PHILIPPE STARCK · 2020. 1. 7. · Philippe Starck Fabriquées en bois, ces maisons préfabriquées...

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Bâtiment HABITAT S VILLE PHILIPPE STARCK GEEK ECOLOGY Photographie Fe Pinheiro

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Bâtiment

HABITAT

SVILLE

PHILIPPESTARCK

GEEKECOLOGY

Photographie

Fe Pinheiro

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Matériaux innovants et intelligenceartificielle vont-ils transformerles architectes en têtes pensantesde la transition énergétique ?Entretien avecle plus visionnaire desarchitectes français, Philippe Starck.

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Bâtiment

HABITAT

SVILLE

Philippe Starck

Fabriquées en bois, cesmaisons préfabriquéesau prix accessible sontéquipées de panneauxsolaires, d ’ un systèmede récupération del’ eau de pluie ainsi qued ’ une pompe à chaleur.

Naissance18 janvier 1949

LieuParis

Marié et pèrede cinq enfants

ProfessionDesigner8 Architecte

tr----- -—Commandeur des Artset des Lettres, Chevalierde la Légion d ’ honneur

Influencé parles scientifiqueset les philosophes,Ptolémée, Einstein,Pascal, Archimède,Descartes, Platon

Nani Nani, immeuble« biomorphique »installé dans le quartierde Shirokanedai, àTokyo. Starck a conçuun bâtiment qui a laparticularité de s’ oxyderavec la pluie grâce àune façade entièrementrecouverte de cuivre.Une architectureévolutive en fonctiondu climat, à la foisdynamique et animale,qu ’ il considère commedotée d’ une vie propre.

Photographies

Chaise A.l. : © KARTELL /AUTODESK / STARCK NETWORK

Fauteuil K/WOOD : © KARTELL/STARCK NETWORK

2015Maisons PATH(PrefabricatedAccessibleTechnological Homes),à la fois démocratiques,technologiqueset écologiques.

En collaboration avecAutodesk, Starck signe« A.l. », la premièrechaise conçue parune intelligenceartificielle dansl’ objectif de produireun objet fonctionnel,confortable, etparticulièrementéconome en matièreet en énergie.

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Mondialement connu et ultraprolifique, Philippe Starck, envéritable touche-à-tout, a de nombreuses réalisations à sonactif. Et quand il se mêle d’architecture, il propose depenserles bâtiments en y mettant plus de technologie et plus derespect descycles de la nature... Comme l ’immeuble biomor-phique Nani Nani, construit en 1989 à Tokyo, recouvert decuivre, qui produit des marres d’oxyde vert sur le sol lorsqu’il pleut - réactif au climat, il rend visible les effets qu ’unbâtiment peut avoir sur l ’environnement... Ou encore avecl’hôtel Lily of the Valley, installé sur la French riviera, qui aétépensé comme un «lieu ouvert, perméable, où la lumière,les couleurs et la végétation font naturellement le lien entrel’intérieur et l ’extérieur ».L’architecture est-elle appelée àserapprocher un peu plus de la nature et à jouer un rôle toujours plus utile pour répondre aux enjeux denotre époque ?Philippe Starck nous donne sa vision de la place que le numérique et l’écoresponsabilité occupent aujourd ’hui danslafaçon de concevoir un bâtiment.

Vous dites souvent que vous faites un métier inutile, maisl'architecture est devenue le principal vecteur de la transition énergétique. Le métier d'architecte n'est-il pas extrêmement utile ?

Philippe starck Je vais me faire énormémentd’ennemis en répondant ceci - ce ne sera pas la première,ni la dernière fois -, mais je n’ai pas l ’impression que ce sontles architectes qui ont dans leurs mains les clés de la transition énergétique. Je crois que la solution passe avant toutpar la technologie, et donc par les ingénieurs. Dans le passé,la technologie était dans les mains des architectes, car elleétait moins complexe. Aujourd'hui, nous mettons en formeles inventions desingénieurs.

Dans les mains des élus, il y a les normes d'efficacité énergétique. En quoi influencent-elles le travail desarchitectes ?

PS Elles influencent le travail des ingénieurs, qui vontdevoir prévoir le flashagemétallique à l ’intérieur d’un doublevitrage afin de sélectionner le froid ou le chaud... Elles influencent aussi le travail des chimistes, qui vont mettre aupoint de nouveaux matériaux. Lesarchitectes intelligents vontles utiliser, car ils en voient la nécessité, ou par obligationgrâceà une législation de plus en plus précise et qui m ’a l ’airplutôt bien faite.

Quelle est votre approche de cesnouveaux matériaux ?

ps Nous travaillons avec des gens dont la seule mission est de trouver les matériaux les plus intelligents, et lesplus cohérents avec les nécessités d’écologie et d’efficacitéénergétique. Le créateur se doit d’être à l ’écoute de ces innovations... Son rôle est aussi de donner desdirections auxindustriels afin qu ’ils innovent. En ce moment, je suis entrain de développer une toiture qui devrait donner lieu à unproduit fabuleusement intéressant pour ce qui est du coût etde la légèreté.

L'agriculture urbaineressemble un peu àdu greenwashing :

\ elle est légèrement\ anecdotique, même si\ c ’est toujours mieux

\ que rien.

Avec le développement de l’agriculture urbaine, le bâtimentse dote d’une fonction nourricière. C'est une autre façon derendre l ’architecture utile ?

ps L'agriculture urbaine ressemble un peu à dugreenwashing.Elle est légèrement anecdotique, même si c ’esttoujours mieux que rien. Elle montre une direction qui restepour l’instant fortement symbolique. Je nepense pasqu'il soitpossible d’atteindre deschiffres deproduction suffisants pournourrir àgrande échelle les citadins, surtout sans transporterde la pollution. Un potager installé sur un toit à côté du périphérique ne vapas forcément donner debonnes carottes...Enrevanche, j ’ai une croyance absoluedans lesnouvelles fermesverticales. Elles sont extraordinaires. Il y alà une vraie scienceet un vrai rendement. La verticalité produit un footprint trèsréduit et donc trèsjuste. Et cesfermes sont faites par desgensqui peuvent les inscrire immédiatement dans devrais circuitsde production et de distribution. En plus, elles sont splendides. Une fois encore, c’est la technologie et la vision quicréent un modèle architectural, et non l ’inverse.

Cependant, de plus en plus d'architectes travaillent sur desimmeubles adaptés à l'agriculture urbaine, avecdesdispositifs intégrés pour planter et cultiver...

ps Chaque fois qu’il est possible de le faire, il ne fautpas hésiter. Mais il ne faut pas confondre les vrais servicesque peut rendre une ferme, avecune production importantede fruits et de légumes,et un jardinet personnel. Ce sont deuxchoses différentes, plus ou moins complémentaires... Et quisont très bien toutes lesdeux.

Est ceque l'architecture biomimétique, qui imite levivant, représenteune pisted'avenir pour le bâtiment écoresponsable?

PS Tout ce qui s’inspire de la nature, tout ce qui s’inspire du corps, est juste. Il y a assurément un grand potentiel dans la compréhension profonde desmécanismes de lanature, car elle a développé un nombre considérable d’innovations qui fonctionnent plutôt bien... En rajoutant dans laboucle les raisonnements de l ’intelligence artificielle et du

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deeplearning,on peut arriver à des solutions tout à fait nouvelles en vue d’économiser de la matière et de l ’énergie.

Justement. l'IA est en train de faire sespremiers pas dansl'architecture et dans le design. En quoi représente elle uneopportunité ?

ps II y a trois ou quatre ans, je me suis aperçu quemon cerveau commençait à m’ennuyer autant que celui desautres.Faire une chaiserose, verte ou rouge, dans un style oudans un autre, à la fin, c’est toujours la même chose. J’étais àla recherche de nouveauté. Je l’ai trouvée chez Autodesk enCalifornie, une des plus grossesentreprises d’intelligence artificielle. Et je me suis «challengé », comme quand le champion d'échecs Garry Kasparov jouait contre Deep Blue... J’aiposéla question la plus neutre possible àl ’ordinateur :peux-tum’aider àreposermon corps enutilisant le minimum d’énergieet de matière ?La machine a étédécontenancée puisqu’elle amis plus de deux anset demi pour livrer une solution. Elle aproduit un objet extrêmement intelligent, une des chaisesquiutilise le moins d’énergie et de matière aumonde. C’est doncune réussite.C’estlapremière chaiseà être entièrement conçuepar une IA. Aujourd'hui, je suis devenu l’un desmeilleurs designers pour mettre au point des objets économes, qui sontparfaitement fonctionnels, avecune vraie ingénierie derrière.

La vision desarchitectes ne doit pourtant pass'effacerdevantcelle desmachines ?

ps Pasunjour nepassesansquelesarchitectes trouventdes idées extraordinaires. Comme elles sont de plus en pluscompliquées àréaliser, ils sontobligés de faire appel àla puissancedes ordinateurs. C’est quelque chose que l ’on pratiqueauquotidien depuis longtemps. L’important aujourd ’hui, c’estdeposer la bonne question à la machine et que celle-ci donneune réponse sortie de nulle part, totalement «outofthe box».C'estça qui m’intéresse.L ’amélioration de la penséehumainepar l’ordinateur, on connaît. Ce que je cherche, ce sont devraies solutions totalement venues d’ailleurs.

Il pourrait donc y avoir une intégration deplus en plus fortede l ’IA dans l'architecture ?

PS En effet, mais pas uniquement dans ce domaine...Cela concerne toutes les activités humaines. Nous allons toujours plus faire appel à la puissancede calcul et de raisonnement desmachines.Nous avons désormaisànotre dispositiondescerveaux auxcapacités infinies. Lesurgences, la violenceet la complexité produites par la mise en instabilité de la nature sont au centre de la crise que nous traversons actuellement. Depuis une quinzaine d’années, l ’impact de l’activitéhumaine est plus fort que l’auto-équilibre des écosystèmes.Et nous n’avons aucune idée de la façon de rééquilibrer oudegérer cetteinstabilité. Tous les dangersqui nous menacentviennent de là. Nous jouons aux apprentis sorciers, mais laseule façon de guérir est d’utiliser le bon médicament. Et lebon médicament, c’est la puissance de calcul desmachines.

Pas un jour ne passe sansque les architectes trouventdes idées extraordinaires,

\ Pour les réaliser, ils\ sont obligés de faire\ appel à la puissance

\ des ordinateurs.

Comment les architectes anticipent ils l'explosion démographique desvilles dedemain ?

PS Laconstruction demillions de toits supplémentairesnepassera paspar l ’architecture mais par l ’ingénierie et l’industrie. Aujourd ’hui, les seulsbâtiments qui peuvent être qualifiés de modernes sont ceux qui sont préfabriqués de façonindustrielle, avecdespiècesusinéesengrande quantité, et descoûts de production nettement moins élevés.Construire denouveaux logementsestune nécessité,mais il faut enparallèleque les genspuissent lesacheter.Et, aujourd'hui, un toit coûtetrop cher, surtout avec le peu d’intelligence qu’il y a dedans.Ma croyance est dans la renaissance de l ’industrialisation etde la préfabrication.

Dans un monde où tous les problèmes sont interconnectés,l'avenir pourrait il être à une co innovation beaucoup pluspoussée entre tous les secteurs et toutes les entreprises ?Penser la ville de demain, c'est penser les transports, l'énergie, l'alimentation, l'agriculture, le numérique, la gestion desressourcesnaturelles...

ps Tout le monde est concerné par la crise actuelle etil faudrait bien évidemment que tous les acteurs et tous lessecteurs puissent se parler. Chacun doit faire ce qu ’il peutpuisque chacun doit accepter de faire moins. La grande difficulté aujourd ’hui, c’estqu’il faut moins consommer. Mais tantque l’autre continue, pourquoi arrêter ? Il faudrait légiférerpour contraindre les gens à le faire. Toutes les solutions sontconnues. Elles doivent s’installer dans l’acceptation d’unebaisse générale de 10% de la consommation. Partir 10% demoins en vacances,manger 10% de moins, acheter 10% demoins... 10%, ce n ’est rien. Tout doit commencer par uneprise deconscience individuelle, avecl ’honnêteté des’y tenir.