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Pierre jourde - La première pierre page 1 Présentation Pays perdu, en 2003, racontait les obsèques d’une enfant dans le village ancestral de l’auteur, en Haute Auvergne. C’était la fille d’amis paysans. Ces obsèques étaient l’occasion de raconter l’histoire du père de l’auteur, inhumé à quelques mètres, et au-delà les vies rudes de la poignée d’habitants de ce hameau. Le livre était conçu comme un hommage, un éloge mêlé de l’héroïsme et de la bouse de vache, une épopée de l’alcoolisme et de la vie rurale, où l’humour tempérait la tragédie. Or, même si les noms des lieux et des habitants avaient été modifiés, un certain nombre d’entre eux, s’étant reconnus, ont pris le livre comme une offense, y ont vu l’effet du mépris ou le résultat d’un obscur désir de nuire. Lorsque l’auteur est revenu au village, deux ans plus tard, avec sa famille, une demi-douzaine d’habitants l’a attaqué, dans l’intention manifeste de le lyncher. Ne pouvant y parvenir, certains d’entre eux étant même gravement blessés dans l’affrontement, ils ont jeté des pierres et proféré des injures racistes, deux des trois enfants étant métis. Le plus petit, un an, a été blessé, en sang sous les yeux de ses parents et de ses frères. Ceux qui jetaient des pierres, quelques années plus tôt, fêtaient tous le réveillon chez l’auteur. L’affaire est vite très médiatisée, même à l’étranger, et débouche sur un procès à Aurillac, les agresseurs ayant porté plainte pour coups et blessures, avant même que l’auteur ne le fasse à son tour. Les témoignages, unanimes, de certains habitants du village, dont la doyenne, établissent la légitime défense, et les agresseurs sont condamnés. Comme tous les livres de l’auteur, La Première pierre s’interroge sur notre étrange rapport à la réalité, toutes les manières que nous avons de ne pas y être. Il s’agit d’abord de raconter l’événement lui- même, les quelques minutes de l’agression, et de développer cet étrange paradoxe : c’est au moment où le réel nous frappe le plus fort qu’il paraît irréel. Il s’agit aussi de s’interroger sur l’origine d’une telle violence. D’où provient le malentendu ? Quel est au juste le pouvoir d’un texte ? En quoi nous violente-t-il ? Pourquoi lit-on un autre texte que le texte réel ? Le compte-rendu journalistique qui a été fait des événements, complètement fantaisiste, permet aussi de mesurer à quel point le discours médiatique nous enferme dans un monde d’illusions, constitué de clichés et d’idées reçues. En ce sens, la littérature n’est pas production de fiction, mais recherche, dans la langue, de ce réel qui nous fuit.

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Pierre jourde - La première pierre

page 1

Présentation

Pays perdu, en 2003, racontait les obsèques d’une enfant dans le village ancestral de l’auteur, en Haute Auvergne. C’était la fille d’amis paysans. Ces obsèques étaient l’occasion de raconter l’histoire du père de l’auteur, inhumé à quelques mètres, et au-delà les vies rudes de la poignée d’habitants de ce hameau. Le livre était conçu comme un hommage, un éloge mêlé de l’héroïsme et de la bouse de vache, une épopée de l’alcoolisme et de la vie rurale, où l’humour tempérait la tragédie. Or, même si les noms des lieux et des habitants avaient été modifiés, un certain nombre d’entre eux, s’étant reconnus, ont pris le livre comme une offense, y ont vu l’effet du mépris ou le résultat d’un obscur désir de nuire. Lorsque l’auteur est revenu au village, deux ans plus tard, avec sa famille, une demi-douzaine d’habitants l’a attaqué, dans l’intention manifeste de le lyncher. Ne pouvant y parvenir, certains d’entre eux étant même gravement blessés dans l’affrontement, ils ont jeté des pierres et proféré des injures racistes, deux des trois enfants étant métis. Le plus petit, un an, a été blessé, en sang sous les yeux de ses parents et de ses frères. Ceux qui jetaient des pierres, quelques années plus tôt, fêtaient tous le réveillon chez l’auteur. L’affaire est vite très médiatisée, même à l’étranger, et débouche sur un procès à Aurillac, les agresseurs ayant porté

plainte pour coups et blessures, avant même que l’auteur ne le fasse à son tour. Les témoignages, unanimes, de certains habitants du village, dont la doyenne, établissent la légitime défense, et les agresseurs sont condamnés.

Comme tous les livres de l’auteur, La Première pierre s’interroge sur notre étrange rapport à la réalité, toutes les manières que nous avons de ne pas y être. Il s’agit d’abord de raconter l’événement lui-même, les quelques minutes de l’agression, et de développer cet étrange paradoxe : c’est au moment où le réel nous frappe le plus fort qu’il paraît irréel.

Il s’agit aussi de s’interroger sur l’origine d’une telle violence. D’où provient le malentendu ? Quel est au juste le pouvoir d’un texte ? En quoi nous violente-t-il ? Pourquoi lit-on un autre texte que le texte réel ? Le compte-rendu journalistique qui a été fait des événements, complètement fantaisiste, permet aussi de mesurer à quel point le discours médiatique nous enferme dans un monde d’illusions, constitué de clichés et d’idées reçues. En ce sens, la littérature n’est pas production de fiction, mais recherche, dans la langue, de ce réel qui nous fuit.

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Extrait

Livre qui rompait le silence, comme ton père, si encombré dans les mots, avait rompu le silence, un jour, tu devais avoir vingt-six ans déjà, pour dire « je », je, moi qui suis ton père, tu dois savoir que j’ai été cet enfant, que j’ai été ce fils. Tu dois savoir que mon histoire, disaient ses mots sans les dire, il ne savait pas dire, que mon histoire, car j’en ai une, s’est nouée dans ces lieux où nous nous trouvons, dans ces lieux où je te dis « je » pour la première fois de ma vie, à toi, mon fils.

Dans ces mots que t’adressait ton père, tu devenais un « tu », une deuxième personne. Ton père, en t’ouvrant le passé, et notre origine, te soulageait du poids d’être au centre du monde. Et c’est « tu » désormais que tu serais, aussi. On disait « tu » au gamin de seize ans à qui on confiait en rigolant les petites histoires salaces du pays. Son père lui disait « tu » pour lui raconter la sienne, une des histoires parmi les innombrables qui courent les maisons et les prés, semblables au vent d’hiver, que les portes les mieux closes ne savent pas arrêter.

Le « tu », qui avait écouté, avait écrit un livre, dans lequel il était à peine un « je », parmi tous ces êtres qui avaient raconté des histoires, et à qui il restituait, non pas son histoire, mais la leur.

L’histoire racontée par son père en avait été le ferment, bien avant, vingt-cinq ans, que le livre ne s’écrive.

Sept ans après ce moment où il avait dit « je », comme jamais de sa vie il ne l’aura dit, le père était mort, avalé par le silence et le tombeau, avalé par son père à lui, à qui il n’avait rien été, mais qui l’attendait là, parmi les ancêtres voraces, parmi la terre qui veut depuis le début ceux qu’elle a fait sortir d’elle, et qu’elle a tenus dans ce même amour d’elle, implacable, où elle tient depuis le début son fils qui écrit ceci. Ainsi le père, à jamais, était tu.

A ceux-là que le silence a repris, jamais nous n’avons assez parlé. Et jamais nous ne les avons assez écoutés. Quelle parole pourrait combler ce manque, sinon une parole sans fin ?

Est-ce qu’il ne fallait pas, à la fin, et malgré le silence qui est la règle de cette terre, prendre la parole pour ce père qui n’avait jamais très bien su quoi en faire, jamais su comment manipuler cette étrange chose ?

Même il lui arrivait de bégayer, dans l’émotion, petit homme doux secoué par la puissance de cette bête qu’il avait tenté d’enfourcher, la parole. Bégaiement dont son fils avait hérité, et qu’il avait gardé quelques années, avant d’apprendre à dompter la bête, lui. Alors est-ce qu’il ne fallait pas parler, dire son fait à cette terre qui gardait en elle le père réduit au silence ?

Est-ce qu’il ne fallait pas, malgré l’avare silence et la massive nuit, faire parler ce qui ne savait pas, lorsque, ne sachant pas soi-même, soi-même effrayé par le monstre, on avait fini par le dresser, un peu ? Restituer les histoires reçues, les restituer mûries et fructifiées, comme le bon serviteur de la parabole ? Et redevenir, écrivant ces histoires, ce « tu », ce serviteur qui désapprend à dire « je » ?

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Mais il avait oublié, dans cette démarche, et quand bien même le « je » s’y faisait le plus discret possible, que toute parole, et plus encore tout livre, qui fixe la parole et la scelle d’un nom propre, celui de l’auteur sur la couverture, il avait oublié que toute parole, que tout livre, quoi qu’il dise, dit « je ».

Il dit « je » : tout ce qu’il paraît donner, il le prend. La joie qu’il donne, le plaisir, le chagrin, la colère, il s’en nourrit, tout lui revient, tout est pour lui. Le « je » qu’il est, même sans le dire, même dans la plus apparente discrétion, absorbe le monde.

Celui qui écrit un livre fabrique des amulettes, semblables à ces poupées de chiffon ou de cire au moyen desquelles les sorciers pensent manipuler les corps de ceux qu’ils ont représentés.

Ainsi les hommes, et les bêtes, et les montagnes, et les prés, et les forêts perdues, et les nuits froides, et la neige qui engloutit tout, et la solitude du cousin dont il ne restait que la silhouette dessinée dans le creux de la paille de l’étable où il couchait de préférence à son lit, le livre en avait fait une petite crèche, une petite crèche sauvage et tendre et brutale, avec ses petits personnages et ses décors aux détails colorés, on reconnaissait bien telle maison, telle silhouette, attendrissante et risible à la fois dans sa réduction.

Ils étaient là, tout petits, tout figés au sein d’une éternelle occupation, dans la crèche devant laquelle le livre les avait convoqués, avec leurs bras écartés dans l’extase, avec leurs tripes arrachées par les taureaux, avec leurs enfants morts, et ce qui devait les sauver de leur propre mort, c’était la sépulture du père enseveli. C’est là que le livre les rassemblait, pour les avaler tous, dans sa faim inassouvissable de vie, comme ces dieux dévorateurs des vieilles civilisations.

Ils étaient là, ces bergers, pris dans l’image pieuse, réduits au silence pour que puisse descendre la parole du père, celui qui s’est absenté, pour qu’il puisse dire qui il est, pour qu’il renaisse dans sa parole.

Nous étions en train de cueillir des mûres, tous les deux, dans le chemin qui dégringole depuis l’église vers des pâturages à demi mangés par les broussailles et les genévriers. Nous cueillions des mûres par kilos et le soir, sans rien dire, tous les deux, nous les écrasions dans les tamis, nous en extrayions le jus, aussi noir que celui des raisins que l’on foule dans les récits de l’antique Judée, aussi noir que le raisin des psaumes, sans rien dire, et nous le laissions cuire, sans rien dire, avec son poids de sucre, dans un grand chaudron, avant de le mettre en pots, et de revenir au chemin et à ses ronces. Les ronces chargées de fruits noirs débordaient les murs de pierre surplombant le chemin, et les épines entouraient son visage, dans le soleil déclinant de septembre, quand il avait dit, le père.

On est pris dans un livre comme dans une machine, et d’instinct ils le savaient. Elle vous attire, elle vous dénude, elle vous prend tout. Quel que soit le livre, quelles que soient ses intentions, bonnes ou mauvaises. Dans la fiction du livre, nos fictions sont à nu. On n’y peut rien. Ils le savaient, tous, ils le comprenaient, quand même ils ne lisaient pas, quand même le livre, autant qu’il le pouvait, faisait

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l’éloge du pays et de ceux qui l’habitaient, ils savaient que le livre, lorsqu’il paraît, demeure le seul à pouvoir dire « je », et que celui qui l’écrit, quand même il ne le voudrait pas, est le seul au monde à être le « je » de son livre, et du monde de son livre, et que c’est aussi pour ça, quand même il ne le saurait pas, qu’il l’a écrit.

Là-haut, d’abord, on parle peu. A l’étranger il ne sera délivré que peu de mots. Et puis, quand on connaît, on parle d’abondance. La parole y est un sport de compétition, avec ses règles, ses exploits, ses champions, ses beaux gestes. Mais ce qu’on ne sait pas beaucoup dire, même dans les plus brillantes démonstrations verbales, c’est « je ». On n’approche pas de ce silence intérieur, de cette ultime réserve, qui est la garantie de tout le reste.

Aussi le livre ne pouvait-il exister que sur une contradiction, comme tout livre, mais la contradiction était ici plus déchirante qu’ailleurs, mettant à nu l’impossibilité du livre, qui existait pourtant, l’impossibilité des vies, qui se vivaient pourtant : il voulait que ceux qu’il représentait, surtout le père, mais les autres aussi un peu, soient des « je », ce que personne ne peut être dans un livre. Et non seulement le livre ne donne pas à ses personnages la possibilité du « je », mais il leur dérobe ce « je » de la réserve intime, qui est la garantie de tout le reste.

Il y a le peu que l’on est. Il y a notre laideur et nos petitesses. Il y a la puanteur du corps qui a travaillé ou qui se délivre de sa merde. Il y a tous les ratages, l’amour mal fait, les enfants mal aimés, les parents délaissés. Il y a le sentiment d’abandon, il y a l’humiliation de ne pas comprendre, de ne pas savoir. Il y a la malignité des autres, leur mépris, leur haine, mépris réel ou mépris que l’on imagine. Il y a tout ce que l’on ne saura jamais faire ni jamais être. Il y a ce bonhomme, cette bonne femme que conservent les photographies, engoncé dans sa peau et dans ses vêtements, engoncé dans sa gueule pour l’éternité.

Cependant, même au plus pauvre type en apparence, même à celui qui paraît s’être entièrement voué au bonhomme en lui, même à celui qui se perd dans le vin, qui se bat, qui s’effondre ivre mort dans les fossés, oui, même à celui-là, et jusqu’au jour où l’on retirera sa carcasse en miette de la bagnole qu’il aura jetée dans le précipice, il demeure la conscience de n’être pas cela. Il n’est pas ce qu’il est, c’est sa liberté, c’est sa richesse. Chacun y tient plus que tout, autant qu’à l’argent, si important là-haut, mais l’argent est la même chose sans doute, la possibilité toujours ouverte d’autre chose que ce qui est, c’est bien pour cela qu’il faut le garder, et cette conscience de n’être pas ce qu’il est, c’est la dernière chose que la mort lui prendra, pour ne laisser, comme un déchet, comme une trace insignifiante, que le bonhomme.

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« Qui a jeté la première pierre ? » - La littérature à l’épreuve de la réalité

Etude issue d’un cours de littérature française fait à l’université du temps libre (UTL) du pays de Dinan

La Première pierre raconte une scène qui a eu réellement son lieu et son moment, et celles qui s’ensuivirent. En juillet 2005, dans un hameau du Cantal, en arrivant pour y passer leurs vacances, Pierre Jourde, l’auteur, et sa famille sont agressés par certains des habitants1. Des insultes, des menaces, puis les pierres volent : un nourrisson blessé par des éclats de verre, deux enfants terrorisés. Jourde fait le coup de poing. Ils doivent s’enfuir. La suite sera : les plaintes de part et d’autre en gendarmerie et à la police, le procès des agresseurs en correctionnelle, notamment pour insultes racistes à l’égard de deux des enfants, et leurs condamnations, les commentaires de médias, l’ostracisme de Jourde au village, les haines décidément irréconciliables. Que s’est-il passé ? Dans cet enchaînement de gestes et de paroles, dans cette espèce de tragédie que la Justice ne pouvait pas trancher vraiment et définitivement, qui dira les causes, qui établira les responsabilités, qui dira le vrai et le juste ? Qui fera l’archéologie de ces événements ?

Le pays de la perte

En 2003, Pierre Jourde avait publié un autre livre : Pays perdu, un beau récit d’une écriture classique2. En vingt quatre heures, le séjour de deux frères au pays, au fin fond de l’Auvergne, au bord d’un volcan. L’un veut fouiller la maison d’un vieux cousin dont il a hérité, car il soupçonne un trésor caché ; l’autre, le narrateur, vient chercher le fin mot d’un secret qui concerne la naissance de son père. En arrivant, ils apprennent la mort d’une adolescente qu’ils connaissaient : le soir et selon la coutume, ils visitent les parents et ils veillent l’enfant ; le lendemain, c’est l’enterrement, auquel le narrateur participe, en portant le corps de la petite et en aidant à le descendre dans le tombeau de famille.

Telle est l’occasion d’une suite de portraits, de tableaux et d’histoires, la plupart d’une cruauté brillante : des valets sans feu ni lieu ni tombe, des doigts gelés dont les phalanges se détacheront une à une, les dégâts d’une tronçonneuse, ce que voit un œil énucléé mais rattaché encore par le nerf optique… Et, par-dessus le tout, le froid et la dureté d’une terre reculée et ingrate, la bouse de vache enduisant les chemins et les cours des maisons, les accidents de voiture et du travail, la promiscuité et la saleté, l’alcool et la violence des relations humaines… Écrire à la pointe de diamant le dénuement, l’éloignement et l’abandon.

La première pierre, ne serait-ce pas d’abord ce livre lui-même, dont les villageois finirent par apprendre l’existence, que certains d’entre eux lurent plus ou moins et qu’ils estimèrent jeté à leur face et à celle de leur pays ? La réponse est évidente, et, en 2013, La Première pierre en conviendra, à un premier niveau de réflexion. Ils répondirent par leurs moyens rudimentaires, mais qu’ils avaient en abondance : la provocation en bâtardise puis les injures, racistes et autres, puis les pierres.

Cependant, Pays perdu n’est pas La Terre de Zola, ni un Céline. Le livre avait été conçu et réalisé comme un monument lyrique — un tombeau à la Mallarmé — élevé à une jeune morte et à un père

1 Pierre Jourde, La Première pierre, Gallimard, 2013

2 Pierre Jourde, Pays perdu, L’Esprit des péninsules, 2003, rééd. Pocket

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voisins de cimetière, au Pays lui-même et au fait, en soi, de la Perte3. À ce pays, lui-même fertile en histoires4, à sa beauté spéciale et à sa grandeur sans pareille, la littérature française — j’oserais dire en personne — édifiait l’hommage précis (millimétré) de ces morceaux de prose et de métaphysique transparentes dont elle a le secret depuis Voltaire, Nerval, Claudel ou Bonnefoy. Pays perdu n’est pas un récit d’avant-garde, il est immédiatement lisible et, en somme, il fut lu, mais il ne fut pas entendu : ni des habitants du village, ni des juges, ni des journalistes, ni des commentateurs5. D’abord parce que, si Pierre Jourde est un écrivain parfaitement lisible, il n’est pas des plus faciles.

Cependant, encore. Avant le livre maudit, dans le temps heureux des virées à boire de maison en maison, des belotes, des jeux de pétanque et des coups de main aux estives et fenaisons, il y eut tel geste d’une boule d’acier lancée dans la direction du narrateur ou tel sous-entendu qui voulait dire à celui qui avait ses origines au village depuis Louis XIV : ici, fils de bâtard et de grand-mère à grosses voitures, tu n’es pas chez toi. Telle parole et tel geste relevés après coup, dans La Première pierre. Ainsi, comme dans le Discours de Rousseau sur l’origine de l’inégalité et comme dans toute archéologie du mal, il y a toujours eu quelque chose avant, quelque erreur, quelque mécompte, quelque méfait : en cette matière, on n’en finit pas de remonter les temps. Il y a là une espèce d’écrou ancien et rouillé, foiré, pris dans la masse, auquel Pays perdu n’aurait fait, en force, que donner un tour de plus.

La première pierre

« Qui a jeté la première pierre6 ?» Ici, bien sûr, il faut s’arrêter un instant sur une histoire bien plus ancienne, sur une certaine parole de Jésus, sur le silence qui la précède et sur celui qui la suit :

Or, les scribes et les Pharisiens lui amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant devant, ils lui disent : « Maître, la femme que voici a été prise en flagrant délit d’adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider de telles femmes. Pour toi, quel est ton avis ? » Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir sujet de l’accuser. Mais Jésus, se penchant, se mit à écrire du doigt sur le sol. Comme ils continuaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché soit le premier à lui jeter la pierre » ! Puis, se penchant de nouveau, il se remit à écrire sur le sol7

À la provocation, répond d’abord un silence, qui signifie sans doute un non est judicandum. Puis, devant leur insistance, une parole et un geste sans réplique, qui décontenanceront en effet les accusateurs. D’une part cette parole renvoie chacun à une archéologie du mal, à poursuivre en soi-même. D’autre part, avant et après ce renvoi, elle oppose à cette demande de châtiment archaïque une sorte d’écriture, du doigt sur le sol — une loi nouvelle ? —, dont le texte ne nous est pas donné, et qui n’a peut-être même pas de texte : une écriture allusive, effaçable mais démonstrative et puissante.

Peut-être La Première pierre appartient-elle à ce genre d’écriture, et la littérature pourrait-elle desserrer, ou même entièrement libérer l’écrou qu’elle avait contribué d’abord à serrer. En tout cas, huit ans après l’événement, le deuxième livre tente de répondre à l’effet de sidération qui fut celui de la lapidation et de

3 « […] se recueille encore là, peut-être, cette bizarre qualité : le sentiment même de la perte, dans toute sa douloureuse intensité » (Pays perdu, p. 18).

4 « […] se recueille encore là, peut-être, cette bizarre qualité : le sentiment même de la perte, dans toute sa douloureuse intensité » (Pays perdu, p. 18).

5 Bien sûr, le système de services mutuels que Pierre Jourde avait dénoncé en 2002 dans son livre La Littérature sans estomac se fit un malin plaisir de l’accabler, avec l’ironie condescendante qui convenait. Bien ou mal intentionnées, La Première pierre fait la liste des manières de se tromper sur l’agression subie par l’écrivain et sur le sens de son livre (p. 91-92).

6 La Première pierre, p. 55, dans le récit de la lapidation

7 Évangile selon saint Jean, ch. 8, traduction Crampon.

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ses suites, en les racontant8. Comment ?

C’est une suite dramatique de scènes qui paraît d’abord s’opposer à l’espèce de recueil d’histoires détachées qu’était le premier livre. Ce faisant, le deuxième livre instaurerait en effet un certain ordre : un début, une continuation, une fin, une logique aristotélicienne, une raison non raisonnante mais bel et bien, — et quand même —, unlogos, celui de la raison mimétique, un tombeau scénique de raisons. D’où l’ordre chronologique et organique d’une seule histoire et l’instauration d’une double tension, celle qui conduit au retour au village après les événements et celle qui mène à la révélation selon laquelle le secret du père était de la même nature que celui d’Henri, abattu d’un coup de poing bien placé dans la fameuse scène. Deux histoires d’adultère entre cousins, connues de tous au village, des secrets de polichinelle, — sauf dans chacune des familles concernées :

Elle avait à dire, l’histoire d’Henri, ce que je n’avais pas vu en l’écrivant, mais qui se disait pourtant en elle, malgré moi : que le secret qui pesait sur elle était construit de la même façon, rigoureusement, que celui qui avait pesé sur l’histoire de mes grands-parents. (La Première pierre, p. 154)

Cohérence de l’histoire et mystère résolu. Mais déjà notons que cette histoire apparemment linéaire s’encombre et se retarde de réflexions sur la littérature, de scrupules divers et de retours sur le premier livre. Dans La Première pierre, les citations et le poids de Pays perdu, un livre dans le livre, comme une obsession.

Une histoire de pronoms

Cependant, il faut relever une différence très forte entre les deux livres, une différence de l’ordre de la poétique. Le narrateur de La Première pierre se désigne à la deuxième personne, presque toujours : toi, le petit bonhomme… Dans la narration du deuxième livre, il y a donc une abdication du « je » ancien, déjà peu marqué d’ailleurs, au profit d’un « tu », abdication décidée d’abord pour être fidèle à une scène fugitive et ancienne, qui eut lieu dans le chemin bordé de ronces où passent journellement les troupeaux, celle dans laquelle ce père effacé dit une fois « je » au fils en lui disant « tu », et aborda en ces termes le secret de sa naissance à lui. Ce jour-là, l’homme que sa propre mère en manteau d’astrakan faisait passer au village pour son chauffeur avait pris le « je » de tout narrateur possible et laissé le « tu » à son fils — ce dont le fils se rend compte seulement maintenant (La Première pierre, p. 117).Il y a encore une autre raison à cette décision de l’auteur, une raison connexe à la première. Le premier des deux livres entendait exalter les fictions du pays en un livre de la littérature française. Il les corrigeait de leurs variations orales, il les constituait en textes, il les rendait objectives et fortes, définitives. Par là, on l’a vu, il les sauvait en un tombeau glorieux, elles, et avec elles la petite morte, le père et tous les habitants : il les rachetait, généreux rédempteur, il les arrachait à « la terre avare » où tous ces êtres étaient ensevelis, eux, leurs histoires et leurs sous enterrés9. Très bien.Mais, ce faisant, le monument enlevait à ces personnes, et d’ailleurs à son poète lui-même, ce « je » qui enfermait jalousement le trésor de leur subjectivité, cette réserve inaliénable qui proteste indéfiniment contre l’indiscrétion d’autrui (noli me tangere) mais surtout contre ce que chacun a de trop humain à la

8 Sidération certainement, mais Pierre Jourde lui-même avait senti venir l’événement puisqu’il avait écrit aux habitants de Lussaud une longue lettre d’explications, en 2004, lettre que l’on trouvera parmi les documents que l’auteur publie sur son site. D‘autre part sa mère puis Sophie, la Sagesse, l’avaient mis en garde : « Surtout, tu ne cognes pas » et « Surtout, en cas de rixe, ne pas frapper ». Mais le narrateur a appris la boxe et un seul coup, instinctif et facile, en réponse à la menace d’un bâton, étend Henri « de la position de l’agresseur debout, hurlant, à celle du dormeur tranquille absorbé dans la sieste profonde de l’été, à midi, sous l’arbre, entre deux chargements de foin » (La Première pierre, p. 44). L’esthétique ironique du tableau, dans le style de Pays perdu.

9 C’est Mallarmé, non nommé mais présent par allusions décisives. Comme le « parmi l’herbe » où est enterré le valet Jaquette (Pays perdu, p. 117) vient du « Tombeau » de Verlaine, « l’avare silence et la massive nuit » de la tombe vient du « Toast funèbre » écrit en 1872 pour Théophile Gautier (La Première pierre, p. 112).

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périphérie de lui-même, de dérisoire, d’imbécillité, de nullité, d’inhumanité :Cependant, même au plus pauvre type en apparence, même à celui qui paraît s’être entièrement voué au bonhomme en lui, même à celui qui se perd dans le vin, qui se bat, qui s’effondre ivre mort dans les fossés, oui, même à celui-là, et jusqu’au jour où l’on retirera sa carcasse en miettes de la bagnole qu’il aura jetée dans le précipice, il demeure la conscience de n’être pas cela. Il n’est pas ce qu’il est, c’est sa liberté, c’est sa richesse. (La Première pierre, p. 116)

Tel est l’ultime de son secret (de son trésor), sauvé de tous par lui avec ses poings, et dont précisément Pays perdu l’aura dépouillé. Survient, juste avant ce passage, la métaphore de la prise de force du tracteur dans laquelle des hommes, happés par une manche ou un bas de pantalon qui traînent, se sont fait souvent estropier ou même déchiqueter :

On est pris dans un livre comme dans une machine, et d’instinct ils le savaient. Elle vous attire, elle vous dénude, elle vous prend tout. Quel que soit le livre, quelles que soient ses intentions, bonnes ou mauvaises. Dans la fiction du livre, nos fictions sont à nu. On n’y peut rien. Ils le savaient, tous, ils le comprenaient, quand même ils ne lisaient pas, quand même le livre, autant qu’il le pouvait, faisait l’éloge du pays et de ceux qui l’habitaient, ils savaient que le livre, lorsqu’il paraît, demeure le seul à pouvoir dire « je », et que celui qui l’écrit, quand même il ne le voudrait pas, est le seul au monde à être le « je » de son livre, et du monde de son livre, et que c’est aussi pour ça, quand même il ne le saurait pas, qu’il l’a écrit. (La Première pierre, p. 114-115)

Même conjurant le « je » par le « tu », l’auteur n’y échappera pas : il est le « je » dernier et non déclaré par lequel ce « tu » pensait sauver la mise de l’écrivain. Il est l’auteur trop malin de la permutation de pronoms, simple cache de la prise de force, qui n’annule pas le mécanisme et ne le sécurisera pas. La méfiance première et la haine à l’égard des machines tournantes ont fait le reste. Cela donnerait déjà beaucoup d’excuses sinon de justifications aux violences qui eurent lieu.Alors, la paix ? Faire la paix avec eux, un jour, comme le supposait Bernard Jannin dans son propre récit, quand il évoquait celui de son ami et compatriote Pierre Jourde10 ? Guetter l’instant de leur ouverture pour faire le pas vers eux ?

Sortir de la littérature ?

Les livres aiment à ménager chacun sa fin, surtout justement quand il s’agit de récits dramatiques. Car chacun le sait par Aristote et par expérience de spectateur : même et surtout sous la forme de la catastrophe, tout dénouement est apaisant, par la purification qu’il opère de certaines passions : par la satisfaction qu’il offre à l’esprit recru d’épreuves.

Lisant La Première pierre, on croit d’abord tenir cette fin heureuse quand le livre en vient à raconter l’estive à laquelle François et Marie-Claude, les parents de l’enfant morte, ont convié l’écrivain et les siens. Dernière expédition qui accompagne le bétail dans les hauteurs, car il n’y en aura plus d’autres sous cette forme ancienne, c’est une journée d’histoires à se raconter, d’amitié à vivre et de bonheur au pays.

Mais le dernier chapitre change tout. Il y est question de l’hostilité larvée que beaucoup au village ont maintenue à l’égard de l’écrivain, des regards qui l’ignorent et des exclusives lancées contre ceux qui lui demeurent fidèles. De son côté, celui-ci revient au village, pour le principe, et il refuse d’avance « les signes de dégel, les embryons d’échange, les tentatives de pacification » :

10 Bernard Jannin, Pays éperdu, préface de Pierre Jourde, éd. Page centrale, 2012. Enfant du pays lui aussi, Bernard Jannin raconte lui aussi l’enterrement de l’adolescente, neuf ans après Pays perdu et un an avant La Première pierre. Situation singulière que celle de ces trois livres, par ailleurs absolument différents.

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Pierre jourde - La première pierre

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Après les pierres aux enfants, le mur du silence refermé sur des gens qui n’y peuvent rien, les étrangers circonvenus, les dos tournés de ceux qui n’étaient même pas concernés ? C’est terminé, et à jamais, et c’est très bien ainsi. Il y a le sang d’un gamin d’un an entre nous. (La Première pierre, p. 188)

Ce qui est dit un peu plus bas, expressément, au moment des dernières phrases, c’est la volonté de demeurer au pays pour toujours, c’est-à-dire au delà de la mort, et de l’enterrement en ce cimetière, contre eux :

Parfois, dans ta rêverie, tu traverseras la pierre, tu iras te mêler au corps granuleux des vieux murs, tu te fondras dans la substance noueuse des arbres, tu iras au fond de l’étable écouter le souffle des veaux, et tu croiras que c’est l’enfance encore, l’enfance qui tourne et se retourne dans les eaux éternelles. Tu pénétreras ta maison, tu chercheras les lits dans lesquels, longtemps auparavant, dans les années, tu rêvais déjà ce moment, tu chercheras dans la nuit la lumière des longs après-midi sans fin, tu descendras les ruelles escarpées, vers l’église, vers les abreuvoirs, tu seras toujours là, malgré eux, chez toi. (La Première pierre, p. 189-190)

Pas de traité. La guerre qui a éclaté en juillet 2005 et qui fut ouverte bien avant, cette guerre de territoire ne finira jamais.

Dans notre théorie de la littérature et surtout dans l’idée ancestrale que nous nous en faisons, il y a quelque chose qui s’appelle un humanisme, et qui appelle une poétique des nœuds et des dénouements. Or, peu de lignes avant l’explicit que je viens de citer, il y a cette autre déclaration :

Ce que tu aimes voir, ce que tu désires, ce que tu attends, tu ne peux pas le dire ici, bonhomme. Tu ne peux pas le dire parce que cela scandaliserait, parce qu’on ne dit pas des choses pareilles, parce qu’on les écrit encore moins, parce qu’on te regarderait comme un monstre, parce que cela excéderait les normes de ce que l’on appelle humanité, dans les limites de laquelle on croit aujourd’hui que la littérature doit se cantonner. Mais tu dois bien t’avouer que tu désires cela qui, lorsque la chose se produit, te réjouit secrètement. (La Première pierre, p. 188-189)

Encore un secret, mais pas de polichinelle. Cela qui « réjouit secrètement » l’écrivain, il ne l’écrit pas, et donc on peut seulement le conjecturer comme étant de l’ordre des déclarations qui, entre les hommes, transgresseraient l’humanité. Une phrase à écrire du doigt dans la poussière et à effacer aussitôt ? Ce qui n’est pas écrit, c’est la déclaration d’inhumanité qui ferait sortir le livre de la littérature.

Doit-on, peut-on sortir de la littérature ? Ou bien sortir de notre définition de la littérature, qui la limiterait à un humanisme ? Devons-nous instituer l’inhumain dans la littérature ? Celle-ci y répugne encore, puisque Pierre Jourde désigne quelque chose qu’il se refuse à écrire dans son livre. Qu’est-ce qui retient ses mots : la voix publique ou la majesté ancienne de la littérature ?

Vers le milieu de La Première pierre, à propos de Pays perdu, il y avait une sorte de rêverie du livre qu’il aurait fallu, et qu’il faudrait :

Il faudrait, il aurait fallu, un livre qui ne revendique rien pour soi, ni pour son auteur, un livre qui ne dise pas « je » sans cesse, comme ils disent tous, même à la troisième personne, même à la deuxième. Un livre sans personne. Ce que la littérature s’efforce d’être et qu’elle n’arrive pas à être. Avec les sentiments, on ne doit pas faire de littérature. Avec rien on ne doit faire de littérature. Il faut bien écrire, puisque tu ne peux pas faire autrement, mais écrire pour tenter de sortir de la littérature. Ce qu’on ne parvient jamais complètement à accomplir. (La Première pierre, p. 104-105)

Un livre qui ne revendiquerait rien pour personne. Alors, sortir des pronoms personnels, sortir des déictiques parce qu’ils supposent par constitution un « je » qui montre à un « tu » à l’intention des

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Pierre jourde - La première pierre

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« ils »11 ? Sortir de la communauté des « nous » qu’instituent les images poétiques, sortir de la raison lyrique, mais par quelle écriture ? Demeurer en l’écriture par des moyens qui ne seraient plus ceux de la littérature ? Fortes et belles questions. Ces deux livres en tout cas appartiennent à la littérature, le premier brillamment et pleinement, le second de manière inquiète, instable, et problématique.

Le pouvoir des histoires

Dans Pays perdu, entraînante et entraînée par le propre sortilège de sa dynamique, la littérature elle-même allait au clash en toute innocence : en toute naïveté, à corps perdu, à tombeau ouvert. De l’un à l’autre livre, il n’y a ni une démarche ni un gain théoriques, il y eut un choc physique et moral, imprévu et dévastateur. Dans La Première pierre, on a littéralement la réflexion en retour de ce choc, laquelle ne peut être que mêlée à la narration de l’accident et de ses suites, hésitante, obsessionnelle et troublée. L’écriture de ce deuxième livre essaie d’absorber les premiers effets de l’accident, puis ses ondes plus lointaines : elle se déforme sous l’impact mais elle tient le choc.

Et d’abord elle constate que l’événement n’était pas l’effet d’un malheureux hasard ni vraiment un accident : de même que dans les chutes au ravin des villageois fin saouls, il y avait dans Pays perdu un alcool fort et une gaieté entêtante, ceux de l’écriture elle-même, qui va souvent plus loin qu’on ne voudrait. Alors, d’un côté, l’écrivain de La Première pierremaintient l’exigence de la clarté classique ; de l’autre il se refuse aux illusions d’une maîtrise totale, il la craint maintenant et il l’évite même.

Bien sûr, il y a là un appel à la responsabilité, adressé à soi-même, comme écrivain et même comme professeur :

Tu prends la mesure, petit bonhomme, de la déflagration produite par les quelques dizaines de pages publiées par un écrivain obscur chez un petit éditeur. Ce n’est pas seulement ta vie qui se trouve changée, mais c’est, définitivement, celle de tout le village, et d’une bonne partie de ceux qui le fréquentent. Toi qui ironisais volontiers sur ceux qui débitaient de grands discours sur le pouvoir de la littérature… (La Première pierre, p. 63)

Il y a donc aussi dans ce livre une profonde ironie qui s’adresse à toute théorie de la littérature. Quand il arrive à celle-ci des leçons ou, qui sait, des questions qui la font réfléchir, c’est par l’épreuve imprévue du réel et non par le soupçon des sciences humaines ou de la philosophie ou même par l’effet d’une pensée réglée à loisir d’elle-même sur soi-même. Faire la théorie de la littérature, ce n’est pas sortir de la littérature par le côté qu’il faudrait.Enfin on y lit une réflexion sur le rappel à la réalité que subit ici la littérature : quelque chose d’irréductible et de sauvage s’est déclaré, sur quoi le pouvoir de l’écriture s’est révélé comme nul et, pire, comme une espèce de provocation.L’écriture est une expérience de la solitude, pendant laquelle l’écrivain se livre — est livré, de son consentement et par son plaisir — au rythme et aux entraînements du talent et de l’inspiration, de la langue et de la pensée : à l’esprit du lyrisme (Jourde dit : au romantisme). Survient la sortie de son livre qui signifie ordinairement l’épreuve de l’extérieur, sous la forme des lectures et des commentaires. S’agissant de Pays perdu, publié de manière quasiment confidentielle chez un petit éditeur, les commentaires et les contresens ou faux-sens, épreuve déjà cruelle, ne viendront pour la plupart qu’après le scandale de 2005. Mais, ici, la sortie du livre signifie encore autre chose, à mesure qu’il arrive à la connaissance du hameau : au sens propre, la publication du pays aux yeux de ses habitants et aux yeux du monde extérieur. À un moment, l’écrivain rencontre l’objet de son livre, le pays, et il ne le reconnaît plus. Les sujets de sa souveraineté ne se reconnaissent pas dans le livre ou s’y reconnaissent trop bien, non

11 Les déictiques, ou embrayeurs, sont les termes de la désignation, quand ils figurent dans une situation d’énonciation. Ainsi : ce, cette, cela… ; je, tu, il… ; mon, mien… ; voici, voilà… ; et jusqu’à le, la, les… ; etc.

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Pierre jourde - La première pierre

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seulement dans les traits manifestes de leur vie ainsi objectivée mais dans l’intimité, ainsi exhibée, de leurs subjectivités. Ils se révoltent.Comme tous ses confrères, l’écrivain écrivait d’abord pour lui-même — pour sa propre oreille —, perdu dans le monde exclusif de la littérature et de ses logiques, où ses voisins, à des lieues certes et au bout des chemins, s’appelaient le Mallarmé des Tombeaux et le Rimbaud qui a décrit les vaches dans les villages où l’on arriverait le soir en compagnie de Nina12 :

Ça sentira l’étable, pleine De fumiers chauds,

Pleine d’un lent rythme d’haleine, Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ; Et, tout là-bas,

Une vache fientera, fière, À chaque pas……

Pierre Jourde écrivait pour ramener de la mort « une jeune Eurydice » : « Et c’est le pays tout entier, dont il te semblait qu’on l’enfouissait avec la jeune fille, que le livre a voulu remonter à la vie, avec son poids de secrets » (La Première pierre, p. 146-147). Cependant Orphée revient au pays. Celui-ci proteste de la voix et du geste : il n’est pas perdu, ses secrets sont vivants, il ne veut pas de ces enchantements. Lazare se tourne avec fureur contre celui qui voulait le remonter à la vie : il n’est pas mort.

Pierre Campion

12 Rimbaud : « Les reparties de Nina ». À ces invites et promesses, à ce lyrisme, Nina répondra, comme on sait : « Et mon bureau ? » Autres voisins en ce pays-là : probablement Nerval et peut-être Ponge, l’auteur de : « Le monde muet est notre seule patrie »

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Pierre jourde - La première pierre

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Revue de presse

Entre déjà et encore, ‘Le Maréchal absolu’ illustrait ce qu’est et qui est Pierre Jourde : un auteur absolu. Quand il eût pu clore par le seul premier chapitre de son ‘Maréchal’ en pur et absolu chef-d’oeuvre littéraire, l’auteur en ajouta, en rajouta. Pour mieux enfoncer le clou, pour mieux en finir ou pour n’en pas finir avec son ‘Maréchal absolu’, avec le ‘mal absolu’ ? Le talent de P. Jourde est entier, un et indivisible ; qu’on ne peut pas découper en strates de réussite, en tranches d’assez bien, de parfait, de faible, de ‘peut mieux faire’, de ‘chef d’oeuvre absolu’...

Nous ne disons pas que Pierre Jourde s’en gausse. L’auteur a les exigences de l’intellectuel, de l’artiste, de l’esthète, de l’homme. Pierre Jourde aime la justice. Y croit. Cela peut certes paraître dérisoire, désarçonner en ces temps de renoncements, de compromission, d’àquoibonisme, d’indifférence, de ‘tout se vaut, de peur’. Oui, cela peut certes donner un livre ‘déséquilibré’. Y a-t-il quelque chose d’étonnant quand on vous jette des pierres ? Qu’en pense celui qui relancera à Pierre Jourde la première pierre ?

Qu’on soit bien d’accord. ‘La Première Pierre’ ne se présente pas comme la définitive oeuvre du définitif. Pierre Jourde - en un livre qui peut certes dérouter - dit ses souffrances de l’incompréhension, ses désarrois. Puis donne parmi les plus belles pages de ‘littérature de montagne’ - déconcertant, consternante et dérisoire appellation, mais la critique ou la littérature n’ont trouvé mieux - comme en un chant époustouflant, en un cri d’amour déchirant devant la nécessaire et douloureuse beauté d’un monde rural, d’un monde où l’on sait le prix de la vie, de la montagne, du nomadisme terrestre, de l’absolu.

Pierre Jourde a un tel talent qu’il n’est pas prêt de nous livrer le chef-d’oeuvre définitif, l’oeuvre d’art littéraire absolue, l’absolu ‘tout en un’ qui l’exonérerait de son métier-ministère d’alerteur du lecteur, d’acteur des lettres, d’objecteur de l’immonde, de révélateur du beau. Qui ne penserait qu’il s’en faut réjouir ?

Pierre Carmin, Amazon

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08 SEPT 13Quotidien

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a170a5ce5b302406c2bd46942704057723052a1ce16b399GALLIMARD9754047300524/MRT/MFG/2

Eléments de recherche : GALLIMARD : maison d'éditions, toutes citations y compris ses collections Partie 1/2 (cf fiche pour détails)

Pierre Jourde :retour au pays perduL'HUMEUR DE JÉRÔME GARCIN Regard littéraire sur un épisode dramatique

R appelons les faits. En2003, Pierre Jourde pu-blie Pays perdu, un beau

livre aux accents gracquiens surle hameau du Cantal, perché aubout d'une route en lacet, d'oùsa famille est originaire, où il agrandi pendant les vacances,rentré les foins, gardé les va-ches, enterré son père, et où ilpossède toujours une ferme. Leportrait du lieu, âpre et austère,se double d'un portrait de sesrares habitants (une vingtaine),dont il loue la force et la gran-deur sans cacher pour autant laface noire, la rudesse, la solitu-de granitique, le penchant àl'alcoolisme. Lorsque, avec safemme et ses enfants, dont unbébé, Pierre Jourde revient l'étésuivant dans ce "pays perdu", il

C'est pour ce pèremort, ce père humilié,que Pierre Jourde avaitécrit "Pays perdu".

est attendu. A l'entrée du villa-ge, un écriteau le prévient queson compte est bon. En effet. Apeine a-t-il garé sa voiture dansla cour de la ferme qu'il est prisà partie par un homme et deuxfemmes qui l ' i n su l t en t ,l'accusent d'avoir stigmatisé lespaysans de Lussaud, d'avoirécrit "que ce pays est un pays demerde", révélé des secrets decoucheries, et finissent par luijeter des grosses pierres aux ar-rêtes tranchantes. Ils font volerle pare-brise en éclats, deséclats qui blessent le bébé. Cet-te tentative de lynchage sera sé-vèrement jugée par le tribunaldaurillac qui prononcera delourdes peines - amendes et pri-son avec sursis - contre lesagresseurs.

Si Pierre Jourde décide aujourd'hui de revenir sur cet épisode dramatique, c'est aussi pour rendre à lalittérature ce que le fait divers lui a volé. / PHOTO DR

brouiller les pistes, faisait pas-ser pour son chauffeur.

C'est pour ce père mort, ce pè-re humilié, que Pierre Jourdeavait écrit Pays perdu. Et c'esten raison de ce livre de piété fi-liale et de fidélité à un lieu quel'écrivain est devenu, là-haut,dans ce cul de sac auvergnat,"le pestiféré, le salaud, le mé-chant que même les petits en-fants ne saluent pas. " Les adul-tes, eux, salueront le grand écri-vain qu'est Pierre Jourde et cet-te Première pierre sur laquelle,depuis plus de vingt ans, bienavant les événements de Lus-saud, il a bâti son œuvre.

J.G.

"La première pierre" de Pierre Jourde,Gallimard, 194 pages, 17,90 euros.

Si Pierre Jourde décideaujourd'hui, en s'apostrophantlui-même, en se tutoyant, de re-venir sur cet épisode dramati-que, ce n'est pas seulementpour en finir avec une histoirequi ne cesse de le hanter, lui etles siens, c'est aussi pour ren-dre à la littérature ce que le faitdivers lui a volé. Lentement, po-sément, l'écrivain reprendl'affaire dès le début.

Il raconte comment et pour-q u o i , à l ' o c c a s i o n del'enterrement d'une jeune filledu hameau, il a écrit Pays per-du, convaincu lui-même quec'était "un hommage émouvantà la paysannerie", à des gens ru-gueux vivant dans des maisons"pénombreuses " où " le soleil de-meure consigné sur le seuil" et

où même le lait "a quelque cho-se de noir dans le blanc". Il dé-crit ensuite la scène presquemédiévale du lynchage, et letraumatisme durable de ses en-fants, traités de "sales arabes"(ils sont noirs et leur mère, an-tillaise).

Il donne les actes du procèsqui en suivit, et au cours duquelcertains journalistes éprouvè-rent un plaisir malsain à voir unécrivain rossé par ses personna-ges, ses prétendues victimes. Illivre surtout, dans un chapitrecardinal (le 9ème), son propresecret, longtemps ignoré, etl ' o r ig ine , p e u t - ê t r e , del'hostilité dont il est l'objet : lepère timide et bégayant de Pier-re Jourde était un bâtard que samère, au village, et afin de

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20 SEPT 13Hebdomadaire

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GALLIMARD2333657300505/GVB/MMS/2

Eléments de recherche : GALLIMARD : maison d'éditions, toutes citations y compris ses collections Partie 1/2 (cf fiche pour détails)

Non, c'est vrai,on nfécrit pas toujours ce que Ton veutLes mésaventures de l'écrivain Pierre Jourde auraient pu fort bien se passer chez nous

Voici une histoire quipourrait arriver cheznous Pierre Jourde est unécrivain de talent ll estoriginaire d'un petit vil-lage du Cantal, ce pour-rait être un des nôtres Cevillage, il y a grandi, il s'yest fait des copains Etpuis il est allé se faire unebelle carrière littéraireailleurs (entre mille au-tres choses, il enseigne à l'Uni-versité de Valence) On lui doiten particulier des charges sa-lutaires contre toute une litté-rature à la mode qui ne doitson succès qu'à des copmages(Le Jourde et Naulleau, La lit-terature sans estomac) C'estviolent, un peu exagéré maîsça fait du bien

Un jour lui est venu l'idée depublier un petit roman qui sevoulait un témoignage d'affec-tion à son village natal Cela

devint Pays Perdu dont on nepeut que recommander la lec-ture. On y sent bien au fil durécit son affection pour l'en-droit maîs l'écrivain qu'il est

Jua grosse bagarre

s'est senti affranchi de beau-coup de retenue ll a donc dé-peint quèlques personnagesavec un peu trop dè vérité Un-tel n'était pas bien malin il ledit Tel autre avait un penchantpour la bouteille : il le ditMême si les identités ont été ar-rangées, il est certain que dansson petit pays on s'est re-connu

Moyennant quoi, retour-nant il y a quèlques annéesdans la ferme paternelle, il y futaccueilli par un déchaînementde violence Sa voiture futcaillassée, son bambin dequèlques mois blessé dansune altercation qui avait tournéà l'affrontement physique, desinsultes racistes fusèrent, sesenfants étant métis L'affaire apris un tour tel qu'on se re-trouva au tribunal qui décidade peines d'amende et de pri-son avec sursis Pierre Jourdes'en est souvent expliqué etvoilà qu'il revient sur l'affaireavec un nouveau texte La Pre-mière Pierre (Gallimard)

Evidemment, dans un petitjournal comme le nôtre, cela

nous concerne Car, de-puis 113 ans que nousexistons, des histoiresde village, nous enavons entendues.. Etcomment cacher que,soit à titre professionnel,soit à titre privé pargoût de l'écriture, latentation ait pu nousvenir d'écrire certainesde ces histoires que

nous trouvions belles et signi-ficatives de l'esprit général denotre pays ll nous est mêmearrivé que cela nous vienne àpropos de personnes avec quinous étions en conflit 11 me re-vient une affaire de trahisonpendant la guerre qui est, enfait, assez connue des habitantsdu village concerné maîs quenous n'avons pas écrite parceque l'intéressé était mort et quesa famille qui n'y était pour riena déjà payé très au-delà de cequi convenait Maîs oui, en ef-fet, à la difference de PierreJourde, nous avons retenu no-tre plume Avons- nous man-que de courage? Chaque fois,c'est un cas de conscience Nejouons pas les petits coqs Onn'est jamais tout-a-fait fier desoi Et, au cas par cas, nous nesommes pas sûrs d'avoir raison

L'affaire de Pierre Jourdeest évidemment scandaleuseRien ne justifiait que son bébé

La rumeurplutôt que le texte

fut blessé et que son fils aînéfut traumatisé Maîs sa naïvetéa quelque chose de troublant.On voit bien que là derrièretraîne l'idée que la littératureserait au dessus des hommes,qu'elle n'aurait pas à tenircompte de leurs capacitésd'emballement, leur irratio-

nalité, parfois - c'est vrai- leurmédiocrité Nous vivons sou-vent avec notre modeste jour-nal des énervements que PierreJourde a connu en grand for-mat . on nous reproche desécrits qui ne se sont jamaistrouvé dans nos colonnes,maîs dont la rumeur a décidéqu'ils s'y trouvaient De même,dans le cas de Pays Perdu, il estpatent que certains des excitésdu Cantal n'ont pas lu le texte,maîs se sont contentés d'unerumeur publique Ou alors ilsn'ont pas vu au delà dequèlques portraits vivementcroqués, la grande tendressequi se dégageait vis-à-vis decette petite communauté hu-maine L'affaire est pleined'enseignement En toute lo-gique, il faudrait écrire non pasce que l'on veut dire, maîs ceque le lecteur pourrait penserqu'on a dit et qui est tout dif-férent L'ouverture de la « sai-son municipale » nous vaut,par exemple, des remarquescomme cel les-ci U ntel décideque nous « ne l'aimons pas »,un autre que nous « faisons lacampagne » du troisième, etcelui-là précisément qu'onn'en fait pas assez pour lui ettrop pour les autres On est làdevant un phénomène immaî-tnsable Le livre, le journal nesont pas ce qu'il y a d'effecti-

vement imprimé maîs cedont on dit qui s'y trouvePierre Jourde qui est uncritique sévère, souventamusant maîs aussi sou-vent vachard de la littéra-

ture contemporaine, aurait dule savoir ll a fait l'innocent lll'a payé très au-delà de ce quiaurait du être Maîs il y a desinnocences que l'on ne peutpas avoir.

Jacques Mounquand

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Dans un style à la fois âpre etfluide, ample et tendu, PierreJourde signe un livre poignant,trouve les mots pour dire l’après-déchirure. Il les brandit face àtoutes les incompréhensions, en ti-rant une leçon des ragots qui ontsuivi le procès: «Et c’est à partir delà que tu as commencé à compren-

dre à quoi servait la littérature: àtenter d’opposer, à toutes ces fic-tions rudimentaires, la complexitédu réel.» �

Pierre Jourde, La première pierre,Gallimard, 208 pages

44La Gruyère / Jeudi 12 septembre 2013 / www.lagruyere.ch

Culture

Des mots après la déchirureLIVRES. En 2005, Pierre Jourde a failli êtrelynché par des habitants de son villaged’origine. Ils se sont sentis offensés parl’hommage qu’il leur rendait dans un deses ouvrages. La première pierre revientsur ces événements.

ÉRIC BULLIARD

n sent encore la douleur, lablessure qui ne se fermera

pas. Et le besoin de l’analyser.Avec La première pierre, Pierre

Jourde cherche à comprendrepourquoi des amis de toujours l’ontchassé à coups de cailloux. Pour-quoi un livre écrit en hommage auhameau où sa famille a vécu depuisdes siècles et où lui-même revientchaque année peut déchaînerhaine et violence.

L’histoire remonte à 2005, deuxans après la parution de Paysperdu (lire encadré). Pierre Jourdey décrivait la vie d’un village d’unevingtaine d’habitants, en Auver-gne. Une vie rude, où «les dieux quirégissent cette terre» se nommentAlcool, Hiver, Merde, Solitude. Il yvoit de la beauté, «de la royautédans l’alcool, de la noblesse dansla solitude, de la grandeur dans lamerde.»

Dans son esprit comme danscelui de son éditeur, PierreJourde a écrit une célébration dece village qu’il aime tant, de cemonde qui disparaît. Celui de lapetite paysannerie, où la fenaisonet l’estive sont encore des fêtes.Sauf que les habitants l’ont malpris, même si la plupart n’ont paslu le livre. De retour en famillepour les vacances, Pierre Jourdea failli être lynché. Des pierresont volé, son bébé d’un an s’estretrouvé en sang. L’écrivain sedéfend. Coup de poing, blessure.

de la merde qui envahit les ruesau passage des troupeaux, del’obscurité des maisons, des gensqui ont des dents ou des pha-langes en moins. Et ils ont pris çapour du sarcasme, du mépris.

Dire la complexitéPierre Jourde a certes modifié

les noms, mais, pour le reste,son texte se situe au plus prèsde la réalité. «Ce que chacunsait, il ne faut pas que tout lemonde le sache», reconnaît-il àpropos d’un secret de famillequ’il dévoile dans le livre.

Désormais, il doit vivre aveccette déchirure, «amputé d’unlieu qui est toi-même». Rejeté parla plupart des habitants, il conti-nue à se rendre dans son village,sans chercher à renouer lesliens: «C’est terminé, et à jamais,et c’est très bien ainsi. Il y a lesang d’un gamin d’un an entrenous.»

Un procès suivra, où des villa-geois seront condamnés.

Par amour du paysSans chercher à se justifier ni à

s’excuser (de quoi, d’ailleurs?),Pierre Jourde analyse, dissèqueles faits avec une rigueur et uneprécision exemplaires. Tout estmalentendu, dans cette histoire.Le livre, pour autant qu’il ait étélu, n’a pas été compris. «Bon sang(…) si tu as écrit ce livre, c’estpar amour du pays, tu y viensdeux ou trois fois par an depuista naissance, comment peut-on supposer autre chose? Il suffitde lire», écrit Pierre Jourde ens’adressant à lui-même.

Malentendu aussi dans la ma-nière dont les faits ont été pré-sentés dans les médias: un intel-lectuel face à des paysans qui«n’ont pas les mots» pour se dé-fendre. Erreur: «C’est un étrangemépris que de méconnaître la ca-pacité qu’on peut avoir là-haut àse servir de mots. (…) A combiende joutes verbales n’as-tu pasparticipé durant les repas? Et leslazzis bien balancés, les répliquesqui tuent, les histoires habile-ment construites, les flagorneriesmatoises, les mystifications?»

«Tu n’étais pas d’ici»Reste un autre malentendu,

plus profond. Pierre Jourde s’esttoujours senti chez lui, dans cevillage. Il y a enterré son père, il ypossède une maison de famille.Mais les parties de belote, les ca-nons bus chez les uns et les au-tres, le réveillon où il a invité toutle village cachaient cette vérité:«Tu comprends brusquement,pauvre naïf petit bonhomme,qu’il en a toujours été ainsi, celane date pas du livre, si profondque soit ton attachement à ceslieux dans leurs moindres détails,quels qu’aient été les sourires etles mots aimables, ils avaient dé-cidé, dès le début, que tu n’étaispas d’ici.»

Au-delà de l’histoire person-nelle de Pierre Jourde, La premiè-re pierre se révèle aussi commeune passionnante évocation de lapuissance de la littérature, uneexploration des liens entre fictionet réalité. Des difficultés à dire les choses, à montrer cette cam-pagne reculée dans toute sa ru-desse, son âpreté.

L’écrivain a refusé d’idéalisersa région, y compris en parlant

O

“De la royauté dans l’alcool, de la noblesse dansla solitude, de la grandeurdans la merde.

”PIERRE JOURDE

GoldfrappTALES OF USMusikvertrieb

NOTRE AVIS: � � � �

Voluptueuse symphonieOn l’avait connue en 1995 sur l’indépassable albumMaxinquaye de Tricky (elle était la voix de Pumpkin).Puis, Alison Goldfrapp s’envola en son nom propreavec son nouveau mentor Will Gregory. Grâce à savoix de Kate Bush, elle rejoignait alors la vague trip-hop en pleine effervescence et accoucha d’unepoignée d’albums synthétiques plutôt ensorcelants.

Du coup, on ne s’attendait pas vraiment à ce que la dame donnât naissance à un disque ultra-intimiste,mâtiné de violons ténébreux et de compositions faus-sement sophistiquées. Sorti cette semaine, Tales of uscharme dès sa première écoute, à commencer par Jo et son entêtant rythme proche de Ces gens-là deJacques Brel. Puis Annabel, simplement susurré surquelques accords de guitare comme suspendus au fild’un funambule. En dix titres prénoms, Goldfrappquitte ainsi le monde du clinquant pour définitive-ment sombrer dans la magnifique noirceur de cettevoluptueuse symphonie. CD

Lionel DuroyVERTIGESJulliard / 484 pages

NOTRE AVIS: � � � �

La même histoireAutant le dire franchement: on s’en fiche un peu de ces his-toires de coucheries. De la «délitescence» (le mot revient ré-gulièrement) de ce couple, de cet écrivain qui se sépare desa femme et se remémore leur histoire. Le thème est vieuxcomme la littérature et même le petit jeu qui consisterait àdémêler la fiction de la réalité lasse rapidement. LionelDuroy a beau se poser comme un maître de ces enchevêtre-ments, le genre a ses limites.

Ce qui est raconté dans Vertiges n’a que peu d’intérêt,mais la manière, elle, reste celle d’un vrai écrivain. L’auteurdu Chagrin fait preuve d’une aisance épatante dans la narra-tion, qui avance par à-coups, repart en arrière, redémarre…Le tout forme un roman nerveux, parfois presque étouffant.Qui pourrait se résumer par cette sorte d’aveu: «Tous meslivres se construisent ainsi, malgré moi, dans un mélangehasardeux de leurres et de vérités, comme si le trompe-l’œilétait indispensable à la manifestation de la vérité.» EB

LIVRES

DISQUES Vista Chino

PEACENapalm Records

NOTRE AVIS: � � � �

Aux racines du desert rockVous connaissez certainement Queens of the Stone Age,les papes du stoner rock emmenés par Josh Homme, l’undes compositeurs les plus affûtés de ces quinze dernièresannées. Vous appréciez alors sans doute Kyuss, le pre-mier groupe de Homme, formé à Palm Desert avec JohnGarcia et Brant Bjork. Du coup, vous tendrez à coup sûrune oreille attentive à Vista Chino, le nouveau groupeformé par Garcia et Bjork, secondés encore par Nick Oli-veri, ancien bassiste de Queens of the Stone Age… Vousavez suivi?

Voilà pour le contexte. Quant à la musique, imaginezun déluge de guitares pétulantes, aux racines profondesd’un desert rock encore vierge. Avec des tubes explosifscomme Dargona dragona (qui passe même à Couleur 3,c’est dire) et des longues expérimentations bruyantes(Acidize the gambling mooze), le supergroupe s’est viteforgé une sacrée réputation et vise clairement à devenirl’alter ego du groupe de Homme. Si possible, avec lemême succès et la gloire à la clé… CD

C’est un livre âpre, rude et magnifique comme les vies qu’il décrit. Paruen 2003 aux Editions L’Esprit des péninsules, Pays perdu sent la sincéritéà chaque ligne. Pierre Jourde a évité les pièges de la nostalgie niaise etde l’idéalisation. Ici, les mains sont dures et épaisses, les habits saless’entassent dans des fermes sombres, l’alcool allège la solitude. Difficilede croire que ce vibrant hommage à un hameau isolé, à un mode de viequi disparaît, ait pu déchaîner tant de haines. Mais il y a des choses quine se disent pas, qui ne se gravent pas dans un livre. Souvent, Paysperdu raconte une vie pas si éloignée de celle que l’on connaissait en-core ici, il y a peu. Et l’on se dit que ce même livre, consacré par exem-ple aux alpages gruériens, aurait pu déclencher le même type de malen-tendu… EB

Le livre de la discorde

NOTRE AVIS: � � � �

La première pierre permet aussi à Pierre Jourde de s’interroger sur la puissance de la littérature et ses liens avec le réel.JEAN-BAPTISTE MILLOT / GALLIMARD

NOUVEL EP DES PIXIES. En attendant leur concert à Thônex le 2 novem-bre, The Pixies viennent de publier (sur www.pixiesmusic.com) leur premierdisque depuis Trompe le monde, en 1991. Le single Indie Cindylaisse augurer un retour très prometteur, même en l’absence de la bassiste Kim Deal, qui a récemment quitté le groupe…

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RECIT

Pierre Jourdaface au pouvoirdes mots

En 2004, l'écrivain était victime d'unetentative de lynchage dans son villageauvergnat pour son livre «Pays perdu». Ilrevient aujourd'hui sur les raisons du drame

Par Lisbeth Koutchoumoff

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maur

Pierre JourdaLa Première PierreGallimard 190 p

CM était l'été 2005 Lef fait divers fait le

tour du mondedes paysansd'Auvergne chas-

sent à coups de cailloux un écri-vain qui avait commis un livresur eux et sur le village L'écri-vain, peu connu encore à l'épo-que, s'appelle Pierre Jourde Le li-vre, Pays perdu L'auteur est unenfant du pays, il y vient chaqueété et même plusieurs fois paran L'histoire de cette révolte despersonnages contre leur auteurest à ce point jugée pittoresquequ'elle est reprise par les jour-naux, les sites et les blogs de l'An-gleterre au Japon Des touristespoussent leur randonnée jusqu'àLussaud, le village à flanc de vol-can de Pays perdu, pour voir deleurs yeux le lieu de l'incident

Pierre Jourde publieaujourd'hui La Première Pierre IIaura attendu huit ans pour reve-nir sur le drame Car drame il y aeu Personnel et collectif PierreJourde retourne depuis pour lesvacances au village maîs subit unostracisme en règle de la part deses anciens assaillants Le villaged'à peine huit foyers, entouré seu-lement par les bois et la monta-gne, éloigné de vingt minutes envoiture du premier commerce, est

scindé entre ceux qui ont pris ladéfense de Pierre Jourde et ceuxqui lui ont jeté des pierres Gertains, dégoûtés, ont préféré partir

La Première Pierre débute par latentative de lynchage que l'écri-vain a subie avec sa femme et sestrois garçons quand il est revenuau village pour les vacances d'étéaprès la publication de Payspera"u Le récit saisit et sidèremême par les forces qu'il dépeintpulsions de mort, rages inextin-guibles, incompréhensions radi-cales, haines de caste

Le livre dépasse évidemment lasimple chronique II tente de dé-mêler l'écheveau d'émotions, detabous, de non-dits, d'erreurs mamfestes qui ont conduit plus oumoins directement à l'explosiond'une violence qui détonne dansla France des années 2000 Danscet exercice, Pierre Jourde ne seménage pas, mettant le doigt surson inconscience, sa naïveté, sabêtise Maîs cela ne suffirait pasencore à faire de La PremièrePierre un livre qui s'imprime aussifortement dans la mémoire Pourarriver au point de compréhension maximal, il faut encore char-rier plus lom, plus profondé-ment Et Pierre Jourde nousentraîne dans ces fouilles et on lesuit, bringuebalé par la profon-deur des enjeux Les strates fina-lement mises à nu touchent à cequi fonde l'humain et son senti-ment de dignité

Pays perdu devait voir le jourmaîs ne pouvait pas voir le jourDe cette contradiction, le livre tiresa force sans doute En l'écrivant,Pierre Jourde n'avait pas cons-cience dè cette tension infernaleEn son cœur se tiennent le livre etses pouvoirs

Auteur d'une vingtaine de ro-mans, de récits et d'essais, PierreJourde n'avait jamais écrit sur sonvillage L'urgence de le faire s'im-pose après la mort de son père,

Alexandre Vialatte«LAuvergne absolue», cité en épigraphe

de «La Premiêre Pierre»

«J'ai compris le midi,l'Allemagne, le désert.

Je ne comprendraijamais ces villages

auvergnats qu'on voitperches sur la

montagne dans le ventet les hivers qui en ont

bianchi l'église à lafaçon d'un os de seiche.

Ils laissent toujourssur un tourment»

homme gêné devant les mots et laparole au point de n'avoir jamaispu vraiment dire «je» II le feraquèlques années avant de mourir,au détour d'une promenade, avecson fils Droit dans les yeux, il ré-vélera alors le secret de famillequi l'a en quelque sorte réduit ausilence

Or le livre, voilà un de ses pou-voirs, convoque les morts, les

rappelle, pour poursuivre la con-versation interrompue PierreJourde voulait écrire un tombeauà son père En chantant cetteterre du silence battue par lesvents, il voulait permettre à sonpère, et aux autres disparus etaux quèlques vivants qui restent,de dire «je»

Maîs le livre, poursuit PierreJourde, est aussi une machine im-

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placable. Aussi discrète qu'elleveuille se faire, la voix de l'auteurrecouvre toutes les autres. «Celuiqui écrit un livre fabrique desamulettes, semblables à ces pou-pées de chiffon ou de cire aumoyen desquelles les sorcierspensent manipuler les corps deceux qu'ils ont représentés.»L'auteur ne donne pas la parole, ill'ôte: «Non seulement le livre nedonne pas à ses personnages lapossibilité du «je», mais il leur dé-robe ce «je» de la réserve intime,qui est la garantie de tout lereste.»

Le «je» de la réserve intime... Le«je» qui permet de se dire et decroire par-devers soi que l'on nese limite pas à ce que l'on est; quela porte vers un soi meilleur oudifférent est toujours possible.«Chacun dans sa réserve intime,préserve jalousement le trésor dece «je» dont il ne se sert pas, toutcomme, dans les campagnes, onne se sert pas des plus belles vais-selles, que l'on conserve bien ser-rées dans la pénombre des meu-bles, pour un jour, pour LE jour,mais ce jour ne viendra jamais.Cependant, le «je» secret demeurela promesse de cette assomption,sans laquelle il n'y a pas de raisonde vivre.» Là-haut, là où le ventfroid et la solitude pèlent les viesjusqu'à l'os, les pouvoirs du livresont devenus mortels.

Pays perdu décrit la steppe.L'Auvergne ressemble à une Mon-golie miniature. Le village estcollé au volcan comme uncoquillage sur les flancs du Lé-viathan. Il est hanté par les mortsqui se sont petit à petit fondusdans la pierre, dans la paille,dans l'air. Quand un vieil esseulémeurt, sa maison demeure tellequelle. Avec le tas de guenillesaccumulées au fil des ans, mons-tre de tissu qui avale tout; avec leverre et le pichet sur la table. Etle vent qui continue à battre lesvolets.

Le livre se lit, s'écoute commeun chant pudique. L'action setient tout entière sur deux jour-nées d'hiver. L'écrivain et sonfrère sont venus au village pourenterrer la fille d'un couple pro-che. Ici, toutes les familles sontliées. C'est Pierre Jourde qui des-cend la bière dans le caveau fami-lial. Dans l'attente de la cérémo-nie, le temps s'étire. Les histoiressues, tues s'amoncellent. Leséchappées vers l'enfance aussi. Il ya cette description, dans l'aubeencore noire, du moment où lesbêtes sont sorties de l'étable pourgagner l'alpage. L'auteur ne voitrien, il est tapi dans son lit. Seulsles bruits le guident. La puissancedes bêtes, leur masse même, lesappels au calme, dans un mé-lange de patois et de français, for-ment comme un orage au creuxde la nuit. Les bêtes parties, le si-lence, habité encore, revient.

Pour saisir son attachement àcette terre qui se vide et retourneau désert, Pierre Jourde trouvecette pénombre qui enserre cha-cun et chaque maison là-haut.Dans ce pays perdu, il aime juste-ment le sentiment de la perte quien habite chaque parcelle. Il s'agitpartout, à chaque instant, de ré-sister contre le retour à l'état sau-vage. «Le peu qui a été construit,la forme dure des maisons et després, paraît glisser vers l'informe.Il affleure en elles. On ne le voitpas, on le sent, il nous attire à lui,il nous enveloppe. Peut-être lecherchons-nous instinctivement,aveuglément, de même que lesnouveau-nés avancent le museauvers la chaleur du pis, parce quenous ne pouvons pas vivre sanscette nourriture.»

» Consultez les critiqueslittéraires sur Internet

www.letemps.ch/livres

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30 SEPT 13Quotidien

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Dernière

lourde, écrivain en conflit avec ses personnages

Pierre Jourde est un homme en colère Contreles paysans de son village auvergnat, qui ontfailli le lyncher à la suite de la parution de sonlivre Pays perdu Contre les journalistes, quiauraient écrit n'importe quoi sur l'affaire Bon,ce n'est pas pour cela qu'il accueille ensurvêtement de boxe dans son appartementhaussmanmen du Xlearrondissement de ParisC'est juste qu'il avait oublié le rendez-vousll sepréparait à se rendre a son cours La boxe, c'estce qui l'a sauvé lorsqu'il s'est fait agresser,Pierre Jourde est un homme combatif II suffitde voir ses romans et pamphlets aux titresévocateurs, La littérature sans estomacou C'estla culture qu'on assassine Maîs ce 31 juillet2005, l'écrivain se serait bien passé de faire lecoup de poing À l'époque, cela fait presquedeux ans que Pays perdues! paru Autour del'enterrement d'une adolescente, Pierre Jourdey dresse la saisissante peinture du berceau desa famille, Lussaud, dans le Cantal Unepoignee d'habitants isolés dans la montagne,vivant une vie d'un autre âge et ruminant leurssecrets II y voit « un portrait épique »del'endroit Les habitants le prennent en pleinefigure Lorsqu'il retourne dans le village où ilpasse ses êtes, Pierre Jourde ne s'attend pas ace qu'on déroule le tapis rouge entre les tas defumier qu'il a si bien décrits Maîs il n'auraitjamais imaginé ce qui l'attend, et qu'il dépeintdans une scène d'une rare violence et d'unegrande puissance Agressé physiquement parune poignée d'hommes et de femmes, il doits'enfuir avec femme et enfants sous les pierreset les insultes Les deux grands, âgés d'unedizaine d'années, métis nes d'un premier

mariage, sont abreuvés d'injures racistes , sonbébé de quinze mois est légèrement blessé parles éclats de verre du pare-brise En juillet2007, les six villageois sont condamnés à despeines d'amendes et de prison avec sursis Despeines d'apaisement Pourquoi, alors, dans celivre âpre et beau, Pierre Jourde revient-il surl'affaire, au risque de jeter de l'huile sur le feu9 « II faut parler des traumatismes Et ce quis'est passé est fondé sur tellement demalentendus Je voulais m'expliquer Etcomprendre ce qui est en jeu dans cetteviolence Ce qui est excessif, c'est le rapportentre un livre qui est à l'origine un éloge duheu, et a l'arrivée, mon fils d'un an couvert desang » « L'autocensure, un réglage difficile »Comprend-il que certains passages aient puchoquer 9 Les villageois lui ont reproched'avoir évoque un « pays de merde » II sedéfend « J'ai écrit qu'on se trouvait au paysde la merde, ce qui signifiait que la bouse devache était omniprésente Moi, je l'aime, cetteodeur' »I1 est aussi l'auteur de pages, certestrès belles, sur « les visages sculptes parl'alcool, qui tuméfie les faces, cogne lesépouses, déforme les membres, ourdit lesaccidents » « Maîs l'alcool est un fait1 Onn'est pas dans un univers de bisounoursproprets Moi, j'ai vu dans cette vie, dans cettecommunauté, une sorte de grandeur Tout a étepris a l'envers, ou on a fait exprès de le prendreà l'envers » Car s'il est une chose que PierreJourde ne supporte pas, c'est que l'on opposesa prose subtile d'universitaire (il enseigne lalittérature à Valence) aux esprits forcementmoins habiles de la campagne « Arrêtez de les

prendre pour des imbéciles, c'est mépnsant'Ilssavent pratiquer le double langage ou faireles paysans quand ils en ont besoin » IIreconnaît tout de même que « c'est toujoursviolent quand les gens ne s'attendent pas a êtrereprésentes Un écrivain n'a pas tous les droits,il ne peut pas tout dire » II mène actuellementune recherche sur l'autocensure pour leCNRS Lui-même dit s'être autocensure, etsourit « L'autocensure, c'est un réglagedifficile Le mien n'était pas pile-poil »Aujourd'hui, Pierre Jourde retourne au villagemaîs là-bas, c'est la guerre de tranchées «Rares sont ceux qui me parlent, ceux quivoudraient le faire en sont dissuadés »Lemaire, Gilbert Alezard, espère que le livre neva pas redéclencher les hostilités « maintenantque c'est plus calme » Qui se risque àdemander au télephone la version du campadverse se fait fermement envoyer sur lesroses « L'affaire est finie pour nous, c'estterminé », repond une des femmes impliquéesMême son de cloche chez « l'ancien » qui adéclenche la bagarre « Je n'ai plus rien à voirla-dedans, madame Et le livre, je ne le liraipas » Florence PITARD La première pierre,Gallimard, 190 pages, 17,90 EUR.

Photo : Daniel FOURAY.

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14 OCT 13Quotidien

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RENCONTRE LITTERAIRE

L'écrivain Pierre lourde était samedi l'invité de la médiathèque daurillac

Aux fondementsde La première pierre

Dix ans après « Paysperdu », roman qui en 2003avait suscité un vent de vio-lence dans le petit villagecantalien auquel il étaitconsacré, l'auteur PierreJourde revient sur cet épi-sode avec l'essai de la ren-trée littéraire « La premièrepierre ». Rencontre à la mé-diathèque daurillac.

Julien Bachellerie

R omancier, critiquelittéraire, universitai-re, Pierre Jourde se

dit aussi enfant d'Auver-gne. Un enfant terriblequi, avec la parution duroman Pays perdu en2003, avait soulevé unvent d'indignation dansson petit village cantaliende Lussaud. L'hommage àsa terre d'enfance, quen'avaient pas goûté cer-tains habitants, avait viréau lynchage. Deux ansplus tard, cinq d'entre euxavaient d'ailleurs dû ré-pondre devant le tribunal

daurillac du caillassagede l'écrivain. Depuis, si letemps a passé, l'histoiren'en reste pas moins enco-re vive. Avec La premièrepierre (éditions Galli-mard), présélectionnépour le prix Renaudot encatégorie essai, Pierre

Jourde revient dix ansaprès sur les raisons de ladiscorde. À la médiathè-que daurillac, face à unesalle bondée, il a expliquéce retour li t téraire au« pays ». « Raconter cesréactions, narrer un évé-nement violent et s'inter-

roger sur les causes pro-fondes. »

« Un tombeaupour mon père »Si l'écrivain se défend

d'avoir écrit pour quel-qu'un, il évoque cepen-dant la figure paternelle.« C'est un tombeau pour

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mon père qui aimait infi-niment ce pays et qui mel'a transmis comme unhéritage. » Tour à tour, auxcôtés de Bernard Jannin(*), Pierre lourde évoqueles impressions d'enfance,la mythologie propre à cevillage perdu, la violenceinhérente à l'écriture...

« Si Viallate dit qu'il a dé-couvert à 12 ans qu'il étaitauvergnat, j'ai découverttard que j'étais enraciné. »L'attachement qu'il a sou-haité coucher par écrit, re-lève-t-il, a immanquable-m e n t c r é é d e sincompréhensions. Dansla salle, alors que l'auteurest questionné sur la noir-ceur de l'ouvrage inaugu-ral, ce dernier revient surle sens du roman : « C'estun pays où les vies sontdifficiles. Ce n'était pas unlivre de joie ». Pour autant,l ' é c r i v a i n se dé fendd'avoir écrit un livre seule-ment noir : « Si c'est un li-vre sur le deuil - la mortde la vie paysanne, celle

d'une jeune fille que jeconnaissais bien, de monpère - l'adjectif qui revientle plus souvent c 'es t"beau". Comme pour direle visage, les yeux, le re-gard des paysans ».

« Poils au menton »Restent les « malenten-

dus » : « La compassionprise pour de la vexa-tion » ; les histoires en-fouies dans le silence res-so r t i e s par l ' a u t e u rcomme autant de mytho-logies, mais entenduescomme de la malveillan-ce ; l'inertie des ouï-dire...Citant encore Vialatte, etmet tant en avant son« écriture indissociabled'une certaine violence »,Pierre lourde a égalementavancé, un rien amusé :« Q u a n d on a ime sagrand-mère, on l'aimeavec ses poils au men-ton ».

(*) Auteur, notamment, de Payséperdu, ouvrage également con-sacré au village de Lussaud, dontle titre et le propos font écho auroman de Pierre lourde.

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17 NOV 13Quotidien

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PIERRE JOURDE Récit

Jour de pierresQU'EST-CE QU'UN LIVRE, quepeut-il ? L'interrogation traversele récit de Pierre Jourde, Lapremière pierre. En fait, l'histoi-re d'un de ses autres ouvrages.En 2003, Jourde avait publiéPays perdu, chronique d'unminuscule village auvergnat oùil a une maison de famille. ll ditl'avoir pensée comme un hom-mage. Mais la description cruede la vie du hameau, les por-traits sans fard des habitants, larévélation du non-dit vers quoitend par essence la littérature,tout cela prit, aux yeux desintéressés, un nom : trahison.Petit monde, haine profonde.

Jusqu'au procèsQuand l'écrivain (autant dire :le Parisien) revient au villageavec femme et enfants, ils sontaccueillis par des insultes, ycompris racistes, et des jets depierres, lin procès s'ensuivra,que Jourde gagnera - prisonavec sursis et amendes pour lesagresseurs. Les faits, les audien-ces, le traitement médiatique -l'intello versus les vrais gens -,l'écrivain les relate « à têtereposée » (mais l'est-elle ?) huit

ans après - ou comment laréalité rattrape une fiction quivoulait rattraper la réalité,syndrome de « boîte de Vachequi rit » qui ferait presque peur,ll n'est pas nécessaire d'avoir luPays perdu pour suivre La pre-mière pierre. C'était d'ailleurs lecas des villageois - ils nel'avaient pas lu. Mais n'avaient-ils pas compris l'essentiel ? Enfaisant d'eux des personnages,le livre les avait enfermés dansce qu'il disait qu'ils étaient ;c'était aussi définitif qu'uneépitaphe. « On est pris dans unlivre comme dans une machine,et d'instinct ils le savaient. Ellevous attire, elle vous dénude,elle vous prend tout. »Jourde l'analyse sans rien cédermais en donnant aux adversai-res qui furent ses intimes lebénéfice d'une explication. Dujeu de la littérature avec lesecret, le quant-à-soi, l'interdit,il fournit mieux qu'un casd'école : l'histoire d'une blessu-re, d'un cruel malentendu.

F M

La première pierre, Pierre Jourde,Gallimard, 190 pages, 17,90 €

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LYON CAPITALE SUPPLEMENT7 RUE PUITS GAILLOT BP 121469202 LYON CEDEX 01 - 04 72 98 05 00

JAN/JUIN 14Parution Irrégulière

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LA PIERRE SURLAQUELLE SE BÂTIT UNGRAND LIVRE...Pierre Jourde savait que son Pays perduavait été reçu avec peu de sympathie parceux qu'il décrivait, Les habitants du village,celui de ses origines (depuis Louis XIV), où ilpossède encore une maison. Aussi savait-ilqu'à son retour l'accueil ne serait pas desplus chaleureux Pour autant, il ne s'atten-dait pas à un tel déchaînement de violence àson encontre ni envers sa famille, puisqueson plus jeune fils fut même blessé par unepierre C'est cette expérience traumati-sante, qui donna lieu à un procès retentis-sant, qu'il décortique dans le roman La Pre-mière Pierre, prix Jean Giono 2013. Linefaçon de revenir sur ce pays situé dans lesmontagnes reculées du Cantal, l'âprebeauté de ses paysages et la rudesse de seshabitants Tout en se livrant à une analysedétaillée sur le pouvoir de la littérature, ycompris sur ceux qui ne lisent pas. Pleind'une ironie amère, d'une désolation poi-gnante, ce livre prouve s'ilen était encore be-soin que Pierre Jourde appartient aux plusincontournables écrivains de sa génération.

C MLa Première Pierre, de Pierre Jourde, édi-tions Gallimard, 189 p

Page 24: Pierre ourde a première pierre premiere pierre.pdf · Pierre ourde a première pierre page 1 Présentation Pays perdu, en 2003, racontait les obsèques d’une enfant dans le village

14 JAN 14Quotidien

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LITTERATURE - IL SERA INVITE JEUDI AUX ECRIVAINS DU SUD

Jourde revient sur le "Pays perdu"Supposez que les Thenardier,

tristes heros des Misérablesviennent rouer de coups VictorHugo lui reprochant la manieredont il parlait d eux dans son ro-man Ou imaginez Zola, pourchasse par quèlques uns desRougon-Macquart Impensable?

Ces questions ne sont pour-tant pas saugrenues Un journa-liste du Figaro les a posées pourlelater ce qui est arrive a PierreJourde apres la publication deson récit Pays perdu De l'aveumême de son auteur, ce texte pa-ru en 2003 aux Editions 'L'espritdes peninsules , se voulait unhommage et un éloge bucoliquede l'authenticité paysanneNous sommes en 2005 dans unpetit village d'Auvergne quandles habitants du lieu feront sa-voir a Pierre Jourde que leur lec-ture est radicalement différenteDurant quèlques semaines cer-tains d entre eux, se sentant offenses par la livre, tenteront delyncher I auteur et sa famille

Un proces s'en suivra, apresque l 'avocat et écr ivainJean-Paul Carmmati défendel'honneur perdu de Pierre Jour-de Des peines assez lourdestomberont, maîs la blessure estautant extérieure qu'intime

Alors Pierre Jourde racontetout cela dans 'La pr emiet e pier-re pour lequel il est invite ce jeu-di au Centre des Ecrivains duSud Et de noter ' Tu as ete am-pute de toi-même D un lieu quiest toi-même Tu ignorais quee est un livre qui effectuer ait cettedouloureuse operation La htte-

Pierre Jourde : un livre sur celui qui lui attira la haine en Auvergne. /DR

rature sépare comme le scalpel,cest la son premier effet Elle sé-pare, et recompense aussi '

Ce bouquin a la beaute noire,qui lui a valu le prix Jean Giono2013 montre que le déracine-ment est la condit ion del'écrivain moderne, tandis quela litterature enracinée est indi-geste et vaguement petainis-te ' Et de revenir sur I originecomplexe de son pere, dont le ré-cit est d'ailleurs a l'origine dumalentendu de Pays perdu Unrécit brut de decoffrage, qui nenégligeant aucun aspect deI af fa i re du Pays perdu

s'impose comme un hymne au

mentir-vrai litteraire Ce men-tir-vrai romanesque, pierred'édifice d'une ecnture qui lomde retranscrire platement la réa-lité la transcende par une visionpoétique et onirique du mondeUn livre beau, vrai, terrible etnourri pourtant d'un chant defraternité destine a réconciliertous les hommes avec les autreset eux-mêmes

Jean-Rémi BARLAND

Pierre Jourde "La premiere pierre",Gallimard, 190 p, 17,90 €Jeudi 16 janvier a partir de 18h auxEcrivains du Sud 19 rue Gaston deSaporta 00442919919