Poetique Chevalleresque Allemagne Au Moyen Age

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    Presented to theUBKARYofthe

    UNIVERSITY OF TORONTObyYORK UNIVERSITYLIBRARY

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    LE

    TOURNOI POTIQUEWARTBURG

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    Paris. Tipographi* de Firmin Didot frres, fiU et C', rue Jicob, 56.

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    yoLr^-buirjkrfecj.rLE

    TOUMOI POTIQUEWARTBURGj

    POEUE IIEIIIAND DU TREIZIEME SICLETKADUIT l'OLU L\ PIMIKKE FOIS EX FRANAIS

    AVEC DES NOTES EXPLICATIVES ET CRITIQUESET PRECEDE D'UNE ETUDE HISTORIQUE ET LITTRAIRE

    SLK LA

    POSIE CHEVALERESOUK DE L'ALLEMAGNE AL MOYEN ACEl'Ali

    L. C. E. ARTAUD-HAUSSMAIVIVEt j'enlendis une voin de joueiii>; de hi irr'.qui lourhaient leurs harpes . et qui chaiiUiienl

    conuiie un oanlique nouveau devant le ti-rnie.(Apocalypse, o. XIV, v. 2 et 3.1

    Nous saluons avec joie cette noble salle , oupuissent rgner longtemps les arts et la pan . onlongtemps encore ce cri retentisse : Vive le princede la Thuringe I Vive le landgrave Herni.inii ' (Richard W'AGsm. Tannhuser et la iournu

    pot'tit]uc de tu ff'artiifg, art. 11. se. .'

    PARISLIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRRES, FILS ET C

    IMPRIMEUPS DE L'iNSTlTUT, RUt JACOB, 50

    18 6.-;

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    FrWsA 32

    ?/-.JUL181997 J^./TVOfi^

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    A SON ALTESSE ROYALE

    CHARLES- ALEXANDREGRAND-DUC DE SAXE-WEIMAR-EISENACH.

    Monseigneur ,

    C'est un devoir pour quiconque entreprend d'crire surla Warthurg d'appeler sur son uvre la haute protectionde Votre Altesse Royale et d'implorer le patronage deVotre Auguste Nom. Grce l'heureuse restauration ac-complie par les ordres et sous la direction personnelle deVotre Altesse Royale, cette illustre forteresse^ cpii a mar-qu sa p)lace dans toutes les phases de l'histoire de VAl-lemagne., a retrouv l'clat dont elle brillait aux joursglorieux du Sngerkrieg. Grce Votre Altesse Royale ;l'image des Minnesinger revit dans la salle mme qui futle thtre de leurs potiques exploits. Grce Votre Al-tesse Royale, l'il contonple Sainte Elisabeth dans ceslieux qui la virent grandir ct de son futur poux., etqui plus tard, tmoins des merveilles de sa pit, vireiits'accomplir leMiracle des Roses. Qu'il soitpermis un d-fenseur convaincu du moyen ge, im fervent admirateurde l'art chrtien et de la posie chevaleresque, au dbutde ce livre o il a tent de faire connatre en France undes mmorables vnements qui ont illustr le nom de

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    Vj PITRE DDIC.ATOIRE.la Wartburg ^ cVen exprimer respectueusement sa recon-naissance Votre Altesse Royale, qui Sa noble sollici-tudepour ce monument cher VAllemagne a dj valu lenom de Second Fondateur de la Wartburg.Comme jadis ^ la Wartburg, Henri d' Ofte?'dinge) etWolfram crEschenbach^ en commenant leurs chants, in-voquaient le nom du Landgrave Hermann de Thuringe^protecteur de la posie allemande au moyen ge et htebienveillant des hommes les j)lus distingus en ces temjjsvar leurs talents et leur caractre^ moi-mme aujourd'hui^traducteur de l'uvre des chevaliers-potes, j'inscris entte de ce travail le nom du Prince qui, par Son noble d-vouement aux intrtsmoraux et intellectuels de Ses Etatset par la gnreuse faveur dont II a toujours entour leslettres et les arts^ S'est montr le digne Successeur duLandgrave Hermann et du Duc Charles-Auguste de Saxe-Wei?nar.

    Je rends donc un respectueux hommage ces grandesvertus que Votre Altesse Royale^ hritire des traditionsglorieuses de Son Ulustre Maison, fait briller aujourd'huisur le trne o rgnrent Louis le Saint et Sainte Elisa-beth, dont les noms vnrs sont unis celui de VotreAltesse Royale dans les bndictions de cepeuple de laThuringe, cjui la Providence semble avoir accord,dans la suite de tous les ges, ce bienfait inapjwciable,de possder toujours des Souverains, vritables pres de

    , leurs sujets, anims du plus noble zle pour le bonheurdu peuple que Dieu a confi Leurs soins.

    Sans cesser de me comporter en loyal sujet franais, jen'ai pas oubli. Monseigneur, que mes anctres ont tAllemands, et que, depuis le jour o Vun d'eux, Egolffde Kriegelstein , est tomb glorieusement Sempach, en1386, aux cts du DucLopold d'Autriche, et avec l'-lite de la chevalerie allemande, jusqu au jour o ils sontdevenus Franais, ils ont servi fidlement, pendcmt plu-sieurs sicles, sur les champs de bataille comme dcms les

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    PITRE DDICATOIRE. vijconseils, et au prix de leur sang comme l'aide de leurslumires^ soit les Empereurs de la Maison de Habsburg^soit les Princes-lecteurs de Saxe Vos Augustes Anctres.En ce temps o la prsomption de chaque gnrationvivante croit se grandir en rabaissaiit ses pres, et otant d'hommes^ se donnant le facile plaisir d'insulter cequi ri est plus, ambitionnent le titiste honneur de se si-gnaler pai^mi les calomniateurs du ]mss,je ne veux rienperdre de mon respect instinctifpour ce qui est fond surl'autorit de la tradition et la vnration des sicles. Jene renierai donc point les souvenirs de ma famille, et jene crois pas manquer mes devoirs envers la Frcmce ensuivant avec sympathie tout ce qui touche l'histoire etaux intrts de l'Allemagne, et en entourant dune res-pectueuse admiration les Princes auxquels seuls, aprsDieu et grce V intercessioii de Sa Sainte EgliseUniverselle, elle doit encore aujourd'hui et elle devralongtemps encore, ie l'espre, sa grandeur et sa pros-prit.

    Je suis avec le plus profond respectMonseigneur

    de Votre Altesse Royalele trs-humble et trs-obissant serviteur,

    ARTAUD-HAUSSMANN.Paris, le 18 fvrier 1865.

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    CHAPITRE PREMIER.

    INTRODUCTION.

    Et ayant abandonn l'ternel, le Dieu deleurs pres , ils allrent aprs d'autresdieux, d'entre les dieux des peuples qui taientautour d'eux.

    (Juges, c. II, r. 12.)Ce qu'on appelle la Benaissance fut eneffet la renaissance de l'idoltrie paenne dansles lettres et dans les arts,

    (MoNTALEMBERT. Histoire de sainte Eli-sabeth de Hongrie, ducliesse de Thu-ringe, Introd. )

    Jamaison n'a plus richement dot cju'au moyenge, ni plus ardemment cultiv le domaine del'me et de l'intelligence.

    (MONTALEMBERT. Lbs Movies d'Occidcnt,Introd., ch. IX.)

    On se reprsente trop gnralement le moyen gecomme une poque de barbarie , d'ignorance , de tn-bres. C'est un effet de l'ducation moderne , laquelleprside cet esprit de dnigrement systmatique du passque l'orgueil rvolutionnaire a mis si fort la mode.L'histoire du moyen ge, telle qu'on l'enseigne dans noscollges, n'est qu'un tableau confus de scnes de vio-lence , de meurtre et de rapine. La guerre partout , lepillage sans cesse , l'oppression universelle , les lois del'humanit mconnues , tous les excs impunis , la forcebrutale dcidant de tout, nulle cultui'e intellectuelle, leslettres, les sciences et les arts tombs en oubli : tel est le

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    INTRODUCTION.tableau qu'on se plat nous faire d'une priode qui adur mille ans dans la vie de nos peuples modernes. Deshommes grossiers, livrs sans frein leurs passions, nereconnaissant d'autre droit que l'pe, mprisant toutesles occupations de l'esprit : tel est le portrait qu'on seplat tracer de nos pres.

    Triste sentiment en vrit , celui qui pousse les hom-mes d'aujourd'hui renier leur pass et noircir leursanctres. trange confusion , que de dpeindre avec lesmmes couleurs l'poque transitoire oii les hordes bar-bares fondaient sur le monde romain , semant sur leurspas la mort et la dvastation, el la longue et glorieusepriode o les races nouvelles, solidement tablies sur laterre conquise, dveloppent en elles-mmes avec une vita-lit prodigieuse cette grande civilisation religieuse, cheva-leresque et fodale laquelle notre civilisation modernedoit tout ce qu'elle a de salutaire , et dont nos mursconserveront toujours, quoi qu'on fasse, l'empreinte ca-ractristique. Si donc, renonant toute ide prconue,nous parvenons rejeter loin de nous ces prjugs absur-des que notre sicle doit Voltaire et aux prtendus his-toriens de son espce ; si, anims du dsir de nous clai-rer et rsolus voir les choses comme elles sont, nousinterrogeons l'histoire , non pas cette histoire de conven-tion qu'on fabrique l'usage des collges, mais l'histoireauthentique, originale, puise dans les rcits des contem-porains et dans les monuments de toute sorte qui sontrests pour nous attester leur passage sur cette terre ; si,dtournant un instant nos regards de ces guerres et de cesspoliations qu'on reproche tant au moyen ge et dontpourtant notre poque, toute civilise qu'elle est, donnede si frquents et de si tristes exemples que, dans la bou-che des hommes d'aujourd'hui, le reproche est au moinstrange, nous consentons reposer nos yeux sur des sc-nes plus riantes , nous reconnatrons combien le tableaua t charg.

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    INTRODUCTION.Ce n'est pas que l'histoire du moyen ge ne prsente en

    effet, au dbut, quelques sicles auxquels on puisse appli-quer rpithte de barbares. L'enfance de tous les peuplesest insparable de la barbarie : les peuples modernes ontsubi cette loi commune , laquelle les peuples antiquesn'avaient pas non plus chapp : pour eux, comme pourleurs devanciers, la priode de formation fut signale pardes dsordres et des violences , par la grossiret desmurs, et par une clipse momentane des lettres et desarts. Mais cet ge fut essentiellement transitoire : ds queles conqurants ont pris racine sur le sol de leurs nou-velles patries, ds que les empires nouveaux sont fonds,nous voyons une brillante civilisation se dvelopper sousl'influence bienfaisante de l'glise, qui ne faillit jamais sa haute mission de tutrice des peuples. La hirarchie fo-dale tablit dans le gouvernement une pondration del'autorit souveraine et des franchises locales merveilleu-sement approprie au gnie des races modernes. Les peu-ples se rapprochent sous l'action de la papaut, lien pr-cieux d'unit en ces sicles d'isolement. L'instinct des;iouvelles races, ennobli par le christianisme et sagementdirig par le clerg, donne naissance la chevalerie, dontles salutaires maximes purent les murs et apprennent ces farouches hommes de guerre qu'il y a un droit su-prieur celui de la force, tandis que les prtres ensei-gnent aux rois qu'il y a un juge au ciel auquel ils devrontcompte de leur puissance. La science renat l'ombredes couvents, et les universits fondes par les moinesremettent en honneur ces grands crivains de l'antiquitque notre poque n'a pas t seule connatre. Enlin,sous la vive impulsion communique aux esprits par lemouvement des croisades, une littrature nationale prendnaissance, et la posie retrouve un ge d'or. Des chan-teurs courent de chteau en chteau, clbrant la religion,les combats et l'amour. Ces rudes guerriers, jadis si d-daigneux de tout ce qui n'tait pas le mtier des armes,

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    4 INTRODUCTION.coutent maintenant avec plaisir les rcits du trouvre, ets'intressent ses ingnieuses fictions. Les chevaliers eux-mmes dposent la lance pour la harpe : la posie est de-venue pour eux aussi noble que la guerre, et ils la regar-dent dsormais comme le plus digne dlassement d'unhomme d'pe. Les plus riches d'entre les seigneursaccueillent avec faveur ces potes qui portent l'perondor, ils se font leurs protecteurs et les attachent leurscours. Et enfin, l'exemple montant toujours plus haut, lesempereurs , les rois et les plus puissants princes se fontgloire d'inscrire leurs noms parmi ceux des chevaliers-potes.

    Le moyen ge a donc eu sa civilisation. Je n'en veuxpour preuve que ces admirables basiliques, sublimes lansde l'me humaine vers le ciel et vers l'ternit ; majes-tueuses personnifications de l'art chrtien, qui font plirgalement l'art antique et l'art moderne ; gigantesquesconceptions dont l'aspect crase et confond nos artistesd'aujourd'hui, frapps d'impuissance parce que la foi leurmanque, et avec la foi l'inspiration. Je n'en veux pourpreuve que ces pomes o sont chants tour tour, entraits si divers, gracieux, grandioses ou terribles, maistoujours avec la mme noblesse de sentiments , le mmeenthousiasme naf et sincre, et la mme richesse poti-que, les combats sanglants d'Odin , des gants et des fa-rouches guerriers Scandinaves, les vertus des chevaliersgardiens du Saint-Graal, les merveilleux exploits des pala-dins de la cour de Charlemagne, les saints mystres de larehgion, la magnanimit des princes, la beaut des da-mes, et les splendeurs de la nature. Assurment ce n'taitpas une poque de barbarie, d'ignorance et de tnbres,ce moyen ge qui a tenu la posie en si haut honneur, quia fait briller les arts d'un si vif clat, et qui a laiss der-rire lui tant de chefs-d'uvre pour redire sa grandeuraux sicles venir.Au reste, si l'on a contest cette civilisation du moyen

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    INTRODUCTION.ge, c'est qu'on ne la connaissait gure : on est naturelle-ment port nier ce qu'on ignore, et il faut avouer quel'ducation qu'on reoit de nos jours n'est pas faite pourporter la lumire sur ce qui touche au moyen ge. Depuisle mouvement qu'on est convenu d'appeler la Renais-sance des lettres et des arts au seizime sicle, mais quin'a t en ralit que le triomphe de l'influence italienneet des restes du paganisme, l'antiquit a fait invasion dansnotre littrature, dans nos arts, dans nos murs et dansnotre ducation, en bannissant l'lment national et in-digne. Les auteurs grecs et romains sont en possessionpresque exclusive de nos collges : c'est eux seuls qu'ontudie et qu'on admire ; les crivains modernes n'y sontadmis que dans une faible proportion, et seulement en tantqu'ils se sont borns imiter les anciens; quant la litt-rature du moyen ge, qui est notre vraie littrature na-tionale, puisqu'elle est le produit du gnie moderne livr lui-mme, dans toute la navet de sa jeunesse, et d-gag de tout mlange, de toute influence trangre, onfait autour d'elle le silence le plus absolu , et on n'en parlepas plus que si elle n'existait pas. C'est l une grave erreur.Qu'auraient pens ces Grecs et ces Romains que nousadmirons tant, si, au lieu d'lever la jeunesse d'Athnesou de Rome dans le culte des traditions nationales et dansle souvenir des guerres mdiques o i des guerres puniques,on lui et enseign de prfrence l'histoire de ces peuplesconnus sous le nom de barbares, c'est--dire trangers,avec lesquels cette jeunesse grecque ou romaine n'avaitrien de commun? N'est-il pas tout aussi draisonnable pournous, descendants de ces prtendus barbares, de faire pr-dominer dans notre ducation tout ce qui se rapporte ces peuples antiques et trangers, que tant de dissemblancescapitales sparent de notre race, au prjudice de ce quivient de nos anctres et de ce qui est en quelque sorte notrehritage patrimonial? x4.ssurment je ne demande pasqu'on enlve l'antiquit la part lgitime qui lui revient

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    b INTRODUCTION.dans l'ducation des gnrations modernes, ni qu'on privenotre race du prcieux hritage de lumires amass par lesraces qui ont t avant la ntre en possession de l'empiredu monde ; qu'on ne se mprenne pas sur ma pense : jedemande seulement que cette part de l'antiquit soit r-duite ce qu'elle doit tre, et qu'au lieu d'absorber exclu-sivement les loisirs des jeunes gnrations, elle n'occupeplus que le second rang, pour laisser nos productionsnationales etautochthones la premire place qui leur ap-partient de droit.

    Je me plais reconnatre tout ce qu'a de salutaire l'-tude de potes comme Homre et Eschyle, dont les su-blimes inspirations ouvrent l'esprit des aperus toutnouveaux, et de grands philosophes comme Platon et Ci-cron, qui, s'ils n'ont pas connu le christianisme, ont eu dumoins le mrite inapprciable de deviner quelques-unesdes vrits que le christianisme devait mettre en lumire.Mais je voudrais que l'tude de ces chefs-d'uvre de l'an-tiquit n'exclt pas celle des chefs-d'uvre du moyen ge.Tant de diffrences sparent notre socit de celle des an-ciens, que l'tude de ceux-ci, pousse au-del des limitesraisonnables, peut devenir, non-seulement inutile, maispleine de dangers. Dans l'ordre religieux, l'incrdulit oul'indiffrentisme ; dans l'ordre moral, le relchement desmurs ; dans l'ordre politique, le socialisme et la rvolu-tion : tels peuvent tre les rsultats de l'tude exclusive del'antiquit grecque et romaine, si elle n'est tempre par unetude approfondie des caractres distinctifs et des condi-tions d'existence de nos races modernes. Au lieu de cepartage rationnel, dans lequel l'lment national devraitavoir la prpondrance, voyez ce qui se pratique : le ca-tchisme est bien vite oubli, et pendant des annes en-tires on initie notre jeunesse aux lgendes de la mytho-logie paenne et tous les dtails du culte des faux dieux ;les lves ne savent pas encore le premier mot de ce quise passait il y a cinq cents ans sur le sol de notre propre

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    INTRODUCTION.patrie, et ils savent dj fort bien, quelquefois beaucouptrop bien, ce qui se pratiquait il y a deux mille ans surles bords de l'Hellespont, sur la place publique d'Athnes,et dans les assembles populaires de Rome, foyers perma-nents d'agitation dmagogique. Or je crois qu'il n'y auraitqu' gagner, sous le double rapport des murs et de lasituation politique des tats , ce que les jeunes gensconnussent un peu moins Pricls, Alcibiade et les Grac-ques, et beaucoup plus Frdric Barherousse, Philippe-Auguste et saint Louis ; ce qu'ils sussent un peu moinsbien l'histoire de la guerre du Ploponse , et beaucoupmieux l'histoire des croisades et les chroniques de Join-\'ille ; enfin et surtout ce qu'ils lussent un peu moinscertaines posies d'Horace, d'Ovide et de Catulle, et beau-coup plus la Chanson de Roland^ le Parcival de Wol-fram d'Eschenbach , la Vie de sainte Elisabeth, et leTournoi ])otique de la Wartburg.Reconnaissons toutefois que la rhabilitation du moyen

    ge, au moins dans le domaine des arts, a fait depuis quel-ques annes des pas immenses. L'archologie, science toutenouvelle, dj si fconde, et qui promet pour l'avenir desrsultats plus beaux encore, y a largement contribu. Il ya cinquante ans encore, l'expression de gothique tait em-ploye comme une injure, en ce qui touchait les arts aussibien qu'en politique, et l'on dsignait l'inverse sous lenom de bon style certaine architecture qu'on croyait trel'imitation, et qui n'tait en fait que le travestissement del'art grec. Aujourd'hui ces prjugs ont disparu, et pleinejustice est rendue l'art chrtien. Il faut maintenant tra-vailler la rhabilitation du moyen ge dans le domainedes lettres, en attendant sa rhabilitation dans le domainede l'histoire.

    C'est dans ces sentiments que j'ai entrepris de mettre la porte du public franais un des monuments les plusintressants de la littrature allemande du moyen ge.L'Allemagne est en effet, de toutes les parties de l'Europe,

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    O INTRODUCTION.celle o le moyen ge a marqu le plus profondment sonempreinte caractristique. En Italie et en Espagne, l'l-ment romain, profondment enracin dans le sol, a sur-vcu l'invasion et a constamment prdomin, absorbanten soi la race conqurante, l'inverse de ce qui s'est passailleurs : aussi les institutions, les murs et la littraturey ont conserv, de mme que la langue, une grande affi-nit avec ce qu'elles taient sous la domination romaine,et n'ont admis que dans une trs-faible proportion l'l-ment barbare. En France aussi, surtout dans les provincesmridionales, mais un bien moindre degr, le mlangede la race et les restes de la domination romaine ont con-tribu modifier les caractres de l'esprit frank et ontdonn la littrature une physionomie intermdiaire etmixte. L'Angleterre a d l'isolement de sa position insu-laire des institutions et une littrature elle propres, ga-lement distinctes de celles du monde antique et de cellesdu monde germanique. L'Allemagne seule, patrie des an-ciens Germains sur lesquels Rome n'avait jamais pu as-seoir son empire, et berceau des Franks qui avaient con-quis la Gaule, conservait au moyen ge et conserve encoreaujourd'hui, purs de tout mlange tranger, les caractresdistinctifs de cette grande famille germanique d'o se sontsuccessivement dtachs tous les peuples qui ont dmem-br l'empire romain et fond le monde moderne. C'estdonc dans les institutions et dans la littrature de l'Alle-magne que le moyen ge ralise son type le plus ori-ginal, et c'est l qu'il peut tre tudi avec le plus defruit.Le pome qui fait l'objet de cet ouvrage est le rcit

    d'un vnement semi-historique, semi-lgendaire, qui -aeu lieu dans le commencement du treizime sicle, et quijouit en Allemagne d'une juste clbrit. Transportons-nous par la pense cette poque, qui, dans tous les pays,fut l'ge d'or de la posie, mais qui, en Allemagne sur-tout, sous l'influence de ces empereurs de la maison de

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    INTRODUCTION. MSouabe, potes distingus et chevaliers accomplis, enmme temps que grands princes, ft briller d'un si vifclat le monde fodal parvenu la plus riche priode deses dveloppements. La scne se passe dans ce chteau deWartburg, auquel se rattachent tant de souvenirs, et quedevaient illustrer, quelques annes plus tard, les vertus desainte Elisabeth de Hongrie, pure et noble fgure, dou-blement resplendissante de l'aurole des saintes et de lacouronne des reines. Dans la grande salle qu'on appelleencore aujourd'hui la salie des chanteurs [Sngerhalle) ,sige le landgrave Hermann de Thuringe, un des princesdont la gnreuse protection donnait une impulsion sivive au mouvement potique; autour de lui sont runisles seigneurs et les dames des- pays d'alentour, convo-qus l'avance pour une fte solennelle. Au fond de lasalle, sur une estrade abrite par cette triple arcade quiporte encore le nom de tonnelle des chanteurs [Snger-laube), et o d'ingnieuses peintures, produits de la res-tauration accomplie sous la haute direction de Son AltesseRoyale le grand-duc Charles-Alexandre, font revivre nosyeux les Minnesinger sur ce thtre de leurs exploits, septchevaliers-potes, les plus illustres du temps, se livrententre eux, l'aide de leurs chants, un tournoi d'un nou-veau genre, une guerre potique; vritable combat enchamp clos, car le bourreau est prsent et doit donner lamort au vaincu : ainsi l'ont dcid les potes lorsqu'ilsse sont jet le df. Telle est la donne historique, et lalgende s'est plu l'embellir encore. La lutte se pro-longe : tantt les potes exaltent les vertus des princesqui les protgent, tantt ils se proposent des nigmes ode savantes allgories recouvrent des allusions aux mys-tres de la rehgion chrtienne et de sages enseignementsmoraux; l'un d'eux enfin a recours aux sortilges, et in-voque l'appui des puissances infernales contre son adver-saire, qui triomphe de cet appareil magique l'aide deses seules lumires et de sa foi. On voit quels riches d-

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    10 INTRODUCTION.veloppemenls comporte un pareil sujet, et quelle bril-lante carrire il ouvre au pote. On ne s'tonnera doncpas que l'Allemagne, en mme temps qu'elle regarde letournoi potique del Wartburg [Sngerkrieg auf Wart-burg) comme un vnement qui fait date dans l'histoirede sa littrature et qui en marque une des phases lesplus glorieuses, tienne en haute estime le pome qui ena perptu le souvenir, surtout si l'on considre que cepome rpond par l'originalit de sa forme l'originalitdu sujet : Le pome de la Wartburg, dit M. Yon der Hagen, runit en soi les trois formes principales de la(( composition potique : la forme lyrique , dans les(c strophes consacres l'loge des princes et aux nig- mes , avec leurs mlodies particulires ; la forme pi-ce que, dans les rcits qui prennent souvent place entre les chants; enfin la forme dramatique, dans la succes-(( sion alternative du dialogue plac dans la bouche des(( personnages et de l'action, succession qu'en plus d'un endroit nous sommes forcs do deviner, wAprs tant de savants ouvrages sur cette matire, aprs

    l'admirable dition des Minnesinger de xM.Yon der Hagen',aprs les intressantes tudes de M. Eichhoff sur la littra-ture allemande du moyen ge ^ aprs les remarquablestravaux de MM. Zeune^ Koberstein\ Ettmiiller^ Lucas*,Hermann de Pltz ', Simrock *, etc., sur le tournoi de laWartburg, je n'ai pas la prtention de faire pour lascience de nouvelles dcouvertes. Je me propose unique-

    ' Minnesinger, j vol., Leipzig, 1838, et Berlin, 1856.' Cours de littrature allemande la Facult des lettres de Paris

    1838.^ Ueber den Wartbu-gJirieg, 1820.* Ueber das umhrscheinliche Aller und die Bedeutung des Gedichts

    vom ^yartburgkrieg , Naumburg, 1823.' Der Singerkriec f ^yartburc^ llmenau, 1830. Ueber den Krieg von Wartburg, 1833.' Ueber den Sicngerkrieg auf Wartburg, Weimar, 1851.^ Der Wartburghrieg, Stuttgart et Augsburg, 1858.

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    INTRODUCTION. dlment de faire connatre la France un des plus curieuxvnements et une des plus intressantes productions dumoyen ge. Le pome de la Wartburg n'a jamais t, maconnaissance, traduit en franais ; cette traduction taitrpute fort difficile, et l'est en effet : d'abord parce queles strophes du pome sont parses et bouleverses dansdivers manuscrits, et qu'il faut en premier lieu les rtablirdans l'ordre qui parat leur avoir primitivement appartenu,c'est--dire reconstruire l'uvre tout entire; ensuiteparce que les manuscrits prsentent une foule de lacuneset d'interpolations; puis parce que le texte, quelquefoisaltr, est souvent obscur dans sa forme archaque ; enfinparce qu'on y trouve chaque pas des allusions des faits, des ouvrages et des personnages contemporains peuou point connus. Je ne me flatte pas d'avoir vit tous cescueils; mais je crois avoir donn une traduction exacte etfidle : je me suis attach la faire aussi simple et aussilittrale que possible, pensant que pour les uvres decette sorte il est essentiel de conserver la physionomie dutexte, et aimant mieux encourir le reproche d'avoir em-ploy quelquefois un style peu lgant que celui d'avoirtravesti le pome et dfigur la couleur locale.Je dois beaucoup aux livres de mes savants devanciers.Entre tous, les ouvrages de MM.Von der Hagen, Ettml-1er, Lucas et Simrock m'ont puissamment aid, soit pourl'interprtation des passages obscurs, soit pour l'explicationdes allusions. En ce qui touche l'ordre donner aux stro-phes, le travail approfondi auquel M. Simrock s'est livr cet gard m'a t d'un grand secours : je n'ai pas tou-jours suivi son opinion, tant s'en faut ; mais je me suisattach discuter avec soin l'ordre qu'il adoptait, toutes lesfois que j'ai cru devoir en adopter un autre.

    Avant d'aborder Ttude du pome en lui-mme et dela vie des personnages qui ont figur dans le tournoi, nousdevons constater rapidement l'tal de l'iVllemagne et de lachrtient au moment o a lieu cette mmorable lutte ;

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    12 INTRODUCTION.nous devons examiner au milieu de quels vnements po-litiques et littraires elle se place. Ce sera comme le cadredu tableau que je veux tracer, et je crois cette espce demise en scne indispensable pour comprendre et les pri-pties du combat et les allusions du pome.

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    CHAPITRE II.

    L'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE.

    Le monde tait alors envelopp par la foicomme d'un voile bienfaisant qui cachait lesplaies de la terre, qui devenait transpaient pourles splendeurs du ciel. Aujourd'hui c'est autrechose : tout est nu sur la terre, tout est voildans le ciel.

    (MONTALEMBERT. Histoire de sainte Eli-sabeth de Hongrie , duchesse de Tliu-ringe, Introd.)

    Cette grande organisation fodale.... taitfonde tout entire sur le sentiment du devoircomme entranant le droit sa suite, etdonnait l'obissance toute la dignit d'unevertu et tout le dvouement d'une affection.

    (Idem.)

    On raisonne beaucoup sur le moyen ge ; mais gnra-lement on le connat peu, et depuis la Rvolution fran-aise, les ides les plus errones ont cours sur tout ce quitouche cette priode. La Rvolution franaise fut, commetoutes les rvolutions du monde, une explosion de l'espritd'orgueil et de rvolte. Aux hommes qu'animait cet esprit,le moyen ge s'offrait comme le premier ennemi com-battre et le principal obstacle renverser : il fallait avanttout raser l'difice de foi et d'autorit lev par les sicles.Ce fut donc avec acharnement qu'ils entreprirent leuruvre de dmolition, et une sorte d'animosit personnelleprsida la proscriptiou des choses du pass. Les nova-

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    14 l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE.teiirs passrent en revue les institutions du temps, et tou-tes celles qui se rattachaient au moyen ge furent par celaseul, et sur la simple tiquette du sac , abolies : les plussalutaires ne purent trouver grce, et l'on se serait biengard d'tablir l'institution du jury si l'on avait su qu'elletait d'origine fodale. Aussi voyez quels furent les rsul-tats d'une prtendue rforme dont le principal mobiletait la passion : sous prtexte d'amliorer, on ne sut quedtruire ; sous prtexte de philanthropie, on fit tomber desminiers de ttes et on noya la France dans le sang ; sousprtexte d'inaugurer l're de la libert, on frappa de mort,de prison ou d'exil tous ceux avec qui l'on n'tait pas d'ac-cord ; sous prtexte de tolrance, on ne permit ses ad-versaires que de souffrir et de se taire; sous prtexte deproclamer les droits de l'homme, on confisqua en masse ;sous prtexte de patriotisme, on tira le rideau sur toutesles gloires de l'ancienne France, on vilipenda les plusbeaux noms de notre histoire, et on les remplaa par desnoms ridicules emprunts aux Grecs et aux Romains ; aumilieu des crimes les plus abominables et des aberrationsles plus monstrueuses qui aient jamais gar l'esprit hu-main, on osa proclamer que fhumanit s'tait trompependant six mille ans et qu'on lui apportait pour la pre-mire fois la lumire et la vrit ; enfin on dcrta le cultede la desse Raison au moment o un peuple entier drai-sonnait. Assurment nous sommes loin du fanatisme decette dsastreuse poque ; nanmoins les passions ne sontpas encore assez calmes pour qu'on envisage de sang-froid les choses du moyen ge, et bien des apprciationssont encore fausses par l'esprit de parti.

    Les ides de la Rvolution franaise ont fait le tour del'Europe, non qu'elles rpondissent un besoin des peuples,mais parce que l'esprit d'orgueil et de rvolte est de tousles pays et de tous les temps , et parce qu'on trouve tou-jours de l'cho quand on fait appel aux mauvais instincts del'humanit. Les injustices envers le moyen ge n'ont donc

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    l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE. 15pas t circonscrites en France: elles se sont propagespartout. Il serait temps d'en finir avec les opinions prcon-ues et de voir les choses comme elles sont. Le plan de cetouvrage ne me permet pas de tracer un tableau completdu moyen ge : mais je voudrais en donner une ide eninsistant sur les caractres les plus saillants.

    Trois mstitutions, trois principes prsident l'histoiredu moyen ge, et j'ajouterai qu'ils prsident toute l'his-toire des temps modernes, et qu'ils prsident encore de nosjours la vie de toute la grande famille europenne : dansl'ordre religieux, le christianisme ; dans l'ordre moral, lachevalerie; dans l'ordre politique, la fodalit. Le chris-tianisme est encore aujourd'hui l'lment vital et la svenutritive des peuples modernes : c'est en vain qu'au nomde ce qu'on appelle le progrs, on lui livre de furieux as-sauts ; c'est en vain que le rationalisme, la fausse science,l'orgueil et toutes les passions coalises lui portent chaquejour de nouveaux coups : inbranlable comme un rocbattu de tous cots par les flots de la tempte, l'Lglisechrtienne dfie toutes les attaques : elle ne succomberapas : car l'ternit lui est promise, etNotre-Seigneur a ditque les portes de l'enfer 71e prvaudrontpoint contre elle.La chevalerie est encore profondment enracine dans nosmurs, il n'est pas une de nos coutumes qui n'en porte latrace vivante, et l'on ne pourrait faire disparatre de la viede nos socits modernes les sentiments, les ides, lesusages et les pratiques qu'elles ont hrits de la chevalerie,sans qu'aussitt l'Europe cesst d'tre l'Europe, pour tom-ber dans un grossier matrialisme utilitaire qui serait lesigne de sa dchance et dont le Nouveau Monde peutseul nous donner une ide affaiblie. Quant la fodalit,je sais bien que la Rvolution cosmopolite se flatte, nonsans raison, de lui avoir port de terribles coups; mais lesides restent, mme aprs que la forme extrieure a dis-paru, et je suis persuad que si jamais on parvenait, ceque je crois d'ailleurs impossible, effacer de nos murs

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    16 l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE.ces sentiments de loyaut et de fidlit rciproques quiprsident aux rapports entre le souverain et les sujets, h-ritage fodal qui distingue nos monarchies modernes aussibien du despotisme oriental que de l'anarchie rpublicaine,les Etats europens seraient prcipits dans une confusiondont les rpubliques de l'Amrique actuelle, avec leurdroit du revolver, et les dmocraties de l'ancienne Grce,avec leur ostracisme et les tumultes de leurs places publi-ques, nous prsentent de tristes exemples. Comment lacroix s'est-elle leve triomphante sur les ruines des autelsdu paganisme ? Gomment la chevalerie a-t-elle pris laplace de l'affreux dvergondage de murs qui dvorait lemonde antique? Gomment la fodalit, magnifique combi-naison d'autorit centrale et de libert locale, a-t-elle suc-cd l'anarchie qui rgnait sur l'empire romain sous lesapparences de la monarchie absolue ? c'est ce que nousdevons examiner rapidement pour avoir une ide de la so-cit et du temps o s'est produite la lutte potique de laWartburg.

    Ge serait une erreur de prendre la lettre le nom demoyen ge, et de voir dans cette priode historique unge intermdiaire, servant de transition entre l'antiquitet les socits modernes. Il n'y a dans l'histoire univer-selle que deux divisions bien caractrises : le monde an-cien, dont l'empire romain fut la personnification la plusbrillante, et le monde moderne, qui trouva dans le moyenge, je ne dis pas la dernire tape de son dveloppement,mais l'expression la plus originale, en tant que pure encorede tout alliage tranger, de sa physionomie propre. Aumoment o le moyen ge commence, le monde connu estdivis en deux grandes contres, la Romanie et la Bar-barie, dont la seconde empite constamment sur les limitesde la premire ; deux races sont en prsence, celle la-quelle chappe le sceptre du monde et celle qui va s'en em-parer, et ces deux races sont entirement dissemblables.Dj bien des sicles avant, quand une invasion gau-

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    l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE. l7loise vint, son Brenn en tte, camper jusque dans Rome,on sait quelle fut la terreur des Romains l'aspect de cesguerriers de haute taille, aux longs cheveux blonds, auxyeux bleus et tincelants, dont l'imptueuse bravouretriomphait de la discipline des lgions. Ce fut bien pisquand plus tard Rome, poursuivant ses conqutes, fitpasser le Rhin ses soldats et les lana sur la Germanie.Les Romains n'avanaient qu'en tremblant sous ce froidclimat du Nord, sous ce ciel gris et brumeux qui leursemblait un prsage funeste ; l'aspect de ces noires fortsde chnes et de pins qui couvraient d'immenses tenduesde montagnes et qu'habitaient des troupeaux de bisons etd'autres animaux inconnus aux pays du Midi, pntraitleurs mes d'une mystrieuse horreur; ils se sentaient sansforce et sans courage en face de ces tranges ennemis,vtus de peaux de btes sauvages, la tte pare de cimiersmenaants emprunts aux dpouilles d'animaux mons-trueux, qui se prcipitaient au combat en poussant descris effroyables et en entonnant leur bardit, chant rauqueet sinistre rpercut par l'airain des boucliers. Et c'taienten effet des ennemis redoutables : ces peuples, commel'indiquait leur nom, ne connaissaient que la guerre etn'aimaient que le pril *. Le dsastre de Varus vint donnerraison aux sombres pressentiments des lgions, et pen-dant longtemps le nom d'Hermann, latinis par l'effroiromain en celui d'Arminius, fut la terreur des matres dumonde. La conqute romaine ne fut jamais que prcaireen Germanie. Le mme effet se produisit quand Csarvoulut conduire son arme victorieuse dans les les bri-tanniques : parvenus l'extrmit nord-ouest de la Gaule,sur les bords de la Manche, les soldats tremblaient lavue de cette mer houleuse et couverte de brouillards laquelle ils allaient confier leur vie, l'aspect de cette cte

    ' La vritable tymologie du nom de Germain vient de WrmanUfqui signifie homme de guerre.

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    18 l'ALLEMAGNE AL MOYEN AGE.hrisse de gigantesques falaises coupes pic, au pieddesquelles le reflux dcouvre d'immenses grves semesd'cueils aux formes sinistres o se brisent avec fracas lesflols soulevs par un vent qui souffle sans relche ; unefois dbarqus sur la terre britannique, leur bravoure taitparalyse au rcit des terribles lgendes qu'on racontaitsur cette rgion inconnue, vers laquelle, disait-on, unerace mystrieuse de pcheurs transportait minuit ducontinent les mes des trpasss \ En Bretagne comme enGermanie, les Romains ne purent fonder rien de durable.La religion de ces peuples, non moins que leurs murs,

    les sparait profondment des anciens. Ce n'est pas queleur polythisme n'et aucun rapport avec celui desGrecs. Comme les Grecs, ils avaient commenc par le na-turalisme, reprsent par l'adoration d'Ertha (la Terre),culte auquel avait succd, par l'invasion des Goths, l'an-thropomorphisme de la mythologie Scandinave, dont leWalhalla tait peupl , sous des noms diffrents , desmmes divinits que l'Olympe grec. Mais la diffrencenative des deux races apparat bien profondment tranchedans les caractres de ces deux mythologies. Chez lesGrecs et les Romains, ce ne sont qu'images gracieuses,fictions riantes et anecdotes scandaleuses qui retracentfort exactement les murs du monde antique. Chez lespeuples germaniques, au contraire, la rigueur du climat,l'aspect dsol des contres brumeuses et des mers glacia-les, la rudesse d'une vie toute guerrire o l'on estimechaque homme d'aprs le nombre d'ennemis qu'il a tus,se refltent dans le culte des divinits de nos pres, etdounent l'austre mythologie de VEdda un caractregrandiose et terrible. Ce ne sont que combats effroyableso s'entrechoquent d'un ct Odin et les Ases, de l'autreles gants, fils du Chaos, et les gnomes, gnies malicieux

    ' Cette lgende, rapporte par Procope, prouve quelle terreur les paysdu Nord iiispiraieut encore dans le sixime sicle aux hommes du Midi.

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    l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE |9qui habitent au fond des montagnes o ils travaillent l'oret le fer. Pour rcompense d'une vie remplie de hautsfaits, le guerrier doit aprs sa mort habiter le Walhalla,o, dans des festins de hros, il boira la bire dans lecrne de ses ennemis. Et quand Tacite, ce grand peintredes murs germaniques, nous dcrit dans des pages em-preintes d'une sombre posie les rites mystrieux du cultedel desse Ertha au fond d'un bois sacr, dans une le del'Ocan du Nord, quand il nous montre ce char couvert dedraperies plong dans un lac o l'on croit que la dessese baigne et o sont noys les esclaves choisis pour laservir, en sorte que nul ne peut sans perdre la vie contem-pler ces crmonies redoutables, on conoit quelle impres-sion de semblables rcits devaient faire sur l'imaginationdes peuples mridionaux.

    Mais ce qui sparait avant tout les Romains des barba-res, ce qui condamnait les socits antiques prir et cequi appelait les races nouvelles l'empire du monde, c'-tait le christianisme. Non que les peuples germaniquesfussent chrtiens : nous venons de les voir adonns au pa-ganisme, et ils ne devaient mme arriver la foi chrtiennequ'en passant par l'hrsie d'Arius. Mais par certains c-ts de leur caractre, par certaines ides, par certaines^coutumes propres leur race, ces peuples taient merveil-leusement prdisposs recevoir les enseignements chr-tiens ; en eux se montrait dj, mme dans cet ge d'en-fance et de barbarie, tout l'esprit des socits modernes, etsous la rude enveloppe du farouche guerrier, adorateurd'Irminsul et habitant des forts de la Germanie, on pou-vait deviner le brillant chevalier, fidle jusqu' la mort son Dieu, son roi et sa dame. Les sentiments de lafamille, rduits chez les Romains l'tat de fiction rgle-mentaire du droit civil, taient profondment enracinsdans le cur des races germaniques : la vie de famille vtait en honneur, comme l'tait l'inverse chez les an-ciens la vie de la place publique. La femme, tenue par les

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    20 l'aLLEMAGNE au moyen AGE.Grecs etles Romains dans une condition d'infriorit et pres-que d'esclavage, tait en Germanie libre et honore ; sonmancipation et sa rhabilitation, qui devaient tre l'uvredu christianisme, rpondaient aux ides et aux coutumesde ces barbares, chez lesquels brillait dj cette dlicatessede sentiment qui devait produire la galanterie chevale-resque. L'esprit d'individualisme, sur lequel est fonde ladoctrine chrtienne, dominait chez ces peuples, la placede l'esprit de socialisme qui treignait le monde antique.De l des nuances bien tranches dans le patriotisme desdeux races : le patriotisme des Grecs et des Romains aquelque chose d'abstrait : c'est le dvouement une divinitqu'on nomme la patrie, un tre fictif, une ide; lepatriotisme du barbare et de l'homme du moyen ge, aucontraire, a quelque chose de concret et s'applique unobjet rel : c'est le dvouement au sol o l'homme est n,au foyer qui runit sa famille, la cabane qui abrite sesenfants ou au chteau qu'ont habit ses pres, au chef qui il a jur fidlit , au clocher natal et l'autel o il apri. De l encore le point d'honneur, sentiment si in-connu aux anciens, qu'il n'existe pas dans leur langued'expression pour rendre le mot d'honneur avec le sensque nous y attachons; sentiment vivace chez les barbares,qui savaient dj qu'il y a de ces offenses qu'on ne peutvenger que par le jugement de Dieu, parle combat sin-gulier, et non par la justice du pays. Enfin Tacite nousdit des Germains : Tous ces peuples ont pour signe dis-cc tinctif leur respect pour la royaut. Ce trait compltele tableau : voil dj l'instinct monarchique des racesmodernes.

    Les socits antiques portaient dans leur propre corrup-tion le germe de leur ruine ; mais l'apparition du chris-tianisme fut leur arrt de mort : elles avaient fait leurtemps, et une re nouvelle appelait des races nouvelles.Les empereurs romains s'efforcrent de lutter par la per-scution ; mais la perscution ne fit qu'activer les progrs

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    22 l'Allemagne au moyen ge.nom de Csar [Kaist% Czar) h l'exercice du pouvoir su-prme. C'est ainsi que l'aigle romaine est devenue le bla-son de l'Allemagne du moyen ge, et a pris deux ttesquand la chute de l'empire d'Orient a runi les deux cou-ronnes.L'uvre d'organisation du moyen ge s'accomplit par

    la main de Charlemagne, gigantesque hros, prince in-comparable, le seul entre tous les hommes illustres dontla figure apparaisse plus grande encore dans l'histoire quedans la lgende : car, bien que la posie ait pendant plu-sieurs sicles redit ses hauts faits, son uvre surpasse en-core sa gloire. La runion sous le sceptre de Charlema-gne de tous les empires qui s'taient levs sur les ruinesdu monde romain fut un fait essentiellement transitoire.Le lien de cette puissante unit politique tait ncessairepour constituer l'unit de religion, d'institutions et d'idesqui devait tre le fonds commun des Etats modernes, aumilieu des diversits inhrentes leurs natures : il fallaitcomplter le triomphe du christianisme, incorporer lesSaxons dans la grande famille des races germaniques, re-fouler les Sarrasins, puis, une fois la socit europenneassure contre tout danger extrieur, discipliner les po-pulations encore barbares, tablir des lois, jeter les basesd'un gouvernement rgulier. Mais quand l'uvre civilisa-trice du grand empereur eut port ses fruits, chaque natio-nalit reprit naturellement son indpendance, et chaquepeuple retrouva des conditions d'existence conformes son gnie particulier.A partir de ce moment, le systme fodal se dvelopperapidement et tend ses ramifications sur tous les Etats

    sortis du dmembrement de l'empire karolingien. Cetteforme d'un gouvernement fond sur la proprit territo-riale et sur la hirarchie du sol est d'origine exclusivementgermanique : on n'en dcouvre nulle trace dans l'antiquit,et, l'inverse, la facilit avec laquelle elle s'tablit dans lemoyen ge atteste sa parfaite conformit avec le gnie des

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    L'ALLEMA(iNE AU MOYEN AGE. 23races issues de l'invasion. Considr en lui-mme, ce gou-vernement assis sur la proprit du sol tait favorable laprosprit de l'agriculture , au dveloppement de l'espritlocal, la multiplication des foyers de civilisation et d'ac-tivit intellectuelle, et il est incontestable que cette locali-sation de l'autorit , rpandant la vie et propageant lesides sur les points les plus reculs du territoire , donnaune puissante impulsion* au rveil des lettres et des artsqui se produisit au douzime sicle et dont je parlerai dansle chapitre suivant.

    Le rgime fodal prsente d'ailleurs en toutes ses partiesune pondration de pouvoirs prcieuse surtout en untemps o l'on tait prompt trancher les questions par leglaive : ainsi l'autorit royale est balance par les droitsseigneuriaux, et ceux-ci leur tour par les franchises com-munales ; partout se montre un systme de prcautionsdestines sauvegarder le droit de chacun dans une po-que o les murs belliqueuses favorisaient les empite-ments. De mme, comme garantie contre les violencesinsparables d'un ge de formation^ apparat le principeque nul ne peut tre jug que par ses pairs. Ainsi, en d-pit des sottes dclamations des rvolutionnaires empresss calomnier ce qu'ils ignorent, la fodalit fut un bienfai-sant rgime de franchises, de protections et de garantiesefficaces; ce fut la vraie solution de ce difficile problmede la conciliation de l'ordre et de la libert, que les uto-pistes modernes, les philosophes du dix-huitime sicle etles idologues du dix-neuvime, ont vainement essay dersoudre par des systmes hybrides o la rpubhque secache sous |es apparences trompeuses de la monarchie, ol'autorit est toujours sacrifie, et o rgnent en ralitl'anarchie et les licences de toute sorte.

    Mais le remde le plus efficace contre les abus de laforce, c'tait le pouvoir du clerg. Dans tout le moyenge, l'Eglise prside l'ducation des peuples naissants etdirige leurs premiers pas dans la voie de la civilisation. En

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    24 l'allemagne au moyen ge.l'absence d'un lien politique entre les Etats, le Saint-Sigerompait l'isolement des races, rapprochait les rois et lespeuples dans le lien fdratif de l'unit chrtienne, et usaitde son autorit spirituelle pour aplanir les diffrends etpour donner le signal des grandes entreprises qui intres-saient toute la chrtient. L'intervention du clerg dansles affaires intrieures des tats ne fut pas moins salutaire.A l'glise revient la gloire d'avoir la premire conu etenseign la grande ide du droit primant la force. La r-gle fodale disait l'gard de la classe des serfs : Entre toi, serf, et ton seigneur, point de juge, fors Dieu. Mais quelle force avait cette restriction fors Dieu dans unepoque de foi et avec l'ascendant moral dont le clerg taitinvesti Le prtre rappelait au roi que, prcisment parcequ'il tenait son pouvoir de Dieu, il devrait compte Dieu de l'emploi qu'il en ferait. La puissance du sei-gneur sur les serfs tait absolue et sans appel devant leshommes ; mais l'appel Dieu tait relev par l'glise : leprtre ne craignait pas de refuser l'absolution quicon-que avait msus de son pouvoir, et le seigneur le pluspuissant tait contraint de s'humilier devant l'autorit decelui qui parlait au nom de Dieu. Assurment c'tait unesrieuse garantie, cet appui que les opprims taient srsde trouver dans l'glise. D'ailleurs le servage lui-mmen'avait absolument rien de commun avec l'esclavage : ja-mais il n'a t admis au moyen ge, comme on l'admet-tait chez les anciens, que l'homme ft une chose, suscep-tible de proprit ; l'influence du christianisme avait effaccette triste thorie, et c'est faire une injure gratuite aumoyen ge que de confondre, comme on le fait trop sou-vent dessein, deux institutions si profondment dissem-blables. C'est encore sous l'influence de l'glise et sous lesouffle de l'esprit chrtien que naquit la chevalerie, avecson code de gnrosit, de loyaut et d'honneur, et il estais de comprendre combien ces nobles maximes, qui en-seignaient la saintet des- promesses, l'inviolabilit du

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    l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE. 25droit, le culte des femmes et la protection des i'aibles du-rent favoriser le progrs moral et le respect toujours plusgrand des lois de la justice et de l'humanit.

    Tel est le tableau que prsente la socit du moyen ge.Jetons maintenant un coup d'il sur la situation particu-lire de l'Allemagne la mme poque et sur les vne-ments qui l'occupent au moment o les potes engagent lalutte la Wartburg. Nous avons vu que le dmembre-ment de l'empire de Charlemagne avait rendu leur in-dpendance et leur isolement les diverses nationalitsrunies un instant sous son sceptre. De ce moment seu-lement date la sparation de la France et de l'Allemagne,que deux des fils de Louis le Dbonnaire se partagrent,en se promettant dans un serment mmorable de respecterleurs deux royaumes dsormais distincts. La dignit im-priale, aprs avoir disparu quand il n'y avait plus dette digne de porter la couronne de Charlemagne, fut re-leve par Otton le Grand, et ds lors l'Allemagne fut do-te de la constitution la plus conforme son caractre.C'tait une vaste confdration fodale dont les membrestaient relis entre eux par la suzerainet d'un chef su-prme qu'ils lisaient eux-mmes et qu'ils choisissaientdans leurs rangs. Dans le principe, la noblesse tout en-tire participait cette lection, que ratifiaient mme lesacclamations du peuple; plus tard l'exercice de ce droit seconcentra entre les mains d'un nombre restreint de princesqui s'arrogrent le privilge d'lire seuls au nom de toutela noblesse. Le chef ainsi lu tait investi du pouvoir sou-verain, et s'appelait roi des Romains; mais il ne prenaitle titre 'empereur romain toujours Auguste qu'aprsavoir t couronn par le pape, et alors il pouvait assurerl'hrdit son fils en le faisant lire , de son vivant, roides Romains. Seul entre tous les rois , qui ne portaientalors que la couronne fleurons, l'empereur portait lacouronne ferme , dont la forme rappelait celle de latiare. Le globe surmont de la croix, qui figurait parmi

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    26 l'ALLEMAGNE AU MOYEN AOE.les insignes impriaux, symbolisait ses prtentions reiii-pire du monde : il tait le chef temporel de la chrtient,comme le pape en tait le chef spirituel. Une splendeurincomparable environnait son trne : de puissants princeset des rois mme ambitionnaient les grandes charges deson palais et s'honoraient de le servir au festin du couron-nement. Dans cette majestueuse personnification de l'Em-pire germanique se ralisait la seule unit politique quiconvnt et qui convienne encore aujourd'hui au gnie al-lemand. Car ce lien fodal, runissant les populations dansune communaut d'origine, de moeurs et d'intrt, res-pecte du moins cet esprit d'indpendance locale que l'Al-lemagne conserve encore de nos jours aussi vivace qu'aumoyen ge, et cette vaste dcentrahsation laquelle, dansl'ordre intellectuel autant que dans l'ordre politique, laprosprit et la grandeur de l'Allemagne sont intimementlie^, et que l'unitarisme rvolutionnaire tente aujourd'huivainement de dtruire, au mpris des diffrences nces-saires que le caractre particulier des diverses races im-pose leurs conditions normales d'existence et partant la forme de leur gouvernement.

    L'histoire de l'Allemagne, durant tout le moyen ge, estremplie par la lutte de la papaut et de l'empire. Cettelutte est dans toute sa vivacit au moment du tournoi po-tique de la Wartburg. Commence par une simple questionde rforme ecclsiastique, par une srie de mesures salu-taires destines rendre l'Eglise sa puret primitive ;continue par une querelle de comptence sur les investi-tures, 011 les droits respectifs du pouvoir ecclsiastique etdu pouvoir fodal eussent t facilement discerns et dli-mits sans l'injuste rsistance que les empereurs de la mai-son de Franconie opposrent aux lgitimes revendicationsdu Saint-Sige ; cette lutte s'tend et grandit sous la dynas-tie de Souabe, et prend enfin un caractre exclusivementpolitique : c'est dsormais, et pour bien des sicles encore,la lutte entre l'influence allemande et l'influence italienne,

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    l'ALLEMAGNE AU MOYEN AGE. 27entre les Gibelins qui veulent maintenir les prrogativesde la couronne impriale et son droit de suzerainet surla Pninsule, et les Guelfes qui veulent humilier l'empireet tendre sur toute l'Allemagne la suprmatie italienne;et la fodalit allemande , la voix de ces empereurs-chevaliers qu'elle regarde comme les vrais reprsentants etles dfenseurs intrpides de ses droits hrditaires et deson indpendance nationale, se prcipite avec ardeur dansce combat oii elle soutient une cause personnelle et pa-triotique. Nous retrouverons les souvenirs et les traces vi-vantes de cette lutte chaque page du pome de la Wart-burg.

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    CHAPITRE III.

    LA POSIE AU MOYEN AGE.Quand on lit leurs uvres avec la sympathie qu'entrane

    une foi religieuse identique la leur, avec l'apprciationimpartiale d'une socit o l'me dominait un si hautpoint la matire, on se demande ce qui a donc t inventde nouveau par les crivains des sicles plus rcents; oncherche ce que la pense et l'imagination ont gagn enchange des puis trsors qu'elles ont perdus. Car, il faut lesavoir, tous les sujets dignes d'un culte littraire ont tchants par ces gnies mconnus, et glorifis par eux de-vant leurs contemporains; Dieu et le ciel, l'amnur, lagloire, la pairie, les grands Imnimes, rien ne leur a chipp.Il n'est pas un secret de l'ire qu'ils n'aiet'.t dcouvert, pasune mine de sentiment qu'ils n'aient exploite, pas une fibreducur humain qu'ils n'aient remue, pas une cordede cettelyre immortelle dont ils n'aient tir des accords dlicieux.(MoNTALEMBERT. Hist. de Sainte 'dsabeth de Hon-

    grie, duclicsse de Tlmringe, Introd.)Il semble que cet immense mouvement des mes que

    reprsentent saint Dominique, saint Franois et saint Louisne pouvait avoir d'autre expression que ces gigantesquescathdrales qui paraissent vouloir porter jusqu'au ciel, ausommet de leurs tours et de leurs niches, l'Iiommiigeuniversel de l'amour et de la foi victorieusedes chrtiens....Il faut aux pontifes et aux architectes quelque combinaisonnouvelle qui se prte et s'adapte toutes les nouvellesrichesses de l'esprit catholique ; ils la trouvent en suivantces colonnes qui s'l\ent vis--vis l'une de l'autre dans labasilique chrtieime, comme des prires qui, en se rencon-trant devant Dieu, s'inclinent ei s'embrassent comme desS4Eurs : dans cet enibrassement, ils trouvent l'ogive Aulieu de s'tendre sur la terie comme de vastes toits destins abriter les fidles, il faut (jue tout jaillisse et s'lance versle Trs-Haut. La ligne horizontale disparat peu peu, tantdomine l'ide de l'lvation, la tendance au ciel. [Idem.)

    Les peuples ont leurs ges comme les individus, et leureunesse, comme celle de l'homme considr isolment,rvle une vitalit dont les ges suivants ne tardent pas se dpouiller. Aussi la fracheur, la navet, la sponta-

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    30 LA POSIE AU MOYEN AGE.nit de la jeunesse clatent dans les monuments littrairesde tous les peuples en leur priode d'enfance : tout l'effortintellectuel de ces poques primitives se rsume dans laposie. Plus tard, avec les progrs de la civilisation, lascience se rpand; l'rudition succde l'instinct, la formese perfectionne, mais l'inspiration y perd. C'est ainsi quela posie des temps hroques de la Grce, uvre de chan-teurs ambulants, atteint du premier coup, dans Homre,une grandeur de conception et une dlicatesse de senti-ment dont n'approcheront plus les chefs-d'uvre de sesplus beaux sicles littraires. La vie de l'homme en cestemps primitifs semble d'ailleurs porter son me la po-sie : il n'est pas encore renferm dans l'enceinte des gran-des villes, o les affaires publiques et prives occupentseules sa pense : il vit continuellement en face de la na-ture, et l'admirable spectacle qui se droule tous les jourssous ses yeux devient pour lui une source fconde de su-blimes inspirations. A ce titre, le moyen ge devait treune priode de mouvement potique, et les conditionsd'existence oii ces jeunes races se trouvaient places de-vaient seconder puissamment leurs facults naturelles :tandis que la vie mditative et la culture intellectuelle sedveloppaient l'ombre des clotres, la vie d'un seigneurfodal tait merveilleusement propre donner l'essor auximaginations : du haut du chteau suspendu au sommetd'une montagne, o il vivait entour de sa famille et deses hommes d'armes, son regard embrassait tout le paysd'alentour; la guerre, avec ses mille pripties, la chasse,cette image de la guerre, les courses dans les forts, lesexcursions prilleuses, les embuscades, c'taient l ses oc-cupations de tous les jours. On conoit ce que les mo-tions d'une telle vie et le charme qui en est insparablepeuvent donner l'instinct potique.

    Tacite nous montre dj les Germains comme un peuplecultivant et honorant la posie : Ils ont des chants, dit-il, qu'ils appellent le hardit, d'o ils augurent le succs

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    LA POSIE AU MOYEiV AGE. 31 du combat. Car ils tremblent ou font trembler selon la manire dont l'arme l'a entonn; ce sont moins des paroles que le bruyant (Toncert de l'enthousiasme guer- rier. On s'attache le former des plus rudes accents, de sons rauques et briss, en serrant le bouclier con- tre la bouche, afin que la voix rpercute s'chappe plus forte et plus retentissante. Il dit encore : Leurs an- ciens chants sont leurs seules annales. En effet noustrouvons chez tous les peuples barbares des potes, dsi-gns par diffrents noms suivant les pays {bardes, scal-des, etc.), dont la mission tait de chanter au moment ducombat pour animer le courage des guerriers en leurrappelant les traditions religieuses et patriotiques de leurnation, les exploits de leurs hros et la gloire de leurs an-ctres. Mais en ces temps d'invasion o une lutte achar-ne et constante est engage entre deux mondes dont l'undoit succomber sous les coups de l'autre, entre diversesraces que divisent des haines mortelles, en ces temps decombats sans merci et sans trve, on ne peut s'attendre voir une littrature prendre naissance, et les seuls monu-ments que nous lgue cette rude poque sont quelqueschants guerriers empreints d'une posie sauvage, commele clbre Hymne de mort de Ragnar Lodbrok, condamn prir dans un donjon rempli de serpents, le pome deHildebrand et Hadebrand, o nous voyons le pre com-battre contre le fils, et les Chants de Louis III et d'A-thelstan^ qui racontent les victoires des Franks et desAnglo-Saxons sur les pirates normands.Au bruit des armes, l'tude et la posie se rfugientdans Tenceinte des couvents, seules retraites impntra-bles aux ravages de la guerre qui s\issait alors sans re-lche. Au milieu des troubles qui remplissent les premierssicles du moyen ge, les monastres taient les seulsasiles o put se conserver l'hritage littraire du pass. Lecaractre sacr de ces forteresses intellectuelles les mettait l'abri de toute attaque ; les invasions qui dvastaient les

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    32 LA POSIE AU MOYEN AGE.terres voisines passaient sans s'arrter devant leurs murs ;le tumulte du monde alarm et le fracas des orages poli-tiques expiraient leurs portes. L, dans le silence et lerecueillement de la vie claustrale, les moines pouvaientencore cultiver les arts que la guerre avait bannis de lasocit laque. Toutes les littratures du moyen ge na-quirent donc dans les clotres : les premiers chroni-queurs, les premiers potes furent des moines. Aussitoutes les productions littraires de ces premiers siclesprsentent en tous pays un frappant caractre d'unifor-mit : partout les mmes sujets religieux , partout la lan^gue de l'glise. Les seuls monuments de cette priodesont des rcits sur la vie des saints, auxquels se joignentquelques chroniques sur les faits de l'poque ; toutes cesuvres sont crites en latin.Le premier rveil littraire fut d Gharlemagne, quimit en honneur l'idiome tudesque, en faisant recueillir

    les anciens chants nationaux des Franks. A partir de cemoment en effet, le latin, qui reste la langue officielle dugouvernement et de l'glise, cesse d'avoir le monopole dela composition potique : un grand nombre d'ouvragescrits en langue vulgaire apparaissent ; mais la littraturereste encore exclusivement monastique et religieuse. Al'exemple de l'cole qu'il avait fonde dans son palais,Gharlemagne en tablit d'autres sur tous les points deson empire. Il enrichit de ses dons les anciennes abbayesfondes par ls premiers aptres du christianisme, il encre de nouvelles aprs avoir soumis et converti lesSaxons, et dans tous ces clotres s'lvent des coles ol'on tudie les auteurs anciens et la philosophie d'Aristote,qui deviendra si populaire dans les universits des siclessuivants. Les plus clbres de ces abbayes, Saint-Wandrilleen Normandie, Saint-Gall, Gorwey, Fulda, Hildesheim,Einsiedeln, Reichenau, deviennent des foyers d'rudition.A la suite de Raban Maur, lve d'Alcuin, qui enseigna Fulda, et qui mourut archevque de Mayence, de savants

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    LA POSIE AU MOYEN AGE. 33matres se perptuent dans ces coles monastiques, d'osortent enfin plusieurs compositions en langue vulgaire.Alors paraissent les Harmonies des vangiles^ dont laplus clbre est le pome allemand d'Ottfried, moine del'abbaye de Weissemburg en Alsace. Nottker, moine deSaint-Gall, fait une Paraphrase des jjsaumes. Mention-nons encore un pome en langue romane sur Boce, leschroniques latines de Witikind, moine de Corwey, et deDietmar, vque de Mersebourg, le pome latin d'Ec-kard, moine de Saint-Gall, sur YExpdition d'Attila etles exploits de Walther d'Aquitaine^ et les uvres deHroswitha, abbesse de Gandersheim, qui crivit en latindes chroniques, des lgendes de saints et des pices dethtre dans le style de Trence sur des sujets religieux.Enfin parat au onzime sicle YEloge de saint Annon^archevque de Cologne, le premier pome pique dignede ce nom qu'ait eu l'Allemagne.

    Mais tandis que dans les pays du Nord la posie taitencore renferme dans les clotres, elle se vulgarisait djen Provence, mme avant les croisades, sous l'inlluencede la civilisation prcoce qui s'tait dveloppe dans cettecontre. La Gaule mridionale avait t dmembre del'empire karolingien en 879 par Boson qui, s'intitulant roid'Arles, runit sous sa domination la Provence, le Dau-phin, la Savoie, le Lyonnais et une partie de la Bourgogne.Par l se trouva consomme la sparation de la Francedu Nord et de la France du Midi et des deux languesqu'elles parlrent, la langue d'ozY et la langue d'oc. Bo-son II substitua en 943 le titre de comt celui deroyaume, sans que la Provence sortt pour cela de la mai-son de Bourgogne. Cette maison s'tant teinte en 1092dans la personne de Gilibert, ses deux filles, Faydide,marie Alphonse, comte de Toulouse, et Douce, marie Raymond Brenger, comte de Barcelone, se partagrentla Provence, qui se runit bientt de nouveau sous l'auto-rit du comte de Barcelone. A l'abri des invasions qui

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    LA POSIE AU MOYEN AGE. 35croisades. Les croisades ont souvent t l'objet de raille-ries de la part des philosophes du dix-huitime sicle etdes rvolutionnaires du dix-neuvime, qui ont voulu encontester les bienfaits et les grands rsultats. Je n'insistepas sur la convenance qu'il y avait pour les nations chr-tiennes ne pas laisser aux mains des Infidles le berceaude leur foi commune. Il y a plus, et mme au point devue politique la foi nave de ces princes chrtiens et deces bons chevaliers les servait mieux que ne l'et faittout le gnie de notre diplomatie moderne. Croit-on queles Arabes, cette race envahissante qui son faux prophteavait dit : v Allez conqurir le monde et convertissez par(( le sabre fussent rests confins dans l'Orient si lesexpditions parties de l'Occident ne les eussent perptuel-lement inquits? Trois fois dans les temps modernes, lesmusulmans ont fait irruption sur l'Europe, et trois foiss'y sont briss: en 732, Poitiers, devant Charles-Martel ;en 1571, Lpante, devant don Juan d'Autriche; en1683, Vienne, devant Jean Sobieski : les croisadeseurent pour effet de prserver l'Europe, pendant tout lemoyen ge, d'invasions semblables. Et si les croiss eus-sent russi fonder des royaumes chrtiens en Syrie et Constantinople, le monde civilis n'aurait certes pas craindre aujourd'hui les massacres par lesquels se traduittrop souvent le fanatisme musulman, ni cette redoutablequestion d'Orient qui vient priodiquement troubler l'-quilibre des Etats de l'Europe. Je passe sous silence lesrsultats des croisades relatifs aux progrs du commerceet des relations internationales, et je ne m'occupe que deleur influence sur la posie du moyen ge.A ce point de vue, leurs efl'ets furent immenses. Commetous les vnements qui remuent profondmei>t les socits,les croisades produisirent un vaste mouvement intellectuel.La religion et la guerre, et avec elles les deux sentiments quifrappent le plus vivement l'imagination humaine, se trou-vaient runis dans ces expditions lointaines. Aussi les

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    36 LA POSIE AU MOYEN AGE.lettres et les arts, ces deux manifestations du gnie po-tique, prennent tout coup un essor prodigieux. C'estalors, qu'une ferveur incroyable animant tous les peuples,l'art chrtien se dgage des ttonnements du style roman,et que s'lvent simultanment sur tous les points del'Europe ces cathdrales que nous admirons aujourd'huicomme des chefs-d'u\'re dont le secret est perdu ; et noussommes confondus en songeant l'enthousiasme qui de-vait soutenir ces milliers d'ouvriers consacrant leur vieentire ces travaux et n'ambitionnant comme but finalet rcompense suprme que de graver sur la pierre, unehauteur o l'il ne peut atteindre, une lettre, un chiffreignor, tmoignage de leur participation l'uvre de foi.En mme temps les littratures nationales se forment : lesrcits du plerin qui dcrit les merveilles del Terre Sainte,ls chants du pote qui clbre les combats des croisssont les dlassements favoris des chtelaines. Sous l'in-fluence des croisades nat la triple posie des troubadours^des trouvres et d^^s Minnesinger; et cette influence est simarque, que si la premire croisade (1096-1100), com-pose presque exclusivement de Franais sous Godefroyde Bouillon, fait paratre les troubadours et les trouvresdans le Midi et le Nord de la France, la seconde et la troi-sime (1147-1149 et 1189-1193], o Conrad III et Frd-ric Barberousse figurent ct de Louis VII, de Philippe-Auguste et de Bichard Cur-de-Lion, avec l'lite de lanoblesse allemande, feront paratre les Minnesinger en Al-lemagne.Nous avons vu que la civilisation htive du Midi de la

    France avait fait natre la littrature provenale avanttoutes les autres. Mais les troubadours, qui continuent etperfectionnent l'uvre des premiers jongleurs, ne com-mencent chanter qu'aprs la premire croisade. La po-sie provenale eut alors deux sicles de splendeur et degloire.

    Les princes mme prirent part au mouvement poti-

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    LA POSIE AU MOYEN AGE. 37que : lui des plus anciens troubadours est Guillaume IX,comte de Poitou et duc d'Aquitaine, qui fit partie de lapremire croisade. Parmi les plus illustres des trouba-dours, il faut citer encore Bertram de Born, que Danteplace dans son Enfer pour avoir excit les ls de Henri II la rvolte contre leur pre : vaillant guerrier autant quebrillant pote, un souffle belliqueux anime ses chants qu'ilentonnait au milieu du combat tout en frappant de rudescoups de son pe ; et Arnaud Daniel, que Dante cite avecloge dans son trait de l'Eloquence vulgaire, et qu'il in-troduit dans son Purgatoire en mettant dans sa bouchequelques vers provenaux : il est auteur du pome de Lan-celot^ que Zazichoven a traduit en allemand.La posie lyrique est le genre dans lequel les trouba-

    dours excellrent. Les rcits piques ne leur taient pasinconnus, mais c'est surtout l'amour qui fait le sujet deleurs chants, et le caractre particulier des peuples mri-dionaux se retrouve dans la passion toute profane qui lesanime. Ils connaissaient aussi la satire sous, le nom de sir-vente. Enfin un genre qui mrite plus notre attention parson originalit^ c'est la tenson (de contentio^ tentio, com-bat, concours) : c'tait une lutte potique entre deux trou-badours sur un sujet propos, le plus souvent une questiond'amour ; les combattants s'attaquaient et se rpondaientdans des strophes alternatives qu'ils improvisaient sancetenante. Nous trouvons ici la premire ide du tournoipotique de la Wartburg.La civilisation provenale ne fut pas sans influence sur

    la posie des autres nations. Elonore de Guienne, lors deson mariage avec Louis VII, conduisit la cour de Franceun nombreux cortge de troubadours ; elle les emmena la croisade, oii ils se trouvrent en contact avec les cheva-liers allemands de Conrad III ; eteufm, aprs son mariageavec Henri II, elle s'en fit suivre la cour de Londres, oils fournirent la posie anglaise ses premiers modles.Frdric Barberousse cultivait lui-maie la posie proven-

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    38 LA POSIE AU MOYEN AGE,ale, et lit preuve de son talent quand il rencontra Turinle comte de Provence et ses troubadours. Les potes pro-venaux eurent donc aussi quelque action sur les progrsque fit au douzime et au treizime sicle la posie germa-nique, bien que le caractre entirement oppos des deuxpeuples fasse ressortir des diffrences capitales, soit pourle choix des sujets, soit pour la manire de les traiter, entrele sentiment srieux, profond et mystique des Minnesin-ger, dont les chants renferment toujours un enseignementmoral et une aspiration religieuse, et la verve souvent im-morale des troubadours, chez qui l'on retrouve toute la l-gret et la frivolit des races du Midi.

    Enfin, aprs avoir brill d'un vif clat, la posie proven-ale s'croule tout d'un coup. La civilisation prmaturede ces contres, o avaient survcu de nombreux vestigesde la civilisation romaine, mlangs dans une forte pro-portion d'importations rcentes de la civilisation orien-tale, y avait introduit un relchement de murs et des h-rsies auxquels l'Eglise porta un nergique remde. Lacroisade prche par Innocent III contre les x\lbigeois pr-cipita la France du Nord sur la France du Midi, et rtablitl'unit de race et de littrature en effaant la langue d'oc,en dispersant les derniers troubadours, et en faisant par-tout dominer la langue 'oil.

    Bien diffrente de la littrature provenale, soit pour lefond, soit pour la forme, tait la posie des trouvres, quiprit aussi naissance aprs la premire croisade. Les trou-vres, de mme que les troubadours, connurent le genrelyrique, et plus d'un cultiva avec succs l'ode et la chan-son ; mais ils s'illustrrent surtout dans la posie pique,et c'est eux que revient l'honneur d'avoir cr le romande chevalerie.

    L'pope romanesque du moyen ge prsente cette par-ticularit remarquable, que ce sont les mmes lgendes etles mmes personnages qui , dans toute l'Europe chr-tienne, inspirent les potes de toutes nations et de toutes

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    J.A FOPilSlE AU -MOYE.X AGE. 39langues. Ainsi les sujets favoris des trouvres sont gale-ment ceux des Minnesinger, et Wolfram d'Eschenbach, leplus illustre des potes allemands du moyen ge, a em-prunt la France la matire des grandes compositionspiques qui l'ont immortalis. L'origine et la cause decette unit de conception rsident dans la grande unit in-tellectuelle et morale qui relie entre eux tous les peuplesdu moyen ge sous l'influence de l'Eglise. Agissant entous pays sous l'impulsion unique du Saint-Sige, leclerg dut, dans les enseignements par lesquels il civilisaFEurope, diriger tous les peuples chrtiens dans la mmevoie, les faonner sur le mme modle, leur inspirer lesmmes sentiments, tourner leur esprit vers les mmesides ; en sorte que, sauf les nuances ncessaires rsultantpour les diverses races de la diffrence de leurs caractres,tous les peuples de la grande confdration chrtienne,aprs s'tre trouvs runis pour la conqute du Saint-Spulcre, se trouvrent runis encore dans l'arne potique.Aussi les romans piques que voit natre le moyen ge,soit en France, soit en Allemagne, soit en Angleterre,peuvent se ramener presque tous trois cycles^ c'est--dire trois lgendes principales, trois socits diffren-tes, trois armes de hros semi-historiques, semi-fabu-leux, dont la popularit fut universelle, et dont les aventu-res et les hauts faits ont occup pendant des sicles lespotes de toutes les nationalits chrtiennes.Le trouvre Jean Bodel a rsum ces trois cycles dans

    le distique suivant:

    Ne sont que trois materes a nul home entendantDe France, de Bretaigne, et de Rome la grant.

    J'y ajouterai un quatrime cycle, que Bodel n'a paspu connatre, puisqu'il appartient exclusivement l'Alle-magne et que les trouvres n'y ont aucune part : le cyclegermanique^ moiti religieux, moiti hroque. Ce cycle

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    40 LA POSIE AL iMUYEX AGE.comprend VEdda, code religieux des Scandinaves, qui ra-conte leur cosmogonie et les lgendes de la religion d'Odin ;puis les pomes sur Attila et Dietrich de Vrone, c'est--dire Thodoric, que renferment soit VEdda elle-mme,soit le Livre des Hros; et enfin l'admirable pope desNibelungen, qui traite le mme sujet, et o percent en-core constamment les vieilles traditions germaniques et larudesse des murs barbares sous l'enveloppe chevaleresquedont le christianisme a commenc revtir les peuples r-cemment convertis.Le cijcle franais^ exclusivement hroque, se rapporte Charlemagne et aux paladins de sa cour. Seulement legrand empereur n'y joue pas le principal rle : il s'effacedevant ses pairs, et tout l'intrt s'y concentre sur les plusvaillants de ses preux, tels que Roland, le hros de Ron-cevaux, et Guillaume d'Orange, le Marquis au Court-Nez,vainqueur des Sarrasins dans la province de Narbonne. Lafigure imposante de Charlemagne semble ne servir qu'conserver l'unit du cycle auquel elle prside ; il en est demme pour Attila dans le cycle germanique, et pour Ar-thus dans le cycle breton : peut-tre les potes ont-ilscraint de rester au-dessous de leur tche s'ils dpeignaientau premier plan ces hros qu'ils regardaient comme despersonnages presque surhumains, et ont-ils prfr nefaire jouer ces grands rois qu'un rle passif et secon-daire et mettre en scne surtout leurs vassaux. Les prin-cipaux monuments de ce cycle sont, pour la France, leclbre Roman de Boncevaux ; pour l'Allemagne, un au-tre pome sur Rolid par le moine Conrad ; le Willehalmde Wolfram d'Eschenbach ; Fleur et Blanchefleur parConrad de Flecke ; et le pome sur les Quatre Fils Ay-mon.Le cycle breton, le plus fcond de tous cause de l'l-

    ment religieux qui en domine une partie, est moiti h-roque, moiti mystique. Il clbre Arthus, le roi bretonqui dfendit l'Angleterre contre les invasions des Saxons;

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    I>A POSIE Ali MOYEN AGE. 41la couid'Arthus se rattache rinstitution de la Table Ronde,avec les vaillants chevaliers Tristan de Lonois, Lancelotdu Lac , Kai , Gauvain. C'est ici la partie hroque etprofane du cycle breton, laquelle se rapportent, en An-gleterre, le roman de Brut , uvre de l'auteur du clbreRoman de Rou, Robert Wace, qui prtend rattacher lesBretons et Arthus aux Troyens et un fils d'Ascagne nommBrutus ; gnalogie fantastique qu'il emprunte YHistoiredes Bretons de Geoffroy de Monmouth; en France, les u-vres de Luc du Guast, qui avait compos des romans surTristan et sur les autres personnages de la Table Ronde,imitations des romans anglais; le Lancelot du Lac deChrtien de Troyes, dont le sujet lui fut donn par la com-tesse de Champagne ; en Allemagne, la traduction par Ul-rich de Zazichoven du Lancelot d'Arnaud Daniel , qu'iltrouva Vienne entre les mains d'Hugues de Morville,gentilhomme laiss en otage par Richard Cur-de-Lion ;le Wigalois de Grafenberg ; Ylivain de Hartmann de Ane ;le Tristan d'Eilhart de Habergen ; enfin le clbre pomede Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde. L'lmentreligieux est reprsent dans le cycle breton par la bellelgende du Saint-Graal, ce vase miraculeux qui avait reule sang du Sauveur, et que gardait une chevalerie d'literecrute parmi les preux de la cour d'Arthus; lgende quiparat tre issue de la combinaison de trs-anciennes tra-ditions paennes du pays de Galles avec le dogme de l'Eu-charistie import dans ces contres par les premiers ap-tres chrtiens. Cette matire a donn lieu de richesdveloppements potiques : la royaut mystique attache la garde du Saint-Graal, les bndictions qu'il rpandsur ceux qui l'approchent, les prgrinations et les proues-ses des chevaliers qui veulent se rendre dignes par leursexploits et leurs vertus d'tre admis dans les rangs de lasainte milice , en un mot les diverses questes du Saint-Graal, pour employer l'expression du temps, et les aventu-res merveilleuses dont elles deviennent l'occasion, les mi-

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    42 LA l'OSlE Al MOYEN AGE.racles accomplis en rhonneur du vase sacr, la gnalogiede ses rois et la destine de leur famille , tel est le fondsintressant qu'ont galement exploit les bardes bretons,les trouvres et les Minnesinger. Cette partie du cycle d'Ar-thus, bien suprieure la premire par l'lvation du su-jet et la puret des sentiments, a fourni au moyen ge sesmonuments littraires les plus remarquables. Elle a pro-duit, en Angleterre, quelques-uns des Mabinogion, cesvieux contes lgendaires de la race galloise, comme le Ma-binogi de Bran le Bii, o se trouve la premire originede la lgende du Saint-Graal, et le Mabinogide P?'dw%o. elle se dveloppe ; en France, le Percevai le Gallois,grand pome pique commenc par Chrtien de Troyes, qui l'ide en fut donne par le comte de Flandre, et quieut recours aux documents de l'abbaye de Fcamp enNormandie , dont les moines , prtendant possder unSaint-Graal, s'taient faits les historiens de la lgende ;Fuvre de Chrtien de Troyes fut continue par trois au-tres trouvres, Gautier de Denet , Gerbert et Manessier ;en Allemagne enfin, le Parcival de Wolfram d'Eschen-bach, le chef-d'uvre de la posie du moyen ge; le Titu-rel, dont Wolfram composa une partie ; le Lohengrin,qu'on lui attribue galement; le Chevalier du Cygne deConrad de Wiirzburg.

    Enfin le cycle de Rome renferme tous les pomes surles sujets de l'antiquit, travestis selon le got du moyenge par la transformation des rois et des guerriers troyens,grecs et romains en comtes, en barons et en chevaliers.A cette classe, beaucoup plus nombreuse qu'on ne le croitgnralement, se rapportent VAlexandre du moine Lam-precht, traduit du franais d'Albric de ^QajvoUjVAlexan-dride de Rodolphe de Hohen-Ems, et celle qu'avait dcomposer Riterolf, Vnide de Henri de Yeldecke, et laGurite de Troie de Conrad de Wiirzburg,Dans le Nord comme dans le Midi de la France, la hautenoblesse cultiva la posie avec succs. Les deux trouvres

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    LA POSIE AU MOYEN AGE. 43qui russirent le mieux dans le genre lyrique sont le sirede Coucy, qui mourut la croisade la fin du douzimesicle, et Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Na-varre dans la premire moiti du treizime. Avec eux,les plus clbres potes de la langue d'ozY sont Chrtien deTroyes, l'auteur de Perceval, de Lancelot et du Chevalierau Lion ; et Guiot de Provins, que Frdric Barberousseinvita sa clbre dite de Mayence : il est l'auteur de lasatire connue sous le nom de Bible Guiot, et c'est peut-tre lui que Wolfram d'Eschenbach dsigne sous le nomaltr de Kiot le Provenal^ comme ayant traduit duprovenal en franais la lgende de Parcival.

    Il me reste parler des Minnesinger et de la posiechevaleresque de l'Allemagne.

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    CHAPITRR IV.

    LES MINNESINGER.

    Quand je parcours des yeux le cercle de cettenoble assemble, quel magnifique spectaclevient embraser mon cur Quand je vois tousces hros allemands, pleins de vaillance et desagesse, semblables h une litre fort de chnesau feuillage pais et verdoyant; quand je voisces belles et vertueuses dames, semblables unesuave et gracieuse couronne de fleurs; mon re-gard est bloui cet aspect ; mon chant se taitdevant l'clat d'une telle splendeur. Je fixealors mes yeux sur une seule des toiles quibrillent dans ce ciel qui m'blouit : mon es-prit se recueille , mon me s'absorbe dans laprire. Et voici qu' moi se montre unesource miraculeuse, que mon esprit contempleavec admiration ; il puise dans cette source lesbndictions clestes et la flicit dont il dsal-tre mon Cflur. Et puiss-je ne jamais troublercette source sainte, ne jamais mler ses eauxdes penses criminelles puiss-je, fortifi parla prire et le sacrifice, verser avec joie la der-nire goutte de mon sang Chevaliers, ^ouspouvez voir par ces paroles comment je com-prends la sainte et pure nature de l'amour.(Richard Wagner. Tannliuser et leTournoi potique de la IVarlburg ,

    act. II, se i.)

    Nous avons vu que la renaissance littraire au moyenge date pour chaque peuple de l'poque o il a pris partaux croisades. Ainsi, de mme que la premire croisade,compose exclusivement de Franais, fait clore la posiedes troubadours et des trouvres, la seconde croisade, ofigura pour la premire fois la chevalerie allemande, ouvre

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    46 LES MINNESINGER.la brillante priode des Minnesinger. Jusqu'alors les chantsde l'Allemagne, produit du gnie germanique livr lui-mme en son ge d'enfance, portent encore l'empreinte dela rudesse barbare : les vieilles traditions religieuses ethroques de la Scandinavie et de la Germanie antique, enun mot ce que j'ai appel le cycle germanique, telle estleur unique matire. A partir de la seconde croisade, quiinspire la noblesse d'Allemagne le got passionn desoccupations de l'esprit, et qui la prcipite tout entire, laharpe en main, dans l'arne potique, le caractre de lalittrature change : les monuments de cette poque sontdsormais l'uvre du gnie germanique transform parl'influence du christianisme et de la chevalerie et par lemlange de la civilisation de l'Europe no-latine, qui leperfectionne et Fpure sans lui ter sa physionomie propreet ses qualits natives ; la posie lyrique prend naissance,et la posie pique abandonne son vieux cycle nationalpour exploiter la mine fconde que lui offrent les cyclesfranais et breton, d'o les Minnesinger sauront tirer en-core de bien plus riches dveloppements que les trouvresleurs devanciers. La posie chevaleresque des Minnesingercommence donc au milieu du douzime sicle, et, aprsdeux sicles de splendeur, elle s'teint au milieu du qua-torzime pour faire place la posie bourgeoise des Meis-tersinger^ quand les troubles politiques dtournent lanoblesse de ses loisirs potiques et la rappellent sur leschamps de bataille.Nanmoins une tradition populaire, fonde sur des

    chroniques en vers, uvres des matres-chanteurs duseizime sicle, a fait remonter bien plus haut l'originede la posie allemande. Un pome de la fin du seizimesicle raconte que les douze plus anciens matres (c'est lenom gnrique de tous les potes du moyen ge),, accussd'hrsie, auraient t appels comparatre Pavie en962 devant l'empereur Otton le Grand et le pape, pour sejustifier, et que, les ayant trouvs innocents, le pape et

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    LES MINNESINGEU. 47l'empereur leur auraient confr de grands privilges ; etil nomme ces douze matres.: Henri Frauenlob, HenriMgling, Klingsor, Boppe, Walther von der Vogelweide,Wolfgang Rlin , le Marner , Barthel RegenbogenRmer de Zwickau (peut-tre Reinmar de Zweter), Con-rad de Wiirzburg, le Chancelier de Styrie et Steffan l'An-cien, Je n'ai pas besoin d'insister sur l'tranget de cetanachronisme qui met en scne en plein dixime sicle despersonnages connus pour avoir vcu au douzime, autreizime et au quatorzime, et notamment quelques-unsde nos combattants de la Wartburg. Valentin Voigt,bourgeois de Magdebourg qui crivait au milieu du sei-zime sicle, fait aussi allusion cette bizarre lgende, enracontant que la posie allemande a pris naissance en 960sous Otton le Grand, et en nommant Biterolf en tte desquatre plus anciens matres de ce temps. On retrouve dansd'autres documents la trace de cette tradition de douzeanciens matres, parmi lesquels on fait figurer diffrentsMinriesinger; tradition qui, bien entendu, n'a aucunevaleur historique.

    L'poque o pour la premire fois l'empire allemandprit part la croisade concide avec l'avnement de cettemaison de Souabe en qui se sont personnifies si brillam-ment la fodalit germanique et la civilisation du moyenge, et qui a donn l'Allemagne un sicle de splendeur,priode unique dans son histoire, o tous les genres degloire semblent s'tre runis pour faire pendant quelquetemps de cette socit allemande l'admiration et le modlede toute la chrtient. Le premier empereur de cettedynastie, Conrad HI, est celui qui en 1147 conduisit lanoblesse germanique en Terre-Sainte, o elle rencontrala chevalerie franaise du roi Louis YH et les troubadoursde la reine lonore de Guienne. La troisime croisade enH89 frappa bien plus vivement encore les imaginations.Les trois grands empires fonds en Europe par les racesissues de l'invasion, l'Allemagne, la France et l'Angle-

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    48 LES MINXESINGER.terre, s'y trouvaient runis; en eux se rsumaient toutes lesforces vives de la socit chrtienne ; les trois langues, lestrois nationalits, les trois peuples se mlangrent, et, com-battant ct les uns des autres, apprirent se connatre,et, malgr quelques rivalits, s'estimer. A la tte de cestrois brillantes armes marchaient trois grands princes, Fr-dric Bar