Poètes du Gers et d'ailleurs -...

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Recueil de poèmes 2014 Poètes du Gers et d'ailleurs

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Recueil de poèmes 2014

Poètes du Gers et d'ailleurs

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PRÉFACE

En vers et contre tout, Dialoguer en poésie poursuit son chemin. Prenant la suite de notre brillante présidente, devenue présidente honoraire, Mme Marie-Andrée Ricau-Hernandez, je m’efforce avec votre aide et vos poèmes de continuer à faire vivre à Lectoure cette association de poésie si attachante et profonde. Ce nouveau recueil de poèmes est l’une des traces de notre passion commune pour la poésie qui est, cette année en particulier, au cœur des Arts. Bonne lecture ! Amicalement, Pierre Léoutre, Votre Président

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Pierre Léoutre, président de l’association Dialoguer en Poésie

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Pierre-Jean Arnaud

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Marie Andrée

Marie-Andrée, un livre vous donne la parole- Arômes catalans et fragrances espagnoles-, Riche de votre enfance méditerranéenne. Il n’est pas de domaine où vous n’étinceliez Et si l’écrit reçoit l’écho de vos talents, Avec bonheur, vos doigts courent sur le clavier, Nuançant les accords avec leurs ornements. Dans la fière Lectoure, brûle encore le flambeau. Reliant les personnes et cultivant le beau, En dialoguant, la poésie se veut chemin ; Elle invite chacun ; à tous, elle tend la main.

Les Deux Pins le matin du mardi 12 mars 2013

*À Marie-Andrée Ricau-Hernandez, Fondatrice de l’association lectouroise

« Dialoguer en poésie » en 1993

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SOLEILS D’ÉTÉ

Soleils, vous enchantez notre vue estivale,

Offrant joyeusement vos alléluias jaunes,

Lumière diffusée de Graulhet à Lacaune,

En piquetant les champs de multiples pétales,

Inscrivant dans l’azur vos têtes innombrables.

La campagne aussitôt redevient plus aimable

Sous les alignements de votre armée affable.

Dans vos cœurs parfumés bourdonnent les abeilles ;

Elles tombent en pâmoison devant tant de merveilles ;

Tirant un futur miel de ces immenses fleurs,

Elles portent vers la ruche le fruit de leur labeur.

Revu le 24 août 2013

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Fleur de couchant

Au beau soir finissant. Papillon improbable, Il se dresse indomptable, Le pavot ravissant.

Redoublant de couleur, L’élégant vermillonne Le tableau du Ponant, Tout piqueté de fleurs.

Mais l’archer vespéral Lance sa flèche aimante, Dernier feu sidéral, Lumière provocante. Troublée, la fleur frissonne ; Elle sourit et rayonne, Car au ciel apparaissent

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Des étoiles qui naissent.

L’astre du jour se meurt, Ses dernières lueurs S’estompent et s’atténuent ; La fleur met sa tenue. Une dernière fois, En volutes de soie,

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Graulhet : La passerelle, un pont vers l’avenir ? Millau a son viaduc, Graulhet sa passerelle, Avignon quelques arches, Paris le pont des Arts. Toulouse a rebâti le pont des Demoiselles Et le Pont d’Aquitaine est un ouvrage d’art. Le Dadou méphitique n’est plus qu’un souvenir ; Ses berges à nouveau s’apprêtent à refleurir. Graulhet, cité du cuir, souhaite changer de peau ; Elle renaît lentement, jetant ses oripeaux. Dressant haut dans l’azur son mât tel une aiguille, La passerelle blanche unit deux territoires. Va-t-on voir revenir les brochets, les anguilles ? Les pécheurs prendront-ils ces poissons pour leur gloire ? Si la faune aquatique a retrouvé ses droits, Pourquoi les Graulhétois bouderaient-ils l’endroit ?

Le 3 mai 2014

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Il a chu le grand pin…

Centenaire incliné, il a chu le grand pin,

Dont les branches atteignaient les limites du ciel.

Il est mort le géant, dont le cours, le destin,

Au sein d’un vert binôme, se pensaient éternels.

Plantés depuis des lustres, à l’époque impériale,

Les Deux Pins ont inscrit leur empreinte spéciale,

En couple inséparable projetant leur bouquet,

Odorant, chatoyant sous le ciel de Graulhet.

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L’un a vécu penché et l’autre rectiligne ;

Leur cime dépassait les arbres les plus hauts ;

Ils pouvaient contempler les prairies et les vignes,

Qui, parure champêtre, habillaient le coteau.

Resté seul maintenant comme s’il était veuf,

Le conjoint se lamente, éploré et souffrant ;

Il pourra suppléer au départ de l’absent

Par un vert compagnon au feuillage tout neuf.

En effet, chaque pin possédait sa doublure ;

À leur côté, discret, un chêne avait poussé.

Ce dernier désormais déploiera sa ramure

Suppléant au départ de l’ancêtre évincé.

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Le 24 juin 2014,

revu le 7 octobre 2014

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La liberté nous rend captifs… de l’Amour de Dieu

Méditation d’après Isaac le Syrien

Qui donc accepterait de plein gré les crachats ; Qui donc sinon Jésus, lui l’auteur du rachat De l’homme descendu au jardin des délices, Cet Adam enlisé, dont l’orgueil fait le vice ? Le Malin tentateur assure avec passion Qu’un chemin s’ouvre à lui, divine condition. L’explication est claire, le défi est possible. Chassé du paradis, Adam songe irascible.

Deuxième acte d’Amour du Christ après la Cène, En montant sur la Croix, arbre de vie dressé, L’Homme-Dieu nous élève ; déjà il nous entraîne Et nous offre son vin, lui le raisin pressé. À Cana, la panique avait gagné les cœurs ;

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Au Calvaire, à nouveau, tous les imprécateurs Défilent triomphants, fugaces spectateurs. Mais Jésus au larron promet joie et bonheur. Et puis c’est le trou noir, la descente aux enfers, Le Christ a disparu ; le ciel semble désert. Mais le voile du Temple est enfin déchiré, Ouvrant les Écritures à tout être inspiré, L’Amour soudain surgit du linceul irradié ; Marie de Magdala, tremblante et stupéfiée, Rencontre son Sauveur, qu’elle avait embaumé. Pierre et Jean au tombeau croient leur Maître enfermé Et Thomas l’incrédule met son doigt au côté. « Je suis le Christ vainqueur, libre et ressuscité ».

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Les Deux Pins,

mercredi 10 avril 2013

Illustrations : Vitraux Arnaut de Moles cathédrale d’AUCH

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Depuis le Capitole jusques à Saint-Sernin

J’aimais me promener place du Capitole,

Quand la fac des juristes me tenait lieu d’école,

Captivé par la vue de ce palais grandiose,

Mêlant art et pouvoir en subtile symbiose.

La croix du Languedoc y imprime sa trace,

Plongeant dans le passé d’épreuves et de grâce ;

Dans un socle romain s’ancre toute une histoire

Livrant ses pages sombres et ses heures de gloire.

J’aime encore à pas lents suivre la rue du Taur,

Parcours sacrificiel où fut traîné le corps De

l’évêque émérite, le martyr Saint Sernin.

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Or voici que surgit au bout de ce chemin,

Cette fleur de corail découpée dans l’azur,

Insigne basilique, vibrante d’amour sûr.

Les Deux Pins, samedi 26 octobre 2013

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Le coucou a chanté pour la première fois

Le coucou a chanté pour la première fois, Épanchant dans l’azur le doux son de sa voix : Modulation bissée, sans doute un cri de joie Qui retentit du fond des forêts et des bois. Car notre oiseau chanteur est signe avec raison Du retour espéré de la belle saison. Je l’aperçois souvent sur un chêne perché ; Il se dérobe et vole dans un endroit caché. O bel oiseau sans cœur, on te dit si volage Qu’il paraît opportun de te tenir captif D’une horloge où tu vis ainsi qu’en une cage. Ainsi tu peux chanter et décompter le temps ; Mais ton air répété est encore assez vif Pour que notre existence ne soit qu’un seul printemps.

Graulhet, les Deux Pins samedi 24 mars 2012

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Le Gers est un jardin pareil à la Toscane Le Gers est un jardin pareil à la Toscane Où la beauté captive reflète en son miroir Les collines attachantes, les cyprès, les platanes. D’Armagnac en Lomagne, tout est prétexte à voir : Enroulées aux coteaux, les vignes qui flamboient, Les pampres et les blés d’or, l’égayement des oies. Terre si contrastée où plus d’un trésor brille. Terre de mes aïeux, berceau de ma famille. Le Gers où chaque crête a vu naître un château, Cinq cents gentilhommières avec leur hobereau ; Ses collines envoûtantes où poussent amaigris, Des chênes tortueux s’accrochant à leurs flancs ; Ses genêts odorants au doux mois de Marie, Et puis ces vaches blanches arpentant à pas lents Les sentiers qui les mènent de leur pré à l’étable. Avant de terminer sur une bonne table. Ses champs vêtus du jaune des colzas au printemps, Ses tournesols qui dansent à l’été des autans. Auch qui veut vivre encore, ancienne capitale, Favorisée des rois avec sa cathédrale ; D’Artagnan y campe fier en son bel escalier Qui unit les deux villes, haute et basse liées. Condom où fut nommé jadis l’aigle de Meaux,

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Ne vit pas Bossuet, y dire ses bons mots. Condom vit un régime, elle est entre deux eaux, Celle de la Baïse et celle des tonneaux. Mirande fut longtemps une sous-préfecture Régnant sur l’Astarac, tenant bonne figure ; Conseiller général, Jules Seillan fut maire, Du trio d’armagnacs, il définit les terres. Alain Fournier y vint, lui l’auteur du Grand-Meaulnes Loin de sa chère Yvonne, entre vergnes et aulnes. Lectoure haut perché, telle Assise en Ombrie, Pointe ses blancs clochers, Saint-Gervais, Saint-Esprit. Elle semble dédaigner dans la plaine Fleurance ; Revoilà l’Italie, on songe à Florence. Du Bellay depuis Rome regrettait son Liré ; Gascogne enchanteresse, tu nous fais chavirer ! Avril-mai 2014

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Le printemps s'est blotti… Le printemps s'est blotti sur les crêtes tarnaises ; Le colza y fleurit, couvrant de teintes jaunes Les coteaux et les plaines ; mais chut ! que l'on se taise Pour laisser libre cours au coucou qui chantonne ! Albi jette sa tour à l'assaut des nuages ; Près du donjon de briques, les arbres de Judée Adoucissent l'espace, habillant cette image. Juvénile bouquet, pivoines dénudées, Voici des fleurs qui mutent en se teintant de vert. Posé là sur la table, un beau panier de fruits Comme nature morte, sous le clair soleil luit. Midi sonne à l'église ; c'est l'heure du couvert. Les Deux Pins, le 9 AVRIL 2014

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Pauvre fou que je fus…

Pauvre fou que je fus de m’attacher aux gens ! Je pestai impuissant, regrettant et rageant D’avoir donné ma foi à un ami sincère Qui la dilapidant, mit mon cœur en jachère.

Je plaçai mes trésors en banque d’amitié Mais ces précieux avoirs furent bientôt spoliés. Cet établissement pourtant avait pignon sur rue Avec de sérieux gages appâtant ses recrues.

La façade attirante me laissait entrevoir Un contrat favorable, entretenant l’espoir D’une relation stable et ancrée dans le temps. Las, cet accord mourut avant le gai printemps.

Sans doute incluait-il une clause secrète, Ignorée du prêteur, une clause discrète Annulant du banquier le long engagement ; Ce défaut d’attention entraîna mon tourment.

20 février 2011

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Sortez Monsieur Keating ! « Sortez Monsieur Keating ! » a dit Monsieur Nolan,

Arrêté d’expulsion le chassant du lycée,

Où, professeur de lettres, il était désigné.

Il avait converti ses élèves en vrais fans

De poésie moderne et non académique,

Apportant une touche de fraîcheur romantique.

Nul ne peut oublier cette composition

Du cher Robin Williams, invincible émotion,

Qui naît de son départ alors que un par un,

Chaque élève à son tour se hisse sur sa chaise,

Du professeur Nolan accroissant le malaise.

Il s’agit de chasser à tout prix l’importun,

Celui qui a de fait, semé rêve et désordre

Doit désormais partir pour un retour à l’ordre.

Mon cher Robin Williams,

Tu resteras pour moi cet acteur délicieux

Tu sais migrer facile, toi l’être facétieux,

De la pose comique à l’art le plus sérieux.

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Tu as quitté la scène, nous laissant orphelins,

Mais je sais qu’à jamais, comique sans déclin,

Tu t’avances joyeux, dans le cercle éternel

Des Poètes habités d’un élan immortel.

Le mardi 12 août 2014

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Voici le chant du coq qui résonne aux Deux Pins

Voici le chant du coq qui résonne aux Deux Pins Il nous annonce l’aube et de la nuit la fin. C’est pour moi le signal du lever ce matin. Le petit-déjeuner m'attend et j’ai très faim.

L’aurore a dispensé ses premières lueurs Dans le ciel qui se teinte de suaves couleurs. Chassant l'obscurité, paraît l'astre du jour. Il entame sa course rayonnante d'amour.

Stimulé par le coq, prince de basse-cour, Les merles et les mésanges claironnent à leur tour. Tout un monde s’anime et voici la nature, Qui revit, habillée de calme et de verdure.

28 août 2014

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M. Noël-Ulian

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« Aurore » Une étoile de cristal vibre au tronc du vieux chêne. Dans le silence épais d'une aurore sereine, Deux magnifiques chats, immobiles, se défient. C'est le début de l'épreuve ; l'affrontement extrême Se jouera pleinement sur fond de ciel blanc crème, Le moins jeune perdra beaucoup dans la partie. Je les dépasse, inquiète en martelant le sol Bien inutilement, et j'implore la pluie De venir séparer les félins ennemis. Mais le matin point là, transforme le décor, L'eau ne veut pas tomber ; or la bruine ne suffit. Ce combat aura lieu… et mon jour sera gris.

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« Fruits » Citron de soleil rond, Vert tendre de l'amande, Datte marron profond, Cristal rouge de grenade, Ananas jaune écaille, Lychee d'eau et de nacre, Framboise rose violet, Mûre sanglante bleue noire, Neige de noix de coco Derrière l'écorce épaisse, Raisins, cerises, oranges, Abricots, pommes et poires, Cerises délicates Et robustes melons Coings mûrs et mirabelles, Et fruits de la passion !

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Nicole Durand

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MARCHER VERS L'INFINI

Je marche dans le vent Le soleil, la pluie

Je brave les éléments A la recherche de ma vie.

Le vent m'entend On dirait qu'il rit

Le soleil me détend Me fait oublier le gris La pluie me surprend

Et me rafraîchit. Pluie, soleil, vent, je les reprends Dans cette marche vers l'infini…

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LA FENAISON

La luzerne jubile autour de la maison, Parsemée de graminées.

Il est temps, la récolte faisons ! La luzerne est coupée

C'est le temps de la fenaison. Elle est tournée, retournée

Il y a des andains à perdre la raison. Viennent les bottes bien comptées

C'est du blé à la belle saison.

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À PIQUEBISE

Nos pas chassent les biches Vers le champ labouré

Le lièvre sort de sa niche A grandes enjambées.

L'écureuil s'envole vers la corniche De la maison abandonnée

La tourterelle des bois s'affiche Avec le merle dans le bosquet

Que la nature est riche !

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Micheline Philine BOUTAN

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ÉCRIRE

Écrire sur quoi ? Écrire pourquoi ? Il faut avoir à dire pour pouvoir l’écrire. Rédiger une lettre ? mais c’est tout bête !

On y met tout son cœur plus de la bonne humeur.

Composez un poème Si votre cœur aime.

La vie sera en couleur Et pleine de douceur

Écrire, Encore et encore

Les musiques sonores Des petits bals à Papa

Pour faire valser les nanas Écrire un conte ?

Qu’est-ce que tu racontes ! Je ne suis Lamartine Tout juste Bécassine.

Écrire un scénario, Pour obtenir des bravos ?

C’ est un joli boulot Que de filmer Charlot !

Écrire pour le plaisir Et bâtir un empire

ce géant d’HUGO !

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MES DEUX MOI…

Mon plus proche parent n'est autre que moi-même ; Pourtant, relations, parfois nous font problème. Il y a plusieurs moi : le bon et le sournois, Le limpide et le trouble, ils sont mes doubles-mois. Quand le moi est maudit, le moi double est béni. Avec aucun des deux je ne peux me fâcher : D'obscurs arrangements je dois leur dénicher. Boucler ses fins de mois, la France ne sait pas, Et c'est mois après mois qu'elle aggrave son cas. Janvier le mois des vœux : les onze autres on attend : Après moi le déluge et les gens sont contents ! De vous à moi je dis que mal ça finira, Qu'aucun treizième mois du ciel ne tombera. Même au mois de Marie, miracle on ne verra. Peut-être en Fructidor ? Prions saint Barala ! Toi et moi, est-ce nous ? Toi et moi, est-ce toi ? Les autres me fatiguent et de moi je suis las ; Quand je suis hors de moi, suis-je ici ou bien là ? Si je suis devant vous, vous l'êtes devant moi ! Vivre prend trop de temps ; les jours passent… Et à quoi ? Je m'ennuie avec moi et je m'ennuie sans toi ; J'attends la fin de moi pour enfin rester coi…

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Jean-Claude Bagnéris

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son visage a tant de rides qu'il ne sait plus comment on rit que les larmes n'y retrouvent pas leur chemin qu'on ne sait plus où l'embrasser qu'on a trop peur de le froisser encore sa tête est pleine de choses inutiles ses yeux cherchent toujours des choses inutiles oubliées dans un coin pour longtemps pour toujours et toujours c'est bientôt il est là dans le miroir vaguement attentif vaguement inquiet il hésite peut-être à me reconnaître

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murmures Il suffirait de peu de chose pour entendre ce que la rose ne murmure qu’au papillon. Mais pour guérir mon amertume il faudra plus qu’un trait de plume si vous riez de ma passion. Sans doute serait-il facile de sacrifier à l’inutile ce qui peut rester de raison, et chercher dans la solitude la larmoyante incertitude d’un vain amour hors de saison. Je voudrais pourtant, sur vos lèvres, recueillir ces mots lourds de fièvre que jamais vous ne me direz, ces chuchotements impudiques que les papillons nostalgiques aiment entendre murmurer.

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économies

j’ai économisé les mots, élagué mon vocabulaire, préféré l’unique aux jumeaux, choisi le seul, banni la paire. j’ai refusé l’éternuement, la salive trop abondante, privilégié le dénuement. lèvres sèches, langue pendante, fait preuve de discernement, croyant le silencieux sincère, persuadé que le disert ment, que pour beaucoup mieux vaut le guère. j’ai évité les bons, les gros, les superflus, les dérisoires, les désuets et les vieillots, aussi les superfétatoires. que reste-t-il de ces discours qui, des mots, préfèrent le moindre ? lorsque les sanglots sont trop courts, qui peut se plaire à les entendre ?

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la vallée grise j’irai cacher mes souvenirs au fond de quelque vallée grise et rangerai dans ma valise les vieux effets de mes désirs de cet endroit dont l’horizon n’est plus qu’une trace improbable restera-t-il au moins le sable qui fit le mur de ma maison des arbres qui griffaient le ciel verra-t-on encore les ombres le muret sera-t-il décombres et les fleurs seront-elles miel vous chercherez dans l’air du temps le parfum des lys et des roses aussi les bruits aussi les choses les petits riens des grands moments trouvez les mots, tout simplement nous n’avions pas su vous les dire ni les crier ni les écrire ni même en rire et pourtant

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voyons voyons comment utiliser ses propres lueurs d'intelligence pour voir clair en soi pour se regarder vivre du dedans pour clarifier ses positions pour éclaircir ses idées pour éclairer ses contradictions pour être son propre architecte d'intérieur en effaçant ses clairs-obscurs ses zones d'ombres peut-être même ses taches ou autres maculas pour se rendre visible au milieu des obscurs pour se mettre en lumière pour briller enfin sans trop éblouir le commun voyons voyons comment devenir un esprit éclairé sans passer pour un illuminé !

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El' Mehdi CHAÏBEDDERA

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El' MEHDI CHAÏBEDDERA, né le 4 février 1953 à Mostaganem (Algérie). Professeur de Lettres françaises au lycée Zerrouki de Mostaganem. Suite au décès de mon épouse Chéhérazade, j'ai quitté l'Éducation Nationale le 31 août 2005, après 32 ans de service, comme entre autres, encadreur-formateur de jeunes élèves professeurs. Plus de 800 poèmes, essais, nouvelles, entretiens publiés en revues et journaux internationaux : Afrique, Europe, Asie, USA. Débuts littéraires en 69. Premières publications en journaux nationaux et en journaux scolaires. Premier Prix de Poésie décerné en 1970 par le Cercle Culturel Estudiantin de Mostaganem. Prix de la nouvelle en 1974. Maison de la Culture de Constantine. Médaille d'Argent en 1987 : Institut Académique de Paris. Grand Prix International de Poésie de la Ville de Plouzané. Bretagne à l'occasion d'un recueil intitulé : ENCHATONNEMENT. Laurier d'Argent et Diplôme Solenne en 1991 : Académie Internationale de Sciences de Lettres et d'Arts Di-Pontzen, Naples Italie (dont je suis membre). Grand Prix de Poésie Goccia di Luna, La Spezia, Italie en 1994. Grand Prix International de Poésie 1996 : Académie Ferninandea De Lettres de Sciences et d'Arts. Catania, Italie. Diplôme de Mérite IWA 2000 ; Ohio ; États-Unis. Vice-Président de World Poetry, Séoul et publications, 2000. Premier Prix de Poésie libre et Prix de l'Ellipse Poétique, mai 2002. CEPAL. Pour un recueil intitulé : PERLES. Prix du meilleur écrivain et

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poète algérien décerné (à ma grande surprise) le 12 septembre/200I par l'ONDA et remis à la Bibliothèque Nationale d'Alger. Hamma.

La majeure partie de l'œuvre reste inédite.

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AU TIRANT D'ALTÉRITÉ

À la fantasia des questions Que falloir donc tirer au clair De quel forfait de dévotion Doit on de se tirer d'affaire

L'empolitiquement du monde A bouleversé les approches Personne n'aborde personne Sans se vicier de suspicions

Grosse tête en casque d'écoute On veut tout se faire traduire Quand la novation remue l'arbre Aux poncifs où l'on perche atèle

D'aucuns s'endiablent d'imputer Autistes d'atticisme fade Quelque lâcherie de langage Comme encoche à leur couardise

Au tirant de l'altérité Combien sont tâche à leur prochain Que d'autres sont taches à d'autres Qui eurent à briquer leurs crimes

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Rois accrochés aux simulacres Reines naufragées aux nuances

Ce beaucoup bullant aux triomphes Quels monstres rester aux fenêtres

Photo prise à Mostaganem en août 2014, lors de la Henna,

cérémonie de mariage. El' Mehdi Chaïbeddera.

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LA VÉRITÉ Je me divertis De ma vérité aux rives De la vraisemblance

Par ici l'ami La vérité divertit Tiens-toi le pour dit

Une énormité Que la vérité servie Avec précaution

C'est une Figure Qui est si catastropheuse Qu'on la vêt de voiles

BESOIN

De quoi croyez-vous Avoir pressément besoin Qui ne nuise ainsi A ce qu'il vous faut vraiment Et que ruinent vos profits ?

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PAIX

Goûte ce moment D'égouttement intérieur En silencieux Dhikr Devant cette vasque vide Au milieu de riches ruines

JOIE

Les larmes s'égrappent De cette jungle cachée Qui oscille aux psaumes Plus besoin de chapelet Tu es moulin de louanges

VANITÉ

L'œuvre vermoulue S'égruge aux décorations Tout le mythe tombe La mitte des vanités Empuantit l'esplanade

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SQUAMURES

Écorces d'ego Craquant sous l'effet d'un pas À peine posé Au tapis de feuilles sèches Couleur de feu refroidi

RÉFÉRENCES

Folle aux références L'érudition de Satan Qui trouve en ton cœur Gâté de satisfaction Tous ses outils passionnels

Extraits de : DE MES MILLÉNAIRES MINUTES

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HAÏKUS

GRAIN

Un grain de café Écarte son tégument Pour (t') offrir la vue

SAHARA

À cosses de larmes Tout le Sahara est là A pas de gazelle

RESTE

Ne suscite rien Assiste tout simplement A ce qui t'arrive

PLACE

Libère la place Pour faire (ad) venir à toi Et garde-toi cave

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L'ŒUF

L'œuf est bien trop plein

Tout rebondit contre lui

Au lit des nouures

RAMASSAGE

Ramasseur du Ciel

Ensachant en ce corps sac

Bourre de prières

VAG'VERTE

La vague dans l'arbre

Fabuleuse vague verte

Noyée de lumière

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ALIGNEMENT

De même rameau

Tout s'aligne en ce moment

Où le ciel s'incline

VOLUME

Poussant le volume

Le korrigan au talon

On perd du poison

VEINAGE

Cette veine aux feuilles Infime sentier perdu Sentier infini

VOLUME AUTRE

Qu'une vérité Pousse son volume ( en…fin )

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Et nous voilà faits

DIFFORME

Difforme de Fait Tu façonnes ces merveilles Qui perdent le monde

PONT

Sur un pont terrible Parfaitement à ta place Comme dans un conte

COLORIS

Entre les soucis Le coloris se régule A l'ombre violette L'IDIOT

Lorsque de penser T'estropie de par ici Choie ton Idiotie

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APPÉTIT L'appétit te tue Tu débarques toujours tard Aux tables bancales

RÉMITTENCE

Si la rémittence De la ténèbre t'exalte Ne hue pas la nuit

Extraits de : LETTRE DE MON RIBÄT

TEMPS BÂTI

TEMPS Je bâtis mon temps Comme un Temple mon enfant Où j'adviens à Dieu Nos secondes sont nos briques Et nos colonnes consonnes

MOMENT Seigneur des deux mondes Je maçonne ce moment Monté avec Toi

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Dans l'Étude et dans le Dhikr Et de ma main au pétrin

MINUTE

Je sais de longtemps Que ma minute est l'adobe Qu'il me faut loger Chère larve de lumière En l'alvéole divine

MOUVEMENT

Dépassant l'étape Mon temps est le mouvement Dont ma vie verdoie Mon Dieu comme m'est pénible L'idée que mon temps durcisse

ACCROISSEMENT

Merci pour le temps Que tu me donnes Merci De le faire accroître Au point que j'en donne à qui Partage ma natation

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DUREE

Ma durée déborde Tu as toujours été là Pour m'instruire à moi Atteignant de désespoir Mon ravageur de moment

INFLUX Entre mes deux yeux Cette rotation de siècles Videuse d'excès Mon Dieu que je fus violent Avec mon gêneur d'influx

PRIVILÈGE Le Temps me révèle En Se révélant à moi De Révélation Un prodigieux privilège À portée de puceron

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ÉTERNITÉ

Cet instant furtif Buée abluant le monde En assolement S'odore d'Éternité En diffusant sa saveur

MERCI Merci de ce TEMPS Miséricorde MERCI Merci de passer Sur ma folle présomption D'oser penser ce MERCI

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L'AMOUR DU PAYS

L'amour du pays Pour d'aucuns c'est le fiasco Pour d'autres banco Quel que soit votre " chez nous " De quoi décaver à vie

L'amour du pays Coulissiers, courtiers marrons Tout est au courtage La loi la foi et la voix Le haussier gonfle aux envers

L'amour du pays Ainsi qu'une chanterelle Jouissance ou supplice Ceux-ci se coupent le sein Et ceux-là s'en amazonent

L'amour du pays Est d'un PIB mortel Pour le glébeux gris Chapeau marron des cumuls Aux cidreries des séides

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L'amour du pays Chez l'insurgé stipendié Par l'insurrecteur Mosaïste de ces peuples Qu'il engoule en calissons L'amour du pays Suprême raison d'État En nadir d'éthique Aux nacaires de la crise Des apocalypticiens

L'amour du pays Shibbobleth incestueux De la Nababie Monopole du monaut Pour qui tout est pataquès

L'amour du pays Une mise à la merci D'un clan de chacals Et la Bête Jassâssa Au code-barre en triple six

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L'amour du pays Par la pointe ou par le manche Quel que soit le choix On en meurt d'apoplexie Ou rossé jusqu'à trépas

L'amour du pays En sécession de raison Cruelles chroniques Anecdotiers du mystère Qui paissent de pâtiras

L'amour du pays Féroce enjeu d'ergotage Autour des filons Les filous de filiation En rendez-vous d'occision

L'amour du pays Des slogans de conquérants Aux sigles d'exil(s) Et l'enverbement en foin Des paltoquets de la Place

L'amour du pays Augmentation de voltage Electro-narcose Ces nations passées au bain Des amissions de conscience

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L'amour du pays J'en meurs à chaque moment D'en rendre eau partout Ainsi que la Salamandre Translucide aux nids de braises

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M'ALGERIE TOUJOURS (en cent quarante coups de canons)

Algérie tragique Où l'on encaisse son cœur En sparing-partner Au ring des grands monologues Qui défont le nœud de langues

Algérie tragique Où l'être se raréfie Aux mêlées de mâl(e)s Phénoménale ovalie Foire d'empoigne aux symboles

Algérie tragique Où le sang est claustrophobe Au scaphandre d'être Chaude jeunesse affligée De ses énergies gâchées

Algérie tragique Où le sang de vif exode Prend son exéat Hors de soi à trouble octave Aux tares d'équidistance

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Algérie tragique Aux gibernes des légendes Toute d'arduité Pour l'acteur au quotidien Écartant les affûtiaux

Algérie tragique A ses passages d'affût Où le pas s'enroule Comme celui des panthères À l’œil goûteur de cabris

Algérie tragique " Mecque des révolutions " Encens de consciences Encombrée de ces barriques Étoilées tueurs d'Étoile

Algérie tragique Où le traînard passe au Cap Et se chromatise Du sang de toutes les causes En cocktail identitaire

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Algérie tragique " Mecque des révolutions " Sombrant en narcose Sous la Muette aux massues Sans l'autorité sur soi

Algérie tragique De grotesques généraux Et de zélés lèche-tout A la triple libido Phallus Finance et Pouvoir

Algérie tragique D'ogres accélérateurs De la déplétion Laissant les générations Otages de leur saccage

Algérie tragique Où l'emploi de quelque aloi Billet de loto Crisse aux mains du bateleur Qui mue à toutes les marges

Algérie tragique De son peuple aux antipodes Cent trente-deux ans D'infamant damage d'âme Et d'apologies obliques

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Algérie tragique De la décade d'horreur Au lourd "Qui tue qui ? " Vaste Vendée à revendre A tous les hiatus du monde

Algérie tragique Joujouthèque pour d'aucuns Soldats du Patio Pauvres pions de l'Anthropos Façonneurs de proie à fendre

Algérie tragique Ludothèque de touristes Otages d'images Qui rançonneront partout Nos trésors d'indépendance

Algérie tragique Bibliothèque engloutie De ceux dont le cœur Joyau médaillé au col Provoque les Bulldozers

Algérie tragique Mon Algie ma Joie ma Chose Qu'on opacifie Onicritie du réel Vécu comme un cauchemar

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Algérie tragique Ouvroir de mon aphasie Officieuse Offrande Hémophile d'un idiome Qui fore au Coagula Algérie tragique Mon Algie ma Chimie d'âme Mon amour mortel Dénûment ontologique De l'homme excédant l'artiste

Algérie tragique Cellier de mes sensations D'enfant sans réserve Poussant loin palet du pas A ta marelle amarante

Algérie tragique Terre Sainte du poète Roi franc de licol Évoluant sur le gril Que multiplient les commis

Algérie tragique Mon soleil intempestif Cabreur de ténèbres Au déchiquetage d'ombres Dévalant les diagonales

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Algérie tragique Profondément mal connue Pour te visiter Il faut être Roi du monde Milliardaire et sans escorte

Algérie tragique Si tragiquement magique Liaisonné d'énigmes Ressort de ma Résistance Fraîche cruchée de mes jours

Algérie ma Chine A la chine de mes âges De mes états d'être Chinois au jonc des litotes Jablant perches de ma Chambre

Algérie Machine Alphanumériquement Mortaisé d'azur Ton chinois au pas de neige Intelligible aux trémies

M'Algérie toujours Mon Algèbre mon Compas Mon amour mortel Mes routines ma Noria Clifoire de ma Genèse

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BIZARRERIE Celui qui t'occit Ne le fait qu'en conséquence De ton incurie Toi le bizarre artisan De ton extermination

LA BOURSE ET LA VIE

La bourse et la vie C'est pour ça que l'assassin Demande des gages A l'éternel débiteur De son inconfort moral CONQUÊTES Occupons le monde Pour défendre " nos valeurs " Partout menacées Nos territoires conquis Nous sont boucliers barbares

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CHARGES

Huile confisquée La plus-value de mon front Profite aux zébus Qui s'aident de leur derrière En surchauffe pour charger

Détenteur de charges De n'importe quel rouage Et du nucléaire Qui le fait oser d'oser S'offusquer que le monde ose Quatrième ciel Ton cœur la maison carrée T'insuffle l'Esprit Te roulant de droite à gauche En veille dans ton tréfonds

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BADINES

Que de professeurs Qui ne sont qu'informateurs Jamais formateurs Badines de Républiques Pour le meilleur et le pire

PILASTRES

Gourdins à méninges Pilastres de l'impensable Poncés à l'ancienne Ficelliers de " nos valeurs " A l'once de l'îlotisme

HISTOIRIENS

Professeurs d'HISTOIRE Histoires et bagatelles Fatigants Aras Ainsi font font font certains Aux comptines des Tribus

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UN TRAVAIL ARABE

La finition est Chez toi acte de piété Un Travail arabe Du temps de l'Andalousie Où l'œuvre était en prières

Quand le brouillard vague Aux colonnes du cosmos A ses amalgames La prière est ton chef-d’œuvre Tout en minuties d'ici

Ma grappe de larmes A Ton escabeau chatoie De Tes Noms sublimes Chaque grain de ma moissine Témoigne en nœud lumineux

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PRIVAUTÉS

Pardonne-moi de soupirer Au milieu de cette forêt Dont je n'ai jamais vu pareille Depuis que je vois de l'oreille

Je tombe sur l'Itinéraire Qui me ramène à mon pays Alors que je n'ai plus d'Ici Que l'Oasis imaginaire

Je n'ai cure de la mesure Ces mots me tombent sur le dos Pour que je ne songe plus haut Que ce qui colle à mes semelles

Prestataire de Tes empreintes Je traverse l'érudition Reg après reg à la fruition De Ton Nom intime qui tinte

Tu m'accordes des privautés Qui rendent piaffant de pléthore Les nababs de Ta métaphore Que n'élève la Pauvreté

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EN EPISTAXIE Quand bien même horrible Le nazisme AD NAUSEUM Empiète sur tout L’Histoire s’en rétrécit Et le Programme en pâtit L’Ecole-Clergé Passe de l’estompe au zoom Trait d’institution Overdosé de nazisme L’apprenant saigne du nez Les guerres mondiales L’infâme colonialisme Et le terrorisme Devenus poncif d’État En Stigmate spécifique La disproportion La démence mémorielle Inquisitoriale Voilà ce qu’est devenue L’Enseignerie de l’Histoire

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Laïcat en froc Laïcité missionnaire Ce trictrac d’État Est une prison mentale Un retour de guillotine L'Hysto-rien peseur D’intention d’actes de vie Au carat des castes La laïcité missionne Au damier du diable-dieu

Des millions de morts Déportés et mutilés Soldats inconnus Engloutis dans la Machine Qui entretient l’Amnésie Des milliards de morts Décorum de fond de scène Des Poilus plumés Des Indigènes sans Nom Insolvables au Souvenir Anciens combattants Des deux plus atroces guerres Menées en Europe Compost relégué au fond De l’Idole Résistance

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Ce LAPS de l’Histoire Martelé en mercuriale Le mot RÉSISTANCE Occulte tous les charniers Que l’homme déploie sur Terre Peinant au rabais Le vieil ancien combattant S’applique au mutisme Pour ne pas être maudit D’être Anti Ceux-ci Ceux-là Gaupe des lobbies Et des trafics d’influence Tel professorat Troglodyte des médias Erre en déchéance « classe » Heureusement que Tout n’est pas aux forfaitures Croyons-le encore Quelques veilleurs de l’Honneur N’abdiquent jamais critique

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Forlignement

Au monde crématorium

Voyage morte-vivante

Au pis-aller de la paix

Cette ombre surestimée

D'hommes si forts fors l'humain

YALLAH !

Patriote de la planète Tu trouves tonus en ton être En psaumes de défermeture

Penché sur les planétariums Tu as balbutié tes espoirs Au bémol des désespérances

Et te baignant d'identités Comme de pluies de renaissance Tu t'es dit jamais niais juré Tu te dis pourquoi pas peut-être

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Pourquoi pas un même drapeau Portant l'Empreinte-Labyrinthe Celle du Pouce Universel En gloire du lien fraternel

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POUR FAIRE TOMBER LE BROUILLARD Quelques verrées de ton regard Nous soulagent de la chassie Qui brouille l'Œil de la Patrie Ma fille à l'aube en ce départ Quelques verrées de ton regard La forme uvaire d'un pays Où le monde est en culbutis Pour faire tomber le brouillard

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Photos-reportage d'El' Mehdi Chaïbeddera à Mostaganem en septembre 2014 : 1 : Maison mauresque de deux étages au vieux quartier "turc" de Tobbana. 2 : Cinéma l'Alhambra en ruine dans la partie basse du Matmor, autre vieux quartier dominant la ville.

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MERVEILLEUSE RESIGNATION Merveilleuse résignation A la différence d’état A notre différance aux Voie(s) Eprouver Penser autrement Laissons s’animer à nous-mêmes De l’un de l’autre le mystère Offrons-nous l’honneur de l’Epreuve En vaillant abrasif d’écorce Pauvre Frère ne t’en va pas Abîmé dans l’indignité Moulinant à l’Irréductible Devant un Mur d’Irréductibles Merveilleuse résignation Aux êtres semés dans ce monde Les uns silhouettant légers Les autres s’y alourdissant Merveilleuse résignation Aux semis d’âmes dans ce monde Aux uns c’est une belle étape Aux autres déjà l’autre monde

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Margaux Hinojosa Romme (9 ans)

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LA LUNE

Par une nuit de velours, La lune s'enveloppa de flocons Qui brillaient tellement, que la lune disparue

Voyant le jour se lever, Je me réveille tout émerveillée, Je me réveille avec un caillou sous le pied.

Mais ce n'était pas Un caillou comme les autres, Celui-ci brillait et puis il avait des petits trous et… et…

Je pensais que ça pourrait être… Non, si, Enfin bref je pensais que c'était la lune. Mais oui ! Je me disais bien aussi que c'était bizarre qu'elle brillait beaucoup la NUIT

Fleurance le 4 décembre 2013

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Ami

Tu es mon ami Sans toi je n'existe pas Tu es mon ami Sans toi je ne vis pas

Tu es mon souvenir Sans toi je n'ai pas de mémoire Tu es ma fleur Sans toi je n'aime pas

Tu es mon enfant Sans toi j'ai du chagrin Tu es mon reflet Sans toi je suis l'aîné

Tu es mon passé Sans toi je n'ai pas d'enfance Tu es toutes mes idées Sans toi, sans toi… je ne suis rien du tout.

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SORAYA

101

MÉMOIRE ANCESTRALE

... L'avez vous vécu ? Ce moment étrange Cette impression de déjà-vu… Une odeur, un paysage Une sensation ou un visage… Quand les yeux se plissent Et cherchent l’image… L'avez vous vécu ? Cet unique instant, Un souvenir d'avant Qui trébuche au présent, Au-delà de soi, En dehors du temps… Elle est là… Quelque part en Nous, En chacun de Nous… La Mémoire Ancestrale Elle trouble la mémoire Et caresse l'histoire. Errant de vies en vies Libre et infinie… Suspendue dans l'oubli Défiant l’âme endormie… L'avez vous vécu ?

102

CE REGARD-LA

Je l’ai reconnu Pour l'avoir déjà vu, Elle a eu le même Cette couleur transparente Qui la rendait différente. Tu l'as eu, Je l’ai reconnu Ce regard-là, Celui qu'avait Méma. Maintenant je le sais, Que tu t'en vas Mon cœur titube, largué dans la douleur, Et nos larmes fatiguées Se cachent derrière la peur. Souviens-toi nos fous rires Pas si loin, Tes blagues salaces Tous ces moments fugaces… Souris, mon oncle Elle est tout près de toi, Au large de nous, tu la retrouveras…

103

DÉLIVRANCE

Tes yeux… immenses, s'ouvraient brutalement Regardant je ne sais quoi D’encore bien plus grand… Tu as rendu ton dernier souffle Alors que nous retenions le nôtre Tout vacille et rien ne bouge. Une seconde, une éternité, Et tu es parti vers l'immensité… Apaisé… enfin Le visage serein. L' air se change en mélodie Caressant nos yeux rougis, Mon oncle aimé s'en est allé Une larme roule… pesante de liberté.

104

Gilles-Marie Baur

105

Et la Vie Continue…

Déjà le bleu s'efface. Les ombres ont pris la place.

Encore un jour fichu Et la vie continue.

Les néons dans la brume Éclairent sur le bitume

Un dealer abattu Et la vie continue.

Plus loin sur la route,

Un accident sans doute. C'est un ami perdu Et la vie continue.

Un grand artiste est mort. Ses œuvres brillent encore

D'un peu d'absolu Et la vie continue.

Et puis tous ceux qui tombent

Écrasés par les bombes De militaires obtus Et la vie continue.

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Et v'la l'amour qui passe Qui te grise et qui te casse.

Rien qu'un malentendu Et la vie continue.

Sur mon carnet d'adresses Mais qui donc étaient-ce Tous ces noms disparus ?

Et la vie continue.

Plus je tourne les pages, Moins je retrouve les images

De tout ce temps perdu Et la vie continue.

Déjà la nuit s'achève.

Les années furent si brèves. Pourquoi s'être abstenu ?

Et la vie continue…

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108

Hario Masarotti

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CROISIÈRE D'ESPOIR OU LES NÉO-MIGRANTS (de Lampedusa)

Partis tout pleins d'espoir sur des bateaux infâmes

OÙ des passeurs véreux Après des jours de mer,

Parfois plate, souvent dure Entassés et malades Ils

arrivent enfin Près de Lampedusa.

La fin du cauchemar, L'espoir alors renaît.

Leurs yeux brillent de joie ;

Leurs visages se tendent

Vers la terre de vie

Où, dit-on, tout est beau.

On y est accueillis.

On y mange à sa faim.

On y est bien logés.

On trouve du travail.

110

On y vit très heureux.

Mais voilà qu'une vague

Plus forte que les autres

Embarque tout plein d'eau.

Le bateau, trop chargé,

Prend une forte gîte.

Fusent des cris d'effroi,

On se rue vers l'avant.

On se rue vers l'arrière.

On se bouscule en vain,

On se pousse, se piétine.

L'eau s'infiltre partout.

Le bateau, lourd, s'incline.

Les passagers glissent,

Passent par-dessus bord.

Tout autour du bateau

111

Ce n'est que cris, appels.

L'eau est dure, sombre,

Glaciale, ennemie.

On s'appelle, on supplie,

Peu de mains se tendent

Parmi les compagnons

Eux-mêmes occupés

À leur propre survie.

Alors on se débat

Dans cette eau si froide ;

Paniqués, l'on coule

Irrémédiablement.

Enfin, une vedette ;

La marine italienne

Repêche les noyés,

Repêche les rescapés,

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Secourt et réconforte,

Les conduit au rivage

Où ils sont accueillis.

Ils sont identifiés,

Entassés et parqués.

On se compte, se recompte

Combien en manque-t-il ?

Combien n'arriveront pas,

Perdus à tout jamais

Dans la mer sans pitié.

Et à Lampedusa,

Amère désillusion,

Tout est laid, repoussant.

On est mal accueillis.

Et à peine nourris.

On n'a pas de travail.

113

On y est malheureux.

On y pleure, on y râle,

Il faut se résigner.

Demain on partira,

On ira vers l'ailleurs,

Vers des temps bien meilleurs

Espoir, désespoir, espoir.

Ce sont les néo-migrants.

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Serge Soriano (D.R)

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UN RÊVE DE POULAIN

Cette nuit calme comme tout Je dors, rêve au creux du matin,

Rêve bizarre d'autrefois ; Entends les sabots d'un poulain

Cogner à mon balcon, Puis courir dans le champ

Bordant mon appartement. Illusion que la cité

Était dans le temps passé une ferme, Avec ses animaux, des chevaux…

Vois un fermier leur donner du foin, Dans une auge en fer

Près des haies, arbustes, Une mare brille d'étoiles d'eau.

Tout cela entoure le champ Où courent chevaux, poulains ;

Un parmi tant d'autres Se rue fort de ses sabots Sur la vitre du balcon,

Dans mon rêve toujours, évidemment. Cela est tellement stressant

Que je me lève Ouvre le balcon,

Vais vers lui, prudemment Le caresse tendrement,

Puis, par enchantement s'adoucit.

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Apaisé repart dans le champ Avec ses comparses.

Alors, le rêve s'apaise aussi, N'entends plus ses coups de sabots

Qui me martèlent le cerveau Comme avec un marteau.

Étrange rêve d'un passé lointain peut-être Dans ce lieu où autrefois

La nature était là, Bien présente à l'état sauvage,

Avec, une deux fermes, allez savoir… Des champs, arbres, animaux, oiseaux, corbeaux…

Le rêve se finit, m'endors encore un peu Pour me réveiller, me lever

Un peu plus tard, Fatigué de cette nuit agitée

Par cet étrange songe angoissant Mais plaisant, charmant.

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FACÉTIES DES INTEMPÉRIES

QUAND LE BON temps viendra

Dans la gadouille planterons radis, choux

Au besoin de chez nous

A la demande du temps doux,

Moyennant vente à prix bas

Pour tous avec sourires bien de chez nous,

Et de petits mots, histoires de terroirs,

Visages rubiconds qui en disent long

Où froid du vent glace

Ces ardeurs agraires

À l'odeur de purin.

Manteaux d'hiver de ces travailleurs

Des champs, coulent des ruisseaux

Eau du ciel limpide.

Quand tonnerre grondant

Par-delà l'espace,

De nos chaumières

Regarderons par la fenêtre

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Ces éclairs, assourdiront

Nos oreilles.

Dégustant un bon café chaud

Une, deux madeleines

Pour oublier ces tristes facéties,

Des intempéries.

Resterons bien au chaud

Souhaitant soleil bientôt,

Lisant ces poèmes

D'aujourd'hui, hier.

Un peu de musique

Et oublierons cette tristesse

Qui nous assaillera.

119

BAISER DE NUIT

Nuit de demi-lune apparente, Deux nœuds ficelés,

Levés vers le haut Une belle bouche

La lune m'a parlé…

120

ILUSION DEL AMOR

Soy des algodon, de piel,

Quiero darte besos, besos

En tus labios de miel,

Mi amor de sueno,

Del dia, de la noche…

Soy des algodon, de piel,

Quiero decirte palabras de la vida,

Sentimientos del corazon, del alma,

Y con tu, contemplar la luna

Cuando hace noche,

Con el cielo de mil estrellas, escuchar canto del

agua, del arroyo

Cerca un arbol

Donde nos descansamos, todo los dos

Con una pequena copa de licor, de limon,

Comer un pastel,

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Soy de algodon, des piel,

Bonita mujer de mi vida

Y te quiero siempre, siempre,

Le gusta hacer el amor

Con tu, todavia, todavia,

Todavia como un loco.

Escuchar el agua correr sobre los guijarros,

Aves nocturnos,

Silbar los pajaros,

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Darte besos, besos Despues dormir con tu hasta manana,

Soy de algodon, de piel Ilusion del momento,

Magia des la vida, Del amor, del azar,

Suerte des una estrella En el cielo

Sobre mi cabeza Un hijo de la luna,

Soy de algodon, de piel, Soy des algodon, de piel.

123

Frédéric Blémond

124

Entre ces 4 murs

Seul dans mon petit appartement insalubre,

J'entame une nouvelle soirée des plus lugubres.

Épuisé par cette longue journée, je me suis assis,

Je regarde ma boîte de thon et mon pain rassi...

Sixième fois cette semaine... Je n'ai plus envie !

Unique repas, il me le faut pourtant. Je survis !

Entre ces quatre murs, loin de tout, loin de rien,

L'avenir ne se compte désormais qu'en besoins,

Même pas un euro pour tenter une grille;

Même plus droit au rêve ! Tout part en vrille !

125

Une chaise, une table, un vieux transistor nasillard,

C'est tout ce que m'a laissé l'huissier en beau costard.

Les piles, je les récupère dans la boîte du recyclage,

Pour entendre un bruit de fond et pour l'éclairage.

Le vieux poste ne capte évidemment pas grand chose,

Quelques chansons pour rendre le quotidien moins morose...

Entre ces quatre murs, loin de tout, loin de rien,

L'avenir ne se compte désormais qu'en besoins,

Même pas un euro pour tenter une grille;

Même plus droit au rêve ! Tout part en vrille !

C'est l'heure des infos et l'époque des transferts,

Les mots que j'entends ont un goût bien amer...

Pour jouer au ballon et courir pour s'entretenir,

126

Il gagne dix fois plus que moi mais il y a pire !

Là la somme est astronomique et il me faudrait dix vies

Pour entasser la même que la star de Paris !

Entre ces quatre murs, loin de tout, loin de rien,

L'avenir ne se compte désormais qu'en besoins,

Même pas un euro pour tenter une grille;

Même plus droit au rêve ! Tout part en vrille !

Je pense à lui mais le contraire est bien sûr illogique...

Ces gens-là, footballeurs, artistes ou politiques

Ont-ils conscience de nos situations dramatiques

Et de l'indécence de la différence. Non, pas d'éthique !

Un meilleur partage pourrait pourtant être bénéfique

A de nombreux êtres des plus faméliques...

127

Entre ces quatre murs, loin de tout, loin de rien,

L'avenir ne se compte désormais qu'en besoins,

Même pas un euro pour tenter une grille;

Même plus droit au rêve ! Tout part en vrille !

Entendons-nous bien, ce n'est pas le vol que je prône,

Plutôt un rééquilibrage du strapontin jusqu'au trône,

De manière à ce que le plus petit d'entre nous

Ait les moyens de Vivre le mois jusqu'au bout

Au lieu de le survivre à compter du dix (et sans excès !)

Car nous, petits, n'avons même pas les moyens d'un ciné !

Entre ces quatre murs, loin de tout, loin de rien,

L'avenir ne se compte désormais qu'en besoins,

Même pas un euro pour tenter une grille;

128

Même plus droit au rêve ! Tout part en vrille !

Gabarret (40) – 2014

129

Sonnet à la Poésie

Malgré cette sale époque où la vie ne rime guère avec elle,

Elle survit encore par le biais de quelques illuminés farfelus,

Qui, grâce à une âme d’enfant et un regard ingénu,

Continuent, contre vents et marées, à voyager sur ses ailes.

Pourtant, tout un chacun, partout, à chaque instant,

Pourrait la voir, la sentir, l’entendre, presque la palper,

La goûter même, à chacun de ses actes, chacune de ses pensées,

S’il voulait ôter les œillères de la nécessité de son temps…

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Car elle se dissimule aux yeux des profanes pourtant si aiguisés,

Ayant disparu de ce monde si matériel, égoïste et stressé,

Qui a oublié le rêve, la magie et la générosité…

Elle s’appelle Amour, Peine, Joie, Colère, Envie, Jalousie…

Elle revêt toute forme, tout instant, tout habit…

Ce n’est que çà mais c’est toute la Vie : la Poésie…

Gabarret (40) - 2013

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Les étoiles

Cette nuit, j’ai vu des milliards d’étoiles… Des étoiles en relief me semblait-il ! ! ! En trois dimensions, pas comme sur une toile, Mais la différence était tellement subtile Que les étoiles semblaient être des âmes, Des âmes étincelantes, m’invitant, là-haut, A quitter la Terre, ce monde infâme, Et à visiter un autre monde, plus beau… Et je virevolte à présent dans l’univers. Je regarde la Terre, elle vieillit d’un coup, Et je ne vois plus rien, c’est un enfer, Une fumée noire l’englobe. La fumée partout ! Affolé, je regarde tout autour de moi : Les étoiles ont disparu, plus rien dans le ciel ! L’obscurité complète. Comme un grand trou noir, Où voguent des débris de satellites. Plus de ciel ! Je descend maintenant et traverse la fumée, Je suffoque, tousse et manque m’étouffer… En dessous, plus rien, je ne vois que fumée, Plus de vert, ni de rouge. Plus de couleur en fait !

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Je me pose à présent sur un sol gris de cendres. Le silence règne. Plus un cri. La mort ! Que ne donnerais-je, juste pour entendre, Entendre chanter un oiseau, grincer un ressort ! La fumée m’envahit et, de toutes mes forces, J’essaie de crier. Mais rien, plus rien, Je ne puis ni parler, ni voir. Je m’efforce ! Je tombe et rampe comme un saurien. J’étouffe, je me meurs sans comprendre. La Terre n’est plus… Nous l’avons tuée… J’agonise, la fumée à ma gorge veut se pendre, Elle y parvient et le dernier être meurs sans muer… J’ouvre les yeux, je vois des milliards d’étoiles. Des étoiles en relief me semble-t-il ! En trois dimensions, pas comme sur une toile… Non, mais la différence est vraiment subtile. Les étoiles, ces âmes rutilantes me disent, Dans un dernier effort, leur dernière chance : « Dis aux hommes, dis-leur en permanence, Que la Terre n’est cruelle que parce qu’ils la rendent ainsi. »

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Je suis sorti, et j’ai vu, là, ce soir, Des milliards de lueurs de désespoir…

Juin 1989 Aubiac (47)

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Fabrice Lacroix

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Sur le dessus des garages les bannières des différentes nations représentées flottent au vent. A l’angle du toit, un haut-parleur débite en allemand des informations. Tous les bolides sont rentrés dans la zone des stand un à un et les puissants moteurs au son roque et violent se sont tues. Les pilotes en manche de chemise, pied à terre, retirent leurs casques et leurs gants de cuir ajourés. Sous les lunettes d’aviateur on sent poindre une vague anxiété. Un grand en blouson gesticule et explique avec les bras et les mains la position des voitures dans le virage. En cette belle journée du mois de juillet, l’odeur de l’essence, de l’huile et du caoutchouc des pneus surchauffés est insupportable, écœurante. Les longs échappements en canon de fusil pointés vers le ciel fument lentement et les rétroviseurs lancent des éclairs comme des miroirs aux alouettes. Les monoplaces immobiles sont de gros poissons ventrus rouges, bleus, verts, gris. Des journalistes excités appareil en bandoulière, veste ouverte, micro à la main ne savent pas où donner de la tête mais il est perceptible que quelque chose d’anormal vient de se passer. Les directeurs d’écurie, costumes cravates, chapeau et mouchoir à la main, comme des mère poule essayent de rassembler dans les boxs leur petit monde. Des mécanos en bleus de travail maculés de tâches et chiffons dans la poche, las et harassés, ayant rangé la plus part des outils, poussent vers les camions, derrière, de grosses caisses à outils sur roulettes. Certains encore dans l’élan de la

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compétition s’efforcent de démonter à coup de marteau une roue rayonnante au soleil. D’autres penchés sur les habitacles, règlent un pédalier, nettoient un saute-vent incrusté de moustiques. On ne parle pas trop, on échange d’un muret à l’autre quelques signes, le haut parleur arrête sa litanie. Ici des badauds trop curieux se font évincer car trop prés des autos par des militaires impatients. Les chronométreuses foulard sur les cheveux, stoppées dans leur élan, cherchent du regard au bout de la piste d’éventuelles concurrents en sursis de temps à battre. A l’écart, dans un coin caché par de lourdes caisses en bois où le nom de l’écurie est marqué au pochoir noir, un peu protégé des regards curieux, Fangio, le grand Fangio, effondré, serre dans ses bras Gonzàlez en pleurs ; il vient de lui annoncer la mort d’Onofre Marimon. 31 juillet 1954, GP d’Allemagne, circuit du Nürburgring

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Septembre ; que sont devenues les grandes maisons aux caressants visages et ouvertes sur le monde ? Les terrasses bercées d’air parfumé suspendues comme jardins sur la mer ? Les chants, les rires d’enfants, les pas menus entre les citronniers et le vent assagi sous les ailes d’est, sous les îles d’ouest ? Resplendissant de soleil, les corps tel citadelles assiégées, les corps tel citadelles à enlever derrière les grilles du mystère que sont-ils devenus et dont je te dirai combien leurs crépuscules furent l’instant d’un été, splendides aventures? Ah ! œuvre de la nuit, œuvre des jours, où sont fleuves dormant, prairies, plaines dorées qui ne se terminent qu’au ciel et dont j’exige à présent en vain, les milles visages ? Derrière le mur, notre chemin d’automne. Derrière le mur notre chemin où les astres dans ta main comme une poignée de sel annonceront matin le fier cavalier, la gloire, les vins capiteux, l’or, et l’adamantine étoile.

Limoges, septembre deux mille treize

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La vielle porte dans la muraille est peinte en rouge. On y voit des ferrures acérées et le sang dessus après le gros clou et la croix. Tout en haut près du muret sa main si blanche à ganses d’hermine, transie, aux doigts filant la laine se repose sur un maigre crane brun. A ses pieds s’étend la beauté du monde que l’on ne peut décrire. Dans ce décor elle fixe quelque chose en dessous la lumière d’un flambeau, invisible à nos yeux dans l’espace ouvert de la campagne enneigée. Elle n’a pas de larme et le ciel incandescent posé à même les noirs bûchers abaisse vers elle les paupières comme pour dire : « mais oui, bien sûr ! » Puis sur les foules en dehors la cité et demeurées immobiles malgré le gel, lentement tout s’éteint. Alors au hasard des buissons et lisières, au hasard des étoiles, on assiste éblouis à des miracles. Mont de Marsan, janvier deux mille quatorze

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Femme-feuille endormie sous son poids de plume, dans la passe lente des endormeuses, pour moi tu commandes au vent de chamailler les grillons et la lune des herbes du soir. Alors loup blanc, loup noir et chair du bouleau, je regarde passer des vols de milans sous tes cils bleus et ma joie est blanche de vielle neige foulée comme vieux mots jetés là au fil de la mémoire.

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Henri Heurtebise

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À MARIE-ANDRÉE

À TES PAROLES

UNE FLAMME APPARUT

UNE BRAISE

QU'ON DIRAIT FLEUVE

SUR DE LA CENDRE

NOUS, PARLIONS DES UNS

ET DES AUTRES

ET J'ÉCOUTAIS CETTE VOIX LOINTAINE

OÙ L'AVENIR COMMENÇAIT À SE

REDESSINER

TU ME DISAIS :

C'EST CELA

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LES FLEURS GARANTISSENT L'EAU

ET LA VIE S'ÉTEND LENTEMENT

UNE PROFONDE FÊTE

Mon dernier poème

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Jacqueline Roques

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dimanche 20 01 2013

À MARIE-ANDRÉE

PORTE 209 DERRIÈRE LA VITRE LA FEMME… DES LARMES DE NEIGE GLISSENT SUR SON VISAGE ENSOMMEILLÉ.

DEHORS LES BOULEAUX PLANTÉS DANS L'ÉTENDUE BLANCHE

ACCROCHENT LEURS FINES BRANCHES EN D'ÉTINCELANTES MAINS DE GIVRE

AUCUN BRUIT AUCUN OISEAU N'OSE LA FEMME IMMOBILE TOUJOURS.

LA NEIGE SUR SES JOUES SE DESSÈCHE PEU À PEU

EN DE NOUVELLES RIDES LONGS COULOIRS DÉSERTS DES MALADES

UN CHARIOT ROULE QUELQUE PART SANS ATTEINDRE ET SILENCE ET SE DIRE

QUE DEMAIN SERA ENCORE LÀ…

145

Germaine Cartro

146

LES MASQUES VÉNITIENS

J'aime les loups Vénitiens ;

Don Juan rôde en sa gondole,

En recherche de son idole,

Sous des dentelles en satin…

Or, les masques, figés, se croisent ;

Ce qu’il en pense on sait pas :

Leurs beaux atouts, tendres appas,

Sont perçus de façon grivoise…

Fillette, dans ton cœur simplet,

S'affole le plus charmant conte :

Et sans que tu t'en rendes compte

Il est le roi de ton ballet…

147

En toi, future, sa nouvelle,

Demeure un songe sans repos :

Te séduit son troublant appeau :

Vogue toujours sa caravelle…

Lui, le déçu de chaque port,

De jouvencelle en courtisane,

Navigue sa nature insane

Jamais lassée en ses transports…

Le 10 décembre 2013

148

PAYSAGE D'AUTOMNE

Rien ne vaut en automne Sous un ciel lumineux Chênes et résineux De ma terre gasconne…

Au loin sur la colline Roussâtres et sereins Surveillant le bon grain Les chênes dodelinent…

Ces sentinelles-là Soupçonneux se tracassent Car quelques pies jacassent Et picorent déjà…

149

Les sapins verts bleutés De lumière étincellent : Réjouis ils recèlent Des Noëls enchantés !

Arbres équilibrés Projetant sur les rives Des ombres qui dérivent En contours acérés…

150

ANÉMONES SYLVIE

Elles égayent les forêts ; Leurs blanches étoiles fleuries

Font au point de tapisserie Un spectacle plus-que-parfait…

Si vous vous approchez de près Et leur demandez « mes jolies », « Du nom d'Anémones-Sylvie »

« L'on vous pare, n'est-il pas vrai ? »

De leurs petites voix pointues, En chœur, elles lâcheront « Oui ! »

Mais penseront « Sans contredit, « La question est saugrenue ! »

«Nous ne parlions qu'avec le vent » Qui nous caresse et s'insinue, »

« Or, sans prélude, une inconnue, » « Deux pieds derrière, et deux devant »

«De notre généalogie « S'inquiète et nous inquiète autant ! » « Mais nous nous confierons au vent »

« Qui rassurera ses amies ! »

151

CHENE EN HIVER (double couronne)

Ma feuille se dessèche ; irréductible, entière Elle résistera jusqu'aux prochains beaux jours ;

Avec entêtement, plénipotentiaire, Ma sève fraternise en sa loi de toujours…

Ma feuille se dessèche, irréductible, entière ;

Le sang en mon grand corps, je sens, se ralentit ; Néanmoins, encor là, des forces intestines,

S'obligent cependant, dénuées d'appétit, Au modeste maintien de vigueurs clandestines

Le sang en mon grand corps, je sens, se ralentit

Les arbres m'entourant – hormis les conifères Dès les premiers frimas leurs rameaux dénudés ;

Feuillages disparus, ces atours mortifères, En costume d'Adam se sentent dégradés ;

Les arbres m'entourant, hormis les conifères,

Frissonnent, éperdus : l'hiver les amoindrit ; Quand parfois l'un d'entre eux au bout des ans trépasse,

- C'est le lot de chacun -, l'arbrisseau s'aguerrit, Sans sa protection, non loin de cet espace :

Frissonnant, éperdu, froidure l'amoindrit

152

Ma feuille se dessèche, irréductible, entière ; Le sang en mon grand corps, je sens, se ralentit…

Les arbres m'entourant, – hormis le conifère Frissonnent, éperdus : l'hiver les amoindrit Ma feuille se dessèche, irréductible, entière

153

L'ÉTÉ DORE

Durant « l'été doré », pour fêter Apollon, Le Dieu qui sait mûrir les gerbes à merveille

Et de ses flèches d'or l'exubérance éveille, À son temple on offrait la dîme des moissons…

Toute lumière éteinte, une procession De prêtres, de soldats, accompagne, surveille,

« La porteuse de feu » qui sur la flamme veille. Dans la nuit les flambeaux à cette occasion,

Ranimés, radieux, sur la route de Delphes, Dans la plaine brandis, dansaient comme des Elfes ;

En l'honneur d'Apollon brûlait l'âtre sacré…

Les fleuves et les rus à fluide chevelure -, Retenaient en leurs plis de ce feu consacré

A cette époque-là, propices à l'augure…

154

HOMMAGE

À MARIE-ANDRÉE

AVEC NOS REMERCIEMENTS ET NOTRE AMITIÉ

APOLLON, N'OMETS POINT DE VERSER L'AMBROISIE EN LA COUPE D'AÏEUX À JAMAIS RASSURÉS DE VOIR UNE DES LEURS SERVIR LA POÉSIE AINSI QUE DIVERS ARTS PAR ELLE RÉVÉRÉS…

NOUS SOMMES CONSCIENTS, ÊTRES HUMAINS FRAGILES, À TANT DE CHOIX SUR TERRE, AU MONDE CONFRONTÉS, QU'À LECTOURE APPARUE, ALERTE, PROMPTE, AGILE, ELLE GUIDA NOS PAS INEXPÉRIMENTÉS…

À LA PEINTURE LIÉE, À GEORGES SANDOVAL - SA GUITARE RYTHMAIT DE SON PAYS LES CHANTS -… IL NOUS ACCOMPAGNA, EN AMONT, EN AVAL :

155

D'UN VILLAGE À L'AUTRE, LEURS SITES ALLÉCHANTS…

PARFOIS AU TAMBOURIN, SA CHORALE COLPORTE LES MOTS INOUBLIÉS DU PARLER OCCITAN QU'ELLE AIME GLORIFIER, PORTANT HAUT LEUR COHORTE AVEC CE DON INNÉ D'UN ORATEUR D'ANTAN…

Le 21 octobre 2014

156

L'OISEAU DE FEU

Le soir, on peut apercevoir un oiseau de feu

REGARDEZ-LES, SES FLAMMES ROUGES, ORANGE

ET BLEUES

Elles vous donneraient presque des ailes.

Blanches comme les anges, et belles, très belles !

En contemplant de plus près l'oiseau,

Vous avez l'impression de vivre quelque chose de

nouveau ;

Une partie en vous s'éveille pleine de douceur

Comme pour mettre votre vie en couleur ;

Et tout s'éclaire soudain près de votre table de chevet

Qui vous dit que vous avez rêvé ?

Hermann DUDOIT, né le 13 mai 1998

Écrit spécialement pour Mamie le 02 09 2011

Claude Lafosse

157

158

LE GLOBE DE L'ŒIL DANS LES ÉTOILES

Petite femme verte, quand souffle la nuit

Ton manteau blanc est un éclair qui irradie notre univers.

Petite femme verte perdue poussière, ta galaxie est un mystère

Qui enfante des milliards en chatons d'années-lumière.

Compagne radieuse, bergère de charme

Levant les voiles en naviguant vers l'inconnu,

Grains de beauté célestes toujours cachés.

Voyager dans la folie, émerveillée d'une autre vie.

Petit homme vert assis sur la Grande Ourse,

Grain de sable au gouffre noir de la raison

Tes découvertes frôlent l'infini.

Petit homme vert ensemencé d'un rayon bleu,

En un clin d'œil tes pas épousent une Martienne

À chaque lune de miel.

159

Une flore nuptiale égaye notre évasion. C'est en foisonnements de couleurs l'éclipse totale de l'amertume. De son magnétisme pictural l'aurore boréale inonde le ciel, Sa fièvre abstraite réchauffe les esprits Et rayonne de luminescence en paysage polaire. Apocalypse planétaire annoncée en cactus d'angoisses Au premier jour d'un hiver sans âme. Le centre de gravité de notre monde déboussolé Perd son cordon ombilical. Les danses acrobatiques des petites femmes Et des petits hommes verts chassent cette ère maléfique. Les étoiles bleues envoient leurs signaux d'urgence. Leurs clins d'œil fulgurants salivent et scintillent. Tourmentés par l'équilibre naturel et fragile de notre terre-mère, Des utopistes aux yeux émeraude Offrent à la constellation de la Couronne Boréale Leurs nez rouges et leurs bretelles d'accordéon.

Paru sur le thème : « ÉTOILES ET PLANÈTES »

des Dossiers d'AQUITAINE

160

Patrick de Lary Latour

161

LES VOIX DE LA MER "Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues Vous roulez à travers de sombres étendues."

Lamartine dans "Océano vox"

Quand je vois tes embruns s'envoler pleins d'écume Et blanchir le mistral où danse encor un mât,

Quand tu reviens couvrir au jour qui se consume Les pas des amoureux que le vent déforma ;

Quand j'entends résonner sous les feux de ta voûte Tous les cris douloureux des oiseaux migrateurs

Suspendus sur ton gouffre, où naissent peur et doute Après le grand départ vers des lieux bienfaiteurs ;

Je sais qu'à l'horizon sur ton autre rivage Hagards et courageux, fatigués du chemin

Dans un désert hostile, ils vont quitter la plage Sur un radeau fantôme, un seul sac à la main.

"Naître dans la misère au milieu des souffrances, Grandir dans les conflits, sans cesse déplacés,

Frôler comme un truand, la mort, les violences, Pour partir ! vivre enfin ! leurs rêves insensés."

162

Comme des galériens enchaînés sur leur tombe, Les yeux sans cesse au ciel, les cœurs près des parents, Les

corps paralysés sous l'assaut d'une trombe, Ils espèrent toujours comme les Juifs errants.

L'Europe est leur salut ! paix, travail, toit, salaire ; Terre dite promise ! où tout semble parfait !

Hélas ! c'est cher payer pour une autre galère : Celle de chavirer ou d'être insatisfait.

Si d'une rive à l'autre ils ont changé de barque, Celui qui tient la barre accueille au port des cieux, Tous ceux qui l'ont aimé : le pauvre, le monarque,

Dans la joie et la paix d'un amour précieux.

Heureux d'unir vos morts à ce modeste hommage, J'ai plié son papier pour en faire un bateau,

Et sur ton bleu linceul où voltige un plumage J'ai vu longtemps voguer mon fragile ex-voto.

Suite au drame de Lampédusa du 03 10 2013

Le 10.11.2013

163

Paulette Cantan-Grison

164

Mes écrits perplexes et complexes, hésitant

Entre prose libératrice ou poésie méthodique, Récits

narrés ou contes stupéfiants,

Et essais de philosophie logique,

Ne savent dans quelle catégorie se situer, se positionner

Mes textes s’élaborent pour se disposer, s’ordonner

– En une « prose poétique verticale »

Agencés autour d’une expression primordiale,

D’une pensée élaborée, d’une impression enfantée,

D’un souvenir ranimé, d’une sensation suscitée

Modestie de mise, dans un rêve utopique, à l’instable

fragilité, Angoisse de l’avenir, aléatoire, fécond d’anxiété,

Malaise affleuré, ressurgi, d’une histoire du passé toute

ridée,

Pour sauver avec décence et humilité, une chère

« Idée ».

Intensité du terme recherché et visé,

De la phrase parfois inversée,

Allitérations et rimes souvent non imposées,

165

Utilisées pour un joli et théâtral phrasé.

Jeux de mots, jeux de scène,

Jeux de miroirs, jeux d’épicènes,

Jeux de massacre, jeux de hasard,

Mais jeux ni de dupes, ni de tsar.

Mes griffonnages fusionnent un moment,

Sur les ailes fines et transparentes d’un éphémère, et

gauchement,

Ils vivent peu de temps mais intensément,

Puis, hélas, retombent de leurs nuées, très

maladroitement

166

LE DÉBUT DE LA FIN

Un jour Il n’y a plus de jours.

Une voiture

Se plie de douleur, en crissant.

Un silence,

Peut être troublé par ton cri.

Des couleurs :

Rouge sang carotide,

Tache pourpre sur la route,

167

Marquant le lieu.

Cervelle sur l’herbe,

Yeux noirs pleins de graviers,

Éclipse en plein soleil

Temps immobilisé,

Stoppé net,

Par ce corps

Gisant là : -

Dans notre souvenir

168

ENTREVUE ÉCHOUÉE

Dans la stupéfaction

D’une vie qui se brise, et s’éloigne vers l’infini,

Me voici pantelante,

Avec le cœur saturé d’un amour

Désormais superflu, Et les mains vides, dépouillées,

En forme de caresse oubliée,

Étonnées de n’avoir osé te toucher

Doigts écartés devant moi, inutiles,

Béants sur le néant.

Ma main imaginait

Découvrir ta main,

Tout doucement,

Sans la brusquer,

Elle ne s’est pas pressée,

Si sûre de l’atteindre,

Certaine de la rencontrer,

169

De parvenir jusqu’à toi

Et, elle reste là, esseulée,

Sans comprendre ; déroutée,

Sidérée de ne l’avoir pas trouvée,

Démesurée,

Ne sachant que capter,

Que saisir pour s’accrocher

Main douloureuse d’espoirs déçus,

Et lourde de larmes libérées,

Désormais seule, abandonnée ;

Pleine d’une pureté nouvelle,

Mais ne sachant en ton absence,

Ni comment l’utiliser,

Ni vers qui la diriger…

170

QUE CELA

CLAUDE est mort ! La mort l’a enseveli

Escamotant notre passé : Les vagues de joie et les affres de la jalousie. Espoir en

fugue : Tout ce que nous avions partagé ;

Tout ce qu’il m’avait octroyé Tout ce que je lui avais offert,

Tout, fut emporté dans les voiles funestes des Parques Le cerveau déserté,

La vie oscille en désespérance, En abominables souffrances,

Les yeux anéantis de brume et de ténèbres,

Les pleurs en ruisseaux, Je le veille

– Une dernière fois — Je le veille pour un dernier bonsoir,

Un dernier au revoir Un dernier adieu

A DIEU ? La nuit étale ses draps mortuaires,

Les montagnes étirent leur ombre en linceul, La lune roule sa bosse

Engoncée dans les nuages obscurs, Répand une lumière noire,

Malfaisante.

171

Tout reste désordre, Tout a perdu le sens, Nous laissant :

Sens dessus dessous, Dessous dessus, Pauvre de nous !

CLAUDE est mort ! Qui, a osé me dire :

« Il n’y a pas que cela dans la vie » ?

172

SUR LA POINTE DES PIEDS

L’obscurité m’a surprise, Frileuse en déshabillé ;

J’ai regardé pleine d’effroi, L’ombre s’étendre près de moi

- J’ai imploré ton secours -.

Seuls, en écho argentin Quasiment inaudibles,

Le vide et le froid m’ont répliqué, En s’agglutinant contre moi,

Pour une embrassade glaciale, hostile, Marmoréenne.

La lune s’arrondit,

M’expédie des lueurs polaires, Pour mieux se moquer.

Complice, la nuit a vêtu son plus beau rire étoilé, Pour mieux me charmer,

M’a saisie dans l‘anneau d‘une planète Dans une étreinte ajustée,

M’a enfouie Dans un petit nuage vaporeux,

M‘a endiguée, Dans un sommeil ailé

Blottie, contre ton spectre transi accouru, Revenu tout doucement d’outre tombe,

173

Pour me rejoindre :

Me rassurer,

Me rasséréner,

Ne faire plus qu’un avec moi

Pure harmonie :

Le temps arrêté refuse de passer

Même sur la pointe des pieds,

L’instant s’enrobe de silence

Chut !!!!

174

RÉTROVISEUR

Après avoir sillonné, sentes perdues et interminables

routes,

Dans son existence brumeuse, en déroute,

L’homme déchu, exilé de la vie, s’assied sur les cailloux,

Son chien lové dans le creux douillet de ses genoux.

En de douces caresses,

Ils s’abreuvent d’une partagée tendresse

Ses « rastas » hirsutes frôlent ses épaules fatiguées,

Nids de vermine, installés avec volupté.

Les chaussures éculées, dépareillées,

Les guenilles en loques, maculées,

Portent les outrages du temps.

Elles témoignent d’une longue errance,

D’une terrible décadence,

En un spectacle, souillé, fort désolant

Dans une boîte bancale, s’éparpillent quelques centimes,

Piécettes d’une maigre lésine ;

Sur le côté, se lamente un sac ténébreux,

175

Qui renferme les trésors flétris et amers, de toute sa vie

de gueux.

Il tend le désespoir, l’abandon en sa main,

Toute honte bue, gommée, effacée par la faim

Les gens déambulent, passants d’un autre monde,

Larguent un regard maladroit, coupable ou craintif,

L’égratignent d’un coup d’œil délavé et furtif,

En une dérobade immonde.

Ils masquent leur hypocrisie piteusement,

Et accélèrent vite le pas, honteusement

Parfois, l’un d’eux daigne grimacer un sourire crispé,

sans attrait,

Ou susurre un vague « bonjour » voilé,

balbutié ou distrait ;

Parfois, un autre, taciturne, gratifie le mendiant de

l’obole quémandée,

et veule, se calfeutre vite, dans son univers

imperméabilisé Impassibles devant cette faillite extrême,

Ils n’osent affronter la vue de l’énergumène,

176

Miroir d’expériences destructrices, d’angoisse, d’odieux

affronts,

Dans le spectre de l’enfer, d’une société flétrie, en

perdition

Le pauvre hère, résigné à la « liberté »,

Rôde plaintif, en un cri de douleur silencieux, vers la

grisaille de son destin.

Solitaire, ligoté dans sa dignité, sans se retourner sur

l’infini de son chemin

Illusions désertées, son chien à ses côtés,

En osmose, dans le vague brouillard, quelle que soit la

saison,

Le souffle des étoiles flétries pour plafond,

La rosée effleurée pour paillasson,

Ils regagnent tristement dans le crépuscule,

Le cruel désespoir de leur nuit, écrit en majuscules

Cloué à l’horizon

177

ÉCLATS DE POÈMES

Fabuleuses pierres brutes précieuses,

Les poèmes en vers, en prose,

Enfouissent dans leur gangue imperméable,

Parfois impénétrable,

Des diamants ;– au cristal, à la pureté,

Recelés dans le secret de leur cœur : escamotés.

Pierreries façonnées par le joaillier,

Inlassablement transformées, travaillées,

Indéfiniment modifiées, peaufinées :

Taille, jamais terminée

Sous l’iceberg masqué qui vacille, se confirment

Les pulsions ennemies,

Enfouies au tréfonds de l’âme.

Irradiant de toute leur beauté cristalline,

Ces clartés imperceptibles,

Battent la chamade, en infimes sensibilités

Perçues dans leur non-intégralité,

178

Et à certains regards invisibles

Bijoux ciselés par l’orfèvre avec minutie,

Poèmes aux innombrables facettes polies,

Ils diffusent leurs plus belles lumières en apothéose :

Noires et blanches.

Elles s’offrent au prisme qui les décompose,

Magnifiant leurs extraits de couleurs extatiques,

Aux scintillements mirifiques

Lors d’une nouvelle lecture envoûtante

Surprendre, une esquille éblouissante

Ou blafarde.

Selon la faculté

D’en saisir la féerie, l’insolite, la subtilité,

D’en interpréter le mystère, la substance,

Chacun happera dans les stances

La brillance chatoyante ou opaque de la création

Par son esprit, son imagination,

Blotti dans le huis clos de son univers, le liseur captera

Quelques fragments intimes ivoirins

179

Mais indéniablement, il occultera

Le génie, le talent et l’essence du poème.

Inaccessible défi pour déceler le trésor,

tapi au cœur de sa gemme

Submergée dans la nacre diaprée, de son sublime écrin

180

Nicole Mercier-Thomasson

181

Bal au clair de lune…

Elle marchait sur le chemin Tenant ses bottines à la main.

Vive et légère, elle allait pieds nus, Dans le sentier bordé de feuillu.

L’air embaumait le lilas, La lavande et le réséda.

Son jupon de dentelle et pampilles Battait sur ses délicates chevilles.

Elle se sentait fraîche et belle La gracieuse demoiselle.

Elle courait vers ce petit bal de campagne Dans le joli village au pied de la montagne.

Elle savait qu’il l’attendrait le joli cœur, Que dans ses longs cheveux en torsade

Tendrement il piquerait une fleur, Son cœur battrait la chamade.

Ils partageraient une pomme d’amour En se jurant des jamais, des toujours,

Puis la tenant tendrement serrée dans ses bras Il lui ferait danser une mazurka, une polka.

Dans ce petit bal au clair de lune Ce soir, il ferait danser sa brune…

182

Après-midi de Septembre… À travers les persiennes entrebâillées, Un souffle de vent tiède et léger Faisait bruisser les rideaux d’organdi. Sur la terrasse, à l’ombre d’un pin parasol, Dans une coupe de faïence posée à même le sol, Une abeille s’enivrait au parfum d’un abricot bruni. L’air embaumait les roses écloses du matin, La lavande, la glycine et le romarin. À l’intérieur, dans la pénombre de la chambre, Par ce paisible après-midi de Septembre, Dans son petit lit aux draps de percale douce, Un chérubin dormait en suçant son pouce. Il tenait dans ses bras, serré contre son cœur, Un ours en peluche qui avait connu des jours meilleurs, Mais qui semblait ravi de partager ce moment de bonheur. Sur le front du bambin perlaient quelques gouttes de sueur, Qui faisaient friser un adorable accroche-cœur Sur sa tempe fine de douceur. A la cuisine, une femme préparait une tarte aux pommes, En attendant, patiemment, le réveil de son petit homme…

183

La brassière La manche d’une minuscule brassière, Doucement prenait forme, La musique des aiguilles si régulière, Avec l’horloge comtoise énorme, Semblait, toujours en cadence Vouloir faire chanter le silence… Près de la haute cheminée, Assise dans son fauteuil en osier, Un chaton à ses pieds lové, Grand-mère était en train de tricoter, Un air de sa jeunesse fredonné, Lui rappelait son enfance passée… Que s’est-il passé toutes ces années, Pour que le temps paraisse s’être emballé ? Quand je regarde juste en arrière, Il me semble que tout a commencé hier… Et pourtant me voilà bientôt grand-mère, Moi qui me revois encore jeune écolière… Ce petit bout d’homme, Ce début de nouvelle génération, De la chaîne, nouveau maillon, Prévu pour le début de l’automne, D’amour emplira mon cœur, Et mes yeux de joyeuses lueurs…

184

Comme disait ma chère maman, La vie n’est qu’un éternel recommencement !! De génération en génération, Se transmettent les traditions, Les contes, le rêve et les histoires, Les recettes, les astuces et le savoir, La musique et les paroles des chansons, Les jupons de mousseline et de crépon, La dentelle fine des caracos, Et parfois la passion du tricot !!...

185

La pirogue de Mamadou Dans la lumière rose du soir, Mamadou a mis sa pirogue à l'eau. Là-bas, aux détours de la rivière, près des roseaux, Bien cachée, une belle pulpeuse à la peau noire, L'épie, le guette, l'attends impatiemment, Il ne l'a jamais vue, il pagaie nonchalamment. Comme chaque soir sur sa pirogue Il pagaie en chantant les yeux dans le vague. Dans la lumière rose du soir, Son chant est triste mais plein d'espoir. Au bout de la rivière est son avenir, Sur un autre continent, sous une autre latitude. Sur la rive la belle négresse, avec lassitude, Le regarde passer et inexorablement partir… Dans la lumière rose du soir…

186

Petite fille Petite fille du Congo, du Mali, D’Afrique noire ou de Paris, Les tam-tams étouffant tes cris Aujourd'hui on a souillé ta vie. Au fond d'une case sombre, Par une journée ensoleillée, A l'heure où les arbres n'ont pas d'ombre, A un nouveau jeu tu croyais Ta mère, fermement, a écarté tes cuisses, Ta tante t'a fortement tenu les mains, Elles pesaient si lourd sur ta peau lisse Elles te disaient « Tu oublieras demain » L'autre s'est penchée, ton intimité elle a fouillé D’un coup de ciseau d'une inouïe violence Elle a volé ton innocence Et le sang rouge et chaud a giclé Les vivats des femmes aux boubous chamarrés N'ont pu calmer tes sanglots Petite fille du Sénégal ou du Congo, Ton corps restera à jamais blessé.

187

Petite fille de chez nous En France tu pensais que tout était doux Mais sur une table de cuisine A l'heure où les hommes sont à l'usine Comme ta cousine de là-bas si loin Dieu seul en a été témoin Des mains aussi t'ont fouillée Tu as poussé les mêmes cris effarés Tu as dix ans, tu n’étais qu'une enfant, Tu voulais jouer à la marelle, à la poupée, Sur ton lit, allongée, tu voulais juste rêver A des lendemains plaisants Et te voilà recroquevillée sur ta couche Un goût de puanteur dans la bouche Jamais tu ne leur pardonneras Jamais plus comme avant tu seras On vous dit que plus tard Que pour vos noces, au soir Votre mari sera si fier D'être le premier à sa manière

188

Petite fille du Congo ou du Mali, D’Afrique noire ou de Paris, Laisse au loin ces rites ancestraux Ne donne plus prise à tes bourreaux Petite fille de souffrance, Que plus jamais ici en France Au Congo ou au Mali Il n'y ait d'enfance trahie…

189

C'était… C'était le ronronnement d'un chat persan, sur un coussin de satin, La pirouette des feuilles jaunies par l'automne un matin, Le gris, le noir des nuages dans la fureur de l'orage, La plume d'un cygne perdue sur un chemin de halage. C'était un rai de lumière à travers les jalousies, Une mèche de cheveux retombant sur la joue rebondie, Des sauterelles dans les foins fraîchement coupés, Des frimousses bleuies par des myrtilles mangées à poignées. C'était l'écume aérienne des vagues sur les pieds nus, La musique de la pluie sur les toits d'ardoise moussus, Les fautes d’orthographe à la dictée de l'écolier, Une goutte de parfum dans l'échancrure d'un chemisier. C'était les landes de bruyères, de genêts à perte de vue, Le souffle du vent dans les épis dorés et grenus, Une tarte à la rhubarbe au goûter du Dimanche, Le crissement des pas sur la neige blanche.

190

C'était une partie de cartes endiablée aux tables des cafés, L'odeur du feu de bois crépitant dans la cheminée, Des papillons s'enivrant du parfum d'un bouquet de rose, Le rêve sous la paupière close. C'était l'attente fébrile sur un quai de gare, Les valises prêtes pour un prochain départ, Le grondement de l'eau dans les cascades et les torrents, La douce caresse de l'enfant aimant. C'était la main apaisante sur le front fiévreux, Les promesses, les toujours des amoureux, Le vagissement d'un nouveau-né à l'aube de sa vie, Un livre oublié sur un banc à Paris. C'était le tintinnabulement des cloches aux campaniles, Un vol d'hirondelles partant pour un lointain exil, L'accent chantant et dansant de la Provence, Un chapeau de paille dont on avait oublié la provenance. C'était, C'était tout simplement la vie…

191

Nadine Nolot Métayer

192

EN FIN DE CONTE

Toi et moi c’est un conte d’effet…

La princesse et son roi ne peuvent tant frémir, Leur peau, je le sais bien, ne sait pas frissonner, Leur cœur, c’est bien certain, ignore le soupir, Ces émois sont à nous, nous les avons créés !

Toi et moi c’est un conte de fées…

Tout en haut du clocher, notre union carillonne, Nos jours coulent heureux, nichés au Bois Dormant,

Les nuages sont loin, l’été nous chaperonne, Nous vivrons très longtemps, aurons beaucoup d’enfants.

Toi et moi, c’est un conte défait…

Princesse au petit pois, le temps laisse ses marques, Le verre du cercueil se mouille de mes pleurs.

Que vais-je devenir, moi, reine sans monarque ? L’hiver est arrivé, rien n’a plus de couleur…

193

IMAGIN' ÈRE

J'ai connu un pays, dont je suis exilée. J'y habitais, jadis, au temps de l'innocence.

Quand ?? Ma mémoire en a fait une histoire effilée,

Ce royaume béni, c'est le temps de l'enfance.

Habile, je marchais au bord du caniveau, Gouffre où mes pieds dansaient sur la fine margelle.

Gare !! La rigole était fleuve, et les feuilles radeaux,

Des caïmans nageaient en me cherchant querelle.

Je savais m'envoler, en écartant les bras, Courant à travers pré, rugissant de bonheur,

Loin… J'allais perdre le nord dans les nuages bas

Là où je n'entendais que le bruit du moteur.

Mon vélo très véloce était une roquette, D'un seul tour de pédale, il m'emmenait très loin,

Vite !! Faisant sans dérailler le tour de la planète,

Dont j'avais exploré jusqu'au moindre recoin.

194

J'aimais notre jardin où j'étais seule au monde Île que Robinson n'aurait pas refusée,

Hardi !! Les branches d'un sapin faisaient une rotonde,

J'y cachais mon tipi, en indienne rusée.

Mon vélo est rouillé, fusée abandonnée, J'évite le sapin aux aiguilles piquantes

Hélas… Le pré n'existe plus, patte-d'oie bétonnée,

Le caniveau s'égoutte en des bouches béantes.

Qu'il est heureux ce temps où ce qui brille est or ! Grandir éteint le feu de cet âge enchanté,

Mais… Je n'ai pas oublié comment faire un trésor De bonbons chocolat en papier argenté !

195

ROSA-SINENSIS

Sous le ciel bleu de mon Afrique Où paradaient les cumulus,

Pour moi, fillette des tropiques C'était le temps des hibiscus.

Ses murs blanchis par le soleil, La maison sise en son jardin

Teinté d'émeraude et vermeil, Contemplait mes jeux anodins.

Ma nounou avait l'habitude De nous installer au dehors, S'endormait avec lassitude.

Je l'abandonnais sans remords.

Je laissais mon livre d'images, Oubliais mon joli poupon,

Pour galoper vers les branchages Et leurs fleurs en papier crépon.

196

La haie d'hibiscus m'enchantait, J'effleurais ses rouges corolles. Les cueillir toutes me tentait, Mais je savais le protocole :

Mes buissons étaient le domaine

D'un petit peuple très secret, Fées d'une tribu africaine,

Clan aux agissements discrets.

Ma seule preuve étaient les fleurs. Goûtant les modes végétales,

Les fées n'avaient pas de tailleurs Et s'habillaient de beaux pétales.

Je rêvais qu'à la nuit venue

Au creux de la haie verdoyante, La Reine parait sa peau nue

De longues jupes flamboyantes.

Ces Dames coiffées d'un panache Du jaune gai des étamines,

S'égayaient en touches de gouache Peintes du vif des crinolines,

197

Dansaient jusqu'au bout de la nuit, Puis revenaient dans le feuillage

Ranger leurs atours sans un bruit, Dépêchant leur déshabillage.

C'est ainsi que tous les matins

Je trouvais mes fleurs chiffonnées Jetées par les dames-lutins

Pressées d'être déboutonnées.

Au pied de la verte clôture, Devant ce velours nacarat Laissé avec désinvolture

Par les fées en fin de Sabbat,

Je regrettais la splendeur vive Des belles rosa-sinensis

Je me consolais, sensitive, Grâce aux bourgeons couleur cassis.

La jeune gosse a grandi

Et l'hibiscus est mon trophée. Pour moi les jupes d'organdi Habilleront toujours les fées.

198

LE NON-AMOUR

Prêtez-moi attention : je ne vous aime plus. Vous m’avez tant menti que je doute de vous.

Vos serments périmés et vos propos obtus Ont figé mes espoirs en constat aigre-doux.

Sans animosité, je ne vous souhaite rien. Ni amour, ni argent, ni devenir heureux,

Ni ennui, ni chagrin, ni perdre vos moyens… Restez dans l’illusion des amours songe-creux.

De vous je n’attends rien, sauf une échappée belle.

Un oubli naturel me viendra sans effort, Une simple amnésie sera mon réconfort.

Pensez à vous gommer de mon livre-mémoire,

Vous n’avez nulle place en mon charmant grimoire. Permettez ? Je m’en vais ! La liberté m’appelle !

199

Agnès Rivière

200

Les fleurs sous terre Triolets

J'ai enterré toutes les fleurs

Ô elles n'ont plus d'ardents soupirs Le murmure du jardin se meurt

J'ai enterré toutes les fleurs Tu n'es plus là pour les chérir Moi personne à qui les offrir j'ai enterré toutes les fleurs

Le murmure du jardin se meurt La lune peine à s'éteindre

L'aube se garde de poindre Mes yeux brillants de pleurs

Se portent sur le jardin qui se meurt Là où j'ai enterré tes fleurs

201

La fontaine d'or

J'ai acquis dans un village lointain une maisonnette avec un petit jardinet

quatre murs, toute petite, deux grands pins comme une ombrelle

et une fontaine d'or Il est clamé dans le village que les Trois soirs

de la fontaine d'or commencent Un rayon de soleil est entré dans nos murs

regarde-le tomber Maman ! au-dessus de la haie

la lumière du soleil tombe sur les iris Dans un instant l'eau de la fontaine

va devenir dorée et pour deux soirs encore Dieu nous donne de voir le soleil

se refléter dans la fontaine et la parer d'or Observe bien Petite mère

le jet d'eau a fleuri et il est devenu doré Petite mère courage ! les médicastres n'ont plus pouvoir

suprême tu es toujours la reine du monde tes désirs et les miens sont les fleurs de la vie ils ne fleurissent pas au royaume des morts.

Petite mère prie ! ton doux Seigneur Petite mère implore

trempe tes lèvres dans l'eau de la fontaine d'or elle guérira tous tes maux

et mes jours n'en seront que plus beaux.

202

Chuchotements de plumes Triolets

Chéri j'aime de grand amour tes chuchotements de plumes

Sur ton écritoire le jour Chéri j'aime de grand amour

En vif soupir j'en savoure leurs parfums de rose brume Chéri j'aime de grand amour

Tes chuchotements de plumes

Quand vient le soir pour la nuitée J'adore ta voix dans le noir

tes mots d'amour doux chuchotés Quand vient le soir pour la nuitée

nous devisons de tes feuillets Ta plume dort emplie d'espoir

Quand vient le soir pour la nuitée J'adore ta voix dans le noir

203

La nuit blanche

il y a des nuits d'hiver où tout me paraît noir je referme l'armoire et j'ouvre la fenêtre

je fais trois pas sur la terrasse je fume comme une gitane

j'effleure le bois de cèdre de ma banquette je soupire en regardant les minutes de la pendule

qui me semblent éternelles tristement, je regarde la fleur fanée qu'il m'a offerte

le bijou rangé dans un écrin rouillé je reste là sur la terrasse

tremblante de froid à attendre un lever de soleil pour qu'il me réchauffe

en m'enlevant la hantise de mes insomnies.

   

204

Janine-Marie Gomez

205

MORT D'UNE ÉOLIENNE Ses grands bras levés vers le ciel, Le vent soudain se calme Et stoppe son élan. L'agonie commence. Dans un grincement horrible Un cri odieux s'élève. Dans un dernier sursaut, Une dernière volonté de vie, La demoiselle immense Donne son dernier souffle. La pluie inonde son corps meurtri. Des larmes que l'océan a dispersées Coulent le long de son tronc de métal. L'éolienne se meurt ! Eole lui a fait tant d'enfants Qui ont joué sur ses ailes, Tant de vents se sont effilochés Sur ses bras de géante.

206

Ses voisines tendent leurs bras vers elle Espérant encore un souffle, une respiration C'est fini… L'Éolienne est morte

Le vent pleure sa dame de cœur Pourquoi soufflerait-il encore ?

207

LA BOUTEILLE A LA MER

Si vous la voyez Laissez la flotter.

Elle a mon cœur en papier En elle, bien plié.

Elle part à l'aventure De marées en marées

À petite allure Pour ne pas casser.

Cette bouteille jetée, Espoir d'immortalité

Pour mon âme en perdition En quête d'immersion.

Dans cet océan si grand Qu'il pourrait la perdre, Elle surnage sur le néant.

Bouteille à la mer

Sans espoir de retour Pour toi mon amour.

208

LES VACANCES DE MONSIEUR BULOT Toute l'année à se traîner ! Enfin, les vacances d'été. Pas de plage, ni de cocotier Il en avait vraiment assez. Il partit donc, dès potron-minet. À lui l'aventure, les chevauchées Dans le désert, les forêts… Son rêve deviendrait réalité. Pas besoin de sac ou de réservation Il emmenait avec lui sa maison. C'était ainsi depuis toujours Il la trimbalait et c'était lourd. Il avait aussi un ami Qui portait sa maison ainsi. Bernard l'Ermite il se nommait, Lui c'était par choix… pas obligé. À trop vouloir se protéger Sa maison l'avait aliéné. Et, depuis toutes ces années Il avait fini prisonnier.

209

Ils s'étaient liés d'amitié Et avaient choisi pour l'été Un coin proche des Canaris. Ils partirent donc ainsi. À force de ramer et de rêver Ils oublièrent de respirer. Ils se retrouvèrent dans une épuisette, Et finirent à l'apéro avec une anisette.

210

LA BALLE PERDUE Là, dans mon cœur Une balle tirée par erreur. Et, dans l'ambulance j'entends : - Elle n'en a plus pour longtemps Je sais que je vais mourir. Déjà, une lumière au loin m'attire. Mon cœur qui saigne Ne me fait plus mal, Il bat encore un peu Doucement, il est calme. La lueur se rapproche C'est un ami proche Mon père, ma mère, mon frère Tous réunis comme hier. Je n'ai plus d'espoir, Cette balle, tirée par erreur A transpercé mon cœur Et maintenant, je meurs.

211

Ma vie ne défile pas Elle s'est arrêtée là Sur ce trottoir lavé Par mon cœur traversé. JE NE VEUX PAS MOURIR Je veux encore me souvenir. Avoir un après, un futur Sur cette terre si dure. DOCTEUR, S’IL VOUS PLAÎT ! Empêchez la vie de me quitter Frappez mon cœur qui en a vu d'autres Il a tant saigné déjà et a survécu. Ça y est, il me lâche La sueur a quitté mon front… Je suis morte d'une balle perdue.

212

M.A. Yemane

213

CEILINGS

or extensions rather counting the spaces

betweeen separations and me like a poem in love

un-sober, leaping in and out of thin-necked

bottles of wine or preying on the silent, white

phone that hordes your voice day after day after

day wandering the pale of the yellow walls filling

the long corners with my eyes how I’ve lodged my

feet into the morning and the nights of sitting

under the ceiling with a panic of memory

scattered in color, black and white forgetting

sometimes in order to remember that the sky

tends to rub away borders it curves gentle over

our interruption and coaxes our thougts to

intertwine and dance somewhere above the

atlantic.

214

FIRST WE DREAMED

(or The Rude Awakening)

First we dreamed of extreme love, of wrecking the

bed and bruising the walls, of clothes strewn to

the floor, of the crush of our lips the hallelujah of

our hips.

Then we dreamed we were conquistadors,

insatiable and irreverent, plundering the land,

renaming the geography : “This place we shall call

Thighland ; this place, Assghanistan)”.

215

And then we dreamed we were mangoes. Yes,

mangoes. Overripe. The color of sunset. Yielding

to the touch. The sumptuous mess of our inner

lives spilling onto our tidy skin.

Then we dreamed we were nothing and

everything all at once. At once a sea of

contradiction ; an ocean of accord. At once yin

and yang ; give and take ; push and pull ; rise fall ;

bitter sweet ; light dark. Dark. We dreamed.

216

We dreamed our desire closed its eyes and played

a slow symphony in G minor while we slept

tangled in the wreckage of salty sheets.

Which is when I dreamed you stayed with me

instead of going home to kiss your dog to pet your

wife.

217

The Afterlife

This, my friend, is the afterlife. The awe-full

nothing, the tiny unseen, spread out before you

like a molecular Silk Road.

Yet even now, as you contend with your body’s

latest betrayal, you still seem surprised by the

absence of white.

218

You’ll just have to put aside, once and for all, the

celestial expectations. There are no harps, halos,

no holiness. Heaven was spring break in Fort

Lauderdale – all those tequila shooters, the tits

that tasted of sea salt. And Hell (admit it) was

where you were bor n and raised.

Dead, you are what you were in life : a speck of

light. a bit of dirt,. a big mistake. Adherent to the

immutable laws of physics.

219

Only now, you can dance.

One, two, three. One, two, three.

Swerving, bumping, vibrating all the other atoms

(devout and other wise) attracting, repelling,

attracting ; incapable of

breaking the law which

commands that Thou Shalt Waltz unto the

kingdom.

220

PARTY ANIMALS

Underneath a canopy of twilight the white moon

arrives large and electric ; her retinue of stars blazing

straight through eternity just to be here now. It’s August.

The Camp Tamarack woods hatch open, slither and yawn.

In the aftermath, so much nocturnal drama settles in the vertical thicket.

Blood spills on the quiet moss. À pine cone trembles and falls.

Herding Special Boys into the clubhouse

221

is like herding water, and since we don’t have the connections

Moses had, they spill and leak, are impossible to contain.

We are their minders, charged with their care and feeding.

Commissioned to tame and domesticate so that their parents might one day

display them (polished shoes on the correct feet, tucked shirts unstained)

without fear of public humiliation.

We put a cautionary finger to our lips when they bark and howl.

When they bite, we get a tetanus shot but continue to love them –

putting them down not being an option. Sit, we say. Stay. Now dance.

222

The deejay arrives all the way from Detroit. And even before the

music starts, the boys are agitated. So close to the wild and to the moon.

They rock uncontrollably back and forth inside their cages.

What if we simply untie the burden of their shoes ? Rid them of the

oppression of our expectations ? Instead of this sterile, crepe-paper party. Earth,

Wind & Fire caught in vinyl.

Why don’t we give them our blessings and just watch as they swallow the thin bones of dead birds, devour the phosphorescence of fireflies ?

223

Pierre Léoutre

224

Le début de nos abus

Tu penses

Errance

Lien étonnant

Et surprenant

Dans tes rêves

Qui s’achèvent

Au cœur du songe

Nous partageons

Et tu plonges

Plongeon

Hésitant

Émouvant

Et tu cèdes

Aux avances

Concèdes

225

Romance Ta robe légère Exagère Amour Et pour Tes yeux Je veux Te séduire Et pour ton rire Le plaisir Pour finir Le début De nos abus

226

La tête vide

Et le cœur plein

Sous la lumière d’Ajaccio

Volets entrebâillés

Bruits de la rue

Et chaleur humaine

Sourires d’une renaissance

Aux accents corses

Qui chantonnent

Un langage heureux

Que je comprends si bien

227

Vols de Luciole

Une nuit blanche ivre et sous

Le jupon du pont toulousain

Du mal à rester debout

La lune un cercle plein

Presque au bout du chemin

J’ai trouvé au fond de ma poche

Le reste d’un parchemin

Un prénom sous une cloche

J’ai soulevé la cloche

Ce n’était pas un prénom

Éclat coupant d’une roche

Mais un simple surnom

Retrouver cette Luciole

Pouvait me redresser

Perdre encore Luciole

Allait vraiment m’achever

Mais l’état lamentable

228

De l’épave sous le pont

La proue dans le sable

Le navire vers le fond

Me faisait ricaner

Mieux que des pleurs

Continuer à flâner

Sur les ruines des fleurs

Les départs de Luciole

Sont pour tous les mêmes

L’instant de leur envol

Annonce des matins blêmes

229

Pourquoi ce plafond ?

Au-dessus de nos têtes vides

Une limite sans fin

Sans la moindre fente ni faille

Une barrière entre

L'infini et nous

230

Femme abeille

Ta robe jaune glisse devant mes yeux Comme un rayon de soleil à travers une vitre Un trait de lumière chaude efface le carreau neutre Et abolit la distance qui n’osait pas Mes mains posées sur tes hanches Mes mains qui descendent vers tes longues jambes Gainées de noir, émouvantes et vivantes Jaune et noir, femme abeille Qui va et vient dans les airs limpides Libre et sans obstacles Jaune noir, femme merveille Tourbillonnante et vrombissante, Douce et troublante, Belle et attachante Qui va, peut-être, Se poser là Pour une fois À mes côtés Pour une éternité

231

Monique Lise Cohen

232

Un livre qui portera ton nom

Ce fut une nuit où l’éveil se parait de l’avenir du chant des oiseaux. L’éveil tenait à distance les sollicitations abusives, et mon être délaissé se ressourçait en la patience des chaleurs et des charmes prescrits Tout était nouveau dans l’éloignement du jour. Une musique éparpillait l’invraisemblance des désirs Et dans cette dispersion, je retrouvai l’évangile ou la bonne annonce des larmes distraites et studieuses. Tant avait pleuré que le sourire s’éprend de la lune au clair de la nuit blanche. Écrire, fut-il dit, à l’avancée des mains. Écrire est une clarté de lune entre les arbres froissés. C’est là d’où provient l’appel, et la définition savante des brisures intérieures Le Seigneur, était-il écrit dans un psaume, aime les cœurs brisés Mon cœur, à moi, fut brisé au fil des insolences et des échecs lumineux, matrice d’un au revoir incandescent Rayée dans la détresse d’un hiver impénétrable, j’attendais le jour et les floraisons inhabituelles.

233

(La folle écrivit sur son index la fable du monde, et corrigea son incertitude et ses effrois surannés) Elle vint me visiter sur la flamme d’un écran Jouvence d’un écran noir Il n’y eut même pas trois coups pour l’ouverture des rideaux Cette scène n’était pas celle d’un théâtre Et moi, voyante. Au plus profond de l’intériorité visionnaire, elle surgit de la nuit. Son corps prenait forme, elle était emportée par une créature blanche, et son regard se tournait vers moi. Elle avait le visage de ma mère, mais elle était une autre. C’était une enfant, et j’ai su son appel, Irisée vers moi

234

Depuis elle est venue, elle a déposé son âme et son sourire sur ma poitrine Sa main a pris ma main Enfant palpitante La main de mon âme sur ton sourire. Un grain de folie, un passage par des larmes bleuies, et ton sourire, ta main, la chaleur de ton ventre, mon adoration, ma vie en latence, en attente de toi. Écrirai-je un livre qui portera ton nom ?

235

Coloriage enfantin

236

Passages

L’homme prie en l’attente de la mer

Alors la mer s’ouvre

Elle laisse passer notre rêve au fil des lettres

Une lumière d’éclat surgit des sables fluviaux.

237

La vallée des 15 amandiers

Elle s’élève des racines d’un sol transversal elle s’éveille au bleu plus chaud que le rose l’espérance vient sur ses lèvres à son flanc

sourit une nacre d’aubépine elle vient du soleil et éclaire les instants elle a frayé la voie du sauvetage en elle

les montagnes s’abolissent et les frontières livrent leurs secrets

Elle a compulsé les temps et les vents, elle s’inscrit dans la vision du livre, d

es yeux se peignent à l’allumage des couleurs

Sauver ouvre la voie des résurrections

Elle indique notre vie dans les chemins de la survie Car toute vie vient de Dieu

(elle prend ses racines dans le ciel) Elle n’est pas naturelle

Elle prend son essor dans des lumières oublieuses Elle a largement puisé

aux sources des romans invincibles

238

Nous sommes les obligés pour une science des conformités

Elle s’assagit au détour de la rivière Elle monte paisible sur nos fronts éblouis

Elle a choisi ses enfants pour dorer une mémoire Elle s’abreuve au-delà des miséricordes

La survie se dévoile en sa paix.

(La vallée des 15 amandiers est la source hébraïque et secrète du nom de Toulouse)

239

Paysage enfantin vu de Toulouse

240

Thierry Jamin

241

Nougaro est parti Il a donc choisi pour partir un froid jour d’hiver Lui qui pourtant nous avait de tout temps réchauffés. Ses rythmes entraînants résonnent à nos tympans Avec son départ, c’est de la chanson un grand pan Qui disparaît et en fait de magicien ou de fée Il avait des vertus cabalistiques au revers De sa veste froissée, celui qui a tant aimé S’est dépensé sans compter en voyage A sacrifié bien des soirées pour un bœuf Et en définitive a tout donné à son bel art Lui dont la voix chaude et enveloppante Avait parfois la douceur d’une berceuse Dont les à-coups syncopés comme autant de swings décochés nous faisaient danser sur le ring de la vie Lui qui si généreux à en mouiller la chemise n’a pas triché avec le public qu’il respectait Lui qui nous a illustrés Toulouse comme personne Il va drôlement nous manquer à l’avenir Et, sans cette locomotive qui motivait Réactions et émois, c’est un profond désarroi qui nous envahit. Pour certains malgré sa petite taille il était grand sur scène quand il déployait toute sa prestance de passeur de mots et qu’il donnait vie à des moments d’émotion pure.

242

Pour d’autres il était un seigneur exigeant et rigoureux car il prodiguait à son art, plus que du soin, de la vénération.

La réaction immense de la ville rose submergée de

chagrin montre que son image même alourdie et

un peu voûtée

Était plus qu’un symbole, une illustration de la

fête qui dans notre cité a une force incomparable,

comme le prouvent l’amour du spectacle de rue et

les cafés musicaux.

Son accent lumineux c’est le soleil d’Occitanie,

tandis que sa peau tannée ce sont les voyages.

Son image est figée là tout grand sur la façade du

Capitole

Il n’a pas fait de Toulouse une capitale mais il a

porté bien haut ses couleurs tout autour du globe

Et le quai de Tounis se sentira bien seul

Même si la Garonne va continuer de charrier boue et gravier.

243

De la java à Marie-Christine il a illustré parmi les plus belles pages de cette poésie chantée qui nous a accueillis dès le berceau et nous a portés vers l’âge adulte.

Il y a eu des éclipses, mais comme tous les astres divins c’était pour mieux nous faire regretter son éclat.

Ses éclats de voix célèbres, sa pudeur géniale font de lui un des derniers grands de cette lignée d’après guerre qui bourrés de talents ont éveillé la France rurale au swing qui balance et balancé deux trois coups de poing, deux trois coups de gueule, changeant notre pays l’amenant

À une modernité ouverte avec un cosmopolitisme de bon aloi, puisant son inspiration aux meilleures sources et pour les rythmes à la mère Afrique.

244

Hommage à un très grand musicien

Son sourire permanent et ses lunettes noires sont des souvenirs Et si malheureusement ce pianiste-chanteur compositeur

Nous a quittés, il y a peu, nous laissant terriblement nostalgiques

Nous pouvons néanmoins évoquer les multiples et joyeux plaisirs

Que sa vue et son écoute nous auront donnés depuis tant d’années. Il était comme un rayon de lumière dans un monde de torpeur

Il imprimait son rythme à sa manière alerte et entraînante

Et s’il exhalait le sud à sa manière douce mais traînante

C’était toujours dans l’attente d’une explosion de notes.

Il avait connu la gloire et la fortune, maintenant sa renommée

245

Il remplissait les salles même si on lui connaissait des facilités

Et cette vue qu’il avait perdue prématurément il nous la donnait

Parce qu’avec lui tout était perception et plus, nuance. Il ne manquait, certes pas, sur son tabouret d’élégance Son rire immense et caverneux résonnait comme le signe Non pas d’une confiance absolue mais d’un désir parfait Celui de nous confier ses joyaux et autres trésors musicaux.

Il avait dû batailler pour se sortir de situations dramatiques Pour laisser s’éloigner le danger des plaisirs artificiels Il avait été très tôt le porte-parole de sa communauté Laissant éclater à la face du monde le visage du génie

246

Un visage qui irradiait de bonheur mais mouillé de sueur Car cet homme-là ne faisait pas les choses à moitié Indéfinissable en somme il avait un style inclassable Il défiait les genres ou plutôt sautait allégrement Que ce soit la soul, le blues, le rock ou la country Sa marque est là qui restera pour la nuit des temps.

Diabolique ou sirupeux, syncopé ou coulé il incarne A lui seul une grande page d’inconscient collectif Et ce chaleureux défenseur de la musique pour tous Nous laisse orphelins mais son génie demeure en nous.

247

Sonates d’été

Aujourd’hui c’est le vent qui soulève les engoulevents et renverse les dernières certitudes et même s'il est fort présent animé de fortitude face à lui on évite les certitudes et on se courbe pour lui résister pour peu qu’on veuille aller contre lui. Les chants des oiseaux se sont manifestés dès l’aurore avec en toile de fond un ciel incertain qui mourait à la nuit pour donner le jour si plein de nuages bas filant sur l’horizon. Dans ma tête des musiques diverses ont joué, animées de résonances mais sans arrogance saturant parfois de notes épicées ce qui n’était qu’un tranquille jour d’été. Cantate quand on en tâte sans amuser la galerie on réussit à être transporté mais pas sur le toit du monde. En automne les yakusa éreintent les sonatines mais c’est dans les comptines qu’ils cherchent leurs racines.

248

Dans les blés coupés alors que le vent continue de balayer les hautes tiges pas encore déchaumées on rêve à ces douces ondulations qui ne sont pas le fruit de tribulations.

249

Pourquoi la musique est belle

Ah se laisser doucement bercer par des rythmes

fondamentaux Entraîner dans une joie simple

celle de l’écoute les yeux fermés

Se laisser emplir de couleurs chatoyantes et

doucement ondulantes

Poser autant le regard que l’oreille dans un creux

presque en coin

Rêver à la surface argentée d’un miroir liquide en

fusion

Ressentir dans son ventre ses percussions qui

heurtent et secouent

Se laisser envahir par un univers purement

vibratoire

Secouer lentement la tête comme s’étire la

mélodie

250

Et jouir dans l’apaisement des croches qui

décrochent

Des blanches qui planchent, des noires à n’en plus

boire

Des quartes qui ne sont pas de la tarte

Quant aux tierces rien ne perce

Mais rien ne presse non plus que l’horizon infini

Où s’évanouit et se dissout l’onde dans l’éther

Pression, contre pression, compression

Voilà que ses couches d’air langent un

enfantement

magique

Celui qui m’agite est profond, ancien et plein de

souvenirs.

Alors oui la musique a droit à plus que du respect

elle a droit

251

A un vrai autel où ployant l’échine on viendra

célébrer

La portée universelle des légers vibratos et les

emportements

Sauvages quand souffle la tempête, pas forcément

la trompette Et quoi de plus doux en somme que

l’addition jointe à l’addiction

Quand la diction hésitante on ahane péniblement

les premières phrases

Cherchant sans emphase la mise en phase car de

l’opposition

Né seulement le néant qui annihile plus sûrement

qu’au fil du Nil

Ce cousu fil à fil qui défile impromptu et fait le deuil des sons.

252

Le don du son ce n’est pas la balle d’avoine qui le donne et même

Si ce péricarpe épicarpe n’est qu’une enveloppe il ouate doucettement

Un havre où le repos y gagne encore dans ce moelleux qui vient

Dissiper le malentendu sans pour autant faire tomber d’abruptes

Falaises de notes qui emportées dans un déferlement seraient

Comme une chute finale, non il faut encore et encore remonter

Le lit du fleuve pour sentir bruisser les feuillages sauvages

Entendre ces cris primaux qui n’ajoutent pas aux maux mais mot à mot

Susurrent des lamentos et si les trémolos sont forcés on serait tenté

253

D’ajouter vas y mollo paulo (pas à Prats). Encore

faut-il lever la tête dans l’azur qui noircit pour à

bout couchant

À bout touchant entamer ce chant des étoiles comme un scintillement dans une nuit de silence qui lance de si loin une harmonie totale

Quand s’élance pour tout refrain le crépuscule des

cieux Et que succède le chaotique au tic-tac

métronomique Et que la mimique énamourée du

soliste patenté aux tempes argentées

Est bien la preuve que la musique est d’abord

amour et fusion Que la matière de tout temps a

livrés ton sur ton, son sur son

Des ivresses sauvages pour amener doucement

vers la civilisation

Que l’adoucissement des mœurs est comme celui

de l’eau

254

Il faut filtrer et clarifier et si la musique t’a mis

(tamis) dans cet état

C’est que l’éclat au fond de tes yeux rieurs vaut plus que trop de mots

À ravir chaviré et bouleversé c’est dans ses vagues primordiales soulevées

Au fond de notre être intime que se joue la partition délicate

Sans répartition des rôles à l’avance au fur et à mesure que vient le vent

Nature qui a toujours assemblé les sonorités comme séniorité

Il n’y a pas de sénilité infamante à trembler dans un ravissement

Quand le ravinement des notes creuse de si larges sillons dans

La glaise humaine terreau propice au semis musical

255

Pour faire éclore dans le génie inventif entre fugue et contre point

Des dissonances polymorphes qui émiettent en morceaux ingérables

Le plus louable des transports en commun.

256

Muses, pour favoriser cette petite musique intérieure

Ah muses, quelles sources d’inspiration êtes-vous donc, qui me donnez des ailes et faites virevolter ma plume sur une feuille en damier. Qui pourrait décliner dans un autre genre, et sur le thème de la grâce et de la beauté tant de perfection achevée. Sources et résurgences de ce flot intérieur, canalisant une énergie créatrice, rappel de la mémoire, incitatrices et tentatrices, de fait actrices dans l’acte de révélation au monde d’une certaine pensée. Certains qui ont des prétentions (pourquoi pas des pré tensions) s’érigent en prétendants et courtisent la muse, en fait souvent il s’en amuse et à la ressasser ils l’usent. Mais pour la recension il faut plus de patience et moins de génie, dans l’art de collecter, compiler et valoriser. Les plus courageux, agriculteurs de leur état, labourent des champs notionnels, sèment à tout va des mots sur un canevas serré et récoltent parfois de ce semis quelques rares amis. Suis-je inconsidérément lié à cette muse au point d’abuser de ses bontés coupables et ne plus rester trop longtemps affable, devenant alors affabulateur à mes heures, je perds de ma grandeur.

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Quand dans l’allée du temps je musarde gentiment c’est que la table de travail me rebute trop hardiment et repousse mes assauts plus tardivement. Comment expliquer cette addiction autrement que maladivement quand revenant des Maldives on se jette sur la feuille pour noircir des pages convulsivement. À toute chose muse est bonne, à toute muse une respiration qui détonne, enfin elles comptent tant, ne décomptent pas le temps et amènes, amènent parfois doublement au contentement. Généreuses et protectrices elles entretiennent la verve, fourbissent le harnachement, soignent le panache mais taillent à la hache quand la prose s’égare en chemin de traverse. Les muses sont consubstantielles de cette présence qu’on n’ose appeler du ciel, circonstancielles elles assemblent voyelles et consones qu’on sonne à la première occasion. En cas de trou d’air, invocation, on les convie à la récréation pour retrouver un souffle, une longueur de phrase et cette mise en phase superbe et à propos. Indispensables, elles nous flattent par leur présence légère, immanentes mais aussi passagères, on les voudrait plus assidues quand la transe vient. Telles sont les muses en leur fonction première qui jamais ne nous coupent de notre propos en cours de croisière, elles ont été les premières à nous aider à couper les aussières.

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Attentives et aidantes, patientes et revigorantes, ce sont de notre génération pas spontanée les co facteurs obligés, leur absence peut tant nous affliger qu’à leur retour nous sentons les alizés.

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Poètes juifs et / ou Poésie juive

Monique Lise Cohen

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« Tous les poètes sont des Juifs » Marina Tsvétaïeva

« Pourquoi des poètes en des temps de détresse ? »

(Hölderlin) Rachel Ertel a publié un livre, Dans la langue de personne, poésie yiddish de l’anéantissement, où elle écrit : « Les mots ne sont peut-être pas à la mesure de la chose », car « devant l’anéantissement, devant l’opacité de cet événement, la raison se trouve désarmée impuissante. La poésie devient l’unique mode sur lequel puisse se dire l’inconnaissable1. » Ce livre nous enseigne que pour dire le désastre absolu qui frappe le peuple juif d’Europe pendant la shoah, les poètes yiddish captent des fragments, des éclats de vérité. Ils sont soumis à un double impératif : « l’impossibilité d’exprimer l’indicible qui se confond avec l’obligation de témoigner. » La poésie était l’unique mode sur lequel pût se dire l’inconnaissable. Dans les camps, dans les ghettos en flamme, dans les attentes terrifiantes, ils et elles écrivaient en yiddish des poèmes qui demeurent au plus haut de la poésie européenne. Portés par des survivants, cachés sous terre dans des bidons de lait ou

1  Rachel  Ertel,  Dans  la  langue  de  personne.  Poésie  yiddish  de  l’anéantissement,  Paris,  Éditions  du  Seuil,  1983.  Le  poème  «  Ma  mort  sur  les  fils  barbelés  »  cité  en  fin  de  ce  teste  a  été  traduit  par  R.  Ertel.  

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même sous des montagnes de cadavres, certains de ces poèmes furent retrouvés après la guerre. Rachel Ertel en a proposé une traduction française. « Quelle est l’oreille qui entend ce que les lèvres n’énoncent pas ? » demande Leizer Aïchenrand. Et G. Wajcman : « Mon silence sera celui de cette langue, du yiddish : je nomme ainsi ma langue silencieuse, […] une voix de silence qui ne cesse de parler en moi, […] Le silence, c’est la langue des morts entrée en moi2. » Et l’écriture d’Etty Hillesum, jeune juive d’Amsterdam internée et déportée, dans les fragments venus jusqu’à nous, nous bouleverse par sa sobriété et sa splendeur à la fois. Elle-même lie la poésie au témoignage en cette époque de terreur : « Si je suis poète, je n’ai qu’à attendre patiemment les mots qui porteront le témoignage… » Les poètes de la shoah ont écrit dans les conditions inhumaines de la promiscuité et de l’anéantissement. Rendant ainsi inefficace et illisible l’alternative entre une poésie académique ou réservée pour une élite et une poésie dite engagée. La poésie plonge dans le quotidien de la vie, jusqu’à son malheur extrême. Mais encore dans la joie et l’amour. C’est aussi ce qu’enseignait Henri Meschonnic. Ainsi il n’y aurait ni poésie de salon ni poésie militante. Qu’est-ce que la poésie nous révèle

2  Poèmes  cités  par  Rachel  Ertel,  Op.  cit.  

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de la réalité ? D’où tire-t-elle sa simplicité et son obscurité à la fois ?

Écrire dans la tourmente

Theodor W. Adorno, penseur des « petites morales » et critique du « Jargon de l’authenticité », aurait pu rencontrer la poésie. Il ne sut le faire, lui qui écrivait dans Prismes, critique de la culture et société : « Nul poème n’est possible après Auschwitz ». Si des hommes et des femmes ont écrit des poèmes pendant Auschwitz, cela rend possible et évidente l’écriture poétique après Auschwitz. En écho à Hölderlin qui, dans l’élégie « Pain et vin », interrogeait les poètes « en des temps de détresse », nous nous demandons comment est-il possible de changer certaines croyances et catégories littéraires ? Il n’y avait pas de concept pour parler du génocide, pas de prémices dans les œuvres précédentes. Une interrogation morale pourrait alors surgir : la poésie aurait-elle une fonction cathartique, de sublimation ? Mais elle hériterait d’un certain cynisme, livrant la barbarie au quotidien et s’élevant dans un rôle rédempteur et réconciliateur. Comme s’il y avait un rôle lénifiant de l’esthétique. La poésie peut-elle parler des faits historiques ? Ou alors, afin de poser cette question, il faudrait

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s’affranchir des catégories ou « disciplines » du savoir. Sorte de carcan qui sépare les « genres » littéraires : essais, romans, biographies, poésie, etc. Car on n’écrit pas à l’intérieur de ces disciplines. Elles conviennent pour des classifications en bibliothèque qui n’offrent que le bonheur d’être transgressées pour celles et ceux qui écrivent. C’est pourquoi, selon la parole de Meschonnic, on écrit ce que l’on ne sait pas. Et de ce point de vue, il n’y a pas de différence entre l’écriture poétique et l’écriture théorique. Nous engrangeons des connaissances selon – plus ou moins – ces catégories du savoir, et lorsque nous posons notre plume sur la feuille de papier ou nos mains sur le clavier d’un ordinateur, tout s’efface de ce que nous avons acquis. Le degré d’inconnaissance s’approfondit. L’infini se déploie en cette rencontre. Entre la plume et la feuille de papier. Ainsi la poésie n’est pas un monde à part, idyllique et sacré, évocation fallacieuse d’un passé lointain ou les mots auraient été des choses. Hiéroglyphes (comme des panneaux de signalisation). Sorte d’âge d’or que la poésie viendrait réveiller en nous engouffrant, à la manière d’une gnose, dans cette nostalgie. C’est ainsi qu’Heidegger parle de la poésie. Comme une gnose. Dans l’horizon du sacré que dénonce Meschonnic.

Une écriture qui serait « un oser voir à travers la peur » (Henri Meschonnic)

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Henri Meschonnic, poète, essayiste et traducteur de la Bible pose la question du lien entre histoire, historicité et poésie. La poésie, nous enseigne-t-il n’est pas une esthétisation de la langue. Elle est la parole du quotidien. Le maximum de ce que le langage fait au corps et de ce que le corps fait au langage. Meschonnic parle d’une éthique de l’écriture. Et nous avons entendu Aaron Appelfeld dire de même. Et puis, Meschonnic cite Victor Hugo disant que les poètes ont peur de devenir prophètes. Dans Politique du rythme, politique du sujet. C’est « une responsabilité qui renouvelle la notion traditionnelle d’auteur – du fond de la voix. » Il dit encore : « Oser voir – la méchanceté des pouvoirs, la confusion du monde – et oser dire ce qu’on voit. » Encore : « Un oser voir à travers la peur. Le sujet contre l’individu3. » C’est quand on s’avance ainsi que l’horizon s’ouvre, et que l’inconnu s’offre à notre inspiration. Mais lorsque l’on cède à la peur, alors des forces négatives puissantes s’opposent à notre chemin d’écriture, et l’on écrit n’importe quoi, des banalités, des contre-vérités, on se plie aux académismes et aux idées toutes faites. On

3  Henri   Meschonnic,   Politique   du   rythme,   politique   du  sujet,  Éditions  Verdier,  1995,  p.  360.  

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sombre dans le politiquement correct. Le poème disparaît, reste une ornementation linguistique. On se dit parfois qu’on a le temps, que ça viendra et qu’on peut attendre. Que céder aux académismes serait un passe-temps innocent. Mais comme dit Kafka : « Le temps qui t’est mesuré est si court qu’en perdant une seule seconde, tu as déjà perdu ta vie entière, car elle n’est pas plus longue, elle ne dure justement que le temps que tu perds !4 » ! Et on se retrouve, un jour, vers le soir, avec juste ce reste infime de temps pour regretter ce qui fut perdu.

La réalité à l’aune du Nom divin La culture occidentale a privilégié la vérité comme rationalité, faisant écho à Hegel annonçant que tout ce qui est réel est rationnel et que ce qui est rationnel est réel. Mais devant l’invraisemblance de l’événement et l’insondable de la terreur et de la méchanceté, la poésie était devenue l’unique mode sur lequel puisse se dire l’inconnaissable. Il ne s’agit pas d’un indicible. Rachel Ertel nous invite à inverser la proposition. Si la parole est impuissante à dire la réalité, elle est amenée, pour dire la vérité, à taire ce qui n’est pas dicible tout en le

4  Franz  Kafka,  «  Protecteur  »,  dans  La  muraille  de  Chine,  Gallimard  (Folio),  1950,  p.  173.  

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signifiant. Seule la parole poétique permet de dire et de préserver le silence qui entoure l’événement. Une telle ouverture évoque un lien entre poésie et cabale comme en parle Gershom Scholem : le Nom de Dieu est à l’origine de tout langage, et ce nom, pour les cabalistes n’a pas de signification au sens courant. Il dépasse le sens et le rend possible, il en investit tout autre sans en être lui-même doté. Tout langage est possible parce que le Nom est présent en lui. Scholem rapproche les poètes des maîtres de la cabale, évoquant, chez les uns et les autres, la foi en un mystère que l’on peut entendre dans le langage. Le Nom divin serait ce paradoxe la communication d’un incommunicable5. Ici il faudrait entendre le Nom de Dieu non pas comme un retrait contemplatif mais comme la possibilité de toute communication.

En conclusion : « L’utopie du Juif »

5  Gershom   Scholem,   «  Nom   de   Dieu   ou   théorie   du  langage  »   [1970],   dans   Le   Nom   et   les   symboles   de   Dieu  dans   la  mystique   juive,   Paris,   Éditions   du   Cerf,   1983,   pp.  98-­‐99.  

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On ne définit pas la poésie, dit Meschonnic6, mais on peut reconnaître ce que fait un poème. Le poème précède la poésie. Non pas l’être mais le faire. Non pas la raison dans l’histoire, mais l’activité du signifiant/rythme, son infini, l’activité des sujets dans leur histoire. Sortir des catégories dualistes du signifiant et du signifié, qui plongent leur immobilisme et leur censure dans la gnose. Le sujet du poème dont parle Meschonnic est celui qui s’invente dans l’écriture – chaque fois nouvelle – c’est un universel qui garde sa singularité. Unique. Comme la parole prophétique qui ouvre et féconde le temps. L’existence juive à travers les millénaires s’inscrit dans cette invention. Singulier universel. Alors nous pourrons dire qu’il n’y a pas de poètes juifs ni de poésie juive mais, dans une écoute renouvelée de Marine Tsvétaïeva, en épigraphe à son poème « Et avec le livre de Tarussa » que « Tous les poètes sont juifs. »

Ma mort sur les fils barbelés

6  Henri  Meschonnic,  L’utopie  du  Juif,  Paris,  Desclée  de  Brouwer,  2001,    p.  30  et  sq.  

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Tremblent dans les nuits les fils barbelés – lignes du livre sacré

J’y dépose mon cœur – oiseau sur une herse Qui veut pendre son vol vers la nuit et la neige,

Las, ensanglanté, dans le ghetto – cible pour la mort.

Cloué aux barbelés de feu je bois Des mains de ma mère les prières – larmes frémissantes

Mon cœur n’est plus qu’une aile brisée, flétrie Chaque veine – un rouge tracé de signes sanglants.

La neige pose sur mon cœur des plaies de lumière,

Mon corps – un pain trempé dans un calice de sang ; Ma gorge oiseau ensanglanté lance ses derniers trilles

Vers le ciel lointain, distant et haut, très haut.

(Ghetto de Lodz, 1943)        

 Benoît Monginot

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agrégé de lettres modernes et docteur en littérature française

Judaïsme et littérature – D’une parole sans essence

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Admettre l’action de la littérature sur les hommes, c’est peut-être l’ultime sagesse de l’occident où le peuple de la Bible se reconnaîtra.

Emmanuel Lévinas, Difficile Liberté. Mon projet n’est pas d’aborder frontalement

l’inscription d’une culture juive dans telle ou telle œuvre ni de présenter l’immense patrimoine de la littérature juive. Je souhaite me situer aux marges du judaïsme, sur la frontière fragile qui en noue les questions aux questions de la littérature. Peut-être le lecteur apercevra-t-il, à la lecture de ces lignes, que la littérature tient au judaïsme par plus d’un fil, que « les poètes sont des juifs », pour reprendre l’énigmatique parole de Marina Tsvétaéva7.

Cette perspective implique une remise en question de certaines des définitions les plus généralement admises de ce qu’est la littérature. Aussi commencerai-je par énumérer une série de définitions communes du fait littéraire pour montrer ensuite ce que ces définitions ont d’insuffisant quand on les confronte à la réalité des textes. Le constat de cette insuffisance me conduira à proposer une définition alternative du discours littéraire dont la proximité avec une sagesse juive pourra enfin être aperçue.

7  Le  poème  de  la  montagne  –  Le  poème  de  la  fin,  L’Age  d’Homme,  1984,  p.  60.  

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I

Voici donc une série de définitions communes

de la littérature qui nous sont extrêmement familières. Je les présente sans les rejeter. Parmi ces définitions, j’en retiendrai trois : la définition esthétique, la définition informative et la définition pragmatique. a. Définition esthétique : on présente souvent la

littérature comme source d’un plaisir esthétique. Il s’agit alors de remarquer un beau poème, un beau style, une belle histoire. Ajoutons que la définition de cette beauté reste flottante : on peut alors se demander si elle est un simple plaisir des sens, plus ou moins violent, ou si elle s’élève à la dignité d’un chatouillement intellectuel. La littérature vaut alors comme passe-temps, comme parenthèse quasi régressive (on met le monde de côté pour se délasser), ou, dans le meilleur des cas, comme hypnose (on se trouve alors littéralement sous le charme d’une parole presque magique).

b. Définition informative : on explique parfois que la littérature permet de connaître le monde, l’homme ou la société. Cette idée habite profondément le XIXe siècle. La littérature romanesque de Balzac ou de

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Zola exprimerait ainsi l’essence de la société française d’une certaine période ; la poésie lyrique d’Hugo, serait l’expression d’une âme, elle-même expressive d’un siècle. Il y aurait donc à lire ces œuvres pour s’informer, pour découvrir quelque chose qui précède l’œuvre, et qu’elle reflète : une identité, une société. Cette définition usuelle se décline de mainte façon. On la retrouve dans certaines caractérisations de la métaphore poétique. Par exemple, dans ces vers célèbres : « C'est un trou de verdure où chante une rivière, /Accrochant follement aux herbes des haillons/ D'argent » où Rimbaud parle des éclaboussures d’une rivière dans l’herbe, le poète formulerait quelque chose que nous percevons tous, mais que nous ne savions pas dire. Il mettrait des mots sur une perception préexistante, jusque-là privée de voix. Où la métaphore sert une manière de processus aléthique.

c. Définition pragmatique : il y a enfin l’idée que la littérature se proposerait une fin à atteindre dans le monde où elle prend place. Qu’il s’agisse de convaincre les lecteurs de certaines idées ou de leur transmettre un enseignement, une position idéologique indépendants d’un texte qui n’en serait que le véhicule.

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La première définition fait de la parole ce qui, dans l’hypnose, dépossède l’homme de sa faculté de choisir et d’assumer, ou encore ce qui le retranche du monde le temps d’une insouciante parenthèse : le rapport de l’homme au sens se trouve alors mis de côté. Le texte demeure inessentiel, l’homme, irresponsable. Les deux suivantes font du sens un contenu (savoir, information, percept, enseignement, idéologie) qui serait donné d’emblée, indépendamment de toute écriture. Ainsi, selon ces caractérisations, la littérature est une chose futile, que ce soit parce qu’elle est une parenthèse ou parce que ses œuvres ne font qu’exprimer une essence du monde, des êtres ou l’idéologie qui leur préexiste.

II

Je vais maintenant essayer de montrer que ces

définitions sont insuffisantes. J’obtiendrai alors une définition alternative que je pourrai rapprocher de certains aspects de la sagesse juive. Pour cheminer dans cette direction, je lirai un texte d’Apollinaire8, un des poèmes les plus courts de la poésie française9 :

8  La  démonstration  vaudrait  également  pour  un  roman  ou  une  pièce  de  théâtre.  9  «  Chantre  »,  Alcools,  1913,  Gallimard,  1920,  p.36.  

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Chantre Et l’unique cordeau des trompettes marines.

Que faire d’un tel texte ? On conviendra qu’en

termes de connaissance, on peine à savoir où il mène. Sait-on seulement à quoi ses mots font référence ? Du point de vue de la fin visée, le texte n’est pas plus clair. On pourrait à la limite s’entendre sur le plaisir esthétique éprouvé à sa lecture, mais qui s’en contentera ? Énigme alors que ce poème : aucune des définitions de la littérature précédemment énumérées ne s’y ajuste parfaitement.

On mettra donc entre parenthèses ces définitions. Devant un tel texte, pas de transparence : il faut interpréter, c’est-à-dire prendre en charge le travail d’invention d’un sens. Je crois que ce vers d’Apollinaire a une valeur exemplaire : comme on va le voir, ici, le sens ne précède pas, il est inhérent au texte même qui n’est plus un simple véhicule, mais l’acte à venir d’une signifiance.

L’interprétation commence par l’écriture. C’est d’abord une multitude de chemins. Une première lecture du titre me conduit à penser que « Chantre » évoque un univers religieux, le souvenir d’une scène d’église. Je remarque ensuite que l’unique vers du poème est un alexandrin, et qu’il y a là un autre souvenir, celui d’une tradition poétique, dont la ligne orpheline du poème serait comme un fragment sauvé des flots du siècle – réminiscence de Mallarmé sans

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doute. Il y aura aussi quelque chose à chercher dans la composition des hémistiches : singulier masculin d’un côté (« l’unique cordeau »), féminin pluriel de l’autre (« des trompettes marines ») comme s’il existait une sorte de tension dans le poème entre union et dispersion. Ensuite, en lisant tout haut, j’entends le jeu des mots : un corps d’eau et une trompette marine évoquent alors quelque tableau marin. J’ouvre enfin un dictionnaire, me demandant ce que peut bien être une « trompette marine ». Le terme n’est pas inventé, mais plus personne ne sait ce qu’il signifie : je découvre qu’il s’agit d’un instrument à corde ancien. L’épithète « marine » n’est donc pas le féminin de « marin », mais signifie « mariale » parce que l’instrument était associé au culte de la vierge Marie. Cela fait sens avec le titre : l’univers religieux est mentionné mais par fragment. Ses éléments semblent ne plus être compréhensibles pour le lecteur. Je les imagine comme des îlots de ruines, dont la ruine poétique que représente un alexandrin isolé serait une image possible. En effet, l’unique cordeau de l’instrument est aussi bien l’alexandrin esseulé de « Chantre » qui ne rime plus à rien. Cette lecture sauvage m’offre maintenant la possibilité de récupérer dans le travail du texte des propositions de sens qui ne sont pas préalables au texte mais qui résultent de sa mobilité adventice. Il y a peut-être, dans ce poème, l’idée que la poésie et la religion sont, au début du XXe siècle, dans une certaine proximité parce qu’elles relèvent

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notamment d’un passé dont on ne comprend plus le sens et qu’on ne peut faire apparaître qu’à l’état de ruine hésitante.

Si, donc, ce poème produit un savoir, il ne le retranscrit pas. La connaissance qu’il propose malgré tout, malgré son énigmaticité, est hypothétique. L’orphelin sur la page parle bien d’une situation existentielle. Il a aussi une dimension pragmatique dans la mesure où il promeut peut-être une esthétique de la ruine qu’on pourrait opposer par exemple au monumentalisme futuriste, une esthétique de l’hésitation qui implique un rapport au monde à la fois prudent et circonspect, semblable à celui qu’il a fallu engager pour lire le poème. On voit donc que le plaisir esthétique n’est pas le dernier mot du texte. Mais, c’est justement parce que le poème n’a pas de dernier mot, parce que toutes ses paroles sont encore à venir.

III

Quel rapport avec le judaïsme ici ? En quoi ce

texte, si proche dans ses propositions d’un athéisme mélancolique, pourrait-il correspondre à une perspective juive sur le sens et sur le monde ? Je répondrai que, de même que le poème d’Apollinaire évoque une certaine proximité entre la littérature et le souvenir d’une musique chrétienne, la littérature, qu’on parle d’œuvres athées ou non, se fait toujours dans une proximité étroite bien que souvent ignorée

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avec le judaïsme et ce qu’il invente pour l’avenir des textes.

Cette proximité se manifeste d’abord par le fait que, dans le judaïsme comme en littérature, il n’y pas de séparation du sens et de la lettre. On ne se débarrasse pas du texte après en avoir tiré une signification. Pas de dualisme : c’est un des sens de l’étude infinie de la Torah et de la multiplication des commentaires.

Ensuite, dire que le texte demeure même après une première interprétation, c’est affirmer que le sens n’est pas un préalable, qu’il n’est pas donné par avance, mais qu’il se situe en avant, devant la parole (Valère Novarina), comme l’avenir de chaque lecture. Cet en avant du texte, cette possibilité d’un sens à venir qui dépasse tous les calculs et toutes les prévisions de tarissement du sens, pourrait s’apparenter au prophétisme juif, qui n’a rien d’une parole oraculaire ou divinatoire mais qui projette dans le monde une parole libératrice riche des possibles du sens. Comme le disait Henri Meschonnic, « ni prédiction, ni divination, la prophétie est à la fois la forme de l’utopie, une forme du poème, en même temps qu’une forme mystique ». La prophétie, comme l’expression fameuse na’ase venichma’ (« nous ferons et nous écouterons ») « ne situe pas l’action dans une raison mais dans l’activité des signifiants, faisant de nous tout entiers des signifiants. Elle réserve une part d’impensé qui est toujours en nous. Elle implique un retrait, et un

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refus des conditions présentes. Du rapport entre le sens et qui a le pouvoir sur le sens »10.

Dès lors, écrire n’étant plus prévoir ou dire le connu mais plonger « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », le sujet qui écrit n’est pas un sujet qui sait et qui s’identifierait à sa maîtrise d’un savoir, qui se penserait comme une identité aux contours stables, mais un sujet qui se découvre, en lisant, en écrivant, sujet infini. « Se comprendre, c’est se comprendre devant le texte et recevoir de lui les conditions d’un soi autre que le moi qui vient à la lecture »11.

Enfin, parce qu’elle est autre chose qu’un simple joujou esthétique, parce qu’elle dit sans dogmatisme et sans enfantillage quelque chose du monde, parce qu’elle requiert dans l’écriture comme dans la lecture un travail infini du sujet, la littérature implique une responsabilité. Comme le rappelait Sartre, dans le monde, un arbre est à sa place parce qu’il y a poussé ; mais s’il figure dans une œuvre, c’est parce que l’auteur l’y a librement placé. Au-delà de la chose qu’il mentionne ou qu’il représente, le texte renvoie donc à

10  Henri  Meschonnic,  «  Le  langage  comme  prophétie  »,  L’Utopie  du  juif,  Desclée  de  Brouwer,  2001,  pp.  264-­‐265.  11  Paul  Ricoeur,  cité  par  Marc-­‐Alain  Ouaknin  dans  Lire  aux  éclats,  Seuil,  1994,  p.  36.  

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la liberté qui l’a fait naître12. Aussi, l’écrivain, et le lecteur qui interprète ses œuvres, engage-t-il sa responsabilité, jusque dans la dernière feuille de l’arbre qu’il nomme, jusque dans la dernière page du livre qu’il traverse. Reconnaître, au cœur de toute littérature, qu’il en va d’une responsabilité, et, partant, d’un souci de l’autre, c’est dire une fois encore la proximité du judaïsme et de la littérature. Jamais le livre ne se referme sur lui-même parce qu’il est toujours une manière de face-à-face. Pour le dire autrement, dans l’œuvre de tout écrivain, « la référence à l’interlocuteur perce d’une façon permanente le texte que le discours prétend tisser en thématisant et en enveloppant toutes choses » : les livres « s’interrompent et en appellent à d’autres livres et s’interprètent en fin de compte dans un dire distinct du dit »13. La possibilité d’interpréter coïncide donc avec la reconnaissance de l’altérité de l’autre homme, de l’autre femme, elle fait place à une parole dans laquelle s’invente l’autre sujet de tout discours.

Sans la littérature et les arts qui y apportent l’inquiétude d’une identité fracturée, l’occident se résumerait peut-être aujourd’hui au tout-économique,

12  Jean-­‐Paul  Sartre,  Qu’est-­‐ce  que  la  littérature,  Gallimard,  1948,  p.  66.  

13  Emmanuel  Levinas,  Autrement  qu’être,  Martinus  Nijhoff,  1978,  pp.  264-­‐265.  

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à la houle noire du capitalisme et à ses insignifiantes marées de marchandises : une danse des idoles. Cette identité ouverte, le judaïsme y veille et la réinvente, pour tous, maintenant. Voilà pourquoi « les poètes sont des juifs », et réciproquement.

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Pierre Léoutre

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Else Lasker-Schüler La poésie de l’invisible, la poète de l’indicible

Le hasard de la vie poétique m’a permis de découvrir l’œuvre et l’exil d’Else Lasker-Schüler, à l’occasion de cette journée sur la poésie juive que j’ai voulu organiser à Lectoure. Cette femme extraordinaire – encore une – a littéralement confondu son existence bohème mais réelle avec sa quête littéraire imaginaire fondée sur l’amour de l’être humain déchiré dans son identité profonde. Les drames de la vie ont fait d’elle une femme seule mais qui n’a jamais renoncé à rapprocher les peuples. Caroline Tudyka, qui a mis en musique ses poèmes, écrit au sujet d’Else Lasker-Schüler : « écrivain de langue allemande dont le style chante et s’adresse aux cœurs, profondément attachée au peuple juif et à ses rêves, elle désire la paix entre les hommes, entre les religions. Elle a la passion de l’être humain » (*) Je vous propose de lire un poème choisi d’Else Lasker-Schüler, comme une invitation à découvrir cette œuvre poétique majeure.

(*) : Caroline Tudyka, « L’exil d’Else Lasker-Schüler (1869-1945), collection Allemagne d’hier et d’aujourd’hui dirigée par Thierry Feral, L’Harmattan, Paris, septembre 2001.

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le piano bleu

chez moi j'ai un piano bleu mais je ne sais aucune note. il se tient dans le noir de la porte de la cave, depuis le jour où le monde est devenu brutal. les étoiles jouaient jadis à quatre mains - la femme lune chantait dans le bateau - maintenant des rats dansent dans sa gorge. cassé est le clavier - je pleure pour la mort bleue. Ah chers anges, ouvrez-moi - j'ai tant mangé du pain amer - les portes du paradis pendant que je vis encore, oui même contre les interdictions. Source : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/laskerschuler/laskerschulerelse.html (Traduction d'Alain Suied)

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Ana Blandiana

Poésie Ana Blandiana Date de naissance :1942 Langue(s) d'expression :roumain Biobibliographie Née en 1942 près de Timişoara, Ana Blandiana est la poétesse emblématique d'une Roumanie entre oppression et créativité. Auteur d'une œuvre délicate presque totalement méconnue en français en dépit de sa notoriété de femme engagée auprès de la société civile, Ana Blandiana est aussi l'auteur d'un roman polyphonique sur les conditions de la création littéraire dans une société fermée et totalitaire. Après la publication de son premier poème paru sous le

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pseudonyme d'Ana Blandiana, elle fut dénoncée comme « fille d'un ennemi du peuple » et se vit empêchée de s'inscrire à la Faculté pendant quatre années de suite. Après ce faux départ imposé par le régime communiste, elle se réinscrit en 1963 à la Faculté de philologie de Cluj et publie, en 1964, son premier recueil de poèmes au titre annonciateur de ses engagements futurs : La Première personne du pluriel. Ana Blandiana crée en 1990 l'Alliance civique, maillon essentiel dans la vie de la « polis » après la chute de la dictature. Elle fonde également le Mémorial des Victimes du Communisme et de la Résistance, à Sighet (nord de la Roumanie). Elle a été traduite dans de nombreuses langues. Autrefois les arbres avaient des yeux, poèmes traduits par Luiza Palanciuc, éd. Librairie Bleue, Troyes, 2005. Clair de mort, poèmes traduits par Gérard Bayo, éd. Librairie Bleue, Troyes, 1996. L'architecture des vagues, poèmes traduits par Hélène Lenz, éd. Les ateliers du Tayrac, Saint-Jean-de-Bruel, 1995. Étoile de proie, poèmes traduits par Hélène Lenz, éd. Les ateliers du Tayrac, Saint-Jean-de-Bruel, 1991. Source : Les 27 auteurs roumains présents au Salon du livre de Paris, Nicolas Gary, 13 décembre 2012, www.actualitte.com.

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Cette année, Dialoguer en poésie a choisi d’honorer Ana Blandiana, dans le cadre de sa journée estivale consacrée à la poésie en Europe de l’Est : chaque mois d’août, dans le charmant jardin de la Cerisaie au cœur de Lectoure (dont Marie-Andrée a promis de nous écrire un jour la belle histoire), nous évoquons un poète ou une poétesse, clin d’œil à l’un des fondateurs, russe, de notre association. « J'ai été connue comme poète interdite avant d'être connue comme poète », dit-elle en raison de son rôle politique majeur contre la dictature d’alors en Roumanie. Considérée comme un « écrivain classique vivant », Ana Blandiana a été la plus jeune poète à recevoir le prix Herder, qui voulait saluer la « dimension supra temporelle de son œuvre », elle a été surnommée l’Antigone de la poésie par Iulia Badea-

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Gueritée dans un article publié le 1er novembre 2005 par la revue Lire. Son œuvre a été traduite dans 23 langues. Elle est membre de l’Académie Mallarmé de Paris et membre fondateur de l’Académie mondiale de poésie de Vérone. Ana Blandiana a été décoré par l’ambassadeur de France à Bucarest, des insignes de chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, pour la récompenser de son talent et son engagement au service du pluralisme, de la liberté et des droits civiques. Je vous propose d’écouter quelques poèmes traduits en français d’Ana Blandiana.  

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9 poèmes inédits en français, choisis et traduits par Dana Shishmanian.

Si nous nous tuions l’un l’autre

Nos yeux entourés des cils Comme d’une couronne d’épines Consacrant définitivement Tout regard, Si nous nous tuions après nous avoir regardés Dans les yeux avec un amour sans fin Et te connaissant, je te disais : Meurs, Meurs mon amour, Ce sera si bien Tu ne seras plus que mien, Toi né du verbe-père Tu connaîtras le goût de la terre, Tu sauras combien les racines sont belles En entrelaçant tes mains parmi elles Avec la joie insensée De ne plus être à jamais… Et me caressant tu me disais : Meurs, ma chérie, Ma bien-aimée au front d’octobre

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Cerclé comme dans les icônes D’un rond nimbe de mort, Meurs, Laisse tes couleurs dans les fleurs Tes longs cheveux, aux sentes d’hiver Et tes yeux, éclats aux mers Pour que tu saches Où les chercher Quand tu reviendras… Si nous mourions d’un seul coup ensemble Chacun de nous assassin et victime, Sauvé et sauveur, En nous regardant sans cesse dans les yeux, Longtemps après que nous ne verrions plus…

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De l’eau sortaient des corps blancs de peupliers

De l’eau sortaient des corps blancs de peupliers Aux formes ensommeillées et suaves, De beaux adolescents ou seulement des femmes, Douce confusion, leurs chevelures humides N’osaient occulter le désir, L’eau était sans fin, ronde, immobile, Sur son éclat la lune versait De l’huile. Nous marchions pieds nus, limpides, Je sentais Mes doigts engourdis dans ta main, Il y avait tant d’amour sur les eaux Que nous ne pouvions couler, Tant de silence que le temps N’osait dire aucune seconde, Le ciel ne prononçait aucun nuage, L’eau ne balbutiait aucune onde, Seules nos plantes de pied, nues, Foulant la lumière de lune, Émettaient un son léger.

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Tant que je parle

Les dents serrées à travers ères, Toute parole est un gage de confiance Sur la ligne brisée entre le ciel et moi – Te parlant, tu dois être. Là-haut dans les montagnes, où les sapins eux-mêmes Se prosternent, genévriers, à terre Et les nuages s’écoulent sur pierre, Dans les bourrasques, une parole bat Elle est sans doute à toi cette voix Au son tyran et du tréfonds, Que perd le vacarme de mon sang Mais entendent les arbres et les vents. Mon bien-aimé que personne N’a vu qu’en songe jamais ailleurs, Père des mots qui sont en moi Et sur le non-dire seigneur, Fils incertain Né de la prière Que je t’élève, J’ai fatigué de tant de chant, De tant de pensées sans suite, De tant de paroles angéliques. Tu es sans pitié,

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Je ne te vois ni ne t’entends – Tant que je te parle, Tu es.

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Apprends-moi à brûler sombrement

Laisse-moi m’allumer de ton obscurité, Dans la lumière féroce Apprends-moi à brûler sombrement, Modèle selon la forme des ailes Ma flamme, Et purifie-la de toute couleur. Ou, Mieux encore, Donne-moi une semence d’obscurité Que je puisse mettre en terre Et fais tourner plus vite les saisons Pour qu’elle grandisse, Que je la sème à nouveau. Dans la lumière féroce Il y aurait alors des forêts et des champs, Des bois, des vergers, des prairies et de hautes futaies de nuit noire. Une ténèbre profonde et tendre Dans laquelle nous pourrions mourir quand nous voudrions, Une obscurité où Nous ne serions plus beaux, ou bons, Mais seulement seuls,

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Et comme nous ne devrions plus regarder, En fermant les yeux, nous saurions voir.

Poèmes traduits du recueil Octombrie noiembrie decembrie / Octobre novembre décembre, éd. Cartea Româneascà, Bucarest 1972, non présents dans l’anthologie Autrefois les arbres avaient des yeux (préface, biobibliographie, sélection et traduction du roumain par Luiza Palanciuc, éd. Cahiers Bleus / Librairie Bleue, Troyes, 2005).

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Ce miroir

Entre nous deux Ce miroir mou, incertain Incliné de telle sorte que Je ne me vois pas Tu ne te vois pas, Mais je te vois Et tu me vois, Nos yeux se rencontrent Et s’entenaillent Sur son horizon argenté. Tant que ce miroir continuera d’être Et nous accueillir Dans son rêve profond, La vie et la mort Où tu es, où je suis, Ne sont que des contes Où je suis, où tu es.

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Au bon vouloir

Que pourrais-je te demander Si quoi qu’il en soit, tu sais Tout ce que je pourrais te demander ? Que pourrais-je souhaiter Si tu décides quoi qu’il en soit Ce que je pourrais souhaiter ? Je suis parce que toi Tu as dit que je sois – Un jeu au bon vouloir Tu veux ce que je dois vouloir…

Lâche-moi un peu, endors-toi, Oublie-moi quelques instants, Que je puisse concevoir une chose Qui ne t’est pas déjà passée Par la tête auparavant ! Laisse-moi tranquille, Dans une paix que tu n’as pas programmée !

N’es-tu pas fatigué de tout savoir à l’avance ? Voilà, à cet instant j’écris un poème Que depuis longtemps tu connais Par cœur.

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Plage

L’écume jetée sur la rive comme le sperme Du ventre entré en putréfaction De l’océan, Et les plumes aux traces de pétrole Perdues par de vieux oiseaux, Et les œufs asséchés dans les poissons morts depuis longtemps, Et les myriades de semences de sable Dans lesquelles se sont pétrifiées, Jamais nées, Des plantes insoupçonnées. Tout est stérile, interrompu, Les rayons des soleils éteints seulement Continuent encore de nous atteindre Avec leur tendre pouvoir de mort.

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Tout aussi

Pousser plus loin Les frontières de l’obscurité Accroître ne serait-ce que d’un millimètre Le lieu vide lumineux Qui t’aveugle, en t’empêchant, Tout comme les ténèbres, de voir. En fait T’effraient aussi bien Ce que tu comprends Et ce que tu ne comprends pas, Ce que tu vois Et ce que tu ne peux percevoir : Tout aussi vaincue à tous instants, Tout aussi aveugle par tous midis.

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Mandala

L’image intense du diamant qui m’aide À passer du confus état de veille Dans la brusque illumination du sommeil, Scintillement intérieur, Forme de lumière dessinée Avec la lumière sur la lumière, De sorte qu’on ne distingue plus Qu’une mystérieuse combustion Qui donne sens à tout. Tout comme le rayon blanc du diamant Se brise en éclats colorés, Tout comme le serpent mord sa queue Et se transforme en anneau, Dans la profondeur des racines sans fin Les peuples du monde délirent pareillement.

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Poèmes traduits du recueil Refluxul simţurilor / Le reflux des sens, éd. Humanitas, Bucarest 2008 (2ème édition), non présents dans l’anthologie Autrefois les arbres avaient des yeux (préface, biobibliographie, sélection et traduction du roumain par Luiza Palanciuc, éd. Cahiers Bleus / Librairie Bleue, Troyes, 2005).

Source : http://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/ana-

blandiana/dana-shishmanian

Avec l’aimable autorisation d’Ana Blandiana, que nous

remercions vivement.

Dialoguer en poésie à la Cerisaie, août 2014.

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Lectoure. Dialoguer en poésie : la femme à l'honneur

Le samedi soir 8 mars 2014, une vingtaine de poètes et d’amateurs de poésie venus d’un peu partout dans le Gers, y compris d’Auch, se sont retrouvés au restaurant « Le Gaïa », au 62 de la rue Nationale à Lectoure, pour un dîner en poésie consacrée à la femme.

Tout en savourant une délicieuse cuisine concoctée par l’hôtesse qui s’est admirablement adaptée à une augmentation inattendue du nombre des convives (sept étaient attendus au départ), les participants ont écouté des poèmes soit écrits par les auteurs présents, soit tirés des œuvres d’auteurs célèbres ou moins connus.

Tous les thèmes sur la femme ont été abordés, depuis les suffragettes revendiquant le droit des femmes, des textes où le rôle de la femme est mis en avant, des élégies où la femme malheureuse est plainte et jusqu’à des poèmes d’amour où la femme est magnifiée. Trois hommes seulement étaient présents dont le président de l’association Dialoguer en poésie, Pierre Léoutre.

La prochaine rencontre de Dialoguer en poésie aura lieu le samedi 22 mars, la veille des élections municipales, à l’occasion du Printemps des poètes.

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On écoute attentivement les poésies récitées à Dialoguer en poésie. Photo DDM, H. M.

La Dépêche du Midi, 11 mars 2014

En partenariat avec l’association Libres Mariannes Midi-Pyrénées :

http://libresmariannestoulouse.blogspot.fr

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Peinture de Dany Weil

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Éditeur : Books on Demand GmbH 12/14, rond-point des Champs Élysées

75008 Paris www.bod.fr

ISBN : 9782322011117

Dépôt légal : novembre 2014 Mise en page : Germaine Cartro & Pierre Léoutre

Photographies des poètes : Hario Masarotti Photographie de couverture :

Association « Dialoguer en Poésie » 15 rue Jules de Sardac

32700 Lectoure (Gers – France) http://pierre.leoutre.free.fr/dialoguerenpoesie.html

[email protected] 0651083690