Pharmacologie des anesthésiques locaux en rachianesthésie : place de la ropivacaïne

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277 Le praticien en anesthésie réanimation © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés mise au point Pharmacologie des anesthésiques locaux en rachianesthésie : place de la ropivacaïne Francis Bonnet (photo), Anna Noirot Correspondance : Francis Bonnet, Service d’Anesthésie — Réanimation, Hôpital Tenon — Assistance Publique Hôpitaux de Paris, 4 rue de la Chine, 75970 Paris cedex 20. [email protected] a pratique de la rachianesthésie s’est modifiée au cours des der- nières années. Les cliniciens souhaitent moins obtenir un bloc anesthésique de longue durée qu’un bloc efficace sur une période de temps limité et si possible dénué d’effets secondaires notamment hémodynamiques. Le développement de la chirurgie ambulatoire est en partie responsable de cette demande. La lidocaïne qui a longtemps permis d’assurer un bloc répondant à ces caractéristiques (à l’excep- tion des effets hémodynamiques) a été abandonnée dans cette indi- cation du fait de la survenue fréquente de syndromes d’irritation radiculaire transitoire et de syndromes, heureusement beaucoup plus rares, de la queue de cheval. La pratique s’est donc tournée vers l’uti- lisation de faibles doses d’autres agents anesthésiques. Par ailleurs, les cliniciens ont tenté de mieux maîtriser l’extension du bloc anes- thésique et de la dissocier de la durée du bloc. De même, la pratique clinique amène parfois à souhaiter une dissociation entre le bloc sensitif et le bloc moteur. Pour atteindre ces différents objectifs, il est nécessaire d’avoir une bonne compréhension des facteurs qui régis- sent les caractéristiques du bloc anesthésique en rachianesthésie et qui seront rappelés ici. Deux articles complets de Nicholas Greene ont décrits l’ensemble des éléments susceptibles d’influencer les caractéristiques du bloc en rachianesthésie il y a 20 ans (1, 2). Même si la compréhension de la rachianesthésie a évoluée, l’essentiel des propositions de Greene reste d’actualité. Physiologie du LCR L’arachnoïde est la membrane qui s’oppose principalement à la diffusion des agents injectés de part et d’autre des méninges. L Injectés en intrathécal, les anesthésiques locaux se diluent dans le liquide céphalo-rachidien. Chez l’adulte jeune, le volume de LCR contenu dans le canal rachidien est d’environ 100 à 150 ml. Ce volume varie considérablement d’un individu à l’autre ; cette variation se situe entre 30 et 80 ml pour le LCR lombo-sacré (3) et rend compte en grande partie de la variabilité de l’extension du bloc après injection d’anesthésique local (4). Malheureusement, il est impossible en pratique clinique d’apprécier le volume du LCR avant une rachianesthésie. Tout au plus peut on appréhender que ce volume en région lombo-sacrée, est moindre chez les sujets âgés (alors qu’il est supérieur en région encéphalique), déshydra- tés et chez les parturientes (5). D’autres caractéristiques du LCR tels que sont pH, sa température, sa vitesse de renouvellement (demi-vie de 3 heures) interviennent probablement sur la phar- macocinétique des anesthésique locaux ainsi que bien entendu sa densité qui est de 1,0006 ± 0,0002 g/ml (moyenne ± écart type) à 37 °C (6). En revanche le LCR ne contient pratiquement pas de protéines (tableau 1). Le LCR est animé de mouvements pulsatiles du fait des battements artériels des artères médullaires qui orien- tent sont flux en direction caudale durant la systole et céphalique durant la diastole, la direction céphalique étant privilégiée après une injection lombaire (7). Toxicité des anesthésiques locaux Cet article n’a pas pour objet de revenir sur la toxicité de la lido- caïne en injection intrathécale qui a fait l’objet d’une littérature extensive. Même si la concentration de la solution de lidocaïne est un des facteurs expliquant la neurotoxicité, ce n’est pas le seul et des symptômes cliniques peuvent s’observer avec des solutions diluées de lidocaïne. Le phénomène est beaucoup plus rare avec la bupivacaïne. En ce qui concerne la ropivacaïne, un seul cas clini- que de syndrome d’irritation radiculaire transitoire a été rapporté à ce jour (8). La neurotoxicité de la ropivacaïne a été bien étudiée sur des animaux de laboratoires et aucune lésion histologique n’a été observée après administration de solution à 10 mg/ml (9). Bupivacaïne et ropivacaïne diminuent modérément et transitoire- ment le débit sanguin médullaire (10, 11). Cet effet pourrait

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Le praticien en anesthésie réanimation© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

mise au point

Pharmacologie des anesthésiques locaux en rachianesthésie : place de la ropivacaïne

Francis Bonnet (photo), Anna Noirot

Correspondance :

Francis Bonnet, Service d’Anesthésie — Réanimation,Hôpital Tenon — Assistance Publique Hôpitaux de Paris, 4 rue de la Chine, 75970 Paris cedex 20. [email protected]

a pratique de la rachianesthésie s’est modifiée au cours des der-nières années. Les cliniciens souhaitent moins obtenir un bloca

nesthésique de longue durée qu’un bloc efficace sur une période

de temps limité et si possible dénué d’effets secondaires notammenthémodynamiques. Le développement de la chirurgie ambulatoire esten partie responsable de cette demande. La lidocaïne qui a longtempspermis d’assurer un bloc répondant à ces caractéristiques (à l’excep-tion des effets hémodynamiques) a été abandonnée dans cette indi-cation du fait de la survenue fréquente de syndromes d’irritationradiculaire transitoire et de syndromes, heureusement beaucoup plusrares, de la queue de cheval. La pratique s’est donc tournée vers l’uti-lisation de faibles doses d’autres agents anesthésiques. Par ailleurs,les cliniciens ont tenté de mieux maîtriser l’extension du bloc anes-thésique et de la dissocier de la durée du bloc. De même, la pratiqueclinique amène parfois à souhaiter une dissociation entre le blocsensitif et le bloc moteur. Pour atteindre ces différents objectifs, il estnécessaire d’avoir une bonne compréhension des fac

teurs qui régis-sent les caractéristiques du bloc anesthésique en rachianesthésieet qui seront rappelés ici. Deux articles complets de Nichola

s Greeneont décrits l’ensemble des éléments susceptibles d’influencer lescaractéristiques du bloc en rachianesthésie il y a 20 ans (1, 2). Mêmesi la compréhension de la rachianesthésie a évoluée, l’essentiel despropositions de Greene reste d’actualité.

Physiologie du LCR

L’arachnoïde est la membrane qui s’oppose principalement à ladiffusion des agents injectés de part et d’autre des méninges.

L

Injectés en intrathécal, les anesthésiques locaux se diluent dansle liquide céphalo-rachidien. Chez l’adulte jeune, le volume de LCRcontenu dans le canal rachidien est d’environ 100 à 150 ml. Cevolume varie considérablement d’un individu à l’autre ; cettevariation se situe entre 30 et 80 ml pour le LCR lombo-sacré (3)et rend compte en grande partie de la variabilité de l’extension dubloc après injection d’anesthésique local (4). Malheureusement, ilest impossible en pratique clinique d’apprécier le volume du LCRavant une rachianesthésie. Tout au plus peut on appréhender quece volume en région lombo-sacrée, est moindre chez les sujetsâgés (alors qu’il est supérieur en région encéphalique), déshydra-tés et chez les parturientes (5). D’autres caractéristiques du LCRtels que sont pH, sa température, sa vitesse de renouvellement(demi-vie de 3 heures) interviennent probablement sur la phar-macocinétique des anesthésique locaux ainsi que bien entendu sadensité qui est de 1,0006 

±

0,0002 g/ml (moyenne

±

écart type)à 37 °C (6). En revanche le LCR ne contient pratiquement pas deprotéines

(tableau 1)

. Le LCR est animé de mouvements pulsatilesdu fait des battements artériels des artères médullaires qui orien-tent sont flux en direction caudale durant la systole et céphaliquedurant la diastole, la direction céphalique étant privilégiée aprèsune injection lombaire (7).

Toxicité des anesthésiques locaux

Cet article n’a pas pour objet de revenir sur la toxicité de la lido-caïne en injection intrathécale qui a fait l’objet d’une littératureextensive. Même si la concentration de la solution de lidocaïne estun des facteurs expliquant la neurotoxicité, ce n’est pas le seul etdes symptômes cliniques peuvent s’observer avec des solutionsdiluées de lidocaïne. Le phénomène est beaucoup plus rare avec labupivacaïne. En ce qui concerne la ropivacaïne, un seul cas clini-que de syndrome d’irritation radiculaire transitoire a été rapportéà ce jour (8). La neurotoxicité de la ropivacaïne a été bien étudiéesur des animaux de laboratoires et aucune lésion histologique n’aété observée après administration de solution à 10 mg/ml (9).Bupivacaïne et ropivacaïne diminuent modérément et transitoire-ment le débit sanguin médullaire (10, 11). Cet effet pourrait

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d’ailleurs être lié à une réduction de la consommation d’oxygènetissulaire et à l’adaptation métabolique qui en est la conséquence.

Pharmacocinétique des anesthésiques locaux

Les anesthésiques locaux sont des bases faibles en solution acide.Leurs caractéristiques physico-chimiques sont rappelées dans le

tableau 1

. Injectés dans le LCR ils se présentent sous forme ioniséesessentiellement libres (du fait de la très faible concentration pro-téique) donc soluble mais diffusant moins facilement (c’est la formenon ionisée qui diffuse dans les cellules). La majorité de la solu-tion injectée dans le LCR, traverse les méninges pour être résorbéeau niveau péridural. Compte tenu de la difficulté de prélèvementitératifs de LCR, la cinétique des anesthésiques locaux injectés enintrarachidien, est très mal connue chez l’homme. Chez le lapin,après injection de 0,2 

μ

M de bupivacaïne, la concentration maxi-male dans le LCR est de l’ordre de 130 

μ

g/ml (12). La décroissancede la concentration d’anesthésique local dans le LCR se fait selonun modèle bicompartimental qui témoigne d’une distribution(dans le LCR) et d’une élimination conjointe (12). La cinétiqueplasmatique n’est pas inf luencée par l’adjonction de catécholami-nes dont le mécanisme d’action serait plus en rapport avec un effetdirect sur les récepteurs

α

2 adrénergiques de la corne postérieurequ’avec un effet vasoconstricteur (13).

Pharmacodynamie

Les facteurs qui gouvernent l’extension et la durée du bloc anes-thésique après rachianesthésie dépendent des caractéristiques dupatient, et de la solution injectée. La difficulté pour le praticien est

d’opérer avec fiabilité en fonction d’un objectif précis. Pour cefaire, il lui est possible de contrôler plusieurs éléments : la naturede l’agent administré, la dose et la baricité. D’autres facteurs peu-vent intervenir comme la concentration et le volume mais leurimpact est franchement moins important (14). La principale diffi-culté tient à l’interdépendance des objectifs et des moyens. Ainsil’extension et la durée du bloc anesthésique dépendent des mêmesfacteurs. De même, on ne peut faire varier la concentration d’anes-thésique local sans changer la dose ou le volume et réciproque-ment. Enfin, la qualité du bloc est également un élément pris enconsidération. On peut ainsi souhaiter pour une chirurgie donnée,associer ou non un bloc moteur au bloc sensitif. La dissociationentre bloc sensitif et bloc moteur est donc un élément qui peutêtre exploité en pratique clinique.

Facteurs liés au patient

Les facteurs liés au patient doivent être pris en compte mais sontdes éléments subis. La liste de tous ces facteurs (âge, poids, taille,etc.) est importante. La grossesse qui incite à une réduction des dosesd’en-viron 25 %-30 %, est le seul élément qui amène à un ajuste-ment des doses en pratique quotidienne. Des éléments commele poids et la taille n’interviennent que pour des valeurs extrê-mes. Une adaptation de la dose à l’âge intervient également mais,en dehors de la pédiatrie (où la dose rapportée au poids est augmen-tée du fait d’une durée plus courte du bloc) (15), cette adaptationest souvent empirique.

Agent anesthésique

La nature de l’agent anesthésique est un élément important quiintervient sur la durée du bloc anesthésique mais aussi sa qualité.C’est la capacité de l’agent anesthésique à traverser les méningesqui détermine sa concentration dans le LCR. Les anesthésiques

Tableau 1Propriétés physico-chimiques du LCR et des principaux agents utilisés.

Densité pH* ProtéinesLCR 1,0006 + 0,0002 7,32 20-40 (mg/ml)

Anesthésiques locaux. pKa Forme ionisée $ Liposolubilité ‡

Bupivacaïne 0,5 % 4-6 8,1 85 % 3 420

Isobare 0,999

Hyperbare 1,025

Ropivacaïne 0,5 % isobare 0,999 4-6 8,1 86 % 775

Lidocaïne 5 % (pour mémoire) 4-6 7,8 75 % 366

$ au pH du LCR, ‡ coefficient de partage octanol/eau.

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locaux ayant un poids moléculaire et un pKa très voisins, c’est leurliposolubilité qui fait la différence de facilité de pénétration desméninges et qui est le facteur déterminant de leur puissance (16).Comme évoqué précédemment, la lidocaïne est l’agent anesthési-que ayant la plus courte durée d’action mais il ne peut plus êtreutilisée en rachianesthésie. La comparaison s’ef fectue actuelle-ment entre la bupivacaïne (mélange isomérique ou forme lévo-gyre) et la ropivacaïne. À doses égales, la ropivacaïne produit unbloc de plus courte durée que la bupivacaïne avec une plus grandedissociation entre bloc sensitif et bloc moteur (17-19). Après chi-rurgie de la hanche, la dose qui produit 50 % de bloc efficace estde 11,7 mg pour la levobupivacaïne et de 12,8 mg pour la ropiva-caïne (20). La durée moyenne du bloc en D10 est de l’ordre de90 minutes avec une dose de 12 mg de ropivacaïne ou de 8 mg debupivacaïne en solution hyperbare (21). D’une façon plus géné-rale, le rapport d’équivalence entre bupivacaïne et ropivacaïne etde l’ordre de 2 : 3 (22). Dans ce rapport de dose, les deux agentsanesthésiques produisent un bloc sensitif de durée comparable,toutefois même dans ces conditions, le bloc moteur semble moinsimportant avec la ropivacaïne.

Dose

La dose d’agent anesthésique est un des éléments principaux quidétermine à la fois l’extension du bloc, sa qualité et sa durée. La duréedu bloc anesthésique augmente avec la dose. Pour la ropivacaïne, ilfaut au moins une dose de 8 mg pour que le bloc atteigne D10. lLa durée du bloc en D 10 est alors en moyenne de 30 minutes pourune dose de 8 mg et de 90 minutes pour une dose de 12 mg (23).L’objectif des cliniciens est d’obtenir un bloc efficace dans aumoins 95 % des cas ; il faut donc adapter la dose d’anesthésiquelocal à cet objectif. Pour la chirurgie courante et sans l’utilisationd’adjuvant, il faut une dose de ropivacaïne supérieure à 15 mgpour atteindre ce résultat (23-25). Pour la chirurgie de courte duréedes membres inférieurs (exemple ar throscopie du genou), la dosepeut cependant être inférieure et dans ce cas, l’incidence de blocmoteur est également moindre. Pour la césarienne, au cours delaquelle l’objectif est d’obtenir un bloc étendu jusqu’en D4, ladose de ropivacaïne qui obtient 90 % de succès est de 25 mg lors-que la ropivacaïne est utilisée seule (26). Toutefois, avec une telledose, 100 % des par turientes ont un bloc moteur pendant deuxheures.

Baricité

La baricité se définit comme le rapport de la densité d’une solutionà celle du LCR. Une solution hyperbare est plus dense que le LCRet une solution hypobare moins dense. Sont considérées hypo-

bares les solutions dont la baricité est inférieure à 0,9990 et hyper-bares les solutions dont la baricité est supérieure à 1,0015. La den-sité d’une solution augmente lorsque sa température s’abaisse.Une solution conservée au réfrigérateur peut donc devenir hyper-bare mais sa température rejoint celle du LCR en moins d’uneminute après injection. La méthode pour augmenter la baricité d’unesolution consiste donc à ajouter du glucosé à 5 %-8 %. Du fait dela lordose lombaire, l’hy-perbarie facilite la diffusion céphaliqued’une solution anesthésique injectée en L 3-4 ou L4-5 et doncl’extension du bloc (27)

(fig. 1)

. En décubitus dorsal, une solutionhyperbare permet donc d’obtenir un bloc plus étendu qu’une solutionisobare (dont la densité est identique à celle du LCR). À l’inversela régression du bloc au niveau des segments sacrés est plus longueavec une solution isobare. Si l’on souhaite obtenir une exten-sion relativement importante pour effectuer un geste chirurgical(par exemple D10), il faut donc privilégier l’administration d’unesolution hyperbare. L’avantage de cette solution est égalementd’assurer une récupération plus rapide du bloc anesthésique. Ainsiaprès injection de 15 mg de ropivacaïne, la durée moyenne du blocsensitif en D10 est de 83 minutes avec une solution hyperbareet de 33 minutes avec une solution isobare ; le temps moyen derégression complète est de 210 minutes avec une solution hyper-bare et 270 minutes avec une solution isobare ; la durée du blocmoteur complet est de 120 minutes avec une solution hyper-bare et de 210 minutes avec une solution isobare (27). Une heuresépare donc les deux groupes de patients quant à l’obtention des

Figure 1. Extension du bloc anesthésique au tact (valeur médiane) dans deux groupes de patients ayant reçu 15 mg de ropivacaïne intrathécale, isobare (groupe PL) ou hyperbare (groupe HYP).* indique une différence statistique entre les deux groupes (test de Mann-Whitney). (D’après référence 27).

*

*

Groupe HYPGroupe PL

0 50 100 150 200 250 300

T3

T5

T6

T9

T11

L1

L3

L5

Med

ian

sen

sory

blo

ck

Temps (min)

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critères « d’apti-tude à la rue ». À l’inverse, la qualité du bloc à unniveau métamérique donné est parfois inférieure avec une solu-tion hyperbare. C’est par exemple le cas lorsqu’il est envisagé demettre en place un garrot susceptible de provoquer des douleursen cours d’anesthésie ; dans cette éventualité, une solution iso-bare qui donne un bloc plus « solide » est à privilégier. Chez laparturiente, la différence entre une solution isobare et une solu-tion hyperbare est poins marquée, elle est en moyenne de 2 méta-mères pour l’extension du bloc sensitif (26) contre 5 dans lesautres circonstances (27).

L’hyperbarie a également l’intérêt de permettre de modifier l’exten-sion du bloc en fonction de la position. Il s’agit moins ici d’accroîtrel’ex-tension céphalique du bloc en plaçant le patient tête en bascar le résultat est souvent aléatoire mais plutôt de créer un blocasymétrique en maintenant une position de décubitus latéral aprèsl’injection. L’intérêt de la rachianesthésie unilatérale qui s’adresseà la chirurgie des membres est de minimiser les effets hémodyna-miques mais aussi l’inciden-ce d’autres effets secondaires commeles rétentions d’urines (28).

Le bloc différentiel

(29)

Le bloc différentiel s’observe lorsque la conduction de l’ensemble desvoies afférentes sensitives et efférentes motrices n’est pas bloquée. Lebloc différentiel peut avoir un caractère topographique ou caractériserd’emblée le bloc anesthésique (comme au cours de l’analgésie péridu-rale). Au cours de la rachianesthésie, le bloc différentiel résulte del’extension différente du bloc anesthésique en fonction des fibresconcernées. Ainsi l’extension du bloc sympathique est supérieure de4 à 6 métamères à celle de la sensibilité. L’extension du bloc de la sen-sibilité thermoalgésique est également supérieure de 2 à 3 métamèresà celle du tact. Cependant, même en rachianesthésie, le bloc moteurpeut être incomplet alors même que le bloc sensitif est bien établi.

La ropivacaïne provoque moins de bloc moteur que les autres

anesthésiques locaux

Les anesthésiques locaux agissent sur les racines médullaires lelong de leur trajet à l’intérieur du fourreau dural. Leur effets’exerce sur les fibres nerveuses au niveau des nœud de Ranvier(zone ou la gaine de myéline fait défaut) où l’influx se propagede façon saltatoire. Pour obtenir un bloc de conduction il fautbloquer au moins trois nœuds de Ranvier. La distance qui sépare

les nœuds de Ranvier dépend des fibres, elle est plus longue pourles fibre motrices A

α

que pour les fibres sensitives A

δ

.Quant aux fibres amyéliniques (système nerveux autonome) il suffitqu’elles baignent dans la solution anesthésique sur une distancede 2 mm. Au cours de la rachianesthésie, c’est la concentrationcritique de la solution anesthésique qui détermine le bloc différentield’où son caractère topographique. Cependant, avec la ropivacaïne,l’absence ou le caractère incomplet du bloc moteur peuvents’observer d’em-blée tandis que la régression du bloc moteur estégalement plus rapide (

cf. supra

).

Adjuvants

Le principe de l’utilisation d’adjuvants est de renforcer la qualité dubloc sensitif et de la dissocier éventuellement de la durée et de l’appa-rition d’un bloc moteur. Ce principe n’est pas toujours réalisé car unadjuvant comme la clonidine, qui stimule les récepteurs

α

2 adréner-giques, renforce le bloc sensitif et le bloc moteur et augmenteégalement a durée de la rachianesthésie (30). Le mécanisme d’actionde l’adrénaline est probablement en partie identique à celui de la clo-nidine en rachianesthésie, privilégiant son action sur les récepteurs

α

2 adrénergiques. L’adrénaline aurait aussi un impact sur la cinéti-que des anesthésiques locaux, mais les données sur ce sujet sontanciennes et controversées. L’utilisation des opiacés correspondmieux au cahier des charges précédent. Cette solution estnotamment utilisée au cours des rachianesthésies pour césa-rienne permettant ainsi de réduire les doses d’anesthésiques local etdonc la durée du bloc moteur. Pour la ropivacaïne l’adjonction de2,5

α

g de sufentanil permet ainsi d’obtenir 87 % de succès avec unedose de 12 mg (au lieu des 25 mg précédent) (18) et l’adjonction de150 mcg de morphine obtient 100 % de succès dans la même indica-tion, dans une autre étude (31). Deux autres études montrent qu’aucours de la césarienne, l’adjonction de 10 

μ

g de fentanyl prolongele bloc sensitif obtenu avec la ropivacaïne sans augmenter la durée dubloc moteur (32, 33). Enfin, en chirurgie ambulatoire, de très faiblesdoses de ropivacaïne (4 mg) peuvent ainsi être utilisées en associa-tion à un opiacé (fentanyl 20 

μ

g) (34).

En conclusion, la ropivacaïne en intrathécal permet d’obtenir unbloc anesthésique dose dépendant. Le rapport de puissance avecla bupivacaïne est 3 : 2 mais un bloc différentiel, c’est à dire moinsde bloc moteur, est plus fréquemment obtenu avec la ropivacaïne.De faibles doses (8-12 mg) peuvent être utilisées avec un opiacépour la chirurgie de courte durée.

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Francis Bonnet, Anna Noirot

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