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Phares en mer La construction, les gardiens, l’automatisation Texte Jean-Christophe Fichou Photographies Jean Guichard Éditions OUEST-FRANCE

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Phares en merLa construction, les gardiens, l’automatisation

TexteJean-Christophe Fichou

PhotographiesJean Guichard

Éditions OUEST-FRANCE

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Au large et par beau temps, les navires ne rencontrent que peu de problèmes en mer car ils sont taillés pour braver les éléments et résister aux assauts, s’ils ne sont pas démesurés. La situation se complique sérieusement aux abords

du littoral, parsemé de nombreux dangers constitués par des récifs sous-marins, des écueils, des bancs, des hauts-fonds… Aussi la plupart des catastrophes maritimes se produisent dans la bande de navigation côtière lorsque les navires, par suite d’erreurs humaines d’atterrissage, d’estime de pilotage ou de conditions naturelles défavorables, comme les tempêtes ou la brume, heurtent des obstacles et se « mettent au plein ».

La signalisation côtièreau XIXe siècle

Page de gaucheLe phare des Héaux-de-Bréhat. Photo Jean Guichard.

Ci-dessousDessin de la construction du phare des Barges paru dans les Annales des Ponts et Chaussées.

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lequel arrête les bases fondamentales du dispositif général d’éclairage des côtes de France. Les phares proprement dits devaient être au nombre de 51, dont 28 de premier ordre, les plus puissants, 5 du deuxième et enfin 18 du troisième pour améliorer le jalonnement. Pour compléter ce dispositif, il était aussi prévu d’installer 35 feux de port en fonction des besoins reconnus des marins. Les intervalles entre chaque établissement et leurs aspects distinctifs se combinaient de telle manière que le navigateur s’approchant puis longeant le littoral français devait, d’une part, toujours avoir en vue au moins un phare et, d’autre part, deux feux consécutifs devaient présenter des caractéristiques différentes. Ce programme extrême-ment novateur, très complet et très ambitieux, est entièrement achevé

Pour ces raisons, sous l’Ancien Régime encore, les commandants évitent les sorties hivernales et les arrivées de nuit à l’approche des terres. Et pour cause ! En 1792, lorsque le service de l’éclai-rage des côtes de France devient un service public, il n’existe en tout et pour tout sur les côtes du royaume qu’une vingtaine de feux dont la plupart n’ont pour fonction que la signalisation d’une entrée de port. Pour tenter de répondre aux attentes des marins, il est créé en 1811 une commission des Phares chargée d’évaluer les demandes et les projets d’aides à la navigation ainsi que de réfléchir aux meilleurs moyens pour améliorer une situation catastro-phique. En 1825, les membres de cette commission approuvent un rapport remarquable, élaboré par l’ingénieur Augustin Fresnel et l’amiral de Rossel,

Phare des Barges lors de son allumage, en octobre 1861. Annales des Ponts et Chaussées.

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Le premier phare isolé en mer érigé en France est exécuté au large du Croisic, sur le rocher du Four

et allumé en 1821. Sans attendre les conclusions de la vaste enquête entre-prise par la commission des Phares et la présentation du programme géné-ral d’éclairage des côtes de France, le département des Ponts et Chaussées ne se borne pas à quelques améliorations locales et à l’exécution de simples balises sur les écueils reconnus les plus dange-reux. Il entreprend aussi la construction de quelques fanaux très simples mais aussi celle du remarquable phare du Four. En 1816, la décision est prise de bâtir en pleine mer, sur le rocher du Four au large du Croisic, un phare destiné à porter un feu. Cet édifice se présente sous la forme d’une tour cylindrique de 17 mètres de hauteur sur 5 mètres de diamètre ; elle comporte à sa base un large empattement destiné à lui assurer une plus grande stabilité sous les coups de boutoir de la mer. Elle est élevée, d’ailleurs sans grande difficulté majeure, par les ingénieurs Plantier et Rapatel et allumée le 1er janvier 1822. Mais pour-quoi se lancer dans une construction neuve et coûteuse alors que la politique générale d’équipement consiste surtout à améliorer les établissements existants ou bien à utiliser des édifices en place et les couronner d’une lanterne ? De cette manière, les ingénieurs des Ponts et Chaussées ont récupéré une tour de l’enceinte de la ville de Calais, la

Les premières tours en mer

Phare du Four du Croisic en 1998. Photo Jean Guichard.

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tour du guet, qui « sera allumée dans la soirée du mardi 1er décembre 1818 et continuera, à dater de cette époque, à être éclairée depuis le coucher jusqu’au lever du soleil » ; mais aussi la tour de Leuguenaer à Dunkerque, celle de la Chaume aux Sables-d’Olonne, celle de l’Aiguillon à Saint-Nazaire ou l’ancien sémaphore d’Alpreck qui connaissent une transformation du même genre. Et pourquoi en pleine mer alors que pour l’ensemble des dépenses envisagées il était bien plus simple, plus efficace et plus rapide d’ériger à terre trois tours pour le même prix ?

Il est vrai que, dès 1810, l’ingénieur de Saint-Nazaire, Plantier, signale cet écueil comme particulièrement dange-reux pour la navigation car situé sur la même latitude que l’entrée de la Loire où « combien de marins, après avoir couru tous les dangers d’une longue et pénible navigation, ont terminé leur voyage et leur vie sur ce fatal rocher. Cet écueil est celui de tous qu’il serait important de baliser ». Cinq années plus tard, la chambre de commerce de Nantes réclame ardemment l’établissement de la tourelle :

« L’écueil est le plus dangereux de l’entrée de la rivière et c’est le premier de tous qu’on aurait dû signaler mais en l’indiquant en première ligne... on ne pouvait s’en occuper en temps de guerre avec l’Angleterre parce que les ouvriers pouvaient être inquiétés ou enlevés par l’ennemi. »

Dessin du phare du Four du Croisic, que tous les élèves de l’École des ponts et chaussées possédaient dans leurs cartons pour évoquer la construction des phares en mer. Coll. J.-C. Fichou

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La fonte et l’acier sont par excellence les matériaux de la révolution industrielle dont l’emploi com-mence lentement avec le XIXe siècle pour des raisons

essentielles de coût mais ces métaux connaissent ensuite un large succès. Cet essor de la construction métallique est rendu possible pour deux raisons techniques. D’une part, les progrès constants et rapides de fabrication permettent d’abaisser considérablement le prix de la tonne produite : 500 francs la tonne d’acier en France en 1865, 300 en 1870 et 150 en 1885. D’autre part, les progrès scientifiques de la métallurgie introduits par l’Anglais Thomas Young puis par les ingénieurs des Ponts et Chaussées français Navier, Lamé et Clapeyron autorisent des constructions toujours plus importantes et des usages multiples du matériau.

L’architecture métallique devient très rapidement le domaine exclusif des ingénieurs et progressivement le fer se découvre et participe à la réussite esthétique globale des édifices présentés. La première gare du Nord en 1846, dessinée par Léonce Reynaud, ingénieur des Ponts et Chaussées et directeur du service des Phares et Balises ; la première gare de Lyon en 1847, œuvre d’Adolphe Jullien, ingénieur des Ponts lui aussi ; le palais de l’Indus-trie de l’Expo universelle de 1855... Les ingénieurs des Ponts exerçant dans le domaine maritime connaissent rapidement ce matériau qu’ils apprécient car ignifuge mais aussi de faible encombrement. Pour ces raisons, et sans se poser de questions sur la valeur architecturale du matériau, ils adoptent très tôt son emploi pour les planchers et les escaliers des tours de phares ; notamment celui de Goulphar à Belle-Île reçoit des solives en fonte et ce dès 1832-1834 lors de sa construction. Ensuite, le directeur du service des Phares, par ailleurs professeur nos combles, nos ponts de grandes ouvertures, en un mot, pour tous les travaux de construction auxquels jusqu’à présent le bois seul avait paru convenir. Or le fer se prête mieux que le bois à toutes les formes  ; il permet de donner plus de légèreté et de hardiesse aux

L’essor des tours en fer

Page de couverture du catalogue de la maison Eiffel, laquelle construisait des phares en fer. École nationale des ponts et chaussées.

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terminés par une vis que l’on tourne de manière à assurer une bonne pénétration des piles sur une grande profondeur. Ce type de construction est inauguré pour le phare de Maplin Sand, dans la Tamise en 1838, puis à Wyre en 1840, à Chapman en 1851, à Gunfleet et sur le Spit Bank en Irlande en 1853 et enfin à Dovercourt en 1863. La maquette du phare de Chapman est présentée à l’Exposition de Londres de 1851 où l’ingénieur des Ponts et Chaussées Chevallier peut à loisir l’admirer. Immédiatement averti de la construction de cet édifice, Léonce Reynaud décide l’adoption de ce procédé pour la balise à construire aux abords de la pointe de Walde, entre Calais et Gravelines, à établir sur une plage de sable fin et au niveau de la laisse des plus basses mers car « une construction en maçonnerie eût exigé de grandes dépenses, et il eût fallu descendre ses fondations à une profondeur considérable, sous peine de les voir déchaussées. Des pieux en fer ont très simplement résolu le problème. »

L’assemblage de fer et de fonte est acheté en Angleterre à la société Mitchell & Saunders et le service des Phares se charge de l’installation de l’échafaudage en 1858. Par la suite, on décide de la construction des loge-ments et de la lanterne au-dessus du treillis et le feu est allumé pour la première fois le 15 décembre 1859. En fait, il s’agit d’une expérience pour juger des capacités du dispositif car un fanal en cet endroit ne s’impose nul-lement comme le souligne l’ingénieur de l’arrondissement en 1895 :

« Il ne peut être considéré que comme un feu d’avertissement pour les navires dévoyés et à bord desquels on a négligé l’emploi de la sonde ou les autres moyens de reconnaître sa position. Il ne sert ni pour l’atterrissage ni pour indiquer une route et se trouve au contraire éloigné de celle que des navires ont à suivre dans ces parages. »

constructions, d’espacer davantage les points d’appui et d’en réduire consi-dérablement la grosseur ; il n’a point à redouter les incendies et il est facile de lui assurer une longue durée. Aussi chaque jour s’étendent ses applications et se multiplient ses bienfaits. »

Au fil des années, les constructeurs et les ingénieurs s’enhardissent et pro-posent des plans de phares de plus en plus élevés. De son côté, l’ingénieur bri-tannique Alexander Mitchell invente une technique entièrement nouvelle dont il dépose le brevet en 1830. Il s’agit de planter dans un sol meuble, vaseux ou sableux des pieux en fonte

Le phare des Roches-Douvres après son peinturage par bandes noires et blanches en 1901. Archives des Côtes-d’Armor.

Page de droiteLe phare de Walde est formé d’une cabane en tôle, où travaillaient les gardiens, et d’une lanterne supportées par un échafaudage hexagonal en fonte. Les six pieux extérieurs sont vissés dans le sol meuble sableux et le pieu central supporte les constructions. Dessin Léonce Reynaud.

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Enfin, il ne faut pas non plus accabler l’administration des Travaux publics et ne voir que son côté pingre dans cette vaste opération de transformation des phares gardés. Certes, la nécessité de réaliser des économies joue à

plein, mais il est clair aussi que souvent la décision d’abandonner des tours en mer relève plus de soucis humanitaires. Il ne faut pas se leurrer, très tôt et déjà bien avant la guerre de 1914, les gardiens n’envisagent jamais de gaieté de cœur leur installation dans ces « enfers » où la vie est réellement difficile : « ... Le séjour au fanal de la Teignouse est tellement triste qu’il serait difficile de trouver quelqu’un qui voulût accepter cette position sans un salaire amélioré... » Passage obligé, les gardiens savent qu’ils doivent y rester au moins une décennie avant d’espérer un retour à terre dans un phare plus accueillant. « Dans l’intérêt de la bonne marche du service, il est nécessaire d’utiliser toutes les vacances d’emploi à terre pour ramener sur le continent le gardien comptant le séjour le plus long dans un

Des candidats de moins en moins nombreux

Page gaucheDernière relève à Kéréon : Jean-Philippe Rocher et Brian O’Rourke s’apprêtent à quitter le phare définitivement. Photo Jean Guichard.

Le phare de la Teignouse, situé entre la presqu’île de Quiberon et l’île de Houat, allumé le 1er janvier 1845. Le 19 juillet 1983, les trois derniers gardiens, Jean Yvenou, Guy-Pierre Guennec et Jean-Luc Leport, descendent du phare. Collection particulière.

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Les démissions nombreuses et rapides des jeunes demandeurs pour les phares de la Vieille, d’Armen, de la Jument ou de Kéréon dans le Finistère, des Grands Cardinaux dans le Morbihan, des Roches-Douvres dans les Côtes-du-Nord... ne laissent planer aucun doute sur les difficultés de conserver des gardiens en pleine force de l’âge en ces lieux si éprouvants. Les phares en mer ne sont jamais appréciés si ce n’est par une part très minoritaire de la profession. La vie sur ces cailloux désolés n’offre qu’un intérêt limité : « ... Leur existence est la même partout, plus ou moins agréable selon les sta-tions […], assurément très monotone et ennuyeuse. » Pour être plus précis, « un métier de chien » comme nous l’assurait l’ancien ingénieur TPE des Phares et Balises de Brest, M. Simon, qui connais-sait particulièrement bien son sujet. Les témoignages sont unanimes : la vie est difficile en mer et pratiquement tous les gardiens concernés demandent leur mutation. En 1886, le gardien Carval se plaint auprès de son ingénieur car il compte « déjà huit ans de service dans les phares en mer et désire avec insis-tance être casé dans un phare à terre ». En 1887, le gardien Coquet du Tévennec rappelle au conducteur Probesteau qu’il est en poste depuis sept ans sur cet îlot désolé dont il souhaite s’éloigner le plus rapidement possible. La même année, le gardien Le Noret en poste à Armen apprend qu’un agent du phare de Batz doit partir à la retraite et il demande cette affectation. L’ingénieur de Miniac prévenu de la situation accepte car il considère le candidat comme « très usé par son séjour dans les phares en mer ». Hilarion Le Noret, frère du dernier cité, se plaint dans les mêmes termes : « Au 1er juillet [1891], il y aura huit ans que je me trouve gardien exilé au phare des Pierres-Noires et j’attends toujours un poste à terre. » Même en leur offrant une classe d’avance lors de leur nomi-nation, les ingénieurs ne se leurrent pas sur les difficultés de conserver les gardiens. Les jeunes agents sont presque

phare en mer. C’est le seul moyen de ne pas prolonger indûment, au détri-ment de leur santé et par suite du bon fonctionnement de l’éclairage, le séjour des gardiens dans les phares en mer, où, en raison de la répartition des emplois, ils doivent passer en moyenne plus de la moitié de leur carrière active. » La direction parisienne admet les diffi-cultés de la vie en mer et tente avec les pauvres moyens dont elle dispose de fixer les agents débutants dans les phares en mer en évitant, par exemple, d’offrir des postes à terre à de nouveaux candidats même chaudement recom-mandés. Le parcours des agents est parfaitement balisé selon celui imaginé par un journaliste de Ouest-Éclair publié en avril 1933 : les « enfers » pour les débutants qui obtiennent ensuite un « purgatoire » après une dizaine d’an-nées en mer puis enfin un « paradis » pour achever leur carrière.

Page de droiteUn salut du gardien au phare d’Armen, Michel Le Ru en octobre 1989. Photo Jean Guichard.

Phare du Grand-Charpentier après l’installation de la plateforme hélicoptère, en septembre 1967. Archives Phares et Balises.

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DES CANDIDATS DE MOINS EN MOINS NOMBREUX 103

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Table des matières

7 La signalisation côtière au xixe siècle10 Les premières tours en mer12 Les phares anglais : un exemple à suivre15 Les premiers chantiers français22 Chauveau, un modèle reproduit huit fois29 De l’ellipse au carré30 Antioche 41 Un chantier mythique, la construction du phare d’Armen (1867-1881)58 Armen, un nouveau modèle65 L’essor des tours en fer73 Les monuments à la gloire du service, la Jument et Kéréon73 La Jument81 Kéréon86 Le départ des hommes87 Les prémices de l’automatisation95 Des phares inhabités97 Le chantier des Birvideaux101 Des candidats de moins en moins nombreux111 Une dernière réaction des marins113 Les dernières tours en mer et la fin de l’automatisation117 Les dernières descentes120 Tous les phares en mer français : planches de dessins et carte des côtes de France124 Bibliographie

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