PHILONENKO MARC CoReAcInscrBelLetr 1985 Une prière magique au dieu Créateur

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Monsieur Marc Philonenko Une prière magique au dieu Créateur (PGM 5, 459-489) In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 129e année, N. 3, 1985. pp. 433- 452. Citer ce document / Cite this document : Philonenko Marc. Une prière magique au dieu Créateur (PGM 5, 459-489). In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 129e année, N. 3, 1985. pp. 433-452. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1985_num_129_3_14287

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Monsieur Marc Philonenko

Une prière magique au dieu Créateur (PGM 5, 459-489)In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 129e année, N. 3, 1985. pp. 433-452.

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Philonenko Marc. Une prière magique au dieu Créateur (PGM 5, 459-489). In: Comptes rendus des séances de l'Académie desInscriptions et Belles-Lettres, 129e année, N. 3, 1985. pp. 433-452.

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COMMUNICATION

UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR (PGM 5, 459-489)

PAR M. MARC PHILONENKO, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE

L'intérêt des papyrus grecs magiques pour l'histoire des religions est unanimement reconnu depuis les travaux de A. Dieterich1 et de R. Reitzenstein2. Les textes sont commodément réunis dans les deux tomes du corpus de K. Preisendanz3. Le troisième tome, contenant les index, n'a malheureusement jamais été publié4.

Le papyrus magique du British Muséum est du ive siècle. Il comporte 489 lignes et se présente comme un agrégat de structure composite. Nous nous proposons d'étudier la dernière prière magique du papyrus, dont l'importance n'a pas été, selon nous, suffisamment dégagée. La « Prière » a eu des traducteurs5, mais on ne peut dire qu'elle ait eu un commentateur.

A. Dieterich a proposé une reconstitution métrique de la « Prière », qui soulève de graves questions de méthode. Il procède par ajouts, soustractions, substitutions6. Ce traitement rompt les constructions les plus obvies. Les mots magiques sont exclus, car ils se dérobent, par nature, à une telle réfection. Cette méthode n'est pas la nôtre. Nous prendrons le texte tel qu'il est et non tel qu'il devait être7.

Les « mots magiques » posent un problème spécifique. Le lecteur des traductions modernes éprouve quelque désappointement à lire les sigles ZW (Zauberworte) ou MM (mots magiques), comme s'il était inutile de les transcrire et, à plus forte raison, de les comprendre. C'est là une lourde erreur, car ces « éphésia grammata » ne sont pas

1. A. Dieterich, Abraxas, Leipzig, 1891. 2. R. Reitzenstein, Poimandres, Leipzig, 1904 3. K. Preisendanz, Papyri Graecae Magicae2, I-II, Stuttgart, 1973. 4. La composition de ce volume fut détruite en 1941. Un jeu d'épreuves confié

à A. Delatte par K. Preisendanz a cependant été conservé (voir A. Delatte- Ph. Derchain, Les intailles magiques gréco-égyptiennes, Paris, 1964, p. 12 et K. Preisendanz, op. cit., II, p. xiv-xvi).

5. Spécialement K. Preisendanz lui-même, op. cit., I, p. 187 et 189 ; E. R. Goodenough, Jewish Symbols in the Greco-Roman Period, II, New- York, 1953, p. 195 ; traduction partielle de A.-J. Festugière, La Révélation d'Hermès Trismégiste, IV, Paris, 1954, p. 190.

6. A. Dieterich, op. cit., p. 68-69. 7. Quelques corrections, minimes, toutefois, s'imposent. On se reportera à

l'apparat critique de l'édition de Preisendanz.

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des additions postérieures qui porteraient la marque d'une décadence de l'esprit. Certes, le magicien « recherche l'archaïsme, les termes étranges, incompréhensibles »8. Il écrit le grec, emprunte à l'hébreu, à l'égyptien. Il néglige les différents états de langue et, s'il ne déforme pas sciemment les mots étrangers qu'il incorpore, il ne se soucie nullement d'en donner une transcription exacte. Peut-on, pour autant, parler de galimatias, de charabia, de fatras ? Je ne le crois pas. Il faut, sous leur travestissement, saisir ces vocables singuliers. Recherche ardue, toujours ; hasardeuse, parfois. L'exégète est mis à rude épreuve et il nous faudra, souvent, confesser notre ignorance et, sans cesse, plaider l'indulgence.

Le plan de la « Prière » se laisse aisément établir. La première partie est une longue épiclèse, scandée par l'expression, trois fois répétées, « je t'invoque » (lignes 459, 474), deux fois sous la forme èmxoCko\>\Lcd as, une troisième fois sous la forme ô è7tt.xaAoûp,ev6ç as. Cette dernière expression annonce, en fait, la seconde partie ouverte par êy<o ei\ii et qui marque l'identification du magicien au dieu. Cette section est très riche en mots magiques. La troisième partie ne comporte qu'une phrase et se réduit à trois verbes à l'impératif, par lesquels le magicien s'adresse à Dieu en termes comminatoires. Une apostille définit le genre dont relève la « Prière » : c'est un /apiTrçcnov, une supplication pour obtenir la « faveur » du dieu. Une expression banale et technique, xolvoc, ècp'ô OéXstç, donne à l'utilisateur de la « Prière » la possibilité de la compléter selon ses vœux.

Nous donnons d'abord le texte grec de la « Prière » dans l'édition de Preisendanz9. Notre traduction est suivie d'observations qui cherchent à mettre en valeur un document à tous égards exceptionnel.

LE TEXTE GREC

4M "AXXiuc. 'èniKCtXoûnai ce tôv KTicavTa | ïfiv kcù ôctô kcù nâcav câpica Bl. 7T kcù | nâv nveGfxa kcù tôv cTrjcavTa II ttjv 8àXaccav kcù <nac>caXeû[cavTa] | tôv

465 oùpavov, ô xwpicac tô <pû»[c ct]|nô toO ckôtouc, ô \itiac NoOc, €"v[vo]|!moc tô nâv bioïKwv, aïujv6(p8a[X]||ioc, baimuv bcujuovuiv, 6eôc 9[€]|û>v, ô KÛpioc tûiv nveu-

470 mcVnuv, ô à|nXâvrjTOC Aiiùv 'Icwu ounr eicctKoucôv nou Ttic opuuvric. èniKaXoû|jicu c€, tôv buvàcrriv tiîiv 8eâiv, | ût|Hf)pe^éTa Zeû, Zeû TÛpavve, 'A|bujvai, KÛpic "làui ootie- èrû> dm | ô cniKaXoûnevôc ce Cupicri 8côv | ptéfav ZaoXonpiççou. kcù cù

475 un || napaxoûcr|C Tfîc opuivfîc.' ('EppoïCTÎ' | raf5Xava8avaXpa aPpactXwo'.) 'èfù) \ fâp eipi CiX6axuuoux AaiXan pXo caXuiô Idu) icui vePouO capioe 'Ap'Pibe 'AppaOtduu, 'laibO Ca-

4M Pai08,rFa||TOupri,ZaToupn, papoux 'Abiuvat, |'€Xiua\ 'Appoân, pappapaua» vauictq>

8. H. Hubert et M. Mauss, Esquisse d'une théorie générale de la magie, dans M. Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, 1950, p. 50-51.

9. K. Preisendanz, op. cit., l, p. 196 et 198.

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ûiyr|X6(ppove, aiuuvôfJie, tcôc|iou | tô biàbi^a navrée Kcrréxu'v, aent\ i caicnc-n) piou Ui {Siou cqpr) cq>T) vouct vouci || cicôo cicOo x8€6u>vi piTX turça T) r|iua | autr) 'lâuu aciaX Cd-

pani oXcuu | ee^oupr)civt cen Xau Xou Aoupixx-' | nébac XÛ€i, àuaupoî, ôvetpoiTOfiiT€î, | Koivâ, èq>' ô 6éXeic.

TRADUCTION

Une autre (prière). Je t'invoque, toi qui as créé la terre, les os, toute chair et tout esprit, qui as établi la mer et cloué le ciel, qui as séparé la lumière des ténèbres, le grand Nous, qui conformément à la Loi gouverne l'univers, Œil de l'Aiôn, Démon des démons, Dieu des dieux, le Seigneur des esprits, l'infaillible Aiôn, Iaô, ouèi, entends ma voix. Je t'invoque, toi, le Maître des dieux, Zeus qui tonne au haut du ciel, Zeus le Souverain, Adonaï, Seigneur, Iaô, ouèe. Je suis celui qui t'invoque, en langue de Syrie, Dieu grand, Zaalaèriphou. Toi, ne refuse pas d'entendre le cri. En hébreu, Ablanathanalba, Abrasilôa. Car, moi, je suis Silthachôouch, Lailam, Blasalôth, Iaô, Ieô, Nebouth, Sabioth, Arboth, Arbathiaô, Iaôth, Sabaôth, Patourè, Zagourè, Barouch, Adonaï, Élôai, Abraham, Barbarauô, Nausiph, aux pensées élevées, qui vit éternellement, toi qui portes le diadème de tout l'univers, Siepè, Saktietè, Biou, Biou, Sphè, Sphè,Nousi,Nousi, Sietho, Sietho, Chthethôni, Rigch, ôèa, è, èôa, aôé, Iaô, Asial, Sarapis, Olsô, Ethmourèsini, Sem, Lau, Lou, Lourigch. Délie les entraves, rends invisible, envoie des songes. Supplication. Et ainsi de suite, comme il te plaira.

OBSERVATIONS

Lignes 459-462. — La première invocation donne le ton de la « Prière ». L'auteur s'adresse, à l'évidence, au Dieu de l'Ancien Testament et fait allusion au premier verset de la Genèse qu'il connaît dans une version grecque. Ce n'est point nécessairement la version des Septante, car l'emploi de x-uaavTa au lieu de TzoiyaotyTx oriente, plutôt, vers la version d'Aquila10. Ce traducteur rend, en effet, régulièrement l'hébreu tf~Q par xtiÇslv11. L'auteur de la « Prière » remanie librement le texte scripturaire. On attendrait, en effet, tov xTicravToc tôv oûpavov xal ttjv yrjv « Toi qui as créé le ciel et la terre », mais il n'est pas question du ciel. En revanche, l'auteur introduit une mention des « os », étrangère au texte biblique. Il pose ainsi une trichotomie, os — chair — esprit, que la Bible ignore totalement, car si l'omission de tov oûpavov est, peut-être accidentelle, l'addition d'ôara est, elle, à coup sûr, intentionnelle. Il n'est,

10. Comme le remarque J. Schwartz, A propos d'interdits concernant le récit de la Création, dans Paganisme, judaïsme, christianisme. Paris, 1978, p. 48 ; dans un même contexte, l'emploi de xtîÇeiv revient dans PGM 4, 3099 ; 5, 98- 100.101-102 ; 13, 63.146.571.983.

11. Voir J. Reider, An Index to Aquila, Leiden, 1966, s.v.

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en effet, répétons-le, jamais question de la création des « os » dans la Bible hébraïque ou grecque. Le seul texte auquel on pourrait, à la rigueur, songer, est celui de la création d'Eve, en Genèse 2, 22-23. On se souvient comment Yahvé avait fait, avec la côte qu'il avait prise à l'homme, une femme.

« Et l'homme dit : Celle-ci, cette fois,

est os de mes os et chair de ma chair. »

C'est précisément à ce passage que Philon d'Alexandrie renvoie, lorsqu'il veut introduire les os dans le récit de la création de l'homme : « C'est d'une façon tout à fait conforme à la nature qu'il mentionne les os et les chairs ; en effet, cette tente humaine, ce sont des os et des chairs, des entrailles, des veines, des nerfs, des ligaments, et des réceptacles du souffle et du sang »12. L'insistance de Philon est curieuse et l'on soupçonne qu'il cherche à justifier une innovation. Il est significatif que les « os » soient ici le premier terme d'un septénaire13. Or, cette prééminence du squelette est caractéristique des textes mazdéens qui accordent une importance vitale à 1' « osseux »14. Par là, Philon fait siennes des spéculations iraniennes sur le microcosme qui connurent une vogue extrême.

Reprises dans un traité pseudo-hippocratique, le De hebdomadi- buslb, développées par YApocryphon de Jean16, adoptées par Tertul- lien dans son De carne Christi17, elles passeront dans le manichéisme18, le mandéisme19 et l'islam hétérodoxe20.

L'expression 7tàaav aàpxa est un hébraïsme ou un « septuagin-

12. Philon, Quaestiones in Genesim, 1, 28 (traduction Ch. Mercier). Voir aussi Legum allegoriae 2, 22 ; Quaestiones in Genesim 2, 3 (éd. J. Paramelle, Philon d'Alexandrie, Questions sur la Genèse II, 1-7, Genève, 1984, p. 142-143) ; Oracles Sibyllins, Fragments, 1, 14.

13. La recension longue du Livre des Secrets d'Hénoch 30, 9 sait, elle aussi, que l'homme a été fait de « sept éléments » ; toutefois, elle ne nomme pas en premier les « os », mais la « chair ».

14. Voir H. Gignoux, « Corps osseux et âme osseuse » : essai sur le chamanisme dans l'Iran ancien, Journal asiatique, 267, 1979, p. 41-79.

15. De hebdomadibus 6. Sur ce traité, dont la datation est contestée, voir J. Mansfeld, The Pseudo-Hippocratic Tract IIEPI 'EBAOMAAQN Ch. I-II and Greek Philosophy, Assen, 1971.

16. Apocryphon de Jean B 49, 12-50, 4. 17. Tertullien, De carne Christi, 9, 2-3. 18. Voir Képhalaia 42, 107, 29-108, 1 ; autres textes dans M. Tardieu, Codex

de Berlin, Paris, 1984, p. 301-308. 19. Voir Les Mille et Douze Questions 2, 113-114 (éd. E. S. Drower, The

Thousand and Twelve Questions, Berlin, 1960). 20. Voir G. Widengren, Macrocosmos-Microcosmos Spéculation in the Rasa'il

Ikhwan al-Safa and some Hurufl Texts, Archivio di Filosofta, 1980, p. 297-312.

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tisme ». Elle traduit l'hébreu "Ktf3 ^D qui désigne tout être vivant, en particulier tout être humain dans sa totalité21 ; après l'avoir employée, il est superflu de parler de 1' « esprit » ou de « tout esprit ». L'expression grecque 7rav 7n/eO{xa est, elle aussi, hébraïsante ; elle rend l'hébreu T\T\ ^D « tout esprit », entendons « tout esprit angé- lique », comme dans le livre des Jubilés22 ; mais, pour l'auteur de la « Prière », « toute chair » et « tout esprit » ne sont que des éléments du composé humain.

Lignes 463-464. — ô /topuiaç to yûc, àizh tou ctxotouç reprend Genèse 1, 18 : SiaxwiÇeiv àvà (iicrov tou cptoTÔç xal àvà (xécrov tou ctxotouç, mais le verbe simple, xcopuraç, est ici préféré au composé, comme dans le PGM 4, 1173 ; Philon fait de même dans le De opi- ficio, 33 : ey&pioe cpwç xal ctxotoç23.

L'expression ô [xéyaç Nouç « le grand Nous » ou « le grand Intellect » est l'une des plus intéressantes de la « Prière ». A.-J. Festu- gière observe, à juste titre, qu'elle ne se retrouve pas ailleurs dans les papyrus grecs magiques24, mais elle n'est pas inconnue pour autant. Le « grand Nous » est l'une des entités majeures de la spéculation manichéenne et gnostique. Présent sous le nom de pnac nnous dans les Képhalaia manichéens conservés en copte25, et dans les Enseignements de Silvanus26, on le retrouve dans les textes manichéens transmis en parthe27 et, sous l'expression hauna rabba, chez plusieurs auteurs syriaques28.

Le fait même qu'en copte le mot Nous, « Intellect », ait été maintenu laisse supposer que l'expression « grand Nous » a été connue des premiers disciples de Mani en grec. Le papyrus magique du British Muséum nous livre ainsi, échappée au regard des critiques, la première attestation grecque du titre ô [xéyaç Noûç.

A cette première attestation, il faut en joindre, immédiatement, une seconde, indirecte, mais certaine. Philon, dans le De specialibus legibus, I, 18, écrit : « II est, en effet, tout à fait ridicule de penser que notre propre intellect, infime comme il est (Ppa^ÛTaTo-;), est bien le maître invisible des organes des sens, tandis que l'Intellect de l'Univers, infiniment grand (fzsynrroç) et parfait, ne serait pas le

21. W. Gesenius-F. Buhl, Hebrâisches und aramàisches Handwôrterbuch" ',. Berlin, 1915, p. 120b. Voir aussi Règlement de la Guerre 15, 13 ; / Hénoch 1, 9 ; Testament de Gad 7, 2.

22. Jubilés 2, 2. Voir aussi Hymnes 1, 9 ; 10,8. 23. Comme l'observe J. Schwartz, art. cit., p. 48-49. 24. A.-J. Festugière, op. cit., IV, p. 190, note 2. 25. Képhalaia 33, 92, 5 ; 39, 82, 22 et 92, 12-13. 26. Enseignements de Silvanus 96,9 ; 117, 4. 27. Angad RoSnan 6, 10 (éd. M. Boyce, The Manichaean Hymn Cycles in Par-

thian, Oxford, 1954, p. 141). 28. Voir G. Widengren, « Synkretismus » in der syrischen Christenheit, dans

Synkretismus im syrisch-persischen Kulturgebiet, Gôttingen, 1975, p. 58-59.

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Roi des rois, maître invisible de sujets visibles »29. Le philosophe alexandrin dégage admirablement l'essentiel de la doctrine : il y a en chacun de nous, un nous infiniment petit, qui répond à un autre Nous, infiniment grand et qui est celui de l'Univers. Texte unique chez Philon qui fait apparaître qu'il est, ici encore, tributaire d'une pensée étrangère. Il est sous l'influence de la doctrine iranienne du Manhvahmed vazurg, dont G. Widengren, dans un ouvrage capital, a montré l'extrême importance pour l'histoire des idées30. Le texte de Philon établit de façon indiscutable, selon nous, que cette entité majeure du « Grand Nous », venue de l'Iran, fut juive avant d'être manichéenne et gnostique.

Lignes 465-466. — Le terme aî<ov690<xXfxo<; est un hapax. Preisen- danz, P'estugière, Goodenough l'ont traduit par « Œil éternel ». Cette interprétation me paraît contestable, car qu'est-ce qu' « un œil éternel » ? Je crois plutôt, pour ma part, qu'il faut tenir octcovocp- ôaX^oç pour un composé régressif direct31 et traduire « Œil de l'Aiôn », entendons d'un « Aiôn » personnifié et divinisé qui sera, un peu plus bas, aux lignes 467-468, qualifié d' « Infaillible » pour l'opposer aux planètes « errantes »32.

Cet Aiôn est figuré par toute une série de monuments33. Je n'en retiendrai qu'un seul, l'Aiôn léontocéphale de Castelgandolfo (fig. 1). Après les études de R. Pettazzoni34 et de Festugière35 le commentaire n'est plus à reprendre, mais un détail de la statuette, le plus curieux sans doute, doit ici être relevé. Sur la poitrine du dieu s'ouvre un œil immense, « celui du temps à qui rien n'échappe m36. Le voilà, 1' « Œil de l'Aiôn » !

Lignes 466-467. — Suivent trois expressions génitivales : « Démon des démons », « Dieux des dieux », « Seigneur des esprits ». Cette triple invocation est de structure complexe et doit être comprise à

29. Philon, De specialibus legibus, 1, 18 (traduction S. Daniel). 30. G. Widengren, The Gréai Vohu Manah and the Apostle of God, Uppsala-

Leipzig, 1945. 31. Cf. A. Meillet-J. Vendryes, Traité de grammaire comparé des langues clas

siques2, Paris, 1927, p. 402-403. 32. Cf. R. Reitzenstein, Das iranische Erlôsungsmysterium, Bonn, 1921, p. 174,

note 3 ; la bibliographie sur l'Aiôn est considérable, voir, entre autres, R. Reitzenstein, Das iranische Erlôsungsmysterium, p. 188-207 ; A. J. Festugière, op. cit., IV, p. 152-199 ; W. Bousset, Der Gott Aion, dans W. Bousset, Religions- geschichtliche Studien, Leiden, 1979, p. 192-230.

33. Liste dressée par M. Le Glay, article « Aion », Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, I, 1, Zurich-Miinchen, 1981, col. 399-410.

34. R. Pettazzoni, La figura mostruosa del Tempo nella religione mitriaca, L'Antiquité classique, 18, 1949, p. 265-277.

35. A.-J. Festugière, Les cinq sceaux de l'Aiôn alexandrin, Revue d'Égypto- logie, 8, 1951, p. 63-70.

36. W. Deonna, Le symbolisme de l'œil, Berne, 1965, p. 75, eton 4. Sur le « grand Œil », voir R. Reitzenstein, Die Vorgeschichte der christlichen Taufe, Leipzig-Berlin, 1929, p. 355, note 2.

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Fig. 1. — L'Aiôn léontocéphale de Castelgandolfo.

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440 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

partir de sa médiane, « Dieux des dieux ». E. R. Goodenough a cru y reconnaître une adaptation juive de la tournure Geol Gecov du Timée de Platon : 6eol Gecov &v eycb o*Y)|i.ioupyôç toxtyjp ts è'pycov37, mais Platon dit Geol Gecov et non Geoç Gecov38. L'expression Geoç Gecov se lit une douzaine de fois dans les PGM39 et elle est d'origine, biblique. En Deutéronome 10, 17, par exemple, l'hébreu D^îl^S HltT *3 D»rwn ^"îtfl n»nSN»n »nbtf tfin « Car Yahvé votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs » est rendu par la version des Septante ô yàp xupioç ô Geôç ûfxcov, ofcroç Geoç tcov Gecov xai, xupioç tcov xupicov. Le tour génitival a, comme souvent dans les langues sémitiques, un sens superlatif. Ainsi Geoç Gecov est, pour reprendre les termes mêmes de la « Prière », 8uvào-T7;ç tcov Gecov.

L'expression ô Geoç tcov Gecov est devenue, dans le livre d'Hénoch, Yincipit d'une véritable acclamation liturgique à trois membres :

Sùeï ô Geoç tcov Gecov xal xùpioç tcov xuptcov xat ô PaatXeùç tôv PaaiXeuovTcov40.

Cette acclamation a connu une longue histoire. Il faudrait pouvoir en retracer, pas à pas, les étapes, qu'elle ait été transmise sous forme binaire, comme dans / Timothée 6, 15 ou dans l'Apocalypse 19, 16, soit sous sa forme ternaire, comme dans le colophon de YApocryphon de Jean41 et dans le Ginza42, sans parler de ses variantes et excroissances dans la littérature patristique43.

La question de savoir si l'expression « Dieu des dieux » dans la « Prière » est tirée de l'Ancien Testament ou du livre d'Hénoch doit être laissée en suspens, le temps d'interpréter le titre suivant, xùpioç tcov 7rveu(xàTCOv.

L'appellation « Seigneur des esprits » a un caractère technique : c'est, dans le livre des « Paraboles » d'Hénoch, où elle est attestée plus d'une centaine de fois, le nom même de Dieu. La formule est tirée de Nombres 16, 22 où l'hébreu "UTZ1 SdS JTïnn S S

37. E. R. Goodenough, op. cit., II, p. 193, note 158. 38. Timée 41a. 39. PGM 1, 163 ; 2, 53 ; 3, 550 ; 4, 218.640.1146-1147.1195.1200. ; 12, 74 ; 22,

20 ; 62, 24. 40. / Hénoch 9, 4 : texte grec du chronographe Georges le Syncelle1 (éd.

M. Black, Apocalypsis Henochi Graece, Leiden, 1970). Le manuscrit d'Akhmim lit : Su sï xûpioç tcôv xuptcov xal ô 0sôç twv 6sc5v xai (BacnXsùç xtov aïcova>v. A. Lods, Le Livre d'Hénoch, Paris, 1892, p. 114, juge cette leçon préférable. Le texte araméen découvert à Qoumrân (4Q Enbl iii 14) présente ici une lacune.

41. Apocryphon de Jean (colophon). Voir M. Tardieu, op. cit., p. 17. 42. Voir M. Lidzbarski, Ginza, Gôttingen-Leipzig, 1925, p. 187, 27-32. 43. Je me propose de traiter cette question dans une étude spéciale.

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UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR 441

« Dieu ! Dieu des esprits de toute chair » est traduit par la version des Septante ©eôç 0s6ç t&v 7T;veufxàT(ov xal 7tà<ry)ç crapxoç. Alors que le texte hébreu signifie que Dieu insuffle son esprit à toute chair, la version grecque comprend que Dieu est « le Dieu des esprits et de toute chair », entendons le Dieu des esprits célestes et de tous les hommes. L'expression ôeoç tôv 7rvsu(xàT(ov se retrouve dans la Prière pour les morts de Sérapion de Thmuis, au ive siècle44, et sur une épitaphe de Nubie45. Rappelons aussi les variantes du livre des Hymnes 10, 8 (« Le Seigneur de tout esprit et le Maître de toute créature »), de // Maccabées 3, 24 (ô tcov TrvsufxaTwv xal 7tàcry)<; e^oucuaç Suvàaryjç) et de / Clément 64, 1 (ô 7ravTe<rc67TOr)ç 0soç xal 8sct7u6tiqç tûv 7tveu[zaT(ov xal xupioç îtàcr/jç aapxoç).

L'appellation xupioç tc5v Tn/sufAocTCOv xal toxctyjç aapxoç apparaît pour la première fois sur deux stèles funéraires de Délos, datant du ne siècle av. J.-C, où le lapicide appelle la vengeance du « Dieu Très-Haut, le Seigneur des esprits et de toute chair », sur les assassins de deux jeunes filles juives46. Bien que ôsoç soit remplacé par xupioç, la référence à Nombres 16, 22 est explicite.

Le titre « Seigneur des esprits », fixé dans le livre des « Paraboles », s'est rapidement perdu, sans doute parce que sa signification n'était plus perçue. Déjà l'auteur de ï Apocalypse n'en a plus l'intelligence, puisqu'il appelle le Seigneur « le Dieu des esprits des prophètes »47. Une tablette de défixion paraît croire que le « Seigneur des esprits » est un « Seigneur des vents », puisqu'elle le nomme tov 0eov tcov àvé- (ACOV Xal 7TV£U(i,àTCOV48.

L'invocation de Clément d'Alexandrie, dans son Protreptique, reste ambiguë :

Tov xûptov tcov 7rveufxàT<ov 7co8û, Tèv XUpiOV TOU 7TUpOÇ, tÔv tov

La dénomination « Seigneur des esprits » ne se maintient guère que dans la littérature magique et astrologique. Elle figure dans le PGM 62, 26 et dans un manuscrit astrologique, le Parisinus 241950.

44. Sacramentarium Serapionis 30 (éd. F. X. Funk, Didascalia et Constitutiones Apostolorum, II, Paderborn, 1905, p. 193.

45. Voir J. W. B. Barns, Christian Monuments from Nubia, Kush, 2, 1954, p. 26-32. Je dois la connaissance de cet article à M. A. Caquot.

46. Voir A. Deissmann, Licht vom Osten*, Tûbingen, 1923, p. 351-352. 47. Apocalypse 22, 6. 48. Audollent 242, 5. 49. Clément d'Alexandrie, Protreptique, 6, 67, 2. 50. Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum, 8, 2, Bruxelles, 1911, p. 175.

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442 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Dernier exemple, je relève dans le DMP 28, 1 l'expression nb by « Seigneur des esprits »51.

L'auteur de la « Prière » a compris le titre de « Seigneur des esprits » en magicien. Pour lui, à n'en pas douter, le « Seigneur des esprits », c'est le Maître des démons. Semblablement, lorsque l'alchimiste Zosime demande à un curieux petit homme, barbier blanchi par les années, « et toi, es-tu un esprit ? », il lui est répondu : xal 7tveufxa xal cpuXa£ TCV£U(j,àrcov52.

Il faut maintenant, par une analyse régressive, s'interroger sur le sens du titre « Seigneur des esprits » dans le livre des « Paraboles ». Observons, tout d'abord, que Dieu n'est jamais appelé dans cette section du livre d'Hénoch « Seigneur des esprits et de toute chair », mais, toujours, « Seigneur des esprits ». Ce n'est pas une simple brachylogie, mais une modification délibérée. L'auteur des « Paraboles » conçoit le monde comme une immense machinerie, actionnée par une multitude d'esprits : esprit du tonnerre, esprit de la mer, esprit de la gelée, esprit de la grêle, esprit de la neige, esprit du brouillard, esprit de la rosée, esprit de la pluie...53. Il se peut que l'auteur des « Paraboles » ait pensé que Dieu était, de toute nécessité, le chef et le grand organisateur de cette armée d'esprits et donc « Seigneur des esprits », mais est-ce là le sens originel de ce nom mystérieux ? Je crois, pour ma part, que l'auteur des « Paraboles » n'a pas créé le titre de « Seigneur des esprits », mais qu'il l'a recueilli et interprété. Le nom de « Seigneur des esprits » a dû avoir une signification plus haute, plus secrète, connue des seuls initiés : le « Seigneur des esprits », c'est le « Seigneur des (deux) Esprits », de ces deux Esprits qui, dans le monde et dans le cœur de chacun, se livrent une lutte sans merci. C'est rejoindre là les lignes fortes du dualisme qoumrânien, tel que l'expose précisément 1' « Instruction sur les deux Esprits »54. L'idée, assurément, n'a jamais été formulée, mais pouvait-elle l'être, alors que la critique ignorait, avant les découvertes de Qoumrân, l'essentiel de la théologie essénienne ? On objectera, certes, que l'auteur des « Paraboles » aurait pu dire le « Seigneur des deux Esprits », mais il a pu ne pas connaître la signification cryptique du titre ou ne pas vouloir pleinement la révéler. Dans l'expression « Seigneur des esprits », je donnerais donc volontiers au pluriel la valeur d'un duel. Quoi qu'il en soit de cette interprétation, l'origine du titre « Seigneur des esprits » dans la

51. F. Ll. Griffith et H. Thompson, The Démolie Magical Papyrus of London and Leiden, London, 1904, p. 163, traduisent l'expression démotique « lord of spirits » ; Crum 28a traduit la glose copte supralinéaire neb bai « lord of spirit(s) ».

52. Zosime, Sur la vertu, 3 (éd. M. Berthelot-Ch. Em. Ruelle, Collection des anciens alchimistes grecs, ll, Paris, 1888, p. 109.

53. / Hénoch 60, 15-21. 54. Règle 3, 13-4, 26.

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UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CREATEUR 443

« Prière » n'est pas douteuse : elle est à trouver dans le texte grée perdu du livre des « Paraboles ».

Dès lors, par contiguïté, l'appellation « Dieu des dieux » dans la « Prière » a quelque chance de venir, elle aussi, du livre d'Hénoch. On aimerait vérifier cette conjecture par l'existence, dans la « Prière », de l'acclamation liturgique dans ses trois termes : « Dieu des dieux, Seigneur des seigneurs, Roi des rois »...

Ligne 468. — La formule Iaco outji revient à la ligne 472 sous la forme Iaco outjs et, avec une légère variante en PGM 13, 779 Iaco oueï) ou, en 13, 934 Iaco ousa. Ces jeux de voyelles associées au nom de Iaco ont déjà été étudiées par L. Blau55 et F. Dornseiff56.

Ligne 471. — û^i(3ps|A£T/)ç est une épithète classique de Zeus chez Homère57 et chez Hésiode58.

Ligne 472. — éyco zl[ii : formule traditionnelle d'identification du magicien au dieu59. Voir, par exemple PGM 69, 1-2 : 86ç (xot crou tyjv Îct^ûv, ico A(3paaaS;, 86ç [loi crou rrçv iayw' èyco yàp ziyu A(3pacra£.

Ligne 473. — L'adverbe crupicm doit être traduit : « en langue de Syrie » et désigne l'araméen, explicitement distingué de l'hébreu (sppaïcm) à la ligne 47560.

Ligne 474. — ÇaaXayjpicpcpou ne se trouve qu'ici dans les papyrus grecs magiques. La signification de ce mot est inconnue.

Ligne 476. — a(3Xava0avaX(3a est le plus fameux des palindromes de la littérature magique. Il est sans doute d'origine sémitique et se trouve attesté en grec, en copte, en démotique, en latin et en hébreu61.

— a(3paaiXcoa se lit, sous diverses variantes, dans les PGM : a(5pacnXoua en 12, 112, ; a(3pacriaoua en 12, 158 ; a^pyjatoa en 4, 282. La signification de ce mot est inconnue.

Ligne 477. — cnXOaxcooux es^ un mot égyptien62, x400^ transcrit le vieux copte khôôkh « ténèbres » (Crum 101 b ; Vycichl 74 a) comme dans bai nkhôôkh « esprit de ténèbres » (Crum 28 a) ; nombreux exemples dans la littérature magique et dans les intailles63 ; cnXôa

55. L. Blau, Das altjùdische Zauberivesen, Strassburg, 1898, p. 141-146. 56. F. Dornseiff, Das Alphabet in Mystik und Magie, Leipzig-Berlin, 1922,

p. 35-60. 57. Homère, Iliade, I, 354. 58. Hésiode, Théogonie, 568. 59. Cf. E. Schweizer, Ego Eimi, Gôttingen, 1939, p. 29. 60. Il paraît difficile de donner ici à êppaïort le sens d' « araméen juif » que

lui donne, dans d'autres textes, H. B. Rosén, L'hébreu et ses rapports avec le monde classique, Paris, 1979, p. 48.

61. Voir Th. Hopfner, Griechisch-àgyptischer Offenbarungszauber, I, Leipzig, 1921, p. 189 ; G. G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism and Tal- mudic Tradition*, New York, 1965, p. 94.

62. Je remercie M. A. Gutbub, Professeur émérite à l'Université de Lille, de l'aide précieuse qu'il m'a apportée dans l'identification de certains mots d'origine égyptienne.

63. Voir Delatte-Derchain n° 94.248.290.403.429 et comparer Audollent 243, 1-2 ; 252, 13-20 ; 253, 22-30.

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444 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

transcrit le copte éeleet « fiancée » (Crum 560 b ; Vycichl 261) ; tra^ duire « fiancée des ténèbres ».

— XaiXajx : transcription de l'hébreu Q n$h « à jamais »u. Peut- être faut-il rattacher XaiXajx au mot précédent et comprendre : « fiancée des ténèbres éternelles ».

— (3XaaaXco0 : seul exemple dans les PGM. Reconnaître peut-être dans la première syllabe, (3Xa, le copte bôl, bâl « délier » (Crum 32).

— isco n'est pas une variante de lato, mais la transcription du copte eiô, iô « âne » (Crum 75b-76a ; Vycichl 60b-61a), animal démoniaque que les Égyptiens identifiaient au dieu Seth65. Il est invoqué dans la formule magique ico ep(37]0 (PGM 3, 71.116 ; 4, 3267 ; 14, 22 ; 36, 78 ; voir également DMP 23, 15, Audollent 251, 9).

— vefiouG est d'origine égyptienne : démotique nb (Erichsen 212), copte neb (Crum 221 a) « Maître », qui entre dans la composition de nombreux noms propres66. Rapprocher PGM 13, 984 vs[3ouy]Ti.

Lignes 478-479. — Ap(3co0 : transcription grecque de l'hébreu 2?31tf « quatre », équivalant au tétragramme iT.iT. Le 8 correspond au n de l'état construit n?mtf67. Rapprocher PGM 4, 363 :

— Ap(3a0uxo> : même mot que le précédent auquel est joint le « trigramme » lato. Les attestations de ce nom magique sont nombreuses. Voir, par exemple, PGM 4, 981. 1564 ; 5, 352 ; 36, 308 ; on le relève également sur des intailles68.

— I<xo>0 2a(3occD0 : transcription de P15OÏ ÎTlîT « Yahvé des armées », expression courante dans l'Ancien Testament. La forme Iaco0 est remarquable. Iaôth est, en effet, une entité distincte de Iaô dans de nombreux documents. C'est le nom d'un signe du zodiaque dans YApocryphon de Jean69 et d'un décan dans le Testament de Salomon70. On retrouve « Iaôth » sur une intaille71 et, en copte, dans le Papyrus gnostique de Turin12.

Lignes 479-480. — Les deux mots IlaToupy] et Zayoupy) sont une crux interpretum. IlaToupyj est une variante de Flayoupr). Les vocables Flayoupï] et Zayoupyj sont associés au nom de Iaô dans le PGM 36, 308 (Ia<o 2a|3aa>0 Ap(3a0iaû) Zayoupyj Ilayoupy]) et 349-

64. Voir C. Bonner, Studies in Magical Amulets, Ann Arbor, 1950, p. 187. 65. Voir Th. Hopfner, op. cit., I, p. 107 ; J. Gwyn Griffiths, Apuleius of Madau-

ros, The Isis-Book (Métamorphoses, Book XI), Leiden, 1975, p. 24-25. 66. Cf. F. Preisigke, Namenbuch, Heidelberg, 1922, col. 226. 67. Voir A. A. Barb, Abraxas-studien, Latomus, 28, 1957, p. 68-69. 68. Voir Delatte-Derchain n° 502 et 510. 69. Apocryphon de Jean B, 40, 5. 70. Testament de Salomon 18, 13.27. 71. Delatte-Derchain n° 521. 72. Papyrus gnostique de Turin 47, 21 (éd. M. Kropp, Ausgewàhlte koptische

Zaubertexte, I, Bruxelles, 1931, p. 70).

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UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR 445

350 (Iocû> 2a(3<xto0 ASûjvou IlayoupY) Zayoup-rç A^paaa^ Ap(3a0ia<o), dans un papyrus copte magique du Caire73 et dans la Pistis Sophia 136 ; IlayoupT) peut se trouver seul (PGM 7, 606 ; 19a, 37 à droite), de même Zocyoupy) (PGM 13, 79. 146. 452. 926). On lit aussi Zayoup?) sur une intaille magique74. Les essais d'explication restent aléatoires75.

Lignes 480-481. — Bapou/ AScovai EXcoai A(3paafx est la transcription grecque de l'hébreu DmilS T\h$ >J1 S T"Û (< Béni soit Adonaï, Dieu d'Abraham ». C'est, à peine abrégée, la première des Dix-Huit Bénédictions que tout juif pieux devait réciter trois fois par jour : « Béni sois-tu, Adonaï, notre Dieu et le Dieu de nos pères, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob »76. Cette quasi- citation de la liturgie juive de langue hébraïque est d'une importance capitale : elle montre que l'auteur de la « Prière » n'a pas seulement une connaissance livresque du judaïsme par la lecture des Septante, mais qu'il a un contact intime avec la piété juive. Il rejoint ainsi l'auteur du Poimandrès qui, lui aussi, connaît les Dix-Huit Bénédictions17.

Lignes 481-482. — B<xp(3apaucù : seule attestation dans les PGM. Comparer Bap^ap AScavat (PGM 4, 385). « Barbar » est, dans VApocryphon de Jean, le nom d'un démon affecté au sein droit78.

— vautra : seule attestation dans les PGM. Le nom est peut-être d'origine égyptienne.

Ligne 483. — xoctjaou to SidcS-yj^a TOxvTèç xaxéxwv : comparer PGM 36, 216-217 : ô 'Aya06ç Aocifxwv tou x6ct(xou, ô crréepavoç ttjç oîxouf/ivyjç.

Lignes 483-487. — Ces lignes constituent le passage le plus intéressant de la « Prière ». Observons, tout d'abord, que cette formule revient, à plusieurs reprises, mais avec d'importantes variantes, dans les PGM (fig. 2). Ces variantes permettent de mieux cerner, comme on le verra, le sens général de la formule.

Laissons, pour un instant, les deux premiers mots du « logos » — (H£7ty) et CTaxTiery) — sur lesquels nous reviendrons plus tard. On remarquera que chacun des mots suivants est énoncé deux fois : (3iou-(3t,ou ; cyçyj-CTÇT) ; vouat-vouai ; aieQo-aieQo. Ces mots, chacun répété, n'offrent aucun sens en grec. Goodenough traduit (3iou (3i,ou par « de la vie, de la vie », ce qui serait philologiquement admissible,

73. Papyrus magique du Caire 7 (éd. M. Kropp, op. cit., I, p. 50). 74. Bonnern°265. 75. Voir Th. Hopfner, Archiv Orientâlni, 3, 1931, p. 343 ; C. Bonner, op. cit.,

p. 198 ; E. R. Goodenough, op. cit., II, p. 107. 76. Texte hébreu dans W. Staerk, Altjûdische liturgische Gebete*, Berlin, 1930,

p. 8-19. Sur les « Dix-huit Bénédictions », voir I. Elbogen, Der jùdische Gottes- dienst*, Frankfurt, 1924, p. 27-60.

77. M. Philonenko, Le Poimandrès et la liturgie juive, dans Les syncrétismes dans les religions de l'antiquité, Leiden, 1975, p. 204-211.

78. Apocryphon de Jean II, 17, 15. 1985 30

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446 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

PGM 5, 483-485

aient] oaxTteT/) fiiou açY] 097) vouai vouai

CTIS0O (Tteôo

PGM 13,807

aaKTiSTY) (3i|3tou (3i(3iou

vouai vouai aeyje aerje ais6o> aieOco

vouxa vouxa

PGM 2,123

laaçT) laaçr] fk(3iou j3i(îiou açvj açY) vouai vouai

aieStov aieOwv Apaapiœai Apaajxcoai vouxa vouxa

PGM 1,239-241

(3i(3iou (âi(3iou aq>7) açy) vouai vouai

ateyto aicyco

vouxa vouxa Xivouxa Xivouxa

PGM 2,81

açY) a«p7)

aieGto ateOto

Fig. 2. — Formules pour la parturiente.

si ptou était le génitif du grec (3toç « vie ». La comparaison avec les autres formes du « logos » montre qu'il n'en est rien. Ailleurs, on a (3i(!kou (3i(ikou79. Il ressort de cette première constatation que (3tou pourrait être une simple corruption de (3i(3iou. Or, comme l'avait déjà noté Th. Hopfner80, (3i(3iou est la transcription grecque de l'égyptien b' b\w « âme des âmes ». On relève en outre dans le PGM 13, 325 l'expression p^iou ouyjp « la grande âme des âmes » et dans le même papyrus, 13, 1058, la formule (3iou Xvoufz ouvjp « les âmes du grand Chnoubis ». De surcroît, (3iou s'est conservé dans les noms des décans qui, comme chacun sait, sont d'origine égyptienne81 ; (3iou est le premier décan des Poissons, selon Héphaiston, et îrapiou le troisième82. Les tablettes zodiacales découvertes à Grand, en Lorraine, en 1967-1968, nous livrent les noms des trois décans des Poissons : copoç, Tefkou et (ikou83. Enfin, Origène, dans son Contre Celse, nomme dans sa liste des décans (3iou et epe(3iou84. La forme (3iou est donc parfaitement correcte et amplement attestée. On traduira donc (3iou (3iou : « âmes des âmes », ou si l'on retient la leçon (3i(3tou Ptj3tou : « Âme des âmes, Âme des âmes ».

Cette prise assurée, la progression peut se développer normalement.

79. Voir la figure 2. 80. Th. Hopfner, op. cit., I, p. 177. 81. Voir l'ouvrage classique de W. Gundel, Dekane und Dekansternbilder,

Glûckstadt-Hamburg, 1936 et O. Neugebauer-R. A. Parker, Egyptian Astrono- mical Texts, III, London, 1969.

82. O. Neugebauer-R. A. Parker, op. cit., III, p. 169. 83. Voir R. Billoret, Grand la gallo-romaine, Nancy, 1972, p. 32 et flg. 36 ; Les

villes antiques de la France, I, Strasbourg, 1982, p. 230 et flg. 13. 84. Origène, Contre Celse, 8, 58.

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UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR 447

— crcpr) est la transcription grecque du démotique sf.t « Seigneur » (Erichsen 504) et <r<py] crcpy) est à comprendre comme un génitif direct85 et à traduire « Seigneur des seigneurs ».

— vouât n'est pas la transcription du copte nouthe « Dieu » comme l'envisage Th. Hopfner86, mais du démotique nsw « roi » (Erichsen 228). Traduire vouai vouât : « Roi des rois ».

L'interprétation est de grande conséquence, car elle restitue les deuxième et troisième termes de l'acclamation liturgique de / Hénoch 9, 24 :

« Tu es : le Dieu des dieux

le Seigneur des seigneurs, le Roi des rois ».

Par un procédé connu du Poimandrès, par exemple, l'auteur avait d'ailleurs annoncé cette citation du livre d'Hénoch, en en donnant par avance le premier terme, 0eoç Oscov, « Dieu des dieux ».

— cusOo n'appartient plus à la citation d'Hénoch. C'est la transcription grecque de l'égyptien s'- /' « fils de la terre » (Erman-Grapow III, 410, 16 et 17), le serpent ; comparer démotique st (Erichsen 472), copte sit (Crum 359 a). Le nom est conservé dans les Tabellae Defi- xionum sous la forme cti£vt[e] (kevts (Audollent 269, 16-17). L'astrologie en a gardé le souvenir sous le nom de avz : deuxième décan du Cancer chez Héphaiston (Gundel 77, 11) ou même de mero : troisième décan du Scorpion chez Kamatéros (Gundel 79, 24). Traduire <Ti£0o ffisGo : « Serpent des serpents ». C'est la figure de l'Agatho- démon87.

On remarquera, et le fait est extrêmement curieux, que le Papyrus Sait 825, cite le début de notre formule b\ b\w §fty êftyw88, de même le DMP 29, 6, mais avec une inversion, sfe sfe byw.

— /0£0covi piyx : le mot piy^ est la transcription du démotique rn-k « ton nom » (Erichsen 249). Comprendre comme dans le PGM 7, 368 X0e0û>[vt,] Ôvo[xà aot, : « Chtethôni est ton nom ». Autre attestation de x^sôcovi, dans le PGM 4, 1982 dans la formule /0e0(ovi XocïXa[A. Noter deux exemples du mot démotique Ghthethôni dans le

85. Cf. W. C. Till, Koptische Grammatik*, Leipzig, 1966, p. 67. 86. Th. Hopfner, op. cit., I, p. 177. 87. Sur l'Agathodémon, voir, entre autres, R. Reitzenstein, Das iranische

Erlôsungsmysterium, p. 189-207 ; A.-J. Festugière, op. cit., IV, p. 146, note 4 ; 189.193 ; L'idéal religieux des Grecs et l'Évangile*, Paris, 1981, p. 318, note 4.

88. Papyrus Sait 825, 9, 5. Sur ce passage, voir E. Drioton, La cryptographie du papyrus Sait 825, Annales du Service des Antiquités de l'Egypte, 41, 1942, p. 124 ; Ph. Derchain, Le Papyrus Sait 825, I, Bruxelles, 1965, p. 191.

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448 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

DMP et qui est l'équivalent exact de ^GeOcovt : le premier exemple dans la formule mimi, bibiou, gthetôni (28, 2) ; le second comme nom d'un magicien, semble-t-il (27, 20). Comparer, enfin, les formules 8vux6e6covt, pivyx ocreapo) (Audollent 252, 4) et 6va£x0s6o)vi P^YX oas(7p[co] (Audollent 253, 5).

Les formules Svojjià <roi (PGM 3, 503. 508. 511. 513) ou tô àXy)6ivèv Ôvofxà aou (PGM 8, 42) ou encore tô aùGevTixov cou ovojxa (PGM 9, 13) sont usuelles pour introduire la révélation du nom « caché ». Voir aussi DMP 1, 12 ; 2, 13 ; 7, 31. 32 ; 8, 9 ; 18, 13.

Dans le mot x^sQ^vt,, 6<ovi, peut être le démotique t\hn.t « le canal » (Erichsen 311). Comparer le copte hône ou thône dans les noms de lieu (Crum 690a ; Vycichl 304b-305a) ; %0e serait l'égyptien hnt « à la tête » (Erman-Grapow 3, 304 ; Erichsen 363). On traduira donc x0£0<«>vi « (celui qui est) à la tête du canal », épithète qui désignerait le dieu crocodile Sobek, Seigneur du Fayoum.

Lignes 485-486. — to-yja y) yjcoa acoyj : jeu sur les voyelles « alpha », « êta » et « oméga ». Noter que ces voyelles précèdent et annoncent le nom de « Iaô ».

Il est maintenant possible de revenir aux deux premiers mots du « logos » laissés en attente : aizTzri et CTaxTisnr).

Dans at£7nrj, en est la transcription du démotique si « fils » (Erichsen 402) ; S7nr) est le nom de la déesse hippopotame Ipet ou Opet, mère du crocodile Sobek et déesse de la naissance89. L'astrologie en garde mémoire, puisque, avec des variantes, c'est le nom du deuxième décan du Lion : t^ty) (Gundel, 77, 14), znzi ou nzi (Gundel 79, 14).

Dans aaxTisTT), crax vient de l'égyptien s\k (Erman-Grapow 4, 25, 10) ; démotique sk (Erichsen 466) ; copte sôk (Crum 325a) « se contracter » ; ety] est le démotique t(j)t (Erichsen 13), encore attesté en copte oote, avec l'article Me (Crum 257 a) « utérus ». On traduira craxTieT?) « celle qui fait se contracter l'utérus » : nouvelle allusion à la déesse Ipet et à sa bénéfique influence.

Les deux mots ocaiocX et oXcrco sont, peut-être, d'origine égyptienne, mais leur signification est incertaine.

— 2<xpa7u se rapporte sans doute à xoctjxou tô SiàS-yjjza 7tavxèç x<xtéxû>v. C'est le Dieu Sérapis qui « porte le diadème de tout l'univers ».

Dans sG^oupyjmvi, reconnaître le relatif copte et et dans fxoupy) le verbe mour « lier » (Crum 180a-181b ; Vycichl 119) ; awi est la transcription du copte sêini « médecin » (Crum 342b). Traduire « celui qui lie le médecin ».

— gs[l, dans gz[i Xau Xou Xouptyx» transcrit le copte êem « jeune »

89. Voir T. Sâve-Sôderbergh, On Egyptian Représentations of Hippotamus Hunting as a Religious Motive, Uppsala, 1953, p. 46 et l'article « Ipet » de D. Meeks, Lexikon der Âgyptologie, III, Wiesbaden, 1980, col. 172-175.

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UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR 449

(Crum 563 b) ; Xau Xou est le copte Mou (Crum 141 b) « jeune fille ». Traduire « jeune fille est ton nom ». Comparer le PGM 7, 493-494 to 6vo(xà (jou Xou : XouXou. « Loou » est également un nom divin dans le DMP 9, 6. C'est vraisemblablement ici une épithète d'Isis, encore qu'elle ne soit pas attestée jusqu'à présent.

Dans les formules parallèles90, on relèvera spécialement vou^a vou/a : égyptien nk' (Erman-Grapow 2, 343, 14), copte naake « douleur » (Crum 223 a), particulièrement les « douleurs de l'enfantement » (Vycichl 143), ce qui convient parfaitement au contexte.

— ApcrajAtocn : Ap est la transcription de l'égyptien Hr « Horus » (Erman-Grapow 3, 127), comme dans Apcit]Gic, « Horus le fils d'Isis » (Erman-Grapow 3, 123, 8) ou ApTtoxpaTrçç « Horus l'enfant » (Erman-Grapow 3, 123, 6) et dans de très nombreux noms propres91 ; aocfxoocTi transcrit le copte samisi « premier-né » (Crum 185 a ; Vycichl 253 a). ApcrafjLWCTi. signifie donc « Horus le premier-né ». Cette mention du jeune dieu dans le « logos » magique est d'un extrême intérêt.

Ligne 488. — 7ié8aç Xuei « délie les entraves » doit s'entendre au sens propre de la « délivrance » de l'accouchement92.

CONCLUSIONS

Ce « logos » magique n'est donc pas une litanie de noms barbares sans signification. Le « Sitz im Leben » du document apparaît en pleine lumière : c'est une incantation pour un accouchement, comme la littérature égyptienne en donne des exemples93. L'allusion à Isis et à son fils Horus le « premier-né » est ici décisive, car, lorsque Isis donne naissance à son fils, son accouchement préfigure celui de toutes les femmes en ce monde94.

Plus généralement, ce qui fait la valeur religieuse de la « Prière », c'est son unité spirituelle profonde. Les formules en clair et les formules « magiques » sont de la même veine. Elles témoignent d'une commune inspiration.

Cette « Prière au dieu Créateur » est une Prière à tous les dieux de la création. En un syncrétisme tumultueux, le magicien les invoque tous : qu'ils viennent, — Celui qui a créé la terre, les os, toute chair et tout esprit, l'Infaillible Aiôn, Zeus, Adonaï, le fils de la

90. Voir figure 2. 91. Cf. F. Preisigke, Namenbuch, col. 44-59. 92. Cf. W. Westendorf, article « Geburt », Lexikon der Âgyptologie, II, Wies-

baden, 1977, col. 461-462. 93. Voir A. Erman, Zauberspruche fur Mutter und Kind, Berlin, 1901 ;

J. F. Borghouts, The Magical Texts of Papyrus Leiden I 348, Leiden, 1971, p. 12-13.

94. Cf. W. Westendorf, art. cit., col. 461-462.

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450 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

déesse Ipet, le Dieu des dieux, le Seigneur des Seigneurs, le Roi des rois, et Sobek — , aider la mère et sauver l'enfant.

Si cette « Prière » est une création collective, elle n'en a pas moins un auteur, fût-il anonyme. Son syncrétisme religieux est sous-tendu par un véritable trilinguisme. L'auteur a encore quelques rudiments d'hébreu et c'est dans cette langue qu'il récite la première des Dix- Huit Bénédictions, mais sa Bible, c'est la Bible grecque et c'est en grec qu'il lit le livre é'Hénoch. Il parle l'égyptien et connaît les occultes et contraignantes vertus du démotique.

L'auteur de la « Prière » est sans doute d'origine juive, mais d'un judaïsme hellénisé et égyptianisé. Il pourrait appartenir à l'une de ces communautés, immergées dans la masse égyptienne, qui auraient survécu, de façon souterraine, au désastre qui frappa le judaïsme alexandrin sous Hadrien.

Pour l'essentiel, le sens et la portée de ce document hors du commun sont établis. Certes, plusieurs mots « magiques » restent inexpliqués, mais fallait-il forcer le sens, là où la part de l'hypothèse semblait trop grande ? D'autres, après nous, plus savants ou plus heureux, sauront les décrypter.

L'interprète d'aujourd'hui dit avec le magicien d'hier : XapiT)f)<nov. xoivà, ècp'ô GéXetç.

* *

M. André Caquot présente les observations suivantes :

Après avoir rendu hommage à la mémoire du R.P. Festugière, censeur du discrédit dont pâtissaient en France les papyri magiques, M. Caquot félicite M. Philonenko d'avoir donné un exemple aussi clair de la méthode apte à montrer ce qu'ils apportent à la connaissance de l'Antiquité. Les « noms barbares » ne sont pas indignes d'attention. Ils mériteraient d'être recueillis de manière systématique, ainsi que ceux des entités novices ou préservatrices. La publication de l'Index de K. Preisendanz serait un indispensable préliminaire. Mais il conviendrait de relever aussi les noms des amulettes, des gemmes, des bols magiques et de ne pas négliger les témoins orientaux d'un genre littéraire international. Dans le monde méditerranéen, à la fin de l'Antiquité, les mots chargés d'efficace et les thèmes mythologiques garantissant le salut s'échangeaient d'une langue à l'autre.

Concernant les thèmes juifs dans la présente prière, M. Caquot les croit plus nombreux que ne le laissent entendre la traduction et l'annotation de K. Preisendanz. Après avoir rappelé au début le thème de la création, la prière fait en effet référence au passage

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UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR 451

de la mer Rouge, type même de l'intervention salutaire de la divinité : l'expression aryjCTavTa ttjv 0àXaTT<xv convient mieux pour évoquer cet épisode de l'histoire sainte (voir Psaumes 77, 13) que pour signaler un moment de la stabilisation du cosmos (auquel Job 38, 8 pourrait faire penser). Pour les mots suivants, on doutera qu'il soit nécessaire de corriger <yaXsu[ en <toxct > (7aXèu[aavTa] : « qui a cloué le ciel » est inattendu dans un rappel du mythe cosmogonique juif, mais le verbe aaXeûsiv qui dénote l'ébranlement de la terre dans les récits lyriques de la théophanie (Psaumes 17, 8) pourrait aussi s'appliquer au ciel qui à la fin des temps doit également trembler et chanceler (voir / Hénoch 60, 1).

M. Caquot est moins sûr que le terme èêpou<m dénote l'hébreu à l'exclusion de l'araméen, et fait remarquer l'allure araméenne des noms, marquée par le timbre a ; pour ne considérer qu'un terme intelligible, AaiXa^ s'explique mieux par l'araméen leCalam que par l'hébreu de même sens la'ôlâm, « à jamais ».

MM. Georges Posener et Pierre Grimal interviennent après cette communication.

M. Jean Leclant, qui n'avait pu assister à la discussion de la communication, avait laissé au Bureau la note suivante : « La méthode d'approche des textes magiques grecs proposée par M. Marc Philonenko semble pouvoir être retenue : un certain nombre d'abra- cadabras peuvent correspondre à des désignations et des épithètes susceptibles d'être interprétées par le démotique (et le copte). Tout récemment, de façon indépendante, M. Jan Bergman avait proposé de reconnaître les noms égyptiens des Barques du jour et de la nuit dans PGM, VII, 11. 516-521 (Studies in Egyptian Religion dedicated to Professor Jan Zandee, supplément à Numen, Brill, 1982, p. 28-37). Certes, une grande prudence s'impose en de tels domaines ; la convergence des résultats atteints par M. Marc Philonenko ne manque cependant pas d'être impressionnante. »

Audollent Bonner Crum Delatte-Derchain DMP

Erichsen

Abréviations utilisées

A. Audollent, Defixionum Tabellae, Paris, 1904. C. Bonner, Studies in Magical Amulets, Ann Arbor, 1950. W. E. Crum, A Coptic Dictionary, Oxford, 1939. Les intailles magiques gréco-égyptiennes, Paris, 1964. F. Ll. Griffith-H. Thompson, The Démolie Magical Papyrus of London and Leiden, I-III, London, 1904. W. Erichsen, Demotisches Glossar, Kopenhagen, 1954.

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452 COMPTES RENDUS DE l' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Erman-Grapow : A. Erman-H. Grapow, Wôrterbuch der âgyptischen Sprache, I-VI, Leipzig, 1926-1950.

Gundel : W. Gundel, Dekane und Dekansternbilder, Gluckstadt-Ham- burg, 1936.

PGM : K. Preisendanz, Papyri Graecae Magicae*, I-II, Stuttgart, 1973.

Vycichl : W. Vycichl, Dictionnaire étymologique de la langue copte, Louvain, 1983.

LIVRE OFFERT

M. Jean Leclant, Secrétaire perpétuel, a la parole pour un hommage :

« En cette séance de rentrée de notre Académie, j'ai l'agréable honneur de déposer sur le bureau le premier fascicule 1985 de nos Comptes rendus. Consacrés au premier trimestre, il n'a pas moins de 263 pages. On y trouve les discours de passation de pouvoir entre le Président sortant, R.-H. Bautier, et le Président de 1985, Pierre Grimai, une allocution de R.-H. Bautier à l'occasion du décès de notre correspondant Raymond Cazelles, mon rapport sur l'état des publications de l'Académie et un rapport par R.-H. Bautier de la Commission du concours des Antiquités de la France ainsi que des notices substantielles sur les ouvrages présentés en hommage. Les communications sont variées : inscriptions archaïques de Crète (H. van Eiîenterre), recherches archéologiques en Cyré- naïque (A. Laronde), à Argos (P. Aupert), en Tripolitaine (G. Picard), recherches sur la racine Ôyxoç (J. Jouanna) et l'œuvre d'Évagre le Pontique (A. Guillau- mont), étude sur les débuts de la monnaie arabe (Cl. Cahen), enquêtes sur la société médiévale : continence et virginité dans la conception clunisienne (D. Iogna-Prat), jeunesse et vieillesse (Fr. Autrand), les origines de la « noblesse » et de la « chevalerie » (K. F. Werner), l'expropriation pour cause d'utilité publique (Ch. Higounet). Comme de coutume, Mme M. M. Ducos-Fonfrède a assuré la publication du fascicule dans des délais fort brefs et a veillé à sa présentation exemplaire. »