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77 Planification urbaine et territoriale pour reconstruire Damas Éric HUYBRECHTS Architecte et urbaniste, en charge des activités internationales à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France. Enseignant à l’Institut français d’urbanisme, université de Paris/Marne-la-Vallée Résumé : La reconstruction de Damas sera déterminée par le processus de réconciliation politique et social à l’issue du conflit. Les conditions de sécurité et de pacification influeront sur l’attractivité des territoires pour les investissements et sur le retour des personnes déplacées et réfugiées. Il est légitime de réfléchir dès à présent à la reconstruction de Damas à l’instar d’autres villes comme Londres, Beyrouth ou Alger qui ont préparé leur reconstruction pendant leur conflit. Toutefois, le processus de reconstruction peut prendre une forme moins linéaire (urgences, rétablissement des services de base, développement économique, développement durable) que celle généralement envisagée par les bailleurs de fonds internationaux. Les constantes géographiques influent sur les capacités de redéveloppement de l’activité économique. La qualité des relations extérieures avec les pays environnants aura une forte influence sur le redéploiement économique. Les grands projets de développement urbain et d’infrastructure envisagés avant le conflit et les engagements vis-à-vis des investisseurs pour l’aménagement urbain pendant le conflit seront probablement en grande partie repris, mais avec des inflexions en fonction des nouveaux rapports de force entre les acteurs locaux. Toutefois, la crise sociale et de l’habitat aggravée par les destructions et les déplacements modifiera l’ordre des priorités dans les projets. La planification urbaine et territoriale doit prendre place dès le début de la reconstruction afin de fixer un cadre cohérent et efficace nécessaire à la programmation des investissements publics et privés. Celle-ci est indispensable pour Damas installée sur un site fortement contraint par les conditions écologiques et par la nécessité de replacer la région damascène dans le jeu des grandes métropoles du Proche-Orient pour dynamiser le redéveloppement économique du pays. Mots-clés : reconstruction ; planification urbaine ; Damas ; réconciliation ; développement régional.

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Planification urbaine et territoriale pour reconstruire Damas Éric HUYBRECHTS

Architecte et urbaniste, en charge des activités internationales à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France. Enseignant à l’Institut français d’urbanisme, université de Paris/Marne-la-Vallée

Résumé : La reconstruction de Damas sera déterminée par le processus de réconciliation politique et social à l’issue du conflit. Les conditions de sécurité et de pacification influeront sur l’attractivité des territoires pour les investissements et sur le retour des personnes déplacées et réfugiées. Il est légitime de réfléchir dès à présent à la reconstruction de Damas à l’instar d’autres villes comme Londres, Beyrouth ou Alger qui ont préparé leur reconstruction pendant leur conflit. Toutefois, le processus de reconstruction peut prendre une forme moins linéaire (urgences, rétablissement des services de base, développement économique, développement durable) que celle généralement envisagée par les bailleurs de fonds internationaux. Les constantes géographiques influent sur les capacités de redéveloppement de l’activité économique. La qualité des relations extérieures avec les pays environnants aura une forte influence sur le redéploiement économique. Les grands projets de développement urbain et d’infrastructure envisagés avant le conflit et les engagements vis-à-vis des investisseurs pour l’aménagement urbain pendant le conflit seront probablement en grande partie repris, mais avec des inflexions en fonction des nouveaux rapports de force entre les acteurs locaux. Toutefois, la crise sociale et de l’habitat aggravée par les destructions et les déplacements modifiera l’ordre des priorités dans les projets. La planification urbaine et territoriale doit prendre place dès le début de la reconstruction afin de fixer un cadre cohérent et efficace nécessaire à la programmation des investissements publics et privés. Celle-ci est indispensable pour Damas installée sur un site fortement contraint par les conditions écologiques et par la nécessité de replacer la région damascène dans le jeu des grandes métropoles du Proche-Orient pour dynamiser le redéveloppement économique du pays. Mots-clés : reconstruction ; planification urbaine ; Damas ; réconciliation ; développement régional.

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Banlieue de Damas à reconstruire (photo : E. Huybrechts)

Le contexte politique à l’issue du conflit déterminera les conditions de la reconstruction économique et sociale. Celui-ci peut prendre des formes très différentes selon que l’une des parties l’emporte sur l’autre, que le pays reste uni, qu’il connaisse une phase de décentralisation ou qu’un compromis équilibré entre les parties soit trouvé permettant de mettre en place un nouvel ordre politique. Après un conflit aussi violent, la réconciliation est un préalable politique indispensable à la mise en place d’actions de réconciliation sociale qui prendra nécessairement du temps. La reconstruction de la Syrie et de Damas est d’abord un projet de refondation de la société civile, de sa relation avec l’État. Au-delà de la relance économique, des réparations, de la remise en état des services urbains et de la construction de bâtiments pour faire face à la crise du logement aggravée par le conflit, les projets de la reconstruction devront rechercher en priorité ce qui favorise le retissage du lien social. Les conditions de sécurité, très liées aux conditions politiques, auront un impact direct sur le retour éventuel des populations déplacées et réfugiées, sur l’attractivité des territoires pour l’investissement et la relance de l’activité économique. Celles-ci peuvent être différentes selon les territoires et connaître des variations dans la phase post conflit qui s’étalera sur plusieurs années. Selon que le pouvoir en place à l’issue du conflit est reconnu ou bien s’impose dans un rapport de force tendu, la pacification sera acceptée ou refusée, générant plus ou moins une résistance persistante. Des pressions externes dans un cadre unifié peuvent aussi tenter de déstabiliser un cadre politique faisant consensus au niveau national. Les incertitudes liées à un cadre fragile à consolider pèseront sur le long processus de reconstruction. S’il est difficile d’imaginer aujourd’hui comment se terminera le conflit syrien et sur quel cadre politique se bâtira la Syrie post conflit, il n’est toutefois pas illégitime de s’interroger sur le processus de reconstruction. Déjà les acteurs

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des différentes parties préparent des actions de reconstruction qui dégagent des perspectives allant au-delà de simples réparations des infrastructures, des équipements et des logements. Ce type d’anticipation en période de conflit n’est pas unique comme en témoigne le plan de reconstruction de Londres (1943) pendant la seconde guerre mondiale, la planification de la reconstruction de la région métropolitaine de Beyrouth (1985) pendant le conflit libanais ou le Grand Projet Urbain d’Alger (2000) pendant les années de plomb en Algérie. Cette présentation s’attache principalement à la place de la planification urbaine et territoriale dans le processus de reconstruction de Damas qui représentera un des enjeux importants. Capitale politique du pays, premier pôle d’emploi et de population, la reconstruction de Damas et de ses banlieues sera représentative de la capacité des acteurs à réunir la société autour d’un projet commun. La reconstruction verra reprendre les principales tendances de l’urbanisation de Damas. Son positionnement géographique, au croisement de l’axe Nord-Sud reliant la Turquie au Golfe arabe et de l’axe Est-Ouest reliant l’Irak au port de Beyrouth est une constante physique dont la dynamique économique de la région damascène est tributaire. Le grand pôle d’emplois que constitue la capitale syrienne et ses marchés d’exportation, principalement l’Irak et le Golfe arabe, détermineront la localisation des principaux investissements industriels en banlieue Est et Sud de Damas. L’urbanisation reprendra rapidement sa tendance lourde essentiellement par étalement de proximité de l’urbanisation existante, formel et informel, en dehors de projets spécifiques portés par l’État.

Pôles économiques, ressources naturelles.

Tendances de l’urbanisation à Damas et axes d’échanges en Syrie (source : GCEC, 2011)

Les enjeux de développement durable resteront dominant tant la région est soumise à une forte contrainte climatique. La gestion de la ressource en eau représente une contrainte importante pour desservir les citadins et permettre le maintien d’une activité agricole périurbaine dans la Ghouta.

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L’aménagement écologique des espaces de montagnes et des vallées autour de Damas constituera un enjeu du développement agricole et touristique ainsi qu’un enjeu de gestion des ressources de la région. L’aménagement durable selon les principes de la ville compacte en s’appuyant sur l’intensification urbaine, les transports collectifs de masse, la mixité sociale et territoriale et la préservation des ressources naturelles resteront des objectifs à atteindre par soucis d’optimisation de l’utilisation des ressources dans un contexte de pénuries de moyens. Les bailleurs de fond internationaux établissent généralement plusieurs phases pour la reconstruction : une première phase s’attache à répondre aux premières urgences principalement sécuritaires, sanitaires et de fonctionnement de crise. Les équipements et infrastructures les plus stratégiques sont privilégiées pour permettre un fonctionnement efficace sur les aspects les plus stratégiques et les transmissions des décisions. Les principales infrastructures de commandements (lieux de décision et transmission aux centres de décision locaux) et de communication (routes, télécommunication) sont privilégiées. De même, sont sécurisés les équipements les plus sensibles comme les hôpitaux, les lieux de décisions, les principaux pôles logistiques pour la distribution des biens de première nécessité et les outils de communication (routes principales, télécommunications) et les services essentiels (eau potable, énergie). Cette phase répond aux urgences sécuritaires, et sanitaires. Elle doit en outre s’attacher à résoudre la question du retour des populations déplacées et refugiées, le désarmement des milices, la gestion des démolitions, la dépendance économique extérieure avec une monnaie dévaluée, la coordination de l’aide internationale. La deuxième phase envisagée est celle du développement économique. L’approche libérale des principaux bailleurs internationaux considère que le développement économique est un préalable indispensable au développement durable. Favoriser l’investissement privé, créer un contexte favorable pour renforcer la compétitivité sont des ambitions qui apparaissent toutefois bien difficiles à atteindre tant le retard économique et l’image du conflit rend improbable la possibilité d’atteindre ces objectifs. La différence entre les reconstructions d’après la deuxième guerre mondiale et celles observées dans le contexte de la libéralisation économique de la fin du XXe siècle montre bien l’inefficacité de l’approche libérale. La troisième phase envisagée et rarement atteinte est celle du développement durable censée corriger les erreurs de la phase précédente pour atteindre les objectifs de qualité de vie. La planification urbaine et territoriale trouve sa place dans cette phase qui interviendrait au moins une décennie après le lancement de la reconstruction.

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De fait, le processus de reconstruction imaginé en fonction des urgences puis principalement du développement économique aboutit à un « non pensé » du développement et de l’aménagement urbain. L’expérience internationale a montré de nombreux inconvénients à ce dispositif linéaire : contradiction avec l’ambition politique de retrouver rapidement place dans le concert des métropoles ; contradiction avec les objectifs de développement durable reporté à plus tard ; contradiction entre libéralisme et attractivité de territoires meurtris par le conflit. La mise en place d’un processus optimisé doit être recherchée pour s’engager dès le départ selon des objectifs de développement durable qui répondent aux aspirations de la population. Il n’est pas nécessaire de reprendre le chemin des erreurs du passé alors que les réponses aux objectifs de développement durable sont en grande partie connues. Ceux-ci doivent s’appuyer sur les principes de solidarité, de participation, de mixité sociale et territoriale, de protection et de mise en valeur de l’environnement, de reconstruction de l’identité. La stratégie d’aménagement doit rechercher dès à présent la compacité, la densité, la multipolarité, la mixité fonctionnelle, la gestion optimisée des ressources naturelles et la préservation et mise en valeur des patrimoines archéologiques, naturels et urbains. L’ambition de développement économique s’appuiera sur les infrastructures et la qualité des services, la formation, l’éducation, les projets structurants, voire à moyen terme l’événementiel pour reprendre place dans le jeu des métropoles.

Schéma d’orientations d’aménagement régional (source : GCEC 2011)

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Tout cela nécessite la mise en place d’une planification urbaine et territoriale à mettre en œuvre dès le début du processus de la reconstruction et non à la fin. Celle-ci doit s’engager en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs publics et privés, autorités et société civile pour participer à la refondation du projet de société. En effet, la dynamique engendrée par un projet territorial, par nature global et inter sectoriel, impose une mise en relation de l’ensemble des acteurs pour débattre et arbitrer les choix de développement économique, sociaux et environnementaux. La dynamique engendrée par l’élaboration du projet de territoire participe au processus de réconciliation, de réintégration des différentes parties de la société autour d’objectifs et de projets communs. La reconstruction de Damas doit être pensée de façon globale et ambitieuse dès le départ en recherchant dans les méthodes d’élaboration et dans le contenu des projets à atteindre en priorité des objectifs qui favorisent la réconciliation et renforce le lien social.