Philosophie, poésie et musique chez Pléthon

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    Colloque international (Para-) Textuelle Verhandlungen zwischen Dichtung und Philosophiein der Frhen Neuzeit / (Para-) textual negotiations between poetry and philosophy in theEarly Modern Period , Munich, 4-6 mars 2010.

    Brigitte Tambrun

    Paris, CNRS, UMR 8584 (Laboratoire dtudes sur les monothismes)

    Philosophie, posie et musique chez Plthon

    Le philosophe grec Georges Gmiste surnomm Plthon (ca. 1360-1452 ou 1454), n et lev Constantinople, a suivi le cursus complet des tudes byzantines, le Trivium et le Quadrivium. Il aensuite son tour dispens un enseignement ; mais suite une protestation manant de lEgliseorthodoxe et portant sur les ides quil dveloppait, Plthon a t envoy, par lempereur ManuelII, dans le Ploponnse, Mistra prs de lantique Sparte, pour devenir le conseiller politique du

    jeune Thodore II que le basileus venait de nommer despots de Mistra.

    Or, bien quil ait enseign les disciplines littraires comme les disciplines scientifiques et nousen avons la preuve par diffrents manuels ou traits qui sont conservs1 le savant GmistePlthon porte dans son ouvrage majeur mais secret, le Trait des lois, un jugement trs ngatifsur la posie. Il refuse dy voir la source de la philosophie et de la thologie. Ne fait-il l quereprendre son compte la distinction classique Byzance entre la sagesse du dehors (thurathen) autrement dit, les disciplines profanes, et la thologie ?

    A la source de toute saine doctrine : les Oracles magiques en vers

    Pour comprendre sa dmarche intellectuelle, il faut rappeler qu lpoque de Plthon, lEmpiredes Romains, que nous appelons lEmpire byzantin, est rduit quelques places fortes et

    quelques petites les2. Cest un empire qui se dit toujours universel, mais qui est presque devenuun empire en Ide, sans territoire, cest--dire sans ralisation terrestre.Le grand problme pour Plthon qui, install dans le Ploponnse, a une famille et deux fils, etmme un domaine dEtat grer (une pronoia)3, est de faire en sorte que les Grecs puissentcontinuer vivre sur leur territoire menac par les invasions turques et les occupations latines, etquils puissent transmettre leur patrimoine la fois familial et hellnique. Or un patrimoinesuppose une origine qui est toujours la ralisation dans le temps dune Ide, et un ancrage dans lesol, sur un territoire. La pense de Plthon est donc une pense de la gnalogie, de largnration, du retour du mme, mais il sagit toujours de relier lorigine et sa ritration, unlieu terrestre.

    Le projet de Plthon est donc daccompagner une rgnration de lEmpire des Romains, par desrformes politiques, conomiques, religieuses et philosophiques. Cette rgnration comporte :premirement, la reconqute puis la conservation des territoires occups par les Latins et lesTurcs, commencer par le Ploponnse quil faut fortifier au niveau de la murailledHexamilion sur lIsthme de Corinthe 4 ; deuximement, le redmarrage de la politeia

    1 Voir les rfrences dans B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, Paris, Vrin, 2006, p. 49-50.2Mmoire pour Thodore, d. S. Lambros, Palaiologeia kai Peloponnsiaka, Athnes, t. IV,1930, (p. 113-135), p. 129, 13-17.3 Voir les rfrences dans B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 41.4 Sur la reconqute du Ploponnse au dbut du XVe sicle, voir D. Zakythinos,Le despotat grecde More, t. I, Histoire politique, t. II, Vie et institutions, Athnes, 1953, Londres, Variorum,1975 (et un bref rsum dans B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 39-41).

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    hellnique partir de la rgion de Sparte (Mistra). Tout ceci ncessite une restructuration de lasocit et la mise en place dune politique dautarcie conomique et dautonomie militaire, maisaussi une nouvelle lgislation qui elle-mme suppose une saine doctrine religieuse etphilosophique, et notamment le retour la philosophie platonicienne qui seule permet decomprendre en quoi peut consister lorigine, cest dire la ralisation, et la ritration des

    archtypes dans le temps et lespace. Il faut en effet, explique Plthon, quil y ait un accord entrela doctrine religieuse, la philosophie, et les ides qui concernent lorganisation politique. Or unesaine doctrine religieuse ne peut selon lui se fonder que dans un texte inspir, maisphilosophique et en vers, qui doit faire concurrence la Bible.Plthon considre en effet que le monothisme, celui des chrtiens, qui est trinitaire, ou celui desJuifs et des Arabes qui pose un dieu seul et unique, nest pas favorable la conservation desempires. Le monothisme est une forme dathisme, comme lavait dj soulign lempereurJulien au IVe sicle et mme avec humour un auteur que Plthon lit et dont il copie des extraits,Lucien de Samosate5. Il sagit donc de trouver un texte extrmement ancien qui puisse faireconcurrence au Pentateuque, ce que lon appelle les Oracles de Mose 6, texte de rfrencepour les trois religions monothistes. Or, le Mnippe de Lucien de Samosate ne se disait-il pasavec humour, dans lIcaromnippe, accabl par une telle pnurie de Dieux ? Au texte inculte,non philosophique, du Pentateuque, Plthon entend substituer une rfrence concurrente, des Oracles beaucoup plus anciens.Lucien de Samosate lui indique la voie sur le ton de la plaisanterie : pour chapper auxcontradictions des philosophes quil avait frquents, Mnippe allait consulter un personnage quidevait le guider dans les enfers pour interroger le devin Tirsias. Or ce guide que Mnippe allaitconsulter Babylone tait un mage disciple de Zoroastre7. Lucien samuse en dcrivant ce magesous les traits dun chalden cest--dire dun magicien qui pratique la gotie. Plthon pense sansdoute quil y a un fond, une trace, de vrit, dans ce que dit Lucien : il faut seulement dtordre son discours. Mais o retrouver les Oracles des mages disciples de Zoroastre qui

    pourraient faire concurrence aux Oracles de Mose 8 ?Dans sa jeunesse, Plthon a vcu en milieu ottoman, la cour dAndrinople, chez un Juif lettrqui se nommait Elisha (Elissaios) et qui tait un bon connaisseur des commentaires persansdAristote, et donc de traditions persanes sur Zoroastre9. Or ce savant met Plthon sur la pistedes Oracles des mages disciples de Zoroastre : ce seraient les Oracles que lon appelle chaldaques ; ils sont exprims dans une langue littraire et non vulgaire, ils sont crits engrec, en hexamtres dactyliques. Plthon possde la collection de ces Oracles que MichelPsellos a constitue au XIe sicle 10 . Il najoute aucun des Oracles conservs par lesnoplatoniciens, ce qui montre quil considre que la collection est complte. Comme cesOracles ont t selon lui contamins par le chaldasme, cest--dire la vulgaire magie dont

    5 Sur les recueils de textes copis par Plthon et conservs la Biblioteca Marciana de Venise,voir B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 50.6 Voir par exemple Justin, Prologue du Dialogue avec Tryphon ; cf. B. Tambrun, Plthon. Leretour de Platon, p. 91-92.7 B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 63.8 B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 92.9 Comme la montr M. Tardieu, Elisha tait un bon connaisseur, sinon un adepte de lcole deSohraward : voir les rfrences dans B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 36-37 et n.10 ; p. 92-93.10 Publie dans . des Places, Oracles chaldaques avec un choix de commentaires anciens,Paris, Les Belles Lettres, 1971, p. 162-186 ; D. J. OMeara, Michael Psellus, Philosophicaminora, vol. II, p. 126-146.

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    parle Lucien , Plthon retranche tous ceux qui peuvent voquer la gotie ou des pratiquesthurgiques. En outre, il restaure les hexamtres et trouve des solutions mtriques qui anticipentcelles que Kroll proposera dans son dition des Oracles11. Il donne un nouveau titre lacollection : il ne parle jamais d Oracles chaldaques , mais des Oracles magiques des magesdisciples de Zoroastre 12, indiquant par l quil faut comprendre le terme de mage au sens de

    sage comme lindiquent bien les sources grecques. Enfin, il rorganise compltement lacollection transmise par Psellos de telle sorte que le plan suit une progression qui va de lapsychologie (le devenir de lme) la thologie, en passant par la pratique religieuse.Cette uvre philosophique en vers qui a en ralit t compose lpoque du moyen-platonisme, est appele concurrencer les Oracles de Mose , car selon les sources grecques,et notamment Plutarque (De Iside 369 D), Zoroastre aurait vcu 5000 ans avant la guerre deTroie13. Pythagore, Platon, puis les platoniciens et enfin Georges Gmiste dit Plthon, seraientles hritiers fidles de la doctrine des mages perses disciples de Zoroastre. Si lon fait un calcul car Plthon qui tait fru de tables dastronomie14 , on saperoit que ce Zoroastre ancien estantrieur de 674 ans la cration du monde par le dieu biblique15, ce qui disqualifie videmmentla tradition monothiste dun seul coup.Les Oracles magiques dont Plthon propose un Commentaire16, parce quils sont crits dans desvers difficiles comprendre, prsentent videmment une thologie polythiste, mais trsstrictement hirarchise : un premier dieu, le Pre, un dieu issu du premier (le Nous ou lIntellectpaternel) qui lui-mme produit un monde de ralits divines idales trs organis, que lesOracles dsignent par le terme de les Iynges ( ) cest--dire de charmes .Or, il faut bien comprendre que cette thologie des Oracles magiques, donc de ce texte en vers,sert de fondement tout le systme philosophique de Plthon et de base toutes ses rformesreligieuses et politiques. Cest la matrice de la thologie dveloppe du Trait des lois17 ,louvrage ouvertement polythiste de Plthon, qui ntait connu que dun petit cercle trsrestreint de disciples srs.

    Ainsi, cest un texte philosophique crit dans une langue savante trs pure, en hexamtres, et quiserait lui-mme la traduction grecque dune oeuvre de trs haute antiquit, exprime dans unelangue trs ancienne (celle des Mdes ou des Perses), qui doit servir de rfrence ultime et desource la saine doctrine .Tout ceci prsuppose une certaine ide de la sagesse : les origines de lhumanit sont desorigines trs savantes ; ds lorigine, les hommes disposent de lintgralit de la sagesse ; celle-cina pas t acquise progressivement dans lhistoire. Mais en ralit, elle a deux sources : elle se

    11 Voir M. Tardieu, Plthon lecteur des Oracles ,Mtis 2 (1987), p. 141-164.12

    .

    . Oracles chaldaques. Recension de Georges Gmiste Plthon. dition critique avecintroduction, traduction et commentaire par B. Tambrun-Krasker. La recension arabe des par M. Tardieu, Corpus Philosophorum Medii Aevi, Philosophi Byzantini 7,Athens-The Academy of Athens, Paris, Librairie J. Vrin, Bruxelles, ditions Ousia, 1995(dsormais cit :Magika logia)13Magika logia, p. 19, 20-22.14 Voir Plthon (Georges Gmiste),Manuel dastronomie, par A. Tihon et R. Mercier, Corpusdes astronomes byzantins IX, Louvain-la-neuve, 1998.15 B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 85.16 Voir ci-dessus n. 12.17 Plthon, Trait des lois, dition C. Alexandre, traduction A. Pellissier, Paris 1858, rd.(partielle) R. Brague, Paris, Vrin, 1982.

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    trouve soit sous forme de logia exprims dans une langue pure, et issus de rvlations divines18,soit dans lintellect humain sous forme de sumbola que les dieux ont inscrits en nous19. Cesrvlations comme ces symboles sont tous parfaitement rationnels. La sagesse est surtoutconcentre ; elle est tout entire dans lorigine qui est pleine, et il faut la dployer par lecommentaire ; il faut aussi la rpter, la ritrer. Dun pays lautre, dun genos lautre, dune

    langue lautre, il existe donc des quivalences linguistiques, qui se rfrent toutes la mmesagesse divine. Il est clair que pour Plthon les Oracles magiques des mages disciples de

    Zoroastre ont t traduits du persan en grec.

    Condamnation de la posie

    On pourrait sattendre ce que Plthon, qui est platonicien, considre, comme lesnoplatoniciens, les potes grecs comme des thologiens. Or, ce nest pas du tout le cas.Rappelons que les philosophes noplatoniciens, confronts la monte du christianisme quilsconsidraient comme une doctrine inculte et athe, taient soucieux de conserver et de sauvertoute la culture hellnique. Ils devaient contrer les attaques des chrtiens, qui depuis les Presapologistes, cherchaient prouver la fausset de la philosophie, dune part, en montrant ledsaccord des philosophes entre eux et, dautre part, en expliquant que les rcits des potes surles dieux grecs taient immoraux, puisquils comportaient, entre autres horreurs, des meurtres etdes adultres. Les philosophes se dfendaient dune part en sefforant de montrer quil y avaitaccord, et non dissension, entre les philosophes (Aristote et Platon) 20 , et dautre part enexpliquant que les mythes traditionnels, vhiculs par la culture grecque ntaient pasmonstrueux, car quil fallait dpasser leur signification littrale et vulgaire, populaire, pour enmontrer par une interprtation philosophique, le sens profond parfaitement pur et saint,concordant avec la philosophie. Ctaient mme les invraisemblances des mythes des potes quiindiquaient quils dissimulaient des vrits et des dogmes divins cachs21.

    Ainsi, selon Origne22, le paen Celse recommandait de prendre pour guides (hodgoi), les sages ou philosophes , entre autres Platon matre plus efficace en matire de thologie , etles anciens potes, Homre, Orphe, Hsiode. Pour satisfaire au double besoin de concordismeet dinterprtation philosophique des mythes, les noplatoniciens accordaient et hirarchisaiententre eux les textes philosophiques : luvre dAristote tait devenue, dans le cursus des tudesnoplatonicien comme une propdeutique luvre de Platon. Quant aux potes, Orphe,Homre, Hsiode, ils taient considrs comme des thologiens qui faisaient autorit, linstar

    18Trait des lois, p. 32, 5 ; p. 42, 14 ; p. 86, 14 ; cf. Rplique Scholarios, p. 392, d. B.Lagarde ( Georges Gmiste Plthon : Contre les objections de Scholarios en faveur dAristote

    (Rplique) , Byzantion 59 (1989), p. 354-507) ; voir aussi le commentaire de Plthon surlOracle 11 de sa collection (Magika logia, p. 2 et p. 9).19 Conformment lenseignement des Oracles magiques des mages disciples de Zoroastre :

    Magika logia, commentaire de lOracle 27, p. 16, 6-9.20 Pour oprer ce sauvetage, Syrianus, par exemple, proposait une sumphnia, un Accord entreOrphe, Pythagore, Platon et les Oracles chaldaques (Porphyre tant le premier philosophenoplatonicien avoir propos un commentaire sur les Oracles chaldaques): voir Proclus,Thologie platonicienne, d. H.-D. Saffrey et L.-G. Westerink, t. I, Paris, Les Belles Lettres,1968, Introduction, p. LVII.21 Voir I. Hadot : Simplicius, Commentaire sur les Catgories, Traduction commente sous ladirection de I. Hadot, Fascicule I, Introduction, Premire partie. Traduction de Ph. Hoffmann.Commentaire et notes la traduction par I. Hadot, Leiden, E. J. Brill, 1990, p. 108-122, p. 117.22Contre Celse VII, 41 et 42.

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    de Platon23. Les Oracles chaldaques obtenaient un statut tout fait minent et spcial puisquectait dans ltude de cette uvre de posie philosophique, contemporaine des mdio-platoniciens, et commente pour la premire fois par Porphyre, que culminait le long cursus destudes noplatoniciennes. Les Oracles, lesLogia, constituaient mme une autorit qui permettaitde rsoudre les problmes exgtiques lorsquil y avait conflit entre plusieurs interprtations24.

    Dans lEssai sur la vie et la posie dHomre attribu Plutarque, et que Plthon connat25,Homre est considr comme la source de toute la philosophie et mme des diffrentes sectesphilosophiques (Pythagore, Platon, Aristote, les stociens). Les philosophes, comme leshistoriens et les orateurs, auraient trouv dans ses pomes pour ainsi dire des germes de discourset de toutes sortes de traits (ch. VI). Sil y a parmi les philosophes une grande varitdopinions, elles sont presque toutes puises dans Homre (ch. CXXII). Les erreurs dEpicure oudAristippe proviendraient dailleurs dune mauvaise interprtation de certains de ses textes : cesphilosophes se seraient laisss garer par des discours quHomre aurait insrs dans ses pomessans les approuver et seulement pour saccorder certaines circonstances (ch. CL). LuvredHomre est prsente comme une sorte dimmense encyclopdie laquelle tous les auteursdes sicles suivants auraient fait des emprunts. Or, lattitude de Plthon est trs diffrente. Ilprend mme le contre-pied de lEssai sur la vie et la posie dHomre.Rappelons quAristote (Potique, 1447 b 17-23) prfre appeler naturalistes ()plutt que potes , ceux qui exposent en vers des sujets de mdecine ou de physique. SiHomre est appel un pote, Empdocle qui sexprime en vers, est plutt un naturaliste. En effet,les textes scientifiques ne sont pas des textes dimitation, alors que la posie, selon Aristote,rside avant tout dans limitation.Plthon dissocie lui aussi les uvres philosophiques en vers (les Oracles magiques ; les Versdor des pythagoriciens), de la posie (Homre, Orphe, etc.), mais pour des raisons un peudiffrentes. Selon lui, les potes, comme les sophistes cest--dire toute lapologtiquechrtienne , auraient dform la vrit originelle dlivre, comme on la vu, par les dieux26.

    23 Proclus, Thologie platonicienne, d. H.D. Saffrey et L.G. Westerink, t. I, Introduction, p.LVII. Sur lexgse dHomre, voir Proclus, In Rempublicam, I, 60-205, d. W. Kroll, I-II,Leipzig, Teubner 1899-1901, rimpr. Amsterdam 1965 ; A.J. Friedl, Die Homer-Interpretationdes Neuplatonikers Proklos, Inaug. Dissert. Wrzburg, 1936 ; F. Buffire,Les mythes dHomreet la pense grecque, Paris, Les Belles Lettres, 1956, 19732, p. 25-31 ; 531-540 ; 541-558.24 Voir la communication de Ph. Hoffmann, lors du colloque international sur Les oracleschaldaques , dir. Lucia Saudelli et Adrien Lecerf, Paris, EPHE, CNRS (UMR 8584), ENS, 27

    juin 2009 ( paratre).

    25 Dans laRplique Scholarios (p. 476-477, d. B. Lagarde), cest au ch. CXXVIII de lEssaisur la vie et la posie dHomre, que Plthon se rfre lorsquil dit que la thorie du pneumavhicule de lme est attribue (sans doute tort) par Plutarque Aristote ; cette source achapp B. Lagarde, L.G. Benakis et E.V. Maltese : voir la note 251 de B. Lagarde. PourlEssaisur la vie et la posie dHomre du Pseudo-Plutarque, voir ldition suivante : Essay onthe life and poetry of Homer, d. et trad. J.J. Keaney et Robert Lamberton, American classicalstudies 40, Atlanta (Ga) Sholars Press, 1996.26 De Plthon, il existe un texte indit de quelques pages Sur Homre et lIliade.Il est prsentpar exemple dans le manuscrit de Le Barbier (coll. prive), aux folios 66-67. Il sagit dune ViedHomre qui servait dintroduction un cours que Plthon dispensait sur lIliade. On sait quePlthon avant dtre envoy Mistra enseignait Constantinople et quil a eu par exemple pourlve Marc Eugnikos, le futur Marc dEphse : voir les rfrences dans B. Tambrun, Plthon leretour de Platon, p. 37-38. Sur le genre littraire des Vies dHomre , voir par exemple

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    Dans la doctrine originelle, le sens et la forme sont en parfaite correspondance, en harmonie. Lavrit sexprime dans une langue pure, dans les formes mtriques qui conviennent, cest--direen hexamtres dactyliques27. Les potes conservent bien la forme mtrique initiale, mais commeleur but est de divertir et de charmer le public, ils dforment la doctrine originelle enproposant des fictions plaisantes28 ; ils lui font subir des distorsions (

    )29.

    Quant aux sophistes cest--dire aux thologiens chrtiens avec qui les potes sontconstamment mis en parallle, ils font passer pour des rvlations originelles, des doctrinescompltement corrompues ; ce sont des illusionnistes. De plus, il faut comprendre que la languedans laquelle ils sexpriment est vulgaire : cest une langue dcadente du point de vue de Plthonqui sexprime toujours en grec classique (attique) : En effet, les potes et les sophistesmalfaisants, si nombreux ne donner manifestement ni les uns ni les autres aucune raisonvalable de ce quils avancent en toute occasion, prtendent les uns comme les autres que cestpar une inspiration des dieux, qui soi-disant leur vient souvent, quils sont instruits de ce quilsdisent 30.Les potes ne doivent donc pas tre considrs comme des guides fiables pour la thologie ; et

    contrairement ce que tente de dmontrer le pseudo-Plutarque dans lEssai sur la vie et laposie dHomre31, Homre nest pas la source de toute la philosophie grecque32. Au contraire,dans la recherche, entre des opinions contradictoires, de la doctrine vraie, les potes comme les sophistes (les chrtiens) sont de bien mauvais guides : Les potes, dune part, sont souventdes flatteurs et ont commerce avec les gens pour le plaisir, mais ils ne se soucient absolumentpas de la vrit et de ce qui est le meilleur 33. Les potes comme les sophistes , rabaissentles affaires des dieux un niveau plus humain, lvent les affaires humaines un niveau plusdivin que ce qui convient lhomme, mettent tout sens dessus dessous, causant le plus grand tort ceux qui se fient eux 34.

    Homeric Hymns, Homerica apocrypha, Lives of Homer, d. et trad. Martin L.West, Loebclassical library 496, London, Cambridge, Harvard University Press, 2003.27 La perfection de lhexamtre dactylique est classiquement souligne par le Pseudo-Plutarque,dans lEssai sur la vie et la posie dHomre (VII) que Plthon semble avoir en tte, comme parAristide Quintilien, De musica, d. Winington-Ingram, p. 47, trad. Duysinx, p. 106 (voir lesrfrences compltes ci-dessous la note 75).28 Plthon semble ainsi corriger dessein la thse de lEssai sur la vie et la posie dHomre (ch.VI) attribu Plutarque.29 Trait des lois, p. 2, d. Alexandre, traduction modifie ; voir L. Couloubaritsis, Lamtaphysique de Plthon. Ontologie, thologie et pratique du mythe , Images de Platon etlecture de ses oeuvres, dit par Ada Neschke-Hentschke (Lausanne), Louvain-Paris, ditions

    Peeters, 1997, p. 139.30 , ,

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    , Trait des lois, p. 34.31 Voir ci-dessus, n. 25.32 Sur cette question largement dbattue dans lantiquit tardive, voir A.J. Droge, Homer or

    Moses ?Early Christian Interpretations of the History of Culture, Tbingen, Mohr, 1989.33

    ,

    , Trait des lois, p. 28.34

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    La posie doit donc tre rserve au seul divertissement : Ainsi les potes, dune part, colorantce quils disent, par llgance des noms et du rythme, et sduisant ainsi ceux qui les coutent,trompent ceux qui ne sont pas capables de faire la part entre le charme des noms et du rythme, etla beaut ou linsanit de ce quils disent. A vrai dire, le problme pour eux ne serait pas tant depersuader, mais seulement de charmer les auditeurs, quils les persuadent ou non ; mais ils

    semblent agir sur certaines personnes plus quils ne le voudraient 35.En ralit, lpoque de Plthon, personne nest dupe, de la thologie homrique ! La posie estclairement considre comme faisant partie de la sagesse du dehors (de la sagesse profane).Le but de Plthon est donc de dnoncer la thologie chrtienne, en assimilant systmatiquementles thologiens chrtiens des potes ! Toute cette rflexion sur la posie sinscrit en fait dansune tactique anti-monothiste.

    Dtordre la posie

    Plthon condamne donc clairement la posie, au profit des doctrines philosophiques originelles,transmises en vers. Pourtant, selon lui, la posie conserve des traces, des vestiges de la vritphilosophique et si lon recueille ces traces, on peut dtordre ce que les potes ont tordu36 :on peut remonter de ce qui est corrompu une doctrine saine.Cest ce qui se passe avec un vers orphique que Plthon considre comme juste dun point devue philosophique, et cite deux reprises dans la Rplique Scholarios37: car dans lopinioncommune des Grecs dominait surtout cette croyance que de Zeus toutes choses ont surgi 38 ; et aussi ce que je cite dOrphe, bien antrieur [ Aristide Aelius] : de Zeus, dit-il, touteschoses ont surgi 39. Mais Plthon prend soin aussitt de rappeler quil faut user de prudenceavec les potes40 : Les Grecs avaient de lindulgence pour les potes, lorsque leurs chantscomportaient quelque chose de choquant envers les dieux (ce qui tait frquent), car les potesglissent dans les fictions 41 ; mais contre les sages qui se permettaient le mme cart, ils

    sirritaient fortement. Anaxagore courut le danger dtre accus pour impit 42.

    ,

    , Trait des

    lois, p. 28.35

    ,

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    []

    .

    , []

    , ,

    ' '

    ' . , Trait des lois, p.

    34.36 Voir ci-dessus, note 29.37 Rappelons que pour Diogne Larce (Vitae philosophorum, Prooemium, 5), ceux qui veulentattribuer aux trangers linvention de la philosophie, prsentent Orphe comme le plus ancienphilosophe.38 [] (

    ) , dition B. Lagarde, p. 397.39 []

    ,

    ,

    dition B. Lagarde, p. 421.40Voir Rplique, p. 421, et Trait des lois, p. 29, p. 35 et surtout p. 131.41Rplique, p. 421. Le terme de huponoia est employ par Platon,Rpublique, II, 378 d 6.42

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    Remplacer les mythes potiques par des mythes corrects

    Plthon ne condamne pas la posie parce quelle fournit des mythes. Suivant Platon (RpubliqueII, 377 b), il estime en effet que la forme mythique peut avoir une utilit pdagogique pour tous

    ceux qui ne sont pas capables de spculations philosophiques difficiles et donc notamment pourle peuple. Il prconise donc de remplacer les mythes dforms des potes, par des mythesphilosophiques. Dans sa Dfense dAristote (Contre les difficults de Plthon au sujetdAristote)43, Georges Scholarios soutient que lobscurit dAristote convient un sage, lelangage color de Platon davantage un pote, pour ne pas dire un genre encore infrieur 44.Plthon rtorque alors : La forme mythique peut avoir quelque fondement. Si les mythes, eneffet, ntaient remplis de bavardage dans la mesure o ils viennent des potes, ils fournissent la foule, qui ne peut atteindre la profondeur de la pense, une comprhension qui soit saporte 45 ; cest ce quoi Platon aussi sappliqua, par philanthropie, la suite dautresthologiens. Dtournant des mythes pervers des potes la foule prise de mythes, lui-mme, pardautres mythes bienfaisants46, donna cette foule aussi de comprendre quelque chose du divin,qui ne lui ft pas trop tranger, afin que les sages et la foule puissent ensemble y accder quelquepeu47. De lobscurit du style, les sages retireront un effort supplmentaire, l o il tait possiblede penser avec moins de peine, la foule, elle, nen recueillera pas le moindre avantage 48. Cest

    .

    '

    [] ,dition B. Lagarde, p. 421 ; traduction de huponoia modifie. Cf. Diogne Larce, Vies etdoctrines des philosophes illustres, II, 12-13 ; Souda, art. Anaxagoras (n1981 ;Harpocration et Hsychius) : Suidae Lexicon, d. A. Adler, pars I, Stuttgart, Teubner, 1928, 1971,p. 178, 1-14.43

    Dans Scholarios (Georges Gennade), Oeuvres compltes, Paris 1928-1936, d. L. Petit, X. A.Sidrits, M. Jugie, I-VIII, Paris 1928-1936, t. IV, p. 1-116.44 Texte cit par Plthon dans saRplique Scholarios, p, 382, d. B. Lagarde.45 Voir Nicphore Grgoras, Florentios, 965-967.46 Comparer notamment avec les Prolgomnes la philosophie de Platon, 7, 24-8, 2, p. 11-12 (d. L. G. Westerink, Paris, Les Belles Lettres, 1990) ; Proclus, Commentaire sur la

    Rpublique (VIe dissert.), I, 71-86 ; 159-163 (d. W. Kroll, Leipzig, Teubner, 1899) ; Thologieplatonicienne, I, 4, p. 21, 1-22, 7 (d. H.-D. Saffrey et L. G. Westerink, Paris, Les Belles Lettres,1968) ; Ammonius,In Aristotelis De interpretatione commentarius, C.A.G. IV (2), d. A. Busse,Berlin, 1895, p. 249, 1-25 ; Jean Philopon,In Aristotelis De anima libros commentaria, d. M.Hayduck, C.A.G. XV, Berlin, 1897, p. 69, 30-70, 2 ; 116, 23-26 ; Olympiodore, In Platonis

    Gorgiam Commentaria, d. L. G. Westerink, Leipzig, Teubner, 1970, p. 237, 24-239, 30 ; 242,18-243, 15.47 Voir L. Couloubaritsis, La mtaphysique de Plthon. Ontologie, thologie et pratique dumythe , p. 135-140.48

    .

    ,

    .

    ,

    , ' .

    , ' ,

    ,Rplique Scholarios, p. 382-385, d. B. Lagarde.

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    genos ayant un sens gnalogique et non gnrique : il associe la ligne au sol, cest dire lapatrie56. Les noms des dieux sont des noms patriotiques57.

    Emploi pdagogique de citations de textes en vers

    Pour terminer sur ce point, il faut faire mention de deux citations de textes en vers, qui setrouvent dans la Rplique Scholarios. Elles sont toutes les deux employes dans un butpdagogique : la courte citation dun texte en vers est ici utilise comme une maxime ou unaphorisme qui fait autorit et dont on doit suivre le mot dordre ou lexemple, lorsque lon nestpas encore capable de raisonner philosophiquement et que lon sentte dans des prjugs. Cetusage pdagogique de la citation, qui nous montre lun des aspects de lenseignement littraire Byzance, est dailleurs dj recommand par Plutarque dans le cadre dun enseignementprparatoire la philosophie58. Dans laRplique Scholarios, la premire citation est constituede trois Vers dor pythagoriciens 59 . La seconde, la fin de louvrage, est une citationdEuripide 60 : il sagit de montrer que lhomme qui se plat en mauvaise compagnie est

    56 Voir Porphyre,Isagoge, I, 2, traduction par A. de Libera et A. -Ph. Segonds, Paris, Vrin, 1998,p. 2 :

    , ( et de

    fait, la patrie est une sorte de principe de la naissance de chacun, tout comme le pre ). Sur ladiffrence entre le genos au sens gnrique et au sens gnalogique, voir B. Tambrun, Plthon.

    Le retour de Platon, p. 175-185.57 Ainsi, Plthon crit lempereur Manuel II Palologue : [] nous, que vous gouvernez etdont vous tes lempereur nous sommes Hellnes de genos, comme lattestent notre langue et laculture de nos pres. Et pour les Grecs il nest pas possible de trouver un pays qui leur soit pluspropre et qui leur convienne mieux que le Ploponnse et toute la partie de lEurope qui lui est

    contigu ainsi que les les adjacentes. En effet, cest manifestement le pays que les Grecs eux-mmes ont toujours habit, du moins daprs les souvenirs que les hommes ont conservs ;personne dautre ne lavait habit avant eux et aucun tranger ne la occup (

    ,

    .

    ,

    [...] , d. S. Lambros, op. cit., t. III, p. 247,14-248,5).

    58 Voir par exemple C. Brechet, Vers une philosophie de la citation potique : crit, oral et

    mmoire chez Plutarque , dans Plutarchs Philosophical Tactics (Dublin, Trinity College,juillet 2005),Hermathena 182, p. 101-134.59Rplique Scholarios, d. et trad. B. Lagarde, p. 422-423, Vers dor pythagoriciens, 40-42, d.A. Farina, Collana di studi greci 35, Naples, 1962, p. 23 :

    ' ' ,

    ; '; ; Naccueillez pas le sommeil sur vos yeux assoupis,

    avant davoir parcouru trois fois chacune des actions de la journe.En quoi ai-je transgress ? Quai-je fait ? Que nai-je pas accompli ce qui devait ltre ?

    60 P. 498-499, d. B. Lagarde ; Euripide, Phoenix, dans Tragicorum Graecorum Fragmenta, rec.A. Nauck, Hildesheim, 1964, fr. 812, 7-9, p. 623 :

    '

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    semblable ceux quil frquente61 ; Plthon veut faire comprendre Scholarios qui sentte danslaristotlisme et le thomisme, quen compagnie dAristote, il se trouve en fort mauvaisecompagnie. Cest le coup de bton final dun vieux matre agac, larrogant born qui aurait putre son lve !

    Composition dHymnes aux dieux

    Plthon compose pour sa part des Hymnes aux dieux strictement philosophiques. Il sont aunombre de 27 (soit 3 X 3 X 3). Chacun comporte neuf vers, que lon doit scander dans le tonde lhexamtre 62 , le mtre hroque tant selon lui le plus beau des rythmes 63 . La

    justification est rythmique : le mtre hroque ne comporte que deux pieds : le dactyle (unelongue pour le temps frapp, deux brves pour le temps lev) et le sponde (une longue pour lefrapp, une longue pour le lev) : Ainsi ces deux pieds commenant tous deux par une longueet se terminant au temps lev, tant de plus gaux pour la mesure, donnent ce rythme uncaractre de noblesse dont nul autre napproche 64. Le temps fort se situe donc sur la premiresyllabe de chaque mtre.A la suite de cesHymnes en vers, Plthon donne dans le Trait des lois, des Instructions pourlusage des allocutions et des hymnes 65 (les Allocutions aux dieux ne sont pas en vers). Ildonne pour lanne entire un emploi du temps extrmement prcis et trs contraignant qui varieen fonction de lheure de la journe, des jours ordinaires et des jours consacrs (). Dece long expos trs dtaill, nous retiendrons que les Hymnes sont tantt seulement scands,tantt chants. Lorsquils sont chants, ils le sont selon les harmonies musicales dfinies parPlaton dans laRpublique (III, 398-399). Ces harmonies ont comme chez Platon un caractrethique : elles sont propres favoriser un comportement vertueux. Il faut comprendre quenaccordant les parties de lme comme les cordes dune lyre, elles accordent la cit humaine aumonde et la communaut des dieux. Il est clair pour Plthon quelles nont aucune efficacit

    sur les dieux qui sont parfaitement immuables : elles nous accordent aux dieux.

    '

    Un homme qui se plat en mauvaise compagnie,Je ne me suis jamais enquis de lui, sachant

    quil est tel que ceux quil se plat frquenter 61 P. 499, n. 306, d. B. Lagarde (dans Georges Gmiste Plthon : Contre les objections deScholarios en faveur dAristote (Rplique) ,Byzantion 59 (1989), p. 354-507).62

    [...] , Trait des lois, p. 228.63Trait des lois, p. 228 ; cf. par exemple, Aristide Quintilien, De musica, d. Winington-Ingram, p. 47, trad. Duysinx, p. 106 (rfrences compltes ci-dessus, note 75).64 [...]

    ,

    ,

    ,

    , Trait

    des lois, p. 228-229, d. Alexandre, traduction lgrement modifie. Sur la vertu de noblesse (

    ) qui est lune des parties du courage, voir le traitDes vertus de Plthon (Georges

    Gmiste Plthon, Trait des vertus. dition critique avec introduction, traduction etcommentaire, Corpus Philosophorum Medii Aevi, Philosophi Byzantini 3, Athens-TheAcademy of Athens, E. J. Brill, Leiden, 1987), p. 4, 7, 15, 21, 23, 28. Plthon semble ici suivrelEssai sur la vie et la posie dHomre (VII) du Pseudo-Plutarque.65

    , p. 228-241. Le chapitre ne nous est pas

    parvenu en entier.

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    Le trait de musique de Plthon intitul Sur quelques points des rapports musicaux, se trouve la fin de ldition du Trait des lois66. Cest ce trait de musique qui a dailleurs donn A. J.-H.Vincent qui menait des recherches sur la musique grecque antique, de sintresser aux fragmentsdu Trait des lois qui se trouvaient dans les mmes manuscrits67. Il comporte classiquement deslments dharmonique (commenant par la phonologie), de rythmique et de mtrique. Il sagit

    comme le petit trait Sur Homre et lIlliade 68 dun ouvrage de Plthon destin lenseignement69.Pour lharmonique, Plthon dfinit les intervalles selon une approche strictementpythagoricienne, par des rapports mathmatiques de proportion se rapportant la longueur descordes70. Rappelons quun rapport harmonique est un rapport superpartiel (ou pimore) : lenumrateur y est suprieur dune unit au dnominateur : (n+1)/n. Lintervalle fondamental() est, rappelle Plthon, le ton (

    ) de rapport (

    ) 9/8 (epogde ou au dessus

    du huit ). Plthon dfinit ensuite dans lordre : le systme pitrite 4/3 (la quarte), compos dedeux tons et dun intervalle infrieur un demi-ton ce qui montre nouveau que Plthonsinscrit dans le courant pythagoricien et non aristoxnien. Il dfinit le plus petit intervalle

    perceptible, la diesis (

    ), par le rapport 33/32 (ou 34/35 selon dautres manuscrits)

    71

    . Ilconsidre lpitrite 4/3 (quarte), comme le systme (intervallique) premier (). Toutsystme (intervallique) se rsout en pitrite 4/3 (quarte) et hmiole 3/2 (quinte), lhmiolesurpassant lpitrite dun ton. Pour la composition de loctave qui est, explique Plthon, de sixtons, ou mieux de cinq tons et deux demi-tons, et de rapport 2, il existe deux possibilits : soitlpitrite et lhmiole (quarte et quinte), soit deux pitrites et un ton (deux quartes et un ton). Leton est classiquement considr comme la diffrence entre la quarte et la quinte ; il est donc,conformment lenseignement des pythagoriciens, le pivot central du systme que constitue

    66 ' , p. 459-465 de ldition de 1858 ; il ne se trouve pas dansla rimpression de 1982 (Paris, Vrin).67 Voir la notice prliminaire au Trait des lois, p. I-IV.68 Voir ci-dessus, note 62.69 Sur lenseignement universitaire Byzance voir en gnral F. Fuchs,Die hheren Schulen vonKonstantinopel, Stuttgart, 1926, rimpr. Amsterdam, 1964 ; pour le XIIIe et XIVe sicles, voir laprface (notamment p. XVII-XXXIII) de V. Laurent ldition du Quadrivium de GeorgesPachymre, , par P. Tannery, Texte rvis et tabli par leR.P.E. Stphanou, Studi e testi 94, Citt del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1940 ;pour le XVe sicle, on peut se reporter aux travaux de M. Cacouros, notamment : Un manuelde logique organis par Jean Chortasmnos et destin lenseignement , Revue des tudes

    Byzantines, 54 (1996), p. 67-106 ; Jean Chortasmnos Katholikos didaskalos , Synodia, acura di U. Criscuolo e Riccardo Maisano, Naples, M. dAuria editore, 1997, p. 83-107.70 Sur les deux principaux courants, pythagoricien (sintressant exclusivement aux rapportsmathmatiques) et aristoxnien (privilgiant lapproche par lcoute), et la tentative deconciliation effectue par Claude Ptolme, voir la synthse de A. Blis, Harmonique , dans J.Brunschwig, G. Lloyd (dir.),Le savoir grec. Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, p. 352-367. Les traits de musique les plus importants dans la dernire priode de Byzance sont ceux deGeorges Pachymre (deuxime partie du Quadrivium, voir ci-dessus, note 69) et de ManuelBryennios (The Harmonics of Manuel Bryennius, d. et trad. anglaise par G.H. Jonker,Groningen, Wolters-Noordhoff, 1970) ; voir aussi Thodore Mtochite, d. Ioannis Polemis,Peri tou mathmatikou eidous ts philosophias kai malista peri tou harmonikou, Classical andByzantine monographs 61, Amsterdam, A.M. Hakkert, 2007.71 Voir Trait des lois, n. f, p. 465-466.

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    loctave compos de deux quartes et dun ton central72. Notons ici que les intervalles dfinis parces rapports mathmatiques, ne sont pas ceux du temprament galis du piano (la quarte juste4/3 dont parle Plthon est un peu plus basse que celle du piano et la quinte juste 3/2, un peu plushaute ; le ton 9/8 est plus haut galement)73.Malheureusement, Plthon ne donne pas de prcisions techniques sur les harmonies quil

    prconise pour leur caractre thique (hypodorienne et dorienne, hypophrygienne et phrygienne)et dans lesquelles il demande de chanter les Hymnes aux dieux. Comme Platon, il emploie desadverbes signifiant en dorien (), en phrygien (), etc., et non des noms en - ou des adjectifs en ,dun usage plus tardif ; de plus, il emploie le terme d harmonie () utilis lpoque de Platon ou par les auteurs archasants, et non celui de ton (tonos), d aspect (doctave) (eidos) ou encore de lieu de la voix (topos phns), cest--dire de clef, utiliss par la suite. On peut donc se demander si Plthon cherche simplement employer un vocabulaire daspect platonicien, ou bien sil parle vritablement des harmonies telles quelles taient dfinies lpoque de Platon.On se souvient que de toutes les harmonies antiques, Platon nen retient que deux qui seraient

    propres conduire les gardiens de la cit, respectivement au courage dans les combats, et lasagesse en temps de paix : lharmonie dorienne et la phrygienne. Par le pythagoricien AristideQuintilien qui a vcu entre le Ier et le IIIe sicle de notre re, et qui commente le fameux passagede laRpublique (III, 398-399)74, nous connaissons ces modes trs anciens et leur structure75. Ledorien des trs anciens possde la structure suivante (du grave laigu) : ton-disis-disis-diton-ton-disis-disis-diton (dpassant ainsi lun ton lintervalle doctave) ; leur phrygienpossde la structure suivante : ton-disis-disis-diton-ton-disis-disis-ton (octave parfaite).Mais Plthon parle de deux harmonies supplmentaires qui ne se trouvent pas chez Platon :lhypodorien et lhypophrygien, ainsi que de leur ethos. On suppose que les deux modesnomms la fin du Ve sicle ou au dbut du IVe, hypodorien et hypophrygien , taientobtenus par des modulations introduites dans le dorien et le phrygien, en remplaant les

    ttracordes disjoints par des ttracordes conjoints ; mais leur structure ne nous est pas connueavec prcision76. Comme Aristide Quintilien ne parle pas de ces deux modulations, Plthon doitplutt se rfrer aux dorien, phrygien, hypophrygien et hypodorien, tels quils ont t dfinisultrieurement par Aristoxne de Tarente, par divers thoriciens de lpoque hellnistique et parClaude Ptolme. Ils sont alors considrs comme des aspects doctave de forme rgulire et

    72 Sur lorigine de ce systme musical, voir A.G. Wersinger,La sphre et lintervalle.Le schmede lHarmonie dans la pense des anciens Grecs dHomre Platon, Grenoble, Jrme Millon,2008, p. 130-131 et 294-296.73 Je renvoie aux travaux de Iegor Reznikof, notamment : Lintonation juste et linterprtation

    de la musique ancienne , dans Meslanges pour le Xe anniversaire du Centre de musiqueancienne de Genve (1975-1985), Genve, 1988, p. 35-45 ; Pour une cologie de la musique dans CoEvolution, n 6, Paris, (automne) 1981 (ces deux articles sont en ligne sur le site deEcoledelouange).74 Voir aussi Platon,Lachs 188d, 193d.75 Louvrage dAristide Quintilien a t dit par R.-P. Winington-Ingram (AristidesQuintilianus, De musica, Leipzig, Teubner, 1963), puis traduit en franais et comment par F.Duysinx (Aristide Quintilien,La Musique, Bibliothque de la facult de philosophie et lettresde luniversit de Lige , Lige, Droz, 1999). Le texte se trouve, avec la structure des chelles p.18-19, d. Winington-Ingram p. 51-54, trad. Duysinx. Voir aussi M.L. West, Ancient Greek

    Music, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 174-175 ; J. Chailley, La musique grecque antique,Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 108-115 et p. 188-189.76 Voir M.L. West,Ancient Greek Music, p. 183.

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    compatibles avec le systme parfait , mais en fait dnaturs77, surtout lorsquils en viennent tre employs simplement comme tons ou comme clefs (topoi phns) permettant lestranspositions et cest encore en ce sens quils sont employs dans les traits de musique delpoque byzantine. Aristide Quintilien explique comment ils sont engendrs78. Dans le genrediatonique, le dorien est constitu de deux ttracordes doriens ( demi-ton -ton-ton)79 spars

    par un ton entier disjonctif, et lhypodorien est constitu de deux ttracordes doriens conjoints,avec un ton entier au grave ; de mme, le phrygien est constitu de deux ttracordes phrygiens(ton- demi-ton -ton) spars par un ton entier disjonctif, et lhypophrygien est constitu dedeux ttracordes phrygiens conjoints, avec un ton entier au grave.Sappuyant sur cette conception de l harmonie en fait dfinie comme aspect doctave ,Plthon propose son propre systme de valeurs thiques80. Ainsi, on chante, explique-t-il, enhypodorien () lorsquon sadresse Zeus et tous les dieux ensemble : cetteharmonie () est la plus importante par la grandeur et elle est dun ethos (

    ) confiant

    et hroque ( )81. Les Hymnes la louange des dieux de lOlympeseront chants en hypophrygien (), harmonie qui tient le second rang pour la

    grandeur et dont lethos convient ladmiration des belles choses. Les Hymnes aux dieuxinfrieurs ceux de lOlympe seront chants en phrygien (), harmonie de rang pourainsi dire intermdiaire (

    ) et dun ethos propre donner

    du courage ( [] ). Le cinquime Hymne ( Hra) et tous les Hymnesquotidiens se chanteront en dorien (), harmonie () qui est assigne aux hommes,et la divinit qui prside aux destines humaines ; elle est dun ethos particulirement combatif( [] ) et adapt aux combats que la faible et fragile nature humaine doit toujourslivrer82.Plthon dfinit donc lethos des harmonies en fonction du panthon quil tablit dans le Traitdes lois, tout en conservant au dorien (harmonie prsidant lhumain), lethos reconnu par

    Platon ; le dorien prsente dailleurs un caractre patriotique : rappelons que Platon le considredans le Lachs (188d cf. Lettre VII, 336c), comme lharmonie typiquement grecque ! Lephrygien est bien une harmonie intermdiaire , mais traditionnellement plutt parmi les troisharmonies primitives, cest--dire entre le dorien (grave) et le lydien (aigu)83.Pour des raisonsthologiques, chez Plthon, lhypodorien et le dorien encadrent, dun point de vue thique,lhypophrygien et le phrygien qui forment un groupe intermdiaire entre les deux extrmes.

    77 Comme le montre M.L. West,Ancient Greek Music, p. 185 : It became difficult to speak ofmode except in terms of key. But in being interpreted as a function key, the modes were de-naturated. They lost all idiosyncrasy .

    78 P. 17, d. Winington-Ingram, p. 44-46, trad. Duysinx.79 Du grave laigu. Comme nous lavons vu, pour Plthon, comme pour les pythagoriciens,lintervalle qui complte le diton pour former la quarte, est infrieur la moiti dun ton.80 Voir lexpos comparatif de F. Duysinx dans Aristide Quintilien,La musique, p. 46, n. 2. Lesgrands traits de musique de lpoque byzantine, celui de Georges Pachymre (Quadrivium, IIepartie), et celui de Manuel Bryennios (Manoul Bruenniou Harmonika, The Harmonics of

    Manuel Bryennius) ne parlent plus de lethos du dorien du phrygien, etc., car ce ne sont plus quedes clefs, mais seulement de lethos des mlodies.81Trait des lois, p. 234.82Trait des lois, p. 234.83 Voir Die Harmonielehre des Klaudios Ptolemaios, d. Ingmar Dring, Gteborg, 1930, p.62,19 ; Pachymre, Quadrivium, d. P. Tannery, p. 198, 19 ; Manuel Bryennios, Harmonika :The Harmonics of Manuel Bryennius, d. C.H. Jonker, p. 118, 23-120,1.

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    Proclus84 dans la Chrestomathie groupait lui aussi lhypophrygien et le phrygien pour en fairedes harmonies propres au dithyrambe chant en lhonneur du dieu Dionysos et inspirantlenthousiasme divin85. Selon Plthon, la premire harmonie (lhypodorien) est ddie au dieusuprme, pre de tous les dieux et (par diffrents intermdiaires) des hommes, la quatrime (ledorien), se rapporte lhumain.

    Les indications de Plthon sur la mtrique comme sur lharmonique sont seulement lmentaires.En effet, sil accorde une grande importance toute la diversit de lapaideia, donc au Trivium etau Quadrivium, il nest pas question de perdre de vue le but qui est politique : il ne sagit pas deformer des musiciens ou des potes professionnels, mais plutt des citoyens vertueux etcourageux.Rappelons que les byzantins ont redcouvert la mtrique au dbut du XIVe sicle. CestDmtrius Triclinius86 qui fut le premier byzantin comprendre lintrt de la mtrique pourltude de la posie ancienne87 et il lappliqua aux uvres thtrales en corrigeant les versambiques (on lui doit la dcouverte dun manuscrit contenant neuf tragdies dEuripide qui taitauparavant peu connu des Byzantins). Le travail de correction mtrique que Triclinius avaitengag pour le thtre, Plthon le continue en lappliquant aux Oracles chaldaques pourretrouver derrire cette collection les Oracles magiques des mages disciples de Zoroastre.

    Pour conclure sur ce point, nous dirons que Plthon refuse de voir dans la posie une sourcefiable pour la thologie quil restaure. La posie nest quun divertissement. Nanmoins, commePlthon veut rappeler ses contemporains leur lien au sol de lHellade, leur demandant de ledfendre et de le reconqurir, il attache finalement de limportance aux noms divins transmis enlangue grecque par les potes. Il conserve donc ces noms mais rectifie les attributs des dieuxdforms par les potes. Ceux-ci partir dune thologie originelle juste au dpart, auraientforg des fables dans le but de plaire leur public ; les sophistes ou thologiens chrtiens leursont associs. Nanmoins, dans un but pdagogique, lorsque lon sadresse une foule non

    rudite, le genre du mythe ou de la fable peut tre utilis, mais il doit toujours sagir comme chezPlaton, de mythes philosophiques, non de mythes potiques.Mais il faut souligner que la dissociation entre posie et versification est facilite par le fait quela mtrique fait partie des disciplines musicales, linstar de lharmonique, et donc desdisciplines scientifiques (du Quadrivium ou ) quilabellisent le philosophe ou le savant de bon aloi88. La posie quant elle relve que desdisciplines littraires (du Trivium).Enfin, il est clair que si Plthon attache tant dimportance la musique qui comporte la mtrique,la rythmique et lharmonique, cest parce quil se soucie de ses effets thiques, cest--dire desmouvements quelle produit sur le pneuma thr. Ce pneuma est le corps trs subtil auquel

    lme est toujours unie ; il est le sige des perceptions et de limagination, et il sert lme de84 Il sagit probablement de Proclus de Sicca, le grammairien du IIe sicle.85 Tandis que le lydien tait propre au nome, ddi au dieu Apollon et inspirant lordre et lamagnificence. Mais le lydien est exclu par Platon pour lducation des gardiens ; en bonplatonicien, Plthon ne peut donc pas lutiliser. Le texte se trouve dans Photius, Bibliothque,cod. 239, d. R. Henry, t. V (cod. 230-241), Paris, Les Belles Lettres, 1967, p. 161.86 Il enseigna Thessalonique denviron 1305 1320.87 L.D. Reynolds et N.G. Wilson,DHomre Erasme. La transmission des classiques grecs etlatins, Paris, CNRS, 1984, 19882, 19913, p. 51-52 (traduction franaise de Scribes and Scholars :

    A guide to the Transmission of Greek and Latin Literature, Oxford, Oxford University Press,1968, 19742.88 Voir la prface de V. Laurent, dans Pachymre, Quadrivium, d. P. Tannery, p. XVIII.

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    vhicule dans sa descente dans le corps mortel et dans sa remonte vers sa patrie cleste. Lamusique doit disposer la vertu et la mise en harmonie de la socit humaine avec lacommunaut de dieux.

    Les ractions des contemporains de Plthon

    Les ractions des contemporains de Plthon ont t trs contrastes. Du ct des Grecs, quelquesannes aprs la mort de Plthon, Georges Scholarios devenu patriarche de Constantinople, abrl le manuscrit autographe de Plthon, tout en conservant, comme preuve charge, les

    Hymnes et les Oracles ! Il a interdit den prendre copie, ce qui a eu pour effet dintriguer la courottomane qui a fait traduire les restes du manuscrit en arabe. Cest ainsi que possdons unetraduction arabe des Oracles et du reste du Trait des lois89.Du ct occidental, on assiste aussi quelques ractions passionnes. Rappelons que SigismondPandolfe Malatesta tait un admirateur de Plthon au point qu la suite dune campagnemilitaire vnitienne contre les Turcs dans le Ploponnse, en 1464-1465, il a rapport le corps dePlthon et la fait dposer dans un sarcophage qui se trouve toujours sur un mur extrieur du Tempio Malatestiano . (Le pape Pie II disait que ctait non un temple de chrtiens, maisdinfidles adorant des dmons90.) Georges de Trbizonde, un autre grand ennemi de Plthon liela mort de Sigismond Malatesta la prsence dans le Tempio , du corps de Plthon et delApollon qui vit dedans91 !

    Cosme de Mdicis et les mages

    Mais revenons un peu en arrire, au concile de Ferrare-Florence sur lunion des Eglises (1438-1439). Plthon qui y a particip titre de conseiller laque, a t amen sexprimer en marge duconcile, sur un sujet la mode en Italie, la supriorit de Platon sur Aristote (ou dAristote sur

    Platon)92. Cosme de Mdicis, selon Marsile Ficin, allait couter Plthon et en aurait conu le

    89 Voir J. Nicolet et M. Tardieu, Pletho arabicus. Identification et contenu du manuscrit arabedIstanbul , Topkapi Serai,Ahmet III1896, Journal Asiatique, tome CCLXVIII (1980), p. 35-57. Ldition critique de la traduction arabe des oracles (La recension arabe des Magika logia)par M. Tardieu, se trouve dans B. Tambrun-Krasker (d.),Magika logia, p. 157-171.90 Enea Silvio Piccolomini (Pio II),I, Commentarii, a cura di L. Totaro, Milan, Adelphi, 1984 (=Commentarium rerum memorabilium, Francfort, 1614, p. 51-52, texte cit par F. Masai, Plthon

    et le platonisme de Mistra, Paris, Les Belles Lettres 1956, p. 365, n. 1) ; voir M. Bertozzi, Segni, simboli, visioni : il Tempio Malatestiano e i suoi enigmi , Templum Mirabile (Atti delConvegno sul Tempio Malatestiano, Rimini, 21-22 settembre 2001) a cura di Marco Musmeci,Rimini, Fondazione Cassa di Risparmio di Rimini, 2003, p. 151-165, notamment n. 41, p. 164.91 Voir le texte et les rfrences dans J. Monfasani, George of Trebizond : A Biography and aStudy of his Rhetoric and Logic, Leiden, 1976, p. 214 et n. 85 ; voir aussi E. Garin, Umanisti,artisti, scienzati. Studi sul Rinascimento italiano, Roma, Editori Riuniti, 1989, p. 10 ; M.Bertozzi, George Gemistos Plethon and the Myth of Ancient Paganism : From the Council ofFerrara to the Tempio Malatestiano in Rimini , Proceedings of the International Congress onPlethon and his Time (Mystras 26-29 June 2002), Athens-Mystras 2003, p. 177-185, notammentp. 184-185.92 Voir M. Bertozzi, George Gemistos Plethon and the Myth of Ancient Paganism , p. 180-181.

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    projet dune sorte dAcadmie 93 . Or, Plthon a ncessairement rencontr AmbrogioTraversari au concile. Le camaldule avait traduit en latin les Vies et sentences des philosophesillustres de Diogne Larce pour faire plaisir Cosme et Niccoli, et pour montrer commelavaient dj soulign les Pres apologistes, que les philosophes se contredisaient, et quilsntaient donc pas capables datteindre la vrit qui tait ncessairement unique. Lun des

    critres de la vrit tant son unicit, celle-ci se serait ncessairement trouve du ct duchristianisme, latin videmment ! Mais Plthon ne parle pas de Traversari. Il mentionneseulement Ugo [Benzi] et Pierre de Calabre (Pietro Vitali, abb de Grottaferrata)94.Quest-ce qui a pu intresser Cosme qui ne parlait pas le grec et qui ntait pas un philosopheprofessionnel, dans ce que disait Plthon, et qui tait dune grande technicit philosophique ? Cequi est certain cest quils avaient un intrt commun pour les mages. Le Platon dont parlePlthon est, comme Pythagore, lhritier de la tradition des mages disciples de Zoroastre. Cosmede Mdicis, pour sa part, avait trouv chez les mages un modle permettant de justifier aux yeuxdes Florentins, son activit de banquier international et la magie bancaire que constitue le prt intrt. Il patronnait une confraternit, la Compagnia de Magi qui organisait des processionspour la fte de lEpiphanie (et de la Saint-Jean) au cours desquelles Cosme dfilait habill enmage. Il avait fait reprsenter les mages dans sa cellule du couvent de San Marco o il faisaitpriodiquement des retraites. Il commanda Benozzo Gozzoli la fresque du Voyage des magespour dcorer la chapelle de son palais de la Via Larga, voulant sans doute montrer que lesMdicis assumaient lhritage de la sagesse ancienne des mages, transmise aux Grecs, puis auxMdicis. Comme je lai montr dans Plthon. Le retour de Platon95 et dans Pourquoi Cosmede Mdicis a fait traduire Platon 96, cest sans doute cet intrt bancaire pour les mages, et poursa propre image, qui explique que Cosme de Mdicis ait demand Marsile Ficin de traduirePlaton, lhritier des mages, en latin. De mme, cest pour les marchands, que Tommaso Bencitraduit en 1463 Herms Trismgiste (le Pimander) en italien, partir de la traduction latine deFicin termine quelques mois auparavant97.

    Les Oracles magiques des mages disciples de Zoroastre ont eu du succs en Occident, puisquece texte a t traduit plusieurs fois en latin avant dtre imprim en grec98. Il existe en effet une

    93 Magnus Cosmus, senatus consulto patrie pater, quo tempore concilium inter Graecos atqueLatinos sub Eugenio Ponifice Florentiae tractabatur, philosophum graecum, nomine Gemistumcognomine Plethonem, quasi Platonem alterum de mysteriis Platonicis disputantem frequenteraudivit, e cuius ore ferventi sic afflatus est protinus, sic animatus, ut inde academiam quandamalta mente conceperit, hanc oportuno primum tempore pariturus . Marsilius Ficinus, Operaomnia, Ble, 1576, repr. Turin 1962, p. 1537. Je cite le texte latin collationn par J. Hankins

    avec le manuscrit Plut. LXXXII, 10, conserv la Biblioteca Laurenziana de Florence : voir J.Hankins, Cosimo de Medici and the Platonic Academy , Journal of the Warburg andCourtauld Institutes, 33 (1970), p. 144-162, Appendix II, p. 160.94 F. Masai, Plthon et le platonisme de Mistra, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 334-336; 344;358 ; C.M. Woodhouse, George Gemistos Plethon, The last of the Hellenes, Oxford, ClarendonPress, 1986, p. 163-164.95 Introduction, p. 9-33.96 Dans M.A. Amir-Moezzi et J.-D. Dubois (d.), Pense grecque et sagesse dOrient.

    Hommage Michel Tardieu, Bibliothque de lcole des Hautes tudes, SciencesReligieuses 142, Turnhout, Brepols, 2009, p. 635-649.97 Voir les rfrences dans B. Tambrun, Plthon. Le retour de Platon, p. 30.98 Leditio princeps du texte grec faite par Joannes Lodoicus Tiletanus (Jean Loys de Thielt) Paris, date de 1538.

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    traduction latine des Oracles que S. Gentile attribue Giano Lascaris (ca. 1445-1535)99. MarsileFicin possde lui aussi la collection dOracles de Psellos et celle de Plthon avec leurscommentaires respectifs, dans un manuscrit contenant plusieurs uvres de Plthon, lactuel

    Riccardianus graecus 76, comme en tmoigne lindex grec. Mais ces copies ont t dtachespar la suite et on ne sait pas ce quelles sont devenues. Ficin traduit les vers en latin et les utilise

    en tant quautorit fondamentale, dans sa Thologie platonicienne, en incorporant aussi desmorceaux du Commentaire de Plthon et de lExegesis de Psellos100. Mais les Oracles sontdsormais mis sous une autorit qui naurait pas du tout plu Plthon : les mages, Zoroastre, lesChaldens et mme les magiciens !Pic de la Mirandole possdait lui aussi la collection des Oracles magiquesdes mages disciplesde Zoroastre. Un mythe sest forg autour de sa copie, de sorte que lorsque Thomas Stanleyredcouvre la collection la fin du XVIIe sicle, il croit que Pic possdait loriginal des Oraclesen langue chaldenne, et Jean Le Clerc qui est arminien mais aussi trs favorable aux ides no-ariennes, rpte la mme information en franais et la diffuse en latin travers lEurope. Lepropos, videmment, inquite les milieux orthodoxes , dans le contexte des querellestrinitaires de la fin du XVIIe sicle, et Pierre-Daniel Huet rplique en affirmant que la collectionde Plthon rimprime en 1689 Amsterdam, est un faux ! Bayle enregistre linformation danssonDictionnaire larticle Zoroastre .Ce qui est intressant, cest que cette uvre de philosophie versifie que constituent les Oracles,est largement diffuse la Renaissance et que ceux-ci sont considrs comme des Oracles deZoroastre qui redevient le matre des Chaldens (il nest plus aussi ancien que chez Plutarquebien quil fasse partie des prisci). Pour suivre la diffusion des Oracles, on dispose dunremarquable instrument de travail : le livre de Michael Stausberg, Faszination Zarathushtra.

    Zoroaster und die Europische Religionsgeschichte der Frhen Neuzeit101. En effet, en suivantles mentions du nom de Zoroastre dans la littrature religieuse ou philosophique de lpoquemoderne, rpertories par M. Stausberg, on retrouve facilement la collection des Oracles de

    Plthon puisquelle continue tre mise sous le nom de Zoroastre. Mais cette collection est aussivolutive : Francesco Patrizi da Cherso (1529-1597) en organise une nouvelle102, partir decelle de Plthon, de Psellos, et des oracles qui se trouvent dans les uvres des noplatoniciens103.

    Postrit des Hymnes : Michel Marulle

    LesHymnes en vers de Plthon ont t pieusement recueillis et diffuss par ses amis et disciples.Il faut imaginer que linterdiction, prononce par le patriarche de Constantinople, de copier lereste du livre de Plthon, quil avait jet au feu, na pas dcourag tous les partisans du

    99 Voir B. Tambrun (d.),Magika logia, Introduction, p. lxxii, n. 9 et M. Stausberg, FaszinationZarathushtra, Zoroaster und die Europische Religionsgeschichte der Frhen Neuzeit, 2 vols,Berlin et New York, 1998, p. 127-129.100 Voir B. Tambrun, Marsile Ficin et le Commentaire de Plthon sur les Oracleschaldaques ,Accademia. Revue de la Socit Marsile Ficin, Premier Numro (1999), p. 9-42et Un exemple d'utilisation du Commentaire de Plthon par Ficin : Le vhicule de l'me, lepneuma et l'idole , Accademia. Revue de la Socit Marsile Ficin, Premier Numro (1999), p.43-48.101 Voir ci-dessus, note 99.102Magia Philosophica, hoc est Francisci Patricii summi philosophi Zoroaster et eius 320Oracula Chaldaica, Hamburg, 1593. Sur ldition de cette collection, voir M. Stausberg,Faszination Zarathushtra, p. 321-324.103 Voir M. Stausberg, Faszination Zarathushtra, notamment, p. 291-395.

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    philosophe, puisque des copies du reste du Trait des lois, et donc des Hymnes en vers, ontcircul en Italie ds le XVe sicle.Michel Marulle (ca. 1453-1500), fils de rfugis grecs qui a frquent le cercle de Ficin et de Picde la Mirandole, compose des Hymnes naturels 104 aux dieux, qui font pour ainsi direconcurrence ceux de Plthon. Marulle tait un soldat toujours prt prendre les armes et

    partir en croisade pour dlivrer sa patrie de la domination ottomane. Contrairement auxHymnesde Plthon, ceux de Marulle constituent vritablement une oeuvre de posie, en trs beaux verslatins, qui inspirera dailleurs Pierre de Ronsard. La thologie paenne et no-platonicienne des

    Hymnes de Marulle concorde dsormais dans un esprit ficinien, avec le christianisme105. Ainsi,la posie mprise par Plthon, qui cherchait restaurer lhellnisme (et donc les sciences) et lancrer dans son terroir, refusant ainsi de fuir dici-bas 106, fait retour chez cet hellne migrqui ne peut plus aspirer qu un retour dans une patrie cleste.

    104 Michel Marulle, Hymnes naturels, dition critique par Jacques Chomarat, Genve, Droz,1995.105 La thologie de Marulle est ainsi trs ambigu : on ne saurait dire si les trois premiers dieux(Jupiter, Pallas, Amour) sont subordonns les uns aux autres ou sils forment une Trinit.106 Cf. Platon, Thtte 176 a-b.

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