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PETITES

CHRONIQUES ALSACIENNES

D'ANTAN

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© 1998 - Éditions du Rhin - Mulhouse ISBN 2 86339 136 4

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Paul STEINMANN

P E T I T E S

C H R O N I Q U E S A L S A C I E N N E S

D ' A N T A N

D e s s i n s d e P a s k y

éditions du Rhin

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On parle toujours du bon vieux temps, d'aucuns se plaisent à le regretter, à chanter sur tous les tons les vertus de

cet âge d'or, en répétant l'éternel refrain : nos pères valaient mieux que nous !

Au risque de paraître mauvais fils, je n'émet- trai pas les mêmes regrets, je n'accorderai point à nos pères des louanges immodérées, car je crois que s'ils revenaient à la vie, ils resteraient bien humiliés et nous en serions fâchés pour eux, en présence des merveilleuses décou- vertes des temps modernes. Ces heureux mortels ne connaissaient point, il est vrai, les circonstances atténuantes et leurs juges se montraient souvent impitoyables quand il s'agissait d'appliquer la loi, rien que la loi. Pour s'en convaincre, il suffira d'apprécier la large palette des faits qui pouvaient les conduire devant les tribunaux. Voici des histoires parmi les plus pittoresques, j'espère que vous les parcourerez avec un irrépressible amusement.

Ces anecdotes sont tirées de la Petite Gazette des tribunaux d'Alsace du siècle dernier et de quelques autres journaux d'époque.

PAUL STEINMANN

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Le s a u v a g e d e N i e d e r b r o n n

Un certain dimanche du mois de novembre 1858, une affluence inaccoutumée garnissait la promenade de Niederbronn ; on allait on venait, on eut dit un jour béni. La population jouissait d'un spectacle, bien vulgaire sous le régime de l'âge d'or, mais bien rare aujourd'hui. Que cet heureux temps ne soit plus ! À la grande satisfaction des tailleurs !

Le thermomètre était descendu à fourrures et Monsieur Seydel, apprenti menuisier, en grande tenue de sauvage, faisait le tour de la promenade, n'ayant, pour tout vêtement, qu'une pipe à la bouche et la fumée qui s'en échappait. C'était une nouvelle édition du père Adam augmenté d'un calumet. Tant il est vrai de dire que les anciennes modes reviennent ! La saison des feuilles de vignes étant passée et les faux cols n'ayant pas encore fait leur apparition sur la place de Nieder- bronn, il avait jugé convenable d 'adopter un costume que son insuffisance ne permet pas de décrire complètement, celui de la Vérité qui aujourd'hui, sans doute dans l'appréhension des exigences et des rigueurs du Code pénal, ne sort plus guère de son trou. Cependant filles et garçons riaient aux éclats et paraissaient ne pas se lasser de

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ce genre d'exhibition océanienne. « Eh ! lui disait l'un, ton pantalon est déchiré, retourne-le ! » « Ta bretelle vient de casser ! » lui criait l'autre. Lorsque tout à coup, sans saluer son public, le naturel de Niederbronn partit en courant et disparut dans les champs, au grand désespoir de ces dames et de ces messieurs. Mais l'insuffisance de la toilette du sans-culotte Seydel transpira et fut bientôt signa- lée à l'autorité, qui vit dans cette manifestation primitive un outrage public à la pudeur. Il comparut devant le magistrat, probablement dans un cos- tume beaucoup moins antédiluvien, et n'hésita pas à dire la vérité toute nue : il déclara qu'il avait été provoqué à cet exercice anti-sudorifique par le sieur Kieffer, garçon boulanger, qui lui avait promis 20 sous pour cette promenade. Par ces motifs, le tribunal a condamné Seydel à quinze jours d'em- prisonnement et Kieffer à six jours de la même peine.

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R e m è d e d e b o n n e f e m m e

Dans une cage, comme des sardines en boîte, trente poulets et pigeons étaient pressurés en tous sens, les uns par les autres ; cet excès de popula- tion devait amener une catastrophe et elle arriva. En effet, lorsqu'une main secourable vint déballer cette bourriche de volailles, deux d'entre les loca- taires se trouvaient dans le plus déplorable état. C'était un pigeon et un poulet. Ils marchaient encore, il est vrai, mais sous l'impulsion de la vie posthume qui, à la grande satisfaction des gastro- nomes, peut animer les faisans quinze jours après leur décès. Ces fins connaisseurs ne les mangent que lorsqu'ils sont forcés de courir après, et les morts vont vite, on l'a dit souvent. La maîtresse des deux oiseaux voyageurs s'empressa de les arrêter dans leur circulation et d'immobiliser les vaga- bonds sur sa table d'étalage. Ils étaient là exposés à l'empressement et à l'odorat des amateurs, lors- qu'un agent de l'autorité vint à passer devant cette morgue. Il flaira un délit, s'approcha des volatiles et fit main basse sur les deux défunts odoriférants. Ils furent soumis à une visite corporelle et l'on constata qu'ils étaient décédés de leur belle mort, en d'autres termes qu'ils étaient crevés, et qu'ils

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tenaient en leur bec non pas un fromage mais, ce qui en diffère peu, une assez notable portion de vers. On s'adressa à la revendeuse et on essaya de les lui tirer du nez, en lui demandant pourquoi elle n'avait pas retiré de la vente ces animaux avancés. Elle répondit qu'elle ne les destinait pas à la vente, qu'elle les avait réservés à son frère assez grave- ment malade et qu'elle était convaincue que sa maladie n'aurait pas résisté à un pareil traitement ! Qu'elle serait donc victime, si on la poursuivait, de la sollicitude qu'elle nourrissait pour un frère malade. D'ailleurs, continuait la revendeuse, « Je ne vois aucun inconvénient à manger des bêtes crevées ; il faut bien en faire quelque chose et mieux vaut les confier à son estomac qu'à la terre ; les vers les mangent bien ! Il en est des volailles comme des fruits, ils ne sont succulents qu'à la condition d'être bien mûrs. » Cette théorie ne fut pas du goût de l'agent, qui dressa procès-verbal. Le tribunal condamna à 16 francs d'amende la femme Christine Lang.

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Mirac les à Rixheim

Vous avez le désagrément d'être incurable et vous désirez peut-être vous défaire de cette mau- vaise habitude ? Rien au monde de plus facile avec la recette particulière que voici : vous prenez un docteur sans diplôme, le sieur Zacharie Glassmann, par exemple, et beaucoup de chiendent ; vous mariez ce modeste végétal avec l'émolliente gui- mauve ; vous arrosez cette union d'un filet d'eau sédative et avec ce mélange vous faites tout sim- plement des miracles. Le bruit courait qu'il n'y en avait plus mais on comptait sans le sieur Glass- mann. Ce docteur marron vous administre sa drogue d'une certaine façon, vous en frotte en cer- tain sens et bientôt, si toutefois vous avez la chance d'être sérieusement incurable, vous jouirez de la santé la plus florissante. Mais si malheureusement vous n'avez qu'une indisposition légère, si vous n'êtes pas complètement incurable, si votre cas n'est pas désespéré, votre maladie fera de grandes difficultés pour céder enfin au traitement du sieur Glassmann, docteur en médecine de la célèbre faculté de Rixheim, qui ne délivre ses diplômes que sur papier peint. Grâce à Glassmann, les para- lytiques sont si merveilleusement guéris que l'on

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se voit forcé, pour régler l'accélération de leurs mouvements, de leur appliquer un modérateur ; les sourds entendent fort distinctement l'herbe pousser et le chauve voit avec bonheur son chef se recouvrir de la plus luxuriante chevelure. Mais dans son ardeur à prodiguer à l'humanité souffrante les trésors du chiendent, ce membre si humble de la grande famille des graminées (abandonné jusqu'à ce jour à l'espèce canine par l'ingratitude des hommes), le docteur Glassmann a oublié de se guérir lui-même : déjà condamné plusieurs fois pour exercice illégal de la médecine, il continuait à pratiquer l'art de guérir et un grand nombre de maladies allaient s'arrêter par ses soins, lorsqu'il le fut lui-même à Rixheim par la gendarmerie. Le 1er mars 1859, il comparut devant le tribunal cor- rectionnel d'Altkirch qui le condamna à vingt jours d'emprisonnement.

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L'orgue c o m m e i n s t r u m e n t d e B a r b a r i e

Une heure : le sieur Keller, aveugle de naissance et joueur d'orgue de profession, s'installe avec son instrument sous les fenêtres du sieur B... qui, à la veille de quitter la ville de Cernay, préside au char- gement de son mobilier. Une heure et demie : le sieur Keller tourne sa manivelle avec fureur. Deux heures : l'aveugle joue comme un sourd et épuise son répertoire avec enthousiasme. Deux heures et demie : l'artiste, parvenu au suprême degré du délire musical, inonde le sieur B... de torrents d'harmonie. « Quel est donc ce mystère ? se dit alors l'inondé. Pourquoi cet artiste infatigable s'est- il immobilisé devant ma maison avec son instrument à jet continu ? Allons le prier de trans- porter ailleurs sa machine harmonieuse. » Après ce monologue, il s'approche du musicien, lui offre quelque obole et l'invite, pour ne pas faire de jaloux, à prodiguer ses notes à d'autres habitants. L'artiste repousse non sans dignité la rémunération qui lui est offerte et répond qu'il se trouve fort bien dans l'endroit où il s'est arrêté et qu'il y jouera à perpétuité ; que d'ailleurs il est autorisé par la municipalité à favoriser de ses mélodies telle rue de Cernay qui lui conviendra et qu'il agit dans

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l'exercice de ses fonctions. Et l 'aveugle se remet à tourmenter sa mécanique ; il aurait ainsi joué sans désempare r tout le jour durant, si le sieur B..., que la sé rénade commençait à fatiguer, n 'eût demandé du secours à la police de Cernay. Celle-ci intervint et mit un terme à cette débauche d'orgue de Bar- barie. Il était t emps : le sieur B... n'en pouvait plus, e t l'organiste en avait encore pour 7 h 59 min. Le musicien fut interrogé sur sa persistance à t répaner le sieur B... e t finit par déclarer qu'il avait reçu, pour accabler le pat ient de sa musique, une somme de 2 francs ; les personnes, qui l 'avaient subventionné à cet effet, se trouvaient dans le café situé en face de la maison du bénéficiaire de la sérénade. Des

renseignements pris sur le personnel qui fréquen- tait cet é t a b l i s s e m e n t phi lharmonique, firent connaître les mécènes de l'orgue de Barbarie : c'était un boucher et un marchand de bois, qui pour jouer un mauvais tour au voisin, lui avaient lancé dans les oreilles un organiste enragé. Ils furent ren- voyés, avec le sieur Keller, devant le tribunal qui les condamna à un franc d ' amende chacun.

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D e s q u i l l e s s u s p e c t e s

C'était fête à Ribeauvillé en ce pr intemps 1810 ; on dansait en maints endroits, on jouait en plu- sieurs lieux, on buvait partout. Monsieur Baccara, ent repreneur de la fête, avait largement contribué à tant de splendeurs, en établissant, sur la place publ ique un jeu de quilles et en y conviant les pre- miers bras de la cité de Ribeaupierre. La foule accourut ; les plus fortes boules de la localité déployèrent toutes les ressources de la vigueur, de l 'adresse et de l 'expérience. On fit merveille, si bien qu'à la clôture de la fête, Monsieur Baccara put se dire devant ces brillants résultats : « Moi je n'ai pas perdu ma journée ! » M. Baccara eut les plus beaux rêves du monde ; il vit un paradis pavé de quilles ; la fortune lui apparut en souriant, e t la roue, qui d'ordinaire sert de piédesta l à l 'intéres- sante personne, prit à ses yeux ravis la forme d 'une boule. La réalité, pourtant, devait être pénib le : en s 'éveillant, la p remiè re p e r s o n n e qu ' ape rçu t M. Baccara fut M. le commissaire de police de Ribeauvillé.

« À quelle heureuse circonstance dois-je votre visite ? s'écria M. Baccara.

- Je viens verbal iser contre vous, répondi t

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Un m i t r o n d a n s le p é t r i n

Que les chemins de fer aient une influence des plus malignes sur les tubercules en général et sur les pommes de terre en particulier, qu'ils soient les auteurs des ravages de l'oïdium, qu'ils aient trempé dans la maladie du ver à soie, nul ne peut en douter en ces années 1850, à moins de profes- ser un scepticisme de la pire espèce. Les hommes les plus éclairés ont fait à ce sujet contre les che- mins de fer des charges à fond de train, parce qu'ils sont profondément convaincus de leur influence malsaine et la conviction s'éprouve et ne se prouve pas. Le sieur Altenbach ne sera guère disposé à relever les chemins de fer de ces graves accusa- tions. Il a été l'une de leurs victimes et a dû avoir contre eux une fameuse dent et surtout un fameux pied. Il avait, l'excellent homme, placé sa personne et sa confiance dans un compartiment de deuxième classe ; il a récolté une entorse de première classe qui l'a cloué dans son lit pendant quinze jours. Le 7 juillet 1857, Altenbach avait pris place dans un wagon de la compagnie, pour se rendre à Altkirch, où il exerçait les fonctions de garçon boulanger. Le trop confiant mitron venait de s'endormir lorsque le train s'arrêta à Altkirch. Le voyageur ne bougea

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pas. Le convoi se remit en mouvement et se trou- vait à près de 700 mètres de la gare lorsque le sieur Altenbach se réveilla, sous l 'empire d'un affreux cauchemar : il avait vu de magnifiques fleurs de farine se transformer en chardons. S'apercevant tout à coup qu'il avait dépassé Altkirch où, le soir même, il devait mettre la main à la pâte et redoutant les colères de son patron, le mitron se précipita vers la portière, l'ouvrit e t sans réfléchir au danger qu'il courait, se jeta sur la voie. L'imprudent en fut quitte pour une entorse du pied droit. Mais le garçon bou- langer n'était pas encore suffisamment dans le pétrin : une poursuite correctionnelle vint l'y enfon- cer un peu plus avant. Il avait en effet contrevenu à l'article 63, qui ne permet aux voyageurs de sortir des voitures qu'aux stations et lorsque le train est complètement arrêté. Le tribunal le condamna à un franc d ' amende et aux frais. Il n 'en est pas moins établi que, sans le chemin de fer, Altenbach n'aurait pas eu d'entorse, qu'on ne vienne donc plus nous dire que les chemins de fer, qui causent des entorses, ne peuvent pas compromettre gravement la santé des pommes de terre.

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Un t i m b r é d u t i m b r e

La loi du 21 octobre 1849 punit d'une amende de 50 francs à 1 000 francs quiconque aura sciemment fait usage d'un timbre-poste ayant déjà servi. Les mêmes peines sont prononcées contre celui qui vend ou tente de vendre un timbre-poste ayant déjà servi. Parfois les lavages que l'on fait subir au timbre-poste et qui ne font disparaître qu'en partie les traces d'oblitération, révèlent l'intention cou- pable du délinquant. C'était là précisément l'opération à laquelle devait avoir recouru un sieur G..., négociant à Huningue, pour pouvoir se servir d'un timbre oblitéré. Invité à donner des explica- tions sur l'état du timbre apposé sur une lettre qu'il avait adressée à un habitant de Dornach, il affirma que ce timbre n'avait jamais servi. Après l'avoir acheté, dit-il, il l'avait mis dans son porte-monnaie où il était resté pendant assez longtemps. C'était sans doute le contact avec les pièces d'argent qui avait causé les points noirs constatés sur le timbre- poste. Ce long séjour dans sa bourse avait encore eu pour effet d'en détacher la couche gommeuse servant à le coller sur la lettre, aussi avait-il été forcé, pour l'appliquer, de se servir d'un pain de colle. Le sieur G... persista à soutenir avec énergie

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qu'il n'avait pas commis le délit qui lui était imputé. Des renseignements pris sur son compte ne furent pas de nature à faire suspecter ses allé- gations. G... avait une excellente réputation, il n'avait jamais é té condamné. Il était, disent les ren- se ignements , de b o n n e vie et mœurs . D'un caractère liant et doux, il paraissait faire très bien ses affaires et affichait une aisance luxueuse. Les

explications du sieur G... ne prévalurent pas contre l'état suspect du t imbre-poste et à la da te du 8 novembre 1850, le sieur G... comparut devant le tribunal correctionnel de Mulhouse. Celui-ci jugea que « L'inspection du timbre ne donnait pas la conviction suffisante de l 'existence du délit » et

renvoya purement et s implement le prévenu. Le ministère public émit appel de cette décision. Le timbre fut inspecté sous toutes ses coutures et, vues les circonstances, le jugement fut annulé et la pénalité prévue par la loi du 21 octobre 1849 rete- nue contre le sieur G... Mais la Cour infirma cette décision et « a t tendu qu'il existe dans la cause des circonstances a t ténuantes » condamna définitive- ment le coupable à seu lement 25 francs d ' amende et à tous les frais. Sachez encore qu'à cet te da te le timbre valait 20 centimes !

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Pr ix d e s e x é c u t i o n s à Colmar a u XVIIIe s ièc le

Vers 1750, il n 'en coûtait à Colmar que 30 livres pour se faire pendre ; ce n'était vraiment pas la pe ine de s'en passer. La roue 1 coûtait un peu plus cher ; mais, en somme, le maître de s hautes œuvres tenait à la disposition des amateurs un pet i t tarif des plus séduisants : il ne prenait que 6 livres pour jeter vos cendres au vent ; il eût fallu être un ladre de la pire e spèce pour ne point payer avec un vrai plaisir la modes te note que Monsieur l 'exécuteur présentai t à ses clients. Soixante livres pour jouir des agréments de la claie ! On se donnait à vil prix le plaisir de la locomotion. Vive le bon vieux temps, où l'on exécutait si bien et à si bon marché ! Encore y avait-il peut-être des prix de

1. Le supplice de la roue, dont on fait remonter l'invention à l'Em- pereur Commode et qui n'a été aboli en France qu'à la Révolution de 1789, est l'un des plus abominables que l'imagination de l'homme ait pu concevoir. On étendait le condamné sur une roue placée horizontalement, plusieurs entailles étaient pratiquées dans l'extérieur de la roue sur laquelle le patient était solidement attaché. Puis le bourreau, armé d'une lourde barre de fer, en assé- nait plusieurs coups sur les membres du supplicié à hauteur des entailles faites. Les articulations se disloquaient, les os se broyaient, au milieu des cris de désespoir de la victime. Puis on l'exposait pendant un temps plus ou moins long à l'avide curio- sité de la foule, qui ne quittait ce spectacle qu'après avoir recueilli le dernier râlement de la victime.

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faveurs ? Espérons qu'il n 'en était pas ainsi car nous regretterions davantage de ne plus pouvoir profiter du bon marché. Voici du reste les différents prix que le bourreau faisait payer aux consomma- teurs : Pour rouer : 60 livres, pour exposition sur la r o u e : 15 livres, pour b rû le r : 60 livres, pour pendre : 30 livres, pour d é p e n d r e et exposer : 15 livres, pour percer la langue : 15 livres, pour cou- per le poing : 15 livres. Heureux hommes que les bourreaux de Colmar !

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Le supp l i ce d u H a r n e s c a r e n 1222

L'imagination bizarre du Moyen Âge a inventé les supplices les plus affreux comme les peines les plus grotesques. À côté de l'abominable torture de la roue 1 on ne voit pas la peine infligée à la femme qui avait battu son mari : placée à rebours sur un âne, la coupable était condamnée à parcourir toute la ville, en tenant l'âne par la queue. Le châtiment infligé au banqueroutier, dans certaines villes de l'Italie, n'était pas moins étonnant : le négociant qui avait fait de mauvaises affaires, était tenu de s'asseoir, après avoir ôté ses braies, sur une pierre appelée pierre de honte, de la frapper trois fois de la partie du corps sur laquelle on a l'habitude de s'asseoir, et devait s'écrier à haute voix, en faisant ce mouvement « Je cède mes biens ». Singulier pays que celui dans lequel un négociant, pour déposer son bilan, était forcé de déposer culotte. Le supplice le plus curieux était assurément celui qui était connu sous le nom de Harnescar : il était prononcé contre le noble qui se rendait coupable de crime tel que l'incendie ou le pillage. Le condamné devait se mettre tête, jambes et pieds

1. Voir précédemment.

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nus, charger un chien mort sur ses épaules et se rendre ainsi dans un lieu désigné. Ordinairement, c'était à la suite d'une procession qu'il devait mar- cher dans cet équipage. Le noble seul avait droit au chien, ses complices roturiers ne jouissaient pas de ce privilège : les serviteurs du noble portaient une selle, ses colons et laboureurs, appartenant émi- nemment à la classe des vilains, portaient un soc ou une roue de charrue. Ainsi équipé, le cortège se mettait en marche, à la suite du noble et de son chien. Il ne s'arrêtait que devant une église où tous, se prosternant, demandaient pardon de leur faute.

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Le v é r i t a b l e violon d u XVIIe s ièc le

La musique a de tout temps fait les délices des Alsaciens. Aussi, dans le seul but de lui témoigner leur reconnaissance, ont-ils donné le nom de Geige ou violon à un instrument qui, durant de longues années, fut singulièrement goûté dans toute l'éten- due de la province d'Alsace. Il n'était nullement nécessaire de mériter la corde pour avoir droit au violon : pour la moindre incartade, pour tapage noc- turne, injure verbale, libertinage, on s'empressait de vous mettre au violon. Et si, l'instrument à la main, vous aviez l'air d'en jouer, vous éprouviez des sen- sations qui n'avaient rien de musical. Ce qu'on admettra sans discussion quand on saura que le vio- lon était une sorte de carcan qui, par un bout, prenait son homme par la gorge, et par l'autre lui maintenait le bras dans la position d'un artiste jouant du violon. Le patient restait dans cette atti- tude pendant plusieurs heures, selon la gravité de l'infraction. Ordinairement, l'exécution était publique, et les amateurs de violon accouraient en foule pour juger de la force du violoniste. Le violon

1. Carcan mobile qu'on attachait au cou de certains délinquants que l'on promenait ainsi par la ville. Ce mot alsacien est traduit en français par « violon ».

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fut à la mode jusqu'en l'année 1678, quand le Conseil souverain d'Alsace prononça sa suppression.

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J u g e m e n t s e n b r e f la R é p u b l i q u e d e M u l h o u s e

La femme de Clade qui avait déplacé une pierre-borne dans les vignes, payera 100 florins; elle ne pourra pas sortir de la ville pendant un an et est déclarée infâme. Le 21 mai 1613.

Pour avoir battu sa mère, Jean H... est condamné à être admonesté à l'église pendant le service divin ; il payera une amende de 1 200 florins ; en outre, il est déclaré infâme et indigne de porter les armes. Le 8 août 1625.

Les héritiers de George B... qui s'est pendu, sont condamnés à une amende de 100 écus. Le 3 août 1637.

Le sieur Th..., curé de Zimmersheim, qui s'était réfugié à Mulhouse, fut condamné, malgré l'inter- cession de l'évêque, à la prison et à une amende de 100 florins, pour avoir, pendant son séjour dans la ville, béni le mariage de sa cuisinière avec un soldat. Le 23 août 1637.

Jean St... fut condamné à la prison pour avoir coupé des bourgeons sur les bords de la Sinne. Le 7 août 1639.

Anne-Marie K... qui avait mis le feu à une grange, à Illzach, fut exécutée par le glaive. Le 4 juillet 1703.

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Anna G... es t condamnée à porter le Klapper- stein pour avoir traité le bourgeois Jean Fr... d'incendiaire, l 'accusant faussement d'avoir mis le feu à la maison du Maître de poste . Le 29 novembre 1752.

Barbe Moos, de Zimmersheim, fut condamnée, pour vol et fornication, à porter la Geige aux quatre portes de la ville et à être coiffée de la couronne de paille. Le 26 mai 1779.

Une femme qui avait volé divers objets à la foire, fut condamnée à être exposée au c a r c a n pendant une heure, à recevoir six coups de fouet et à être marquée du fer chaud. Le 20 sep tembre 1756.

Plusieurs jeunes filles qui avaient volé du coton, furent condamnées à quatorze jours de prison au Castel où elles travailleront traînant boulets ; tous les trois jours elles recevront des coups de bâton. Le 21 novembre 1759.

1. Voir précédemment. 2. Le carcan était un cercle de fer, une sorte de cravate avec laquelle

les condamnés étaient attachés par le cou à un poteau, pour subir l'exposition publique.

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L

IVRÉS à des activités coupab le s qui, de

nos jours, paraîtront bien anodines, les héros de ces anec- dotes authentiques, souvent pris sur le fait, ont réellement vécu autrefois en Alsace.

Amusants, surprenants, tragi- comiques, ces faits de justice sont le reflet de la vie quoti- dienne et des préoccupations des Alsaciens au cours des siècles passés.

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