    De quelle protection le Ciel ne favorise-t-il pas la justice

    de vos armes ! On nen peut douter, cest le dieu des

    armes qui a inspir vos troupes ce courage & cette

    intrpidit, dont il y a si peu dexemples, & qui dans une

    seule campagne couronne la droiture de vos intentions,

    par une suite de prosprits de victoires.

    Mais, quil vous est glorieux, Sire, de navoir que des

    penses de paix dans le temps mme de vos continuels

    succs ! Quil est rare de trouver, mme dans les plus grands

    princes, un pareil dsintressement ! Il forcera sans doute la

    mme puissance qui vous a contraint de prendre les armes,

    en reconnatre la justice & lquit. LEurope pacifie par

    votre modration, ne vous laissera plus dautres ennemis

    combattre, que les ennemis de la Religion : votre zle &

    votre autorit dissiperont bientt les noirs complots de

    lerreur & de lincrdulit ; & ces monstres nauront pas

    plutt disparu, que vous ferez rgner sans peine dans tous

    les curs, celui par qui vous rgnez avec tant de gloire.

    Puissiez-vous, Sire, en marchant ainsi sur les traces de

    votre auguste bisaeul, voir comme lui, une postrit

    nombreuse leve sous vos yeux, & forme sur vos

    vertus ! Puissiez-vous, sil se peut, surpasser mme la

    gloire & le nombre des annes de ce grand monarque !

    Ce sont les vux de celui de vos sujets qui vous est le

    plus dvou, & qui est avec le plus profond respect,

    Sire,de Votre Majest,

    Le trs humble, trs obissant& trs fidle serviteur & sujet,

    JEAN-BAPTISTE DU HALDE,de la Compagnie de Jsus.

    @

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    21

    PRFACE

    @

    p.I Lempire de la Chine a t depuis fort longtemps un objet de

    curiosit pour lEurope ; les premires connaissances quon en eut,

    trouvrent dabord peu de crance dans les esprits ; la relation que

    publia le voyageur vnitien, qui, la suite des Tartares, avait parcouru

    quelques provinces de cet empire, passa pour le fruit dune imagination

    qui cherchait sgayer ; tout ce quil racontait de lanciennet de cette

    monarchie, de la sagesse de ses lois & de son gouvernement, de la

    fertilit de ses terres, des richesses de son commerce, de la multitude

    prodigieuse de ses habitants, de la douceur & de la politesse de leur

    murs, de leur application faire fleurir les arts & lagriculture, de leur

    got & de leur ardeur pour les sciences, tout cela fut regard comme de

    pures fictions, o la vraisemblance ntait pas mme observe. On ne

    pouvait se persuader quau-del de tant de nations demi barbares, &

    lextrmit de lAsie, il se trouvt un puissant tat, qui ne le cdait

    gure aux tats les mieux polics de lEurope.

    Avec le temps on revint de ces prjugs, & lon rendit plus p.II de

    justice la sincrit de lauteur vnitien, surtout lorsquon vit que ce

    quil avait avanc, saccordait avec les relations que donnrent les

    premiers missionnaires, qui vers la fin du quinzime sicle pntrrent

    enfin dans la Chine, dont jusqualors, par des vues politiques de cette

    nation, lentre avait t ferme tous les trangers. On ne put pas

    sempcher de se rendre, & dajouter foi au tmoignage de personnes,

    que leur tat, leur droiture, leur capacit, & leur dsintressement

    mettaient hors de tout soupon.

    La curiosit se rveilla, & lindiffrence quon avait tmoigne

    jusqualors pour la Chine, se changea dans un vif empressement de

    connatre une nation si ancienne, & dont on rapportait des choses si

    singulires. Mais cette curiosit-l mme fit clore un nombre de

    petites relations, faites sans choix ni discernement, qui donnaient les

    plus fausses ides de cet empire. Quun vaisseau europen abordt

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    22

    un port de la Chine & y passt quelques mois, aussitt les gens de

    lquipage recueillaient avec avidit, & jetaient sur le papier, non

    seulement tout ce qui soffrait leurs yeux aux extrmits dun si vaste

    tat, mais encore tout ce quils pouvaient ramasser dans les entretiens

    quils avaient avec une populace assez peu instruite. De retour dans

    leur patrie, ils sapplaudissaient de leurs dcouvertes ; & cest sur des

    mmoires si peu fidles, quils composaient leurs relations.

    Dautres bien moins sincres, ont cru pouvoir amuser agrablement

    leurs lecteurs, en supplant de leur propre fonds aux connaissances qui

    leur manquaient. Cest ce qua fait un voyageur italien dans un livre

    imprim Naples en lanne 1720, qui a pour titre Giro del mondo,

    cest--dire, voyage p.III autour du monde. Il y fait une description

    dtaille du palais de lempereur de la Chine, dont il navait dide que

    celle quil stait forme lui-mme ; & pour donner plus de poids ce

    quil raconte, & le rendre plus croyable, il ne fait pas difficult de

    sautoriser du Pre Grimaldi, prsident du tribunal des mathmatiques,

    lequel, ce quil assure, voulut bien lintroduire dans le palais. Pourrait-

    on, aprs cela, se dfier de la sincrit de cet auteur ?

    Cependant tout ce quil y a de vrai, cest quil vint effectivement

    Peking, quil fit plusieurs tours dans les rues de cette grande ville, suivi

    dun Chinois pied qui lui servait de valet ; quil rendit de frquentes

    visites aux jsuites, dont il reut tous les bons offices qui dpendaient

    deux ; quil les pria de lui faire voir lempereur, ou du moins son palais,

    ce qui ntait nullement en leur pouvoir ; qutant arriv un pont quil

    fallait passer pour aller au palais, il fut contraint de retourner sur ses

    pas parce que son valet ne voulut pas sexposer passer mme ce

    pont ; quenfin il ft oblig de sortir de Peking sans avoir vu du palais

    que la porte du midi, qui est toujours ferme.

    Tout cela est certain ; do il sen suit que cette description quil fait

    du palais, des salles, du trne imprial, de laudience laquelle il se

    trouva, & tout le reste, est purement de son invention. Le Pre

    Grimaldi, quoique prsident du tribunal des mathmatiques, pouvait-il,

    sans un ordre exprs de lempereur, introduire dans le palais un

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    23

    inconnu ml parmi les membres dun tribunal qui va laudience ? Un

    ministre dtat, un prince mme naurait pas ce pouvoir.

    Mais pour peu quon soit au fait de ce qui concerne la p.IV Chine, on

    est bien plus surpris quun auteur clbre par ses talents & par son

    savoir, ait perdu son temps, non seulement traduire en notre langue

    deux anciennes relations arabes sur la Chine, qui ne sont quun tissu

    dabsurdits & de mensonges ; mais encore prodiguer son rudition

    par de longs claircissements quil a donns sur ces Contes arabesques.

    Il ne fallait pas un grand fonds de critique, pour sapercevoir que ces

    marchands arabes ne mritaient nulle crance, & navaient pas mme

    mis le pied la Chine : mais quand le cur se laisse une fois

    proccuper dune passion, lesprit est tout dispos adopter les fables

    les plus ridicules, & donner un air de vrit tout ce qui est capable

    de dcrier des personnes quon naime point, & quon se fait un mrite

    de ne point aimer.

    Les savants nont pas tous cette sagacit & cette finesse de

    discernement qui saisit dabord son objet, & qui sait dmler le vrai

    davec le faux, telle quon la trouve dans ces rflexions si senses & si

    judicieuses, quun savant acadmicien 1 a fait sur la nation chinoise, &

    quil a proposes par manire de doutes au Pre Parrenin, dont il a reu

    les claircissements quil souhaitait.

    Ces sortes de relations, ou faites sans discernement, ou inventes

    plaisir, ou concertes par la passion, tiennent les esprits dans

    lincertitude, en rendant suspectes celles qui sont les plus vraies & les

    plus sincres, & faisant natre, dans des personnes mme claires,

    certaines prventions, dont ils ne reviennent pas aisment. Combien en

    voit-on, par exemple, p.V qui ne peuvent ster de lesprit que la nation

    chinoise pousse lorigine de son empire bien au-del du Dluge, &

    mme de la cration du monde ?

    Si une ide si absurde a pu entrer dans lesprit dun trs petit

    1 M. Dortous de Mairan, de lacadmie des sciences. Voyez le vingt-unime tome desLettres difiantes & curieuses pag. 76.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    24

    nombre de Chinois, tromps par les feintes poques de quelques

    astronomes, tout le reste de la nation se rcrie contre leur ignorance.

    Que dirait-on de ces Chinois, si ayant appris quun auteur europen a

    hasard dans un de ses ouvrages, que le monde existe de toute

    ternit, ils en concluaient que cest-l une opinion commune en

    Europe ?

    Les Chinois sen tiennent leur grande histoire, laquelle, bien

    loigne de donner dans de pareilles rveries, fixe le commencement

    de leur empire Fo hi, encore nassurent-ils point, quand & combien de

    temps ont rgn Fo hi & ses successeurs jusqu Yao ; ce nest que

    depuis cet empereur que leur chronologie leur parat sre ; & en effet il

    y a bien peu redire pour la dure totale & la distribution des rgnes, &

    pour les faits importants.

    De quelque ide quon soit prvenu, on ne peut gure disconvenir

    que les connaissances les plus certaines que nous ayons de la Chine, ne

    nous soient venues par le canal des missionnaires, qui ont pass la plus

    grande partie de leur vie dans la capitale & dans les provinces de ce

    grand empire, & qui par-l taient porte plus que personne, de nous

    en rendre un compte fidle.

    Cependant ces connaissances quils nous en ont donnes, sont assez

    bornes, & quelquefois mme dfectueuses. La plupart occups du

    grand objet qui leur a fait quitter leur patrie, & les a attirs dans cette

    extrmit de lAsie, p.VI ninstruisaient gure lEurope, que des

    dispositions quils trouvaient dans lesprit de ces peuples pour

    embrasser la foi, & des progrs que faisait lvangile parmi eux. Ce

    nest que par occasion, & comme en passant, quils ont touch

    lgrement quelques singularits des nouvelles contres quils

    habitaient.

    Il y en a eu qui, fortement sollicits par les savants dEurope, ont

    fait dans leurs moments de loisir des recherches assez curieuses, mais

    qui en certains points nont pas toujours t fort exactes, parce quils

    sen rapportaient aux livres chinois, dont les auteurs se portent

    naturellement exagrer les rarets & les merveilles de leur pays.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    25

    Cest principalement en ce qui concerne la gographie de ces vastes

    pays, que ces livres les ont fait tomber dans quelques mprises. Ils ont

    un peu trop compt sur lexactitude des Tchi chou : on nomme ainsi

    certains livres qui contiennent lhistoire de chaque ville & de son

    district. Parmi plusieurs choses remarquables que renferment ces livres,

    on y trouve le plan de la ville & le nombre de bourgs & de villages qui

    en dpendent, avec les distances o ils sont les uns des autres. Ces

    distances se marquent par des lis, ou stades ; mais ces lis ont plus ou

    moins dtendue dans les diverses provinces : de mme quen Europe il

    y a diffrence de longueur dans les lieues des provinces diffrentes dun

    mme royaume. La ville de Tong tcheou par exemple, qui est lest de

    Peking, passe pour en tre loigne de quarante lis : cependant suivant

    les mesures dont les cartes ont t dresses par les missionnaires

    gographes, elle nen est loigne que de trente. Dans la province de

    Chang tong, dix lis nen font que huit leur compte. Dans le nord de la

    province de Hou quang les mesures sont presque gales p.VII aux leurs,

    mais les provinces de Kiang nan, de Fo kien, & quelques autres,

    comptent les lis fort diffremment, comme on sen est assur en les

    comparant toutes la mme mesure. Cela seul suffit pour faire voir

    que les longitudes du Pre Martini, non plus que celles du Pre Nol, ne

    peuvent tre justes, parce quelles nont t dtermines que sur des

    distances telles que les Chinois les comptent par leurs lis ou stades,

    dont il fallait du moins connatre la longueur avant que de sen servir.

    De mme, par les observations que les Pres Rgis & Jartoux firent

    avec les meilleurs instruments, tant Si ning o ils demeurrent un

    mois, que dans quelques autres villes, ils trouvrent toujours entre les

    hauteurs quils prirent, & celles que prit autrefois le Pre Grueber, une

    diffrence de 29 30 minutes, soit que ce Pre et des instruments

    trop courts & mal diviss, comme il est vraisemblable, soit quil nait

    pas eu gard au diamtre du soleil.

    Du reste je ne crois pas quon entre dans le moindre soupon de la

    bonne foi de quelques missionnaires, qui nayant demeur que dans ces

    belles provinces, o la nature semble avoir tal toutes ses richesses,

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    26

    ont donn lieu de croire par les descriptions charmantes quils en ont

    faites, que toutes les autres provinces leur taient semblables : ils nont

    parl que de ce quils voyaient tous les jours, & si cette occasion on a

    pris en Europe de fausses ides du reste de lempire, ils nen sont pas

    responsables : ce quils ont dit nen est pas moins vrai. On navait pas

    encore parcouru toutes les provinces, comme on la fait depuis par

    lordre de lempereur, pour en dresser une carte exacte, & tcher, par

    un travail si pnible de mriter de plus en plus la protection de ce grand

    monarque en faveur de la p.VIII religion & de ses ministres. Cest par ce

    travail, continu pendant une longue suite dannes, quon a acquis des

    connaissances plus particulires & plus sres.

    Enfin le Pre le Comte, qui a crit avec tant dagrment sur la Chine,

    sest born certaines matires, & na pas prtendu en donner une

    relation rgulire & universelle ; il avertit mme quon doit regarder le

    recueil de ses lettres, comme des mmoires qui peuvent tre utiles

    ceux qui voudront dans la suite donner une description plus complte

    de ce grand empire.

    Cest cette description que je travaille depuis plusieurs annes : la

    quantit & la diversit des matires renfermes dans le projet que jen

    ai donn, a fait douter si lexcution y rpondrait. Mais on trouvera,

    ce que jespre, que jai entirement rempli mon dessein, tout vaste

    quil parat, & que je tiens mme au-del de ce que jai promis. Au

    moins nai-je rien nglig pour faire connatre cette vaste portion de

    lunivers par tous les endroits qui mritent de lattention, & pour

    massurer de la vrit de tout ce que jen rapporte.

    Jai eu entre les mains une quantit prodigieuse de mmoires venus

    de la Chine : la lecture de ces manuscrits, o la plupart des choses

    quon y traite, taient inutiles mon dessein, ne ma pas rebut, parce

    que jy trouvais de temps en temps des particularits, ou qui ntaient

    pas connues, ou qui confirmaient la vrit de ce quon avait dj publi

    dans des relations imprimes. Quand des gens dsintresss, &

    dailleurs clairs, crivant en diffrents temps & de diffrents lieux du

    mme empire, racontent les mmes choses, dont ils sont tmoins

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    27

    oculaires, comme sils les eussent concertes p.IX ensemble, il faudrait

    tre dtermin ne rien croire, pour ne se pas fier leur tmoignage.

    Dailleurs les frquents entretiens que jai eu avec quelques

    missionnaires revenus de la Chine, pendant le sjour quils ont fait en

    Europe, & encore plus les correspondances ncessaires & continuelles

    o je suis depuis vingt-quatre ans avec les autres missionnaires

    rpandus dans les diverses provinces de lempire, mont mis en tat

    den recevoir les secours & les claircissements dont javais besoin.

    Quelques-uns deux ont eu mme la complaisance de traduire avec un

    grand soin certains livres dhabiles Chinois, qui devaient entrer dans cet

    ouvrage, & qui fournissent la preuve dune grande partie des faits que

    je rapporte.

    Enfin, louvrage tant achev, jaurais pris le parti de lenvoyer la

    Chine, pour le faire examiner par quelques-uns des plus anciens

    missionnaires, si la chose et t dune excution moins lente & plus

    aise ; heureusement, lorsque je my attendais le moins, jappris que

    celui sur qui principalement je jetais les yeux, tait arriv en France, &

    serait dans peu de jours Paris : ctait le Pre Contancin que ses

    suprieurs avaient dput en Europe pour des affaires particulires de

    la mission.

    Ce Pre, habile & expriment, avait demeur trente-deux ans la

    Chine, dix ans Peking o il avait t suprieur de notre maison, & le

    reste du temps dans les diffrentes provinces. Pendant plus dune

    anne quil resta Paris, il et tout le loisir de lire plus dune fois cet

    ouvrage, & de lexaminer, comme je le souhaitais, avec lattention la

    plus srieuse, & avec la p.X plus svre critique. Cest en profitant de

    ses lumires, soit pour discuter certains faits douteux, soit pour y

    ajouter des particularits intressantes, que je me suis assur de

    lentire exactitude de tout ce que javance.

    Aprs ces prcautions que jai prises pour ne rien dire que

    dexactement vrai, on verra, ce me semble, avec quel soin jai tach

    dviter le reproche que je fais certains historiens modernes, de ce

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    28

    quils ont trop compt sur des mmoires peu srs & peu sincres, & que

    par crdulit, ou sans beaucoup de discernement, ils ont donn en

    Europe de fausses ides de cet empire.

    Pour ce qui est de lordre que jai cru devoir garder dans la

    distribution de tant de matires, on le trouvera tel que je lai marqu

    dans le projet, la rserve de lhistoire abrge de la monarchie

    chinoise que jai insre dans le premier tome, parce que cette

    connaissance quon prend dabord des empereurs & de ce qui sest

    pass sous leurs rgnes, est ncessaire pour faciliter lintelligence de

    tout ce que jen dois dire dans la suite.

    Cest pour cette mme raison que jai donn dabord une ide

    gnrale de lempire, qui reprsente sommairement & en gros tout ce

    que jexplique en dtail dans le corps de louvrage, & que jy joins en

    peu de mots lhistoire de certains peuples, & entrautres de la nation

    des Si fan, qui formait autrefois un tat puissant & redoutable aux

    empereurs mmes, mais qui dchire dans la suite par des guerres

    intestines, sest vu force de sassujettir la domination chinoise.

    Je nai pas d omettre les observations curieuses quont p.XI faites

    quelques missionnaires en traversant ces belles provinces, o ils

    marquaient jour par jour, & dans un grand dtail, tout ce qui soffrait

    leurs yeux, & o il semble, en les lisant, quon fait avec eux le mme

    voyage. Elles disposent la description qui suit des quinze provinces

    dont lempire est compos.

    On y voit un grand nombre de villes superbes par leur situation &

    par leur tendue, par la multitude de leurs habitants, par le concours

    extraordinaire de Chinois que le commerce y attire, par la beaut des

    difices publics, & par labondance qui y rgne : on y voit ce que des

    terres fertiles, & qui souvent donnent chaque anne une double rcolte,

    produisent de grains, darbres, & de fruits singuliers ; les mtaux de

    toutes les sortes, les minraux, & les marbres prcieux qui se tirent du

    sein des montagnes ; ces plantes rares, dont les racines sont si

    salutaires, & qui se refusent tout autre climat ; cette quantit de lacs,

    de canaux, de rivires larges & profondes qui fournissent abondamment

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    29

    des poissons de toutes les espces ; cette multitude surprenante de

    ponts hardis, solides, & embellis de divers ornements de sculpture, qui

    ont t levs pour la commodit du public ; en un mot, tout ce que

    lart & la nature y ont procur davantages, pour les besoins & les

    dlices de la vie.

    Outre la carte la plus gnrale qui renferme la Chine, la Tartarie

    chinoise, & le Thibet jusqu la mer Caspienne, on y trouvera la carte

    gnrale de la Chine seule 1, & les cartes particulires de chaque

    province, avec plusieurs plans des villes qui sont dune figure diffrente

    de celle des autres villes.

    Enfin, ce premier tome finit par une histoire abrge de p.XII cette

    grande & ancienne monarchie. Je me suis attach, comme je le devais,

    au sentiment universellement reu parmi les Chinois, qui conduisent

    leur chronologie depuis lempereur Yao jusquau temps prsent, & qui la

    regardent comme certaine, ainsi que je le remarque dans

    lavertissement qui prcde cette histoire.

    Tous conviennent que Fo hi a t le fondateur de leur empire, mais

    ils ne conviennent pas galement du temps qui sest coul depuis Fo hi

    jusqu Yao : Plusieurs croient quil y a eu des rgnes incertains ;

    dautres doutent que les empereurs placs entre Chin nong & Hoang ti

    se soient succds les uns aux autres, parce quil se peut faire que ce

    ntait que des princes tributaires, ou de grands officiers

    contemporains.

    Il se trouve mme quelques critiques, lesquels, par rapport au

    temps qui sest coul depuis Yao jusqu nous, disputent ensemble sur

    la dure plus ou moins longue dun rgne particulier, ou dune dynastie

    entire. Je nai point voulu entrer dans ces sortes de discussions, qui

    auraient t trop longues, & qui auraient rpandu de lobscurit & de la

    confusion dans la suite de lhistoire. Jai suivi sur cela le sentiment & de

    1 Le format de la prsente dition ne permet pas une reproduction utile de cette carte.On la retrouvera ici.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    30

    nos anciens missionnaires 1 les plus verss dans la littrature chinoise,

    & de la plupart de ceux qui vivent encore, & dont plusieurs ne le cdent

    aucun autre dans ltude & dans lintelligence des livres de cette

    nation.

    Ce quon peut dire en gnral, cest que les historiens chinois

    paraissent sincres, & ne chercher que la vrit ; quon ne voit pas

    quils soient persuads que la gloire dune nation p.XIII consiste dans son

    anciennet, & que, comme dautres nations, ils nont point eu de

    raisons prises du ct de lintrt ou de la jalousie des peuples voisins,

    pour altrer ou falsifier leur histoire, qui nest quune simple exposition

    des principaux vnements, propres servir dinstruction ou de modle

    la postrit.

    On dira peut-tre que le Chu king, qui contient lhistoire de ces

    premiers temps, & les autres livres canoniques, ont pri du temps de

    Chi hoang ti, qui ordonna sous peine de la vie, de les brler, & quen

    consquence, la perte de ces monuments doit rendre lhistoire fort

    incertaine.

    Lobjection serait sorte, si ces livres infiniment respects de la

    nation, eussent t rassembls dans le mme lieu, & quil net fallu

    que peu dheures pour les rduire en cendres. Mais ils taient disperss

    dans tout lempire & chez tous les lettrs : tous les livres ne furent pas

    proscrits ; on excepta entrautres les livres de mdecine, & dans le

    triage quon en fit, on trouva le moyen de mettre en sret plusieurs

    exemplaires de ceux quon ordonnait de proscrire. Le zle des lettrs en

    sauva un bon nombre ; les autres, les tombeaux, les murailles o on

    les cacha, devinrent un asile contre la tyrannie : peu peu lon dterra

    ces prcieux monuments de lantiquit, & ils reparurent sans aucun

    risque sous lempereur Ven ti, cest--dire, environ 54 ans aprs

    lincendie. Ainsi furent conservs ces livres, nonobstant les ordres

    rigoureux dun prince, qui par une fausse politique, ou plutt par une

    vanit ridicule, voulait les exterminer de ses tats.

    1 Les Pres Martini, Couplet, &c.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    31

    Je nignore pas quil parut, il y a quelques annes une table

    chronologique de la Chine, qui ne commence quau rgne de p.XIV Lie

    vang, cest--dire, 424 ans avant J. C. Elle a t dresse par un

    seigneur chinois qui vit encore, & qui tait viceroi Canton, lorsque les

    missionnaires y furent exils. Mais ce seigneur, ce que je sais trs

    certainement, na jamais eu, & ne sest jamais donn la rputation

    dhistorien. Il a encore moins prtendu faire un ouvrage raisonn sur

    lhistoire ancienne : bien loin de discuter la question de lantiquit

    chinoise, & den fixer lpoque au temps o il commence sa table, il

    serait vritablement offens, sil croyait quon le souponnt davoir

    avanc, ou davoir mme propos le retranchement de tous les rgnes

    qui ont prcd celui de Lie vang. Il ny a aucun Chinois qui ost publier

    un paradoxe si contraire lopinion reue de rgne en rgne dans toute

    la Chine. Cette table chronologique quil a donne au public, il la copie

    daprs un livre intitul Cang mou : ce quil y a uniquement de lui, cest

    quil la ajuste au cycle sexagnaire dune manire agrable &

    commode.

    Cest Tchu hi, crivain de rputation, qui est auteur de lhistoire

    nomme Cang mou, & il a suivi pour la chronologie Se ma ouen kong,

    autre auteur trs clbre. Mais ni lun ni lautre de ces fameux crivains

    na pens retrancher les trois premires familles, ni mme insinuer

    que les empereurs nomms dans le Chu king naient pas rellement

    exist, & ne soient que des personnages feints & allgoriques. Si

    quelquun la Chine savisait de leur attribuer une pareille opinion, il

    serait regard comme un visionnaire, & peut-tre que sa tmrit lui

    coterait cher. Tous deux commencent leur histoire par Fo hi, & lon a

    les commentaires de Tchu hi sur le Chu king, & sur le Chi king, o il

    parle toujours en homme qui suppose la ralit des p.XV rgnes & des

    princes dont il est fait mention.

    Confucius dont le temps est assez connu, parle en termes exprs

    des trois premires dynasties, nommes Hia, Chang & Tcheou & assure

    quil suit dans la pratique les rits de la dynastie Tcheou. Ce seul

    tmoignage suffirait la Chine pour faire couper la tte quiconque

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    32

    oserait dire quil faut retrancher ces trois premires familles impriales

    de lhistoire chinoise. Je ne crois pas mme quon ost proposer

    srieusement ce systme en Europe : car, ou il faut faire aussi de

    Confucius un personnage fabuleux, qui na ni exist, ni dit ce quon lui

    attribue ; ou il faut avouer quon a, dans la personne de ce philosophe,

    un tmoignage irrfragable de la ralit des trois premires dynasties,

    qui forment le corps du Chu king.

    Ainsi on ne doit pas croire que Se ma ouen kong & aprs lui Tchu hi

    aient prtendu rduire lpoque de lhistoire chinoise au rgne de Lie

    vang, ni en exclure les rgnes prcdents ; ils ont distingu dans

    lhistoire, des temps o ils ne croient pas que la chronologie, du moins

    en ce qui concerne le commencement & la fin des rgnes, & la suite des

    annes, par rapport aux Kia tse, ou cycles chinois, soit assez certaine,

    & elle ne leur parat telle que depuis lempereur Lie vang : cest leur

    extrme exactitude qui les a ports ne pas donner, quant la suite

    des annes, la chronologie entire pour galement certaine.

    Dautres critiques moins scrupuleux assurent que le commencement

    des annes de chaque rgne se peut marquer distinctement,

    commencer depuis lonzime empereur de la dynastie Tcheou. Or

    depuis ce temps-l jusqu lempereur Lie vang, o commence la table

    chronologique en question, on compte dix-sept empereurs.

    p.XVI Quoi quil en soit des diffrentes opinions de ces critiques, la

    chronologie de lhistoire chinoise ne se conduit pas moins srement

    depuis Yao jusquau temps prsent en ce qui regarde la suite des

    empereurs, & les faits les plus importants de leurs rgnes. Cest ce qui

    se dveloppera encore mieux, lorsquon entendra parler dans la suite

    de cet ouvrage les empereurs, & tout ce quil y a eu de plus illustres

    Chinois dans chaque dynastie, dont les discours auparavant disperss,

    ont t ramasss & recueillis par le feu empereur Cang hi.

    Aprs ces notions gnrales que je donne de la Chine, jentre dans

    un plus long dtail de tout ce qui concerne cette nation, de son

    caractre, de ses murs, de ses usages, de son gouvernement, de ses

    progrs dans les sciences, de sa religion, de sa morale, &c. & je traite

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    33

    toutes ces matires en autant darticles spars, auxquels je crois avoir

    donn la juste tendue que chaque sujet demande.

    Je parle dabord de lantiquit & de ltendue de cette monarchie, de

    lautorit de lempereur, de ses dpenses, de ses revenus, de ses

    quipages, de la magnificence de son palais, & de son cortge lorsquil

    sort ; de la forme de son gouvernement, soit civil, soit militaire ; des

    fonctions propres des mandarins, de leur pouvoir, & des honneurs

    quon leur rend ; des forces de lempire, des forteresses, des gens de

    guerre, de leurs armes, & de leur artillerie ; de la police qui sobserve,

    soit dans les villes, pour y maintenir le bon ordre, soit dans les grands

    chemins pour la sret & la commodit des voyageurs.

    Jexpose ensuite le gnie & le caractre de ces peuples, leur air, leur

    physionomie, leurs modes, leurs maisons, les meubles p.XVII dont elles

    sont ornes ; les chtiments dont on punit les criminels, & lordre qui

    sobserve dans les prisons o on les renferme.

    La noblesse ne se donne la Chine quau mrite : je fais voir

    comment elle sacquiert, & combien elle est diffrente de celle

    dEurope. Comme les Grands sont ennemis du luxe, en ce qui concerne

    leur personne, ils nen sont que plus magnifiques pour tout ce qui parat

    au-dehors : lon verra quelle est leur magnificence dans leurs voyages,

    dans leurs ftes, dans les ouvrages publics, tels que sont les ponts, les

    arcs de triomphe, les portes, les tours, les murs des villes, &c.

    Tout est rgl la Chine, jusquaux devoirs les plus communs de la

    socit, & cest ce qui ma fait parler des crmonies quils observent

    dans leurs devoirs de civilit ; dans leurs visites, & les prsents quils se

    sont les uns aux autres ; dans les lettres quils scrivent, dans leurs

    festins, dans leurs mariages, & dans leurs funrailles.

    Pour ce qui est du peuple, il est tout occup, ou la culture des

    terres, ou aux arts mcaniques, ou au commerce ; il ma donc fallu

    parler de lestime quon fait de lagriculture, & de ceux qui sy

    appliquent ; de ladresse & de lindustrie des artisans ; du commerce

    incroyable qui se fait au-dedans de lempire ; de la quantit de lacs &

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    34

    de rivires qui arrosent les provinces, & y produisent labondance & la

    fertilit ; des barques & des sommes, ou vaisseaux, sur lesquels on

    transporte tant de richesses dune province lautre ; des monnaies

    anciennes, & de celles qui ont cours maintenant dans lempire.

    Le commerce principal qui se fait au-dehors, surtout avec p.XVIII les

    Europens, consistant dans les ouvrages de vernis, dans la porcelaine,

    & dans les soieries, jexplique do lon tire le vernis, & comment le fait

    la porcelaine, & je donne la traduction dun ancien auteur chinois qui

    nous apprend la manire de nourrir & dlever les vers soie, pour la

    rendre & meilleure, & plus abondante.

    Les diverses estampes, o une partie de toutes ces choses seront

    reprsentes au naturel, les rendront encore plus sensibles.

    Les sciences, par lesquelles seules on parvient aux honneurs & aux

    emplois, & qui consistent principalement dans une parfaite

    connaissance des lois, de lhistoire & de la morale, mritaient une

    attention toute particulire. Cest aussi quoi je me suis attach.

    Je commence dabord par lide quon doit se former de la langue

    chinoise, si diffrente de toutes les autres langues mortes ou vivantes ;

    & pour cela je fais connatre quel en est le gnie, de quelle manire se

    prononcent les mots, qui ne sont que dune seule syllabe ; & jy joins

    un petit abrg de la grammaire de cette langue. Aprs quoi jexpose la

    manire dont ces peuples font leur encre, & leurs diffrentes sortes de

    papier, & comment ils impriment & relient leurs livres.

    Puis je viens aux tudes des jeunes Chinois, aux divers degrs par

    o ils passent, & aux examens quils doivent subir pour obtenir ces

    degrs, & parvenir enfin au doctorat. Un livre chinois, dont je donne

    lextrait, nous en instruit encore mieux. On y voit lordre quon doit

    garder pour enseigner les jeunes gens, le choix quon doit faire des

    matres, les traits dhistoire quon doit leur faire apprendre pour les

    former p.XIX aux bonnes murs, lexamen des tudiants qui aspirent

    aux divers degrs ; le modle du discours qui se fait dans lassemble

    des lettrs, & le projet dune acadmie, ou socit de savants.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    35

    Ce ne sont-l que comme des prliminaires qui conduisent

    naturellement la littrature chinoise, cest--dire, la connaissance

    de ces livres si anciens & si respects des Chinois, & quils appellent

    king. Ils entendent par ce mot une doctrine sublime, solide, & fonde

    sur des principes inbranlables. Ils en comptent cinq quils regardent

    comme canoniques du premier ordre, & quils appellent Ou king, cest-

    -dire, les cinq livres par excellence.

    Je donne le prcis de ces cinq livres ; savoir, 1 De lY king, qui est

    un ouvrage purement symbolique. 2 Du Chu king qui contient ce qui

    sest pass de mmorable sous les premiers empereurs & lgislateurs

    de la nation, leurs instructions sur le gouvernement, leurs lois & leurs

    rglements pour les murs, dont ces premiers hros ont t autant de

    modles ; & jen rapporte quelques extraits. 3 Du Chi king qui

    renferme des odes ou des posies, o lon fait lloge des hommes

    illustres, & o lon tablit les lois & les coutumes de lempire. On verra

    quelques-unes de ces odes, dont on a fait choix, & qui sont fidlement

    traduites. 4 Du Tchun tsiou, qui est infrieur aux trois premiers, mais

    qui ne laisse pas dtre fort estim des savants. Il continue les annales

    du royaume de Lou qui est maintenant la province de Chan long, 5 Du

    Li ki, qui est comme un mmorial des lois, des crmonies, & des

    devoirs de la vie civile.

    Aprs avoir fait le prcis de ces livres, qui sont dune p.XX antiquit

    trs recule, je viens aux quatre livres classiques ou canoniques du

    second ordre, appels Sse chu. Ce ne sont, proprement parler, que

    des explications & des maximes fondes sur ces anciens monuments.

    Ces livres sont de Confucius, ou ont t recueillis par ses disciples des

    maximes & des entretiens de ce clbre philosophe, que toute la nation

    regarde comme son matre. Je fais dabord un abrg de sa vie, aprs

    quoi ne mattachant qu ce quil y a de plus essentiel, je suis par ordre

    les chapitres ou les articles de chacun de ses ouvrages, qui sont : 1 Le

    Ta hio, cest--dire, la grande science, ou la science des adultes. 2 Le

    Tchong yong, cest--dire, le milieu immuable, ce juste milieu qui se

    trouve entre deux extrmits, & en quoi consiste la vertu. 3 Le Lun yu,

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    36

    cest--dire Discours moraux & sentencieux. 4 Meng tsee, ou le Livre

    du philosophe Mencius, qui donne lide dun parfait gouvernement.

    A ces quatre livres, jenjoins deux autres fort estims, & que les

    Chinois mettent au rang des livres classiques ; le premier sappelle Hiao

    king, cest--dire du respect filial, & contient les rponses que fit

    Confucius son disciple Tseng ; le second se nomme Siao hio, qui

    signifie la science, ou lcole des enfants.

    Voil proprement ce quon appelle la science chinoise, qui renferme

    les principes fondamentaux de leur gouvernement, & qui maintient un

    si bel ordre dans lempire. Il parat en effet que cest l la science la

    plus propre de lhomme, puisquelle regarde directement sa conduite, &

    les moyens de le rendre parfait selon son tat & sa condition.

    p.XXI Peut-tre croirait-on, & il est naturel de le penser, que le

    gouvernement de la Chine, appuy dabord sur ces principes, sest peu

    peu affaibli pendant une si longue suite de sicles, & sous tant de

    diffrents rgnes. Mais les Chinois nous apprendront eux-mmes quils

    ne se sont jamais relchs de la sagesse de ces maximes. Cest ce

    quon verra en parcourant la plupart des dynasties dans un recueil fait

    par les ordres & sous les yeux de lempereur Cang hi, dont le rgne, qui

    a prcd celui daujourdhui, a t si long & si glorieux.

    On trouve dans ce curieux recueil les discours & les rflexions de ce

    quil y a eu de plus grand, de plus habile, & de plus clair dans ltat. Ce

    sont diffrents empereurs qui parlent dans leurs dits, dans leurs

    dclarations, dans leurs ordonnances, dans les instructions quils envoient

    aux rois, aux princes tributaires, & aux magistrats ; ce sont les discours &

    les remontrances faites aux empereurs par les premiers ministres de

    ltat, & par les meilleures ttes de lempire. Tout ce quils disent, roule

    principalement sur le bon ou le mauvais gouvernement, sur lapplication

    lagriculture, sur les moyens de soulager les peuples, & de fournir leurs

    besoins, sur lart & la difficult de rgner, sur la guerre, sur lavancement

    des lettres, &c. La plupart de ces pices sont termines par de courtes

    rflexions de lempereur Cang hi, prince si habile en lart de rgner, qui

    les a crites du pinceau rouge, cest--dire, de sa propre main.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    37

    Les mmes matires sont traites dans deux autres livres dont je

    donne de plus courts extraits : le premier est une compilation faite sous

    la dynastie des Ming, le second est intitul p.XXII Les femmes illustres,

    o lon voit pareillement que sous diffrents rgnes, les dames

    chinoises se sont conduites, & ont gouvern leurs familles selon ces

    maximes.

    Par cette espce de tradition, lon jugera aisment que les principes

    fondamentaux du gouvernement stant toujours maintenus la Chine

    par une observation constante, on ne doit pas stonner quun si vaste

    tat ait subsist depuis tant de sicles, & subsiste encore dans tout son

    clat.

    Aprs ces dtails sur la forme du gouvernement chinois je passe la

    religion de ces peuples, leur morale, la connaissance quils ont des

    autres sciences, leur got pour lhistoire, pour la posie, & pour le

    thtre, & enfin leur habilet en fait de mdecine. Ce sont les

    matires que renferme le troisime volume.

    Au regard des religions approuves ou tolres la Chine, jexpose,

    selon lordre des temps, la doctrine des diffrentes sectes de cet

    empire, & je traite, 1 du culte des anciens Chinois : tout ce que jen

    dis est tir de leurs livres classiques ; mais sans entrer dans

    lexplication de ce quils entendent par Tien 1 ou Chang ti 2, qui est

    lobjet de leur culte : jen laisse le jugement au lecteur. 2 De la secte

    des tao sse dont je dcris le systme. 3 De la secte de lidole Fo, dont

    jexplique ce que ces idoltres appellent doctrine intrieure &

    extrieure. 4 Enfin de la secte de certains lettrs modernes, qui se

    sont fait une espce de philosophie, au moyen de laquelle, en

    sattachant moins au texte des anciens livres qu la glose & aux

    commentaires de quelques auteurs rcents, ils prtendent tout p.XXIII

    expliquer par les causes naturelles. Un ouvrage en forme de dialogue,

    o un de ces philosophes modernes expose son systme sur lorigine &

    1 Tien, Ciel, ou Esprit du Ciel.2 Chang ti, tre souverain, suprme empereur.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    38

    sur ltat du monde, fera sentir jusquo sgarent ces demi-savants.

    Ltablissement & le progrs de la religion chrtienne dans cet

    empire tait un article trop intressant pour lomettre : je me suis donc

    cru oblig den faire lhistoire ; mais comme je ne pouvais me dispenser

    de parler des contestations survenues dans les derniers temps entre les

    missionnaires, & que ces contestations nentrent quincidemment dans

    un ouvrage o je fais profession dviter toute dispute, je ne les touche

    que trs lgrement, ne prenant ici que la qualit dhistorien, &

    rapportant simplement & en peu de mots ce qui a t dit de part &

    dautre, soit par ceux qui ont attaqu avec tant de vivacit, soit par

    ceux quon a mis dans la triste ncessit de se dfendre.

    La philosophie morale fut de tout temps ltude principale des

    Chinois, & cest particulirement en sy rendant habiles quils peuvent

    obtenir les honneurs & les dignits de lempire. Mais afin de bien

    connatre quelles sont leurs ides & leurs maximes pour le rglement

    des murs, il faut entendre parler quelques-uns de leurs sages : cest

    pour cela que je donne lextrait de deux ouvrages de morale ; lun

    assez moderne & fort estim de la nation ; lautre plus ancien, qui

    contient des rflexions, des maximes, & des exemples en matire de

    murs.

    Les auteurs de ces deux traits ne font quexpliquer les principes

    rpandus dans ces livres si anciens & si respects, dont jai donn le

    prcis. Quoiquon ne puisse disconvenir quil ne sy trouve des maximes

    saines, des rflexions utiles, & des p.XXIV exemples humainement

    louables, on nen rprouve pas moins ce quil y a de vicieux ou de

    criminel dans les actions quils rapportent, & ce quil y a de faux ou

    doutr dans les rflexions quils font & dans les maximes quils

    dbitent.

    On est bien plus loign de vouloir introduire en Europe des

    docteurs chinois pour y donner des leons de vertu. La lumire de

    lvangile y brille dans tout son clat, & dveloppe nos yeux dune

    manire sensible, ce que toute la sagesse humaine na jamais pu

    quentrevoir.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    39

    Dans ce que les sages de la Chine, ainsi que les philosophes de

    lantiquit, ont dit de louable, ils ont suivi les lumires de la raison, &

    en les suivant, ils ont eu quelques semences, & une lgre participation

    de la vrit ; au lieu que les chrtiens connaissent la vrit dans toute

    sa perfection, puisquils connaissent J. C. qui est la vrit mme, la

    raison souveraine, & la sagesse subsistante de Dieu. Toute sagesse

    humaine nest que folie, si elle ne conduit pas J. C. Il ny a que nos

    livres saints, o sa doctrine est renferme, qui portent le caractre de

    la divinit, & cest cette doctrine cleste que tout homme qui ne veut

    pas sgarer dans de vains raisonnements, doit sattacher

    inviolablement, comme aux pures sources de la vrit.

    Les sages de la Chine ont vritablement connu quelques vrits,

    mais ni eux, ni les anciens philosophes si vants, ne les ont connu

    toutes ; ce nest que dans la loi chrtienne que se trouve une justice

    consomme, & ce nest quen se nourrissant de ses maximes & en les

    pratiquant, quon peut parvenir la vritable sagesse.

    Si les philosophes chinois ont parl quelquefois de lhumilit, dont le

    nom a t inconnu aux sages du paganisme, il p.XXV parat quils nont

    entendu par l que cette dfrence extrieure quon doit avoir les uns

    pour les autres, certains dehors dun air compos, certaines postures

    que lon peut prendre, comme de se mettre genoux, de se prosterner

    par terre ; certaines marques de soumission & dobissance quon rend

    aux parents, aux magistrats, & tous ceux qui sont revtus de quelque

    autorit : mais cette humilit intrieure, qui nous apprend humilier

    notre cur sous la puissante main de Dieu, reconnatre nos fautes,

    ne prsumer point de nous-mmes, nattribuer rien nos propres

    forces ; elle ne nous est enseigne, comme le remarque S. Augustin,

    que par la doctrine & les actions de J. C. lorsquil nous a dit : Apprenez

    de moi que je suis doux & humble de cur ; lorsqutant infiniment

    grand, il sest fait petit pour venir jusqu nous ; lorsque nayant point

    de pch effacer ni expier, il sest ananti, il sest rendu obissant

    jusqu la mort, & la mort de la croix. Lui seul tait capable de nous

    apprendre, & de nous faire aimer une vertu si sublime & si peu connue

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    40

    qui est nanmoins la base & le fondement de toutes les vertus.

    Les autres sciences nont pas t tout fait ngliges par les

    Chinois : mais y ont-ils fait de grands progrs ? Cest de quoi on sera

    en tat de juger par ce que jen rapporte. On saura du moins ce quont

    fait les missionnaires jsuites pour les aider perfectionner quelques-

    unes de ces sciences, & en particulier lastronomie, dans laquelle ils

    taient le plus verss, & pour leur apprendre les autres parties des

    mathmatiques quils ignoraient.

    Du reste, on ne peut nier quils naient du got pour la posie, &

    surtout pour lhistoire, soit pour crire fidlement & sans partialit

    lhistoire de leur nation, soit pour composer p.XXVI de petites histoires

    assez semblables nos romans, qui tiennent lesprit en suspens par la

    varit des incidents bien mnags, mais dont lunique but est presque

    toujours de porter la suite dun vice, ou la pratique dune vertu. Jen

    rapporte quelques-unes quon lira, je crois, avec plaisir.

    Je ne dis pas la mme chose de leurs tragdies, dont ils se sont

    forms des ides bien diffrentes des ntres. On verra par celle que je

    donne de leur faon, & qui a t exactement traduite, quel est en ce

    genre le gnie de la nation chinoise, & ce quelle a su tirer uniquement

    de son propre fonds ; car elle na jamais eu de communication avec

    aucune autre nation polie & savante.

    Il ne restait plus qu parler de la mdecine, & de la manire dont

    elle a t traite par les Chinois : cest ce que je fais en exposant

    dabord le systme gnral de leurs mdecins, & en faisant voir ensuite

    ce quils ont de singulier, savoir leur habilet juger des maladies par

    les battements du pouls, & connatre lutilit de leurs simples pour

    composer leurs remdes. Trois de leurs ouvrages feront juger quelle

    ide lon doit se former de leur science en cette matire. Le premier est

    un trait, intitul Le secret du pouls, dont lauteur vivait quelques

    sicles avant lre chrtienne ; le second est un court extrait de

    lHerbier chinois ; & le troisime est un recueil de plusieurs des recettes

    que ces mdecins emploient pour gurir diverses maladies.

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    41

    Jy joins un autre extrait dun ouvrage, dont lauteur nest gure

    favorable aux mdecins de sa nation. Il apprend ses compatriotes le

    secret de se passer du secours des mdecins & de leurs mdicaments :

    moyennant un rgime quil expose, & dont il a prouv lui-mme le

    succs, il prtend avoir trouv p.XXVII un moyen ais de prolonger ses

    jours dans une sant parfaite, & de devenir son mdecin soi-mme.

    Cest par-l que finissent les trois volumes, o il est parl de la Chine, &

    o je crois navoir rien omis de ce qui est ncessaire pour donner une

    connaissance parfaite de cette nation.

    Le quatrime & dernier volume est consacr tout entier la

    description de la Tartarie chinoise, de la Core, & du Thibet. On na

    gure connu jusquici que les noms de ces vastes pays, comme il est

    ais de sen convaincre, en jetant les yeux sur les cartes de nos plus

    habiles gographes : on en aura des connaissances particulires, & par

    les observations gographiques & historiques que je donne de ces

    diffrents tats, & par les huit voyages que le Pre Gerbillon a fait dans

    la Tartarie, par ordre ou la suite de lempereur. Ce Pre marque jour

    par jour, & dans le plus grand dtail, ce qui concerne ces vastes

    contres, qui stendent depuis la Chine jusqu la Tartarie dpendante

    de la Moscovie. Et je doute que les lecteurs pussent mieux sen

    instruire, quand ils feraient eux-mmes ces longs & pnibles voyages.

    Je fais plus, car bien que selon mon projet je ne me sois point

    engag entrer dans cette partie de la Tartarie qui appartient aux

    Russes, je ne laisse pas de donner la carte & la relation des nouvelles

    dcouvertes que le Capitaine Beerings a faites dans son voyage, depuis

    Tobolsk jusqu Kamtschacka, o il fut envoy par le feu Czar, pour

    examiner sil y avait un passage qui donnait entre dans la partie

    septentrionale de lAmrique.

    Tout se termine par le catalogue dune partie des latitudes

    observes, & des longitudes qui rsultent des mesures p.XXVIII

    gomtriques, dont les missionnaires se sont servis pour dresser le

    grand nombre de cartes quon donne au public. Cest sur le mridien de

    Peking que sont comptes ces longitudes ; & cest pour ne point

  • Description de lempire de la ChineTome premier

    42

    sexposer tomber dans quelque erreur, quon na pas voulu les rduire

    au mridien de Paris. Les latitudes ont t prises & observes avec

    dexcellents instruments, & faites avec un grand soin. On na point mis

    dans ce catalogue toutes celles quon a prises, parce quon en a pris

    plusieurs dans des lieux qui nont point de nom, ou dans des endroits

    trop peu remarquables pour tre placs dans les cartes.

    Comme ces cartes sont une partie considrable & trs intressante

    de cet ouvrage, on sattend sans doute que je rende compte des motifs

    qui portrent lempereur Cang hi faire lever la carte de son empire, &

    de la manire dont les missionnaires sy prirent, pour lexcution du

    plus grand ouvrage de gographie, qui se soit encore fait selon les

    rgles de lart.

    Ce grand prince ayant ordonn aux missionnaires de dresser une

    carte des environs de Peking, jugea par lui-mme combien les

    mthodes europennes sont exactes, & cest ce qui lui fit natre la

    pense de faire tirer de la mme manire les cartes de toutes les

    provinces de son empire, & de la Tartarie, qui lui est maintenant

    soumise. En chargeant les missionnaires de ce travail, il sexpliqua avec

    eux de la manire la plus obligeante, protestant publiquement quil

    regardait cette grande entreprise comme une affaire trs importante au

    bien de son empire, & pour laquelle il ne voulait rien pargner.

    En effet, les jours suivants il donna ordre aux grands tribunaux de

    nommer des mandarins pour prsider aux mesurages qui seraient

    ncessaires, afin de donner exactement les noms des p.XXIX lieux

    importants quon devait parcourir, & de faire excuter ses ordres aux

    magistrats des villes, en prescrivant chacun deux de venir sur les

    frontires de leur district avec leurs gens, & les autres secours dont on

    aurait besoin. Cest ce qui fut excut avec une exactitude

    surprenante ; preuve sensible du grand ordre & de la police admirable

    qui rgne dans un si vaste empire.

    On commena louvrage le 4 juillet de lanne 1708 suivant notre

    manire de compter, mais selon le calendrier chinois ctait le 16 de la

    quatrime lune, de lanne 47 de Cang hi. Le Pre Bouvet, le Pre

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