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RobinYork

PLUSFORT

CAROLINE&WEST–2

Traduitdel’anglais(États-Unis)parLaurenceBoischot

Milady

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JedédiecelivreàMaryAnn,avectoutmonamourettoutemagratitude.

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FIN

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WEST

Quandj’aidûluidire«aurevoir»àl’aéroport,j’aipensé:C’estladernièrefois.Tunepourrasplusjamaisl’embrasser,latoucher.C’estladernièrefoisquetuvoissonvisage.Etpuis,quandj’aitournélestalonsetquejesuisparti,jemesuisdit:Etvoilà.C’estfini.Il faut croireque jemesuisdirigévers laported’embarquementpuisque jesuismontédans l’avion.Jesaisqu’il yavait

quelqu’unàcôtédemoimaisjenemesouviensmêmepassic’étaitunhommeouunefemme.Jenecessaisdemerépéterqueçaallaits’arranger,quetoutseraitforcémentplusfacile,parcequeriennepouvaitêtreplusdurquedequitterCaroline.

Çamefaitpresquerirequandj’yrepense–enfin,sionpeutappelerça«rire»quandçalaisseunarrière-goûtdesangdanslagorge.Sionpeutparlerdesourirequandilfautsanscessedéglutirpourtenter–envain–defairepasserlegoûtamerdeseserreurs.

JesuisrentréàSiltenm’imaginantunescènededueldigned’unwestern.Jedéfieraismonpèredem’affronteraupistoletdanslagranderueàmidipile.Ondégainerait,maballel’atteindraitdroitaucœur,etpuis…Jen’osaispaspenseràcequisepasseraitaprès.Danslesfilms,c’estlemomentoùl’écrans’assombritsurlesbordspournelaisserqu’uncercledelumièrequirétrécitpeuàpeupourprendrelatailled’unepiècede1dollar,puisde1cent,puisd’unetêted’épingle,puisplusrien.

Lenéant.Voilàoùj’habiteraisaprèsavoirécartémonpèredemavieunebonnefoispourtoutes.Jemeretrouveraisprisdanscetteobscuritéquiavaitététêted’épingleavantquetoute lumièredisparaisse.J’yplanteraismatente,merouleraisdansunecouvertureetsubiraismontristesort.

Aprèstout,j’étaisleshérif,non?Etlui,c’étaitleméchant.Etpourtant,pourtouterécompense,j’auraisdroitàuneéternitévidedetoutcequejedésirais.Oupeut-êtreàunbadgeenformed’étoileàépingleràmachemise.

J’étaistellementpersuadéd’êtredanslerôledushérif…Çamefaitpresquemarrer,maintenantquej’yrepense.EnrentrantàSilt,j’aiétéaccueilliparunbordelencoreplusmonstrueuxquecequej’auraispuimaginer.

J’avaisaccomplil’impossibleenm’éloignantdeCaroline.Puismavien’afaitqu’empirer.

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CAROLINE

QuandmontéléphonesemetàjouerlapetitemusiqueréservéeàWestdansl’obscuritédemachambre,mon subconscient saute sur l’occasion et invoque un de ces rêves de dernière minute – de dernièreseconde–quisemblentfaitsdesensationspures.LachaleurdeWestpartoutcontremapeau,lepoidsdesoncorps,sonodeur,lesmusclesdesescuissestenduscontrel’arrièredesmiennes,samainglissantlelongdemonventre…toutWestmélangéenunlentfonduenchaîné,jusqu’àcequelachansonparvienneenfinàpercerlesbrumesdusommeilpourvenirmepincer.Jemedémêledemesdraps,àlafoisexcitéeeténervéeparcequejesaiscequim’attend.L’estomac

nouédèsleréveil,lajournéeentièreàtenterenvaindedissipercettevaguedesensationsfantômes…Jevais encore tout revivre, et puis je vais encore tout perdre – chacun demes beaux souvenirs de

West–alorsquejenedemandequ’àreplongerdanscerêvepouryvivreàjamais.Ça fait chier. Ça fait vraiment chier ! Je suis tellement dégoûtée par tout ça que j’attrape mon

téléphoneetfaisglisserledoigtsurl’écranavantd’avoirpleinementcompriscequisepasse.C’estlapetitemusiquedeWest.Westm’appelle.Alorsqu’ilest1heuredumatinetquejesuissansnouvellesdepuisdeuxmoisetdemi.S’il téléphoneparcequ’il est bourré, je sautedans lepremieravionpour l’Oregonet je vais lui

collermongenoudanslesburnes.Voilàcequejepenseaumomentoùj’approchel’appareildemonoreille,maisçan’arienàvoiravec

cequejeressens.J’aimeraisbien,pourtant.J’aimeraisêtrecapabledelancerunjoyeux«bonjour»etd’entendreWestrépondre«salut»sansmesentiraussitôttoute…Jenesaismêmepascommentdécrirel’effetqueçamefait.Jesuistoutallumée,chargéeàbloc.Jecrépitepresque.Jemelèvedansl’obscurité,électriséedesavoirqueWestrespireàl’autreboutdufil–àl’autrebout

dupays.J’ai beaucoup trop de souvenirs qui commencent comme ça. Trop de conversations où je me suis

promisunechoseavantdefairelecontraire.Jecroulesouslepoidsdudésiretdelapeine,unpoidssilourdquejel’entendsdansmavoix.—Qu’est-cequetuveux?—Monpèreestmort.Brusquementj’ail’espritclair,affûté,àl’écoute.—Ilaprisuncoupdefeu,poursuitWest.C’est…c’estunvraibordel,Caro.Jesaisqueje…jene

devraispastedemanderça.Jen’aipasledroitdetedemanderquoiquecesoitmaisjevoulaisjusteteledireparcequejen’arrivepasà…Unesortedepétaradeauboutdelalignel’interrompt–legenred’interférencequiemplitlatêted’un

bruit blanc assourdissant. Je reste plantée au milieu de ma chambre, à attendre que la voix deWestrevienne.J’appuiemon téléphonecontremonoreillede toutesmes forces, le souffle court, consciente– avec

cetteluciditédontjenesuiscapablequ’enpériodedecrise–que,detoutefaçon,çan’aaucuneespèced’importance.AvantderencontrerWest,jenesavaispasqu’ilexistaitdesgensquiontlepouvoirdedésarmertoute

logique,touteraison.Ilm’aquittée.Ilm’ablessée.

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Pourtant,deboutdansmachambreobscure,letéléphoneplaquécontrel’oreille,jesaisdéjàque,dansquelquesheures,jeseraiàbordd’unavion.

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SILT

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CAROLINE

Ensortantdel’aéroportd’Eugenej’aperçoisWestadosséàunpick-upnoirpoussiéreux.Lapremièrechosequimetraversel’esprit,c’est:Ils’estcoupélescheveux.Ladeuxième,c’est:Peut-êtrequ’ilafaitçapourelle.Si«elle»existevraiment.Jen’arrivetoujourspasàmefaireàcetteidée,malgrécequ’ilapume

raconter.Quoiqu’ilensoit,ellen’estpaslà.Moi,si.Westmefaitunpeupeur.Sescheveuxpresquerasombrentsoncrâneetaccentuentlesreliefsdeson

visage:lalignedesamâchoire,sespommettes,lesorbitesdesesyeuxsoussonfronttêtu,sonmentondécidé,sabouchemarquéed’unpliamer.Ilalesbrascroisésetlesmusclesd’unbagarreur.LeWestquim’aquittéeàDesMoinesilyadeçaplusdequatremoisétaitunétudiantauxalluresde

petit garçon,mais celui quim’attend aujourd’hui est un homme, fort et vaguementmenaçant.Quand ilposeleregardsurmoi,jemefige.Jeporteungiletblancpar-dessusunpetithautvertachetéexprèspourl’occasion – et beaucoup trop cher –, un jean demarque et une paire de ballerines aussi mignonnesqu’inconfortables.J’ail’airridicule,habilléecommeçaenpleinmoisd’août,maisilfaittoujoursfroiddansl’avion.J’aivoulumefairebelle,mais jemesuiscomplètementplantée. J’ai tout faux, sur toute la ligne,et

pourtantj’ail’impressionquecen’estriencomparéàcequinevapaschezWest.Ilseredresseets’avanceversmoi.Jemeremetsenmarche.Jen’aipaslechoix.—Salut,dis-jequandnousnousretrouvonsfaceàface,àquelquesmètresdesonpick-up.Tueslà.Jefaisunetentativepoursourire,maisWestnesedonnepascettepeine.—Toiaussi.—Désoléequetuaiesdûvenirmechercher.Jeluiaienvoyéuntextojusteavantdemonterdansmonpremieravionpourleprévenirquej’arrivais.

Jenevoulaispasluilaisserlechoix,alorsjemesuisbornéeàluiindiquermonnumérodevoletmeshoraires.Quandj’aiatterriàMinneapolispourmacorrespondance,j’avaistroistextosetunmessagevocalde

sapart–quatrevariationssurlethèmede«remontedansl’avionetrentrecheztoi.»J’aiattendulemomentd’embarquerpourPortlandavantdeluirépondre:

Jevaislouerunevoiture.Endescendantlapasserelle,j’aipuliresaréaction:

Jevienstechercher.C’étaitcequejevoulaisdepuisledébut.Jemesuisdonccontentéed’écrire:

Cool.Pourtantlasituationn’estpascooldutout.Loindelà.West porte un bermuda à poches et un polo rouge orné du logo d’une société de paysagistes. Il est

bronzé–une jolie teintedorée–et sentmerveilleusementbon–uneodeur fraîcheet résineuseque je

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n’arrive pas à identifier, mais qui me rappelle la fois où mon père avait poncé l’intérieur delabonnetière.—Tuesvenudirectementdutravail?—Oui.J’aidûpartirplustôt.—Désolée.Tuauraisdûmelaisserlouerunevoiture.Westtendlebras.L’espaced’uninstant,j’ail’impressionqu’ilvam’attirercontrelui,etuneespècede

collisionseproduitdansmapoitrine.Unepartiedemoifreinedesquatreferstandisquel’autrefoncetêtebaisséeetvas’écrasercontremavolontéderesterdigne.Ses doigts heurtent les miens lorsqu’il s’empare de la poignée de ma valise. Le temps que je

comprenne,ilestrepartiendirectiondupick-up.Jelesuisduregard,médusée.Ressaisis-toi,Caroline.Tunevasquandmêmepaspéteruncâblechaquefoisqu’ilfaitunpasdans

tadirection.Ilouvre laportièrearrièrepourcalermonbagagesur labanquette.Sonpick-upestun trucénorme,

dontlecôtépassagerestméchammentcabossé.J’espèrequeWestn’étaitpasdedansaumomentduchoc.Quandilseredresse,jecomparelamusculaturedesondosaveclesouvenirdesesépaulessousmes

mainsladernièrefoisquejel’aivu.Lacourbedesesmolletsestlamêmequ’avant.C’estbienWest,etenmêmetempscen’estpluslui.Il s’écarte pour me laisser monter. Je dois me hisser dans la cabine tellement elle est haute. À

l’intérieurilrègneunechaleuretuneodeurdetabacaussiétouffantesl’unequel’autre.Pourtantjegardemongiletsurmoi,gênéeàl’idéedemedévêtir,mêmesipeu.Jemetournepourrefermerlaportièreetletrouvetoujoursplantélà,quifaitbarrièredesoncorps.C’estalorsquejecomprends.Cenesontpassescheveux,sonbronzagenisesmusclesquilerendent

sidifférent;cesontsesyeux.Ilafficheuneexpressionpolie,maissonregardlaisseàpenserqu’ilveutdéchirerlemondeàpleinesdentsetluiarracherlesentrailles.—Tuasbesoindemanger?demande-t-il.Jenepensepasque lahainecyniquequi faitvibrersavoixsoitdirigéecontremoi.Jesuispresque

sûrequ’elleestdirigéecontre lemondeentier,pourtant je réprimeun frissond’appréhension.C’est lapremièrefoisquej’entendsWestparlercommeça.—Non,çava.J’aidînéàPortland.—Ilyapresquetroisheuresderoutejusqu’àSilt.—Çava,jet’assure.Westmedévisage.Jepinceleslèvrespourm’empêcherdebafouillerdesexcuses.Je suis désolée d’avoir sauté dans l’avion dès que tu m’as appelée. Désolée de t’avoir fait te

déplacer jusqu’à l’aéroport pour venirme chercher.Désolée d’être ici, désolée que tu nem’aimesplus,désoléequetongrosconnardabusifdepèresoitmort.Lemiennevoulaitpasquejevienne.Iln’étaitpasd’accorddutout.J’aidûdémissionnerducabinet

dentaireoùj’avaisunboulotd’étécommesecrétairetroissemainesplustôtqueprévu,etlebilletd’avionm’a coûté presque l’intégralité de mon salaire – décision que mon père trouve « complètementaberrante».IlseméfiedeWestet,surtout,nemefaitpasconfiance.Lerésultat,c’estquechaquefoisqu’onparle

de lui, on finit par se disputer.On s’est encore disputés cematin au petit déjeuner quandmonpère acomprisqu’iln’arriveraitpasàmefairechangerd’avis.Évidemment,çan’arrangerienquel’onsoitsurlepointdelancerl’actionenjusticecontreNate,mon

ex.J’intenteuneprocédurecivilecontre luipouratteinteà lavieprivéeetpréjudicemoral.Monpère

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tientàcequejesoisauprèsdeluiafinqu’onreliselaplainteencoreunpetitmillierdefois.Il est juge de profession, père célibataire de trois filles, et a une fâcheuse tendance à vouloir tout

régenter.Danslasituationoùjemetrouve,lecocktaildestroislerendassezinsupportable.Jeluiairappeléquec’étaitprécisémentpourlireetreliretouslesdocumentsdudossierqu’ilpayait

notreavocatunepetitefortune,maisilprétendquec’estunebonneexpériencepourmoietque,sijeveuxdevenirjuristeunjour,jeferaisbiend’êtreattentiveàtoutcequisepasse.Jelesuis,attentive.Enfin,j’essaie.J’aiunpeudemalàmeconcentrerdepuisqueWestm’aapprisqu’ilavaitrencontré

unefille.Quandilm’aappeléehiersoir,j’aioubliétoutlereste.Leprocèsquim’attendest important.Honorer lecontratdetravailquej’aisignépourcetété l’était

également,maisWestl’estencoreplus.Ilesthorsdequestionquejelelaissetomberalorsqu’ilabesoindemoi.—Net’embêtepaspourmoi,dis-jeenfin.Jesuisvenuepourt’aider.Sansunmotdeplus,ilclaquelaportière,s’installeauvolant,etdémarre.Jepensaisqu’Eugeneétaitunegrandeville,maisàpeinesortisdel’aéroportnousnousretrouvonsau

milieudenullepart.Lepaysageesttellementvertautourdenousqueçamedonnesoif.Auboutdequelquesminutes,Westtourneàdroite,etnousnousdirigeonsverslesmontagnes.Ilestpresque19heures,cequiveutdirequ’onn’arriverapasàSiltavant22heures.Jenesaismême

pasoùjevaisdormircesoir.Jevaispasserlesprochainesheuresdansl’obscuritéàcôtédeWest.J’enlève mon gilet. West met la climatisation un peu plus fort et se penche sur moi pour changer

l’orientationdel’aérationdemoncôté.Soudainjemeprendsunsouffled’airfroidenpleinefigure.Mapeaumoitesecouvredechairdepoule,etmestétonsdurcissent.Westbaisselaventilation.—Tubossespourunpaysagiste?—Oui,répond-il.—Çateplaît?Leregardqu’ilmejettemefaitpenserauchatdemasœurJanelle.Audébut,chaquefoisqu’ilsautait

surleplandetravaildelacuisine,elleluienvoyaituncoupdepistoletàeauentrelesdeuxyeux,etillatoisaitd’unairàlafoisdédaigneuxetincrédule,commeWestencetinstant.—Désolée,dis-jedansunsouffle.J’essaiedemerappelercombiendefoisjemesuisexcuséedepuisquejesuissortiedel’aéroport.Beaucouptrop.Jesuisen traindemelaisseratteindrealorsque,dans l’avion, jem’étaispromisde

resterinébranlable,quoiqu’ilarrive.Lasituationestcompliquée.Quelqu’unestmort,ilyaeudescoupsdefeu,etWestétaitsuffisammentperturbépourm’appeler.Monrôle,danscettehistoire,c’estdegardermon sang-froid coûte que coûte. Je ne vais pasmemettre en colère nim’apitoyer surmonpetit cœurbrisé.Jenevaispasluifairelesyeuxdouxnijouerlespleureuses,etencoremoinsmejetersurluipourluiarrachersesvêtements.Jesuisvenuepourêtreàsescôtés,toutsimplement.Jeluiaidonnémaparolequandilaquittél’Iowa.Jeluiaifaitpromettredem’appeleretjeluiaidit

qu’ilpourraittoujourscomptersurmois’ilavaitbesoind’uneamie.Ilm’aappelée.Mevoilà.Aprèsdelonguesminutesàmarinerensilencedansl’odeurdutabacfroid,jemeprendsàexaminer

Westunefoisdeplus,saufquecettefoisjechercheàvoirlesressemblancesplutôtquelesdifférences.Sesoreillessonttoujoursunpeutroppetites.Ilatoujoursunsourcilbarréd’unefinecicatriceetl’autre

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quiremonteunpeuaubout.Sabouchen’apaschangé.Sabouche…Leparfumqui émanede luim’évoqueunechaude journéed’étédans lesbois,ouun sapindeNoël

fraîchementcoupé,pourtantcen’estpasexactementça.Sur lefauteuildumilieu,entrenous, ilyaunepaire de gants de jardinage qu’il a dûposer là en quittant le travail. J’ai envie de les toucher, de lesenfiler,deremuerlesdoigtsàl’intérieur.Aulieudeça,monregards’attardesurlacuissedeWest,sursonshortdélavéauqueldepetitscopeauxd’écorcesontrestésaccrochés,sursongenou.Jedétaillelehautdesonbras,delacourbedesonépauleàl’élastiquedesamanchedepolo,tendusur

sonbiceps.Jenediscernepasdemarquedebronzage,cequidoitvouloirdirequ’iltravailletorsenu.Cetteidéemelaisselagorgesèche.Ladernière foisque je l’aivu,onétaitdans lesbras l’unde l’autreà l’aéroportetons’embrassait

fougueusementavantdesedire«aurevoir».J’aibeausavoirquerienn’estpluspareil,toutnemeparaîtpas radicalement différent pour autant. C’est cruelmais réel :malgré ce qu’ilm’a fait – ce qu’il ditm’avoirfait–,jesuislà,assiseàcôtédelui,àledévorerdesyeux.Jesuistoujoursaccro.J’aibienessayédemeraisonner,maisjecommenceàcomprendrequelaraison

n’apasgrand-choseàvoiravecl’amour.Westm’aadouciemaisilm’aaffaiblieparlamêmeoccasion,plusquejenel’auraisvoulu.Pourtant,avantqu’onparteenvrille,j’aimaisbeaucouplapersonnequej’étaisàsoncontact.J’étais

certesplusvulnérable,maisilmerendaitaussiplusforte.—Tuveuxmeracontercequis’estpassé?finis-jepardemander.Unmusclesecontractedanssamâchoire.—J’aipassélajournéeautaf,jenesaispascequis’estpassé.—D’accord,maisavantça?C’enétaitoù?—Monpèreétaittoujoursmort.—OùestFrankie?Auxdernièresnouvelles,lasœuretlamèredeWestvivaientavecsonpèredanslemobil-homeoùila

grandi.C’estpourêtreauprèsd’ellesetlesprotégerqueWestarenoncéàsesétudesetqu’ilestretournédansl’Oregon,maiscen’estpasévidentd’aiderquelqu’unquin’enapasenvie.Samèrearefusédequittersonpère,etWestadécrétéqu’ilnemettraitpaslespiedsdanslemobil-

home tant que son père y habiterait. Le résultat, c’est qu’il ne voyait pas Frankie aussi souvent qu’ill’auraitvoulu,etçaleminaitdenepasêtrelàpourlaprotéger.—Elleestchezmagrand-mère,répond-il.Ilfautquejepasselachercher.—Ellevabien?—Jen’arrivepasàsavoir.—Ellen’étaitpaslà,aumoins?Quand…—Mamèreprétendqu’elleétaitalléedormirchezunecopine.Je regardesesmains,crispéessur levolant,etvois sesdoigtsblanchirpeuàpeu tandisqu’il serre

encoreplusfort.—Tunelacroispas?—Jenesaispas.Onsetaitpendantunlongmoment.Jeremarquequ’ilaunepetiteplaieàlamaindroite,entrelepouce

etl’index.Ilyaunecroûteaumilieu,craqueléeendeuxendroits.Toutautourlapeauestroseetpèle.Iladûs’écorcherousebrûler.Si on avait été à Putnam, j’aurais su comment il s’était fait ça et je l’aurais obligé à mettre un

pansement dessus, ou aumoinsde la crèmepourque ça cicatriseplusvite. J’aurais sûrement fait une

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grimaceenluidisantdecacherça.Jen’auraispaseuenviedetouchersablessure,commemaintenant.J’aienviedecaresserduboutdu

doigtsapeautouterosedenouveau-né.Jebrûledesavoircommentilréagiraitsijelefaisais.Est-cequ’ils’écarteraitensursaut?Est-cequ’il

s’arrêteraitsurleborddelarouteletempsdemeparler–demetoucheràsontour?—C’estquoi,l’odeurquejesenssurtoi?Jen’arrivepasàreconnaître.Ilsoulèvesonpolopourlerenifler.J’aperçoislaboucledesaceinture,etçasuffitàm’exciteralors

quejem’étaisjurédemettremalibidoenveilleuse.Mesjouess’enflamment,etunincendiesepropagedemonnombrilàmesorteils.Jemedétourne.Quandjerisqueuncoupd’œilversWest,jecroisesonregardposésurmoi,cequinefaitqu’empirer

monétat.Pendantcesquelquessecondesrythméesparlesbattementsdemoncœur,Westn’apasl’airencolère. Il a sur levisage lamêmeexpressionquequand j’étais allongée sur son lit etqu’il s’avançaitlentementau-dessusdemoiaprèsm’avoirretirémaculotte–commes’ilavaitenviedemefairesienne,demedévorer,dem’attraperlespoignetsetdemefairecrierdeplaisirjusqu’àcequejenepuisseplusjamaisimaginerapparteniràunautre.Jepousseunlongsoupirtremblant.Westreportesonattentionsurlaroute,lessourcilsfroncés,commes’ils’attendaitàdevoirnégocierà

toutinstantuneséried’obstaclesdangereux.Unsilencepesants’éternise,jusqu’àcequ’enfinWestexpirelentement.—C’estdugenévrier.Ilmefautuneéternitépourmerappelerquejeluiaiposéunequestion.—C’estunarbreouunbuisson?—Lesdeux,enquelquesorte.Ilpianotedoucementsurlevolanttandisquesongenougauches’agite.—Enfait,c’estunarbremaisçarestesouventassezpetit,àl’étatd’arbuste,poursuit-il.Lesforêtsde

l’Oregonensontinfestées,çapoussepartoutetçaétouffelereste.Monpatrons’ensertpourmonterdesterrasses,maisj’aiaussivuqu’onpouvaitenfairedesmeubles,commedes…Ils’interromptetmejetteuncoupd’œilpresquegêné,commes’illuiétaitdifficiledes’empêcherde

mediretoutcequ’ilsaitsurlegenévrier.Ildéglutit.—J’aipassélajournéeàréduiredeschutesdeboisensciure.C’estpourçaquejepue.J’attendsensilence.Songenounecessederebondir.Allez,West.Parle-moi!—C’estaveclesbaiesdugenévrierqu’onfabriquelegin,reprend-ilauboutd’unmoment.Enfin,pas

legenévrierqu’ontrouveici,maislavariétélapluscommune,quipousseenEurope.—Commelesloegin?MasœurJanelleenaoffertunebouteilleàmonpère,unefois.C’étaitbonmaistrèssucré.—Pasexactement.Pourlesloegin,onmetdesprunellesetdusucredansdugindéjàtoutfait,c’est-à-

direoùlesbaiesdegenévrierontdéjàétédistillées,etpuisonlaissemacérerpendantsuperlongtemps.Pour la première fois depuis que j’ai atterri, j’ai envie de sourire. Il est peut-être blessé, tendu et

torturé,maisl’hommequiestassisàcôtédemoidanscettevoituren’estautrequeWest.MonWest.S’ilalamoindrechanced’amasserdesinformations,mêmesurunsujetaussitrivialquelegenévrieretl’alcooldeprunelle,ilnepeutpass’enempêcher.Ilmefaitpenseràunepievoleuseallantramasserdespapiersdebonbonquibrillentpourendécorersonnid.

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Lafillequim’a remplacée,est-cequ’elle l’écoutequand ildissertecommeça?Est-cequ’elle l’enaimedavantage?Sitantestqu’elleexiste.Cettepetiteidéesournoisenecessedemetarauder.Entoutcas,cen’estpasellequ’ilaappeléehiersoir.—Çasentbon,j’aimebien,dis-je.—Quand jesuis ici, jeneremarquemêmepas,maisquand je reviensdePutnam,c’est lapremière

chosequimefrappequandjedescendsdel’avion.Cettefois,quandilcroisemonregard,jen’ydécèleaucuneémotion.—Enfin,c’étaitlecas,àl’époque,corrige-t-il.—Jeteparieque,quandjevaisrentrerdansl’Iowa,jevaisêtrefrappéeparl’odeurdupurin.—Seulementsic’estlasaison.Lesilencequis’installeentrenousalorsestbeaucouppluspaisible,dumoinspourmoi.Westdemeure

visiblementàcran;ilnecessedetapotersurlevolant.—Ilestàtoi,cepick-up?—Non.C’estceluideBo,maisilmeleprête.Bo,c’estl’exdelamèredeWest.Frankieetellevivaientchezluijusqu’àcequ’elleseremetteavec

leurpère.Boétaitlà,danslemobil-home,quandlepèredeWests’estfaittuer.Épineuxsujet.—Ilestencoreengardeàvue?—Non,lesflicsl’ontlaissérepartiraprèsl’avoirinterrogé.—Est-ceque…(Jeprendsuneprofondeinspiration.)Ilavraimenttuétonpère?—Ilrefusededirequoiquecesoit.Ilétait là, ilyaeudescoupsdefeu.Ilyavaitdeuxarmessur

place,et jenesaispas lequeldesdeuxa tiré,nimêmesi l’undesdeuxseulementa fait feu.Siça setrouve,c’étaitunsuicide.Sacolères’estréveillée.Ilparled’unevoixmorne,commes’ils’ennuyait.—C’estpeuprobable,s’ilsontemmenéBopourl’interroger.—Qu’est-cequet’ensais,decequiestprobableoupas?—Rien.Pardon.Jeviensdetrouverlalimiteànepasfranchir.Onpeutdiscuterdesdifférentsusagesdugenévrier,àla

rigueurévoquerlamortdesonpère,maispasquestiond’envisagercequipourraitsepasseraprès.Westsepenchepourallumerlaradio.Ontombesuruntubederockkitschdesannées1980,àplein

volume.J’éteinsaussisec.—L’enterrementestprévupourquand?—Dèsquelemédecinlégisteaurafinid’examinerlecorps.—Ah.—Jenevaispasyaller.—OK.Nouveausilence.Uneforêtdenseetvertfoncéflanquelaroutedesdeuxcôtés.Oncommenceàmonter

doucementversdescollinessituéesauloin.—Tucomptesrestercombiendetemps?medemandeWest.—Aussilongtempsquetuaurasbesoindemoi.Ilme regarde avec une insistance quimemetmal à l’aise. Je préférerais qu’il se concentre sur sa

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conduite.—Quoi?finis-jepardire.—Quandest-cequelescoursreprennent?—Le28.—C’estdansdeuxsemaines.—Deuxsemainesetdemie.—Tunevaspasresterdeuxsemainesetdemie.—C’estcommeçat’arrange.Westsedétourneverslavitredesaportière.—Tun’auraispasdûvenir.Jemesuisdéjàditlamêmechose,maisçamefaitmaldel’entendredesaboucheàlui.—Moiaussi,çamefaitplaisirdetevoir,West.—Jenet’aipasinvitée.—Mercipourlecompliment.J’aiperduunpeudepoids,eneffet.Ilfroncelessourcils.—Tuestoutemaigre.Vexée,j’abandonnetoutetentativedeledérider.—Àl’avenir,jetâcheraidemeremplumerpournepascontreveniràtonsensdel’esthétique.—Situveuxm’envoyermefairefoutre,neteprivepas.—Vatefairefoutre,West.Ilcrispelamâchoireetsepencheverslaradio,maisj’écartesamaind’unetape.—Jenesaispasquoifairedetoi,grommelle-t-il.—C’estfacile:tun’asqu’àacceptermonaide.—Jeneveuxpastemêleràcemerdier.—C’estgentil,maisc’esttroptard.Marepartiemevautunregardassassin.—Iln’yapasdeplacepourtoiàSilt.—Ça,jenevaispastarderàenjugerparmoi-même.—Ça,c’estsûr.Cettefois,quandilallumelaradio,jelelaissefaire.Jemefaislaréflexionquenousnousdirigeonsversl’océanPacifique,quejen’aiencorejamaisvu.JepenseàWestetàcequej’aimeraisqu’ilmedonne.Àlaraisondemavenue.Jenetrouveaucuneréponseàça.Pourtantjenemefaispasd’illusions.Dansmatrousseàmaquillage,

aufonddemavalise,ilyaunbraceletencuiravecsonnomgravédessus.Jen’auraispasdûvenir,etpourtantmevoilà.Jenerepartiraipastantquejen’auraipaslacertitudequejeneporteraiplusjamaiscebracelet.L’accotementpartendéversdel’autrecôtédelaroute.Ilyaunbienungarde-fou,maisjen’aipasl’impressionqu’ilserviraitàgrand-chosesiWestdécidait

dedonnerungrandcoupdevolantetdenousprécipiteràflancdecolline.Nonpasqu’ilsoitdugenreàfaireça.Enfin,jenecroispas.On roule parmi des rideaux d’arbres impressionnants, en décrivant de vastes courbes au son d’un

torrentinvisible.Lejours’assombritpeuàpeu.Jen’enrevienspas,detoutcevert.Cen’estpaslamêmecouleurquedansl’Iowa,mêmeenpleinmois

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d’août.Là-bas,c’estlevertclairdespelousesetdeschampsquidomine,épousantlaterre.Icilevertestvertical.Jen’avaisjamaisvuunetelleprofusiond’arbres,sidrusetsiélancésqu’ilsattirentmonregardversleciel.Au bout d’un moment, on commence à redescendre en de longues ondulations qui me donnent

l’impressiond’être en train de skier sur unepiste à l’échelle extravagante – ungigantesque champdebossesparmi lesquelles lepick-upnousentraîneavectoute ladouceurd’unepairedeskisfraîchementfartéssurunecouchedepoudreuse.Jesuisdéjàalléeàlamontagne,maisl’Oregonn’arienàvoiravecAspenouTelluride,oùmonpère

nousaemmenéesquelquesfois,messœursetmoi.Icilarouteestsiétroiteetlaforêtsidensequejemecroiraispresquedansunpaysageprimitif,inachevé.Onnecessedetourneretvirerendegrandesvolteslentes.Lesilences’étirepuiss’éternise.Cetrajet

n’enfinitplus.Westtendlamainau-dessusdemesgenouxpourouvrirlaboîteàgants.Ilfaitbienattentiondenepas

metoucherenattrapantunpaquetdecigarettes.—Tufumes,maintenant?—Tumepasseslebriquet,s’ilteplaît?Lebriquetenquestion–untrucenplastiquerosefluo–setrouvetoutaufond,horsdeportéedeWest.

Jenebougepas.—Letabac,çapue.On aborde une longue ligne droite.West en profite pour se pencher afin d’atteindre le briquet. Son

épaulevientappuyercontremacuisse.Il se redresse au bruit du briquet, et aussitôt l’odeur du tabac emplit la cabine, âcre d’abord, puis

étrangementsucrée.Cebrefcontactphysiquefaitdesricochetssurmapeau,danstoutmoncorps.Westrecrachesafuméeparlavitreentrouverte,endelongsrubansquisedissipentaussitôtdanslanuit

noire.J’ail’impressiondepartirenfumée,moiaussi.Lescontoursdemonêtresedissolventunpeuplusà

chaque kilomètre, à chaque claquement discret qui fait passer les phares en feu de route avant de lesatténuer.L’obscuritéconcentrelapuissancedeWest,lerendplussolidealorsmêmequ’ellemegommedoucement,commepourm’effacerduréel.Quand il finitparbaisser levolumede la radio–préludeévidentàuneconversation–, jedoisme

forceràrevenird’unailleurstrèslointain.—Commentçasepasse,avecNate?demande-t-il.—Ilnesepasserien.—Ilacessédediffuserlesphotos?—Autantquejesache.Ellesrefontsurfacedetempsentemps,maisc’étaitprévisible.Jesuispresque

sûrequecen’estpluslui.Nate a passé l’essentiel de l’année dernière àmettre et remettre en ligne des photos demoi au lit,

pendantque,demoncôté,jeperdaisdesheuresàenvoyerauxsitesconcernésdesinjonctionspourqu’ilsles retirent. Jemeseraiscruedansuneversiongrandeurnaturedu jeuoù il fautassommerdes taupes,maisenvachementmoinsmarrant.Ilaenfinarrêtéquandj’aisignaléleproblèmeàl’administrationdelafac.Lorsquel’universitéalancé

l’enquête, j’espéraisqu’ilseferait renvoyerpouravoirenfreint laconvention informatiqueducampus,mais il a été trop malin et il sait très bien mentir, ce salaud. Sinon il n’aurait jamais réussi à meconvaincrequ’ilétaitquelqu’undebienquandons’estrencontrés.L’administration s’est contentée de le priver de tous ses accès Internet sur le campus – unemesure

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symbolique–,maisçaaquandmêmedûlesecouerparceque,depuis,ilalâchél’affaire.—Vousavezunedatepourleprocès?reprendWest.—Non.Onn’apasencorefinidepeaufinerlaplainte.—Etqu’est-cequetuasdécidé,pourcettehistoiredeJaneDoe?J’ailedroitdeporterplaintedefaçonanonyme,cequisignifiequemonnom–CarolinePiasecki,ce

n’estpascommun–nesera jamaisévoquédans lecontextedudossier,pasplusquedans lesarchivesofficiellesduprocès.Çaveutdirequ’ilyapeut-êtreunechancepourquemonaveniretmacarrièrepolitiquenesoientpas

compromisparlesalecoupqueNatem’afaitouparlesreprésaillesqu’ilvasubirdemapart.—Mon père connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui lui a dit qu’étant donné le juge qui va

s’occuperdemoncas,çanedevraitpasposerdeproblèmes.—Quandest-cequ’onvatedonnerunedate?—Une foisqu’onaura formellementdéposéplainte.Çanedevraitplus tarder,dis-je.En revanche,

monpèrepensequ’ilfautcompteraumoinsdouzemoisavantleprocèslui-même.—J’espèrequececonnardvaseprendreunebonneraclée.—Ouais…—Tun’aspasl’airenthousiaste.—Çavanouscoûterunefortune.—Combien?—Lafacturepourraits’éleverà100000dollars,d’aprèsnotreavocat–peut-êtremêmeplus.Westémetunsifflement.—Ilnousaaussiprévenusqueçarisquaitd’êtredifficile,unpeucommelesplaintespourviol.Onva

s’enprendreàmacrédibilité,alorsj’essaiedemeprépareràtoutça.—Çarisquedenepasêtreévident,touscesavocatsauxdentslonguesquivontteposerdesquestions

surtaviesexuelle…—Sansoubliermonéquilibremental.—Tonmentalestplutôtbienéquilibré.—Oui,maisilsvontleremettreenquestion,çaaussi.Jedevineundemi-souriresurseslèvres.—Génial.Donne-leurmonnuméro,jeleurparleraidelapauvrefillecomplètementtimbréequivenait

squatterlaboulangeriel’andernier.—Merci,c’estvraimentsympadetapart.—Jet’enprie.Jecrispelesmainssurmescuissespouréviterdelesappuyersurmoncœur–làoùj’aitellementmal.C’estbeaucouptropfaciledeluiparler,demerappeler…Si je fermais les yeux, je suis sûre que j’arriverais à me convaincre que les quelques dernières

semaines n’ont jamais eu lieu et que je replongerais sans mal dans le souvenir de ces nuits à laboulangerie–cesnuitspasséesàtomberamoureusedeWest.Peut-êtrequ’ilressentlamêmechose,carilsepencheetremontelesondelaradio.Jemetourneverslessombressilhouettesdesarbresauxbranchesbrouillées.J’oublieleprocèsetme

plongetoutentièredanslaraisondemaprésenceici:cequejeveux.West.Puis,auboutd’unmoment,mêmeWestdisparaît,ettoutbasculedanslenoir.Lecourantd’airfroidquis’engouffreparlaportièreopposéemeréveillebrusquement.

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Onestgarésdansunerueoùtouteslesmaisonsseressemblent,petitesetserréeslesunesauxautresaumilieud’étroitsjardins.Westrestedeboutderrièresaportièreouverte,levisagesoulignépardesombresanguleuses.—C’esticiquedortFrankie?—Oui.Onestchezmagrand-mère.Sansrefermercomplètementlaportière,ilposelesdeuxmainssurletoitdelavoitureetsepencheen

avant pourm’examiner à travers la vitre. J’ai l’impression qu’il se protège derrière un bouclier pourmieuxmeregarder–meregardervraiment,pourlapremièrefoisdepuisquej’aiatterri.Ilexaminemeschaussurespuisremontelentement.Virageàdroiteauniveaudemesgenoux,virageà

gauchepourmeshanches.Ils’attardesursesendroitspréférés.C’estcommedansmesrêves.J’ail’esprittropembrumépoursongeràmedéfendrecontrelabrûlure

duregardglacialdeWest.Toutcequejeveux,c’estgrimperàquatrepattessurlabanquetteetfoncertêtebaissée,mecogneràlui,lesentirsurmoi,enmoi,dansunfouillisdemainsetdelèvres–detoutcequim’atantmanqué.Ilasuffidequelquesheuresenvoiturepourquemessainesrésolutionsfaitesd’amitiéetdeloyauté

fondentcommeneigeausoleil–jenepeuxriencontremondésir.L’expressiondeWests’estassombrie.—Turestesicicesoir,lance-t-il.—Quoi?Jedorsici?—Oui.—Ettoi?—JedorschezBo.—C’estloin?—Àunetrentainedekilomètresd’ici.—Jeveuxresteravectoi.Il sort enfin de derrière sa portière et bascule le dossier de son fauteuil vers l’avant pour pouvoir

attrapermavalise.Quandillaposesurletrottoiretcommenceàsedirigerverslamaison,jecomprendsquesadécision

estnonnégociable.Jelerattrapeencourant.—Ilyabeaucoupdemonde?—D’aprèslenombredevoitures,jediraisqu’ilyamagrand-mère,mamère,Frankieetuneoudeux

demestantes.Jene savaispasqu’il avaitdes tantes.Àvraidire, avantqu’ilm’enparle tout à l’heure, j’ignorais

mêmequ’ilavaitencoreunegrand-mère.—Est-cequ’ilyadeschosesquejedevraissavoiràleursujet?—Çafaitsixansquejenelesaipasvues.—Sérieux?—Quoi?Tucroisquejeteracontedesconneries?Jenelecroispas,non.J’aimalauventre.—Désolée.Commenttu…Commentjemeprésente?—Tufaiscequetuveux,répond-ilenappuyantsurlasonnette.J’aitoutjusteletempsdeprendreuneprofondeinspirationetdemedirequeçavaêtresuperbizarre

avantquelaportes’ouvre.Elledonnedirectementdanslacuisine.Lapremièrechosequejeremarque,c’estunefemmequisanglote,assiseàlatable.

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Ellesanglotefort.Ilyadeuxautresfemmesettroisenfantsdanslapetitepièce,maisjenefaispasattentionàeux,parce

que ladeuxièmechoseque jeremarque,c’estque lafemmequinousaouvertaexactement lesmêmesyeuxqueWest.Personnen’adesyeuxcommeWest–mêmepasWest,puisqu’ilschangentdeteinted’unjouràl’autre,

enfonctiondelalumière,desonhumeuretd’untasd’autresfacteursquejen’aijamaispuidentifier.Jemesuistoujoursdemandécequ’ilyavaitdemarquésursonpermisdeconduire,parcequ’iln’yapasdemotpourdécrirelacouleurdesonregard.C’estvaguementdélirantdevoirlesyeuxdeWestdanslevisageridéd’unevieilledame.Àpartça,laressemblanceentreeuxestténue.Elleestobligéederenverserlatêteenarrièrepourlui

parlertellementelleestminuscule.Elleestrondedepartout–desseins,deshanches,desfesses–,etsescheveuxpoivreetselsontcoupéscourt.Elletiresurlacigarettequ’elletientdanssamaingauche,etjeremarquequesesdoigtssonttordusetnoueuxcommedevieillesracines.—Çaalors!Onvadesurpriseensurprise,s’écrie-t-elle.Cen’estpascequej’appelleraisunaccueilchaleureux.Jem’attendspresqueàcequ’ellesoufflesa

fuméedecigaretteàlafiguredeWest,maisaulieudeça,elletournelatêteversl’intérieur.—Michelle,regardequiestlà.Michelle,c’estlamèredeWest.Ça,aumoins,jelesais.Cettedernièrerelèvelatête.Sesyeuxressemblentàdeuxtroussombresdansunebouledepâteàpain.—Quic’est,ça?interroge-t-elled’unevoixéraillée,affreuse,enmedésignantdumenton.J’aienviedemecacherlevisagedanslesmains.—C’estCaroline,ditWest.Ellecilledeuxfois,sefrottelespaupières,cilledenouveau.—Carolinequi?Derrièreuneportefermée,ondevinelebruitd’unechassed’eau.—Qu’est-cequ’elleapris?demandeWestàsagrand-mère.—Rien.Elleestcommeçadepuiscematin.—Oh,putain…,soupire-t-ilavantdeprendreunelongueinspiration.Est-cequ’onpeutentrer?—Commenceparfairelesprésentations,lance-t-elle.—Caroline,voicimagrand-mère,Joan.Joan,Caroline,dit-ilavantdedésignerlesautrespersonnes

rassembléesdanslapetitecuisine.Etlà,cesontmestantes,StephanieetHeather,etmescousins,Tyler,Tayloret…jeneconnaispaslenomdelapetitedernière.—Hailey,indiqueladénomméeHeather.—Hailey,répèteWest.Enchantédefairetaconnaissance,Hailey.Moi,c’estWest.Jeserrelamaindelagrand-mèredeWestavecunpetit«bonjour»timide.—Jel’aiamenéepourqu’elleresteavecFrankie,expliqueWest.—Frankieestavecmoi,rétorqueJoan.—Tuasdéjàbienassezdetrucsàréglercommeça.—Jesaisencorem’occuperd’unegamine.Laportedelasalledebainss’ouvre,etjereconnaislasœurdeWestenmêmetempsqu’elleaperçoit

sonfrèreetquesonvisages’illumine.—West!J’éprouveunsoulagementintense,auqueljenem’attendaispas.Jen’aijamaisrencontréFrankieenpersonne,maisquandj’étaisavecWest,onacommencéàéchanger

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destextos,elleetmoi.Jenesaispass’ilestaucourantqu’onn’ajamaisarrêté.Ilnes’agitévidemmentpasdelonguesconversationsphilosophiques.Frankieadixans.Ellem’envoie

desphotosdegarçonsqu’elletrouvemignonsetdesblaguesengénéraltrèsnulles.Demoncôté,jeluifaissuivredesliensversdeshistoiresquejepensequ’elleaimeraitlire,oujemecontentedeprendredesesnouvelles,toutsimplement.

Commentçava,lavie?L’école?

JeneluidemandejamaiscommentvaWest.Je me disais que ce serait indiscret, que ça dépasserait les bornes que je m’étais fixées, mais

maintenantque j’y repense j’aipresqueenviede rire. Jesuisdans lacuisinedesagrand-mère,àSilt,Oregon.Iln’yapasdebornesquitiennent–ou,dumoins,lesmiennesnetiennentpas.Westserresasœurdanssesbras,levisageenfouidanssescheveux,lesyeuxfermés.Jelesobserve,

incapabledemedétourner.Ilveutquejeresteici,alorsjevaisresterici.Ilveutquejem’occupedesasœur,alorsjevaism’enoccuper.WestLeavittpeutmedemandertoutcequ’ilveut.Cesoir-làondortdanslegrenier,Frankieetmoi.C’estunelonguepiècebassedeplafond,encombrée

decartonsetdesacs-poubellespleinsàcraqueravec,dansuncoin,unfauteuilcassé,ainsiquelaplancheàrepasseretlaserpillièredanssonseau.Lesolestunemosaïquedecarrésdemoquettetoutdépareillés,oùdumarronfoncécôtoiedurougeàimpriméottomanetduroseàbouclettes.Deséchantillonspiquésàunmagasin,àtouslescoups,etquinedatentpasd’hier.Je suis allergique à ce grenier. J’ai le nez qui coule non-stop depuis que je me suis allongée, et

maintenantj’ailesyeuxquipleurentetj’éternuesansarrêt.Jen’arriveraijamaisàdormir,etçan’arienàvoiravecl’étatdemesnerfs.Frankie est juste à côté de moi. On a chacune un lit de fortune fait d’un gros matelas en mousse

recouvertdecouvertures,ainsiqu’unsacdecouchage.Chaquefoisquejelacroisenfinendormie,elleremue.Avantderepartir,WestestsortisurleperronavecFrankiepourdiscuterunmoment.Puisilaentraîné

samèredanslesalonetluiaparléd’unevoixgravetandisqueJoanposaitunecouvertureencrochetsurlesépaulesdeMichelle.JesuisrestéedanslacuisineavecFrankie,pendantquelestantesdeWestbavardaientetquelespetits

cousinssedisputaientpoursavoirquiallaitdormirdansquel litunefoisqu’ilsseraient tousderetourchezStephanie.Michelle a fini par s’endormir sur le canapé, et Joan a refermé la porte coulissante qui sépare la

cuisinedusalon.Puislapetitetroupedestantesetcousinsestrepartie.Frankieasautésurl’occasioneten a profité pourme poser desmilliards de questions. Comment s’était passémon voyage ; combiend’avionsj’avaispris;est-cequ’ilsétaientgrosoupetits;oùest-cequej’avaisachetémonpull;combienj’avaispayémeschaussures;combiendetempsj’allaisresteravecelleetpourquoiellen’avaitpasétéprévenuequejeviendrais.J’airépondudumieuxquej’aipu,maisj’étaistendueetjeguettaisleretourdeWest.Quand,enfin,ila

reparudanslacuisine,ils’estdirigéversFrankie.—Quandest-cequetureviens?luia-t-elledemandé.—Demain,aprèsletravail.Carolineseralàpourtetenircompagnie.—Tuveuxquejefassequelquechoseenparticulier?ai-jedit.

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—Resteavecelle.Appelle-mois’ilsepassequoiquecesoitdebizarre.J’ai eu envie de savoir ce qu’il entendait par « bizarre », exactement,mais il avait l’air tellement

fatiguéquej’aipréférétenirmalangue.Lasituationestdéjàbizarre,etj’aicommel’impressionqueçanevapass’arranger.Ungroséternuementm’échappe. Je reniflepiteusement. J’auraisdûemporterdesmouchoirs.Moiet

mes allergies à la con ! Les acariens, les mites, les moisissures, les pellicules… Je ne peux jamaisprévoirsiteloutelendroitvamedéclencherunecrise.J’aitoujoursuneboîted’antihistaminiquesdansmonsacàmainmais,quandj’aifouillétoutàl’heure,jen’aitrouvéqu’uneplaquettevide,évidemment.Je vais devoir redescendre l’étroit escalier en bois qui mène au grenier et trouver Joan pour lui

demandersielleauraitquelquechosepourmedépanner.J’espèrequ’ellenedortpasencore.Quandjemetournesurlecôtéafindemerelever,j’entendslapetitevoixdeFrankie.—Caroline?Jem’immobilise.En face demoi, je distingue les lattes de la cloison, en bois nu, avec des câbles

électriquesquicourenttoutdulong,maintenuspardesagrafes.Ilyaunetached’humiditéaucoind’uneplancheencontreplaquégondolé.Derrièrelepetitveluxlaluneestpresquepleine.Etderrièremoi,ilyaunepetitefilledontlepèrevientdemourir.Westvoulaitquejerestelà,avecelle,maisj’ignorecequ’ilattendquejeluidise.—Oui?—Tucroisqu’ilvarepartir?—Quiça?West?—Oui.Jemeretourneverselleetmeredressesuruncoude.Noussommessuffisammentprochespourquejevoiesonduvetsesouleveraugrédesarespiration.ElleaeudroitàMonPetitPoney.Lemien,c’estSpider-Man.Sesyeuxmesemblentimmensesàlafaiblelueurdelalune.Ilssontmarron,commeceuxdesamère.

Frankieaégalementhéritédesonmenton,mais lerestedesonvisagem’évoqueWest– lespommetteshautesetfines,dessourcilsenaccentcirconflexe,unegrandeboucheetd’épaischeveuxbruns.Elleesttrèsbelle–ettellementjeune.Sesdentsdedevantparaissentencoreunpeutropgrandesdanssapetitefigure.Jeluirépondsentoutehonnêteté.—Jenesaispas.—Oui,maistupensesqu’ilvafairequoi?—Jepensequ’ilvafairecequiluisembleêtrepourlemieux.Ellegardelesilenceuninstant.—C’estluiquit’ademandédevenir?—Non.—Alorspourquoituesvenue?—Parceque…jepensaispouvoirl’aider.Elleseredressesuruncoude,commeenrefletdemaposition.—Qu’est-cequetupeuxfairepourl’aider?—Pasgrand-chose,reconnais-je.Jepeuxtetenircompagnie,situveux.—Jepeuxtedirequelquechose?Non.Nemedisrien,s’ilteplaît.Jen’aipaslamoindreidéedecequejefaisici.Cen’estquemalâchetéquiparle.J’aiapprisàlafairetaire.

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—Biensûr.—Mamanleuraditquejen’étaispaslà,maiscen’estpasvrai.J’aivucequis’estpassé,souffle-t-

elle,lesyeuxbrillantsdelarmes.J’aivu.—Tu…tuveuxm’enparler?Ellesecouelatête.Seslarmesdébordent.JedégagemesbrasdemonsacdecouchageetserreFrankiecontremoi,caressantmaladroitementses

épaulestoutesfrêles.—Chut…Çavaaller,çavaaller,mapuce,dis-jeàcettepetitefillequitremblecommeunefeuille.J’ignoreévidemmentsiçavaalleroupas.Auboutdequelquetemps,sessanglotscessentetsonsouffleralentit.Jesensqu’elles’endortquand

soncorpssemetàpeserunpeupluslourdcontrelemien.Celafaitdéjàunmomentquejemeretiensd’éternuerenprenantdegrandesinspirationsetenfermant

lesyeuxde toutesmesforces.Dèsque jepeux, jemedégagedoucementetdescendssur lapointedespieds.Lagrand-mèredeWestestassiseàlatabledelacuisine.Elletricote,unetasseàportéedemain.Elle

a coupé le sonde la télé fixée aumur,mais je vois les informationsqui défilent endirect.Une radiodiffusedevieuxtubestandisqu’uneespècedegrésillementprovientdecequiressembleàunrécepteurdesfréquencesdelapolice.Joanporteunechemisedenuitsurlaquelleestécrit«SanFrancisco»engrosseslettresroses.Ellealesbraspâlesetflasques,parcourusparunfeud’artificedepetitesveinesrouges.—Elledort?—Oui.—Bravegamine.Ellen’apasvraimentlechoix,lapauvre.—Tuveuxuncafé?meproposeJoan.—C’estdudécaou…?—Jeneboisjamaisdedéca.—C’estgentil,maisnonmerci.J’allaissimplementauxtoilettes.Ilfaittellementfroiddanslasalledebainsquejemegèlelittéralementlesfesses.Ilyauntroudansle

murau-dessusdelabaignoire,placédetellefaçonquej’imaginequequelqu’uns’esttapélatêtedanssonbain,jusqu’àcequeçaeffriteleplâtre.J’éternuetroisfoisletempsdefairepipi.—Tuesenrhumée?medemandeJoanquandjeressors.—Non,c’estmesallergies.—Tuveuxunmédicament?—Oh,merci!Ceseraitsuper.N’importequelantihistaminiqueferal’affaire.Elle se lève tout doucement, commeces femmesdont les corps fragiles sont devenus si difficiles à

manier.Uneminuteplustard,ellerevientavecunflacondemédicamentsgénériquesetmetendunverred’eau.—Merci.Jeprendsdeuxcomprimésetéternuedeplusbelle.Joanseressertunetassedecaféetvients’asseoirenfacedemoi.—Vousêtesproches,Westettoi,dit-elle.J’ailessinusenglués.Ilesttroptardpourrépondreintelligemment,ilfaittropnoirdehorspourmentir.—Onl’était.

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—Ilt’aconfiéFrankie.—Çaneluiplaîtpasquejesoislà.Joanmejetteunregardlourddepitié.—Çaneluiplaîtpasd’avoirenviequetusoislà.Nuance.Lesilences’installe.Lacuisines’emplitducrépitementétoufféquemurmurelafréquencedelapolice

etdelavoixéploréed’unchanteuroublié.—Ilt’aditdepuiscombiendetempsilnem’avaitpaspermisdeleregarderenface?reprendJoan.—Ilm’aditqueçafaisaitsixans,maisilnem’apasexpliquépourquoi.—Sonpère…monfils.Ladernièrefoisqu’ils’estremisavecMichelle–enfin,lafoisd’avant–,ça

s’estmalterminé,etWestamorflé.Ilestvenumevoiretm’adéclaréquejedevaischoisirmoncamp.Ilvoulaitquetout lemondeserangesoitdesoncôtéàlui,avecsamèreetFrankie,soitducôtédemonWyatt.Ilnousainterditderesterneutres.Elleapprochelesucredesatasseetenprendunecuillère,puisuneautre…—J’enconclusquevousavezchoisivotrefils.—JepensaisqueWestchangeraitd’avis.Jesouris,lesyeuxrivéssurmesongles.—Cen’estpassongenre.—Illuiaseulementfallusixans.Jeregretted’avoirrefusélecaféqu’ellem’aproposétoutàl’heure.Jenevoispascommentjevais

pouvoirdormiretj’enviesatassefumante.Jesaliveàl’idéed’avalertoutecettechaleurdouce-amère.—Monfilsétaitunbonàrien,déclare-t-elleàlacuillèrequ’ellefaitlentementtournerdanssoncafé.

Jenecomprendspaspourquoi.Jen’aipourtantrienfaitdemal–enfin,jenecroispas,lestroisautresn’ontpastropmaltourné.Wyatt,ils’esttoujourscruau-dessusdulot.Mêmegamin,ilétaitviolent.Elleboitunelonguegorgéepuisbaisselesyeuxverssatasseavecunegrimace.—Ilyatropdesucre,maintenant.Jemesensobligéededirequelquechose.—Jesuisdésolée.—Michellenevautpasmieux,remarque.Tuasvucommentelleest.Maintenant,ellevapasserdes

semainesentières–peut-êtremêmedesmois–àselamentersursonsortsanspenserunesecondeàtoutle mal que ça peut faire à sa fille ni aux responsabilités que son fils doit endosser pendant qu’ellepleurnichecommeunegourde.Jeressensquelquechosed’étrangequandJoanmeregardeenfin.LesyeuxdeWest.Levisaged’une

quasi-inconnue.Uneforcequejeconnaisbienetsurlaquellejesaispouvoircompter.—C’estpourlerameneravectoiquetuesvenuejusqu’ici?medemande-t-elleenfin.—Jenesaispas.Ellevidesatasseetselèvepourallerlaposeràcôtédel’évier.Elleregardelaluneparlafenêtre.—Emmène-leloind’ici.C’estsadernièrechance.JepasselamatinéedulendemaindanslacuisinedeJoanLeavitt,àfairelavaissellepuisàécosserdes

petitspoisencompagniedeFrankie.Unefoisqu’onafini,Joanessaiedenousapprendreàtricoter.Frankiesedébrouillebeaucoupmieux

quemoi.Jenecessed’enroulerlefilautourdel’aiguille,cequifaitdestrousdanslamaille.Joandéclarequejesuisdouéepourfairedestrous.Pourledéjeuner,ellefaitchaufferdelasoupedetomatesenboîteetpréparedessandwichsavecdu

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faux fromage emballé en tranches individuelles et de lamargarine. Il y a constamment dumonde quidéfile dans la cuisine – des amis, des voisins, des membres de la famille éloignée, une femmeaccompagnéedesesquatreenfantsetqui,sij’enjugeparleurconversation,faitpartiedumêmegrouped’alcooliquesanonymesqueJoan.Joanestsatutrice.Ellenemeprésentepas.Lesgensarriventetrepartent,commelamarée.Joansortdetempsentemps

pourfumerunecigaretteet,enrevenant,passe lemégotsous l’eaufroideavantde le jeter.Quandellen’estpasau téléphone,ellemonte lesonde la radioet,dèsqu’ellea lesmains libres,elle tricote.Salainesetrouvedansunpetitsacrougequis’accrocheaupassantdeceinturedesonpantalon,etellesebalade en tricotant, sans avoir besoin de regarder. L’un après l’autre, elle fait des carrés de trentecentimètresdecôté,decouleurmarron,bleue,verteourouge.Lesalonestlittéralementenvahidesesœuvres–deuxcouverturessurlecanapé,unesurlefauteuil,

sans compter la corbeille de fils de laine qui déborde dans un coin. Il y a plusieurs piles de livrescontenanttoutessortesdemotifscaléessouslatablebasse.Jesuisassisesurlecanapé.MacuissedroitetouchelacouverturedrapéeautourdelamèredeWest,et

lagaucheestaucontactdeFrankie,quiparaîtenavoirbesoin.Toutelajournée,ellerestecolléecontremoi.Frankie est unmélange déroutant de femme et d’enfant, avec ses genoux cagneux et ses seins déjà

volumineux,sonmaquillageimpeccableetsapostured’adovoûtée.JecomprendspourquoiWestl’aimeautant.Ellereprésentetoutcequ’ilyadebonetdedouxchezlui.Sesréactionssontvivesetspontanées.Elleestdrôleetparlefort,s’emportevitemaispardonneaussitôt.«Ilssontbeaux,tescheveux!»medit-elle.«J’adoretonmaquillage!Tumemontrescommenttufais?»«Etcommenttufaispourquetonfoulard,ilrestecommeça?»Elleneparleplusdecedontelleaététémoin.Ellenepleurepas.Jemedemandesi jedevraisrévélerqu’elleaassistéàlascène,maisàquipourrais-jeledire?Sa

mèreconnaîtlavérité,quellequ’ellesoit.Quantàsagrand-mère,sesonclesetsestantes…soitilssontaucourant,soitilsignorenttout.Jen’envisagepasdetrahirlaconfiancedeFrankieenallantracontersonsecretàcesgensquejeconnaissimal.Laseulepersonneàquijepourraisimaginermeconfier,c’estWest,etWestn’estpaslà.Dansl’après-midi,onapprendqueBoaétéconvoquéaupostepourunnouvelinterrogatoire.Lamère

deWestfondenlarmes.EllepleureparcequeWyattestmort,parcequeBorisquelaprison…Jen’arrivepasàsavoircequilachagrineleplus.Frankiegardesesgrandsyeuxpleinsdelarmesrivéssurlatélé.Jepasseunbrasautourdesesépaules,etonregardedessériesdébilessansriendire.Westnem’écritpas,nem’appellepas.Ilnevientpas,alorsqu’ill’avaitpromis.Cesoir-là,unefoisFrankieendormie,jesorsmontéléphoneetlislaversionenlignedujournallocal

pouressayerd’enapprendreunpeuplus.Descoupsdefeuontétéentendusdanslemobil-home.Lavictimeareçuuneballedanslapoitrine,

puisestdécédéedansl’ambulancequil’emmenaitàl’hôpital.Lesvoisinsévoquentunedisputequiadégénéré.Lejournalnenommequedeuxtémoins:MichelleetBo.Boaétéinterrogéunepremièrefois,puisremisenliberté,avantd’êtreconvoquédenouveau.Jevoudraisconstruireunrécitcohérentàpartirdecesfaitsplatsetfroids.Jevoudraisunehistoireque

jepourraismeraconter,maisjen’aiquelevisagedeMichelle,noyédelarmes.Frankierouléeenboule

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surlecanapé,latêtesurmesgenoux,lesyeuxbraquéssurlatélé.LesgensquipassentdanslacuisinedeJoanrestentdiscuterunmoment,luiapportentàmangerouluifontquelquescourses.J’écrisàWest.

Qu’est-cequetufais?Quandest-cequetureviens?Est-cequetuveuxquejeloueunevoiture?

Ilfaitlasourdeoreille.Quandnousétionsensemble,déjà,WestrefusaitdemeparlerdeSilt.Etpourtant,mevoilà.Alors,avantqu’ilnem’éjecteunenouvellefoisdesavie,jevaisenapprendre

autantquepossibleausujetdecetendroitetdesgensquil’habitent.MondeuxièmejouràSiltressemblebeaucoupaupremier,saufquej’observeetécoutetoutavecune

attentiondécuplée,etquej’envoieenvironquatrecentsmessagesàWest.Çava?Quoideneuf?Tuasbesoindequelquechose?

Ilnerépondpas,alorsjecommenceàluibalancerdesremarquesauhasard.OnregardeDesJoursetdesViesavecFrankie.Onmangedelasoupedepoiscassés.Ondiraitunboldemorve,etpourtantc’estsuperbon.Vousavezquatreheurespouranalyserceparadoxe.

Puisjeperdspatienceetmelâchecomplètement.Quandest-cequetusorsdutravail?Est-cequejevaistevoircesoir?Jecroisquejevaisallerboireunebière.Joueraubillardenminijupe.Voirsionsaits’amuserdansl’Oregon.TupréfèreslesM&M’scacahuèteouamande?Lechocolatnoirouaulait?Lesmontagnesoul’océan?J’aienviedetevoir.Viensdîner.

Àmagrandesurprise,ilvient.Latabledelacuisineestdéjàbienoccupéeparsagrand-mèreetsestantes rassembléesautourdesamère,plus la ribambelledecousinsquimangentde lasaladedefruitsagrémentée de crème fouettée et de petits Chamallows ou du poulet qui a cuit à l’étouffée une bonnepartiedel’après-midi.QuandWestvas’asseoirsurlecanapé,jelesuis.—Tuaspasséunebonnejournée?dis-jeenm’installantàcôtédelui.—J’aireçubeaucoupdetextos.—Desmessagesintéressants?Lesyeux rivés sur la télé, sonassietteenéquilibre sur sesgenoux, il attrapeunpetitpainbeurréet

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morddedans.—Non.Puisilmejetteunregardencoin,avecundemi-sourireinsolentquimedonnesoudaintrèschaud.Ce sourire, je l’ai vu au lit, dans sa voiture, dans la boulangerie… à chaque détour de notre vie

commune.Cesourirememanque.—Tupeux toujoursessayerde fairecommesi jen’existaispas,çanemeferapasdisparaîtrepour

autant.Ilmâchesabouchéedepainpuisavale,sansdétournerleregarddelatélé.Jemepencheversluipourmurmureràsonoreille.—Jenepartiraiquequandjeseraiabsolumentcertainequetuvasbien.Il se fige. Il cessemême de respirer, et je retiensmon souffle par pure empathie. Je suis tellement

absorbéeparluiquejenem’enrendscomptequequandilprendunelongueinspirationetmefaitface.Sonvisagen’estqu’àquelquescentimètresdumien.Lachaleurdesacuisselelongdelamienne.Sesyeux,sonnez,sabouche…sonvisage.Argh!Iln’yapasd’autre femme.C’est impossible.PasentreWestetmoi.S’il avait réellement rencontré

quelqu’und’autre,jeneressentiraispasça.Jenemesentiraispasaussivivante.Jeneressentiraispasças’iln’éprouvaitpaslamêmechose.—Donc,sijetedisquejevaisbien,turepartiras?demande-t-il.—Seulementsijetecrois.Lablancheurdemonpullsereflètedanssesprunellesetanimeétrangementlenoirdesespupilles.Jevoissonnezremuerpresqueimperceptiblement.Ilaenviedemeparler,jelesais.Iladeschosesà

medire.Alorspourquoin’ouvre-t-ilpaslabouchepourcracherlemorceau?Après son départ de Putnam, West a refusé catégoriquement que je change d’université pour me

rapprocherde lui. Iln’étaitplusquestionqu’onse revoie.Avec lui,c’est toutou rien.Samères’étaitremiseavecsonpère,doncildevaitretourners’occuperdeFrankie.Iln’aobtenuqu’unaprès-midiparsemaine,auMacDoprèsdesonécole,unepetiteheurepourvérifier

quesamèreet sa sœurn’avaientnibleusnibossesetpour interpréter leurs réponsesà sesquestions,dansl’attentedujouroùildétecteraitunproblème.Le reste du temps, quand il ne travaillait pas, il dormait. Il sortait parfois avecBo et, de temps en

temps,rentraitsuffisammentivrepourm’appeleretmeracontersavérité.Toutétaitfinientrenous.Ilfallaitquejecessedevouloirêtresonamie.Ilfallaitquejecessedelui

écrire.Toutétaitfinientrenous,donconn’auraitpasdûseparlerautéléphoneà2heuresdumatin,saufque

c’étaitluiquim’appelait.Unefoisqu’oncommençaitàdiscuter,onseretrouvaittrèsviteàéchangerdesplaisanteriesinsignifiantes,àéviterlessujetsquifâchent,jusqu’àcequel’und’entrenousdisequelquechosequinousprécipitedansunabîmeobscuroùnosmainss’égaraientetoùons’avouaittoutcequ’onavaitrefoulépendantdelonguessemaines.«Tumemanques.»«J’aienviedetoi.»«J’aibesoindetoi.»«Jet’aimetoujours.»«Jenepeuxpas.Jesuisdésolémaisjenepeuxvraimentpas.»

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Ilmerépétaitquejeméritaismieux,maisjen’aijamaisréussiàmeconvaincrequequelqu’und’autrepuisseprendrelaplacedeWest.Je regarde ses joues s’empourprerdoucement, laveinequibatdans soncou. Je sens la chaleurqui

émanedelui–ledésir.Ilpeutmementirpartextos,oumêmeautéléphone,maispasquandilestassistoutprèsdemoi.Son

corpsnementpas.—Jetedéfiedemeconvaincrequetuvasbien,dis-je.Demefairecroirequejenetemanquepas,que

tun’aspasenviedemoi,quetunepensespasàmoitoutletemps.Parceque,moi,jepenseàtoisansarrêt.Jeposelamainsursacuisse,justeau-dessusdesongenou.—Vas-y.Dis-moitoutçasitul’oses.Sesmusclestressaillentsousmesdoigts.Westrefermelamainsurmanuque.Ilsepencheversmoi,toutprès.Jepensequ’ilal’intentiondemebalancerunevacherie,histoiredemefairecomprendreàquelpoint

notresituationestpourrie.Jedevraism’ypréparer,meblinder,maisjen’yarrivepas.Quandilposelamainsurmoi,jefonds–partout.C’étaitparcegesteprécisqu’ilm’attiraitpourunbaiser.Etpuis,quandilmelaisseapprochercomme

ça,jelisenluicommedansunlivreouvertetdécèlelamoindreémotiondanssonregard.Satristesse.Sondésir.Ilabesoindemoi.Ilbrûled’enviedeseperdredansmadouceuretd’youbliercetteviedemalheur

quilecerne.L’angoissesedevineaussidanssesyeux.Undéchirementatroce.Sadouleurprendpeuàpeulepassursatendresse,etsonregardsedurcit;cetteexpressionvideet

froidemefaitpeur.—ResteavecFrankie,dit-ilenfin.C’estlaseulechosequej’attendsdetoi.Puisilselèveets’enva,commesic’étaitlaréactionlaplusnormaledumonde.Ilselève,enjambeun

bébéquicrapahute,fourresonassietteàmoitiépleinedanslapoubelleetsort.Jenesaispasoùilva.Jesaisseulementquec’estquelquepartoùjenepeuxpasl’atteindre.J’envisaged’emprunterunevoitureetdedemanderl’adressedeBo.Jepourraismegarerdevantchez

lui,frapperàlaporte, trouverWestet lecoincer.Jepourraisposermesdeuxmainssursontorseet lepousserdetoutesmesforces.Dis-moicequetupenses.Avouecequejereprésentepourtoi.Dis-moicequetucomptesfairemaintenantqu’ilestmort.Promets-moiquetuvasrevenir.Montre-moiquetum’aimesencore.Dis-moiquetuesdésolé.Laseulechosequimeretient,c’estlaforcedemondésirpourlui.J’aienviedelesuivrepartout,commeFrankiemesuit,moi–demelovercontreluipourtrouverun

peuderéconfort.Enfin,non,cen’estpaslaseulechosequimeretient.Ilyaaussicequej’aivu–cequ’ilaoséme

montrer.Ilvamal,etcetteduretédefaçadeestlaseuledéfensequ’ilconnaisse.C’estpourluiquejesuisvenue,paspourmoi.IlveutquejeresteavecFrankie,alorsc’estcequejevaisfaire.MontroisièmejouràSiltestidentiqueauxdeuxpremiers.Westamislesvoilesetrefusederépondreàmestextos.

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Monpèrem’appelle,maisjenedécrochepas.Quatrefoisdesuite.Tantquejesuisici,jenepeuxpaspenseràcequisepasseàlamaison–passijeveuxéviterdepéterlesplombs.C’esttrop.Etpuis,jesuisfatiguéedemesconversationsavecmonpère.Ilestobnubiléparl’affaireavecNate.

J’aipassél’étéàparlerduprocèsavecmonpèreetàpenseràWest.LeprocèsetWest,Westetleprocès.Plusd’unefois,allongéedans lenoirdansmonlitdepetite fille, j’aieu l’impressiondedisparaître–l’impressionquej’étaisréduiteauxconséquencesdesévénementsdel’andernier.Cequis’estproduitavecNate.Cequis’estproduitavecWest.Aulieudeprendrelesappelsdemonpère,jeconsacrelamatinéeàjouerlesdétectives.Jem’insinue

danslesconversationsetapprendslesprénomsdetouslescousinsdeWest.Jecommenceàmefaireuneidéedelapersonnalitédechacundesesonclesettantes,ainsiquedesrivalitésquialimententlespetitsdramesquotidiensdecettefamille.Etilyena,despetitsdrames.JecomprendssansmalpourquoiWestachoisideprendresesdistances

pendantsixans.Michelle est convoquée au commissariat dans l’après-midi. Joan nous apprend à jouer au

backgammon,àFrankieetàmoi,etonselancedansuntournoiàlatabledelacuisinependantqu’elleprépare un chili, tricote et parle au téléphone avec ses filles, l’une après l’autre.Elles ont toutes unebonneraisond’êtreencolère.Michellerevientavecunemigraine,fondenlarmesquandJoanluidemandecequelapolicevoulait

savoir,puiss’endortsurlecanapé.FrankieselassedubackgammonetveutjouerauUnoàlaplace.QuandJoanluifaitremarquerqu’elle

n’apaslescartesqu’ilfaut,Frankieluiditqu’elleenaunpaquetaumobil-home.C’estaussilà-basquesetrouventsesvêtements,sapetitetrousseàmaquillage,sontéléphone,sonduvetet touteslesaffairesqu’unegaminededixansaimeavoirsouslamain.—Onpeutallerleschercher,dis?implore-t-elle.S’ilteplaît,Caroline!—Tusaisbienquejen’aipasdevoiture,mapuce.JepourraisdemanderàWest.—Ilvadire«non». Ilsmedisent tous«non»,grommelle-t-elleavantdecroiser lesbrassurses

cartesetdeposerlefrontdessusavecunsoupirdedésespoir.—L’enquêteestencoreencours,machérie.Endébutdesoirée,Joanreçoituncoupdefiletsortsurleperronpourrépondre.Quandellerevient,

ellenousapprendquelapoliceconsidèrelamortdeWyattLeavittcommeunaccidentetquel’affaireestclassée.Lesautoritésvontrendrelecorpsàlafamille.L’enterrementestprévupourlelendemain.Cettenuit-là,alorsqueFrankiedortdéjà,Joanmonteàl’échellequimèneaugrenier.—Caroline?Tueshabillée?Je porte un tee-shirt àmanches longues et unpantalonde yogapour dormir. Je suis pour ainsi dire

habillée.—Oui.—Alorsviens.Quelquesminutesplustard,ellesegaredevantunmobil-homeplongédansl’obscurité.Unelongueur

decordonjauneestcolléeentraversdelaportepoursignifierquel’accèsestréservéauxenquêteurs.LapoignéetournefacilementsouslamaindeJoan,quimefaitsignedepassersouslecordon.Onvaentrerpareffraction,medis-je.Etcontaminerlelieuducrime.Techniquement, l’enquête est close, mais je crois bien que, même si elle était encore en cours, je

n’hésiteraispasàentrer.J’aibesoindevoiràquoiressemblecetendroit.J’aibesoindesavoir,parcequec’esticiqueWestagrandi.

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Sonpasségîtici.Jeprendsnotedetouslesdétails–l’odeurderenferméquirègneàl’intérieur,lepiteuxlambriscollé

auxmincescloisons,latabletouterayéedontlasurfaceimitationboisn’estqu’unpauvreautocollantàmoitiéarraché.Joansortdelachambreaveclesbraschargésdevêtements.—Attrape-moiunsac-poubelle,dansleplacardsousl’évier,medit-elle.J’obéis tout enme demandant oùWest rangeait ses affaires quand il habitait ici. Qu’est-ce qui lui

appartenaitenpropre?Commentprotégeait-ilsesquelquesbiens?Ilnevoulaitpasquejevoietoutça.Montéléphonesonne.Enlesortantdemapoche,jedécrochesanslefaireexprès.J’entendslavoixde

monpère.—Caroline?—Salut,papa.—Jen’arrêtepasdet’appelerdepuiscematin.Joanressortdelachambreavecuneautrebrasséedevêtements.Jecaleleportablecontremonoreille

etouvrelesac-poubelle.Elleyjettelesfringuesenvracavantderepartirverslachambre.—Désolée,jen’aipaseuuneminuteàmoi.—Qu’est-cequit’accaparetant?Unepetiteintrusionsurleslieuxd’uncrime.Etdanslavieprivéedel’hommequej’aime.Bref,j’ail’impressiondemetaperlatêtecontreunmur.SaufqueWestn’estpasunmur,mêmes’ilaimeraits’endonnerl’air.Lesbriquesqu’ilaérigéesautour

deluisontaussiimmatériellesquelefauxboisdelatable.—Jen’aipasletempsdediscuter,là,dis-jeàmonpère.—Quandest-cequetuaurasletemps?—Jenesaispas.Jet’appellerai,d’accord?—Non,pasd’accord.J’aiprévuuneréunionmardiparcequej’aiencoredesquestionsàproposdela

plainte. J’ai besoin que tu me donnes ton avis sur une chose ou deux d’ici là. Quand est-ce que tureviens?Ou…Jecessedel’écouter.Dehors,unevoitures’approcheausond’unegrosselignedebasses.Lefaisceau

d’unepairedepharesbalaiel’intérieurdumobil-homeetmetenvaleurunesombredécorationaumur.Deséclaboussures.Dusang.Jeraccroche.JoanrevientavecunepoignéedebijouxdansunemainetunpaquetdecartesdeUnodansl’autre.—Ilfautqu’onfile,lance-t-elle.Jenedemandepasmieux.J’aienviedefuiràtoutesjambes.Pourtantjeresteencoreunebonneminute

plantéeaucœurdespirescauchemarsdeWest,parcequependantdesannéesiln’apaspus’enéchapper.OnretournechezJoanensilence,toutesvitresouvertes.Jefaistournermontéléphoneentremesmains

d’ungestemachinalenpensantàmonpère.LepèredeWestestmort,lui.J’aivulestracesdesonsang.Joanadûlesvoiraussi.Laviedesonfilsrépanduesurunmur.Quelgâchis.JesuisvenuepouraiderWest,pourtantjemesensimpuissante.Toutcequejepeuxfaire,c’estrester

icietl’aimer.Espérer.JemontelessacsdanslegrenierpourqueFrankielestrouveàsonréveil.

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MonquatrièmejouràSiltestceluidel’enterrement.Westsetientprèsducercueil,àcôtédesamère.J’essaiedenepastropleregarder,maisçam’estdifficile.Sescuissestendentletissudesoncostume.

Sa veste est si serrée qu’elle lui donne l’allure d’un gangster de film noir. Quand il se penche pourconsolerundesespetitscousins,jeremarquequesonpantalonestluisanttellementilestuséauniveaudesfesses,etj’aipeurquelescouturesnecraquent.Peut-êtrequ’ill’aempruntéàquelqu’un,maisunpincementaucœurmeconvaincquenon.Cecostume

estlesien–leseulqu’ilpossède.Soncostumed’avant,qu’iladûporterpoursaremisedesdiplômesdulycéeetsonbaldepromo.Ilneluivaplus,etj’aienviedepleurer.Westal’airtellementencolère.Ilnevoulaitpasvenir.Samèren’apasréussiàleconvaincre.Sagrand-mèren’amêmepasessayé.Frankievoulaitqu’ilsoitlà.Ellesetrouveàl’autreboutdusalonfunéraire,àcôtédesatanteHeather,quiatroisenfantsdetrois

pèresdifférentsetquivitdansl’Idaho,desindemnitésqu’elletouchedepuisqu’unaccidentdetravailluiaabîméledos.D’ailleursellenecessedese lemasser.Moi-même, j’aimalpartoutàforcederesterdeboutcommeça,etjenemesuispasprisunepalettedeboîtesdeconservesurlerâbleilyadixans.Celafaitsixheuresqu’onestlà.Ilfaittropchaud,tropsec,etiln’yarienàboireniàmanger.Régulièrement,FrankiechercheWestdu regardet,quandelle le trouve, sesépaulessedétendentun

peu.Il fait son possible pour lui rendre la situation supportable, comme si ça lui épargnait d’avoir à

l’affronterlui-même.Jelesoupçonnedecroireque,précisément,ilfaitface,maisquandilbaisselagardejevoislavérité

sur son visage.Quand son regard se perd au loin et que sonmasque de colère tombe l’espace d’uneseconde–l’espaced’unefractiondeseconde–,jevois.IlsurveilleFrankiequidiscuteavecuncousinplusâgéqu’elle,ettoutessesémotionsaffleurent–son

désirdelaprotéger,sapeur,sonagressivité,sonamour.Sonvisagememanquetellement…Toutcommememanquentcesmatinsoùjemeréveillaisàsescôtésetleregardaisjusqu’àmémoriser

chaquedétail–sescils,lacourbedesabouche,lacicatriceàsonsourcil.Ouencorecessoiréesoùjerévisaissurlecanapéetoùils’installaitparterredevantmoi,unlivresur

lesgenoux,unbraspasséderrièreluietposésurmacuisse,lepoidsdesesdoigtssurmachair.Chaquefoisqu’illisaitquelquechosed’intéressant,iltournaitlatêtepourm’enparler,aveccesourireencoinsilumineux,etmonuniverss’emplissaitdeWest.Soudain jecroisesonregardetne le lâcheplus.C’estmonbesoind’êtreprèsde luiquimemeten

mouvement.C’est laforcemagnétiquedenotreattirance,pluspuissantequejamais,alorsmêmequelapièceetsafamillenousséparent.C’estl’espoirque,peut-être,jevaistrouverlesmotsqui…Uncouplemedevance.LafemmetouchelecoudedeWesttoutenluioffrantsescondoléances.C’est

une superbe brune d’une trentaine d’années aumaquillage impeccable. Je lui envie l’assurance de saposture, lacourbedesapoitrineet sa ravissante robe fuchsiamais, surtout, je luienvie le faitqu’ellepuissetoucherWestalorsquejesuisloindelui.Jedétournelatête.Etmeretrouvenezànezaveclecercueilouvert.Je ne sais pas qui a eu cette idée géniale. Je pensais que le couvercle serait fermé parce que,

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franchement, qui a envie de voir une blessure par balle ? Mais il faut croire que les croque-mortsbouchentlestrousavantderhabillerlescadavrescarlepèredeWestsetrouvelà,sousmesyeux…Illuiressembletellement!Jenesuispasstupide;jesaiscequejevois,maismoncœurselaisseduper,etmoncorpss’emballe,

prisdepanique,ennage,leslarmesauxyeux.Arrêtedeleregarder.LafemmebruneserreWestdanssesbras.Deboutsur lapointedespieds,elleseplaquecontreson

torse.C’estunpeutroppourungestederéconfort.Elleymetégalement leshanches,cequimeparaîtdéplacévulescirconstances.Arrêtedelesregarder.Àquelquespasdelà,unhommediscuteaveclamèredeWest.Ilestplusâgéqu’elle,d’uneélégance

grisonnantedanssoncostumedeluxe.Michelles’estremiseàpleurer,maiscettefoiscesontdeslarmesdiscrètesetdignes.L’hommeluitendunmouchoirtandisqu’àsadroitel’embrassadesepoursuit.Lepliamerde sabouchedoit se refléter surmonvisage.Commemoi, il semble souhaiter que cette étreintemeured’unemortviolente.Ildoitvouloirleurarrachercetinstantpourlejeteràterreetlefouleraupied.Arrêtedelesregarder.Jeretombesurlecercueil.J’étouffeunrotetsensungoûtdevomidansmagorge.Lesjambesencoton,

jevacillesurmestalonsetmeretiensàcequejepeux.Lesatinblancestfraissousmesdoigts.Jemerappelleavoirluunarticleselonlequellesentreprisesdepompesfunèbresfaisaientpayerune

fortune pour des détails de ce genre – un cercueil tapissé de satin, une urne funéraire en marbre oùrecueillirlescendres–,saufqu’onn’amêmepaslechoix.Cen’estpascommesionpouvaitsepointeravecunsacZiplocetdire«Mettez-moitoutçalà-dedans.»Rienn’estdonné.Lagrand-mèredeWestvitdesesmaigresallocationsetdelapensiond’invalidité

que son défunt mari obtenait du syndicat des chemins de fer. Si elle n’était pas déjà pleinementpropriétaire de samaison, elle n’arriverait pas à joindre les deux bouts. De fait,Michelle lui donnerégulièrementdel’argentpourfairesescourses.Michelle«emprunte»environ500dollarsparmoisàWest,parfoisdavantage.Ellen’estpasallée

travaillerdepuis lamortdeWyatt.Toutça– la joliemoquette rosepoudré, lesilencerespectueuxdesemployés, lescompositions floralesdisposéesunpeupartout–, c’estWestqui lepaiede sapoche. Ildépenseunefortunepourfaireembaumerlesalaudquiletabassaitquandilétaitgamin.Jeregardelecadavreunefoisdeplus.WyattLeavittn’estplusqu’unmacchabée.Jel’observejusqu’à

discernerlemaquillage–unpeudemascarasursescils,dufonddeteint,dublush.Cen’estpasWest,justeunconnardquiafaitundondespermeàsamère.Jesuisbiencontentequ’ilsoitmort.L’hommequiparlaitaveclamèredeWestposeunemainsurlecoudedesonépouseetsepenchepour

murmurerquelquechoseàsonoreille.EllesedécideenfinàlâcherWestethochelatêteensouriant.Ilsfontleursadieuxets’éloignent.Westmeregarde,jetteuncoupd’œilaucercueilpuisgrommelle:—Resteavecmamère.Iltournelestalons.Jelemaudis.Je lemaudisdem’avoirmenti,dem’imposercesilencefroidetdem’avoir faitcroirequ’ilyavait

quelqu’und’autre.

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Iln’yavaitque lui,West,coincé làetpersuadéqu’ilnepourrait jamaismeretrouver.Persuadéquenousnepourrionsjamaisêtreheureuxensemble.West,quiavaitdécidétoutseuldanssoncoinqueceseraitmieuxpourmois’ilsedétachaitdemoi.« Elle est comment ? lui ai-je demandé à l’époque. Est-ce qu’elle te fait rire ? Est-ce que tu

l’aimes?»Pasderéponse.J’aipasséunejournéeentièreàruminermafureur,àanalyserlasituation,àenparleretàboire,puisje

suisrevenueàlacharge.«Est-cequesesjambessedérobentsousellequandtul’embrasses?Est-cequ’ellesouritquandtu

labaises?Est-cequ’elledittonprénom?»J’étaisivred’alcooletderage,cesoir-là.Jeluiaicriémajustecolère.Westm’araccrochéaunez.Bridget,mameilleureamie,adûm’arracher le téléphonedesmains tellement je tremblais.Cen’est

quequandelleaessuyémeslarmesquejemesuisrenducomptequejepleurais.Jeleregardes’éloigner,sesépaulesraidesetengoncéesdanssoncostume.Ilmetourneledos.Jelecomprendsmieuxquequiconque.Leproblème,c’estquejen’aipaslamoindreidéedecequeje

vaisfairedelui.Sagrand-mèrevoleàmonsecours.—Vas-y,mesouffle-t-elleenprenantMichelleparlebras.Jemefraieuncheminentrelesrangéesdechaisesalignéespourleservicequidoitdébuterdansune

demi-heure et débouche sur le vestibule, avec ses canapés démodés et ses tableaux aux motifssoigneusement inoffensifs – essentiellement des bergères et des vaches, avec une marine perdue aumilieu.PasdeWestenvue.Iladûsortirpourfumer.Prèsdelaporte,j’aperçoisl’hommequidiscutaitaveclamèredeWesttoutàl’heure.Quandj’arriveà

sahauteur,illance:—VousêtesCaroline,n’est-cepas?—Oui.Ilmetendlamain.—EvanTomlinson.Sivousvoulezbienm’accorderuninstant,j’aimeraisvousparler.Tomlinson.LedocteurTomlinson.Westlesurnomme«ledocteurT.»C’estluiquiafinancélesétudesdeWestàPutnam.—Biensûr.J’entendsclaqueruneportederrièremoi.LebruitvientdusalonfunéraireoùreposelepèredeWest.

Quelqu’un a dû sortir par l’issue de secours, qui se trouve juste derrière le cercueil. Un nouveaugrincementretentit,suivid’unfracasmétallique.—J’aiétésurprisdevoustrouverparminous,déclareledocteurTomlinson.J’avaiscrucomprendre

queWestavaitcoupélespontsavecPutnam.—Ilaessayé.Ilmetlesmainsdanssespochesetm’observeunlongmoment,commes’ilcherchaitquelquechosesur

monvisage.Apparemment,cequ’iltrouveluiconvientcarilreprendlaparole.—Jevaisêtreparfaitementfranc.WestLeavittquipassesesjournéesàréduiredupetitboisensciure,

c’est du gâchis – le gâchis d’une jeune vie et d’une grande intelligence, or on n’a jamais assez

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d’intelligenceencebasmonde.JetentedeleconvaincrederetourneràPutnametjemedisaisquevouspourriezpeut-êtrem’aider.Oui.Jepeuxvousaider.Oh,oui!—Qu’est-cequevousenvisagiez?—En tantqu’ancienélèveetquedonateur régulier, j’ai lapossibilitédeparrainerunétudiantpour

l’obtentiond’unebourseexceptionnelle.C’estuneoffrealléchante,quiinclutnonseulementlesfraisdescolaritémaisaussil’hébergement.Westn’auraitqu’àprouverqu’ilestsérieuxetméritant.S’iln’yaqueça…JeneconnaispersonnequisoitplusméritantqueWest.—PourquoinepasavoirparrainéWestdès ledébutau lieudepayersesdeuxpremièresannéesde

votrepoche?—Parcequec’est toutnouveau. J’ai commencéàdiscuterdeceprojet avec lebureaudesbourses

lorsquej’aienvoyéWestàPutnam.C’estçaquim’enadonnél’idée,etjepensequelefaitquejesoisprêtàfinancersesétudesaconvainculecomitédemoninvestissement.—Jevois.VousenavezparléàWest?—Oui,maisilarefusé.Iln’apasvoulum’expliquerpourquoi.—Quandest-cequevousluiavezposélaquestion?—Lasemainedernière.Justeavantquesonpère…Ilfaitungesteévasifdelamain,commepourdésignerlasituationquinousentoure.…sefassetuer.…seretrouveici.—Est-cequevousavezmentionnésasœurquandvousluiavezproposécettebourse?—Non.—Ilneveutpaslalaissertouteseuleici.—Ilestbeaucouptropjeunepourendosserlaresponsabilitédecettegamine.Je secoue la tête, incapablede luidonner tortou raison.ÉvidemmentqueWest est trop jeune,mais

qu’est-cequeçasignifie,de toutefaçon?Ila l’âgequ’ila. Ilestqui ilest.Çafaitdesannéesqu’ilaendossé la responsabilité deFrankie, et il ne cessera jamaisde s’occuperd’elle, quoi qu’enpense ledocteurTomlinson–oumoi,oun’importequid’autre.—MonsieurTomlinson,je…C’estalorsqueledirecteurdespompesfunèbresentreencoupdevent.Lesjouesrouges,ilrespirela

panique.—OùestMmeLeavitt?—Elleétaitaveclecercueil.—Ellen’yestplus.Est-cequevouspourriezallervérifierqu’ellen’estpasaux toilettes, s’ilvous

plaît?Ilfautabsolumentquejelatrouve.—Pourquoi?Qu’est-cequisepasse?—Ilyaune…unincidentdansleparking.Siquelqu’unpouvaitintervenir…Je sors en courant. Je suis bien placée pour savoir queWest n’a pas peur des incidents. Il a une

fâcheusetendanceàfrapperavantderéfléchir.Quantàmoi,j’aiunefâcheusetendanceàmetrouversurlechemindesescoupsdepoing.J’aperçoisunattroupemententredeuxrangéesdevoitures.Jemefaufilecommejepeuxafindevoirce

quisepasse–saufquejenesuispassûredecomprendrecequejevois.Westse trouveentredeuxhommesqu’ilsépareàboutdebras–sononcleJacketuntypequejene

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connaispas.—Iln’avraimentaucunrespect,putain!hurlesononcle.Iln’aaucuneexcuse,ceconnard!Letypeàquiils’enprendalecrâneraséetl’allured’unmurdebriqueencostard.Jecomprendsde

quiils’agitquandquelqu’unlancelemot«assassin»etqu’ilgrimace.Bo.Plusieurspersonnescrientenmêmetempsdansunconcertd’éclatsdevoix.Frankiesetientenretrait

sansriendire,toutepâle.—Calme-toi,lanceWestàsononcle.JackestlefilsdeJoan,lefrèredupèredeWest.Ilnetravaillepas.J’aientendusafemme,Stephanie,

raconteràLauraqu’aprèsavoircouchélesenfantslaveille,elleavaitpassédeuxheuresàfaireletourdesbarsdansl’espoirdeleretrouveràtempspourqu’ildessoûleavantl’enterrement.S’ilestsobre,c’esttoutrelatif.—Jemecalmeraiquandcetenculéseseratiréd’ici!C’estmonfrèrequ’onenterre,putain!—Ilestvenuserecueillir.—Ildevraitêtreentaule,cefumier!—Ça,c’estàlapoliced’endécider.—IlatuéWyatt,West!Illuiatirédessus,desang-froid!Jen’arrivepasàcroirequetusoisdeson

côté.Çamedégoûtedesavoirquetusquatteschezluietquetutebaladesdanssonpick-up!Delàoùjesuis,jesenslesvapeurséthyliquesdel’haleinedeJack.Jecherchedesyeuxlamèrede

West.Boetellesont lesdeuxpôlesdececonflit, lesdeuxpointsd’un triangledont le troisièmeaétéeffacé.Quand enfin je la trouve, je comprends que la situation risque d’empirerméchamment avant de se

résoudre.Çamerappellelafoisoùj’étaisalléemepromeneravecmonpèrejusteaprèsunorage.Onavaitvuun

poteauélectriquecouchéentraversdelaroute.Lescâblessectionnéscrachaientdesétincellesdanslanuit.C’estçaquem’évoquentlesyeuxdelamèredeWest.Ils’endégagelamêmeénergiesauvage.Ilsuffiraitd’undéclicpourqu’unecatastrophesedéclenche.—Tuasunsacréculotdevenirici,grondeMichelle.Ellerelèvebrusquementlementon,etl’espaced’uninstant,jeremarqueunegranderessemblanceavec

West–danssamâchoire,danslefeudesonregard.—Aprèscequetuasfait?ajoute-t-elled’unevoixdeplusenpluscriarde.Aprèstoutcequetum’as

dit?Toutcequetum’aspromis?Tuviensmedérangerpendantsonenterrement?C’estsonenterrement,bordeldemerde!Tum’asprisWyattetmaintenanttuviensmepriverdeça?Elles’avanceversluiàmesurequesacolèremonte.Botentedesedéfendremaisneparvientpasà

ralentirlafuriequifoncesurlui.Ellelecingled’insultesquis’abattentsurluicommeunepluienoireetfroide.Ilredresselesépaulesetregardeauloin,derrièreelle.Cen’estquequandellefaitminedelegifler

qu’ilposelamainsurelle,maiscegestesuffit.Elleessaiedesedégageretpousseuncridedouleurquand il raffermitsaprise.Uneondedechoc

meurtrièrepassesurlesgensattroupés,malsaineetaussitangiblequ’unevague.Je voudrais faire quelque chose pour éviter que ça ne dérape, mais ne vois personne capable de

m’aider.Lauraesttellementdocileetmalléablequejemedemandecommentellefaitpourtenirdebouttouteseule.J’espéraisqueStephanieempêcheraitsonmaridesecomportercommeungroscon,maissesyeuxbrillentd’excitation.Jevoisbienqu’elleadoreça.Heathern’aaucuneespèced’autorité.Quantauxcousins,jenelesconnaispas.Ledirecteurdespompesfunèbresadisparu.

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MonregardseheurteàceluideWest,quiarticule«Frankie»ensilence.Ça,aumoins,jepeuxlefaire.Jefoncedroitverselle,cequiimpliquedepasserentreWestetBoenmepenchantpouresquiverle

brastendudeWest.—Viens,Frankie.Onvacherchertagrand-mère.EllenequittepasBodesyeux.—Iln’auraitpasdûvenir.—Jesais,mapuce.Allez,viens.Je la prendspar le bras, et elle se blottit contremoi.On retourne à l’intérieur, oùon se lance à la

recherchedeJoan.Aprèsavoirpasséenrevuelasalled’attente,lestoilettesetlesalonfunéraire,onlatrouvedansuneautresallevide,touteseule.Tandisquejelametsaucourant,ellegardelesyeuxrivéssurunecroixilluminéedansunenichedumur.—S’ilvousplaît…Ellecroiseenfinmonregard,etjecomprendsqueriendetoutçaneluiestétranger.Cesgens-làfont

partiedesafamille.Elle lesamisaumonde, lesavusfairedesenfantsà leur tour.Elleaessuyédesdécenniesdecomportementsdecegenre.Alcoolisme,mauvaisesanté,insultes,maltraitance,violence,mort…J’auraisaiméqu’ellepuisseaumoinsenterrersonfilsdansladignité–mêmesic’étaitunbonàrien–,

maisilfautqu’elleintervienne.OnnepeutpaslaisserWestaffronterçatoutseul.—Iln’yapersonned’autrepourl’aider,dis-je.Joanfermelesyeuxetpousseunsoupir.Puiselleselève.Enlavoyantsortir, j’aienviede lasuivre,mais jem’inquiètepourFrankie.Jedoischoisirentre la

protégeretresterauprèsdeWest.Jenepeuxpasfairelesdeux.Çametuedenepassavoircequiluiarrive.—Tuveuxbienresterici,mapuce?Frankiesemordlalèvreetfait«non»delatête.—Jesuiscenséetegarderàl’écartdetoutça,maistonfrère……estlà-bas.…estlaseulechosequicompteàmesyeux.—Tul’aimesvraiment,hein?dit-elle.Jesensleslarmesmemonterauxyeuxetlesrefouleauprixd’uneprofondeinspiration.—Oui.—Çavasijeprometsdenepassortir?Jepeuxrestersurleseuil,commeça,jeverraiquandmême

cequisepasse.—Çamarche.On reprend ladirectionde laporte.Alorsqu’on traverse levestibule,Frankiemeprendsoudain le

coude.—Caroline?—Oui?—Jesuisdésolée.Cestroispetitsmotsrésonnentàmesoreillestandisquejem’éloigne.«Jesuisdésolée.»Commesic’étaitsafaute.J’entendsdessirènesauloin.Est-celedirecteurquiaappelélapolice?Jetrouveçaunpeuexagéré,

commeréaction,jusqu’àcequejemettelepieddehorsetquej’aperçoiveledésastre.

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Je vois un homme en costume qui donne un coup de poing. Une femme qui vacille sur ses talonsaiguilles, pliée endeuxdedouleur. J’entendsun sifflement suraigu, un claquement secde chair contrechair.Jeregardeuninconnudonneruncoupdetêteàunautre.Lesangquijaillitdesonnezestlachosela

plusrépugnantequej’aiejamaisvue.C’estunebagarre.C’estàçaqueressembleunebagarre.C’est le chaos complet – pas une chorégraphie bienordonnée commedans les films–, et j’ai beau

chercherWest,jeneletrouvepas.Jen’arrivemêmepasàfranchirlepremierrangdecorpsenchevêtrés.Iln’yapourtantpasdescentainesdepersonnesdansceparking.Ondoitêtrevingt,vingt-cinq toutauplus.Jedevraispouvoirmefrayerunchemin.Jefaisunenouvelletentative,maismoninstinctdesurvieestbientropdéveloppé.Chaquefoisqu’un

coudeouqu’unpoingfusedansmadirection,jerecule.Brusquementlamêlées’écarte,etj’aperçoisBoetlamèredeWest.Postéderrièreelle,illatientdans

sesbraspourlamaîtriser.Ellesedébatcommeunbeaudiableenhurlantdesobscénités.Ondiraitunefollefurieuse,avecsescheveuxdanstouslessens,savoixérailléeetsesjouessillonnéesdelarmesaumascara.Jejetteuncoupd’œilderrièremoi.Frankiesetientsurlepasdelaporte,commeellemel’apromis.

Elleassisteàtoutça.Moiaussi,jesuisdésolée,Frankie.BoessaiedesortirMichelledelamêlée.Jemerendscomptequec’estgrâceàlagrand-mèredeWest

que la troupe de furieux s’est écartée pour les laisser passer. C’est son sifflement à elle qui retentitrégulièrementpar-dessuslevacarme.Pendantcetemps,WestépargneàBodesefairelyncher.Ilrepoussequelqu’un,lanceuncoupàunautre.Unpoinglepercuteauvisage.Satêtepartenarrièresouslechoc.Jem’élanceverslui.Jefoncevers

Westtandisquelecielsemetàsaignerrougeetbleuausondessirènes.UnpolicieraplaquéWestcontrelecapotd’unevoiture,jambesécartées.Ilalefrontécrasécontrela

carrosserie.Savestes’estdéchiréedanssondosetlaissevoirleblancdesachemise.—Excusez-moi,dis-jeensaisissantlebrasd’unefemmeenuniforme.Excusez-moi!Ellesedégagesanscesserdeparlerdanssaradio.Jem’approcheduvéhiculedansl’espoird’attirer

l’attentiondel’agentquis’occupedeWest.—Vousallez l’arrêter?Mais…etsesdroits?Iln’arienfaitdemal.Cen’étaitpassafaute. Ilest

innocent,jevousdis!Pourquoivousnem’écoutezpas?Je…—Caro!aboieWest.Il a l’air franchementmauvais, avec le gros hématomequi enfle sa pommette, l’archétypemêmedu

voyou que les flics pensent avoir coincé. Un gros plouc violent qui déclenche une bagarre à unenterrement.—Arrête,Caro.Laisse-lesfaireleurtravail.—Maiscen’étaitpastafaute!—Ilsvontbienfinirpars’enrendrecompte,maispourça,ilfaudraitquetuleurfouteslapaixcinq

minutes.Quanduntroisièmepoliciervientmeprendrepar lebraspourm’entraînerà l’écart, jememords la

langue.JevaisrejoindreJoan,adosséeaumurdespompesfunèbres.—Jen’ycroispas!Ilessayaitdecalmerlejeu!—S’ilnes’énervepas,ilnedevraitrienluiarriver,ditJoan.Toutvabien.

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—Non,toutnevapasbien.Jereposelatêtecontrelerevêtementenplastiquedubâtimentettentederespirer.LamèredeWestestassiseà l’arrièred’unevoituredepolice, impassibleetsilencieuse, jusqu’àce

qu’elleseremettesoudainàhurlerdesavoixcomplètementcassée.—Sonenterrement,putain!C’estsonenterrement,filsdepute!Bo estmenotté, direction le commissariat.L’oncle Jack part pour l’hôpital avec un nez cassé, et le

reste de la famille se disperse. Je ne sais pas qui va au poste ou à l’hôpital. Ils en ont peut-être toutsimplementassez.Westestrelâchéetlivresaversiondesfaitsàcôtéduvéhicule,troploindemoipourquej’entendece

qu’ildit.Unagentvientmeposerquelquesquestions,etjeluiexpliquecequej’aivu.Çameprendbeaucoup

pluslongtempsquejen’auraiscru.Quandenfinj’arriveauboutdemonrécit,Westadisparu.Leparkingestpresquevide.Ledirecteurdespompesfunèbress’approchedoucementdemoi.—Sivousvoulezbienmesuivre,mademoiselle.Jenevoispaspourquoijerefuserais.Mespiedssemettentmachinalementenmouvement.Jesensque

j’ailevisagetoutcrispé.Jecroisquesuisencoreunpeusouslechoc.Ledirecteurmeconduit jusqu’ausalonfunéraire.Unpetitgroupese tientdevant lecercueil–West,

Joan,FrankieetlesTomlinson.Ilfautcroirequec’esttoutcequ’ilreste.Jem’arrêteàcôtédeWest,etledirecteurvaseplacerderrièreunlutrin.JemepencheversWest.—Qu’est-cequisepasse?—Lacérémonievadébuter.—Quoi?Maintenant?Ilmeprendlamainetlaserredetoutessesforcesavantdemerelâcher.Jecomprendstrèsvitequeleprogrammedelajournéeaétésérieusementécourté.Nousavonsdroità

unbrefdiscours,puisonnousdemandedepasserderrière lacloisonamoviblequi sépare lapièceendeuxpendantquelesemployésrefermentlecercueil.Les Tomlinson commencent à se disputer à mi-voix dans un coin. J’ai comme l’impression que le

docteurT.veutpartiralorsquesafemmesouhaiterester.Jenevoispasdutoutcequilaretientici.Frankieestblottiedansunfauteuil,lesgenouxremontéscontrelapoitrine.Westestassisàcôtéd’elle.

Il paraît absent. La colère qui l’animait a cédé la place à cette expression vide et impassible que jeconnais bien. C’est le masque derrière lequel il se cachait à Putnam, à l’époque où l’on refusaitd’admettrenossentimentsl’unpourl’autre.«Jen’attendsriendepersonne.»Voilàcequeditlemasque.En le voyant comme ça, j’ai envie de lui livrer le monde sur un plateau d’argent, de lui offrir

absolumenttoutcequ’ilpourraitdésirer.Jeveuxluiprésentermesexcusespourlemauvaistourqueluiajouélesort,etpourladifférenceentre

sonuniversetlemien,parcequeWestestunhommeformidablecoincédansuneviedemerde.Lepire,c’estqueriennes’arrangerapourluis’ildécidederesterici,sousl’influencedesamère,et

d’endosserlaresponsabilitédefairerégnerl’ordredanssafamille.Jenepeuxpasluttercontreça.Auboutd’unmoment,lesemployésfontcoulisserlacloisonetpoussentlecercueil,placésurunesorte

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detableroulante,jusqu’aucorbillardquivaleconduireaucimetière,enhautdelacollinevoisine.Là,Westdemeureimpassiblejusqu’àcequ’onnousinviteàjeterdesfleursoudespoignéesdeterre

surlecercueil.Alorsils’avance,vachercherunepelleappuyéecontreuncamionetlaplantedansletasdeterremeubleamasséeaupieddelatombe.Unepelletée,unedeuxième,puisuneautre…Trèsvitelaterrecessedeglisserdechaquecôtéducercueiletcommenceàlerecouvrir.Cen’est évidemmentpas commeçaque les choses sepassentd’habitude,maispersonnene semble

enclinà interrompreWest. JoanentraîneFrankieà l’intérieur.MmeTomlinson leuremboîte lepas.LedocteurT.n’estpasvenuaucimetière.Ilne resteplusqueWestetmoi, ainsique ledirecteurdespompes funèbres,quime jetteun regard

suppliant.Jehausselesépaules.Wests’acharnesursapelle.Ilalesyeuxbrillants,lesjouesrouges.Ledirecteurreprendlechemindesespompesfunèbres.Jecommenceàmedemandercombiendetempsçaprend,deremplirunetombe.Ilesthorsdequestion

quejelaisseWesticitoutseul.Jeremarqueuneautrepelleàl’arrièreducamion,alorsjevaislachercheravantderetourneràcôtédu

tasdeterre.Westrelèvelatête.Onseregardependantdelonguessecondes.Cen’estpasdelatendressequipasseentrenousencetinstant.Cesontdeuxvolontésquis’affrontent.C’estWest quimedit : «Ne temêle pas de ça, putain ! », etmoi qui réponds : «Essaie dem’en

empêcher,pourvoir.»Westquirétorque:«Jeneveuxpastevoirici.Tun’asrienàfaireàSilt.Jen’aipasbesoindetoi.»Moiquihurle:«Tunesaismêmepasdequoituasbesoin!Arrêtedefairetatêtedemuleetaccepte

cequej’essaiedetedonner.Acceptemonaide!»Toutcequejeveux,c’est lâchercettefichuepelleetallermeplanterdevant lui.Jeveuxleprendre

dansmesbrasetmeserrercontrelui,collermesseinscontresontorse,l’embrasserjusqu’àcequ’iln’aitplusd’autrechoixquedemerendremonbaiser.Jeveuxqu’ilm’embrassecommeavant–enunbouquetd’étincelles si vite enflammées qu’on ne prenait pas toujours le temps de se déshabiller entièrement,qu’onarrivaitàpeineàdéfaireunebraguetteetàécarteruneculotte,justeassezpourquenoscorpsseretrouvent.J’aimal tellement j’ai envie de ça. Je crève d’envie que l’on se perde de nouveau l’un en l’autre,

qu’onrenoueaveccettejoie.Etpourtant,jecomprendsquecen’estpascequ’ilattenddemoi.Jeretiremesescarpins,plantemapelledetoutesmesforcesetlasoulèvepourl’amenerau-dessusde

laboîteluisanteoùlepèredeWestvapourrir.J’éprouveunmalinplaisirenentendantlechocsourddelaterrecontrelecercueil.Mesgestessontmaladroits,etjerépandsdelaterreunpeupartout,ycomprissurmespieds.Aubout

decinqminutes, j’ai lesorteils toutnoirset ledosenfeu.Auboutdedix, j’aidesampoulesauxdeuxmains.Westestgracieuxetefficace,lui.Sapellefendl’airavecunsifflementmélodieux.Etpourtant,malgrésesefforts,remplirunetombeprenddutemps.Mesampouleséclatentetsuintent.Jenem’arrêtepas.Lesoleildisparaîtderrièrel’horizon.Unefoisqu’onaterminé,Westmeprendmapelledesmainspourallerlareposeràl’arrièreducamion

enmêmetempsquelasienne.Puisilseposteàcôtédelasépulture,lesbrasballants.

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Ondiraitunpetitgarçon.C’esttellementfrappantquejecomprendssoudain,defaçonviscérale,qu’ilaunjourétéaussijeunequeFrankie–unpetitgarçonquivoulaitsonpapamaisquin’aécopéqued’unlot de déceptions.Un petit garçon que son père a frappé,maltraité, abandonné, puis à qui on a dit etrépétéqu’ilnefallaitpass’appesantirsurlepassé,qu’ilfallaitoublier.Samère,sagrand-mère,safamilletoutentière–tousluiontdemandéd’accorderunedernièrechance

àsonpère,puisencoreuneautre.Peut-êtreque,cettefois,ceseraitdifférent.Peut-êtrequeWyattavaitvraimentchangé.Peut-êtrequelavieétaitdevenuejusteetgénéreuse,quelebonheurserévélaitpossibleettoutproche.Saufquelavien’estpasjuste–pasenversWest,entoutcas.Jenesaispascommentilfaitpoursurvivreici.Jenesaispascommentilfaitpournepasselaisserécraser.Moi,j’étoufferienquedelevoircoincé

ici.Cetendroitestmagnifique,avecces routesquiserpentententre lescollines,ces forêts luxuriantes,l’océan…Cen’estpasjustequ’unlieuaussibeausemontreaussicruelenversl’hommequej’aime.SiWestresteici,ilvafinirparencrever.Jem’approchedoucementlelongdelatombe,jusqu’àsentirlachaleurquiémanedesonbras.Jeletoucheenfin,poselamainsursonépaule.—West.Ceneseraitpasjustedeluidemanderquoiquecesoitencetinstant,maisprécisément,toutcequeje

veux,c’estqu’ilsereposesurmoi.Jeneveuxrienluiprendre;jeveuxluidonnerunmomentderépit,deréconfort,d’oubli.Jeveuxluifairedondequelquechose.J’aiessayéde le laisser tranquille,denepas réveillerdessentimentsqui risqueraientde l’ébranler

alorsqu’ilcrouledéjàsouslesresponsabilités,maisjen’ytiensplus.Jen’arrivepasàcroirequecesoitmieuxcommeça,quecesoitmieuxpourWestd’êtreprivédeladouceurquej’aiàluioffrir,ouquecesoitmieuxpourmoideresterplantéeàunmètredelui,àmedirequejen’aipasledroitdem’approcher,niaujourd’hui,nidemain–peut-êtremêmejamais.Enquoiest-cequeçapeutêtremieux?Etmieuxpourqui?Paspourmoi,entoutcas.NipourWest.CertainementpaspourWest.Jevaismeposterfaceàluietpasselesmainsautourdesataille.Jeposelajouecontresontorseet

senslahouledesonsouffle.—Situasenviedemoi,dis-je.Sansconséquences,sansrien…Simplement…Situveuxoubliertout

çapendantuneheure…Toutcequetuveux,West.Jeleserrecontremoi.Ilestbeaucoupplusdurqu’avant.Ils’estblindécontrelemonde.Jeveuxqu’il

sachequejevoiscettearmure,quejecomprendspourquoiillaporteetque,s’ilveutl’enleverl’espaced’uninstant,avecmoi,ilpeut.Jel’aime.Jel’aimetellementquej’enaimal,etc’estlàtoutcequej’aiàluidonner.Alorsjel’étreinsdetoutes

mesforces,jusqu’àcequ’ilcède.Ilvientpesercontremoi.Pasdetoutsonpoids,justeunpeu.Unemincefissuredanslemurblancet

videdesondéni.Jesenssamainremonterdansmondosetserefermersurmanuque.Satêtes’appuiecontrelamienne,

ildoitsentirmonsoufflesaccadé.—Caro,murmure-t-ildansmescheveux.C’est la première fois depuis que je suis arrivée qu’il prononcemon nom comme avant, comme si

c’étaitquelquechosedeprécieux.Commesij’étaisprécieuse,moi.

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—JepourraisvenirterejoindrechezBo,ouonpourraitprendreunechambredansunmotel.Dis-moidequoituasbesoin.Quandjerelèvelatête,ilalespaupièresfermées,alorsjel’embrasse.Je dépose un baiser sur sa bouche, puis juste au coin, puis au bord de l’hématome qui enfle sa

pommette.Ceslèvressidouces,cescilssilongs.Cegarçonquej’aimetellement.Jel’embrassedanslecou,souslamâchoire,etpassemalanguesursapeaupourgoûtersasueursalée,

sasaveur,etsoudainsesmainssontsurmoi.Ilmesoulèvelementonetmerendmonbaiser.Ilnes’agitpasdetendresretrouvailles,maisplutôtd’unsautdel’ange–unplongeonvertigineuxau

cœurd’undésiraveugleettorride.Salangue,sacolère,sasaveur,sachaleur,seslèvressurlesmiennes,sesmainsquimeguidentetquim’offrenttoutça…Westtoutentier…Jemelaissesubmerger.IvredeWest,étourdiedepossibles,jeluidisquetoutvabiensepasser,moinsparcequej’ycroisque

parcequej’enaienvie.—Onvas’ensortir,West.Etc’estcommeçaque,d’uneseulephrase,jedétruistout.Unepetitephrase,etWestreculeenécartant

lesmains.Quandilrouvrelesyeux,j’yvoismonerreur.Cequi,pourmoi,étaituneexpressiond’espoirvientde

luirappelerqu’ilnepeutprétendreàriendetoutcequ’ildésire.—Iln’yapasde«on»quitienne,Caro,grommelle-t-ilens’essuyantlespaumessurlescuisses.Je

n’aipasbesoindetoi.Jecomprendsparfaitementcequ’ilestentraindefaire.C’estévident.Il en est conscient, lui aussi.C’est obligé.Cequ’il vientdedéclarer est trop ridiculepourqu’il le

croieréellement.J’ailesoufflecourt,leslèvreshumidesetgonflées.Jevibredelatêteauxpieds.PuisWestdit:—Ilesttempsqueturentrescheztoi.Çafaitmal.Çafaitatrocementmal.Etpourtant,jenesuispasdupe.J’aiaccueilliWestdansmoncorps.J’aisouventsondésonregardà

l’instantmêmeoùilentraitenmoi.Jesaisàquoiilressemblequandilaenviedemoi.Jesaisidentifiersasouffranceàsafaçondem’embrasser–sonbesoinviscéraldesombrerdansl’oubli,danslatorpeurdélicieusedenosdeuxcorpsréunis,danscesilencetranquilleoùonpeutenfinseparler,oùilpourraitenfinmelivrertoutcequiluipèse.Je comprends mieux que personne le langage de West quand il se refuse à admettre ce dont il a

tellementbesoin.Alorsjelelaissepartir.Jesuisdesyeuxsondoslargequirétrécitàmesurequ’ildescendlacolline.Je

leregarderetirersavestedéchiréeetlajeterdanslapoubelleaucoindespompesfunèbres.Ildisparaît.Jememetsàcompterlessecondes.Jeluiaccordedixminutes.Puis,jemelanceàsasuite.Ilrègneunsilenceétouffantàl’intérieurdubâtiment,unpeucommedanslecabinetd’unmédecinou

commedansunechapelle–touscesendroitsoùnuln’estcensés’amuser.Cesendroitsensuspens.Laportedusalonfunéraireestouverte,maisiln’yapluspersonne,pasplusquedanslevestibuleou

danslasalled’attente.

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Jemedirigeversleparking.Lesoleils’estcouché,etmêmes’ilfaitencoreassezclairpouryvoir,lecrépuscules’installe.Jesuisfatiguée.J’aienvied’unedouchechaudeetd’unbonlitdouillet.JevaisconvaincreWestdeme

ramenerchezBo.Tantpiss’ilrefusedemetoucher,j’enaimarrededormirsurlamoquettedépareilléed’ungrenierpoussiéreuxquimefaitéternuer.Jen’aiaucuneintentiondemeréveilleravecdesyeuxdelapinalbinos.JenevoispaslavoituredeJoan.ElleadûemmenerFrankie.Jetrouvelepick-updeBo,quin’estpasverrouillé.JemontededanspuisenvoieuntextoàWestpour

luidemanderoùilest,avantderegardermesmails.Jemesensseule.J’envoieunmessageàmonpère.

Justeunpetitmotpourtedirequejevaisbien.

Plusquejamais,jemerendscomptedelachancequej’ai.CesquelquesjoursaucontactdelafamilledeWestm’ont rappelé à quel pointma vie àmoi a été formidable.Certes j’ai perdumamère quandj’étaispetite,maisjustement,j’étaistropjeunepourengarderdevraissouvenirs.Cedontjemesouvienstrèsbien,enrevanche,c’estquemonpèreatoujoursétéprésentpourmesdeuxsœursetmoi.C’estunvieuxgrincheuxquicroitqu’ilpeuttoutcommander,maisaufond,jesaisqu’ilveutcequ’ilyademieuxpourmoi.J’ai toujourssuque jepouvaiscomptersur lui,et lespetitsdifférendsquinousopposentnesontprécisémentriendeplusquedepetitesdifférences.Jeluienvoieunautremessage.

Jesuistellementheureusedet’avoir!Jet’aime,papa.

J’attendsuneminuteenobservantmonécran,maismonpèrenerépondpas–pasplusqueWest.Je repose la tête contre le dossier et ferme les yeux. J’espère que West va revenir avant que la

température tombe.Mêmeenété, lesnuitssont froidesdans l’Oregon.C’estàcausedesmontagnes, jecrois.Westsauraitsûrementm’expliquer,sijeluidemandais.Jesorsmesécouteursdemonsacetpasseenboucleunechansonquej’aimebien,toutdoucement.Lesommeilmegagnepeuàpeu,ens’invitantdanslamélodiepourmebercer.Unbruitmatmeréveilleensursaut.Lamaincrispéesurmontéléphone,jeregardeau-dehorsmaisne

voisrien.Ilfaitnuitnoire.Nullampadairen’éclairelepetitparking.J’entendsunéclatderire.Unevoixdefemme,graveetintime.Unnouveauchocsourdfaittremblerlepick-up–uncorpsbrutalementplaquécontrelacarrosserie.Un léger couinement contre une vitre. Je tourne la tête jusqu’à apercevoir un mouvement lent par

l’étroitefenêtreàl’arrièredelacabine.Uneombreauxcontoursémoussés.Jemerendscomptequec’estlachevelured’unefemmequandcettedernièredit:—Ici,personnenenousverra.Unnuagedecheveuxnoirs,etledoséchancréd’unerobequiseraitfuchsiasilalumièrelepermettait.

C’estlafemmequiaserréWestdanssesbraspendantuneéternitédevantlecercueil.MmeTomlinson.J’entendslavoixdeWest.—Tâched’êtrediscrète.—Tusaisbienquej’ensuisincapable.—Tupréfèresavoirlabouchepleine,peut-être?

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Ellerit.—Tourne-toi,lance-t-il.Unclaquementretentitcontrelavitre–l’alliancedeMmeTomlinson.C’est ledétailqui change tout,quimeprouvequec’estbien réel.Ça, et lablancheurde sesdents.

Prisedevertige,jefermelesyeux.C’estencorepire.Pendantdelonguesminutesjetombe,prisonnièred’unebulletemporelle,engluéedansunerépulsion

férocequ’onm’auraitverséesurlatêtecommeunseaudedégoût,unrefusviscéral.Non.Cen’estpaspossible.L’alliancecognecontrelavitredenouveau.—Oh,oui!Oh,cettebouche!Çam’avaitmanqué!Jen’entendspascequeditWest.Jenelevoispas.Etpourcause:ilestagenouillé,levisageentrelescuissesdeMmeTomlinson.Jedétournelatêteetclignedespaupièresdanslenoir.Quand j’avais trois ans, je suis tombée dans un lac en plein hiver.Mon père nous avait emmenées

donneràmangerauxcanardsauboutd’unponton,etilasuffid’uneseconded’inattention.Jemerappelleavoirreculébrusquementparcequequelquechosem’avaitfaitpeur.Jemesouviensdemasurprisequandj’aiperdul’équilibre.Une fois que j’ai été dans l’eau, ma peur a disparu. Happée par ce froid absolu, j’ai accepté

l’inévitable.Là,c’estpareil.Jesaiscequiestentraindesepasser.Jesuisconscientedemacolère.Jesensmes

mainstrembleretlanauséemeprendreàlagorge.Pourtantriendetoutçan’ad’importance,pasplusquelespleurspaniquésdemessœurs,déformésparl’eaudulac.Jesuisgelée.Figée.Jesombre.Jedérive,immobile,ausondescrisdeplusenplusstridentsdeMmeTomlinson.Onpourraitcomparernosexpériencesrespectives,elleetmoi.Est-cequ’ilvousafaitcetruc,là,avecsalangue?Ah,iladûmettrelesdoigtsenciseaux.Çamerendfolle,àtouslescoups.Combiendefoisest-cequevousavezfaitça?Çaacommencéquandiltravaillaitaugolfavecvotre

mari?Ilavaitquelâge,àl’époque?Dequellesautresfaçonsvousêtes-vousserviedelui?Parceque,là,c’estluiquisesertdevous.Cespenséesnesontpaslesmiennes.Cedétachementironiquen’estqu’unedéfenseillusoire,ungarde-foufanfaron.Monvraimoiestpris

dansuntourbillonderage,dehonteetdedouleursiviolentquejenepeuxmêmeplusl’approcher.Jedoismelaissercouler,m’abandonneràl’eauglaciale.Je pousse un grognement agacé quand mon téléphone vibre dans ma main. Un bref coup d’œil

m’apprendquej’aireçudenouveauxmessagesdelapartdemonpèreetdeWest.Jesuisencoreavecledirecteur.Onrèglelesderniersdétails.

Sionétaitàl’intérieurdespompesfunèbres,jeseraisobligéederessentirquelquechose.C’estàçaquesertcegenred’endroit–àexprimersapeineentrequatremurspourmieuxlalaisserderrièresoi.

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Ici,enrevanche,assisesurlesiègedupick-up,plongéedanslefroidtandisquel’odeurdutabaccouledansmesveines,jesuisàl’abridetoutressenti.Jesuisensuspenspourl’instant.JelislesmessagesdemonpèrependantqueWestfaitjouirMmeTomlinson.

Moiaussi,jet’aime,C.Tuasuneidéedequandturentres?

Untroisièmetextoarrivealors.Tiens-moiaucourant.Jeviendraitechercheràl’aéroport.

Ellefaitunraffutpaspossible.Jecroyaisqu’iln’yavaitquedanslesfilmsqu’onhurlaitcommeça.On dirait une scène tirée d’une parodie. Je suis coincée dans un pitoyable navet et je ne peux pas

mettrela«pause».J’entends le gravier crisser. C’est West qui se relève. Il voit sûrement l’intérieur de l’habitacle

illuminéparl’écrandemontéléphone.Elleaussi,elledoitlevoir,maintenantqu’ellearouvertlesyeux.Lessonsqu’ilsémettentontcertainementdusens.Jesuiscenséeenavoirquelquechoseàfaire.JesuiscenséedirequelquechosequandWestouvrelaportièreetmeregardesansavoirl’airsurpris.Ilmetoiseavecuneespècedefiertébrûlante.L’arcarrogantdesessourcilsmeprouvequ’ilsavait.Ilsavaitparfaitementcequ’ilfaisait.Jemetais,mêmequandilm’appelle.—Caroline…Cen’estpassouventqu’ilprononcemonprénomenentier.Jemetais,mêmequandilposeunemainsurmonépauleetmesecoue.—Disquelquechose,putain!Derrièrelui,MmeTomlinsonmurmuresuruntonapaisant:—West,West…Jesombre,etriennem’obligeàluiparler.Riennem’obligeàfairequoiquecesoit.Ilmereconduitàl’aéroportlelendemainmatin.Laroutemontepuisredescend.Onfranchitlescollinessansunmot.Ce n’est qu’en voyant un panneau indiquant que nous sommes à trente kilomètres d’Eugene que je

commenceàmedirequeçayest.Cettefois,c’estfini.QuandWest estparti, l’andernier, je l’ai accompagnéà l’aéroport sans savoir si je le reverraisun

jour.C’étaithorrible,maispasautantquecetrajetsilencieux.Cequejen’avaispascomprisalors,c’estquetoutétaitencoreourléd’espoir.J’ignoraissijereverraisWestmaisj’avaisledroitd’espérer.J’ignoraiss’ilremettraitlespiedsàPutnamunjourmaisjesavaisqu’ill’espérait,luiaussi.Onespéraitresteramis–etpouvoirredevenirplusqueça.C’est la lentemort de tout espoir – l’asphyxie de tout avenir – qui est si dure à encaisser. Ça ne

m’étonnepasqueWestaitcraqué.Çanem’étonneplusqu’ilsesoitinventéunenouvellecopine–unprétextepourneplusm’appeler.Il

voulaitmedonneruneraisondeneplusattendreàcôtédemontéléphone.C’étaitduretçafaisaitmal.

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Maispasautantqueça.Cequ’ontraverseaujourd’hui,c’estledésertdecendresquisuitl’éruptiond’unvolcan.Toutestbrûlé,

décimé ; l’air empeste le soufre, et le ciel est noirci. Il n’y a plus rien dans cette voiture qui puissenourrirlemoindreespoir.Westatoutravagé,etill’afaitexprès.Jefinisparromprelesilence.—Jesaistrèsbienàquoitujoues.Ilcrispelesmainssurlevolant.—Situasquelquechoseàmedire,Caro,dis-le.—Tuespèresquejevaistecrierdessus.Çatefaciliteraitlavie,hein,sitonderniersouvenirdemoi,

c’étaitça?Tupourrais tecontenterde te rappelercesdernièresminutes,etça t’épargneraitdedevoirrepenseràtoutlereste.Ilsetait.Moi,enrevanche,jemesuisasseztuecommeça.Jen’aijamaisétédugenreàgarderlesilencebienlongtemps,etmesmésaventuresdel’annéeécoulée

m’ontconvaincuedel’importancedenesurtoutpaslafermer.Encetinstant,j’aimeraisavoirunmicro,deshaut-parleursetdesmilliersdegensdanslepublic.J’aimeraisquelemondeentierm’entende.—Jet’aime.C’estlatoutepremièrechosequejeveuxdireàWestLeavitt.Jel’entendssursauter,surpris.—C’estparcequejet’aimequejesuisvenueetquej’aifaittoutmonpossiblepourt’aider.Jeveux

que tusachesque jen’aurais reculédevant rienpoursauvernotrehistoire. Jenem’enétaispas renducomptejusque-làmais,maintenant,j’aicompris.Situm’avaisdemandédeprendreuneannéesabbatique,devenirhabitericiletempsdet’aideràmettretasœursurledroitchemin,jel’auraisfait.Situm’avaisditquetuvoulaislaprendreencharge,quetuvoulaisqu’onl’élèveensemble,toietmoi,dansunemaisonloindetamère,j’auraisrépondu:«OK,c’estparti»,mêmesiçamefoutlatrouille.Pourtoi,jel’auraisfait,West.Depuisledébutjet’aitoujoursdit«oui»,etj’auraiscontinuéparcequetuenvalaislapeine.Cequejeressentaisquandj’étaisavectoi…Tonintelligenceettoncœur…Toi…Toutça,çaenvalaitlapeine.Ilgardelesyeuxrivéssurlaroute,alorsjel’imite,saufqu’iln’yarienàvoir.—Regarde-moi,dis-je.Ilrefuse.—Regarde-moi,West.Tumedoisbiença.Ilralentit,metleclignotantets’arrêtesurlebas-côté,puiscoupelemoteur.Ilsetourneversmoi,etc’estencorepire.—TudoisquitterSilt,West.Emmènetasœuravectoi.Jesaisbienqu’ilesthorsdequestionquetula

laisses ici touteseule,mais tire-toide là.Tuneseras jamaisheureuxsi turestes.Tun’aspas lemoded’emploi.Sonregardseperdauloin,endirectiondesmontagnes.—Tum’asdit,unjouroùj’avaisbesoindel’entendre,quejen’avaisrienfaitdemal.Aujourd’hui,

c’estàmontour.C’estàmoidetedirequecequetuasfait,c’étaitmal.Tonpetitspectacled’hiersoir?Parcequec’estdeçaqu’ils’agissait.Jenevaispasfairesemblantdecroirequec’étaitquelquechosedonttuavaisréellementenvie,quetut’eslaisséemporterpartondésiroudegoberd’autresmensongesdumêmegenre.Lavérité,c’estquetuavaiscalculétoncoup.C’étaitdégueulasseetodieuxdetapart,mais je sais trèsbienpourquoi tuas fait ça,West.Ehbien,demêmeque j’avaisbesoind’entendre, à

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l’époque,quejen’avaisrienfaitdemalavecNate,quejen’avaisrienàmereprocheralorsmêmequej’entendaisdescentainesdeconnardsvirtuelsmecrierdesinsultesàlongueurdejournée…Westmejetteuncoupd’œilchoqué.—Quoi?Jenetel’avaispasdit?Ehoui,West.J’entendaisdesvoixdansmatête,jenedormaisplus,

jenevivaisplus.La totale.Etc’est toiquim’as tiréede là.C’estgrâceà toique jem’ensuissortie,West.—Non,tut’enessortietouteseule.—Jesaisbien.Toutesttoujoursgrâceàsoi-mêmeouàcausedesoi-même,etonnepeuts’enprendre

qu’à soi-même,mais parfois, si on se secoue, c’est uniquement parce qu’on a une bonne raison de lefaire, etma raison, c’était toi,West.Tum’asdit que je n’avais rien àme reprocher, que je n’étais niabîméenisalie,etjet’aicru.Tuastoutchangé.Jemetordslesmains.Jenedevraispeut-êtrepasluidéballertoutça.Jenesuismêmepassûred’avoirsurluilegenred’influencesalvatricequ’ilaeuesurmoi.—Cen’estpeut-êtrepasdemabouchequetuasbesoind’entendreça,mais…Unavionpasseàbassealtitudedevantnous.IlvasansdouteseposeràEugene.Jerelèvelesyeuxet

sondelevisagedeWest.—…Mais jecroisbienêtre laseulepersonnequiose teparler franchement,alorsvoilà.Tonpère

étaitunconnard,etlerestedetafamille…Jesaisbienquepersonnen’aimeentendrediredumaldesafamillemais,West,tudoisbienterendrecomptequecesgensn’arrêterontjamaisdetepompertoutcequ’ilspeuvent.Tuespèrespeut-êtrequ’unjourtupourrasregardertamère,tasœurettagrand-mère,ettedire«c’estbon,ellesvontbien,jepeuxallervivremaviecommebonmesemble»,maisçan’arriverajamais – pas plus que je n’arriverai à faire disparaître mes photos d’Internet. N’attends pas que leschosessetassentd’elles-mêmes,ceseraitunepertedetemps.Ilfautquetutrouvesunmoyendetesortirdecettesituation,parcequ’ellenevapass’arranger.C’estàtoidetebâtirl’existencequetuveux.Sinontun’auraspasdeviedutout,etça…Jen’imagineriendepirequeça.Ilémetundrôledebruitdegorge.Jen’aiaucuneidéedecequeçasignifie–decequeWestressent–,

maisc’estmadernièrechance,alorsjenevaispasmepriverdeluidiresesquatrevérités.C’estluiquim’aapprisàallerdroitaubut,àfoncerdansletas.C’estuneleçonquejenesuispasprèsd’oublier.—Tuveuxsavoircequim’afaitpleurercommeuneconnehiersoir,mêmeaprèscequetum’asfait?

J’aibeauêtreencolèrecontretoi;j’aibeauavoirlagerbechaquefoisquejeregardetaboucheetquejerepenseàcequej’aidûentendre–àcequetum’asforcéeàécouter–,cequimefaitleplusmal,c’estdemedirequejevaisremonterdansmonavionetquetoi,tuvasretourneràSiltpourycreveràpetitfeu,jouraprèsjour.Jem’essuielesjoues.J’aidumascarapleinlesmains.C’estundésastre.—Tuterendscompteàquelpointc’esttordu?Moncœurquisetraîneàtespieds?—Jenecomprendspas,répondWest.Jenecomprendspascommenttupeux…—Parcequejet’aime!OK?Mêmesi jem’enpasseraisbien,figure-toi.Ilyadeschosesquifont

tellementmal…Jemedisqu’onnedevraitpasavoiràlessubir,saufqu’onn’apaslechoix.Ilyadessentimentsquisonttellementodieux,tellementmalsains,queçanedevraitmêmepasêtrepossibledeleséprouver.Etpourtant,ilssontbienlà.Jet’aimetoujoursetjesaisquejenetereverraiplusjamais.C’esttoiquinousasfaitça.Cen’estpas lafautede tonpèrenide tafamille ;c’est la tienne.Alorsoui, jepourraistefrapperettepourrird’insultes–j’enconnaisdebelles.Jepourraist’expliquercombienj’aimal.Jepourraisaussidescendredevoiture,claquerlaportièreetfairedustopjusqu’àl’aéroportparceque,putaindemerde,West,tufaischier!Commentest-cequetuaspumefaireuntrucpareil?Hein?Il croise lesmains derrière la tête, pose le front contre le volant et se cache le visage de ses bras

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repliés.—En revanche, il y a une chose que je ne pourrais jamais faire : te laisser croire que je n’ai pas

compristonpetitjeu,outelaissercroirequejenetiensplusàtoi.Jeleregardeunefoisdeplus.Satêtebasseetsesépaules,sontorsesoulignéparuntee-shirtbleu,ses

longuesjambesbronzéesquidépassentdesonshort.Onesttellementdifférentsdecequ’onétaitquandons’estrencontrés!Perdusdanslanature.Impossibledefairemarchearrière.—Nefouspastavieenl’air,West.Tun’enauraspasd’autre.Effondrésurlevolant,ilremetlemoteurenmarche.Jel’entendsrespireràgrandesgouléesdouloureuses.Ils’écoulecinqbonnesminutesavantqu’ilseressaisisse.Quantàmoi,jesuiscalmemaintenantquej’aividémonsac.Westredresselatêteettendlebrasverslaboîteàgants.Ilsortsonpaquetdecigarettesenfaisantbien

attentiondenepastouchermongenou.Lebriquetesttoutaufond,horsdesaportée.Jel’attrapeetleluipasse.Puis je sors son bracelet en cuir de mon sac et le place dans la boîte à gants. On dirait un jouet

d’enfant.—Etarrêtedetecramerlespoumons,pendantquetuyes.Ilsoufflesafuméeparlavitreouverte,etellesedissipeaussitôtdansl’air.Jemerappellealorsquecetteforêtverdoyantequinousentoure–toutecettevie,toutecettesève–est

néedufeuetdescendres.Ilyadel’espoirencebasmonde.Ilnemeresteplusqu’àletrouver.

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FRONTIÈRESNOIRES

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WEST

Fonduenchaîné,écrannoir.Telétaitmonplan.Tuparlesd’unplan!Carolineestrepartielelendemaindel’enterrementdemonpère.J’aipassélesquatresemainessuivantesàSilt.L’écrande

monwesternpersonnelétaitcensés’assombrirsurlesbordspournelaisserqu’unevignetteaumilieu,unpetittroudelatailled’unepiècedemonnaie,puisplusrien.

Rideau.Lespectacleestfini,c’estlerestedetaviequicommence.Bienvenuedansceparadisd’indifférenceémotionnelle.Fais-toiplaisir.Boisdesbières.Tape-toiunefilledetempsentemps.J’étaiscomplètementàcôtédelaplaque.Jecroyaissûrementmeprotégerenmepersuadantquec’étaitcequejevoulais.

Pourtantj’avaisdéjàeul’occasiondeconstaterquecen’estpasenrépétantdesexpériencesdésagréablesqu’onrisquedelesrendremeilleures.Lapeurdenepaspouvoirremplirlefrigo,lapeurquetapetitesœurneguérissejamaisdecettebronchitequilafaittousserjouretnuit,latrouilledemourirseulettriste,sansavoirpurefairel’amouràlaseulefemmequetudésires…C’estatroceetçanes’améliorejamais.

Çafaitmal,etçafaitchier,etçanes’arrêtejamais.Tucroisquetuvastoucherlefond,maisc’estsansfond.Iln’yapasderideaunoirquitombepourt’épargnerenfintoutecettehorreur.

Carolinearaison:ilyadeschosesquifonttellementmalqu’onnedevraitpasavoiràlessubir,saufqu’onn’apaslechoix.Cessentiments,c’estàchacund’yfaireface,des’endébrouiller.

Chacunsavie,ettantpissiellen’estpasjuste.JesuisretournéàSiltetjemesuisremisautravail.J’airéduitensciureduboisdegenévrieretj’aipenséàmonavenirpourlapremièrefoisenneufmois.J’aipenséàCaroline–

àcequ’ellem’avaitditetàcequejeluiavaisfait.Jevoulaistellementéviterqu’ellemevoieici,occupéàlutterpourgarderlatêtehorsdel’eau.

Jesavaisqu’ellecomprendraitlavéritésiellemettaitlespiedsici.J’avaispeurdenepaslesupporteretj’avaisraison.Jen’aipassupportécequ’ellem’adit.Jen’aipassupportéqu’elledéjouemonpetitstratagèmecruel–lahontecuisantequej’airessentiequandellearefuséde

pleureroudehurler,quandj’aienfinadmisquej’essayaisdelafairechangerd’avisàmonsujetparcequej’étaisincapabledeluiavouerlavérité.

Jel’aimais.Jouraprèsjour,heureparheure,chaquehorribleminutequipassait,jel’aimais.Jel’aimais,etpourtantjel’aiblessée.Jem’ysuissentiobligéparcequejecroyaisquec’étaitleseulmoyendelafairepartir.

UnefemmeaussiintelligentequeCaroline,aussiloyaleetdévouée…Elleétaitprêteàtoutpourmoi,mêmeàresteràSilt.Jel’avaisdeviné,etelle l’aconfirmé.Bravo,West,bien joué.Tuascompriscommentfairefuir l’amourdetavie.Faire jouirRitaTomlinsoncontrelepick-updeBo–envoilàunebonneidée.Çavamarcher,c’estsûr.Obligé.

Jemedégoûtais.Jemedétestais.J’aimaisCarolineplusquetout.Depuisledébut,elleétaitpluscourageusequemoi,meilleurequemoi,bienplusfutée.Elle

comprenait toutdès lepremiercoupd’œil.Ellevoyaitenmoiunhommequiméritaitqu’on lesauve,mais j’avaisdécidéquepersonnenemesauveraitjamais.

Jelamaintenaisàdistance,autantquejel’osais,parcequej’allaisdevoirresteràSilt–parcequeçamefaisaithorreurmaisquejen’avaispaslechoix.

Ilfallaitquejeravalemonhorreur.Quejevivemavie.C’étaitlescénarioqu’onm’avaittenduquandj’étaisarrivésurleplateau.Seulement, j’ai jeté un nouveau coup d’œil au scénario après le départ de Caroline, alors que le cadavre de mon père

commençaitàpourrirdansuncercueilachetéaveccequem’avaitrapportémontraficd’herbe,etjemesuisrenducomptequejen’étaispasleshérifdel’histoire.

Ilneseraitjamaisvenuàl’idéed’unhommebonethonnête,dotéd’unminimumdedécence,d’infligeràCarolineuntrucaussiignoble.

Pourtantj’avaisosé.Qu’est-cequeçafaisaitdemoi?Jemesuisfaitunelistedansmatête:touslestrucsquejedoisdémêler.Toutenhautdelaliste,ilyalaquestiondulogement.Lelundiquisuitl’enterrement,jepassechezma

grand-mèreaprèsletravailpourdiscuteravecmamère.

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Jelatrouvedanslecanapé,enrouléedanslacouvertureencrochetqu’ellesembleavoiradoptée.Latéléestallumée,maisellenelaregardepasvraiment.Elleal’aircomplètementravagée,avecsescheveuxgrasetsales,etsonvernisàonglestoutécaillé.Jem’assiedsàcôtéd’elle.—C’estquoi,commeémission?Ellemetendlatélécommande.—C’estnul.Change,situveux.Jeprendslatélécommandeetzappedistraitement.J’ai demandé àmagrand-mèred’emmenerFrankie auMacDo pourme laisser le temps de discuter

tranquillementavecmamèremais,maintenantquejesuislà,jesensledésastrequinousguette.Jesaislirel’humeurdemamèrecommesij’étaisunbaromètre.Ellenemeparaîtpasfranchementstable.Pourtantcen’estpassonhumeurquim’inquièteleplus–c’estlamienne.Jesensunnuagenoirplaner

au-dessus de ma tête. Si je pensais pouvoir repousser cette conversation d’une semaine ou deux, jen’hésiteraispas.—Tacopineestparties’installerchezBo?demandemamère.—Non,elleestrentréechezelle.—J’auraispariéqu’elleresteraitici,vulesregardsqu’elletelance.LesregardsquemelanceCaroline…J’érigeunmurautourdemoipouréviterd’ypenser.Lesmains de Caroline, la douceur de ses gestes quand elle a voulume consoler, sa détermination

quandellearetiréseschaussurespourm’aideràcomblercettetombe…Jedoublelahauteurdemonmur.C’estd’unevoixsèchequejerétorque:—Qu’est-cequipourraitbienmériterqu’onresteici?Je suis assis à côté d’un coussin sur lequel est dessiné un cerf – ouplutôt toute une scènede forêt

réaliste,quejetrouvaistrèschouettequandj’étaisgamin.C’estkitschàpleurer,commetoutcequejevoisautourdemoi–moche,kitschetpourri,commetout

cequifaitmavieici.C’estuneffet secondaireque jen’avaispas anticipéquand je suisparti étudierdansuneuniversité

pour enfants gâtés. Forcément, après deux ans à fréquenter des salles de classe aux lambris de cèdrevernis d’une couleur riche et chaude, tout paraîtmille fois pire qu’avant quand tu retournes dans tonminabletroupaumé.C’esttoutemonéchelledevaleursquiachangé.Là-bas,toutlemondeconduitdebellesvoituresbien

entretenues.Toutestfaitmain,artisanal,bioetéquitable.Surlecoup,c’estmarrantdesemoquerdecesgoûtsdeluxe,maisiln’empêcheque,quandturentrescheztoi,touttesemblenuletimmangeable.—Çanemeplaîtpasquetuviveschezlui,reprendmamère.—Boestuntypebien.—Ça,tun’ensaisrien.Tun’aspasvucequis’estpassécesoir-là.—Jenevoispascommentj’auraispu.— Effectivement ! Tu n’es jamais là. Même quand tu rentres à la maison, c’est évident que tu

préféreraisêtreailleurs,avectaCaroline.Elle prononce «Caroline » comme si c’était un prénom réservé aux snobs, et çame fout dans une

colèrenoire.Je prends une profonde inspiration pour essayer deme calmer.Elle a raison, je n’aurais jamais dû

partir. J’ai oublié où étaitma place dans lemonde.ÀPutnam, jeme suis laissé aller à croire que je

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pouvais peut-être espérer davantage, et voilà le résultat. Si j’étais resté ici, ma mère serait encoresûrementavecBo.Monpèreneseraitpasrevenufouinerdanslesparagesetneseseraitcertainementpasinstallédanslemobil-homeparcequec’étaitchezmoi.Riendetoutcefoutoirneseraitarrivésij’étaisrestéàSilt.—Jesuislà,maintenant,dis-je.PourtantCarolinemurmuredansmatête.«Cesgensn’arrêterontjamaisdetepompertoutcequ’ilspeuvent.»J’auraisdûluiexpliquerquejen’enattendspasmoinsd’eux.C’estquelquechosequeCarolinenecomprendpas,parcequ’elleestnéeavecunecuillèreenargent

danslabouche;elleagrandiaveclaconvictionqu’ellepouvaitdevenirquiellevoulaitetréalisertoussesrêves.Lemondeluiappartient,maismoi,jen’aipasledroitd’ytoucher.JeviensdeSilt.Jesuislàpourm’occuperdemapetitesœuretdemamère.Maplaceestici,ausein

desmiens,cequisignifiequ’ilsmeprennenttoutcedontilsontbesoinetquemonrôleestdeleurdonnertoutcequejepeux.Jen’aipasledroitdepartir.Pasledroitderêver.Pas ledroitdeprétendreàdehautesétudesnià l’amourdeCaroline.Partir impliqueraitde laisser

Frankie seule avecmamère, victime de l’ignorance et de l’incompétence de cette femme qui ne saitmêmepascequiexistedel’autrecôtédesmontagnes.Si je travailledur,que jene faispasdeconneriesetque jemedébrouillebien, jedevraispouvoir

offrirlemondeàFrankie.C’esttoutcequej’ailedroitd’espérer.—JeveuxallerhabiteràCoos,maman,avectoietFrankie.—ÀCoos?—Frankie pourrait aller à l’école là-bas si on avait une adresse dans le secteur. Elle ameilleure

réputationquecelledeSilt.—Futéen’estpasassezfutéepourqueçachangequelquechose.—Cen’estpasvrai!Mamèresoupire.Cen’estpaslapremièrefoisqu’onabordelaquestion.—Tuasassezd’argentpourunloyeràCoos,pluslacaution?—Oui,maissionveutpouvoirsepayerunendroitsympa,ilvafalloirquetutravailles,toiaussi.—J’aidémissionnédelaprison.JenepouvaispascontinueràvoirBotouslesjours.C’estfaux.Elles’estfaitvirer.Bom’a raconté qu’il avait passé une heure dans le bureau des ressources humaines, à essayer de

convaincrelesdirigeantsdenepaslicenciermamère.Çafaitquinzeansqu’iltravaillelà-bas,ilespéraitavoirunpeud’influence.Aufinal,ilsenonteumarred’attendrequemamèresedécideàrevenir.Encoreunmensonge–encoreunedéception.—Tuastoujourslavoituredepapa?—Oui,maisj’aiditàJackqu’ilpouvaitlaprendres’ilvoulait.—Quoi?!Qu’est-cequit’apris?—Ilatoujourseuunfaiblepourcettevoitureetilm’aditqu’ilvoulaitgarderunsouvenirdeWyatt.—Jenepeuxpascontinueràroulerdanslepick-updeBosijeneluipaieplusdeloyer!Qu’est-ce

qu’onvafaire,maintenant?Commenttuveuxqu’onsedébrouille?—Jen’ensaisrien,West!Jen’arriveplusàfaireface,depuisquetonpèren’estpluslà!—Rappelle-moi:c’estquandladernièrefoisquetuesarrivéeàfaireface?Hein?Tun’asjamaissu

fairefaceàrien!

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—Nemeparlepassurceton!— Je te parle sur le ton que tumérites !Depuis qu’il s’est fait tirer dessus, tu passes ton temps à

chialeretàtelamentersurtonsort,ettuastrouvélemoyendeprovoquerunesalebagarrealorsquetuauraispucalmerlejeu.C’estfini,maman!Ilesttempsdetournerlapage.Ilyatoutuntasdechosesauxquellesilvafalloirpenser:oùest-cequ’onvavivre,commentonvasedébrouillerpouracheterdenouvelles fringuesetdes fournituresscolairesàFrankie…Ellevaavoirbesoind’unevisitemédicale,aussi.Elleesttoujoursinscriteaucentredesantégratuit?—Non,tonpèreatoutannulé.—Oh,maisputain!Ilvafalloirtoutrecommencer,etmonterundossierpourobtenirdescouponspour

lesupermarché.L’enterrementm’apompél’essentieldemeséconomies,maisildevraitmeresterassezpouracheterunevoitured’occasion.Sijegardemonboulotchezlepaysagiste,quetutrouvesuntrucdenuitetquejenousdégotteunappartementsurletrajetdubus,Frankiepourraalleràl’écoletouteseule.Jemedisque…—West…—Quoi?!Ellesefrottelevisagedesdeuxmains.Elleestblafarde.Ellesentmauvais.—Jenepeuxpas,West.—Pourquoi?— Parce que… Je n’arrive pas à réfléchir ; je n’arrive pas à dormir… Je veuxWyatt. Ça m’est

difficiledeteregarder,tusais.Tuluiressemblestellement,et…—Danscecas,évitedemeregarder.Évitederéfléchir.Toutcequejetedemande,c’estdem’aiderà

faireensortequeFrankienemanquederienetquetoutsoitenrègle.Jepeuxt’associeràmescomptesbancaires.Commeça,onpourrasignerlebaildenosdeuxnoms,et…—West,m’interrompt-elledansunmurmure.—Quoi,putain?C’estreparti.Ellepleure.Çafaisait râlermonpère.«Tuchiales tout le temps,Michelle,etquand t’as finidechialer,c’est

pourm’emmerderàmeréclamerdestrucs.Pauvreconne,va!»Jedevraismesentirsaliparcetéchodupassémais,aulieudeça,j’éprouveundégoûtsubitpourma

mère.J’aipassé lamoitiédemavieàm’efforcerd’êtresonami,sonassocié,sonpatron.C’estune tâche

ingratequejenesouhaiteraispasàmonpireennemi.—Jenepeuxpas…,sanglote-t-elleens’essuyantlesyeuxsursamanche.C’esttropdur.—Alorsqu’est-cequetuproposes?Quejem’occupedetoutpendantqueturestesàpleurnicherdans

lecanapédeJoan?—Jesuissûrequeçanel’ennuiepasquejereste,Joan.—Joanestsamèreàlui,paslatienne.Vousn’étiezpasmariés.Ilnes’estjamaispréoccupédeton

bien-être, lui.Il tetraitaitcommeunemerde,ilneterespectaitpas, ilnet’aimaitmêmepaset ilneseprivaitpaspourtecognerdessusquandçalechantait!Pourquoitufaisça?Pourquoitut’accrochesàcessouvenirsmalsainsalorsqueFrankieabesoindetoi?Ellesemouchepuisbaisselesmains,bouchebée.Elleneressembleàrien.J’attrapelecoussinetl’agrippeviolemment.J’aienviedefairedumalàquelquechose,maispasàma

mère.Soncorpsestlatoutepremièresourcededouceurquej’aieconnue.Quandj’étaispetit,jevivaispourvoirsonsourire.C’étaitmarécompensechaquefoisquej’avaisditquelquechosededrôleouquej’avaisbienjugésonhumeur.

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C’estméchantdemapartdem’acharnercommeçaalorsque je saisqu’ellen’exagèrepas.Elleestvraimentincapabledefaireface.—Frankien’apasbesoindemoi,dit-elleenfin.Tueslàpourt’occuperd’elle.Ellebalanceçacommesic’étaituneévidence,etcetteévidence résonneàmesoreillescommeune

portedeprisonquiclaque.JesuislàpourFrankie.Carolineétaitlàpourmoi,maisjel’aichassée.Jemelèveetfaislescentpasdevantmamère.Jemetslesmainsdanslespochespuislesressors;je

croiselesbraspuislesdécroisepourmepasserlesdoigtsdanslescheveux.Jesaisoùcetteconversationvanousmeneretjenesuispasencoreprêt.—Tuveuxquejem’occupedeFrankie?OK,maisjusqu’àquand?—Jusqu’àcequejemesentecapabledelefaire.—Etquandest-cequetupensesenêtrecapable?Ellehausselesépaulesetbaisseleregard.—Quand j’aurai retrouvédu travail. Jepourrai acheterunevoiture,mettreunpeud’argentde côté

pourunappartement.Jeréprimeunrireamer.Jamais.C’estcequ’elleessaiedemedire.Ellen’enserajamaiscapable.Jemetourneverselleetlaregarde.J’aimeraispouvoirressentirdelatendressepourelle,unsouvenir

denotrecomplicitépassée,mêmesicen’estpastoutàfaitdel’amour.Jel’aime,évidemment.Leproblème,c’estquej’aiperdutoutrespectpourelle,touteconfianceenelle.Jenepeuxplusportersonpoidssurmesépaules.Elleveutquejem’occupedemasœur.D’accord.Je

veuxbienmechargerdeFrankiemaisjenepeuxpas,enplus,êtreresponsabledemamère–passiellerefusedem’aider.—OK,maisdanscecas,onfaitleschosesproprement.Tumedonnesuneprocurationpourquej’aie

touteautoritésurFrankie.Jeveuxpouvoirprendrelesdécisionsquilaconcernent.Elleécarquillelesyeux.—Maisjesuissamère…—Jen’essaiepasdetevolertafille.Ilnes’agitpasdemeconfierlagardedeFrankie.Çamepermet

seulementdel’inscrireàl’école,parexemple,ouderemplirsesfeuillesdesoins.—Commenttusaisça?—Jemesuisrenseigné.Aumoinsunedizainedefoisdepuisquej’aieudouzeans.—Ilfautqu’onprenneunavocat?—Non,c’estfacilesilesdeuxadultessontd’accord.—Ilfautdeuxadultes?—Toietmoi.—Oh…Uneombrepassesursonvisage.—Maistun’asquevingtans.—J’aieuvingtetunansilyadeuxsemaines.—J’airatétonanniversaire?—Oui.

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Bizarrementc’estçaquilafaitcomplètementcraquer.Ellefondenlarmespourdebon.Jemerassiedsetluiouvremesbraspourqu’ellepuisses’ylaissertomber.Entredeuxsanglots,elle

ditquejeluirappellemonpère.—Tuluiressemblestellement!Tellement…Çaluibriselecœur.Troissemainesplus tard, ledocteurT.sepointechez lepaysagisteaumomentoù jegrimpedans le

pick-uppourallerchercherFrankieàl’école.Bom’aditquejepouvaislegarder.Ilaprétenduqu’iln’enavaitpasbesoin,eninsinuantquemoi,si.Riendetelqu’unélandecharitépouravoirl’impressiond’êtreungrosbonàrien.Je referme laportièreensaluant ledocteurT.de lamain,commesi jecroyaisqu’ilest simplement

venusechoisirunefontaineouunnaindejardin.Puisj’ajustelerétroviseuretpasselamarchearrière.Peineperdue.LedocteurT.vientversmoiencourantetenmefaisantdegrandsgestes.Quandilarriveàmahauteur,

ilmefaitsignedebaisserlavitre.Jen’aipaslechoix.Tandisquelepanneaudeverredescend,lahontememonteàlagorge.Ellelaissedessillonsgluantsle

longdemesbras,menouel’estomacetmecoupelesouffle.Çamefaittoujourslemêmeeffetquandjelevois.Quandj’airencontréledocteurTomlinson,alorsquej’étaisencoreaulycée,onétaitamis,luietmoi.

Peut-êtrequej’engardeunsouvenirflatteurettrompeur,maisc’étaitl’impressionquej’avaisàl’époque.Onavaitbeaucoupencommun,ondiscutaitde toutes sortesdechoses,onéchangeaitdes idéesetdesrêvestoutenarpentantleterraindegolf.C’étaitgénial.Puisilm’aprésentéàRita.Jen’oseplusleregarderdanslesyeux.Lesimplefaitdeluiparlermedemandeuneffortmonumental.

Chaquefoisjem’attendsaupire.«Tuascouchéavecmafemme.»—Jenesavaispasoùtetrouver,àpartici,lance-t-il.Tun’asplusdetéléphone?—J’aichangéd’opérateur.—Normalementtupeuxgardertonnuméro.Non?—Oui,maisilyaeuunproblème.Iln’estpasbêteaupointdemecroiremaisilesttroppolipourl’avouer.—Tuauraisunevingtainedeminutesàm’accorder?—Ilfautquej’aillecherchermasœur.J’aivuquemapaieavaitétéviréesurmoncomptehieretj’aipromisàFrankiedel’emmenerfairedu

shopping.Sesfringuesdel’andernierneluivontdéjàplus.—J’auraisaiméqu’onreparledecettehistoiredebourse.Cen’estpaspouraujourd’hui,le«tuascouchéavecmafemme».Jen’enéprouvepastantdusoulagementquedeladéception.Çafaitsixansquej’attendsqueledocteurT.comprenneenfincequisepasse.J’aipresquehâte,qu’on

en finisseunebonne foispour toutes. Jevoudraisqu’ilm’accuseenfin,qu’ilm’insulteetme reprochetouslestortsquejeluiaicausés.Jenesuisqu’unepourriture.Jeméritesacolère,unebonneraclée,sondégoût…Ilposelamainsurmonépaule,etçamefaittressaillir.—Jesaisbienquecetteannéen’apasétéfacilepourtoi.Jecomprendspourquoitut’essentiobligé

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dequitterPutnam,maisilmesemblequecetteboursetedonneraitl’occasionderemettretaviesurlesrails.Lahonte.Oh,putain,lahonte!Encetinstantjeseraisprêtàtoutpourmesoustraireàcecorpsetdisparaître.SijesuispartideSilt,

c’étaitaussipourneplusjamaisavoiràdîneràlatabledesTomlinsonetàécouterledocteurdisserterausujetdemonavenirpendantqueRitamefaisaitdupied.—Ilfautvraimentquej’yaille,dis-je.—Jeviensavectoi.Ilcontournelepick-upetmonteàcôtédemoi, leplusnaturellementdumonde,etçamerappelle la

simplicitédenosdébuts.Lesheurespasséesàsillonnerlegolfouàdiscuterdelaviesurlaterrassedesavillaenregardantlecoucherdesoleilsurl’océan.Jel’aimaisbeaucoup.Je pensais qu’en travaillant d’arrache-pied, en prenantmes distances avec Silt, je pourrais devenir

commelui,avecsescostumessurmesure,seschaussuresà400dollarsetseschemisesblanchesqu’ilpouvait tacher sans s’inquiéter parce que sa domestique mexicaine déposait tout son linge chez leteinturierunefoisparsemaineetlerécupéraitimpeccable,emballésousplastiqueettout.Jemedemande si ça arrive à tout lemonde, de se rendre compteque ses rêves sont complètement

débilesaprèsunebonnedosederéalité,ousic’estjustemoi.LedocteurT.attachesaceinture.Jesorsduparking.—J’aiparlédetoiàundesresponsablesdubureaudesbourses,lasemainedernière.—Vousnedevriezpas,voussavez.—Jesais,jesais,maisj’espèreencoretefairechangerd’avis.Unpotentielcommeletien…Çame

rappellequandj’avaistonâge,etçam’énervedetevoirtoutgâchercommeça.—Vousenavezdéjàfaitplusqu’assez.D’ailleursjesuisvraimentdésolédenepasavoirvalidémon

secondsemestre,l’andernier.Jevaisvousrembourser.—Non.Tunemedoisriendutout.—Si,j’ytiens.Ilpivotepourmieuxm’observerdesonregardsiperspicace.— J’ai essayé d’envisager la situation de ton point de vue,West. Je sais qu’il t’est très difficile

d’accepterdel’argent.Tuconnaismonopinionsurlaquestion.Pourmoi,l’argentn’estnibonnimauvaisen soi.C’est une donnée neutre.En revanche, si je peuxmettre à profit ce que je possède pour aiderquelqu’un comme toi, ce n’est plus neutre du tout, ça devient incroyablement bénéfique. Cela dit, jeconçoisquetuaiesdumalàvoirleschosessouscetangle.C’estpourquoij’espéraisquecettebourseteconviendrait.Ilnes’agitpasdemonargentàmoi.C’estl’administrationdePutnamquigèreçaet,siontefaitcetteoffre,c’estuniquementparcequetulemérites.Jenemériteriendutout.—Iltesuffitderemplirundossier,etlabourseestàtoi.Lapersonneàquij’aiparléàPutnamm’adit

quetesprofesseursavaientdéjàattirél’attentiondubureaudesboursessurtontalentexceptionnel.Mon«talentexceptionnel».Çameferaitpresquerigolersiçanerisquaitpasdem’étouffer.J’ai léché la chattede ta femmeaprès l’avoirplaquéecontre cepick-up…pendantqueCaroline

attendaitàl’intérieur.— Ta sœur pourrait en bénéficier aussi, tu sais. J’ai cru comprendre qu’elle vivait avec toi,

maintenant.Tupourraisl’emmenerdansl’Iowa,luioffrirunnouveaudépart.J’accrochemonregardàlaligneblanchesurlebitumepourtenterdemeviderl’esprit.

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Il ne faut pas que je pense à ce qu’il vient deme dire parce que, quand je commence à envisagerd’emmenerFrankieetdepartirloin,jememetsàréfléchiràtouteslespossibilitéspourmieuxlesrejeteruneparune.Quantàtouslesobstacles,jen’aipasbesoind’yréfléchir.Ilssontlà,sousmonnez.L’impossibilité

d’arracherFrankieauseuluniversqu’elleconnaisse.L’impossibilitédeconciliermesétudes,unboulotetmonrôledeparent.L’impossibilitéd’accepteruneénièmefaveurdelapartd’untypedontj’aitrahilaconfiance.Je n’arrive pas à me convaincre que je mérite tout ça – pas quand je repense au parfum de Rita

Tomlinsonouàl’expressiond’horreurpuresurlevisagedeCaroline.Leschosesquejeveuxmerendentmalheureux.Ellesmepoussentà regarder lesarbres le longde la route, làoù iln’yapasdegarde-fou,etàme

demandersi jen’auraispas intérêtàm’acheterunebouteilledewhiskypuisà rentrerchezBopour laboiredanslepick-upgarédansl’alléejusqu’àavoirlecouraged’allerchercherundesesflinguespourenfiniravectoutça.—Jenepeuxpas.—Si,tupeux,insisteledocteurT.—Non!Jevousdisquejenepeuxpas,putain!Alorsilgardelesilence–unsilencepesant.Lesmains croisées sur les genoux, il regarde droit devant lui. Il se passe presque deux kilomètres

avantqu’ilreprennelaparole.—Ilyaautrechosequejevoulaistedemander.—Oui?—C’estàproposdeRita.J’ailesbrasenplomb,lepiedcommeuneenclumesurlapédale.—Àl’enterrement,j’airemarquéque…Etaprès,quandj’aiessayédeluienparler…Enfait,non.Je

mentiraissijetedisaisquejenemesuisjamaisposédequestionsavant.Ils’interromptetm’adresseunpetitsouriregêné.—Jem’inquièteunpeu…J’ail’impressionquetuesdevenuuneespèced’obsessionpourelle.Moi.Une«obsession».C’estdoncça,letermeofficiel?—Elleparlebeaucoupdetoi.Évidemment,ondiscutesouventdetonavenir,elleetmoi,maisdepuis

quetuesrevenu,l’intérêtqu’elleteportemesemble…unpeutropmarqué.Ilsepasseunemainsurleslèvres.—Jesaisquec’estbizarre,commequestion,mais…Est-cequ’elleaeudesgestesoudesremarques

déplacés?Est-cequej’aidesraisonsdem’inquiéter?Ilveutquejelerassure.Ilapeur.Ilacomprisquequelquechoseclochait,maisserefuseàmesurerl’étenduedudésastre.Ilne

veutpasadmettreque2+2=4.Ilattenddemoiquejeluidise:«Maisnon,voyons!Iln’yapasdeproblème,2+2=5.Regardez,jevaisvousmontrer.»Jemetsleclignotantpourentrerdansleparkingdel’école.Lepick-uprebonditsurleralentisseur.—Non,dis-je.Jen’airienremarquédebizarre.Alorsjeleregardeetjeluisouris.Çamedemandeuneffortcolossal,maisjedonnetoutcequej’ai

pourquecesourireaitl’airsincère.JeneveuxpasqueledocteurTomlinsondécouvredequoisafemmeestcapable.C’estdéjàbienasseztristequejesoisaucourant.—Jen’airienremarquédutout.

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Ilétudiemonvisagependantdelonguessecondespuissedétendvisiblement.— Bon. OK. Écoute, si ça ne t’ennuie pas, j’apprécierais que tu me préviennes si, un jour, tu as

l’impressionquejedevraismefairedusouci.—Pasdeproblème.Jetrouveuneplace,megare,coupelecontact.Desgaminssortentdubâtimentencourantet sebousculenten riant. J’aperçoismasœurquimarche

seule,têtebasse,cachéederrièresescheveux.Cen’estdéjàplusunegamine.C’est flagrantquand je lavois à côtédesautres.Elle estdifférente,

isolée,commesiuncercleinvisiblelamaintenaitàl’écart.Avecdenouveauxvêtements,çadevraitdéjàallerunpeumieux.Jepourraispeut-êtrel’emmenerchezlecoiffeur,aussi.—Àproposde cettehistoiredebourse, reprend ledocteurT.Promets-moi aumoinsd’y réfléchir,

d’accord?Lesemestreadéjàcommencé,maislapersonneàquij’aiparlém’aditquetupouvaisencoreprendreletrainenmarche.J’ouvrelaportièreetdescendsdupick-up.—West!—D’accord.Jevaisyréfléchir.Frankie arrive. Je fais les présentations, elle grimpe à l’arrière, et je dépose le docteur T. chez le

paysagisteavantdeprendreladirectionducentrecommercialdedémarques.—C’étaitqui?m’interrogeFrankie.—J’étaissoncaddyquandjetravaillaisaugolf.—Etqu’est-cequ’ilvoulait?—IlveutquejeretourneàPutnam.Ellesetourneverslavitreetregardeau-dehorsensilencependantdelonguesminutes.—Putnam.C’estlàqu’estCaroline.—Oui.—Etmoi?J’iraisoù,situyretournais?—Jeluiaidit«non»,Frankie.—Oui,maissituyretournais,j’iraisoù?—Tuviendraisavecmoi.—Sansmaman?—Sansmaman.—Onaledroitdefaireça?C’estmamère…—Onaledroitsielleestd’accord.—Oh.C’esttoutcequ’elletrouveàdire.«Oh.»Elleessaiedesjeans.Jesenslacolèremonteretmeprendreàlagorge,sibienquejesuisincapable

decommenterledéfilédemodedeFrankie.Ellem’enveutdenepasm’amuserautantqu’elle.Demoncôté,jeluienveuxd’avoirdit:«Oh.»Jem’enveuxsurtoutàmoi-mêmed’avoirespéréqu’ellediraitautrechose.L’espoirestuntrounoirquimenacedem’aspirer.Lafoi,laconfiance,lasagesse,lafierté,l’honnêteté

–toutescesqualitésquimefontdéfaut–sontautantdetentaculesquim’entraînentparlefond.Jenepeuxpas.Jenepeuxrien,putain!J’achèteunebouteilledewhiskysurlecheminduretour.DixminutesaprèsavoirmisFrankieaulit,jemesersunverre.

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—Salut,Joan.Çava?Letéléphoneàl’oreille,j’ouvrelefrigodemamainlibreetensorsmondéjeuner.—Tuesautravail?demandemagrand-mère.—Non,j’allaisjustementpartir.Jerefermelaportedel’appartementavecmonpiedetcoincemondéjeunersouslebraspourpouvoir

verrouiller.—Tuvasêtreenretard.—Jenesuisjamaisenretard.Jel’entendssouffleretl’imagineentraindefumerdevantsacuisine.—Non.C’estvraiquecen’estpastongenre.Jemontedanslepick-up.Laboîteàgantsattiremonregard,maisjelaissemesclopesoùellessont.

Carolineveutquej’arrête.ToutmeramènetoujoursàCaroline.Sesaccusations.Sadéterminationàmanierlapelledanssarobed’enterrement,piedsnusdanslaterre.LeriredeCaroline,sabouche,soncorpsnucontrelemien.Jejouisdansmamainsousladouche;jejouisenelledansmessouvenirs.Çafaitpresqueunmoisqu’elleestrepartie.Cen’estpastantlacigarettequ’ilfautquej’arrête;c’est

Caroline.—Alorsécoute,reprendJoan.TononcleJackestencontactavecunavocat.Jackadonnémonnomquandils’estpointéàl’hôpitalaveclenezcasséetaditquejerégleraisses

frais.Ilaunsacréculot,ceconnard.—C’estbon,jevaislapayer,safacture.—Ilnes’agitpasdeça.C’esttonpère.Letypeavecquiiladiscutépensequ’ilpeutporterplainte

contreBopourattentatà sonéquilibreaffectif,ouun trucdugenre.Tusais,comme la famillede l’exd’O.J.Simpson.Elleveutparlerd’uneprocédurecivile.Puisquelapoliceaclassél’affairesanssuite,mononcleveut

sefairejusticelui-même.—Qu’est-ce qu’il espère leur faire croire, au juste ?Ça fait des années que c’est un pauvre naze

alcooliqueetviolent.Ilvaexpliquerauxjugesquelamortdemonpèrel’arenduencorepluscon?—Eh!C’estdemonfilsquetuparles,jetesignale.—Pardon.Ellesoupire.—Lesavocatsdecegenrenesefontdel’argentques’ilsgagnentleurprocès.Sicemecencourage

Jackàporterplainte,c’estqu’ildoitcroirequ’ilaunechance.JetedisçaàcausedeFrankie.—Pourquoi?Malheureusementj’aibienpeurdedéjàconnaîtrelaréponse.Frankie se réveille régulièrement en hurlant, emmêlée dans ses draps. Parfois elle crie « papa »,

parfois«Bo».Chaquefoisellerépète:«Non!Nefaispasça!»Chaquefoisjevaislavoiretl’appelledoucement,jusqu’àcequ’ellem’entendeetqu’ellesecalme.

Engénéralc’estàcemoment-làqu’ellesemetàpleurer.J’aimeraissavoirsijesuisentraindelafoutreenl’air.Quand elle se rendort enfin, je vaism’asseoir dans le salon et jeme dis que, si elle se retrouve à

déprimerouàsemutiler,siellefinitdansunfosséouenceinteàquatorzeans,ceseramafaute.

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Ceseraàcausedecequej’auraifaitoudit–ouàcausedequelquechosequejen’auraipasvu,unsignald’alarmequejen’auraipassureconnaître.—Siçavajusqu’autribunal,ilsrisquentd’appelerFrankieàtémoigner,ajouteJoan.—Pasquestion!C’estdégueulasse,putain!MêmeJacknepeutpasêtreconaupointdecroirequeje

vaislelaisserfaireça.Ildoitbienserendrecompteque,s’ilessaie,jeletue.— Justement. Je pense que c’est le but. Il en a après toi depuis que tu lui as cassé le nez à

l’enterrement.—Jen’aipaspeurdelui.—Toi,peut-être,maisFrankie…—Frankien’étaitmêmepaslà!Elledormaitchezunecopine!Joantiresursacigaretteassezfortpourquejel’entende,puissouffle.—Laveilledel’enterrement,elles’estconfiéeàStephanie.Stephanie,lafemmedeJack.Etmerde!Putaindebordeldemerde!—Depuis,Stephanieraconteàquiveutl’entendrequeFrankieétaitaumobil-homequandWyatts’est

faittuer.S’ilyaunprocès,Frankievaseretrouvermêléeàcetteaffaire.Çanesertàriendesevoilerlaface.Ellearaison.Quellebandederaclures,cesLeavitt!Cen’estpaspourrienquej’avaisdécidédeles

évitercommelapeste.C’esttoujourspareil.Ilssecréentdesproblèmes,provoquentdesscandales,sechamaillentetsebrouillentpourdesconneries–deshistoiresdethunes,desexe,dedrogueoudecequileurpasseparlatête.Ilsneviventquepourça.Ilsadorentça.JackseraittropcontentdemêlerFrankieàleurmerdier.—Tunepeuxpasledissuader?Boneroulepassur l’or.Etpuis, jenesaispascequis’estpassé

entreeux,maisWyattl’avaitbiencherché.—TuasdéjàessayédedissuaderunLeavitt,toi?rétorqueJoan.J’éclatederiremalgrémoi.Jenememaîtriseplus.Jenemaîtriseplusrien.Ilyasixans,Frankieétaittropjeunepoursouffrirdececirquemalsain,maispasmoi.J’aicoupéles

ponts avec les Leavitt parce qu’ils refusaient de prendrema défense, de nous protéger demon père,Frankieetmoi.IlsnerisquentpasdeleverlepetitdoigtpournousprotégercontreJack.C’estàmoidelefaire.—Mercidem’avoirprévenu,Joan.—Tiens-moiaucourant.D’accord?Jeraccrocheetlancemontéléphonesurlesiègedupassager.C’estunebellematinéeclaireetfraîche.Lesoleilbrillesurlesmontagnes.Levents’engouffreparla

vitrebaisséedupick-upetfaitbruirelesacenpapierquicontientmondéjeuner.Jesuisjeuneetenbonnesanté.Jesuisvivant.Jesuislibérédelamenacedemonpère.Jedevraisme

sentirbien.Jedevraisexulterdesentirlagrandemainquimepoussedansledos,directionl’Iowa.Prendstasœurettire-toi.C’estcequeledocteurT.s’efforcedemefairecomprendre.Cequem’aditCarolineentermesfrancsetdirects.Quandjeregardeautourdemoilescollinesverdoyantes,laroutequisedéroulecommeunlongruban

noir,lecielbleuetlimpide,jenepeuxm’empêcherdemedirequejen’aipasledroitd’espérer.

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J’imagine l’Iowa en cette fin d’été, Putnam avec son campus de briques rouges et ses pelousesimpeccables,sesfenêtresornéesderenonculesetseshordesd’étudiants.L’espoirremontemonéchine,mefouettelesang,affolemonsouffleàtelpointque,prisdevertige,je

m’arrête sur lebordde la route. Je frappe levolantdesdeuxmainsenme répétantque jen’aipas ledroit.Non,non,non!Laissetomber,cen’estpaspossible!Puisuneidéesoudaine.EmmèneFrankie,maisailleurs.LeMexique,l’Oklahoma…N’importe où tant que c’est loin de Jack et des traumatismes que cette ordure aimerait infliger à

Frankie.Onpourraitvivredansunecabaneaubordd’unerivière.Jepourraisapprendreàdresserdeschevaux.

OnmangeraitdesfrijolesetdestortillascommedansleromandeCormacMcCarthyquej’aiétudiéenpremièreannée.Ceseraittoujoursmieuxqued’espérer.Avantdepartir,Carolinem’adit:«Ilfautquetutrouvesunmoyendetesortirdecettesituation,

parcequ’ellenevapass’arranger.C’estàtoidetebâtirl’existencequetuveux.Sinontun’auraspasdeviedutout,etça…Jen’imagineriendepirequeça.»Ellenecessedemelerépéterdepuis.Chaquejourjel’entendsdansmatêteet,chaquejour,jeluifaislamêmeréponse.Aprèstoutcequej’aivu–toutcequej’aivécu–,j’arriveàimaginerdestrucsbienpiresqueça.Cen’estpassiterrible,degâchersavie.Cen’estpassidifficile.Leplusdur–non,l’impossible–,

c’estdecroirequ’onaunavenirpuisdeleperdre.Jenemesenspascapabled’ysurvivreunesecondefois.J’ouvrelaboîteàgantsetytrouvemondernierpaquetdecigarettes.J’enallumeune,quejefumevite,

àgrandesgouléescancérigènes,enessayantdemeconvaincrequeçan’aaucune importanceque jenesupportepasderetourneràPutnam.Jen’aipasledroitdedécider.OniraàPutnamparcequ’uneboursed’étudesm’yattendavec,àlaclé,undiplômequivautquelque

chose,etparcequejeseraisparfaitementcrétindelaisserpasserunechancepareillealorsquejepeuxenfaireprofiterFrankie.EnquittantPutnamj’aifaittablerasedelaviequej’avaisconstruitelà-bas.Jen’aiaucuneenvied’y

retourneretdeplantermatenteaubeaumilieuduchampderuinesquej’ailaissédansmonsillage,maisjen’aipaslechoix.Toutàl’heurej’appelleledocteurTomlinson.

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TERRESSAUVAGES

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CAROLINE

Touslesansl’hivermeprendparsurprise.L’automnearrivedoucementetémousse lesanglesde l’été,apporteune fraîcheurbienvenue le tempsdequelques jours

doréset,alorsquejemesensprêteàvivrepourtoujoursdanscetteperfectionvolée,«clac».Lefroids’abatenuneseulenuit.Commeça.Quandj’étaispetitejerefusaisd’admettrecequeçasignifiait.Non,pasdéjà.Ilestencoretroptôt.Jerefusaisdevoirlessignesannonciateurs.Jelaissaismacitrouilled’Halloweensousleporchealorsmêmequenovembre

avançait, célébrant la saison passée jusqu’à ce que de petites taches noires apparaissent autour des yeux et de la bouchedécoupésdanslachairorange,donnantauvisagemagiqueunairdesorcellerieancestrale.

Quandlespremièresgeléesarrivaient,monpèremeforçaitàramasserladépouilledemacitrouilleetàallerlajeterdanslesboisderrièrelamaison.

Adieu,belautomne.MatroisièmeannéeàPutnam,enrevanche,j’étaispresqueimpatientedevoirlesjoursraccourciret

lestempératureschuter.J’étaisprêteàaffronterlegel,àaffronterPutnamsansWest–maviesansWest.Je savaisque j’aurais froidpendantun temps et que jeme sentirais seule,mais je suisune fillede

l’Iowa.Lefroidnemefaitpaspeur.Jesaism’emmitoufler,lenezdansuneécharpeetledésirdansleschaussettesafindesupporterceslonguesnuits,ceslongsmois.Mon père a enfin cessé de harceler l’avocat. On a officiellement déposé plainte contre Nate mi-

septembre.Soixantejourspourrépondre.PlaignantedésignéesouslenomdeJaneDoe.Ladateduprocèsaétéfixéeàlafindel’annéeprochaine.J’aicommencéàmeprépareràquatresaisonsdepatienceetd’audiences,destratégiesetdecitationsà

comparaître,dedépositionsetd’assignationsàfournirdespreuves.Jecroyaismaîtriserlasituation.Puisj’aireçuuntextod’unnuméroinconnu.C’étaitWest,quimedisaitqu’ilrevenaitàPutnam.Puisundeuxièmetexto,oùilm’apprenaitqu’ilemmenaitFrankieaveclui.Puisuntroisième,pourmepréciserquejen’avaispasàm’inquiéter,qu’ilsauraitgardersesdistances.J’étaispeut-êtrecenséemefigerenrecevantcesmessages.«Clac.»D’unseulcoup,commeça.Toutauraitsûrementétéplusfacilesij’avaispumemurerdansunjardindeglace,àhumerdesroses

deNoëlenfaisantsemblantd’aimerça.Saufquejenevoulaisplusfairesemblant.Enrecevantcesmessages,j’aiéprouvédelajoie–unejoiepureetprofonde,aussipoignantequetout

cequej’avaisvécuavecWest.Jemesuissentieconfortéedansmeschoix,puisqu’unenouvellechances’offraitànous.L’avenirqu’ilavaitétouffévenaitdetrouverunsecondsouffle.Peut-êtrequecetavenirn’étaitqu’unevieilleruinebranlante.Peut-êtrequ’ilétaitdéjààmoitiémort,

balafréet repoussant,maisc’était lenôtre,et jen’allaispasprétendreque jen’envoulaispas. J’étaisincapabledecachermoneuphorie.J’aipassélesjourssuivantssurunpetitnuage,àmedemanderquandjelereverrais,commentçasepasserait,cequejeressentirais.Çaparaîtcomplètementcrétinet,surtout,méchammentnaïf.Jesais.Demêmequejesaispertinemmentqu’unecitrouilled’Halloween,passéle31octobre,cen’estplus

qu’unecucurbitacéetrouée.Monpèremel’arépétéchaquenovembrependantdesannées.Pourtantc’esttoujourslemêmelégume.Non?C’estlacitrouillequ’onachoisiepuisachetée,qu’ona

rapportéechezsoi,qu’onadessinéepuisdécoupée,évidéepuisilluminée,avantdelaplacerfièrementà

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côtédelaporte.C’est toujours lamêmecitrouille,mêmeunefoisquenovembrearrive.Alors,cetautomne-là,quand

WestestrevenuàPutnam,j’aicesséd’écouterlesgensquivoulaientmedirequoiressentiretquiaimer.Quand ton vagin circule en gros plan sur Internet et que des inconnus t’envoient des mails pour

t’expliquerqu’ilsveulenttegicleràlafigure–quandçat’estarrivéetquetusaisqueçanes’arrêterapeut-êtrejamais–,tutefaisviteàl’idéequelaseulepersonneàquituaiesdescomptesàrendreausujetdecequeturessens,c’esttoi-même.J’habitaisdansunemaisonhorsducampusavecseptautrespersonnes,parmilesquellesmameilleure

amieBridgetetl’anciencolocatairedeWest,Krishna.«Qu’est-cequis’estpassé?Raconte-nous!Allez,quoi!Tusaisbienquetupeuxtoutnousdire!Tudevraisnousenparler.Il

fautqu’onsache.»ToutlemondevoulaitmeparlerdeWest.Ques’était-ilpasséàSilt?Commentest-cequejetenaislechoc?Qu’est-cequeje

comptaisfairequandilreviendraitàPutnam?MêmemabonnecopineQuinn,quipassaitunsemestreàFlorence,meharcelaitparmail.

«J’aientendudirequetuétaisalléevoirWest.Jeveuxtoutsavoir.»Ilsprétendaienttousvouloirendiscuter,maisenfait,cequ’ilsvoulaient,c’étaitm’expliquercequej’étaiscenséeressentir.Çamesoûlaitprofondémentqu’ilyaitunaccordtacitesurlabonnefaçonderéagiràcequeWestm’avaitfaitet,surtout,sur

lefaitquemaréactionétaitcomplètementàcôtédelaplaque,quej’étaisdansledéni,quejenesavaisplusoùj’enétais,quej’étaisperdue,quejerefusaisderegarderleschosesenface.

Alorsj’aidécidéquejelesemmerdais.Tous.Jeressentaiscequejevoulais;jevoulaiscequejevoulais.Dehorsils’estmisàfairefroid,puisglacial.JevoyaisWestunpeupartoutetjebrûlaisdel’intérieur.Unjour,alorsquejemerendsaucampus,jelevoissortirdesonpick-upàPompeVit’.Jevérifiequelavoieestlibreetfaisdemi-tourpourallermegarerlelongdutrottoirdesoncôté.Fébrile, je le regarde entrer dans la boutique. Il porte un tee-shirt àmanches courtes par-dessus un

autreàmancheslongues,lecotontendusurseslargesépaules.Jeledévoredesyeux.Cedos,cecul,ceslonguesjambes!Cettevisionsuffitàmefairemouiller.Jebousd’impatience,d’unfurieuxdésirdecontact.J’aienviedeluiparler,delepousser,delefrapper,deluisauterdessus.Jeveuxluifoncerdedanset

voircequelasuitenousréserve.Quoiqu’ilarrive.Lavitrinedelaboutiqueestpresqueentièrementcouverted’affichettesbariolées,mais j’aperçois le

hautdelatêtedeWestderrièrelacaisse.Jemepenchepourmieuxvoir.J’ailesjouesenfeu,lesseinsgonflés.ÇafaitsixsemainesquejesuisrevenuedeSilt,quinzejoursqueWestestàPutnam.Chaquefoisquejelecroise,c’estunpeuplusfort.Lapremièrefoisquejel’airevu,ilétaitdevantlebâtimentd’artsplastiques.J’étaisavecBridget,on

passaitparlàpournousrendreànotreséminaire.Unpetitgroupedefumeursétaitrassembléprèsdelaporte.Westsetenaitunpeuàl’écart,occupéàsoufflerunpetitnuageblancdansleciel.Ilnem’apassaluée.Jem’yattendais.IlavaitdéjàfaitlecoupàKrishna.Ilestcommeçaavectoutlemonde.Westvaenclassepuisautravail.Ilneparleàpersonne.C’estsonchoix.Jelevoisparlafenêtrequandjesuisencours,lorsqu’ilpasseprèsdel’immensestatuephalliquequi

sedresseaucentreducampus.Jel’aperçoisàlabibliothèque,quiattendsagementqu’onluiapportesesouvrages.Je vais fairemes courses et je reconnais la forme de sa tête, l’arrondi de son épaule, tandis qu’il

s’applique à lire l’étiquette d’une barquette de viande hachée au lieu de se retourner pour me dire«bonjour».

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Quandjefermelesyeux, jerevoissonexpressionarroganteaumomentoùilaouvert laportièredupick-up. Je le revois s’essuyer la bouche, même si ce n’est pas comme ça que les choses se sontdérouléesenvrai.Ilrelèvelementonetmelance:«Alors,Caroline?Tucroisencorequejesuisassezbienpourtoi?Tuveuxtoujoursmesauver?Tupensesencorepouvoirm’aimer?»Enm’asseyantsurlelitdemapetitechambre,lesyeuxperdusverslaruelleoùuntrognondepomme

gîtàunmètredelapoubelle,jerevoisWestprostrésurlevolantdupick-up,luttantpourrecouvrersoncalme.Cequejeressensneserésumepassimplementàdelacolèreniàdudégoût.Ilyaunautreélémentqui

entreenjeu.C’estcetélémentquimepousseàfairedemi-tourquandjereconnaissonpick-up.C’estluiquimepousseàdescendredevoiturequandilressortdelaboutiqueavecunecartouchede

clopes à lamain. Il balance son bras libre, ce qui fait scintiller ses clés à la lumière de cette bellejournéedeseptembre.Jedevinesafureuràdixmètresdedistance.Ilpeutruminerderageautantqu’ilveut,çanem’empêchepasderessentircequejeressensquandil

s’approchedemoi.C’estplusfortquemoi.Ils’immobiliseenmevoyant.Jenebougepas,nedisrien,nefaisrien.Jemecontentedel’observer,

témoindesaprésence.Tuexistes.Moiaussi.Ilremontedanssonpick-upetprendladirectionducampus.Jelesuisduregardjusqu’àcequ’ilait

tournéaucoindelarue.Jesourissansraison.Jemesenstellementvivante!Ilyadestrucs,commeça,unefoisqu’onlesavus,onnepeutplusrevenirenarrière.C’est laréflexionquejemefais le lendemainmatin,plantéesur leseuildelacuisine,unebouteille

d’eauvideàlamain,fascinéeparunspectaclepourlemoinsinattendu.BridgetetKrishnasontentraindes’embrasser.Ilest7h30.Ilyaencoreuneminute,j’avaisàpeinelesyeuxenfacedestrous.Là,ilsmenacentdemesortirdelatête.Je remarque une foule de détails, au-delà de l’évidence – c’est-à-dire quemaminusculemeilleure

amie,avecsajolietignasserousseetsestachesderousseur,estenpleincombatdelanguesaveclepireséducteurducampus.Parexemple, je relèvequ’ils sonthabilléspourcourir etqu’ils sentent la sueur.Aprèsdeuxansde

colocation avecBridget, qui fait partiede l’équiped’athlétismedePutnam, j’ai l’habitudedesodeursd’aisselleschaudesetdetissuhigh-tech,maiscettefoisçaémanedeKrishnaaussi.Leurs baisers font de petits claquements mouillés. Krishna tient Bridget à sa merci. Une main à

l’arrièredesatête,l’autrejusteau-dessusdesesfesses,illaplaquecontreleplandetravail,penchésurelle.Sescheveuxetsontee-shirtsontmouillés,lescuissesetlesbrasdeBridgetaussi.Ilpleut.Lapluie tambourinesur le toit,etBridget…Ellecouine.Jene trouvepasd’autremot.Ces

sonsquitraduisentsonenthousiasmemefontpenseraucridecertainsanimaux–deshamstersenpleincoït,plusprécisément.Aussitôtjeregrettecetteassociationd’idées,parcequefigurez-vousquej’aidéjàvu des hamsters en action et que, franchement, c’est un souvenir dont jeme passerais bien.Ça aussi,d’ailleurs.

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Pourtantjeresteclouéesurplace.Ilnes’agitpasd’unpremierbaiser,nimêmed’unquatrièmeoud’unhuitième.Jevoisbienqu’ilsont

déjàfaitçasouvent–trèssouvent.Cettehistoirenefaitpasquecommencer.Quand?Quanda-t-ellecommencé?Krishnacaresse ledosdeBridgetet fait remonter sondébardeur.Samainsombrecontrasteavec la

peaulaiteusedemonamie.Moncerveaurestebloquésurunseulmot:«Quand?»Est-cearrivéaucoursdel’annéedernière?Pendantlesvacancesd’été?Maintenantquej’yrepense,Bridgetestalléepasserplusieurslongsweek-endsàChicago,oùvit lafamilledeKrishna,pourdesraisonsqui,aveclerecul,ressemblaientàdesprétextes.Aussimincesqueletissudesonsoutien-gorge,quineprésenteaucunerésistanceàKrishna.Ilpassela

maindessousetlafaitglissersurlecôtépouratteindresesseins.Ilserapproche.Illestouchepresque.Non.Non…Çanevapasdutout,etpasseulementparcequecettescènemeprendaudépourvu.Çanevapaspour

toutuntasderaisonsquejeparviendraispeut-êtreàidentifiersiellesn’étaientpasjustemententraindemetapersurlatêteenungrosnuaged’émotions,uncumulusmousseuxetfroidquim’empêched’yvoirclair. Surtout que la scène continue.Krishna a refermé les deuxmains sur les seins deBridget.Leurshanchesondulentenrythme,etelleaimeça.Elleadoreça.Jemesensobligéedemeraclerlagorge.Sinon,lesbruitsdehamsterdeBridgetrisquentdefinirpar

metuer.Ellefaitunbondenarrière–littéralement–etporteunemainàsabouche.—Tum’asfaitpeur!Jelèvemamaingauchecrispéeautourdemabouteillevide.—Jevenaisseulementchercherdel’eau.Grave erreur tactique. Ils se trouvent entremoi et l’évier, et se sentent donc obligés de s’éloigner

encoredavantagepourmelaisserpasser.Évidemment,ilesttroptardpourreculer.Jeme force à ne pas regarderKrishna et à ne pas écouter le bruit de leurs respirations haletantes.

J’essaie également d’écarter la réflexion malvenue que l’un d’entre nous au moins devrait trouverquelquechoseàdireencetinstantdegênesuprême.Bridget.Krishna.Lesdeuxplusgrossespipelettesauroyaumedesbavards.Réduitsausilence.L’eauquicouledansmabouteillefaitunboucanassourdissant.Jesensqu’ilsseregardentdansmondos.Jedevineleurconversationtacite,échangefébrilederegards

etdegestes.Jefermelerobinet,posemabouteilledansl’évieretmeretournepourleurfaireface.—Envoilàunesurprise,dis-jesuruntondétaché.Bridgetestcouleurbetterave.—Cen’estpasdutoutcequetucrois,bredouille-t-elle.Onpourraitpenserque…—C’estexactementcequetucrois,intervientKrishna.—Cen’estpasvrai!s’écrie-t-elle.Carolinevas’imaginerqu’onsevoitendouceparcequ’onneveut

pasqu’ellesache,mais…—Onsevoit endouce,depuisunmomentdéjà, rétorqueKrishna.Onnevoulaitpasque tu saches,

Caro.Bridgetluidonneuncoupdepoingdanslebras.—Arrête!—Quoi?Jen’aipasledroitdeluidirelavérité?

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—Non!Àt’entendre,oncroiraitquenous…Queje…Alorsquecen’estpas…—Cen’estpasquoi?—Cen’estpasjusteunplanculensecretentredeuxcolocsparcequec’estbienpratique!BridgetsondelevisagedeKrishnaavecuneexpressionpleined’espoirquimefaitdelapeine.Krishnaluidécochesonsouriredebranleurje-m’en-foutiste.—Jenevoispascequ’ilyademalàcequedeuxcolocssefassentunplanculensecret.Aprèstout,

c’estbienpratique.C’esthorrible.Bridgetsecrispeetblêmit.Ellesetasse.Krishnaluidonneunetapesurl’épaule,commes’ilsétaientdeuxvieuxpotes.—Jevouslaisse,lesfilles,ilfautquej’aillemedoucher.Onécoutel’escaliercraquersouslepoidsdesespas.—Oh,putain!dis-jedansunsouffletandisqu’illongelecouloirau-dessusdenostêtes.Bridget!Ellesecouelatête.—Nem’obligepasàenparler.—Pourtantjepensequ’ondevrait.—Jesais,mais…Ellesecachelevisagedanslesmains,alorsjelaprendsdansmesbras,enespérantquec’estlegeste

dontelleabesoin.J’aidumalàm’arracheràmapropreréactionpourmepréoccuperdelasienne.Puisjeremarquequ’ellefrissonneetj’oubliedepenseràmoi.—Çafaitlongtempsqueçadure?Commentc’estarrivé?—Jenesuismêmepassûredesavoircequisepasse,exactement.—Entoutcas,ilyacinqminutes,ilsepassaitclairementquelquechose.—C’estcompliqué.J’auraisbienaimét’enparleravant,mais…c’esttellementcompliqué!Jenesais

jamaisoùonenest.Jenesauraispasparoùcommencersijedevaisenparler.D’ailleurs,jenesaispasparoùcommencer.—J’ailedroitdetediredequoiçaavaitl’air,del’extérieur?—Ah,non!Pitié…—Tuessûre?Çafaitparfoisdubiend’entendreunautrepointdevue.—Jesaisdéjàdequoiçaal’air.OndiraitquejesuisamoureusedeKrishnaetqu’ilmesautedessus

quandçaledémange,parcequejesuisplusoumoinstoutletempsdanslesparages,maisqu’ilvafinirparmebriserlecœuretfairecommes’ils’enfoutaitcomplètement,parcequetouslesmecssontcommeça,etmoi,pendantce temps, jevais rester lààpleurnicheretà raconterà tout lemondequec’estunincomprisauxprofondeurs insoupçonnées, saufque toi, tuespersuadéequeKrishnaestunboncopainmaisqu’onnepeutpascomptersurlui,surtoutdepuisqu’ilalaisséWestsefaireembarqueràsaplacel’andernier,parcequetuesfolleamoureusedeWestetquetuprendrastoujourssadéfense,quoiqu’ilarrive.Sescheveuxdégoulinentdansmoncou.Jelaserreunpeuplusfort.—Bon.Aumoins,tusaisdequoiçaal’air.—Crois-moi,jesaisparfaitement,pertinemmentetdouloureusementdequoiçaal’air.—Etcen’estpasréellementcommeça?—Malheureusement,si.Enfin,parfois.—Etlerestedutemps,c’estcomment?Elleprendunelongueinspirationetlèvelesyeuxauplafondtoutensemordantlalèvre.

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—C’estcommesijetombaisdans…Ellesecouelatête.—J’ail’impressionqu’on…Unfrissonmeparcourtl’échine.ÇafaitplusdedeuxansquejeconnaisBridget;c’estlapremièrefois

quejelavoischerchersesmots.—Bridge…—Jen’arrivepasàdécrirecommentc’est,souffle-t-elleenhaussantlesépaules,maisilfautcroire

queçavautlapeinedesupportertouteslesconneriesquej’aidûsubir–etjetegarantisquej’enaivudesvertesetdespasmûres.Cequ’ilvientdenousfaire,là,balanceruntrucignobleaveclesourireavantdesebarrertranquillement?Cen’estriendutoutcomparéàsescoupsdeflip,etilflipperégulièrement.Sionnepassaitpasleplusclairdenotretempsà…—Àcopulercommedeslapins?Ellesecachelevisagedanslesmains.—Ouais.Oh,putain!—Continue.—Sionnepassaitpasautantde tempsàse sauterdessus, jepourraisen raconterdessaléesà son

sujet.—Cen’estpasincompatible,tusais.—Jesais,maisçameparaîtraitdéloyal.Jel’aimebien,quandmême.—Peut-êtremêmequetul’aimes,toutcourt?Elleposelefrontsurmonépaule.—Pitié!Nedispasça.C’esttropdébile.—Tupeuxyaller.J’aidel’expérienceenlamatière.Quandelles’écartepourmeregarder,c’estavecdesyeuxbrillantsdelarmes,maisellesourit.—Jepeuxt’avoueruntruc?Jetepréviens,c’esthorrible.Tuvasmedétester.—Çam’étonnerait.—Avant,jepensaisqu’iln’yavaitquelesimbécilesquicommettaientdeserreurs.Jepensaisqueles

gensseplantaientparcequ’ilsétaienttropbêtespoursavoircequ’ilfallaitfaire,alorsquemoi,j’étaissuffisammentfutéepourdétecterlesconneriesdeloinetlesévitertranquillement.Jetrouvaisçadébiledelapartdemamèredenepasserendrecomptequemonpèrelatrompait,oudelapartdemonpèred’avoirprisunemaîtresse.Etpuis,j’aihontedet’avouerçamaintenant,maisaprèscequeNatet’afait…Jel’interromps.—Tutrouvaisquej’étaisdébile,moiaussi?—Enquelquesorte…,bredouille-t-elle,gênée.Enfin,non,jesaisbienquetuesloind’êtrebête,mais

jepensaisque,surcecoup-là,tun’avaispasététrèsmaligne.Jemedisaisquejen’auraisjamaislaisséunmecmefaireça,àmoi,etjenecomprenaispaspourquoiçat’étaitarrivé.Laseuleexplication,c’étaitquetuétaismomentanémenttombéedansunabîmedestupiditémaisquetuenétaisressortie.—Jen’enrevienspas!—Jesais.Jesuisdésolée,maisavecKrishnajecommenceàcomprendreque…—…quec’estpossiblepourquelqu’undetrèsintelligentdefairedestrucscomplètementcons?—Etd’enêtreparfaitementconscient,enplus!ajoute-t-elle.C’estça,lepire.—Ouais,dis-jeenhochantlatête.Jemesuisfaitlamêmeréflexion.«Oh,monDieu,jesuisvraiment

tropconne.Jemériteraisdemefairearrêterparlapolicedelaconnerie.»Puis,sanstransition:«Oh,putain!Qu’ilestbeau!Jel’aime.Tantpissic’estunebêtise,jevaislafairequandmême.»—Voilà.Çapue,hein?

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—Çapueducul.Jeconfirme.—Çapueduculdevacheenragée.—Quitailledespipesàdesponeys.—DesgrosponeysdégueulassesquiprennentdesphotospourposterçasurInternet,renchéritBridget.—Etquivontfairedescunnisàuneautrepourtemainteniràdistance.—Etquitefontlalistedetouteslesfillesavecquiilsontcouchépendantqu’ilst’enlèventtaculotte.—Non!Iln’apasfaitça,quandmême?—Etsi.—Oh,lavilainepetiteordure!dis-je.Tudevraislelarguer.Alorsonéclatederire,etjelaserrecontremoidetoutesmesforces.Jesuiscontentedel’avoirvue

avecKrishna,mêmesic’étaitunpeurudeauréveil.JesuiscontentedevoirWestpartoutàPutnam,mêmes’ilhabiteunepetitebulled’isolement.Cequiseraitgénial,ceseraitquej’aiedessuperpouvoirsquimepermettentdegommerlacruautédu

monde.Jepourraistoutchanger.JepourraisinfléchirlaviedeWestpourqu’elleleramèneversmoiaulieudel’éloignercommeça.Jeferais toutpourqu’iln’ait jamaiseuàchoisird’agircommeilaagi–pourqu’iln’aitjamaispufairecechoix.JepariequeBridgetsouhaitelamêmechose–rectifierlepassédeKrishnapourenretirercequil’a

renducommeça,histoirequ’ilcessedelamenerenbateauetqu’iloseenfins’avouerquecequ’ilsontest bien réel. C’est là qu’une question s’impose. Qui serait Krishna s’il n’était pas intégralementKrishna?EtquiseraitWestsijeréécrivaissaviepourfaireensortequ’ilnemedéçoivejamais?CeneseraitplusWest.Orjeneveuxpersonned’autrequeWest.J’aimemieuxrisquerdemeplanteretavoirquelquechosedevrai–untrucindéfinissablequimefait

dumalmaisquim’électriseenmêmetemps,untructranscendant,essentiel–quegardermesdistancessagementetnerienavoirdutout.Je vais trouver un moyen de le reconquérir. Tant pis si tout le monde trouve que je suis débile

d’essayer,tantpissitoutlemondemeditquejenedevraispasetquejevaisleregretter.Tantpissitoutlemondecroitquec’estunemauvaiseidée–moilapremière.C’estpeut-êtreunemauvaiseidée,maisjem’enfiche.Jecomptebienfoncertêtebaissée.Cetaprès-midi-là,montéléphonesonneàlabibliothèque,cequimevautquelquesregardsnoirs.Ilest

16heures,ilrègneunsilencestudieux,etj’aioubliédemettremonportablesurvibreur.Jeplongelamaindansmonsacetfinisparletrouvertoutaufondd’unepocheoùjenelemetsjamais,

rougedehontequ’ilaitsonnéaussilongtemps.Jerefusel’appel–unelignefixedelarégionquejenereconnaispas–etmeremetsàmadissertation.Uneminuteplustard,montéléphonevibredansmapoche,etj’aiunedrôled’impression.Jenesaurais

pasl’expliquer.C’estbizarre.Commesimescheveuxsedressaientsurmatête.Commequandlesgensdisentqu’ilsontunpressentiment,unesensationdedéjà-vu.Jeprendsl’appeltoutenrangeantmonordinateurdansmonsac.—MademoisellePia…Pia…—Piasecki,dis-je.—JeffGorhamàl’appareil.Jesuisconseillerd’éducationàPutnamElementarySchool.Jesuisavec

lapetiteFrankieLeavitt,quiabesoinqu’onlaraccompagnechezelle.Jen’aipasréussià joindreson

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frère,et,d’aprèsmesdossiers,vousêtessoncontactencasd’urgence.C’estbiença?Je n’en ai pas lamoindre idéemais, en sortant de la bibliothèque sous un ciel gris d’automne, je

n’hésitepas.—Oui,oui.Vousavezessayéd’appelerleportabledesonfrère?—Frankieluialaisséunmessage,oui.J’entendsunepetitevoixdéforméeàl’autreboutdelaligne,puisleconseillerd’éducationreprendla

parole.—Est-cequ’ilvousseraitpossibledevenirlachercher?Jejetteuncoupd’œilàmamontre.J’aiuneréuniondansuneheure,maisl’écolen’estpasloin.—Biensûr.Jeserailàdansdixminutes.Mavoitureestgaréeàl’estducampus.Sansréfléchirjememetsàcourir,impatiente,paniquée.Ces

mots,«encasd’urgence»,ontdéclenchéunsignald’alarmeàl’arrièredemoncrâne.Etpuis,jenenieraipasl’évidence:West.C’estluiquiadûinscriremescoordonnéesdanscedossier,etjepariequ’iladétestédevoirfaireça.Ilrisquedenepastrouveràsongoûtcettemésaventure.Quandjem’arrêtedevantl’établissement,Frankieestassisesurlesmarchesencompagnied’unhomme

quiparaîtassez jeunepourêtreétudiantàPutnam.Jedescendsdevoitureet lui fais«bonjour»de lamain.Puisj’attendsdevoirs’ilsmefontsigned’approcher.Jeneconnaispaslamarcheàsuivrequandonvachercherunegaminededixansàlasortiedescours.Apparemment, il suffit que Frankie dise au conseiller d’éducation que je suis la personne qu’elle

attend,parcequ’unesecondeplustardelleselèveetvientàmarencontre,têtebasse.Quandellemontedanslavoitureetretiresonsacàdos,ilheurtelelevierdevitesse.—Désolée,dit-elleavantmêmequej’aieeuletempsdedémarrer.J’airatélebus.Jenesavaispas

queM.Gorhamallaitt’appeler.—Cen’estpasgrave.Oùest-cequejet’emmène?—Ben…àlamaison.—Etc’estoù?—Toutdroit.Cetrajetenvoiture…J’ai l’impressionde transgresserun interdit,d’enfreindreune loi. Jemesenscoupable,aussi,parce

que Frankie m’a envoyé quelques textos depuis qu’ils sont arrivés dans l’Iowa, mais j’ai essayé deprendre mes distances en attendant un jour ou deux pour répondre et en me bornant à des banalités.J’avaispeurqu’ellenes’accrocheàmoietquejenemeretrouveàdevoirluiexpliquerquesonfrèreetmoi…Jen’auraismêmepassuquoidire.Auboutdequelquesminutes,jemedécideàparler.—Tuasessayéd’appelerWest?—C’estcequej’aifaitcroireàM.GorhammaisjenevoulaispasembêterWest.Jepensaisrentrerà

pied,maisM.Gorhamn’apasvoulu.—C’estlong,àpied?—Jenesaispas,peut-êtreuneheure.Tourneàgauche,là.Aprèslevirage,jel’étudieàladérobée.Ellealesyeuxgonflés,commesielleavaitpleuré.—Tuasvraimentratélebus?Ellehausselesépaulesetsetourneverslavitre.Jecomprendsquelaréponseest«non»,maisqu’elle

neveutpasendiscuter.—Tuveuxqu’ons’arrêteacheterquelquechoseàgrignoter?

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—Non,ilyatoutcequ’ilfautàlamaison.—VersquelleheureWestdoitrentrer?—Versminuitetdemi.—Minuit?—Oui,iltravaillelessoirées.—Quelssontseshoraires,exactement?—De 15 h 30 à minuit, en général, mais des fois ils font des services longs. Dans ces cas-là il

travaillede16h30à2heuresdumatin.—Tuestouteseule,touslessoirs?—Non,ilenchaînequatrejoursdeboulotettroisjoursderepos.—Tuestropjeunepourresterseuleaussilongtemps.Frankiefaitunegrimacebutée.—Àdroite,là.On arrive à une petite ferme auxmurs blancs en pleine campagne.Là où on s’attendrait à voir des

carrésdepelousesetrouventd’immensesstructuresmétalliques,reliéesentreellesparunpetitsentierdegravier.J’aientenduparlerdecetendroit.LaurieCollins,l’hommeauprénomdefemmequiacréétoutesces

sculptures,estunartisteenrésidencepermanenteàPutnam.Ilestconnusurlecampusparcequec’estluiqui a fait l’espèce de phallusmétallique géant qui amuse tant les étudiants,mais je crois bien que saréputationdépassel’université.Lesitedelafacluidédieunepageentière.—VoushabitezchezleprofesseurCollins?—Non,onlouel’appartementau-dessusdugarage,là.Elledésigneunpetitescalierenboisquimèneàuneporte.Jem’arrête.La fermesembleêtreunendroit agréableet sûr.Lamaisonest trèsmignonne,avec ses

rideauxjaunesoleiletsaportebleuvif.Enrevancheiln’yapersonnequipassesurlaroute,personneenvue.IldoitrégnerunsilencepesantdanscetappartementquandFrankieyestseule.—Merci,Caroline,dit-elleenouvrantlaportière.—Attends.Elles’immobilise.—J’aiuneréuniontoutàl’heure,maissituveuxunpeudecompagnie,tupourraism’accompagner.On

vafairedesaffichespourunemanifestation.Lebureaudesétudiantsad’énormesrouleauxdepapieretdesmarqueursgéantsqu’onpeututilisercommeonveut.Çatedit?Etaprès,onpourraitdînerensemble.Enfin,saufsituasdesdevoirsàfaire.—J’aidesdevoirs,maissijerentreàlamaisonsuffisammenttôt,j’aurailetempsdelesfaireavant

d’allermecoucher.—Tuvastecoucheràquelleheure?—À21heures.—Doncsijeteramènevers19heures,çadevraittelaisserassezdetemps?—Oui.—Saufsitun’aspasenviedetraîneravecunebanded’étudiants,biensûr…Jevoisunmusclejouerdanssamâchoire.Elleressembletellementàsonfrèrequemoncœurseserre.—Si,aucontraire.J’enaienvie.—Super.Elleremonteenvoiture.

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Jefaisdemi-tourdansl’allée,etonreprendlaroute.Plus on s’éloigne de la ferme, plus je suis persuadée d’avoir pris la bonne décision. Frankie

m’accompagneàma réunionet semontre étonnammentdouéedans l’art de confectionnerdes affiches.Puisjelaramènecheznouspourdîner,etlaprésenteàBridgetetKrishnadanslacuisine.Ellepartageavecnousl’espècedecurryqueKrishnaapréparéaudébottéquandBridgetluialancélepariqu’iln’yarriveraitpas.L’ambianceestjoyeuse,cequimedonneàcroirequetoutvabienentreBridgetetKrishna.Bridgetmejetteunregardquisemblesignifier:«Maisqu’est-cequetufabriques,là?»Jehausselessourcilspourluifairecomprendrequ’onenparleraplustard.KrishnataquineFrankie,quirigoletellementqu’ellesecasselafiguredesachaiseetqu’ellesefend

lalèvre.Jelaraccompagneàlafermeàlanuittombée.LamaisondesCollinsestilluminée,etondevinedes

silhouettes à travers les rideaux. Frankie n’a cessé de parler du sculpteur et de sa femme,Rikki, quienseigneelleaussil’artàPutnam.Apparemment,Frankieaimebienallerpasserdutempsdansl’atelierdeLauriequandilytravaille.Ilestévidentqu’ilssontdevenusproches.Westdoitêtreaucourant.Iladûs’arrangerpourqueFrankieaittoujoursunadulteversquisetourner

quandiln’estpaslà.Ilnelalaisseraitpaslivréeàelle-même.Saufqu’aujourd’huielleavaitbesoindequelqu’un,etquecen’estpassonfrèrequ’elleaappelé.—Àproposdecettehistoiredebus,dis-jesuruncoupde tête.Tune l’aspasvraiment raté.C’est

justequetun’avaispasenviedeleprendre.Jemetrompe?Elleestpenchéeenavantpourrefermersonsacàdos.—Tun’espasobligéedemeracontercequis’estpassé,Frankie,maiss’ilyadesjoursoùtuveux

quejeviennetechercher,tun’asqu’àm’envoyeruntexto.Frankieposesonsacsursesgenoux,lamaincrispéesurlabretelle.—C’estvrai?Çanetegênepas?—Aucontraire.Jenepeuxpasdevenirtonchauffeurprivé,nonplus,maissituasunsouci…Elletripotelapoignéedelaportière.—J’ail’impressiond’êtreuneextraterrestre,ici.—Commentça?—Lesautres…Ilsnesontpasdutoutpareilsquemescopains,dansl’Oregon.Jenemesenspasàma

place.Etpuis,ilyaungarçon,danslebus…Ilmeregardetoutletempsetilditdestrucs.—Destrucsméchants?Ellehochelatête.—Ilsemoquedemoi.Desoncorps,sansdoute–desesseinsplusprécisément.Lesenfantspeuventêtresuperdurs.—Tuenasparléauchauffeurdubus?—C’estunedame.Non,çaneserviraitàrien.—Ça,tunepeuxpaslesavoirsitun’essaiespas.—Sijemeplains,ilvaraconterquec’estn’importequoi,quej’aitoutinventéparcequej’aiunfaible

pourluietquejefaisçapourattirersonattention.Çavaseretournercontremoi.Jepinceleslèvres.Onn’ajamaiseubesoindedéménager,maisjemesouvienstrèsbiendecequise

passaitquanddenouveauxélèvesarrivaientàl’école.Pourpeuqu’ilssoientnésdansuneautrerégiondesÉtats-Unis,ilsnoussemblaientdébarquerd’uneautreplanète.Ilsn’avaientpaslemêmeaccentquenousetn’employaientpaslesmêmesexpressions.Parfoisilsavaientdesjouetsqu’onn’avaitjamaisvusoudesjeansd’unemarquequ’onneconnaissaitpas,ettoutescesdifférencesnousparaissaienténormes.

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—TuenasparléàWest?Ellesecouelatête.—Ilestfurieuxcontremoi.—Pourquoi?—Pourrien.Ilesttoutletempsencolère,mêmes’ilneveutpasquejelesache.C’estmafautesiona

dûvenirici.—Jecroyaisquec’étaitpourqu’ilpuissereprendresesétudes.Ellesecouelatêteunefoisdeplusmaisrestemuette.Jenesaispasquoiluidire.Lesilences’installeetdurepresqueuneminute–unsilencequelechant

descriquetsnevientpasadoucir.Lanuitesttropfraîche.L’étéestfini.JeregardeFrankie,lamainsurlapoignée,lescheveuxdevantlesyeux.Cettegamine…J’adorecettegamine.PasdelamêmefaçonqueWestl’aime,évidemment,maisàmamanièreàmoi,

parcequ’elleesttoutejeuneettoutemignonne,parcequ’elleessaiedejouerlesduresàcuireetparcequesaboucheetsamâchoireressemblentàcellesdesonfrère.Jeposeunemainsursonépaule.—Situcraques,appelle-moi.Jeviendraitechercher.—Tun’espasobligée.—Jesais,maisçamefaitplaisir.—Enrevanche,çanevapasplaireàWest.—Ça,c’estsonproblème.S’iln’estpascontent,iln’aqu’àvenirm’enparler.D’accord?Ellesouritpresque.—Jemesuisbienamuséeaujourd’hui.—Moiaussi.—Merci.—Derien,mapuce.Laportièreclaquederrièreelle.Jelaregardemonterl’escalier,sortiruneclédesonsacetentrer.Ellearaison:Westnevapasêtrecontent.Pourtant,alorsquejelaregarderefermerlaportedeson

appartementvide,j’ailachairdepoule.Tantmieux.Jesuisimpatiented’endécoudre.Aprèscettesoirée,chaquefoisquemontéléphonesonne,jemedisqueçavaêtreWest.Engénéral,c’estFrankie.Unjourelleveutmemontrerlesbouclesd’oreillesqu’elles’estachetéesàWalmart.Unautreellemedemandemonavispoursoncostumed’Halloween:DorothydansLeMagiciend’Oz

ouCatwoman?Ellem’écrit:

Coucou,çava?Ou:Impossibledetrouverunebonnepizzadanscetteville.Pourtant il se passe plus d’une semaine avant qu’elle me demande si je peux venir la chercher à

l’école.Jesuisàlabibliothèque.Montéléphonevibreetmefaitsursauter.Jemesuisassoupie,lajouedanslamain.J’aichaudauvisage.J’essuieunfiletdebaveà lacommissuredemes lèvreset jetteuncoupd’œilalentourpourvoirsi

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quelqu’unaremarqué.Ouf!Iln’yapersonneenvue.C’estunmagnifiquevendredid’octobre,et j’enconclusque laplupartdesétudiantsonteu labonne

idéedeprofiterdubeautempsaulieudes’enfermer.Jeréponds:

Pasdeproblème.Àquelleheure?Maintenant.OK.Donne-moidixminutes.

Quandj’arriveàl’écolejetrouveFrankieassisesurunpetitmuret.Lesbusnesontpasencorepartis,pourtantjelavoisimmédiatementparcequ’elleesttouteseuledanssoncoin,lesgenouxramenéscontrelapoitrine,lesbraspassésautour,lesyeuxbaissés.Elleportedesleggingsnoirsetunlongpullsombre.Puiselleseredresseetprendsonsacàdossuruneépaule,j’aienviedepleureràlavuedesespetitsgenouxcagneuxetdesesmolletstoutmaigrichons,avecsesseinsbeaucouptropgrosetarrondispoursasilhouette–cebébé-femmeesseulé.J’aimeraispouvoirlaprendredansmesbrasetlaprotégerdesvacheriesdelavie,enparticulierde

cellesquecettedernièreréserveauxfilles,qu’ellessoientintelligentesoupas,qu’ellesaientdesseinsoupas.J’ensuisincapable,alorsjel’emmènefairedescourses.Il n’y a pas de boutiques dignes de ce nom à Putnam, alors on va dans un magasin qui vend les

uniformesde toutes leséquipessportivesde la région.Là-bas,onnavigueentredes trucsenpolyesterbrillant de toutes les couleurs, décorés des emblèmes de toutes les écoles possibles et imaginables.J’achèteàFrankieunshortdebasketgigantesqueà2dollars–noiravecdesdétailsjaunes–etlemaillotassortiquiproclamefièrementsonallégeanceaux«FrelonsdePrairieville».Puisonserendàl’ArméeduSalut,oùonessaietoutessortesdefringuesridicules–desrobesdebal,

dessalopettes,unerobe-pullquidoitdaterd’avantmanaissance,desjeanstaillebassequidévoilentlaraiedesfessesquandonsepenche.Onvamangerunburgeraufoyerdesétudiants,oùoncroiseKrishna.Onpasseunebonnesoirée,tous

lestrois–enfinjecrois.C’estsympadecasserlaroutinedetempsentemps.QuandjeraccompagneFrankie,ellemedemandedevenirvoirsoncostumed’Halloween.Jem’empressed’accepter.Leurappartementn’estpastrèsgrand.Àpartlesalonetlacuisine,iln’yaquedeuxchambresdepart

etd’autred’unpetitcouloir,aveclasalledebainsaubout.Lacuisineestséparéedusalonparunmuretsurmontédeboutsdeboispointus,commeonentrouved’habitudedanslesrambardes.Touslesplacardssontenboissombre.L’évier est étincelant, etquelqu’una suspenduune lavette soigneusementpliée sur le coldu robinet

pourlafairesécher.West.Dans le frigo, ilyauneassiettecontenantunburrito faitmaison,avecunPost-it sur laCellophane.

C’estl’écrituredeWest.«Deuxminutesaumicro-ondes,puisajoutelasaucetomateetlacrème.»Jetrouveunecartouchedecigarettesdanslecongélateur,àcôtéd’ungrospotdeglaceaucaramel.QuandFrankieressortdesachambre,jenousensersunbolchacune,puisjeluifaisfairesesdevoirs.L’horlogedelacuisineégrènelessecondes.J’ail’impressionqu’elleralentitavecchaqueminutequi

passe.Quand j’avais treize ou quatorze ans, je faisais beaucoup de baby-sitting. Je me rappelle bien ce

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frissond’anticipation– l’attente avidedumomentoù les enfants allaient se coucher etoù j’étais enfinlibred’explorerlamaison,demangerunpeudeglaceendouce,d’ouvrirlesplacardsetlestiroirs.Frankienecessedemedemanderderesterencoreunpeu.«D’accord,dis-je.J’attendsquetuaiesfinideprendretonbain.»«Bon,d’accord,jet’aideàchoisircommenttuvast’habillerdemain.»«Jevaisvenirm’asseoiràcôtédetonlitetdiscuterencoreunpeu.»«Jevaistecaresserledosjusqu’àcequetut’endormes.»«Biensûr,mapuce.»Enfin,alorsqu’elleronfletoutdoucement,jetraverselecouloirsurlapointedespiedsetentredansla

chambredeWest.Ilyauntee-shirtjetéenvracsurlelitdéfait.Unepiledelivressursonbureau,quin’estpaslemêmebureauquel’andernier,unmatelasplusgrand,

uncouvre-litvertfoncéàmotifsderosesgéantesquidevaitdéjàêtrelàavantparcequej’imaginemalWestacheteruntrucpareil.Descapotesdansletiroirdelatabledenuit.Dessus,delalotionhydratanteetuneboîtedemouchoirsenpapier.Danssonplacard,jetrouveunecorbeilleàlingesaleàmoitiépleine.Jemepenchepourenprendre

unebrasséequejehumelonguement,levisageenfouidedans.LalessivedeWest.L’odeurdeWest,mêléeàcelledelasciuredeboisetdelasueur.Uneodeurde

lingesale.J’effleure du doigt les tee-shirts suspendus, tous ces vêtements que j’ai vus sur lui – que je lui ai

enlevés.Jeregardedanstouslestiroirs,fouillesouslelit,sanssavoircequejecherchejusqu’aumomentoùje

letrouve,enbasd’unepile,dansunechemisecartonnée.Unpetitmotque je lui avais laissé,unmatin.Unephotodenousdeuxque je trouvais suffisamment

belle pour l’imprimer et lui en donner une copie –West et moi en train de faire les andouilles à laboulangerie,delafarinesurlenezoulajoue,lesyeuxbrillants.Une-mailquejeluiaienvoyéaprèsqu’ilaquittéPutnametqu’ilavisiblementimprimé.«Jet’aime.Tuvasmemanquer.Jeveuxtoutcequ’ilyademieuxpourtoi,West.Toutcequ’ilyade

plusmerveilleux.Jeveuxquetusoisheureux.Jeveuxquetusoistoi-même.»Deuxcentsdollarsenbilletsdevingt,dansunecartedeNoël.Jerefermelachemiseetlarange.Deboutaumilieudesachambre,jemesensàlafoiseuphoriqueetcoupable.Un instant plus tard je suis dans la cuisine. Je sors la cartouche du congélateur et déballe

méthodiquementchaquepaquet,quejevidesurlatable.Puisjem’assiedsdevantlapiledecigaretteset,uneparune,lesfaisroulerentremonpouceetmon

indexjusqu’àcequeletabacentombe.Jenesaispascequimeprend;jenemeposepasdequestions;jecontinue.Jeravaleladouleurqui

mevrillelecœuretlefroidpalpablesousmesdoigtsjusqu’àcequ’ilneresteplusrien.Puisjeretournedanssachambre,sorslepetitmotquejeluiavaislaisséetleposesurlatable.Enbas

delapage,j’ajoutequelqueslignes.Le tabac, c’est toxique si tu enmanges assez, et c’est vachement plus radical que de lefumer.

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Jeplaceunefourchetteàcôté,ramassetouslespapiersetlespaquetsvidesquitraînentetlesjetteàlapoubelle.Alorsjemeredresseetobservelascènequej’aicréée.Jedeviensfolle.Pourtantjeressensunétrangedétachementfaceàcequiestconsidérécommenormalouanormal.J’ai

l’impressionquemoncomportementestjustifié,quej’ailedroitdefouillersachambreetdeluienvoyermesémotionsàlafiguredelafaçonquej’aichoisie.Jenesaispassic’estàcausedecequ’ilm’afaitouàcausedecettechemisequej’aitrouvéedanssa

chambre,àcausedelaprésencedemonnomsurledossierscolairedeFrankieoupourtouslesmomentsquenousavonspartagés.Peuimporte.Jerassemblemeslivres,allumelalumièreduperronetsors.Jem’assiedssurlapremièremarchedel’escalieretrenverselatêtepourregarderleciel.C’estunfouillisd’étoiles.Jem’allongesurledosetm’aventurelà-dedansjusqu’àm’yperdreencore

plusquejenel’étaisavant.Jetendslesmainsettracelesconstellationsduboutdesdoigts,cherchantàidentifierd’autresformes,

etjerepenseàmonpremierbaiseravecWest,surletoitdelamaisonoùj’aigrandi.Onétaitmontéspourregarder les étoiles.Onavait fuméde l’herbe, et je l’aimais tellement !Sabouche sur lamienne, soncorpssichaudauprèsdumien,sonbeauvisage.Leslarmesquicoulentlelongdemestempesetvontseperdredansmescheveuxsontbrûlantes,mais

jenelescueillepas.Çafaitdubiendepleurer.Çafaitdubiend’êtreici,àattendreWestaumilieudecetteforêtd’étoiles.Dès que j’entendrai son pick-up s’engager dans l’allée, je me lèverai et irai me réfugier dans ma

voiturepouréviterdeluiparler.L’heuren’estpasencorearrivée.Cesoir,jeluiaipréparéunesurprise.Jen’osepasenfairedavantage…pourl’instant.Jusqu’àcequ’ilrevienne,jeresteraiici,àattendrequelanuitmeporteconseil.Àattendrelalumièrequisaurameguider,àattendrequelapaixmemontrelechemin.Le lundimatin, trois jours après avoir tué les cigarettes deWest, jeme rends àmon séminaire en

compagniedeBridget.Nouspassonsdevantlebâtimentd’artsplastiques,etilestlà.Isolé.Unecigaretteauxlèvres.Bridgetmeraconteunfilmqu’elleavuavecKrishnapendantleweek-end,maisjedériveversWest

pourallermeplanterdevantlui,luiprendssacigarettedesmainsetl’écraseàsespieds.Aujourd’huisesyeuxsontverts,commelesparoisdeverredubâtimentdesarts.Lablancheurdeses

dentsm’éblouitquandilsourit.—J’enaid’autres,tusais.Savoixestsilégèrequejel’imaginecourirsurmapeau,commesesdoigtssurmestétons.—Jevoisça,dis-je.Jemesensdouceetélastique–monvisage,mesyeux,mabouche.J’aienviedem’appuyercontrelui

jusqu’àcequesesangless’imprimentenmoi,mefaçonnent,mechangent.Jerebondiraiunefoisqu’ilseraparti.Jerebondistoujours.Ilsecouelatête,sortsonpaquetdecigarettesdesapocheetenchoisitune.Illatapotecontrel’ongle

desonpouceavantdel’allumer.Puisilsoufflelafuméepar-dessusmatête.—Pasévidentdes’endéfaire.—Tuparlesdemoioudelaclope?

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Ilprenduneboufféeenplissantlesyeux.—TunedevraispaspasserautantdetempsavecFrankie.—Peut-êtrequ’ondevraitsevoirundecesjours,endiscuterautourd’unbonrepas.—Tudevraisarrêterçaaussi.—Quoi,«ça»?Iltendl’indexversmoi,puisverssontorse.C’estsûrementcensémedécourager.Cettefois,jeluienlèvelacigarettedelabouche.Jeposemeslèvreslàoùétaientlessiennesetinhalelentement,laissantlasaveurdeWestcirculeren

moi.Jel’attiredansmoncorps,danslescavitésdemoncœur.Ilmeregardesouffler.Jelaissetomberlaclopeparterreetl’écrase,elleaussi.Bridgetmeprendgentimentlepoignetetmeditqu’onvaêtreenretard,qu’onestdéjàenretard,mais

jenequittepasWestduregard.Jenerompslecontactquelorsquenoustournonsaucoindubâtiment.Ildisparaît,lesmainsdanslespochesarrière,lescoudesécartés.Sonsourires’effaceàmesurequejem’éloigne.Jecommenceàremarquerlamusique.Jenedispasquej’entendsdelamusiquedansmatête,maisje

commenceàfaireattentionàlamusiquequim’entoure,partout,toutletemps.Aucoursde laquinzainequiprécède lesvacancesd’automne–une semaineaprès lemassacredes

cigarettesdeWest,lasemaineoùjevaischercherFrankieàl’écoletroisfoisdesuite,oùjefaisunsans-fauteàdeuxexamensetamélioremamoyennedelatin–,j’entendsdescomplaintestristesaucafé.J’entendsdelapopàlaradio.J’entendsunemélodiesourdequiflottejusqu’àmoidepuislachambredeKrishna.Attirée,jem’approcheetmepostesurleseuil,d’oùjevoisBridgetinstalléeentraversdulit,lespieds

croiséssurlescuissesdeKrishna,unlivreouvertsurlesgenoux.Krishna,quantàlui,estallongésurleventre,un livreàsagauche,unegrossecalculatriceàportéedesamaindroite,occupéàgriffonneraucrayondesformulesauxquellesjenecomprendsrien.Ilestabsorbéparseschiffresetsessymboles,maisc’estlamusiquequimecaptive.Jereconnaisl’album–illepassesouvent–maisjemerendscompteseulementmaintenantquechaque

pisteestunechansond’amour.JevaiscouriravecBridget.Unbonnetsurlesoreilles,lesmainsprotégéespardesgants,onsortdans

lefroidmatinaletondécritungrandrectangleautourducampusentournanttoujoursàgauche–toujours.Elleestobligéederalentirl’allurepoursecalersurmonrythme–enplus,jemedéconcentrechaquefoisquejeremarquedesparolesquejeneconnaissaispas,unboutdemélodieauquel jen’avaispasprêtéattentionavant.Je fais signe à Bridget de ne pas m’attendre ; je veux pouvoir écouter tranquillement, les mains

presséessurlesoreilles.Encoreune!Encoreunechansond’amour.Des chansons d’amour rageuses ou plaintives, tristes ou euphoriques, sensuelles oumignonnes, des

prétentieusesoudestragiquesoùl’onpleuredeslarmesdesang.Partout,oùquej’aille.Jem’arrêtesurletrottoirunmatin.Lesbrinsd’herbesonttoutgivrés,ilyauncorbeauperchésurun

poteautélégraphique,lecielestd’unbleulimpideet,dansmesécouteurs,unefemmeimploresonamantdeluirevenirsurfonddepercussionsentêtantes.Deretouràlamaison,jesuisdenouveauattiréeparlamusiquedeKrishna.

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PasdeBridgetàl’horizon.Ilssesontdisputéshiersoirpouruneraisonquej’ignore,etjenel’aipasvuedepuis.—Tuvasbien?medemande-t-il.Jenesaispasquoiluirépondre.Jesuisamoureuse.J’aiparfoisl’impressionquec’estunemaladieincurable,quejesuisenphaseterminalededébilité,

quec’estunmaldangereuxquimepousseàfairedestrucsstupidescommem’envolerpourl’Oregonouréduireànéantunecartouchedeclopes.KrishetBridget sont amoureux.Ça lespousseà fairedes trucs stupides commesementir sur leurs

sentiments,refuserd’admettrecequisepasse,s’embrasser,setoucher,puisprendrelafuiteaussitôt.Est-cequejevaisbien?Est-cequeçamevad’aimercommeça?Non.Pourtantçameparaîtnécessaire.J’entendsdelamusiqueàlongueurdejournéeetjecommenceàmedirequecequiclochechezmoi

n’estenfaitriend’autrequecequiclochecheztoutlemonde.J’enviensàmedemandersicen’estpasnormal,enfait.Parceque,sicen’estpaslecas,qu’est-ce

queçasignifiequetantdechansonsparlentd’amour?Qu’est-cequeçasignifiequejelesentendeoùquej’aille?Les vacances d’automne tombent la dernière semaine d’octobre, juste avant Halloween. Je rentre

passerquelquesjourschezmonpère.Lamaisonmefaitpenseràunechaussuretrouvéedansunmagasindefripes.Jelatrouvesuperbelle,

maisdèsquejel’enfile,ellemeparaîttouteraide,avecdesplisàdesendroitsbizarres.Jepourraisfairesemblantqu’ellemevasij’enavaisvraimentbesoinmais,aufond,jenesuisplusdupe.—Tuvasbien?interrogemonpère.C’estcequetoutlemondemedemande.L’autrejour,j’aiaperçumonrefletensortantdeladouche.Je

suismaigre,etondiraitqueçafaitunanquejen’aipasfaitunenuitcomplète.C’estlecas.—Oui,oui.Jenevaispasmal.C’estjusteque,certainsjours,j’ail’impressiondemedéplacersousl’eau,etqu’il

m’estdifficiledetrouverlesommeil.Quandj’yarrive,jerêvequejesuisbrûléevive.Jerêvequejesuisenceinted’unextraterrestre.Jerêvequejetombetoutesmesdents,quejeperdsunbébédontj’ignoraisl’existenceetquejeparsàsarecherchedanslecampus,danschaquesalledeclasse,aubureaudeposte,souschaquetabledelabibliothèque.Quandjesuisencours,jepenseauxbrasdeWest,auxmainsdeWest,ausouriredeWest.West.—Tuasl’airunpeudéprimée,meditmonpère.C’estleprocèsquit’inquiète?L’avocatdeNatearéponduànotreplainteparunedénégationformelleetademandéunjugementen

référé.C’estceàquoions’attendait.Aucoursdesdeuxjoursquej’aipasséàlamaison,monpèrem’arépétéaumoinsquatrefoisquelejugen’accepteraitpas.Notreplainteestsuffisammentétayéepourquel’affaireaillejusqu’autribunal,propulséeparlesrouagesbienhuilésdelamachine,jusqu’àcequel’onn’aitplusd’argentouqu’uncataclysmeviennetoutenrayer.Jenem’inquiètepaspourleprocès.Jecroisquemonpèreseraitsurprisd’apprendrequej’ypenseàpeine–etencore,seulementquandil

enparle.

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JeneluiaipasditqueNatehabitaitàmoinsdecentmètresdechezmoietquejelecroisaisparfoisenallantencours.Danscescas-là,onbaisselatêteouonregardeailleurs,commesionneseconnaissaitpas.—Çava,dis-je.—Tuessûre?—Oui.—J’aiachetédesbananesetdelaglacepourledessert.Tunouspréparesdesbananasplit?—D’accord.Jesorsdeuxbols,où jedisposeunepartde tranchenapolitaine,unebananecoupéeendeuxdans la

longueur, un peu de chocolat fondu, du caramel chaud, puis de la chantilly surmontée de quelquesamandeseffilées.C’estunvieuxrituelentremonpèreetmoi.Ils’approchealorsquejemetslatouchefinale.—Papa?—Oui?—C’estàcauseduprocèsqu’onnepartpasenvacancesàNoël?Ilsoupire.—Onenadéjàdiscuté.Il veut parler de l’argent. On s’est mis d’accord : je m’occupe de tout ce qui me concerne dans

l’affaire,etilsedébrouillepourl’aspectfinancierdelachose.Pourtantj’aimeraisbiensavoircequemavengeancevanouscoûter.—Toi,tuenasdiscuté.Jenecomprendstoujourspaspourquoituveuxenfairemystère.Sionnepeut

passelepermettre,alorspeut-êtrequeçanevautpaslecoup.—Ons’estdéjàtropinvestispourfairemarchearrièremaintenant.—Peut-être,maislecoûtnevafairequ’augmenter,etj’enarriveàmedemander…Ehbien,pourquoi

est-ce qu’on fait ça, au juste ? Ce queNatem’a fait – ce qu’ilm’a volé…C’est trop tard, je ne leretrouveraijamais.—Caroline,onadéjàparlédeça!Ilaraison.Onaretournélasituationdanstouslessens,onenaanalyséchaqueaspectetonaexaminé

toutes lesapprochespossibles.Ona largementrattrapé les longsmoisdesilencequiontsuivi lechocquandNateapostélesphotos.Onenaparléjusqu’àcequejen’aiepluslaforcededireunmot.—Etsic’étaituneerreur?Tunel’asjamaisenvisagé,ça?—Non.Bon, j’auraispum’endouter.Laphilosophiedemonpère,c’estqu’il fautdéciderdecequ’onveut

puistoutmettreenœuvrepourl’obtenir.L’ambitionestsareligion.Interdictiondebaisserlesbrasoudefairedescompromis.Ilouvrelebocaldecerisesetenattrapeune.—N’abandonnepas,Caroline.Çanevapasêtrefacile,maislejeuenvautlachandelle.Peut-être,maissilebutdujeuestdefairepayerNate,madéterminationcommenceàflancher.Jele

croisedanslarue,etilparaîtintouchable.Jelecroisedanslarueetjemerendscomptequejem’enfiche.J’ail’espritailleurs.Frankiem’envoie un texto lemercredi des vacances. Je retourne à Putnampour aller la chercher à

l’école.Plustard,unefoisqu’elleestendormie,jem’assiedsenhautdel’escalieretj’attendsWest.Jel’entendsavantdelevoir–levrombissementd’unmoteurquiapproche,unsondontlahauteuretle

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volumechangenttandisquelepick-upralentitpourprendrelevirage.Legraviercrissesoussespneus.Unfaisceaudelumièreblanchebalaielegarage.J’entendslesbottesdeWestsurlesmarchesau-dessousdemoi,maisjenelevoispas.Ilfaitsombre

prèsdelaporte,etlespharesm’ontaveugléemomentanément.Jevoisrougeoyerlemégotqu’iljetteavantdel’écraser.Puisilsebaissepourleramasser.Ils’arrêteàdeuxmarchesdemoi.—Frankievabien?—Elledort.Jemelève.Quelquesdizainesdecentimètrescubesd’obscuriténousséparent.—Jevoulaistedemander:est-cequ’ellet’aditqu’elleavaitdessoucisdanslebus?—Quelgenredesoucis?demande-t-il.—Legenredesoucisqu’ontlesfilles.Jenetrouvepasd’autrefaçond’exprimerlachose.Jenesaispasexactementquoiluidire.Moi-même,

jeneconnaispasgrand-chosedelasituation,àpartqueFrankieademoinsenmoinsenviedeprendrelebusaprèsl’école,cequisignifiesûrementquelegarçonquil’embêtenes’estpascalmé,aucontraire.Je n’arrive pas à décider si c’est à moi ou à Frankie de lui raconter ça. Je n’ai pas envie de

m’immiscerentreWestetsasœur.—Tuferaisbiendeluidemanderàelle,ajouté-je.Ilpousseunsoupir–unsouffled’airténu.—Jeneveuxpasquetuteprennespoursababy-sitter.—Jenesuispassababy-sitter.Onestamies.—Tunepeuxpasêtreamieavecunegaminededixans.—Si,pourvuquetumelaissesfaire.—Etsijerefuse?—Pourquoituferaisunechosepareille?Tasœurabienledroitd’avoiruneamie.Tunecroispas?—Uneamiedesonâge,peut-être.—OK.Imaginequ’ellesefasseunecopineàl’école.Ellenepourraitpasl’inviterici.Ellenepourrait

pasallerchezelleniallerjouerquelquepart,pasavecl’emploidutempsquetuas.Elleestcoincéetouteseuleiciplusieursheuresparjour.—Laurieluitientcompagnieparfois.—Oui,enfin,ildoitavoirlacinquantaine.TuoseraismesoutenirqueFrankieestmieuxavecluiqu’à

fairedestrucsavecmoi?—Non,grommelle-t-il.— Tant mieux, parce que ça fait du bien à ta sœur de passer du temps avec moi, et tu le sais

pertinemment.Westsedétournecommepourregarderversl’allée.Mavisions’estdenouveauadaptéeàl’obscurité,

suffisammentpourquejedistinguesonprofildécoupésurfonddenuitnoire,sapommed’Adam.Jedevinequ’ilestépuisé.Safatigueesttangible,unedéclarationdesoncorpsaumien,etjebrûlede

tendrelesbrasverslui,dereposermatêtecontresonépaule.Çamerappellelesmercredissoir,quandilenchaînaitsonboulotàlabibliothèqueavecsonservicede

nuitàlaboulangerie.Lorsqu’onrentraitenfinchezlui,iltenaitàpeinedebout.Ilselaissaittombersurlelit, retirait ses bottes d’un coup de pied puism’attirait à lui, cachait son visage dansmes cheveux ets’endormaittouthabillé.Ilyavaitlà-dedansquelquechosedemerveilleusementconfiant.Çam’étaitprécieuxdemetrouversi

prochedeluialorsqu’ilétaitdansuntelétatdevulnérabilité.

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Iltapeleboutdesabottecontreunemarche.—Jenecomprendspascequetufaisici.—Ilmesemblequejet’aide.—Jenevoispaspourquoituveuxaider.—Si.Tuvoistrèsbien.—Jet’aiditquejegarderaismesdistances,rétorque-t-il.J’étaissérieux.—C’estvraimentcequetuveux?Jel’entendsdéglutir.Jemedemandesisagorgeestaussinouéequelamienne,sisoncœurbataussi

fort.—Ouais.—Pourquoi?Ilgardelesilencependantsilongtempsquejecommenceàcroirequ’ilnerépondrapas,maisquand,

enfin,ilreprendlaparole,jeleregrettepresque.—Cequejet’aifait…Commeunclaquementdedoigts,cesquelquesmotsraviventmacolère.—Jet’aidéjàditcequej’enpensais.—C’estvrai,etc’estgrâceàçaquej’aicomprisquejedevaistelaissertranquillesijerevenaisici.—Àl’époquejen’auraisjamaisimaginéquetureviendrais.—Çanechangerien.—Aucontraire!Çachangetout,West!—Cen’estpasobligé,tusais.—Etsij’aienviequeçachange,moi?—Caro…Il se penche versmoi. J’ai l’impression qu’il vame toucher. Il lui suffirait de tendre lamain pour

trouvermatailleoumonépaule,maisiln’enfaitrien.Ilsoupire,redescendd’unemarche.—C’estmieuxcommeça.—Jenepensepas.Pourmoi,rienn’estmieux.Ilcroiselesbras.—Çavadevenirplusfacileavecletemps,tuverras.—Tuycrois,toi,àtespropresconneries?Ilsetait.Longtemps.Ilrelèvelesyeuxversmoid’unairgrave,alorsjesoutienssonregard.Jemedemandes’ilarriveàlire

surmonvisagedanslenoir.Jemedemandesiçaluimanquedenepasm’avoirdanssonlit,autantquenepasyêtrememanqueà

moi.Jenecomprendspluscequisepassedanssatête–cequ’ilcroitfaire,etpourquoi.Ilm’arejetéedela

façonlaplusviolentequisoitmais,depuis,ilestrevenuàPutnam.Alorspourquoinemerevient-ilpas,àmoi?«Cequejet’aifait…»Lesouvenirenestencoreàvif–troppourquejem’yattarde.Cedoitêtrepareilpourlui.Maissicesouvenirestlaseuleetuniqueraisonquil’éloignedemoi–sic’estsonsensdel’honneur

quileparalyse,commesij’étaisunebelleprincessedontilavaitsalilarobe–,alorsnon!Pasquestion,putain!S’ilveutsepriverdecequ’ilveutvraiment–etaupassagemepriver,moi,de

cequejeveux–,alorsiln’yariend’honorablelà-dedans.C’estdelaconneriebutéepureetsimple,etje

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refusedem’inclinerdevantça.Facileàpenser,medirez-vous,maisc’estuneautreaffairequedetrouvercomments’yprendre.Onseregarde,Westetmoi.Çamebriselecœur,sesjoliespommettes,lacicatriceàsonsourcil,sonnezpastoutàfaitcentré,ses

oreillestroppetites,sabouchesigrande,siexpressive,tellementparfaite!Çamebriselecœurdesavoirqu’àuneépoquepassilointainej’auraispul’entraîneràl’intérieuretle

mettreau lit, luioffrirunpeude repos,de réconfort– luioffrirquelquechose.Maiscetteépoqueestrévolue,etnoussommescoincésdansceprésent.L’étenduedecegâchismeserrelagorge.—Jemesenscoupable,dit-ilenfin.J’ail’impressiondeprofiterdetoiquandtupassesdutempsavec

Frankie,saufquejenepeuxrienyfairepuisquejenet’airiendemandéetque,quandjetepried’arrêter,turefuses.—PauvreWest.Çadoitêtredurpourtoi.Iléclatederire.—Vatefairefoutre,Caro.—Jeveuxbien,sic’esttoi.—Maisarrête,putain!Ilsepasselesdoigtsdanslescheveuxpuislesnoueàl’arrièredesatête.Ilpousseunviolentsoupir,

etçamefaitplaisir.J’adorelefairesortirdesesgonds.J’adorevoircetteéchappéedevérité,etledésirmedonnelevertige,commedelanicotine.C’estunjeu,mêmesijesaispertinemmentqueWestestonnepeutplussérieux.Onyadéjàjoué,luiet

moi,saufqu’àl’époquej’étaisterrifiée,blesséeetméfiante,maisc’estfini, toutça.Jesuisentraindegagner,etlapartienefaitquecommencer.—Pasplusd’uneoudeuxfoisparsemaine,d’accord?dit-ilenfin.Tuasd’autreschatsàfouetter.Et

puis, jeneveuxpasque tudépensesde l’argentpourmasœur.Laisse-moi tes ticketsdecaisse sur latableetjeterembourserai.—Sérieusement?Tuveuxqu’ons’amuseàfairelescomptes?—Tuveuxbienmelâcheruntoutpetitpeudelest,Caro?Tuasobtenutoutcequetuvoulais,àpart

ça.—Loindelà.—Caroline,rétorque-t-ilencroisantlesbras.Jel’imite.—West.—Qu’est-cequetuveuxquejetedise?—JecomptebienpasserdutempsavecFrankie,cequisignifiequ’onvasecroiser,toietmoi.Ilva

falloir que tu te fasses à cette idée – que tu t’habitues à me voir. Alors cesse de faire comme si jen’existaispasoucommesitoutallaits’arrangerjusteparcequetuenasdécidéainsi.Ilmefaitattendreavantderépondre–ungrondementgravequirésonnedanssapoitrine:—Bon,d’accord.Jemebaissepourrécupérermonsac.Mesgenouxmenacentdemetrahir.Jesuisuncocktaildétonant

d’adrénalineetdedésir,uncorpsdangereuxetstupide.Quandjemeredresse,Westmeregardetoujours,etc’estpire.Pirequemieux.C’esttoujourspirequemieux,avecWest.—Quoi?dis-je.—J’essaiedecomprendretastratégie.

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—Hein?Qu’est-cequitefaitcroirequej’aiunestratégie?—Tuasunespritpolitique,Caro.Tuastoujoursunestratégie.—Tuvasmefairepasserpourunemanipulatricesournoise.—Jen’iraispasjusque-là,maistudoisbienadmettrequetun’espastoujourstrèsdirecte.—C’estpeut-êtreparcequetuesrétifauxapprochesdirectes.—«Rétif»?Sonsourirem’électrise.—Nefaispassemblantdenepassavoircequeçaveutdire.Ilsecouelatête,lentement,l’airlas.—Cen’estpasmoiquifaissemblantici.—Ilyaunedifférenceentrefairesemblantetéviterd’êtretropdirect,surtoutquandonsaitque,sion

parletropfranchement,onrisquedesefairedescendreenflammes.—Etsituessayais,pourvoir?—Pascesoir.—Tuasobtenutoutcequetuvoulaispourcesoir.C’estça?Jeremontelabretelledemonsacsurmonépauleetmedressesurlapointedespiedspourapprocher

monvisagedusien.—Non.Cen’estpasçadutout.Illaisseéchapperunsoupirenuneexplosionagacéeetdétournelatête.—Tun’aspasbesoind’attendrequejerentre,unefoisqueFrankieestcouchée,tusais.—Jenepeuxpasverrouillerlaportederrièremoi.Ilm’accordeunnouveausourire,pluslent,plusgrand,mêmes’ilrefusedemeregarder.—Tuvasmedirequ’iltefautuneclé.—Çanem’ennuiepasd’attendrequeturentres.—Ilyadesjoursoùjefinisà2heures.—Jesais.Frankiemel’adit.Cettefoisilmeregarde,medétailledelatêteauxpieds.—Turecommencesànepasbiendormir?—Çam’arrive.Laplupartdutemps.Jemecouchetrès tard,dorsquelquesheures,meréveille tôtetenprofitepour

travailler.Jefaislasiesteenfind’après-midiquandjen’aipasderéunions.Monemploidutempsdevampire.Çafaisaitpartiedeschosesquej’avaisencommunavecWest.Ilfautcroirequec’esttoujourslecas.—Jevaistefairefaireunjeudeclés,dit-il.Tupourraspartirquandtuveux,àl’avenir.—Merci.Jepasseàcôtédelui,troubléeparlaproximitédesoncorpsetl’étroitessedel’escalier.Ilpourrait

tendrelesbras,poserlesmainssurmoi,metoucher,etjelelaisseraisfaire.Ressent-il lamême chose ?Oui, c’est obligé. Elle est là, entre nous, cette évidence, cette chanson

d’amourquenoscorpsn’ontjamaiscessédechanter.Malgrémacolère,jeseraisprêteàtuerpourpouvoirlesuivredanssachambre,l’aideràretirerses

bottes. Je serais prête à mourir pour pouvoir me blottir dans le creux de son bras jusqu’à ce qu’ils’endorme,ensécuritécontremoi.Pourpouvoirleprotéger.—Bonnenuit,West.—Bonnenuit,Caro.

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Jegardecetteimagedenousenremontantdansmavoiturepourreprendrelaroutedéserte,seuledanslehalodemesphares.Westetmoienlacésdanssonlit.Westetmoienpromenadedansunchampd’étoilessauvages,maindanslamain.Jeluimontrelechemin.

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ÉCLAIREUR

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WEST

LelendemaindujouroùCarolinem’aditqu’ellefaisaitpartiedemavie,queçameplaiseounon,j’aiarrêtédefumer.Elleauraitcontinuéàattaquermesclopes,sinon.Çamemanquait de ne plus avoir lamontée de nicotine, de ne plus sentir la fumée se répandre jusqu’au fond demes

poumonsetmepermettrederespireralorsquej’avaisl’impressionquel’airdePutnamm’étaitinsupportablesansça.Cettenuit-là,quandelleestpartie,j’aisuividuregardlesfeuxdesavoiturejusqu’àcequ’ilscillentetdisparaissentdansun

virage.J’airefermélaporteàcléetj’aimangélesrestesdudînerquej’avaispréparépourmasœur.J’aipenséàCaroline,auxaprès-midietauxsoiréesqu’elleavaitpassésavecFrankie.J’aipenséàCarolinedansmonappartement,dansmacuisine,dansmavie.J’aisortilerestedemescigarettesducongélateuretj’aiouvertchaquepaquetavantdecasserlesclopesendeuxetdeles

jeter.Puisj’aicaléunehanchecontreleplandetravailetjemesuismisàjoueravecmonbriquetdansl’obscurité.Étincelle.Flamme.Étincelle.Flamme.Jetentaisdemeconvaincrequelaflammequejevoyaisn’étaitpasunelueurd’espoir,n’avaitpaslegoûtdel’espoir,maisje

n’aijamaisététrèsdouépourmevoilerlaface.L’étincelledanslanuit,cetteflammefragile…Caroline.L’espoir.Pourmoi,lesdeuxavaienttoujoursétésynonymes.Lafilleinaccessible.Voilàcequejem’étaisditenlarencontrant,dèslepremierjour.Elleincarnaittoutcequejevoulais,etelle

m’étaitinaccessible.Seulemapeurlarendaitinaccessible.LadernièrefoisquejesuisvenuàPutnam,jesuistombéamoureuxd’elle.J’aicommencéàmeconstruireunevieàmoietje

l’aiperdue.Jenevoulaispasreprendreuntelrisque–pasavecmasœur,pasavecmoncœur.PourtantCarolineaussiaperdusonavenir.Elleaperdu toutessescertitudeset tousses rêvesquandsonexamisdes

photosd’elle sur leNet.Puis elle s’est battuepour les reconquérir.Elle s’est entêtéeet acharnée jusqu’à ceque sondû luirevienne.J’aiassistéàcettebataille,etc’étaitlaplusbellechosequej’aiejamaisvue.

Ilfallaitvraimentquejesoistrèsconpourcroirequ’ellemelaisseraitfilersansriendire,mêmeaprèscequejeluiavaisfait.Carolinenelâcherien.Ellen’auraitpasdûvouloirdemoiaprèstoutça,maisjevousdéfied’allerdireàcettefemmecequ’elleestcenséevouloir.

Allez-y.Essayez,quejerigole.Carolinemevoulait,moi,alorselleétaitlà,surlepasdemaporte,avecmasœur.Elleréduisaitmescigarettesànéantetmefoutaitenrogne,àmedirequej’allaismourird’uncancer,commesijenelesavais

pas.Commesij’étaiscenséyaccorderdel’importance.Ellevoulaitquejem’accordedel’importance,etjem’yopposais,sansraison.Enfin,non.Passansraison.Jem’yopposaisparcequej’avaispeur.Qu’arriverait-ilsijeneparvenaispasàréparercequejeluiavaisfait?Ousij’yparvenaismaisquejelaperdaismalgrétoutetque,cettefois,jen’ysurvivaispas?Quedeviendrais-jesi,aumomentoùjeretrouvaisCaroline,jemerendaiscompteunefoisdeplusquel’espoirestunluxe

dontjedoismepasser?J’étaisterrifié.Maisçan’avaitaucuneimportance.Carolineetmoi,çaallaitfinirpararriver,detoutefaçon.Jen’allaispasm’yopposertrèslongtemps.Cettedernièresemaine

d’octobre,cettepremièresemainedenovembre,j’aitentédegardermesdistances,j’aifreinédesquatreferstoutenessayantdemerappelercommentj’avaisfaitlapremièrefois.

Commentavais-jepuoserprendrecequejevoulais?Çaparaît facile, commeça, de se dire qu’onmérite tout ce qu’il y a de bien, de se laisser aller à désirer lemeilleur, de

s’autoriseràl’obtenir.Çaparaîtfacilemaisçanel’estpas.Pourunmeccommemoi,çarelèvedel’impossible.J’étaiscoincéàSilt–pastantleSiltdel’OregonqueleSiltdansmatête.LeSiltquiavaitfaitdemoicequej’étais,quim’avait

apprisàsurvivre,quim’avaitmisdanslecrânel’idéequemavien’avaitaucunevaleur.LecheminquiallaitmesortirdelàétaitprécisémentceluiquimeramenaitversCaroline.Unefoisquejel’aitrouvé,toutest

devenuplusfacile.Jen’avaisplusqu’àsuivrelaflamme.

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Un jour de la semaine suivante, jeme tiens devant le bâtiment d’arts plastiques avant le début descours.Adosséauxfenêtres,j’écoutelesfumeursquidiscutentetplaisantent.Jemâcheunchewing-gumpour

m’occuperetgardelesmainsdanslespochespourm’empêcherd’allertaxeruneclopeàquelqu’un.Lamoitiédemaclasseestdehors.Ilyauntypequis’appelleRaffe–diminutifdeRafael.Ilalapeaumateetunebelletignassenoirequi

ressembleunpeuàunecoiffureafro,saufquesesbouclesàluiseterminentpardespointes.Ilporteunblousondemotardmaisnesemblepasselapéter.IlestengrandeconversationavecunepetiteblondenomméeAnnie.Ilsfument,etdiscutentdusurréalisme,dudadaïsme,deWarhol,d’Avedon,deTurneretd’autresdont

jen’aijamaisentenduparler.Je lesécouteévoqueruneexpoquise tientàChicagoencemoment. Jemerendscomptequ’ilsont

carrémentfaitletrajet–sixheuresderoutealler,sixheuresretour–etqu’ilsn’onttoujourspasfinid’endébattre.J’aperçoisCarolinede l’autrecôtéde lacour.Ellemevoitetatterrit justedevantmoi,commesi le

ventl’avaitdéposéelà.Elleestalléecherchermasœuràl’écoledeuxfoisdepuisnotredernièreconversation.Jemesuisretenud’acheterdescigarettesàsixreprises.—Qu’est-cequetupensesdel’art,Caro?—Jedoutedepouvoirrépondreàcettequestionenuneseulephrase.—TuesdéjàalléeàChicago?—Biensûr,plusieursfois.—Peut-êtrequej’yemmèneraiFrankieunjour.Jepourraisluimontrerl’espècedeharicotgéant,ouun

matchdebase-ballquandlasaisonreprendra,oumêmeuneexpoàl’ArtInstitute.Ellen’ajamaisrienvudecegenre.Carolineplisseunpeulesyeux.—Ettoi?—Moinonplus,dis-je,gênédel’admettre.—Alorstudevraisyaller.RaffeetAnnienousregardent.Jemeretourneetm’aperçoisqueCarolinesetienttoutprèsdemoiet

quenousparlonsàvoixbasse.Ellesefrottelesbras.Elleporteungrosgiletenlaine,longetnouéautourdelatailleparuneceinture.Ilal’airbienchaudmaisnel’estvisiblementpasassez.—Tuferaismieuxderentrertemettreàl’abri.—Oui,etpuisj’aicours,ajoute-t-elleenconsultantsamontre.Àplus.EllefaitunsigneàRaffeetAnnie,qu’ellesembleconnaître.Carolineconnaîtpleindegens.Toutle

mondel’aimebien.Jelaregardetraverserlacour.Leventfaitvolersescheveuxetfouettelespansdesongiletàchacun

desespas.Sij’apprenaisàpeindreunjour,c’estcommeçaquejelareprésenterais.Halloween tombe le vendredi. En rentrant du travail je trouveCaroline endormie à la table dema

cuisine.Ilest3heuresdumatin.ÀcôtédesoncoudeilyaunpackdeMonster.Ellem’enapportaitàlaboulangerielemercredi.—Réveille-toi,petitsoleil,dis-jedansunmurmure.Elleredresselatêteetsouritlentement–ungrandsourirelumineux.

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Monpetitsoleil.PuisellesecognelecoudeaupackdeMonster,etunnuagepassesursonvisage.—Désolée.—Tun’asaucuneraisond’êtredésolée,saufsitut’esamuséeàmettreautrechoseenpiècesdansmon

appartement.Ellefaitunepetitegrimace.—Jem’enveuxpourcettehistoiredecigarettes.—C’estvrai?—Oui,enfin,Krishnam’aappriscombiençacoûtait,unecartouche.Jet’aiachetéçapourcompenser.

Jemesuisditque,situavaisbesoind’unstimulantpournepast’effondrer,aveclerythmequetutiens,ilvalaitmieuxdesboissonsénergisantesquedesclopes.—Merci.Elleselève.Jen’aipasenviequ’elleparte.—Qu’est-cequevousavezfaitaujourd’hui,avecFrankie?—Jel’aiemmenéeàmaréunionduconseildesétudiants.—Tufaispartieduconseil?—Oui.—C’estcomment?—C’estgénial.Ellerejettesescheveuxderrièresonépaule.Ilsontbeaucouppoussédepuisl’andernieretluiarrivent

dansledos.J’aienviedelesprendredansmamainpourlessoupeser,pourvoirsileurtextureachangé.Elleesttoutemaigre.Cen’estpaslapremièrefoisquejeleremarque.Àlalumièrecruedelacuisine,

lescernessoussesyeuxmeparaissentencoreplusnoirs.Quandonétaitensemble,jel’aidaisàserendormirsielleseréveillaitenpleinenuit.—Tuluiasparlé?demande-t-elle.—Àqui?ÀFrankie?—Oui,decettehistoiredebus.—Non.Il faut que je le fasse. Caroline n’est pas la seule àme le rappeler. J’ai reçu plusieursmails d’un

conseiller d’éducation, quime dit qu’il fait venir Frankie dans son bureau une fois par semaine pours’assurerqu’elle«s’intègrebien».Ilnecessedemeproposerqu’onserencontrepourdiscuter,maisjenevoispascequeçapourraitnousapporter.Engros,sijevaislevoir,ilvadécouvrirquelquechosequivalefaireflipper.Iln’yaquel’embarras

duchoix:lechaosfamilialdesLeavittsurfondd’affairedemeurtre,monemploidutempsquim’obligeàlaisserFrankietouteseulependantdesheuresentières,oulefaitquejesuisbeaucouptropjeunepourendosserlaresponsabilitéd’unegaminededixans.Chaquefoisquejereçoisunmessagedelui,jelelispuisjel’efface.Carolineal’airsoucieuse.—Çanesepassepasbienpourelle,àl’école.—Çanesepassejamaistrèsbienpourpersonne.Lapetiterideen«V»entresessourcilss’accentue.—Ilnes’agitpasseulementdeça.Illuiestarrivéquelquechosedevraimentpascoolaujourd’hui.

Elles’estmiseàpleurerdansmavoiturequandjesuisalléelachercher.—Ellet’aracontécequec’était?—Non,ellen’apasvoulum’enparler.

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—Etmerde!(Lesmainsdanslespoches,jemebalanceenéquilibresurmestalons.)Jevaisvoircequejepeuxfaire.—Situveuxquej’essaied’endiscuteravecelle,jepourraispeut-être…—C’estmasœur,c’estàmoidem’enoccuper.Jedisçabeaucoupplussèchementquejenel’auraisvouluetjeleregretteaussitôt.—Pardon.J’avaisoubliéquec’étaitt’insulterquedeteproposerdel’aide,rétorque-t-elle.—Jenecomprendspaspourquoituasenviedem’aider.—Ouais,tumel’asdéjàdit.Laissetomber.—J’essaie,justement.Ellemejetteunregardnoir,quej’aibienmérité,etcommenceàrangersesaffaires.Lalumièrebrille

danssescheveux.Jem’enivreduvertdesonpull,delafaçondontsonjeansoulignesesfesses.Jenesuisqu’unconnard.ParcequejesuisentraindematerleculdeCarolinemais,surtout,parcequejen’aitoujourspasparlé

àFrankie.Jeneveuxpassavoircequisepassedanscefichubusparcequejen’aipasdesolutionderechange.Soitelleprendlebus,soitjedémissionne.J’auraisintérêtàdémissionner.Pourtant les horaires me conviennent bien, et le salaire est plus que correct, donc au lieu de

démissionner, je suis odieux avecCaroline, alors que c’est dans sa voiture quemapetite sœur laisselibrecoursàsesémotions.Je ne sais pas comment m’en sortir. Frankie et ses problèmes à l’école, mon travail, les cours et

Carolinedansmacuisineaubeaumilieudelanuit,quiessaiedem’aideralorsquej’arriveàpeineàlaregardersansmeconfondreenexcusesoul’embrasser–oulesdeuxàlafois.Laplupartdutemps,c’estlesdeux.Jesorsmontrousseauetendétachelacléquej’aifaitdupliquerpourelle.—Tiens.Tupourrasfermerenpartant,commeça.—Merci,dit-elleens’approchantpourlaprendre.Tuvasbien,West?Jesuisentraindemenoyer.Jesuisépuisé.Tumemanques.Jesuisunevraieloque.J’ail’impressionquetoutlemondedoitlesentir,cemélangedepanique,de

culpabilitéetdedégoût,pourtantCarolineestlà,devantmoi,etjen’ycomprendsrien.Jesuisincapabledeluidemanderdepartir.Jenesaismêmeplusquoidire.—Çava.Carolinefaitencoreunpasversmoi.Jemetslesmainsdansmespochesarrièreetbaisselesyeux,parcequesinon…—Bon,souffle-t-elle.Bon.Après son départ, je me fais réchauffer des lasagnes au micro-ondes. Je jette un coup d’œil au

thermostatavantd’allermecoucher.Mêmeunefoisblottisouslacouette,jen’arrivepasàmeréchauffer.Lelendemainaupetitdéjeuner,Frankiedéclare:—Ilmefautdenouvellesfringues.—Pourtantont’enaachetépleinenseptembre.—Ellesnemevontdéjàplus.Jeprendsletempsdel’examinerpourvoirsic’estpossible.Ilnes’estmêmepasécoulédeuxmois,

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maispeut-êtrequ’elleachangésansquejem’enrendecompte.—Qu’est-cequinevaplus?Lespantalons?Leshauts?—Iln’yaplusrienquiva.—Tun’asplusaucunvêtementàtataille?Ellehochelatête.— Ça n’a rien à voir avec ce que m’a raconté Caroline, par hasard ? Il paraît que ta journée

d’Halloweens’estmalpassée.—Non,cen’estpasça.—Parcequ’ellem’aditque…—J’aibesoindenouvellesfringues,unpoint,c’esttout.Jesuistropgrossepourcequetum’asacheté

enseptembre.Elleselève,jetteàlapoubellelepetitdéjeunerauquelelleaàpeinetouché,ets’enva.Jelasuisdesyeux.Sonjeanluivatrèsbien.Sonpullparaîtpeut-êtreunpeupluscourtquequandelle

l’a essayé, mais rien de grave. Elle a des hanches, maintenant, en plus de ces seins que j’évite deregarderparcequeçamefaitbizarredevoirçasurmapetitesœur,monbébé.Avantqu’elledisparaissedanssachambre,jelance:—Oùest-cequetuveuxqu’onaille?—Àl’ArméeduSalut.— Je peux t’acheter des fringues neuves, tu sais, dis-je, exaspéré. Ce n’est pas ça, le problème.

J’essaiesimplementdecomprendre…—Jetedemandejustedem’emmeneràl’ArméeduSalut.OK?—OK,commetuveux.—Bon.J’aiune tonned’articlesà lirepourmoncoursd’histoirerusse.Çameprend lamatinée.Pendantce

temps,Frankieregardedesdessinsanimésenfaisantdescroquisdechevaux.Aprèsledéjeuner,onvaluichercherdenouveauxvêtements.Frankiechoisitunepiledejeansetde

sweat-shirts, tousplus immenses lesunsque lesautres,des leggingsqu’elleestobligéede roulerà latailleetunsweatdePutnamCollegequiluiarrivesouslesfesses.—C’estn’importequoi,çanetevapasdutout,dis-je.—Tudevraisêtrecontent,tun’arrêtespasdemerépéterquejem’habillecommeunepouffe.—Jen’aijamaisditça.—Tum’asforcéeàmettreunmanteaupar-dessusmoncostumed’Halloween.—C’étaituncostume,ilnes’agissaitpasdetesfringueshabituelles.Etpuis,cen’estpastafaute,tous

lescostumessontcommeça,maintenant.J’auraisdûmieuxregarderavantdetel’acheter.Elleajouteungrossweatàlapilequejetiensdansmesbras.—C’estçaquejeveux.J’essaiedecaptersonregard,d’établiruneconnexion.—Situasdesproblèmesàl’école,ondevraitenparler.—Jen’aipasdeproblèmes.—Nemeprends pas pour un imbécile.Tu pleures dans la voiture deCaroline, tume réclames de

nouveauxvêtementsdanslesquelstuescomplètementnoyée…Ilyaquelquechosequinevapas.—Tuveuxbient’occuperdetesaffaires,West?—Tuveuxbienmeracontercequis’estpasséàl’école?—Ilnes’estrienpassédutout.—Jenetecroispas.

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—Jen’enairienàfoutrequetumecroiesoupas.—Écoute,Frankie,jenesaispascequit’estarrivé,maisjedoutequechangerdegarde-robesoitla

solution.Réfléchisunpeu.Tuestropfutéepourcroirequeçavatoutrégler.—Peut-êtrequejen’aipasenvied’êtrefutée.L’entendredireça…Çamerenddingue.J’ai envie de la secouer, de lui crier que l’intelligence est notre seul atout. Il n’y a que par son

intelligencequ’ellepeutlaisserSiltderrièreelle,éviterdemarchersurlestracesdemamère–surlesmiennes.—Qu’est-cequetuentendsparlà,exactement?Ellepousseunsoupirexaspéré.—Maisrien!Laissetomber.Jel’attrapeparlebras.—Nemeparlepassurceton.Jedevraisêtreentrainderédigerunessaimais,aulieudeça,jesuis

ici,avectoi,alorstumedoisaumoins…—Jenetedoisriendutout!Ellesedégageetmepousseassezfortpourmefairereculerd’unpas.—Si ça te fait tellement chier dem’acheter tout ça, laisse tomber.Moi, je vais t’attendre dans la

voiture.Jeresteplantécommeunconentrelesportantsdel’ArméeduSalut.Jenesaispasquoifaire.J’aimeraispouvoirdemanderconseilàCaroline.Lelundimatin,jepasseaucafédesétudiantsdansleForumetlavoisseuleàunetable,avecungros

livredevantelleetunbeignetposésuruneservietteenpapier,àportéedemainmaisencoreintact.C’estsonpréféré–letoutchocolat.Jevaism’asseoirenfaced’elle,attrapelegâteauetenprendsuneénormebouchée.—Salaud,lance-t-elle.Sansmêmeleverlesyeuxversmoi,ellemedonneuncoupdepieddansletibia.Jeneréagispas.Jemangetoutlebeignet,assislà.LesoleilquientreàflotsparlesfenêtresduForum

lanimbedelumière.Ellelitavecleslèvresentrouvertes,lalanguepasséeentresesdentsdubonheur.Àunmoment,ellesedétournedesonlivrepourattraperunepiledefichescartonnéesavecdusurligneurpartout,etj’enreconnaisleformat.Elledoitavoiruntestdelatin.—Tuveuxquejetefasserécitertesverbes?—Non.Arrêtedemedéconcentrer,jen’aiplusquedixminutes.Jemelèveetmerendsaucomptoirpourluiracheterunbeignet.Ellenemedécrocheplusunmot,etpourtantc’estlemeilleurquartd’heuredemajournée.Quand je rentre à lamaison à 2 heures dumatin, je la trouve dansma cuisine, à pianoter sur son

ordinateurportable.—Tuesaucourantquelabibliothèqueestouverte?dis-je.—Ouais.J’ouvreunpaquetdechipsdemaïsetlevidedansunsaladier,pourqu’ellepuisseseservir.Elleenprendune.—C’estcomment,tontravail?—C’estchiant.—Qu’est-cequetufais,exactement?

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—Jefaiscequ’onmedit.—Etaujourd’hui?Qu’est-cequetuasfait?—Aujourd’huij’aimesuré.Onneveutpasencoremelaissercouper.—C’estplusmarrant,decouper?—Çaaurait aumoins lemérited’êtrenouveau. Jen’aiencore jamaisutiliséde scieàonglet,mais

apparemmenttupeuxfairedestrucssympas,genrecouperà30degréssur l’axed’abscisseetà45surl’ordonnée.J’aimeraisbienvoircommentçamarche,etconduireletranspalette,aussi.—Quandest-cequetuaurasledroitdefairetoutça?—Dansunsiècleetdemi,sij’aidelachance.Qu’est-cequetuécris?—Unessaisurlespériodiquesàl’époquevictorienne.—Çaal’airfascinant.—Non,c’estchouette.Ondevaitchoisirunthèmebienreprésentédanslespublicationsettrouvertout

cequ’onpouvaitàcesujet.J’aichoisilaquestionirlandaise.—C’estquoi,laquestion?—Pourfairecourt:lesIrlandaisvoulaientleurindépendance.—Quellebandedecasse-couilles,cesIrlandais.Ellesourit.—Tuveuxunebière?dis-jesansréfléchir.Ce soir jen’aipas enviedepenser. J’en aimarre–marreque tout soit toujours si compliqué. J’ai

enviedesimplicité,pourchanger.UnebièredansmoncanapéavecCaroline.—À2heuresdumatin?—Jesuissurlesnerfs.Ilvamefalloirunmomentavantdepouvoirm’endormir.—Commentçasefaitquetusoissurlesnerfssitonboulotestchiant?—C’estàcausedesMonsterquetum’asachetés.Cen’estqu’àmoitiévrai.Sijesuissurlesnerfs,c’estaussiparcequ’elleestlà,etparcequeFrankie

refusetoujoursdemeparler.J’aifaitnuitblanchepourfinirderédigerledernierdemesmémoiresderattrapage,pourvaliderle

semestrequejen’aipasterminél’andernier.J’aitellementdesommeilenretardquej’ail’impressiondeneplusenavoirbesoin.—Alors?Tuveuxunebièreoupas?—OK.Detoutefaçon,j’ailacervellequitourneàvide,là.Ellesemasselesépaules.Jesorsdeuxbièresdufrigoetdéchireuncoind’essuie-toutpourcrachermonchewing-gumdedans.

Quandjemeretourne,Carolinemeregardeenhaussantunsourcil.—C’estnouveau,lechewing-gum,commente-t-elle.—Çam’empêched’avoirenviedefumer.—Tuasarrêté?Pourdebon?—J’essaie,dis-jeendécapsulantlesbièresavantdeluienpasserune.J’aibesoindem’asseoir.J’attrapeleschipsetvaism’installerdanslecanapé.J’allumelatélé,etontombesuruneémissionde

téléachatoùilestquestiond’unépluche-légumesautomatique.Carolinemesuitetprendplaceàl’autreboutducanapé.On regardeun type toutmaigrichon etmonté sur ressorts tenter denous convaincrequ’on risquede

mourirsur-le-champsionn’achètepassonsuperépluche-légumes.Jehumel’odeurdeCaroline,sescheveuxetsapeau,lalessivequ’elleutilise,sondéodorantquisent

l’orangeépicée.

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—Tucroisquejesuisàcôtédelaplaque?—Oui.—Tunepourraispasattendrequejeteprécisedequoijeparle?Çalafaitsourire.—Non.—ParcequejeparlaisdeFrankie.—Jesais.Jevoisbien,àsonairsatisfait,qu’elleavaitdeviné.J’aidéjàvucesourirealorsqu’elletenaitmesboursesdanslecreuxdesamainetréfléchissaitàla

façondontellevoulaits’yprendrepourmerendrecomplètementdingue.—TucroisquejesuisàcôtédelaplaqueausujetdeFrankieoucarrémentsurtoutelaligne?Elletourneversmoisesgrandsyeuxcurieux,commepourm’encourageràpoursuivre.—Voyonsvoir,dis-je.Jefaisn’importequoiavectoi,avecmonavenir,aveclescourset…avecun

peutout,enfait.Pasvrai?Elle a incliné la tête sur le côté, comme si elle mourait d’envie d’acquiescer. C’est un rien

condescendant, mais ça ne me gêne pas. Elle porte un jean et un tee-shirt à manches longues qui aquelquesboutonssurledevant.Ondiraitqu’ilestpasséàlamachinedescentainesdefois,saufquejenel’avaisencorejamaisvu.Elleadûl’achetercommeça.Elleadéfaittouslesboutonset,tellequ’elleestassise,jevoislemilieudesonsoutien-gorge,làoùunpetitnœudinutileaétécousu.Sonjeanestserré,usé sur les cuisses, et tout dans ce tableau – ses vêtements et ses cheveux qui s’échappent presqueentièrementdesonchignon–medonneenviedel’attraperetdefroissersesfringues.J’aienvied’apprécierlatexturedecejean,devoirsicetee-shirtestdouxcontremonvisage,s’ilest

plusdouxquesesseins,mêmesijesaisquec’estimpossible.Çanem’aidepasqu’ilsoitexactementdelamêmecouleurquesonsexe.— Vas-y, crache le morceau, Caro. J’ai l’impression que tu vas mourir si tu dois te taire plus

longtemps.Ellesecouelatête.—C’estàtontourdemeparler.—Qu’est-cequetuveuxquejetedise?Elleprendunegorgéedebière.—Tupourraiscommencerparmedirecommenttuvas.—Jevaisbien.Çamevautunéclatderiresarcastique.—Lavérité,ceseraitmieux.—Àt’entendre,onpourraitcroirequejepassemontempsàtementir.Elleréfléchituninstant.—Non,tunememenspas;tumeracontesdesconneries.Nuance.C’estplutôtdrôle,vuquejesais

exactementcequetupensesdespolitessesàlacon.Elle fait allusion à notre première vraie conversation. Je l’ai presque engueulée parce qu’elle

m’affirmait que ça allait alors que, visiblement, ça n’allait pas du tout. Je lui ai expliqué que c’étaitn’importequoi,cettemaniequ’ontlesgensdesouffrirensilenceenclamanthautetfortquetoutvabien.Pourquoinepassimplementdirelavérité?Pourquoisecacherderrièredespolitessesquandonsesentmouriràpetitfeuàl’intérieur?C’est cettenuit-làqu’ellem’a révéléquechaque jourquipassait depuisque sesphotos avaient été

publiéessurInternetétaitlepirejourdesavie.

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Jecomprendsbienmieuxcequ’elleentendaitparlà,maintenant.Jevidemabièreetreposelabouteillesurlatablebasse.Jesuisfatigué,jeplaneunpeud’avoirbuma

bièreaussivite,et jenecomprendspas trèsbienpourquoiCaroesthabilléecommeça, toutedouceetaccessible,assisetranquillementdansmoncanapé,unebouteilleàlamain,àmeregardercommesiellevoyaitlesrouagesquitournentdansmatête–commesiellesavaitexactementàquelpointc’estlebordellà-dedans,maisqueçaneladérangeaitpas.—Tuveuxquejetediseunevérité?Ellehochelatête.—J’aienviedet’embrasser.Jevoissapeaus’embraseretsagorgedevenirpeuàpeudelamêmecouleurquesontee-shirt.—Alorspourquoitunelefaispas?demande-t-elle.Jenemesouvienspluspourquoi.Jevousjurequejenesaisplus.Iln’yapeut-êtreplusderaisonvalable.Peut-êtremêmequ’iln’yenajamaiseuetquejenesuisqu’unabruti,cequimeramèneàlaquestion

desavoirpourquoielletienttantàm’avoirdanssavie.Elleregardelesrideauxferméspar-dessusmonépaule, lessourcilsfroncés, lesyeuxdans levague,

commequandelleréfléchit.— J’ai étudié une nouvelle en cours, dit-elle. Je la connaissais déjà, en fait.Le Cadeau des Rois

mages,d’O.Henry.Tul’aslue?—Jenecroispas.—Je suis sûreque tuenasentenduparler.C’est l’histoired’uncouple, trèspauvre, la femmeveut

faireunbeaucadeauàsonmaripourNoël,alorsellesecoupelescheveuxetlesvendpourpouvoirluiacheterunechaîneassortieàsamontre.Saufqueluiaussi,ilveutluifaireunbeaucadeau,alorsilvendsamontreet,avecl’argent,luiachètedespeignespourcoiffersesbeauxcheveux.Carolines’interromptencroisantmonregard.—Quoi?—Jen’aimepascettehistoire.—Moinonplus,maisjevoudraisquetum’expliquespourquoitunel’aimespas.—C’estcenséêtreromantique,non?Unsacrificepoignant,pournousmettrelalarmeàl’œil,qu’onse

dise:«Ça,c’estl’espritdeNoël!»Saufquec’esttoutlecontraire.—Commentça?—Tuvaspeut-êtremedirequ’ilssontheureuxsousleursapin,touslesdeux,parceque,aumoins,ils

ontleuramour.Maisça,ilsl’avaientdéjà.Làn’estpaslaquestion.Justement,letruc,c’est:qu’est-cequ’ilpeutluioffrird’autrequecetamourqu’elleadéjà?IlnepeutpaschaufferleurmaisonniluipayerunecroisièredanslesCaraïbesoujenesaisquoid’autre.Toutcequ’ilpossède,c’estcettemontre,alorsilsedit:«Tiens,jevaislavendre,commeçajepourrailuiacheterquelquechosequisublimesabeauté,çavaluifaireplaisir.»Saufqueçanemarchepas,parcequemaintenant,elleestchauveetqu’elledoitêtreencoreplusmalheureusequ’avant.C’estcon,cettehistoire.Enplus,c’estdéprimant.Jememasselanuque,soudaingêné.Jenesaispasd’oùm’estsortiecettetirade.Carolinemeregarde.C’estplusquejenepeuxsupporter.Carolinedansmoncanapé,safaçondemeconsacrersonattention

commesij’étaisimportant,commesitoutcequejedisaisétaitintéressant,commesijeméritaisdeluiparleraprèstoutcequejeluiaifaitalorsquec’estfaux.Jenemériteriendutout.Voilàlaraisonpourlaquellejenepeuxpasl’embrasser.Est-ellevalide?Jen’enaipaslamoindre

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idée.—Moi, j’ai été surprisededécouvrirquec’estbeaucoupplus compliquéqueceque je croyais au

début,dit-elle.—Commentça?Ellebaisselesyeuxsurlabouteilledebièreentresesmainsavantdelesbraquersurmoi.—C’estcenséêtreunehistoiredesacrifice,surlabeautédugeste.Ilsacrifieunbienprécieuxpour

elle,etelle fait lamêmechosedesoncôté.Lerésultatestdésastreux, tuasraison,etc’estdéprimant,maisregardecequ’ilsétaientprêtsàfairel’unpourl’autre.—Oui,maisça,ilslesavaientdéjà,qu’ilsétaientprêtsàfairedegrossacrificesl’unpourl’autre.Ce

qu’ilsvoulaient, c’était sortir de leur routine le tempsd’une journée,une seuleputainde journéeà sefairecroirequ’ilsn’étaientpasdeuxpauvresloserstransisdefroid,etilsseretrouventcommedescons.Lesseulsquis’entirentbien,dansl’histoire,c’estlesdeuxmecsquileurontvendulachaînedemontreet les peignes. Je te parie que ces deux-là, ils ont passé un joyeux Noël, eux. Ils doivent la trouvergéniale,cettehistoire.Ellemesourit.Ellemedévoreduregard.Ellemeronge,etladouleursourdeetnoirequim’habiteenfleethurledeplusenplusfort.J’aimeraisavoirunecigaretteàportéedemain.J’aimerais avoir une bouteille d’alcool pour m’abrutir et mettre un terme à cette pression que je

ressensquandCarolineestlà,cedésirdontjen’arrivepasàmedéfaire.—C’estjusteunNoël,dit-elle.Ilfautt’imaginerqu’ilpourraittrèsbienallerrevendresachaînede

montrelelendemainetacheterunbonnetbienchaudpourqu’ellen’aitpasfroidàsoncrânechauve.Etellepourraitrevendresespeignespourluioffrirunbongrospull.L’histoirenes’arrêtepaslà.—Peut-être,maisj’aisurtoutpitiédelui.Laprochainefoisqu’ilvaallerluichercheruncadeau,ilva

sesouvenirdesagrossegaffe.«Oh,etpuismerde,jevaisluiprendreunbond’achat,ellesechoisiracequiluifaitplaisir.»Ilsontfoutuenl’airtoutelaromancedeleurmariageaveccegrandgestestupide,etilsnelaretrouverontplus.—Riendetoutçanefaitpartiedel’histoire.—Ah,non?—Non.C’estuniquementdanstatête.Elleposesabièreetreplielesjambespourcalersespiedssoussesfesses.Ellepasseunbrassurle

dossierducanapé,appuielajouedessusetmeregardeavecunedouceurextraordinaire.J’aimerais bien qu’elle arrête deme dévisager comme ça, comme si j’étais le petitMoïse dans sa

corbeille,untrucprécieuxqu’ellevenaitdedécouvriretdontelleneselassaitpas.—Jen’iraisjamaismecouperlescheveuxpourt’acheterunechaînedemontre,reprend-elle.Jememetsàtranspirer.—Jesuissérieuse.Jecroisquemonpèrepensequejen’hésiteraispas.BridgetetKrishna,aussi.Ils

considèrentquejesuisencorepirequecettefemme,parcequejenem’arrêteraispasàmescheveux.Ilspensentsûrementquejevendraistoutlemobilier,mesvêtements,madignitépouravoirquelquechoseàt’offrir,maiscen’estpasvrai.Cequejeveuxdire,c’estquec’estjustedescheveux.Oh,évidemment,jetedonneraismescheveuxsituvoulais,parcequ’ons’enfout,çarepousse.Letruc,danslanouvelle,c’estquelescheveuxdecettefemmereprésententtoutesafierté.C’estlaseulechosequiluidonneconfianceenelle,etça,tunel’auraspas.Jenetedonneraijamaismafierté.J’essaiedeluidirequejelesais,maislesmotsgrincentetmeurentdansmagorge.—J’ail’impressionque,cequetunesaispas,c’estquetunepeuxpasmelaprendrenonplus.Même

situvendaistamontre.

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Jenepeuxpasladétruire.Voilàcequ’elleestentraindem’expliquer.Jepeuxmeplantersurtoutelalignemaisjenepeuxpasladétruire,elle.J’ailesmainsquitremblent.J’avaisoubliéqu’elleavaitlepouvoirdemefaireça–dedémontermes

démonspourmecomprendremieuxquemoi-même.C’estpeut-êtredeçaquej’avaispeur–qu’ellenememetteenpiècesetqu’ilneresteplusriendemoi

unefoisqu’elleauraitterminé.—Et puis, pour en revenir à la nouvelle, ce n’est pas si tragique, reprend-elle.Les cheveux de la

femmevontrepousser,ellepeutgardersespeignes.Quantàlui,ilpourratoujourss’acheterunenouvellemontre.Lescadeauxqu’ilsontchoisisétaienttrèsbeaux,àlabase.Situm’offraisdespeignesennacre,jemediraissûrement:«Oh!Ilssontmagnifiques,Westadûéconomiserpendantdesmoispourpouvoirmelesacheter.»Jenepenseraismêmepasàmescheveux–passurlecoup,entoutcas.—Moi,ceseraitlapremièrechoseàlaquellejepenserais.—Jesais,West.Elles’avanceversmoiàgenouxsurlecanapéetmeprendlementonjusqu’àcequ’onseretrouvetout

près,plusprochesqu’onnel’aétédepuiscetinstantaucimetière,quandjemesuiscoupéd’elle,quejemesuisconvaincuqu’ilfallaitqueçacesseetquec’étaitàmoidefairelepremierpas.—Tuvendraistamontrepourmoi,West,etaumomentoùtum’offriraiscesbeauxpeignes,tuverrais

moncrânechauveetçatebriseraitlecœur.Cequej’essaiedetedire,c’estquelavien’estpascommeça.Lemonden’estpascommeça.—Commequoi?Jeregardeseslèvres,admiresonvisage.Jesensquecequ’elleestentraindem’expliquerestsuper

importantmaisjen’arrivepasàmeconcentrer.Jesuisépuisé;j’ailesyeuxquipiquentcommesij’allaispleurer.Siseulementjelepouvais.Ceseraitunsoulagement.Jefaispartiedecesgensquiensontincapablesmaisjenemesouvienspaspourquoi.Est-cequeje

suisnécommeçaouest-cequejemesuisinterditdelarmes?—Lemonden’est pas en noir et blanc,West.Dans la vie, il n’y a pas les gentils d’un côté et les

méchantsdel’autre,pasplusqu’iln’yaundébut,unmilieuetunefin.Pastantquetuesvivant.Iln’yaquedesgensquifontdestrucsparfoisstupidesoumagnifiques,ouquelquepartentrelesdeux.Elle prend ma tête entre ses mains, caresse mes sourcils de ses pouces, me forçant à fermer les

paupièrespourmieuxécoutercequ’ellemedit.—Alorschaquefoisquetutesurprendsàécrirenotrehistoire–chaquefoisquetutedisquetuesle

méchantdel’histoire,quetuasdétruitnoschancesetquetoutestfiniàjamais–,penseàça.Ellesepencheetposeleslèvressurmonfront.Çamefaitmaldenepasm’emparerdesabouche,dem’empêcherdel’allongersurlecanapé,dansles

coussins,demeretenirdelatoucheretdel’embrasser,parcequej’aibesoind’elle,j’aienvied’elle,etjesaisqu’ellemeferaittoutoublier.Ceneseraitpasjustedemeservird’elleainsi.Etpourtant,j’aimeraistellement!Quandellesereculeeteffleuremeslèvresduboutdesdoigts,jevoisqu’ellel’acompris.—Penses-y.D’accord?Jenetrouvepasdemotsàluioffrir,alorsjemecontentededire:—D’accord.Aprèssondépart,jepasselamoitiédelanuitàréfléchir.

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Vendredimatin.Coursd’artsplastiques.Centdollars.Lapiledepapierscolorésdisposéedevantmoiacoûté100dollars,et jesuiscensé«expérimenter

différentsdispositifs»avec.«Essayez,explorez»,nousadéclaréRikkiquandnoussommesentrésenclasse.Rikki est ma prof d’atelier. Aujourd’hui elle est habillée comme un minuscule pirate, avec des

cuissardesquisereplientau-dessusdugenouetuneécharpedoréepasséesuruneépaule.EllevientdesPays-BasetestmariéeàLaurie,cequifaitd’ellemalogeuseenplusd’êtremaprof.Elleestaussiart-thérapeute.Nemedemandezpascequec’est.—L’idée,c’estdejoueraveclescouleursenrelationlesunesaveclesautres,explique-t-elleautype

qui est assis devantmoi. Travaillez avec des champs de tailles différentes pour créer l’illusion d’uncontrastequandilyasimilitude,oudesimilitudequandilyacontraste.Chaquepaquetcontientcentcinquantefeuilles,toutesdifférentes.Çafait66centslacouleur.Lafilleà

la tabled’àcôtés’endonneàcœur joieavecsesciseaux.Elle tailleallègrementdansunepageaprèsl’autre.Centdollarsdeconfettis.Jenepeuxmerésoudreàdécoupern’importecommentuntrucquicoûteaussicher.Jeveuxd’abord

êtresûrquelerésultatenvaudralapeine.Alorsjedéplacelespapiersetlessuperposejusqu’àcequeRikkimedonneunpetitcoupd’épauleenpassant.—Amusez-vous!J’attrapemesciseaux,quej’ouvreetrefermedeuxoutroisfois.Puisjelesreposeetrecommenceàcomparerlescouleurs.Ça,c’estmoienatelierdecréation.Je n’avais jamais étudié l’art avant et n’en aurais sûrement pas eu l’idée, mais je me suis inscrit

tellementtardcetteannéequej’aidûprendrecequirestait.Évidemment,çanecorrespondàriendecequej’auraischoisi.Enplusdesartsplastiques,j’aihistoiredelaRussiecontemporaine,introductionàl’espagnol,etuncoursdelittératureafro-américainebizarreoù,jusqu’icionaessentiellementétudiédestextesphilosophiquesàproposdelamusique.Avantmapremièreannée,ledocteurT.m’aexpliquéquePutnamn’étaitpasuninstitutspécialisécensé

préparersesétudiantsàunecarrière,maisquelebutétaitd’yapprendreàapprendre.«Explore,m’a-t-il dit.Essaie tout cequi te chante, jusqu’àceque tuaiesundéclic.Apprendsà

réfléchir,àposerdesquestionsetàdéciderpartoi-même.»Jen’aipas suivi sesconseils,parceque jevoulaisdevenirmédecin,mêmesi, avec le recul, jeme

demandebiencequiapumefairecroirequec’étaitunebonneidée.Neufansd’études,puisl’internat,les horaires infernaux, pas lamoindre chance de travailler àmi-temps, ce qui veut dire contracter unemprunt…Ilyapeut-êtredesgensquisevoientbiendanscegenredevie,maispasmoi.Alors,maintenant, j’essaie unpeu tout. Je brûle de l’argent. J’ai l’impressiond’être ungros con la

plupart du temps. J’apprends à rouler les « R » en espagnol, je lis lesmémoires d’une femme russeemprisonnéesousStaline.Çafaithuitsemainesquejejouelejeu,maisjenevoispasbiencommenttoutçaforgemaculture.Je

nesaispasnonplusenquoiçavam’aiderdemettreenpiècesdesboutsdepapierdetouteslescouleurs,maisjechoisisunefeuilled’unrougeprofondetencoupeuncoin.Jeposelepetittrianglerougesurdubleuéclatant.Puisjeleposesurdel’orange.Jetrouveunjolijaunecitronetendécoupeuncoinaussi.—Jouez!lanceRikkiàRaffe,àl’autreextrémitédelapièce.J’ail’impressiond’êtreuncrétinquandjejoue.

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Etpuis,cen’estpasdel’art,ça.C’estdesmaths.Lemanuelquiaccompagnelesfeuillesvoudraitnousfairecroirequec’estsupermystérieux,quelescouleursontdespropriétésparticulières.«Oh!Çaalors!Celle-ciatelaspectàcôtédecelle-làmaisparaîtentièrementdifférenteàcôtéde

telleautre!»Alorsqu’enfait,onpeutaffecterunevaleuràchaqueteinte,etellessuivrontunschémaprévisible.Un

rosevifsemblevibrerlégèrementquandonleposesurduvertpomme.Lecarréroseal’airplusgrandsurfondnoirquesurfondblanc.Cen’estpasdelamagie.C’estjustedesnombresetdelalogique.Rikkisepenchesurmonépaule.Elletoucheuntrianglemarronquej’aiposésurunautre,rosepâle,et

inversel’ordredesdeux.—C’estbien,ça,mais travaillezavecdesmorceauxplusgrands,hein?C’estdurd’yvoirquelque

choseavectouscespetitstriangles.—Jeneveuxpasgâcherlepapier.—Ah!J’aitoujoursunétudiantquiapeurdegâcher.Onvafairedelapeinture,etvousallezchoisir

lapluspetitetoile,ouensculpturevousalleznousfabriqueruntoutpetitobjet,commeça.(Elleapprochelesdeuxmainspourmontrerlatailledemasculptureimaginaire.)Lepapierestlàpourêtregâché.—C’estpeut-êtrequejen’aimepasjeterdel’argentparlesfenêtres.—Oupeut-êtrequevousavezpeurdeprendretropdeplacedanslemonde,rétorque-t-elle.Dansma

classe, jepensequevousdevriezgâcherautantquevousvoulez.Découpez tous lespapiers, faites lesplusgrandespeintures.C’estcommeçaqu’onverracequevoussavezfaire.Après ça elle me laisse tranquille. Je me remets à comparer mes triangles, à la recherche des

meilleurescombinaisons.Danslecarnetqu’onestcenséstoujoursavoiravecnous,j’assignedesvaleursàvued’œiletjem’enserspouressayerdeprédirequellescouleursvonts’accorderlemieux.Jeferaiunessai surFrankieen rentrant,pourvoir.Siçamarche, je ferai lamêmechoseenplusgrandpourmonportfolio.C’estmieuxquel’approchedeRikki;c’estpluslogique.Çan’arienàvoiravecl’espacequejeveuxoccuperdanslemonde.Ensortant,jemedemandesitouslescoursd’ateliercomportentunepartdepsychanalyseousic’est

l’influencedel’art-thérapiedeRikki.Perdudansmespensées,jemanquedefoncerdansKrishna.Jetentedelecontourner.Ilmebloquelepassage.Jefeinteettournelestalonsavantderepartirdansuneautredirection.Çam’agace,jen’aipasenvie

d’êtrelemecquifuitsesanciensamis,pourtantc’estmoi.J’aimeraisqu’ilmefichelapaix.—Jetepréviens,lance-t-ilquandilmerattrapeencourant,jenevaispaslâcherl’affaire.—J’aicours.—Non.Tuasfinipourlasemaine.Maintenanttuvasrentrercheztoietmettrelenezdansteslivres

jusqu’àcequecesoitl’heured’allerbosser.—C’estquoi,cedélire?Tumesuis,maintenant?—J’aidemandéàCaroline.Iltrottinepourresteràmahauteur.Ilyabeaucoupdepassageparcequelescoursdelamatinéesont

terminés.Pournous laisseravancerdefront,Krishnaetmoi, lesgensquiarriventensens inversesontobligésdemarchersurlapelousedétrempée.ClairementKrishnan’enarienàfoutrequ’ilssemouillentlespieds.Çafaitpartiedestrucsquej’aimebienchezlui.—J’organiseunefêtepourmonanniversaire,déclare-t-il.Jeveuxquetusoislà.—Jenepeuxpas.

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—Tuescensémedemanderquandc’est,d’abord,histoirequetonexcusesoitplausible.—C’estquand?—Demainsoir.—Oh,demainsoir?Jenepeuxpas.Ilmedécochesonsourireàdixmillewatts.Avecleventquiluifouettelescheveux,ilressembleàune

stardeBollywood.—Maissi,tupeux!—Peut-être,maisjeneveuxpas.—Pourquoi?—J’aideschosesàfaire.—Tuastoutletempsdeschosesàfaire.Trouve-toiuneautreexcuse.Celle-lànetientpluslaroute.—Jedétestelesfêtes.—Oui,maisc’estmonanniversaire.Tudoisbienfairedessacrificespourl’anniversairedetesamis.—Jenedoisrienfairedutout.— Il y a une soirée auMinnehanCenter à 20 heures, alors on a décidé de commencer la nôtre à

22heures.C’estcheznous.Tusaisoùj’habite?DanslamêmemaisonqueCaroline.Évidemmentquejelesais.—Jenepourraipasvenir,désolé.—Essaie,aumoins.Je lui jetteuncoupd’œil. Ilnesouritplus.Ila lesmainsdans lespoches, lessourcilsfroncéspour

luttercontrelevent,oupeut-êtrecontresesémotions,cequimeparaîtétrangeparceque,d’habitude,ils’emploieàfairecroirequ’iln’éprouvejamaisrien.—Jenepeuxpaslaissermasœurtouteseulejustepouralleràunesoirée.—Tunepeuxpastrouverdebaby-sitter?LaurieetRikkisesontproposésplusd’unefois.—Mêmesi je lepouvais, jemevoismal luidire :«Écoute,Frankie, jesaisbienqu’onnesevoit

presquejamaisetque tun’aspasd’amisdans larégion,mais là, jemetirepourallerà l’anniversaired’untypequetuneconnaismêmepas,alorsnem’attendspaspourtecoucher.»—Jelaconnais,tasœur.—Hein?—Ben,oui.ÇaarrivequeCarolinel’amèneàlamaison.Elleestmignonne.Unejalousieirrationnelles’emparedemoi.JesuisjalouxdeFrankieparcequ’elleestdéjàalléechez

Caroline,jalouxdeKrishnaparcequ’ilpeutpasserdutempsavecmasœurpendantquemoi,jesuisautravail.—Écoute,jedoutevraimentquecesoitpossible,maisjetesouhaiteunjoyeuxanniversaire.OK?Ça

teva?Il s’arrête. Il s’immobilise en plein milieu du chemin, et je continue à avancer un peu, mais il

sembleraitquejesoisincapabledelelaisserplantélà.JetentedemedétacherdeluidepuisquejesuispartidePutnaml’andernier.Chaquefoisquejele

rembarre, j’ai l’impression d’être encore plus cruel, pourtant ça ne sert à rien. On dirait que ça nel’atteintpas.Saufquecen’estpasvrai,etjelesais.Krishnan’apasbeaucoupd’amis–pasdesvrais.Sijedevaiscompterlenombredetypesavecquiil

apassédessoiréesàboiredesbièresenregardantunmatchdebase-ball,jediraisquec’estenvironun.Le nombre de mecs qui savent à quoi ressemble sa vie de famille, avec son père qui lui a fait

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comprendreque,s’ilnereprenaitpasl’entreprisefamilialeenInde,iln’étaitqu’unbonàrien?Unaussi.Jem’arrête.—Non.Çanemevapas,dit-il.—Jesais.—Ça,jen’ensuispassûr,figure-toi.Tuesrevenudepuisdéjàdeuxmois,etçanevapasdutout.Tu

faisn’importequoi.—Jesais!—Alorspourquoituneréagispas?—J’aimeraisbienpouvoir,figure-toi!Tucroisquejem’éclate,peut-être?J’élèveunegaminededix

ans,jetravailletrenteheuresparsemainechezunvitrier,jefaisdemonmieuxpourétudiermesnouveauxcoursetpourrattraperlesunitésdevaleurquejen’aipasvalidéesl’andernier.Iln’yapasmoyenquetoutredeviennecommeavant!—PourtantCarolineal’aird’ycroire,lance-t-ild’unairgrave.—Ouais.Ilsedressesurlapointedespieds,sautillantpresque.—C’esttoutcequetuasàmedire?«Ouais»?—Qu’est-cequet’aimeraisentendre?Quej’aitoutcompris,toutprévu,etquetoutvas’arrangerentre

Carolineetmoi?Ilvientseplanterjustedevantmoi,animéd’unecolèrequejeneluiavaisjamaisvue.—Jeveuxt’entendredirequetuvastesortirlatêteduculetquetuvasteremettreavecelle.—Jenelaméritepas.Ilbaisselesyeuxetdonneuncoupdepieddansuncaillou,qu’ilenvoievolersurlapelouse.Quandilrelèvelatêteetcroisemonregard,unfroidglacials’immiscesousmonmanteauetmeglace

lesos.—Jetedoisunefièrechandelle,West.Tut’esdénoncéauxflicspourm’épargneralorsqueriennet’y

obligeait.Pourtanttun’asmêmepashésité.Çam’aflingué,tusais.Etpuis,Bridgetm’adit:«Écoute,vousêtesamis,etlesamis,çasertàça.»Jenesaispascequit’aprisdecouperlespontscommeça–avecmoicommeavecCaroline–etj’ignorecequetuluiasfaitparcequ’ellerefusedem’enparler,maisjesaispertinemmentquelesamis,çanesecomportepascommeça.Alorsjeseraisbienincapabledetedirecequetuméritesoupas.Jenesaismêmeplussitueslemecquejecroyaisconnaîtreousituesdevenu quelqu’un d’autre, mais putain, West, cesse de faire chier ton monde un peu et viens à monanniversaire!Donne-moiaumoinslapossibilitéderecommenceràt’apprécier.—Jenepeuxpas.— Je sais, mais ce n’est pas grave. Amène ta sœur et viens quandmême. Demain soir, pourmon

anniversaire.C’estmoiquiprépareledîner.—Tucuisines,toi,maintenant?—Bridgetestentraindem’apprendre.J’aidûsouriremalgrémoiparcequ’ilesquisseunpetitrictuscoquin.Puisiltendlebrasetm’arrache

monbonnetavantdem’ébourifferlescheveux.—Tudevraistoutraser,carrément.Çateferaitunevraiebonnetêtedetueur.—Jepourraisaussimefairetatouer«niquetamère»surlefront.—Ceseraitmignon.—Jeleferaipeut-êtrepourdemain.—Jenesaispassijevaissupporteruntelsuspense.Ilsouritdetoutessesdents.C’estduvent,toutça–lesourire,lesplaisanteries–maisc’estdéjàmieux

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querien.Jen’aijamaiseubesoindefairebeaucoupd’effortspourdériderKrishna.Ilmesuffisaitdelelaisser

metenircompagnie,deluiparler,d’êtresympaavecluidetempsentemps.Jusqu’àmaintenant,jenem’étaisjamaisdemandés’ilfaisaitlamêmechoseavecmoi.—Est-cequeCarolineseralà?dis-je.—C’estaussichezelle.Iltournelestalonsets’envad’unpasnonchalant.Jerentreétudierpuisjevaistravailler,prêtàaffronterunaprès-midietunesoiréeàfairetoujoursles

mêmesgestes.Jecompte,jemesure,jemarque,jechargeetjedécharge,maisjesuiségalementconscientdel’odeurdeboisfraisetdesciurequiflottedansl’usine,etc’estçaquim’occupel’esprit.J’adorecetteodeur.J’aimelessonsquiemplissentcevastelieubétonnéparcourud’échosetdufaisceaudestranspalettes,

le«bip»delamarchearrière,leclaquementdumétalquirencontrelapierre.J’ai l’impression de me réveiller. Je n’ai plus envie de fumer, sauf par réflexe de temps à autre.

L’espace que cette habitude occupait jusque-là est désormais tout dévoué aux sons et aux odeurs, auxcouleursetauxnombres,àFrankie,àCarolineetàKrishna.Jepenseaurestedelasemaineetjem’imagineannonceràFrankie,demainmatin,qu’onvadînerchez

Caroline.Jesuisimpatient.Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas anticipé quelque chose avec plaisir ! J’avais presque

oublié.Çafaitdubien.C’estpeut-êtredangereux,maisçafaitdubien.Quandmontéléphonesonne, jevoisquec’estCarolinequiappelle,etçaaussi,çafaitbeaucoupde

bien.Enfin,jusqu’àcequej’entendecequ’elleaàmedire.Leconseillerd’éducationamonâge.Ils’engagedansunlongcouloir.Frankieluiemboîtelepas,etCarolinemesuit.Jenesaismêmepas

oùonva.Quandjesuisarrivé,ilsm’attendaientdevantlebureau.Carolineétaitengrandeconversationavecle

conseillerd’éducation,maisilssesonttusàmonapproche.L’écoleestdéserte.Ilssontlàdepuisunmoment,j’imagine,àdiscuterdecequis’estpassé,pendant

que jeprévenaismonpatronque j’avaisbesoindeprendreune journéedecongéenurgenceetque jefonçaispourvenirlesrejoindre.—Nousyvoilà,ditleconseiller.Ils’appelleJeff.Iln’apasréellementmonâge–c’estimpossible,ildoitaumoinsavoirundiplômede

licence–maisiln’apasl’airtellementplusvieux.Entreça,sonsourireaffable,sapoignéedemainunpeumolleetsacravateviolette,jen’arrivepasàluifaireconfiance.—Jevaisvouslaisserquelquesminutespourdiscutertranquillemententrevous.D’accord?annonce-

t-il.MonsieurLeavitt,quandvousserezprêt,j’aimeraisvousparlerenprivéavantquevousrepartiez.Il referme la porte.Nous sommes debout autour d’une table dans une pièce de la taille d’un grand

placard. Il y règne une odeur de produits d’entretien, sucrée et boisée, avec une pointe de relentschimiques.CarolinetireunechaisepourFrankieets’installeàcôtéd’elle.Frankieluiprendlamain.—Tuveuxbienmedirecequis’estpassé?Ellefait«non»delatête.—Génial.C’estvraimentparfait,putain!

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Toutcequejesais,c’estlerésuméqueCarolinem’afaitautéléphone.Frankieasautépar-dessussonbureau et s’est jetée sur undénomméClint sans provocation apparente.Elle s’est assise sur lui et l’afrappéauvisagejusqu’àcequesoninstitetunassistantréussissentàlamaîtriser.Frankien’avaitencorejamaisrienfaitdepareildetoutesavie.—Caroline?—IlvautmieuxqueFrankieteraconteelle-même.Frankieregardesespieds,commes’ilsétaientclouésausol.Je fais les cent pas derrière elles.Chaque fois que je passe derrière la chaise dema sœur, elle se

crispeetremontelesépaulesautourdesesoreilles.Ondiraitqu’elleapeurquejeluifassedumal,alorsque c’estmoi qui la console quand elle fait des cauchemars. Elle n’a aucune raison deme craindre,bordeldemerde!—Alorsparle,putain!Frankieéloignesachaisedemoietenfouitsonvisageaucreuxdel’épauledeCaroline.—West,ditcettedernière.—Quoi?!—Calme-toi.—Commenttuveuxquejemecalme?!C’est une vraie question. J’aimerais bien qu’elle me passe le mode d’emploi pour ce genre de

situation.Jel’apprendraisparcœur.Jem’accroupisàcôtédeFrankieetm’efforcedeparlerd’unevoixgraveetaussidoucequepossible.—Dansquelquesminutes, leconseillervarevenir. Ilvamedemandercequis’estpassé,etmoi, je

vaisdevoirluirépondrequetuesdevenuecatatonique?Tucroisqueçavaêtrebienreçu,ça?—Jenesaispascequeçaveutdire,marmonne-t-elle.—Çaveutdirequetueslimitecomateuse.—Jenesuispascatatonique.Jen’aipasenviedeteparler,c’esttout.—Alorsàquituveuxparler,hein?L’assistantesocialequirisquedesepointeràl’appartementquand

lesautoritésaurontdécidéquejenesuispasqualifiépourm’occuperdemasœur,quitabassesespetitscamarades?J’aipeut-êtreratéunépisode,Frankie,maisilmesemblaitqu’onétaitdumêmecôté,toietmoi.Ellerestemuette.JelèvelesyeuxversCarolineetvoisdeladouceurdanssonregard,ainsiqu’une

immenseconfiancequiparvientàmecalmerunpeu.JeposeunemainsurlacuissedeFrankieetfaisunenouvelletentative.J’essaiedeparlergentiment,de

nepascriercommemonpère–denepasdevenirmonpère.—Ilfautqu’onseserrelescoudes,Frankie.Jenepeuxpast’aidersiturefusesdemeparler.Cequi

s’estpassé,là,c’estdangereux.Jepourraisteperdre.Frankietremble.—Tuluifaispeur,souffleCaroline.—Jesuisdésolé,maisc’esttoutecettesituationquiestterrifiante,bienplusquetunel’imagines.Frankiesemetàpleurer.Je crispe les poings convulsivement, les avant-bras gorgés de sang et d’une violence qui ne serait

d’aucuneutilitéici.Pasdansuneécole,pasàPutnam.Jenepeuxpasréglerçaparlaforcebrute,pasplusquejenevaistrouverdesolutionenhurlant.JemetourneversCaroline.—Tuasuneidée?Elle se penche sur Frankie et murmure une question à son oreille. Frankie lui répond, et une

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conversationsilencieuses’ensuit,jusqu’àcequeCarolineseredresse.—Elleveutbienquejeteraconte.Çat’irait?—Oui.—OK,viensparlà.Ellem’entraîneàl’autreboutdelapetitepièce,aussiloindeFrankiequepossible,etrefusededire

quoiquecesoittantquejenesuispasassis.Jem’installeàcalifourchonsurunechaise,lesbrascroiséssurledossier.Jemedemandepourquoielletientàprendretoutescesprécautions.Puisellemeraconte,etc’estpirequetoutcequej’auraispuimaginer.JepensaisqueFrankieétait tristeparceque sescopains luimanquaient etqu’elle étaitmaldans sa

peaudepuisquesesseinsavaientcommencéàpousser,maisCarolinem’expliquequecegamin,là,Clint,estuneespècedesalepetiteraclurevicieusequis’amuseàtorturerFrankiedanslebusdepuisqu’onadéménagé.Matinetsoirilluilancedesremarquesperversessursonapparence,sursoncorps,destrucsàcaractèresexuelqu’unenfantdedixansnedevraitmêmepaspouvoirimaginer.Lejourd’Halloween,l’institachangéladispositiondestablesdanslaclasse,desortequelesélèves

se retrouvent par groupes de quatre. Depuis, Clint est juste à côté de Frankie, donc elle entend seshorreurssalacesàlongueurdejournée.Elleaencaisséetaravalésacolèretantqu’elleapu,puiselleacraquéetafiniparluitomberdessus.J’essuiemespaumesmoitessurmescuisses.—Jevaisletuer.Carolineposelesmainssurmesépaules.Ellesetientderrièremoi.—Non,tunevastuerpersonne,souffle-t-elle.Frankiearemontélespiedssursachaise,lesgenouxsouslementon.Jen’arrivepasàrespirer.Cen’estpasClintquej’aienviedetuer.C’estmoiquiluiaifaitça.Moi

seul.Quandelleétaitbébé,jem’inquiétaistoutletemps.Sielledormaitplusqued’habitude,j’avaispeur

qu’ellesoitmortedanssonsommeil.Jedevenaisincapabled’allerlavoirparcequejecraignaisquematrouilleseréalise.J’avaispeurqu’ellenemangepasassez,oupasassezéquilibré,qu’ellenegrandissepasnormalement.J’avaispeurqu’ellen’aitrienàsemettresurledospouralleràl’écoleet,chaquefoisqu’elleavaitde

lafièvre,j’avaispeurqueçagrillesoncerveauetqu’elleenrestehandicapée.J’aiétéprisd’angoissequand un laboratoire pharmaceutique a rappelé des stocks de paracétamol. Est-ce que je lui en avaisdonnétrop?Allait-elleavoirdel’asthmeoudescrisesd’épilepsie?Quand j’étais au collège, Frankie n’allait pas encore à l’école.Mamère la confiait à une voisine,

MmeDieks,etaussitôtdescendudubusjemeruaischezellepourrécupérermapetitesœur.Laplupartdutempsjelatrouvaisvêtueentoutetpourtoutdesacouche,occupéeàfrapperlatablebassedesespetitesmainspoteléesenbabillant,enveloppéedansunnuagedefumée.«C’estunepetiteterreur»,medisaitMmeDieks.Jen’avaisquedouzeansmaisjesavaisdéjàquece

n’étaitpasvrai.Frankieétaittoutàfaitnormale,curieuse,joyeuse.C’estMmeDieksquiétaittropvieillepours’occuperd’unegamineenbasâge.Je voyais bien, à sa façondeme regarder comme si j’étais porteur d’unemaladie contagieuse, que

MmeDieksnem’aimaitpas.Demêmeque j’aivitecompris, en remarquant lesbleusquiornaient lescuissesdoduesdemapetitesœur,qu’ellenel’aimaitpasnonplus.Jenepouvaispasfairegrand-choseàpartavertirmamère,quiarefuséderegarder leproblèmeen

face.«Elleadûtomber.Jesuissûrequecen’estriendeméchant.»J’étaistellementchoquéquej’enaivomi.Aprèsm’êtrerincélaboucheetessuyélesyeux,jemesuis

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jurédeneplusjamaiscomptersurmamère.C’estàtoid’arrangerça,mesuis-jedit.Tuvasdevoirveillersurelle.Qu’est-cequejepouvaisfaire?J’étaisencoreungaminmoi-même,àpleineplusâgéqueFrankiel’est

aujourd’hui.Jeramenaismasœuràlamaisondèsquejedescendaisdubus,jechangeaissacoucheetluipassaisdelapommadeaussidoucementquepossible.Unefoisqu’elleestentréeàl’école,onprenaitlebusensemble.Mamantravaillait.C’étaitdoncàmoi

dem’occuperdeFrankie.Quand j’ai eumon permis de conduire, j’ai commencé à l’emmener un peu partout. À ce stade je

gagnais déjà un peu d’argent et je lui achetais ce que je pouvais – des vêtements, de quoi mangeréquilibré, plus quelques friandises. Même quand je l’ai laissée à Silt pour venir étudier à Putnam,Frankieestrestéemapriorité,maprincipalesourced’inquiétude,masœur,mapetitefille.Etmaintenant qu’elle est officiellement, légalement sousma responsabilité, je suis incapable de la

protéger.Jel’aiamenéeici,oùelleseretrouvevulnérable.Jel’ailaisséesedébrouillertouteseule.Jemedoutaisquequelquechosen’allaitpas,maisj’airefuséderegarderleschosesenface.—C’estmafaute,dis-je.Toutça,c’estmafaute.—Cen’estpasvrai,rétorqueCaroline.—Tunecomprendspas.—Si.Jecomprendsparfaitementetjemaintiensquecen’estpasvrai,maisonpourraendébattreplus

tard.Leplusurgent,c’estdetrouverdessolutionsconstructivesàceproblèmeparticulier.—Cequiseraitconstructif,ceseraitquej’éclatelatêtedecepetitcon,là.Jenelepensepasvraiment,maisjen’airiendeconstructifàproposer.—Çanenousaideraitpasbeaucoupquetutefassesarrêter,non.Carolineplaceunemainsurledossierdemachaiseetsepenchetoutprès.— Ça va aller,West. Fais-moi confiance. Je sais que ça paraît énorme, mais j’ai eu le temps de

discuteravecleconseillerd’éducation,etjetegarantisquetoutvabiensepasser.J’attrape son bras et le serre contrema poitrine, la forçant à s’asseoir derrièremoi sur la chaise,

appuyéecontremondos.Quandellepassesonautrebrasautourdemataille,jerassemblesesdeuxmainsdanslesmiennesetrefermelesdoigts.—Respire,murmure-t-elle.J’obéis.J’inspirepuisexpirelentement.Jerenverselatêteenarrièreetlareposesursonépaule.JemeconcentresurCaroline,surlasensationdesoncorpscontrelemien.D’unevoixgraveetdoucej’articule:—C’estduharcèlement,cequ’ilafaitàFrankie.—Jesais.—C’estlegenredetrucquilaissedesséquelles.Jenepeuxpasréparerça.—Jesais,West,maisnet’inquiètepas.Onval’aideràs’ensortir.Jetelepromets.Jeregardemasœur,perchéecommeunpetitoiseausursachaiseenplastiquebleu,etj’essaiedem’en

convaincre.Delàoùjesuis,adosséaumurdel’école,jevoisleprofildeFrankie.Ellealatêtepenchée,lescheveuxramenésderrièreuneoreilleetdisperséssursonépaule.Jeluiaidit

deselesbrossercematinmaisj’ail’impressionqu’elleaoublié.Elleestassisedansmonpick-up,etj’appuielatêtecontrelabriquedure,dontlatexturerugueuseme

mordlesdoigts.JenevoisqueFrankie,lestraitssifinsdesonvisagedepetitefille,sesépaulestoutesmaigresetses

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cheveuxemmêléssursonsweat-shirtnoir.Frankie,dixans,assisetouteseuledansunevoitureoùilfaitfroid.Carolinemedonneunpetitcoupd’épaule.—West.Jeteparle.—Jet’aientendue.Ce n’est pas vrai. Je n’habite pas tout à faitmon corps. Je flotte à côté. Je prends conscience des

aspérités de la brique sous ma paume ; j’observe ma sœur et me repasse en boucle tout ce que leconseillerm’aditsansrienréellementressentir.Frankieabesoind’enrichirsonhorizon.Lesenseignantsn’ontpasencoretouslesrésultatsdesestests,

maisellefaitdesexercicesdeniveaucollègedanstouteslesmatières.Elleestmalheureuse.Ellepasselevoirtroisouquatrefoisparsemaine.Elleselèveenpleincourset

vas’asseoirdanslecouloirdevantsonbureau,oucarrémentenfacedelui.C’estautorisé.Ellealedroitdefaireça.Ils’estmisd’accordavecl’instit.IlaoffertunebulledesécuritéàFrankie,unendroitoùellepeutvenirseréfugierquandelleenéprouvelebesoin.Ilaimeraitqu’ellesefassedesamis.Ilaimeraitqu’elleprenneplussouventlaparoleenclasse.Iladoreraitluidonnertoutesleschancesde

s’épanouiretilvoudraitsavoirsij’aienvisagédeluipayerdescoursdemusiqueoud’artsplastiques.Ilparaîtqueçafaitdubienauxenfantsquiontsubiundeuil.J’endéduisqu’elleluiaparlédepapa.Queluiraconte-t-elled’autrequandellevas’asseoirdanscettebulledecalmequ’illuiaréservée?Queraconte-t-elleàCarolineaucoursdeceslongsaprès-midiqu’ellespassentensemble?Clairement,elleleurparlebeaucoupplusqu’àmoi.Carolinevientseposteràcôtédemoi.—West.—Jevaisdémissionner.—Tun’espasobligé.Jepeuxallerlacherchertouslesjours.Monemploidutempsmelepermet.—J’aibesoind’êtrelà,moiaussi.Elletendlamain,etprendleboutdemamancheentresonpouceetsonindex.Elleencaresseletissu,

commesiellevoulaitmetouchermaisqu’ellen’arrivaitpasàs’approcherassez.—Tudevraisyaller,Caro.Plusquejamais,j’ail’impressiondenepasméritertantdeloyauté.Ellemeprendlamain.Jelalaissefaire.—L’andernier,dis-je.—Quoi,l’andernier?—Jefaisaissemblant.—Àproposdequoi?—Quandjeprétendaisquej’avaisunevieendehorsdeFrankie.—Cen’estpasvrai.Tuavaisréellementunevieàtoi,ici.Cen’étaitpasquetonimagination.—Oui,enfin,regardeoùçanousamenés.—Tun’espasresponsabledetoutça.Tun’aspasforcétamèreàseremettreavectonpère,queje

sache.Cen’estpastoiquil’astuéetquiasforcéFrankieàassisteràlascène.—Ellet’aditqu’elleyavaitassisté?Cettevéritémetraversecommeunevaguedefroid.Évidemmentqu’elleluiadit.

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Mamèreamenti.Masœuraététémoind’unmeurtre.Elles’estconfiéeàCaroline,maispasàmoi.—Jesuisdésolée,souffleCaroline.Jenesavaispassijedevaist’enparler,nicommentaborderle

sujet,ni…—J’étaisaucourant.C’estvrai.Jelesavais,mêmesijerefusaisdel’admettre.JerepenseaudocteurTomlinson,àtouscesterriblessecretsquin’ensontpasvraiment.—Jesuiscenségarantirsasécurité.—Tutedébrouillessuperbien,West.Frankieestunepetitefilleformidable.—Elleestdéjàbienabîmée.—West,toutlemondeestabîmé.—JeneveuxpasqueFrankiefinissecommemoi.Carolinealesyeuxluisants.Jelavoisdéglutir.Je l’attireversmoi jusqu’àcequesoncoudesoitcontremoietque jepuissepasserunbrasautour

d’elle.Onrestecommeça.Au-delàduparking jevois lacourde récréation. Ilyaungrand tobogganenspiraleetuneénorme

structureavecunpetitmurd’escalade,quatretoboggansquipartentdansdesdirectionsopposées,unpontdecordeetuntasd’autrestrucssympas.Ilyadesfeuillesséchéesdanslescoinsetlelongdelaclôture–rouge,vertetor.Ilyatellementdecouleursdanscetteécole!—Jen’aijamaiseuunconseillerd’éducationcommelui,dis-je.—TuparlesdeJeff?—Iln’aquevingt-quatreans.Tuasvulaphotodesafemmeetdesonbébé?—Oui,pourquoi?—Tul’asentendu.IlveutvoirFrankies’intégrer.Ilveutqu’elle«développepleinementsonpotentiel

etsonbonheur».Peut-êtrequelesgensparlentnaturellementcommeçadansl’universdeCaroline.Elleadûfréquenter

uneécolecommecelle-ci,avecdesinstituteursetdeséducateursquicherchaientsincèrementàaiderlesenfants.Elleaunpèrequinedemandequ’àmettrelemondeàsespieds.Toutçam’esttellementétranger.Personnenem’ajamaisparlédepotentiel,dedéveloppementetdebonheuràpartledocteurT.,etce

quej’aifaitpoursaisircequ’ilmeproposaitannulelapetiteoncedeméritequ’ilavaitpeut-êtrevueenmoi.Carolinemecaresselebras.—C’estunebonnechose,non?C’estsuper,même.Je la fais passer devantmoi et l’attire encore plus près, heureux d’accueillir son poids quand elle

s’adossecontremoi.Onregardemasœur.Ellesepencheetdisparaît,sûrementparcequ’ellecherchequelquechosedans

sonsacàdos.Elleseredressepuisbaisselatêtedenouveau.Elleécrit.—SiJeffétaitsonpère,ilsauraitcequ’elleestentraind’écrire,dis-je.—Jenepensepas.— Elle ne ferait pas de cauchemars. Au lieu de ça, elle rêverait de licornes et d’arcs-en-ciel, de

princescharmantsetdechâteaux–legenredetrucsquelesgaminesaimentdessineràsonâge.Frankieauraitdroitàtoutça.Carolineseretourneversmoietposesesmainsfroidessurmesjoues.

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—Turacontesn’importequoi.—Non.C’estlavérité.—Mêmesitudisaisvrai–mêmesiFrankieavaiteuuneenfancechoyéeetprotégée,avecdeslicornes

et des arcs-en-ciel –, elle finirait par grandir un jour et par encaisser des coups durs. C’est la vie,personnen’yéchappe.—Tunel’aspasconnuebébé.Elleétaittellementminuscule.Elleglissesesmainsdansmoncou.—Tusaisqui j’auraisaimévoir?Toi. J’auraisadorévoircomment tuétaisquandelleestnée.Tu

avaisquelâge?Dixans?Jehochelatête.—J’aimeraisavoirunemachineàremonterletempspourvoiràquoituressemblaisàonzeoudouze

ans, quand Frankie a fait ses premiers pas. Je voudrais la voir apprendre à parler et te voir, toi, luiapprendreàlire.—Elleaapprisl’alphabettouteseule.Elleestpasséedirectementdelachansonauxsyllabesets’est

miseàépeleràvoixhautetoutcequiluitombaitsouslamain.Etpuis,unjour,elleatrouvéunbouquindudocteurSeussetm’atoutlusanssetromper.—Tudevaisêtresuperfier.Jel’étais.J’aitoujoursététrèsfierd’elle.Carolineposelesmainsàplatsurmontorseets’écarteunpeupourmeregarderdanslesyeux.—Ellen’apasbesoind’unautrepère,déclare-t-elle.Ellet’a,toi.—Jenesuisquesonfrère.—Cen’estpasvrai.—D’accord,j’ail’autoritéparentale,maintenant.—Qu’est-cequetupeuxêtrebuté!Carolines’éloigned’unpasetsetourneverslavoiture.ElledésigneFrankiedudoigt.—Regarde-la.Regardecettepetitefilleetosemedirequetuignoresquoiquecesoitd’elle.—Ellenem’avaitpasparlédeClint.—Elleadixans ! s’agaceCaroline.Ellea ledroitd’avoirdessecrets.Écoute, j’aivuoù tuavais

grandi,j’aivutamère.J’aidiscutéavectasœuretj’aivucommentelleétaitavectoi.C’esttoi,sonpère,West,queçateplaiseounon.Etce,depuislejouroùtamèrel’aramenéedelamaternité.Regarde-la!Jelaregarde.Longtemps.JesuisincapablededireàCarolinequ’ellesetrompe.JenesaispascequeFrankieestentraind’écrire,maisjereconnaissafaçondesemordillerlalèvre

dèsqu’elleaunstyloà lamain.Ellemangelespetitespeauxmortes,sibienqu’enhiver,quandil faitfroid et sec, elle a des gerçures qui saignent, et je dois lui courir après pour luimettre du beurre decacao.Jedonneraismaviepourelle,sanshésiter,quellesquesoientlescirconstances.C’est commeça, etCarolinea raison :peu importecequedit le livretde famille.Masœuretmoi

sommessiprochesquedesmotssurunboutdepapiernesauraientnous rendre justice.Moi-même, jen’arrivepasàexprimerlaprofondeurdecelien.C’estmapetitefille.Cequisignifiesûrementquejesuissonpère.Putaindemerde!C’estterrifiant.

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—Jenesaispasquoifairepourl’aider.—Tun’asqu’àapprendre,lanceCaroline.—Jenesaismêmepasparoùcommencer.—Oh,arrêtedepleurnicher,unpeu!Ilyapleindelivrespourlesparents.Lis-enun.Lis-envingt,

même,siçapeutterassurer.—Ilnes’agitpasquedeça,dis-jeendésignantlacourderécréation.Toutesceshistoiresd’enrichir

sonhorizon,etdeguérirsondeuilparlesarts…Çanem’auraitjamaistraversél’esprit.—Jeffestlàpourça.C’estsonmétier.— Justement ! Ce que je veux dire, c’est qu’on vit ici comme on vivait à Silt. On se contente de

survivre,parcequec’esttoutcequejesaisfaire.Jeffapprendcequis’estpassédanslebus,cequecesalemiochedeClintaracontéàmasœur,etsonpremierréflexen’estpasdefrapper.Aulieudeça,ilmedit : « C’est horrible, je suis d’accord, mais on va régler ça. Ce qui me préoccupe, surtout, c’estd’enrichirlaviedevotresœur.»L’enrichir,quoi!Jenecomprendsmêmepascequeçasignifie,putain!Carolinemeregarde,lessourcilsfroncés.—Unevieplusriche!dis-jeenlâchantcederniermotcommeuncoupdemarteau.Plusépanouie,plus

belle…Ilnes’agitplussimplementdesurvivremaisdes’épanouir.Çan’aplusrienàvoir,etjenesaispascommentons’yprend.Carolinesecognelatêtecontremontorse–fort.Ellerecommence.—Qu’est-cequej’aidit?—West,répond-elleenmeheurtantunetroisièmefoisavantdesecouerlatête,lefrontappuyécontre

moi.Tumerendsdingue!—Hein?—Tunesaispascommentaidertasœuràs’épanouirparcequetunesaispast’aidertoi-même.OK?

Mais,putain,West,situm’écoutaisdetempsentemps,situteconfiaisunpeuàmoi,tucommenceraisviteàpigerletruc!Jesuisaumoinsaussichoquéquesiellem’avaitgiflé,encorebouleverséparcettedéclaration,quand

ellelèvelevisageversmoi,sedressesurlapointedespiedsetm’embrasse.C’estunvraibaiser,avec la langueet lesdents, sesmainssurmanuqueet soncorps toutcontre le

mien.Je ne pensemême pas à résister. J’attrape ses fesses à deuxmains et l’attire encore plus près. Je

l’embrasse à mon tour, tendrement puis fougueusement, longuement, terrifié, déboussolé et tellementheureuxqu’ellesoitlà.Unevieplusriche,plusbelleetplusépanouieestpossible,maisseulementquandjesuisavecCaroline.Ellereculeetdéposedepetitsbaiserssurmonmenton,lelongdemamâchoire,surmajoueetsurma

tempe.—Tuvasfinirparcomprendre,murmure-t-elle.Fais-moiconfiance.Jenemefaispasconfianceàmoi-même,maiselle,jelacrois.—Jevaisessayer.Ellemeserredetoutessesforces,frottelenezcontremoncouetrétorque:—Tuasintérêt.Jebaisselesyeuxverssescheveux,puisjeregardemapetitesœurdanslavoiture,àdeskilomètresde

nous,perduedansdespenséesquin’appartiennentqu’àelle.Entrenous,ilyaCaroline.

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Samaisonsetrouveàquelquesruesducampus.C’estuneimpressionnanteconstructionavecuntoitàpignonsencèdrequi,deprès, sembleavoirmalvieilli. Jemegaredans la ruelleà l’arrière.Krishnam’emmènedans lacuisine,où flotteun fumetd’oignonetd’ail frits–unparfumdecuisine.BridgetetCarolinesontassisesàlapetitetablecaléedansuncoindelapièce.—OùestFrankie?demandeCaroline.—Jel’aidéposéechezLaurieetRikki.—Ellevabien?—Oui. Ils lui ont fait uneoffrequ’ellenepouvait pas refuser.Apparemment ils comptent regarder

deuxfilmsenmangeantdupop-cornetdesbonbons.Çaavaitl’airdelabrancher.«J’enaienvie.»VoilàprécisémentcequeFrankiem’adit.Jen’allaispasm’yopposer,surtoutsiçamepermetdeme

détendrel’espaced’unesoiréeetdevoirsijemerappelleencorecequeçafaitd’avoirdesamis.J’aiunpackdebièressousunbrasetunesaucissedeunmètredelongdansl’autremain.Jemesuis

arrêtéàPompeVit’surlaroute.—Joyeuxanniversaire,Krishna!Enfinl’âgelégalpourboire.Çavatefairetoutdrôle.—Tum’étonnes ! J’ai faillimouillermes draps enme réveillant cematin quand jeme suis rendu

comptequejepouvaisenfinpicoleraveclesgrandespersonnes.—C’estvraiqueçafaitunchoc.—Ildéchire, toncadeau ! fait-il remarquer.Tuasdû te retourner le cerveaupour trouverune idée

pareille.— Je voulais t’acheterLes 101 Pires Problèmes demaths, mais il n’y en avait plus à la station-

service.—Ilfautdirequelerayonlibrairieestminable.—J’aipenséquetupréféreraisdelabièreetunesaucissegéanteàunexemplairedePlayboy.Krishnajetteunbrefcoupd’œilàBridget.—Tun’asqu’àmettrelesbièresaufrigo,maisouvre-m’enuned’abord,lance-t-ild’unairdistrait.—Çamarche.—Onaachetédeuxpetitstonneauxpourlavraiesoirée.—Deuxtonneaux?Tunefaispasleschosesàmoitié.—Fêtersesvingtetunans,çan’arrivequ’unefois.Jeposelasaucissesurlatable,décapsuledeuxbouteillesetentendsuneàKrishna.—Assieds-toi,West.Jesuisentraindefaireduminestrone.—C’estvrai?Maisoui,disdonc,tuasmêmemisuntablier,ettout.—Ehoui.J’essaied’imitertonlookdel’andernier,àlaboulangerie.Nostalgieetdéception,plaisiretdouleur.Combiendefoisest-ilvenumevoirpendantmonservicepourpapoterunepetiteheureavantderentrer

secoucher?Combien de fois ai-je travaillé avec Caroline assise par terre dans un coin, à réviser son latin, à

réfléchiràvoixhauteàunplandedissertationouàsurlignerdespassagesimportantsdansunmanuel?C’estfini,toutça.Jenesuismêmepasrepassédevantlaboulangerie.Jen’aipascherchéàreprendre

duserviceparcequec’estlà-basquejemesuisfaitarrêterparlesflicsetquejenepourraiplusjamaisregarderBob,lepatron,enface.J’aifaittablerasedetoutçaquandj’aiquittéPutnam–quandjecroyaisrentreràlamaisonalorsque

jen’avaisnullepartoùaller.Toutcequim’attendaitlà-bas,c’étaituntravailabrutissant,dessoucisetunebanded’imbécilesbiendécidésàtoutfoutreenl’airpendantquej’essayaisd’êtreletypesurquion

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peuttoujourscompter.C’estpourredevenircetype-làquej’aitrahil’amitiédechacunedespersonnesrassembléesdanscette

cuisine.Jem’assiedsàcôtédeCaroline.Elle porte un jean et un tee-shirt blanc tout simple avec une petite poche sur le sein. Ses cheveux,

encoremouillés après ladouche, tombent librementdans sondos.Elle a enfilédegrosses chaussettesgrisesetagrippelebarreaudelachaiseavecsesorteils.Jelatrouvemagnifique,mêmeaveclatêteinclinéesurlecôtéetcettepetiterideentrelessourcilsqui

indiquequ’ellem’étudie.—Surveillelepainàl’ail,Krishna,lanceBridget.Legrilestsupercapricieux,çabrûlevitesionne

faitpasattention.J’ail’impressionqu’ilestdéjàbiendoréet…Krishluicoupelaparole,commeilslefontsouvent.—J’airégléleminuteur.—C’estunebonneidée,maisilvautquandmêmemieuxsurveillerparceque,desfois,legrilchauffe

tellementque…—T’inquiète.Tantqueleminuteurtourne,c’estquetoutvabien.—Non,maislà,çabrûle.Jele…—Maisnon,çanebrûlepas.—Krish,çasentlebrûlé,jetedis!Letempsqu’iltrouveunemanique,ilyadelafuméequisortdesouslegril,etlacuisineempestel’ail

cramé.Krishnaserépandenjuronstoutencourantd’unefenêtreàl’autrepouraérerlapièce,tandisqueBridgets’agitebeaucoupenfaisantdubruit.Carolineetmoilesregardonsd’unairblasé,et…Jenesaispas.Jesuisbien.Jesuiscontentd’êtrelà,àcôtédeCaroline,avecsonjeanbleufoncétendusursescuissesetlecoude

posésurlatable,àécouterBridgetetKrishnasechamaillercommed’habitude.Ilmetlepaindansunecorbeille–sérieux,unecorbeille!–etleposedevantmoicommesij’étaisle

roideFrance.— La soupe n’est pas encore prête. J’aurais peut-être dû commencer par là et attendre le dernier

momentpourfaireréchaufferlepain.—Évidemmentquetuauraisdû!s’écrieBridget.Jet’aienvoyéuntextopourtelerappelerpendant

quet’étaisencoreencours.D’ailleursc’estdanslemêmemessagequejet’aiditquejepouvaispasseracheterduparmesanpourtefairegagnerdutemps,maistucroistoutsavoir…—… alors que c’est toi qui sais tout. Pas vrai ? conclut Krishna avec un sourire qui le trahit

complètement.Cen’estpaslapremièrefoisquejelevoisregarderBridget,maisçan’avaitjamaisétéaussiflagrant.

Jejetteuncoupd’œilàCaroline.Jemedemandesiellearemarqué,elleaussi.Ellehausseunsourcil.«Quoi?»JedésigneBridgetetKrishnatouràtour,etarticule«ilscouchentensemble»sansunbruit.Ellehochelatête.—Sérieux?Ellefaitunrondavecsamaingaucheetyglissesonindexdroitàplusieursreprisesavecunregard

malicieux.—«Sérieux»,quoi?interrogeKrishna.—Non,rien,dit-ond’unemêmevoix.

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L’espaced’uneseconde,c’estcommesitoutétaitredevenucommeavant–facile.J’attrapeunmorceaudepainàl’ailetmordsdedans.J’aiunefaimd’ogre.Encoredixminutes.J’aiunedissertationàrédigerdemainmatinavantd’allerautravail,ensuiteilfautquejeparleavec

Frankieetquejeremetteunpeud’ordredansmavie.Encoredixminutes,etj’yvais.Cedînerm’afaitquelquechose.Lepainàl’ailétaitcongeléaumilieuetbrûlésurlesbords,lasoupe

était tellement saléeque j’ensuis toutdesséché,etendessert,onamangéuncheese-cakequeBridgetavaitpréparéelle-même.C’étaitbon,cerepasencompagniedemesamis.Enfermantlesyeux,j’auraispresquepumelaisser

alleràcroirequej’étaisunétudiantlambdaentraindepasserunsamedisoiravecsespotes,àboiredesbièresetàéchangerdesplaisanteriesdouteusessurlessaucissessurdimensionnéesousurlemalheureuxquiallaitdevoirfairelavaisselle,àparlerdetoutetderien.Encoredixminutes.Dixpetitesminutes.Aulieudeça,jemelèveetvaisremplirmongobeletautonneauquiestdanslefrigo.J’ai bu juste assez pour me détendre, et la musique me maintient dans un état de décontraction

tranquille. La playlist est unmélange de tubes qu’on entend dans les clubs et qui font danser tout lemonde,etdechansonsintimesetfortesquidonnentenviedeserapprocheretdesetoucher.Lamaisonseremplitpeuàpeu.Jeconnaislaplupartdesinvités–desétudiantsàquij’aivendude

l’herbe,avecquij’aibu,àquij’aitendudessachetsdemuffinsà3heuresdumatin.Ilyadesgensavecquij’aipartagéunepaillasseenlaboouavecquij’aitravaillésurdesprojetsdegroupe,desfillesdontjeconnaisleprénomparcequeKrishnaacouchéavecellesouparcequ’ellesm’ontdragué,moi.Jemelaissecontaminer.Lebruitetlachaleur,lesfillesetlasueur.Toutlemondeparlefort,quelqu’un

monteleson,toutlemondeaungobeletàlamainetquelquechoseàdire.Chaquefoisquequelqu’unmetendlamainpar-dessuslafouleencriant«West!»,chaquefoisquequelqu’unmetendunverreplein,jemelaisseconvaincre.Jeboisetjediscute;jerigoleavecuntypedontj’aioubliéleprénom;jeposeunepaumeàplatcontre

lemuretmepenchepourentendrecequemeditunedénomméeSierraquimeparlecommesiellemeconnaissaitalorsquejepourraisjurerquec’estlapremièrefoisquejelavois.J’aiunevueplongeantesursondécolleté,maissesseinsnesontquedesseins.Cequejefais,essentiellement,mêmequandjen’enaipasconscience,c’estquejeregardeCaroline.J’adoresonvisage,sonrire.J’adoresadémarchequandellesefraieunchemindanslafouleavecsongobeletau-dessusdesatête.

J’adorelavoirplaisanteravecBridget,Krishnaetleursautrescolocs.J’adorelefaitque,bienqu’ellenesoitpastrèsgrande,ellesembledominertouteslesautresparcequ’ellesetientparfaitementdroite.Ellealemaintiendequelqu’und’important,unriregénéreux,unsourireassuré.Elleaunportdereine.Carolineestsouveraine.Ellel’atoujoursété.Etelleleseratoujours.Riendecequejepourraisdireoufairenesauraitchangerça.Ellenementait

pasquandelleadéclaréqu’ellenesecouperaitpaslescheveuxpourmoi.Ellesaitexactementquielleest.Jepeuxsûrementluibriserlecœurmaisjeseraisbienincapablede

brisersafierté.Jenepeuxpaslabriser,elle.Ellenelepermettraitpas.J’aitellementenvied’elle.C’estcommeunvirusquinemelâchejamais,saufquec’estprécisémentl’inverse.Cen’estpasune

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maladiequej’aiattrapée l’andernier,c’estunremède,quicouledansmesveinesetnettoiemoncœurpeuàpeu.Ilm’estfaciledemelaisserfaire.Ilm’estfaciledeboireunpeuplusquederaisonetd’allerlavoirquandellesereposeuninstantsur

l’accoudoirducanapé.Jem’approched’ellepar-derrière,rassemblesescheveuxetlesfaispasserd’uncôté,puism’incline

lentement.Lesmainscaléessursesépaules,jeluiintimedenepasbouger.Alorsjeposemaboucheouvertejuste

àlabasedesamâchoire,àl’endroitoùjel’aiembrasséepourlapremièrefois.Jesuiscertainqu’elles’ensouvient.Jefaiscommesielleétaitmienne,parcequejen’aijamaiscessédeluiappartenir.Jem’approcheencoreetmepenchetoutcontreelle,letorsecolléàsondosetlesbraspassésautour

d’elle.Jelasensrespireretj’ail’impressiond’êtreàmaplace,iciavecelle.—Tut’amuses?Maboucheestsiprèsdesonoreillequejemecontentedechuchoter.Jepeuxluidiretoutcequeje

veux,luisoufflerdesobscénitésmasquéesparlamusique,luiconfiertoutcequej’aienviedeluifaire,certainqueseuleCarolinem’entend.—Oui.Jeperçoissarespiration,lesmouvementsdesapoitrine,sachaleuretsonexcitation.—Ondevraitallerquelquepart,dis-je.Onpourraits’amuserencoreplus.—Jenesuispassûrequecesoitunebonneidée.Pourtantellearefermélesmainssurlesmiennesetmeserretoutcontreelle.Ellereculeunpeupourcalersesfessesaucontactdemabraguetteetvientpesercontremonérection,

quidurcitencore.Ça,c’estquelquechosequ’onatoujourssufaire.Jesenssescôtessousmesmainsetremontelentementjusqu’àrencontrerlerenflementdesesseins.Je

m’arrêtejusteàtempsmaisj’entendssonpetitsursaut.Jesaisqu’elleestentraindemouillersaculotteenimaginantcequejepourraisluifaired’unesimplepressiondemespouces.—Moi,jepensequesi.Elleseretourne,lesyeuxbrillants,lesjouesrougies.—Tuasbeaucoupbu?—Quatrebières.—Tun’espasbourré.—Justeunpeuivre.Ettoi?—Deuxbières,etçafaitdéjàunmomentquejesuispasséeàl’eau.On se regarde longuement. Autour de nous tout n’est que mouvements, rires et cris, excitation et

séduction,maisonpourraitaussibienêtreseuls.JenevoisplusqueCaroline.Elleestsobreetjelesuispresque.Onsaitparfaitementcequ’onfait.S’ilsepassequelquechose,ce

seraparcequ’onenaenvie,ici,maintenant,alorsqu’onestenpleinepossessiondenosmoyens–àcedétailprèsquejenesuisjamaiscomplètementmaîtredemoiquandils’agitdeCaroline.Jesuisivred’elledepuislepremierjour.—Viensvoirmachambre,dit-elle.—Tuessûre?— Je ne suis sûre de rien, répond-elle en s’humectant les lèvres du bout de la langue – et en

m’hypnotisantaupassage.Viens,West.

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Jelalâchepourqu’ellepuisseserelever.Puisjerefermelesmainssurseshanchesparcequejenepeuxm’enempêcher.J’aibesoindelasaisir,

de la teniretde lamordre,de la lécheretde laprendre.Toutcequejepourraiavoircesoir, jeveuxm’enemparercommed’untrésorquejegarderaiprécieusement.Elleposeunemainsurlamienneetentremêlesesdoigtsauxmiens.Puisellem’entraîneversl’escalier,verssonétage,verssachambre.Lemaillotrougedel’équipederugbyfémininedePutnamquiestencadréau-dessusdesonlitvibreen

rythmeaveclesbasses.Je resteplantéaumilieudu tapis,dans l’attentequeCarolinemedisecequ’elleveut. Jeme trouve

dansl’œilducyclone.Sijem’enécartetrop,jerisquedemefaireéjecter,expulserloindeCaroline.Quandellefaitunpasversmoi,jelaprendsparlatailleetl’attirecontremoi.Je laserrefort,plongelesmainsdanssescheveuxet l’embrassecommesi jen’avais jamaisarrêté.

J’aienviedecroirequ’onpeuttoutrecommencer,ici,toutdesuite,etoublierceslongsmoistristes.LasaveurdeCarolinen’apaschangé,chaudeetentêtante,sensuelleetlimpide.Merveilleuse.Merveilleuse.CemotrésonnedansmonesprittandisquejemerepaisdeCaroline,quejem’enivredesonparfum,

que je lui lèche doucement la lèvre et que je lui offre ma langue, prenant en échange chacun de sesgémissementscommes’ilsmerevenaientdedroit.Jepasselespoucessursestétons,enrythmeaveclamusique.Jesenslavibrationdesbassesjusque

dansmesbourses,commeuneurgenceintrusivequis’invitelelongdemonsexe.Lespaumescaléessursesfesses,j’avanceungenouentresesjambespourlapousserverslelitetlafaisbasculer.Jevaistropvite,jesuistropbrusque,maisCarolinen’estpasenreste.Ellesoulèveleshanchesàla

rencontredemonérection, les jambes écartées.Ellememord le couetme lèche commesi elle aussiavaitbesoinquecesoitrapide,brutaletimportant.Pourmoic’est aussivitalquede respirer, commequandon retient son souffle sous l’eau, etque la

pressions’accumuleetbatauxtempesjusqu’àcequ’oncraque.Jecraque.Carolineaussi.Ellepasselesmainssousmontee-shirtetmegriffelégèrementledos.Ellem’agrippelesfessessifort

quejesenssesonglessurmonpérinée.Jel’assailledebaisers.Cen’estpasdelaséduction,c’estuneinvasion,uneattaque,deuxépéesqui

dansent,deuxboucliersquis’entrechoquent,tantchacundenousdeuxabesoind’atteindrel’autre,delepénétrer,deleposséder.—Enlèveça,ordonne-t-elle.Jemeredresseletempsd’arrachermontee-shirtpuisattrapel’ourletdusienettire.Sonsoutien-gorgeesttoutfin,toutdedentelleblanche.Ilvoleàtraverslapiècepourallerheurterlaporteavecunpetitbruitdoux.J’attireundesesseins

dansmaboucheetentitilleletétonduboutdelalanguetoutenmassantl’autre.Ellecriemonnomenhaletant.—West,tunepensespasque…Jeneveuxpluspenser.Jel’embrassepourlafairetaireettendslamainversmeschaussures.J’arrive

miraculeusementàmedébarrasserdemabottedroiteavantdemeperdredansunnouveaubaiser.Leslacetsdelagauches’emmêlent.Tantpis.Cen’estpasçaquivam’arrêter.Carolineestdéjàpiedsnus,alorsjememetsàgenouxet

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déboutonne son jean avant de le lui retirer, entraînant sa culotte dans ma hâte. J’ai peur qu’elle nerevienneàelleetqu’ellenemedemanded’arrêter.Jepasseunemainentresescuisses,et insinuelesdoigtsentreseslèvresbrûlantesetgonflées.Jela

connaisparcœur;jesaiscequilafaitvibrer,cequiluifaitcriermonnom.Alorsj’imprimemonnomsursachair.Jeglissedeuxdoigtsenelleet laissepesermonpoucecontresonclitoris–pas tropfort,justecommeelleaime.Ellealesjouesrosevif,lesyeuxfermés,lefrontbarrédepetitesridescommesielleétaitsurlepoint

depleurer.Monnomluiéchappedansunsanglot.—West!—Nemedemandepasd’arrêter,lasupplié-je.—Non,non!C’étaitcequejecraignaisplusquetout,mêmesiunepartiedemoncerveaumeditquec’estplussage.C’estcomplètementidiot,jelesais.Cet instant pourrait tout gâcher, encore pire qu’avant. Jusqu’à ce soir je n’aurais pas cru que notre

situationpouvaitempirer,etpourtantsi.Lapreuve.Jem’immobilise.JemecachelevisagedanslecoudeCaroline,quimefrappel’épauledetoutessesforces.—Non,West!Jevoulaisdire:net’arrêtepas!Net’arrêtesurtoutpas!Elleremueleshanchesàlarencontredemamaintoutenmedonnantdegrandesclaquessurl’épaule,

commesij’étaisunchevalrétifetqu’ellevoulaitmefaireavancer.—S’ilteplaît,West!Jen’aijamaissuluirésister.—Tuasdescapotes?—Dansmonbureau.—Tucroisquetuvastenirlecoup,letempsquej’ailleenchercherune?Jenevoudraispasquetu

meuresencoursderoute.Elleéclatederireetmetapotel’épaule.Jevaisfinirparavoirunbleu.—Dépêche-toi.Jesuisdéjàdeboutettentededéfaireleslacetsquej’aisibienemmêlés.C’estsansespoir,alorsje

tiresurmabotteetmanquedemedisloquerlachevilleaupassage.J’enlèvemeschaussettesetsenslamusiquepassersousmespiedsnus.LespréservatifssontlàoùCarolinemel’aindiqué–aumêmeendroitoùjerangelesmiens,cequime

paraîtimportant,maisjeneprendspasletempsdemedemanderpourquoi.Jem’assiedsauborddulit,unecapoteàlamain,etregardeCarolineétenduelà,commedanstousmesfantasmes.Jemecaresseunpeuparcequej’aipresquemaletquejenepeuxm’enempêcher.Caroline se redresse et vient repoussermamain pourme prêter la sienne. Elleme branle vite, en

serrantfort,etjeperdscomplètementlatête.—Allonge-toi.J’ai grondé comme un animal, d’une voix grave et violente que je reconnais à peine. Caroline ne

protestepas.Ellesemblecomprendrequejeladésiretellementquejenepeuxplusniparlernipenser–quejenesuispluscapablequed’enfilercettecapote,deprendresesfessesàdeuxmainsetdelapénétreravecforcetoutenl’attirantsurmoi,assezbrutalementpourquesesdentss’entrechoquent.—Lèvelesbras,dis-je.Tiens-toi.Ellerecule,etjelasuisàquatrepattestandisqu’elleseredresseàmoitiépourpouvoiragripperlatête

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delitàdeuxmains.Alorsjem’avanceentresescuissesetpasselesbrasautourd’elle,lesmainscrispéessur le bois de chêne, ses jambes autour de ma taille, son sexe serré autour du mien, ses seins quirebondissentàchaquecoupdereins.Jelatiensàmamerci–sesgémissements,sonodeur,seshalètements.C’estincomparable.Carolineestincomparable.Jamaisriennipersonnenem’avaitfaitceteffet-là.Jelatiens,pourtantjenepeuxm’empêcherdeluicouriraprès.Onbaiseviteetfort.Jenesaispassi

c’estdeçaqu’elleabesoinmaisjesuisincapabledefaireautrement.Sijeralentis,sijem’arrêtepoursavourerl’instantoupourréfléchir…Non,jenepeuxpas.Iln’yaplusd’autrespossibles.Iln’yapluspersonneaumondequeCarolineetmoi,quesestétonstoutroses,sonsexe,seslèvres,ses

yeux,sescheveux,sonlitquigrinceetseshanchesquisepressentàlarencontredesmiennes.Jesuisfascinéparlesjointuresdesesdoigts,blanchiesparl’effortàcôtédesmiennes.C’estlàqu’est

rivémonregardquandellesecontracteautourdemoi,et jesuissurprisparlessonsqu’elleémet,parl’expressionquiselitsursonvisage.Iln’enfautpasdavantagepourmefairebasculer.Carolineenpleinejouissance…Jeneconnaisrien

deplusérotique.Desvaguesdeplaisirbrûlantpapillonnentsousmapeauetm’embrasent,m’épuisent,melaissentanéanticontresoncorpschaudetdoux,lefrontposécontresatempe,leslèvressursajoue,sursonépaule,danssoncou.Alors,seulement,onrespire.Nosdeuxcœursbattentàtoutrompre,noscorpséchaufféss’apaisent,lamusiquequimartèlelesola

perdutouteurgencepuisquenoussommeslà.Enfin.C’étaitverslàqu’onsedirigeait–verscetinstantoù,nus,onsetouchaitl’unl’autre,vulnérables,doux

etensemble.JesourisdanslecoudeCarolineenmedisantquec’estlabêtiselaplusmonumentalequej’aiejamais

faitesousl’emprisedel’alcool,quandj’entendsunbruitdéroutant.Ondiraitqu’ellepleure.Jen’osepasbouger,puisjesenssesmainssurmesépaules,quimerepoussent.Ellem’écartebrusquementd’elle.—Retire-toi.Tuveuxbien?implore-t-elle,lesyeuxluisants.S’ilteplaît,retire-toi,jenepeuxpas…—Oui,attends.Donne-moijusteuneseconde.Ilfautquej’attrapelacapotepouréviterd’enmettrepartout.Unefoisquejel’ai,jereculedoucement

etm’assieds.Carolinemetourneledos.Jepourraiscomptersesvertèbres.J’emballe le préservatif dans unmouchoir en papier et jette le tout dans la poubelle à côté de son

bureau,puisjereviensm’installeràcôtéd’elleetposeunemainsursonépaule.—Caroline?—Arrête,lance-t-elledansunfrémissement.—Dis-moiquelquechose,aumoins.—Jenepeuxpas.Je…Laisse-moisoufflerunpeu.OK?Jenesaispasquoirépondreparcequejenesuispassûrdecomprendre.Veut-ellequejem’éloigne

d’unmètre,quejelalaissetranquilleuneminute?Oucompte-t-elleenkilomètresetenmois?Elleétaitàmescôtésàl’écoledeFrankie.Ellem’asoutenuaprèscequejeluiaifaitàSiltetdepuis

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quejesuisrevenuàPutnamalorsquejemesuismontrédistant,froidetprobablementinsupportable.Elleétaitlà,avecmoi,ilyauneminute.Non?Oh,merde!Jemelèveetmerhabilleavantdem’agenouillerdevantmabotteetdepasseruneéternitéàdémêler

leslacets.Pendantcetemps,Carolinepleure.Quelquechosetombeetsecasseaurez-de-chaussée.Lefracasdudégâtetlebruitdessanglotsmepoussentdansunabîmedeculpabilité.Tun’asrienàluioffrir.Tun’asrienàfaireici.Tun’aspasledroitdelatoucher.Tun’aspasle

pouvoirderéparertestorts.Tuestoxique,unmoins-que-rien,unpoison.Jemerassiedssurlelit.Ses pleursme rappellent le son creuxde la pelle dans la terre caillouteuse à l’enterrement demon

père.C’étaitlapremièrefoisdepuisdesmoisquequelquechosemeparaissaitfacile,parcequejesavaisqu’il était parti. Je savais que je pouvais l’ensevelir sixpieds sous terre et êtredébarrasséde lui. Jepouvaislaissermonpassédanscecercueiletl’écrasersouslapoussièrepourqu’ilnepuisseplusjamaisresurgirdecetrou.Ilnepeutplusmetoucher.Voilàcequejemedisais.Voilàcequej’aiachetéenpayantpoursesfunérailles.Leproblème,c’estqu’ilestenmoi.Ilmeressemblait,parlaitcommemoi,etbaisaitprobablementde

lamêmefaçon,parcequejemesouviensd’avoirentendumesparentsquandj’avaiscinqans.Mamèrepleuraitsouventaprès.Cen’estpaslegenredechosequis’oubliefacilement.J’aieubeaul’enterrerdemespropresmains,jenepeuxprétendreignorerquemonpèreétaitlegenre

deconnardcapabledefairecequej’aifaitàCarolinedansleparkingdespompesfunèbres.J’enaidétestéchaqueinstant,etpourtantjel’aifait.J’aifermélesyeuxetserrélepoingintérieurement

pourm’enfrapperetmeforceràallerjusqu’aubout,parcequej’étaisconvaincuquec’étaitnécessaire,quejen’avaispaslechoix–pasledroitdechoisir.Caroline avait raison de me dire mes quatre vérités avant de rentrer dans l’Iowa. Elle avait tout

comprisetellemecomprendtoujours.J’aipeur.Jesuispétrifiéàl’idéedeprendrelamoindredécisionparceque,depuisqueFrankieestnée,jen’ai

cessédemerépéterquejenepouvaispasmepayerleluxedepenseràmoietàmespropresdésirs.ToutgraviteautourdeFrankie–mavieentière.Sijevispourelle,jen’aipasbesoindepenseràmoi.Jen’aicessédem’inventerdesexcusesalorsquemoncomportementétaitinexcusable.Jecroyaisque

lesParquesavaientcoupélesfilsdemavietellementcourtquejen’avaispasdemargedemanœuvreetque jemedevais d’avaler tout ce que l’existencemebalançait. Je n’avais qu’à respirer par le nez etdéglutir,survivrepourqueFrankien’aitjamaisbesoindesubircettehorreurelle-même.Saufqueça,cen’estpasvivre.Lasurvie,c’estcequirestequandonn’apaslechoix.Enmeréveillantdemainmatindansmonlitau-dessusdugarage,jenepourraisjamaisprétendreêtre

unmodèlepourFrankie,unparentdignedecenom,sij’abandonnaisCarolinequipleurenuesursonlit.J’aisurvécuàcethomme.Jerefusededevenircommelui.Ilnemeresteplusqu’àcomprendrecommentjepeuxledéfier,commentmenerunevieépanouie,riche

desensetdebeauté,detoutcequ’iln’ajamaisconnuparcequ’ilrejetaitbêtementtoutcequ’ilyavaitdebeaudanslemonde.

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Peut-êtrequeceseratoujoursplusdifficilepourmoiquepourunhommeordinaireparcequej’aiprisunmauvaisdépart.Jesaisquejesuisintelligent,maisilyatellementdechosesquej’ignore.JesavaisêtreunpèrepourFrankieensituationdecrise,maismaintenantqu’elleestensécurité?Je

suisperdu.Jenesaispasétudierpourleplaisird’étudier,explorerlescouleurs,gâcherdupapier,jouer.Je ne sais pas comment dire àCaroline que je suis désolé pour qu’elle entende la profondeur demasincérité.Surtoutjenesaispascommentlaissercepasséderrièremoietmetournerversl’avenir.Etpourtant,jeluiaipromisquej’allaisessayer,alorsjevaistenirparole.Peut-êtreque,sijefaisdix

foisplusd’effortsquelesautres,jefiniraiparyarriver.Jem’allongeàcôtédeCarolineetposelamainsursonépaule.Toutdoucement,jeluieffleurelebras.Je ferme les yeux, cale mon corps le long du sien et continue de la caresser, de la consoler, de

l’apaiser.J’attendraiqu’ellemedisedequoielleabesoin.Jenepartiraiplus.

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PARDONS

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CAROLINE

Lesoirdelafête.Lamusique.Lebruit.Unboncentimètredemoussedansmonverredebière.J’avaisàmoitiéenviedepartir,d’allerfaireuntourenvoiture,d’allercourir,d’échapperàcequimeguettait.JeparledeWest,évidemment.Westadosséàunmur,unebièreàlamain.Westpenchépourécouterunefille,unsouriredistraitauxlèvres,toutenmecherchantdesyeux.Sonregardquimecaressaitcommeunemainpuissante.L’intentionconcentréedansceregardquirisquaitdemebrûlersijem’immobilisaisassezlongtempspourm’yoffrir–ceque

j’aifait.Jevoulaisqu’ilmevoie.Jelevoulais,lui.Lesoirdelafête.Laveilledelafête.Lelendemaindelafête.Chaquenuit,jerêvaisdeluimettrelamaindessus,deposermabouchesurlui,delemordreàpleinesdents,d’emmêlernos

deuxcorps,defrappernosviesl’unecontrel’autre,dem’écrasercontreluietderecommencer,encoreettoujours.Parcequec’étaitmerveilleux,parcequej’enavaisenvieetparcequej’étaisincapabledem’enempêcher.On s’était trouvés plus d’un an auparavant, on s’était rapprochés peu à peu jusqu’à gagner une intimité telle que je ne

m’imaginaisplusvivresanslui.Jel’avaisdanslapeauetjem’étaisglisséesouslasienne.Onsetenait,onneselâchaitplus,etquandons’estretrouvés

dansmon lit cesoir-là–soncorpschaudsur lemien,sapeaunuesousmesmains–,mesdoigtssavaient toujoursoùetcommentl’agripper.

Moncorpssavaittoujoursl’accueillir,s’enroulerautourdelui,l’attirerplusprofond.Pourtantj’aipleuréaprèscoupparcequeçafaitmaldes’abandonneràundésiraussiviolent.Çafaitmaldesevoirdépouilléedetoutedéfense,l’espritdisperséauxquatrevents.ChacunedemesactionsdepuisqueWestétaitrevenuàPutnamavaiteupourbutcetinstant,cettejoieintense,nosdeux

corpsréunis.Cetinstantm’afaittellementmal!Telleétaitmavérité,briséeenmillemorceaux,enfinlisible.Ilm’avaitblessée.Jesaignais.Ilm’avaitmiseencolère.Jebouillaisderage.Ilm’avaitrepoussée,etjesentaisencorecettedistanceentrenous,mêmeavecsonvisagedansmoncou,salanguedans

mabouche,sonsexeenmoi.J’avaischangé.Nousavionschangé,touslesdeux.Nousneserionspeut-êtreplusjamaislesmêmes.J’avaisditàWestque,danslavraievie,iln’yavaitpasdedébut,demilieunidefin.Jeluiavaisditd’yréfléchirparcequeje

voulaisqu’ilm’écoute.Jeluiavaisditquelavie,c’étaitcompliqué–quelesgensétaientcompliqués–,parcequec’étaitcequejecroyais.C’étaitce

quej’avaisbesoindecroire.Pourtant,mêmesic’estvrai,direçaàWestnepouvaitsuffireàeffacerlefaitqu’ilavaitmisuntermesymboliqueànotrehistoireenallantposersabouchesurlecorpsd’uneautrefemme.

Lesoirdelafête,ils’estfonduenmoi,perduenmoi,ilm’aaimée,embrasséeetm’afaitjouirtellementfortquej’aivudesétoiles.Saufque,quandonestperdudansdescontréessauvages,encore faut-ilsavoirsuivre lesétoilespour retrouversonchemin.

WestétaitmonétoileduBergerautrefois.Lesoirdelafête,j’aipleuréparcequelecielavaitchangé.Lesconstellationsquiétincelaientdanslanuitnoireétaientbelleset

lumineusescommedeprécieuxjoyaux,maisjen’arrivaisplusàleslire.Cequejen’aipassaisitoutdesuite–cequejen’aicomprisqu’aucoursdecethiver,àforcedesuivremoninstinctetdeme

faireconfiance–,c’estquejen’avaispasbesoindeconnaîtrelechemin.Lavieestunecontréesauvage.Ilseraitillusoiredevouloirensortir.Cen’estpasçaquicompte.Cequicompte,c’estque,àpartirdecettenuit-là,Westestrestéavecmoi.Westétaitavecmoiàchaqueinstant.Quandjereviensàmoi,jemerendscomptequelessonsquimontentdelafêteontchangé.L’ambiance

n’estplusaussiexubérante,lamusiqueestpluscalme,plananteplusquedansante,lesvoixdiscutentetrientdoucementaulieudecrieretdechanter.

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Lanuittoucheàsafin.J’aitellementpleuréquej’aifiniparm’endormir,ouparsombrerdansunesortedetorpeur.Westapasséunbrasautourdemoi.C’estagréable–pastroppesant…Pastrop.Pourtantcen’estplus

pareilnonplus. Il s’est tellementmusclédepuis leprintempsdernierque je sens ladifférencedans lepoidsdesonavant-brascontremesseinsetlelongdemescôtes.Quandj’ouvrelesyeux,jevoislecielparlafenêtre.Westestréveillé.Jeledevineàlamanièredontilsetientcontremondos.Jemeretourne,soulèvemonbrasdroitpourqu’ilnerestepascoincéentrenousetlerepliedefaçonà

calermonpoignetsurmonfront,commesiçapouvaitmeprotégerdelavuedeWest,siproche.Peineperdue.Jevois lacicatriceàsonsourcil, lacouleur indéfinissabledesesyeux,sescheveuxtropcourts,ses

oreillestroppetites,sabouchesigrande…Toutestparfaitementàsaplace.Ilpourraitlanceruntrucdugenre:«Bon,c’étaitchouette,maisilfautquejefile.»Ilpourraitjouerleconnardblasé,commeKrishnasaitsibienlefaire,ets’esquiverlâchementtouten

souriantdetoutessesdents.Pourtantjesaisquejen’airienàcraindre.—Onpeutdiscuter?demande-t-il.C’estWest,monWest.Sansréfléchirjetendslamainetluicaresselecou.Jemesoulèveetsensl’airfroidquifiltreparla

fenêtrecontremesépaulesnues.Jeposemeslèvrescontrelessiennes,parcequ’ilestlàetquejelepeux.Jesenssapaumechaudeàmataille,sous lacouverturequ’iladûétendresurmoi. Ilnebougepas,

laissesamainlà,surmapeau,etaccueillemesbaisers.Quandjem’écarte,ilsouffle:—J’ailedroit,moiaussi?Jeme laisse retomberenhochant la tête.Alorsc’est luiquim’embrasse.Lovéedans ladouceurde

monoreiller, lesmainsdeWest surmonvisage, jeme trouvedansunebulle feutréeoù j’entendsmoncœurbattreetoùjesensseslèvres.Je pense à tous les adjectifs qui décrivent souvent les baisers – « fougueux », « possessifs »,

«ardents».Cebaiser-làn’est riende toutça. Ilne ressembleplusnonplusà toutcequenousétionsavant,Westetmoi–nidrôlenirageur,nipatientnidangereux.C’estunbaiserquisignifie:«Tevoilàenfin,etmevoilà,moi.»«Ons’estretrouvés.»Jemesensinfinimentmieux.Quandils’interromptpourreprendresonsouffle,jepousseunlongsoupiretdis:—OK.—OK?—Maintenantonpeutdiscuter.—Jesuisrassuré.J’avaisunpeupeurqueçaveuilledire:«OK,tupeuxyaller,maintenant.»—Cen’estpasmongenre.—Tunesemblaispasavoirtrèsenviequejereste,toutàl’heure.—Jet’aimisuncoupdemassueavantdetetraînerdansmagrotteparl’oreille,jetesignale.—C’estcommeçaqueças’estpassé,danstonsouvenir?—Plusoumoins.—Ils’estaussipasséça,souffle-t-ileneffleurantlecoindemapaupière.

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J’ailescilstoutcollésetlesjouesencorebrûlantes.—Ouais…Jenem’yattendaispas,àça.—Moinonplus,renchérit-ilavantdesepencherpourm’embrassertendrement.Onauraitsansdoute

mieuxfaitdeparlerd’abordetdesesauterdessusensuite.—Saufqu’onneseseraitpeut-êtrepassautédessusdutout.—C’estvrai.Pendantunelongueminuteonseregardeensilenceenrepensantàcequ’onafait.Était-ceuneerreur?

Quediremaintenantqu’onatraversécestristesmoisdeséparationetqu’onseretrouvelà?Westseredresseets’adosseàlatêtedelit.—Jeveuxtefaireunepromesse,Caro.Jenetedemanderienenéchange,cen’estpascommeçaque

çamarche.Jeveuxjustetedireque…àpartirdemaintenantjen’auraiplusdesecretspourtoi.C’estfini,cesconneries.Ceseraitdébiledemapartdeprétendrequemesproblèmesneteconcernentpas.Jeveuxêtreparfaitementhonnêteavectoi,Caro,parcequej’espèreque…Ilmeregardelonguement,labouchepincéeenuneexpressionréservée,prudente.Pourtantiln’yaplus

danssesyeuxlamoindretracedeméfiancenidecettecolèrequej’yaivuesisouventdepuisquej’aiatterriàSilt.Iln’yaqueWest,entoutefranchise.—J’espèrequecequ’ona faitcesoiravaitdusenspour toiparceque,pourmoi,c’étaitprécieux.

Mêmesituconsidèresquec’étaituneerreur–cequiestsûrementvrai,maisbon…Bref,mêmesic’étaituneerreur,jel’assumeparcequejetiensàcequetufassespartiedemavie.Jen’enpeuxplus,defairesemblant.Jenepensaispasqu’ilrestaituncoindemoncœurquisoitencoreferméàWestmais,enl’entendant

me dire qu’il veut partagerma vie, j’ai l’impression qu’une porte s’ouvre enmoi et je me remets àpleurer.Ilserallongeàcôtédemoipourpouvoirséchermeslarmes.—Caro.—Non,çava.Toutvabien.Nemecajolepas.—Etsij’aienviedetecajoler?—Bon,alorscajole-moi,maispasparcequejetefaispitié.—Tunemefaispaspitié,Caro!Tuesabsolumentgéniale.C’estmoiqui…Jeposemamainsursabouchepourlefairetaire.Ilhausseunsourcil,alorsjelelaisseparler.—Tunecroispasquelemomentestvenu?Tunecroispasqu’ilesttempsquejetediseàquelpoint

jesuisdésolé?Quejenesuisqu’unpauvrecon,unlâcheetunminable,et…Jelefaistaireunesecondefois.—Arrête.Ilouvredegrandsyeuxetétudiemonvisagecommes’ilespéraity trouverdesréponses.Commesi

j’avaisdesréponsesàluiapporter!Jerenifleettiresurlacouverturepourm’essuyerlesjoues,exposantunejambeàl’airfroid.Onestàfleurdepeau, l’uncommel’autre. Ilsuffitd’égratigner lasurfacepourque toutessortesde

chosesresurgissent.LaconfessiondeWest.Macolère.LesraisonsdeWest.Moncœurbrisé.LesexcusesabjectesdeWest.Mesregrets.Jeneveuxrienentendredetoutça.—Dis-moisijemesuistrompée,West.Danslepick-up,quandtumereconduisaisàl’aéroport…est-

cequejemetrompais?

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Ilsecouelatêteetmarmonnequelquechosecontremamain.Jelelaisseparler.—Pasdutout.Tuavaisraisonsurtoutelaligne.Tuastoujoursraison,Caro.—Cen’estpasvrai.Jefaisdemonmieuxmaisjemeplantesouvent.Nememetspassurunpiédestal.—Tuastoujoursraisonsurlestrucsimportants.Quandilmecaresselefrontpourrepousserunemèchedecheveuxcolléeàmatempe,jeluisaisisle

poignetetvaisposersamainsurmoncœur.Jeveuxqu’ilensentelesbattements.Jesuisvivante.Voilàcequej’essaiedeluifairecomprendre.Il est hors de question que je passe ma vie tournée vers le passé pour en analyser toutes les

mésaventures.Jeveuxvivreicietmaintenant.Alorsjerefermeunemainsursanuqueetjel’attireàmoi.Ilm’embrasse,lamainposéesurmoncœur.

Son baiser s’emballe,West roule surmoi, caressema langue avec la sienne etm’offre sa chaleur, saforce.Il y abiendes chosesque jevoudrais luidire.Lagentille fillequipersiste enmoi tient à combler

toutesleslacunesdelaconversation.Ellemepousseàluidirequejeluipardonne.Quejel’aimetoujours.ElleveutplacersapropremainsurlecœurdeWestetluifairepromettredeneplusjamaispartir,de

neplusjamaiscommettreunetellecrasse.Seulementvoilà,jenesuispluscettegentillefille,etjenesuispassûredeluiavoirpardonné.Jel’aime,çanefaitaucundoute,maisjeneveuxpasluidonnercesmotssifacilement.Jeveuxqu’il

lesmérite.Persuade-moi,pensé-jetandisquemacouvertureglisse.JesensWestavancerunecuisseentrelesmiennes,saceintureeffleurermahanche,sesmainssihabiles

àsuivrelacourbedemondospourm’attraperlesfessesmesouleveretmeplacerdansunangleparfait.—Onvayallerdoucement,cettefois,déclare-t-ilendéposantdesbaisers le longdemaclavicule.

Tellementdoucementquejerisqued’enmourir.—Pastropdoucement,nonplus,sinonjenevaispasm’enrendrecompte.Il sourit. C’est presque le sourire du West que je connais, mais je devine que quelque chose le

chiffonne.—Dis-moitout,West.Jecaresseduboutdudoigtlapetiteridechagrinequipersisteentresessourcils.—Neteméprendspas,hein.J’enaienvie–j’enmeursd’envie–,maistunecroispasqu’ondevrait

discuter?Je fais remontermesmains sous son tee-shirt, sur sa peau douce et bronzée, le long de ce dos si

familieretpourtantdifférent,pluslarge,plusmusclé,plusdur.—Justement,West.Ondiscute.C’estlavérité.Cequilegêne,c’estquenotreconversationnesuivepasdescénarioconvenu.Oriln’yapasdescénarioquitienne.Iln’yapasderèglesenlamatière.Jenepensepasqu’ons’yprennemal,toutsimplementparcequejenecroispasqu’ilsoitpossiblede

mals’yprendretantqu’onécoutenossentimentsetnosimpulsions.Toutesleschansonssontdeschansonsd’amour,jecommenceàlecomprendre.Cettechanson-cinousappartient.—Tuesheureux?Là,toutdesuite,tuesheureux?

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Ildéposeunbaisersurmonépaule,puisunautresurmonbiceps.—Tuestoutenue.—Çaveutdire«oui»?—Oh,oui!—Moiaussi,jesuisheureuse.Ilm’embrassesurlesseinspuislesprendàpleinesmainsetyenfouitsonvisage.Sondossesoulève

sousmespaumes.—Qu’est-cequetufais?Tureniflesmesseins?—Jeterespire.—C’estuntoutpetitpeubizarre.—Çameva,répond-ilavantdefrottersonnezcontremapeau.Jen’airiencontrelebizarre.Ildéposedesbaiserslelongdemescôtespuislessuitduboutdelalangue,ilpasseleslèvressurmon

ventre,humemonnombrilpuisl’intérieurdemacuisse.Alorsillèvelesyeuxversmoi,lesmainsdéjàcaléessousmesfesses,laboucheàquelquescentimètresdemonsexe.—Tuestoujoursheureuse,Caro?Il demande ça sur un ton taquin, mais je comprends ce qu’il veut savoir. Tous les scénarios

conventionnelsvoudraientquecesoitàcemomentprécisquejepèteuncâble.C’estlemomentquidevraitréveillermacolère,mondégoût.Jedevraissoudainsortirlesgriffesetluiinfligermavengeance,luiinterdirefroidementdepoursuivre

surcettevoie.Aulieudeça,jesuisbrûlante,etj’aibesoindelui.Jeremueleshanchesengémissant.Ilsouritpuistraceunelonguelignelenteduboutdelalangue.Jenesuispassûredecroireauxvertusdelavengeance.Cedont jesuiscertaine,enrevanche,c’estque jeméprise lecouppourcoup, l’amourquiposedes

conditionsetquilimiteleslibertés.AvecWest,j’aichoisid’allerplusloin,toujoursplusloin.J’aichoisid’allerjusqu’aubout,mêmes’il

fauttraverserlefroidetlesflammes,lesriresetleslarmes,lanuitavantl’aube.J’aichoisiWest–celuiquiestdansmonlit,celuiquis’estbattuenhautdesonescalierenneigé, le

Westquim’afaitdelasoupeauxvermicelles,leWestdelaboulangerie,ledealeretlebagarreur,leWestde Silt et celui de Putnam. J’ai choisi les caresses collantes et les turlutes, par-derrière ou enmissionnaire, les cunnisquimouillent lesdraps et lesbaisersdumatin avec l’haleinepas fraîche, lessoirsoùonesttropfatiguésetoùons’endortsimplementensetenantparlamain.Jel’aichoisi,lui.Voicioùnousensommes–quinoussommes–là,toutdesuite.Jenesaispasdansquelétatd’espritjemeréveilleraidemainmatin.Jeneprétendspasquetoutsera

toujoursparfait,nimêmequec’estparfaitmaintenant.Jenecroispasquelaperfectionexiste.Cequejesais,enrevanche,c’estquecesoiriln’yapasdemensongesentrenous.Iln’yaquesamainquiremontelelongdemacuisse,sabouchetoutprèsdemeslèvres,sonsoufflesurmonclitoris.Cequ’ilaenviedemefaire,cequej’aienviequ’ilmedonne.Riendeplus.Jeposeunemainsursatête,effleuresoncuircheveluduboutdesonglespuisl’approched’ungeste

ferme.—Ducalme,coquine!Onaditqu’onprenaitnotretemps,jeterappelle.Cettefois,quandilsourit,c’estvraimentlui,sansretenue.Jelesaisparcequeçam’atteintenplein

cœur,m’arracheunfrissonetmefaitmouillerencoreetencore.

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—Jevaisallertellementdoucement,Caro…Tuvasmedétester.Jeneledétestepas.Ilmetortureets’interromptrégulièrementpourmedemander:«Tuesheureuse,Caro?»Chaquefoisjeréponds«oui»mêmesicequ’ilmefaitmetue.Oui,West!Oh,oui!Ilmetuelentement,trèslentement.Jesuistellementheureusequejepourraisenmourir.

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PIONNIERS

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WEST

«Jepeuxteparler?»,ai-jedemandéàCarolinedanssachambre,danssonlit.«Jepeuxteparler?»,ai-jedemandéàFrankielelendemainaupetitdéjeuner.J’aitéléphonéauconseillerd’éducationpourprendreunrendez-vous.«Jepeuxvousparler?»J’ailaisséunmessageàmonpatronlepriantdemerappeleretluiexpliquantquejecomptaisdémissionnerdèsquej’aurais

trouvéuntravailavecdeshorairesdejour.Jecroisbienquejen’avaisjamaisautantparlédemaviequ’aucoursdecemoisdenovembre.Onsepersuadequ’onsaittoutetqueçanesertàriend’endiscuter.Onsaitcequ’onaàfaire;onsaitcequeréservel’avenir.Etsoudain,l’axechange,lemondebascule,etonserendcomptequ’onavaittoutfaux.Alorsoncommenceàallerau-devant

desgens:«Onpeutdiscuter?J’aiuntrucàvousdemander.J’aipleindetrucsàvousdire.»C’estpeut-êtreparceque jesuis têtu–parceque j’ai tendanceàgardermesvieilleshabitudesetàm’enferrerdansmes

vieilleserreurs–,mais j’avais toujourseu l’impressiondepouvoir anticiper toutes lesquestionset toutes les réponses,mesréactionsetcellesdesautres.

Cequiestdrôle,c’estquejemetrompaistoutletemps.Cesdeuxsemainesdenovembreetcedébutdedécembresesontrévélésrichesensurprises–desbonnes,destristes,

desécœurantes,desfrustrantes,desformidables.Carolineétaitparfoislaplusgrandesurprisedetoutesparcequ’ellecontinuaitàvenirmevoir.Ellerestaitdormirchezmoi.

Elledemeuraitàmescôtés.C’estaucoursdecesquelquessemainesquetoutaenfinchangé.J’aicessédecroirequejesavaiscommentmonexistenceallaittourner.J’aicommencéàmeréveillerchaquematinavecunegrandecuriositédevoircequiallaitarriver.Àunmomentdonné, jemesuis renducompteque j’avaiscessédedemanderauxgenssi jepouvais leurparler. Je leur

parlais,toutsimplement.J’écoutaiscequ’ilsmedisaient.Jenecessaisdemelaissersurprendreetj’aimaisbeaucoupça.LelendemaindelafêtedeKrishna,Frankiejoueavecsespancakesaulieudelesmanger,etj’essaie

denepasm’enformaliser.Ellelesanoyésdanslesirop.Jel’aiprévenuequeçaallaitsûrementfairetrop,etjeluiaisuggéréde

mettrelesiropdansunecoupelleetd’ytremperchaquemorceau,maiselles’estcontentéedeleverlesyeuxaucielcommesij’étaisledernierdesabrutisetelleacontinuéàverserunetonnedesirop.Elleenamangéquatrebouchéeset,maintenant,elles’amuseàsouleverlesbordsavecleboutdesa

fourchetteetàleslaisserretomberavecunpetitbruitmouillé.«Plaf.»Elle a les cheveux tout emmêlés et porte une chemise de nuit avec la fée Clochette dessus qui lui

comprimelapoitrine–unvêtementdepetitefillesuruncorpsd’adolescente.Ilfautquejeluiachètedenouveauxpyjamas.Jerepoussemachaiseetmelèvepourallerfairelavaisselle.Çam’empêcherapeut-êtredem’énerver

enlavoyantassassinerlepetitdéjeunerquejeluiaipréparé.—Qu’est-cequ’onfaitaujourd’hui?demande-t-elle.L’idée, c’est de trouver un moyen de nous sortir de cette situation pourrie, de discuter de nos

problèmesetdelesréglerunparun.Frankien’estpasencoreaucourantdeceplan.Jemerassieds.Elleafaitglissersoncoudesurlatableenverreetaposélatêtesursonbras,desortequesesyeux

sont aumême niveau que son assiette. Je la regarde soulever la pile de pancakes avant de la laisserretomber.«Plaf.»—Tuvasteprendredusiropdansl’œil,situcontinues.

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Ellemejetteunregardpourvoirsijesuissérieux.—Jemedisaisqu’onpouvaitjusterestertranquilleàlamaison,aujourd’hui.Enfin,siçateva.—Toutelajournée?questionne-t-elle.—Oui.Pourquoi?—D’habitude,tumeforcestoujoursàfairedestrucs,leweek-end.—Jecroyaisquetuaimaisbiensortirunpeu.—Oui,maispastoutletemps,nonplus.—N’exagèrepas.Onnesortpastoutletemps.—Si.Touslesweek-ends.—Tuneveuxplusallertebaladeravecmoi?Ellehausselesépaules,soulèvesespancakes.«Plaf.»—C’étaitbien,hiersoir,chezLaurieetRikki?—Ouais.—Qu’est-cequevousavezregardé?—Jenemesouvienspasdestitres.—D’accord,maisilsparlaientdequoi,cesfilms?—Ilyenavaitun,c’étaitl’histoiredetroisgarçonsqueleurpèreemmènesuruneîleetquiletuent

accidentellement.—Vraiment?—Maisnon,c’étaitjusteunfilm!Autondesavoix,jedevinequ’ellemeprendpourundemeuréfini.—C’étaitautoriséauxenfantsdemoinsdedouzeans?—Qu’est-cequej’ensais,moi?C’étaitunfilmrusse.Ilyavaitdessous-titrespourqu’oncomprenne

cequelespersonnagesracontaient.—Etl’autrefilm,c’étaitquoi?—L’autre…Cen’estpasfacileàraconter.Çafaisaitancien,saufquecen’étaitpasunvieuxfilm.Ily

avaitdesbateauxetd’autrestrucsbizarres.Jen’aipasbiencompriscequisepassait.Rikkim’aexpliquéquec’étaitnon-figuratif.Çaveutdirequeçaneracontaitpasvraimentd’histoire.—Quelestl’intérêtd’unfilmcommeça?—Jenesaispas.C’estcequ’ilsregardaient,c’esttout.—Non,jeveuxdire:est-cequel’intérêtdufilmrésidedanslabeautédesimages,ouest-cequ’ilya

unmessagesurlaconditionhumaine…?Frankiehausselesépaules.J’attendsunpeu,pourvoir,puisjecomprendsquejen’ensauraipasdavantage.—Est-cequetuasfaitdescauchemars,chezLaurieetRikki?—Non.Pourquoijeferaisdescauchemarslà-bas?—Jenesaispas.Çat’arrive.—C’étaitchouette,dit-elle.Lacouverturedeleurchambred’amisestlaplusdoucedumonde,etilya

unmatelasenmoussecommeonvoitàlatélé.Quandtut’allonges,tuasl’impressiond’êtreenveloppé,commesituallaisdormirdansuncocond’alien.—Jen’aijamaisdormisurunmatelascommeça.—Cen’étaitpassuperconfortablemaisc’étaitcool.Elleoubliemomentanémentdetorturersespancakesetenprendunebouchée.C’esttropsucré.Jele

voisbienàsagrimaceetaugrandverred’eauqu’elleboitjusteaprès.—Tuveuxquejeterefassedespancakes?

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—Non,çava.Jen’aiplusfaim.—OK.Jeme lève pour faire la vaisselle. Je bouche l’évier, verse un peu de liquide et regarde la vapeur

s’éleverdu jetd’eauchaude.Çafaisaituneéternitéque jen’avaispaseuunevraieconversationavecFrankie,etjeneveuxpastoutgâcher.—West?demande-t-elledansmondos.—Oui?—Qu’est-cequ’ilt’adit,M.Gorham?Unevraiequestionconcernantunvraiproblème,poséed’unevoixaimable.Jepourraisfaireunedansedelajoietellementjesuisfier.—Ilm’aditqu’ilallaits’occuperdetoutetquetuneseraisplusobligéedet’asseoiràcôtédeClint,

quecesoitdanslebusouenclasse.Silence.—C’estbien,non?—Oui,acquiesce-t-elleenfin.Merci.Jedéglutis,lagorgenouée.—Jen’aipasfaitgrand-chose,mais…iln’yapasdequoi.Tandisquelesbullesmontentdansl’évier,jeréfléchisàtoutcedontilfautqu’onparle.Jepenseàla

transitiondelasurvieàl’épanouissement.Jenesaispasparoùcommencer,alorsj’imaginecequediraitCaroline.—Ilvoudraittefairedécouvrirdenouveauxhorizons,destrucsplusambitieux,parcequ’ilpenseque

tuesdouée.—Ildittoutletempsça.—Ilal’airdeconsidérerquec’estimportant.—Jem’enfous.Jeneveuxpas.Je lui fais face en tentant de dissimuler l’inquiétude que cette déclaration m’inspire. Ma sœur a

mauvaisemineàlalumièredelacuisine.Ellealesjambesetlesbrascroisés,l’airbutée,lesyeuxrivéssurlemurd’enface.—Maissi.Ceseraitchouette.—Non.—Pourquoipas?—Jeneveuxpas,c’esttout!—Mais…Jemetaisaussitôtparcequejesensqueletonmonte.Non.Jerefused’êtrecegenredepère.Jereconnaisl’expressiondeFrankie.Jel’aidéjàaffichéesurmonproprevisage–cemasquedur,ces

mâchoirescrispées,ce regardd’acier.Toutceque je risqued’obtenirsi jem’obstine,c’estqu’ellesemureencoreplusdanssonsilence.Jenesaispaspourquoiellerefuse,maiselleaclairementsesraisons.Onestpareils,là-dessus,elleet

moi.Alorsaulieudel’engueuler,jeluidemande:—Qu’est-cequetuveux,Frankie?—Hein?—Tunevoulaispasdepancakesaupetitdéjeuner, tunevoulaispasvenirvivreici, tuneveuxpas

découvrirdenouveauxhorizonsambitieux…Alorsqu’est-cequetuveux,Frankie?TuveuxretourneràSilt ?Tuveuxprendre des cours d’arts plastiques après l’école ?Tuveuxque j’aille trouver ce sale

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miochedeClintetquejeluicollemonpoingdanslafigure?Qu’est-cequetuveux?Ellefroncelessourcils,labouchepincée.—Jeveuxallerdansmachambre.Jefermelesyeuxetinspirelentement.C’est la seule réponsequ’elleaàm’offrirpour l’instant,etcen’estpasgrave.Cen’estpasceque

j’aimeraisentendre,maisjepeuxvivreavec.—J’essaiedefairetoutcequ’ilfautpourtoi,Frankie.Tulesais,ça.Ellehochelatêtelentement.—S’ilteplaît,réfléchisàmaquestionetquandtuaurasuneréponse,viensmetrouver.D’accord?—OK.—Bon.Puis,commesijevenaisd’ypenser–commesijen’avaispaspassélamatinéeàchercherunmoyen

deluiannoncerlanouvelle–,jelance:—Aufait,Carolinevapassertoutàl’heure.—Pourquoifaire?—Pourréviser.Ellevasûrementresterdîner.—Cool.Frankies’engagedanslecouloir.—Ilsepeutqu’ellerestedormir,aussi.Frankies’immobilise.—Genre…danstachambre?Jemeraclelagorge.—Oui.—Beurk.Puiselledisparaîtetrefermesaportederrièreelle.Quantàmoi,jeresteplantélàcommeuncon,àme

demandersicetteconversationcompteplutôtcommeunsuccèsoucommeunéchec.Iltombequelquesfloconsenmilieud’après-midi.Pourtantcen’estpasencorelasaison.JelesregardedanserparesseusementetvoisLauriesortirdelamaisonpourserendreàsonatelier.Frankieestdanssachambre.Elleestressortiequelquesminutesaprèsnotrediscussion,m’ademandé

unerègleetunefeuilledemoncarnetàdessinpuisestretournéesecacher.Unpeuplustardelleaémergédenouveau,etadéclaréquesescrayonsétaientpourrisetqu’elleavaitbesoindeseservirdeceuxquejemesuisachetéspourmescoursd’art.Jeluienaipasséun,etelles’estvolatilisée.Lassédemalecture,j’envoieuntextoàCaroline.

Ilneige.C’estn’importequoi.Oui,j’aivuQuandest-cequetuviens?Pastoutdesuite.Jetravaille.Tucroisquelesroutesvontêtreglissantes?Çafonddéjà,monsieurOregon.Ilnefaitpasassezfroid.Alorsviens.Qu’est-cequetufais?JelisunebiosurStaline.Commentilva,cecherStaline?

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C’estunfoumégalomane.EttesIrlandais?C’estdescasse-couilles.Viens.Chut.

Jesouris.Dansuneheure?Deux.Snif.Tut’enremettras,trèscher.Tum’appellerascommeçatoutàl’heurequandjetebaiserai.Danstesrêves.Justement.Laisse-moitravailler.Jevaisjamaisfinirautrement.Onsevoitdansuneheureetcinquante-huitminutes.Argh!

Contentdemoi,jereposemontéléphone.Frankies’approcheavecunefeuilleàlamain.—Qu’est-cequ’ilya?demande-t-elle.—Rien,pourquoi?—Tufaisunedecestêtes,lance-t-elleenmedésignantdudoigt.Jemepasselesmainssurlevisage.Jesouristoujourscommeunbienheureux.—Carolinevapassertoutàl’heure.—Tumel’asdéjàdit.—Jesais.Ellesedandined’unpiedsurl’autre.—J’imaginequ’ellevavenirsouvent,maintenant.Pasvrai?—C’estpossible,oui.—C’étaitmacopineavantd’êtrelatienne,jeterappelle.—C’étaitmapetitecopineavantd’êtretacopine.—Oui,maisça,c’étaitilyalongtemps.—C’étaitauprintempsdernier.—Ettuastoutfaitfoirer.—Quit’aditça?Ellelèvelesyeuxauciel.—Genre!Jen’aipaseubesoinqu’onmeledise.—Oui,ehbien,c’estréparé,maintenant.Alors,onvadevoirlapartager.—Elleviendraquandmêmemechercheràl’école?—Ça,tuferaismieuxdeluidemandertoi-mêmequandellearrivera.—Ellevientmaintenant?—D’icideuxheures.Frankieagitesonpapier.—JeveuxallerdonnerçaàRikki.—Jepeuxvoir?Elleretourneledessinpourmelemontrer.C’estunportraitdefemme–trèsélégante,avecdeslèvres

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pulpeuses et une coiffure de mannequin. C’est super détaillé, avec des ombres et une perspectiveimpressionnante.Jesuisépaté.C’estbeaucoupmieuxquesesdessinshabituels.—C’esttoiquiasfaitça?—Oui.Rikkim’amontrélatechniquehier.Tuquadrilleslapagedumagazineettufaislamêmechose

surtafeuille,commeça,tupeuxrecopiercarréparcarré.C’estfacile.Cen’estpresquepasdudessin,enfait.Ellepose sonœuvredevantmoi.Deprès, je remarque les lignesqu’elle a tracéespour se repérer,

ainsiquequelquesimperfections–unœilquiloucheunpeu,lebijouunpeugrotesqueparcequeFrankieadessinécequ’ellecroyaitvoiraulieudecequec’estvraiment.N’empêche.—C’estgénial.—Maisnon.—Frankie…—JepeuxallerlemontreràRikki?—D’accord,maishabille-toid’abord,dis-jeenluirendantlafeuille.Tum’enferasunaussi?—Pourquoi?—Jenesaispas.J’aimeraisbienenavoirun.—Euh…OK.Situveux.—Cool.Elleretournedanssachambre,etj’entendsunconcertdetiroirs.Quandellerevient,elleporteunjean

–àsataille–etunsweat-shirtgéant.—Tudevraisessayer,tusais,lance-t-elleenouvrantlaportedel’appartement.C’estsuperfacile.Je

pourraistemontrer.Jevaislarejoindre.—Avecplaisir.Aprèsdîner?Ellelèvelatêteetmesourit.—Attentiondansl’escalier.Çaglisse.—Oui,papi,rétorque-t-elle.Jel’observedescendrelesmarchesenpassantlamaindanslaneigeaccumuléesurlarambarde.Puis

ellepartencourant,sansmanteau,desfloconsdanslescheveux.Lauries’affairedevantsonatelier.Jevoulaisjustementluiparler,alorsj’attrapemavesteetjesorsà

montour.Jeletrouveplongéjusqu’auxcoudesdansuneespècedegrossecaisseenmétalgrismontéesurpieds,

occupéàregarderparunepetitelucarne.Onentenduncompresseurvrombirpar-dessusunautresonplusgravequisiffleets’arrête,siffleets’arrête.Jenem’aventurepassouventjusqu’iciet,laplupartdutemps,c’estpourvenirchercherFrankiequand

j’ail’impressionqu’elles’incruste.Jenepeuxpasluienvouloir,celadit.L’atelierdeLaurieestsuper.Ondiraituncroisemententreunegrangeetunabriàvoitures.Àl’intérieurilyaunesortedemezzanine–sansdoutelàoùonstockaitlefoin–encombréedefeuillesdemétalrouillé,au-dessusd’unerangéedeboxquidevaientàuneépoqueabriterdeschevaux.Laurieyarangésesmatériauxdefaçonordonnée,leboisdansl’un,lesmétauxdansl’autre,puislescéramiques,lecaoutchouc,leverre,etc.La partie ouverte sous l’espèce d’abri lui sert à faire sa soudure. Il y a un gros compresseur juste

derrière laporte,desbouteillesdepropane,unmasquedesoudeur,d’énormesgantset jenesaisquoid’autre.J’en suis encore à essayer de comprendre ce qu’il fabrique avec cette grosse caisse grise quand le

compresseursemetenmarcheetqueLaurieseredresse.

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—Bonjour,West,lance-t-il.—Bonjour,professeurCollins.—Laurie,s’ilteplaît.Jeme sens incapable de l’appeler par son prénom, et pas seulement parce que c’est un professeur.

C’estaussimonpropriétaire,quesapageWikipédiadécritcomme«unartistemultimédiaderenomméeinternationale».—Qu’est-cequec’estquecettemachine?—C’estunesableuse.—Surquoivoustravaillez?—Surduverre.Ilretiresesbrasdelacaisse,dévisselesécrousàoreillesquifixaientlalucarne,etensortunpetit

objetdecouleurbeige.—C’estun…Qu’est-cequec’est?—C’estunmarteau.—Unmarteauenverre?Ilestpresqueentièrementenroulédansduscotchdepeintre,unpetitmarteaumomifié,dontonnevoit

quelafrappearrondieetunlégerboutdumanche.—C’estpourquoi?demandé-je.—C’estpourunesériesurlesoutils.Celui-cin’estqu’uneétude.Onm’enacommandéungrand,mais

lalogistiqueestunevraiesaloperie.Ilemportesonmarteaumomifiédanslagrangeetfaitcoulerdel’eau.Jem’approchedelasableuse,

curieuxdevoiràquoiçaressembleàl’intérieur.Ilyaunemboutdecuivreattachéàun tuyauetquireposesurunegrilleenplastique.Lesabledoit

sortirparl’emboutetpasserparlagrillepourressortirparletrouquejevoisendessous.Simple,efficace.Laurie revient en séchant sonmarteau de verre avec une serviette en papier, un rouleau de scotch

suspenduàundoigt.Jemerendscomptequelemarteauestenfaitd’unbleuturquoise,lisseetbrillant.J’aienviedeletoucher.J’aienviederefermerlesdoigtsautourdumancheetdefrapperquelquechoseavec–cequiseraitparfaitementstupidepuisqueçalebriseraitetquejeseraisdégoûté.Çamefaitpenseràmoncoursd’artsplastiquesdelasemainedernière.RikkidiscutaitavecRaffede

ladéfinitiondel’art.Raffedisaitquel’artn’apasd’utilité,quesiunobjetsertàquelquechose,cen’estpasdel’art.Rikkinousexpliquait,aucontraire,quel’artsertàfaireressentirouréfléchir–souventlesdeux.«L’artprovoqueuneréaction.Alorssoyezprovocants!»—Tuveuxessayerlasableuse?—Oui,jeveuxbien.—Attendsuneminute,quejemasquelemarteau.Ilremetduscotchsurlasurfacebleue,nelaissantqu’unemincebandedevisibleaumilieudumanche.—Lebutdel’opération,c’estdedépolirleverrepourluidonnerunaspectgivré.Lemarteauestlourddansmamain.Jepasseundoigtsurlabandelisseetfroide.—Mets-lelà-dedans,dit-il.Faisattention,ilafalluplusd’unesemainedecuissonpourarriveràce

résultat.—Plusd’unesemaine?Justepourlemoulage?—Oui. Il faut fairemonter la températuregraduellement, lamaintenir unbonmoment, puis la faire

retombertoutdoucement.Sinonçasefissure,çaexplose…C’estcapricieux,leverre.Ilm’afalluonze

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tentativespourfabriquercemarteau-là.Onze tentatives.Unesemainedecuissonchaquefois.Ce truccoûteunefortuneencombustibleeten

main-d’œuvre.Jeplacelemarteauaucentredelagrille,refermelalucarneetpasselesbrasdanslesgants.Ilssont

super raides. Ce n’est pas facile de manipuler l’embout avec. La première fois que j’appuie sur ladétente,lapressionquisedégageesttellequelemarteaumanquedem’échapper.—Voilà,c’estbien,ditLaurieunefoisquej’aicomprisletruc.Assure-toidebienpasserpartout,de

façonrégulière.—Pendantcombiendetemps?—Jusqu’àcequelerésultatteconvienne.C’estuntravailméticuleux,satisfaisant.Auboutd’unmomentjemedétendssuffisammentpourparler.—Jevoulaisvousremercierd’avoirgardéFrankiehiersoir.—Iln’yapasdequoi,voyons.Onapasséuneexcellentesoirée.—Elleaétésage,aumoins?—Comme toujours.Çam’a fait plaisir de voir que ta voiture n’était pas là quand je suis alléme

coucher.Uneminutes’écouleensilence.—Rikkim’aditquetutedébrouillaistrèsbienàl’atelier,faitremarquerLaurie.—Jedoispassertroisfoisplusdetempssurcescoursquesurlerestepourespérerm’entireravec

unenotehonorable.—Elletrouvequetuesdotéd’unespritintéressant.—Monespritdoitêtrelemoinsintéressantdugroupe.—Qu’est-cequitefaitdireça?Jedésignelasableuse.—Ça,c’estlegenredechosequimevientnaturellement.Lesmachines,lesmécanismes,résoudredes

problèmespasàpas.CequeveutRikki,c’estdelacréativité,maisjenesuispascréatif.Lauriesembleacceptercettevérité.Onsetaitpendantunmoment,puisilromptlesilence.—Tuasdéjàutiliséunerouepourpilerduverre?—Non.—Tuaimeraisessayer?J’aimeraisbeaucoup.Jevoudraisaussivoirsonfouretcalculercombiençacoûtedelefairetournerencontinupendantplus

d’unesemaine.JeveuxdemanderàLauriecommentilsedébrouillepourquelatempératureaugmentedemanièreconstante,etquelssontcesproblèmesdelogistiqueauxquelsilafaitallusion.Commentva-t-ils’yprendrepourréaliserlemarteaugéantdesacommande?Est-cenécessairedelefondred’unepièce?—Jeferaismieuxderetourneràmesbouquins,dis-je.Jeretirelesbrasdelasableuseetrendsl’œuvred’artàsonpropriétaire.Ilsaisitlemarteauetlefaitjouerentresesdoigts.—Commentçasepasse,àl’usine?medemande-t-il.—J’aidonnémonpréavis. Jeveux trouverquelquechosequimepermettedepasserplusde temps

avecFrankie.—Çatediraitdetravaillerpourmoi?J’aibesoind’unassistant.Horairesflexibles,salairecorrect.—Quelgenredetravail?—Dugenredecequ’onvientdefaire.Apporterlesfinitions,répondreàmesmailsouautéléphone.

Engros,ils’agitdefairecedontjen’aipastrèsenvie,jel’avoue.J’aiprisduretardsurcettecommande

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etj’aibesoind’uncoupdemain.—Vousneferiezpasmieuxd’embaucherunétudiantspécialiséenart?Ilfaitungrandgesteévasifdelamainquitientlemarteau,etj’aipeurqu’illefassetomber.—J’aiessayé,figure-toi.Impossibled’entrouverunseulquis’yconnaisseunpeuenmachines.Toi,

aucontraire,ondiraitquetuaimesça.Etpuis,Rikkitetrouveintéressant.—Danscecas,pourquoipas.Oui,j’aimeraisbien,tantquevoussavezdansquoivousvousengagez.

VousvoulezvoirmonC.V.?Iléclatederire.—West,tuasvingtetunans,tuélèvesseultapetitesœur,tuesunétudiantsérieuxettutravaillesde

nuitdansuneusinedevitrerie.Mêmesituavaisfaitdelataule,jet’embaucheraislesyeuxfermés.Enrevanche,çaresteentrenous,OK?Jen’aipasenviedem’emmerderaveclesimpôts.Jeserrelamainqu’ilmetend.Évidemmentquejeluiserrelamain.Mêmesiçanepaiepassuperbien,c’estunboulotenor.Pourtant, pendant cette poignée demain, ce n’est pas à Frankie ni àmon compte en banque que je

pense.Jemedemandecequejevaisdécouvrirdanssonatelier.Descompresseursetdessoudeuses,desfoursetdumatérieldepolissage,toutessortesd’outilsdontje

neconnaismêmepaslenom.Desoutilsdontjevaisapprendreàmeservir.Ilme faut un petitmoment pour comprendre pourquoimon cœur bat aussi fort.Ça faisait tellement

longtempsquejen’avaispasressentiça.C’estdel’enthousiasmepur.Cesoir-là,Carolineestdansmonlit.Elleestadosséeàmonoreiller,lescheveuxrelevésenunchignondésordonné,lalanguepasséeentre

sesincisives,sonordinateursurlesgenoux.Lespiedsposéssurmonbureau,jesuiscenséréviserpouruntestd’espagnol,maisl’espagnol,c’est

facile,etCarolineestjustelà.Surmonlit.—Arrêtedemeregardercommeça,j’essaiedemeconcentrer,dit-elle.—Ilesttard.—Ilestàpeine23heures.—Frankiedort.Ilesttard.Unemainensuspensau-dessusdesonpavétactile,ellesouritencoin.—J’aipresquefini.—Tudisaisdéjàçailyauneheure.—Peut-êtrequej’aimebienmettretapatienceàl’épreuveent’obligeantàdésirercequit’estdéfendu.—Çafaitdesmoisquejedésirecequim’estdéfendu–depuisquejesuisretournédansl’Oregonen

mars.Ellerepoussesonordinateur.—Tuauraispum’avoir,tusais.Ilsuffisaitdedemander.Jereposelespiedsparterreetjoinslesmains.Jeluiaipromisd’êtreparfaitementhonnêteavecelle,

maiscen’estpasfacilederegarderlavéritéenface.Pourtantjeluidoisdesexplications.—Jen’aijamaisvoulupartirdeSilt.Non.Cen’estpascequejevoulaisdire.Jeprendsuneprofondeinspirationetrecommence.—Jenepouvaispaslevouloirpuisqueçameparaissaitimpossible.Quandj’étaisgamin,j’étaistrop

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jeunepouroserl’envisager.Toutcequej’espérais,c’étaitsurvivreaujourlejour,pouvoirmangeràmafaimou,simonpèreétaitdanslesparages,nepasmefairetaperdessus.J’auraisbienaiméqu’ilépousemamèreparceque j’avais l’impressionque tout s’arrangerait s’ilsétaientmariés.Etpuis,Frankieestarrivée,etletempsquej’aiel’âgedepenseràpartir,j’avaiscomprisquejenepouvaispaslalaisserlà.Alors, quand je rêvais d’un avenirmeilleur, c’était toujours l’avenir de Frankie – c’était elle que jevoyaiséchapperàSilt.Carolineposesonordinateurparterreettapotelematelasàcôtéd’elle.—Uneminute,dis-je.Jeveuxallerauboutdemaréflexion.Jemefrottelesmainsencherchantmesmots.— Ma première année à Putnam… Je crois que je n’étais pas vraiment ici. J’étais présent

physiquement,maisenespritj’étaistoujoursàSiltavecFrankie.Toutcequej’aifaitaucoursdesdeuxdernières années – tout ce qui s’est passé entre nous… J’ai l’impression que je me suis autorisé àm’approcherdecequejevoulaisvraimentmaisquejen’aijamaisosém’ensaisir.Jesuivaismonplan,quiconsistaitàfairetoutcequ’ilfallaitpourdevenirlegrandfrèredontFrankieavaitbesoinpours’ensortir.Ettoi…Putain,Caro,j’aiététellementduravectoi!Jen’arrêtaispasdeterepousseralorsquejete voulais tellement ! Jeme sentais obligé de réagir comme ça puisque je n’étais pas vraiment là.Tucomprends?Ilfallaitquejemepersuadequejen’étaispasvraimentlàpourpouvoircontinueràresterlà-basavecelle.—West,vienst’asseoirprèsdemoi.—J’aipresquefini.Elleselèveetmetapotelesmainsjusqu’àcequejelesécarte.Alors,elles’installeàcalifourchonsur

mesgenouxetcalesespaumessurmesépaules.—Tuétaistroploin.Maintenanttupeuxcontinuer.D’abordjelaserredansmesbrasetsavouresadouceur.J’enfouislevisagedanssoncoupourmieux

larespirer.—TuesretournéàSilt,dit-ellepourm’encourageràpoursuivre.—Oui,maisavantça,quandons’estenfintrouvés…Jeveuxquetusachesque,pendantcesquelques

semainesdeprintemps, j’étais là,Caro. J’étaisvraiment là,avec toi,etc’était lapremière foisque jefaisaisquelquechosepourmoi,etuniquementpourmoi,depuis…—…depuistoujours.—Exactement!C’étaitlapremièrefoisdemaviequejefaisaisquelquechoseparcequej’enavais

envie,moi.—Etpuis,tuesretournéàSilt.— Tu as vu comment c’est, là-bas. Je n’ai pas le loisir de penser àmoi. Lemieux que je puisse

espérer,c’estd’aiderFrankieàs’ensortir.Enfin,c’estl’impressionquej’ai.Peut-êtrequejemetrompe.Peut-êtrequej’auraisput’appelerpourtedemanderdevenirm’aider,etpeut-êtremêmequ’onseseraitdébrouillés,toietmoi,maisjenecroyaispasavoirledroitdefaireça.—Pourquoi?Explique-moi.Ellemecaresselatêteetlecou.Jesuistellementtenduquej’enailamâchoiredouloureuse.—Jepensaisqu’enfaisantçajetemèneraisàtaperte.Enfin,pasmoipersonnellement,maisSilt,ma

famille…C’estcommeça,jeviensd’unendroitquidétruitlesgens–mêmelesgensbien.Lepire,c’estquej’auraisdûassisteràtadéchéance,j’enauraisétéresponsablepuisquejet’auraisfaitvenir.C’étaitinconcevable.(Jeplongelesdoigtsdanssescheveuxetl’embrasse.)C’étaitinconcevable,Caro.Ellemesourit,maisc’estunsouriretriste,undecessouriresquifontmal.—TuavaisdixansquandFrankieestnée.

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—Oui.—L’âgequ’elleamaintenant.—Oui.—Tuasdéjàessayéd’imaginerlamêmechose?Tasœuravecunbébé?—Non!—Pourtantc’estpareil,non?SiFrankieseretrouvaitdanslamêmesituation,avecunpetitfrèredont

personnenes’occupe…—Arrête.Çamefaitfrémir.Carolinemefrottelesbraspourdissipermachairdepoule.—Lesimplefaitd’ypenserparaîtcruel,pasvrai?dit-elle.Frankieestencoreunegamine,elleest

beaucouptropjeune,maistoiaussi,tuétaistropjeune.—J’étaisassezgrand.—Tut’esmontréàlahauteurparcequetun’avaispaslechoix.C’estçaquimebriselecœur.(Elle

s’installe plus confortablement sur moi, plus près.) Tu avais quel âge quand tu as rencontré lesTomlinson?—Seizeans.—Etlapremièrefois…avecMmeTomlinson?Jeneluienaijamaisparlé.Ellenem’ajamaisposédequestionsàcesujet,etjen’avaisaucuneenvie

depenseràça–moietcettefemme,plusâgéequemoi,mariée,àqui jedonnaiscequ’ellevoulaitenéchangedecedont,moi,j’avaisbesoin.J’aicouchéavecMmeTomlinsonparcequec’étaitnécessairepouréchapperàSilt.Carolinelesait.Elleacompris.Jelevoisdanssesyeux.—Caro,tunecroispasque…—Tuavaisquelâge?insiste-t-elle.Jelaisseéchapperunsoupir.—Seizeans.—Tuenavaisenvie?—Elleétaitjolie.Jen’étaispasvierge.—Oui,maisc’estellequiafaitlepremierpas.—Oui.Jen’auraisjamais…Jem’interromps,incapabledepoursuivre,étoufféparcesouvenir.Materreurabsoluelapremièrefois

qu’ellem’asucédanssavoituregaréeaumilieuduparkingdugolf.JeregardaisparlafenêtredanslacraintequeledocteurT.n’arrive.J’avaistroppeurpourrefusermaisj’étaisfurieuxd’avoirdûaccepter.Jem’envoulaisd’êtreexcitémalgrétout,alorsquejemedoutaisbien,mêmeàseizeans,quequelque

choseclochaitdanssatête.Elleneseservaitpasseulementdemoipourlecul;elleaimaitsentirqu’elleavaitdupouvoir;elleaimaitledanger.J’envoulaisterriblementaudocteurT.aussi.Ilauraitdûs’enrendrecompte,ymettreunterme.Certes,

çaauraitruinémeschancesd’alleràPutnam,maisilm’arrivaitd’espérerqu’ildécouvrelavérité.Jeposelementonsurl’épauledeCarolineethumel’odeurdesescheveux.—C’étaitsafemme,etjesavaisdéjàqu’ilreprésentaitpeut-êtremonseulespoirdemetirerdelà.—C’estillégal,cequ’ellet’afait.—J’étaisconsentant.—Unadodeseizeansnepeutpasêtreconsentantquandils’agitd’unerelationavecunadulte.Tute

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sentaisredevable,tucraignaissonmariettuavaispeurdecequeturisquaisdeperdresituluiopposaisunrefus.Jedevineautondesavoixqu’ils’agitd’unequestion,etqu’elleabesoind’uneréponse.Pastantpour

elle-mêmequepourmoi.Elleabesoinquejereconnaissequel’histoirequ’elleestentrainderaconter,c’estbienlamienne.Ellearaison.C’estmonhistoire,pourtantjen’avaisjamaisperçuleschosessouscetangle.Jenemeleseraispas

permis.Jepensaisquec’étaitunmalnécessaireetnemesuisjamaisdemandépourquoiRitaTomlinsonéprouvaitlebesoindesetaperunmineur,oupourquoic’étaittombésurmoi.—Oui,dis-jedansunmurmure.—West?Jerelèvelatête.—Oui.—Silamêmechosearrivaitàtasœurdanssixans…Unevaguederageetdehontemeheurtedepleinfouet.Voilàpourquoijenevoulaispasendiscuter.C’esttrophorrible,putain!—Arrête,s’ilteplaît.—Jeveuxêtresûrequetum’écoutes.—Jet’écoute,Caro,maisneparlepasdeça,s’ilteplaît.Ellemecaresselatête,lanuque,lesépaules,ledos,lesbras,lapoitrine…Ellemetouchepartoutoù

ellepeut.Ellemeserrecontreelle,etçamefaitdubien.Çamecalme,çameramènedansmonproprecorps.Ellen’apaslepouvoirderéparermavied’avant,maisçam’aide.—C’estpourçaquejeneveuxpasenentendreparler,dit-elle.Jeneveuxpast’entendremeraconter

quetun’esqu’unminableouquetut’enveuxdem’avoirfaitçaaveccettefemme.Jesaiscequetuasfaitetcequeçasignifiait.Jelesaisparfaitement.Cen’étaitpasunequestiondedésir.C’était…jenetrouvepaslemotjuste…deladétresse,dudésespoir.—Jemesuisservideçapourteforceràmequitter.C’étaitquelquechosedeprécieuxentrenous–de

sacré,même–,etjem’ensuisservicontretoi,commed’unearme.—C’étaitlaseulearmedonttudisposais.Jeressensunebrûlurecuisante,commequandonseréchauffeaprèsavoireulesmainsgelées.Çafait

tellementmalquej’enailesoufflecoupé.Jedoisreposerlatêtecontresonépaulepourpouvoirrespirer.C’estencoreplusdurquejenel’auraiscru.Etc’estencorepirequandellereprendlaparole.—Çam’ablessée,West.Nevapascroirequejesuisunesainteetquej’aidéjàoublié.Jetremble.—Caro.—Non, laisse-moi finir. Il faut que je te dise la vérité, parce que cette blessure n’est toujours pas

guérie.Ilm’arriveencored’ypenser,etjenelesupportepas.C’estphysique.Danscescas-là,ilfautquejefassequelquechosepourarrêterderessasser,sinonjefiniraisparétoufferdehaineetderage.JenecroispasenavoirvouluautantàNate,parcequecequ’ilm’afaitétaitodieux,maistoi…Cequetum’asfaitétaitblessantd’unefaçonpersonnelle,intime.Jem’attendsàcequ’elles’écartedemoi.Aulieudeça,ellem’étreintetblottitsajouebrûlantedansmoncou.—Ilyaunechosequim’aide,poursuit-elle.Parfoisj’arriveàinverserlespointsdevue.Jenesuis

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plusdanslepick-upàvousregarderparlafenêtre,jesuisdehorsetjemevois,moi.J’imaginecequetudevaisressentiràcemoment-là.Ettusaisquoi,West?C’esttoutaussiatroce.Çamefaitsupermalaussietçam’estpresqueinsupportableparcequeçam’obligeàadmettrequejen’aipasétéàlahauteurquandtuesretournéàSilt.Jet’ailaissétedébrouiller,commetouslesautres.—Tun’étaispasresponsabledemoi.—Si!Jelesuistoujours,d’ailleurs.Cequ’ilyadebien,c’estque,quandjem’imagineàl’extérieur

dupick-up,aprèsça…jesuis toujoursencolère,maisc’estcontre lemondeentier.Jenesuisplusencolère contre toi mais pour toi, et chaque fois çam’est un peu plus facile. Je sais que, bientôt, j’enviendraiàconsidérerqu’ilnousestarrivéquelquechosed’horribleàtouslesdeux,àcausedeSilt,aulieudemedirequec’esttoiquim’asfaitdutort.(Elleritdoucement.)Jen’ensuispasencorelà,hein,maisj’essaie.—Jesuisdésolé,dis-je.Tun’imaginesmêmepasàquelpointjem’enveux.—Jesais.Moiaussi,jesuisdésolée,maistueslà,maintenant.—Jefaistoutmonpossiblepourl’être,entoutcas.Elleme serre fort. On reste comme ça un longmoment, jusqu’à ce que je parvienne à respirer de

nouveau,etquejenesoisplussubmergéparlaculpabilitéetlahonte.Jusqu’àcequejereprenneconsciencedesoncorpschaudquisentsibon.Carolineestassisesurmesgenoux.Monsexetressaille.C’estpeut-êtreindécentdemapartd’avoirenvied’elleaprèslaconversationquenousvenonsd’avoir,

maistantpis.Elleremueleshanchespourmefairecomprendrequ’elleaenviedemoi,elleaussi.—Alorsdis-moi,West…Qu’est-cequetuveux?Ellen’aaucunmoyendesavoirquej’aiposélamêmequestionàFrankiecematin.Aucunmoyendesavoirquepersonnenemedemandejamaiscequejeveux.Elleestlaseule.Elletraceunelignedebaiserslelongdemamâchoire.—Qu’est-cequetuveux,West?chuchote-t-elle.Elledéposedesbaiserssurmessourcils,surmonfront,surleboutdemonnez.—Qu’est-cequetuveux?Jeluisaisislementonetapprocheseslèvresdesmiennes.Puisj’attrapelebasdesonpull.Jevaisluimontrercequejeveux.C’estungrospullquiluiarrivesouslesfessesquandelleestdebout.Jeleluienlèveparcequej’aime

beaucouplecontrasteentrel’élastiquenoirdesesleggingsetlablancheurdesonventre,sesseinsnusetlecotontoutdouxquiépousesescuisses.—Jet’imaginaiscommeça,àSilt,dis-je.—Ah,oui?—Lesoiroùjesuisvenudînerchezmagrand-mèreetoùonétaitcôteàcôtedanslecanapé, jene

pensaisqu’àça–tedéshabillerjusteassezpourpouvoirposermabouchesurtapeau,glissermesdoigtsentoi.—Ilyavaitbeaucoupdemondeautourdenous.—Jesais.Tuavaispassélajournéeàm’envoyerdestextos,àessayerdemefaireréagir.J’étaisau

boulotetjen’avaisqu’uneidée:t’emmeneraugrenier,surlescarrésdemoquettedépareillésdeJoan.Ellelesatoujours?—Oui.Tuavaispleindeprojets,enfait.Pasexactementdesprojets,plutôtdesdésirsimpulsifs.Desdésirsquejem’efforçaisdemuselerparcequejem’ycroyaisobligé.—QuandjevenutechercheràEugene,jet’aivueavantquetusortesdel’aéroport.Tuétaispenchée

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sur ta valise, et j’aurais voulu que tu restes là pour que je puisse continuer à te regarder. Tu étaistellementbelle.Onauraitdit…Uneoasisdansledésert.Unepalettedecouleursdansunfilmennoiretblanc.Jerejettecesclichésstupides.OnauraitditCaroline,danstoutesasplendeur.J’avaisdumalàcroirequ’ellesoitbienréelle.—J’aiexplosétoutesleslimitesdevitessecejour-là,tusais.Elleposelefrontcontrelemien.—Andouille.—Jesavaisque,dèsquetupasseraiscetteporte,jerisquaisdetoutfoutreenl’air.Jenevoyaisaucun

moyend’éviter ledésastre,etçamemettaitdansunecolèrenoire.C’estçaque tuasvuquand tu t’esapprochée:macolèrefaceàcemondequirendaitnotrehistoireimpossible.—Notrehistoiren’estpasimpossible,rétorque-t-elleendonnantunpetitcoupdehanches.Onestlà,

regarde.Jeluicaresselentementlesfesses.—J’auraisdût’avoueràquelpointj’avaisenviedetoi,danslepick-upenrevenantdel’aéroport,ou

mêmeauxpompesfunèbres,danslasalled’attenteferméeàclé.Jet’imaginaisentraindetemordrelepoignetpournepascrierpendantquejeteprendraispar-derrière,appuyéecontrelecanapé,ouentraindememordrel’épaulequandjetesoulèveraispourteplaquercontrelaporte.Ellealespupillesdilatées.—Parfoisjetevoyaismeregardercommesi…maisturefusaisdemedécrochertroismots.—Jemesentaistellementmal,tellementsombre…Etpuis,jetrouvaisçamalsaindevouloirça–un

petitcouprapide–alorsquetucherchaisàm’aider.—Çat’auraitpeut-êtrefaitdubien.—Jecroisqueç’auraitétéencorepireaprès.Pourtantl’idéeavaitsoncharme,aussi–obtenirenfin

quelquechosedontj’avaisréellementenvie,puismefairepunird’avoirosé.Ellem’embrasse,vientappuyerunpeuplusfortcontremonérection,melèchelalèvrepuislamord.—Qu’est-cequetuveux?murmure-t-elle.Cettefoissaquestionestjoueuse,taquine.Cequejeveux,c’estça,toutsimplement.C’estlaseulechosequej’aiejamaisdésiréepourmoiseul.—Détache-toilescheveux.Elleretirel’élastiquequiretientsonchignon.Seslonguesmèchesserépandentdanssondosetsurses

épaules.Jelesrassembledansmesmains.—Ilssontsuperlongs.—J’hésiteàlesfairecouper.—J’adoretescheveux.—Tuveuxquejelesgardecommeça?—Jet’achèteraidespeignesennacre.Ellesourit,lesmainsposéessurmesépaules.J’écartesescheveuxpourl’embrasserdanslecou,làoùçalafaitfrissonner,puisjedescendslelong

desagorge.Jeprendssesseinsàpleinesmains.C’estsibondelasentircontremoi.Jesuisàfleurdepeau,maisellem’aideàtenirlecoup–lepoids

desescuissessurlesmiennes,sesseinsnus,sapeaublanche,sesgrandsyeuxbrunsrivéssurmoi.—Qu’est-cequetuveuxd’autre?Cettefois-cisaquestionmeparaîtplusprofonde,etmagorgesenoueparcequejen’aipasderéponse.

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Lesautres,àmonâge,ontdéjàpassédesannéesàréfléchiràcequ’ilsvoulaient.Ilsontdescentresd’intérêt, des hobbies, des talents et des projets. Ils ont des rêves et des ambitions, ils s’impatiententquandlemondenetombepasàleurspieds.Moi, je ne sais pas ce que je veux au-delà de cet instant,mais cet instant est en train de s’étendre

autour de nous. Il devient infini. Il s’épanouit par vagues et se dilate avec chaquemouvement de seshanches.—Jeveuxquetumeregardes,dis-je.Elleeffleuremeslèvresdessiennes.—Jeteregarde,West.Jereprendssescheveuxdansmamainetenfaispasserlespointeseffiléesentresesomoplates,lelong

desonéchine.Ellefrissonneetcambreledos.—Jeveuxquetugardeslesyeuxsurmoi,toutdulong.Sonsourireesttimide,sajouechaudecontreledosdemamain.—«Toutdulong»?Qu’est-cequetuentendsparlà?—Toutletempsqu’ilfaudra.Toujourscesourire…—Toutletempsqu’ilfaudrapourquoi?—Toutletempsqu’ilmefaudrapourtefairel’amourcommejeveux.Ellepasselesmainssoussesseinsetsecaresselestétonstoutenlessoulevantcommepourmeles

offrir.—D’accord.—Lève-toi.Jeluiretireseschaussettesetsesleggings.Puisjepasselesdoigtssousl’élastiquedesaculotteetla

faisglissersurl’arrondidesesfesses,effleurantlehautdesescuisses.Sespupillessontd’unnoirsansfond.Ellemeregardedéposerunbaisersursonnombril.Jeretireses

mainsdemesépaulesetentremêlenosdoigtsavantdelesfairepasserdanslecreuxdesondos,oùjeretienssespoignetstandisque,demamainlibre,j’achèvederetirersaculotte.Jeprends le tempsdegoûtersapeaupartoutoù j’enaienvie,promènemalanguelàoùsesmuscles

sontfermes,làoùsesosaffleurent,làoùsachairestdouceàl’intérieurdesescuisses.Jesenssescôtessesouleversousmesmainsquandellerespire,sestétonssedurcirsousmespaumes.

J’adoresoncorps,sonvisage,sonsourire,lesoufflequilaparcourt.J’adorelesbattementsdesoncœur,surtoutquandils’emballe,etlepetitbruitqu’ellefaitquandjelèchesestétons.Jel’aime.J’aimeCarolinePiasecki.Toujours.—Laissetesmainsoùellessont,dis-je.Ellealaboucheentrouverte,leregarddoux,lescheveuxdisperséstoutautourd’elle.Jelesfaispasser

devantsonépaulepourenfairecommeunrideauautourdematête.J’embrassesonventre.J’attrapesesfessesàdeuxmains,cognantlégèrementsesdoigtsduboutdesmiens,etattireundesestétonsdansmabouchepourlesucer–fort,rapidement,enletitillantdemalangue.Jesensleparfumdesonexcitation.Si jen’étaispasdrapédans l’ombredesescheveux, jeverrais ledésirdanssesyeux, jeverraissa

gorge rosir joliment,ainsiquesescuisses. Je laisseglissermesmainsderrièrecelles-cietmebaisse,rejoignantlalumièrepourpouvoirlécherlachaleurbrûlanteetsucréequej’airéveilléeentreseslèvres.Jepressemaboucheaucœurdesonexcitationetsavoure.Elleestàmoiparcequ’elleleveut.Quantà

moi,jeveuxêtrel’hommequ’ellevoitenmoi,lemeilleurdemoi-même,celuiquimériteCaroline,cette

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femmesiforte,siintelligenteetsidouce,siloyale.Jepourraislafairejouirmaisjem’arrêtejusteavant.Sescuissestremblentdéjà.Sijecontinuais,ses

genouxfiniraientparcéder,etelleseretiendraitàmesépaulespournepastomber.Sijeluidemandais,elles’allongeraitsurlamoquette,ellesemettraitàquatrepattesetmeprésenterait

soncul,commeunefemelleenchaleur.Ellemesucerait,mebranleraitviteetfortjusqu’àcequejejouissesursonventre.Ellemelaisseraitlaprendrepar-derrière,lesmainscrispéessurseshanches,mêmesiellen’arriveà

jouircommeçaquesi j’appuiesursonclitoris.Ellemelaisseraitéjaculerenlongueszébruressursondosetsesfesses,làoùsapeauestlaplusblanche.Jepenseà toutcequeCarolinesaitm’offrir,etçamerappelleRitaTomlinson.Ellemedonnaitdes

ordres,medisaitdesobscénitéssuruntonméprisant,commesij’étaissachose,commesimesdoigtsetmaboucheétaientdesinstrumentsàsadisposition,toutcommelesmusclesquitiraientlesclubsdegolfdesonmari.«Allez.Caresse-moi.Prends-moi.Plusfort.Plusvite.Maintenant.»Jen’étaispasunepersonneàsesyeux.Mapremièrefois,c’étaitunefillequim’avaitentraînéderrièrelalaverieduparcàmobil-homes.Elle

avait glissé lamain dansmon short ; elle avait la paume chaude etmoite. Son haleine avait goût dechewing-gumàlapastèque.Jenedemandaispasmieuxquedetenterl’expérience,maisçan’avaitrienàvoir.J’aiaiméça,cequem’afaitcettefille.Cequem’afaitRita,j’aidétesté.Mêmesijeprenaisduplaisir,

jenel’avaispaschoisi.Plustard,quandj’aipuchoisir,c’étaienttoujoursdescoupsrapides,sansfinesseniémotions.Carolineestlaseulefemmequej’aiejamaistouchéecommeça,laseulequej’aievraimentvoulue.Jerefusedemeconsidérercommel’éternelperdantd’unesériedebataillesmalrangées,victimed’un

sortquis’acharnecontremoidepuislepremierjour,maisjenepeuxm’empêcherderegretterden’avoirpasconnuçaavant.L’amour.Lescaresses.Desgensquim’auraientregardécommeCarolinemeregardemaintenant,quim’auraientvutelqu’elle

mevoit,quim’auraientdemandécequejevoulais.J’effleuresesdoigts,toujourscachésdanssondos,etellelesrefermesurmesmains.—Vasurlelit,dis-jed’unsouffleàpeineaudible.Elle obéit et range les livres encore éparpillés dessus. J’allume la lampe de chevet et éteins le

plafonnierpourqu’ilnerestequ’unelumièredouceetintime.Ellemeregardemedéshabilleretm’avancerverselle,puismecaresselesbrasetlesépaulestandis

quejemereposesurmescoudespourl’embrasser.—Commentçasefaitquetusoisdevenuaussifort?—Lejardinage,çamuscle.Etpuis,j’allaissouventsouleverdelafontedanslegaragedeBo.Çam’aidaitàévacuermesfrustrationsetmahaine,àmedéfairedemadépendanceàCarolineetde

cettesalemaniequej’avaispriseàPutnam–leculotd’oserespérer.—Quandjet’aivuensortantdel’aéroport,tum’asfaitunpeupeur.—Pasétonnant.Jemefaisaispeur.Elleouvrelescuissespourm’attirerentreelles,soulèveleshanchespouramenerladouceurliquideet

brûlantedesonsexeaucontactdumien.—Tunemefaispluspeur,maintenant.Tumefaisdubien.—C’esttoutcequejedemande–tefairedubien.

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Ellerefermelamainsurmanuque.—N’arrêtejamais.—J’espère…Ellereplielesgenouxetorientesonbassinpourm’inviterenelle.—C’estànousdedécider,toietmoi.Jel’embrasse,goûtesalanguetandisquemesdéfensesfondent.Ellemerendmonbaiser,faitjouerses

doigtssurmesomoplates,laissedepetitscroissantsdelunesurmapeauavecsesongles.Quandjetrouvelecouragedemeretirer,jereculeunpeuetlaregarde.—Jecroisbienn’avoirjamaisprisdedécisionteconcernant.Leverdictesttombédèsl’instantoùon

s’estrencontrés.—Idem.Jeterappellequejemesuisévanouie.—Oh,jemesouviens.—Tuétaispenchésurmoi,commelà.—L’espritembrumédepenséesindécentes.—Indécentesetréciproques.—Mêmeaumomentoùtuestombéedanslespommes?—Jecroisque,précisément,jemesuisévanouiefaceàl’indécencedemespensées.Jeposemonfrontcontrelesientoutenrésistantàl’enviedeplongerenellemaintenant,toutdesuite.

Ellesoulèveseshanchesdenouveau.—Tuasditquetuvoulaismemonter,dansmachambre.—Ilfaisaitchaud.J’aiditquej’allaisteporterjusqu’àtachambre.—J’avaisl’espritembrumé,chuchote-t-elleavecunmouvementsuggestif.Tumontes?—Toutdesuite?—Oui.—Ilnousfautunecapote.—Pasforcément.Jeprendslapilule.— Je n’ai pas…Ce n’était pas vrai, ce que je t’ai raconté quand j’étais à Silt. Il n’y a jamais eu

d’autrefemme.—Parcequetum’aimes,murmure-t-elle.—Parcequejet’aime.C’estlapremièrefoisquejeluiavoue.Ellelesavaitdéjà.Ellel’atoujourssu.—Moiaussi,jet’aime,West.—Aprèstoutcequis’estpassé.—Oui,dit-elleenmeserrantcontreelle.Maintenant,viens.Elleavanceàlarencontredemoncoupdereins.C’estsoyeuxetprofond,àlafoisduretfacile…parfait,parcequec’estCarolineetmoi.C’estcomme

çaquel’ons’aime.Loin,toujoursplusloin.Plusfort.Plusvite.Ons’attrape,ons’attire,ons’agrippe,ons’embrasse,onsetient.Iln’yaplusnullepartoùaller,plus

riennenousappelle.J’aicequejeveux.Monpremierdésir,primordial–cettefemmedansmesbras,dansmavie.Tantqu’elleestàmescôtés,

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jepeuxaffrontertoutlereste.Jepeuxfairetoutcequ’ilfautetdevenirceluiquisauralagarder.

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COURAGE

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CAROLINE

Cen’estpasunhasardsiças’appelle«tomberamoureux».C’estunsentimentquivousenvoievalserculpar-dessustêteetchamboulevotrevie.

Comprenez-moibien:iln’yariendemeilleur–nulledrogue,nulleaventure.Enrevanche,çachangetout.Àcommencerparsoi.J’airetrouvéWestennovembreetjesuistombéeamoureusedeluipourlasecondefois.C’étaitunpeucommecemanège

oùon semet debout contre la paroi intérieured’un cylindre, qui semet à tourner deplusenplus vite jusqu’à ceque le soldisparaisseetqu’onresteplaquéaumurparlaforcecentrifuge.

Çamefaisaitrireauxlarmesquandj’étaisgamine.J’essayaisdedécollerunemainpourfaire«coucou»àmessœursquisetrouvaientdel’autrecôté.L’aînée,Janelle,s’amusaitàreplierungenoupourposerunpiedcontrelemurouàprendredesposesbizarres.Alisonétaitmortedetrouille.

Etmoi,jeriaisjusqu’àenavoirmalauxjoues,hilaredemeretrouvercomplètementimpuissante.Cethiver-là,laneigeacommencéàtombertrèstôtettrèsdru.Onriaittoutletemps,Westetmoi.Onparlaittoutletemps,on

baisaittoutletemps,partout,incapablesderésisteraudésirdesetoucher.Allerencours.Dormir.Manger.Baiser.West.Jen’avaispaslaforcedefaireautrechose.Jetombais,dérivais,tourbillonnais…Jeriais.Quandj’ai touchélesol, jen’étaispaspréparéeàlaforcedel’impact,mais j’étaistropétourdiedebonheuretderirepour

m’enformaliser.Pourrienaumondejen’auraischangédemanège.Quandlasonnerieretentit,jesuisinstalléedanslecanapédeWest.Jetiensunlivreàlamain,latête

deFrankiereposesurmesgenoux.Jen’aidoncaucunmoyend’atteindremonportable.—Tupeuxmepassermontéléphone,s’ilteplaît?Frankiemeletend.—C’esttonpère.—Oh.Monestomacsenoue.Aumomentoùjeréponds,jemerendscomptequec’estdevenuunréflexe.Quandmonpèrem’appelle,c’estpourparlerduprocès,etçamedonnemalaubide.Dèsquejeprendsl’autoroutepourDesMoines,monpoulss’emballe.Dèsquejepassedevantlaréceptionnistedemonavocat,jememetsàtranspirer.—Salut,papa.—Bonsoir,Caro.Jevoulaisteprévenir,d’iciunjouroudeuxturisquesderecevoiruncoupdefilde

lapartdubureaudusénateurCarlisle.Ilsontl’intentionde…—Çavous dit qu’on se fasse livrer du chinois pour ce soir ? lanceWest, qui sort tout juste de la

cuisine.—Jecroyaisquetunousfaisaisdesburgersmaison,protesteFrankie.—Onn’aplusdeketchup.—J’aimepaslechinois.—Tuaimesbienlestrucsquicroustillent,là…lesbeignetsdecrabe.—Nan.—Tuaimaisbiença,lasemainedernière.Monpèreparletoujoursauboutdelaligne.—…projetdeloiserabientôtpublié,alorsonespèrepouvoir…—Alorsqu’est-cequetuveux?demandeWest.

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—Jeveuxunburgermaison.—Jetel’aidéjàdit:onn’aplusdeketchup.—Tun’asqu’àallerenacheter.—Sijevaisfairedescoursesmaintenant,letempsquejerevienne…—Attends,papa.Excuse-moiuneminute.JemedégagedeFrankieetmedirigeverslachambre.C’est seulement quand je passe devantWest qu’il remarque le téléphone dansmamain. Il articule

« désolé » en silence. Je secoue la tête pour lui faire comprendre que ce n’est pas grave. Avant derefermerlaportedesachambre,jelesentendsrecommenceràsechamailler,Frankieetlui.—…pasditqu’elleétaitautéléphone?—Jepensaisquetuavaisvu.—Ben,non.Tusaisquic’est?—Oui,c’estsonpère.—Sérieux,Frankie!Çanet’apastraversél’espritqu’onferaitmieuxde…?Jem’assiedssurleborddulit.—OK.Tupeuxrépétercequetudisais,s’ilteplaît?—Tuesoù,là?—ChezWest.—Encore?—Oui,encore.Je recule de façon àm’adosser aumurpuis passe les jambes sous l’affreuxdessus-de-lit à grosses

fleurs.J’aisisouventdormi làcesderniers tempsque j’aipresque l’impressionquec’estmonaffreuxdessus-de-lit–machambre,douilletteetconfortable.—Caroline…Monpèrechargecestroissyllabesd’unlotderemontrances.—Necommencepas.D’accord?Il y a des jours où je regrette lui avoir dit que je m’étais remise avecWest. Depuis le début, il

considèreWestcomme«cegarçon,là»etnesemblepasprèsdechangerd’avis.«Cegarçon,là,ilvat’attirerdesennuis, ilva tebriser lecœur»,et,plus récemment«Cegarçon, là, il t’empêchede teconcentrersurl’essentiel.»—Etlapetitesœur,elleestlà?—Elles’appelleFrankie,papa,etellevitici.—Cettesituationnemeplaîtpas.—Cettesituationneteregardepas.—J’enparlaisàJanellel’autrejour,et…—Jet’arrêtetoutdesuite,papa.Dis-moipourquoitutéléphonais,sinonjeraccroche.Çamevautunsoupiragacé,maisçaaleméritedefonctionner.Monpèrem’apprendqu’ilyades rumeursqui circulent selon lesquelles le sénateurCarlisleaurait

l’intentiondefairepasseruneloipourquelapublicationenlignedecontenupornographiqueàdesfinsdevengeancefiguresurlalistedescrimespunisdansl’Iowa.Quelqu’unaracontéàuncollèguedemonpèrequejerisquaisd’êtresollicitéepourletémoignageetl’expertisequejepourraispeut-êtreapporter.«Témoignage»et«expertise».Cetteidéemedonnedesfrissons.Jeveuxapportermonsoutienàuntelprojetdeloi.— Je sais que, d’instinct, tu vas vouloir accepter et, en temps normal, je t’y encouragerais.

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Malheureusement lemoindre témoignage de ta part, même informel, risque de revenir nous hanter aumomentduprocès.SiçavenaitàsesavoirquelaJaneDoedenotreaffairen’estautrequetoi…—Jecomprends.—Toutcequetudisàpartirdemaintenant,Caroline,toutedéclarationpublique…—Oui,net’inquiètepas,jecomprends.Sionm’appelle,jeferaiattentionàcequejedis.C’est leproblèmed’unprocès,ça limitesingulièrement la libertédeparoleetdemouvement,parce

qu’ilfauttoujoursprendreencomptel’imagequ’onvadonneraujuryquiseratiréausort.—Jenesaispasquiadonnétonnom,d’ailleurs,reprendmonpère.Onvadevoirfaireattentionàta

notoriété.C’est unproblèmequi commence à faireparler de lui, et si tu te poses enporte-paroledesvictimes, en activiste de cette cause, ça risque de restreindre les options par la suite.On ne voudraitpas…—Çava,papa,j’aicompris.Mercidem’avoirprévenue.C’estbon.Jelevoisd’ici,lespiedscroiséssurlebureau,troisdoigtsappuyéssurlatempe,lefrontbarréd’une

rideprofonde.Ilsoupire.—OK.Toutsepassebienencours?—Oui,trèsbien.—Tuastoutcequ’iltefaut?—Oui.—Etsituvenaismevoirceweek-end?Onpourraitalleraucinéma.—Jenepeuxpas.(C’estvrai,maisj’auraissansdouterépondulamêmechosemêmesicen’avaitpas

étélecas.)J’aidéjàfaitdesprojets,maisc’estgentildemeleproposer.—Bon.Appelle-moisituasdesnouvellesducabinetdusénateurou…Enfin,situasbesoindequoi

quecesoit.—Promis.Westentrouvrelaportepourvoirsijesuistoujoursautéléphone.—Ilfautquej’yaille,papa.—OK.Bonnesoirée,machérie.—Bonnesoirée.Jel’entendsdire«jet’aime»aumomentoùjeraccroche.Troptard.Westvients’asseoiràcôtédemoi.Ilmecaresselajambeàtraverslecouvre-litetrefermelesdoigts

surmesorteils.Jelesremue,étrangementsoulagéequ’ilsoitlà.—Toutvabien?medemande-t-il.—Ouais.Ilvoulait justememettreengardecontreuncoupdefilqu’ilmecroit incapabledegérer

sanssesconseilsavisés.—Tuasl’airénervée.—C’estparcequejesuisénervée.Jepensaisavoirposéleslimitesavecmonpère,l’andernier.Jecroyaisqu’onsecomprenaitmaisje

meretrouverégulièrementobligéedeluirappelerquejesuisuneadulte.Et puis, il y a cette idée qui me trotte dans la tête : je pourrais apporter mon témoignage et mon

expertiseàunprojetdeloi.Westfaitremontersamainlelongdemajambe.—Moiaussi.Frankiemefaittournerenbourrique.—Jesuisdésolée.Ellen’estpascommeçaavecmoi.

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—C’estparcequ’elletevoueuneadorationabsolue.—C’est un truc de filles, ça. Jeme souviens quand j’avais son âge, j’étais dingue dema prof de

musique.Elle avait de longs cheveuxblonds,portait desbijouxenargent et desbouclesd’oreilles endiamant,etsentaittoujourstrèsbon.Jen’arrivaispasàdécidersijevoulaisqu’ellesoitmacopineoumamère. Elle vivait dans notre rue et m’avait chargée d’aller nourrir ses chats quand elle partait envacances.—Tun’aimespasleschats.—Jesais.Jepassaisdesheureschezelleàexplorer,etàrêverqu’unjourj’auraisunemaisondécorée

exactementdelamêmemanière,quejem’habilleraiscommeelleetparleraiscommeelle.Mavieseraitd’uneélégancerare.Westmejetteunrapidecoupd’œil.Jeporteunjeanetunvieuxsweat-shirttoutmou.Jemesuisfait

une queue-de-cheval en sortant de la douche ce matin et je suis à peu près sûre que j’ai encore lescheveuxmouillésaumilieu.—D’uneélégancerare,hein?—Oh,çava.Tasœurmetrouvesupercooletsophistiquée.—Moiaussi.Jen’ypeuxrien,tueslacréaturelaplussophistiquéequ’onaitjamaisrencontrée,elleet

moi.Jemepenchepourluidonnerunepetitetapesurl’épaule.Ilm’attrapesouslesbrasetroulesurledos

enm’attirantsurlui.Onseretrouveentraversdulit,àrireauxéclats.Quandilessaiedem’embrasser,jedétournelatête.—Allez,princesse,murmure-t-il.Justeunbaiser.—Danstrentesecondes,tasœurvadébarquerendisant:«Qu’est-cequevousfabriquezlà-dedans?

Bah!C’estdégoûtant!Beurk!»—Je sais.C’est pour çaqu’il faut qu’on sedépêchede faire quelque chosedevraiment dégoûtant

avantqu’ellesoupçonnequoiquecesoit.Ilmepasseunemainderrièrelanuque,etcettefoisjenerésistepas.Saboucheestdouce,salangue

chaudeetexigeante.Ilmefautenvironquatresecondespouroublierquej’étaiscenséeprotester,etquatredepluspourquemonexaspérationsevolatilise.Jesensmonsoutien-gorgeserelâcheretlespaumeschaudesdeWestserefermersurmesseins.Mes

tétonssedressent.Jepousseungémissementsousl’effetdudésirquiserépandentremescuisses.QuandFrankiefrappeàlaporte,jesursaute.Westmepinceuntéton,suffisammentfortpourm’arracher

unpetitcri.—Chut,dit-il.Del’autremain,ilm’agrippelesfessespuisfaitpassersesdoigtsentrepoursuivrelesillonjusqu’à

monsexe.C’estunpeusaleettrèsexcitant.—West?demandeFrankie.Tuappelleslerestaurantchinois,ouquoi?J’aifaim,moi.—Tasœurestlemalincarné,murmuré-je.J’avanceleshanchesàlarencontredesonérection.Ilesttellementdur!Sisasœurn’étaitpaslà…Saufquesasœurestlàetleseratoujours.—Jesais,chuchote-t-il.Jesuisunpèreindigne.Frankietambourinecontrelaporteenrâlant.—J’espèrequevousn’êtespasentraindefairedescochonneries,là-dedans!—Tuveuxmangerchinois?medemande-t-il.—Çam’estégal.

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—D’accord,maisqu’est-cequetuveux?Jeremueleshanchesdeplusbelle.—Ça.Ilsourit.—Qu’est-cequetuveuxquejepuisset’offriravantqueFrankieaillesecoucher?—Jeveuxfinirmonbouquin.—TuveuxquejedemandeàFrankiedetelaissertranquille?—Non.—Tumeledis,siellet’embête,hein?—Siellem’embête,jeluidiraidirectement.Rappelle-toi:c’estàmoidem’occuperdemarelation

avecFrankie.Toi,tut’occupesdesesrelationsaveclerestedumonde.—West!J’aifaim!criesasœurderrièrelaporte.—Çava,calme-toi,lance-t-il.Donne-nousjusteuneminute.—Qu’est-cequevousfabriquez?—Onplielelinge.—C’estça,etmoi,jesuislareinedeSaba!Westhausseunsourcil.—LareinedeSaba?D’oùest-cequ’ellesortça?—Del’école?Ilm’attrapeparleshanchesetmefaitroulerpoursedégager.—Jeferaismieuxd’appelerleresto.Qu’est-cequejeteprends?Durizsautéaupouletetunrouleau

deprintemps?—Oui.Etunorgasme,s’ilteplaît.Ilseredresseetm’embrassefougueusement.Quandilrecule,jesuisàboutdesouffle.—Oumêmedeux,tiens.West se laisse retomber sur le lit et se passe unemain dans les cheveux. Ils ont poussé et restent

ébourifféschaquefoisqu’ilfaitça,cequiveutdirequ’ilssontconstammentébouriffés.—Onestd’accord,souffle-t-il.—Ilnousrestecombiend’heuresavantqu’ellesecouche?—Quatre.Jejetteuncoupd’œilauréveil.—Displutôtcinq.Ellenes’estpascouchéeavant22heuresdetoutelasemaine.Ilregardelaporte.Ilregardemonsweat.Enfin,ilregardemestétonsquipointentsousmonsweat.Dupouce,ilcommenceàencaresserunavec

uneinsistancequimefaitfondre.—Tuvasmetuer,West.—Non,c’estmoiqueçavatuer.Soudainjemeretrouveallongéesurledos,Westpenchésurmoi.—Situprometsdenepasfairedebruit,jetedonnelepremierorgasmemaintenant.Jem’apprêteàluidirequecen’estpaspossible,pasalorsquesasœurestplantéederrièrelaporte,

quandilmefaitreplierlegenouetvientappuyercontremoi.Oh,putain!C’esttrèspossible.—Sivousnesortezpasdanscinqminutes,jevaischezRikkietLaurie!lanceFrankie.Jevaisleur

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direquevousrefusezdemedonneràmangeretquevousêtesenfermésdanslachambreàfairedesbruitsbizarres,et…Westattrapeunlivreposéparterreetlelancecontrelaporte.—Hé!râleFrankie.—Onsortiraquandonaurafinideplierlelinge,gronde-t-il.—Oh,çava…Paslapeinedes’énerver.Ellerepartendirectiondusalon.—Ondevraityaller,dis-jesanslamoindreconviction.Westalesyeuxbleusàlalumièredesachambre–unbleusombreetpénétrant–,etilpasselamain

sousmonsweat.—Dansuneminute.—Uneminute?—Bon,peut-êtredeux.—Tun’arriveraspasàmefairejouirendeuxminutes.—Onparie?Son pouce effleuremon téton de nouveau. Je ferme les yeux, les paupières alourdies par le désir,

incapabledelutterquandWestmecaresseainsi,m’embrasseainsi,défaitmonjeanettrouvelecœurdemonexcitationpourl’attiserencoredavantage.Ilmechuchoteà l’oreilledespromessescoquines,me lècheetmemordille, trouve tousmespoints

faiblesetexploitechacund’eux.—Quatre-vingt-dixsecondes,lance-t-ild’unevoixtaquineunefoisquej’aijoui.Facile.—Quic’estquetutraitesdefillefacile?J’essaiederâlermaisj’aisurtoutl’airépuisée,commesijevenaisdecourirunmarathon,alorsqueje

mesuiscontentéedehaleter,demecontracterautourdesdoigtsdeWestetdememordrelepoignetpourréprimermescrisquandilm’afaitdécoller.Trentesecondesplustard,Frankieestderetouràlaporte,maiscestrentesecondessontbiendouces.Tellementdouces…Quand je raccrocheaprèsavoirdit«au revoir»à l’assistantdusénateur,c’estavec le sourireaux

lèvres.Ons’estdéjàparléàtroisreprisescettesemaineet,pourlapremièrefois, j’aieul’impressionqu’onavançait.—Alors,cesorteils?demandé-jeàFrankie.—Jesuisentraindetepasserlasecondecouche,dit-elle.—Génial.Elleestpenchéesurlepetitpinceaunoir.Jerenverselatêteenarrièreet,lesyeuxrivésauplafondde

lacuisine,merejouelaconversationquejeviensd’avoir.J’aioubliédementionnerlesescroqueriesquiontfleuriautourduconceptdemiseenlignedecontenu

pornographiqueàdesfinsdevengeance.Touscessitesquifontpayerunefortuneenpromettantdefairedisparaîtrelesphotoscompromettantes…Ilfautqueçacesse.Moi-même,jemesuisfaitavoir,etavecl’argentdeWest,enplus.Jepourraisaussivoirsi…—Quic’est,JaneDoe?m’interrogeFrankie.—Hein?—Quic’est,JaneDoe?Ilmefautuninstantpourcomprendredequoielleparle.—Çadépend.C’est lenomqu’utilisent lesautoritéspourdésignerquelqu’undont l’identité leurest

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inconnue.Parexemple,quandlapoliceretrouveuncadavrequeriennepermetd’identifier,elleutiliseJohnDoesic’estunhommeetJaneDoesic’estunefemme.Danslecasd’unprocès,onsesertdecesnomsgénériquesquandlavictimesouhaitegarderl’anonymat.—Tuviensdedireàcemonsieurautéléphonequ’ilnefallaitpasemployerletermede«victime».—C’estvrai.Jepréfèreceluide«cible»,maisdanslesprocèsengénéralonparledevictimeetde

coupableprésumé.Elleapporteunedernièretoucheàmongrosorteil.—Tuasétévictimedequelquechosemaistuneveuxpasqueçasesache.C’estça?—Pastoutàfait.—Maisc’estbientoi,JaneDoe?Westm’aexpliquéquec’étaittoi.—Dansmoncas,c’estpurementstratégique.Jeveuxqueledossierdel’affairerestesousscellés.Frankiereplacelepinceaudansleflaconetlerevisse.—J’aimeraisbienpouvoirfairelamêmechose.—Commentça?—Faireensortequepersonnenesachecequis’estpasséavecClint.—Ilcontinuedet’embêter?—Non.Iln’osepluss’approcherdemoi.Iln’apasledroit,detoutefaçon.Cequejevoulaisdire,

c’estque,quandM.Gorhamestvenudansmaclassepourdiscuterduharcèlement,c’étaitunpeucommetoietJaneDoe.Iln’apasditmonnom,saufquetoutlemondesavaittrèsbiendequiilparlait.Desfoisj’aimeraisbien…Jenesaispas.Jevoudraispouvoirtouteffaceretrepartirdezéro.—Jeconnaisça.J’aipassélamoitiédel’annéeprécédenteàtenterd’effacercequim’étaitarrivé.—Tusais,dis-jeenprenantsoindechoisirmesmots.Parfois,quanddeschoseshorriblescommeça

nousarrivent,ilpeutenressortirquelquechosedebon.L’andernier,cegarçonavecquij’avaisétéamieaessayédemefairecroirequejenecomptaispas–quej’étaisméprisable.AlorsilamisdestrucsenlignesurInternetpourmecauserdutort,etçaamarché.Jemesentaissupermal.Ç’aétévraimentdur,etpuisj’aicomprisqu’ilsetrompaitcomplètement,quecen’étaitpasmoiquiavaisunproblème,maislui.J’ensuisressortieplusforte.—Commentça,plusforte?—C’estdifficileàexpliquer.Jecroisque,maintenant,jenelaisseraipluspersonnemefairecegenre

desalecoup.Çaneveutpasdirequepluspersonnenemeferajamaisdemal,maisceneseraplusjamaisdecettefaçon-là.Jeme rends compte brusquement que je ne parle pas seulement deNate.C’est aussi àWest que je

pense.SansNateetsesattaquesenligne,jeneseraispeut-êtrepasparvenueàsurmontercequem’afaitWest

àSilt.Pourtantj’airéussi,parcequejesuisplusforteàprésent.J’aichangé,etj’ensuisbiencontente.—Çam’aaidéàcomprendrequelquechose,tusais.Iln’yaquemoiquiaieledroitdedéciderceque

mesactionssignifientetcequej’enéprouve.J’ailedroitdechoisirquijesuisetj’assumecequej’aifait.C’estàmoidedéfinirceque jesuisprêteàaccepteretceque je trouve inadmissible.C’estvraipourtoiaussi.C’estàtoidedécidercequetufaisdetavie.Frankiefaitlagrimace.—C’estWestquidécidedetout,dansmavie.— West s’occupe de te garder en sécurité et en bonne santé, de s’assurer que tu as une chance

d’apprendreetdedevenirquelqu’undebien.Toutlereste,c’estàtoid’enfairecequetuveux.Cequi

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s’estpasséavecClint,c’étaithorrible,et jesuisdésoléeque tuaiesdûsubirça,maiscequ’il fautenretenir,c’estquec’estluiquiaunproblème,pastoi.Toi,tut’esdéfendue–peut-êtrepasdelamanièrelaplusconstructivequisoit…(ellemejetteunregardencoinetsouritquandjeluifaisunclind’œil)mais,aumoins,tusaisquetuenescapable.Tuastenutêteausalemômequis’enprenaitàtoiettuluiasfaitregrettersesmoqueries.Çafaitdubien,non?Frankiehochelatête.—Ilapeurdemoi,maintenant.—Excellent!Enrevanche,évitedeteservirdetespoingsd’acieràl’avenir.D’accord?—D’accord,ditFrankieavantd’inclinerlatêtesurlecôté.Letypequit’afaitdumal…Est-cequ’ila

peurdetoi,maintenant?Jerepenseauxquelquesfoisoùj’aicroiséNatesurlecheminducampus,àsafaçondedétournerla

têtepouresquivermonregard.—Tusaisquoi?Jecroisbienqueoui,maiscequicompteleplusàmesyeux,c’estquemoi,jen’aie

pluspeurdelui.(Jeremuelesorteils.)Tuasfini?—Oui,maisilnefautpasquetumarchespendantqueçasèche.—Çateditqu’onsefassedupop-corn?—Sucré-salé,commeaucinéma?—Sucré-salé,iln’yaqueçadevrai.—Ouais!—Enrevanche,tuvasdevoirt’enoccuper,vuquejenepeuxpasbouger.—Pasdeproblème!Jesaisfaire.Frankievasortirunsachetdepop-cornduplacardensautillant.Ellesautille!J’aimeraisqueWestsoitlàpourvoirça.Jeluiraconteraitoutàl’heurequandilreviendradel’atelier

deLaurie.Je luirapporterai toutecetteconversationpourqu’ilsacheque,mêmesicen’estpas toujoursfacile

pourelle,sasœurestunebattante.Etmoiaussi.Unepinceàlamain,Bridgetattrapequatreœufsdursetlesplacesursonplateau.—Tupeuxm’enserviràmoiaussi?dis-jeenarrivantàsahauteur.—Biensûr,répond-elleenajoutanttroisœufs.Tutefaisunsandwich?—Ah,oui,tiens,c’estunebonneidée.—Cool.Tupeuxmeprendredupain?Jevaischercherlamayo.Mi-décembre.Bridget etmoidéjeunonsà la cafétériaducampusavantde retourner encours.C’est

notre petit rendez-vous du mercredi, depuis notre première année. On n’est plus inscrites au restouniversitaire depuis la rentrée puisqu’onmange essentiellement à lamaison,mais on continue de s’yretrouverlemercredi.Enfin, on essaie. Je l’ai laissée en plan la semaine dernière parce que je devais aller faire une

dépositionavecmonavocatàIowaCity.Çanes’estpastropmalpassé,maiscematinj’aidûmeleverauxaurorespourretournerfairelamêmechosefaceauxavocatsdeNate,cettefois.J’aiconsacrélemoisdenovembreàWest,mêmesi jesuisrentréepasserdeuxjourschezmonpère

pourThanksgiving.Décembreestlemoisdesdépositions.JemetourneversBridget,quiestoccupéeàmettreunpeudemayonnaiseallégéedansunramequin.

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—Tuveuxquejeteprenneàboire?—Jeveuxbien,merci.Deuxverresd’eauetunpeudelaitécrémé?Lacafétériasertlesboissonsdansdesverresminuscules,sibienqu’ilenfautplusieurspoursuffireà

unrepas.Jeposetoutçasurmonplateauàcôtédupainetdemasoupe,etvaisrejoindreBridgetànotretable

habituelle, près de la fenêtre. Elle est déjà installée et a commencé à écraser les œufs durs avec safourchette.Elleaaussiprisunpeudeciboulettehachée.Jeprendsplacefaceàelleetattrapeunebranchedecéleri.Jeladécoupeenpetitscubestoutenrepensantàlapremièrefoisquej’aivuBridgetfairesapropre

saladeàpartird’ingrédientspiochésaubaràcruditésdelacafétéria.Onn’étaitlàquedepuisquelquesjours,etj’airemerciélesdieuxdudortoirdem’avoirlogéedanslamêmechambrequeBridget.Ilétaitclairquecettefilleavaitdelasuitedanslesidées.C’estuneamiesincère,intelligenteetdouce,avecquijem’entendsàmerveille.Elleafinidemélangerlamayonnaiseaubold’œufsécrasés.—Tumepasseslecéleri?Jeluitendsl’assiette,qu’ellevidedanslebolavantd’yajouterlaciboulette,leseletlepoivre.—Ças’estbienpassé,tontruc,cematin?medemande-t-elle.—Non,c’étaitaffreux.—Raconte-moitout.— On m’a posé quinze fois les mêmes questions, et la plupart du temps, c’étaient des choses

auxquellesjen’avaispasledroitderépondre.Quandjepouvaisparler,ilfallaitquejerépèteexactementcequ’onétait convenus avecmonavocat, puis celui deNate essayait de retournermesparoles enmefaisantpasserpourunesalopepsychotique.—C’estdégueulasse.— Ouais, mais mon père m’avait prévenue que ça se passerait comme ça, alors je savais à quoi

m’attendre.—Çafaciliteunpeulachose?—Quoidonc?—Desavoiràquois’attendre?Jehausselesépaules,parcequejesensleslarmesmepiquerlessinusetquejedevraisêtreplusforte

queça.Jesuisplusfortequeça.— Le problème, c’est que quand des mecs futés et friqués passent des heures à te bombarder de

questionscenséesterabaisseràl’étatdesalopepsychotique,tufinisparavoirl’impressiond’enêtreune.—Tun’espasunesalopepsychotique,Caro.Jecroyaisqu’onavaitdécidéquelessalopes,çan’existe

pas.C’estunmythepourmachos.—Jesais,n’empêchequec’estdur.C’estlimiteinsupportable.—Tuaspleuré?—Danslavoiture,auretour.—Maispasdevantlesavocats?—Non,maisc’estuniquementparcequ’onafaitdeuxpausespourquejepuissemecalmer.—Tun’asaucunmoyendet’épargnerça?—Leseulmoyen,ceseraitderetirermaplainte.—Cen’estpasquelquechosequetuenvisages.Si?—Jenesaispas.Jenesaisplustropcequej’envisage.Jenesuispasautoriséeàréfléchiràlaquestion.

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Jenecessederepenseràcequem’aditFrankie.«Tuasétévictimedequelquechosemaistuneveuxpasqueçasesache.C’estça?»Jen’aimepascetteidée.J’ai toujours été persuadée que je pouvais faire tout ce que je voulais, or ce que je veux, c’est

poursuivre mes études de droit – et pas seulement les poursuivre. Je veux les terminer avec succès,trouverunemploiquimepermettradefaireavancerlajusticesociale,entrerenpolitiqueetcontribueràaméliorer lecorpusde loisdupays.Commentvais-jem’yprendrepour réaliser toutçaalorsquedesphotospornodemoicirculentsurInternet?Monpèreprétendquelaseulefaçond’yarriver,c’estdepersisterdanslerôledeJaneDoe,mêmesi

j’ail’impressiondeporterunecamisoledeforce.Moi,jen’ensuisplussisûre.Àlalonguetablesurnotregauche,ungrouped’étudiantspartd’ungrandéclatderire.Jedéglutis.J’aimalàlagorge.Jemedemandesij’aiattrapéunrhume.— Caroline ? souffle gentiment Bridget en me prenant la main. Pourquoi tu fais ça si ça te rend

tellementmalheureuse?Jedéglutisdenouveau.J’aivraimentmalàlagorge,etmesyeuxs’embuentdelarmes.Jenesaispasquoirépondre.Jemeréveilledanslenoir.Leréveilaffiche«2h48».Westestcollécontremoietmetienttropchaud.L’airdesachambreesttropsecàcauseduradiateur

électrique.J’aiunenarinecomplètementbouchée,etl’autretellementdéshydratéequej’arriveàpeineàrespirer.Jenerisquepasdemerendormirdanscetétat.J’essaiedemedégagerdubrasdeWest,quimeretient.—Oùtuvas?demande-t-ild’unevoixrauque.—Jevaism’asseoirdanslecanapé.—Tuveuxquejetemasselatête?C’est lemeilleurmoyen deme faire sombrer dans le sommeil : les doigts deWest qui tracent des

cerclessurmoncuirchevelu.—Peut-êtretoutàl’heure.J’aienviedefairepipi,detoutefaçon.—Reviensvite.—Promis.Ensortantdelasalledebains,jepasseàlacuisinepourboireunverred’eau,puism’installedansle

canapé.Jem’enrouledanslavieillecouvertureencrochetetlaissemonregarderrerdansl’obscurité.Monesprits’échappeetvagabondelibrement.Jem’amuseàmettrelesdoigtsdanslestrousdelacouverture–sansdouteuneœuvredeJoan,queje

dateraisdesannées1990étantdonnélescouleurs,bordeauxetvertbouteille.J’entendsWestseretournerdanssonlit.Jerepenseàmadépositiondecematinetàl’étatdanslequelçam’amise.Jemerouleenboulesouslacouvertureetfermelesyeux.Unressortcouine.Unesecondeplustard,c’estunelatteduparquetquigrince,suivied’unbruitd’eauquicoule.QuandWestapparaît,jemesuisredressée.Il ne porte qu’un boxer, ce qui paraît léger pour un mois de décembre, maisWest est doté d’une

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fournaiseinterne.Ilsegratteleventre.—Fais-moiuneplace.Jemedécale,etils’assieddanslesensdelalongueur,passeunejambedansmondosetl’autrepar-

dessusmescuisses.—Tumedonnesuncoussin?Jeluitendslepremierquejetrouve.Illecalederrièresatêteets’allongeenglissantlesbrasautour

demoipourquejebasculeverslui.Jesuislovéecontresontorsechaud,latêteposéeaucreuxdesonépaule.Ilesttoutdoux.Ilsentbon.JesuistellementbienavecWest.J’aimeraispouvoirexpliquerçaàmonpèreetàtousceuxquipensentquejen’airienàfaireavecce

garçon.Dansdesmomentscommecelui-ci,unsentimentdeplénitudemegonflelecœuretdébordeenunflotd’émotionsindicibles.Gratitude,satisfaction,béatitude…Jenesaispascommentl’exprimer,àpartquejeflottedansunegrossebulledebonheuretquejeveux

ypassermavie.Westdéposeunbaiserdansmescheveux.—Tuveuxbienremonterlacouverture?Je la ramène surmonépauleet sur leventredeWest,puis je lebordediscrètement. J’aimebien le

bichonner,maispastrop.Jenevoudraispasqu’illeremarqueetqu’ilprennesesaises.—Désoléedet’avoirréveillé.—Cen’estpasgrave.Qu’est-cequitetracasse?—Pleindetrucs.Ilsedécaleunpeupours’installerplusconfortablement.—Raconte-moitout.—J’aidiscutéavecPaulaujourd’hui.—Rappelle-moi:quic’est,Paul?—L’assistantdusénateur.—Ah,oui.— Bref, j’y repensais. Pas à Paul lui-même mais à l’impression que j’ai quand on parle. J’ai

l’impressionque…jenesaispas,quejepeuxluiexpliquerleschosesd’unefaçondontpersonned’autreneseraitcapable.Ilyapleind’aspectsduproblèmequ’ilnecomprendpas–pasencore–maisjepensepouvoirlefairechangerd’avis.—Surlesvengeancesàbasedeporno?—Pourcommencer,oui.J’enarriveàmedirequejepourraisfaireévoluerlesmentalités,retourner

l’avis de plus ou moins n’importe qui, si je m’en donnais les moyens. Enfin, sauf peut-être de grosconnardsobtus.—Oh,oui,jepariequetun’auraisaucunmal.—Aurisquedeparaîtreunpeubête,j’enviensàmedemandersijenesuispasnéepourça.Jel’entendss’esclafferdoucement–unsonjoyeuxetamusé.—Peut-êtrequec’estlecas,dit-il.Jemetournepourvoirsonvisage.—Peut-être,oui.

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Ilmesourit,calmeettranquille,sanslamoindretracedemoquerie.Ilpasselamainsousmontee-shirtetmecaresseledos.Sapaumeestchaudecontremapeau,maisson

regardestpluschaleureuxencore.Ilafoienmoi.—Ilveutquejem’adresseauxmédias,dis-je.—Quiça,Paul?—Oui.Çadoitvenirdusénateur.Ilspensentquelemeilleurmoyendefairepassercetteloi,c’estde

commencerparéduquerlesmentalités.Ilsveulentquej’entreencontactaveclesprincipauxjournauxetles chaînes de télévision locales, àDesMoines, à IowaCity, et jusqu’auxQuadCities… Ils veulentdonnerunvisageàlaluttecontrelepornodevengeancedansl’Iowa.—Tonvisage.—Monvisage.—Jelescomprends.Tonvisageestmagnifique.—Monpèreenchieraitunependulesij’acceptais.—Ouais…—Pourtantjemedisais…—…quetuavaisenvied’accepter.J’esquisseundemi-sourire.Jen’ypeuxrien,c’esttellementbondesesentircomprise.J’adorelefait

qu’ilmeconnaisseaussibien.—Exactement!ÀquoiçasertdepoursuivreNateenjusticeetdedépenserdesfortunespourdétruire

sonavenirsiçam’interditdefairecedontj’airéellementenvie?Çanerimeàrien.Tunetrouvespas?—Si.Ilmeserreunpeuplusfort.Onrestecommeçaunlongmoment,àrespirerensilence.LamaindeWest

reposeàlabasedemondos.—Qu’est-cequetuveux,Caroline?—Là,toutdesuite?—Non,plustard.Oùest-cequetutevoisdansdixouvingtans?Qu’est-cequetuveuxvraiment?Jereplielajambecontresonventreetremonteunpeupourpouvoirenfouirmatêtedanssoncou.—Jeveuxêtreprésident,dis-jeaupoulsquibatsoussapeau.Jesenslespulsationsdesoncœursousmeslèvres.—C’estlapremièrefoisquejel’avoueàvoixhaute.Enfin,lapremièrefoisdepuislejouroùj’enai

parléàJanelleetoùellem’arétorquéquec’étaitimpossiblepourunefemmeetque,mêmesiçadevenaitpossible,jen’yarriveraisjamaisparceque,d’abord,pourquiest-cequejemeprenais?Ellen’avaitpastort.Jecomprendsbienquec’estimpossible.Jel’avaisdéjàcomprisàl’époque,alorsj’aicessédeledire tout fort et jemesuisplusoumoins interditde tropypenser. Jem’imaginais fairedesétudesdedroit, trouver du travail, faire campagne pour des élections locales, mais je n’osais pas formuler deprojetau-delà.—Alorsquetuenasun,deprojet.—Oui.Monprojet,c’estlaMaison-Blanche.Meschancessontminces,jelesaisbien.Elleslesont

pourtoutlemonde,etsurtoutpourlesfemmes.Mêmesitouteslesétoilesdufirmaments’alignaientpourmedérouler le tapis rouge, avec ce qui s’est passé l’an dernier…avec lemonde tel qu’il est, çameparaît…—Caro.—Oui?—Cessedem’expliquerpourquoitunepeuxpasobtenircequetuveux,lance-t-il.J’ailesjouesenfeu,lesoufflecourt.Jesuisémuedeluiavoirdévoilécetespoirnaïfetillusoire–de

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luiavoirconfiécerêve.—Pourtantilyapleinderaisonsqui…—Peut-être,maissituveuxPennsylvaniaAvenue,alorsfonce.—Tucrois?— Carrément ! Tu es intelligente, forte, magnifique et talentueuse. Tu es une meneuse-née, j’en ai

toujoursétépersuadé.Partoutoùtuvas,c’esttoiquicommandes,alorssers-toidecequit’estarrivél’andernieret fais-enunearmecapabledechanger lemonde.Oblige lesgensà regarder lavéritéenface,parle-leurjusqu’àcequelemondeentiert’écoute.Si,parlasuite,tudécidesdebriguerlaprésidence,cequetonpassémontrera,ceseracequi t’estarrivéetcequetuenasfait.Tun’aurasabsolumentrienàcacher.LesparolesdeWestcoulentsurmoicommeunbainchaud,menettoient,mepurifientetmeretapent.Ce

qu’ilvientdedécrire,c’estprécisémentlafaçondontj’envisagemonavenir.—C’esttellementénorme!dis-je.Çamefaitunpeupeur.—Iln’yaaucunehonteàavoirpeur.C’estcequipermetderesterprudentetconcentré.Etpuis, tu

peuxaussiyallerdoucement,uneélectionaprèsl’autre.Sachequetuasdéjàmonvote.—C’estunbondébut.Plusque126millions.—Jecroisentoi,Caro.Jetendslecoupourl’embrassersurlajoue.—Tuesmignon.Ilposasamainsurmonvisageetm’emprisonnedanssonregard–unregardsolennel,quidemande

toutemonattention.—Jenedispasçapourterendreservice,Caro.J’ai le cœur plein à craquer, les poumons gonflés d’amour et de reconnaissance, de peurs et de

promesses.—Jesuiscontentquetum’enaiesparlé,ajoute-t-il.—Moiaussi,jesuiscontente.Maintenant je saiscequim’attend,et tantpis sic’estdur. Jedoisenpasserpar là,alors jevais le

faire.—Jevaislaissertomberleprocèsauprofitd’unaccord.Çamedéprimecomplètement,etçapompe

beaucouptropdetemps,d’énergieetd’argent.Çanesertàrien,enplus.J’enparleraiàmonpèrequandj’irailevoiràNoël.Westmecaresselescheveux.—OK.—EtjevaisrappelerPaulpourluidirequejesuisprêteàparlerauxmédias.Jepourraispeut-être

donneruneinterviewaujournalducampusouàlagazettedePutnam.Jepourraismêmeécrirequelquechoseetleproposeràdessitesd’info,commeSalonouleHuffPost.Ilfautquejemefasseunelistedessitesquiseraientsusceptiblesd’acceptermacontribution,oualors…Westmeprenddoucementlanuqueetapprochemonvisagedusienpourmefairetaired’unbaiser.—Qu’est-cequ’ilya?—Tuparlaisdeplusenplusfort.JenevoudraispasqueturéveillesFrankie.—Jeneparlaispas…Il recommenceet semontre tellementconvaincantque,quand il s’écarte, jenepeuxm’empêcherde

sourire.—Menteur.—Jamais.

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—C’étaitunprétextefumeuxpourm’embrasser.Ilritdoucement.—Jesuisdémasqué.Cette fois, c’est moi qui l’embrasse. Mon enthousiasme se mue en excitation – une excitation

communicative. Ce baiser langoureux est également libérateur, comme quand on court dans l’herbe àtoutesjambesetqu’ontombe–qu’onvoitlecielbleuquirouleau-dessusdesoi.Jeveuxluiendiredavantage.Jeveuxluiracontertoutesmesespérances–toutescesambitionsdontje

mesuislaissédéposséder,commeautantdeboutsdepapierarrachésàmesdoigts,jetésausoletfroissésàmespieds.Unjour,bientôt,jeluiferaipartdetoutça.Ilmesoulèveetmeporte jusqu’ànotrechambre.Lacouvertureglisseaumomentoù ilverrouille la

porte,mais jen’aipasfroid. Impossibled’avoirfroidquandsoncorpsestsurmoi,sesyeuxrivésauxmiens,sesmotsdansmonoreille.«Tuasdéjàmonvote.»Unepenséefurtivemetraversel’esprit.Laraisonquim’empêchedevouloirmevenger,c’estl’amour.Lavengeancen’apporterien,niplénitude,nisatisfaction,niapaisement,niprogrès.Etpuis,quandbienmême…Moncœurestdéjàplein.LesmainsdeWestsurmesfesses,ses lèvres

dansmoncou,contremagorge,lelongdemaclavicule,quidescendentdoucement.Ils’arrêtedetempsentempspourmesourired’unairtaquinetm’appelle«madamelePrésident.»Ilretiremontee-shirtetsalanguecourtsurmapeauendirectiondemonnombril.—LePrésidentPiasecki,dit-ilàmonsternum.Çasonnebien,jetrouve.Jefermelesyeux.J’aivingtans.Ilmeresteaumoinsunanetdemid’étudesdevantmoi.Jesuiscenséefairelafête,boire

beaucoup, jouerau rugby,allerétudierunsemestreà l’étranger,vivredesaventuressans lendemainetréfléchiràcequejeveuxfairedemavie.Jenesuispascenséeavoirdéjàlacertitudequejeveuxpasserlerestantdemesjoursaveclui.Pourtantc’estcequejeveux,etjelesais.Ilyapleindechosesquejesais.—LePrésidentLeavitt,cen’estpasmal,nonplus.Ilrelèvelatête,leregardinterrogateur.—Tuneparlespasdemoi,j’imagine.—LePrésidentCarolineLeavitt,articulé-jelentement.Je vois son expression changer quand il comprend ce que je dis. Ça commence par sa bouche –

toujourssabouche–puisçaremontelelongdesespommettespouratteindresesyeux.Ilrayonned’unejoieétonnéequ’ilnepourraitpasdissimulermêmes’illevoulait.Iln’essaiemêmepas. Ilafficheungrandsourire toutenfaisantglissersamainsurmonventre,sous

l’élastique de mon pyjama, entre mes cuisses puis entre mes lèvres brûlantes, m’arrachant ungémissement.—Tuferaisunepremièredamed’enfer,dis-jedansunsouffleavantqu’ilmerendefolle.—Mords-toilalèvre,mabelle.Jememordslalèvre.Tandisqu’ilfaitjouersesdoigtsenmoi,jememordssifortquej’auraisûrement

desmarquesdemain,maiscen’estpasgrave.Cettepetitepointededouleur–lalégèresaveurdemonsang–nefaitqu’affûtermonplaisir.Ilmefaitjouiravecsamain,puismepénètredoucementetmefaitl’amourlentement,sansunbruitetsi

longtempsque je sensundeuxièmeorgasmesepréparer.C’estune friction liquideetdoucequimonteentrenous,brûlante,insupportable.Alorsqu’elles’aiguiseetseprécise,Westmefaitmettreàgenouxet

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meprendpar-derrière.Ilfaitpassermescheveuxpar-dessusmonépauleetsepenchepourmurmureràmonoreille:—Unjourjetebaiseraicommeçadanslebureauovale.West!MonWest!Latêteentrelesmains,leculoffert,j’essaiedenepasrire–puisdenepascrierquandilmefaitjouir

unesecondefoisavantdeserépandreenmoi.Jemelaisseretombersurmonoreiller,épuisée,engourdie.Westesttoutchaudcontremoi,lepoidsde

soncorpsluisantdesueurm’estfamilier,toutcommel’odeurdenotreamour.Riennepeutnousatteindre.Pasuninstantjen’aiperdumonbonheurdevue.Pasuneminute.

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PREMIÈRESÉQUENCE

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WEST

Ilaneigésansarrêtpendanttoutlemoisdedécembre.LapremièresemainedenosvacancesuniversitairescorrespondaitàladernièresemainedeclassepourFrankie,maistoutes

lesécolesdelarégionétaientferméesàcausedesintempéries.CarolineavaitprévudepasserlesquelquesjoursavantNoëlchezsonpèremaiselleestrestéecoincéecheznous.Lestempératuresdemeuraientjusteendessousdezéro,etletoitdugarageémettaitdescraquementssouslepoidsdetoute

cetteneige.OnamangédelasoupedetomateavecdessandwichstoastésaufromageenregardantdesfilmsdeNoël.Alorsqu’oncommençaitàs’ennuyerunpeu,LaurieetRikkinousontprêtéunpuzzledemillepiècesreprésentantlaTerrepar

deminusculesphotos.Onadégagé la tablebasse,etonyapassé l’essentielde lamatinéeet lamoitiéde l’après-mididu24décembre.

Auboutd’unmoment,FrankieetCarolinesontpartieschacunedeleurcôté.Frankiem’aempruntémescrayonsetestalléepeaufinerundessinqu’ellevoulaitoffriràmaman.Carolines’estinstalléesurlecanapéavecsonportablesurlesgenouxpourfaire une liste desmédias qui seraient prêts à publier son histoire et à faire d’elle le visage de la lutte contre la vengeancepornographiquedansl’Iowa.

J’aicontinuéàtravaillersurlepuzzle.J’aid’abordidentifiélesphotosreprésentéessurlespièces,puisjelesairegroupéesparcouleuretparformeavantdepouvoirlesemboîter.

J’enéprouvaisunesatisfactionquis’intensifiaitmorceauparmorceau,jusqu’àcequejetermineletableau.Alorsj’airegardémonœuvreetmesuisrenducomptequej’avaispassél’après-midiplongédansunemétaphore.Ce puzzle était mon avenir – informe, déroutant. Un millier de petites décisions qu’il me faudrait prendre, un millier de

problèmesàrésoudresansautreguidequ’unevagueidéedecequejevoulaisaufinal.Cesoir-là,alorsquelaneigerecouvraitleschampsetletoitdelamaisondeLaurieetRikki,qu’elleeffaçaitlarouteetvenait

selogerdanslescoinsdesfenêtres,onapréparéunénormesaladierdepop-cornetonapasséLeGrinch.AssisentreFrankieet Caroline, les bras sur le dossier du canapé derrière elles, les pieds sur la table basse, je regardais les guirlandes quiclignotaientsurlepetitsapinquej’avaischoisiavecFrankieàWalmart.

Unefoismasœurcouchée,Carolinem’aaidéàdisposerlescadeauxaupieddel’arbre,puisonaéteintleplafonnieretonaregardélaneigetomberàlalumièredesguirlandes.

Ensilence.Onn’avaitpasbesoindeparler.Onétaitlà.Quantàcequinousattendait,ceseraitcommelepuzzle–compliqué,maispasimpossiblesij’avançaispièceparpièce.Mêmesijevenaisd’unefamilledéglinguéeetd’unendroitpourri,etmêmesij’avaisdûtraverserdesépreuvesmalsainesqui

ne m’avaient pas appris comment vivre ma vie normalement, j’avais les yeux en face des trous, j’étais curieux, et j’étaispersévérant.

J’avaisCarolineàmescôtés.L’avenirm’apparaîtraitunepièceàlafois.—Non,jesais.C’estlejourdeNoël,àl’heuredudéjeuner.Caroline fait les cent pas entre la porte d’entrée et l’évier de la cuisine.Elle a son casque sur les

oreillesetdiscuteavecsonpère,lesmainsdanslespochesarrièredesonjean.Elleporteungrospullvertfoncéavecuncolrouléamplequial’airtoutdoux.Elletrouvequ’ils’accordebienaveclescouleursdeNoël,etc’estvrai,maismoi,jeletrouvesuper

sexy.Lecoldévoilesaclaviculeetydessineuneombreoùj’aienviedeposerlabouche.—Ouais,jesais,papa.Désoléedenepaspouvoirêtrelà,jevoulaisvenir.Silaneiges’arrêted’ici

uneheureoudeux,jeverraisijepeuxprendrelaroutepourledîner,aumoins.J’aidûfroncerlessourcils,parcequ’ellemeregardeenpassantethausselesépaulesd’unairdedire:

«Qu’est-cequetuveuxquejefasse?C’estNoël.»—L’I-80risqued’êtresuperglissante,luifais-jeremarquer.—C’estpossible, répond-elle à sonpère,qui adû lui faire lamêmeobjectionquemoi.Écoute, je

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gardeunœilsurlamétéoetjete…Elles’interromptuninstant.—OK,situpensesquec’estlameilleuresolution.—Lameilleuresolutionpourquoi?demandeFrankie.Elleestassiseàlatabledelacuisineetdessinedanssonnouveaucarnetdecroquisaveclescrayons

quejeluiaioffertsàNoël.—Ilnefautpasespionner,Frankie.C’estmalpoli.—Genre!Tul’écoutais,toiaussi.—C’estvrai.Ellelèvelesyeuxauciel.—Espèced’hypocrite.Encoreunmotqu’elleadûapprendreauprèsdelaprofquiencouragelesenfantsdouésettalentueux,à

sonécole.Elleliténormément,aussi.Laprofenquestionl’aemmenéeàlabibliothèquedePutnam,oùelle l’a présentée à un bibliothécaire qui luimet de côté toutes sortes de titres. Elle ne veut pasmeraconterdequoiilsparlent,maisJeffGorhammeditqueçaluifaitbeaucoupdebien.Çal’enrichit.—IlvadécalerlerepasdeNoëlenfamille,puisqu’ilsnesaventpasquandjepourrailesrejoindre,

nousannonceCaroline.Frankiemejetteunregardappuyéetmetirelalangue.—Justement,papa,jevoulaist’enparler,lanceCarolinetoutensedirigeantverslachambre.Ellerefermelaportederrièreelle.—Dequoiest-cequ’elleveutluiparler?m’interrogeFrankie.—Çaneteregardepas,petitecurieuse.—Tudisçaparcequetun’ensaisrien.Jesuisàpeuprèssûrquesi.Macertitude se renforcequand j’entendsCarolinehausser le ton.Elle est en colère,même si jene

distinguepassesparoles.Soudainjelesdistingueclairement.—Pour la cinquième fois, je ne te demande pas ta permission, je t’informe dema décision. Je ne

reviendrai pas dessus et je ne vais pas non plus attendre quelques jours pour voir si, des fois, je nechangeraispasd’avis.Jesaisdéjàcequejeveux.C’estprécisémentpourçaquejet’eninforme.—Resteici,dis-jeàFrankie.Je trouve Caroline allongée sur le dos en travers du lit, bras et jambes écartés, les yeux rivés au

plafond,furieuse.— Non, s’écrie-t-elle. Non ! Je refuse d’envisager ça. Je savais que tu réagirais comme ça et je

comprendstesraisons,maisc’esthorsdequestion.Jem’assiedssurlelit,adosséaumur,etpasselesjambespar-dessuscellesdeCaroline.Elletendlebraspourmeprendrelamain.Laconversations’envenime,etchaquefoisqueCarolines’énerve,ellemeserrelamainunpeuplus

fort.—Tunem’écoutespas!—Non,papa.J’entendsbiencequetumedis,maismaréponseest«non».—Pasdutout,enfin!Çan’arienàvoiraveclui!Ellene lance riendeblessantnid’insultant,mais savoix sebriseàplusd’une reprise tant elleest

contrariée.Jedevinequesonpèrerestesourdàsesarguments.

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Auboutd’unmomentilsfinissentparsecalmer.Jen’aijamaisvudeuxpersonnessedisputerassezfortpourqueças’entendeàtraversuneporteclosepuis,dixminutesplustard,conclurelaconversationpar:—JoyeuxNoëlàtoiaussi,papa.—Moiaussi,jet’aime.Carolineraccrocheetroulesurlecôté.Jem’allongefaceàelle.Elletournelatêteversledessus-de-

litpourquesescheveuxviennentdissimulersonvisage.—Tupleures?—Non,renifle-t-elle.—Tuasledroit,tusais.—Jesais.Jenepleurepas;jerassemblemesforcespourpouvoircontinueràmebattre.—OK.Est-cequeçaveutdirequelemomentestmalchoisipourtedonnertescadeaux?Elle se redresse lentement et s’assied.Sesyeux sont secs,mais ses joues et sondécolleté sont tout

rouges.Jemefais laréflexionque,sielledevientprésidentunjour, il faudraqu’elleapprenneàcacherses

émotions.—Tum’asdéjàdonnémescadeaux.—Ceux-là,c’étaitdelapartdeFrankie.—C’esttoiquilesasachetés,doncilsviennentdetoiaussi.J’adoremonfoulard.Ellel’amisaussitôtpar-dessussonpyjama.C’estunegrandeétolerouge,orangeetbleuavecdesfils

argentés.Çaluivabien.Çam’afaitplaisirdelavoirporterquelquechosequejeluiavaisacheté.Je lui lâche lamainetme lèvepouraller fouillerdans leplacard, sur l’étagèreduhaut.Laboîteà

bijouxmesembleaussi lourdeetdensequ’unepierre, lebraceletencuirest tout raidequand je le luitends.Jenesuisplustrèssûrdesavoircequ’ilsymbolise.C’estpeut-êtreunsouvenirdontellesepasseraitbien.J’auraispeut-êtredûl’enterrerdanslejardin.PuisCarolinetendlebraspourquejelepasseàsonpoignet.Monnomgravédansunebandedecuir,

sursapeau.Ellesuitleslettresduboutdudoigtpuismesourit.—Çava?Çateplaît?—Oui,beaucoup.Ellesedressesurlesgenouxpourm’embrasser,etc’estmerveilleux.J’ail’impressiond’avoirréparé

untort,d’avoirrestaurél’équilibre.Quand elle se rassied, je lui glisse la petite boîte au creuxde la paume.Elle la considère avecde

grandsyeuxeffarés,et l’espaced’unesecondejemedemandecequej’aifaitcommeconnerie.Puisjecomprendsetéclatederire.—Cen’estpasunebague,maisçamerassuredesavoirquec’estencoretroptôtpourça.—Jenesuispas…Jenevoulaispas…—Toutvabien,Caro.Ouvre.Ellesoulèvelecouvercle.—Oh,c’estjoli!lance-t-elleendéroulantlebraceletenargent.Qu’est-cequec’est,ça?Lalumièresereflètesurlabreloquequandelleprendlebijou.—C’estunpeigne,murmure-t-elleenréponseàsaproprequestion.West…—Jevoulaist’offrirlesdeux,lepeigneetlachaînedemontre.C’est…Jenesaispassic’estunbeau

cadeau,maisj’aipenséque…Ellesejettedansmesbras,etjen’endispasdavantage.

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—West.Ellepleurevraiment,cettefois.—Jenevoulaispastefairepleurer,Caro.J’airepenséàl’histoire,c’esttout.J’yairepensétellementsouvent.J’aibeaucoupréfléchiàcequem’aditCarolinecejour-là–quejene

devaispasécrirenotrehistoireaulieudelavivre,quejen’avaispasàmedonnerunrôle,quecesoitceluidushérifouduméchant,parcequelavieestpluscomplexequeça.Cetteconversationneportaitpastantsurlanouvellequ’elleavaitétudiéeencoursquesurmoi.C’étaitsafaçonàelledemedirequej’avaiscommisunegraveerreur,maisquej’avaisdroitàune

secondechance.Jemesuisrenduàlabijouteriedansl’idéedeluiacheterunpeigneenargent.Jetenaisàcequ’elleait

unsouvenirdumomentoùellem’avaitoffertcedontj’avaisleplusbesoinsansmêmeenêtreconscient.Etpuis,j’aichangéd’avis.Non.Jeneveuxpasqu’ellen’enaitqu’unemoitié.Jeveuxqu’elleaittout.Ellem’embrasse.—C’estparfait,West.Jeluirendssonbaiser,etellemefaitbasculersurelle,lesbrasautourdemoncou.Lesmaillonsfrais

dubraceletglissentlelongdemanuque.—Tuesparfait,souffle-t-elle.—Jesuisloind’êtreparfait!Ellem’embrassesurleslèvres,lesjoues,lespaupières.—Tuenessuffisammentprocheàmongoût.Je roule sur le côté, et nous restons comme ça un long moment, les jambes entremêlées, à nous

regarder.Suffisammentproches.—Frankie,dis-jeenfrappantàsaportepourlatroisièmefois.Ouvre-moi.—Laisse-moitranquille!hurle-t-elle.—Frankie,mapuce,c’estNoëlettupleures.Ilesthorsdequestionquejetelaissetranquille.—C’estpasvrai!Jepleurepas!Elleenvoiequelquechosecontre laporte, et l’impactestassez fortpourme faire reculerd’unpas.

Carolinesetientderrièremoi,lesbrascroisés,coudesdanslesmains.—Tuveuxquej’essaie?Vingtminutes.Ilasuffidevingtpetitesminutesautéléphoneavecmamère,lejourdeNoël,alorsquej’étaisdansle

salonavecelleetquej’écoutaiscequisedisait,maisvoilàcommentçasetermine.Masœuralancéletéléphoneàtraverslapièce,aéclatéensanglotsetestallées’enfermerdanssachambre.Évidemment,mamère a attendu qu’il soit presque l’heure d’aller se coucher pour Frankie. J’avais

essayédel’appelerpendantlajournée,histoirequ’onensoitdébarrassés,maisellerépondquandçaluichante,mêmequandc’estNoël.Engénéral,onn’arriveàlajoindrequequandelleestenvoiture,etqu’elleadixminutesàperdreà

parlerdetoutetderien.Ellenousdemandecommentçavamaisellen’apasvraimentenviedesavoir.Frankieaplusdemalquemoiàencaissersescoupsdetéléphone.Parfois,quandjerentredel’atelier,

jelatrouveenferméedanssachambre,aveclepanneau«Interdictiond’entrer»qu’elleadessinéelle-

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mêmescotchéàlaporte.AlorsjeregardeCarolineetarticuleensilence:«Maman?»Invariablement,laréponseest«oui».Danscescas-là,Carolinefaitdescookies,oujetéléchargeunépisoded’undessinaniméqueFrankie

aimebien,etonfinitparréussiràlafairesortirdesontrou.Cesoir,mamèreétaitd’unehumeurparticulièrementémotive,dontjememéfiaisunpeu.«Vousme

manquez.Oh!là,là!Situsavais!C’estdur!»Elleparlait tropvite, d’unevoixquidérapait sur les consonnes. Jen’avaispas enviede lui passer

Frankiealorsqu’elleétaitdanscetétat-là,maisjemesuisforcéàfaireuneffortparcequec’étaitNoël.J’auraismieuxfaitderefuser.—Jenesaispasquoifaire,avoué-jeàCaroline.—Tupourraispeut-êtreluilaisseruneminute,letempsqu’ellesecalme.—Elle n’est pas en colère. Enfin, pas vraiment.Ce n’est pas ça, le problème.Mamère a dû dire

quelquechosequil’ablessée,etjeneveuxpaslalaissertouteseuledanscesconditions.Jefaisunenouvelletentative.—Frankie,ouvre-moi,sinonjedémontelapoignée.—Tuneferaispasça.—C’estfacile,tusais.—Tun’espasmonpère!— Je suis ton frère et, accessoirement, c’est moi qui paie le loyer, alors tu m’ouvres cette porte,

Frankie.Jeneplaisantepas.—Non.—Oh,maisputain!—West…,souffleCaroline.Jefaisdemi-tour,m’adosseàlaporteetmelaisseglisserausol.—Jenesaispascommentfairepourêtresonpère.—Tutedébrouillessuperbien.—Çafaitdessemainesquej’essaie,quejeluiposedesquestionspourqu’ellecomprennequ’ellepeut

meparler,quejevaisvoirsonconseillerd’éducationet laprofpour lesgaminsdoués,quejeremplistouslesformulairesqu’ilfaut,maisçanemèneàrien.Carolines’assiedàcôtédemoietposeunemainsurmonbras.—Maissi.—Elleneveutmêmepasmelaisserrentrerdanssachambre!—C’estàcausedeNoëletducoupdefildetamère.Elleesttristeetcontrariée,maisçavapasser.—Ellem’enveutàcausedupetithaut.—Tuasbienfaitdeleluiprendre,West.C’étaitlecadeaudemamèreàFrankie,untrucsuperdécolleté,pasdutoutappropriépourunepetite

fillededixans.Onaenvoyéunalbumphotoàmamère.C’estCarolinequienaeul’idée.Onachoisilesplusbelles

photosdeFrankiequ’onavait,etonenaprispleind’autrespourluimontrerl’Iowaetlaferme,moietLaurie,CarolineetFrankie.Puisonlesaimpriméesetonacollétoutçadansunbelalbum.«Commeça,elleverracequ’ellerate»,acommentéFrankie.Quandj’aidemandéàmamèresiellel’avaitbienreçu,elleadit«ouais,c’estchouette»etachangé

desujet.Elles’estremiseavecBoetpassedésormaissontempsàs’engueuleravecmononcleJack.Elles’est

fâchéeavecpresquetoutelafamilledemonpèreetm’adéclaréquelesLeavittn’avaientaucuneloyauté.

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Elleadûoublierquec’estaussimonnom,etceluidesafille.Jeneveuxplusqu’ellefassepartiedemavie,pourmonbienàmoietpourceluideFrankie.Jeneveux

plus de son incompétence ni de ses brefs élans d’affection passionnée. Ça fait trop mal quand elleretombedanssonindifférencemolle.Frankieméritemieuxqueça.Jel’entendspleurerdoucementdanssachambre.Jemerelèveetfrappe.—Frankie,écoute-moi.Ilfautvraimentquetum’ouvrescetteporte.Jevaiscompterjusqu’àdix.OK?

Un…Carolinem’interrompt.—Tuessûrquetuneveuxpasquej’essaie?—Deux.—West?—Oui,jesuissûr.Trois.Quatre…—Est-cequejepeuxfairequelquechose?demandeCaroline.—Oui.Vamechercherletournevisquiestdansletiroirdelacuisine.Cinq.—Celuiàtêteplateoulecruciforme?—Six.Lecruciforme.Ellesemetsurlapointedespiedspourm’embrasser.—Jet’aime.—Sept.Moiaussi,jet’aime,Caro.Huit.Frankieouvrelaporteà«neuf».Ellealesyeuxrouges.—Qu’est-cequetuveux?— J’aimerais t’emprunter ton nouveau sac à main. À ton avis, Frankie ? Je veux te parler, tout

simplement.Laisse-moientrer.Jel’écartedoucementpourpouvoirpasserpuisrefermelaportederrièremoi.Toussescadeauxsontrassembléssursonbureauenuneespècedetableaubienordonné.Jemefaisla

réflexionquec’estbienungested’enfant–quec’esttellementFrankie.J’enéprouveuntasd’émotionsdontjenesaispasquoifaire.Jesuisfierd’avoirpuluioffrirtoutça,d’avoirpuluidonnerunNoëldignedecenom.Jesuisfurieuxcontremamèred’avoirtoutgâchéenvingtminutes.Maiscequidomine,c’estunéland’amourpurenversmapetitefille.Jem’assiedssursonlitdéfait.—Quoi?bougonne-t-elle.—Jen’airiendit.—Tufaisunedrôledetête.—C’estparcequejet’aimedetoutmoncœur,Frankie.Elledétourneleregardd’unaircoupable.Çarésumebienlasituation.Jenecessedechercheràl’atteindre,etellesedérobeconstamment.—Qu’est-cequ’ellet’adit,maman?—Rien.—Cen’estpasvrai.Vousavezdiscutépendantunbonmoment.—OnajusteparlédeNoëletdenoscadeaux…cegenredetrucs.ElleestretournéehabiterchezBo.—Oui,ellem’aapprisça.—Ellem’ademandésijevoulaisrentreràlamaison.—Non,lancé-jeavantmêmed’avoirpuréfléchir.

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Jemelève,domineFrankiedetoutemataille.—Pasquestion,putain!Elleserecroqueville.Ilfautquejemecalme,jelesaisbien,maisputaindebordeldemerde!Quel

genredepersonneoseraitfaireça?DemanderàFrankiesielleveutrentreràlamaison?Balancerunequestionpareille,commeça,lejourdeNoël,sansmedemandermonavisd’abord?Nonmaispourquielleseprend?Évidemment,jeconnaislaréponse,etçamemethorsdemoi.ElleseprendpourlamèredeFrankieet

ellearaison.Jenesuisqu’unsubstitut.—Raconte-moicequ’ellet’adit,Frankie.Jeveuxtoutsavoir.Frankielèvelesyeuxversmoi,méfiante.—Elleaditquejepouvaisrentrersijevoulais.Elleditquejeluimanque,ettuasprobablement…—J’aiprobablementquoi?Frankiehausselesépaules,têtebasse.—TuasCaroline.—Qu’est-cequeçasignifie,exactement?—Quetuneveuxplusdemoi.—Est-cequej’aiditça?Est-cequetum’asdéjàentendudireça?—Non,maisjelesaisbien.Tumedétestes!—Jenetedétestepas,voyons!—Tumecriesdessus!Tu temets tout le tempsencolère!Avant tun’étais jamaiscommeçamais

maintenantjetedéteste!Jeveuxrentreràlamaison.Mamanmemanque,etpapaaussi.—Cen’estpasvrai,paspapa.—Si!Ilm’aime,lui!—Ilt’aimait.Ilestmort.C’estméchant.C’estodieuxdemapart,maisc’étaitunconnardviolent,etellepréféreraitvivreavecluiqu’avecmoi.

C’estlapirechosequ’ellepouvaitmebalancer,lapreuvelaplusnoiredemonéchec.ElleveutretourneràSilt,etj’aimeraismieuxmourirquedelasuivre.Plutôtmourirquelalaisserpartir.Sonpetitvisagesecrispe.—Jetedéteste!Elles’effondresursonlit,enlarmes.Carolinesetientsurleseuildelachambreetm’appelle.Jesenssamainsurmonbras.Jereviensà

moi–àmoncorps,àlatensionquil’habite,augoûtamerdansmagorge.Jem’entends.Jemerappelle.Jenesuispasunbonpère.Jenesuispasquelqu’undebien.Jeneleseraijamais.Jen’aipaslemoded’emploi.Carolinesetrompequandellecroitqu’ilsuffitde

liredeslivresetdepersévéreravecpatience.Cen’estpasça,leproblème–c’estmoi.Jesuiscolériqueetviolentparceque je suisnécommeça,dansunenvironnementcommeça. Je suismaudit,depuis ledépart.Lepire,c’estqueFrankiel’estaussi.Quandjetendslamainversmasœur,ellel’écarted’unetapesonore.—Laisse-moitranquille!Jenesaispasquoifaire.—West,souffleCaroline.

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—Tupeuxresteravecelle?Voilà aumoins quelque chose que je peux apporter à Frankie – la présence de quelqu’un qui sait

l’aimercommeilfaut.Quelqu’unquisaittrouverlesmotsquandjen’yarriveplus.Àcausedelaneigeetdecequis’estpasséàNoël,Carolineestrevenuesursadécisiond’allerpasser

quelquesjourschezsonpère.Ellepréfèreallerdéjeuneravecsafamillepuisrevenirdormirici.ElleveutqueFrankieetmoil’accompagnions.J’aicommel’impressionqu’elleapeurdenouslaisserseulstouslesdeux.Le26décembreellenousa

traînésaugrandcentrecommercialdeDesMoinespour faire les soldesdeNoëletutilisernoscartescadeaux.Frankien’apasreparléderetourneràSilt.Demoncôté,j’essaiedeneplusypenser.Jenesuismêmepasencolère.Jemesensvidedenepaspouvoiroffriràmasœurcequ’ellemérite–

passiellelerefuse.Passij’ignorecommentm’yprendre.Carolineprétendquejedramatisetrop.Elleditquemamèren’estqu’unesourced’emmerdes,maisça,

jelesavaisdéjà.Ellemerépètequejesuisunbonpèreetunhommeformidable,etquepersonnen’estsansdéfauts.Carolinemefaitremarquerquej’aihausséletonfaceàFrankiemaisquejenem’ensuispasprisà

ellephysiquement,quejeneluiairienditd’insultant–nisurellenisurmamère–,quejen’aifrappépersonne,quejen’airiencassé,quejenesuispasallémesoûlernimedroguernitirersurquelqu’un.C’estsûrementcensém’aider,decomptertouteslesconneriesquejen’aipasfaites.Pourtantçanem’aidepas.Çamefaitréfléchiràlachancequej’aiqueCarolinedaigneencoreparlerà

uncasse-couillespareil,maisçanechangerienàmatristeconvictionquejen’aipasl’étoffed’unparent.Cependant,quandCarolineveutquelquechose,elle l’obtient.Le27décembre,nouspartonspour la

demeurefamilialedesPiasecki.Carolineagrandidanslegenredemaisonoùilyaunesalleàmangeràpart,avecunenappeancienne

décoréededentelleaumilieu,etoùlesassiettesetlescouvertssontmerveilleusementassortis.Jesurvisaudînerenterminanttoutesmesphrasespar«s’ilvousplaît»ou«merci»etenneparlant

quequandj’ysuisobligé.Frankies’ensortbien.Ellerestebouchebéedevantlasaucièreetsefaittomberunpeudejusdedinde

surlesgenoux,maiselleadixans,alorspersonnenes’enformalise.Carolinel’aaidéàchoisirsatenueetluiafaitunejolietresse.Elleestjoliecommeuncœuràlalumièredesbougies.QuandCarolines’installeàcôtédesessœursetdesonpère,jedistinguedeséchosdesonvisagedans

leleur.Elletientsesyeuxdesonpère,alorsquesonnezetsonmentonluiviennentsûrementdesamère.Janelleparlefort,avecautorité.Alisonrevienttoutjusted’unemissionavecleCorpsdelaPaix.Elle

esttoutemaigreetparlepeu;ellesembleunpeudépassée.En bout de table, le père de Caroline ressemble à un chef d’orchestre avec ses grands gestes, ses

grossesmains, ses bajoues et ses sourcils broussailleux et intimidants.Sauf que, quand il sourit à sesfilles,ilsechangeenpèreNoël,avecsabedaineetsesyeuxbienveillants.C’estlemêmegenredesouriresqu’iladresseàFrankie,alorsjenepeuxpasmerésoudreàledétester,

mêmesilesregardsqu’ilmelanceàmoisontnettementplushostiles.Je l’ai rencontré deux fois auparavant. La première, jem’étais appliqué à passer pour un gros con

lubrique. La deuxième, j’étais dans une cellule. Si je dois attendre dix ans pour qu’il apprenne àm’apprécier,jem’estimeraiheureux.

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ÇaneplaîtpasàCaroline,enrevanche.Chaquefoisqu’ilsemontreunpeusecavecmoi,elleleremetàsaplace.Laconversations’échauffepeuàpeu,etlerougeleurmonteauxjoues.Où que je regarde, je vois des souvenirs de l’enfance deCaroline.Des photos un peu partout, des

dessinsmaladroitsetpourtantencadrés,untrucenpapierbrundeformevaguementovalequi,sij’aibiencompris,estcenséreprésenterunedindedeThanksgiving.C’estunecréationdeJanelle,àl’époqueoùelleétaitenmaternelle.Jen’arrivepasàm’agacerdelafroideurdesonpèreparcequejesuistropoccupéàobserverleslieux

enpensant:C’estàçaqueressembleuneenfancechoyée,ensécurité.Çanetientpastantàlatailledelamaison,niaujoliquartier,niaubeaucanapéd’angleencuir.Cequi

m’impressionne,c’est l’ambiance, l’attitudedecettefamilleoùtoutlemondeestaffectueux,oùl’onseparleetons’écoute.LepèreetlessœursdeCarolineracontentàFrankiedesanecdotesdeleurenfance–deshistoiresquisontdrôlessansjamaisêtrehumiliantes.JenepeuxpasrenvoyermasœuràSilt.Pasquestion.Pass’ilyalamoindrechancequ’ellegrandissedansunenvironnementcommecelui-ci.Après le repas vient le moment de l’échange des cadeaux. Je suis gêné. Caroline nous a pris au

dépourvu,Frankie etmoi, et onn’a rien apporté, alors que sesprochesont prévuquelque chosepournous. Ils nousont gâtés. J’ai droit à unepairedegants en cuir fourrés, etFrankie reçoit unepairedebouclesd’oreillesetuneécharpeencachemire.Je ne tiens plus en place. Je finis parm’esquiver pour aller aux toilettes puis, en sortant, je passe

devantlacuisineetaperçoislavaissellesaleempiléeàcôtédel’évier.J’en suis presque à lamoitié quand Caroline vientme rejoindre, prend un torchon et commence à

essuyer.—Çava?medemande-t-elle.—Oui.PasdeproblèmeavecFrankie?—Non,aucontraire.ElleestsortieacheterdubeurreavecJanellepourfairedessablésdeNoël.—Ellen’apasfaitdecaprice,j’espère?—Pasdutout.C’estJanellequiaeucetteidée.Etpuis, tusais,cen’estpasgravesiellen’estpas

parfaitementpolietoutletemps.C’estunepetitefille.LepèredeCarolineentredanslacuisineets’immobiliseennousvoyantdevantl’évier.—Çavousdit,uncafé?proposeCaroline.—Bonneidée.—Jem’encharge.Papa,tun’asqu’àprendrelerelais,lance-t-elleenluitendantletorchon.Puisellesetourneversmoi.—C’estsonboulot,d’essuyer,d’habitude.Onseretrouvecôteàcôtedevant l’évier,M.Piaseckietmoi,pendantqueCarolinemoudlecaféet

préparelamachine.—Quandest-cequevouscomptezrepartir?luidemandesonpère.— Le temps que les filles fassent les sablés… je dirais dans quelques heures. Enfin, siWest est

d’accord.—Pourquoijeneseraispasd’accord?—ParcequeçaveutdirequeFrankierisquedesecouchertard.—Cen’estpasgrave.Ellepourradormirdanslavoitureauretour.—Vouspouvezpasser lanuit ici,vous savez, intervient sonpère. Ilyadeuxchambresde libresà

l’étage,etonaunmatelasgonflablequ’onpourraitinstallerdans…

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—Sérieux, papa ? l’interrompt Caroline. Tu nous ferais le coup de nousmettre dans deux piècesdifférentes?Ellebonditdevantleplandetravailàmagauche,cequimeplacepileentresonpèreetelle.Ilmejetteunregardencoin.—Alorsc’estcommeça,hein,West?—Jenesuispassûrdecomprendrecequevousvoulezdire.—Maintenantquemafillevitchezvousetqu’elles’occupedevotresœur,vousvoudriezl’empêcher

depasserlanuiticiàmoinsquejenevouslaissepartagerlamêmechambre?—Non,monsieur.Cen’estpasçadutout.—C’estpourtantl’impressionqueçadonne.Jemeraclelagorgeencherchantunefaçondeluirépondreavectact,puisj’abandonnecetteidée.—C’estCarolinequicommande.Moi,jemecontentedesuivrelemouvement.Ilmescruteduregardpendantunebonneminutepuiss’esclaffed’unairbourru.—C’estlapremièrefoisquejevousentendsdirequelquechosed’intelligent.Carolinesepenchedevantmoipourluidonneruncoupdepoingdansl’épaule.Elleneplaisantepas.—Aïe!proteste-t-ilmaissansgrandeconviction.Quandillaregarde,c’estavecunsourireaffectueux.—Etmoi?Jen’aiplusmonmotàdire?demande-t-ilensefrottantl’épaule.—Toi,tuastaproprechambre,lance-t-elle.—Jeneparlaisplusdeschambres.—Danscecas,soyonsfrancs.Cen’estpastoiquidoisvivreceprocèsaujourlejour,papa.C’est

moi,alorsc’estàmoidedécider,quetusoisd’accordounon.— Oui, enfin, ces décisions, c’est moi qui les finance, de même que je finance tes études, alors

j’estimequej’aivoixauchapitre.Tumedoisaumoinsunevraieconversationaulieudemebalancerdesultimatums, commeça.Moi aussi, je vis avec cette histoire, que je le veuille ounon.Ceprocès nousdonnelechoix,Caroline.—Tudisça,maisçan’arienàvoiraveccequejesubis,moi.Cen’estpastoiquidoisenchaînerles

dépositions,niquiteretrouvesàdireauxmembresducabinetdusénateur:«Ah,ben,non,désolée,jepourraisvousaider,maisilsetrouvequej’aiunevendettasurlefeu.»—Onenadéjàdiscuté,Caroline.Onsavaitqueçan’allaitpasêtrefacile.C’estcommeça,etc’est

normalquetutesentesdécouragéeàcestade,maisquandtuentreprendsquelquechose,tuvasjusqu’aubout.Jet’aipourtantapprisànepasbaisserlesbras.—Jenebaissepaslesbras,papa!—L’important,c’estdemettreledoigtsurcequ’onveutpuisdetoutmettreenœuvrepourl’obtenir.Si

tucroisquetupeuxabandonneràlapremièreanicroche…—Jen’abandonneriendutout!Sij’étaisàlaplacedesonpère,jem’écraseraisvitefait,maisilfautcroirequ’ilssontvraimentdela

mêmetrempe,touslesdeux.—Ah, oui ? gronde-t-il.Comment tu appelles ça, toi ?Le plus dur est derrière nous, on est àmi-

cheminduprocès,maistoi,tudécidesque,finalement,non?Onadequoil’épingler,cepetitpervers.Sile verdict joue en notre faveur, on peut obtenir des dommages et intérêts ponctionnés à vie sur sesrevenus.Çaveutdirequ’ilnepourraplusjamaisfaireunpassansquecettehistoirereviennelehanter.Onvaluifairepayer!Çafaitaumoinsuneminutequejelavelamêmeassiette.L’eaucouledansl’évier,lavapeurmonte,et

ilrègneunetensionàcouperaucouteau.

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Carolinelatranched’unequestion.—Etsijen’aipasenviedelefairepayer?Sonpèrereposel’assiettequ’ilessuyaitetappuieunehanchecontreleplandetravail.—Pourquoitun’enauraisplusenvie?—Parcequ’iln’yaaucunejusticelà-dedans,explique-t-elle.L’imagedelabalance,dansnotrecas,

elleesttrompeuse.IladiffusémoncorpsnusurInternet;ilalancéunemeutedetordusàmestrousses;ilafaitdemavieuncauchemar…—Unenfer,intervientsonpère.—…alorslasolution,ceseraitdemedire:«Maintenantc’estàmontourdeluipourrirlavie»?

C’estçaquetuproposes?Jen’appellepasçadelajustice,moi.J’appelleçadelavengeance.—Tunecomprendspastouteslesficellesdusystème.—Jecomprendstrèsbien,papa.C’esttoiquim’asapprisàcomprendretoutça.Lesystèmedonttu

parles, il est faussé. Jen’aipasbesoinqueNatemeversede l’argent jusqu’à la findeses jours. J’aibesoinquecequ’ilm’afaitnesoitplustoléré.Jeveuxquecesoitpuniparlaloi.Jeveuxquel’ensembledesloischangepourempêcherdesconnardsdemettreenlignedesphotosquineleurappartiennentpas,etpourquelessitesquihébergentcegenred’horreursnepuissentplusseplanquerderrièreleCopyrightAct.Jeveuxfaireévoluerlesmentalités.Jeneveuxplusmefairetraiterdesalopeparcequej’aicouchéavecmoncopainetqu’ilaprisdesphotos.Jeveuxfairetoutmonpossiblepourquepluspersonnen’aitàsubircegenred’épreuve–queFrankieetdesfillesdesonâgen’aientjamaisàconnaîtreça–,orcen’estpas en engloutissant des fortunes dans ce procès et en se cachant derrière JaneDoe qu’on risque dechangerquoiquecesoit.Alorsnevienspasmeparlerdejusticesitun’espasprêtàréellementparlerdejustice, parce qu’il existe plein d’associations à qui tu pourrais verser ton argent au lieu de payer unavocat. Je suis sûre qu’elles feraient beaucoup plus avancer la justice que ce procès auquel, de toutefaçon,j’ailedroitderenoncersanstedemandertonavis,jetesignale!Lesilencequis’ensuitrésonnedanslamaison.LemondeentiersetaittandisquelesparolesdeCarolineretentissent.Voilàcequec’estdesavoircequ’onveutetdefoncer,pensé-je.Voilàcequec’estdes’épanouir.Ce n’est pas la première fois que j’entends Caroline s’exprimer avec cette fougue, et j’en reste

invariablementémuetdésarmé.Jesuistellementimpressionné!Sonpèresetait.J’étudiesonvisagepourvoirs’iléprouvedelafierté,luiaussi.Cequ’ilfaitalorsmeprendcomplètementparsurprise.Ils’assiedàlatabledelacuisineetréfléchit.

Jelevoisàsafaçondefroncerlessourcilsetdelaissersonregardseperdreauloin,commeCaroline.Lecafépasseengargouillant.Carolinesaisitletorchond’ungesterageuretentreprenddesécherles

assiettespropresdélaisséesparsonpère.Jemeremetsdoncàlatâcheetterminedetoutlaver.Uninstantplustard,Carolinerangelavaisselle.Jem’adosseauplandetravail,lesbrascroisés,ettentedecomprendrecequiestentraindesejouer.Làd’oùjeviens,leshommesnesontbonsqu’àdeuxchoses.Onapprendàsebattreetonapprendà

baiser.Iln’yapasgrand-chosed’autreàfaire–pasdemétiersdignesdecenom,pasd’issueàmoinsdepartirloin,etencore.Rienn’estjamaisgaranti.J’aieulachancedetrouverEvanetRitaTomlinson.Ilsm’ontpermisdemetirerdeSiltmaisn’ontpas

suffiàm’apprendrecommentvivremieux.Je suisen traind’assisteràquelquechosed’entièrementnouveaupourmoi.Carolineet sonpère se

disputent,maisellenerisquerien.Cettemaisonoùelle apassé sonenfanceestun templeàmesyeux, et cen’estpasunequestionde

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confortmatériel.C’estparcequ’ilyadel’amourdansl’air,unbonrepassurla table,descadeauxdeNoëlpourdesquasi-inconnusetdessablésfaitsmaisonpourmasœur.Ilspeuventsedisputersansriensalirdetoutça.Ilspeuventsedisputersansmettreleuramourendanger.Ilsonthausséleton,commemoifaceàFrankie.Ilssesonténervés.PuislepèredeCarolines’estassis

àlatabledelacuisinepourréfléchirensilenceàcequesafilleluiadit.D’ailleurs,ilyréfléchitencore.Demoncôté,jemedisqueCarolinearaison.Elleesttropintelligentepournepassavoircequ’elle

fait.Siellem’aamenéicietqu’elles’estdisputéeavecsonpèreenmaprésence,c’estsûrementparcequ’ellevoulaitmemontrerquelquechosed’important.Elleestentraindememontrercommentons’yprend.Cen’estpasimpossible.Ilfautsimplementquej’apprenne.Çatombebien,j’apprendsvite,mêmesijenesuispasdouépourlereste.Soudain,sansprévenir,lepèredeCarolinemedemande:—Qu’est-cequevousenpensez,vous?—Dequoi?—DeNate.— J’aimerais qu’il écope d’une bonne correctionmais, franchement, à part la peine demort, je ne

trouveriend’assezdur.Enmêmetempsjemedisque,mêmeavantcettehistoiredephotos,ilavaiteulabêtisedelaisserfilerCarolineetque,ça,ilvaleregrettertoutesavie.Carolinemejetteunregardsceptique.—Quoi?C’estvrai!Ilt’avaitàsescôtésetilt’aperdue.Çaresterasûrementlaplusgrossebourde

desavie.Un jour tuserasà laMaison-Blanche,et lui, je levoisbienvégéterdansunbarminableetraconter à sa bande de potes : « C’était ma copine, à la fac,mais j’ai fait la connerie de la laisserpartir.»Pardon,conclus-jeenlançantunregardaupèredeCaroline.—Pardonpourquoi?demande-t-il.—Parcequ’iladitungrosmot,expliqueCaroline.—Ah,dit-ilavecungesteévasif.LaMaison-Blanche?Elles’empourprejoliment.—Westn’étaitpascenséenparler.—Pourquoipas?—Parcequec’est…J’entendsdéjàlesmotsqu’elles’apprêteàarticuler.«Impossible.Stupide.Irréaliste.»«Tropdurpourmoi.»C’estlàquejecomprends–enfin!Jecomprendscombienilestfaciledesemettredesbâtonsdansles

roues.Onatoujourstendance,faceàquelquechosededifficile,às’imaginerquec’estinsurmontable.Quandjepenseaugenredeviequejeveuxoffriràmasœur–cequejeveuxqu’elledevienne,ceque

jeveuxqu’elledécouvreetcomprennepourapprendreàévoluer,às’épanouir–,jemedisqu’iln’yapasmeilleurexempleque la femmeque j’aimeen trainderappeleràson jugedepèrecequec’estque lajustice.Carolinesaitcequ’elleveutetsedonnelesmoyensdel’obtenir.Ilfautquej’apprenneàfairelamêmechose,etFrankieaussi.C’estlaseulefaçondevivrepleinement.Tâcherd’allerplusloin,devivreplusfort.Ilfautsefaireàl’idéequelavieneserapastoujoursfacileetquel’onn’obtientriendevalablesans

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effort,maisilnefautpasnonplussecompliquerlatâche.Alors,jevaisprendreCarolinedansmesbrasetjeplongemonregarddanssesgrandsyeuxbruns.—Non,Caro.Jenesaispascequetuallaisdiremaisjesuissûrquecen’estpasvrai.Etpuis,même

s’il apparaît que tu avais raison,même si, au final, tu n’arrives pas jusque-là… eh bien, on verra entempsvoulu.N’écrispaslafindel’histoireavantqu’elleaitcommencé.Ellesourit,cequidévoilesesdentsdubonheur.—Çamerappellequelquechose,ça.—C’estunefemmeremarquablequimel’aditunjour.Ellesedressesurlapointedespiedsetm’embrasse–unbaiserchastemaischargéd’émotion.Sonpèreseraclelagorge.Carolineromptnotrebaisermaisgardelesbrasautourdemoncou,etjenemereculepas.Ilvabienfalloirqu’ils’yfasse.—Bon,lesenfants.Ilsefrottelevisagedesdeuxmains.Jel’aidéjàvufaireça,lejouroùilestvenumeparlerauposte

depolicedePutnam.Cettefois-là,déjà,ilavaitcédéfaceàlavolontédeCaroline.—Onvadevoirrédigerunrèglementàl’amiableenbéton,s’assurerquetuobtienneslecopyrightsur

toutescesphotos,avecuneclausedeconfidentialitéet…Jepensequ’onpeutsepasserdesesaveux.Ilsigneratoutcequ’onluidemandes’iln’apasàsedéclarercoupable.—Detoutefaçon,toutlemondesaitqu’ilestcoupable,ditCaroline.Enfin,touslesgensquicomptent.Ellemeregardedroitdanslesyeux.J’entends la porte d’entrée qui s’ouvre, des bruits de pas qui s’approchent, Frankie qui parle avec

animation.Elleal’aircontente,etjemerendscomptequec’estgrâceàmoi.C’estgrâceàmoiqu’elleaunvraiNoël,cettefamille,Caroline.Touslesgensquicomptentpourmoisontici,autourdemoi.S’ilfautquejemebattepourquemasœurresteàmescôtés,alorsjemebattrai.Tarddanslanuit,jemeréveilleenentendantleshurlementsdeFrankie.Toujourslesmêmescris:«Papa!»,puis«Bo!»et«Non,nefaispasça!»JemelèveetreplacelacouettesurCaroline.Puisjetraverselecouloiretmetienssurleseuil.—Frankie.Frankie.Toutvabien,mapuce.Illuifautpresqueuneminutepourcesserdesedébattre.Alorsjel’entendsrenifleretchercheràtâtons

laboîtedemouchoirsenpapierqu’onlaissetoujoursaupieddesonlit.J’enattrapeunetm’assiedsàcôtéd’ellepourleluidonner.Jeluicaressedoucementledos.—Toutvabien,machérie.Tuesensécuritéavecnous.Jesuislà.Ellesecalmepeuàpeu.Jepassemesdoigtsdanssescheveux.—Raconte-moicequis’estpassé.C’estlapremièrefoisquejeluidemandeça.Peut-êtrequejenevoulaispasvraimentsavoir.Peut-êtrequej’avaispeurdecequej’allaisentendre.Frankieprenduneprofondeinspiration.—J’étaisalléedormirchezunecopine.—Chezquellecopine?

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—ChezKeisha.—Oùest-cequ’ellehabite,Keisha?—ÀCoos.—Commenttuasfaitpourrentreràlamaison,lelendemain?Ellenerépondpas.—Nememenspas,Frankie.Ellesetait.Jeregrettelapipelettequines’arrêtaitjamais.MaFrankied’avant,quicouraitàmarencontredèsque

jepassaisuneporte,quimeréclamaittoujoursquejelaprennesurmondosetquiaccaparaitgoulûmentchaqueminuted’attentionquejepouvaisluiaccorder.J’aiperducettepetitefilleenvenantici.Maintenant j’ai cettenouvelleFrankie, chianteet insolente,qui semblem’éviteretqui refusedeme

direcequ’elleasurlecœur.Jeveuxretrouvermapetitesœur,etleseulmoyenquej’entrevois,c’estdeplongertêtebaisséedans

cettemared’embrouilles.Cette histoire qu’elle neveut pasme confier, les changements qui s’opèrentdanssavie,pluscettevéritéqu’elleredoutederegarderenface:onneretourneraplusjamaisàSilt.Onestdesréfugiés,elleetmoi.—Dis-moicequis’estvraimentpassé.—Jedormais.Etvoilà,toutsimplement.—Papaétaitparti,çafaisaitdéjàdeuxoutroisjours.Bodevaitêtreaucourantparcequ’ilnevenait

jamaisd’habitudemais,là,ilestpassé.Cequim’aréveillée,c’estquandmamanestalléeluiouvrir.Jelesaientendusparler.Ellel’afaitentrer.Frankieseredressebrusquementets’assiedentailleur,ungenouposésurmacuisse.—Ilsnefaisaientrien,West.Ilsdiscutaient,c’esttout,maispapaestrentré,et…Jecroisqu’ilavait

prisquelquechose.—Tuasuneidéedecequec’était?—Non,maisilétaitpresquetoutletempsbourréoudéfoncé.—Merde!C’estplusuneprièrequ’unjuron,avecplusieursmoisderetard.Empêche-ledeluifairedumal.Assure-toiqu’ilneluiarriverien.—Ilparlaittropvite.Ilétaitsuperénervé,etilssehurlaienttousdessus.Jecroisquepapaafrappé

maman, parce qu’elle a crié comme si elle était surprise, puis Bo a dit quelque chose, et ils ontcommencéà sebattre. Jemesuiscachéesousmescouvertures. Ilsn’arrêtaientpasdesecogneretdecasserdestrucs,etpuis…etpuisilsn’ontplusfaitdebruit, toutd’uncoup.Mamanahurlé:«Wyatt,non!»Çamedonnelachairdepouledel’entendrerapportercesparolestiréesdesoncauchemar.—C’estlàquejesuisalléevoir.J’ai les mains crispées sur les genoux. Je veux la protéger de ce qu’elle est sur le point de voir,

l’empêcherd’yaller,mêmesijesaisquetoutçaadéjàeulieu.N’yvapas,Frankie.Restedanstachambre!—Boétaitparterre.Ils’estessuyélabouche;ilavaitdusangpartout.Papaavait…Ellefrissonneetseserrecontremoi.Jepasseunbrasautourd’elle.Quandellereprendsonrécit,c’est

d’unepetitevoixforcée.—Papaavaitunpistolet.Ilvisaitmaman,enpleindanslatête.

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Jel’attiresurmesgenoux.Ellemetlesbrasautourdemoncouetposelatêtesurmonépaule.Çamerappelletellementlebébéquej’aisisouventbercé,cepetitpoidstoutchaudquejepromenaisetcâlinaisjusqu’àcequ’ils’endorme,puisquejedéposaisbienaucentredulitdemamèreavantdesortirsurlapointedespieds, frissonnantd’avoirperdumapetitebouillotte.Ses lèvresentrouvertes,vulnérablesàmilledangers.—Tuenasparléàquelqu’un?Ellehochelatête.—ÀStephanieetàCaroline,maisjeneleuraipastoutraconté.Jelaserrecontremoi.—JesuiscontentquetutesoisconfiéeàCaroline.Tupeuxluidiretoutcequetuveux,tusais.Mais

maintenantjeveuxquetumeracontesàmoi.Auboutd’unelongueminute,ellereprend:—Mamanaessayédemerenvoyerdansmachambre,maispapaadit :«Non, reste. Il fautque tu

voiesça.Ilfautquetuvoiescequiarriveaux…»Elles’interrompt.—Toutvabien,mapuce.Concentre-toisurl’essentiel,d’accord?—J’avaispeur!J’auraisvouluêtrecourageuse,commetoi,maisj’avaistroppeur.Jenesavaispas

quoifaire.Jeluiaiditdeposerlepistolet.Ill’apointésurmoi.«Nemeparlepassurceton,Francine.»Mamanpleurait.Bos’est relevémais jene faisaispasbienattention,àcausedupistolet. Je regardaispapa.Etpuis,il…Ellerefouleungrossanglot.—Ilyaeuungrosbruit,superfort,etpuisdurougepartout,partout.Jen’aipascompriscequise

passait,jusqu’àcequeBocommenceàs’excuser.JenesavaismêmepasqueBoavaitunearme.Ilatuépapa.C’estmafaute,parcequesijen’étaispassortie,papanem’auraitpasvisée,etBonel’auraitpastué,etmaman…Ellefondenlarmes.C’esthorrible.C’estletrucleplusatrocedumonde.Monbébé.MaFrankie.—QuandBoa tiré, elle s’est jetée surpapaetelle luiagrimpédessus,commesiellevoulait tout

remettreàsaplaceavecsesmains.Je…—Frankie.Jesuisincapabled’enentendredavantage.Jemebalanced’avantenarrièreengardantlatêtedema

sœurblottiecontremonépauleetenespérantqu’ellesetaise,parcequec’estunechosed’êtreaucourantdecequis’estpassémaisc’enestuneautredevraimentsavoir.Savoirquetonpère,bourréoudéfoncé,apointéunflinguesurlatêtedetapetitesœuretauraitpula

tuer.Savoirquetamèren’apastentédelasauveretnes’estmêmepaspréoccupéed’elleaprèscoup.Ladouleurdesavoirtoutçaesttellementimmensequ’ellenetrouvepasd’échappatoire,ellefaitdes

ricochetsdansmoncœurenhurlant.—Jen’aipasfaitcequ’ilfallait,sanglote-t-elle.—Non,machérie,cen’estpasvrai.—J’auraisdûappelerlapolice,maisjen’yaipaspensé.J’aiessayéd’imaginercequetum’auraisdit

defairemaisjen’arrivaispasàréfléchir,ettun’étaispaslà,West.Jen’étaispaslà.Jenepeuxrienychanger.Jevoulaisêtrelàpourelle,j’aifaittoutcequejepouvais,

maisaumomentoùelleavaitbesoindemoi,jen’étaispaslà.—Tuasbienfait,mapuce.Tuasététrèscourageuse.Tuastrèsbienfait.C’estdébiledeluidireça,etjenevoispasenquoiçaval’aider,maisenmêmetemps,qu’est-cequi

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pourraitl’aider?Jenepeuxpasréparerunchocpareil.Jelabercedoucement,sècheseslarmesetluimurmuredesriensapaisantsjusqu’àcequ’ellesecalme.Dehorsilneige.Dansl’obscuritésilencieuse,jemerappellemespiresmoments.Lejouroùmonpèreaécrasémonchatonavecsavoiture,estsortiregardercepetitcorpsinaniméet,

delapointedesabotte,l’aenvoyévalsersouslemobil-homevoisin.Lejouroùjeluiaitenutêteetoùilm’aétaléd’unpoingparesseuxavantdemedonnerungrandcoup

depieddansleventre.Aprèsçaj’aichiédusangpendantaumoinsunesemaine.Lesoiroùlesflicssontvenusmechercheràlaboulangeriealorsquejevenaisd’apprendrequema

mères’étaitremiseaveclui.Lejouroùj’aidûquitterCarolineàl’aéroportdeDesMoines.L’espècedevidetemporelquiasuivil’enterrement,quandj’essayaisdecramermaviepourneplus

avoirbesoindepensernideressentir,parcequej’enavaisassez.J’enavaismarre.Le piremoment de Frankie est encoremille fois plus horrible que lesmiens, et je ne peux rien y

changer.Toutcequejepeuxfaire,c’estça.—Cen’estpastafaute.Jemurmuredanssescheveux,derrièresonoreille.Satêteesttouterondeettoutedoucesousmamain,

soncorpssifrêle,recroquevillécontremoicommecepauvrechatontoutchaudet innocentquejen’aigardéquequelquesheures.—Tun’asrienfaitdemal,Frankie.C’esteux.C’estleurfauteàeux.Ellesecachecontremontorseenagrippantmontee-shirt.—JeneveuxpasretournerchezBo.—Tun’espasobligéed’yretourner.Tupeuxresteravecmoi.—MamanditquetuveuxêtretoutseulavecCaroline.—Jeveuxqueturestesavecmoi.D’accord?Tuesmapetitefille.Elleneditrien.— Je t’aime, Frankie. Je t’aime depuis que tu es née, et ça ne changera jamais. Le fait que j’aime

Carolineaussinet’enlèverien,àtoi.Çasignifiejustequejeveuxvivreavecvousdeux–touteslesdeux.Tucomprends?Jelasenshocherlatête.—DepuisNoël jepensaisquetuvoulaisretourneràSiltetquej’allaisdevoir t’endissuader.Jene

veux pasme battre avecmamanmais, si jamais elle essaie de te forcer à y retourner, jeme battrai,Frankie,parcequ’onestmieuxici.Onestloindelaperfection,jesaisbien,maisjecroisqu’onpeuts’enrapprochersionfaitdesefforts.Enrevanche,situesmalheureuse,ilfautquetum’enparlespourquejepuisset’aider.Ilfautquetumedisescequinevapas.Jenepeuxpasliredanstespensées.—Desfoisj’ail’impressionquesi.—Ça,c’estparcequ’onestsuperfutés,danslafamilleLeavitt.Elleseredresseunpeuetposelatempecontremonépaule.—C’estdifférent,ici.—Qu’est-cequiestdifférent,mapuce?—Tout.—C’estdifférentenbienouenmal?—Unpeudesdeux.Sescheveuxsententleshampoingàlacerise.—C’estvrai.Pourmoiaussi,tusais.Tucroisquetufiniraspart’yfaire?

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—Probablement.Onsetaituninstant.Elles’estdétendueetpèsepluslourddansmesbras.—Jet’aime,West.C’esttellementbond’entendreça!C’estfortetsolide ;c’estunebasesur laquelleonvapouvoirconstruireetc’estd’autantplusdoux

qu’ellenemel’avaitpasditdepuisdesmois.Pendantdelonguesminutesjeserremapetitesœurcontremoi.—Est-cequetuasréfléchiàcequejet’aidemandéunjour?Tusais…situpouvaisfairecequetu

veux,êtrequituveux…qu’est-cequetuvoudrais?—Non,pasvraiment.Jedéposeunbaiserdanssescheveuxàlacerise.—Commenceàypenser.Lecolisdemagrand-mèrearriveaucoursdelapremièresemainedejanvier.Audébut,jemedisqu’il

aétéretardéparlesintempériespuisjevoisquelecachetdelapostedatedu29décembre.IlcontientunjeudebackgammonemballédansdupapiercadeaupourFrankie,unenouvellecouverture

encrochetassezgrandepourrecouvrir tout ledosducanapé,etuneenveloppeàmonnomquisemblerenfermerunpetitobjet.Jelaglissedansmapoche.Plustard,unefoisqueFrankieestrepartiedanssachambreensautillantet

alorsqueCarolinediscuteavecPauldanssoncasque,j’enfilemesbottesetsorssurlepalierpourlirelalettre.Jeretiensmonsouffle.

MoncherWest,Michellem’amontrél’albumphotoquetuluiasenvoyé.Vousavezl’airenforme,tasœurettoi.Je tenaisà tedonnermamédailledescinqansdesAlcooliquesanonymes.Dansunmoisj’aurai droit à celle demesdix ans. Je sais bienque çane te serviraà rien,mais c’estquelquechosedontjesuisfière–commetoi.J’aimeraisavoirplusàt’offrir.Jen’aijamaissucommentm’yprendrepourarrangerleschosesavectoi.TononcleJackneparleplusdecettehistoiredeprocès.Stephaniem’aditqu’ilsavaientreçuun courrierde l’avocat les informantqu’il laissait tomber l’affaire, donc j’imaginequec’estterminé,toutça.Écris-moiàl’occasionpourmedonnerdesnouvelles.Jeteprometsdegarderunœilsurtamère.

Jet’embrasse,Joan.

Ellemefaitchialer,salettre.Jenesaismêmepaspourquoi.C’estpeut-êtreàcausedecesvéritéstellementévidentesqu’ellenelesamêmepasmentionnées.Jeneretourneraijamaischezmoi.Çan’ajamaisétéchezmoidetoutefaçon.Mamèreestuneenfant,mafamilleestunniddevipères,jenepeuxcompterquesurmoi-même.Joanmesouhaited’êtreheureux.

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Auboutd’uneminute,jesèchemeslarmes.Jelèvelevisageverslecieletinspireprofondément.C’estunebellejournéeclairecommeonn’envoitpassouventenhiverdansl’Iowa,oùilgèlesifort

queçafaitmalderespirer,maisoùlesoleilbrilledansuncielbleupâleetlointain.Laneigescintille.Lemondeestourlédecristal.Jesorsmontéléphonedemapocheetappellemamère.Elledécrocheauboutdedeuxsonneries.On parle de tout et de rien pendant quelques minutes. Le vent se lève et envoie tourbillonner la

poudreuseàtraversleschamps.J’écoutemamèreetdiscequ’ilfautquandilfautenattendantlemomentopportun.—JeveuxlagardeofficielleetpermanentedeFrankie.Le soleil se cache derrière un nuage. Ma mère proteste et ronchonne, mais je ne me laisse pas

émouvoir.Jelaisseleventmepasserdessus.Jenesuispassurprisquandmamèrefinitpardemander:—Tum’autoriserasquandmêmeàlavoir?—Évidemment.Jetepaieraiunbilletd’avionpourquetuviennessignerlespapiers.Tupourrasrester

unpeusituveux.—Ceseraitchouette.Puisellesetait,etmoiaussi.Onacompriscequeçasignifiait.—Jet’aime,West.—Moiaussi,jet’aime,dis-je.Parcequec’estvrai,etparcequec’estgentil.Et,surtout,parcequec’estfini.Quelquesjoursplustard,jemerendssurlecampus,aubâtimentdesarts.JeveuxparleràRikki,lui

demandersiellepourraitaiderFrankieavecsonart-thérapie.Jen’aiaucuneidéedecequeçapeutcoûteretjenesaismêmepassiçaferaitdubienàmasœur,mais

Carolinem’afaitremarquerqu’elle-mêmeavaitbeaucoupappréciédepouvoirparleràunpsychologueaprèssonhistoireavecNateetquejen’avaisaucuneraisond’êtreaussiméfiant.Elle a raison. J’essaie de garder l’esprit ouvert. Frankie continue de faire des cauchemars ; elle a

encore beaucoup de chemin à parcourir et, comme l’a dit Caroline, ça ne peut pas lui faire de mal.Frankieaurasimplementl’impressiondeprendredescoursdedessinavecRikki,cequiarrivedéjàplusoumoinschaquefoisqueFrankievavoirlesCollinsaveclecarnetquejeluiaioffertàNoël.Le bureau de Rikki est vide, je me rends donc à l’atelier. Je la trouve en compagnie de Raffe et

d’Annie – le type avec la super tignasse qui était en cours avecmoi au semestre dernier, et la petiteblondequitraînetoujoursaveclui.Depuisque j’ai cesséde fumer etqu’il s’estmis àneiger, jene les ai presquepasvus.Çame fait

bizarredelescroisericipendantlesvacances.Jemedemandecommentçasepassedansleursfamillesrespectivespourqu’ilssoientsurlecampus,à

l’atelier,quelquesjoursaprèsNoël.Ilssontpenchéssurunetableoùsontposéesdesformesencéramiqueblanchequiressemblentàdes

bacs à glaçons.Armée d’une cuillère,Rikki tapote l’un des petits cubes, où je distingue une sorte desableblancétincelant.—Le truc, c’estde fairebienattentionànepas laisser tropd’airdedans, explique-t-elle.Sinonça

formedesbulles,etlafrittenefondpasdefaçonhomogène.Raffelèvelesyeuxàmonapproche.—Tiens,salut,Leavitt.

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—Salut,Raffe.Annieme salued’unbattementde cils, commed’habitude. Jen’ai jamais réussi à lui arracher trois

mots.J’aieul’occasiondediscuteravecRaffeencours,maisc’étaitlegenredeconversationpoliequinemènenullepart.«Tuasfinideteservirdeça?—Oui,vas-y,prends-le.—Cool,merci.»—Vousêtesrestésicipendantlesvacances?—Oui,onfaitunprojetindépendantavecRikkientrelesdeuxsemestres.—C’estquoi,leprojet?—Onapprendàcoulerduverrefritté,répond-ilenremuantlesdoigtscommeunmagicien.C’estgrâceàl’influencedeRikkiqueLauries’estmisàtravaillerleverre.Avantilsecontentaitde

ses gigantesques structures métalliques mais, maintenant, il veut aussi des marteaux en verre géants.D’ailleursilneplaisantaitpasquandildisaitquelalogistiqueétaitunevraiesaloperie.Cen’estdéjàpassimplede faireunmodèlede taille réelle,maisenmultipliant l’échelleparmille,c’estuncauchemar.Déjà, où est-ce que tu vas dégotter une quantité pareille de verre ? Comment tu te débrouilles pourfabriquerlemoulequivabien?Etpuis,surtout,oùest-cequetuvastrouverunfourassezgrandpourfairecuireunmarteaudelatailled’unevoiture?C’estprécisémentpourréfléchiràcegenredeproblèmesqu’ilmepaie,etj’adoreça.C’estletravail

leplusgénialquejeconnaisse.—Tuavaisbesoindequelquechose?medemandeRikki.Tirédemarêverie,jemerendscomptequejesuisplantélà,àregarderdespetitsbacspleinsdeverre

fritté.—Oui.Enfin,non.Çapeutattendre.Jevoulaisvousparler,maisvousêtesoccupée.—Jepeuxbient’accorderuneminute.C’estpourFrankie?Jen’osepasdirelavérité.—Non,c’étaitpourlescours.—Tut’esinscritaucoursdedesign3DavecLaurie,pourcesemestre?lanceRaffe.—Non.—Ah,bon?Pourquoi?Jehausselesépaules.—Parceque.Rikkimejetteuncoupd’œil.—Àquoiest-cequetut’esinscrit?—Biologie,chimieorganique,unséminaired’économieetuncoursdestatistiquesavancées.—Cesontdessciences,toutça.—Oui,enfin,l’économie,c’estunesciencesociale.—Pourquoitantdesciences?—Parcequec’estpratique.Rikkis’esclaffe.—Tuasdéjàl’espritpratique.Cen’estpasçaqu’iltefaut;c’estdel’art.C’estsarengaine,àRikki.Jedoisfairedelaplacepourl’artdansmavie.Jedoisapprendreàjouer.

Jedoism’autoriseràoccuperdavantagedeplacedanslemonde.Tout ça, je l’ai entendu tellement souvent que je pensais que ça cesserait deme toucher,mais non.

C’estcommesiRikkigrattaitquelquechosedesensibleenmoi.Çam’agacebeaucoup,etjecroisbien

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qu’ellelesait,enplus.Jecroismêmequ’ellelefaitexprès.Letruc,c’estquej’aibeaucoupaimésescours.Cen’étaitpasévidentmaisc’étaitchouette.J’aimeaussibeaucouptravaillerpourLaurie.Même l’histoire russe, lecours sur lamusiquedans la littératureafro-américaineet l’introductionà

l’espagnol,çam’abeaucoupplu,maisquandj’aidûchoisirmesoptionspourlesemestrej’aiprislabio,lachimie,l’écoetlesmaths,parcequejesuisicigrâceàuneboursequicoûte50000dollarsparanetquejenevoispascequejepourraisfairedanslavieavecundiplômed’art.Rien,sansdoute.Jenepeuxpasgaspillertoutcetargent.Rikkime regarde.Elle s’est fait des couettes et porte un gilet sansmanches en fourrure bleue par-

dessusunetuniqueencuirnoir.Lerésultatdevraitêtreridicule,pourtant,surelle,ceslooksunpeubarréssemblentparfaitementnaturels.Àlavoir,onpourraitcroirequelaviequ’ellemèneestaccessibleàquiveut–etqu’ildevraitenêtre

ainsipourtoutlemonde.Jemepasseunemainsurlagorge.J’aitropchaud.—Qu’est-cequevousfabriquez,précisément?Raffesourit.—Pourlemomentonfaitsimplementdescarreaux,pouravoirdeséchantillons.Annie,oùestpasséle

bouquin?Annieluitendunlivre,etilmemontredespagesentièresdepetitscarrésdecouleurschatoyantes.Je

posequelquesquestions,obtiensdesréponses,enposedoncquelquesautres,etonseretrouveàdiscuterdelatechniquequ’ilsutilisent,desproblèmesqu’ilsrencontrentetdecequ’ilspourraientfairepourlesrégler.Avantdecomprendrecequim’arrive,j’aiunecuillèreàlamainetjetasseduverrefrittédanslebac

dontRikkiseservait.C’estuntravailméticuleux,quiexigeunegrandeconcentration.Ilfautpesertousles composants, les ajouter à la base par centigrammes etmilligrammes. Chaque carreau contient dixgrammes.«Tap,tap,tap.»—Tuvois,ça,c’estlegenred’artquej’aimebien,dis-je.—Pourquoi?interrogeRaffe.—Parcequec’estdelatechniqueetquelatechnique,c’estquelquechosequejecomprends.J’aime

bienavoirl’impressionderésoudreunproblème,commequandLaurieabesoindequelquechoseetqu’ilfautquejetrouveunmoyend’arriveràunrésultatdonnémais,pourça,jedoisprévoirtoutuntasdetrucsetfairebeaucoupdecalculsavantqueçamarche.—TutravaillesavecLaurie?medemandeRaffe.—Oui,jesuissonassistant.—Tropbien!—Ouais,c’estgénial.Cequiseraitparfait,ceseraitdepouvoirfaireçaàtempspleinetsurlelong

terme,d’êtrel’assistantdequelqu’uncommeLaurie.—Tun’aspasenviedefabriquertespropresœuvres?intervientAnnie.Penchéesursonpetitentonnoirenmétal,elleajoutedupigmentrougeàunpetitrécipientposésurla

balance.Jesuissurlepointdedire«jenesuispasassezcréatif»,maisjemereprends.Cesdernierstempsj’essaiederemarquerquandjemecompliquelavieinutilement.J’essaie de remarquer quand j’ai envie de quelque chose et que, au lieu de foncer, jememets des

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bâtonsdanslesroues.Cequejeremarqueencetinstant,c’estquej’étaisparfaitementàl’aiseilyaquelquesminutesmais

que,maintenant,jetranspireetjemesens…Jenesaispas.Jemefaisl’effetd’unsalecachottier,commesij’étaisentraindematerunpornopendantqueCarolineestdanslachambre–chosequejeneferaisjamais,maisc’estlemêmegenredehontefurtive,commesij’allaismefairesurprendreenflagrantdélit.Commes’ilm’étaitdéfendudeparlerd’art.Quandjemedécideàprendrelaparole,c’estpourdemander:—Commentvousfaitespoursavoir?Commentvous…vousarrivezàconvaincrelesgensquec’est

parfaitementlégitimedefaireça?Raffeéclatederire.—Genre,lesparents?—Non,paslesparents.Soi-même.C’estçaquejeveuxsavoir.Commentmeconvaincrequej’ailedroitd’étudierl’art?Commentmesortirdemonornière?Jereposemacuillère.—Parexemple,pourchoisirvoscours.Vousavezunedominante,n’importelaquelle…—Moi,c’estl’art,ditRaffe.—Moiaussi,renchéritAnnie.—OK,maisadmettonsquecesoitautrechoseetquevousdeviezsuivredescoursdebiopendantun

semestreoudeux.Ilvousfautencorechoisirtoutesvosoptions.Commentvousdécidezquoiprendre?—Jeregardecequial’airintéressant,répondRaffesanshésiter.—Oui, ou si j’ai entendudire qu’un cours valait vraiment la peine, ajouteAnnie.Le séminaire du

professeurGatessurleslittératuresdegenre.—D’accord.Moi,enrevanche,jepenseaumétierquejepourraifaireaprès.J’essaiedechoisirce

qui vame permettre de décrocher un boulot qui paie bien, ce qui vame donner l’impression d’avoirrentabilisémesétudes.—Alors,commentçasefaitquetuaieschoisicetatelier?demandeRaffe.—Unpeuparhasard.—Lehasardaplutôtbienfaitleschoses,jetrouve.—Jenesaispas.J’aieuunB-pourlesemestre.—Rikkinotesec.Je tourne la tête, parce qu’il parle de Rikki comme si elle n’était pas là, et je me rends compte

qu’effectivement,elles’estéclipsée.Jen’aimêmepasremarqué.—Tutesouviensduprojetoùondevaitfaireunenaturemorte?Mapommesemblaittoutdroitsortie

d’un livre pour enfants. Lemec à côté demoi, il avait tout le temps l’air complètement à côté de laplaque.Letype,ilpasselesemestresurunnuageetpuis,unjour,ilsortdesbleus,desnoirs,desviolets,des jaunes et des roses, et il nouspeint unepomme. Il n’y avaitmêmepasde rouge sur sapalette, etpourtant,quandilaterminé,c’étaitparfait.—Ah,tuparlesdeKyle?ditRaffe.—Jenesaispas.Ilressembleàquoi,Kyle?—UntypetoutsecquidemandaittoujoursàRikkidetoutrépéter?—Oui,c’estlui.—Ilestsuperdouéaveclescouleurs,lui.—Exactement.Kyle est créatif, alors il devrait faire de l’art.Moi, en revanche… Je ne veux pas

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passermontempsàm’amuseretàgaspillermaboursesiçanem’apporterienaufinal.—Çat’adéjàaidéàdécrocherunjob,faitremarquerAnnie.—Oui,maisc’étaitunhasard.— Il y a beaucoup de hasards, dans ton histoire, observe-t-elle d’une voix douce. Tu veux savoir

commentjemesuisretrouvéeàétudierl’art?—Comment?—J’aiprisl’optionaulycée,pourvoir,etj’aicommencéàdessiner,àpeindre,àsculpter.Quandla

clochesonnait,jen’avaisjamaisenviedepartir.— Idem, intervientRaffe.Saufquemoi, c’était ici.Monpremier semestre, je l’ai passé à l’atelier.

J’oubliaisdemanger,j’oubliaisd’allerfairelafête.Toutcequicomptait,c’étaitça,ici.C’estcommeçaqu’ons’estrencontrés,touslesdeux.—Vousnevousinquiétezjamaisdecequevousallezfaireaprès?—RikkietLauries’ensortentplutôtbien,répondRaffe.—Oui,maistoutlemonden’apasforcémentlachanceetletalentdeRikkietLaurie.Qu’est-cequetu

ferassituteplantes?Raffesourit.—Mêmesijemeplante,j’auraitoujoursmondiplômedePutnam,etlapreuvequejesuiscapablede

travaillerd’arrache-piedsurcequim’intéresse.J’auraiaumoinsapprisàm’investirdanscequej’aimeet à communiquer cette passion au reste dumonde.Ce n’est pas du temps perdu. Et puis, quand bienmême,jecroisquejem’enfouspasmal.Ilrefermelecouvercled’unpetitpotetl’agitepourmélangerlespigments.—Maisd’ailleurs,mec,t’asquelâge?medemande-t-il.Vingtans?—Vingtetun.—OK,donc tuas ledroitde t’amuser,de fairedesexpériences,de toucherunpeuà tout.C’est le

privilèged’avoirvingtetunans,non?—Etpuis,riennet’obligeàn’avoirqu’unecarrière,renchéritAnnie.Tupeuxétudierl’artetdevenir

prof,puissituterendscomptequetudétestesenseigner,tupeuxbosserdansunestation-service,etsiçatesoûletupeuxterecyclerencroque-mort.Ilyapleindefaçonsdes’occuper.—Encroque-mort?—C’étaitjusteunexemple.Raffereposesonpotdeverrefrittésurlatable.—Tunevaspeut-êtrepasmecroire,Leavitt,maistuasbeaucoupdetalent,mêmesicen’estpasle

mêmequeKyle.Lui,sontruc,c’estlacouleur,maistoi,tuesprécisettuarrivesàvoirleschosessousplusieursanglesàlafois.Tuessuperfortquandils’agitderésoudredesproblèmes,notammentparcequetunelâchesjamaisl’affaire.J’aicompristoutçaalorsqu’onaseulementpasséunsemestredecoursensemble,etjenepensepasmetrompersurtoncompte.Lapreuve:Lauriet’aembauchépourtravailleraveclui.—J’avaisposémacandidature,maisiln’apasvouludemoi,intervientAnnie.—IlaaussirefuséJoshetMarvin,ajouteRaffe.Jenesavaismêmepasquetuavaispostulé.—C’estparcequejen’aipaspostulé.J’ignoraisqu’ilavaitbesoind’unassistant,jusqu’àcequ’ilme

proposeletaf.—Précisément.Tuvoiscequejeveuxdire?Jevoiscequ’ilveutdire.J’aimêmel’impressiondevoirdespossiblesquej’ignoraisjusque-là.C’estcommesi,enfaisantun

passurmagauche,j’avaisdécouvertunnouveauchemin,quin’estmêmepasseméd’embûches.

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J’aiuncarnet,àlamaison,oùj’ainotétoutessortesd’idéesdetrucsquejepourraisfaireouconstruiresi j’avais le tempset les ressourcesnécessaires.Cecarnet, jene l’aimontré àpersonne,pasmêmeàCaroline,parcequec’estterrifiantdemedétournerdupratiqueetduraisonnablepourmeconsacreràcequin’estpeut-êtrepasrentablemaisquim’enthousiasmecomplètement.Ma sœur est obsédée par ses dessins à base de quadrillages. Dès qu’elle en termine un, elle en

commenceunautre.Iln’yaqueçaquil’intéresse.Pourtantellemerépètequecen’estpasvraimentdel’art,alorsmêmequ’elleprogresseàvued’œil.Magrand-mèreadestonnesdecouverturesqu’elleatricotéeselle-même.Ellelesfaitsanssuivreun

modèle,sansregarder,etellessontsuperimpressionnantes,maissionlacomplimente,ellerétorquequec’estuniquementpoursoulagersonarthrite.Ellenefaitpasçaparcequeçaluifaitplaisirdefabriquerquelquechosedebeau.J’ignoresicequej’aienviedefaireserabeauoupas,maisj’aienvied’essayer.J’aienviedefaire

fondre du verre, de découper dumétal, et j’ai cette idée de scier un arbre en tranches fines et de lessuspendre verticalement, afin de montrer à quoi cet arbre ressemblait quand il était vivant tout enpermettantderegarderàl’intérieuretdeliresonhistoire.J’ignoresic’estdel’art.J’imaginequec’enestsij’endécideainsi–siçafaitréagiretréfléchirlesgens.Ceneseraitpeut-êtrepasdugrandart.Ceseraitpeut-êtrejusteunmecquis’amuse,maisjeviensde

trouvercequejeveux.Jeveuxm’accorderunechanced’essayer.C’est ce que je veux pour moi-même mais aussi pour Frankie. En me voyant réaliser ça, elle va

comprendrequ’ellealedroitdesuivresespropresrêves.Jecommenceàmerendrecompteque,sij’obtienscedontj’aibesoin,alorsmasœurauracedontelle

abesoinaussi.CequiestbonpourmoietpourCarolinel’estégalementpourFrankie.—OùestpasséeRikki?—Elleestretournéedanssonbureau,merépondAnnie.Jeregardel’heureetsuissurprisdevoirquejesuisrestéplusd’uneheure.J’avaisseulementprévude

m’arrêtercinqminutes.Ilfautquejem’occupedudîner.Celadit,CarolineadéjàdûpréparerquelquechosepourFrankie.—Ilfautquej’yaille.Mercidem’avoirmontrétoutça.—Tu ne veux pas restermanger avec nous ? propose Raffe. On allait justement aller se chercher

quelquechoseenville.—J’aimeraisbienmaisjenepeuxpas.—Ah.OK.ÇamefaitpenseràlafoisoùKrishnam’aattenduàlafindescourspourmeforceràveniràsafête.IlestàChicagopourlesvacances.Jemeprometsdel’appelercesoir.—Çavousdiraitdevenirchezmoi,undeces jours?Pascesoir,parceque jenesaispasceque

Carolineaprévu,maispeut-êtredemain?Ouaprès-demain?Jevouspréviens,j’aiunepetitesœurdedixans,alorssivousn’aimezpaslesenfants…Jelaissemaphraseensuspens.Jecroisquecequejem’efforcedeleurfairecomprendre,c’estquejemetraîneunsacrébagage.Je

visloinducampusavecmacopineetmasœur.Jenesaispasbiencommentonfaitpouravoirdesamis,etilm’arrived’êtreunsalegrincheuxparfois,maisj’aimeraisbiendiscuterd’artaveceux.Ilsepasseunanavantqu’ilsrépondent.Jemesensvieillir.—J’aimebienlesenfants,déclareAnnie.

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—Tuveuxqu’onapportequelquechose?demandeRaffe.Etvoilà.Cen’estpasplusdifficilequeça.

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CAROLINE

Leprintempstardetoujoursàarriverdansl’Iowa,d’habitude,maiscetteannéefutuneexception.Lesneigesdedécembrecédèrentlaplaceàunjanviergivré,clairetbleu,cristallin.

LesyeuxdeWestsouscecielétaienttoutdefeuetdeglace.Sesmainsétaientfroidessurmapeauquandillesglissaitsousmaveste.Jehurlaissouslechocmaisj’adoraisça.Lechocd’avoirWest–depouvoirlegarder.Le chocque cette vie deviennepeuàpeunormale, avec ses journéesbien remplieset ses soirées familières, et qu’elle

parviennenéanmoinsàmesurprendreetàm’émouvoir.J’aiconsacrélemoisdefévrieràécriredesarticles,àrépondreàdesinterviewstéléphoniquesetàpasseràlatélé.Jeme

suislevéeauxaurorespourallerauxQuadCities,oùonmecoiffaitetonmemaquillaitavantleflashinfodumatin.J’aivumonnomdansleDesMoinesRegister,j’aiprisplacefaceàhuitsénateursdanslasalledeconférencesd’ungrandhôtel,etpasunseuld’entreeuxn’ainsinuéquej’étaisunesalope.

Tousm’ontserrélamainàlafinetm’ontremerciéepourleservicequejerendaisauxcitoyensdel’Iowa.Enfévrier,jemesuisrenseignéesurtouteslesassociationsettouslesgroupesd’actionquisebattaientpourlamêmechose

quemoi.J’aiparléavecdesactivistesetairéfléchiauxpersonnalitésqu’onpouvaitinviterànosréunions.J’aicommencéàorganiserunavenirsansbarrièresàl’horizon.Enfévrier,Frankies’est faitunecopine,Nadine,et l’a invitéeàvenir jouerà lamaisonunefois,puisdeux,puisautantque

possible.QuinnestrentréedeFlorence,etj’aipassédutempsavecellepourvoirtoutessesphotosetl’écouterracontersesaventures

italiennes.J’aipasséplusde tempsavecBridget,aussi,et j’enaiapprisplussursa relationavecKrishna,prêteà luiprodiguerdes

conseilsdont,enfait,ellen’avaitpasbesoinpuisqueleschosessedéroulaientàmerveille.Frankieaentamélesséancesd’art-thérapie,etsescauchemarssesontunpeucalmés.Mesinsomniesaussi.Cemoisdefévrier,c’étaitWestàl’atelier,WesttravaillantauxcôtésdeLaurieoudiscutantavecRaffeetAnnie,Westquis’est

misàmeracontersesprojetsencours,cequ’ilvoulaitessayer,cequin’avaitpasmarchémaisilavaitunemeilleureidée,uneautreidée,unenouvelleidée.

J’aipriscinqkilosenfévrier.Puisestarrivémars,et ils’estmisàpleuvoir.Lemondes’estchangéenunegrossemaredeboue.Laneigeafondu.Le

paillassonestdevenuuniformémentbrun.Ondevaitposernoschaussuressurdessacs-poubellespouréviterdesalirpartout.Lesvacancesdeprintempsontmarquél’anniversairedudépartdeWestpourl’Oregon.OnaconfiéFrankieauxCollinseton

est allés dîner au restaurant à IowaCity. Entrée, plat et dessert en tête à tête aux chandelles, à s’échanger nos assiettes,tellementdechosesànousdire.

J’ai ri aux éclats pendant ce dîner, parce quema vie était devenue tellement foisonnante qu’elle débordait. Puis, dans lavoiture,Westm’aserréedanssesbrastandisquelapluietambourinaitsurletoitetm’aembrasséejusqu’àcequej’enperdelesouffleetrecommenceàrire.

Puisilyaeulescrocus.Avril a entraîné le soleil à sa suite. Il a séché lemonde, et les premiers brins d’herbe ont commencé à pointer. Il fallait

organiser lesentraînementsderugby, les réunionsavec lesactivistes.Chaque jour ilyavaitunnouveaucontactàétablir,unreporteràrappeler,unnouveaubutàatteindre.

Voilàcequeseraitmonavenir.Pleindechangements.Pleindevie.Débordantdemotsetderires,demainsfroidesetdelèvreschaudes,mêmesouslapluiebattante.Ilfaitfroiddanslecabinetdel’avocat.Dehors, la température est parfaite, vingt degrés sous un grand soleil, ce qui n’arrive jamais dans

l’Iowaenavril.Ducoup,toutlemondeneparlequeduGulfStreametduréchauffementclimatique.ÀPutnam,c’est l’undecesaprès-midioù leshordesd’étudiantsblafards sortentde leurdortoir en

clignantdesyeuxfaceàtantdelumièreetétendentdescouverturesdansl’herbe.Lesgarçonsretirentleurtee-shirtetjouentauFrisbee.Lesfillesfontminedeseplongerdansdesmanuelsoudesnotesdecoursalorsquecequilesintéresseréellement,c’estledéfilédetorsesnus.Je suis assise àune longue tableovale avec,d’uncôté, l’avocat etmonpère et, de l’autre,West et

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Frankie.Enface,Nateestflanquédesonavocatetdesesparents.Cen’estpas commeçaque les choses sepassentnormalement, commemonpèreme l’a répétédes

dizainesdefois.Cen’estpasl’usagedesignerlespapiersenprésencedelapersonnequ’onaccuse.Ce n’est pas non plus l’usage d’amener son copain, et encore moins une fillette trop jeune pour

pleinementcomprendreàquoielleassiste.«D’habitudeçaneprendpasnonplusquinzesemainespournégocierunaccordàl’amiable,ai-je

rétorquéàmonpère.Pourtantjet’ailaisséfaire,alorslâche-moidulest.»Ledocumentestridicule.Jenesaispaspourquoijem’attendaisàungrosdossierreliéetcouvertde

Post-italorsquej’aicontribuéàchoisirchacundestermesdececontrat.Ons’imaginetoujoursquelesgrandsviragesdenotreexistencevontêtreclairementsignalésalorsque,

laplupartdutemps,leschangementsimportantssurviennentquandonn’yfaitpasattention.Nigarde-founipanneau«sansissue».Seulementsixpages,quinzeparagraphes,avecuneligneàlafinpourquejepuissesigner.—Paraphezici,meditmonavocat.Jem’exécutepuisleregardepasserledocumentàNate.Jeneconnaisplus l’hommequi tientunstyloenfacedemoi.Je l’aiquittéavant la rentréedenotre

deuxièmeannée,etmaintenantlatroisièmetoucheàsafin.Nousnesommesmêmeplusdesex.Noussommesdesinconnus.LepèredeNatesesaisitdesquelquespagespourleslireavantdelelaissersigner.Nateseretrouve

donccommeunconavecsonstyloàlamaindanslesilencegênédecettegrandepiècefroide.Ilcroisemonregard.Jelesoutiens.C’estunjeunehommeblonddontlesmèchessontplusclairesaubout,avecunepetitebarbedetrois

jourssursesjouesrondesetdegrandsyeuxbleus.Ilestvenuencostume-cravate.Ilaffichesesprivilègesparsesvêtementsetparsonexpressionagacée,commes’ilavaitétéconvoqué

làsansraison,quesapatienceétaitàboutfaceàcettepertedetempsprécieux.Faceàcetteexigencequ’ilmeregardedanslesyeux.Faceàcettemiseenscènequin’estsansdoutepasdesongoût.Dèsquesonpèrereposeledocumentdevantlui,ilsigneàlafin,parapheoùluiindiquel’avocat,puis

faitglisserlesfeuillesdansmadirection.—Voilà.T’escontente?Ilpourraitsepasserplusieurschosesencetinstant.Westpourraitsauterpar-dessuslatablepourluiencollerune.JepourraisdemanderàresterseuleavecNatepourluidiretoutlebienquejepensedeluiavantque

l’accordentreenvigueuretquejesoistenuedeneplusluiadresserlaparole.C’estcequejepensaisfaire,audébut.J’enairêvé.J’avaismêmeréfléchiàcequejeluidiraispourl’atteindreenpleincœur,etluifairecomprendrela

gravitédesonerreuretdesesconséquences.J’avaisunpetitdiscourstoutprêt.Maiscequivientdesepasserdanscettesallefroidecommeunetombe,cen’estpasmavie.Toutle

mondeesthabillécommepourunenterrement,parcequeçamarquelafindequelquechose–ledernieracted’undramequis’estrévélétouràtourdifficileetdouloureux,complexeetenrichissant.J’enaiapprisplussurmoi-mêmeaucoursdecesépreuvesquependanttouteslesannéesquiavaient

précédé.

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Cequem’afaitNatenes’effacerajamais.Macolèrenemequitterajamais,parcequeçanecesserajamaisderevenirmehanter.Ilm’aattaquéesauvagement,aveclesarmesdontildisposait,etilachangélescontoursdemonêtre.Ilachangémonavenir.Ilarendumavieplusdifficile.Pourtantmevoilà,entouréedeWest,deFrankieetdemonpère–cesgensquej’aimepar-dessustout.

Ensortantdecettepièce,jevaisremonterdanslepick-updeWest,baisserlavitreetpasserlamainau-dehorspoursentirleventprintanierfilerentremesdoigts.DeretouràPutnam,jevaisenfilerunshort,dénicherunegrandecouvertureetallerm’allongersurune

despelousesducampuspourfairesemblantderévisertoutenregardantlesmecsjouerauFrisbeetorsenu.Puisjevaisrentreràlamaison,etdînerencompagniedeWestetdesasœur,àquijevaisexpliquer

pourquoionl’aemmenéeavecnousaujourd’hui,cequeçasignifiepourmavieetmonavenir–pourlesien.Cequeçasignified’êtreunefemmedanscemonde.Une fois qu’elle sera endormie, je vais fermer notre porte à clé,medéshabiller etme lover contre

West,moncopain,monmec,l’amourdemavie.Jevaisl’embrasser,lelécher,lebaiser,glissercontresapeauà la lueurdoucede la lampedechevet, jevaishaleterà sonoreilleet luidireque je l’aime, jel’aime,jel’aimetellement!Toutçam’appartient.Natenepeutpasmelereprendre.«T’escontente?»medemande-t-ilcommeuneaccusation.Maréponseesttoutesimple.Elletientenunpetitmot.—Oui.—Putain,c’estflippant,tontruc.—Cen’estpasflippant,c’estprovocant.—Moi,çamefaitflipper.J’enailesboulesquiserétractent.—Ça,cen’estpasmonproblème.—Ben,si,c’esttoiquiasfaitça.Tuasfabriquéuntrucquimerétractelesboules,alorsassume.—Tupourraiscesserdeparlerdetesboules?—Mesboulessontunélémentpertinentdecetteconversation.—Uneconversationdontjemeretrouveexcluefautedeboules.Trouve-toiuneautremétaphore.Le bâtiment d’arts plastiques a de très longs couloirs.Tard le soir, quand ils sont déserts, les sons

portentsuperloin.Jesuisentréeparlecôtéleplusprochedelabibliothèque,cequiveutdirequej’aipusuivrecetéchangeletempsd’arriverjusqu’àl’atelier.J’ai eu tout le loisird’identifierquiparle.Celuiqui tientàévoquer sesboules, c’estWest, et c’est

Annie qui proteste.Quant àRaffe – je le comprends en passant la porte et en découvrant de quoi ilsdiscutent–,ilestl’auteurdel’œuvrelaplusbizarrequej’aiejamaisvue.Ils’agitd’unechaiseenmétalrenversée.Parterre,colléeau-dessousdusiège,ilyaunepoupéede

chiffonhabilléecommeunadulte,avecuneperruquerousseminiature,unpetitcostumeetdeschaussures.Saufqu’aulieud’unvisagedepoupée,elleadestraitshumains,projetéssurletissuetquibougent.

Elleparle.—Oh,putain,c’estflippant!dis-je.

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Ilsseretournentd’unmêmemouvement.Westaungrandsourireauxlèvres.—Ah,tuvois!JemetourneversRaffe.—Tuasfaitçaexprès?Raffesourit.S’ilportaitunesalopette,ilpasseraitlespoucessouslesbretelles,tellementilestfier.—Ehoui!—Pourquoi?Anniepousseunpetitgrognement.—Pitié,neluidemandepaspourquoi.—Mais…AlorsWests’approchedemoietm’entraîneversl’autreboutdelapièce.—Viensvoirça!Ilaunetracebrunesurlapommette.Sontee-shirtestconstellédepetitestachesblanchesquin’étaient

paslàcematin,j’ensuispresquesûre.Ilportelejeanqu’ilmettoutletempspouralleràl’atelier,etdontle bleu a quasiment disparu sous les couches de peinture, de vernis, de graisse et de je ne sais quoid’autre.Cejeanmemetdanstousmesétats.C’estuntrucdefou.IlnefautsurtoutpasqueWestl’apprenne.Iln’enfiniraitplusdemetaquineravec

sessourirescoquinsetsespetitsairsautoritaires.Jenem’autorisedoncqu’unbrefcoupd’œilàsescuisses,làoùiladûs’essuyerlesmainsunmillier

defois,ylaissantunsouvenirdechacundesesprojets.Ilyenaeutellementaucoursdusemestre!Sic’étaitquelqu’und’autrequeWest, jem’inquiéterais

peut-être–onpourraitvoirdanscetteproliférationlesymptômed’unenévrose–maisjeleconnaistropbien.JesaiscequeçasignifiequandWestmefaitasseoiretmeditdefermerlesyeuxavantdesemettreàfouillerdansl’undesplacardsdel’atelier.Çasignifiequ’ilauneidéequil’enthousiasme.Ilaquelquechoseàmemontrer.Il a enfin trouvé la libertéde tenter toutes sortesd’expériences,de fairedes erreurs,degâcherdes

matièrespremières,desetromper.Jenel’aijamaisvuaussiheureux.Jel’entendsposersoncarnetsurlatableetlefeuilleteruninstant.—Regardeça.J’ouvrelespaupièresetvoiscequiressembleaudiagrammed’unarbreexplosé.Letronc,lesracines,

lesbranches, séparés lesunsdesautrescommes’ils flottaientdans l’air. J’aidumalàcomprendre lesens de cette image, et ça ne m’aide pas beaucoup quand West commence à disposer des tranchesd’arbresetdestubesmétalliquesdevantmoi.Ilentreprendd’assemblerlesdifférentespièces,toutenmeparlantdemèchesdeperceuseetd’autres

outils,enmeracontantqu’ilaessayélePlexiglasmaisquec’étaittropbanal,alorsilapenséàdestubesdeplomberieencuivreparcequeçaformeraitunjolicontrasteaveclebois,etpuisLaurieluiasuggérédeserenseignersurlematérieldeschimistes,surtoutlessystèmesanciens,quiontunecertaineélégancesurannéeet…Il parle et parle. Les mots se bousculent sur sa langue et, pendant ce temps, il est en mouvement

perpétuel. Il sedéplaced’unpiedsur l’autre, tend lebrasversun tube,passedes filspour faire tenirl’ensemble.J’adoreleregarderbouger.

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Westenmouvement,çamefaitaumoinsautantd’effetquelejean.C’estmêmepire,parcequ’illesaitpertinemment.Quandil travailleavecbonheur,commeça,ilentredansuneespècedetransefluidequidéboulonne

complètement lesportesdema libido.J’observe lesmusclesquisecontractentet se relâchentsoussapeau. Je regarde ses cuisses se mouvoir sous ce satané jean, ses fesses, ses épaules. Plus que tout,j’admiresabouche.J’adorelevoirsianimé,débordantd’idéesetd’informationssurcequil’intéressetellement.Etpuis,pourmoi,çaatoujoursétésabouche,sigrande,siexpressive…C’estWest,maisencoreplusWestqu’avant–unpeuplusWestchaquejour.—Qu’est-cequetuenpenses?medemande-t-il.—Hein?Ilinclinelatêtesurlecôté.—Tunem’écoutaispas.—Si,jet’écoutais.Ilplisselesyeux,undemi-sourireaucoindeslèvres.—Menteuse.Tuasl’airailleurs.—Pasdutout.Pourtant, alorsmêmeque jem’efforcedenier, j’écarteunpeu les jambesetpose les coudes sur la

tablepourcambrerledos,parcequeçafaitreculermeshanchesetquej’enaibesoin.West s’assied sur la table, ce qui place ses cuisses juste sousmon nez.Raffe etAnnie ne font pas

attentionànous.Westsepenchesurmoietmurmure:—Qu’est-cequejetedisais,Caro?—Tuparlaisdetubesencuivre.—Ça,c’étaitilyaunmoment,déjà.—Dematérieldechimie.—Tuchauffes…—D’adhésifs.Ilm’effleurelefrontduboutdeslèvres.—Tropfacile.Jeparlequasimenttoutletempsd’adhésifs.Il dit ça d’une voix grave et rauque, comme s’il m’annonçait qu’il allait me retirer ma culotte et

s’agenouiller devantma chaise.Un frissonme parcourt l’échine, érigemes tétons au passage et vients’échouerentremesjambesavecunbaisermouillé.Westmedécocheungrandsourirelascif.—Qu’est-cequit’amèneici?Jecroyaisquetuavaisunedissertationàfinir.C’estvrai,maisj’enaieumarre.J’étaistouteseuleautroisièmeétagedelabibliothèque.Monesprita

commencéàvagabonder,cequicomportetoujoursunrisque,parcequ’ils’yestpassédeschosesentreWestetmoi.Cesontdessouvenirspropresàmedéconcentreretàmeconvaincrequej’aibienledroitdefaireune

petitepauseetd’allervoirWestàl’atelier,desfoisqu’ils’ennuierait.Westnes’ennuiejamaisquandiltravailleàl’atelier.Enrevanche,ilestrarementcontrel’idéedefaireunepetitepauseavecmoi.—TasœurpasselanuitchezNadine,fais-jeremarquer.Ilsouritdeplusbelle,lesyeuxluisants.—Jesais.—Alorsjemedisais…

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Jedessineuncerclesursacuisse.—Tutedisais…?—Jemedisaisqu’onpourraitfairequelquechosedontonn’apasl’occasiond’habitude,aulieude

passerlasoiréeàtravaillerchacundesoncôté.—Tuveuxqu’onailleauForum?Onpourraitpartagerunepizza.—Jenesuispassûred’avoirenvied’unepizza.—Alorsdequoituasenvie?Jecroiselesbrassursescuisses,justepourleplaisirdelesentir.Ilsepencheencoreunpeu,sibien

quenosnezsetouchentpresque.—Jenesaispas.Jenevoisrienquimebranche.—Jesuissûrquejepourraistefairechangerd’avis.—Jeferaispeut-êtremieuxderetourneràlabibliothèque.—Jeteraccompagne.Ildescenddelatable,fouilledanssonsacetenressortquelquechosequ’ilmetdirectementdanssa

poche.—JeraccompagneCaroàlabibliothèque,jereviens,lance-t-ilenpassantdevantRaffeetAnnie.—Biensûr.C’esttoutàfaitplausible,rétorqueRaffe.—Situn’espasrevenuquandonpart,tuveuxqu’onrangetesaffaires?—Oui,merci,ditWest.Ilposeunemainaucreuxdemondosetmepoussegentiment.Ons’approchedel’escalierquiestàl’autreboutducouloir.—Oùest-cequ’onva?—Onmonte,répondWest.Lesdamesd’abord.Jepassedevant,pensantqu’ilveutm’emmenerà l’étage,où ilyadesallesdemusiquevides,mais

alorsqu’onapprochedupalier,Westglisseunemainentremesjambesetlarefermesurmonsexe.—Continue.J’obéis,trempéededésir.Qu’ya-t-ilaudeuxièmeétage?Ilmesemblequec’estdesbureaux.Aurait-illaclédel’und’eux?Ou

alors,onvaallersecacherdansdestoilettes,cequin’estpashygiéniquedutout,maisilalesmainssurmes fesses et je respire super vite, trop excitée pourme soucier de notre destination, pourvu qu’on yarrivevite.Jem’arrêteaudeuxième.—Etmaintenant?Jevaisoù?Ilremontelamainentremescuissesetfaitpasserletalondesonpoucecontremafente.Jesenslesmusclesdemesjambesfondre.—Continue.—Maisoù?—Monte,lance-t-ilenrefermantlamain.Jefermelesyeuxetmemordslalèvre.Quelquesmarchesplusloin,onarriveàuneportefermée.Westagiteuneclédevantmesyeux.—C’estletoit?Ilmeretourne,meplaquecontrelaporteetm’embrassesibrusquementquejemanquededéfaillir.Est-cepossibledes’évanouird’avoirgraviunescaliersousl’effetd’undésirinsupportable?Apparemment,oui.Ilavanceungenouentremescuisses,m’agrippelatailleetmesoulève,sibienquejemeretrouvesans

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défense. Jeme perds dans ses baisers, dans ses bras, dans la chaleur dure de son érection et dans legémissement qu’il pousse quand j’en caresse le contour à travers son jean avecmes doigts, puismesongles.—Prends-moiici,vite!—Non.—Jet’ensupplie!Ilmereposeetreculed’unpas.—Surletoit.—Alors,ouvrecetteporte.Ilm’écarte,déverrouillelaportepuism’entraîneàsasuite.—Commentçasefaitquetuaiesuneclé?—C’estlepasse-partoutdeLaurie.—Ondonnedespassesauxétudiants?C’estcarrémentdel’incitationàallerforniquersurletoit.—Onestd’accord.Jesuissurprisqu’iln’yaitpasdéjàvingtcouplesici.Ilmeprendparlamainet,uninstantplustard,noustournonsàuncoin.—Etvoilà!—Qu’est-cequec’est?—C’estdel’herbe.—Oui,d’accord,mais…Jemetiensdevantuncarrédepeloused’environ5mètresdecôté.Delapelousetoutebête,surletoit

dubâtimentdesarts.—C’estleprojetdequelqu’un?— C’était une expérience qui visait à recréer une prairie sauvage, je crois. Enfin, c’était il y a

longtemps.Maintenantc’estjusteuncarréd’herbequeRikkitonddetempsentemps.—Pourquoi?—Parcequec’estRikki.Déshabille-toi.—Ici?—Jeveuxtevoirtoutenuesurcettepelousedanstrentesecondes.Tunevaspasleregretter.—Oui,maisilyapeut-êtredestiques.—Commentveux-tuqu’ilyaitdestiques?—Jenesaispas,moi.—Iln’yapasdecerfsniderenards,ici,Caro.Pourqu’ilyaitdestiques,ilfautqu’ilyaitunanimal

porteur.—Onestdesanimauxporteurs,nous.—Ilfaudraitqu’ilyaitvraimentbeaucoupdemondequiviennefairedescochonneriessurcetoit.—Mais…—Chut.—Mais…Ilpousseunsoupiragacéetretiresontee-shirt.Leclairdeluneépouselesmusclesdesesépauleset

prêteàsapeauunelueurbleutée,pailletéedechairdepoule.Westtorsenudanscesatanéjean…Quandildéfaitlebouton,jem’avancepourouvrirsabraguettemoi-même.J’aibesoindeletoucher.Ilrepoussemamain.—Déshabille-toi,Caro.—Oh,çava!

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Ilestnuavantmoi,cequiveutdireque,quandj’enlèvemajupe,c’estavecsonregardsurmoi.Jemetiensdevantluienculotteetsoutien-gorge.Jefrissonnedefroid–unpeu–etdedésir–beaucoup.—Viens,West.—Allonge-toi.—Touteseule?—Allonge-toisurl’herbe,Caro.—C’estbizarre.—Jesais.Jem’exécute,parcequec’estcertesunpeuétrangemaispasaupointdememettremalà l’aise.Et

puis, cen’est pas souventqueWestmedemandedes chosesqui sortentde l’ordinaire. Jen’ai aucuneraisond’avoirpeur.Il m’aime et m’apporte son soutien, me redonne confiance enmoi quand j’en ai besoin, prendma

défense,mefaitrire,mefaitjouir…Ilmerendplusheureusequen’importequid’autre.Alors,oui,jeveuxbienm’allongernuedansl’herbesiçaluifaitplaisir.Lesbrinsensontplusraidesquejenem’yattendais,etmechatouillentledosetlanuque.Ilssontfrais

contremesjambesetmesfesses.Wests’agenouilleàcôtédemoi.—C’esttonnouveaufantasme,defairel’amouràl’airlibre?Ilsecouelatête.—Surlestoits,alors?—Nonplus.Jevoulaisjustetevoirnuesouslesétoiles.J’aienviedeçadepuisnotrepremierbaiser.Ilmecaresselecoupuispassesamainentremesseins,au-dessusdemestétonssansréellementles

toucher,puisdescendlentementeneffleurantlefinduvetdemonventre.Ilremonte,metaquine.Jefermelespaupières,sinon,c’esttrop.L’intensitédesonregard.Lesrayonsdelunesursapeau.Ilposeuncoudeàcôtédemoietapprochesonvisagetoutprès,sesyeuxetseslèvres,sonmenton,sa

mâchoire, sabouche…exactement commecettenuit-là, quandonestmontés sur le toit demamaison,pourtanttoutachangéoupresque.Cesoir-làj’avaisfuméetj’avaispeur.J’entendaisdesvoixinsultantesdèsquejefermaislesyeuxetjenesavaispasquoifairedeWestparce

quej’avaisenviedeluimais,enmêmetemps,jenevoulaispasqu’ilmeblesse.Jeledévoraisdesyeux,fascinéeparsonvisage,parlesformesquilecomposaient,parlesbattements

desoncœur,parlesouffledeviechaudequileparcourait.—Viens,dis-je.Ilsepenchesurmoietm’embrasse.Ils’approcheencoreetmeréchauffedesoncorpstoutenglissant

enfinundoigtenmoi.—Tuestoutemouillée.—Sansblague.—Faisgaffe,jevaisfinirparcroirequejeteplais.—Nevapasattraperlagrossetête.J’espéraisjustetrouverquelqu’unsurcetoitquisedévouepour

mefairejouir.—Quelqu’unquin’ariencontrelesmeufsautoritaires.—Nem’appellepascommeça,jenesuispasunemeuf.Il passe son pouce contre mon clitoris, m’arrachant un petit cri, et murmure quelque chose qui

ressembleà«jet’appellecommejeveux».

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—Attention,ajouté-jeunefoisquej’aireprismonsouffle.Situcontinuescommeça,j’iraimetrouverquelqu’und’autrepourêtremapremièredame.Ilfautcroirequ’ilenaassezdemesprovocations.Quandilreprendlaparole,c’estpourmedonnerun

ordre.—Écartelesjambes.Alorsilplongeenmoi–fort,deplusenplusfort.Ilvavite,sesdoigtsmordentlachairtendredemeshanches.Waouh!—Tunementaispasquandtudisaisquetuenavaisenvie,observé-je,haletante.—J’envisageaisdevenirtevoiràlabibliothèque.—Depuiscombiendetemps?—Depuisledéjeuner.J’éclatederire,puisjemetais,parcequesespuissantscoupsdereinsmecoupentlesouffle,tendent

moncorpscommeunarcetmefontvibrer.Westdéposedesbaisersdansmoncou,derrièremonoreille,lelongdemagorge.Lemondesentmerveilleusementbon,uneodeurverteetfraîche.Jefermelesyeuxet,quandjelesrouvre,lesétoilessontéparpilléesdanslecielcommedesdiamants

échappésauhasard.Westtrouvemonclitorisavecsonpouceetcommenceàlemasserenpetitscerclesentêtants.Del’autremainilmecaressel’épaule,lebras,puisdescendlelongdemacuisseetmefaitremonterle

genou.Ilmeregardedanslesyeux.Ons’envole–loin,trèsloin,encoreplusloin.Tantqu’ilestavecmoi,jenesuisjamaisperdue.

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HORIZONS

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CAROLINE

Jeneconnaispasgrand-chosedemeilleurdanslaviequ’unplaquageréussi.Engros,toutenhautdemalistedestrucsquej’adoreetquejeveuxfaireleplussouventpossible,ilyalesorgasmesetles

plaquages.Ilm’arriveparfoisdemedirequelesplaquages,c’estencoremieux,mêmesilaprobabilitédeseprendreuncoupdanslafigureestaussibeaucoupplusélevée.

Lapremièrefoisquej’airéussiàplaqueruneautre joueusesurunterrainderugby, j’aieul’impressiond’avoirdécryptéuncode–d’avoirdécouvertunsecretque, jusque-là, leshommesavaient jalousementgardé.Quandon les regarde faire,onal’impressionquec’estuntrucdesauvages,qu’ilfautêtresoitdansuneragefollesoitplanquésousdesprotectionspouroserselancer.

Pendantcetemps,lesfemmesregardentdestribunesenbuvantduchocolatchaud,etrienn’indiquequecetteactivitépuissenousplaire–quenousayonslecourageoulaforcedefairelamêmechose.

Avant j’étaisunegentillepetitefille.J’allaism’asseoirdans lestribunes.Jesuivaissagement lesrègles, je travaillaisbienàl’écolepouravoirdebonnesnotes,jesortaisavecungentilgarçonquej’avaisfaitpoireauterlongtempsavantdecoucheraveclui.

Cen’étaitpasprécisémentcequejevoulaismaisças’enrapprochaitsuffisammentpourquej’ycroie.Ilsembleraitquelesgentillesfilles–desfillesintelligentes,pourtant–grandissentaveclacertitudeque,siellessuiventbien

touteslesrègles,lemondevalesrécompenserenleuraccordantcequ’ellesveulent.Alorsonsemeten rangetonattend,maispersonnenevient jamais faire ladistribution.Lepire,c’estquepluson fait la

queue,plusonrisquederécolterdesrationsdegalère.J’étaisunegentillefille,maisçanem’apasréussi.AlorsquematroisièmeannéeàPutnamtoucheàsafin,jenesuispluslamêmepersonne.Jesuissortiedelafiled’attente.J’aichangé.Jouraprèsjour,jem’efforcededevenirmoi-même.Ilyaunechosequejen’avaisjamaiscompriseavant,c’estquej’ailedroit

d’essayer tout ceque je veux.Tous les sports, toutes lesactivités– toutm’est offert pourvuque je soisprêteà faire l’effortnécessaire.

Jesaisqu’ilyauradesjoursoùceseradur.Jesaisqu’ilyauradesgensquim’envoudront.Cen’estpasgrave.Cen’estpasgravedutout,parcequecedimanchematind’avril,jesuissurleterrainderugbydePutnamCollegeetjesens

la terremeublesousmescrampons, l’odeurdu fumierdans leschamps,douceetpiquante,portéepar leventquiagitemaqueue-de-cheval.

Quandjeregardeverslalignedetouche, jevoisKrishna,FrankieetWest installéssurunecouverture.LesourireéclatantdeKrishna. Le visage rayonnantdeFrankiequandKrishna la taquineet queWest la chatouille jusqu’à cequ’elle s’affaleentraversdesesjambes,pliéederire.

QuandjeregardeàmadroitejevoismonamieQuinn,grandeetsolide,méchammentdrôle.QuandjeregardeàmagauchejetrouvemonamieBridget,toutepâleetmenueavecsatignasserousse,malàl’aiseparce

quec’estlapremièrefoisquej’arriveàlatraînersurunterrainderugby.Jeluiaiditdenepass’enfaire.Lesplaquages,c’estfacile.Toutcequ’ilfautpouryarriver,c’estlavolontédesejetersurles

jambesdel’adversaireetlerefusformeldelâcherprise.C’esttout.Jevousjure.Jenesuisnitrèsgrandenitrèscostaudmaisjeseraiscapabledefairetomberunefemmede150kilosparlaseuleforcede

mavolonté.Jepourraisplaquerunéléphant.Uneéquiped’inconnuessesontalignéesenfacedenous,enmaillotrougeetnoir,l’airdéterminéesetlesjouesrouges,les

cheveuxfouettésparlevent.Ellessontprêtes,ellesaussi.Onvatoutesselancer.Onvalancerunballonovale,lerattraperpuiscouriraussivitequenosjambeslepermettent.Onvarepérerlaporteusedelaballe,luifoncerdessusetsejetersurellejusqu’àcequ’elles’aplatisseetqu’onseretrouve

toutesemmêléesenunfouillishaletantetsuantdebrasetdejambestachésdeterreetd’herbe.J’ailaforceetlecrand’obtenircequejeveux,depuistoujours.Commetoutlemonde.C’estcequejedisàWestquandilluiarrivedeperdrecourage.Jeseraitoujoursàsescôtéspourleluirappeler.C’estcequejerépondraiàFrankiequandellemeposeradesquestions,quandelledouterad’elle.Çanedemandepasdetalentparticulierdesedéfendrecontre lemondeetdeserebellercontresestentativespournous

mettredansdescases,nousposerdeslimitesetnousempêcherd’avancer. Ilsuffitdesavoircequ’onveutaccomplir. Il faut

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savoirquelssontceuxqu’onveutavoiràsescôtésetcequ’onestprêtàsacrifierpourmériterleurloyauté.Ilfauts’autoriseràvouloircequel’onveut,jusqu’aubout,mêmesic’estterrifiant.Il ne faut pas s’alarmer si ces désirs et ces besoins sont commeun puits sans fond, et si la peur est si grande qu’elle

empêchederespirer.Aufinal,lapeurnecomptepas–pasplusqueladouleur.Ilarrivedeseprendreuncoupenpleinefigure.Ledésastrefaithurlertoutlesystèmenerveux,etpuisçapasse.C’estpassé,tuesdel’autrecôté,tupeuxcontinuerdefoncerverslaviequetuveux.Moi, j’ai trouvélamienne.Jesuis làoùjeveux,entouréedemesamis,Westàportéedevue,notredrôledepetitefamille

heureuseetréunie.J’ensuislàparcequejem’ensuisdonnélesmoyens.J’aicouruaprèsmonrêve;jemesuisjetéedessusetjel’aiplaquédetoutesmesforces.Jenelelâcheraipas.Devantmoiseprofiletoutlebienquejepeuxfairedanscemonde.Jen’aipaspeur.J’ensuiscapable.

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WEST

—Jemedemandepourquoionnefaisaitpasça,l’andernier,lanceKrishna.Enfait,jemedemandepourquoijen’aipasfaitçatouslesdimanchesdepuisledébutdemesétudes.

On est assis dans l’herbe à côté du terrain. On se fait passer la flasque de whisky de Krishna en regardant des fillescouvertesdeboueserentrerdedansviolemment.Àunedizainedemètresdenous,FrankieestenadorationdevantQuinn,quifaitunepetitepauseaprèsavoirjouétoutelapremièremi-temps.

Àmoinsquecenesoitlequart-temps.Jenecomprendsriendutoutàcesport,maisjesuisd’accordavecKrish.Ilyasurcettepelouseunetrentained’étudiantes

quisecourentaprèsetsejettentàterre,etjeneconnaisriendemeilleur.—Comment tuas faitpourmecacherçapendant toutce temps? interrogeKrishna.Tudevaispourtant tedouterque je

seraisprêtàtuerpourassisteràcesmatchs.Maintenantjenevaisplusenraterun.Jenevaisplusleslâcher.Jevaisdevenirleurmascotte,tiens!

—Jenepouvaispassavoir,c’estlepremiermatchquejevois.—Sérieux?—J’avaistoujoursdutravail.Krishnapousseunsoupirexaspéré.—Jetel’aitoujoursdit:«Travaillemoins,tuneseraspasjeunetoutetavie.»—Tumedisaisaussipleindeconneries,dugenre:«Net’attachepasàuneseulemeuf.»Jelevoisparcourirleterrainduregardjusqu’àcequ’ilaperçoiveBridget.C’estdeloinlaplusminus,lapluscrevetteetlaplus

crottéedetoutes,maiselletient lechoc.EllepasselesbrasautourducoudeCarolinepuissemetàsautiller,glissedanslaboueetseretrouvesurlecul.

Carolinetombeàgenouxàcôtéd’elle,obligéedesereteniraveclesmainstellementellerit.Pendanttoutcetemps,j’aimanquéça.Jen’enrevienspas.Jen’enrevienspasd’êtreiciaujourd’hui,depouvoirprofiterdetoutça.Jem’épanouis.Ons’épanouit,touslestrois.Iln’estplusquestiondesurvie.AlorsjerepenseàSilt.L’andernierj’ysuisretournéencroyantquejenereverraisplusjamaisCaroline.Jepensaisqueriennepourraitêtreplusdurquedelaquittermaisjemetrompais.C’étaitencoreplusdurqueça.Beaucouptropdur.Jesuisrentrédansl’Oregonenmefigurantquej’étaisleshérifetquej’allaisaffrontermonpère,maisleduelquim’attendait

n’étaitpasceluiquejecroyais.Ilyabieneudescoupsdefeu,commedansunwestern,maisjen’étaismêmepaslà.Jemesuisretrouvétoutseuldanslesruesd’unevillefantômesouslesoleildemidi,tandisquelesbordsdel’écransenoircissaientetseresserraientpeuàpeu.

C’estCarolinequim’atirédelà,quim’afaitpasserparcettetêted’épinglepourmeramenerverslalumière.C’estCaroline,depuisledébut.Cejouroùelleaposélamainsurmondosàlabibliothèque,oùelles’estpresquefrottéeàma

cuisseavantdemediredelalaissertranquille–commesij’enétaiscapable–,elleavuenmoiquelquechosequej’ignoraiscomplètement.

Ellesaitquielleestetellesaitquijesuis.Ellesaitquinoussommesensemble.J’aijouébeaucoupderôlesdepuisquejelaconnais–celuiduguide,duméchant,dupionnier,del’exilé–maisjen’aijamais

étéleshérif,parcequejenecomprenaispascequeçaimpliquait.Lerôledushérifn’estpasdevaincrelemal.Sonrôleestdegarderunœilsurl’avenir.Ilfaitrespecterlaloietappliquerles

règles;ilestlepoingquiempêchelechaosdegagner.Tunepeuxpasêtreleshérifsitun’asqu’unadversairecontrequitebattre.Iltefautaussidesraisonsdetebattre.FrankieenpleineconversationavecQuinnaubordd’unterrainderugby,lesmainsdanslespochesd’unjeanàsataille,un

grandsourireauxlèvres,lesyeuxplissésfaceausoleil.Carolinequiroulesurledosetlèvelesbrasverslecielenriant.Uncarnetdecroquispleind’idées.Unlotdetubesencuivre.Unprojet.C’estfacile.C’estmavie.

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REMERCIEMENTS

Jemetstoujoursbeaucoupdemoi-mêmedansleshistoiresquej’écris.Pourcelle-ci,jemesuisserviedetoutcequej’avaispuliresurl’amour,lavie,etcequecelasignifiedesurvivreetdes’épanouir.J’aieulachancedegrandirdansunenvironnementprivilégié,imprégnéd’amour,d’artetdebeauté.Jeremerciedoncmesparentsdem’avoirdonnél’horizonsanslimitesqueWestveutoffriràsasœur.J’espèreleuravoirrendujustice,àCarolineetàlui.J’yaimistousmesefforts.Aucoursde l’écrituredumanuscrit,MaryAnnRiversm’amontré commentme sortir desornièresoùj’allaisparfoismefourrer.SerenaBellm’arappeléàl’ordrequandjeperdaisdevuel’histoired’amour.Mon agent, Emily Sylvan Kim, m’a tenu la main tout du long, et mon éditrice chez Bantam, ShaunaSummers,m’aaidéàamender lespassagesquine fonctionnaientpas.Estimez-vousheureuxdenepasavoirlucelivretelqu’ilétaitavantleurprécieusecontribution.J’aieulachancedepouvoircompter,pourtouteslesrecherchespréliminaires,surl’aided’amisexpertsdans leur domaine et de nombreux spécialistes sympathiques. Je tiens donc à remercier ErinRathjen,HollyJacobs,EricaJohnstone,JeniMokren,MarianHousemanetPatrickWilsond’avoireulapatiencede répondre à toutes sortes de questions bizarres, et la gentillesse de me parler de leurs passionsrespectives.L’installationdeRaffeestinspiréed’uneœuvreformidablequej’aivueauMilwaukeeArtMuseum.Si,unjour,vousêtesdepassagedansleWisconsin,jevouslerecommandechaleureusement.Enfin,merciàvous,mescherslecteurs.Vousêteslesmeilleursdesmeilleurs.

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RobinYork a grandi sur le campusd’uneuniversité, étudié à l’université, travaillé à l’université et aépouséunprofesseurd’université.Ellesedemandetoujourspourquoiellen’apaseuplustôtl’idéedeselancerdanslalittératureNewAdult.Elleestmèredefamilleàsesheuresperdues,saitfaireducaramelaubeurresalécommepersonneetréfléchitàsesintriguesenallantcourir,marcheroufaireduvélo.

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MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne

Titreoriginal:Harder

Copyright©2014byRuthHomrighaus

OriginellementpubliéparBantamBooks,unemarquedeRandomHouseLLC,appartenantaugroupePenguinRandomHouse,NewYork.Tousdroitsréservés.

©Bragelonne2016,pourlaprésentetraduction

Photographiedecouverture:©Shutterstock

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ISBN:978-2-8205-2673-1

Bragelonne–Milady

60-62,rued’Hauteville–75010Paris

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CouvertureTitreDédicaceFIN

WestCaroline

SILTCaroline

FRONTIÈRESNOIRESWest

TERRESSAUVAGESCaroline

ÉCLAIREURWest

PARDONSCaroline

PIONNIERSWest

COURAGECaroline

PREMIÈRESÉQUENCEWestCaroline

HORIZONSCarolineWest

RemerciementsBiographieDumêmeauteurMentionslégalesMiladyc’estaussi