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© G.Pélissier Pièce ()montée Les dossiers pédagogiques « Théâtre » en partenariat avec le Théâtre National Marseille La Criée Édito : La genèse de Parloir sauvage est tout aussi intéressante que ce qui est montré sur scène : écrit en prison dans le cadre d’ateliers d’écriture, le spectacle est joué par d’anciens détenus qui nous donnent à voir des scènes de la vie quotidienne en prison. Mais au-delà de la démarche sociale, Parloir sauvage est un objet artistique à part entière : une écriture radicale, une mise en scène subtile et des acteurs qui en imposent par leur présence. Le spectacle pose les questions de l’enfermement, de l’isolement, de la violence, de la distanciation entre expérience vécue et retranscription de ses sentiments. Mais il pose aussi la question, de fait, de celle du statut de l’acteur, tant l’expression « jouer vrai » trouve ici tout son sens. Autre particularité du spectacle: il part en tournée dans les établissements scolaires. Ce dossier est réalisé par le CRDP d’Aix-Marseille avec le Théâtre National Marseille La Criée qui offre son plateau au Théâtre Off, labellisé « scène des écritures urgentes ». Confié à Agnès Grévin et Anne Roche, enseignantes de Lettres, il fait partie de la collection de dossiers pédagogiques Pièce (dé)montée, pilotée par le CRDP de Paris, le Scéren/CNDP et l’Inspection Générale Lettres/Théâtre. « C’est avec plaisir que j’ai constaté en assistant à Parloir sauvage que le théâtre n’est jamais aussi libérateur que lorsqu’il est créé par deux détenus de talent.» Jean-Michel Ribes. Retrouvez les numéros précédents de Pièce (dé)montée sur le site du 4CRDP de Paris sur www.crdp.ac-paris.fr Retrouvez des interviews vidéo et les dossiers pédagogiques « Théâtre » du 4CRDP d’Aix-Marseille sur www.crdp-aix-marseille.fr 33 décembre 2007 Parloir sauvage de Ali Darar, Michaël Moreau et Anne-Marie Ortiz Mise en scène Frédéric Ortiz Créé en novembre 2006 au Théâtre Off à Marseille Avant de voir le spectacle : la représentation en appétit ! Le titre [page 2] Résumé [page 2] Portraits des auteurs [page 3] Portrait du metteur en scène [page 4] La démarche [page 5] Entretien avec les auteurs et le metteur en scène [page 6] Entretien avec Anne-Marie Ortiz [page 8] Lexique [page 10] Extraits [page 11] Pistes de réflexion avant le spectacle [page 12] Après la représentation : pistes de travail Retour sur le spectacle [page 15] Une expérience théâtrale [page 19] Prolongements [page 20] Annexes : Résumé détaillé de la pièce [page 22] Récidive [page 23] Paroles de détenus [page 24] Rebonds [page 25]

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©G.Pélissier

Pièce (dé)montéeLes dossiers pédagogiques « Théâtre »

en partenariat avec le Théâtre National Marseille La Criée

Édito:

LagenèsedeParloir sauvageesttoutaussiintéressantequecequiestmontrésurscène:écritenprisondanslecadred’ateliersd’écriture,lespectacleestjouépard’anciensdétenusquinousdonnentàvoirdesscènesdelaviequotidienneenprison.Maisau-delàdeladémarchesociale,Parloir sauvageestunobjetartistiqueàpartentière:uneécritureradicale,unemiseenscènesubtileetdesacteursquienimposentparleurprésence.Lespectacleposelesquestionsdel’enfermement,del’isolement,delaviolence,deladistanciationentreexpériencevécueetretranscriptiondesessentiments.Maisilposeaussilaquestion,defait,decelledustatutdel’acteur,tantl’expression«jouervrai»trouveicitoutsonsens.Autreparticularitéduspectacle:ilpartentournéedanslesétablissementsscolaires.CedossierestréaliséparleCRDPd’Aix-MarseilleavecleThéâtreNationalMarseilleLaCriéequioffresonplateauauThéâtreOff,labellisé«scènedesécrituresurgentes».ConfiéàAgnèsGrévinetAnneRoche,enseignantesdeLettres,ilfaitpartiedelacollectiondedossierspédagogiquesPièce (dé)montée,pilotéeparleCRDPdeParis,leScéren/CNDPetl’InspectionGénéraleLettres/Théâtre.

«C’estavecplaisirquej’aiconstatéenassistantàParloir sauvagequelethéâtren’estjamaisaussilibérateurquelorsqu’ilestcréépardeuxdétenusdetalent.»Jean-MichelRibes.

Retrouvez les numéros précédents de Pièce(dé)montée sur le site du 4CRDP de Paris surwww.crdp.ac-paris.frRetrouvez des interviews vidéo et les dossiers pédagogiques « Théâtre » du 4CRDP d’Aix-Marseille surwww.crdp-aix-marseille.fr

n°33 décembre2007

Parloir sauvagede Ali Darar, Michaël Moreau

et Anne-Marie OrtizMise en scène Frédéric Ortiz

Créé en novembre 2006 au Théâtre Off à Marseille

Avant de voir le spectacle : la représentation en appétit !

Le titre [page 2]

Résumé [page 2]

Portraits des auteurs [page 3]

Portrait du metteur en scène [page 4]

La démarche [page 5]

Entretien avec les auteurs et le metteur en scène [page 6]

Entretien avec Anne-Marie Ortiz [page 8]

Lexique [page 10]

Extraits [page 11]

Pistes de réflexion avant le spectacle [page 12]

Après la représentation : pistes de travail

Retour sur le spectacle [page 15]

Une expérience théâtrale [page 19]

Prolongements [page 20]

Annexes :

Résumé détaillé de la pièce [page 22]

Récidive [page 23]

Paroles de détenus [page 24]

Rebonds [page 25]

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LE TITRE : PARLOIR SAUVAGE

Onidentifierapidementleparloircommeunlieuoù«lesreligieux,lesmalades,lesélèvesinter-nes, lesdétenusviennentparlerauxpersonnesdu dehors » (Dictionnaire de l’Académie fran-çaise). C’est donc un endroit où l’on convoqueledialogue.Est-cealorsun lieu (ouencoreunmoment)durant lequel toutcequi sedit–outoutcequiesttu–devientplusdense,dufaitdesabrièveté?Un parloir sauvage, est-ce un parloir où sedéchaîne une certaine forme de violence? Lesélèvessontamenésàinterrogerlapolysémiedel’adjectif«sauvage»:lesenspropred’«anima-lité»,lessensfigurésde«liberté»,d’«isole-ment»(unpaysagesauvageestisolé,inhabité)etceluide«spontanéité»,quiconcerneletitre.Enrecherchantdesexpressionssimilairescomme

«grève sauvage» ou «affichage sauvage», lesensprécis du titre émerge,mêlant soudainetéettransgression:faireunparloirsauvage,c’ests’adresser à l’extérieur sans permission, et cetacte est sanctionné par le règlement intérieurdelaprison.Onpeutdèslorsfaireréfléchirlesélèvesaufaitquelaparoleenprisonestcontenue,contrainte,etquec’estauparloirquesemaintientunlienavec l’extérieur et la vie sociale. L’expression«parloir sauvage» renvoie à la circulation decette parole de détenus. Elle signifie la trans-gression d’un code, la recherche d’une boufféed’air,maisenmêmetempssonintégrationcom-plète,puisquetoutéchangeavecl’extérieurrestedénommé«parloir».

b Interroger les élèves sur ce qu’évoque pour eux le titre de la pièce, en particulier l’association des deux mots.

Avant de voir le spectacle

La représentation en appétit !

RéSUmé

Ecrit et joué par d’anciens détenus à partir desituations vécues au quotidien, Parloir sauvageexprimeavecforce laprisondanssadimensionde souffrance, d’isolement, de séparation et deviolence.L’enfermementcarcéralestdit,chucho-té,criéavecdistance,humourouexaspération.

Cespectacleterriblementdrôle,violentetémou-vant est un « gueuloir sans censure » joué etrevendiquéavecauthenticité.Parmi lesthèmesabordés:l’arrivéedanslacellule,lacohabitationentredétenus,lesliensavecl’extérieur,lamisèresexuelle,lasolidarité,lasolitude.

©ThéâtreOff

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PORTRAITS dES AUTEURS : ALI dARAR, mIchAëL mOREAU ET AnnE-mARIE ORTIz

Ali Darar

NéàOranen1974dansunefamillenombreuse,Ali Darar arrive en France à trois ans. Il estscolariséjusqu’àl’âgededouzeans.IlrentreenAlgérie pendant deux ans. De retour en Franceen 1988, Ali Darar prépare un C.A.P. Dès l’âgede seize ans, il demande à être placé sous lecontrôled’un jugeafind’entrerdansuncentred’apprentissage. Grâce à cet établissement, ilentreprend des stages et des voyages. A dix-huitans, ilcommetplusieursdélits.Ayantprisgoût aux voyages, il entre dans une structurehumanitaire(associationd’aideetdedéveloppe-mentpourdesjeunesenréinsertionsociale)etséjournequelquesmoisauSénégal.Ilentreprendun voyage en Ethiopie qui tourne court. Aprèsune interpellation dès la descented‘avion, il est arrêté. Il rentre enFrance et fait de la musique (reg-gae). Il participe au travail d’unetroupedethéâtrederueàMarseilleet suit une formation de théâtre

derue.En1998,AliDararentreenprison,oùilrencontreAnne-MarieOrtizetsuituneformationd’acteurdans le cadredes ateliers théâtre à lamaisond’arrêtdesBaumettesde1998à2003.En 2006, Anne-Marie Ortiz l’engage dans leprojet Parloir sauvage dont il est co-auteur etcomédien.AliDararjouedansL’Ile au trésordeRobert-LouisStevenson en juin 2007 au Théâtre NationalMarseille La Criée sous la direction de FrédéricOrtiz.Ilseraco-auteurdeRécidive,quiseracrééenfévrier2008.Aujourd’hui, Ali Darar est comédien-auteur,assistant-animateurde stagesde théâtre citoyenauseinduThéâtreOff–Scènedesécrituresurgentes.

Michaël Moreau

Né en 1979 à Saint Ouen d’unefamilled’origineantillaise,MichaëlMoreauprépareun C.A.P enpâtis-serie après un parcours scolairedifficile.Dèsl’âgedequatorzeans,ildériveverslapetitedélinquance.Première entrée en prison à Paris,puis aux Baumettes en janvier2005,pourrécidive.Il rencontre Anne-Marie Ortiz enseptembre 2005 et participe acti-vementauxateliers théâtrequ’elledirigeauseinducentredespeinesaménagées. Il est co-auteur deLa Porte s’il vous plait !, premièreversiondeParloir sauvage.MichaëlMoreaujouedans L’Ile au trésor de Robert-Louis Stevensonen juin 2007 au Théâtre National Marseille La

CriéesousladirectiondeFrédéricOrtiz.Ilseraco-auteur de Récidive, qui sera créé en février2008.

©ThéâtreOff

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Anne-Marie Ortiz

Après une formation de professeur des écoles,Anne-MarieOrtizdirigedenombreuxateliersdethéâtre pour non-acteurs au centre hospitalieruniversitaireLaTimoneàMarseille.Elle rencontre Andonis Vouyoucas qui lui pro-pose de créer à l’Espace Massalia, Théâtre de

Recherche deMarseille, son pre-mierspectacleavecdespatientspsychiatriques:À vie !En1983,Marcel Maréchal l’accueille auThéâtre National de Marseilleavecunenouvellecréation:La Folie est un coup monté, quipart en tournée à Bordeaux,Grenoble,Marseille.Lespectacleestremarquéparl’équipedulaboratoirethéâtraldeBobWilson.Anne-Marie Ortiz tournepour la télévision alle-mande(SWFBaden-Baden)La Parure de Guy deMaupassant et Huis-closdeSartre,entreautres.EllefondeleThéâtreOff

en 1984 et joue dans les principales créationsde la compagnie. Elle y incarne entre autresBérénicedanslapiècedeRacine,GervaisedansL’Assommoir de Zola, Toinette dans Le Malade imaginaire de Molière, Inès dans Huis clos deSartre, etc. Elle joue en tournée au Liban, auMaroc,enGuinée-Conakry,etc.Depuis treize ans, Anne-Marie Ortiz anime denombreux ateliers-théâtre à la maison d’arrêtdes Baumettes de Marseille au sein du servicemédico-psychologique régional, au quartier oucentre des peines aménagées (C.P.A.) et à lamaisond’arrêtdesfemmes.Elle dirige le projet «Une cellule ouverte à laculture»:àpartirdesateliersd’écrituresetdeparoles mis en place au C.P.A. des Baumettes,ellecréelespectacled’interventionLa Porte s’il vous plait ! écrit et jouépardesdétenus sousécrous,quidevientParloir sauvageen2006.Anne-MarieOrtizestchefdeprojetdeLa Porte s’il vous plaît ! etdeParloir sauvage.Prochainement, Anne-Marie Ortiz dirigera desateliersthéâtreauprèsd’enseignantsd’écolesetdecollègessensiblesdeCasablancaauMaroc.

PORTRAIT dU mETTEUR En ScÈnE : FRédéRIc ORTIz

Après avoir suivi des études théâtrales à l’uni-versitéd’Aix-Marseille,FrédéricOrtizestengagéauThéâtrede recherchedeMarseilledirigéparFrançoiseChatôtetAndonisVouyoucas(Scènes de la vie marseillaise pendant la peste de 1720).

Chargé de cours à L’Institut deformationducomédien-animateurà l’Université d’Aix-MarseilleauprèsdePierreVoltz,FrédéricOrtiz entreprend un travail derecherche théâtrale auprès dejeunes déficients mentaux etdéficientssensoriels.En 1983, il crée Le Nez deNicolas Gogol au ThéâtreNational de Marseille LaCriée, dirigé par MarcelMaréchal.Assistantdepro-jets «théâtre et psychia-trie» dirigés par Anne-Marie Ortiz, Frédéric Ortiztravaille avec despatientsducentrehos-

pitalier laTimone.Ilcréeunspectaclehorsnormeintitulé:La Folie est un coup monté.Plustard,en2000,ilcréeCoup de blouse.

En 1984, avec Anne-Marie Ortiz, Frédéric Ortizcrée le Théâtre Off, dont il met en scène lesprincipalescréations:Molière,Racine,Musset,Zola,Anouilh,Kafka,Courteline,Sartre,Camus,Vian,etc.FrédéricOrtizécritetmetenscènepourlatélé-visionallemande(SWFBaden-Baden);iladapteentreautresLa ParuredeGuydeMaupassant.EnAfriquedel’ouest(RépubliquedeGuinée),ilanimedenombreux stagesdeprofessionnalisa-tiondescomédiens-danseursdeConakryavecleconcoursdel’AmbassadedeFrance.IlprésenteàplusieursreprisesdesspectaclesàMarseilleavecunetroupeissuedesstages:auThéâtreNationalde Marseille La Criée avec L’Ile des esclaves deMarivauxetMourir au pouvoir,créationauThéâtredeLencheàMarseille.IlprésenteAntigonedeSophocleauMarocetunspectaclevaudevilleauLiban.En2005,ilécritetmetenscèneÉtoiles jaunes.Letexteest répertoriéaujourd’huiaumémorialisraéliendeYadVashem,àJérusalem,dédiéauxvictimesdelaShoah.Il joueetmeten scènedes spectaclesde rue,notamment en2005et 2006aumomentde lacommémorationJulesVerne, avecLe Retour du Capitaine Nemo(tournéeenFrance).

©ThéâtreOff

©ThéâtreOff

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Parallèlement, Frédéric Ortiz anime des ateliersdanslecadredel’option«théâtre»auseindeplusieurs établissements de Marseille et de sarégion.Frédéric Ortiz est actuellement missionné parle Théâtre National Marseille La Criée dans le

cadre d’ateliers de l’option Théâtre au LycéeMarseilleveyreàMarseille.Ildirigel’écoled’acteurduThéâtreOff(ateliers)etdenombreuxstagesdeformation.En 2006, Frédéric Ortiz met en scène Parloir sauvage.

Le Théâtre OffDepuis2007,leThéâtreOffestlabellisé«scènedesécrituresurgentes»parlaVilledeMarseille,leConseilRégionalProvence-Alpes-Côted’AzuretleConseilGénéraldesBouches-du-Rhône.Outresonorientationversunthéâtredifférent(dutypedeParloir sauvage),ilpoursuitsontravailendirectiondupublicscolaireàtraversdesspectaclesjouésàdomicile(collègesetlycées)grâceàundispositifscéniqueléger(tréteauxmobileséquipés).LeThéâtreOffpoursuitégalementsonpartenariataveclescentresculturelsetinstitutsfrançaisduMaroc.

LA démARchE, EXPLIQUéE PAR FRédéRIc ORTIz, mETTEUR En ScÈnE

Parloir sauvageexprimelechantdelaconditionhumaine. Notre intention n’est pas de fairele procès de la prison et de l’administrationpénitentiaire. Parloir sauvage est au bord dugouffre de l’humanité. Nous ne transformonspas le spectateur en «voyeur» d’un universà sensations. Pas de visite de zoo humain oud’embarquement immédiat pour l’enfer. Parloir sauvage estuncoupdepoingdansunmurpleindesilenceetdetabous.Nousn’incitonspas lespectateuràs’apitoyersur lesortdesdétenus.Nousn’oublionspas laprofonde souffrancedesvictimesdesdélitsetdescrimes.

Nous avons voulu que Parloir sauvage soitaccessibleà tous(langage,esthétique)etsousdiverses formes. C’est pourquoi ce spectacle«en salle» est joué sous la forme de théâtred’intervention«horslesmurs»,danslescentressociauxetlesétablissementsscolaires,enzonesurbainessensibles.

Nousdevonsapprendreà«préveniretàinsérer»plutôt que d’exclure et marginaliser ceux quivivent dans la misère économique, mentale,affectiveousexuelle.Enfin,Parloir sauvage estle fruit de l’aide, de la compréhension, del’initiative judicieuse de nombreuses personnesimpliquéesquiontfacilitécettecréation.

Écritet répétéenpartieenprison,Parloir sau-vage exprime la détention dans sa dimensionde souffrance, d’isolement, de séparation, deviolence,maisaussidetentativedereconstruc-tion.

Cethéâtre,cetteparcelledelibertéd’espritetdeparolesauseindeladétention,devaitsemon-treraupublic.Lesacteursd’aujourd’huiquisont

passésparlacase«Baumettes»dansleterriblejeudelavie,parceformidabletravailthéâtral,affirmentleurpassageauseind’unlieud’enfer-mement.Ilsaffirmentaussiqu’ilssontrestésdeshommes et qu’ils font partie de notre société.Derrière les murs, les portes et les verrous,touslesdétenus«seressemblent»auboutdequelquesmois.Ceuxqui, avecnous,après leur«libération»,entreprennent le théâtre,décou-vrentlentementlaforcedelaparoleetducorps,s’agitent, se révoltent ou rêvent au monde.Ceux-là se distinguent par leur engagement etsepréparent lentementàprendre lecheminde«l’entréedesartistes»parlespassagessecretsdu théâtre. Seul moyen d’oublier la détresse,la peur, la malchance, le sort humain, la mortlente: en rire et en faire rire. C’est le moyenqueAliDararetMichaëlMoreauonttrouvépouréchapperàl’angoissedel’enfermementcarcéral.Avec le rire détente, le rire évasion, les deuxauteurs-acteurs s’amusent à réfléchir dans untonâpre,àprovoquerleréel.

Lethéâtreestunformidablemiroirdéformant:si Parloir sauvage reflète les enjeux de notresociété,ilmetenévidencedansunmêmemou-vement les ruptures, les difficultés à vivre, lesinadaptationssociales,lesrisquesdelarécidive.Ali Darar et Michaël Moreau marquent dans ceParloir sauvage une rupture nécessaire avec uncertainendormissementdelascèneetutilisentuneécritureetunpartiprisàlafoisoffensifetdistantàl’usageduthéâtre.

Aucoursdesmoisd’élaborationduspectacleaucentredespeinesaménagéesdelaMaisond’Ar-rêtdesBaumettesàMarseilleetdanslestudioduThéâtreOff,AliDararetMichaëlMoreauontdessinéleslignesdetensiondulangageetdes

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personnages.Ilsontdonnéauspectacleunsensradical, violent ou «terriblement drôle», sansaucunecensuredel’administrationpénitentiaire,sousladirectiond’Anne-MarieetFrédéricOrtiz.

Laconfrontationaveclepublicaffirmeaujourd’huiunecertaineconceptiondelacréationscénique

et interroge la théâtralité. Certains thèmescomme la haine et le racisme, l’homosexualitéentre les détenus, éclairent la correspondancesecrètedesacteursavec laviesubieenprisonetaccroîtlepouvoirderéflexionaudétourd’uneparoleofferte.

EnTRETIEn AVEc ALI dARAR, mIchAëL mOREAU ET FRédéRIc ORTIz

RéaliséparAnneRocheetEricRostand

CommentestnéParloir sauvage?Frédéric Ortiz : Parloir sauvage est né d’untravail réalisé au centre des peines aménagées(C.P.A.)delaprisondesBaumettesàMarseille.Le C.P.A. regroupeune quarantainede détenusqui ont bientôt purgé leur peine: en général,illeurrestemoinsd’unanàeffectuer.LeC.P.A.constitueunesortedesasdesortie:ilproposeauxdétenusuneouverturevers l’extérieur,unepréparation à la réinsertion. Cela peut prendrediverses formes: recherche d’un emploi, miseà jour des démarches administratives, et desactivités culturelles. C’est dans ce cadre-là ques’est inscrit l’atelier théâtre conduit par Anne-MarieOrtiz,quiadonnénaissanceauspectacleParloir sauvage.Michaël Moreau : Bien évidemment, on nerentreauC.P.A.qu’enayanteuuncomportementexemplaire.Onpassed’abordparunepériodedeprobationdesixsemaines.Sinotreattitudefaitdéfaut,on«remonte»auxgrandesBaumettes.Si tout sepassebien,oncontinue«l’aventureC.P.A.». Ensuite, on peut aller au centre desemi-liberté (C.S.S.), qui permet de sortir de

prisonlajournée,àconditiond’avoirtrouvéunemploi.F.O. : Le point de départ du spectacle, c’estl’atelierd’écriture.Certainsdétenusonteuenviededirelaprisontellequ’elleest,leurmal-être,sansaucunecensure.Anne-MarieOrtizaeucetteidéeunpeufolledeprésentercetravailhorsdelaprisonetdesortirlesacteurs.Celaaétépos-siblegrâceaudirecteurduC.P.A.quiaacceptécette proposition qu’il jugeait pertinente. Celaa donné lieu à un premier spectacle, joué partroisacteursauThéâtreOffenfévrier2006,quis’appelait La Porte s’il vous plaît ! Ce titre faitréférence à une phrase adressée régulièrementparlesdétenusausurveillantpourqu’onouvreleurcellule.Cettepremièrereprésentationavaituneimportancecapitalepourmoicarjevoulaisen avoir le cœur net: le public ne verrait-ilqu’unedémarchesocialeoubienaussietavanttoutuneœuvre artistique? L’accueil fut extra-ordinaire.J’aisentiquequelquechosedefortsepassait et qu’il fallait aller plus loin. J’ai alorsannoncé, dès la fin de la première représen-tation, qu’il y aurait un nouveau spectacle lasaisonsuivante,quis’intitulerait Parloir Sauvage.La Porte s’il vous plaît ! aétéprésentéégalementdans un lycée dit «difficile», avec des élèvesqui flirtaientdéjàavec ladélinquance,etdontlesparentsétaient,parfois,passésparlaprison.Lesquestionsposéesparlesélèvesàl’issuedelareprésentationnousontbienfaitsentirl’intérêtpédagogiquede ce travail. Le spectacle a éga-lementétéjouéauTribunaldeGrandeInstancedeMarseille,enjuillet2006,danslecadred’unséminaire sur la prévention de la délinquance.Imaginez vous bien: il a été joué devant leProcureurdelaRépublique,desjuges(dontdeuxquivenaientdeNewYork),desreprésentantsdelaPréfecture,etc.!

Parloir sauvagen’estjouéqu’avecdeuxacteurs,et non trois comme dans La Porte s’il vous plaît !…F.O. : Eneffet.SeulMichaëlMoreausubsistedeladistributioninitiale.L’undesacteursn’apassouhaitécontinuer,sansdouteparcequ’ilvoulaittireruntraitsursonpassé.Ilad’ailleursdepuis©ThéâtreOff

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trouvéuntravail.Malheureusement,letroisièmearécidivéetseretrouvedenouveauenprison.PourmonterParloir sauvage,Anne-MarieOrtizadoncfaitappelàAliDarar,anciendétenuqu’elleavait formé au théâtre lors de son passageaux Baumettes de 1998 à 2004. Les premièresreprésentationsde Parloir sauvageonteulieuauThéâtreOffennovembreetdécembre2006.

Pouvez-vous nous éclairer sur le titre Parloir sauvage?Ali Darar :Faireunparloirsauvage,c’estcom-muniquerdepuissacelluleavecdesprochesquinous appellent dans la rue, derrière la prison.C’est une pratique pour laquelle on peut êtresanctionné. Certains surveillants, néanmoins,tolèrentlesparloirssauvages.F.O. : Le titre a été choisi parce qu’il évoquel’interdit, ou en tout cas le dépassement decertaineslimites.

Quesouhaitez-vousmontreravecParloir Sauvage?F.O. : Ce spectacle montre deux détenus dansleursconditionsd’incarcération,leurvieimpos-sible,maisaussilespetiteschoseshumainesquirejaillissent dans la cellule,malgré la violence.Il s’agit de faire en sorte que le spectateur sedise: «Ce monde-là existe et je l’ai devantmoi».C’esttout.Lebutn’estcertainementpasdefaireleprocèsdelaprison,cen’estpasnotremétier: des observatoires des prisons existentetfontrégulièrementdesrapports.Notretravailest de montrer l’humain. Certains témoignagesmemontrentquenousavonsréussinotrepari:«Vousnousavezfaitentrerdanslacelluleavecvotrespectacleetjenepensaispasquec’étaitcet enfer-là». À travers une démarche socialeet engagée, il s’agissait pour moi de redonnerlaparoleàceuxquinel’ontplusouquinel’ontjamaiseue.AliDararetMichaëlMoreautémoi-gnentdeleurexpérience,aveccequecelaadedérangeant,avecleursmots,ceuxdelarue.Lerésultatenestuneécrituresansfiltre,«brutdedécoffrage», «coup de poing», de la poésiefaiteavecl’orduredelaprison.J’aid’ailleursprisautantdeplaisiràmettreenscèneleurécriturequecelled’auteursreconnus.Ici,j’ail’impressiondefaireduneuf,etdenepasm’ankyloseravecdes théories ou avec des techniques vues etrevues.

Commentaétéconduitletravaild’écriture?M.M. :Auseinde l’atelierd’écrituredirigéparAnne-Marie Ortiz, chacun des neuf détenus aindiquélethèmesurlequelilvoulaitécrire.Onaregroupétouslestextes,onlesalus,puisonenachoisicinqpourlesretranscriresurscènedansLa Porte s’il vous plaît ! PourParloir sauvage,on

adoublélenombredethèmesabordés:l’arrivée,lecourrier,lasolitude,etc.F.O. :Jenesuisintervenusurl’écriturequepourParloir sauvage. J’ai interviewé Ali et Michaël,pour les conduire au-delà de ce qu’ils avaientdéjàdit, lesobligerà reformulerconstamment,àdépasser la simple informationdescriptiveetleur faire exprimer une révolte intérieure, unesensation,etc.Pour Récidive, leprochainspec-tacle, je fonctionnebeaucoupavec l’improvisa-tion:jeleurdonneuneconsignededépart,unesituation(parexemple,lefourgonquilesmèneenprison),puisjelesregardejouer.Çapartdanstouslessens,jemelaisseimprégner,jelesfaisimproviserplusieursfoissurlemêmethème,enrepérantcequ’ilsgardentouabandonnentd’unefoissurl’autre.

Ons’attendlégitimementàunegrande«authen-ticité»deces«nouveauxacteurs»…F.O. : Nécessairement. L’authenticité, avec cequ’elleade fragile.À telpointqueJean-LouisBenoit,ledirecteurduThéâtreNationalMarseilleLaCriée,m’adit:«Iln’yaqu’euxquipeuventjouercela».Avantd’ajouter:«Maisjesuissûrqu’ils peuvent jouer autre chose». C’est ainsiqu’AliDararetMichaëlMoreauontjouélespira-tesdansL’Ile au trésordeStevensonàLaCriée!Mais j’insiste sur le faitquecen’estpasparcequ’onestenprisonqu’onaquelquechoseàendire!Ilyaeuunesélectionparmilesdétenusdel’atelier,unesorted’audition.

D’autresdétenusont-ilsvulespectacle?F.O. : Certains détenus du C.P.A., oui. Grâce àladirectiondesBaumettes, ilsontpusortirdeprisonletempsd’unereprésentation,auThéâtreOffoudansdesétablissementsscolaires.Ilestactuellementquestiondeprésenterlespectacleàl’intérieurd’autresC.P.A.enFrance.

Comment ont réagi les élèves qui ont vu lespectacle?F.O. : Remarquablement bien! Certains ensei-gnantsontétéunpeudéroutésparlelangage,cruet«brutdedécoffrage»maisaussiparleschosesdélicatesquisontparfoisdites,tellesquelamisèresexuelle.Maisjecroisquetoutpassetrèsbienauprèsdesélèves,quisonttrèsrécep-tifs. Leurs interrogations après les représenta-tionssonttrèshumaines,parexemple:«quesepasse-t-ilenprisonlesoirdeNoël?».CeàquoiAliarépondu:«Ontapesurlesbarreauxdelacellulepourfairelescloches!».A.D. :Pournous,c’estsurtoutunactemilitant.Au-delàdel’aspectprévention,quineconcernequ’unnombrelimitédejeunes,ils’agitsurtoutdechangerleregardsurlesdétenus.

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La Porte s’il vous plaît !etParloir sauvage,L’Ile au trésor, bientôt Récidive… Vous poursuivezdoncvotrenouvellecarrièred’acteur?A.D. :Lethéâtreet,plus largement, lemondeartistiqueonttoujoursétéimportantspourmoi.C’est une façon d’apporter quelque chose. Jesouhaitedonccontinuer.M.M. :Encequimeconcerne,lethéâtren’est

pas une piste que j’avais envisagée avant departiciper à l’atelier d’écriture! A présent, jesensquec’estmavoie.F.O. :Ilseraitbiendelesvoirdansautrechose,ycomprisdansdestextesclassiques.D’ailleurs,ils en ont joué en atelier. Ali, par exemple, jel’imaginebienenScapin!

entretien avec anne-marie ortiz

RéaliséparAnneRoche

Commentestnéceprojet?Anne-Marie Ortiz : Depuis plusieurs années,j’anime un atelier théâtre au centre despeines aménagées à la prison des Baumettes,etj’avaisenviedefabriquerunspectacleàviséepédagogique sur le thème de la prison et del’enfermement. Les détenus, vivant en prisonvingt-quatre heures sur vingt-quatre, n’avaientpas tellement envie d’en parler. Le théâtre estpoureuxuneporteouvertesurl’extérieur,aussileur demander de concevoir un projet sur cetespace, sur ce lieu de souffrance m’a semblépendant longtemps inenvisageable. Puis j’aieu la chance de travailler avec un groupe qui

avaitcedésirdedépasser leurquotidien.Nousavonsalorsécritdesmomentsdecettevie,desparoles qu’ils avaient sur le cœur, des parolessouvent indicibles pour eux, desmessages quenousavionsenvie,euxetmoi,de laisseraprès

notrepassageéventueldansuncollègeoudansunlycéeauprèsd’élèves,dejeunes.Quandtouta été écrit, quand ce projet d’écriture nous aparu abouti, les détenusm’ont demandé d’êtreleurporte-paroleàl’extérieurdelaprison.Carilétaitfoudelesfairesortirpourjouerdansunereprésentation,ouencoreimpossibled’envisagerque le public puisse assister à un spectaclejouépardesdétenusdansuneprison.Dansunpremiertempsj’airefusédemontersanseuxcespectacle. Jem’en sentais incapable. J’ai alorsrencontréledirecteurduC.P.A.etjeluiaiexposémonprojet:créerunspectacleà l’extérieurdela prison, avec des détenus. Il a par miracleacceptécetteaventureimprobable.Nous voulions montrer que toutes les journéesenprisonseressemblent,seconstruisentsurlemêmemodèle:l’ouverturedesportes,l’ouverturedescellules,lagamelle,leparloir,lapromenade.Que l’on passe six mois, un an, vingt ans enprison,c’estpareil.Lerythmeestidentique.Lalassitude,letempsquin’enfinitpasdes’étirer,sontsemblables.

Commentsontorganiséslesateliersthéâtre?A-M.O. : Lesateliersontlieutouteslessemai-nespendantdeuxoutroisheuresselonleslieuxcarjedirigeplusieursateliersàlafois:unauxgrandes Baumettes, un autre au C.P.A. Je suisl’intervenante qui vient de l’extérieur, je leurapporte une bouffée d’air du dehors. J’amèneavec moi l’actualité, des livres, du théâtre, unpeu de mon monde que j’aime partager aveceux.

Comment organisiez-vous les séancesqui ontconduitàl’écrituredeLa Porte s’il vous plaît !,qui est devenu Parloir sauvage ? Commentparveniràfaireécrireauxdétenusuntextedethéâtrequisoitbienleurtexte?A-M.O. : Nous avions plusieurs soucis qu’ilfallait résoudre pour que ce projet aboutisse.Toutd’abordfidéliser legroupe.Eneffet, l’ate-lier fonctionnant sur le volontariat et n’étantpas obligatoire, je craignais sans cesse que legroupesedisperse.Deplus,lesdétenuspeuvent

©ThéâtreOff

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partir en semi-liberté, voire être libérés avantla fin de l’écriture du texte. Je devais donc,systématiquement, intéresser les détenus arri-vant dans l’atelier à l’écriture de ce spectacle.Jedoisavouerqu’ilsm’onttousaidéeetqueceprojetestdevenupourtousunobjectifcommunet fédérateur.L’atelier s’estalors transforméenatelier oùgueuler était lemaître-mot, où toutle monde disait ce qu’il avait sur le cœur, oucequ’ilavaitenviededire,deconfier,d’écrire.Chacunaprisenchargeunedesséquencesqu’onvaretrouverdansLa Porte s’il vous plaît !etdansParloir sauvage. Une fois toutes ces paroles dedétenusretenues,nousavonsfaitunrésuméetnouslesavonsdistribuéesensuivantlacadenced’une journée de détenu.Nous avons construitunejournéesemblableàcellequepouvaitvivreun prisonnier, du matin au soir. A savoir: lacohabitation avec un autre dans la cellule, leparloir, lapromenade, l’extinctiondes lumières.Chronométrerlajournéeetrythmerlespectacleaprisbeaucoupdetemps.

Votretexteestfaitdulangagedesdétenus.Ilest le fruit de diverses improvisations retra-vailléesenvud’uneécriturethéâtrale.Commentsedéroulaientcesimprovisations?A-M.O. : Les détenus qui viennent à l’atelierthéâtre n’ont pas pour but de devenir descomédiensprofessionnels.Jetravailledoncavectous les détenus qui ont la bonne volonté des’engager. Cependant, certains sont arrêtés parl’illetrisme.Lorsquenousavonsenvisagéd’écrireLa Porte s’il vous plaît ! nous avons tout basésur l’improvisation «sauvage». La plupart dutempsnousparlionsbeaucoupetnousretirionsuntextedetoutcequiavaitétédit.Puisnousrépétions le texte jusqu’àcequ’il soitcompris,jusqu’à ceque ledétenuquine saitni lire,niécrire,retrouvecequ’ilapudireoralement.Etnousavions lesouciconstantquetouteparolene soit jamais travestie. Ce fut très long dedémêleruneparunelesidées.Cartoutlemondeparleenmêmetemps.Lesidéesfusent.Toutlemondeveutdirequelquechose.Ensuiteilafalluorganiser les improvisations afin de construireun textecohérentavecundébut,unmilieuetunefin.Lesparolesunefoischoisies,nousavonspuécriremotaprèsmotletextedelapiècedethéâtre.DuprojetàlaréalisationdeLa Porte s’il vous plaît !nousavonsmiscinqàsixmois.Cinqàsixmoisd’écriture.Cetexten’estnéanmoinspasdéfinitif,lesdétenuspeuventleréécriresanscesse.Atoutmomentlecahieroùestconsignélapiècedethéâtreestàladispositiondesdétenusdel’atelier.Actuellement,lespectacleestfait,vaêtrejouémaistouslesdétenussaventqu’ilspeuventyparticiper.

Parloir sauvageestdoncbienunspectacledontl’écriture reste inachevée. Et ce sera aussi lecasdeRécidive,lanouvellepiècequevousallezprésenter.Maisya-t-ilencoredelaplacepourl’improvisation lorsque le spectacle sedéroulesouslesyeuxduspectateur?A-M.O. : Oui,maisunetoutepetiteplacepourl’improvisationquiestbaséesurlaspontanéitédel’acteur.AliDararetMichaëlMoreau,lesco-auteurs de ce spectacle, connaissent parfaite-ment la pièce. De plus, ils ont vécu la prison.Aussipeuvent-ilssepermettre,lorsdelarepré-sentation, de rajouter une phrase, un mot. Ilspeuventtoucheràuntextequileurappartient.

Quelsétaient les rapportsdesdétenusacteursavec les surveillants pénitentiaires lorsque ceprojetaétémisenplace?A-M.O. : Cenefutjamaisl’occasion,pouraucund’entre eux, de profiter de la situation. FairepartiedeLa Porte s’il vous plaît !neleurajamaisdonnélalibertéd’obtenirlamoindrefaveur.Ilsne se sont jamais sentis supérieurs aux autresdétenus.Ilssonttoujoursrestéseux-mêmes.Lessurveillants,quantàeux,étaientpartagés.Ilyaceuxquin’ycroientpasdutout,quin’ycroirontjamaisetquipensentqu’undétenuestundétenuetqu’ilreviendraàlacaseprison.Puisilyaceuxquicroientcomplètementàceprojet-là,qui lesoutiennent, et qui viennent voir le spectacle.Certainssontmêmevenusassisteràdesateliersd’écriture.Maiscenefut jamaispourfaireunequelconque censure. Ils voulaient constatercombien tout fonctionnait. Ils ont même aidélesdétenus,lorsd’unerépétition,àfabriquerdesyo-yo. Ce sont des sachets plastique dans les-quels il yades spaghettisenboiteetque lesdétenus se passent par un système de boutsde ficelle qui vont et viennent.Or les détenusnesavaientpluscommentlesconfectionner.Cegestetoutsimpleacrééunevéritableconnivenceentre détenus et surveillants pénitentiaires.Beaucoupsontvenusvoirlespectacle,beaucoupontsoutenuleprojettandisqued’autresn’yontjamaiscru,n’ycroirontjamais.

VousavezmontéLa Porte s’il vous plaît !enpri-son.Quelétaitlepublicdecepremierspectacleetquelleaétésaréaction?A-M.O. : Ce fut, dans un premier temps, unpublic de surveillants pénitentiaires. Ils onttousbeaucoupriparcequ’ilssesontretrouvés,à l’extérieur, à l’intérieur. Ils se sont vus dansquelques situations que peut représenter unejournée de détenus. Ils ont découvert tout cequepeutpenserledétenu,nonseulementdelaprison,maisaussideleursgardiens.Unecertai-nevisiondel’incarcérationleurapparaissait.Ils

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pensaientconnaître laprison.Mais ilsontvitecomprisqu’ilenétaitautrementunefoisquelaportedelacelluleétaitfermée.Beaucoupdecequ’ils vivaientavec lesdétenus leuréchappait.Ilsontappriscequ’étaitl’intérieurd’unecellule.

L’émotionétaitfortedanslasalle.Etjepeuxdireque cette aventure théâtrale a, d’une certainefaçon,modifié lesrelationsentrequelquessur-veillantsetdesdétenus.Cefut,pourcertains,unthéâtred’apprentissage.

LEXIQUE

Toto :résistanceélectriqueartisanalefabriquéeen cellule par les détenus pour chauffer l’eaucontenuedansunebriquealimentaire.

Yo-Yo : longue corde fabriquée avec des lam-beauxdedrapsattachéslesunsauxautres,quipermet de faire passer des objets, de la nour-riture, d’une cellule à l’autre, par les fenêtres.Lesyo-yopeuventmesurerplusieursdizainesdemètres.

« Mets la main ! » :consignededétenu.Placeradroitementsonbrasà l’extérieurdelafenêtreentre lesbarreauxpour saisir leboutduyo-yolancéparledétenud’unecellulevoisine.

« Mets la glace ! » :consignededétenupourapercevoir« l’envoyeur»àtravers la fenêtreàl’aided’unebrisdeglaceoudemiroir.

Le drapeau :boutdepapierglisséadroitementdanslaporteàhauteurdesgondssupérieursafindeprévenirlesurveillantd’étaged’unedemandeurgente(lesampoulesrougesplacéesau-dessusdesportesétantgénéralementhorsservice).

Le surveillant est nommé entre détenus :«porte-clé», «bâtard», « fils de pute », «lebleu»,«lenazi».

Le cachot : la prison dans la prison. Celluled’isolementaprèsrapportdisciplinaireconsécutifàunefautecommiseparundétenu.

Le colis de l’arrivant : boîte en carton blancdanslaquellesetrouventunsavon,dudentifrice,unebrosseàdents,unpréservatif.Parlasuite,ledétenu«cantinera»cesproduitsqu’ilpaieraà l’administrationpénitentiaireavec l’argentdesonpécule.S’ilnepeutpaspayer, lesproduitsluiserontdonnésparlesassistantssociaux.Ledétenuferapartiedesindigents.

Mandat : argent que la famille verse sur lecomptedudétenu.

Bon de commande : feuillets de différentescouleurs correspondant à la nature du produitcommandé.Gamelleur :détenuaccompagnéd’unsurveillantchargédeladistributiondesrepasoudescolisdecantine.

Cantiner :commandersurlalisteofficielledesproduits de diverses natures (légumes, fruits,laitage,hygiène,vêtement,ventilateur,etc.)

Boîte aux lettres : fabriquée artisanalement àl’aided’unebriquedelaitoudejusd’orangepourpermettre au surveillant de déposer le courrieroulesconvocationsdiverses.

Faire glisser : mettre au sol son adversaire,menacersonco-détenu.

Faire un sourire :blessurevolontairecauséeparune lame de rasoir dissimulée entre les dents,provoquée lors d’un rapprochement physiqueentre deux détenus (embrassade, accolade). Lalamecoupe les jouesdesoreillesaux lèvresdudétenuparpunitionourèglementdecompte.

« Baisser les mains » ou « ne pas parler avec les mains » : tout geste peut être interprétécommeunactedeviolenceentredétenus.Parleravecsesmainsestunemenacelatente.

« Remonter des boules » : recomptage desboulesdepétanqueavantlaremontéedanslesétages,aprèslapromenade.

R.P.S. :réductiondepeinesupplémentaire(tra-vail, école, activité, soins) décidée par le JAP(juged’applicationdespeines).Uncréditdeseptjoursparmoisderéductiondepeineestassuréàchaquedétenu.Ainsi,ledétenupeutcalculersadateapproximativedesortie.

« Oh! La famille ! » : expression qui signifiequelavraiefamilleestendehorsdelamaison(larue,laprison).

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Extrait n°1 – L’arrivée en prison

Mika : […] Les arrivants eux, ils se prennent la tête contre les murs tellement y sont sales, tout le monde écrit son nom, les arrivages d’après ils les lisent, on se croirait dans une bibliothè-que. Après, ils se mettent par la fenêtre, et là ils ont un aperçu… Ils voient ce qu’on voit en prison, ce que eux mêmes ils vont voir en prison, c’est là, sale, entassé et eux ils vont en faire partie. Après, y a un surveillant qui vient les chercher, c’est allez hop toi bâtiment A,  A nord, répartition en cellule. Et là ça y est, ils sont en prison.

Extrait n°2 – L’accueil en cellule

Ali arrive dans la cellule.Mika : Putain c’est quoi ça, oh surveillant !Ali : Appelle pas le surveillant.Mika : Vas y cé quoi, tais-toi, appelle le surveillant… Surveillant !!Ali : Comment ça appelle le surveillant… Qu’est-ce que tu crois ?Mika : Vas-y ferme-la,  regarde,  ferme-la,  là t’es dans ma cellule, appelle  le surveillant parce que je veux sortir.Ali : Attends, attends, parle-moi bien… Où tu te crois, tu crois que c’est ta cellule ? D’où c’est ta cellule ?…ton nom est marqué quelque part ?…Tu payes un loyer ?… T’as un crédit ?... Tu paies quelque chose ?Mika : Regarde…Ali : Dis-moi….. Tu vas me rendre fou…. Y a marqué ton nom ?Mika :  Oh  je  vais  te  dire  un  truc….  Regarde,  c’est  super  simple :  là,  t’es  dans  ma  cellule,  le chef de la cellule c’est moi, et le chef de la cellule il a dit : « toi, le clando, tu vas sortir de ma cellule. »Ali : Quoi… Clando ? Tu me traites, c’te plait ?Mika : Dans ma cellule, y a pas de clando.Ali : Tu m’appelles pas clando… Zarma, tu m’appelles pas clando, je suis pas un clando… Tu as vu la tête que tu as, tu es bamboula…. Là tu es de Ouagadougou… Ou je sais pas d’où tu viens, moi tu m’appelles pas clando, ici c’est pas ta cellule.Mika : Parle bien dans ma cellule.Ali : Là,  la  télé,  je  la  regarde,  là  le  lit,  je vais dormir, et  la table  je  l’utilise,  je mange dessus, qu’est-ce qui y a ?Mika : Oh ferme ton cul, ferme ton cul dans ma cellule, et écoute…Ali : Comment ça ferme ton cul ?Mika : Tu vas prendre tes affaires, tu vas appeler le surveillant et tu vas sortir de la cellule !Ali : Je reste là !

Extrait n°3 – Le reportage

Ali : Chouf, Michaël, regarde, regarde, c’est la gare, c’est la gare, chouf, la plus belle gare du Maroc.Mika : Ferme-la.Ali : Oullah, c’est une merveille du monde, chouf, chouf.Mika : Ferme-la, oh laisse-moi dormir.Ali :  Oh  Michaël,  chouf,  chouf,  le  marché,  oullah,  c’est  le  plus  beau  marché  oriental  du Maghreb qu’il existe, chouf, chouf, t’y comprends rien. Michaël, Michaël, chouf, on arrive dans les plantations, c’est les spécialités de mon pays, c’est… les dattes à Fès. Michaël, tu sais quoi oullah je sais pas, ma mère elle va venir mardi au parloir me voir, elle va revenir du bled, je sais pas si je vais t’en donner des dattes ?Mika : Non, elle va te ramener des dattes au parloir ?Ali : Euh oui…Mika : Des grosses, comme à la télé là ?

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Extrait n°4 – L’hommage à la mère

Ali:Mamère…Mamère,etlàjepenseàmamère,j’mediscombienj’aifaissouffrirmamère,j’l’aitropdéçue,enfin,etmalgréça.Onnepeutriencontrel’amourd’unemère.Quandmêmeellevientmevoirdetrèsloinlematindanslefroid,ellevient,toutebelle,elleaffronte,mamère,oullah.Mamère,moijepourraisl’appeler«supercourage»,parcequeavectoutcequ’ellefaitpourmoioullah,j’medemandecommentelletrouvelaforce.Commeellevientd’unendroitcommeçatoutsombretoutgris,maismalgréça,quandj’arrivedevantleparloir,commeça,j’lavois,c’estuneapparitionoullah,c’esttropmagique,parcequ’elleest là,ellemefaitunbonsourire…Maischaquefoisqu’ellevientauparloir,ellemesouritcommeça,devantcommeça,c’esttropintenseoullahça…Etaprèsjepasseunebonnedemieheuredeparloiroullahc’estunmomentmagique,c’estunmomentmerveilleux,c’estsuperagréableoullah,ellemeréconforte,ellemedonnedesmotsdetendresse,çamerevitalise,ellem’apaise,ellemedit…Ellemefait«fais attention à toi, attentionmon fils, fais attention à ça,mon fils…» Oullahmamère,c’estmamèrepourl’éternitéoullah,c’esttropbiencequ’ellefaitmamèrepourmoi…Après,turevienslà,danslapromenade,danslacellule,jeretrouvelemondesauvage,lasauvagerie…Maislesplussauvages,c’estlessurveillants.EtlàjemedisaussiAbdoullah,parcequed’uncôté,qu’est-cequia,y’enaaussiysontseuls,yzontpersonne,yzontniparloir,nimandat,nilettre,ysontcommeçaysonttoutseuls,danslasolitudelaplustotalequipuisseexister…Etvoilà,ondiraitquisonttombésduciel,ondirait,jesaispasysontlàdanslapromenade,ymarchentcommeça,voilà.

pistes de réflexion avant le spectacle

En préalable, on insistera sur la genèse du spectacle : né d’un long travail d’improvi-sation, le texte est définitivement écrit en septembre �00� et présenté pour la pre-mière fois le � novembre �00�. Le texte est aujourd’hui protégé par la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (S.A.C.D.). En représentation, le texte écrit est joué par les acteurs-auteurs. Une spontanéité volontaire est introduite dans le jeu des acteurs qui se donnent le droit de faire des « détours » ou « rajouts » de textes selon les réactions du public.

b Faire réfléchir les élèves aux moyens de mettre en scène, c’est-à-dire en forme, une parole immédiate et urgente.On pourra proposer de travailler sur quelquessujetsprécispropresàlavieenprison,telsquel’arrivéedanslacellule,lapromenade,lacohabi-tationentredétenus(violenceetsolidarité)ouencore leparloiravecunparent.L’organisationen groupes permettra aux élèves d’improvisersurundesthèmesetde lemettreendialogueàl’écrit.Parloir sauvage ayant pour point de départ un

travail en improvisation à partir d’un canevas,on pourra citer la tradition de la commediadell’arte.

b Lister ensuite les difficultés rencon-trées : difficultés lexicales, décalage entre l’improvisation vivace et le cadre écrit.On insistera sur la nécessaire mise à distanceentreuneexpériencevécueetuneparoledesti-néeàêtreentendue.

De l’oral à l’écrit : apprivoiser la parole

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b Interroger les élèves sur la notion d’enfermement et le rapport au temps dans une cellule.Attirer l’attention sur la perturbation senso-rielleinduiteparleslieuxdelaprison:l’exiguïtémodifie la perception visuelle, les cliquetis,échos,crisannoncentunnouveaucodeauditif.Enfin, l’odoratoscilleentre insalubrité,promis-cuité,aseptisation.Commentsuggéreruneambianceirrespirableetbruyantesurscène,parledécor,lesaccessoires,l’éclairage, labandesonore?Commentévoquerunlieupuisunautre?Lessolutionsproposéespourrontêtreexpriméesà travers des croquis et/ou des didascaliesdétaillées.

b Insister sur le fait que l’organisa-tion du plateau influera sur le jeu des acteurs.Surunextraitprécis (parexemple l’extraitn°2reproduitci-dessus),fairetravaillerlesélèvessurl’expression corporelle des personnages et leuroccupationde l’espace. Cespropositions seront

confrontéesaprèslareprésentationauxchoixdemiseenscène.Letextefaitapparaîtredeuxtempéramentsdis-tincts,l’undominantetdistant,l’autresensibleetrêveur.L’étudedelagestuelledespersonna-gespermettrades’interroger sur lamanièredetraduiresurscènecettedifférence,maisaussilelienquifinitparrapprocherlesdeuxdétenus.

b Repérer dans le texte les ruptures temporelles.Les scènes sont séparées par des ellipses deduréesvariables.Laduréedechaquescèneest,elleaussi,delongueurdifférente.Les différentes scènes semblent autonomesles unes des autres et constituent autant de«tableaux»représentatifsderoutinescarcéraleslourdesdesens.Travailler avec les élèves sur le rythme de jeupossiblepourchaqueétapedelaviequotidienneen prison: comment s’installe la durée de ladétention et pourquoi cette fragmentation desmomentsvécus?

Comment représenter l’enfermement et la vie quotidienne en prison ?

Représentation de la prison

b Travailler sur les différentes images de la prison, les clichés et préjugés généralement admis.Prolongerlaréflexionsurlestatutdedétenuenlistant les divers aspects qui peuvent éloignerle détenu du statut de citoyen: l’accès auxsoins, l’insalubrité, la promiscuité, les violen-ces verbales et physiques, la misère sexuelle.On s’appuiera sur les extraits des droits et desdevoirsdudétenudistribuésavantlespectacle.Il ne s’agira pas d’orienter les élèves vers unecritique de l’administration pénitentiaire, maisdesusciterundébatargumentésurlesdroitsetlesdevoirsducitoyen:commenttoutepersonneenfermée,isoléedurestedelasociété,peut-elleencoreresterunêtresocial?

b Faire une étude comparative de quel-ques pièces de théâtre et textes sur la détention.

Ons’appuieraparexemplesurlestextessuivants(listecomplèteenannexe):Claude Gueux et Le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo ;Journal du voleur deJeanGenet;La Ballade de la geôle de Reading, d’OscarWilde;Textesécritspardesdétenusanonymes:Paroles de détenus, dir. Jean-Pierre Guéno, éd. Librio,Poètes en prison etPoèmes de prisonniers,coll.AlbumDada,éd.MangoJeunesse.On mettra en garde contre les risques d’inten-tions scénographiquesmanichéennes,moralisa-trices ou au contraire provocatrices. Commentéviter les écueils du voyeurisme, notamment,ou encore du pathétique? Comment laisser auspectateursapartde réflexionetsa libertédejugement?

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Mimésis et catharsis

Parloir sauvage, par sa genèse, ses acteurs et sa mise en scène, est l’occa-sion de revenir sur des notions fonda-mentales du théâtre et de formuler ainsi des hypothèses sur la représentation.Onrappelleraladéfinitiondesnotionsdemimé-sisetdecatharsis,selonAristote,etleurcriti-que,notammentparBrechtetArtaud1.

b Identifier les éléments du texte qui induisent le mimétisme du réel. Remarquer notamment que l’écriture est éloignée des « bienséances » admises habituellement.

b À la lecture de l’entretien avec le metteur en scène et les comédiens, repérer comment se trouve « médiati-sée » l’illusion du réel.

b On amènera les élèves à s’interroger sur la catharsis qui peut être produite par le spectacle. Purgation des acteurs ? des spectateurs ? pour réintégrer la

société ? la changer ? s’en extraire ? trouver son salut dans le théâtre ? Les hypothèses seront listées et reprises après le spectacle. On interrogera ici le «théâtre d’inter-vention», qui a une fonction d’éveil dans lasociété.

b A propos de deux extraits (par exem-ple, l’arrivée à la prison et l’éloge de la mère), proposer plusieurs mises en voix possibles : un jeu sur l’identification et l’affectivité (mimésis), un jeu distancié (Brecht), un « délire communicatif » (Artaud). Après ce travail, qui nécessi-tera des répétitions, on lancera le débat sur l’effet produit sur le spectateur par ces diverses interprétations et on élabo-rera des hypothèses sur le jeu possible des comédiens.Onpeutaussitenterd’autresinterprétationsetlesinterroger:registretragique/registrecomi-que/mélangedesregistres.

1Lamimésisestuneimitationdes«hommesenaction»aumoyend’uneaction.Ellepose

commeprincipesl’imitationdescaractèresetlafonctionmimétique

dudialogue.Ils’agitalorsdes’interrogersurlefonctionnement

delacommunicationthéâtrale:doit-elledonneraumaximum

l’illusionduréel?Onobserveracependantquelethéâtre,parla

représentation,«médiatise»cetteillusionduréel(texteécrit,mise

enscène,scénographie).Lacatharsis–purgationdes

passions–purifielespectateurparladramaturgiecrééeparl’espace

théâtral,laduréeduspectacle,lasuccessiondesprisesdeparoles

etlesétatsdeterreuretdepitiésuscitésparledéroulementde

lafable.Lespectateur«purgé»réintègrelasociété«dansun

étatdemodérationconformeàlaraison»(Racine).

Lecomiquerelèveluiaussid’unprocessuscathartique.Ilpeut

jouerpourlespectateurunrôle«hygiénique»etconservateurdu

groupesocial(riresuscitéparlafarce,parlecarnavaletc.).

PourBrecht,lethéâtreestunpointdevueetundiscourssurleréel.Ilfautdoncmettrelespectateur

àdistancedelareprésentation(distanciation)enmettantl’accentsurla«théâtralité»afinqu’ilsoit

conscientqu’ils’agitnonduréelmaisd’undiscourssurleréelsur

lequelildoitprendreposition.L’identificationestincompatibleavecuneattituderéflexive,elle

imposeunevisiondumondeetdesrapportssociauxquin’estquecelledudramaturgeet/oudumetteuren

scène.Parladésacralisationqu’ilopère,lerirecontribueàintroduire

ladistancecritique.Artaud,lui,comparelethéâtreaveclapeste:lethéâtre«estfaitpourvidercollectivementlesabcès».Iladoncunefonctionthérapeutique.

PourArtaud,lespectateur«purgé»n’apasàréintégrer

ensuitelasociété,maisildoits’enextraire,s’endélivrer.Aucontraire

duspectateurbrechtien,ilnevapasauthéâtrepuiserlaréflexionquiluipermettradeparticiperau

monde–etdelechanger?–ilabandonnelemondepourfaireson

salutauthéâtre. ©ThéâtreOff