Piloter les travailleurs mobiles - Peoplesphere · des implications différentes en termes de GRH....

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18 * DOSSIER 18 * références AVANT-PLAN * N°47 MARS 2007 * Le travail mobile, terme générique pour parler de télétravail ? Raccourci abusif, réplique Laurent Taskin, assistant à l’UCL, chercheur au CRECIS (Louvain School of Management) et président de la Belgian Teleworking Association (BTA). « Le télétravail est une appellation qui peut effrayer le DRH par son côté formalisé et le cadre légal dans lequel il s’insère aujourd’hui alors que sa pratique demeure largement informelle, dit-il. D’où la tendance à recourir au concept peut-être quelque peu plus ‘trendy’ de Mobile Working, qui renvoie à une solution plus englobante, plus intégrée. » Mais, souligne-t-il, travail mobile et télétravail sont bien deux réalités différentes. « C’est pourquoi je préfère parler de ‘déspa- tialisation du travail’, ce qui permet de considérer ces différents concepts d’un même regard. Un critère essentiel tient au degré de dispersion des personnes : travaillent-elles en un seul endroit en plus du bureau – par exemple le domicile, occasionnellement ou régulièrement – ou en une multitude de lieux – chez le client, dans les transports, en bureau satellite, à domicile, etc. En fonction de ce degré de dispersion, se posent des questions très différentes en termes de GRH. » Rattrapage opéré Attention aux idées reçues : d’après une étude européenne, datant de 2003 mais qui reste éclairante, les travailleurs mobiles représentent une population bien plus large que les télétra- vailleurs à domicile. Les premiers – à savoir les collaborateurs passant dix heures par semaine ou plus hors du bureau ou du domicile – comptaient à l’époque pour 15 % de la population employée dans l’Europe des Quinze. La proportion de télétra- vailleurs à domicile était moitié moindre, soit 7,4 % à l’échelle des Quinze. En Belgique, ces chiffres étaient respectivement de 10,4 % et de 7,5 %. « Il est fort probable que ces ordres de grandeur restent valables aujourd’hui, juge Laurent Taskin. Là où une évolution nette s’est marquée, c’est dans le degré de connectivité des travailleurs mobiles. En 2003, 4 % de la population employée avait recours à une connexion hors du lieu de travail et du domicile – 2,4% en Belgique. Aujourd’hui, il est à parier qu’un rattrapage s’est opéré pour couvrir la quasi totalité des travailleurs mobiles. Même les contrôleurs de l’administration ont désormais leur PDA relié à une base de données… » Frontières ténues Traduction : si, auparavant, certains travailleurs étaient mobiles car leur fonction l’exigeait – par exemple les commerciaux, les consultants, les techniciens actifs en maintenance, etc. –, la plupart se sont mués en télétravailleurs mobiles. « Il leur est désormais donné de garder le contact avec l’entreprise, d’exploi- ter les temps morts entre deux réunions, deux prospects et deux interventions, ou encore d’envoyer leur rapport, le soir, depuis leur domicile. La dimension mobile du télétravail favorise une augmen- tation de la productivité, mais peut aussi rendre les frontières entre temps de travail et temps hors travail plus ténues. » Problème : le travail mobile n’est pas du tout encadré, au contraire du télétravail qui, depuis le 9 novembre 2005 et la signature de la Convention Collective du Travail (CCT n°85), bénéficie d’un cadre réglementaire spécifique. « La CCT s’est volontairement restreinte pour exclure les télétravailleurs mobiles du champ d’application de ce texte car parler de ces derniers, c’est ouvrir la porte à la régula- Piloter les travailleurs mobiles Le concept de « Mobile Working » tend à prendre la place du terme « télétravail » dans le vocabulaire des DRH. Il recouvre toutefois des réalités très différentes ayant aussi des implications différentes en termes de GRH. Analyse et cas pratique. * Christophe Lo Giudice

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18 * références AVANT-PLAN * N°47 MARS 2007

*Le travail mobile, terme générique pour parler de télétravail ? Raccourci abusif, réplique Laurent Taskin, assistant à l’UCL, chercheur au CRECIS (Louvain School of Management) et président de la Belgian Teleworking Association (BTA). « Le télétravail est une appellation qui peut effrayer le DRH par son côté formalisé et le cadre légal dans lequel il s’insère aujourd’hui alors que sa pratique demeure largement informelle, dit-il. D’où la tendance à recourir au concept peut-être quelque peu plus ‘trendy’ de Mobile Working, qui renvoie à une solution plus englobante, plus intégrée. » Mais, souligne-t-il, travail mobile et télétravail sont bien deux réalités différentes. « C’est pourquoi je préfère parler de ‘déspa-tialisation du travail’, ce qui permet de considérer ces différents concepts d’un même regard. Un critère essentiel tient au degré de dispersion des personnes : travaillent-elles en un seul endroit en plus du bureau – par exemple le domicile, occasionnellement ou régulièrement – ou en une multitude de lieux – chez le client, dans les transports, en bureau satellite, à domicile, etc. En fonction de ce degré de dispersion, se posent des questions très différentes en termes de GRH. »

Rattrapage opéré Attention aux idées reçues : d’après une étude européenne, datant de 2003 mais qui reste éclairante, les travailleurs mobiles représentent une population bien plus large que les télétra-vailleurs à domicile. Les premiers – à savoir les collaborateurs passant dix heures par semaine ou plus hors du bureau ou du domicile – comptaient à l’époque pour 15 % de la population employée dans l’Europe des Quinze. La proportion de télétra-vailleurs à domicile était moitié moindre, soit 7,4 % à l’échelle

des Quinze. En Belgique, ces chiffres étaient respectivement de 10,4 % et de 7,5 %. « Il est fort probable que ces ordres de grandeur restent valables aujourd’hui, juge Laurent Taskin. Là où une évolution nette s’est marquée, c’est dans le degré de connectivité des travailleurs mobiles. En 2003, 4 % de la population employée avait recours à une connexion hors du lieu de travail et du domicile – 2,4% en Belgique. Aujourd’hui, il est à parier qu’un rattrapage s’est opéré pour couvrir la quasi totalité des travailleurs mobiles. Même les contrôleurs de l’administration ont désormais leur PDA relié à une base de données… »

Frontières ténues Traduction : si, auparavant, certains travailleurs étaient mobiles car leur fonction l’exigeait – par exemple les commerciaux, les consultants, les techniciens actifs en maintenance, etc. –, la plupart se sont mués en télétravailleurs mobiles. « Il leur est désormais donné de garder le contact avec l’entreprise, d’exploi-ter les temps morts entre deux réunions, deux prospects et deux interventions, ou encore d’envoyer leur rapport, le soir, depuis leur domicile. La dimension mobile du télétravail favorise une augmen-tation de la productivité, mais peut aussi rendre les frontières entre temps de travail et temps hors travail plus ténues. » Problème : le travail mobile n’est pas du tout encadré, au contraire du télétravail qui, depuis le 9 novembre 2005 et la signature de la Convention Collective du Travail (CCT n°85), bénéfi cie d’un cadre réglementaire spécifi que. « La CCT s’est volontairement restreinte pour exclure les télétravailleurs mobiles du champ d’application de ce texte car parler de ces derniers, c’est ouvrir la porte à la régula-

Piloter les travailleurs mobiles Le concept de « Mobile Working » tend à prendre la place du terme « télétravail » dans le vocabulaire des DRH. Il recouvre toutefois des réalités très différentes ayant aussi des implications différentes en termes de GRH. Analyse et cas pratique. * Christophe Lo Giudice

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tion de la fl exibilité, sujet sensible pour le patronat et les syndicats, pointe Laurent Taskin. Le télétravail est polymorphe et il est diffi -cile de considérer la diversité des pratiques sans entrer dans des discussions techniques et juridiques. » Un travailleur mobile n’en reste pas moins un travailleur à part entière, même s’il est en grande partie hors des murs de l’entre-prise. « Il ne s’agit donc pas de les ‘oublier’, conclut-il. Le travail mobile doit être considéré comme un réel projet d’organisation préparé, balisé, budgété, accompagné et adapté au besoin après une phase pilote. Il peut occasionner un transfert de stress et de charge mentale au travail, qui doit être géré, et au besoin accompagné. »

A l’occasion de la prochaine semaine européenne de la mobilité qui se déroulera du 17 au 21 septembre 2007, la BTA remettra les e-Working Awards désignant les entrepri-ses (grande entreprise, PME et organisation publique) les plus innovantes en la matière, à l’occasion d’une conférence nationale organisée avec le concours de RH Tribune. Plus d’informations et candidatures : [email protected]

Télétravail : défi nir une stratégie avant de passer à l’action Pour appuyer les entreprises dans la mise en place de projets de télétravail, la Belgian Teleworking Association (BTA) et Agoria ont réuni leur expertise dans un guide pratique Télétravail – De l’idée à la réalité. Il offre par exemple une grille permettant de catégoriser les télétravailleurs selon deux axes: la fréquence du temps télétra-vaillé et le/les lieu(x) choisi(s). Il en ressort six catégories: le télétravailleur à domicile, permanent ou en alternance, le télétra-vailleur à domicile occasionnel, le télétravailleur en télécentre ou bureau satellite, ainsi que les nomades, déconnecté (par exemple le représentant de commerce) ou virtuel (utilisant plus intensive-ment son ordinateur portable). « Cette matrice permet à l’entreprise de catégoriser ses télétra-vailleurs et de leur apporter un soutien adapté en termes tant de GRH que de technologies en fonction des profi ls, commente Dirk Heylen, conseiller au département social d’Agoria. Trop souvent, l’entreprise part des aspects techniques et, une fois qu’elle dispose des équipements, elle commence seulement à réfl échir à la stratégie, pour parfois se rendre compte que l’investissement s’est fait dans des outils non adaptés. Exemple: quelqu’un qui est souvent sur la route et qui envoie sporadiquement des messages courts pourra se contenter de SMS. Un télétravailleur à domicile intensif aura besoin d’une connexion au réseau stable, permanente et performante. »

Plus d’informations sur ce guide sur le site de la BTA : www.bta.be

Dirk Heylen:

« Trop souvent, l’entreprise part des aspects techniques et, une fois qu’elle dispose des équipements, elle commence à réfl échir à la stratégie, pour parfois se rendre compte qu’elle a investi dans des outils non adaptés. »

Comment rentabiliser les temps morts de la mobilité Pour les travailleurs mobiles comme pour les cadres toujours entre deux avions, il n’est pas toujours possible de prendre du temps pour aller en formation, a fortiori si celle-ci porte moins sur des aspects fonctionnels directement applicables que sur un développe-ment personnel. C’est à ce besoin que répond Synthesix, une jeune start-up qui vise à mettre à profi t les moments passés en voiture, en train ou en avion, et, plus largement, en voyage pour développer ses compétences. Le concept : mettre à disposition des analyses critiques des meilleurs ouvrages de management, sur un support CD, mp3 ou multimédia. « Il sort entre deux et trois mille livres ‘business’ par an et tous n’ont bien sûr pas le même intérêt, commente John Loots, directeur commercial et marketing. Nous en sélectionnons six par an en mettant en exergue, pour une durée d’écoute d’une heure environ, ce qu’il faut en retenir concrètement ainsi que des pistes de mise en œuvre de leurs principaux enseignements dans le business au quotidien. » Premier épisode de la série: le best-seller Good to Great de Jim Collins, bientôt suivi de First, Break All the Rules de Marcus Buckin-gham et Curt Coffman et The World is Flat de Thomas Friedman. Les thèmes privilégiés : le management, la gestion des talents, l’éthique des affaires, mais également la vente. « L’analyse critique se présente sous la forme d’un dialogue entre deux journalistes que l’on peut écouter en voiture ou regarder sur son ordinateur portable, par exemple dans le Thalys », conclut-il.

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