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Institut Universitaire de Formation des Maîtres, année scolaire 2005-2006 Concours de Recrutement des Professeurs des Ecoles, Dijon. Dossier numéro 0400419N Poésie et éducation à l'environnement Par Luc Guillaume Réalisé sous la direction de Monsieur Pierre Durand, professeur à l'IUFM de Dijon. 1

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Institut Universitaire de Formation des Maîtres, année scolaire 2005-2006

Concours de Recrutement des Professeurs des Ecoles,

Dijon.

Dossier numéro 0400419N

Poésie et éducation à l'environnement

Par Luc Guillaume

Réalisé sous la direction de Monsieur Pierre Durand, professeur à l'IUFM de Dijon.

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Remerciements

Je tiens à remercier ces personnes qui m'ont apporté une aide précieuse, souvent sans en

avoir conscience :

- Erika, Estelle, Michaël, Agnès pour leurs lectures, voire relectures, attentives et rassurantes,

gentiment accordées...

- mon père, pour ses précieuses et vivantes notes relatant la sortie : je la revis chaque fois que je

les relis, comme si j'y étais de nouveau...

- Monsieur Durand, pour avoir respecté mon sujet, exercé son oeil perspicace et soumis des

remarques toujours constructives.

- Bertrand, pour son aide indispensable dans l'art de dompter l'informatique...

- les poètes et les philosophes, cités ou non dans ce mémoire, pour m'avoir fait prendre

conscience de mon abîme d'ignorance... Puisse ce mémoire être un humble hommage...

- bien sûr, les enfants de Grande Section de l'Ecole Henri Matisse d'Is sur Tille et ceux de CE2-

CM1 de l'école de Bligny sur Ouche : sans votre spontanéité et votre réceptivité, ce mémoire

n'aurait été qu'un amas de babillages chimériques...

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Sommaire

I. Introduction................................................................................................ page 5

II. Sources inspiratrices de ce mémoire......................................................... page 8

1. Une définition possible de la poésie.............................................. page 8

2. Education à l'environnement......................................................... page 10

3. Poésie et éducation à l'environnement........................................... page 12

III. Réalisations au cours du premier stage en responsabilité.........................page 14

1. Le projet imaginé........................................................................... page 14

2. Le projet réalisé.............................................................................. page 15

2.1. Le Noël des oiseaux......................................................... page 15

2.2. Les écoutes poétiques.......................................................page 16

3. Bilan................................................................................................page 17

3.1. Réactions des oiseaux.......................................................page 17

3.2. Réactions des enfants........................................................page 17

3.3. Mes réactions....................................................................page 20

3.3.1. Ai-je appliqué mon projet ?.............................. page 20

3.3.2. Pourquoi les enfants apprécient-ils autant

les oiseaux ?.......................................................page 21

IV. Réalisations au cours du second stage en responsabilité..........................page 23

1. La notion de « milieu »...................................................................page 23

2. Le projet imaginé............................................................................page 23

2.1. Ecoutes et créations poétiques..........................................page 23

2.2. La sortie............................................................................page 25

3. Le projet réalisé...............................................................................page 26

3.1. Imprégnation poétique......................................................page 26

3.2. La sortie............................................................................page 28

3.2.1. La préparation....................................................page 28

3.2.2. En cheminant vers les hauteurs..........................page 29

3.3. Les créations poétiques.....................................................page 30

4. Bilan.................................................................................................page 36

4.1. Réactions des enfants........................................................page 36

4.2. Mes réactions....................................................................page 39

V. Conclusion..................................................................................................page 42

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1. Jusqu'à quel point doit-on inculquer le respect de l'environne

ment aux enfants ?..........................................................................page 42

2. L'enseignement de la poésie...........................................................page 43

3. Science versus contemplation ?......................................................page 45

Bibliographie..................................................................................................page 48

Annexes..........................................................................................................page 50

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« Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes ! »

Charles Baudelaire, « Elévation », dans « Les Fleurs du Mal ».

I. Introduction.

Nombreux sont les poètes, les écrivains en général, qui rencontrent dans les spectacles de la

Nature un écho à leur état d'esprit. Et qu'importe si la froide raison scientifique sourit à ces élans

naturalistes, nés d'impressions, se nourissant d'émerveillement, délaissant les calculs et les

raisonnements. Il importe à chacun de chercher sa vérité, d'interroger le monde pour en révéler les

secrets...ou les rendre encore plus impénétrables... « J'épèle les buissons, les brins d'herbe, les

sources » dit Victor Hugo qui compare la Nature à un immense livre dont la contemplation invite à

la méditation sur sa vie. La démarche scientifique ne se contente pas d'observations : elle veut les

décortiquer, expliquer leur mystère de manière irréfutable pour qu'elles deviennent quantifiables,

voire prévisibles. Manière peut-être de se rassurer en établissant les lois qui régissent notre

environnement changeant...

Au cours des âges, la Science a exploré de plus en plus profondément les phénomènes

naturels, levé le rideau des apparences pour les démystifier. Comme l'évoque fort justement le

philosophe Nietzsche dans « Le gai savoir », cette recherche est devenue un véritable besoin

irrépressible qu'il qualifie de « passion de la connaissance », celle-ci concernant désormais toutes

les couches de la société même s'il appartient à une élite de brandir le flambeau pour débusquer les

énigmes les plus farouches. En somme, le scientifique et le poète adoptent au départ la même

attitude : tous deux questionnent inlassablement ; mais là où le poète se complaît à laisser planer

librement ses doutes, le scientifique au contraire les enferme pour mieux les expliquer.

Une question se pose alors, amenant des interrogations de nature psychologique : pouvons-

nous à la fois entretenir l'art des Muses et développer le rigoureux raisonnement scientifique ?

Pouvons-nous nous contenter d'exprimer nos émotions ou devons-nous céder au tyrannique

« Pourquoi ? » et son boulimique besoin de réponse ? Si j'avais été seul à éprouver cette dualité

entre objectivité et subjectivité, réellement dérangeante, je n'aurais pas fait part de ces réflexions.

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Or, au hasard de mes lectures, j'ai parcouru le livre de l'éminent astronome québecois Hubert

Reeves, intitulé « Malicorne ». Voici le passage qui m'a interpelé :

« La poésie a-t-elle encore quelque chose à dire quand la science est passée par là ? Le charme

indicible de ce matin d'automne résiste-t-il à l'analyse des mécanismes délicats que l'oeil

inexorable du chercheur a su y détecter ? [...] Cette interrogation revient régulièrement dans les

questions à la fin de mes conférences. [...] Si je l'aborde dans ces pages, c'est aussi parce qu'au

carrefour de mes goûts naturels pour la science et la poésie, je me la suis souvent posée. » (page

23).

Il est toujours rassurant de lire ses pensées formulées par un écrivain qui a le don, envieux,

de parvenir à coucher les siennes sur le papier... Plus loin, Hubert Reeves relate ses impressions

naissant d'un coucher de soleil sur le Pacifique :

« Devant l'océan serein, glorieusement coloré par le couchant, une voix intérieure se fait

entendre : « Ces dessins, ces formes, ces teintes chatoyantes sont des solutions mathématiques des

équations de Maxwell. Parfaitement prévisibles et calculables. Rien de plus. » Dans ma tête, c'est

la panique. » (pages 24-25).

Je terminerai cette illustration en citant un dernier passage éloquent, qui m'avait saisi tant il

correspondait à mon état d'esprit d'alors :

« Peut-on encore se laisser aller à l'émerveillement des spectacles naturels, quand la

démarche scientifique nous en fait voir les coulisses ? » (page 25).

Question terrible, perturbante, harcelante qui amène une foule d'interrogations

destabilisantes...

Je préparais alors le concours de professeur des écoles et en lisant les programmes j'étais

surpris que le mot « science » revienne souvent, même dans des domaines où je ne l'attendais pas.

Cette popularité est due en grande partie aux travaux de l'équipe « La main à la pâte » qui prône la

diffusion de la démarche scientifique dans l'enseignement des sciences à l'école. Les résultats

significatifs qu'elle a entrainés dans divers apprentissages, notamment celui de l'expression orale et

écrite, ont influencé les réflexions de l'Institut National de la Recherche Pédagogique qui préconise

cette démarche lors de certains travaux sur la langue (cas de l'ORL par exemple). Je me suis alors

posé une question, et je me la pose ici comme introduction de ce mémoire : « si des adultes partent

en quête de leurs émotions malmenées par le raisonnement scientifique, quel peut-bien être l'impact

de celui-ci dans le cerveau d'un enfant ? » Ne risque-t-on pas de le « condamner » à souhaiter tout

expliquer, même l'inexplicable du ressenti, qui pourrait l'amener plus tard à une amère désillusion ?

Ces propos paraissent peut-être exagérés mais il faut avoir éprouvé ces désagréments pour

comprendre leur portée... De plus le visionnaire Jean-Jacques Rousseau, dans le livre II de « Emile

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ou de l'éducation », formule un avertissement aux résonnances rejoignant ce questionnement :

« L'enfance a des manières de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres ; rien n'est

moins sensé que d'y vouloir substituer les nôtres. »

Le but de ce mémoire n'est pas d'être polémique. Toutefois, je tiens à présenter ici un travail

en sciences physiques dont un aspect me paraît franchement discutable (voir annexe 1 pour un

extrait) et qui justifie que ce sujet soit mis en lumière. Une partie de la correction de ce devoir ne

propose rien de moins que de critiquer l'anthropomorphisme intolérable de la comptine « Il pleut

des grêlons », en particulier la dernière phrase : «Que dit la fin de la comptine ? « dans un coin,

tout seul, je fonds. » Notre glaçon a-t-il fondu tout seul ? ». Même s'il est juste de vouloir initier les

enfants aux facteurs physiques responsables des changements d'état de l'eau, il est à mon avis

blâmable que le suppport de départ soit une naïve comptine dont il s'agit ni plus ni moins de révéler

la fausseté. Il y a là empiètement grave du questionnement scientifique sur l'imagination enfantine :

ce sont deux facettes de l'intellect, non des raisonnements hiérarchisés. Il faut noter que le manuel

« Découverte des Sciences, CP-CE1 » des éditions BORDAS dans la Nouvelle Collection Tavernier

choisit de disposer des comptines, des poèmes à côté d'activités scientifiques, sans suggérer

toutefois une méthode de travail précise.

Plutôt que d'opposer littérature et sciences, je voudrais à travers ce mémoire chercher si

l'enseignant peut faire coexister harmonieusement, dans sa pédagogie, ce qui relève de la

subjectivité et ce qui relève de l'objectivité. Plus précisément, mon objectif est d'étudier si la

littérature en général, la poésie en particulier ne pourraient pas prendre efficacement place dans

l'éducation des enfants à l'environnement, thème qui suscite particulièrement leur enthousiasme.

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II. Sources inspiratrices de ce mémoire.

1.Une définition possible de la poésie.

« Poésie ! Ô trésor ! Perle de la pensée ! »

Alfred de Vigny, « La Maison du Berger » dans « les Destinées ».

Je ne donnerai pas ici de définition savante de la poésie mais de ce qu'elle me semble être, la

forme sous laquelle elle m'apparaît, née de nombreuses lectures passionnées... La poésie est la mise

en mots d'émotions, de réflexions suscitées par l'observation de diverses manifestations, entreprise

plus ou moins fructueuse, source de nombreuses frustrations pour quiconque s'est essayé à

composer des vers... Lorsque l'on évoque la poésie, c'est le vers qui lui est d'emblée associé comme

sa forme d'expression littéraire : une phrase de longueur variable dans son enchaînement syllabique,

dont la lecture attentive révèle un rythme plus ou moins perceptible mais participant au sens global ;

très souvent des répétitions phonétiques, à l'intérieur (assonances, allitérations) et/ou à la fin (rimes)

du vers. Ainsi le poème possède sa mélodie intime, sa propre musique.

Cette recherche esthétique et acoustique dans la rédaction du poème rapproche

effectivement la poésie de la musique : pour Ronsard, ces deux arts sont même indissociables

puisque tout poème ne doit pas seulement être lu à haute voix mais chanté ; c'est pourquoi le

chantre de Cassandre évoque fréquemment un instrument lorsqu'il écrit, en particulier de la famille

des cordes et son représentant le plus symbolique : la cithare-lyre (et son équivalent le luth au

Moyen-Âge et à la Renaissance), attribut du Dieu de la musique Apollon-Phébus. Un extrait parmi

tant d'autres :

« [...] La Muse qui chante le mieux,

Pour présent son luth me donna,

Qui depuis en France sonna

Or'bien, or'mal en divers sons,

Bonnes et mauvaises chansons. [...] »

(« A Phœbus », ode IX, livre III des « Odes »)

Toutefois, considérer le poème versifié comme unique expression littéraire de la poésie, ce serait

exclure, et par là même se priver de précieuses lectures, les maîtres de la prose poétique dont les

élans lyriques sont trop grands pour se maintenir dans de courts vers. Ecoutons l'un des plus

illustres, Chateaubriand, « L'Enchanteur » : « Les infortunes d'un obscur habitant des bois auraient-

elles moins de droits à nos pleurs que celles des autres hommes ? Et les mausolées des rois dans

nos temples sont-ils plus touchants que le tombeau d'un Indien sous le chêne de sa patrie ? » (livre

premier des « Natchez »). Le sombre Baudelaire a tenté explicitement le mariage de la prose et de la

poésie : « Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose

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poétique, musicale sans rhythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux

mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? »

(« A Arsène Houssaye », dans « Petits Poëmes en prose »).

Qu'elle soit vers ou prose, la beauté, l'attrait hypnotique qu'exerce la poésie provient de la

magie libérée par l'agencement habile des mots. Voilà le don précieux du poète : révéler des

combinaisons insoupçonnées de mots. Don ? Sûrement, mais qui se révèle dans la difficulté : artisan

du vocabulaire, le poète tente, supprime, efface, raccorde entre elles des propositions jusqu'à obtenir

la forme apportant la suprême satisfaction, et encore... Véritable Pygmalion, il sacrifie ses heures

pour donner corps à ses pensées. Pour reprendre Théophile Gautier, le poète sculpte ses vers :

« Oui l'oeuvre sort plus belle

D'une forme au travail

Rebelle,

Vers, marbre, onyx, émail. »

(« L'Art », dans « Emaux et Camées »)

Beauté farouche, la poésie des mots ne se laisse pas facilement saisir...

Si la matière verbale est quelquefois récalcitrante au point de désespérer le poète face à sa

feuille blanche, une question apparaît : pourquoi persister à écrire de la poésie ? Il y a certainement

autant de réponses que de poètes : appel irrésistible, besoin impérieux de traduire en mots des

impressions fugaces qui, si elles ne sont pas libérées sur le papier, harcèlent bruyamment l'esprit

dans leur cage, devenant paradoxalement un plaisir dérangeant ; l'insatisfaction engendrée par la

platitude, la stérilité de leur discours oral poussent certains à se réfugier dans l'écriture ; besoin

d'exprimer son vécu émotionnel sous une forme consacrée, sans quoi il nous semblerait laisser

échapper des souvenirs trop précieux pour être confiés à la mémoire étourdie ; expression artistique

contingente à la nature humaine, thérapeutique... La poésie est personnelle, teintée des couleurs de

notre affect, expression d'une sensibilité individuelle dont l'objet est de nature variable : l'évocation

émue d'un être aimé, le rameau courbé qui soudain ébroue son fardeau neigeux... Observateur

singulier, chéri des Neuf Soeurs, (s') interrogeant en permanence, le titre honorifique de poète

échoit à une personne reconnue et respectée pour son don de retranscrire en mots le ressenti et de

communiquer cette émotion.

Est-ce à dire que la poésie n'est qu'un langage écrit ? Je ne pense pas : c'est avant tout un

regard sensible, curieux, toujours renouvelé, que l'on porte sur notre environnement en général

jusqu'aux détails les plus insignes qui sont ainsi mis en lumière. C'est ressentir un rapport tacite

avec ce qui nous entoure, une émotion sympathique, que ce soit face à une pierre inerte ou un

animal : l'esprit entre en résonnance avec une harmonie impalpable... Ecoutons Victor Hugo :

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« [...] Le moineau, le buisson, l'eau vive dans le pré,

La forêt, basse énorme, et l'aile et la corolle,

Tous ces doux instruments m'adressent la parole ;

Je suis l'habitué de l'orchestre divin ;

Si je n'étais songeur, j'aurais été sylvain. [...] »

(extrait de « Les Contemplations »)

Ainsi la poésie réside dans l'interprétation immédiate (ou différée) d'un phénomène : nous pouvons

être poètes dans l'action, pas seulement dans l'écriture (consolation commode !). Non la poésie n'est

pas qu'écriture : nous pouvons la vivre quotidiennement en prenant le temps de nous arrêter, de

nous interroger sur ce que nous montrent nos yeux, loupes guidées inévitablement, inconsciemment

par notre propre sensibilité, en particulier en des places a priori peu propices à la contemplation :

dans la grisaille parisienne, dirigez votre regard vers Notre Dame et, avec un peu de patience, vous

verrez les Faucons crécerelles fendre l'air entre les clochetons gothiques, étonnamment loin de leurs

traditionnelles prairies ; ou bien (privilège que je n'ai pas encore eu !), peut-être aurez-vous la

chance d'observer l'oiseau-papillon exposer ses ailes rouge carmin tout en butinant les acanthes du

Panthéon...

Les Amérindiens du Nord n'ont pas laissé d'oeuvres poétiques comme nous l'entendons en

Occident mais il suffit de relire un des discours de ces enfants de la Nature pour se convaincre de la

beauté poétique de leurs pensées : « Qu'est-ce-que la vie ? C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit.

C'est le souffle d'un bison en hiver. C'est la petite ombre qui court dans l'herbe et se perd au

couchant. »(dernières paroles de Crowfoot mourant, chasseur, guerrier, orateur de la confédération

des Blackfeet, avril 1890).

La poésie s'écrit, se lit, se vit : à chacun de choisir selon ses envies ou habiletés...

2. Education à l'environnement.

Il s'agit d'une préoccupation récente motivée par de tristes constats affectant l'avenir de notre

planète : l'action de l'Homme sur son milieu est désormais source d'interrogations concentrées dans

le terme « écologie ».

Qu'est-ce-que l'écologie ? Discipline relativement récente parmi les sciences de la Nature

puisque le mot apparaît seulement au XIXème siècle, une brève étude étymologique suffit pour en

comprendre le sens : formé d' « éco » signifiant « maison, logis » (« oïkos » en Grec) et de « logie »

qui signifie « science » (« logos » en Grec »), littéralement il s'agit donc de la science, de l'étude de

la maison, du logis. Placé dans son contexte, ce terme signifie que cette science ne s'intéresse pas à

un être vivant en particulier mais au contraire au tissu de relations qui existent entre lui, ses

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congénères, les autres êtres vivants et les facteurs physiques tels que la température, l'humidité...

L'écologie n'étudie pas l'être vivant isolément, comme organisme se suffisant à lui-même, mais

comme organisme faisant partie d'un tout indissociable. Pour imager, l'on peut dire qu'un être

vivant, au cours de son existence, évolue dans une demeure qu'il doit partager avec d'autres êtres,

d'où les relations conflictuelles ou coopératives qu'il développe. En termes écologiques, la demeure

est l'écosystème dont la taille peut extrêmement varier : depuis le tapis de feuilles mortes abritant

les cloportes lucifuges jusqu'aux immenses océans où évoluent les imposants mammifères marins.

L'hypothèse Gaïa (du nom de la déesse de la Terre dans la mythologie grecque), émise il y a une

vingtaine d'années par des écologues, considère même la Terre comme un vaste et unique

écosystème dont nous faisons tous partie, hommes, êtres vivants ou non. Cette vision fait de chacun

de nous un enfant de la Terre, au-delà de toute considération géopolitique, et elle a le mérite de

descendre l'Homme du piedestal sur lequel, bien imprudemment et prétentieusement, la pensée

occidentale l'avait élevé.

En 1964, Jean Dorst, professeur au Museum National d'Histoire Naturelle publia un

dramatique plaidoyer, « avant que nature meure », réclamant la conservation des richesses

naturelles de notre planète : « Toutes les lois qui présidaient jusqu'à présent aux rapports de

l'homme avec son milieu paraissent désuètes. Le vieux pacte qui unissait l'homme à la nature a été

brisé, car l'homme croit maintenant posséder suffisamment de puissance pour s'affranchir du vaste

complexe biologique qui fut le sien depuis qu'il est sur la terre. [...] Nous sommes néanmoins en

droit de nous interroger sur la valeur universelle d'une civilisation technique appliquant aux

esprits comme à la matière des lois dont le bien fondé n'a été vérifié que dans des cas particuliers.

[...] Mais chacun d'entre nous a eu parfois l'impression d'avoir pris place dans un train emballé

dont il ne pouvait plus descendre. Nous ne savons où il nous mène. Peut-être vers un grand bien-

être ; mais peut-être aussi à une impasse, voire à une catastrophe. L'homme a imprudemment joué

à l'apprenti-sorcier et mis en marche des processus dont il n'est plus le maître. » (pages 16 et 25).

Constats et prophéties inquiétants... Qu'en est-il quarante-deux ans plus tard ? Les catastrophes se

sont effectivement accumulées : marées noires empoisonnant, engluant faune et flore, les

embarrassants déchets nucléaires, Tchernobyl, les pluies acides, l'assèchement des zones humides

(cas extrême de la mer d'Aral qui devrait désormais s'appeler la mare d'Aral), l'amplification du

pourtant bénéfique effet de serre, les Organismes Génétiquement Modifiés, véritables chimères

modernes dont PERSONNE actuellement ne saurait évaluer l'impact une fois lâchés à l'air libre...

L'horizon semble bien orageux... mais... parallèlement à ces exagérations, la conscience humaine

amollie s'est réveillée : les organismes fleurissent qui souhaitent rendre la vue au conducteur

aveugle nous menant vers le gouffre. Leurs membres agissent au quotidien pour la conservation de

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ce qu'il faut bien appeler maintenant notre « patrimoine naturel » : WWF, Greenpeace pour les plus

connues au niveau mondial, sociétés de protection de la faune (la Ligue pour la Protection des

Oiseaux en France par exemple) et de la flore au niveau national.

De plus, les recherches en écologie ont fait des progrès considérables montrant que chaque

être vivant est un fragile mais indispensable maillon qui participe à un vaste cycle de la matière :

aujourd'hui, personne ne peut ignorer que l'utilisation de pesticides en France, le cas du DDT est

éloquent, a des conséquences fâcheuses en se retrouvant dans le sang, les oeufs, les petits d'un

oiseau vivant à des milliers de kilomètres de là... Les exagérations octroyées à notre confort se

retournent à terme contre nous : le poumon indonésien se nécrose, victime de l'esthétisme

immobilier, le goût pour les essences rares jusque sur le tableau de bord de nos voitures. Ainsi,

chacun d'entre nous est concerné, qu'il le veuille ou non : la Nature ne peut continuer d'être sacrifiée

sur l'autel de nos besoins superflus, voire insensés...

D'autre part, des sommets politiques s'organisent périodiquement autour du thème de la

biodiversité (la richesse du vivant) pour tenter de prendre des mesures et inverser la funeste

tendance. Il est temps de lier les mains de la dangereuse Pandore : l'Homme possède aujourd'hui

plus que jamais les moyens de sa destruction et de sa conservation comme le disait Jean Dorst en

son temps... Autre signe de prise de conscience en France : des termes juridiques apparaissent

comme « droit à l'environnement » et récemment une charte pour l'environnement a même été

signée et intégrée dans la constitution. Respecter l'environnement est donc en passe de devenir un

devoir citoyen à défaut d'être un devoir de conscience individuel...

Désormais, l'éducation à l'environnement est inscrite dans les programmes de l'école

primaire de 2002. La circulaire du 8 juillet 2004 précise que « l'étude de l'environnement doit donc

se placer dans la perspective du développement durable, défini comme « un développement qui

répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre

aux leurs » ». Le professeur des écoles a donc le devoir professionnel de sensibiliser les enfants à ce

sujet : le futur citoyen doit comprendre la portée de ses actions sur l'environnement, aussi bien

spatialement que temporellement.

3. Poésie et éducation à l'environnement.

Même si l'optimisme est de mise si l'on souhaite agir efficacement, je ne peux m'empêcher

d'être gagné par l'amertume chaque fois que je m'immerge dans la philosophie amérindienne : « Je

suis convaincu que l'homme qui était assis sur le sol de son tipi, méditant sur la vie et sa

signification, acceptant la parenté de toutes les créatures, et reconnaissant l'unité avec l'univers

des choses infusait dans son être la véritable essence de la civilisation ». (Luther Standing Bear

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(Luther Ours Debout), 1868 ?-1939, chef Sioux Oglala). Ces gens avaient déjà défini l'écologie et la

vivaient bien avant nous... Quel dommage que leurs pensées aient été dédaignées, rejetées de façon

hautaine... Est-ce-à dire que nous devons éduquer les enfants à l'environnement pour qu'ils

deviennent de petits Indiens ? Pourquoi pas ? !

Les programmes de l'école primaire de 2002 précisent que « l'éducation à l'environnement

est transdisciplinaire ». Nous respectons ce que nous admirons : en souhaitant lier poésie et

éducation à l'environnement, mon but serait de faire prendre conscience aux enfants que de la

contemplation naît le respect de notre environnement. Je pense en effet que la poésie peut éduquer

le regard car elle est capable de sublimer les moindres détails et donc d'apprendre à les rechercher.

Toutefois, je ne me cache pas certaines dérives possibles d'une telle pédagogie : lire de la poésie

sans la vivre, s'abreuver de mots sans contempler les images directement : vivre uniquement par

l'esprit ce qui peut se sentir physiquement ; à l'inverse ne pas trouver les mots pour peindre les

impressions et frustrer définitivement l'enfant qui souhaite écrire. Je garde en mémoire ces mots de

Rousseau : « C'est dans le coeur de l'Homme qu'est la vie du spectacle de la nature ; pour le voir il

faut le sentir » (livre III d'« Emile ou de l'éducation »). Ce dernier s'opposait à la lecture de poésie à

cette période de l'enfance. Néanmoins, je pense qu'à notre époque matérialiste où les réalités

virtuelles et télévisuelles prennent le pas sur la Réalité simplement visuelle, il est important

d'apprendre aux enfants que contemplation et écriture sont sources de plaisirs simples et aussi

gratifiants.

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III. Réalisations au cours du premier stage en responsabilité.

1. Le projet imaginé.

Nourri de ces idées, je souhaitais transmettre mon intérêt aux enfants. Toutefois, je me suis

senti arrêté dans un premier temps lorsque j'ai su que je devrais enseigner dans une classe de grande

section maternelle : il m'a semblé que mon projet devenait inapplicable avec des petits de cet âge, à

cause des barrières que dressait leur incapacité à lire et à écrire. Quelle pensée injuste ! C'était mal

les connaître...

La découverte d'un album m'a alors apporté une foule d'idées : « Ti-ti-ping la petite

mésange » de Gerda Muller (« ti-ti-ping » est l'onomatopée du chant de la Mésange charbonnière,

oiseau très commun et qui viendra à coup sûr visiter votre jardin si vous désirez attirer cette

gourmande colérique). Véritable album documentaire, ce livre relate la vie d'une Mésange

charbonnière, depuis ses acrobaties aériennes jusqu'à l'élevage de sa progéniture. De plus, les

couleurs des plumages sont fidèlement retracées, révélant la beauté des oiseaux de notre quotidien :

le Verdier d'Europe, au nom explicite ; le Chardonneret élégant avec son masque de carnaval noir-

blanc-rouge ; les autres Mésanges : la fluette Mésange nonette, la dynamique Mésange bleue...

Une idée a retenu mon attention au cours de cette histoire : un couple de personnes âgées

met en place « le Noël des oiseaux ». « Joyeux Noël, petits amis ! On gâte bien les enfants ce jour-

là, pourquoi pas les oiseaux ? » (page 13). Ce texte venait à point car mon stage avait lieu du 21

novembre au 12 décembre, période à laquelle les enfants attendent fiévreusement ce moment

magique qu'est Noël. Mon projet s'est donc inspiré de ce passage, une idée en amenant une autre par

une sorte d'effet boule de neige : j'ai décidé que je mettrais en place une séance de lecture de cet

album en insistant en particulier sur l'idée de la page 13 ; avec les enfants nous déciderions nous

aussi d'offrir un Noël aux oiseaux : pour cela, nous listerions les aliments nécessaires à leur survie

l'Hiver, mentionnés dans l'album et je me chargerais d'acheter en plus le matériel, c'est-à-dire la

mangeoire. A terme, j'espérais organiser un atelier observation : les enfants, par deux, cachés

derrière une grande feuille noire appliquée sur la fenêtre de la classe, dessineraient sur un cahier

daté les oiseaux profitant de notre cantine, deux ouvertures ayant été ménagées sous forme de judas

pour assurer leur discrétion. Ces dessins seraient le point de départ de discussions sur les oiseaux :

leurs noms, leurs habitudes...

Ce projet suivait également des objectifs transversaux : développer l'attention, l'écoute, la

patience (si l'on désire apercevoir nos amis à plumes), permettre aux enfants de s'exprimer par le

dessin. Il répondait pleinement à mon souhait de leur faire observer la Nature directement, qu'ils se

rendent compte que les oiseaux n'ont pas les volières pour maison : aussi petites soient les ailes d'un

oiseau, la plus grande cage sera toujours une prison trop étroite pour lui. Leur montrer une vidéo,

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utiliser uniquement ce support j'entends, ce serait leur laisser croire, inconsciemment, que seule une

caméra est capable de contempler des spectacles qui sortent de leur ordinaire. Non ! Disposez de

minuscules graines sur un balcon élevé même en plein centre ville d'une métropole : vous jouez de

malchance si vous ne pouvez profiter, dans les heures qui suivent, d'un incessant défilé de plumes...

Notre mangeoire se situerait sur les grilles d'un chantier car une partie de l'école était en travaux : je

comptais néanmoins sur l'intrépidité dont font preuve les oiseaux, motivée par le froid menaçant,

pour que mes attentes ne soient pas trompées.

Par contre, je ne savais pas exactement comment les sensibiliser à la poésie : je voulais leur

faire découvrir de grands poètes (mais y en a-t-il de petits ?), chantant les oiseaux en particulier,

tout en craignant que ces lectures leur paraissent ennuyeuses car trop compliquées... La lecture de

« La poésie à l'école. De la maternelle au lycée », édité par le CRDP de la région Centre, m'a

rassuré sur ce point et encouragé, surtout cette phrase : « [...] poser une lecture qui ne sait pas

d'avance si le poème est facile ou difficile mais qui va construire ses questions dans une

recherche. » (page 21). Des poètes, Jacques Prévert et Victor Hugo notamment, m'apparaissaient

comme chantres des oiseaux mais aussi comme illustres représentants de notre culture littéraire.

Dans l'idéal, je désirais que les deux moments se rejoignent : que l'observation et l'écoute

poétique se nourrissent mutuellement...

2. Le projet réalisé.

2.1. Le Noël des oiseaux.

Dès le premier Mardi de mon stage (22 novembre), j'ai joint l'action à la parole... « Ti-ti-

ping la petite mésange » a d'abord servi de support à une séance de lecture : découverte du livre

objet dans un premier temps (première et quatrième de couverture, le titre et sa signification),

lecture proprement dite en leur montrant les illustrations puis discussion autour du thème du « Noël

des oiseaux ». J'ai interrompu la lecture à la page 13 et ai relu le passage sur le Noël des oiseaux.

Constatant qu'aucune question ne venait, j'ai alors pris l'initiative de l'échange : « Pouvons-nous

organiser un Noël pour les oiseaux ? Et si nous offrions des cadeaux à nos amis les oiseaux ? De

quoi ont-ils besoin d'après l'histoire ? ». Beaucoup d'enfants désiraient parler de leurs propres

observations : « moi, j'aime bien le Rouge gorge », « chez nous on leur donne des graines dans une

cabane ». Finalement, en recentrant la discussion et en revenant à l'histoire, j'ai fini par écrire sous

dictée ce qu'il nous fallait collecter : des miettes, du pain, des graines, des cacahuètes, des boules de

graisse.

Prenant à coeur mon rôle de Père Noël des oiseaux, je suis allé acheter dès le lendemain une

mangeoire en plastique assez pratique et discrète pour être suspendue à une grille, des boules de

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graisse, des épis de millet et deux gros sacs de graines de tournesol (les plus appréciées pour leur

apport en graisse). J'ai disposé tout cela dans un sac opaque, ce qui m'a permis de proposer une

séance d'éducation sensorielle dès le Jeudi matin : les enfants plongeaient leurs mains dans le sac,

sans regarder à l'intérieur, et devaient me décrire ce qu'ils touchaient. Exercice difficile : les enfants

étaient vite limités par leur vocabulaire ou finissaient par répéter ce que disaient les copains et les

copines ! Finalement, le mystère a été dissipé, le sac ouvert et je leur ai rappelé l'histoire de « Ti-ti-

ping ».

A la récréation de l'après-midi, j'ai installé solennellement notre cantine à oiseaux : j'aurais

voulu que cela se fasse collectivement mais les enfants avaient interdiction de s'approcher des

grilles pour des raisons évidentes de sécurité. Une ribambelle d'enfants m'ont demandé : « maître,

on peut te regarder installer le Noël des oiseaux ? ». Tous m'ont alors assisté attentivement,

observant à deux mètres le moindre de mes gestes. Désormais il n'y avait plus qu'à attendre

patiemment que les oiseaux daignent profiter de notre générosité !

2.2. Les écoutes poétiques.

Le premier poème que j'ai lu a été « Chanson pour les enfants l'hiver » de Jacques Prévert,

extrait du recueil « Histoires », car il était de circonstance : il avait neigé la nuit précédente.

L'accueil a été enthousiaste. A partir de la deuxième semaine, j'ai décidé que je lirais

quotidiennement un ou plusieurs poèmes sans autre prétention que de les sensibiliser à ce sujet en

espérant quand même leur transmettre des images, des émotions... Pour cela, le deuxième Lundi (28

novembre), j'ai consacré une séance à la poésie en commençant par leur poser une question très

ouverte : « Qu'est-ce-que la poésie ? ». Evidemment, comme il faut s'y attendre de la part d'enfants

de cet âge, les réponses ont été variables : « c'est de la musique », « des contes », « moi ça me fait

rêver », « j'adore », « ça me fait voler dans les airs », « c'est la souris verte », « ça me fait voler »,

« j'aime bien la neige qui flotte dans les airs » (il neigeait ce jour-là), « les petits poissons », « je

vole dans le ciel ». Ainsi, sur vingt-sept élèves, neuf m'ont répondu, certains de façon singulière

(« la souris verte » !), d'autres franchement poétique (« moi ça me fait rêver ») mais tous de façon

originale, avant que cette originalité ne se tarisse puisque finalement les enfants, sans ou à court

d'idées, reprenaient à leur compte les phrases de leurs camarades, en y apportant de légères

modifications : imitation caractéristique de la maternelle ! J'ai donc interrompu cette discussion,

puisqu'en outre je ne savais pas ce qui justifiait ces réponses : avaient-ils tous entendu lire de la

poésie ? Finalement, j'ai proposé une définition de la poésie, l'espérant suffisamment intelligible :

« Pourquoi des personnes écrivent-elles de la poésie ? Parce qu'elles ont envie de transmettre des

émotions (joie, peur, tristesse) à celles qui les lisent, tout ça grâce à un assemblage de mots.

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Lorsqu'on lit de la poésie, on s'évade car des images apparaissent dans notre tête. ».

Pour illustrer mes propos, j'ai de nouveau utilisé « Chanson pour les enfants l'hiver » en

installant une atmosphère d'écoute : à la première lecture, je leur ai demandé de fermer les yeux et

de me décrire les images qui leur venaient en tête ; puis je leur ai fait remarquer que le poème

parlait d'un bonhomme de neige pressé : cette fois-ci j'ai relu avec un débit rapide ; à la troisième

lecture, j'ai fermé les rideaux de la classe puisque ce bonhomme courait durant une nuit d'hiver. Les

enfants ont été très attentifs tout au long de cette séance. Je leur ai finalement demandé s'ils

souhaitaient que je leur lise de la poésie tous les jours : l'accueil a été unanimement enthousiaste !

Heureux de cette réaction et fidèle à ma proposition, je leur ai lu par la suite de un à deux

poèmes par jour, à condition que les yeux et les oreilles soient attentifs, sans quoi j'abandonnais la

lecture, souhaitant leur faire comprendre qu'il s'agissait bien d'un moment de plaisir partagé,

particulier, et de façon à ne pas banaliser ces instants. Les thèmes se rapportaient surtout aux

oiseaux. Voici la liste des poèmes lus : « Le chat », « Le paon », extraits du « Bestiaire » de

Guillaume Apollinaire, « La blanche neige », extrait d' « Alcools » du précédent poète, « Le chat et

l'oiseau », « Le gardien de phare aime trop les oiseaux », extraits d' « Histoires » de Jacques Prévert,

« Salut à l'oiseau », extrait de « Paroles » du même auteur. A la fin de la lecture, je me contentais de

poser une simple question : « ce poème vous a-t-il plu ? »

3. Bilan.

3.1. Réactions des oiseaux.

Je débutais ce stage par des a priori infondés sur les enfants et une pleine confiance dans les

oiseaux : je me suis trompé dans les deux cas ! Aucun oiseau n'est venu profiter de notre

distributeur de graines... Pour être tout à fait honnête, deux oiseaux, un couple de Mésanges

charbonnières, se sont montrés... la dernière matinée de mon remplacement, comme pour me

narguer... Etaient-ce les vengeurs narquois de leurs compagnons, victimes innocentes de mon zèle

prétentieux il y quatre ans ? Je me plais à le croire... Les petits malicieux ne se sont pas montrés

quand et où nous les attendions : n'est-ce pas là le privilège de l'indépendance ?

3.2. Réactions des enfants.

Elles ont été très positives. Tout d'abord, la lecture de « Ti-ti-ping la petite mésange » a

apparemment inspiré quelques-uns : « tu sais maître, j'ai demandé à ma Maman si on pouvait faire

le Noël des oiseaux », m'a raconté Renaud qui, quelques jours plus tard, attirait sa Maman dans la

classe pour lui montrer notre installation ; « nous allons nourrir les oiseaux dans une petite maison »

m'a dit Apolline ; quant à Sarah elle a apporté à toute la classe un numéro de « Wakou » (n°=201,

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décembre 2005) intitulé « petits oiseaux : un hiver au jardin. » « Ti-ti-ping » a donc produit des

émules.

Le Jeudi 24 novembre, après la mise en place de la mangeoire, un groupe de quatre ou cinq

enfants a remarqué une Corneille noire postée en haut d'un arbre de la cour : j'en ai profité pour leur

apprendre quelques caractéristiques sur cet oiseau tandis qu'une petite fille, d'une autre classe, se

cachait derrière le toboggan, à peu près à trois mètres de la mangeoire, pour « surveiller les

oiseaux » ! Puis, une fois rentrés dans la classe, certains ont regardé par la fenêtre pour « voir des

oiseaux ». J'ai alors saisi l'occasion pour énoncer les conditions d'une bonne observation, « silence,

ne pas bouger, se cacher », en vue de créer prochainement l'atelier observation.

Le lendemain a été animé de remarques ponctuelles : dès qu'un enfant croyait voir un oiseau

à la mangeoire, tout le monde se précipitait à la fenêtre ! Par la suite, ils évoquaient fréquemment

les oiseaux, tandis que mon espoir d'en apercevoir réellement s'amenuisait de jour en jour...

Quant à l'écoute poétique... La surprise suprême est venue le Mardi 29 novembre, le

lendemain de ma séance sur la poésie, lorsqu'Apolline, au prénom prédestiné, m'a demandé :

« Maître, je voudrais écrire une poésie »... Et son poème commençait ainsi : « les oiseaux jouent à

cache-cache » ! Je l'ai annoncé à toute la classe. Une autre petite fille m'a dit avec insistance :

« maître, j'ai une poésie dans la tête », reprenant la formule que je leur avais donnée. Je pense que la

séance de lecture expressive a réellement porté ses fruits : depuis, lorsque je lisais des poèmes,

Louise fermait d'elle-même les yeux, même s'il ne s'agissait que d'un bref quatrain ! Les autres me

demandaient : « maître, on ferme les yeux ? » ; et je leur répondais : « faites comme vous voulez

pour apprécier. ».

Le Jeudi 1er décembre, un autre grand moment : Louise me tend le poème qu'elle a dicté à sa

Maman... Je l'ai lu devant toute la classe :

« Danse cerise

Par le vent poussée

Une se décroche

Tombe par terre

Une pourrit

Une mûrit »

Même si je ne connais pas les détails exacts concernant la rédaction, sa Maman m'affirme que

Louise lui a tout dicté. Ceci me procure une grande joie... D'autant plus que cette lecture a donné

envie aux autres d' écrire des poèmes. A mon tour, j'ai écrit un poème de remerciement à Louise,

qui, lui, restera secret, connu seulement d'elle et ses parents... Les jours suivants, quatre filles m'ont

ramené des « poésies », plus ou moins longues, mais chacune ayant rapport à l'environnement (voir

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annexes 2 et 3 pour les originaux) :

Deux oiseaux racontent Oh quelle belle nature !

Deux oiseaux se cachent Oh qu'elle est belle la nature

Deux oiseaux chantent Apolline Oh la source a fait de l'eau

Oh qu'elle est bonne l'eau. Charline

1 un chien compte Les oiseaux jouent à cache-cache

2 tout seul pendant L'oiseau vole vers le village

3 que deux chiens se Un oiseau mange

4 cachent Des oiseaux jouent à la dinette

5 cinq chiens font de la pâte Les oiseaux dessinent

6 pendant que six chiens font Les oiseaux disent « A table ! »

7 une forme pour faire du pain Un oiseau fait de la gymnastique

8 les huit chiens font cuire L'oiseau dit l'alphabet

9 la pâte pendant que dix Un oiseau fait « cui cui, cui cui »

10 chats courent après 11 L'oiseau fait son lit

11 étoiles dans le ciel et que Les oiseaux dorment

12 les douze souris grignottent Des oiseaux vont à l'école

13 du fromage. Les oiseaux jouent à l'école

14 quatorze sauterelles volent L'oiseau joue à la périscolaire

15 dans le ciel et seize Les oiseaux se marient avec leur femme

16 papillons dansent sur les fleurs Célia Les oiseaux boudent

Des oiseaux vont se laver

Les oiseaux vont au coin Sarah

Ainsi, je pense que les enfants ont été sensibles, dans leur grande majorité, à ces moments

d'écoute poétique. Sarah, par exemple, a été inspirée par la lecture, que j'avais faite la veille, de

« Salut à l'oiseau » de Jacques Prévert et l'organisation de sa production le laisse supposer. Voici un

extrait révélateur, pour comparaison :

« [...] Je te salue

oiseau des quatre jeudis

oiseau de la périphérie

oiseau du Gros-Caillou

oiseau des Petits-Champs

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oiseau des Halles oiseau des Innocents [...] »

Je terminerai en relatant un moment évocateur de l'intérêt qu'ont montré les enfants lors de ces

écoutes. Désirant lire une poésie de Victor Hugo, figurant dans « Oiseaux et enfants » parmi le

recueil « Les chansons des rues et des bois », j'ai demandé s'ils souhaitaient l'entendre : j'espérais

une approbation générale, même s'il faut s'attendre, avec ce genre de questions, à des réponses tout

à fait contraires, voire vexantes... Certains ont répondu par la négative... mais d'autres, la majorité,

énergiquement oui. J'ai alors proposé à ceux-ci de venir s'asseoir devant moi. Sans exagérer, je peux

dire qu'ils se sont précipités à mes pieds. Mais au moment où j'allais profiter de ce moment

d'intimité poétique, une femme est entrée en apportant le goûter d'anniversaire, alors que les

récalcitrants changeaient d'avis... Au revoir, instant perdu : certains yeux brillaient déjà... A leur

âge, je ne peux quand même pas leur tenir rigueur de préférer les nourritures terrestres, surtout

sucrées, aux nourritures spirituelles, parfois amères !

3.3. Mes réactions.

3.3.1. Ai-je appliqué mon projet ?

Après l'installation de notre « Noël des oiseaux », j'avais déclaré, solennellement, à Renaud,

dubitatif : « si les oiseaux ne viennent pas, je me coupe la main », sûr que mes amis les oiseaux,

curieux et infatigables prospecteurs de nourriture, ne tarderaient pas à montrer le bout de leur bec

devant notre salle... Heureusement, Renaud a eu la mémoire courte !

Malgré l'absence de volatiles à notre mangeoire, les enfants en parlaient souvent : « maître,

j'ai vu un oiseau passer », « maître, j'ai installé une mangeoire ». Un regret, qui se change déjà en

nouveau projet, a germé au fil des jours : de quelle joie, de quels débordements, de quelle attention

les enfants auraient-ils fait preuve si nos indisciplinés amis avaient daigné profiter de la nourriture

offerte, puisque même leur absence était prétexte à évocations ? L'atelier observation n'a pas vu le

jour : rendez-vous pris en d'autres temps, d'autres lieux...

« Le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies » dit le sage Montaigne : il ne faut

juger de nos idées que dans nos actions, pour mesurer l'écart entre nos belles intentions et nos

réalisations... Je suis globalement satisfait de la réalisation de mon projet, même si elle reste

largement inaccomplie, ne serait-ce que pour les cinq poèmes et leurs thèmes imaginés par les

petites filles. Ceci leur a d'ailleurs à chaque fois valu le titre officiel de « poétesse » et les

applaudissements de l'assemblée ! De plus, à la question «qu'est-ce-qui t'a donné envie d'écrire un

poème ? », elles m'ont répondu « c'est toi maître » ou « tes poèmes à toi maître » : Narcisse se

mirant dans les eaux ne pouvait pas être plus fier... Toutefois, ils ont été écrits en dehors des heures

de classe ; j'ai le sentiment de ne pas avoir été capable d'organiser des séances de dictée à l'adulte :

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beaucoup d'enfants me l'ont pourtant réclamé et sont repartis quand même avec leurs mots dans la

tête... Je n'ai pas exploité efficacement l'enthousiasme des enfants : je leur ai demandé de dessiner

leurs « poésies », à défaut de prendre le temps de leur écrire, mais je n'ai pas fait de retour sur ces

dessins. Certaines idées resteront embryonnaires : « une petite fille qui se baigne dans la piscine

voit un lézard » (Lucie ), « le bébé léopard vient de naître dans le ventre de sa maman » (Noémie).

Lire des poèmes, libérer des idées dans l'air en espérant que les enfants s'en saisissent dans des

poèmes, cela a fonctionné pour cinq enfants sur vingt-sept... Devais-je me contenter de cela ? Qu'en

est-il des autres ? J'ai donc manqué d'initiatives efficaces pour mettre des séances en place et surtout

évaluer l'intérêt réel des enfants.

« Il faut dire que trop de passion n'est pas nécessairement la garantie d'une pédagogie

efficace » déclare Georges Jean, dans « Comment faire découvrir la poésie à l'école » (page 176) :

tout à fait d'accord... Le temps m'a manqué parce que je n'ai pas su l'exploiter : emporté par le flot

des minutes, il est difficile parfois d'accorder parfaitement idées et actions, difficulté inhérente à

toute pédagogie... Que cette expérience me serve de leçon !

3.3.2. Pourquoi les enfants apprécient-ils autant les oiseaux ?

Sans entrer dans une personnification exagérée, l'enfant se reconnaîtrait-il dans cet animal ?

Qu'est-ce-qu'un oiseau ? C'est une boule de plumes, pour les plus communs, aux couleurs souvent

originales, éclatantes ou au contraire de la dernière discrétion, et qui s'offre à nos regards dans

n'importe quel environnement. La vie et le comportement d'un oiseau sont ceux d'un enfant :

reposant paisiblement sur une branche, assoupi par la chaleur d'un dernier rayon d'automne, il peut,

la seconde d'après, voler énergiquement pour chasser l'un des ses compagnons, passant sans

transition d'une attitude douce et calme à un débordement de violence égoïste ; en plein hiver, alors

que la glace entoure les rameaux d'une étreinte mortelle, les oiseaux se disputent fréquemment la

nourriture pourtant abondamment distribuée par nos soins alors que nous les attendrions altruistes,

naïvement il est vrai... Indolent, impassible puis batailleur, querelleur : qui n'a pas observé ces

caractéristiques chez un enfant ?

Où que porte notre regard, qu'il la recherche ou non, il croise inévitablement la silhouette

posée ou volante d'un oiseau. Il est effectivement omniprésent à nos sens. L'ornithologue charentais

Jacques Delamain, dont les descriptions sont si singulièrement poétiques, n'utilisait pas seulement le

terme « oiseaux » pour désigner le sujet favori de ses excursions naturalistes mais aussi celui plus

anthropomorphique et surtout flatteur d' « artistes ». « C'est que l'artiste a besoin d'être affranchi de

la servitude trop grande du sol. Il lui faut l'essor aisé, l'ascension légère vers le point élevé d'où les

notes tomberont plus claires, porteront plus loin. », écrit-il dans « Pourquoi les oiseaux chantent

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» (page 25). Pour quiconque s'en donne la peine, car ces animaux compensent souvent l'excentricité

de leurs dons par des moeurs discrètes et pudiques, leur observation attentive et respectueuse est

source d'émerveillements inlassables, en permanence renouvelés. Ecoutez le chant d'un Cincle

plongeur au timbre si métallique, fluide, qu'il semble imiter les remous du torrent agité, théâtre de

ses prouesses aquatiques... Artistes à plus d'un titre : par leurs couleurs, leurs chants, leurs

constructions et par un autre attribut, non des moindres puisqu'il fut longtemps un rêve irréalisable

pour l'Homme : le vol. Se soustraire, en apparence du moins, aux lois de la gravité, avec une aussi

étonnante facilité, embrasser d'un seul regard une région entière, se laisser porter par l'humeur

changeante des vents, suivre le revigorant Soleil dans sa course parabolique, ce sont là les privilèges

que nous admirons chez les oiseaux.

Ainsi, omniprésent, lunatique, joyeux et/ou bruyant, vif, dynamique, mélomane : le

rapprochement avec l'enfant est peut-être ridiculement simpliste et réducteur, il n'en est pas moins

réel. Je n'ai jamais connu d'enfants impassibles à l'évocation d'un oiseau. Il faut profiter de cette

attirance : c'est un bon moyen de les sensibiliser à la protection de l'environnement si l'objet de leur

affection est menacé, et c'est le cas pour nombre d'espèces... De plus, cet intérêt les amènera à se

tourner vers le cadre de vie de ces animaux : on ne peut aimer les oiseaux sans admirer aussi ce qui

assure leur survie, les entoure, insectes, fleurs, arbres, roches...en somme, l'environnement...

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IV. Réalisations au cours du second stage en responsabilité.

1. La notion de « milieu ».

Il ne faut pas comprendre ce terme, employé par Dominique Cottereau, comme synonyme

du mot « écosystème » évoqué plus haut. Loin de toute objectivité scientifique, il évoque plutôt un

champ d'images, de sensations, plus ou moins vaste, que se constitue chaque individu suivant sa

capacité ou son désir d'explorer ce qui l'entoure : ce milieu serait donc une parcelle de notre

environnement, parcelle subjective délimitée par nos sens, un premier plan émotionnel réducteur

qui néglige parfois une grande partie de notre environnement, devenant simple décor... Puisque

chaque individu possède son propre univers émotionnel, ce milieu, pourtant inscrit dans la même

réalité humaine, sera totalement différent d'une personne à une autre. Pour s'en persuader, il suffirait

par exemple de comparer le compte-rendu d'une promenade effectuée par deux promeneurs. On

imagine un éventail de cas possibles, depuis le promeneur laconique, incapable de décrire ce qu'il

aurait rencontré ou ressenti, jusqu'au promeneur dressant l'inventaire faunistique et floristique du

sentier, source intarissable d'impressions qui contrasterait avec la pauvreté des précédentes. Ainsi, il

existe autant de milieux que de personnes car « il ne suffit pas de regarder pour voir, d'écouter

pour entendre, de renifler pour sentir » (page 28) : nous possédons notre propre « filtre de la

perception », filtre subtil qui transmet des sensations plus ou moins riches, plus ou moins colorées,

plus ou moins vivantes, dont l'assemblage fin élabore notre milieu, tableau composé de nos

impressions quotidiennes.

La relation avec le sujet de ce mémoire apparaît clairement : pour que l'enfant admire son

environnement dans une large mesure, apprenons-lui à se construire un milieu émotionnel dont il

pourra à loisir élargir les frontières, apprenons-lui à écouter ses sens, à mouvoir sa tête plutôt que de

la courber sous le poids de l'ennui, à diriger ses yeux curieux pour qu'ils ne deviennent pas de

simples miroirs ternis, à ouvrir ses oreilles à la symphonie discrète mais universelle de la Nature, si

différente de la cacophonie subie quotidiennement, parfois sans aucune réaction...

Les poètes, « projetant leur monde intérieur sur une nature toujours plus ouverte à leur

imagination, toujours plus porteuse d'expression » (page 93) se présentent comme les guides

idéaux.

La lecture de ce livre précurseur de Dominique Cottereau, « A l'école des éléments.

Ecoformation et classe de mer » a ainsi alimenté ma réflexion et apporté des idées supplémentaires

pour ce stage.

2. Le projet imaginé.

2.1. Ecoutes et créations poétiques.

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Conforté par cette lecture, je me proposais d'adopter une démarche sensiblement voisine de

la première mise en place en maternelle, à la différence près que cette fois-ci j'avais la charge d'une

classe de CE2-CM1 composée de vingt-cinq enfants : j'espérais donc les impliquer dans la création

poétique écrite, encouragé par les poèmes que les petites poétesses de maternelle avaient été

capables de dicter à leurs parents...

Je souhaitais les sensibiliser à trois genres poétiques. Tout d'abord le calligramme, car cette

forme, intermédiaire entre le dessin et l'écriture, me semblait peu contraignante pour le jeune

écrivain : elle conserve le moyen d'expression privilégié de l'enfance, le dessin, tout en utilisant

l'écrit, sans règle de versification précise. Ensuite, la versification libre affranchirait l'enfant du

dessin en substituant une écriture poétique mais libre de toute contrainte syntaxique : je pensais que

son imagination ne se sentirait pas trop dépaysée dans ce nouveau mode d'expression, qu'elle finirait

par prendre ses aises poétiques dans le monde de l'évocation écrite. Enfin l'haïku, art poétique

japonais, me permettrait de franchir un pas supplémentaire dans la sorte de « progression poétique »

que j'établissais : la contrainte formelle, assez simple, trois vers courts de cinq, sept puis cinq

syllabes, me semblait compensée par la brièveté de l'écrit et la pensée fugace qu'il exprime me

paraissait calquer les impressions émotionnelles que ressentent les enfants, avis purement

personnel...

De plus, ces trois formes poétiques seraient rattachées à un thème commun : la

contemplation de l'environnement. Je désirais employer la moitié des trois semaines de mon

intervention à les imprégner de ces trois styles poétiques : à l'évidence, Guillaume Apollinaire

s'imposait comme poète des « Calligrammes », même si ses oeuvres ont rarement pour objet

l'attention exclusive à la Nature ; Michel Butor, dans « Vergers d'enfance », me plaisait par sa

simplicité vivante, ses déambulations poétiques qui correspondaient à ce que je souhaitais mettre en

place lors de la sortie que je décrirai plus loin ; enfin, Bashō, poète japonais du XVIIè siècle, était

une découverte récente mais heureuse pour moi, le commentaire de ses « Cent onze haïku »

confortant mon choix : [...] « il en a surtout défini la manière, l'esprit : légèreté, recherche de la

simplicité et du détachement vont de pair avec une extrême attention portée à la nature. ».

Ces trois écrivains figurent sur la liste des oeuvres conseillées par l'éducation nationale. Mon

projet poétique s'accordait donc avec les directives institutionnelles : que demander de plus

satisfaisant ?

Autre chance qui s'offrait à moi pendant ce stage : à ce moment de l'année, le thème que je

devrais enseigner en sciences s'intitulait... « Les êtres vivants dans leur milieu » : occasion idéale

pour sortir de la confrontation stérile entre objectivité et subjectivité à l'égard de la Nature, évoquée

en introduction de ce mémoire, en harmonisant plutôt vues scientifiques et poétiques, notamment

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par l'étude et la découverte d'un milieu (au sens écologique, synonyme d'écosystème), la pelouse

calcaire bourguignonne. J'imaginais cette sortie prochaine comme une étincelle déclencheuse de

l'inspiration poétique, entretenue par les moments de lecture de poèmes...

2.2. La sortie.

J'avais repéré notre destination plusieurs semaines avant le début du stage : une pelouse

calcaire, plus précisément un reliquat de pelouse calcaire, sur les hauteurs dominant Bligny sur

Ouche, de surcroît visible en partie depuis notre salle de classe. Cette sortie serait le temps fort de

mon projet : en sciences, elle constituerait un trait d'union entre théorie et pratique ; en ce qui

concernait la contemplation, l'atmosphère poétique, je comptais sur le pouvoir onirique des collines

boisées et rocheuses de l'Arrière-Côte : la loi de gravité déposant au fonds de la vallée tous leurs

pesants soucis, les enfants se promèneraient l'esprit léger mais aux aguets, s'extasieraient en

surplombant la pittorresque vallée de l'Ouche...

Je prévoyais de ménager trois moments au cours de la promenade, rejoignant les vues de

Dominique Cottereau : tout d'abord, organiser une découverte sensorielle du milieu en demandant

aux jeunes randonneurs de fermer les yeux et évoquer ce qu'ils ressentiraient, entendraient, puis

rechercher la faune et la flore présentes en vue de les nommer, les décrire, les photographier, enfin

réserver un moment de rêverie poétique en leur demandant de s'asseoir et d'écrire soit un

calligramme, soit un haïku, soit des vers à la manière de Michel Butor. Mon imagination galopante

se figurait notre promontoire de rêveries changé en un Mont Parnasse en réduction... rien de moins !

Plusieurs objectifs soutenaient mon projet, notamment celui-ci, recommandé par les

instructions officielles : leur faire découvrir l'environnement local, en particulier les Orchidées,

joyaux des pelouses calcaires qui, pour beaucoup de personnes, poussent exclusivement sous les

lointains tropiques... Je souhaitais leur montrer les fantastiques Ophrys, un des nombreux genres

d'Orchidées présentes en France et d'une étonnante singularité : elles semblent les chimériques

rejetons de l'union, exceptionnellement consentie par la Nature, entre un insecte et une fleur...

Ainsi, j'attirerais l'attention des enfants sur le monde végétal que j'avais passé sous silence lors de

mon premier stage et bien sûr j'imaginais déjà les jeunes botanistes à quatre pattes, cherchant

fébrilement les Orchidées, dont la beauté n'a d'égale que la discrétion au milieu des herbacées

touffues... D'autre part, j'espérais aussi qu'ils observent deux représentants de la faune locale fragile

: le Faucon pèlerin, terreur des combes bourguignonnes, et l'Alouette lulu, artiste virtuose chantant

en crescendo et decrescendo...

Je pressentais que l'ennemi héréditaire du pédagogue, le Temps et ses plages horaires, serait

mon principal adversaire dans cette organisation idyllique, mais aussi le Temps météorologique : la

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neige prolongeait son séjour dans la vallée et je ne souhaitais pas organiser une sortie dans le froid,

sévère dans la Montagne bourguignonne. J'implorais secrètement le Soleil de sortir de sa longue

léthargie...

3. Le projet réalisé.

3.1. Imprégnation poétique.

Dès le premier Lundi (6 mars), ma toute première séance a reposé sur l'observation du

calligramme « La colombe poignardée et le jet d'eau » de Guillaume Apollinaire, une de ses seules

productions où figure un animal. Le poème agrandi était affiché au tableau puis la séance s'est

déroulée en deux temps : les enfants m'ont d'abord livré leurs impressions depuis leur place puis

devant le tableau. Je leur ai seulement posé deux questions : « Que pouvez-vous me dire de cette

oeuvre ? Qu'est-ce que c'est ? ». Ils ont émis beaucoup d'idées en rapport avec la forme : le bassin

leur a aussi évoqué une forme d'oeil, de bouche ; la colombe n'a pas été reconnue tout de suite, les

enfants voyant plutôt « un vase, un trophée, un verre ». Finalement, une élève a lu le poème, ce qui

a amené une discussion autour de Guillaume Apollinaire, la guerre 14-18. J'ai terminé la séance en

écrivant puis définissant le mot calligramme : « c'est un poème qui a en même temps une forme. ».

Cette séance devait être le point de départ d'une séance d'écriture l'après-midi que je relaterai plus

bas.

Le lendemain (Mardi 7 mars), en fin de matinée, j'ai traité le thème de sciences dont j'ai déjà

fait mention, « Les êtres vivants dans leur milieu », en prévoyant, si pour une fois je n'étais pas pris

par le Temps, de leur lire quelques vers du recueil « Vergers d'enfance ». A ma grande surprise, il

m'est resté environ dix minutes. Dans un premier temps, je leur ai présenté le titre du recueil en leur

demandant ce que signifiait le mot « vergers ». La réponse est finalement venue après quelques

égarements : « c'est un terrain où on plante des arbres fruitiers. ». J'ai alors tenté une habile

transition, pour passer en douceur de la raideur scientifique à la délicate poésie : « le verger est un

milieu artificiel (c'est ici que résidait l'habileté géniale : nous venions d'étudier le terme milieu...),

c'est-à-dire créé par l'Homme. » Reprenant mon cérémonial qui avait bien fonctionné en maternelle,

je leur ai proposé : « fermez les yeux et imaginez que vous marchez avec Michel Butor, dans un

verger, au Printemps, à la belle saison, lorsque le Soleil et le ciel bleu sont de retour... ». J'ai

commencé : « La pourpre coule entre les doigts... » Si elle n'était demeurée engourdie par le froid

persistant, nous aurions pu entendre une mouche voler tant les enfants ont été attentifs. Heureux de

cet accueil, j'ai interrompu l'écoute à la moitié du livre, réservant les autres pages pour une séance

ultérieure, c'est-à-dire... le Jeudi suivant (9 mars) : le même scénario s'est présenté à la fin de la

leçon de sciences. Cette fois-ci, j'ai décidé de leur lire un poème du recueil « Arbres » de Jacques

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Prévert, en raison de la manière singulière qu'a le poète d'évoquer ces végétaux et particulièrement

les relations que l'enfance noue avec eux :

« [...] parfois une petite fille

pousse un cri de détresse

dans un square

de ciment armé

d'herbe morne

et de terre souillée [...] »

A la fin du poème (comme après chaque lecture ! ), les enfants m'ont même applaudi ! Ne voulant

pas que Jacques Prévert soit injustement négligé, je leur ai déclaré : « Ce n'est pas moi qu'il faut

applaudir mais Jacques Prévert. ». « Oui mais tu as bien lu ! », m'ont-ils répondu... Ces moments de

lecture poétique sont réellement parmi les meilleurs que j'ai passés pendant ce stage, l'atmosphère

étant propice à la rêverie poétique si chère à Gaston Bachelard...

Le deuxième Lundi (13 mars ), une fois les enfants installés, je leur ai montré ce que j'avais

écrit au tableau :

« haru nare ya

na mo naki yama no

asagasumi »

Leur demandant s'ils reconnaissaient d'une part la langue et d'autre part ce que pouvait être ce petit

texte, j'ai tenté une lecture, adressant intérieurement une excuse respectueuse à l'esprit de Bashō car

il s'agissait de l'un de ses haïku... Ma lecture approximative a tout de même guidé les enfants vers la

reconnaissance de la langue utilisée, le Japonais. Je leur ai révélé qu'il s'agissait d'un écrit de poète

japonais, Bashō, en leur dévoilant la traduction :

« Le printemps est là !

sur la montagne sans nom

brume matinale »

Son thème était de circonstance : le Soleil brillant et ayant brillé les deux derniers jours de la

semaine, l'espoir de revoir enfin la belle saison était permis... Pour moi, la montagne mentionnée

évoquait celle qui dominait magnifiquement notre salle de classe... Je leur ai ensuite indiqué la

structure d'un haïku et montré un de ma composition, sans autre prétention que de leur faire prendre

conscience de la relative facilité de l'exercice :

« Retour du Soleil,

Bienvenue douce chaleur !

Nature assoupie... »

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Puis je leur ai lu quelques autres haïku du poète qui relatent ses impressions lors de promenades

dans la Nature.

Au cours de cette deuxième semaine, j'ai poursuivi puis achevé la lecture de « Vergers

d'enfance », toujours avec la même attention des enfants. L'ouvrage terminé, j'ai retenu deux vers :

« L'escargot a laissé

son ruban de nacre »

Je leur ai fait remarquer qu'au lieu d'écrire « L'escargot a laissé une trace de bave », l'auteur

embellit son observation en comparant la trace à de la nacre : là réside la magie de la poésie.

J'espérais sincèrement que tous ces moments de lecture poétique imprègnent les enfants en

leur donnant l'envie d'écrire à leur tour... Vœu exaucé : de jeunes émules, séduits par ces instants,

ont par la suite régulièrement pris ma place pour lire leurs précieuses productions à leurs camarades,

comme je le décrirai plus tard. Toutefois, un petit regret : je n'ai pas réussi à trouver le temps de lire

« Ode à l'alouette » de Ronsard...

3.2. La sortie.

3.2.1. Préparation.

Gardant à l''esprit les remarques de Dominique Cottereau, j'ai abordé le milieu sous ses deux

acceptions, l'une scientifique, l'autre subjective, poétique. En ce qui concerne le contenu

scientifique, j'ai souhaité que les enfants disposent de quelques connaissances que nous pourrions

mettre en pratique lors de la sortie : la définition d'un être vivant et d'un milieu, la notion de chaîne

alimentaire, les actions néfastes et bénéfiques de l'Homme sur son milieu, enfin savoir ce qu'est la

pelouse calcaire de façon à la reconnaître. Quatre séances ont précédé notre excursion, à chaque fois

très animées car le sujet était propice à des évocations de souvenirs animaliers chers aux enfants.

J'ai été parfois assez destabilisé au cours de ces séances, soucieux d'un côté de laisser l 'enfant

s'exprimer spontanément, craignant de l'autre de ne pas avancer la leçon, lançant discrètement de

brefs regards inquiets vers la tyrannique et imperturbable Horloge...

Pour ce qui a été de la vision subjective du milieu, outre la lecture de poèmes, j'ai organisé

des instants d'écoute de chants d'oiseaux au début de séances d'éducation musicale. Lors de la

première (Mardi 7 mars), je leur ai notamment fait entendre la Buse variable, le Pic noir, le Faucon

pèlerin, la Mésange à longue queue. Certains ont reconnu des chants mais pour la majorité ils

s'agissaient de « bruits » inconnus... Ce que j'ai escompté, à travers ces moments, c'est sensibiliser

les enfants aux sons de la Nature, les préparer à être attentifs aux chants qu'ils entendraient lors de

la sortie... Au début de la deuxième semaine (Mardi 14 mars), je leur ai de nouveau diffusé des

chants pouvant résonner dans la vallée, en ajoutant deux : ceux de l'Alouette des champs et de

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l'Alouette lulu, deux grandes virtuoses dont l'une, je l'ai déjà dit, connaît une existence précaire.

Petite originalité cette fois-ci : l'écoute a été suivie d'un diaporama sur les oiseaux de notre vallée,

certains ayant été mentionnés le matin même en cours de sciences. Enfin, à l'issue de la séance de

présentation des haïku (Lundi 13 mars), dans mon mot aux parents annonçant la sortie, j'ai ajouté un

carnet d'écriture à l'équipement des randonneurs, de façon à ce que, tout le long du chemin, les

apprentis poètes et naturalistes notent des mots lorsque des idées leur viendraient à l'esprit. Mélia a

tout de suite adhéré : « par exemple, le chant d'un oiseau, le vent, une fleur ? ». J'ai ajouté plus tard :

« à la fin de la sortie, nous nous installerons puis écrirons des poèmes, soit à la manière de Michel

Butor, soit sous forme de calligrammes, soit à la manière de Bashō. ». L'accueil a été enthousiaste !

3.2.2. En cheminant vers les hauteurs...

Le jour de la sortie (Vendredi 17 mars) est enfin venu et, ô surprise, le Soleil était éclatant,

une journée de Printemps offerte avant l'heure... Nous sommes partis joyeux (vers 14H00). Le

chemin vers la colline a été ponctué d'observations : une Mésange charbonnière déclamant son « ti-

ti-tu » métallique, un Héron cendré survolant un ancien moulin, un couple de Pies s'offrant un

moment de tendresse, prélude à leur reproduction. Chaque fois, les enfants sortent leur précieux

carnet. Mon accompagnateur, espion fidèle qui a noté quelques anecdotes, et qui n'était autre que

mon vénérable père, m'a rapporté un échange entre lui et Ugo qui souhaitait comprendre ce que

signifiait « charbonnière » : « parce qu'elle a la tête toute noire, mais elle a les joues toutes

blanches », répond-il. Alors Ugo : « Peut-être parce qu'elle y a mis de la neige ? ». Puis il a réfléchi

à des mots pour un poème... Plus tard, entamant la montée de la colline, quelques enfants se

retournent et disent : « c'est beau ! ». Nous observons de nouveaux quelques animaux : un petit

coléoptère râblé, bleu-noir métallique que je prends dans ma main et qui me laisse en souvenir des

gouttelettes rouges, sans doute moyens de défense efficaces ; dans les épineux proches d'une ferme,

un Merle noir s'ébroue après avoir pris son bain dans l'abreuvoir ; un couple de Buses variables

profite d'un courant ascendant renvoyé par le flanc de la colline... Puis, immense privilège, il nous a

semblé entendre chanter une Alouette lulu dans les proches conifères. Hallucination ? J'hésite car un

autre oiseau, le Pipit des arbres, a un chant semblable lorsqu'il est estompé par la distance... jusqu'à

ce qu'une Alouette lulu vienne chanter à quelques mètres au-dessus de nous, déclamant son

répertoire artistique tout en parcourant un ovale imaginaire : certainement l'une de ses premières

représentations de l'année ! Décidément, cette promenade avait lieu sous de bons auspices... Nous

poursuivons. Marie vient vers moi et me dit : « tout le monde est passé à côté de l'arbre sans le

regarder mais moi je l'ai noté dans mon carnet car c'est important. ». C'est elle qui trouve ensuite le

premier fossile, début d'une recherche passionnée : c'est à qui trouvera le plus gros. « On est des

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archéologues ! » me dit Thomas. Je rectifie : « non, des paléontologues ». J'en profite également

pour ramasser une bouteille de verre jetée dans un champ, bonne occasion de discuter des déchets et

de la pollution des milieux. Un enfant m'imite... En montant vers la pelouse, l'un d'entre eux semble

reconnaître l'endroit : « c'est là que mon frère vient faire du cross. » Un autre lui répond aussitôt : «

mais il pollue la nature ! ».

De temps à autre, je m'arrête et pointe mon doigt vers un arbre pour indiquer un chant

d'oiseau et inciter les jeunes randonneurs à être attentifs : qu'il est difficile d'imposer le silence aux

enfants de la civilisation du bruit ! Toutefois, j'ai eu la preuve le lendemain qu'au moins une fillette

était attentive à mes postures d'arrêt...

Enfin, nous sommes arrivés à la pelouse calcaire (vers 15H05), ou plutôt ce qu'il en reste :

une peau de chagrin écorchée par des traces de pneus, bientôt envahie par les ligneux, servant

même, à un endroit, de décharge... Les enfants s'attendaient certainement à contempler une plus

vaste étendue. Sacrifiant le moment de découverte sensorielle au profit du moment d'écriture, nous

avons tout d'abord, comme prévu, cherché les végétaux et les traces d'animaux : l'Ellébore fétide,

précoce, montrait déjà ses fleurs ; des morceaux de bois mort avaient été percés par des Pics

gourmands à la recherche de larves juteuses dont les tunnels de sortie étaient visibles. Peu

d'observations donc, mais qui ont tout de même suffi pour élaborer une chaîne alimentaire :

bois mort larve Pic

En file indienne, nous sommes ensuite partis à la recherche des discrètes Orchidées... Comme je m'y

attendais, seuls les feuillages étaient visibles. Espérant leur donner l'envie de revenir sur les lieux

lorsque les fleurs seraient épanouies, je leur ai montré une photo d'Ophrys araneola, au nom

explicite, premier Ophrys à fleurir au Printemps... « Orchidée : c'est le nouveau titre de mon

poème », déclare Simon. Enfin, je fais asseoir les enfants face à l'Ouest, carnet en mains pour ceux

qui ont l'inspiration, pendant une demi-heure (vers 15H40). Au bout de quelques minutes, je

demande : « qui a l'inspiration ? » « Moi, moi, moi ! ». J'écourte quelque peu ce moment,

pressentant un retour difficile : Romain a très soif et Ugo mal aux pieds.

Nous sommes repartis (vers 16H00). Quelques observations ont animé notre retour, en

particulier un Pic épeiche perché dans l'arbre dominant la maison d'un jardinier, qui nous apprend

qu'habituellement c'est un Pic vert qui s'acharne sur une vieille souche... Enfin, nous sommes

revenus dans notre classe (vers 16H40). Les enfants sont enchantés de leur après-midi...

3.3. Les créations poétiques.

Je ne relaterai ici que les séances prévues et mises en place, réservant les moments

spontanés, réclamés par les enfants, pour une autre partie. J'ai ainsi élaboré trois séances dédiées à

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l'écriture de poèmes, dont une « en plein air ».

La première a été mise en place l'après-midi suivant la présentation du calligramme « La

colombe poignardée et le jet d'eau ». La consigne était assez simple : « faites votre propre

calligramme. Ecrivez un texte au brouillon, avec ou sans rime, puis dessinez le contour au crayon

de papier sur une feuille blanche. Recopiez votre texte en suivant le contour puis gommez. » Les

élèves plongés dans leur travail de création, je passais dans les rangs corriger simplement les fautes

d'orthographe du brouillon, en demandant à l'enfant s'il souhaitait ou non garder son texte secret. Là

réside, à mon avis, un des avantages du calligramme : le texte forme le dessin mais le dessin

dissimule le texte, de loin le lecteur aperçoit un contour fait de mots, sans parvenir à les lire. Ainsi,

j'ai pu montrer plusieurs calligrammes tout en maintenant secret le sens du texte... A chaque

exposition, même réaction : « aaaah ! ». Certains ont tenu à lire leur poème. Toutefois, cette séance

a baigné dans une atmosphère particulière : Théo pleure en repensant au cochon d'Inde sujet de son

calligramme ; Dylan traite de guerre et d'amis qu'il semble avoir perdus ; Eponine écrit sur sa

meilleure amie qui n'a plus de doigt... Certains ont beaucoup de mal à démarrer : Pierre Emmanuel

ne peut s'empêcher de pleurer... Cette séance a donc été destabilisante, les humeurs oscillant entre

nostalgie (Manon me demande si elle doit écrire son texte au passé), tristesse cachée (Dylan),

tristesse avouée (Théo), mysticisme (voir plus bas le texte de Marie) et, je dois l'avouer :

indifférence, concernant tout de même une minorité... Pour débloquer certains, je propose de choisir

la Nature comme thème, thème adopté spontanément par plusieurs dès le début de la séance. Par

exemple, voici le poème de Marie, une des rares enfants à dépasser le stade purement descriptif

dans sa production, constituée de trois parties (voir annexe 4 pour le calligramme) :

L'arbre penché est traversé par

les rumeurs du ciel

je regarde

au loin la blancheur ( ?)

Les drôles de fleurs s'envolent dans la

rumeur lancée et j'ai l'impression de

ne plus avoir d'esprit.

J'ai l'impression d'avoir marché

dans une grande et drôle de flaque où

on ne voit pas la fin

Je suis enfoncée dans mes profondes pensées.

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Je n'ai hélas pas su ce qui a motivé ce poème mystérieux... Réalisant que le poème de Guillaume

Apollinaire avait engendré la tristesse de certains, je conclue la séance en déclarant : « la poésie

n'est pas que triste. Cette semaine, je vous lirai d'autres poèmes, plus joyeux. ».

Même si les enfants ont disposé de peu de temps pour écrire lorsque nous étions sur la

pelouse morcelée, certains ont quand même eu des élans d'inspiration. Voici quelques poèmes nés

sur la colline :

Orchidée Faucon pèlerin

qui habite j'entends le faucon

au sommet pèlerin

de la montagne au loin

que tu es qui a

la reine pris

des fleurs un mulot

L'arbre et ses saisons

En automne En hiver

l'arbre perd l'arbre n'a plus

ses feuilles de de feuille et il

très belles est triste de ne

couleurs plus en avoir

du rouge

du jaune

et du marron

Mais au printemps En été

Il y a des bourgeons Il y a

prêts à s'ouvrir de très

et des fleurs vont belles

sortir couleurs

du vert

et des fleurs

blanches

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Et des oiseaux

viennent se poser

sur l'arbre de

mille couleurs Simon, CM1

Le petit ruisseau

La grande rivière

L'eau est la vie Garance, CE2

la rue l'arc-en-ciel le pigeon

la rue est tous les elle est rose le pigeon vole autour

jours polluée mais elle est bleue d'un pont il attend

en été les champs et l'arc-en-ciel son dîner qui va être

brillent dans le soleil distribue les couleurs dérangé

et avec ses couleurs aux fleurs l'arc-en-ciel

l'arc-en-ciel amène fait partie de la

l'art Nature

l'arc-en-ciel

est arc qui se

ballade dans le

ciel et c'est pour

ça qu'on l'appelle

comme polichinelle

l'arc en ciel

la source clairière

la source se ballade la clairière est un endroit

elle va aller dans où on peut se reposer

une rivière qui va et regarder au loin

aller dans un lac du côté du parrain ( ?)

qui va aller dans la mer Marie, CE2

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L'arbre et ses saisons

en hiver l'arbre n'a plus de feuille

en printemps il commence à avoir de belles feuilles

en été l'arbre est bien habillé

en automne ses feuilles sont de toutes les couleurs jaune, rouge, orange, marron Lucie, CE2

La nature Les rochers

La nature sent le pissenlit la Les rochers sont chers comme l'air

nature lit et s'endort comme si

elle était morte Laurine, CE2

Manifestement, notre courte pause a suffi pour que les petits poètes s'expriment... sans compter

ceux dont l'imagination n'a eu le temps que d'ébaucher sa rêverie...

C'est pourquoi j'avais décidé de consacrer la matinée du lendemain (Samedi 18 mars) à

« l'exploitation poétique » de la sortie, soucieux que chaque enfant exprime ses émotions.

Christopher a tout de suite voulu lire son texte, accompagné de vignettes découpées : « la nature

c'est joli il y a pleins d'oiseaux... ». Puis je leur ai lu et écrit un quatrain que j'avais imaginé le matin

même, juste avant de partir pour l'école :

« Nous sommes partis vers les hauteurs

Prendre une bouffée de Printemps,

Admirer la Nature à l'heure

Où l'oiseau chante dans le vent. »

Mon désir était d'enrichir leur répertoire, surtout d'introduire un poème en rimes. Je leur ai expliqué

comment était construit ce quatrain (je me rends compte seulement maintenant que mon premier

vers est mal mesuré... J'ai dû m'induire en erreur en prononçant « som'partis ») puis donné la

consigne : « écrivez, au choix, un haïku, un calligramme, un poème à la manière de Michel Butor

ou un quatrain, ayant pour thème la sortie d'hier. » J'ai ensuite annoncé solennellement : « je déclare

l'atelier poésie ouvert ! ». Les enfants étaient disposés en groupes pour faciliter l'échange d'idées,

suivant en cela les conseils de Dominique Mégrier, dans « Ateliers d'écriture à l'école élémentaire :

60 jeux poétiques ». Les premiers qui avaient terminé allaient taper leur poème sur ordinateur, en

vue de constituer un recueil ; régulièrement, certains passaient au tableau pour lire leurs écrits,

récoltant à chaque fois les applaudissements des camarades... Tentant d'instaurer une atmosphère

calme, j'ai écrit une phrase de Gaston Bachelard, du moins ce que ma mémoire infidèle tenait

comme telle ( c'est en fait une libre adaptation, comme je m'en suis aperçu honteusement plus

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tard...) : « Le silence est la communion des âmes. » Une discussion intéressante a suivi... mais pas le

silence attendu !

Quelques enfants ne parvenant pas à imaginer un haïku, je leur ai proposé celui-ci, à titre

d'exemple, auquel j'avais songé en contemplant le paysage lors de la sortie, et qui sommeillait

depuis :

« Les collines bleues

Caressées par le vent tiède...

Les feuilles respirent. »

En naviguant parmi les tables, je remarque Ugo et Thomas qui tentent d'imiter Michel Butor.

J'essaie de les aider en leur faisant remarquer que chez cet auteur, la disposition des vers importe.

J'ai utilisé cet exemple :

« Les cloches des vaches

dialoguent

avec celles des églises »

Où l'on note que le verbe « dialoguent » est habilement placé entre les deux « interlocuteurs »

censés se répondre... Voici ce qu'ils m'ont rendu (voir annexe 8 pour les originaux) :

La pie Mon arbre Le fossile

Une pie qui s'en fiche Mon arbre très calme Le fossile sans cil

De ce qui brille Avec ses âmes Qui brille

Ca existe Qui blâme(nt ?) Dans sa coquille

La mésange

La mésange qui chante Ugo, CM1

Dans le vent

Et qui déclenche

Le vent

la mésange est très tendance

elle crée

le vent Thomas, CM1

Cette organisation n'a plus rien à voir avec la disposition linéaire de leurs débuts.

Le recueil - il fallait s'en douter ! - n'a pu être achevé, lors de cette matinée, ni avant la fin

de mon stage d'ailleurs. Toutefois, cette matinée placée sous le signe de la poésie aura permis à

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beaucoup de s'exprimer, comme je le souhaitais (voir annexes 5 à 7 pour des productions

supplémentaires) :

Les oiseaux chantent

Les oiseaux chantent

Le vent nous balance

Les tulipes grandissent

Nous avons eu de la chance de voir des alouettes lulu

Pierre précieuse

Brille Brille pierre précieuse

Et non aux gens qui vous ramassent

Illumine la montagne et fais ressortir la pelouse verte

Nous allons vous laisser belle pierre Priscilla, CM1

Le petit arbre Les fleurs

est couvert de marbre... Les fleurs ont très peur

Il lui pousse de la barbe d'après les rumeurs

Il fait une tarte à la rubarbe et quand elles pleurent

Le petit arbre défile l'heure

Les fleurs Lucien, CE2

Le soleil Les feuilles

Les oiseaux chantent ! Les feuilles se recueillent

L'été arrive à grands pas ! dans un arbre

L'herbe verte ! et les écureuils

Manon, CM1 se cachent dans le marbre

Lucie, CE2

Les arbres fleurissent

Le sanglier cache ses petits

Le chevreuil court Dylan, CM1

4. Bilan.

4.1. Réactions des enfants.

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Comme les petits de maternelle, ces enfants d'école élémentaire ont été très réceptifs à la

poésie, témoins l'atmosphère d'écoute et les nombreuses productions qui m'ont été remises. Je dis

« nombreuses » : j'aurais également pu dire que, au cours de la deuxième semaine, j'ai été assailli de

demandes et inondé de poèmes, du moins ce que les poètes en herbe considéraient comme tels...

« Maître, je peux lire le poème que j'ai écrit ? », me demandaient-ils chaque jour.

La présentation des haïku et l'idée d'un carnet d'écriture pour la sortie ont été déterminantes :

comme si les enfants s'étaient sentis investis d'un pouvoir nouveau, celui d'écrire librement de belles

phrases sur les sujets qui les inspiraient... Ainsi, le Mardi 14 mars a été le point de départ d'un flot

continu d'écrits, interrompu la dernière semaine, faute de temps... Simon, le premier, a souhaité lire

son poème qui décrivait sa relation avec son doudou : applaudissements spontanés de l'assemblée.

Eponine a suivi :

La nature on la voit mais on ne

la sent pas elle est belle

j'aime la nature et il ne

faut pas lui faire de mal

Beaucoup me disent avoir l'idée d'un poème : « écrivez-les car si vous ne les écrivez pas, ils feront

comme les oiseaux : ils s'envoleront ! ». Ou bien, paraphrasant Théophile Gautier, je leur conseille :

« on écrit puis on modifie petit à petit. ». Garance a semblé prise d'une fièvre de haïku : elle en a

écrit plus d'une dizaine en quelques jours. Je l'ai même surprise, en pleine inspiration, griffonnant

sur son carnet de poèmes... en cours de sciences ! En voici un parmi de nombreux autres :

Dans la nature

Le soleil et le vent

Se reflètent bas

Haïku qu'elle m'a gentiment offert pour mon départ... Autre anecdote : au milieu d'une séance

d'ORL, Marie me demande si elle peut écrire un calligramme, alors qu'elle n'a pas vérifié son travail

! Désormais, certains enfants emportent leur carnet de poèmes à la récréation, la Nature étant leur

source d'inspiration favorite...

Le Jeudi 16 mars, j'improvise une séance de diction de poèmes en cours de matinée car,

depuis Mardi, beaucoup me la réclamaient et je ne voulais pas laisser échapper ce moment

d'expression personnelle, si important pour eux... Ainsi, cinq fillettes avaient consacré leurs

récréations à écrire un poème commun, se répartissant les strophes au moment de la lecture. Voici

un essai de reconstitution :

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Le Printemps

Charlène : Les arbres, la sève, le vent nous soulève

Eponine : Les oiseaux chantent, les fleurs, le printemps qui arrive

Mélia : Le soleil nous réchauffe et nous vivons dans le bonheur

Priscilla : Le ciel bleu et le soleil qui brille

Les bourgeons commencent à fleurir

Les enfants jouent dehors

Manon : La nuit vient assombrir le soleil

Et le soleil s'en va se coucher

Bienvenu soleil

Bienvenues mes fleurs

A nous le printemps

Et bien sûr, à chaque fois, une pluie d'applaudissements enthousiastes récompense les fiers lecteurs

et lectrices. C'est le cas aussi pour Christopher, si fier de son modeste poème : « Quand je suis

dehors, je regarde les oiseaux dans le ciel avec des pigeons et plein d'autres oiseaux. ». L'après-

midi, Laurine, très discrète jusqu'à maintenant et peut-être prise du remords de ne pas apporter sa

contribution à l'émulation poétique, m'interpelle dans le couloir, avant les cours : « maître, j'ai écrit

des poèmes, est-ce que je pourrai les lire ? » Le lendemain matin, après notre chorale, j'improvise

de nouveau une séance de diction que je laisse inaugurer par Laurine. Voici un de ses écrits :

L'arbre est rare comme

une mare

Puis Claire nous offre le premier poème en rimes :

La nature

La nature c'est beau

Il y a plein d'animaux

La nature c'est doux

Avec le chant du coucou.

La nature c'est frais

Quand on voit la chouette effraie

La nature c'est bon

Pour les petits hannetons

La nature c'est bien

Quand le printemps revient.

Quand à Enguerrand, ce sont les jeux sur les mots et les sons qui l'intéressent :

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Voiture fait des murs

Voiture détruit la nature

Il n'y a plus de mûres

J'arrête ici le long mais agréable catalogue de ces naïfs poèmes...

Plusieurs questions m'étaient venus à l'esprit lorsque nous marchions, de retour vers la classe

: « Quelle impression la sortie a-t-elle laissée ? Sont-ils sensibles à ce que je dis, montre ou fais

entendre ? ». J'ai déjà décrit plus haut mes moments de solitude - apparente...- lorsque j'adoptais

une posture d'arrêt, tel un limier aux aguets, pour attirer leur attention. Le lendemain (Samedi 18

mars), j'ai eu la preuve qu'il ne faut jamais se fier à la déroutante nonchalance des enfants... J'étais

chargé de l'ouverture des grilles et de la surveillance des récréations. J'observais quelques Moineaux

domestiques en train de batifoler, plus exactement en train de se voler dans les plumes, la position

stratégique défendue étant le faîte du pignon de notre salle de classe. Les luttes entre Moineaux

domestiques sont parmi les plus violentes chez nos Passereaux communs : deux mâles s'étreignent

furieusement jusqu'à former une boule unique, criarde, qui tombe en chute libre. Aveuglés par leur

colère, les deux combattants ne se désassemblent qu'à peu de distance du sol, subitement, sous

l'effet d'un éclair de lucidité retrouvée. Laurine est arrivée au moment où un mâle piaillait

fortement, intimidation prévenant l'adversaire. Je la vois alors prendre exactement la même posture

que moi la veille, pointant du doigt en direction du cri, et regardant ses deux amies. Mon injuste

paranoïa me suggère aussitôt cette pensée ironico-amère : « pas de doute, la sortie l'a vraiment

marquée : elle imite mon allure grotesque en se payant ma tête... ». Pas du tout... car je vois ensuite

Laurine se poster sous les Moineaux, se saisir de son carnet jusqu'au moment où les deux ennemis

se séparent, juste au-dessus de sa tête. Elle se retourne vers moi, rouge de surprise, les yeux

écarquillés et vient me parler de cette observation inhabituelle. Cette plaisante anecdote m'a charmé

et rassuré...

Laurine n'a pas été la seule à me témoigner son intérêt nouveau : souvent, les enfants

venaient me voir pour partager leurs observations, faites dans leurs jardins, dans la cour... « Maître,

j'ai vu un faucon pèlerin ce matin, dans un arbre, en venant à l'école », m'a déclaré Simon. Vérité ou

projection d'un désir ? Le principal est, pour l'instant, que leurs sens et leurs intérêts s'attardent sur

de nouvelles curiosités naturelles...

4.2. Mes réactions.

Toutes ces réactions enfantines m'ont procuré une grande joie. « Maintenant, au lieu de lire

le soir, j'écris des poèmes », m'a avoué Mélia... La maman de Simon me confie que son garçon se

« promène avec son carnet pour noter des poésies » qu'il tape ensuite à l'ordinateur... Quelques

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parents m'ont fait un retour très positif sur la sortie, me rapportant les paroles enjouées de leurs

écoliers. Enfin, je trouve révélateur ce mot de départ offert par Manon et Mélia : « merci de nous

avoir fait découvrir la nature et les oiseaux. ».

La même sensation, celle ressentie avec les petits de maternelle, revient : je suis

extrêmement satisfait d'avoir transmis ces envies d'écrire, d'observer... J'espère surtout ne pas

correspondre totalement à ce portrait sévère que dresse Gaston Bachelard dans « La poétique de la

rêverie » : « Enfants, on nous montre tant de choses que nous perdons le sens profond de voir. Voir

et montrer sont phénoménologiquement en violente antithèse. Et comment les adultes nous

montreraient-ils le monde qu'ils ont perdu ! » (page 110). Gare à ne pas écœurer les enfants de ses

passions...

Toutefois, comme souvent, mon imagination a surestimé la réalité, ou plutôt elle a oublié que pour

projeter son rêve motivant dans la réalité, il faut prendre le temps de l'étudier pour mobiliser les

compétences nécessaires à sa réalisation... En l'occurrence, je me demande s'il était bien

indispensable de présenter trois styles poétiques différents en moins de trois semaines, en espérant

que les apprentis poètes se les approprient d'emblée. Il aurait pu être plus raisonnable de proposer

un unique genre poétique, cela aurait peut-être évité à certains de s'égarer, de ne pas savoir quoi ni

comment mettre en forme. J'ai en effet l'impression que quelques-uns ont pensé écrire des haïku,

alors que le nombre de pieds n'est pas respecté... mais je ne me suis guère appesanti sur l'art de

compter les pieds dans un vers mesuré...

Ce constat rejoint une question plus générale : les poèmes présentés ici correspondent-ils

vraiment à de la poésie ? Suffit-il d'écrire sous l'inspiration pour que le texte soit poétique ? Les

jeunes poètes en étaient persuadés... mais la majorité reste dans le genre descriptif lorsqu'ils croient

écrire de la poésie, à quelques exceptions près... Je considère tout de même qu'au regard de leur âge,

nul doute qu'on puisse appeler leurs textes des poèmes : le levain fermente, les graines sont

plantées. C'est à l'instituteur que reviendra la tâche passionnante de les guider vers de plus hautes

sphères poétiques en enrichissant leur vocabulaire, en leur faisant découvrir de nouveaux auteurs,

en prenant le temps d'organiser des séances formelles (sans en abuser ! ). « Plaisir et contrainte ne

sont pas antinomiques » affirme justement Dominique Mégrier dans « Ateliers d'écriture à l'école

élémentaire : 60 jeux poétiques ». Je reviendrai plus en détail sur l'enseignement de la poésie en

conclusion de ce mémoire.

J'estime avoir mieux respecté mon projet que celui du précédent stage, même si des idées

restent inachevées, comme la constitution du recueil : à désirer faire trop de choses, l'efficacité se

disperse...

Il demeure une incertitude que je ne suis pas parvenu à lever, à propos des séances de

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diction : les enfants venaient-ils lire leurs poèmes pour partager leurs émotions naturelles avec leurs

camarades ou bien pour recevoir les applaudissements grisants de l'assemblée, particulièrement

tolérante ? !

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V. Conclusion.

1. Jusqu'à quel point doit-on inculquer le respect de l'environnement aux

enfants ?

Deux considérations m'ont motivé à écrire ces quelques réflexions. Tout d'abord, l'ouvrage

de Luc Ferry, « Le Nouvel Ordre écologique : l'arbre, l'animal et l'homme », véritable synopsis des

différentes mentalités « écologiques » et dans lequel j'ai appris que le romantisme, dans son

admiration pour la Nature, avait et peut nourrir les plus effrayantes idéologies. Ensuite, des points

de vue d'enfants, exposés à l'issue de leçons de sciences, après avoir étudié, brièvement, les actions

néfastes et bénéfiques de l'Homme sur les milieux, évoqué les mots « législation », « protection »,

lu un « code du promeneur respectueux de la Nature » que j'avais adapté d'un ouvrage. En effet, les

discussions engagées à deux reprises m'ont donné l'impression d'être en présence de personnages

qui auraient pu figurer dans ce livre, tant les échos « idéologiques » me rappelaient la teneur de

certains passages. Ces représentants de deux positions totalement opposées ont été Manon puis

Simon. Ainsi, Manon m'a déclaré, à l'issue de la lecture du « code » : « on ne peut quand même pas

comparer la perte d'une fleur à la mort d'une personne ! ». Quelques jours plus tard, Simon lance

amèrement : « les Orchidées seraient beaucoup mieux si nous n'étions pas là. »

Bien sûr, ce sont là des paroles d'enfants inexpérimentés qui s'expriment sous la fougue de

leur jeune âge... mais rien de mieux que d'entendre de tels propos pour tempérer son jugement

d'adulte...

Je prends conscience, de manière plus aiguë, des deux facettes de ce qu'on pourrait

dénommer la « conscience écologique » ou plus simplement le « rapport à la Nature » : chez

certaines personnes, les dégats infligés aux milieux alimentent le lyrisme poétique jusqu'au point où

le lyrisme devient amertume, l'amertume devient colère... ; chez d'autres personnes, aux antipodes

des premières, on ne décèle qu'apathie, anthropocentrisme. Comme souvent, voire toujours dans les

sujets complexes, les attitudes les plus sages sont les attitudes équilibrées, modérées. La solution

efficace à adopter dans le cas du rapport ambivalent de l'Homme à la Nature, respect béat ou

exploitation aveugle pour résumer simplement les positions extrêmes présentées dans le livre, tient

dans un juste compromis. Facile à dire... car l'une des principales interrogations de Luc Ferry tout

au long de l'ouvrage porte sur la possibilité d'existence d'un « droit naturel », existence suggérée par

Michel Serres et son « contrat naturel » : qui serait le représentant défenseur de la « partie

naturelle » ? Ce qui amène l'auteur à passer en revue les notions d'animalité, de nature et notamment

approfondir la distinction animalité-humanité. Ce n'est pas en quelques lignes que je prétendrais

remettre en question un si éminent ouvrage. Ce n'est d'ailleurs pas mon but. Je tiens seulement à

donner mon avis pour conclure sur la question en titre de cette partie.

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Luc Ferry adopte une attitude rationaliste, à aucun moment ne transparaissent d'émotions, de

sensations, surtout pas à l'égard de la « Nature ». Normal, dira-t-on, pour un philosophe. Oui, mais

Socrate lui-même ne raisonne-t-il pas fréquemment en utilisant des images analogues à son sujet,

tout au long de « La République » ? Ainsi, on pourrait se dire que l'interlocuteur, recherché pour

l'existence d'un « droit naturel », serait tout simplement son représentant humain : notre part

« animale », qui ne peut s'empêcher d'être sensible à la dégradation de son foyer originel, quelle que

soit la part relative qu'occupe notre rationalité, envahissante jusqu'à l'étouffement des sensations.

Etonnamment, Luc Ferry omet de citer les progrès ou même l'historique de deux disciplines

scientifiques, l'écologie et la génétique, qui donnent, une fois n'est pas coutume, appui au

« ressenti » des poètes face à la Nature : la présence, chez tout être vivant, du même matériel

génétique de base confirme les déductions évolutionnistes de Darwin, à savoir la lointaine mais

réelle parenté entre certaines formes de vie. A tel point qu'il devient difficile, et la lecture du livre

de Luc Ferry le prouve, de distinguer quelques fois entre animalité et humanité, distinction

fondamentale dans certaines argumentations pour justifier l'hégémonie de l'humain sur le reste.

Celle proposée par l'auteur est que l'humanité, plus libre que l'animalité dans son intelligence, est

perfectible consciemment, notamment par sa capacité à analyser son Histoire (notion d'historicité).

Certes, je ne vois pas comment réfuter une telle proposition... mais on peut la discuter : l'humanité

exploite-t-elle réellement son potentiel de perfectibilité ? Il me semble reprendre les interrogations

de Jean Dorst en son temps... Pour beaucoup, il apparaît que désormais tout va trop vite : nous

découvrons, appliquons aussitôt, profitons puis... regrettons amèrement parfois. L'inquiétude

« écologiste » semble provenir de ce constat. Essayons d'anticiper les regrets...

J'en reviens maintenant à l'interrogation initiale. Il est évident, à la lecture de toutes ces

réflexions, que le respect de l'environnement ne doit pas prôner un retour à l'âge des cavernes ni

développer un sentiment de honte vis à vis de notre appartenance à l'humanité « ravageuse ».

Toutefois, nous ne pouvons pas continuer à nous occuper uniquement et indéfiniment de nous : la

santé de l'humanité est étroitement liée à celle de notre planète, quel que soit le degré de civilisation

concerné. Et pour en revenir à l'école : il ne faut donc pas que la contemplation poétique ne serve

qu'à alimenter un désespoir improductif ni même, à mon avis, que la science soit considérée comme

l'Oracle indiquant la conduite à tenir. Finalement, il faut présenter l'attitude raisonnable,

intermédiaire, cela me semble même un devoir éthique du professeur des écoles concernant cette

question si complexe quand on l'étudie plus précisément. Des débats rigoureusement organisés, tels

qu'ils sont suggérés par les directives officielles, devraient être riches d'enseignements...

2. L'enseignement de la poésie.

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D'où vient la fascination exercée par la poésie sur les enfants ? Fascination est peut-être un

terme un peu trop fort, disons plutôt charme. Si je suivais Gaston Bachelard dans ses rêveries de

mots, je dirais que ce charme vient d'emblée de la féminité rassurante de ce terme... Pourquoi pas...

Certainement aussi que le rythme des vers séduit inconsciemment l'auditeur... Au cours de mes

deux expériences scolaires, une question ne m'a pas quitté : comment présenter cet art suprême de

l'écriture sans le transformer en objet d'enseignement contraignant, ennuyeux à force d'être

encensé ? Je pense désormais qu'il est hypocrite de ne pas vouloir présenter formellement ce type

d'écriture. La pensée a besoin d'un cadre défini pour s'exprimer, même dans ses jeunes années, libre

au futur poète de choisir celui qui conviendra le mieux à ses rêveries... On ne peut faire l'économie

d'un enseignement « technique » - tout musicien débutant pratique les gammes -, la difficile

subtilité résidant dans un juste équilibre entre liberté de l'imagination enfantine et respect des genres

poétiques. « L'instituteur devra persuader ceux qui aiment naturellement la poésie, que l'amour, la

passion, etc. , ne suffisent pas. Pour les autres, il devra les aider à découvrir en eux que le désir, le

plaisir de plonger dans l'imaginaire, vaut bien un certain nombre d'efforts. », écrit Georges Jean

(page 121) qui met en garde contre l'abus de « formalité » dans l'apprentissage de la poésie. Et

Gaston Bachelard ne disait-il pas si justement que « La critique intellectualiste de la poésie ne

conduira jamais au foyer où se forment les images poétiques » (page 46) ?

Je me suis aperçu – comme si ce que j'écrivais au début de ce mémoire ne s'appliquait

qu'aux adultes ! - que le poème traduit la personnalité de l'enfant. Ainsi, à ma question « tu as écrit

ton poème à la manière de Michel Butor ? », le farfelu Félix, qui écrivait toujours son prénom en

Arabe sur ses copies, m'a répondu : « non, je l'ai écrit à ma manière. ». De même, je me suis aperçu

que des enfants comme Enguerrand et Lucien recherchaient « un plaisir phonétique », pour

reprendre Georges Jean citant Jakobson, dans leurs poèmes. Le ton poétique n'est pas que grave,

une foule d'auteurs contemporains en témoignent : il faut prendre garde à ne pas cantonner la poésie

dans d'étroites limites. Durant mes deux interventions, les poèmes que je présentais se rattachaient

au thème de mon mémoire mais, en situation « normale » de classe, il faut être à l'écoute des enfants

en ce qui concerne leurs goûts et leur maturité, même si nous avons certains thèmes ou formes

poétiques de prédilection. A la maternelle, le symbolisme est très difficile à saisir évidemment mais

les jeux sonores sur les mots sont très appréciés et il faut profiter, si je considère mon sujet, de leur

anthropomorphisme créatif. Au cycle 3, la poésie produite reste souvent descriptive, le symbolisme

apparaît mais les enfants aiment toujours autant les jeux de mots. Les tons doivent donc varier,

allant du comique au grave. « Il est vrai que la poésie ne s'enseigne pas ! », affirme Georges Jean

avant de nuancer : « [...] elle ne s'appréhende pas comme les différentes matières. » (page 119).

Fort de ces conseils et expériences, si je devais désormais disposer d'une classe, je

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présenterais la poésie tout au long de l'année, sans la concentrer uniquement sur une période. De

cette manière, les enfants y seraient sensibilisés en permanence sans en être non plus inondés. Les

séances prendraient la forme des « ateliers d'écriture » décrits par Dominique Mégrier, complétés

par des lectures ponctuelles mais fréquentes. Ainsi, les enfants entendraient, liraient et écriraient (ou

dicteraient) de la poésie et peut-être aussi... la vivraient...

3. Science versus contemplation ?

Il est temps maintenant de revenir au thème source de ce mémoire. Depuis l'écriture de

l'introduction, mes lectures se sont enrichies de points de vue de « défenseurs » de l'un et/ou de

l'autre parti, scientifiques et poètes, savoir : subjectivité et objectivité sont-elles totalement opposées

ou peuvent-elles cohabiter ? Est-il réellement possible que ces deux facettes de l'intellect

s'harmonisent chez la même personne et dans la pédagogie de l'enseignant d'école primaire ?

Un scientifique, grand connaisseur et admirateur des animaux, jusqu'au point de partager

leur vie, éthologue renommé, Konrad Lorenz, écrivait en préface de « Il parlait avec les

mammifères, les oiseaux et les poissons » : « Certes, il est permis au poète de « styliser » l'animal

de même que tout autre objet de son inspiration. [...] Ces stylisations ne sont permises qu'à celui

qui connaît véritablement les bêtes. Le sculpteur non plus n'est pas tenu de représenter son modèle

avec une exactitude scientifique. Mais malheur à celui qui ne connaît pas ce modèle et qui utilise la

stylisation comme un voile pour dissimuler son ignorance. » (page 10). C'est d'ailleurs cette

révoltante ignorance qui l'a poussé à écrire ce livre. Plus loin, il déclarait, sans équivoque possible :

« Et la vérité de la nature est beaucoup plus belle encore que tout ce que nos poètes, les seuls

véritables magiciens, pourront jamais inventer. » (page 110). On devine quel aspect avait la

primauté chez Konrad Lorenz... Hubert Reeves, explorateur de l'Univers, avoue que, chez lui, ce

conflit est récurrent. « Que pouvons-nous dire de plus ? Simplement se pencher sur le bord de

l'abîme « d'impensé », dans les profondeurs duquel, mystérieusement, sont apparues et la

rationalité et la poésie. Le vertige suscité par ce regard relativise notre rapport aux concepts. Il

nous protège contre la tentation des certitudes et l'hégémonie de la pensée logique. », dit-il avant de

conclure sagement : « Pour percevoir clairement les couchers de soleil sur l'océan, il faut mettre en

oeuvre toutes les facultés de l'âme. » (page 84).

Ecoutons maintenant un poète, Georges Jean, disciple de Gaston Bachelard : « L'homme

moderne se doit autant à « l'ordre de la rêverie » qu'à la rigueur rationaliste. [...] Ces réflexions

[...] signifient en clair que tout apprentissage de la rationalité devrait être doublé d'un

entraînement à la rêverie. » (pages 110-111). Autre disciple de Gaston Bachelard, Dominique

Cottereau complète les propos du poète en les appliquant au thème qui nous intéresse plus

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particulièrement ici, l'éducation à l'environnement : « [...] une formation à l'environnement doit

pouvoir permettre de lier à l'activité raisonnante de l'élève une activité imaginante, afin que

l'environnement ne soit plus un simple écosystème analysable, mais devienne milieu indispensable

consciemment à la vie. » (page 21).

Voici enfin l'avis de l'homme qui me paraît le plus emblématique, régulièrement cité au

cours de mes lectures puis que j'ai lu, admiratif, une sorte de Janus ayant un visage de poète et un

visage de scientifique : Gaston Bachelard. « Ainsi, images et concepts se forment à ces deux pôles

opposés de l'activité psychique que sont l'imagination et la raison. Joue entre elles une polarité

d'exclusion. Rien de commun avec les pôles du magnétisme. Ici les pôles opposés ne s'attirent pas ;

ils se repoussent. Il faut aimer les puissances psychiques de deux amours différentes si l'on aime les

concepts et les images, les pôles masculin et féminin de la Psyché. » (pages 46-47). Cet ancien

professeur de philosophie, ancien professeur de physique et de chimie, reconverti en « rêveur de

mots » déclare à la suite : « Je l'ai compris trop tard. Trop tard, j'ai connu la bonne conscience

dans le travail alterné des images et des concepts, deux bonnes consciences qui seraient celle du

plein jour, et celle qui accepte le côté nocturne de l'âme. ». Confession pleine d'enseignements, à

méditer...

Pour ma part, j'ai cru longtemps, au cours de mes études scientifiques, recevoir l'unique

méthode révélatrice des secrets de l'environnement... Jusqu'au jour où, tenant une fluette Mésange

bleue dans ma main et m'énervant contre son refus de coopérer - je devais prélever du sang de sa

veine alaire - , une petite voix s'est fait entendre : quelle était l'utilité de mon expérience ? N'étais-je

pas en train de trahir mon respect pour les oiseaux ? La lecture de mon second instituteur,

Montaigne, m'a par la suite sorti de ma torpeur scientifique... Ainsi, j'entends comme un écho à mes

pensées toutes les paroles que j'ai citées... La science, qui proportionne la vérité à la quantité de faits

similaires observés, a une tentation uniformisante si l'on n'y prend garde, une vision « mécaniste »

qui ne convient pas aux rêveries irrationnelles de l'imagination. C'est pourquoi, croyant instruire les

enfants, je ne voudrais pas leur installer, en fait de jugement, des « œillères » les privant de l'une ou

l'autre facette.

Ravi de mes deux expériences, je suis intimement convaincu que la poésie, quelle que soit sa

forme, participe et doit participer, à sa manière, à l'éducation à l'environnement. Si les visions

objectives et subjectives cohabitent difficilement dans nos pensées, elles doivent néanmoins être

présentées, sans favoritisme ni parti pris, comme deux moyens, différents mais non hiérarchisés,

d'exploration de notre environnement. Dans l'instruction des enfants, le professeur des écoles doit

faire preuve de sagesse : à côté de sa « sœur-ennemie » la science, proposons la poésie dans un

domaine où on ne l'attendait peut-être pas à intervenir. Socrate chasse les poètes de sa cité idéale :

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accueillons-les, l'esprit ouvert, dans nos écoles, pour qu'ils ouvrent les yeux mi-clos sur notre

précieux environnement...

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Rousseau Jean-Jacques, Emile ou de l'éducation, GF Flammarion, 2002.

Tavernier et collaborateurs, Découverte des Sciences, cycle des apprentissages fondamentaux CP-

CE1, Bordas, 2003.

Vigny Alfred de, Poèmes antiques et modernes, Les Destinées, Gallimard, 2002.

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Annexe 1 : la comptine et un extrait de la correction.

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Annexe 2 : les poèmes de Charline et Sarah (Grande Section).

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Annexe 3 : le poème de Célia (Grande Section).

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Annexe 4 : le calligramme de Marie (CE2).

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Annexe 5 : le calligramme de Lucie (CE2).

La mésange à longue queue n'est pas du tout comme la mésange bleue car elle n'est pas bleue et

elle a une longue queue. Elle est toute petite et elle mange des termites. Elle est toute toute ronde

comme un ballon. Elle a un petit bec triangulaire.

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Annexe 6 : le calligramme de Manon (CM1).

Orchidée, Orchidée, grandis, grandis. Orchidée, Orchidée, jolie, jolie. Orchidée, Orchidée, belle,

belle comme le soleil. Orchidée, brille comme la nuit. Orchidée, continue à pousser. Orchidée,

Orchidée, tu me chatouilles les pieds. Orchidée tu es magnifique mais tu n'es pas belle si les gens te

marchent dessus.

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Annexe 7 : le calligramme de Charlène et Mélia (CM1).

Oh joli petit papillon, vole dans les airs. Oh mais quel joli petit papillon, vole très-très-très-très-

très haut. Oh regarde maman, tu as vu ? On peut le garder maman ? Allez dis oui ! Bon, oui.

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Annexe 8 : les poèmes d'Ugo et Thomas (CM1).

Ugo

Thomas

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Résumé

Le poète ressent, le scientifique raisonne. L'un révèle ses impressions libres, l'autre révèle

ses conclusions rigoureuses. D'où cette question : subjectivité et objectivité peuvent-elles cohabiter

harmonieusement au sein d'une pédagogie à l'école élémentaire ? Au cours de deux stages, l'un en

Grande Section, l'autre en CE2-CM1, j'ai utilisé la poésie pour sensibiliser les enfants à

l'environnement, espérant que poésie et contemplation de la Nature se nourrissent mutuellement...

Mots clés : poésie, environnement, contemplation, sensibilité, science.

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