Physiologie De La Douleur

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Physiologie de la douleur D. Le Bars J.-C. Willer Résumé. Depuis 1993, date de notre dernière revue sur la physiologie de la douleur, les connaissances ont particulièrement évolué, notamment dans le domaine des mécanismes périphériques élémentaires, qu’il s’agisse de nouveaux peptides, des récepteurs ou de facteurs neurotrophiques impliqués dans les phénomènes inflammatoires. Cette « mise à jour » de la physiologie de la douleur n’est donc pas une simple réécriture de l’ancienne version mais une tentative de synthèse organisée de ces nouvelles acquisitions. Dans la première et principale partie de cet exposé, nous nous limiterons au cadre purement physiologique de la douleur aiguë (douleur-nociception). Celle qui est utile à la protection de l’organisme. Dans un second temps, nous aborderons, sous l’angle des mécanismes physiopathologiques, quelques dérèglements de ces systèmes, soit dans le sens des syndromes douloureux chroniques, soit à l’inverse, dans le sens des syndromes d’analgésie. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Physiologie de la douleur ; Mécanismes périphériques ; Mécanismes centraux ; Systèmes intrinsèques de contrôle de la douleur ; Physiopathologie des syndromes douloureux chroniques ; Syndromes d’analgésie congénitale « Comme une mer fidèle, la connaissance nous guidera pacifiquement au- delà d’une mer de larmes et, après la douleur, viendra le pays de la vie. » Henri Minczelès, Histoire Générale du Bund. Ed. Denoël (Paris) 1999 Introduction Comprendre, prévenir, guérir la maladie mais aussi comprendre, prévenir et soulager la douleur sont les deux fondements de la médecine. En effet, la douleur représente plus de 90 % des causes de consultations. Ce symptôme subjectif, complexe et multidimensionnel est cependant difficile à définir. Le vocabulaire médical est riche de locutions ou de qualificatifs permettant de différencier les douleurs ( en « coup de poignard », « lancinante », « fulgurante », etc…) qui, certes, témoignent de la variété des sensations perçues, mais illustrent aussi la difficulté à les décrire de façon précise. L’Association internationale pour l’étude de la douleur (International Association for the Study of Pain - IASP -) la définit comme « une sensation désagréable et une expérience émotionnelle en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en ces termes ». Sur le plan physiologique, il importe d’éviter toute confusion avec d’autres termes qui sont mal définis, tels que la souffrance ou le stress (qui peuvent cependant être également liés à la douleur). Par ailleurs, l’étude de la douleur peut être perturbée par un ensemble de facteurs dont la complexité est d’un ordre supérieur aux phénomènes proprement biologiques puisqu’ils dépendent de l’état affectif ou émotionnel ainsi que de la motivation du sujet. On sait par exemple qu’une blessure grave est moins douloureuse dans le contexte d’un hôpital de campagne pour le blessé extrait du champ de bataille que dans le contexte d’angoisse et de désespoir déclenché par un accident civil. [6] Ces facteurs, qui appartiennent à la sphère psychologique et aux fonctions cognitives, contribuent grandement aux difficultés de quantification de la douleur. Sur le plan médical, l’influence psychologique de l’observateur est essentielle ; lors d’expériences effectuées en double aveugle, le pouvoir de suggestion du médecin, de l’acte médical ou du médicament sont tels que sur une population donnée, l’effet placebo n’est jamais inférieur à 30-35 %. [13] Lorsque l’on sait que les analgésiques majeurs ne sont jamais efficaces sur l’ensemble des patients, on mesure la marge d’initiative laissée au médecin. La modestie est donc de mise avant d’attribuer un succès thérapeutique à une médication supposée antalgique. Au sein des systèmes sensoriels, la douleur constitue un signal d’alarme qui protège l’organisme : elle déclenche des réactions dont la finalité est d’en diminuer la cause et par conséquent d’en limiter les conséquences ; on parlera de nociception. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, sa disparition ou son abolition ne procure aucun avantage : les cas pathologiques d’insensibilité congénitale à la douleur, véritables « expériences naturelles », sont dramatiques et requièrent un environnement protégé pour éviter à ces patients d’être perpétuellement atteints de brûlures, de blessures ou de fractures (cf. infra). Dans une perspective finaliste, on conçoit qu’un système aussi complexe que celui qui génère la douleur n’ait pu évoluer au travers des pièges de la sélection sans que les espèces animales n’en retirent bénéfice. Cependant, à l’instar des autres fonctions de l’organisme, le système qui génère la douleur peut lui aussi être atteint par la maladie. Lorsque l’on considère la douleur chronique qui, chez l’homme, peut durer des mois, voire des années, l’effet protecteur physiologique fait place à un état pathologique qui n’est pas seulement inutile mais qui devient délétère pour le patient, D. Le Bars EMI-Inserm 0331, Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, 91, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France. J.-C. Willer Adresse e-mail: [email protected] EMI-Inserm 0349 et laboratoire de neurophysiologie, Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, 91, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France. Encyclopédie Médico-Chirurgicale 36-020-A-10 (2004) 36-020-A-10

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Physiologie de la douleurD. Le BarsJ.-C. Willer

Résumé. – Depuis 1993, date de notre dernière revue sur la physiologie de la douleur, les connaissances ontparticulièrement évolué, notamment dans le domaine des mécanismes périphériques élémentaires, qu’ils’agisse de nouveaux peptides, des récepteurs ou de facteurs neurotrophiques impliqués dans les phénomènesinflammatoires. Cette « mise à jour » de la physiologie de la douleur n’est donc pas une simple réécriture del’ancienne version mais une tentative de synthèse organisée de ces nouvelles acquisitions. Dans la première etprincipale partie de cet exposé, nous nous limiterons au cadre purement physiologique de la douleur aiguë(douleur-nociception). Celle qui est utile à la protection de l’organisme. Dans un second temps, nousaborderons, sous l’angle des mécanismes physiopathologiques, quelques dérèglements de ces systèmes, soitdans le sens des syndromes douloureux chroniques, soit à l’inverse, dans le sens des syndromes d’analgésie.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Physiologie de la douleur ; Mécanismes périphériques ; Mécanismes centraux ; Systèmesintrinsèques de contrôle de la douleur ; Physiopathologie des syndromes douloureux

chroniques ; Syndromes d’analgésie congénitale

« Comme une mer fidèle, la connaissance nous guidera pacifiquement au-delà d’une mer de larmes et, après la douleur, viendra le pays de la vie. »Henri Minczelès, Histoire Générale du Bund. Ed. Denoël (Paris) 1999

Introduction

Comprendre, prévenir, guérir la maladie mais aussi comprendre,prévenir et soulager la douleur sont les deux fondements de lamédecine. En effet, la douleur représente plus de 90 % des causes deconsultations. Ce symptôme subjectif, complexe etmultidimensionnel est cependant difficile à définir. Le vocabulairemédical est riche de locutions ou de qualificatifs permettant dedifférencier les douleurs ( en « coup de poignard », « lancinante »,« fulgurante », etc…) qui, certes, témoignent de la variété dessensations perçues, mais illustrent aussi la difficulté à les décrire defaçon précise. L’Association internationale pour l’étude de ladouleur (International Association for the Study of Pain - IASP -) ladéfinit comme « une sensation désagréable et une expérienceémotionnelle en réponse à une atteinte tissulaire réelle oupotentielle, ou décrite en ces termes ». Sur le plan physiologique, ilimporte d’éviter toute confusion avec d’autres termes qui sont maldéfinis, tels que la souffrance ou le stress (qui peuvent cependantêtre également liés à la douleur). Par ailleurs, l’étude de la douleurpeut être perturbée par un ensemble de facteurs dont la complexitéest d’un ordre supérieur aux phénomènes proprement biologiquespuisqu’ils dépendent de l’état affectif ou émotionnel ainsi que de la

motivation du sujet. On sait par exemple qu’une blessure grave estmoins douloureuse dans le contexte d’un hôpital de campagne pourle blessé extrait du champ de bataille que dans le contexte d’angoisseet de désespoir déclenché par un accident civil. [6] Ces facteurs, quiappartiennent à la sphère psychologique et aux fonctions cognitives,contribuent grandement aux difficultés de quantification de ladouleur. Sur le plan médical, l’influence psychologique del’observateur est essentielle ; lors d’expériences effectuées en doubleaveugle, le pouvoir de suggestion du médecin, de l’acte médical oudu médicament sont tels que sur une population donnée, l’effetplacebo n’est jamais inférieur à 30-35 %. [13] Lorsque l’on sait que lesanalgésiques majeurs ne sont jamais efficaces sur l’ensemble despatients, on mesure la marge d’initiative laissée au médecin. Lamodestie est donc de mise avant d’attribuer un succès thérapeutiqueà une médication supposée antalgique.

Au sein des systèmes sensoriels, la douleur constitue un signald’alarme qui protège l’organisme : elle déclenche des réactions dontla finalité est d’en diminuer la cause et par conséquent d’en limiterles conséquences ; on parlera de nociception. Contrairement à ce quel’on pourrait penser, sa disparition ou son abolition ne procureaucun avantage : les cas pathologiques d’insensibilité congénitale àla douleur, véritables « expériences naturelles », sont dramatiques etrequièrent un environnement protégé pour éviter à ces patientsd’être perpétuellement atteints de brûlures, de blessures ou defractures (cf. infra). Dans une perspective finaliste, on conçoit qu’unsystème aussi complexe que celui qui génère la douleur n’ait puévoluer au travers des pièges de la sélection sans que les espècesanimales n’en retirent bénéfice. Cependant, à l’instar des autresfonctions de l’organisme, le système qui génère la douleur peut luiaussi être atteint par la maladie. Lorsque l’on considère la douleurchronique qui, chez l’homme, peut durer des mois, voire des années,l’effet protecteur physiologique fait place à un état pathologique quin’est pas seulement inutile mais qui devient délétère pour le patient,

D. Le BarsEMI-Inserm 0331, Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, 91, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.J.-C. WillerAdresse e-mail: [email protected] 0349 et laboratoire de neurophysiologie, Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, 91, boulevardde l’Hôpital, 75013 Paris, France.

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son entourage et son environnement socioprofessionnel. Le cas leplus fréquent est sans doute la lombalgie, mais le plus dramatiquereste la douleur du cancer en phase terminale. Enfin, il n’existe pasnécessairement de relation stricte entre le stimulus causal et lasensation résultante, comme en témoignent les douleursneuropathiques. La douleur peut même exister en l’absenceapparente ou réelle de stimulation corporelle (exemples : l’amputéqui souffre d’un membre qui n’existe plus -algohallucinose-,douleurs neurologiques d’origine centrale).

Dans un premier temps, nous limiterons cet exposé au cadrephysiologique de la douleur aiguë, c’est-à-dire à celle qui est évoquée pardes stimulations nociceptives et qui suscite des réactions de protection del’organisme. Dans un second temps, nous aborderons au travers desmécanismes physiopathologiques les dérèglements de ces systèmes.

Aspects psychophysiologiques

L’homme se reconnaît cinq sens - la vue, l’ouïe, le tact, le goût etl’odorat -, mais on peut définir d’autres modalités sensorielles. Ainsi,la sensibilité corporelle ou somesthésie se décompose en grandesfonctions, elles-mêmes constituées de plusieurs sensibilitésélémentaires :

– la fonction extéroceptive (cutanée, musculosquelettique, viscérale)qui comprend les sensibilités au tact, à la pression et aux vibrations(mécanoréception), la sensibilité thermique (thermoréception) et lasensibilité à des stimulus nocifs (nociception) ;

– la fonction proprioceptive qui renseigne le système nerveuxcentral sur la position et le mouvement des segments corporels etdu corps dans l’espace ;

– la fonction intéroceptive qui renseigne le système nerveux centralsur l’état du milieu intérieur, par exemple la pression artérielle ou lateneur sanguine en CO2.

L’interface entre l’énergie physique du stimulus et un systèmesensoriel est constitué de structures cellulaires spécialisées appeléesrécepteurs sensoriels.

Un problème sémantique demande à être clarifié dès à présent. Nousutiliserons le terme « récepteurs » dans deux sens différents quoiqueintimement liés. Le premier est utilisé pour désigner les « récepteurssensoriels ». Un récepteur sensoriel est une structure cellulairespécialisée qui sert d’interface entre l’énergie physique du stimuluset le système sensoriel ; il est associé au premier neurone dansl’organisation hiérarchique de ce système. C’est parfois ce premierneurone qui est qualifié de « récepteur ». Ainsi en est-il desrécepteurs nociceptifs ou « nocicepteurs ». Le processus deconversion - la transduction sensorielle - est effectué dans le sitetransducteur du récepteur et produit un potentiel générateur, le« potentiel de récepteur ». S’il est suffisant, ce dernier est convertiau niveau du site générateur du récepteur en une série de potentielsd’action qui codent le message sensoriel en modulation defréquence. Les nocicepteurs posent un problème particulier dans lamesure où personne n’est en mesure de les enregistrer car ils sontconstitués de terminaisons libres amyéliniques de fibrespériphériques A et C de très petite taille. Ce que l’on peut enregistreren revanche, c’est l’activité d’une fibre au sein d’un nerf ou de soncorps cellulaire dans le ganglion rachidien. C’est cette fibre que, parun certain abus de langage, on dénomme récepteur nociceptif ou« nocicepteur ». Cette fibre est connectée sous forme arborescente àde multiples terminaisons libres qui constituent les vrais sites detransduction. Le second sens du terme « récepteur » est celui pluscommun de récepteur biochimique. Il n’appelle pas decommentaires particuliers si ce n’est qu’un récepteur sensorielcontient de nombreux récepteurs biochimiques.

Ces récepteurs sont associés au premier neurone dans l’organisationhiérarchique d’un système sensoriel. Chaque récepteur ne peuthabituellement convertir qu’une seule forme d’énergie (mécanique,calorifique, chimique, électromagnétique, …) et dans une plagelimitée de cette énergie (par exemple les récepteurs visuels ne sontsensibles qu’aux longueurs d’ondes comprises entre 375 et 750 nmdu spectre électromagnétique : nous ne percevons avec nos yeux niles ultraviolets, ni les infrarouges). Ce processus de conversion estappelé transduction sensorielle. Il est effectué dans le sitetransducteur du récepteur et produit un potentiel générateur appelé« potentiel de récepteur ». S’il est suffisant, ce potentiel est convertien une série d’impulsions électriques (potentiels d’action) par unprocessus appelé encodage neuronal situé dans le site générateurdu récepteur. Ainsi le message sensoriel est-il codé en modulationde fréquence des potentiels d’action. La nature des potentielsd’actions est identique dans l’ensemble du système nerveux etnotamment pour toutes les modalités sensorielles. Le typed’information sensorielle qu’ils encodent est donc déterminé par letype de récepteur et les voies nerveuses et les sites de projection quilui sont associés. Le code neuronal peut être considéré sous l’anglede l’activité d’un seul neurone et être exprimé par la fréquence desimpulsions engendrées par le récepteur. Ce codage esthabituellement fonction de l’intensité du stimulus spécifique. Maisil doit également être considéré sous l’angle d’une population deneurones étant donné qu’un stimulus active inévitablementplusieurs récepteurs. La distribution spatiale et temporelle desrécepteurs activés dans la population totale des récepteurs constituepar elle-même une information exploitable par le système sensoriel.Ainsi, un stimulus plus intense accroît la fréquence de décharge desrécepteurs mais aussi le nombre de récepteurs activés (recrutementspatial). L’intensité du stimulus est donc encodée non seulement parl’activité neuronale élémentaire mais aussi par la taille de lapopulation de récepteurs recrutés. Le message élaboré par lesrécepteurs sensoriels est acheminé vers le système nerveux centraloù il va subir, au travers d’une série de relais neuronauxinterconnectés de manière hiérarchisée, souvent récurrente, destransformations importantes avant d’émerger sous la forme deréponses telles que par exemple une perception sensorielle. La notiond’intégration désigne ce double processus de transmission et demodulation des messages. Il s’agit d’une forme biologique dutraitement de l’information.

STIMULUS NOCICEPTIF

Le système nociceptif peut être activé par une grande variétéd’énergies (mécanique, électromagnétique, électrique, calorifique,chimique, …) dont le caractère commun semble a priori la forteintensité qui constitue une menace pour l’intégrité du corps et peutprovoquer une lésion tissulaire. Si ces stimulus nociceptifsdéclenchent en outre une perception de douleur, ils seront qualifiésd’algogènes. S’ils sont nocifs, ils provoqueront une lésion quis’accompagnera d’une réaction inflammatoire caractérisée par lessignes cardinaux classiques : douleur, rougeur, chaleur, tumeur(œdème). La douleur peut alors naître en l’absence de stimulusphysique (« douleurs spontanées »), un stimulus habituellementindolore peut provoquer des sensations douloureuses (« allodynie »)et la douleur provoquée peut être amplifiée (« hyperalgésie »). Onpeut discuter, sur le plan sémantique, certains termes concernant ladouleur. De même que l’application de menthol excite les récepteursau froid sans pour autant être un stimulus thermique, la capsaïcineévoque une sensation de brûlure sans provoquer de lésion tissulaire.Il s’agit d’un stimulus nociceptif au sens strict (il active lesnocicepteurs), algogène (il déclenche la douleur) mais non nocif. Ilne s’agit pas seulement d’un débat sémantique : une stimulationthermique ou mécanique sera ou ne sera pas nocive selon la duréede son application. Il convient donc d’utiliser à bon escient les

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termes « nociceptif », « algogène » et « nocif », mais l’approcheréductionniste ne permet pas toujours de le faire avec discernement.Il faut également rappeler ici deux phénomènes qui enrichissent lacomplexité symptomatologique et sémiologique de la douleur.Les « douleurs référées » ne sont pas ressenties au niveau de larégion corporelle stimulée mais dans une région plus ou moinséloignée. Elles peuvent en outre être accompagnées d’unehypersensibilité (exemple : douleur dans la région précordiale, lamâchoire inférieure et/ou le bras gauche lors d’une ischémie dumyocarde).Les douleurs spontanées particulières caractérisant certainesaffections neurologiques (sensation permanente de brûlure ouparoxystique de torsion ou de dilacération). Encore plus paradoxalpeut paraître ce qu’il est convenu d’appeler la douleur du membrefantôme, celle qui se manifeste après désafférentation (arrachementdu plexus brachial ou amputation d’un membre par exemple) etdonc en absence de stimulus nociceptifs et de nocicepteurs. On peutmême déclencher une « illusion de douleur » chez l’homme sain enjuxtaposant sur sa peau des plages chaudes et froides disposées enalternance, aucune d’entre elles n’étant douloureuse en l’absence desautres.En outre, il est difficile de transférer le concept de stimulus nociceptifvers le domaine viscéral. En effet, une agression tissulaire mêmeétendue peut rester totalement indolore (infarctus du myocarde« silencieux », perforation d’organes creux, processus néoplasiques,…) tandis que la simple distension d’un organe creux déclenche unedouleur atroce (colique néphrétique par lithiase urétérale). Leschirurgiens opérant sous anesthésie locale de la paroi abdominalesavent depuis longtemps qu’une agression des viscères (brûlure ouincision) est indolore lorsqu’elle est infligée à des organes sains. Enrevanche, lorsque l’organe est enflammé, elle déclenche une douleurtypiquement viscérale.En fin de compte, on ne peut pas définir un stimulus nociceptif sur laseule base d’une forme d’énergie spécifique, ni même par unecaractéristique commune de différentes formes d’énergie, par exemplel’intensité. De ce fait et par définition, le caractère nociceptif d’unstimulus n’est défini que par ses conséquences (lésion tissulaire réelle oupotentielle) et son caractère algogène (douloureux) ne l’est que par laperception qu’il déclenche. Ces particularités placent l’observateur dansune situation difficile.

SENSATIONS NOCICEPTIVESET PERCEPTION DE DOULEUR

La douleur est plus qu’une expérience sensorielle discriminativepermettant de connaître l’intensité, la localisation, la durée, … d’unstimulus nociceptif. Elle se caractérise en outre par un étatémotionnel aversif (affect à valence négative) qui pousse à l’action(motivation). Cette émotion est une part fondamentale etindissociable de l’expérience de la douleur et non pas une réaction àl’aspect sensoriel (Fig. 1). [ 6 9 ] De ce fait, la douleur estintrinsèquement « désagréable » et possède d’énormes capacités decapter l’attention, d’interférer avec toute activité en cours et demobiliser nos ressources et stratégies de défense. Certains laconsidèrent d’ailleurs comme signalant l’existence d’un « état debesoin » corporel (comme la soif, la faim), qui prépare à l’action envue d’écarter la cause, d’organiser la réparation et la récupérationd’une lésion éventuelle. La douleur se distingue ainsi très nettementdes autres systèmes sensoriels puisque dans l’élaboration d’une perceptionque nous identifions comme une douleur, la sensation, l’émotion et lacognition sont étroitement liées.

SENSATIONS ET RÉACTIONS

L’absence de communication verbale est un obstacle incontournablepour évaluer la douleur de l’animal : face au polymorphisme de ladouleur décrite par l’homme en tant que sensation, celle de l’animal

n’est estimée que par l’examen de ses réactions. [65, 68] C’est à la mêmedifficulté que se trouve confronté le clinicien (pédiatre, neurologue,psychiatre, etc.) devant un patient incapable de communiquerverbalement. Seule l’observation des réactions est possible et l’onsuppose que ces dernières expriment la perception de sensationsdésagréables en réponse à un stimulus qui, chez un patient capablede communiquer, serait décrit comme douloureux. Or, l’existenced’une réaction ne signifie pas obligatoirement la présenceconcomitante d’une perception, [47] situation que connaissent du restequotidiennement les anesthésistes.

À proprement parler, il n’y a douleur que lorsqu’une certaineinformation (exogène et/ou endogène au cerveau) devientconsciente c’est-à-dire lorsqu’elle atteint le cortex. Ainsi peut-ons’interroger sur la pertinence de considérer qu’un patient ayant subiune lobotomie frontale ressente la douleur au sens où nousl’entendons habituellement. En effet, sa perception sensorielle de ladouleur est présente sans être accompagnée de ses dimensionsaffectives et motivationnelles. De même, la question se pose de ladouleur animale qui, de fait, ne peut être abordée qu’avec desréférences anthropomorphiques. On ne peut pourtant nier lesdifférences entre l’homme et l’animal, liées aux particularités desstructures cérébrales, notamment le degré de développementcortical. En effet, quoique les systèmes nociceptifs soient très anciensdans l’échelle d’évolution des espèces animales - une simpleparamécie réagit au pH du milieu -, ils ont progressé au travers despièges de la sélection naturelle de façon parallèle à l’évolution dusystème nerveux, pour se prolonger avec le développement cérébralchez les vertébrés, puis cortical chez les mammifères. [56] Un système

Facteurcognitif

Facteursensoriel

Facteurémotionnel-

motivationnel

Le mondesocial et culturel

Le mondephysique

Lapsychologie

La psycho-physiologie

La neuro-physiologie

Perceptionde

douleur

Éveil

Réactionssomatomotrices

Réactionsvégétatives

Système nociceptif

Stimulus nociceptif

Figure 1 Trois facteurs concourent à la perception douloureuse. Le système senso-riel nociceptif informe l’individu de l’intensité, l’étendue, la localisation, la durée et laqualité (pression, chaud, froid,..) du stimulus. Ces informations constituent le facteursensoridiscriminatif. En outre, le stimulus nocif éveille l’individu et détourne ses res-sources attentionnelles vers la douleur, dès lors prioritaire sur toute activité en cours.La douleur motive des réactions de défense ou de fuite immédiates qui se traduisent pardes réflexes somatomoteurs et des réactions neurovégétatives. Mais tout aussi impor-tante pour la survie de l’individu, elle s’accompagne d’une émotion désagréable qui ren-force la motivation à l’action. Cette composante, indissociable et interdépendante del’expérience subjective, constitue le facteur affectivomotivationnel. Les facteurs senso-riels et affectifs sont interprétés au sein du contexte présent, de l’expérience passée,voire des projections dans le futur (désir, attente,…), au travers de codes et de signifi-cations qui imprègnent le milieu socioculturel. L’ensemble de ces « traitements cen-traux » de l’information sensorielle et affective constitue ce qui est communément ap-pelé le facteur cognitif de la perception de douleur. Ces trois facteurs - sensori-discriminatif, affectivomotivationnel et cognitif - non seulement s’influencent mutuel-lement mais ils élaborent une propriété émergente du système nerveux central : l’expé-rience subjective d’une perception de douleur. D’après [69]

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nociceptif élaboré existe chez tous ces derniers, mais il est difficiled’affirmer qu’ils ressentent tous la « douleur » au même titre que lesêtres humains. Qu’ils engendrent la nociception ou sa forme plusélaborée, la douleur, ces systèmes ne sont pas différents des autressystèmes sensoriels, dans la mesure où ils sont bâtis sur les mêmesprincipes et avec les mêmes briques élémentaires. Les systèmesnociceptifs résultent du fonctionnement de réseaux de neurones régis pardes phénomènes excitateurs et inhibiteurs concomitants. Il serait trèspréjudiciable à la compréhension des mécanismes sous-jacents de pensersystématiquement « douleur » lorsqu’on observe une excitation neuronaleet « analgésie » lorsqu’on observe une inhibition neuronale.

Mécanismes périphériques impliquésdans la nociceptionLes nerfs périphériques assurent la transmission centripète etcentrifuge de trois types d’informations qui sont relatives à lasomesthésie, la motricité somatique et le système végétatif. Àl’inverse de ce que l’on observe pour les autres fonctionssomesthésiques, et d’une façon plus générale pour tous les autressystèmes sensoriels, on ne peut caractériser, sur le plan structural,de récepteurs spécialisés dans la détection des stimulus nociceptifsau sens où, par exemple, les corpuscules de Pacini captent et codentles variations de pression qui leur sont appliquées (Fig. 2). [69] Lesmessages nociceptifs sont générés au niveau des terminaisons libresamyéliniques, constituant des arborisations plexiformes dans lestissus cutanés, musculaires et articulaires. Les messages sont ensuitevéhiculés par des fibres nerveuses périphériques qui, rassembléesau sein des nerfs, envoient leurs messages vers la moelle épinièreoù s’effectue le premier relais. Ces protoneurones à terminaisons libresdont les fibres sont faiblement myélinisées - fibres Ad - ou amyéliniques -fibres C - sont appelés nocicepteurs lorsqu’ils encodent préférentiellementdes stimulus nocifs.

NOCICEPTEUR

L’absence de spécificité du stimulus nociceptif ne doit pas nousinciter à rejeter en bloc le concept de nocicepteur. Il existe unensemble de récepteurs associés à des fibres de fin calibre qui est

activé de façon exclusive ou préférentielle par des stimulus naturelsde forte intensité. La stimulation sélective de ces fines fibres parmicrostimulation électrique intraneurale déclenche une perceptionde douleur chez l’homme. En revanche, la stimulation des fibresmyélinisées de gros calibre (fibres Ab) n’évoque qu’une sensationtactile. La latence de la sensation de piqûre brève et bien localiséeassociée à une volée afférente dans les fibres Ad est courte (200 à300 ms). Quant à la douleur déclenchée par une volée afférente dansles fibres non myélinisées C, elle est plus tardive (de l’ordre de 2 à3 s) et se présente sous la forme d’une brûlure prolongée et diffuse.Le blocage de la transmission nerveuse par application d’unanesthésique local sur le nerf abolit toutes ces sensations.Parmi les fibres C, qui constituent 60 à 90 % de l’ensemble des fibresafférentes cutanées et la quasi-totalité des fibres afférentes viscérales,le groupe le plus important est sans conteste celui des nocicepteurspolymodaux. [45, 58, 60, 78] Ces derniers répondent à des stimulusnociceptifs de différentes natures (thermique, mécanique etchimique) mais nombre d’entre eux, qu’ils soient somatiques ouviscéraux, sont également activés par des intensités de stimulationnon douloureuses, que le stimulus soit thermique ou, surtout,mécanique, par exemple le frottement d’un doigt sur une corde deguitare. La spécificité de ces « nocicepteurs » est très relative. Notonsen outre que les champs périphériques de ces unités (surface : 0,01 -1 cm2) se recouvrent très largement les uns les autres, et recouvrentégalement les champs périphériques d’autres types de fibres, de tellesorte que l’application d’une stimulation nociceptive mécanique,même de faible étendue, aura pour conséquence d’activer de façonconcomitante de nombreuses fibres Ab, Ad et C.Le caractère primitif des nocicepteurs polymodaux, peu spécialisés ettotipotents, a été souligné : de tels récepteurs existent déjà chez lesinvertébrés comme l’aplysie ou la sangsue. [60, 105] Le fait qu’ils aient subil’évolution des espèces sans perdre leurs principaux caractères suggèreque leur présence est essentielle à la survie des individus. On doit sansdoute les considérer dans leur ensemble comme un organe sensorielqui, sans relâche, « ausculte » l’ensemble de notre corps (àl’importante exception de la moelle et du cerveau, insensibles,notamment à la douleur. Les migraines ne concernent pas le tissunerveux proprement dit, mais sa vascularisation et les méninges).Du reste, la densité moyenne de terminaisons libres dans notre peaun’est jamais inférieure à 600/cm2. Ils ne constituent pas unepopulation homogène dont les caractéristiques fonctionnellesseraient invariantes, par exemple un seuil élevé. Ils sont au contrairediversifiés et leurs propriétés biochimiques et biophysiques sontdynamiques, se modifiant sous l’influence de leur environnement etdes besoins de l’organisme. Les nocicepteurs polymodaux sont trèssensibles au phénomène de sensibilisation. Après répétition d’unstimulus nociceptif, le seuil d’activation du nocicepteur est abaisséet pour un stimulus d’intensité donnée, sa fréquence de déchargeaugmentée. Les modalités de leur activation peuvent aussi évoluer :ainsi, un mécanonocicepteur peut devenir sensible aux stimulusthermiques, lorsque ce stimulus est répété. Ces processus sontexagérés au cours de l’inflammation (cf. infra).En effet, outre leur capacité à réagir à certaines variationsmécaniques et thermiques, un caractère commun à la majorité desnocicepteurs est d’être également des chémorécepteurs. En réalité,si un stimulus nociceptif est capable de déclencher une sensation dedouleur, la lésion tissulaire qu’il aura provoquée sera responsabled’une série d’événements étroitement liés aux processusinflammatoires engendrés par la lésion, qui vont prolongerl’activation des nocicepteurs et surtout induire une sensibilisation.On peut à cet égard évoquer l’existence d’un système d’alarmesecondaire, en quelque sorte chargé d’informer les centres supérieursde l’état d’endommagement d’un territoire corporel. Sa constantede temps est supérieure à celle du système d’alarme primaire activépar l’agression initiale. Les comportements qu’il engendre

Figure 2 Principaux récepteurs cutanés. Les fibres C (non myélinisées) et Ad (peumyélinisées), responsables des sensations thermoalgiques, sont connectées à des termi-naisons libres. Les fibres Ab (très myélinisées), responsables des sensations tactiles,sont connectées à des récepteurs bien différenciés sur le plan histologique comme lescorpuscules de Meissner qui répondent aux faibles pressions appliquées sur la peau, lescorpuscules de Ruffini qui répondent aux vibrations de basse fréquence (50 Hz), les dis-ques de Merkel qui répondent aux indentations de la peau, les récepteurs des folliculespileux dont il existe plusieurs types mais qui tous répondent aux mouvements du fol-licule et les corpuscules de Pacini qui répondent aux vibrations de haute fréquence(300 Hz). Ces fibres se regroupent pour former les nerfs et leurs corps cellulaires sontsitués dans le ganglion rachidien. D’après [69]

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contribuent à faciliter d’autres fonctions biologiques fondamentales,par exemple le maintien de la « trophicité » tissulaire et la« régénération ».Ainsi, l’inflammation rend-elle hypersensibles les nocicepteurs au pointde les activer par des stimulations de faible intensité habituellement nondouloureuses, comme le frottement des draps sur un membre affecté d’uneostéomyélite. Certains nocicepteurs ne sont d’ailleurs actifs que dans desconditions d’inflammation tissulaire (« nocicepteurs silencieux » ).Ajoutons enfin, qu’au cours de certaines neuropathies périphériques, lesfibres afférentes normalement dévolues aux sensations tactiles sontmodifiées au point d’acquérir certaines propriétés des fibres nociceptivesde fin calibre, dont celle d’évoquer des sensations de douleur.

SPHÈRE CUTANÉE [59]

Les nerfs cutanés sont constitués de trois grands groupes de fibresdont le corps cellulaire se trouve dans les ganglions rachidiens etqui constituent les « neurones primaires » (ou « afférencesprimaires »). Le premier groupe comprend les fibres Ab quipossèdent une importante gaine de myéline (diamètre : 6-20 µm) etconduisent rapidement l’influx nerveux (30-65 m/s chez l’homme) ;elles encodent et transmettent les informations tactiles etproprioceptives. Les deux autres groupes de fibres encodent ettransmettent les informations nociceptives et thermiques. Il s’agitdes fibres Ad, peu myélinisées (diamètre : 1-5 µm) et conduisantl’influx nerveux à une vitesse moyenne (4-30 m/s) et des fibres C,non myélinisées (diamètre : 0,3-1,5 µm) et conduisant lentementl’influx nerveux (0,4-2 m/s). Les fibres C sont très nombreusespuisqu’elles constituent 60 à 90 % de l’ensemble des fibres afférentescutanées. Parmi les divers types de fibres afférentes qui ont étécaractérisés, le plus important est sans conteste celui desnocicepteurs polymodaux C qui par définition répondent à desstimulus nociceptifs de différentes natures (thermique, mécaniqueet chimique) et qui sont de loin les plus nombreux. Ils sontsusceptibles d’être sensibilisés : la répétition d’un stimulus nociceptifabaisse leur seuil et amplifie leur réponse de telle sorte que lesmodalités de leur activation peuvent évoluer ; ainsi, unmécanonocicepteur peut devenir sensible aux stimulus thermiques,lorsque ce stimulus est répété. Ces processus sont exacerbés au coursde l’inflammation, nous le verrons plus loin.

Bien que variable d’un territoire à un autre, la répartition desnocicepteurs est relativement homogène au niveau cutané, ce quipermet de localiser sans difficulté aussi bien la douleur que lesautres sensations somesthésiques.

L’existence de ces deux catégories de fibres, Ad et C, permet d’expliquerchez l’homme le phénomène de double douleur déclenché par l’applicationd’un stimulus nociceptif bref mais intense. La première douleur, à typede piqûre, est bien localisée. Elle apparaît rapidement après le stimulus(300 ms environ lorsque le dos de la main est stimulé) et correspond àl’activation de nocicepteurs Ad. La seconde, souvent à type de brûlure,survient plus tardivement, 0,7 à 1,2 seconde environ après le stimulus.Elle est diffuse, mal localisée, et correspond à l’activation des noci-cepteurs C.

SPHÈRES MUSCULAIRE, ARTICULAIREET VISCÉRALE [14, 21, 42, 54, 88]

Les muscles et les articulations possèdent des récepteurspolymodaux Ad et C répondant aux stimulations mécaniques,thermiques et chimiques, mais leur caractère spécifiquementnociceptif n’est pas démontré. Dans le muscle, il existe des fibresfines activées pendant la contraction musculaire ; dans desconditions physiologiques, ces fibres ne sont probablement pasimpliquées dans la nociception, mais plutôt dans les réajustementscardiovasculaires et respiratoires lors de l’exercice musculaire. Ladouleur provoquée par les crampes musculaires est probablement

déclenchée par l’ischémie qui active les fibres de petit calibre à lasuite de la libération de substances algogènes.Quant aux fibres afférentes viscérales, elles sont constituées dansleur quasi-totalité de fibres C. En l’absence de phénomènesinflammatoires modifiant la sensibilité des récepteurs, les viscèressemblent insensibles aux stimulations mécaniques ou thermiques,mais la douleur peut y être déclenchée par traction ou distension(colique hépatique ou néphrétique, …). La douleur est alors diffuse,irradiante et souvent référée à des structures somatiques. Lafréquence de décharge de la plupart des fibres fines issues du cœurest corrélée à la fréquence cardiaque ; ces fibres pourraient êtreconnectées à des mécanorécepteurs peu spécifiques. À l’instar descrampes musculaires, la douleur de l’angine de poitrine estprobablement déclenchée par l’ischémie. Il existe des récepteursdont les caractéristiques sont voisines de celles des nocicepteurs auniveau pulmonaire, à la surface de l’arbre trachéobronchique et dansles espaces interalvéolaires ; ils peuvent être activés par dessubstances irritantes et seraient impliqués dans la survenue desdyspnées.

SPHÈRE TRIGÉMINALE [16]

On trouve des terminaisons libres dans la quasi-totalité desterritoires orofaciaux, notamment par exemple la pulpe dentaire.Elles y sont regroupées pour constituer les ramificationspériphériques de fibres amyéliniques (50-75 %) et myélinisées, cesdernières pouvant appartenir au type Ad mais aussi Ab. Une partiedes fibres non myélinisées, d’origine sympathique, est efférente etparticipe aux régulations neurovégétatives et trophiques de la pulpe.Comme dans les autres territoires trigéminaux, les fibres afférentesAd et C de la pulpe dentaire sont en grande partie connectées à desnocicepteurs polymodaux.

Contrairement aux idées reçues, on ne déclenche pas que la douleuren stimulant la pulpe dentaire. Il en est de même de la cornée quine contient que des terminaisons libres. Comme nous l’avons d’oreset déjà noté pour les autres territoires corporels, cette observationillustre la capacité des récepteurs polymodaux d’être activés par desstimulus non douloureux.

D’un point de vue clinique, la douleur pulpaire s’apparente à ladouleur viscérale par son caractère sourd et difficile à localiser. Lepatient est souvent incapable de distinguer parmi plusieurs dentscelle qui est à l’origine de la douleur et il n’est même pas rare qu’ilsoit incapable de décider s’il s’agit d’une dent maxillaire oumandibulaire. Par ailleurs, parmi les douleurs orofaciales sansorigine périphérique apparente, les douleurs projetées des territoireséloignés occupent une place non négligeable. La douleur dentaireirradie souvent vers le cou ou la face. Dans une situation en miroir,des douleurs cervicales, auriculaires, voire cardiaques peuvent seprojeter vers des sites orofaciaux.

NOCICEPTEURS « PEPTIDERGIQUES »ET « NON PEPTIDERGIQUES » (Fig. 3) [1]

Les fibres sensorielles amyéliniques peuvent être classées en fonctionde leur profil neurochimique. On distingue ainsi deux sous-populations de fibres C nociceptives sensibles à la capsaïcine. Lespremières, dites « peptidergiques », synthétisent notamment lasubstance P (sP) et le calcitonin gene-related peptide (CGRP) et sontsensibles au facteur de croissance nerve growth factor (NGF) dontelles expriment les récepteurs spécifiques. Ce sont ces fibres qui sontà l’origine de l’inflammation neurogène. Les secondes, dites « nonpeptidergiques » car elles n’expriment ni la substance P ni le CGRP,sont également définies par la présence du proto-oncogène tyrosine-kinase (Trk) RET, récepteur d’une autre famille de facteurs decroissance, celle du glial derived neurotrophic factor (GDNF), et d’unesous-classe de récepteurs purinergiques (P2X3).

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Ces deux sous-populations de fibres nociceptives cutanées seprojettent différemment dans la corne postérieure de la moelle : dansles couches les plus superficielles I et IIo pour ce qui est des fibrespeptidergiques et exclusivement dans la couche IIi pour les fibresnon peptidergiques. Les couches I et IIo contiennent des neuronesqui expriment le récepteur à la substance P, appelé NK1. La coucheIIi ne contient que des interneurones dont les caractéristiquesprincipales sont de répondre uniquement aux stimulus mécaniquesnon nociceptifs et d’exprimer la protéine-kinase Cc (PKCc) dont lasynthèse est augmentée par l’injection sous-cutanée d’un agentinflammatoire.

RÉCEPTEURS ÉLÉMENTAIRES

Les développements récents de la biologie moléculaire ont permisd’identifier, de cloner puis d’étudier un certain nombre derécepteurs biochimiques qui tapissent la membrane des fibresafférentes primaires. Certains d’entre eux sont des transducteurs,c’est-à-dire qu’ils sont capables de transformer un stimulus physiqueen un courant dépolarisant cette membrane. Ces transducteursélémentaires sont souvent spécifiques. C’est la mosaïque derécepteurs biochimiques spécialisés tapissant leur membrane qui està l’origine du caractère polymodal de la majorité des nocicepteursainsi que de leur « plasticité ».

¶ Récepteurs vanilloïdes (au piment) (Fig. 4) [20, 44, 82, 98]

Les vanilloïdes constituent une famille d’irritants naturels responsablesde la saveur « piquante » des épices, dont le plus connu est la capsaïcine,extraite du piment, qui active essentiellement les fibres C polymodales,qu’elles soient cutanées, musculaires, articulaires ou viscérales.L’application de capsaïcine sur la peau abaisse le seuil dedéclenchement de son récepteur, le récepteur ionotropiquevanilloïde VR-1 (appartenant à la famille des « temperature-activated

transient receptor potential ion channels », le récepteur VR-1 estmaintenant dénommé « Trpv1 ») : la chaleur ambiante est alorssuffisante pour l’activer, ce qui provoque une sensation de brûlure.VR-1 est un canal non sélectif laissant passer tous les cations, aveccependant une préférence pour le calcium, qui répond lorsque latempérature atteint ou dépasse 48 °C.Son seuil est également abaissé lorsque le récepteur est phosphorylé.La phosphorylation est déclenchée par l’intermédiaire d’uneprotéine-kinase A, elle-même activée par les prostaglandines et lasérotonine, ou par l’intermédiaire d’une protéine-kinase C, elle-même activée par la bradykinine et l’histamine. L’activité durécepteur VR-1 est donc réglée avec finesse par son environnementbiochimique, cette modulation se traduisant par exemple par labaisse du seuil de déclenchement du signal d’alarme en casd’inflammation.

¶ Récepteur à l’acidité [9, 87, 104]

La superfamille des canaux sodiques bloqués par l’amiloride estdénommée acid-sensing ionic channel (ASIC). Six sous-types derécepteur ASIC ont été décrits, dont cinq sont exprimés dans lesfibres afférentes primaires de petit diamètre. [107] Ils s’activent dèsque le pH atteint 6,9, une valeur qui n’est guère éloignée du pHphysiologique. Le pH des tissus enflammés pouvant baisser jusqu’à5,5, il en résulte que le moindre phénomène inflammatoire oulésionnel s’accompagnera d’une activation de ces récepteurs. Il estprobable que la douleur déclenchée par un exercice musculaire violent etprolongé résulte des effets des acides carbonique et lactique sur cesrécepteurs ASIC.

¶ Récepteurs purinergiques [15, 22]

L’adénosine triphosphate (ATP) se lie aux récepteurs P2 (récepteurpurinergique 2), ionotropiques (P2X) ou métabotropiques (P2Y).

Figure 3 Nocicepteurs « peptidergiques » et « non peptidergiques ». Les fibres Cactivées par la capsaïcine peuvent se diviser en deux groupes. Le premier exprime despeptides, notamment la substance P (sP) et est sensible au nerve growth factor(NGF). Il est responsable de l’inflammation neurogène déclenchée par les peptides va-soactifs soit directement, soit indirectement en dégranulant les mastocytes, eux-mêmeslibérant de l’histamine (partie gauche de la figure). Ces fibres se projettent dans les cou-ches les plus superficielles I et IIo (outer) de la corne postérieure de la moelle (partiedroite de la figure). Le second groupe, dit « non peptidergique » car il n’exprime ni la

sP ni le calcitonin gene-related peptide (CGRP), est sensible à l’un des quatre glialderived neurotrophic factors (GDNF) au travers de leur récepteur spécifique com-mun, la tyrosine-kinase (trk) rearranged in transfection (RET). Ces fibres exprimenten outre une sous-classe de récepteurs purinergiques (P2X3) dont le ligand naturel estl’adénosine triphosphate (ATP). Elles se projettent exclusivement dans la couche IIi(inner) de la corne postérieure de la moelle (partie droite de la figure). IB-4 : isolectineB-4 ; FRAP : fluorid resistant acid phosphatase.D’après [66]

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Parmi les sept récepteurs ionotropiques de l’ATP clonés, six aumoins sont exprimés dans les neurones sensoriels afférents. Le plusintéressant est sans doute le récepteur P2X3 qui n’est exprimé quepar les neurones « non peptidergiques » qu’il active, comme nousl’avons vu (Fig. 3). L’ATP est rapidement hydrolisée en adénosine,elle-même capable d’agir en synergie en se fixant au récepteur P1qui active les nocicepteurs.

CANAUX SODIQUES VOLTAGE-DÉPENDANTS

Quel que soit le neurone, l’ouverture de ces canaux sodiquesdépendants du voltage déclenche des potentiels d’action lorsque samembrane est suffisamment dépolarisée. Il s’agit en général decanaux à bas seuil dont la cinétique d’inactivation est rapide et quel’on peut bloquer par la tétrodotoxine (tétrodotoxine–sensible,TTXs). [109] Ils sont présents sur la membrane des terminaisons desfibres afférentes primaires, qu’elles soient ou non myélinisées. Lesantiarythmiques, les anticonvulsivants et les anesthésiques locauxbloquent principalement les canaux sodiques TTXs responsables dudéclenchement du potentiel d’action. Les anesthésiques locaux sontcouramment employés en anesthésie pour inhiber la transmissiondes influx nociceptifs durant l’intervention chirurgicale et réduire ladouleur postopératoire (blocs nerveux).Les fibres nociceptives amyéliniques possèdent en outre la singularité deprésenter au sein de leurs membranes des canaux sodiques insensibles à

la tétrodotoxine (tétrodotoxine–résistant, TTXr). [4, 41, 108] À la différencedes canaux TTXs, leur seuil est élevé et leur cinétique d’inactivationest lente. Les courants TTXr sont augmentés par plusieursmédiateurs « hyperalgésiques » par l’intermédiaire de protéines-kinases A (prostaglandine, sérotonine) ou de protéines-kinases C(bradykinine, histamine). La synthèse de canaux TTXr estaugmentée au cours de l’inflammation. La mise au pointd’antagonistes spécifiques de ces canaux représente une piste àsuivre pour améliorer le traitement de la douleur.

Rôle de l’inflammation [55, 57, 66, 88, 111, 115]

La fonction chémoréceptrice des nocicepteurs est déterminante pourengendrer les douleurs inflammatoires et du reste, on sait depuislongtemps que les extraits de tissus traumatisés sont eux-mêmesalgogènes. En outre, les terminaisons nerveuses des fibressensorielles sont protégées par une barrière, le périneurium, qui isolele tissu endoneurial en empêchant le passage des grosses moléculeset des molécules hydrophiles comme les peptides. Lors d’uneinflammation, la rupture de cette barrière facilite la diffusion de cesmolécules et par conséquent leurs effets sur leurs cibles potentielles.Les substances algogènes peuvent être formées localement ou être

Figure 4 Récepteur à la capsaïcine (VR-1). Il s’agit d’une protéine-canal quis’ouvre sous l’action de la chaleur. Le seuil de cette ouverture est déterminé par son en-vironnement biochimique. Le récepteur est directement sensibilisé par le pH extracel-lulaire et les vallinoïdes, et indirectement par diverses substances inflammatoires.« Sensibilisé », le récepteur peut ainsi répondre à la chaleur ambiante. Cette propriétépermet d’expliquer les effets bénéfiques du froid pour soulager certaines douleurs. L’en-trée de calcium provoque une chaîne de réactions qui n’a rien de spécifique aux noci-cepteurs : (1) amplification du phénomène par phosphorylation du récepteur au traversde protéines-kinases, (2) exocytose, notamment de peptides puis (3) inactivation par sadéphosphorylation déclenchée par la calcineurine, elle-même sous la dépendance ducomplexe Ca++-calmoduline. Une propriété est plus caractéristique des nocicepteurs :

le calcium cytosolique est essentiellement d’origine extracellulaire car il n’existe pas deréticulum endoplasmique dans les terminaisons libres. Les protéines-kinases C (PKC)sont activées par une phospholipase C (PLC) (4), elle-même sous la dépendance d’un ré-cepteur métabotropique (partie supérieure droite de la figure) et de tyrosines-kinases, telTrkA, récepteur à haute affinité du nerve growth factor (NGF) (partie droite de la figure).Quant aux protéines-kinases A (PKA), elles sont couplées à des récepteurs métabotro-piques liés à des protéines G stimulatrices « Gs » (5) ou inhibitrices « Gi » (6) par l’in-termédiaire de l’adénosine monophosphate cyclique (AMPc) (partie gauche de la figure).PG : prostaglandine ; 5-HT : 5-hydroxytryptamine ; GDP : guanosine diphosphate ;GTP : guanosine triphosphate ; ATP : adénosine triphosphate ; DAG : diacylglycérol ;PIP2 : phosphatidylinositol biphosphate ; IP3 : inositol triphosphate. D’après66

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circulantes, leur action étant alors facilitée par la fréquente contiguïtédes terminaisons libres des fibres Ad et C avec les artérioles et lesveinules.

L’inflammation résulte de la libération de diverses substances dontun bon nombre sont neuroactives (Fig. 5). Ces substances peuventêtre classées en trois groupes en fonction de leur principale origine :les cellules lésées, les cellules de la lignée inflammatoire et lesnocicepteurs eux-mêmes. La lésion tissulaire est à l’origine de lalibération d’ATP et d’ion H+ , seules substances excitatrices àproprement parler, les autres étant avant tout « sensibilisatrices ».Les ions hydrogène activent le récepteur ASIC-1 et sensibilisent lerécepteur VR-1. La liaison de ces deux récepteurs ainsi que celui del’ATP (P2X3) avec leurs ligands respectifs se traduit par l’ouverturede canaux cationiques qui dépolarise la terminaison libre de la fibre.

La bradykinine est un peptide formé sous l’action enzymatique deskallikréines plasmatique ou tissulaire à partir de deux a2 globulines,elles-mêmes synthétisées dans le foie et appelées kininogènes. Lesmastocytes libèrent l’histamine - prurigineuse puis douloureuse àconcentration plus élevée - ainsi que la sérotonine, issues en outredes agrégats plaquettaires. La synthèse des prostaglandines à partirde l’acide arachidonique est déclenchée dans les cellules exposées àdes agents pro-inflammatoires - cytokines, mitogènes, endotoxines -par l’induction de la cyclo-oxygénase 2 (COX-2). Ces substances selient à des récepteurs spécifiques pour phosphoryler des protéines-kinases (PKA, PKC) qui vont :

– augmenter l’efficacité de canaux sodiques insensibles à latétrodotoxine (TTXr) ;

– abaisser le seuil des récepteurs-transducteurs comme VR-1.Les macrophages libèrent des cytokines (tumor necrosis factor [TNF],interleukine [IL]1, IL6, IL8) et des neurotrophines (NGF). Certainesde ces substances se lient à leur récepteur pour constituer uncomplexe qui est internalisé puis transporté vers le soma du neuroneganglionnaire rachidien. Ainsi, le NGF se lie au récepteur à forteaffinité TrkA pour constituer le complexe NGF/TrkA qui esttransporté vers la cellule ganglionnaire pour y modifier la synthèseprotéique, notamment accroître celle des canaux sodiquesinsensibles à la tétrodotoxine. Ces derniers empruntent ensuite leflux axonal rétrograde pour enrichir les terminaisons libres.Le troisième groupe de substances neuroactives sont des peptides -substance P, CGRP, neurokinine A - libérés par les nocicepteurs eux-mêmes et capables directement ou indirectement de les sensibiliser.L’amplification du message est alors assurée non seulement par leurlibération au sein du foyer inflammatoire, mais également par lebiais d’un recrutement supplémentaire de fibres adjacentes activéesou sensibilisées, notamment par le phénomène du réflexe d’axone.C’est ce qu’on appelle l’inflammation neurogène (Fig. 6). [69] Ainsi,les fibres afférentes primaires, elles aussi, contribuent à cette « soupeinflammatoire » en libérant des neuropeptides qui participent à lasensibilisation en « tache d’huile » des nocicepteurs. Cet ensembled’interactions neurochimiques subtiles fournit le substratum au

Figure 5 Récepteurs, nociception et inflammation. Cette figure représente les fac-teurs susceptibles d’activer (______>) et/ou de sensibiliser (- - - >) les nocicepteurs à lasuite d’une lésion tissulaire. Trois groupes de facteurs interviennent. Les premiers - H+,adénosine triphosphate (ATP) - sont directement liés à la lésion tissulaire et activent lesnocicepteurs, déjà excités directement par le stimulus causal lui-même. Les seconds -bradykinine, histamine, sérotonine (5-HT), prostaglandines (PG), leucotriènes, cyto-kines pro-inflammatoires, facteur de croissance (nerve growth factor [NGF]) - sontliés aux processus inflammatoires : ils sensibilisent les nocicepteurs aux stimulus phy-siques et à l’action des autres substances. Les derniers sont des peptides - substance P

(sP), neurokinine A, peptide associé au gène de la calcitonine (CGRP) - libérés par lesnocicepteurs eux-mêmes. Les glucocorticoïdes bloquent la phospholipase A2 et, parconséquent, le métabolisme des leucotriènes et des prostaglandines alors que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ne bloquent que la cyclo-oxygénase 2 (COX-2). TNF : tumor necrosis factor ; IL : interleukine ; PAF : platelet activating fac-tor ; VRL : vanilloid receptor-like ; ASIC : acid-sensing ionic channel ; EP :récepteur de la prostaglandine E ; IP : récepteur de la prostaglandine I ; TTXr :tetrodotoxine-resistant ; TTXs : tetrodotoxine-sensitive ; SNS : canal sodiquesensory-neurone specific. D’après [66]

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phénomène d’hyperalgésie dont le point de départ concerne à la fois letissu lésé (hyperalgésie primaire) mais aussi les tissus sains quil’entourent (hyperalgésie secondaire). Ces données permettent en outred’entrevoir le « cercle vicieux » que peut constituer la « soupeinflammatoire » dans certains états algiques.

NOCICEPTEURS « SILENCIEUX » [90, 91]

Les nocicepteurs « silencieux » représentent 10 à 20 % des fibres Cdans la peau, les viscères et les articulations. Ils ne répondentd’ordinaire à aucun stimulus, mais sont « réveillés » au cours desprocessus inflammatoires ou, artificiellement, par la capsaïcine. Ilsparticipent ainsi de façon très significative aux phénomènesd’hyperalgésie et d’allodynie.

MÉDIATEURS DE L ’INFLAMMATION (Fig. 5, 7)

¶ Kinines [25]

La bradykinine et la kallidine présentent une grande affinité pour lerécepteur B2, le récepteur B1 étant activé de façon préférentielle par

leurs métabolites respectifs. Le récepteur B2, constitutif, estresponsable des effets à court terme de la bradykinine (Fig. 7) :

– stimulation de la production de cytokines pro-inflammatoires(TNFa, IL6, IL1b, IL8) ;

– stimulation de la libération d’acide arachidonique, ce qui a pourconséquence de favoriser la formation des prostaglandines ;

– déclenchement de la libération de peptides (substance P,neurokinine A, CGRP) par les terminaisons libres des fibresafférentes primaires ;

– déclenchement de la libération d’oxyde nitrique (NO) ;

– dégranulation des mastocytes, ce qui a pour conséquence delibérer histamine et sérotonine ;

– phosphorylation du récepteur VR-1 par l’intermédiaire d’uneisoforme de la PKC, ce qui a pour conséquence de le rendre sensibleà la température ambiante.

Figure 6 Inflammation neurogène. A. Inflammation neurogène « artificielle ». Lastimulation du bout distal d’une racine postérieure ou d’un nerf périphérique provo-que une activation antidromique des fibres dont une des conséquences est la libérationde substance P (SP) par les terminaisons libres amyéliniques. La SP est directementresponsable d’une vasodilatation, d’une augmentation de la perméabilité vasculaire etd’une dégranulation des mastocytes. Cette dernière est à l’origine de la libération d’his-tamine qui va amplifier les processus vasculaires et sensibiliser les nocicepteurs. B. In-flammation neurogène liée à une lésion tissulaire. La partie gauche de la figure résumeles processus qui se développent au sein du tissu lésé à l’origine de l’hyperalgésie pri-

maire (cf. A). Ces processus sont à l’origine de l’activation directe ou indirecte des no-cicepteurs qui envoient leurs messages nociceptifs non seulement vers le système ner-veux central (SNC) mais également via les réflexes d’axone, vers la périphérie. Il ré-sulte de cette activation antidromique une libération de SP par les terminaisons libresamyéliniques. Ces mécanismes concernent non seulement les territoires adjacents lé-sés, ce qui crée un véritable cercle vicieux déjà évoqué dans la figure précédente, maisaussi les territoires non lésés, à l’origine d’une hyperalgésie que certains auteurs nom-ment secondaire ou en « tache d’huile » (partie droite de la figure). CGRP : calcitoningene-related peptide. D’après [69]

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Quant au récepteur B1, il est quasiment absent des tissus normaux,mais son expression est déclenchée par des agents inflammatoirescomme les lipopolysaccharides, les cytokines, le NGF et labradykinine elle-même en se liant au récepteur B1. Le récepteur B1,inductible et peu sujet au phénomène de désensibilisation, est doncresponsable des effets à long terme de la bradykinine et pourraitprendre le relais du récepteur B2 désensibilisé. Il faut souligner le« piège » que représente le fait que c’est au travers de son proprerécepteur qu’est déclenchée la synthèse du récepteur B1 : il s’agit làd’un authentique rétrocontrôle positif.

¶ Cytokines [28, 84]

Les cytokines sont de petites protéines libérées par les lymphocytes,les monocytes et les macrophages. Certaines d’entre elles sont pro-inflammatoires (TNFa, IL1b, IL8), d’autres en revanche sont anti-inflammatoires (IL1ra, IL4, IL10, IL13) et les dernières cumulent lesdeux propriétés. Devenue circulante, IL6 est susceptible de générerune réponse fébrile parfois déclenchée par une inflammation locale.Les cytokines pro-inflammatoires sont à l’origine de la libération deprostaglandines et des amines sympathomimétiques ; elles formentpar conséquent avec les kinines le lien entre la lésion tissulaire et laréponse inflammatoire. La puissance de leurs effets hyperalgésiquespeut être classée de la façon suivante : IL1b > TNFa > > IL8 > > IL6.Il convient d’y adjoindre dans certains cas l’intervention du systèmesympathique sollicité par l’IL8.

¶ ProstanoïdesLes prostanoïdes sont synthétisés à partir de l’acide arachidoniquesous l’action de la COX. On sait qu’il en existe deux isoformes,

COX-1 et COX-2, dont l’affinité pour les substrats et l’activitéenzymatique sont voisines mais dont la localisation et la régulationde synthèse sont différentes. [51, 61] Les anti-inflammatoires nonstéroïdiens (AINS) « classiques » sont, pour la plupart, desinhibiteurs plus puissants de la COX-1 que de la COX-2.Récemment, des inhibiteurs sélectifs de la COX-2 ont étécommercialisés. Aux doses préconisées et dans les indicationsrhumatologiques retenues, ils se révèlent aussi efficaces que les AINSnon sélectifs avec une incidence faible des complications gastro-intestinales. Cependant, si l’amélioration de la tolérance digestiveest une avancée thérapeutique importante, des étudescomplémentaires sont nécessaires pour évaluer sur le long terme leseffets de l’inhibition de la synthèse physiologique de COX-2. [27, 97]

Les prostanoïdes interagissent avec des protéines G au travers dehuit récepteurs spécifiques. Trois d’entre eux nous intéressent plusparticulièrement dans la mesure où ils sensibilisent les fibresafférentes primaires : EP1 et EP2, récepteurs de la prostaglandine E2

(PGE2) et IP, récepteur de la prostaglandine I2 (PGI2) aussidénommée prostacycline. [10, 33] Ces phénomènes de sensibilisations’exercent par l’intermédiaire des protéines kinases : PKA coupléeaux récepteurs EP2 et IP, et PKC couplée aux récepteurs EP1 et IP. Lachaîne biochimique se traduit in fine par la phosphorylation decertaines protéines membranaires, c’est-à-dire par l’ouverture(récepteurs VR-1, canaux sodiques TTX-r, canaux calciques) ou lafermeture (canaux potassiques) de canaux. En outre, L’oxydenitrique pourrait faciliter ces mécanismes.

À cette étape, il nous faut mentionner une propriété de COX-2 quin’a pas reçu l’attention qu’elle mériterait, peut-être du fait de son

Figure 7 Kinines et chaîne des cytokines. Les cytokines sont avant tout pro-inflammatoires et hyperalgésiques, notamment par la chaîne tumor necrosis factor(TNF)� -> interleukine (IL)6 -> IL1b, à l’origine de l’induction de la synthèse de cyclo-oxygénase (COX-2) et donc de la libération de prostaglandines (PG). Par l’intermé-diaire de IL8, TNF� est en outre à l’origine d’une libération d’amines sympathomimé-tiques. Ces mécanismes sont freinés par des cytokines anti-inflammatoires, notammentIL1ra, IL4, IL10 et IL13. C’est la bradykinine (ou la kallidine chez l’homme) qui déclen-che la chaîne des cytokines pro-inflammatoires. Elle stimule aussi la libération d’acidearachidonique, ce qui a pour conséquence de favoriser la formation des PG. Elle déclen-che la libération de peptides (substance P [sP], neurokinine A, calcitonin gene-related

peptide [CGRP]) par les terminaisons libres des fibres afférentes primaires et stimule lasynthèse d’oxyde nitrique (NO). Elle provoque la dégranulation des mastocytes, ce quia pour conséquence de libérer histamine et sérotonine. Enfin, la bradykinine est à l’ori-gine de la phosphorylation du récepteur VR-1 ce qui a pour conséquence de le rendre sen-sible à la température ambiante. Bradykinine et kallidine présentent une grande affinitépour le récepteur B2, constitutif, le récepteur B1 étant activé de façon préférentielle parleurs métabolites respectifs. La synthèse du récepteur B1, quasiment inexistant dans lestissus normaux, est déclenchée par le facteur nucléaire NF-jB. Ce dernier est lui-mêmeactivé par de nombreux facteurs endogènes, notamment la bradykinine TNF� et nervegrowth factor [NGF]. PK : protéine-kinase ; EP : récepteur de la PGE. D’après [66]

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caractère a priori paradoxal : ses propriétés anti-inflammatoires. [40,

112, 113] Elles ont été décrites au cours de la phase de résorptionspontanée qui suit invariablement toute réaction inflammatoireaiguë. Ces mécanismes expliquent certains effets pro-inflammatoiresdes inhibiteurs de COX-2 et peut-être, l’effet « plafond »caractéristique des AINS.

¶ Neurotrophines [11, 52, 94]

La fonction des neurotrophines perdure bien au-delà de la périodede développement, leurs effets étant radicalement modifiés. NGF,brain-derivated neurotrophic factor (BDNF) et neurotrophine-4/5 déclenchent des phénomènes d’hyperalgésie en se liant à leursrécepteurs spécifiques, des Trk (TrkA, TrkB et neurotrophine-4/5).Au cours de l’inflammation, on constate une augmentation de lasynthèse de NGF qui est secondaire à la libération de cytokines etd’interleukines par les cellules inflammatoires.Issu de la liaison du NGF avec son récepteur à haute affinité TrkA(cf. partie inférieure droite de la Figure 5), le complexe NGF/TrkAest internalisé puis transporté vers le corps cellulaire du neuronesitué dans le ganglion rachidien pour y modifier la transcription desprécurseurs de différents peptides (augmentation : substance P,CGRP ; diminution : vasoactive intest inal peptide [VIP],cholécystokinine, neuropeptide Y, galanine), de facteurs trophiques(GDNF, BDNF) et de canaux sodiques insensibles à la tétrodotoxine.Ce mécanisme contribue très certainement à certains effetshyperalgésiques à long terme.Sous l’influence du NGF, c’est au tour du BDNF d’être surexpriméau niveau des fibres C peptidergiques. Libéré au niveau de la cornepostérieure de la moelle, il se lie au récepteur à forte affinité TrkBpour phosphoryler le récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA) parl’intermédiaire d’une protéine-kinase C. Aussi, doit-on sans douteconsidérer le BDNF comme un élément clé du déclenchement desphénomènes de « sensibilisation centrale » par les phénomènesinflammatoires.

¶ Peptides [95, 99]

Lors d’une stimulation nociceptive, l’influx nerveux se propage nonseulement vers la moelle mais aussi, de façon antidromique, vers lesautres terminaisons libres de la même fibre (réflexe d’axone). Cesdernières vont libérer des peptides (substance P, CGRP, neurokinineA), entraînant une vasodilatation et une dégranulation desmastocytes, elle-même à l’origine d’une libération localiséed’histamine (Fig. 6). Cette chaîne d’événements, appelée« inflammation neurogène », est à l’origine de l’hyperalgésie « entache d’huile » ou « secondaire ».

¶ Protéases [23, 101]

Les protéases exercent leurs effets en se liant à des récepteursspécifiques de surface couplés aux protéines G, les protease-activatedreceptors (PAR) dont on connaît quatre représentants (PAR1-4)initialisés par activité protéolytique d’enzymes comme la thrombineou la trypsine. Elles sont présentes sur l’endothélium vasculaire, lescellules inflammatoires, les plaquettes et les terminaisons des fibresafférentes primaires. Leur activation déclenche l’ensemble des signesclassiques de l’inflammation. En outre, PAR1 et PAR2, coexprimésdans les neurones afférents primaires avec le CGRP et la substanceP, provoquent la libération de ces derniers par un mécanismedépendant du calcium. On peut donc aussi les considérer commemédiateurs de l’inflammation neurogène. Au total, elles participentaux mécanismes responsables de l’hyperalgésie d’origineinflammatoire. Du reste, leur administration locale provoque unehyperalgésie de longue durée.

¶ Récepteurs NMDA et AMPA/kaïnate [17]

On sait aujourd’hui que la membrane des fibres afférentes primaireset des terminaisons sympathiques exprime des récepteurs

glutamatergiques, essentiellement ionotropiques acide-2-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole-propionique (AMPA)/kaïnate etNMDA. La densité de ces récepteurs augmente au cours del’inflammation. Or, si la noradrénaline n’excite pas les nocicepteursdans les conditions normales, elle en devient capable lorsqu’unprocessus inflammatoire a été enclenché. Agissant de concert,l’ensemble de ces phénomènes se potentialise pour augmenterl’activité nociceptive. Au même titre que les peptides, la source desacides aminés excitateurs est à rechercher dans les fibres afférentessensorielles elles-mêmes. Il s’agit à nouveau d’un mécanisme locald’autoentretien de l’activité nociceptive.

¶ Récepteurs b-adrénergiques

Nous venons de rappeler que la noradrénaline n’excite pasdirectement les nocicepteurs ; il en est de même de l’adrénaline. Ellespeuvent en revanche les sensibiliser dans certaines circonstances,génératrices alors d’effets hyperalgésiques. De tels effets s’exercentprobablement par l ’intermédiaire de protéines-kinases,essentiellement PKA et dans une moindre mesure PKC, qui régulentles canaux sodiques résistants à la tétrodotoxine. [75] On conçoit quele stress par exemple soit ainsi dès le niveau périphérique un facteurd’amplification des messages nociceptifs.

¶ Opioïdes [12, 96]

Des récepteurs opioïdes sont présents sur les terminaisonspériphériques des fibres sensorielles : un tiers environ des fibres Cest pourvu de récepteurs d et/ou µ. Ces récepteurs pourraientcontribuer à l’action antinociceptive périphérique des opioïdes, cettedernière ne s’exprimant significativement qu’en cas d’inflammation.Les récepteurs opioïdes peuvent être activés par des agonistesexogènes - les ligands µ apparaissant les plus efficaces à cet égard -ou par des peptides opioïdes endogènes libérés localement par descellules immunitaires (lymphocytes, monocytes). Ces dernières nesont pas les seules sources d’opioïdes endogènes périphériquespuisqu’un nombre non négligeable de fibres afférentes primairescontient de la met-enképhaline. Leur implication dans la modulationde la réponse inflammatoire et de la douleur est très probable.

EFFETS À COURT TERMEDES AGENTS INFLAMMATOIRES

Parmi tous les agents inflammatoires, certains vont activerdirectement les fibres afférentes primaires en dépolarisant lesterminaisons libres. C’est le cas des protons et de l’ATP, nous l’avonsvu. C’est aussi celui de la chaleur, l’un des signes cardinaux del’inflammation. Les autres vont sensibiliser ces terminaisons en lesrendant plus réactives aux agents dépolarisants, qu’ils soientchimiques ou physiques. Cette sensibilisation peut s’effectuer pardeux types de mécanismes. Le premier consiste en une amplificationdu potentiel générateur déclenché au niveau des récepteurs-canauxpar le stimulus. Le second consiste en une modification del’excitabilité de la membrane, l’abaissement du seuil d’ouverture descanaux sodiques dépendants du voltage, donc du seuil dedéclenchement des potentiels d’action. Ces mécanismes sont parfoisdirects, mais sont le plus souvent sous la dépendance d’une chaînede seconds messagers dont les plus notables sont des kinases quiphosphorylent les récepteurs. Ces protéines-kinases sont parexemple activées par les prostaglandines, la sérotonine, labradykinine ou l’histamine.Nous nous trouvons ici confrontés à un système de régulation trèssophistiqué, asservi à de nombreuses variables de l’environnementphysique et chimique de la terminaison libre du récepteur sensoriel, elle-même tapissée, rappelons-le, d’une mosaïque de récepteurs biochimiqueset de seconds messagers. Cette sophistication, également caractérisée parla redondance et l’asservissement à des boucles de rétroaction, est àl’origine de la subtilité des phénomènes d’allodynie et d’hyperalgésie.

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EFFETS À LONG TERME DES AGENTSINFLAMMATOIRES

Un certain nombre de molécules ont la capacité de provoquer depuisla périphérie des changements de synthèse protéique au niveau desnoyaux des neurones sensoriels primaires situés dans les ganglionsrachidiens. [114] Ainsi en est-il du NGF qui, une fois libéré, se lie auxrécepteurs de haute affinité TrkA, nous l’avons vu. Le complexeNGF-TrkA est ensuite internalisé et transporté jusqu’au corpscellulaire du neurone pour agir sur la transcription génique enactivant une chaîne de signaux intracellulaires. Ces changementsvont se traduire par une augmentation de la synthèse de canauxioniques et de précurseurs de certains peptides qui vont ensuite êtretransportés de façon rétrograde vers les terminaisons périphériqueset/ou de façon orthograde vers les terminaisons centrales. Ainsipourra-t-on observer in fine une augmentation :

– du nombre de canaux ioniques (VR-1, Na-TTXr) et de la concentrationen peptides (substance P, neurokinine A, CGRP) à la périphérie ;

– de la concentration en BDNF au niveau central. En modifiant lephénotype, ces mécanismes vont contribuer à pérenniser sur le long termel’inflammation et l’hyperalgésie primaire et secondaire.

Mécanismes spinaux impliquésdans la nociception

PROJECTIONS SPINALES DES FIBRES PÉRIPHÉRIQUES

La très grande majorité des fibres afférentes primaires atteignent lesystème nerveux central par les racines rachidiennes postérieuresou leurs équivalents au niveau des nerfs crâniens.

Les fibres Ab qui acheminent, rappelons-le, les informations tactileset proprioceptives, envoient leurs axones en partie vers la substancegrise médullaire de la corne postérieure (couches III à V mais centrésur IV) (Fig. 8) [69] dont les terminaisons sont étalées sur plusieurssegments et en partie via les cordons postérieurs vers les noyauxcorrespondants situés dans la partie caudale du bulbe. Il s’agit desnoyaux gracilis (de Goll) où transitent les informations issues dumembre inférieur et du tronc et cuneatus (de Burdach) où transitentles informations issues du membre supérieur, du cou et de la régionoccipitale (Fig. 9A). Les neurones de ces noyaux envoient leursaxones vers le thalamus latéral via le lemnisque médian - d’où lenom de système lemniscal -, après avoir décussé au niveau bulbaire.Les neurones du thalamus latéral se projettent vers le cortex

somesthésique primaire (SI). Il s’agit d’un système très rapide decommunication : l’information concernant la localisation sur le corps(somatotopie), l’intensité et la durée du stimulus atteint le cortexcérébral après deux relais seulement. Tout au long de ce système,l’organisation somatotopique est conservée de telle sorte que lesinformations précises concernant chaque région du corps sontenvoyées vers une région corticale bien définie, chacune représentéesur l’homonculus de la partie supérieure droite de la Figure 9A enfonction de son importance.

Figure 8 Schéma des projections centrales des fibres cutanées chez l’animal. Les fi-bres périphériques cutanées entrent dans le système nerveux central par les racines pos-térieures pour se distribuer dans la moelle et l’encéphale. Leur corps cellulaire (cellulesdites “ en T ”) se trouve dans le ganglion rachidien correspondant (ou le ganglion deGasser pour le système trigéminal). La substance grise médullaire a été subdivisée endix couches : les cinq premières couches correspondent à la corne postérieure, les cou-ches VI-VII à la zone intermédiaire, les couches VIII-IX à la corne antérieure et la cou-che X à la zone périépendymaire. Les couches I et II sont parfois dénommées zone mar-ginale et substance gélatineuse. Les fibres myélinisées de grand diamètre Ab se divisenten deux contingents. Le premier emprunte les cordons postérieurs pour activer le sys-tème lemniscal responsable des sensibilités tactiles et proprioceptives (cf. Fig. 9A). Lesecond bifurque pour entrer sur plusieurs segments rostraux et caudaux dans la subs-tance grise médullaire et se terminer dans les couches III-V et dans une bien moindremesure II et VI. Les fibres myélinisées de petit diamètre Ad ne se projettent que locale-ment vers les couches I, V et, dans une moindre mesure, II de la corne postérieure. Lesfibres non myélinisées C, après avoir cheminé sur quelques segments dans le tractus deLissauer, se projettent essentiellement vers les couches I et II lorsqu’elles sont d’originecutanée mais aussi V-VII et X lorsqu’elles sont d’origine viscérale (pointillés).D’après [69]

Figure 9 Voies somes-thésiques ascendantes. A.Système lemniscal.B. Voiesspinoréticulaire et spino-thalamique (système extra-lemniscal cheminant dansle quadrant antérolatéral).C. Autres voies se termi-nant dans le tronc cérébral.

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Les fibres Ad et C quant à elles se divisent en une brancheascendante et une branche descendante qui émettent des collatéralesvers la corne postérieure de la moelle sur quelques segmentsadjacents. On y constate une convergence anatomique des afférencesnociceptives cutanées, musculaires et viscérales dans les couches Iet V (Fig. 8). On constate également une forte dispersionrostrocaudale des afférences.

PARTICULARITÉS DU SYSTÈME TRIGÉMINAL [8, 16]

La sensibilité de la face et des cavités buccale et nasale est assuréepour l’essentiel par les trois branches du nerf trijumeau (V) qui seregroupent dans le ganglion de Gasser, ce dernier renfermant lescorps cellulaires des fibres afférentes. Dans le tronc cérébral, lesfibres se séparent en un contingent qui emprunte la « racineascendante » pour se rendre au noyau principal, et un contingentqui emprunte une « racine descendante » pour émettre descollatérales vers le noyau spinal auquel il est accolé. Le noyauprincipal constitue le maillon essentiel de la transmission desmessages tactiles orofaciaux et le noyau spinal celui desinformations thermiques et algiques. On les assimile du resterespectivement aux noyaux des cordons postérieurs et à la corne

postérieure qui jouent un rôle équivalent pour le tronc et lesmembres.

LIBÉRATION DES NEUROMÉDIATEURSDANS LA MOELLE (Fig. 10) [29]

Deux groupes principaux de substances sont responsables de latransmission des messages nociceptifs périphériques vers lesneurones spinaux. Les acides aminés excitateurs comme le glutamatequi sont les neurotransmetteurs à proprement parler et desneuropeptides qui modulent les effets des premiers. Leur libération,par exocytose des vésicules synaptiques, est déclenchée par lecalcium cytosolique des terminaisons des fibres afférentes primaires.Les neuropeptides sont très nombreux (substance P, somatostatine,CGRP, cholécystokinine, neurokinine A, …) et pourraient jouer lerôle de neuromodulateurs, c’est-à-dire de substances endogènes qui,sans avoir d’effets propres, modulent les effets excitateurs ouinhibiteurs des neurotransmetteurs (acides aminés excitateurs etinhibiteurs).

¶ Canaux calciques [26, 100]

La libération des neuromédiateurs et neuromodulateurs est avanttout déterminée par la concentration du calcium présynaptique, elle-

Figure 10 Libération des neuromédiateurs et neuromodulateurs par les terminai-sons centrales des fibres afférentes primaires. La survenue de potentiels d’action au ni-veau des membranes des terminaisons provoque l’ouverture de canaux calciques dépen-dants du voltage (partie supérieure gauche de la figure). L’augmentation de laconcentration calcique va déclencher la libération d’un certain nombre de médiateursdont le glutamate. Ce dernier va interagir avec trois types de récepteurs postsynapti-ques, de droite à gauche : récepteur ionotropique acide-2-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxalone (AMPA)/kaïnate (AMPA-R) qui ouvre un canal sodique ; récepteur méta-botropique (mGlu-R) qui sensibilise le récepteur AMPA/kaïnate par une protéine-kinase A (PKA) et le récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA) par une protéine-kinase C (PKC) ; récepteur NMDA qui ouvre un canal anionique, préférentiellementcalcique. En outre, le glutamate libéré dans la fente synaptique va se fixer sur des ré-cepteurs présynaptiques pour favoriser sa propre libération ou être capturé par destransporteurs actifs situés sur les membranes de la terminaison et des astrocytes qui

l’entourent (partie droite de la figure). Les peptides, notamment la substance P (SP),sont également libérés. Le complexe ligand-récepteur SP/NK1 s’internalise rapidementpour être recyclé ultérieurement. Sous l’influence du nerve growth factor (NGF), lebrain-derivated neurotrophic factor (BDNF) est surexprimé par les phénomènes in-flammatoires périphériques. Il se lie au récepteur à forte affinité tyrosine-kinase B(TrkB) pour phosphoryler le récepteur NMDA par l’intermédiaire d’une PKC. L’en-semble de ces phénomènes déterminés avant tout par la concentration de calcium pré-synaptique, se trouve sous la dépendance de nombreux mécanismes qui vont favoriserou inhiber la libération des neuromédiateurs et neuromodulateurs (cf. texte). Ils ne sontreprésentés ici que par le récepteur acide gamma-amino-butyrique (GABA)A afin de nepas surcharger la figure. Enfin, le calcium cytosolique de l’élément postsynaptique ac-tive la production d’oxyde nitrique et de cyclo-oxygénase (COX)-2. De concert avec lesrécepteurs NMDA présynaptiques, prostaglandines (PG) E et oxyde nitrique (NO) fa-vorisent l’entrée de calcium dans l’élément présynaptique. D’après [66]

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même sous la dépendance de courants calciques qui parcourent descanaux spécifiques. Les canaux calciques dépendants du voltage àhaut seuil L-, N- et P/Q- sont présents dans la corne postérieure dela moelle, les deux derniers étant très abondants sur les fibresafférentes primaires. Les canaux L-, « stationnaires », sont sensiblesà certains agonistes et antagonistes dérivés de la dihydropyridine(nifédipine) ; les canaux N-, « intermédiaires », sont bloqués par lax-conotoxine ; les canaux P/Q- sont bloqués par la x-agatoxine.

¶ Récepteurs présynaptiques [38]

La concentration de calcium cytosolique présynaptique est réguléepar un certain nombre de mécanismes qui vont favoriser ou inhiberla libération des neuromédiateurs et neuromodulateurs. Cesmécanismes, pour la plupart connus de longue date, sont déclenchéspar des récepteurs spécifiques. Parmi les premiers,« pronociceptifs », nous citerons l’ATP (et les récepteurs P2X), lasérotonine (et les récepteurs 5-HT3) et les prostaglandines (et lesrécepteurs EP). Parmi les seconds, « antinociceptifs », nous citeronsl’acide gamma-amino-butyrique (GABA) (et les récepteurs GABAB),la noradrénaline (et les récepteurs a2), la sérotonine (et les récepteurs5-HT1A et 5-HT1B) et les opioïdes (et, dans l’ordre de leurimportance, les récepteurs µ >> d > j). Ces récepteurs agissent pardivers mécanismes.

¶ Effets des acides aminés excitateurs [18, 37, 81]

Les récepteurs du glutamate et de l’aspartate sont répartis en troisgrandes familles (Fig. 11). Les deux premiers comprennent un canalionique qui règle l’entrée des cations dans la cellule. On distingue,selon leurs ligands, les récepteurs AMPA/kaïnate et les récepteursNMDA. Les troisièmes sont des récepteurs « métabotropiques ».

Le récepteur NMDA a particulièrement retenu l’attention car il estbloqué au repos par un ion magnésium qui n’est évincé du canalque lorsque :

– la membrane du neurone est suffisamment dépolarisée ;

– deux molécules de glutamate et deux molécules de glycine, soncoagoniste, le stimulent. Cela peut arriver par exemple à la suite del’application d’un stimulus nociceptif particulièrement intense ouprolongé. On attribue au récepteur NMDA un rôle central dansl’hyperalgésie d’origine centrale et dans l’évolution de la douleurvers la chronicité, d’autant que sa stimulation provoque desmodifications à long terme de l’excitabilité des neurones de la cornepostérieure de la moelle.Il existe plusieurs sous-familles de récepteurs « métabotropiques »liés à une protéine G. Certains (mGluR1 et mGluR5) sont localiséssur les membranes pré- et postsynaptiques et sont couplés à unechaîne de réactions excitatrices intracellulaires :

– soit activation d’une phospholipase C, activation d’une PKC puisphosphorylation du récepteur NMDA ;

– ou production d’AMP cyclique, activation d’une protéine-kinaseA puis phosphorylation du récepteur AMPA/kaïnate. Au total, cesrécepteurs métabotropiques sont à l’origine d’une augmentation decalcium cytosolique et d’une amplification des effets des récepteursionotropiques du glutamate.Ces « seconds messagers » intracellulaires, qui ne sont du restenullement spécifiques de la nociception, entraînent un ensembled’événements cellulaires, notamment la production d’oxyde nitriqueet de COX-2, cette dernière, constitutive dans la moelle, provoquantla synthèse de prostaglandines. Après diffusion vers l’élémentprésynaptique, oxyde nitrique et prostaglandines y favorisentl’entrée de calcium. Il s’agit là typiquement de rétrocontrôles positifs

Figure 11 Récepteurs glutamatergiques. Le glutamate se lie avec trois types de ré-cepteurs, de droite à gauche : (1) le récepteur ionotropique acide-2-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxalone (AMPA)/kaïnate (AMPA-R) qui ouvre un canal sodique ; (2) lerécepteur métabotropique (mGlu-R) qui active une protéine G et (3) le récepteur iono-tropique N-méthyl-D-aspartate (NMDA) qui ouvre un canal anionique, préférentiel-lement calcique. La fonction de la protéine G du récepteur métabotropique est double.D’une part, elle active (de gauche à droite) une adénylate-cyclase, elle-même activantune protéine-kinase A (PKA) qui, en fin de compte, sensibilise le récepteur AMPA-R enle phosphorylant. D’autre part, elle active (de droite à gauche) une phospholipase C(PLC), responsable de la formation de diacylglycérol (DAG) et d’inositol triphosphate(IP3) à partir du phosphatidylinositol biphosphate (PIP2). Le DAG active une protéine-kinase C (PKC), responsable de la phosphorylation du récepteur NMDA. L’IP3 mobi-lise les réserves calciques intracellulaires contenues dans le réticulum endoplasmique.

La forte concentration de calcium intracellulaire active la NO-synthétase, source d’uneproduction de NO intracellulaire à partir de l’arginine. Le NO augmente localement letaux de guanosine monophosphate cyclique (GMPc) par l’activation de la guanylate-cyclase. Il est en outre très diffusible et peut atteindre des éléments présynaptiques, descellules gliales ou le noyau du neurone. Il y contribue à modifier l’expression de cer-tains gènes. Au repos, le récepteur NMDA est bloqué par un ion Mg++. La liaison surle récepteur de deux molécules de glutamate et deux molécules de son coagoniste, la gly-cine, évince le magnésium du canal. Ce dernier, « voltage-dépendant », pourra alorss’ouvrir si le potentiel de membrane du neurone a atteint un niveau suffisant. AMPc :adénosine monophosphate cyclique ; ADP : adénosine diphosphate ; ATP : adénosinetriphosphate ; GDP : guanosine diphosphate ; GTP : guanosine triphosphate. D’aprèsLe Bars, Adam, 2002).

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qui, de concert avec les récepteurs NMDA présynaptiques, formentun nouveau « cercle vicieux » par lequel le glutamate favorise sapropre libération, ce qui pourrait provoquer des phénomènes desensibilisation à long terme. Le paracétamol est capable de romprece cercle vicieux en inhibant au niveau central la synthèse deprostaglandines et de NO.

Le processus d’inactivation du glutamate est simple : libéré dans lafente synaptique, il est capturé par des transporteurs actifs situéssur les membranes de la terminaison de la fibre afférente primaire etdes astrocytes qui l’entourent. Ces derniers le transforment englutamine qui est libérée puis recapturée de façon active par lesfibres afférentes primaires, elles-mêmes la retransformant englutamate (partie droite de la Fig. 10).

¶ Effets des peptides [95, 99]

Le rôle de neuromédiateur de la substance P au niveau desterminaisons centrales des fibres afférentes primaires fines a fait longfeu, comme en témoignent les échecs retentissants des essaiscliniques de ses antagonistes en tant qu’analgésiques. [50] Il estvraisemblable cependant qu’elle module la transmission synaptiqueau travers d’une PKC en phosphorylant les récepteurs NMDA. Maiscomme le complexe ligand-récepteur sP/NK1 s’internalise trèsrapidement, on ne peut être surpris par la fugacité de ses effets. Ilest frappant à cet égard de noter que les souris transgéniquesn’exprimant pas la substance P ou son récepteur NK1 sont àl’origine de résultats confus et contradictoires pour ce qui est de lanociception mais en revanche convergents et homogènes en ce quiconcerne l’abolition de l’inflammation neurogène. Le rôle de lasubstance P « périphérique » est donc, quant à lui, bien confirmé.

CONCLUSION SUR LE PREMIER NEURONE

Le lecteur a remarqué la multiplicité des mécanismes modulateursélémentaires qui s’exercent aux deux extrémités de ce neurone. Lors d’untraumatisme tissulaire, les nocicepteurs sont activés et sensibilisés nonseulement par les substances libérées au sein du foyer inflammatoire,mais également par le biais d’un recrutement supplémentaire de fibresadjacentes, notamment par le phénomène du réflexe d’axone. Cetensemble d’interactions neurochimiques subtiles fournit le substratumau phénomène d’hyperalgésie. Les « cercles vicieux » ne sont pas

cantonnés à la périphérie. Les rétrocontrôles positifs exercés par lesrécepteurs NMDA, les prostaglandines et l’oxyde nitrique sur lesterminaisons centrales présynaptiques en sont un exemple. Cesconsidérations invitent ainsi à relativiser l’origine « périphérique » ou« centrale » des phénomènes de sensibilisation.

NEURONES SPINAUX IMPLIQUÉSDANS LA TRANSMISSION DE L ’INFORMATION

NOCICEPTIVE [43]

Deux catégories principales de neurones répondant à des stimulusnociceptifs se dégagent de l’ensemble des études électro-physiologiques consacrées à la corne postérieure : les premiers sontspécifiquement activés par ces stimulus (« neurones spécifiquementnociceptifs »), les seconds y répondent de façon préférentielle maisnon exclusive (« neurones à convergence »). Leurs champsrécepteurs excitateurs (zone corporelle déclenchant une activiténeuronale) sont relativement restreints et bien localisés.Les neurones nociceptifs spécifiques sont essentiellement localisésdans la couche I de la moelle. Certains répondent exclusivement àun type de stimulus nociceptif, thermique ou mécanique parexemple. Leur champ récepteur est de petite taille et ils ne sontactivés que par les fibres Ad et/ou C.Les neurones nociceptifs non spécifiques sont encore appelésneurones à convergence ou neurones à large gamme dynamique(wide dynamic range ou WDR). Ils sont principalement localisés dansla couche V de Rexed, mais aussi dans les couches plussuperficielles. Leur champ récepteur cutané présente un gradient desensibilité : dans la partie centrale, tout stimulus, nociceptif ou non,active le neurone ; dans une zone plus périphérique, seules lesstimulations nociceptives mettant en jeu des fibres Ad ou Cdéclenchent une activité neuronale (Fig. 12). Comme nous le verronsplus loin, ils présentent également un champ récepteur inhibiteur(zone corporelle déclenchant une inhibition de leur activiténeuronale).Compte tenu du recouvrement des champs excitateurs,l’organisation spatiale de la convergence joue probablement un rôleessentiel dans l’élaboration du message issu de cette classe deneurones. [24, 67, 85] En effet, appliqué sur un territoire donné, unstimulus non nociceptif n’activera qu’un nombre restreint deneurones, ceux dont le centre du champ excitateur est situé sur ce

Figure 12 Organisation schématique des influences périphériques s’exerçant surles neurones à convergence. Leur champ périphérique est complexe. Il comprend tou-jours une partie cutanée, elle-même composée d’un champ excitateur (CE) dont le cen-tre (zone hachurée) est activé par des stimulus nociceptifs et non nociceptifs et la péri-phérie (zone rouge) n’est activée que par des stimulations intenses, et très souvent d’un

champ inhibiteur (CI, zone verte) qui n’est activé que par des stimulus non nociceptifs,surtout s’ils sont appliqués de façon répétitive et rapide (frottements, vibrations...). Ilcomprend aussi fréquemment une partie viscérale et parfois musculaire qui ne sont ac-tivées que par des stimulus à caractère nociceptif. On constate donc une singulièreconvergence d’informations sur un même neurone. D’après [64]

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territoire (Fig. 13A). En revanche, un stimulus nociceptif appliquésur le même territoire activera non seulement ces mêmes neurones,mais également les marges de beaucoup d’autres (Fig. 13B). Ce n’estdonc pas seulement en simple terme d’activité neuronale qu’il fautraisonner pour tenter de comprendre le rôle de ces neurones, maisaussi en termes de populations neuronales et d’interactionsdynamiques s’exerçant entre elles.

PLASTICITÉ DE L ’ACTIVITÉ NEURONALE [31]

Concevoir ce système en termes de réseaux dynamiques devientincontournable lorsque l’on tient compte du fait que la taille deschamps excitateurs de ces neurones est susceptible d’être modifiée.La convergence anatomique des influx d’origine périphérique surun même neurone est en réalité beaucoup plus étendue que celleque l’on constate au premier abord. En effet, dans les conditionsphysiologiques normales, un stimulus nociceptif active nonseulement de façon patente un groupe de neurones (qui émettentalors des potentiels d’action), mais aussi de façon sous-liminaire unelarge frange de neurones adjacents (insuffisamment dépolarisés pourémettre des potentiels d’action). [106] Au cours de processuspathologiques, qu’ils soient d’origine périphérique ou centrale, cettefrange de neurones quiescents pourrait devenir suffisammentdépolarisée pour émettre des potentiels d’action et ainsi, amplifierle transfert de l’information.Une sensibilisation des mécanismes excitateurs ou un déficit desmécanismes inhibiteurs (cf. infra) se traduira donc à la fois par uneaugmentation de l’activité et de la taille de la population deneurones concernés par le foyer douloureux. Cette informationélaborée dans la moelle est ensuite transmise au cerveau, où elle estdécodée sous la forme d’une hyperalgésie. L’hyperalgésie secondairepourrait ainsi s’expliquer aussi par une augmentation de laconvergence des influx périphériques vers les neurones de la cornepostérieure résultant de l’hyperexcitabilité neuronale. Ce mécanisme(« sensibilisation centrale ») épaulerait alors les mécanismespériphériques de recrutement supplémentaire de fibres adjacentesau foyer primaire, fondés sur le réflexe d’axone, nous l’avons vu. En

outre, le déficit des mécanismes inhibiteurs pourra se traduire par ledéclenchement d’une importante activité neuronale par des stimulusanodins. Cette information, élaborée dans la moelle, puis transmiseau cerveau, peut alors y être décodée sous la forme d’une allodynie.Des phénomènes de sommation temporelle complètent cesphénomènes de sommation spatiale. Sur le plan expérimental,lorsqu’un stimulus nociceptif bref (généralement électrique) estrépété à fréquence rapide (> 0,3 Hz), la réponse neuronale augmented’un stimulus au suivant, du moins lorsque l’on considère lespremières réponses. L’origine de ce phénomène, appelé wind-up(wind-up : remonter [une montre par exemple]), est à rechercher dansle fait que les potentiels postsynaptiques générés par l’activation desfibres C sont lents et que, par conséquent, l’arrivée d’une nouvellevolée afférente produit son effet avant que la membrane du neuronene soit entièrement revenue à son potentiel de repos. Ainsi, lasuccession de volées afférentes se traduit par une dépolarisation deplus en plus importante. Par analogie avec la potentialisation à longterme observée dans l’hippocampe, à laquelle on attribue un rôleimportant dans la mémoire, et compte tenu du rôle des récepteursNMDA dans le wind-up, certains ont attribué à ce mécanisme unrôle central dans la douleur chronique. [49]

CONVERGENCE DES INFORMATIONS

Une autre propriété importante des neurones à convergence (qu’ilspartagent avec certains neurones nociceptifs spécifiques) réside dansleur capacité d’être activés par des stimulus nociceptifs d’originecutanée et viscérale. [21 , 36 , 54 ] On parlera de convergenceviscérosomatique. Certains sont également activés par des stimulusnociceptifs d’origine musculaire. [2] Ces convergences permettentd’expliquer le phénomène de douleur projetée (irradiationdouloureuse vers le membre supérieur gauche dans l’angine depoitrine, douleur testiculaire de la colique néphrétique, douleurscapulaire droite de la lithiase vésiculaire, etc.), souvent essentiel audiagnostic de certaines affections. On peut souligner à cet égard lafaculté des neurones à convergence de saisir la globalité desinformations issues de l’interface avec les milieux extérieur (la peau)et intérieur (les viscères, les muscles). Dans le premier cas, cesinformations englobent l’ensemble du spectre somesthésique ; dansle second, elles semblent concerner avant tout la nociception.L’ensemble de ces informations constitue une « activitésomesthésique de base », dont le rôle fonctionnel pourrait êtred’informer le cerveau qu’aucune perturbation particulière del’organisme n’est générée par le milieu extérieur ou intérieur. Il estainsi possible que ces neurones jouent un rôle essentiel dansl’élaboration du schéma corporel, peut-être en « habillant » leschéma postural. [64]

De concert avec le système vestibulaire qui utilise la gravité commeréférence pour assurer notre équilibre et détecter nos mouvementsabsolus dans l’espace, l’ensemble des informations corporelles estintégré pour synthétiser en permanence des représentationsmentales inconscientes de la réalité physiologique du soi. C’est legrand neurologue Henry Head [48] qui a introduit au début du XXe

siècle les notions de « schéma postural » et de « schéma corporel »,la dénomination de ce dernier ayant été proposée ultérieurementpar le psychanalyste Paul Schilder. [89] Ces représentations, étapesessentielles de l’édification biologique du soi, ne sont pas figéespuisqu’elles résultent de l’histoire du sujet. En particulier, lesévénements somesthésiques antérieurs, qu’ils soient du restedouloureux (mémoire de la douleur, anticipation de la douleurprobable, etc.) ou non, permettent à chacun de construire etreconstruire inconsciemment, progressivement mais sans relâche,son schéma corporel. Ce processus de maturation, très lent au coursdes premiers mois de la vie pendant lesquels la confusion entre lesmondes intérieur et extérieur est totale, mais qui s’accélère dans lapetite enfance pour se stabiliser ultérieurement, concourt à la

Figure 13 Organisation spatiale théorique du champ excitateur cutané d’un neu-rone à convergence. A. Un stimulus nociceptif appliqué sur une quelconque partie dece champ excitateur (représenté en bleu) active le neurone mais le centre (foncé) est, deplus, sensible aux stimulus non nociceptifs (conditions expérimentales standards : en-registrement d’un seul neurone). B. En réalité, les champs excitateurs se recouvrent lesuns les autres de telle sorte qu’un stimulus nociceptif active non seulement le centred’un certain nombre de champs récepteurs (représenté ici par la surface 1) mais égale-ment les marges de beaucoup d’autres (représentés ici par les surfaces 2, 3 et 4). Appli-qué sur une surface donnée (ici au centre du champ 1), un stimulus nociceptif activeradonc de nombreux neurones à convergence (ici 4) alors qu’un stimulus non nociceptifen activera beaucoup moins (ici 1). D’après [67]

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construction d’une « mémoire » du moi physique. Les expériencesantérieures neutres, agréables (les caresses,…) et désagréables (lesbobos,…) concourent ensemble à bâtir cette mémoire. Saconsolidation progressive et son incessante restructuration peuventcependant être remises en cause par de nombreux facteursbiologiques et psychologiques. Tapi dans la monotonie du« normal » il se dilue dans l’inconscient, mais ne demande qu’à semanifester (se « réveiller » ?) à la moindre occasion, soit vers leplaisir soit vers la douleur. Les douleurs intenses, les douleurs quidurent, les douleurs qui évoluent vers la chronicité figurent sansdoute parmi les causes physiques les plus banales de perturbationdu schéma corporel (cf. infra).

Après intégration par les neurones de la corne postérieure, lesmessages nociceptifs vont être orientés simultanément dans deuxdirections différentes : la première, vers les motoneurones desmuscles fléchisseurs, est à l’origine des activités réflexes que nousappellerons le transfert spinal ; la seconde, vers les structuressupraspinales, s’inscrit dans un processus que nous appellerons letransfert vers le cerveau.

ACTIVITÉS RÉFLEXES OU TRANSFERT SPINAL

Ces réflexes, encore appelés réflexes extéroceptifs, comprennenttoutes les activités motrices déclenchées par des messages afférentsprovenant de la peau ou des tissus sous-cutanés et relayés dans lamoelle (Fig. 14A). [69] C’est ainsi que, chez le chien, un réflexe deretrait d’une patte postérieure ne peut être obtenu que par des

stimulations nociceptives des coussinets plantaires de cette mêmepatte. Ce réflexe de flexion correspond à une réaction de protectionde l’organisme vis-à-vis d’un stimulus potentiellement dangereuxpour son intégrité. Le mouvement réflexe résulte de la contractiond’un ensemble de muscles fléchisseurs et du relâchement d’unensemble correspondant de muscles extenseurs. En outre,l’activation des muscles extenseurs (« antigravitaires ») et l’inhibitiondes muscles fléchisseurs, observées en station verticale, sontrenforcées par le transfert du poids d’une jambe sur celle qui devientporteuse. D’une façon générale, les « réflexes nociceptifs de retrait »sont organisés de façon « modulaire » : qu’ils soient fléchisseurs,extenseurs ou autres (supinateurs, pronateurs…), les muscles d’unmembre se contractent lors de la stimulation nociceptive d’unerégion bien déterminée de la peau. [92] Chaque muscle possède ainsiun « champ récepteur cutané nociceptif » organisé de telle façonqu’il se soustrait au stimulus nociceptif par le mouvement qu’ildéclenche.Les stimulus nociceptifs sont également capables de déclencher desréflexes végétatifs organisés au niveau spinal (Fig. 14B). [69] Lesneurones nociceptifs spécifiques de la couche I activent les neuronespréganglionnaires situés dans la colonne intermédiolatérale de lasubstance grise, ces derniers commandant les neuronespostganglionnaires des ganglions sympathiques (chaîneparavertébrale et ganglions cervical supérieur, stellaire, cœliaque, etmésentériques).

TRANSFERT VERS L ’ENCÉPHALE [39, 43, 103]

Des observations anatomocliniques (syndrome de Brown-Séquard,syringomyélie, syndrome cordonal postérieur) effectuées depuislongtemps chez l’homme (Fig. 15) ont permis d’affirmer que lamajeure partie des messages nociceptifs croise la ligne médiane auniveau de la commissure grise antérieure, après avoir été relayéepar les neurones de la corne postérieure, puis emprunte les voiesascendantes antérolatérales. En particulier, la lésion de la partiesuperficielle du quadrant antérolatéral provoque une analgésiecontrolatérale de longue durée. Il est cependant vraisemblable qued’autres faisceaux médullaires ascendants suppléent, du moins danscertains cas, le contingent antérolatéral.En volume, c’est la formation réticulée bulbaire qui reçoit la majoritédes projections issues du quadrant antérolatéral. Schématiquement

Figure 14 Activités réflexes. Les messages nociceptifs véhiculés par des fibres Ad etC empruntent les racines postérieures après avoir cheminé dans les nerfs. Ils vont ac-tiver des neurones de la corne postérieure dont le rôle est de transférer ces informationsd’une part vers l’encéphale (trait plein), et d’autre part vers des neurones médullaires(tirets) pour participer à des réflexes somatiques (A) et végétatifs (B). A. Réflexes so-matiques. L’activation des motoneurones par les neurones de la corne postérieure s’ef-fectue par une voie polysynaptique. Cette activation déclenche une activité dans ungroupe de muscles capable de provoquer un mouvement qui éloigne la région stimuléedu stimulus nociceptif. Ce mouvement résulte en réalité d’un mécanisme plus complexeassociant des phénomènes excitateurs et inhibiteurs, ces derniers concernant notam-ment les muscles antagonistes (non représentés). B. Cercle vicieux de Livingston.Outre des réflexes extéroceptifs, l’activation des neurones de la corne postérieure par lesstimulus nociceptifs est également capable de déclencher des réflexes végétatifs organi-sés au niveau spinal. Ils activent alors les neurones préganglionnaires situés dans la co-lonne intermédiolatérale de la substance grise qui vont activer les neurones postgan-glionnaires des ganglions sympathiques. La libération de noradrénaline ainsi libérée àla périphérie sensibilise les nocicepteurs, ce qui provoque une augmentation supplé-mentaire des influx nociceptifs vers la corne postérieure et une aggravation de la dou-leur. D’après [69]

Figure 15 Schémas des lésions médullaires ayant permis de jeter les bases de l’or-ganisation des « voies de la douleur » dès le début de notre siècle. A. Hémisection de lamoelle à l’origine du syndrome de Brown-Séquard. B. Syringomyélie. C. Syndrome cor-donal postérieur. D. Cordotomie antérolatérale. La majeure partie des messages noci-ceptifs croise la ligne médiane par la commissure grise antérieure après avoir été relayéspar les neurones de la corne postérieure. Des observations anatomocliniques effectuéeschez l’homme ont permis d’attribuer un rôle majeur aux voies ascendantes antérolaté-rales dans la transmission des messages nociceptifs de l’étage spinal vers les centres su-périeurs. Il est cependant vraisemblable que d’autres faisceaux médullaires ascendantssuppléent la voie antérolatérale, du moins dans certains cas.

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(Fig. 9B et 9C), les neurones nociceptifs se projettent principalementvers la formation réticulée, le mésencéphale et le thalamus, maisaussi vers le noyau du faisceau solitaire et le bulbe ventrolatéral.Bien que ne participant pas directement à la perception douloureuse,ces derniers interviennent dans les réactions neurovégétatives quil’accompagnent, notamment l’augmentation de la fréquencecardiaque et de la pression artérielle (Fig. 16). [69] On constate ainsique l’organisation de ces projections est bien différente de celle quitransmet les informations tactiles et proprioceptives au travers dusystème lemniscal : elle concerne de nombreuses structures étagéesà tous les niveaux hiérarchiques du système nerveux central, de tellesorte que c’est le cerveau dans son ensemble, depuis le bulbejusqu’au cortex cérébral, qui est informé de la survenue d’unévénement nociceptif.

¶ Faisceau spinothalamique

Le faisceau spinothalamique rassemble des neurones qui cheminentdans le quadrant antérolatéral de la moelle, du côté controlatéral àleur site d’origine. Les neurones issus de la corne postérieure(faisceau néo-spino-thalamique, selon la dénomination ancienne) seprojettent sur le thalamus latéral (noyau ventro-postéro-latéral etgroupe postérieur). Les neurones issus des couches VII et VIII de la

corne antérieure (faisceau paléo-spino-thalamique, selon ladénomination ancienne) se terminent dans les régions médianes duthalamus (noyau central latéral). Il existe cependant un certainrecouvrement entre ces deux populations puisque certains neuronesprojettent à la fois sur les parties latérale et médiane du thalamus.Un contingent particulier issu de la couche I se projette vers lenucleus submedius et la partie postérieure du noyau ventromédian.

¶ Faisceau spinoréticulaire

Les mêmes régions de la substance grise médullaire donnentnaissance à des neurones spinoréticulaires dont les axonescheminent également dans le quadrant antérolatéral. C’est donc parun abus de langage que les termes faisceau spinothalamique etquadrant antérolatéral sont parfois considérés comme équivalents.Les régions cibles du faisceau spinoréticulaire sont les noyauxgigantocellulaire et réticulaire latéral, qui reçoivent des fibres issuesde la corne antérieure, et une région très caudale, dénomméesubnucleus reticularis dorsalis, qui reçoit des fibres issues descouches I et V-VII. [102] La mise en évidence de fibres ascendantes seprojetant à la fois aux niveaux réticulaire et thalamique est unepreuve anatomique supplémentaire de la complémentarité de cesdeux systèmes.

¶ Faisceaux spino- (ponto) mésencéphaliques

Les faisceaux spino- (ponto) mésencéphaliques projettentessentiellement sur deux structures du tronc cérébral : la substancegrise périaqueducale et l’aire parabrachiale, située dans la régiondorsolatérale du pont. L’aire parabrachiale reçoit des informationsen provenance de la couche I de la moelle par des fibres quicheminent dans le funicule postérolatéral.

¶ Autres faisceaux

Pour être complets, mentionnons quelques faisceaux dont l’existencen’est étayée que par l’expérimentation animale. Ainsi, les neuronesà convergence pourraient également envoyer des messagesnociceptifs vers les centres supérieurs, notamment thalamiques, viale faisceau spinocervical (de Morin) et les cordons postérieurs. Quantaux neurones de la corne ventrale, ils projettent essentiellement surla formation réticulée bulbaire et le thalamus médian. Enfin,l’ensemble des neurones nociceptifs spinaux se projette vers lenoyau du tractus solitaire. Bien que ne participant probablement pasdirectement à la perception douloureuse, ce dernier faisceau pourraitintervenir dans les réactions neurovégétatives qui l’accompagnent,notamment l’augmentation de la fréquence cardiaque et de lapression artérielle.

Mécanismes cérébraux impliquésdans la nociception

Nous venons de souligner la multiplicité des voies ascendantessusceptibles d’acheminer les messages nociceptifs vers le cerveau.L’étage le plus étudié y est sans conteste le thalamus, où se trouventles relais majeurs de toutes les informations sensorielles vers lecortex cérébral. C’est ainsi que les messages qui génèrent lessensations tactiles et proprioceptives relaient dans les noyaux descordons postérieurs puis dans le thalamus latéral (noyaux ventro-postéro-latéral et ventro-postéro-médian pour le corps et la sphèretrigéminale, respectivement) pour se projeter de façonsomatotopique vers le cortex somesthésique, nous l’avons vu. Quantaux messages nociceptifs, ils atteignent le thalamus directement -voies spinothalamiques - ou indirectement, après relais dans laformation réticulée - voies spino-réticulo-thalamiques -. Les relais

Figure 16 Rapports anatomiques et fonctionnels entre systèmes nociceptif et végé-tatif. Les messages nociceptifs qui n’empruntent pas les voies spinothalamiques etspino-réticulo-thalamiques (voies ascendantes représentées à droite) activent de façondirecte ou indirecte de nombreux centres cérébraux. Ces derniers sont impliqués, éga-lement de façon directe ou indirecte, dans les régulations végétatives, notamment lescontrôles cardiovasculaires dont le principal effecteur est constitué par le bulbe ventro-latéral qui commande les neurones préganglionnaires sympathiques (voies descendan-tes activatrices issues de la région bulbaire ventrolatérale rostrale [RBVLr]). Ainsi lapression artérielle est-elle non seulement sous l’influence des barorécepteurs et des ché-morécepteurs mais aussi du système sensoriel. En outre, c’est par l’intermédiaire del’amygdale qu’elle se trouve également sous la dépendance des états mentaux et émo-tionnels. On notera le pivot de redistribution de l’information nociceptive que consti-tuent la substance grise périaqueducale (SGPA) et la région bulbaire ventromédiane(RBVM) dont le rôle ne se restreint donc pas au seul contrôle des activités neuronalesde la corne postérieure de la moelle (voies descendantes inhibitrices dans le faisceau pos-térolatéral). Les régulations parasympathiques centrées sur le noyau du faisceau soli-taire ne sont pas représentées (afférences issues des nerfs facial, glossopharyngien et va-gue - VII, IX et X - et efférences vers les noyaux ambigu et moteur dorsal du vague).L’aire parabrachiale (PB) et l’amygdale contrôlent en outre certaines activités hypotha-lamiques, notamment l’axe hypothalamohypophysaire corticotrope (représenté à gau-che du schéma). On comprend au travers de ce schéma l’intimité des rapports entrestress et douleur. NTS : noyau du tractus solitaire ; GI : noyau gigantocellulaire.D’après [69]

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bulbaires et pontomésencéphaliques sont cependant des structureslargement impliquées, elles aussi, dans les processus de traitementde l’information nociceptive.

RELAIS RÉTICULAIRES SPÉCIFIQUES

La formation réticulée contient de nombreux neurones activés parstimulation nociceptive, mais qui le sont également par d’autresmodalités sensorielles, visuelle et auditive par exemple. Cependant,le subnucleus reticularis dorsalis, situé dans la partie caudale dubulbe, pourrait jouer un rôle spécifique dans la douleur. [102] Sesneurones sont activés de façon quasi exclusive par les stimulusnociceptifs quelles que soient leur nature et la partie du corpsconcernée. L’information somatotopique y est donc perdue, maisl’intensité des stimulus y est fidèlement encodée. Les neurones dece noyau se projettent massivement vers le thalamus médian etconstituent par conséquent le maillon intermédiaire des voies spino-réticulo-thalamiques. Ils émettent également des axones vers tousles segments de la moelle ; ils jouent par conséquent un rôleimportant dans des mécanismes spino-bulbo-spinaux de régulation(cf. infra). On peut souligner leur position stratégique à cet égard,quasiment à la jonction entre la moelle et le cerveau, leur conférantle rôle d’un centre de distribution de l’information nociceptive versles régions rostrales et caudales du système nerveux central. Cettefonction est contrôlée par des régions bien délimitées des cortexfrontal, pariétal et insulaire.

RELAIS BULBAIRES,PONTIQUES ET MÉSENCÉPHALIQUES

Si l’on peut rencontrer des neurones répondant aux stimulusnociceptifs dans la formation réticulée et la substance grisepériaqueducale, la région pontomésencéphalique la plus intéressanteà cet égard est sans conteste l’aire parabrachiale latérale qui reçoitdirectement les informations issues des couches I de la cornepostérieure de la moelle. On y enregistre de nombreux neuronesnociceptifs dont les champs sont de taille variable mais sansorganisation somatotopique, sinon de façon très grossière. Les ciblesmajeures de projection de ces neurones sont le noyau central del’amygdale et l’hypothalamus ; il semble donc raisonnable de leurattribuer un rôle important dans les processus végétatifs,émotionnels et endocriniens liés à la douleur.Mais ce ne sont pas les seuls, comme en témoigne la Figure 16. [7, 72,

73] En effet, les informations nociceptives parviennent également aubulbe ventrolatéral qui commande les neurones préganglionnairessympathiques et au noyau du faisceau solitaire, principale sourcede régulation du système parasympathique via les noyaux ambiguet moteur dorsal du vague. Au total, le tronc cérébral est le sièged’un intime enchevêtrement des systèmes nociceptifs et végétatifs,ce qui suggère l’apparentement de la nociception à un systèmehoméostatique plus vaste. Ainsi la pression artérielle est-elle nonseulement sous l’influence des barorécepteurs et deschémorécepteurs mais aussi du système sensoriel. En outre, elle setrouve également sous la dépendance des états mentaux etémotionnels par l’intermédiaire de l’amygdale.Les deux régions médianes que sont la substance grisepériaqueducale et la région bulbaire rostroventrale redistribuentl’information nociceptive vers quelques cibles privilégiées,notamment la moelle (cf. infra). L’aire parabrachiale et l’amygdalepeuvent en outre influencer l’axe hypothalamohypophysairecorticotrope soulignant, s’il en était besoin, l’intimité des rapportsentre stress et douleur.

RELAIS THALAMIQUES [30]

Nous avons déjà abordé la complexité de l’organisation thalamiqueen soulignant la multiplicité des voies susceptibles d’y acheminer lemessage nociceptif. Elles sont schématiquement de deux types dontles propriétés fonctionnelles sont différentes :

– les voies qui se terminent dans le thalamus latéral où une certainesomatotopie est conservée. On admet classiquement que lacomposante sensorielle discriminative de la douleur s’exprime grâceaux neurones des noyaux ventro-postéro-latéral pour le corps etventro-postéro-médian pour la sphère trigéminale.

– les voies qui se terminent dans le thalamus médian,essentiellement dans les noyaux intralaminaires et submedius. Lespropriétés des neurones enregistrés dans ces noyaux sontcomparables à celles des neurones enregistrés dans les noyauxventromédian et parafasciculaire qui, eux, ne reçoivent pas de fibresafférentes directes depuis la moelle mais indirectes via la formationréticulée (voies spino-réticulo-thalamiques). Comme leurs champsrécepteurs périphériques sont diffus, il semble bien difficile de leurattribuer un rôle dans l’élaboration de la composante sensoriellediscriminative de la douleur. En revanche, en raison de leursprojections vers des aires corticales motrices, prémotrices et fronto-orbitaires, ils pourraient intervenir dans l’élaboration des réactionsmotrices et émotionnelles liées à la douleur.

RELAIS CORTICAUX [19, 53, 63, 83]

En couplant les techniques d’imagerie fonctionnelle par résonancemagnétique nucléaire (fRMN) et de tomographie par émission depositons (TEP), on a pu montrer que les cortex somesthésiquesprimaire et secondaire sont bien activés par des stimulationsnociceptives mais dans une moindre mesure que les cortexcingulaire et insulaire (Fig. 17). Rappelons que ces derniersappartiennent avec le cortex fronto-orbitaire et l’airetemporohippocampique (Ve circonvolution temporale) au systèmelimbique dont le rôle est primordial dans la genèse des émotions.C’est en fin de compte un ensemble d’aires cérébrales qui concourentprobablement à l’élaboration de la perception de la douleur. L’idéed’un « centre » de la douleur est d’ailleurs abandonnée depuislongtemps, le « cerveau douloureux » , reflet du « corpsdouloureux », tendant de plus en plus à envahir des zones qui, bienque circonscrites, sont disséminées dans le cerveau tout entier. Àproprement parler et par définition, il n’y a douleur que lorsquecertaines informations (exogène et/ou endogène au cerveau)deviennent conscientes. A contrario, on peut s’interroger sur lapertinence de considérer qu’un patient ayant subi une lobotomiefrontale ressent la douleur au sens où nous l’entendonshabituellement. En effet, sa perception sensorielle de la douleur estprésente sans être accompagnée de ses dimensions affectives etmotivationnelles.

Mécanismes de contrôle de l’activitédes neurones spinaux impliquésdans la nociception

La transmission spinale des messages nociceptifs est sous ladépendance d’influences excitatrices mais également d’influencesinhibitrices. Ces phénomènes de modulation sont classés selonl’origine des mécanismes d’inhibition qui leur donnent naissance : ils’agit d’abord des contrôles segmentaires et contrôles d’originesupraspinale. [70]

CONTRÔLES SEGMENTAIRES

L’activation des afférences cutanées de grand diamètre responsablesdes sensations tactiles peut déprimer les réponses de neuronesspinaux aux stimulus nociceptifs. Il est généralement admis que cesphénomènes sont déclenchés par l’activation des seules fibres Ab,mais c’est bien de l’activation de fibres Ad que résultent lesinhibitions les plus puissantes. Ces effets, d’origine essentiellement

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métamérique, dérivent directement des propriétés des champsrécepteurs des neurones de la corne postérieure dont une partie estbien excitatrice, mais une autre inhibitrice (cf. Fig. 12). Appliquéessur cette dernière, des stimulations naturelles non nociceptives maisrépétitives sont capables d’inhiber les réponses déclenchées parstimulation de la partie excitatrice du champ récepteur.Pour concevoir le rôle de l’organisation spatiale de la convergencedans l’élaboration des messages issus de cette classe de neurones, ilconvient de tenir compte du recouvrement des champs excitateurset inhibiteurs. [67, 85] L’organisation de ces champs (Fig. 18A) permeten effet d’expliquer pourquoi l’application de stimulations nonnociceptives sur une grande surface corporelle n’active pas un grandnombre de neurones à convergence pour générer un « faux messagenociceptif », du moins dans des conditions physiologiques. Cetteéventualité est prévenue par l’activation concomitante de nombreuxchamps inhibiteurs. En effet, l’application de stimulations nonnociceptives sur une grande surface corporelle active non seulementle centre des champs excitateurs, mais aussi de nombreux champsinhibiteurs dont la fonction sera d’atténuer la réponse globale(Fig. 18B). Ainsi, l’organisation spatiale de la convergence desinfluences excitatrices et inhibitrices joue probablement un rôleessentiel dans l’élaboration physiologique des messages issus decette classe de neurones. On conçoit alors que des processuspathologiques soient capables de désorganiser complètement cetéquilibre, notamment lorsqu’ils entraînent un déficit des contrôlesinhibiteurs. Un tel déficit se traduit par le déclenchement d’uneimportante activité neuronale par des stimulus anodins et, in fine,des phénomènes d’allodynie (cf. supra).Quels que soient les mécanismes précis qui régissent l’organisationdes inhibitions segmentaires, ces dernières permettent d’expliquer

les effets hypoalgésiques déclenchés par des méthodes physiques destimulation - frottements, stimulation électrique, etc… - d’unesurface corporelle voisine du foyer douloureux. À son insu, tout unchacun sait utiliser ces mécanismes lorsque par exemple il se frottela peau avec énergie pour soulager la douleur déclenchée par unepiqûre, un traumatisme… etc. En réalité, l’interaction des activitésafférentes entre les fibres de gros et de fin diamètre est connue de longuedate, mais ce sont Melzack et Wall [77] qui en ont proposé la formulationargumentée la plus claire dans leur théorie du portillon médullaire (« gatecontrol theory of pain »). Selon cette théorie, la transmission des messagesnociceptifs est réglée par un effet de balance entre les influencesexcitatrices et inhibitrices, et la douleur ne survient que lorsqu’il y arupture d’équilibre en faveur des messages excitateurs (soit par « excèsde nociception », soit par déficit des contrôles inhibiteurs). Ils ont proposéque des interneurones situés dans la substance gélatineuse (couches II etIII) de la corne postérieure de la moelle inhibent la transmission desinflux nociceptifs vers les neurones à convergence situés dans des couchesplus profondes (« trigger cells »). Le mécanisme proposé est celuid’une action inhibitrice présynaptique, c’est-à-dire sur les afférencesqui alimentent les neurones à convergence. À la manière d’unportillon, les cellules de la substance gélatineuse réguleraient l’accèsau système nerveux central du flot global d’informations. La miseen jeu des afférences de gros diamètre augmenterait l’activité de cesinterneurones, fermant ainsi le portillon, tandis que l’activation desfibres fines déprimerait ce tonus inhibiteur, déclenchant alorsl’ouverture du portillon, facilitant ainsi par désinhibitionl’envahissement des neurones à convergence, puis les structuressupraspinales d’intégration, par les messages issus de la périphérie.Pour décrire complètement cette théorie, il faut ajouter quel’ensemble de ces mécanismes était supposé soumis à des contrôlesd’origine supraspinale, ces derniers étant déclenchés par l’activationdes fibres de gros diamètre.

Figure 17 Activations corticales déclenchées par stimulation nociceptive. Le cou-plage des techniques de résonance magnétique nucléaire et de tomographie par émis-sion de positons a permis de montrer chez des volontaires sains que les cortex somes-thésiques primaire (S1) et secondaire (S2) étaient activés par des stimulationsthermiques nociceptives contrôlées ; ces mêmes régions sont activées par des stimula-tions tactiles. Le cortex cingulaire, situé sur la face interne du manteau cortical, le cor-tex insulaire, situé au fond de la scissure de Sylvius et le cortex prémoteur sont égale-ment activés par des stimulations nociceptives, mais, en revanche, ne le sont pas par desstimulations tactiles.

Figure 18 Organisation spatiale théorique du champ excitateur et inhibiteur cu-tané d’un neurone à convergence. Il convient de lire cette figure avec la Figure 13. A.Le champ excitateur du neurone (en bleu) est entouré d’un champ inhibiteur (en blanc)de grande dimension qui est activé par des stimulus mécaniques non nociceptifs. B.L’application de stimulations non nociceptives sur une grande surface corporelle (parexemple 1, 2, 3, 4) ne va pas seulement activer le centre des champs excitateurs et en-voyer ainsi un « faux message nociceptif », mais également de nombreux champs inhi-biteurs (ici appartenant aux neurones 2, 3, 4) dont la fonction sera d’atténuer la ré-ponse globale. C’est pourquoi les méthodes physiques de soulagement d’une douleurpar stimulation segmentaire de la zone péridouloureuse concernent une grande surfacecorporelle - frottements, etc ... - ou des troncs nerveux - stimulation électrique - afin quela balance entre les processus excitateurs et inhibiteurs penche en faveur des seconds.D’après [67]

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Plusieurs points de cette théorie n’ont pas été confirmés sur le planexpérimental, ce qui a conduit Wall à modifier le schéma initial. [79,

108] En dépit de nombreuses controverses que nous ne détailleronspas ici, il faut bien reconnaître que la théorie du portillon a suscitéde nombreux essais thérapeutiques de neurostimulation à viséeantalgique car elle apportait une base scientifique montrant lapossibilité d’activer sélectivement des voies inhibitrices de façon noninvasive. Cette théorie proposait une hypothèse rationnelle permettantd’expliquer les effets hypoalgésiques décrits chez l’homme lors destimulations électriques à haute fréquence et faible intensité de nerfspériphériques (« transcutaneous electrical nerve stimulation », TENS).Cependant, de nombreuses observations cliniques ne peuvent êtreexpliquées par cette seule hypothèse. Par exemple, les effetsanalgésiques de la TENS ne s’installent qu’avec une latence deplusieurs minutes, mais peuvent durer bien au-delà de la périodede stimulation. En revanche, les effets inhibiteurs observésexpérimentalement sont immédiats et ne persistent pas au-delà dela période de stimulation. Par ailleurs chez le singe, la TENS n’estcapable d’inhiber les réponses nociceptives de neuronesspinothalamiques que lorsque l’intensité dépasse le seuil d’activationdes fibres Ad. En outre, des effets analgésiques extrasegmentairespeuvent aussi être déclenchés chez l’homme par la TENS, mais ilssont moins marqués que ceux que l’on déclenche au niveausegmentaire, ces derniers étant plus importants lorsque lastimulation est appliquée sur le territoire douloureux. On peutcependant obtenir des effets analgésiques extrasegmentaires plusintenses lorsque l’on applique ce que l’on désigne parfois sous leterme de « TENS non conventionnelle » (acupuncture-like TENS),caractérisée par une stimulation de basse fréquence et de forteintensité provoquant une contraction musculaire et mettantégalement en jeu des mécanismes supraspinaux (cf. infra). Cesdonnées suggèrent que différents mécanismes de contrôle sontimpliqués dans les effets hypoalgésiques de la TENS. Notons enfin,et cela est sans doute essentiel, que l’indication clinique la plusfréquente de la TENS conventionnelle est la douleur neuropathique.

Il est probable que ces contrôles s’exercent par l’intermédiaire d’acidesaminés inhibiteurs comme la glycine ou le GABA, notamment parce quel’administration intrathécale de leurs antagonistes (strychnine,bicuculline) à doses subconvulsivantes provoque des phénomènesd’allodynie. La bicuculline agit sur les récepteurs GABAA maisl’administration intrathécale d’un agoniste correspondant(muscimol) ne modifie pas le seuil nociceptif - ce n’est pas le cas desagonistes GABAB (baclofène) dont les effets, quoique modestes,suggèrent un mécanisme d’action sur la transmission nociceptiveproprement dite -.

Par ailleurs, les couches superficielles de la corne postérieure sontparticulièrement riches en récepteurs opioïdes dont bon nombre sontsitués sur les terminaisons des fibres afférentes primaires. Certainsinterneurones de ces mêmes couches contiennent des ligandsendogènes des récepteurs opioïdes, notamment ceux qui sontdérivés de la proenképhaline A et de la prodynorphine(enképhalines, dynorphine). Si leur signification fonctionnelle resteencore obscure, leur efficacité potentielle est démontrée sansambiguïté puisque l’injection intrathécale de faibles doses de morphineou d’opioïdes endogènes déclenche chez l’animal une puissante analgésie.Les études effectuées chez l’homme ont entièrement confirmé les résultatsissus de l’expérimentation animale : un des mécanismes essentielsresponsables de l’action analgésique de la morphine consiste en unedépression directe de la transmission des messages nociceptifs dèsl’étage médullaire. On connaît le succès de l’utilisation des voiesd’administration péridurale ou intrathécale de morphine. Elles ontl’avantage d’assurer un soulagement total et de longue durée de ladouleur en ne provoquant que des effets secondaires mineurs.

Cependant ces techniques ne sont applicables qu’à des douleursaffectant les dermatomes et viscérotomes thoracolombaires, c’est-à-dire les parties basses du corps.

CONTRÔLES D ’ORIGINE SUPRASPINALE [34, 35, 76]

Ces contrôles sont principalement exercés depuis le tronc cérébral.Les contrôles d’origine thalamique, hypothalamique et corticale sontmoins bien connus. La stimulation localisée de la substance grisepériaqueducale et de la région bulbaire ventromédiane (la régionbulbaire ventromédiane comprend le noyau raphé magnus, le noyauparagigantocellulaire et le noyau gigantocellulaire) est capabled’induire une profonde analgésie sans affecter, semble-t-il, les autresfonctions sensorielles. Cette analgésie pourrait résulter del’activation de voies inhibitrices descendantes qui bloquent latransmission spinale des messages nociceptifs, en libérant lasérotonine et les opioïdes endogènes dans les couches superficiellesde la corne postérieure (Fig. 19). Ce schéma très général doit êtrecomplété ; on sait en effet que la stimulation de nombreuses autresrégions du tronc cérébral est capable d’inhiber la transmissionspinale des messages nociceptifs (quelques exemples : noyauréticulaire latéral, noyau du tractus solitaire, groupecatécholaminergique A5, locus coeruleus, aire parabrachiale, aireprétectale, hypothalamus latéral, noyau rouge, substance noire, …).

Figure 19 Représentation schématique des contrôles inhibiteurs issus du tronc cé-rébral qui s’exercent sur la transmission spinale des messages nociceptifs. La stimula-tion électrique de la substance grise périaqueducale (SGPA) (A) ou du nucleus raphémagnus (région bulbaire ventromédiane [RBVM]) (B) provoque l’activation descontrôles inhibiteurs descendants qui cheminent dans les faisceaux postérolatérauxpour inhiber par des mécanismes sérotoninergiques et opioïdergiques les neurones de lacorne postérieure impliqués dans la transmission des messages nociceptifs vers les cen-tres supérieurs.

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À cet égard, mentionnons plus particulièrement les voies agissantau niveau spinal par l’intermédiaire de récepteurs adrénergiquesalpha-2.

CONTRÔLES INHIBITEURS DIFFUS NOCICEPTIFS (CIDN)

Nous savons maintenant que la transmission des messagesnociceptifs est modulée par de puissants contrôles dès les premiersrelais médullaires, à la fois par des mécanismes segmentaires et pardes systèmes qui mettent en jeu des structures supraspinales. Si lesmécanismes segmentaires peuvent bien être déclenchés parstimulation du métamère correspondant, certains contrôlesinhibiteurs descendants sont également déclenchés par lastimulation d’autres parties du corps. En effet, les neurones àconvergence de la corne postérieure sont très fortement inhibéslorsque l’on applique une stimulation nociceptive sur unequelconque partie du corps, différente de leur champ périphériqueexcitateur : cette stimulation a déclenché les CIDN. [64] Les CIDN sontsous-tendus par une boucle complexe faisant intervenir desstructures supraspinales. À l’inverse des inhibitions segmentaires,ils ne sont pas observés chez l’animal dont la moelle a étépréalablement sectionnée, au niveau cervical par exemple. Lesparties les plus caudales du tronc cérébral sont impliquées dans cephénomène (Fig. 20A).

Chez l’homme, des résultats tout à fait analogues ont été observés àl’aide de techniques associant des mesures psychophysiques de ladouleur et des enregistrements de réflexes nociceptifs. [110] Lastimulation électrique à la cheville du nerf sural évoquesimultanément un réflexe nociceptif dans un muscle fléchisseur dela cuisse et une sensation douloureuse dans le territoire du nerf.Seules des stimulations conditionnantes hétérotopiques de naturedouloureuse, qu’elles soient thermiques, mécaniques ou chimiquessont capables d’élever à la fois le seuil de ce réflexe et celui de ladouleur associée, les élévations les plus importantes étant observéespour les stimulations conditionnantes les plus intenses. Ces résultatsmontrent donc que chez l’homme, un stimulus conditionnantdouloureux est capable, dès les premiers relais médullaires de latransmission nociceptive, de déprimer une douleur préexistante etle réflexe nociceptif qui l’accompagne. L’étude de ces phénomènes

chez des patients atteints de lésions du système nerveux central apermis d’établir qu’ils impliquent une boucle spino-bulbo-spinaledont la partie ascendante est constituée par le faisceauspinoréticulaire. De plus, chez l’homme comme chez l’animal, ilexiste au moins un relais opioïdergique dans cette boucle.

LA DOULEUR EST-ELLE DÉCLENCHÉEPAR UN GRADIENT D ’ACTIVITÉ

ENTRE DEUX POPULATIONS DE NEURONES SPINAUX ?

Un stimulus nociceptif, bien qu’indiscutablement perçu commedouloureux, active certains contrôles inhibiteurs descendants issusdu tronc cérébral qui pourraient contribuer à la détection desmessages nociceptifs par le cerveau. Nous avons vu que lesneurones à convergence de la corne postérieure de la moellerépondent, et parfois de façon importante, à des stimulus nonnociceptifs (pression, frottements, mouvements des poils…). Cesneurones sont donc activés de façon aléatoire mais permanente parl’ensemble des stimulus non nociceptifs apportés parl’environnement (Fig. 20B) (a). Cette activité globale, transmise auxcentres supérieurs, pourrait constituer un « bruit de fond », dont lescentres cérébraux ne pourraient extraire un messagesignificativement nociceptif qu’avec difficulté (Fig. 20B) (b). Lasignification fonctionnelle de cette activité somesthésique de baseest inconnue, mais on peut supposer qu’elle joue un rôle importantdans l’élaboration du schéma corporel. Il ne s’agirait alors d’un« bruit de fond » que vis-à-vis de la douleur. Les CIDN pourraientconstituer le filtre grâce auquel un signal spécifiquement nociceptifen serait extrait. En effet, lorsqu’un foyer nociceptif apparaît dansune région corporelle, les neurones à convergence et spécifiquementnociceptifs segmentaires sont activés et envoient un messageexcitateur vers les centres supérieurs. Ce signal activesecondairement les CIDN qui vont inhiber l’ensemble des neuronesà convergence spinaux et trigéminaux qui n’étaient pas directementconcernés par le stimulus initial. Ce mécanisme améliore le rapportsignal/bruit en augmentant le contraste entre les activités du foyersegmentaire de neurones activés et le silence de la populationrésiduelle (Fig. 20B) (c).Tout se passe comme au sein d’une assemblée, quelle qu’elle soit :un intervenant ne se fera entendre qu’après avoir obtenu le silence ;

Figure 20 A. Déclenchement des contrôles inhibiteursdescendants par stimulation nociceptive. Quelle qu’en soitla nature, un stimulus nociceptif active des neurones mé-dullaires qui, via les axones du quadrant antérolatéral, vontactiver dans le tronc cérébral des structures appartenant à laformation réticulée bulbaire. En retour, ces systèmes serontà l’origine d’informations qui descendent dans les faisceauxpostérolatéraux pour déclencher les contrôles inhibiteursdiffus (CIDN). B. Schématisation de l’activité de l’ensem-ble des neurones à convergence spinaux et trijéminaux. a :en l’absence de foyer douloureux, la corne postérieure de lamoelle génère une Information somesthésique de base géné-rée par les rapports de notre corps à son environnement im-médiat ; b : il est difficile d’extraire une information de cetteactivité basale, véritable « bruit de fond du quotidien » ; c :lorsque le message nociceptif est suffisant pour activer lesCIDN, l’inhibition des neurones non concernés par le sti-mulus initial exacerbe l’effet de contraste entre l’activitéd’une population de neurones et le silence des autres. Ainsiextraite du bruit de fond, cette information devient priori-taire.

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les CIDN permettent un tel silence parmi les neurones spinaux.Inversement, le brouhaha, le chahut permettront non pas d’interdirel’intervention, mais de brouiller complètement son message. C’estce que fait la morphine : les CIDN sont extrêmement sensibles à defaibles doses de morphine.Si l’on admet l’importance du rôle des neurones à convergence dansla nociception, une seconde implication directe du modèle estl’existence de phénomènes interactifs entre des messages nociceptifsissus de territoires corporels éloignés et partant, d’interactions entredouleurs d’origine topographique distincte. En réalité, un stimulusdouloureux est bien capable de diminuer, voire de masquer la douleur issued’un foyer situé sur une partie éloignée du corps. Cet effet, connu depuisl’Antiquité comme en témoigne l’aphorisme d’Hippocrate selon lequel« De deux souffrances survenant en même temps, mais sur des pointsdifférents, la plus forte fait taire la plus faible », a même été utilisélors d’interventions chirurgicales tant chez l’homme que chez lesanimaux domestiques. Chez ces derniers, l’emploi du tord-nez chezle cheval ou des pinces nasales chez les bovins pour réaliser desinterventions aussi douloureuses que la caudectomie ou la castrationen sont deux exemples. Bon nombre de pratiques des médecinespopulaires pour soulager la douleur sont en fait fondées sur ceprincipe. Ces observations empiriques ont d’ailleurs été confirméesdans des conditions d’objectivité scientifique et ce phénomène asouvent été désigné par les termes anglo-saxons de « contre-irritation » ou de « contre-stimulation ». Les CIDN représententprobablement le substrat neurologique de telles observations.

La question des mécanismes déclenchés par l’acupuncture mériteégalement d’être posée. Si l’on met de côté des techniques qui, bienque désignées sous le terme d’électroacupuncture, s’apparentent enfait aux stimulations transcutanées de nerfs à haute fréquence etfaible intensité mettant en jeu des mécanismes d’inhibitionsegmentaire (cf. supra), il semble assez vraisemblable que certaineshypoalgésies déclenchées par acupuncture s’apparentent auxphénomènes de « contre-stimulation ». [71, 74] Le physiologiste seraittenté de dire que tout l’art de l’acupuncteur consiste à « jouer » avecles différentes modalités de contrôle du message nociceptif pouraugmenter le bruit de fond et les mécanismes d’inhibition sans pourautant que le traitement soit trop désagréable pour le patient.

AUTRES CONTRÔLES

Les contrôles de l’information douloureuse ne sont pas confinés à lamoelle, quoique ces derniers soient les mieux connus et les plusdocumentés. On peut ainsi distinguer des projections bien délimitéesdes cortex frontal, pariétal et insulaire sur le subnucleus reticularisdorsalis, une structure située à la jonction entre la moelle et lecerveau, impliquée à la fois dans les boucles de rétroaction spino-bulbo-spinales et dans le système spino-réticulo-thalamique, nousl’avons vu. [102] Elles ouvrent la possibilité d’une modulation desmessages nociceptifs provenant de l’ensemble du corps par desrégions délimitées du cortex.

Classification des syndromesdouloureux

Pour mieux comprendre la diversité des expériences douloureuses,la variabilité de leur sémiologie clinique mais également la nécessitéde combiner des approches thérapeutiques diverses, il est utile dedistinguer trois types principaux de douleurs sur la base desmécanismes physiopathologiques :

– la douleur « physiologique » ;

– la douleur « inflammatoire » ;

– la douleur « neuropathique ».

Ce sont des états différents de fonctionnement du système nociceptifqui sont à l’origine de ces types de douleurs. Ils peuvent cependantcoexister, comme dans la lombosciatalgie chronique où la douleurrésulte à la fois d’un processus arthrosique (douleur inflammatoire)et de la radiculopathie (douleur neuropathique) générant ainsi unsyndrome douloureux chronique « mixte » plus difficile à maîtriser.Il faut signaler en outre que des syndromes douloureux bienidentifiés et très répandus, comme les lombalgies, les migraines oules névralgies essentielles, ne sont souvent pas associés à des lésionsavérées, alors que les douleurs sont bel et bien ressenties, et ne sontpas « inventées » par les patients.

DOULEUR « PHYSIOLOGIQUE »

Elle est perçue en réponse à des stimulations brèves maissusceptibles de provoquer une lésion tissulaire. Le fonctionnementdu système sensoriel qui encode et organise les réponses à cesstimulus se trouve dans un mode que l’on peut qualifier de normal.Ce mode est caractérisé par une relation simple et positive entrel’intensité du stimulus et l’ampleur des réponses (réactionstissulaires locales, réflexes automatiques de retrait, comportementsd’évitements plus ou moins élaborés, émotions désagréables, etc…).Selon l’expérience passée et le contexte immédiat, ces réponsespeuvent être modulées, soit dans le sens d’une facilitation, soit dansle sens d’une inhibition. Le système est donc bien assujetti à desmécanismes régulateurs, mais sa finalité biologique reste toujours depréserver notre intégrité corporelle.

DOULEUR « INFLAMMATOIRE »

Lorsque le stimulus nocif provoque une lésion, il déclenche destransformations tissulaires prolongées de type inflammatoire. Lesystème de la douleur entre dans un mode de fonctionnementdifférent et la relation entre une stimulation et les réponses évoquéeschange profondément :

– la douleur peut devenir spontanée (présente en l’absence destimulation) ;

– dans la région lésée, le seuil de la douleur est abaissé et unstimulus douloureux est perçu de manière plus intense(hyperalgésie) ;

– la douleur peut se prolonger bien au-delà de l’application dustimulus ;

– un stimulus très léger (effleurement) peut devenir intensémentdouloureux (allodynie) ;

– cette hypersensibilité s’étend habituellement au-delà de la régionlésée (« hyperalgésie secondaire »). Cependant, lorsque cette lésionguérit, le système de la douleur retourne vers son état defonctionnement normal physiologique initial. La finalité biologiquede ces transformations est évidente : favoriser la guérison en ajustantles réactions et les comportements - par exemple mettre la régionlésée au repos et la protéger (position dite « antalgique »).

DOULEUR « NEUROPATHIQUE » [3, 5, 46, 59, 62, 93]

La douleur neuropathique est celle qui résulte d’une lésion outransformation pathologique du système somesthésique, y compriscelui de la douleur elle-même, qui entre dans un mode defonctionnement pathologique et inadapté. Au tableau dessymptômes de la douleur inflammatoire, il convient alors d’ajouterdes douleurs « spontanées » continues (sensation permanente debrûlure, de torsion, de dilacération) ou paroxystiques (sensation dedécharges « électriques » en salve), de douleurs dans une région parailleurs insensible (la paradoxale « anesthésie douloureuse ») ouencore de douleurs dans un membre fantôme après désafférentation(arrachement du plexus brachial ou amputation d’un membre par

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exemple), [80, 86] des paresthésies (fourmillements, picotements,engourdissements, …) et des dysesthésies (sensations trèsdésagréables quoique non douloureuses) … Si l’on en croit certainspatients, il ne s’agit pas toujours de douleurs à proprement parler,mais d’une sensation « pire que la douleur ». Il n’y a pas de finalitébiologique à ce type de douleurs persistantes et le plus souventrebelles aux thérapeutiques conventionnelles. Les douleursneuropathiques résultent de lésions des nerfs périphériques ou dusystème nerveux central, le plus souvent dans ce dernier cas à lasuite d’un accident vasculaire cérébral mais aussi d’une sclérose enplaques, d’une syringomyélie, d’un tabès… Comme ces lésions sontresponsables d’une réduction des influx (« désafférentation »)provenant de la région rapportée comme douloureuse, les douleurssont souvent attribuées à un dysfonctionnement des mécanismes decontrôle de la transmission des messages nociceptifs. Il fautcependant bien reconnaître que leur physiopathologie reste à ce jourlargement méconnue.

Des troubles sudoraux, vasomoteurs et trophiques leur sont parfoisassociés, ce qui suggère une perturbation du système sympathique.Différents termes (causalgie, algodystrophie, reflex sympatheticdystrophy, sympathetically maintained pain) ont été proposés pourdésigner ces syndromes, qui font souvent suite à des lésionstraumatiques ; aujourd’hui, on les désigne plutôt sous le termegénérique de « syndrome douloureux régional complexe ». En toutétat de cause, bien que regroupées sous un même terme parce qu’ellespartagent des éléments sémiologiques communs, l’ensemble des douleursneuropathiques regroupent en réalité des entités très variées sur le plananatomoclinique.

Syndromes d’analgésieou d’hypoalgésie

L’analgésie congénitale à la douleur constitue un groupe trèshétérogène de pathologies qui se caractérisent par l’absence desensation douloureuse. Bien que les symptômes se manifestentparfois dès la naissance, le diagnostic initial est souvent difficile et lepronostic très réservé, le syndrome s’accompagnant souventd’automutilations et d’une profonde souffrance psychologique. Leurphysiopathologie reste mal connue. Dyck et al. [32] se sont fondés surles données cliniques, paracliniques et génétiques pour classer lesneuropathies sensorielles et autonomiques héréditaires (NSAH) enplusieurs types dont nous décrirons succinctement les principauxci-dessous. Il convient d’y adjoindre des syndromes qui s’enrapprochent sur le plan séméiologique (perte de la sensationdouloureuse).

NEUROPATHIES SENSORIELLESET AUTONOMIQUES HÉRÉDITAIRES

¶ NSAH de type I

La NSAH de type I est la plus fréquente. C’est une affectionautosomique dominante dont les premiers symptômes apparaissentgénéralement au cours de la deuxième ou troisième décade de lavie. Ils résultent d’une axonopathie distale entraînant unedégénérescence rétrograde des fibres myélinisées de petit calibre(Ad) et des fibres amyéliniques (C).

L’affection débute par une perte de la sensibilité douloureuse del’extrémité des membres inférieurs se traduisant par des mauxperforants plantaires indolents. Son évolution se fait rapidementvers des mutilations accompagnées de complications infectieusespouvant aller jusqu’à l’ostéomyélite. Les autres sensibilitéssomesthésiques peuvent aussi disparaître progressivement (dansl’ordre : thermique, tactile, vibratoire et - mais seulement dans de

rares formes très sévères - proprioception). Il existe une aréflexieachilléenne et rotuliennne. Les signes de dysautonomie sont rares etmineurs. Des épisodes de douleur lancinante sont parfoismentionnés. Les extrémités supérieures restent indemnes.

¶ NSAH de type II

La NSAH de type II, moins fréquente, est une affection autosomiquerécessive dont les premiers signes apparaissent dans la petiteenfance. Ils se manifestent par des brûlures ou des plaies desextrémités qui résultent d’un déficit sévère de la sensibilitésuperficielle, global mais prédominant aux quatre membres. Lessensibilités douloureuse et thermique sont les premières touchées.L’atteinte des sensibilités tactile et vibratoire est ensuite corrélée àl’évolution et à la sévérité de la maladie. En revanche, on n’observeque très rarement un déficit de la sensibilité proprioceptive. Lessignes végétatifs sont modérés. Dans tous les cas, les réflexestendineux sont abolis. On constate une hypotonie musculaire et unretard des acquisitions motrices. En revanche, les vitesses deconduction motrices sont normales. Quoique des cas de retardmental aient été rapportés, l’intelligence est généralement normale.

¶ NSAH de type III

La NSAH de type III est plus communément dénomméedysautonomie familiale ou encore syndrome de Riley-Day.Transmise sur le mode autosomique récessif, cette affection netouche quasiment que les Juifs originaires de l’Europe de l’Est ouqui en sont issus (ashkénazes). Le gène a été localisé sur lechromosome 9q31-q33. La biopsie nerveuse permet de mettre enévidence une forte diminution, voire une disparition des fibresamyéliniques, les fibres myélinisées de petit calibre n’étant affectéesque de façon inconstante. Les perturbations sensorielles etvégétatives qui en résultent sont à l’origine d’une singulière richessesémiologique.L’insensibilité à la douleur qui intéresse la totalité du corps etconcerne tous les stimulus douloureux explique la fréquence deplaies, brûlures et fractures. Les autres modes de la sensibilité sontconservés, encore que la sensibilité proprioceptive puisse êtreatteinte au cours de l’évolution de la maladie. Les réflexesostéotendineux et cornéen sont abolis ou très diminués. Unediminution du goût est aussi de règle, liée à l’absence ou aucaractère rudimentaire des papilles fungiformes. L’odorat peut êtreégalement atteint mais de façon moindre. En règle générale, la forcemusculaire est normale.L’absence de lacrymation et l’hypersudation sont deuxmanifestations spectaculaires de la maladie. Elles sontrespectivement responsables de la fréquence des bléphariteschroniques, kératites et ulcères de cornée et de la survenue dedermites variées. On constate en outre :

– une dysrégulation thermique se traduisant par des épisodesd’hyperthermie (ou d’hypothermie chez le nourrisson) répétés etinexpliqués pouvant entraîner des convulsions ;

– une instabilité tensionnelle se traduisant par l’alternance depoussées hypertensives déclenchées par des émotions minimes etd’hypotensions orthostatiques entraînant parfois de véritablessyncopes. Les extrémités sont souvent froides et cyanosées et l’onnote parfois un syndrome de Raynaud.Les atteintes digestives sont souvent révélatrices de la maladie(troubles de la succion et de la déglutition avec régurgitations, crisesde vomissements incoercibles, atonie intestinale). Les atteintesrespiratoires sont diverses : détresses respiratoires transitoires,bronchopneumopathies secondaires à des fausses routes répétées,anomalies de la régulation des centres respiratoires, apnées dusommeil parfois responsables de « mort subite ». Les atteintes des

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voies urinaires se traduisent par le retard d’acquisition de lapropreté diurne et nocturne. Le problème ostéoarticulaire majeur decette maladie est la scoliose à laquelle il convient d’ajouter lesfractures et des ostéochondrites, ces dernières étant liées à desmicrotraumatismes répétés. Le retard staturopondéral, habituel etparfois important, est attribué aux infections répétées et à lamalnutrition.L’ensemble de ces handicaps retarde les acquisitions psychomotriceset génère des troubles psychoaffectifs, caractérisés par une grandelabilité émotionnelle, qui engendrent des réactions excessivessouvent inadaptées.En présence d’un tel tableau clinique, on ne sera pas surprisd’apprendre que la mortalité est élevée, surtout en début de vie :5-10 % la première année ; elle diminue ensuite progressivementpour se stabiliser à 2 % par an à partir de 4 ans. Cette mortalitérésulte essentiellement d’infections respiratoires, de pousséeshypertensives et de déshydratation, cette dernière étant déclenchéepar des crises de vomissements.

¶ NSAH de type IV

Cette pathologie, dont la transmission semble autosomiquerécessive, est rarissime. Elle se révèle dès la naissance par desépisodes d’hyperthermies inexpliqués et parfois très graves. L’autresigne marquant est une absence de sudation (anhidrose). Parmi lessignes neurologiques, on note une insensibilité thermoalgésique - lasensibilité tactile étant complètement épargnée -, une aréflexieostéotendineuse et la diminution du réflexe cornéen. Le retardmental est la règle.

AUTRES PATHOLOGIES

¶ Neuropathie sensitive héréditaire avec ataxie

Les symptômes se révèlent avant l’âge de 20 ans. La transmissionserait autosomique dominante. L’analgésie est inconstante et lasensibilité tactile est atteinte de façon prédominante aux extrémités.La force musculaire est normale et les réflexes ostéotendineux sontabolis. Le fait majeur est l’ataxie qui ne se développe généralementpas avant l’âge de 20 ans mais s’aggrave ultérieurement.L’intelligence est normale. On observe une scoliose dans la majoritédes cas. La longévité semble normale. Les potentiels d’actionsensitifs sont absents, mais la conduction motrice est normale. Labiopsie du nerf sural révèle un déficit important des fibresmyélinisées et une diminution du diamètre des fibres nonmyélinisées.

¶ Neuropathie sensitive héréditaire avec paraplégiespastique

Sa transmission serait autosomique récessive. Le tableau clinique,débutant entre 1 et 6 ans, est celui d’une NSAH de type II, auquels’associe un syndrome pyramidal prédominant aux membresinférieurs où l’on note une hypertonie, des réflexes exagérés, unsigne de Babinski et de Rossolimo. La biopsie révèle une réductionimportante des fibres myélinisées.

¶ Indifférence congénitale à la douleurLes cas familiaux, très rares, répondent à une hérédité autosomiquetantôt récessive tantôt dominante. La sémiologie très caractéristique

est présente dès la naissance. Le plus souvent, elle se manifeste aprèsl’apparition des premières dents : le nourrisson se mord la langue,les lèvres ou les doigts sans paraître en souffrir. Elle se révèle parfoisplus tardivement par des lésions traumatiques et des brûlures, dontle caractère indolent et les récidives multiples attirent l’attention.L’analgésie est globale et concerne toutes les douleurs, les autresmodalités somesthésiques (thermique, tactile, proprioceptive) étantconservées. Les réflexes ostéotendineux sont conservés. La forcemusculaire est normale. Il n’existe aucun trouble neurovégétatif. Lestroubles du comportement sont fréquents, mais l’intelligence est leplus souvent normale. Les explorations électrophysiologiques deroutine sont normales. La biopsie nerveuse ne montre aucuneanomalie des fibres. L’indifférence congénitale à la douleurs’accompagne d’une importante élévation du seuil du réflexenociceptif ; ce dernier est renversé par la naloxone, ce qui suggèreun fonctionnement exagéré des systèmes de contrôlesopioïdergiques d’origine centrale.

Conclusion

S’il en était besoin, les tableaux cliniques décrits ci-dessus nousrappellent que ne pas ressentir la douleur, certes, ne procure aucunavantage, mais est particulièrement délétère. Lorsque ce désavantages’associe à des désordres végétatifs, le tableau tourne à la catastrophe.Doit-on s’en étonner ?Les observations issues de l’expérimentation animale et résumées sur laFigure 16 révèlent une indiscutable intrication des systèmes nociceptifset végétatifs, ce qui suggère l’apparentement de la nociception à unsystème homéostatique plus vaste. Ce système permet à l’organisme deréagir aux modifications de l’environnement, notamment lorsque cesdernières sont susceptibles de lui nuire. Il s’apparente à une interfaceentre des fonctions essentielles comme la thermorégulation, lesrégulations cardiovasculaires, la douleur et l’anxiété. La simpleobservation de ce schéma permet de conclure qu’un déséquilibre danscette économie, quelles qu’en soient la nature et l’origine, se traduirapar des modifications concomitantes de plusieurs variables, et rendradifficile la distinction entre ce qui est cause, conséquence ou toutsimplement covariant. Elle incite à replacer la douleur, même considéréesous un angle strictement biologique, dans un contexte beaucoup plusvaste qui englobe un ensemble de sous-systèmes - moteur, végétatif,sensoriel, émotionnel, motivationnel, immunitaire - qu’une approcheréductionniste ne peut étudier globalement. Ce contexte doit cependanttoujours rester présent à l’esprit de celui qui porte un regard, quel qu’ilsoit, sur un patient douloureux. En outre, la douleur ne s’élabore pas ausein d’un cerveau amnésique mais imprégné par son passé, qu’il soitrécent ou plus lointain. Les événements somesthésiques antérieurs,qu’ils soient douloureux (mémoire de la douleur, anticipation de ladouleur probable, etc.) ou non, sont intégrés dans l’élaboration de ladouleur présente. C’est l’ensemble de ces événements permettant àchacun de construire progressivement et inconsciemment son « schémacorporel » qui, de concert avec la proprioception et l’équilibration (maisaussi la vision) chargées pour leur part de notre « schéma postural »,sont des étapes essentielles de l’édification biologique du soi. Saconsolidation progressive et son incessante restructuration sontindéfiniment remises en cause par de nombreux facteurs biologiques etpsychologiques. Ce schéma corporel est très profondément perturbé parun foyer douloureux. Ce contexte doit, lui aussi, rester présent à l’espritde celui qui porte un regard sur un patient douloureux.

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AutoévaluationQuestions

IA Les douleurs « référées » sont des douleurs ressenties au niveau de la région corporelle stimuléeB Les protoneurones à terminaisons libres dont les fibres sont faiblement myélinisées (fibres Ad) ou amyéliniques (fibres C) sont appelésnocicepteurs lorsqu’ils encodent préférentiellement des stimulus nociceptifsC La stimulation des fibres myélinisées de gros calibre (fibres Ab) déclenche la perception de la douleur aiguë chez l’hommeD Parmi les fibres C, le groupe le moins important est celui des nocicepteurs polynodauxE Les nocicepteurs polynodaux répondent à des stimulus nociceptifs très spécifiques

IIA Les nocicepteurs polynodaux sont très sensibles au phénomène de sensibilisationB Les fibres Ab des nerfs cutanés conduisent l’influx nerveux très lentementC Les fibres C constituent 60 à 90 % de l’ensemble des fibres afférentes cutanéesD Les fibres afférentes viscérales sont constituées dans leur quasi-totalité de fibres AdE Les anesthésiques locaux bloquent principalement les canaux sodiques tétrodotoxine sensibles

IIIA L’interleukine (IL) 4 est une cytokine pro-inflammatoireB La cytokine qui a l’effet hyperalgésique le plus puissant est le tumor necrosis factor (TNF) aC Les anti-inflammatoires non stéroïdiens « classiques » sont des inhibiteurs puissants de la seule cyclo-oxygénase 2D La densité des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) augmente au cours de l’inflammationE Le paracétamol est capable d’inhiber la synthèse de prostaglandines et de NO au niveau central

IVA Les récepteurs NMDA, les prostaglandines et l’oxyde nitrique exercent des rétrocontrôles positifs sur les terminaisons centralesprésynaptiques au cours des processus inflammatoiresB Après intégration par les neurones de la corne postérieure, les messages nociceptifs orientés vers les motoneurones des musclesfléchisseurs sont à l’origine des activités réflexesC Les relais majeurs de toutes les informations sensorielles vers le cortex cérébral se trouvent dans le bulbe rachidienD Le « centre » de la douleur est situé dans le thalamusE L’action analgésique de la morphine intrathécale par dépression directe de la transmission des messages nociceptifs à l’étage médullairen’est observée que pour des douleurs affectant la partie haute du corps

VA La douleur dite « physiologique » est perçue en réponse à des stimulations brèves susceptibles de provoquer une lésion tissulaireB Dans la douleur de type « inflammatoire », le seuil de la douleur est augmenté dans la région lésée (hyperalgésie)C Dans la douleur de type « inflammatoire », un stimulus très léger peut devenir intensément douloureux (allodynie)D Dans la douleur de type « inflammatoire », lorsque la lésion initiale guérit, le système de la douleur retourne vers son état defonctionnement physiologique initialE Dans les douleurs dites « neuropathiques », il est observé des douleurs spontanées continues ou paroxystiques

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Réponses

IA Faux : les douleurs « référées » sont ressenties dans une région à distance plus ou moins éloignée de la zone stimulée. Ces douleurs peuventen outre être accompagnées d’une hypersensibilitéB VraiC Faux : la stimulation de ces fibres n’évoque qu’une sensation tactileD Faux : c’est l’inverseE Faux : ces nocicepteurs sont peu spécialisés et totipotents

IIA Vrai : leur seuil d’activation, leur fréquence de décharge, les modalités de leur activation peuvent ainsi évoluer, en particulier au cours del’inflammation. Certains nocicepteurs ne sont d’ailleurs actifs que dans des conditions d’inflammation tissulaireB Faux : les fibres Ab possèdent une importante gaine de myéline et conduisent rapidement l’influx nerveux contrairement aux fibres C, nonmyéliniséesC VraiD Faux : il s’agit des fibres CE Vrai : de la même façon ces canaux sodiques sont bloqués par les antiarythmiques et les anticonvulsivants

IIIA FauxB Faux : IL1b > TNF a > > IL8 > > IL6C FauxD VraiE Vrai

IVA VraiB VraiC Faux : il s’agit du thalamusD Faux : l’idée d’un « centre » de la douleur est abandonné depuis longtempsE Faux : l’effet de la morphine à l’étage médullaire n’affecte que les dermatomes et les viscérotomes thoracolombaires bas situés

VA VraiB Faux : le seuil de la douleur est diminuéC VraiD VraiE Vrai

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