Plutôt fou que malade ?

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PLUTÔT FOU QUE MALADE ? Gérard Szwec P.U.F. | Revue française de psychosomatique 2005/1 - no 27pages 7 à 16

ISSN 1164-4796

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Szwec Gérard, « Plutôt fou que malade ? »,

Revue française de psychosomatique, 2005/1 no 27, p. 7-16. DOI : 10.3917/rfps.027.0007

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Rev. franç. Psychosom.

, 27/2005

GÉRARD

SZWEC

Plutôt fou que malade ?

La folie protège-t-elle de la maladie ?C’est une hypothèse qu’on doit aux psychosomaticiens de l’École de

Paris. Elle découle du changement de perspective qui les a conduits àcesser de centrer leurs travaux sur la nosographie médicale (les mala-dies) pour s’intéresser au fonctionnement mental de leurs patients, et àla régularité de celui-ci.

Parmi les critères de « bonne mentalisation » figurait la capacité deproduire des symptômes névrotiques ou des délires psychotiques. Dansdes circonstances qui génèrent des excès d’excitation qu’il est nécessairede lier et d’écouler, ces systèmes de défenses mentales peuvents’accroître en constituant des tentatives de guérison. La perte d’unepersonne affectivement investie est l’exemple le plus classique d’unesituation qui peut déclencher l’aggravation d’une symptomatologienévrotique ou délirante préexistante. Dans les bons cas, cette aggrava-tion ne dure que pendant une période transitoire durant laquelle se faitl’adaptation à la nouvelle réalité, suivie d’un redémarrage évolutif.Pour Pierre Marty, à défaut de possibilités de telles régressions sur despoints de fixation antérieurement établis dans le fonctionnement mental,le système défensif peut mettre en jeu des systèmes de fixations moinspsychiques, à un niveau comportemental, voire somatique, pourbloquer le mouvement rétrograde. Pour lui, si « aucun palier régressifde densité suffisante n’arrête cette désorganisation », la désorganisationprend une allure progressive détruisant les équilibres psychiques etsomatiques.

Ce modèle conçoit donc que la « folie » mentale (névrotique oupsychotique) protège de la maladie somatique.

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Gérard Szwec

UN

MANQUE

À

POUVOIR

DEVENIR

FOU

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Sur le plan clinique, on trouve généralement un argument en faveurde ces vues dans la résistance bien connue des autistes et psychotiques àla maladie somatique. On mentionne aussi que cette stupéfiante bonnesanté des grands psychotiques peut laisser la place à une désorganisationsomatique brutale, notamment juste après la disparition d’un symptômeéconomiquement important pour le patient – par exemple un délire, ouun isolement relationnel – grâce à un traitement médicamenteux ou à unepsychothérapie.

Des somatisations qui peuvent être graves surviennent parfois au coursde cures psychanalytiques

1

. À ce propos, comme l’a souligné CatherineParat, si la visée de l’interprétation psychanalytique est bien la décons-truction d’un édifice névrotique, il importe de savoir, au préalable, s’ilexiste chez l’analysant des possibilités de reconstruction

2

. Elles dépendentde la régularité et de la stabilité de son fonctionnement mental.

Dans leur pratique, les psychanalystes qui partagent ces conceptionss’interrogent donc sur la valeur économique des manifestations sympto-matiques névrotiques ou psychotiques de leurs patients. Sont-ellesl’expression d’une structure stable ? Se manifestent-elles, au contraire,occasionnellement, pouvant devenir inopérantes lorsque le patient estconfronté à des circonstances plus traumatiques ?

À une telle insuffisance de régularité des défenses psychonévrotiques sesubstitue fréquemment une tout autre sémiologie marquée par la désaffec-tation, où prédominent le fonctionnement opératoire et la dépressionessentielle. Ces signes de démentalisation s’accompagnent d’un risqueaccru de maladie somatique, comme l’ont remarqué les psychosomaticiens.

Pour André Green, l’insuffisance de régularité du fonctionnementmental, l’inconstance à se raccrocher à l’objet, résultent du travail dunégatif et sont des caractéristiques des cas-limites. Pour lui, il y a un carre-four commun entre patients somatiques et états-limites constitué notam-ment par l’état du narcissisme, l’utilisation de la réalité à des finsdéfensives et la potentialité à somatiser.

1. Voir

Revue française de psychosomatique

, n° 17, 2000, consacré au thème : « Tomber maladependant ou après l’analyse ».

2. Catherine Parat (1993), « L’ordinaire du psychosomaticien », in

Revue française de psychoso-matique

, n° 3, Paris,

PUF

.

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Il est vrai que les états-limites décrits par André Green ont, avec les« névroses de caractère à mentalisation incertaine » décrites par PierreMarty, de nombreux points communs. Cette proximité a donné lieu à desentrecroisements théoriques féconds qui permettent de concilierdavantage le point de vue théorique de Pierre Marty – résolumentmoniste sur le plan pulsionnel – avec le dualisme de la dernière théoriefreudienne des pulsions. Par exemple, la dépression « sans objet » despsychosomaticiens peut bénéficier d’une utilisation des conceptionsd’André Green sur les mouvements d’objectalisation et de désobjecta-lisation, qui permettent de réintroduire une référence à la pulsion demort. C’est un cheminement théorique différent, mais convergeantavec celui qui a été fait au sein de l’École de Paris par Michel Fain,pour qui la prise en compte de la dernière théorie des pulsions, dansles fondements de la psychosomatique, a été une préoccupationcentrale.

BASCULES

Il y a, parfois, une certaine régularité qui semble s’installer dansl’irrégularité du fonctionnement mental. C’est ainsi que, chez certainspatients, on peut parler d’un fonctionnement quasiment « à bascule ».Ils oscillent entre deux systèmes : un état psychopathologique caracté-risé par des symptômes ou un délire mais une absence de somatisations,ou un état de maladie somatique qui remplace les défenses névrotiquesou psychotiques qui ont disparu.

Par exemple, le cas d’un homme qui basculait entre un état délirantsans somatisations et un état sans délire, mais dans lequel il avait unegrave poussée de psoriasis très invalidante. Ces deux phases alter-naient, et duraient chacune plusieurs mois. Pendant les quatre ou cinqans qu’a duré sa psychothérapie avec moi, je ne l’ai jamais vu avoir enmême temps un état délirant et un psoriasis. Il avait toujours l’un oul’autre.

D’autres « bascules » se rencontrent chez d’autres patients : alter-nance de crises de colère furieuse et d’asthme dans des cas que j’airencontrés, de paranoïa et d’asthme.

Au décours d’une psychothérapie, il est apparu qu’un adolescent,très intolérant aux relations triangulées qu’il mettait beaucoup

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d’énergie à éviter, semblait faire des crises d’asthme lorsqu’il s’y trou-vait confronté quand même. Il semblait donc y avoir des caractéristi-ques de la relation d’objet allergique décrite par Pierre Marty. Sonasthme a fini par disparaître ensuite, mais la même circonstance siredoutée a commencé à donner lieu à des crises de rage. C’est la fonc-tion économique de « la crise » pour la régulation des tensions, plus quesa nature, qui semblait primer chez lui

1

. De plus, la composante dedestructivité attirait particulièrement l’attention. Fallait-il comprendrequ’elle avait, enfin, pu se porter sur un objet extérieur même maldifférencié ? Fallait-il au contraire, et comme j’y inclinais plutôt, voirdans cette rage une manifestation de caractère et de comportementcourt-circuitant une activité représentative concernant un objet etvisant à détruire celle-ci ?

Que ce jeune patient ait trouvé un mode de défense psychique objec-tale ou une nouvelle forme de mouvement désobjectalisant, le systèmemis en œuvre offrait, de toute façon, une meilleure issue à sa destructi-vité qu’une désorganisation qui affecte le soma

2

. Le recours à la voie comportementale complexifie les rapports entre

« folie » et « maladie » qui ne peuvent être réduits à une simplificationbinaire.

Si cette voie comportementale prévaut, c’est parce que la mentalisa-tion est défaillante, notamment dans ses possibilités de recours à dessymptômes névrotiques ou psychotiques insuffisantes ou inexistantes.L’appauvrissement de la « folie » (mentale, représentative) va de pairavec la prédominance de la voie comportementale. Celle-ci se traduitsouvent par un surinvestissement perceptivo-sensoriel en place d’unecarence en « folie représentationnelle ».

1. Szwec G. (1993),

La psychosomatique de l’enfant asthmatique

, Paris,

PUF

.2. Chez d’autres patients, la destructivité et la désorganisation semblent affecter tant le

psychisme que le soma, et on ne peut pas parler de « bascule ». C’est ce que montre le cas d’une femmeayant un délire paranoïaque et un asthme, évoqué par C. Dejours (« Le corps érogène entre délire etsomatisations », in

Psychiatries

, 1987, 80-81, p. 13-20). Pour lui, ce n’est pas une relation d’alter-nance entre folie et maladie qu’il a observée pendant la psychothérapie, mais plutôt une « marche deconcert » (« tout était prétexte à délire ou à dyspnée »).

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«

FOLIE

»

NÉVROTIQUE

OU

PSYCHOTIQUE

ET

FRAGILITÉ

SOMATIQUE

Le point de vue évolutionniste bien connu de Pierre Marty se trouveà la base de sa classification psychosomatique.

Dans celle-ci, la folie « mentale » (névrose et psychose) y apparaît dansdeux items de structure fondamentale dénommés : « névrose mentale symp-tomatologiquement organisée au fonctionnement soutenu »

1

et « psychosesymptomatologiquement organisée au fonctionnement soutenu »

2

: Il s’agit bien des deux entités que Freud désignait par « névro-

psychoses de défense », c’est-à-dire les névroses de transfert (hystérie,phobie, obsession) et les psychoses.

Dans le choix des termes, Pierre Marty marque que les systèmesnévrotiques et psychotiques qu’il désigne ainsi ont le meilleur niveau dementalisation.

Il existe une note de bas de page qui concerne ces deux items, et quiformule un véritable rapport d’exclusion entre folie mentale et maladiesomatique. Elle énonce, en effet, que ces deux items « ne peuvent êtreutilisés qu’au cas de difficultés somatiques accidentelles au sens trauma-tique chirurgical, ou, à la rigueur, infectieuses lors d’épidémies

3

. Dansles autres cas, en effet, même s’il s’agit d’organisations anales avec desmanifestations obsessionnelles passagères ou d’organisations hystéri-ques (avec des phénomènes de conversion), la systématique mentalenévrotique ou psychotique a été débordée par le conflit, au moinsmomentanément. Ces cas ne peuvent donc figurer qu’au titre desnévroses ou psychoses polymorphes, les symptômes ne devant êtresignalés que plus tard dans la classification ».

Autrement dit, même si un patient a un fonctionnement mental quiévoque une névrose ou une psychose « pures », l’investigateur s’inter-dira de tels diagnostics, du fait de la perception qu’il a de la nature del’affection somatique dont ce patient est porteur. Pour Pierre Marty, onn’est pas un névrosé hystérique si on a un diabète ou un asthme, mais onpeut l’être avec une grippe, par exemple.

1. Code 111.2. Code 141.3. Souligné par Pierre Marty.

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Faut-il comprendre que l’évaluation du fonctionnement mentaldépendrait de critères somatiques ? Voilà qui introduirait un sérieuxbiais dans l’investigation !

Ce n’était pas le but de Pierre Marty qui voulait montrer que lasurvenue d’une somatisation dépendait de la mentalisation. Pour lui,une bonne organisation névrotique ou psychotique, avec de solides fixa-tions, protège contre une désorganisation progressive susceptibled’atteindre plus ou moins gravement le soma.

Selon cette lecture, c’est à une sorte de redéfinition des névro-psychoses qu’il se livre. La présence d’une symptomatologie névrotiqueou psychotique typique ne suffit plus pour rapporter celle-ci au cadreconceptuel d’une névrose ou d’une psychose. Encore faut-il que cettesymptomatologie constitue un système défensif très régulièrement mis enœuvre à chaque fois que les conditions économiques l’exigent. De plus,ce système doit être suffisant, sur le plan économique, pour assurer ladécharge des excitations.

Ce n’est pas un diabète, ou un asthme, ou telle autre maladie dans lavie d’un individu, qui serait antinomique avec une névrose ou unepsychose, mais la tendance de cet individu à somatiser.

Et c’est cette tendance à somatiser qui réduit le champ des psychosesou névroses « pures », parce qu’elle est révélatrice de leur inconstance.

Cette remise en cause, par Pierre Marty, de la délimitation des névro-psychoses traverse finalement toute sa théorisation dont l’un des axesest de considérer qu’il s’agit là d’un concept inadapté en cas de court-circuit du fonctionnement mental par des agirs comportementaux ou desmaladies somatiques.

On sait, maintenant, la rareté des cas de névrose ou psychose« pures » sur les divans, et la place reconnue aux cas-limites.

Pierre Marty a été un précurseur dans cette remise en cause. Elle s’estpoursuivie dans l’approfondissement des pathologies qu’on dit mainte-nant non névrotiques et qu’il appelait « non névrotiques et nonpsychotiques » pour radicaliser la question, essentielle à ses yeux, d’unfonctionnement bien mentalisé. Fonctionnement idéalement « névro-psychotique de défense », dont la défaillance ou l’insuffisance conduisaità recourir à d’autres niveaux de fonctionnement que le niveau mental.

Pour un auteur comme Nathalie Zaltzman, il semble que cesnouvelles pathologies dites non névrotiques, y compris les cas psychoso-matiques, ne soient que des nouveaux visages de l’hystérie.

En revanche, André Green a poursuivi et amplifié la remise en causedu cadre des névro-psychoses par Pierre Marty. Pour lui, les rapports

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entre hystérie et états-limites sont à concevoir en termes de croisement,de chiasme entre deux cliniques protéiformes.

RELANCE

DE

LA

FOLIE

CHEZ

LE

MALADE

SOMATIQUE

On sait que la maladie somatique, lorsqu’elle survient, redonneparfois un objet d’investissement à des patients qui retrouvent un soucipour leur eux-mêmes, tandis que s’effacent un fonctionnement opéra-toire, une dépression essentielle, les manifestations du travail du négatifqui ont pu faire le lit de la somatisation.

Un réaménagement psychique, de type pathonévrotique, hystérisa-tion secondaire, hypocondriaque ou autre, peut se faire autour de lalésion.

Contrairement aux cas précédemment dénommés « à bascule », lamaladie somatique, ici, semble ne pas protéger contre la folie, maisl’alimenter. Le Président Schreber donnait des interprétations déli-rantes de ses symptômes somatiques, et les observations de « foliesraisonnantes » de Sérieux et Capgras montrent toute la diversité desmécanismes en cause chez des patients psychotiques en proie à unemaladie somatique : déni, clivage, délires hallucinatoires, déliresd’interprétations, etc.

Cependant, il convient sans doute de ne pas opposer ces maladessomatiques délirants aux cas de patients qui alternent crises ou pousséessomatiques et « folie mentale ».

Dans tous les cas, l’érotisation par la coexcitation libidinale est àl’œuvre dans des tentatives de réintrication pulsionnelle visant la restau-ration d’un masochisme érogène permettant de supporter les consé-quences des excès de déplaisir de douleur et de perte.

Lorsque Freud, souffrant d’un énorme furoncle au scrotum, trèsdouloureux, rêve qu’il est en train de chevaucher agréablement soncheval sur une selle confortable, il donne une clé pour comprendre lesphénomènes délirants chez les malades

1

. Comme dans le rêve de Freud,certains oublient la perception de leur douleur, voire de leur maladie,

1. L’un des commentaires de Freud sur ce rêve renvoie, d’ailleurs, au fait que rêves et folie onten commun la réalisation de désir (S. Freud

, L’interprétation du rêve

, OC, IV, 1899-1900,

PUF

, 2003,p. 269).

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grâce à un travail de mentalisation, même s’il s’agit de la productiond’un délire

1

. Chez d’autres, le délire ne suffit pas à protéger de ladouleur, comme un rêve échouant dans sa fonction de gardien dusommeil et qui n’empêche pas le réveil.

Tout ce travail de liaison vise la transformation de la détresse enangoisse objectale, et la maîtrise d’un mouvement « désobjectalisant »destructeur, par une folie « objectalisante », mentale, même si c’est parle moyen d’une reconstruction délirante.

Un fait divers sanglant récent donne à réfléchir aux rapports entrefolie et maladie.

Un homme atteint d’un cancer à un stade avancé a tué toute sa famille(femme, fils, belle-fille, belle-mère, petits-enfants) qu’il soupçonnaitd’attendre sa mort pour hériter. Le lendemain, cet homme s’est suicidé.Selon l’enquête, il en voulait à tout le monde. À tous les membres de safamille, car il avait le sentiment que chacun n’attendait que sa mort pourle dépouiller, mais aussi au corps médical qu’il accusait d’avoir aggravéson état.

Même l’aggravation de la folie, chez un malade somatique, est sansdoute à comprendre comme une tentative de se protéger contre samaladie, ou en tout cas contre le trauma désorganisateur qu’elle peutconstituer lorsqu’elle produit une détresse sans objet de recours, unvécu d’effondrement qui menace le sentiment de continuité de sonexistence.

C’est finalement de la mort, celle de ses objets, celle de son corps,dont cet homme semble attendre une protection contre la maladie. Ledéni de celles-ci (mort et maladie) alimente un système projectif et unclivage qui permettent à une partie de son moi de rester narcissiquementtout-puissant.

Échouant à se débarrasser de la représentation d’une maladiemortelle qui se confond avec l’objet interne persécutant, il tue la penséepar les seuls moyens qui lui restent. Cet homme a-t-il été au bout d’unelogique selon laquelle, pire que la mort dans la réalité matérielle, il yavait la maladie qui menace de mort, parce qu’elle génère une impuis-sance intolérable à s’aider soi-même ?

1. Par exemple, le cas de « la mère qui, tombée malade par la perte de son enfant, berce mainte-nant inlassablement dans ses bras un morceau de bois » (S. Freud « Les névro-psychoses de défense »,in

Œuvres complètes

, t. III, 1894,

PUF

, 1989, p. 17).

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La survenue d’une maladie semble parfois avoir été favorisée par uneinsuffisance de mentalisation, notamment lorsque les capacités àproduire des symptômes et des délires ont été entravées.

Une fois la maladie installée, divers moyens défensifs existants, quivont du repli narcissique à la coexcitation libidinale, sont mis en routecontre son impact potentiellement traumatique et désorganisateur. Lafolie est relancée.

La réussite de cette relance, se traduisant par la réapparition d’undélire ou d’une symptomatologie névrotique selon la structure, expliquepeut-être la fin d’une crise ou d’une poussée d’une affection somatiquedans les cas « à bascule ». Mais, dans bien d’autres cas, la relancepsychique « folle » échoue. La maladie a alimenté la folie, qui apparaîtcomme une complication de la maladie. Que cette aggravation puisseconstituer une tentative mentale de « reliaison » est moins visible quedans les cas où la maladie a disparu.

Alors, « plutôt fou que malade » ?L’exemple du malade cancéreux fou montre bien qu’on ne peut pas

répondre simplement : « oui, c’est moins dangereux (pour la santé) ».Si la folie (mentale) est préférable à la maladie somatique, c’est stric-

tement d’un point de vue économique, car elle offre une voie d’écoule-ment des excitations traumatiques plus sûre et plus efficace. Mais encorefaut-il avoir une folie « symptomatologiquement soutenue », dont cetarticle a rappelé la rareté.

GÉRARD SZWEC

65, rue Claude Bernard75005 Paris

RÉSUMÉ

— L’hypothèse que la folie (névrotique ou psychotique) offre une protectioncontre une désorganisation somatique est discutée dans cet article. L’auteur pense que telest bien le cas, à condition que le fonctionnement mental « fou » soit régulier face auxdébordements d’excitation.

MOTS

CLÉS

— Psychosomatique. Somatisation. Psychose. Mentalisation. États-limites.

SUMMARY

— The hypothesis that mental illness (neurotic or psychotic) offers protectionfrom somatic disorganization is discussed in this article. The author thinks that this is thecase on the condition that “crazy” mental functioning be regular when faced with exces-sive excitement.

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Page 11: Plutôt fou que malade ?

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Gérard Szwec

KEY

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WORDS

— Psychosomatic. Somatization. Psychosis. Mentalization. Borderlinestates.

ZUSAMMENFASSUNG

— In diesem Artikel wird die Hypothese besprochen, dass der Wahn-sinn, sei er neurotisch oder psychotisch, einen Schutz gegen eine somatische Desorganisie-rung bietet. Der Autor vertritt die Auffassung, dass es der Fall ist, unter derVoraussetzung, dass das « wahnsinnige » geistige Funktionieren gegenüber den über-schäumenden Erregungen regelmäßig bleibt.

STICHWÖRTER

— Psychosomatik. Somatisierung. Psychose. Mentalisierung,Grenzzustände.

RESUMEN

— En este articulo se discute la hipótesis que la locura (neurótica o psicotica) esuna protección contra una desorganización somática. El autor piensa que así es, a condi-ción que el funcionamiento mental « loco » sea regular frente a los desbordamientos deexcitación

PALABRAS

CLAVES

— Psicosomática. Somatización. Psicosis. Mentalización. Estadoslimites.

RevPsy27_p007p016 Page 16 Lundi, 9. mai 2005 10:26 10

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