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Petites misères d’une (presque) trentenaire

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Madeleine de Place

Petites misères d’une (presque) trentenaire

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© Carnets Nord, 201612, villa Cœur- de- Vey, 75014 Paris

www.carnetsnord.fr ISBN 978‑2‑35536‑202‑6

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#GameOver

« Je veux qu’on arrête. »Cinq mots cinglants, que je prends en pleine figure,

sans bien comprendre tout ce qu’ils sous- entendent. Il y a quelques jours pourtant, tout allait bien : Ronald McConnard et moi, on était même en train de préparer notre mariage, prévu dans neuf mois jour pour jour. Je regarde celui qui, il y a une poignée de secondes, était encore mon fiancé, sans réaliser ce qui est en train de se passer.

Machinalement, j’enlève la bague que je porte à l’annu-laire et qu’il m’avait offerte plusieurs mois auparavant, et la pose sur la table devant moi. À cet instant, je prends conscience de tout ce qui m’entoure  : la terrasse toute blanche de cet appartement anglais dans lequel j’ai vécu de si beaux moments avec mes colocataires, le mobilier rose fuchsia qu’on avait acheté avec mes copines, le vélo posé contre le mur, et cet homme assis en face de moi, que je croyais connaître par cœur et dont je réalise que je ne sais finalement rien. Des détails anodins qui pourtant sont en train de se graver dans ma mémoire de façon indélébile.

« Je peux savoir pourquoi ?

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– Tu n’es pas assez carriériste.– …– …– Ta décision est prise ?– Oui. »Je n’ai pas droit à plus. Une rupture cinglante, brève, sans

explications. Ronald McConnard m’indique ensuite qu’il va dormir chez sa sœur et que je peux passer le week- end ici si je le souhaite. Étonnamment, je ne le souhaite pas. Je m’absente quelques minutes, pour parer au plus urgent  : respirer et appeler ma maman. C’est toujours ce qu’on fait quand ça va très mal. Puis je vais préparer ma valise dans ce qui fut notre chambre il y a une éternité, me semble- t-il. Il entre pour récupérer sa veste ou je ne sais quel truc indispensable. Je ne sais pas quoi faire ni quoi dire. J’ai cette douloureuse sensation d’anesthésie qu’on ressent quand on se prend un gros coup sur la tête  : au début, on sait qu’il y a eu un choc mais on ne sent rien. Et la douleur arrive après, atroce, poignante, profonde. Je ne ressens rien : pas de larmes, pas de cris, juste un énorme poids sur la poitrine qui m’écrase de plus en plus. Je le regarde droit dans les yeux et je lui dis  : « Je te souhaite d’être heureux, d’avoir la belle carrière et tout l’argent dont tu rêves, et surtout, j’espère que tu ne te réveilleras pas un matin en réalisant que tu as fait aujourd’hui la plus grosse connerie de toute ta vie. » Je le serre dans mes bras, et je le laisse partir (j’avoue, j’ai toujours eu un petit côté tragédienne dans les moments les plus intenses). Il se retourne une dernière fois, me fait un clin d’œil en me saluant d’un « Au revoir ». Je réponds « Non, adieu ». Et il ferme la porte.

The end.

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C’est là, avec le silence, que la douleur fulgurante arrive, violente, aiguë. Heureusement que deux de mes amies sont là pour m’aider car je suis en pilote automatique : vite, trou-ver un billet d’Eurostar et partir de cet appartement, de cette ville, de ce pays. M’éloigner de lui le plus vite possible. Mettre une mer entre nous.

Je suis à la gare : j’ai passé les contrôles de sécurité. Je suis en transit, plus vraiment en Angleterre mais pas encore en France. Je me sens seule. Je m’installe dans le train et je lâche tout. Des litres de larmes. Je me repasse le film en boucle : je repense à tout ce qu’on a vécu et me dis que j’ai dû rater quelque chose, j’essaie de me rappeler nos conversations, ses mots. J’ai des flashes qui me reviennent : il m’a quittée, ce n’est pas possible, non, ce n’est pas possible. Et puis on sort du tunnel. D’un coup, mes larmes s’arrêtent et font place à une colère tellement intense qu’elle en devient douloureuse. Alors seulement je réalise la violence de ce que je viens de subir et l’atroce comportement de ce monstre sans cœur.

En descendant du train, j’aperçois, noyée au milieu des chauffeurs de taxi et de leurs panneaux « M. DUPOND », une grande blonde qui agite frénétiquement un petit ticket de métro sur lequel est écrit mon prénom. Ma sœur, mon roc. À ce moment, je comprends que je vis un moment important : j’approche de la trentaine, je n’ai plus de boulot, plus de maison, plus de mec, plus rien. En quelques heures, toute ma vie s’est effondrée. Le train a déraillé de sa voie bien tracée. Retour à la case départ. Et pourtant j’ai la cer-titude que je vais m’en sortir. Je ne le sais pas encore, mais ce samedi de janvier est le premier jour de ma nouvelle vie.

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#SecOuerPOPOlemPlOi

Bon, bah voilà, c’est fait. Je suis de retour en France. Je me sens officiellement comme une grosse merde abandon-née au bord de la route. Après avoir quitté le nid familial il y a des années pour voler de mes propres ailes, me voici de retour chez papa- maman, qui sont bien gentils d’accueillir leur enfant en détresse. Une situation un peu difficile à vivre pour une personne indépendante comme moi. D’un autre côté, ils n’allaient pas me laisser vivre sous les ponts de Paris… Alors, je me suis dit qu’il fallait que je me dépêche de trouver un job, étape indispensable pour retrouver une certaine indépendance financière et un appartement. Oui, parce qu’à Paris, no job = no money = no home. Comme des millions de chômeurs (ça y est, le mot est lâché), j’ai donc pris rendez- vous avec Pôle emploi. Ce matin- là, c’est pleine d’espoir que je me rends au rendez- vous qui m’a été fixé. Je pense alors, très naïvement, qu’avec mon profil, retrouver un travail serait une simple formalité et qu’en un mois je serai à nouveau sur les rails. Big mistake.

8 h 55 : comme une demi- douzaine de personnes, j’attends devant la grille du Pôle emploi. J’ai refait mon CV, préparé

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une lettre de motivation, regroupé toutes mes fiches de paie : je suis prête à montrer ma bonne volonté pour retrouver un boulot (la bonne blague !). L’ambiance n’est pas vraiment à la fête : être là, c’est un peu humiliant, alors je prie très fort pour ne pas tomber sur quelqu’un que je connais.

9 h 09 : la porte s’ouvre. On nous demande de patienter dans une grande salle et de remplir un formulaire présentant nos expériences professionnelles. Le jeune homme assis à côté de moi ne sait pas écrire : je l’aide à remplir sa fiche. Oui, je sais : je suis TROP sympa.

9 h 20 : on m’appelle. Je rentre dans un petit bureau et m’assieds devant le sosie d’un top model pour une publicité de slip masculin. Concentre- toi, ma grande : on ne minaude pas devant son conseiller Pôle emploi. On papote, on rigole, il me fait signer des trucs et en vingt minutes, mon dossier est bouclé. Maintenant que je suis enregistrée dans le système, next step : voir une autre personne qui va me conseiller et m’appuyer dans mes recherches.

9 h 40  : retour dans la salle d’attente. Le monsieur qui ne sait pas écrire attend toujours et commence à s’énerver : « Ouais, la blonde, là, elle est passée avant moi, et moi je suis arrivé en premier d’abord. » La « blonde, là » se fait toute petite sur le banc et laisse passer la tempête : je n’y suis pour rien si j’ai été appelée avant lui. Si j’avais su, je l’aurais laissé se démerder tout seul avec son formulaire, ça l’aurait occupé deux ou trois heures (je sais, c’est méchant… mais franchement, je déteste qu’on s’énerve contre moi quand je suis serviable).

9 h 46 : « Mademoiselle de Place ? Veuillez me suivre. » J’emboîte le pas à Marie- Chantal- la- Totale : mocassins bico-lores, pantalon de toile bleu marine, chemisier blanc, foulard Hermès autour du cou, la cinquantaine bien frappée.

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« Fermez la porte et asseyez- vous. »Je m’exécute ; elle n’a pas l’air commode, la vieille bique.« Alors, quel est le travail que vous faisiez avant ?– Chef de projet. »D’un doigt, la conseillère tape sur son clavier. Visible-

ment, Pôle emploi ne donne pas de formation informatique à ses salariés. C’est regrettable : ma main à couper qu’avec ses dix doigts, elle irait dix fois plus vite.

« Désolée, ce métier n’existe pas (première nouvelle  : je me demande donc ce que j’ai fait ces quatre dernières années…). Bon, je vous rentre dans le système sous le titre “responsable du management” puisque vous avez un master en management. Dans quel secteur travailliez- vous ?

– En fait j’en ai fait plusieurs : pharmaceutique, bancaire, communication…

– Bon, je n’ai pas  : je vous mets dans la section agro- alimentaire.

– En fait, ce n’est pas trop mon profil, tout ça…– Vous avez quel âge ?– 28 ans.– Mais c’est très bien, ne vous inquiétez pas. Bon, au

revoir alors.– … C’est que j’ai des questions à vous poser : est- ce que

je pourrais bénéficier d’une formation ?– Écoutez (je fais semblant de ne pas remarquer le soupir

agacé qui accompagne les paroles de ma conseillère), rentrez chez vous, regardez sur le site Internet et si vous voulez parler d’une formation, revenez ici.

– … (Silence qui en dit long  : bien sûr, pourquoi en parler aujourd’hui, pendant que je suis assise devant vous, alors qu’il est si simple de prendre rendez- vous pour la pro-chaine fois ? Vous pourrez ainsi avoir le temps de réfléchir

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à la réponse à ma question, parce que visiblement ça vous fait chier d’en parler tout de suite…)

– Très bien, on se voit dans quatre mois, alors  : n’ou-bliez pas de regarder les offres sur notre site Internet. Bon courage. Fermez la porte en sortant. »

10 h 00 : c’est fini. Je rentre chez moi.Arrivée à la maison, j’ai jeté un coup d’œil sur le site  :

pas une seule offre ne correspondait à mon profil. En revanche, bizarrement, il y avait des tas de propositions pour être maître- nageur ou animateur de centres scolaires : à ce moment précis, je me suis vraiment rendu compte que ma recherche d’emploi allait être compliquée et que je ne pourrais compter que sur moi- même pour y arriver. Parce que jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais rencontré personne qui ait trouvé un job grâce à Pôle emploi.

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#QuiS’yFrOtteS’yPiQue

Contrairement à la plupart des Parisiens, je ne déteste pas le métro. Bon, je ne vais pas non plus aller jusqu’à dire que j’adore ça  : entre le bruit, les odeurs (le mix urine- sueur- graillon étant particulièrement peu ragoûtant, surtout en cas de fortes chaleurs) et les wagons bondés de voyageurs stressés, prendre le métro peut être assez désagréable. Mais il faut bien reconnaître que ça reste la manière la plus rapide de se déplacer à Paris en évitant les embouteillages. Ce qu’il y a de bien – ou pas – dans le métro, c’est que tu ne sais jamais ce qu’il va t’arriver  : personnellement, j’ai eu droit à tout. J’ai été confrontée à l’Américaine ivre morte qui a vomi sur mes chaussures (sacrilège), au type bourré qui m’a traitée de tous les noms juste parce que ma tête ne lui revenait pas, ou encore aux deux ados rebelles qui fumaient un pétard tellement chargé qu’après deux stations j’étais moi aussi complètement défoncée et totalement incapable de me lever de mon strapontin.

Soyons honnêtes  : la plupart du temps, ce sont les uti-lisateurs du métro eux- mêmes qui rendent les voyages insupportables. Alors bien sûr, il y a ces petites incivilités

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