Petite_philosophie_de_nos_erreurs_quotidiennes
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LUCDE BRABANDERE
ANNE MIKOLAJCZAK
Petite Philosophie
de noserreurs quotidiennes
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Petite Philosophie
de nos erreurs quotidiennes
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Groupe Eyrolles61, bd Saint-Germain75240 Paris cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Pour contacter les auteurs :
Illustrations :Baudouin Deville
www.cartoonbase.com
Le Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit eneffet expressment la photocopie usage collectif sans autorisationdes ayants droit. Or, cette pratique sest gnralise notamment danslenseignement provoquant une baisse brutale des achats de livres, aupoint que la possibilit mme pour les auteurs de crer des uvresnouvelles et de les faire diter correctement est aujourdhui menace.En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduireintgralement ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque sup-
port que ce soit, sans autorisation de lditeur ou du Centre franais dexploitation du
droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
Groupe Eyrolles, 2009ISBN : 978-2-212-54323-0
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Luc de Brabandere
Anne Mikolajczak
Petite Philosophie
de nos erreursquotidiennes
Comment nous trompons-nous ?
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Des mmes auteurs, derniers ouvrages parus
Le Plaisir des ides, Luc de Brabandere, Anne Mikolajczak,Dunod, 2002, 2e dition.Le Management des ides, Luc de Brabandere, Dunod,2004, 2e dition.Le Sens des ides, Luc de Brabandere, Stanislas Deprez,Dunod, 2004.Espce de trochode ! Luc de Brabandere, Christophe
Ribesse, Dunod, 2006.La Valeur des ides, Luc de Brabandere, Anne Mikolajczak,Dunod, 2007.
Petite Philosophie des histoires drles,
Luc de Brabandere,Eyrolles, 2007.
Pense magique, pense logique,
Luc de Brabandere, Le
Pommier, 2008.
Balade dans le jardin des grands philosophes,
Luc deBrabandere, Stanislas Deprez, ditions Mols, 2009.
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SOMMAIRE
IntroductionPhilosophie ou psychologie ? ........................................................... 7
Astuces et limites de notre raisonnement :les biais cognitifs ............................................................................................. 15
La raison nous trompe plus souvent que la nature .... 15
Les piges de la mmoire et du langage ....................... 23Rien nest aussi contagieux que lexemple ......................... 23La premire ide nest pas toujours la meilleure ........ 26La formulation influence la dcision ...................................... 29
Comparaison nest pas raison ......................................................... 31Le poids des reprsentations ......................................................... 35
La loi des petits nombres ........................................................... 35La chance sourit-elle aux optimistes ? .................................. 38La frquence banalise .............................................................................. 41
Le besoin de sens tout prix ......................................................... 43Un malheur peut arriver seul ........................................................... 43Le hasard est une loi qui voyage incognito ...................... 46Ce nest pas moi, cest lui ! ................................................................. 48
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Sommaire
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Lexcs de confiance .................................................................................. 51Lirrsistible envie de confirmation .......................................... 51Je le savais depuis le dbut ................................................................. 56Il a, dit-il, la situation bien en main ........................................ 60
Le brouillard des chiffres .................................................................... 63Tant quon na pas vendu, on na pas perdu .................... 63 chacun sa manire de compter ............................................... 65
Le moindre effort .......................................................................................... 69Un tiens vaut-il vraiment mieuxque deux tu lauras ? .................................................................................. 69
Restons en terrain connu ..................................................................... 71Ces choix qui embarrassent .............................................................. 73
La pression du groupe ............................................................................. 77Consensus sous influence : qui ne dit motconsent .................................................................................................................... 77La foule a beaucoup de ttes et pas de cervelle ........... 79
La notion de biais en question ................................................... 83Pourquoi lintuition ne serait-elle pasrationnelle ? ........................................................................................................ 84
En guise de conclusion .......................................................................... 89
Bibliographie ........................................................................................................ 93
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Introduction
PHILOSOPHIE
OUPSYCHOLOGIE ?
Errare humanum est
Lerreur est humaine. Nous nous trompons tous,tout le temps. Nous ne pouvons pas ne pas noustromper. Et quand nous croyons apprendre de noserreurs, nous commettons le plus souvent une erreursupplmentaire Mais quest-ce que lerreur ?Do vient-elle ? Quelle est sa nature, son statut ?Pouvons-nous lviter ?Se poser la question de lerreur, cest se poser laquestion de la vrit, du vrai, du juste, cest
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sinterroger sur les sources et les voies de la connais-sance, sur notre manire de penser, de raisonner.Depuis la naissance de la philosophie en Grceavant notre re, les philosophes se sont attels cette tche. Ils ont cherch comprendre comment
le savoir se construit et pourquoi nos connaissancessont aussi imparfaites, pourquoi nous nous trom-pons et comment nous prvenir de lerreur.
Cest ainsi quest ne une discipline intellectuelle,la logique, avec une ambition clairement affiche :
devenir la science du raisonnement valide, en sepenchant uniquement sur la forme des proposi-tions. De manire simplifie, disons que la logiquecherche tablir les conditions de lutilisationcorrecte du mot donc .
Sur son acte de naissance, on trouve un raisonne-ment valide lmentaire : le modus ponens,
n deparents stociens.
Si A, alors B ;Or A ;Donc B.
Sil pleut, la route est mouille. Il pleut. Donc laroute est mouille. Cela parat tellement vident !Pourtant, se prsente dj un risque derreur
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frquent : cest de croire que, si la route estmouille, cest parce quil a plu ! Eh bien non, cestparce que quelquun a jet un seau deau
Quand un logicien coute Bob Marley chanterNo Woman, No Cry, il ne se pose pas la question de
savoir si cest vrai ou faux. Par contre, en exami-nant uniquement la structure du raisonnement, ilpourra dire un homme qui ne pleure pas que cenest pas ncessairement parce quil na pas defemme
Le pre fondateur de la logique semble tre, unefois encore, Aristote. la recherche du raisonne-ment parfait, sa clbre thorie du syllogisme aouvert un chantier qui nest toujours pas achev (etqui ne le sera sans doute jamais). Nous avons dcriten dtail cette longue aventure dans Pense magi-que, pense logique(Le Pommier, 2008).Dans leur qute du vrai et du correct , lesphilosophes ont voulu dmonter, chacun leurfaon, les mcanismes de la pense. Et leur chasse lerreur les a mens poser des questions de plus
en plus fondamentales. Peut-on mathmatiser lapense, autrement dit prouver quon a raisoncomme on prouve un thorme ? Dans quellemesure le langage respecte-t-il la pense ? Tout
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problme a-t-il une solution ? Comment devons-nous interprter les paradoxes ? Que peut-on vrai-ment apprendre de lexprience (cest le clbreproblme de linduction) ? Et finalement peut-onse fier notre raison, ou vaut-il mieux douter de
tout ? Mais alors, quest-ce que la science ? Etc.En passant progressivement des questions deforme aux questions de fond, les philosophes ontanalys les mcanismes de lerreur sous des angleset avec des profondeurs de champ trs varis. Les
recherches actuelles sur les erreurs de raisonne-ment ont donc de nombreux prcurseurs. Tous lespenseurs se sont attachs formaliser les faons depenser juste, en se mfiant du critre dvidence,des apparences trompeuses, ou encore des pigestoujours bien prsents du sophisme.
Un grand moment (le grand moment ?) de cettelongue marche est celui o Emmanuel Kant dcidade critiquer la raison pure . Limpact du philoso-phe allemand est certes paradoxal, car, dans unepartie de ses recherches, il sest fameusement
tromp ! En dcrtant la logique dAristote science acheve , il commit en effet une erreurmonumentale. Comme le (d)montreront par lasuite Friedrich Frege, Bertrand Russel et les
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petit les thoriciens de lerreur analyseront le ctmotif, voire affectif, des choses. De nouveauxmots apparatront dans les travaux : inconscient,dsir, passage lacte, lapsus, acte manqu, narcis-sisme Les psychologues vont explorer lautre ver-
sant de la montagne de nos erreurs et apporterontdes clairages nouveaux sur le fonctionnement denotre esprit et les limites de notre capacit de rai-sonner.
la frontire de la philosophie et de la psycho-logie, on trouve aujourdhui une discipline appele sciences cognitives . Casse-tte pour les librairesqui ne savent o ranger les ouvrages qui y sontconsacrs, cest dans ce champ que senracinent lespages de ce petit essai.
Le spectre de nos erreurs quotidiennes est vaste.
On peut se tromper en faisant une addition, toutcomme on peut se tromper en achetant un pull.On peut faire des fautes de calcul, tout comme onpeut faire des fautes de got. Ce qui nous intresseici se situe plutt au milieu de lventail, entre lalogique et lesthtique.
Car, en partie, nos dcisions ne sont pas logiques(rationnelles), alors que nous croyons quelles lesont. Lexprience de pense suivante lillustre bien.
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Philosophie ou psychologie ?
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Imaginez deux urnes A et B contenant des boulesblanches et des boules noires :
Dans lurne A, il y a autant de boules blanches quede noires. Dans lurne B, la proportion est inconnue.Si vous tirez une boule blanche, on vous donne100 euros. Dans quelle urne allez-vous plonger lamain ? Retenez votre rponse, car nous allons
maintenant vous proposer autre chose. Si voustirez une boule noire, on vous propose 200 euros.O ira votre choix ?
Examinez maintenant la squence de vos deux dci-sions. Probablement, comme la plupart des gens,
vous aurez t tent de vous servir deux fois danslurne A. Si, prises isolment, ces deux dcisionspeuvent se comprendre, prises comme un tout parcontre, elles contiennent une contradiction.
Proportion 50/50. Proportion inconnue.
A B
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Le premier choix tenter la boule blanche danslurne A ne peut sexpliquer que si vous avez faitune hypothse propos de lurne B : elle contientplus de boules noires. Donc, puisque rien nechange dans la deuxime situation, en toute logi-
que, le deuxime choix la recherche dune boulenoire aurait d vous porter vers lurne B !Comment expliquer cette dcision illogique ?Simplement en admettant une fois pour toutes quenous ne dcidons pas toujours logiquement ! Dansle petit exercice ci-dessus, il apparat clairement
que notre peur de linconnu est plus forte que notresouhait dtre rationnel ! Ce mcanisme non logi-que nest quun exemple parmi beaucoup dautresde biais cognitifs autant appeler les choses parleur nom prsents dans ce livre.
Nous avons choisi de nous aventurer, avec audacepeut-tre mais en toute modestie, dans un territoireindcidable, la frontire floue entre la philosophieet la psychologie. On ne peut pas ne pas avoir unbiais. vous, lecteur, de nous dire quel est le ntre !
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ASTUCES ET LIMITES
DE NOTRE
RAISONNEMENT :
LES BIAIS COGNITIFS
La raison nous trompe plus souvent que la nature
La vie est jalonne dvnements que nous cher-chons comprendre : pourquoi et comment sesont-ils produits ? Nous leur cherchons une expli-
cation satisfaisante, en tablissant des liens et descorrlations, nous voulons leur donner un sens.Mais nous sommes bien obligs de constater que lebon jugement, le bon diagnostic ne sont pas tou-jours au rendez-vous.
La vie est aussi faite dune srie de dcisions : enta-mer des tudes, partir en vacances, acheter unemaison, inscrire ses enfants dans une cole Pourchoisir et dcider, tout un chacun recherche des
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Astuces et limites de notre raisonnement : les biais cognitifs
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informations et des conseils. Mais, nouveau, labonne dcision est loin dtre garantie. Cest aussivrai dans la vie professionnelle, pour ceux que lona coutume dappeler les dcideurs : engager unepersonne, lancer un projet, investir dans un pro-
duit, changer de stratgie Pour dcider, le diri-geant dentreprise, tout comme le responsablepolitique, sappuie sur un dossier rassemblant des lments de dcision . Mais il nest pas commeun ordinateur face des chiffres, et la dcision quilva prendre va bien au-del du calcul.
Tout tre humain a ses valeurs, ses faiblesses, sesexpriences bonnes et mauvaises, ses repres cultu-rels. Dans quelques cas simples, une dcision peuttre le rsultat dun raisonnement rigoureux. Mais,le plus souvent, le processus de choix est aussi fait
dintuition, de conviction, de risque estim, voirede jeu ou de passion.
Au lieu de reconstituer la ralit des faits laide delois logiques ou probabilistes pour fonder ses opi-nions, ltre humain a tendance interprter cetteralit en sappuyant sur ses croyances, son histoirepersonnelle, ses connaissances partielles.Dans cette opration de construction subjective dela ralit, il recourt, de manire inconsciente, des
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rgles empiriques appeles heuristiques, tymolo-giquement : une manire de trouver . Leur but :simplifier le problme, acclrer le processus detraitement de linformation, valuer des probabili-ts dans des situations dincertitude.
Exemples dheuristiques : prendre des exemples autour de soi ; appliquer la loi des 80 % - 20 % ; acheter les marques que lon connat ; dcider sur la base de comparaisons ;
gnraliser son cas particulier.Concrtement : entre trois bouteilles de vin des prix diffrents,
prendre celle qui est au prix moyen ; ouvrir un compte dans la banque de ses parents.
prendre comme code daccs ou comme mot depasse sa date de naissance ; offrir le Prix Goncourt comme cadeau de Nol ; faire le budget de lanne 2009 partir de celui
de lanne 2008 ; mettre sa maison en vente au printemps.Ces rgles de pense intuitives sont indispensables,souvent efficaces mme, mais ne sont pas sansrisque ni incovnient. Ces raccourcis mentaux
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Astuces et limites de notre raisonnement : les biais cognitifs
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peuvent se transformer en courts-circuits etaltrer raisonnement et jugement. Ainsi, quand undiagnostic se rvle erron, quand une dcision prisesavre mauvaise, il apparat souvent a posterioriquela cause nest pas chercher du ct des informations
rassembles, mais plutt dans la manire dont lecerveau les a traites, quil les ait sous-exploites ouau contraire surexploites. Le coupable est alors cequon appelle un biais cognitif , une formedimpt sur lefficacit.
Des individus rationnels se trompent tous les joursparce quil nest pas rationnel de passer ses journes essayer de ne pas se tromper. La bonne attitudeconsiste plutt tre conscient des biais invitables il nest pas possible de penser sans point de vue ,tout en vitant les biais qui polluent.
Regardez la figure suivante :
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Astuces et limites de notre raisonnement : les biais cognitifs
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Quest-ce ? Une fentre en perspective, probable-ment. Dissquons ce qui vient de se passer. Dansun premier temps, vous voyez quelque chose quivous fait penser une fentre. Vous examinezensuite si ce modle de fentre existe dans votre
catalogue mental . Et comme la rponse estnon, vous en dduisez que la fentre est de biais.Mais le biais, cest en vous quil se trouve ! Unefentre trapzodale pourrait trs bien existerComme lillustre cette micro-exprience de pen-se, les biais influencent notre rflexion comme un
champ de gravit. Ils sont invisibles et le plus sou-vent inconscients, mais ils orientent touterflexion, tout instant, ds la premire seconde.
Deuxime petit test : A et B possdent une actionqui vaut 120 euros. A la achete 100 euros et B la
paye 50 euros. Le cours seffondre soudain 60 euros. Qui, votre avis, aura le plus mal auventre ? Beaucoup rpondent A, qui doit avalerune perte importante, alors que B ne doit finale-ment que digrer un moindre gain. Or, dun pointde vue rationnel, nos deux investisseurs voient tous
les deux leur avoir total diminuer de moiti.Plus que les autres disciplines, lconomie compor-tementale sintresse de prs aux heuristiques et
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aux biais pour tenter dexpliquer pourquoi, danscertaines situations conomiques, les tres humainsadoptent un comportement paradoxal ou nonrationnel. Pour les travaux pionniers quil a mensdans ce domaine avec Amos Tversky1, le chercheur
amricain en psychologie, Daniel Kahneman, a reule prix Nobel dconomie en 2002. On doit auxdeux chercheurs une cartographie ingale deserreurs de raisonnement, fonde sur une batteriede donnes exprimentales. Dans la foule, lco-
nomiste Richard Thaler, premier thoricien de lafinance comportementale, a tudi les effets desbiais cognitifs sur les dcisions des investisseurs etleurs liens avec les anomalies de march. En cestemps de droute boursire et de crise financireexceptionnelle, lconomie et la finance comporte-mentales sont assurment des thmes la mode
Quand on veut bien comprendre, quand on veutbien dcider, il est important de disposer en per-manence dinformations aussi fiables que possible,
mais il est peut-tre plus important encore dtreconscient des limites de sa propre objectivit, plus
1. Amos Tversky est dcd en 1996.
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largement des limites de la rationalit humaine.Car combien de fois nous trompons-nous en pen-sant avoir raison !
De manire schmatique, on pourrait dire ceci.
Avant dagir, nous passons par trois stades : la per-ception dune situation, lvaluation des possibili-ts et le calcul de la meilleure dcision prendre. Pendant longtemps, on a cru cette troi-sime tape plus importante que les deux autres.Or, tout ou presque se joue dans la premire. Alorsque percevoir pourrait tre quelque chose debien simple on regarde ce qui se passe , cettedmarche se rvle en fait le sige dune construc-tion de sens qui influence et faonne mme lesdeux tapes suivantes.
Les biais sont nombreux et leur prsentation varieselon les auteurs. Dans labondante littrature surles approches psychologiques du fonctionnementde lesprit humain, nous en avons slectionn unequinzaine, dont les plus clbres. Nous les traite-rons en les regroupant par affinits et en les illus-trant dexemples et de tests emprunts notammentaux travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky.
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Pour introduire plusieurs biais, nous nous sommesinspirs de dictons populaires, les uns donnantraison la sagesse populaire, les autres lui donnanttort. Mme le bon sens nest pas labri desbiais et peut faire fausse route.
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LES PIGES
DE LA MMOIRE
ET DU LANGAGE
Rien nest aussi contagieux que lexemple
Dans la langue franaise, y a-t-il plus de mots decinq lettres commenant par la lettre r ou demots de cinq lettres possdant la lettre r en troi-sime position ? La plupart dentre nous jugeraient
quil y a plus de mots de cinq lettres qui commen-cent par r , car ce sont ces mots qui nous vien-nent le plus rapidement et le plus aisment lesprit, dans lordre alphabtique (rance, rosse,rouge, route). Or le comptage systmatique des
frquences indique quil y a nettement plus demots de cinq lettres dont la troisime lettre est r (terme, berne, pril, forme) que de mots quicommencent par r .
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Faites un autre petit test autour de vous. Deman-dez quelquun de donner rapidement une cou-leur, un animal, une fleur et un outil. Si la personneest presse, il y a beaucoup de chances quellerponde quelque chose du genre rouge, chien,
rose et marteau . Recommencez avec quelquundautre, vous recevrez probablement une rponsedu mme style.
Dans un cas comme dans lautre, nous subissonslemprise du biais de disponibilit. Cette tendance
consiste utiliser de prfrence des informationsfacilement disponibles, qui nous viennent le plusspontanment lesprit : les informations rcentes,emmagasines en mmoire il y a peu de temps, leslments plus vivants, spectaculaires ou chargs
dmotions, les lments bien connus, familiers.Cest le sens de laphorisme sans doute le plus cl-bre attribu Abraham Maslow : Si le seul outilque vous avez est un marteau, vous verrez tout pro-blme comme un clou.
Demandez un Franais quelle ville a le plusdhabitants : Bruges ou Namur ? Il risque de rpon-dre Bruges parce que cette ville est plus clbre, ou
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Namur parce quon y parle le franais. Mais lenombre dhabitants ne sera sans doute pas dtermi-nant
On retrouve le mme phnomne lors de concours
de pronostics. En football par exemple, on auratendance parier sur le club le plus connu, sansvraiment tenir compte de ses performances les plusrcentes, et surtout sans sinformer propos delquipe dont on sait moins de choses.
Eh oui, nous avons tous nos zones de confortcognitif qui biaisent nos choix ! Les exemples sontnombreux. Pourquoi le palmars des cent meilleu-res chansons franaises comporte-t-il tant desuccs de la dernire dcennie ? Pourquoi la rus-
site de Google nous donne-t-elle envie dinvestirdans la technologie de pointe ? Pourquoi choisircomme ministre de lducation nationale un intel-lectuel en vue, chouchou des mdias, comme ltaitet lest encore Luc Ferry, ou comme secrtairedtat aux Sports et la Jeunesse le populaireentraneur du XV de France, Bernard Laporte ? Ilnest pas certain que, focaliss sur lactualit, nousfassions les meilleurs choix.
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Cest galement le biais de disponibilit quiexplique notre fcheuse tendance surestimer cequi va se passer court terme et sous-estimer lesvolutions long terme.
Plus facilement reprables et rcuprables, les v-nements rcents nous empchent de prendre durecul et biaisent nos valuations. Et ils le ferontdautant plus sil sagit dvnements frappants. Oncroit plus facilement la probabilit daccidents devoiture lorsquon vient de croiser une automobile
renverse dans le foss. La preuve : la plupartdentre nous ralentissent tout de suite aprs.
La premire ide nest pas toujours la meilleure
Si vous demandez quelquun combien dhabi-tants compte le Venezuela, la rponse risque devarier assez fort. Mais si vous lui demandez justeavant : Le Venezuela a-t-il plus ou moins de20 millions dhabitants ? , la rponse ne sloi-gnera pas trop de 20 millions. Corollaire : si vous
demandez auparavant : Le Venezuela a-t-il plusou moins de 30 millions dhabitants ? , vous inci-terez donner un chiffre plus lev commerponse la deuxime question.
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Autre test : vous avez une entreprise A qui a pro-duit 10 innovations dans les deux dernires annes,alors que lentreprise B en a produit 6. Quelle estlentreprise la plus innovante ?
Si vous rpondez vite, vous direz trs probablementlentreprise A. Mais la bonne rponse est peut-trelentreprise B ! Supposons en effet quA emploie10 000 personnes et commercialise 100 produits,alors que lentreprise B nen commercialise que 12et nemploie que 500 salaris Par un effet de pri-
maut, les premires informations (ou les derni-res) induisent la rponse finale. Et le plus souvent,la frquence absolue des vnements est prfre leur frquence relative.
Chiffres de vente de lanne prcdente, bnficesfinanciers antrieurs, rsultats de la dernireCoupe du monde de football Combien de foisne faisons-nous pas des estimations et des pronos-tics en prenant ces donnes, proches dans le temps,comme points de rfrence ?
Mais attention, la bonne dcision nest pas garan-tie, comme dans le cas de cette usine deau min-rale qui a calcul sa production en fonction de la
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mto de lt prcdent, chaud et caniculaire, etqui se retrouve avec un excdent de productionlt suivant, frais et pluvieux.
De mme, combien de fois la premire questionpose dans un dbat aprs une confrenceninfluence-t-elle pas les suivantes et dtermine-t-elle le cours de la discussion ? Et nobserve-t-onpas, dans les runions o lon demande chacun dese prsenter, que la deuxime personne et les autresensuite se prsenteront de la mme manire que la
premire ? Tous ces exemples illustrent le biaisdancrage, appel aussi empreinte.
On ne saurait trop se mfier de ce biais. En pleinboom immobilier, M. et Mme Untel dcident devendre leur maison et souhaitent en retirer le plus
possible, tout comme leur agence, qui fixe donc unprix lev. Un peu trop sans doute, car les visiteursne se pressent pas et les acheteurs intresss par lebien proposent un prix que le couple juge trop endessous de lestimation initiale. Il refuse ainsi plu-sieurs offres, dans lespoir quun autre acheteur
tombera amoureux de leur maison et y mettra leprix. Les mois passent, la conjoncture change, lacrise sinstalle et les voil vraiment obligs dediminuer sensiblement le prix de leur maison pour
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pouvoir la vendre. Sils ntaient pas rests accro-chs au premier prix fix avec leur agence commepoint de rfrence, leur maison serait sans doutedj vendue, un prix suprieur celui quils peu-vent en esprer dsormais.
Le biais dancrage est bien prsent, un peu commelorsquon feuillette un livre distraitement, et quontombe toujours sur les mmes pages. Cette focali-sation du cerveau sur la premire valeur, le premierlment, le premier choix empche les espritsdapprcier lincidence de nouveaux vnements etde nouvelles situations, denvisager dautres choix.
La formulation influence la dcision
Situation A. Vous avez achet un billet pour unspectacle 25 euros. En arrivant au thtre, vous
vous apercevez que vous avez perdu votre billet.Allez-vous repayer 25 euros pour un autre billet ?
Situation B. Vous avez rserv un billet pour unspectacle 25 euros, mais il vous reste encore lergler. En arrivant au guichet, vous vous apercevez
que vous avez perdu 25 euros. Allez-vous quandmme payer 25 euros pour assister au spectacle ?Dans laquelle des deux situations hsiteriez-vousle plus payer un billet pour aller au thtre ?
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Les piges de la mmoire et du langage
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Nous serions deux fois plus nombreux dbourser25 euros dans la situation A que dans la situation B.tonnant, alors que, dans les deux cas, nous per-dons exactement la mme chose ! Suivant que lonmet en avant le billet de thtre ou son quivalent
en euros, notre raction nest pas la mme, elle estvictime du biais de cadrage.
Autre exprience. Prenez deux personnes, choisiesde manire alatoire. la premire, sans lui laisserle temps de calculer, demandez de donner un ordrede grandeur du produit 2 3 4 5 6 7 8. la deuxime, dans le mme temps trs court,demandez destimer la valeur du produit 8 7 6 5 4 3 2. La rponse de la premire personnesera en gnral infrieure et de loin celle de ladeuxime !
La manire de prsenter une situation, de poserune question, les mots employs influent sur lamanire dont elle est interprte. La formulationfaonne la dcision.
Le don dorgane fait lobjet de lgislations diff-
rentes suivant les pays. En France par exemple, ilfaut signer un registre si on ne veut pas tre undonneur. Le nombre de donneurs dorgane y estlev. Aux tats-Unis nest donneur que celui qui
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sest fait connatre comme tel dans le cadre duncontrat dadhsion. Le nombre de donneurs y estfaible, alors que la plupart des Amricains sontfavorables au don dorgane.
La faon dont un choix est formul influence non
seulement notre dcision, mais aussi nos sensationspar rapport ce choix ! Par exemple, les personnesprfrent manger un hamburger compos de 75 %de viande maigre plutt quun hamburger compor-tant 25 % de viande grasse. Et quand elles gotentvraiment ces deux hamburgers identiques , celuicontenant 75 % de viande maigre leur semble vrai-ment meilleur !
Cest encore le mme biais de cadrage qui est luvre lorsquun produit prsent un client auprix de 3 euros par jour lui semble moins cher que
sil lui tait prsent au prix de 1 095 euroslanne Les publicitaires ont bien compris laforce de ce biais.
Comparaison nest pas raison
Nul ne niera la force cratrice de lanalogie, maisson usage nest pas labri de biais. Faisons le testsuivant. Nous sommes en Isral en 1970. Ondemande un groupe de personnes laquelle des
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deux paires de pays prsente le plus de ressem-blances : lAllemagne de lOuest et lAllemagne delEst, ou le Sri Lanka et le Npal ? La plupartrpondent lAllemagne de lOuest et lAllemagnede lEst . On demande ensuite un deuxime
groupe laquelle des deux paires de pays prsente leplus de diffrences : lAllemagne de lOuest etlAllemagne de lEst, ou le Sri Lanka et le Npal ?La plupart des personnes rpondent nouveau lAllemagne de lOuest et lAllemagne de lEst .Comment pouvons-nous concilier les deux
rsultats ? On peut accepter le fait que lIsralientype en connat plus sur les deux Allemagnes quesur le Sri Lanka et le Npal. Mais il y a autre choseen jeu.
Lorsquon leur demande de tester une hypothse
de ressemblance, les personnes recherchent vi-demment les similitudes et en trouvent davantageentre lAllemagne de lOuest et lAllemagne delEst quentre le Sri Lanka et le Npal. Et quandon leur demande de tester une hypothse de diff-renciation, elles recherchent bien sr des diffren-
ces et elles en trouvent aussi davantage entre lesdeux Allemagnes.
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Lanalogie est un raccourci, une heuristique qui aaussi ses biais. Le biais dancrage : une fois utilise,une analogie sincruste et devient difficile dloger.Le biais de confirmation (que nous dveloppons auchapitre Lexcs de confiance ) : les personnes
lorigine de lanalogie auront tendance chercherlinformation confirmant le choix de cette analogieet ignorer les donnes contradictoires. Le choixdune analogie plutt quune autre est donc discu-table. Les uns auront de bonnes raisons pour direque lanalogie est bonne et dautres pour dire
quelle nest pas bonne. Or on ne peut le savoir quaposteriori.Par analogie avec le systme solaire, les savants ontimagin avec succs la structure de latome. Maispar analogie avec lair qui permet au son de voya-ger, les savants ont perdu leur temps en cherchantce que devait tre lther dans lequel la lumirese propagerait.
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LE POIDS
DES REPRSENTATIONS
La loi des petits nombres
Jean est timide et introverti, toujours disponiblepour aider les autres, mais peu enclin sintresser la vie prive des gens ou au monde rel ; mticu-leux et rserv, il a besoin de structure et dordre etil a une passion pour le dtail. Daprs vous, quel estson mtier : 1) fermier, 2) vendeur de chaussures,
3) pilote davion, 4) bibliothcaire, 5) mdecin ?Vous risquez de rpondre que Jean est biblioth-caire, alors que tout le monde sait que les person-nalits les plus diverses se rencontrent dans toutesles professions. Car plus un sujet ou un objet pr-
sente les strotypes dun groupe ou dune catgo-rie, plus nous pensons que les chances quil yappartienne sont grandes. Danger, gare au biais dereprsentativit! Mme si tous les bibliothcaires
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taient introvertis, il ne sensuivrait pas que tous lesintrovertis sont des bibliothcaires. Un comptable,un technicien de laboratoire, un avocat peuventtrs bien avoir galement ce type de personnalit.
Cela fait penser ce genre de conversation banale
que lon peut capter un peu partout : Luca va tous les matches de lInter de Milan. Ah oui, cest fou ce que les Italiens aiment lefootball !
Ce type dchange ntonnera personne. Or Luca
vend des crmes glaces et se montre peu intresspar le sport.
Sans strotypes, nous serions incapables de noussouvenir et donc de rflchir. Pour penser, nousavons besoin de catgories, elles structurent nosreprsentations comme le fer arme le bton. Donc
ce nest pas tant le strotype quil faut incriminer icicomme source derreur, mais bien notre prfrencepour une description individuelle, notre propension fonder notre jugement sur une information detype psychologique plutt que statistique, dextra-poler les donnes dun petit chantillon une popu-lation plus importante.Prenons en compte la taille de lchantillon etmfions-nous de la loi des petits nombres ! On
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vous prsente une pice truque qui, huit fois surdix, tombe sur pile, et deux fois sur dix, tombe surface. Dix fois, on va lancer la pice devant vous et,chaque fois, vous devez parier sur le rsultat. Lestests montrent que vous vous comporterez en
biais de la pice . Huit fois, vous direz pile et deuxfois, vous direz face. Or, avec cette tactique, vousnavez que 68 % de chances davoir le bon rsultat(8 8 + 2 2). En pariant toujours, dix fois desuite, sur pile, vos chances de gagner montentpourtant 80 % !
Le problme pos par la ngligence du taux debase , selon lexpression consacre, pourrait tred au fait que, dans notre vie quotidienne, nousnavons pas accs, sur le plan sensoriel ou mmeintellectuel, des chantillons de trs grande taille.
Mais surtout, il renvoie aux rapports que nousentretenons entre le particulier et le gnral. Parexemple, lorsque nous survaluons le nombredindividus qui ont t touchs par un vnementparce que nous lavons vcu galement, ou lorsquenous estimons quun dtail, une qualit ou un
dfaut sont reprsentatifs de lensemble.Les investisseurs qui prdisent des profits levs une compagnie dcrite de manire positive et,
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inversement, une performance mdiocre unesocit prsente de manire ngative, les respon-sables marketing qui croient quun succs commer-cial dans un pays le sera doffice dans un autre, ouencore les hommes politiques qui prennent les
sondages dopinion pour argent comptant, sontautant de victimes du biais de reprsentativit.
La chance sourit-elle aux optimistes ?
Carole a trente et un ans, elle est clibataire, franche
et brillante. Durant ses tudes de philosophie, elletait trs proccupe par les questions de discrimi-nation et de justice sociale, et elle a aussi particip des manifestations antinuclaires. Selon vous,Carole a-t-elle le plus de chances dtre : 1) guiche-tire dans une banque, 2) guichetire dans une
banque et active dans les mouvements fministes ?Loption 2 ? Eh bien non, vous vous trompez,pig par un double biais ! Non seulement, vousvous laissez influencer par la description de Carole(biais de reprsentativit), mais vous surestimez en
mme temps la probabilit dapparition de deuxvnements par rapport lapparition de chaquevnement seul (biais de conjonction). Vous veneztout simplement de violer une loi probabiliste
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selon laquelle un vnement unique est toujoursplus probable que la conjonction de cet vnementavec un autre.
la recherche dun emploi, vous avez rpondu lannonce dune entreprise recrutant des vendeurs,en envoyant votre curriculum vitae et une lettre demotivation. Ces deux pices seront examines parquatre personnes. Pour tre convi un entretien, ilvous faut deux avis favorables sur quatre, sur le CVet sur la lettre. Vous apprenez que deux personnes
sur quatre ont jug favorablement votre CV, idempour votre lettre de motivation. Vous pensez doncque deux recruteurs jugent votre candidatureconvaincante et vous tes sr de votre coup. Maisvous apprenez que vous ntes pas retenu et votredception est grande. Vous vous tes tromp ! Vous
aviez seulement 25 % de chances dtre retenu, caril aurait fallu le concours de circonstances suivant :deux personnes qui donnent chacune un avis favo-rable sur le CV et sur la lettre et deux personnes quinont apprci ni lun ni lautre, cest--dire un seulscnario sur les quatre possibles.
Cet optimisme nous loigne de la ralit du ter-rain. On le rencontre trs souvent dans la vie detous les jours quand nous pensons pouvoir faire
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plusieurs choses la fois, accepter deux invitationsle mme jour, la mme heure Il est aussi actifdans le monde de lentreprise lorsque les auteursdes business plans, conjointement, surestiment lemarch et les recettes, et sous-estiment les charges
et le besoin de fonds de roulement.Lide de synergie nest pas mauvaise en soi,mais attention au biais de conjonction ! Combiende fois deux petites entreprises en difficult dans lemme secteur ont cru quune simple fusion ferait
disparatre tous les problmes par un coup debaguette logique ?
Ce biais peut tre aussi dvastateur lchelle pla-ntaire, comme le montre la mgacrise financireactuelle. lorigine du scandale des subprimes, on
trouve, entre autres, un trompe-lil pernicieuxqui sest avr un trompe-client scandaleux. Auxtats-Unis, beaucoup de crdits douteux avaientreu une mauvaise notation. Certains esprits dia-boliques les ont regroups en un nouveau produit
en leur donnant une meilleure notation, sous pr-texte quil ntait statistiquement pas possible quilsscrasent tous en mme temps ! Or cest videm-ment le contraire qui sest pass, car, en regroupant
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des actifs pourris, on obtient un actif toxique. Lescrdits douteux sentaient mauvais. En les mettantensemble, les manations sont devenues mortelles.
La frquence banalise
Voici deux petits tests pour illustrer le biais suivant.
1) On vous prsente deux mains de treize cartes jouer : six curs et sept piques dans la premire ;des cartes de chaque sorte dans la deuxime. Aupremier regard, le joueur de cartes verra dun
ct un jeu exceptionnel, et de lautre, un jeumdiocre du genre de celui quil a tout letemps , et si on lui pose la question, il dsignerapresque coup sr la deuxime main comme laplus probable. Or, rationnellement, la chancedavoir la premire distribution des cartes est
identique la chance davoir la deuxime.2) On dsigne par M la prsence dun garon, et par
F la prsence dune fille dans une famille de sixenfants, et on les place par ordre dge croissant.Une squence de six lettres dsigne alors la com-
position de la famille. Et lon demande laquelledes deux situations, MMMFFF ou FMMFMF,est la plus probable. La plupart rpondront sansdoute : la deuxime.
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En quoi consiste ce biais ? Dans les deux cas, il y aasymtrie. Nous regardons dans le dtail quelquechose qui nous apparat comme rare, et voyonssans entrer dans le dtail quelque chose qui repr-sente le banal, alors quil est tout aussi rare. On
appelle ce phnomne lillusion du joueur. Nosreprsentations de la raret et de la banalit faus-sent notre valuation des probabilits.La thorie des probabilits est une des branches lesplus difficiles des mathmatiques. La tentation duraccourci est donc grande, tout comme le risque de
se tromper. Il est pourtant bon de se rappeler quauloto, vous avez peu prs autant de chances degagner le gros lot que vous achetiez un billet, ouque vous nen achetiez pas
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LE BESOIN DE SENS
TOUT PRIX
Un malheur peut arriver seul
Lorsque, dans lentourage des archologues ayantparticip aux fouilles du tombeau de Toutankha-mon, on a compt de 20 35 dcs dans les annesqui suivirent, on a parl de maldiction. Lorsque,en 2005, cinq avions se sont crashs en 22 jours,faisant 300 morts, on a parl de srie noire ou
de loi des sries . Or la thorie des probabilits yvoit plutt luvre du hasard et nous apprend quelaccumulation des concidences obit des lois,celles des phnomnes alatoires.
O est donc le problme ? Dans linclination natu-
relle de ltre humain interprter les sriescomme des tendances, et imaginer un lien causalentre des vnements successifs, proches dans letemps. On connat les proverbes : Un malheur
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narrive jamais seul , ou Jamais deux sans trois .Qui dentre nous, en effet, na pas vcu cesmoments o des vnements totalement improba-bles se suivent des rencontres, des contrarits,ou mme parfois des succs qui nous donnent
alors limpression que tout cela est rgi par une loi des sries ?
Parfois, il y a vraiment un lien de causalit. Un grosennui de sant peut nous rendre particulirementmaladroit lors dune ngociation difficile. Mais
souvent, il ny a pas de relation de cause effet.Cest lesprit humain qui la construit.
Quand un joueur de basket connu russit une sriede paniers, ses partisans sont enclins dire quil a la main heureuse , quil joue bien, et quand ce
nest pas le cas, quil a perdu la main . Alors queles spectateurs attribuent ces sries gagnantes la forme du joueur, lutilisation de mthodes statis-tiques pour analyser les matches montre quellescorrespondent ce quon peut attendre du hasard.
Nous avons du mal concevoir des vnementssimultans tonnants comme de simples conci-dences, comme le simple fruit du hasard. Nousavons besoin de donner un sens leur rencontre
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fortuite, et mme de rduire le caractre imprvisi-ble de situations qui nous chappent.
Dans cette qute perdue de sens, nous voyons dela causalit l o il nen existe pas. Nous voulonscroire que deux variables sont lies alors quelles ne
le sont pas, nous voyons une loi ds que nousvoyons une srie, alors que la loi des sries, qui esttoujours voque a posteriori, nexiste pas.
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Le hasard est une loi qui voyage incognito
Faites le test suivant : demandez quelquun derpartir vingt petites pastilles au hasard sur unefeuille de papier.
Figure A Figure B
Il aura sans doute tendance les parpiller surtoute la feuille comme dans la figure A. Utilisezpar contre une machine qui gnre du hasard
(comme celle utilise pour le tirage du loto), elledonnera des configurations beaucoup moins ordonnes , comme dans la figure B : des pas-tilles seront regroupes dans un coin de la feuille,
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ou au milieu, ou sur les cts. Certaines pastillesseront isoles, et mme de larges zones serontvierges.
La premire grille reflte la perception humaine duhasard, notre tendance surestimer sa rgularit.La deuxime a t obtenue vraiment au hasard.tonnant ? Pas vraiment. Cest ce que lon appelleleffet rteau. Tout se passe comme si lhomme ratissait le hasard pour lui donner une coh-rence, une organisation. Ce quon appelle loi des
sries est en fait un tonnement n du choc entrelide que lon se fait du hasard et ce quest vraimentle hasard. Et cela remonte loin. Car, depuis tou-jours, ltre humain a d, pour survivre, apprendre dcoder son environnement, classer et mesurer leschoses quil voyait, connatre le timing et la fr-
quence des vnements. De tout temps, il a cherch donner du sens au monde qui lentoure, y compriset en particulier au hasard et ses concidences. Etde tout temps, il sest reprsent le hasard beaucoupplus ordonn quen ralit.
En voici une dernire illustration. Une ville possdedeux maternits. Dans la plus grande, 45 bbs enmoyenne naissent chaque jour, et dans la pluspetite, 15. Pendant un an, chaque maternit note
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tous les jours o naissent au moins 60 % de gar-ons. Laquelle, croyez-vous, aura enregistr le plusgrand nombre de jours o naissent au moins 60 %de garons ? La grande ? La petite ? Ou bien lesdeux seront-elles galit ?
Il nest pas improbable que vous estimiez que lesdeux maternits seront galit, considrant que lehasard rpartira les naissances de faon quitable.La bonne rponse est pourtant celle qui recueillegnralement le moins de voix : cest la petitematernit. En effet plus lchantillon sera grand,plus les chances de se rapprocher de la moyenne50 % de filles 50 % de garons seront grandes.
Ce nest pas moi, cest lui !
Anims par ce mme besoin de donner du sens, les
individus essayent continuellement dapporter desraisons tel ou tel comportement observ chez lesautres, et en ce qui les concerne, de justifier leurspropres actions. Ils narrtent pas dexpliquer cequi se passe autour deux et pourquoi les gens fontce quils font.
Dans cette incessante recherche dexplications, ilsdistinguent les causes internes du comportement(personnelles) et les causes externes (situationnelles),
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avec une propension expliquer le comportementdes autres par les premires et le leur par lessecondes. Ils ont ainsi tendance se crditer dessuccs et expliquer leurs checs par des facteursqui ne dpendent pas deux. Ne voit-on pas sou-
vent, dans les rapports des conseils dadministra-tion, les dirigeants attribuer les annes de russite la qualit des produits ou la stratgie de lasocit, mais attribuer les mauvais rsultats deslments externes comme une rcession cono-mique ou lapparition dun nouveau concurrent ?
Pourquoi avez-vous choisi linformatique ? Quand on pose cette question quelquun, il a ten-dance se rfrer la situation du moment et rpondre : Parce que cest bien pay. En revan-che, si on lui demande pourquoi une telle personne
a choisi linformatique, il aura tendance se rfrerau caractre de la personne en question et fera unerponse du genre : Parce quil veut gagner beau-coup dargent .
Sur la route, navons-nous pas un sacr penchant
imputer les embarras de circulation aux comporte-ments des autres conducteurs, en incriminant leurlenteur, leur maladresse ou leur folie , dont nous neserions que les victimes ? Et ensuite nous en servir
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comme autant de bonnes excuses pour justifier unretard, alors que cest nous qui, probablement,sommes partis trop tard.Cette inclination expliquer le comportement desautres par des facteurs personnels, alors que nous
minimisons limportance des facteurs externes quiles concernent, est une tendance tellement rpan-due quelle a t qualifie de biais fondamentaldattribution.
Cette erreur ou ce biais, reconnu comme une
notion fondamentale de la psychologie sociale, estbien prsent en politique, selon que lon se dit dedroite ou de gauche. On observe en effet que lesgens de droite tendent attribuer diffrentes sortesde dsavantages sociaux et de comportementsdviants (pauvret, dlinquance, alcoolisme) des
facteurs internes (paresse, faiblesse), alors que lesgens de gauche tendent les attribuer des facteursexternes (ingalit des chances, systme cono-mique, etc.).
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DE CONFIANCE
Lirrsistible envie de confirmation
Voici deux tests clbres emprunts au psycholo-gue Peter Wason. Le premier : on vous soumet unesuite de trois nombres 2, 4, 6 , dont on vous ditquelle est gnre par une rgle particulire. Onvous demande de dcouvrir cette rgle, uniquementen la testant avec dautres sries de trois nombres.Si vous dites, par exemple : 6, 8, 10, nous vousrpondrons que la suite est bien conforme largle. Si vous donnez une autre srie par exemple :31, 33, 35, nous vous rpondrons aussi positive-ment. Mais quelle est la rgle ? Elle exige simple-
ment que la suite soit croissante. Il est probableque vous ne layez pas trouve, car vous avez cher-ch dabord confirmer votre hypothse unesuite de nombres espacs de 2 et non linfirmer.
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En essayant de contrer la rgle avec des suites bizarres du genre : 1, 3, 10 000, ou : 50, 49, 48vous auriez pris un meilleur chemin.
Le deuxime test est connu sous lappellation tche de slection de Wason : quatre cartescomportant un chiffre sur une face et une lettre surlautre sont disposes plat sur une table.
La rgle est la suivante : si une carte prsente unevoyelle sur une face, elle porte un chiffre pair au
dos. Quelle(s) carte(s) devez-vous retourner pourvrifier que la rgle sapplique ces cartes ?
La plupart des personnes examinent la carte E.Cest correct. Un grand nombre retourne aussi lacarte 6 et une grande partie oublie la carte 7. Si
vous avez agi de mme, vous vous tes tromps. Lacarte 6 ne permet pas en effet de vrifier la rglecar, sil y a une consonne au dos, la rgle tientmalgr tout. Par contre, si la carte 7 porte une
E 7 6 J
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voyelle au dos, la rgle ne tient plus. Le choix de lacarte 6 plutt que de la carte 7 constitue un biaiscognitif de confirmation ou de vrification : lespersonnes testes ont plus tendance chercher unevrification quune rfutation de la rgle.
Curieusement, moins derreurs sont commiseslorsque le problme est reformul de manireplus concrte : chaque carte porte sur une facelge dune personne, sur lautre la boisson quelleconsomme.
On demande de vrifier la rgle : si une personneboit de la bire, elle doit avoir plus de 18 ans. Danscette version, le choix se portera plus facilementsur la premire carte pour connatre lge de la per-sonne et sur la deuxime pour dcouvrir le contenude son verre.Dmontr de manire exprimentale, le biais deconfirmation est omniprsent et trs actif dans la vie
Bire 17 ans 24 ans Cola
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quotidienne comme dans la vie professionnelle. En1977, Ken Olsen, alors directeur excutif (CEO)de Digital Equipment, dclara quil ny avait pas deraison que les gens aient un jour un ordinateurchez eux. Il avait entendu dire que des tudiants
cherchaient mettre au point un tout premierpersonal computer, mais il jugea linformation nonessentielle, parce quelle ne cadrait pas avec sesconceptions de linformatique. Ken Olsen est loindtre le seul. Avant lui, Darryl Zanuck, patron dela 20th Century Fox, qui affirmait en 1946 : La
tlvision ne conservera aucun des marchs quellea gagns au cours de ses six premiers mois. Lesgens en auront vite assez de regarder une bote encontreplaqu tous les soirs , ce qui ne sera jamais lecas du cinma Darryl Zanuck et Ken Olsen rejoi-gnent ainsi la firme de disques Decca, qui na pas
voulu signer avec les Beatles, ou tous les diteurs quiont refus le manuscrit de Harry Potter.
Nous avons tous une tendance naturelle recher-cher les opinions et les faits qui confirment nospropres opinions et hypothses et ignorer ceux
qui les infirment. Nous retenons les lments quinous confortent dans notre vision ou notre choix,les exemples qui nous arrangent par rapport auxcontre-exemples qui nous drangent. On fait plus
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confiance la mto quand elle annonce du beautemps. Les journaux financiers se vendent mieuxquand la Bourse monte. La balance de notre juge-ment est donc franchement inquitable. Cet effetest encore amplifi lorsque nous avons intrt
croire ce que nous croyons.Si quelquun est persuad quil y a une recrudes-cence daccidents la pleine lune, il remarquera lesaccidents qui se passent la pleine lune, mais feramoins attention ceux qui arrivent dautres
priodes du mois. Les supporters voient mieux lesfautes commises contre leur quipe que les fautescommises par leur quipe. Et dans un journal, onlit avec plus dattention les articles avec lesquels onest daccord ou, cas limite du biais de confirmation,on ne lit pas ce que lon na pas envie de savoir,
comme lautruche qui met la tte dans le sable.Irions-nous alors jusqu dire que la lecture desjournaux diminue la connaissance que nous avonsdu monde ?
Le biais de confirmation, frquemment associ
une confiance exagre dans ses connaissances, est lorigine de nombreuses erreurs de prvision, toutparticulirement dans le domaine scientifique ettechnologique. Le plus souvent, ce biais conduit
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minimiser limpact dune nouvelle thorie scientifi-que ou le dveloppement dune technologie nou-velle qui drange ou contredit les conceptions et lesthories du moment, comme le rvlent maintesdclarations de savants minents. Quelques exem-
ples parmi une profusion dautres. Le voyage entrain grande vitesse est impossible parce que lespassagers mourront dasphyxie , dclarait DyonisusLardner, professeur dastronomie de luniversit deLondres, en 1850. On prouvera que les rayons Xsont une supercherie , affirmait lord Kelvin, physi-
cien et inventeur britannique en 1900, ou encore La relativit, cest faux. Le bon sens sy oppose ,avait dcrt le mathmaticien mile Picard, secr-taire perptuel de lAcadmie des Sciences lpo-que de la dcouverte dEinstein !
Ceci dit, ne soyons pas trop svres ni trop catgori-ques. Des erreurs de taille ont men des chercheurs de grandes dcouvertes.
Je le savais depuis le dbut
Prenons la Premire Guerre mondiale Pour lesgens de lpoque, elle a clat de manire totalementinattendue, prenant tout le monde au dpourvu. LesBalkans avaient bien connu plusieurs crises avant
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1914, mais elles navaient pas tourn lapocalypse.Les historiens ont pourtant russi, aprs coup, expliquer que le conflit tait prvisible, en recrantdes chanes narratives de causes et de consquences,et ont attribu lclatement des hostilits latten-
tat de Sarajevo. Cest aussi aprs coup que lesanalystes ont vu dans le refus de Rosa Parks decder sa place un Blanc dans un bus le gestedcisif qui allait mener labolition de la sgrga-tion raciale aux tats-Unis, alors que beaucoupdincidents de ce type avaient lieu et pourraient
tout autant tre considrs a posteriori comme la cause dclenchante .
On appelle biais rtrospectif, ou distorsion rtrospec-tive, cette inclination juger a posterioriquun v-nement tait probable ou prvisible, alors que rien
dans le pass ne laissait prvoir de faon convain-cante sa possibilit, et dsigner certains faitscomme dterminants. Cette mme inclinationapparat dans notre vie personnelle lorsque, face un vnement inattendu, nous disons : Je le savaisdepuis le dbut , Cela devait arriver ou Je vous
lavais bien dit ! .Petit test en deux tapes : 1) Quelle est la probabi-lit que le prochain pape soit un vque africain ?
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Notez le chiffre. 2) Imaginez quun vque africainsoit le prochain pape. Donnez toutes les raisonspour lesquelles cest arriv. Nallez-vous pas trou-ver quelques bonnes raisons et sentir au fond devous-mme cette envie daller modifier la
hausse, bien sr le chiffre crit il y a quelquessecondes ?
Le philosophe (quoique ex-trader !) NassimNicholas Taleb dsigne ces vnements accidentels gros impact et quasi impossibles anticiper mais
nanmoins expliqus a posteriori par lexpression cygnes noirs . Cette image, rendue clbre par lephilosophe Karl Popper, symbolise ce qui, a priori,ne peut pas exister. Impensables, des cygnes noirsont pourtant t dcouverts par les Europens auXIXe sicle, et sont venus rfuter la rgle existante :
Tous les cygnes sont blancs. Nous attachons de manire gnrale une impor-tance trop grande ce que nous savons par rapport ce que nous ne savons pas. Cette tendance peuttre la cause derreurs de jugement aux consquen-
ces graves, dans des domaines comme la gestion desrisques, les enqutes judiciaires ou le diagnosticmdical. La conviction que les vnements nepouvaient tre que ce quils ont t masque en
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effet le rle dautres facteurs et empche dimaginerdes alternatives possibles au scnario tel quil sestproduit.
Pensons aux attentats du 11 Septembre 2001 qui
ont surpris tout le monde. On aurait pu en tirercomme leon que certains vnements se situentnettement en dehors du prvisible. Non. On aplutt appris des rgles plus strictes et prcisespour se protger du terrorisme islamique et blinderla porte des cockpits dans les avions. On est rest
dans le pragmatique, le concret, le particulier. Unpeu comme les Franais, lorsquils ont construit laligne Maginot le long de la route suivie par lesAllemands en 1914, pour empcher toute nouvelleinvasion. Juge impntrable , elle na cepen-dant pas arrt larme allemande, qui la contour-ne sans grande difficult. Sil est difficile, voireimpossible, de prvoir, on peut par contre se prpa-rer dune certaine manire limprvisible, en ima-ginant des scnarios du futur, diffrents etcontrasts. Si les Franais staient livrs lpoque
ce genre dexercice de prospective, peut-treauraient-ils imagin dans un des scnarios le rleque pouvait, par exemple, jouer laviation dans unconflit arm. Nous avons bien dit peut-tre
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Il a, dit-il, la situation bien en main
Lorsque nous sommes exposs une situation ou des vnements ngatifs hors de notre contrle,qui peuvent survenir tout moment, nous utilisonsun stratagme appel illusion de contrle. Ce mca-nisme consiste nous persuader que nous dispo-sons dun pouvoir sur notre environnement,susceptible de nous viter dtre exposs cet v-nement ngatif.
Cest ainsi que nous craignons moins les accidents
comme conducteur dune voiture que comme pas-sager dun avion. tre aux commandes du vhiculenous donne lillusion de contrler la situation, sansdpendre des capacits et des comptences dunpilote. Les statistiques sont pourtant trs claires :nous risquons bien plus notre vie sur les routes que
dans les airs. En Finlande, on vacua un jour parhlicoptre les habitants dune rgion o un grossatellite russe en perdition menaait de scraser.Alors que la probabilit tait videmment plusgrande que ce soit lhlicoptre qui scrase
Il en va de mme des joueurs qui pensent trecapables dinfluer sur lissue du jeu par leur habi-let, leur exprience, leurs observations. Cette illu-sion est plus forte encore quand ils ont un rle actif
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dans le jeu, cest--dire quand ils peuvent choisireux-mmes leurs numros la loterie, lancer eux-mmes les ds, ou activer le manche de la machine sous. Dans un jeu dadresse, on apprend de seserreurs passes dans le but damliorer sa perfor-
mance, mais dans les jeux de hasard, il est absolu-ment inutile de tenter damliorer ses stratgies en examinant les coups prcdents. Les rsultatstant dtermins par le hasard, les stratgies nesont daucune utilit. Il est pathtique de voir aucasino un cran avec lhistorique de la roulette, ou
des gens qui notent la succession des chiffresgagnants.Une dfinition de lillusion de contrle pourraittre le fait de surestimer la probabilit de succspersonnel par rapport ce que la probabilit objec-tive garantit. Un bon exemple en est le comporte-ment superstitieux, comme celui du sportif quiembrasse sa mdaille avant une comptition, ou dujoueur qui touche son porte-bonheur avant demiser de largent.
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LE BROUILLARD
DES CHIFFRES
Tant quon na pas vendu, on na pas perdu
Quand nous considrons des actions futures,nous serions plus sensibles aux pertes possiblesquaux gains potentiels. Par exemple, lorsquenous nous demandons si nous devons quitter unemploi confortable pour un autre mieux pay, maismoins sr ; ou encore si nous devons investir dans
une socit prometteuse malgr un risque deperdre la mise. Laversion de la perteest une carac-tristique importante de la pense dans des situa-tions de prise de dcision impliquant un certainniveau de risque.
Petit test inspir une fois de plus de Daniel Kahne-man et Amos Tversky. La France est sous lamenace dune pidmie qui pourrait tuer 6 000personnes. Deux plans daction contre la maladie
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sont possibles. Avec le plan A, 2 000 personnesseront sauves. Avec le plan B, il y a une chance surtrois de sauver les 6 000 personnes, et donc deuxchances sur trois quaucune ne le soit. La plupartdes mdecins confronts ce choix prfreraient le
plan A au plan B, mme si celui-ci est susceptiblede sauver plus de vies.
Prsentons les deux options autrement. Avec leplan A, 4 000 personnes dcderont des suites dela maladie. Avec le plan B, il y a une chance sur
trois que personne ne dcde, et donc deux chancessur trois que les 6 000 personnes dcdent. La ten-tation est alors de prfrer le plan B au plan A. Entoute logique, le choix aurait d tre le mme, lesoptions aboutissant au mme rsultat. Ce nest pasle cas : suivant que les plans insistent sur les vies
sauves ou sur les vies perdues, le choix sera la cer-titude ou le pari.
Il ny a pas de symtrie. Face un montant identi-que, notre peur de la perte est suprieure notreenvie de gain. La nature humaine est ainsi faite
que les gens ressentent plus danxit sils perdent100 euros que de bonheur sils gagnent la mmesomme. Cette disposition peut pousser certains pcher par excs de prudence.
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Ce biais est bien prsent sur les marchs financiers.On connat la rticence de linvestisseur, en parti-culier nophyte, se sparer dun actif qui vautmoins sur le march que le prix auquel il la acquis,et qui peut le pousser vendre des valeurs qui
gagnent et garder des valeurs qui perdent !Laversion de la perte peut se doubler alors dunautre biais : la persistance dans lerreur. Il en va ainsides projets peu rentables pour lesquels on prfredpenser 10 millions de plus pour les complter
plutt que de les rduire de 100 millions, deserreurs dembauche que lon compense en accor-dant formation sur formation la personne concer-ne, des facilits de trsorerie maintenues malgrun dcouvert grandissant Pourtant, quand on estau fond du trou, la premire dcision prendre est
darrter de creuser, non ?
chacun sa manire de compter
Vous trouvez sous un coussin de votre canap unbillet de 100 euros que vous aviez gar il y a un
certain temps. Allez-vous simplement le remettredans votre portefeuille ou au contraire vous rjouiret le considrer part, comme venant en surplus ?Vous perdez votre portefeuille dans un pays pauvre
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et le retrouvez sans largent quil contenait. Allez-vous ruminer cette perte ou vous consoler en vousdisant que cette somme sera utile moins favorisque vous ?
Dans les deux cas, vous seriez plus nombreux avoir la deuxime raction, en vertu de ce queRichard Thaler, pionnier de la finance comporte-mentale, appelle la comptabilit mentale, et quildfinit comme la propension catgoriser et traiterlargent de diffrentes manires daprs sa prove-
nance, la faon dont il est conserv et dont il estdpens.
Vous avez lhabitude en voyage dacheter dans lespetits villages que vous traversez une canette devotre boisson prfre, qui cote 0,50 euro chaque
fois. Un jour o il fait trs chaud et o vous avezparticulirement soif, vous entrez dans une petiteboutique comme toutes les autres, vous prenez unecanette dans le rfrigrateur, mais le jeune homme la caisse vous indique que le prix est de 1,50 euro.
Que faites-vous ? Il y a des chances que vous vousrappeliez qu lhtel, la mme canette se vend 2 euros, voire davantage, et vous allez conclure latransaction, avec limpression davoir acquis votre
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canette dans de bonnes conditions. Alors que, sivous aviez t rationnel, vous nauriez pas acceptde payer 1,50 euro ce qui ne vaut que 0,50 euro.
Cette tendance compartimenter les diffrentes
facettes de notre vie dans plusieurs comptes men-taux distincts est trs prsente. Cest elle qui nousporte considrer sparment chaque lment denotre portefeuille dinvestissement et nous conduit prendre des dcisions inefficaces ou errones.Cest aussi elle qui fait que les hommes daffaires
qui gagnent des millions restent sensibles desprogrammes de fidlisation du type frequent flyer,qui ne rapportent finalement que quelques euros.
Les exemples sont nombreux : une personne quicontracte un emprunt un taux dintrt lev
pour acqurir une voiture, alors que son fonds deretraite rapporte des intrts drisoires ; un joueurqui perd ses gains et considre navoir rien perdu,alors mme quil serait devenu riche en sarrtantplus tt ; un conseil dadministration qui impose
un plafond dinvestissement dans un mtier essen-tiel, alors que lon dpense sans compter dans uneactivit nouvelle Cest oublier chaque fois quuneuro vaut un euro, quelle que soit son affectation !
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Le moins que lon puisse dire, cest que, dans unesrie de situations, les agents conomiques nappli-quent pas le principe de rationalit postul par lathorie micro-conomique classique, selon laquellelHomo conomicus prendrait des dcisions opti-
males. Cest Herbert Simon (Prix Nobel dcono-mie 1978) qui, le premier, a contest cette thorieen introduisant la notion de rationalit limite :lhomme, sous linfluence de nombreux facteurs,ne cherche pas maximiser ses choix, mais seule-ment atteindre un certain niveau daspiration et
de satisfaction.On pourrait ranger galement dans la catgorie brouillard des chiffres ces sommes trs levesau-del desquelles un zro de plus na plus beau-coup de signification pour nous. Nest-ce pas letrader lorigine de la perte colossale dune grandebanque franaise en janvier 2008, qui avouait neplus avoir conscience des montants engagsalors quil vrifiait peut-tre ses notes dhtel aucentime prs !
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LE MOINDRE EFFORT
Un tiens vaut-il vraiment mieuxque deux tu lauras ?
Offrez du yaourt aux fraises un groupe de per-
sonnes, du yaourt aux abricots un autre groupe, etdites-leur quelles peuvent se les changer. Quevont-elles faire ? Seule une minorit le deman-dera Parce que nous avons tendance laisser leschoses telles quelles sont, nous accrocher ceque nous possdons ou nous en tenir ce que
nous savons. Nous prfrons garder quelque choseque nous possdons plutt que le changer, toutchangement nous apparaissant comme apportantplus de risques que davantages possibles. Cest lebiais du statu quo.
Cest ainsi que lide de vendre des activits est dif-ficile pour beaucoup de dirigeants, alors que cettevente peut constituer une source importante devaleurs. En Bourse, le biais de statu quo explique
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que linvestisseur est souvent rticent se sparerde titres pour la seule raison quils sont dj dansson portefeuille, alors quil ne les considre pluscomme de bons placements.
Probablement que la plus belle illustration de ce biais
date dun jeu tlvis trs simple de annes 1990.Vous tes face trois portes. Derrire lune delles setrouve une voiture que vous avez la possibilitdemporter si vous dsignez la bonne porte, et der-rire les deux autres, des chvres. Vous indiquez uneporte mais, avant de voir si vous avez gagn la voi-ture, lanimateur qui sait tout ouvre une autreporte qui cache une chvre. Il vous demande alors sivous voulez modifier votre choix. Que faites-vous ?La tendance serait au statu quo, puisque vous passezapparemment dune chance sur trois une chance
sur deux de gagner le vhicule. Eh bien non ! Enmodifiant votre choix, vous avez plus de chances departir avec la voiture Pourquoi ? En choisissant lapremire fois, vous aviez une chance sur troisdouvrir la bonne porte, et donc deux chances surtrois de vous tromper. Cela admis, cette probabilit
de vous tromper reste la mme si vous restez survotre position, quelle que soit lintervention de lani-mateur. Par contre, grce lintervention de lanima-teur, les chances de gagner la voiture augmentent,
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passant de une sur trois deux sur trois. Vous nepourrez profiter de cette plus grande probabilit quesi vous choisissez douvrir la porte restante. Vousaurez donc toujours raison de changer davis !
Restons en terrain connuNous avons dj parl des hit-parades du genre : Les cent plus grands romans de la littraturefranaise propos du biais de disponibilit, quinous pousse slectionner une proportion anormale
douvrages rcents. La nuance est mince et nousaurions pu voquer ce mcanisme ici. Si Satisfac-tion des Rolling Stones se retrouve systmatique-ment cit parmi les meilleures chansons de tous lestemps, cest galement cause de ses cinq premiresnotes, probablement la squence la plus reconnais-
sable de lhistoire du rock and roll. Quand KeithRichards attaque le morceau, parfois mme deuxnotes suffisent pour le reconnatre. Cette familiaritnous pousse en exagrer la qualit perue.
Faire davantage confiance ce qui nous est connu,
penser que lon comprend mieux ce qui nous estproche et familier, lui donner plus de poids, cestun autre biais qui peut fausser notre jugement etnotre raisonnement.
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Ce biais de familiaritest particulirement prsentchez les investisseurs. Nombre dentre eux suppo-sent que les actions ou socits qui leur sont fami-lires ont plus de chances de leur rapporter de plusgros profits et courent moins de risques que les
autres. Ils pensent aussi quils sont plus mmeden apprcier le titre.
On comprend ds lors pourquoi les jeunes ach-tent des actions dun fabricant de jeux vido et lesmoins jeunes des actions dune industrie du luxe,pourquoi les investisseurs franais ont une majoritdactions de socits franaises dans leur porte-feuille Dans toutes ces situations, les gens anti-cipent des rendements suprieurs ce quil estlgitime dattendre et peroivent un niveau derisque infrieur ce quil est en ralit.
Le mme biais de familiarit pourrait aussi expli-quer pourquoi chaque gnration a limpression devivre une poque de changement sans prcdent eta tendance en surestimer la rapidit et lampleur,en particulier dans le domaine technologique.Cest normal, puisque cest la seule poque quevivra et connatra cette gnration.Plus grave, en poussant les individus prfrerceux qui leur ressemblent dans les circonstances les
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plus varies de lexistence, le biais de familiaritexpliquerait la persistance des discriminations,notamment sur le march du travail, ce qui resteune nigme pour les conomistes aux yeux desquelsla diversit est plutt un facteur de dynamisme.
Ces choix qui embarrassentUn patient a mal la hanche et doit en principe sefaire oprer et poser une prothse. Si des mdecins
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ont le choix entre lopration et un mdicamentqui permet de lviter, ils seront plus nombreux opter pour le mdicament plutt que pour la pro-thse. Mais sils ont le choix entre la prothse etdeux types de mdicaments, ils seront beaucoup
moins nombreux se prononcer pour la solutionmdicamenteuse afin dviter de choisir entre lesdeux types de mdicaments !
Notre cerveau naime pas les choix multiples, ilprfre les alternatives, les choix simples : mieux
ou moins bien, oui ou non, brun ou noir Plus ona de possibilits de choix, plus on a du mal choi-sir. Trop de choix en arrive paralyser la dcision.Ne vous est-il jamais arriv dentrer la Fnac pouracheter un livre et den sortir sans avoir rien achettant vous aviez de choix ? Une manire de se
dbarrasser dun choix qui embarrasse !Paradoxalement, cette mme difficult choisirnous pousse garder ouvertes le plus doptionspossible. Vous connaissez certainement une per-sonne, moins que cela ne soit vous-mme, qui a
pass des semaines hsiter entre deux modlesdun mme objet mettons deux appareils photonumriques , avant de se dcider pour lun pluttque pour lautre. Combien de photos a-t-elle rates
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cause de ces tergiversations, combien de temps ceshsitations lont-elles dtourne dautres activits ?Le besoin irrationnel de laisser les deux optionsouvertes lui a fait oublier de prendre en compte lesconsquences de cette attente.
Dans les deux cas de figure, o est la rationalit ?Nous ne sommes pas menacs par labsence depossibilits, mais au contraire par une abondancedoptions qui finit par nous dtourner de notreobjectif premier.
Nous arrtons ici la liste de ce que nous avonsappel les biais cognitifs et les exemples qui lesmettent en lumire.1
Nous avons utilis des catgories un peu arbitrai-res, et les recoupements sont nombreux. Mais,finalement, tout se rsume dans le titre de ce cha-pitre-ci : Le moindre effort .Prenez par exemple la srie 60, 70, 80 Vous
sentez au fond de vous-mme cette envie de voir
1. Le chapitre suivant sera consacr un genre diffrent : les erreursde pense dues aux effets de groupe.
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90 apparatre ? Si notre esprit tait totalementobjectif, il ny aurait aucune prfrence a prioriparrapport au nombre suivant
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LA PRESSION
DU GROUPE
Il ne sagit pas ici proprement parler de biais detype cognitif, mais de biais lis aux comportementssociaux. Nous les avons nanmoins pris en comptetant ils peuvent avoir une influence dterminanteet souvent ngative sur le processus de dcision.
Consensus sous influence : qui ne dit mot consent
Dans un groupe ou une foule, les individus ten-dent perdre leurs propres rfrences, valeurs etinhibitions et se laissent entraner agir commelensemble, jusqu commettre des excs ou fairedes erreurs quils nauraient pas commises indivi-duellement.
Dans les cultures fondes sur le travail en quipe,on sent comme une invitation tre daccord avecles autres. Le dsir de consensus pousse lindividu
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douter de son propre jugement, si celui-ci nest pascongruent avec celui des autres. Il aura tendance adopter lopinion dominante et dcider dans lemme sens que les autres, mme sil na pas lemme avis. Autrement dit, le groupe augmente la
capacit de faire des erreurs.
Lors dune runion, raconte Christian Morel dansson livre Les Dcisions absurdes, les directeurs gn-raux de la firme Coca-Cola furent invits goterune nouvelle formule de cette boisson. La plupartdes participants taient sceptiques quant songot mais leur raction fut polie, ce que le patronde la firme interprta comme une absence dedsaccord. Le produit fut donc adopt et connutun chec commercial retentissant ! Quand tout le
monde est daccord, cest souvent suspect. Mfions-nous et regardons de plus prs cet apparent consensus.
Dans la vie quotidienne, ne vous est-il jamaisarriv de participer une activit de groupe dci-de de commun accord, mais que personne, en ra-lit, ne dsirait vraiment ? Pourquoi ? Parce quechacun imaginait que les autres en avaient envie etque personne nosait briser la bonne harmonie du
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groupe. Plus grave, certains se sont maris et ontfini par se sparer pour avoir chang leur consen-tement sur la base dun faux consensus
Dans un autre registre, celui de la prvision, lesspcialistes sont peut-tre bons pour prvoir lordi-naire, mais pas pour ce qui sen dmarque et sortdu commun, de peur de ne pas tre en phase avecleurs clients, alors que les vnements qui comp-tent savrent sortir presque toujours du commun.En plus, les prvisionnistes ont tendance se rap-
procher davantage des pronostics de leurs coll-gues que des rsultats effectifs, aucun ne tenant passer pour quelquun dextravagant.
La foule a beaucoup de ttes et pas de cervelle
Par un instinct de troupeau, lindividu a tendance adapter son comportement celui des autres indi-vidus. Dans une rue anime de la ville, on trouvedeux restaurants contigus : Chez Ren et ChezSolange. Ils ont le mme style, pratiquent des prixidentiques et offrent une qualit comparable.
19 heures, un client affam pousse la porte du pre-mier. Quelques minutes plus tard, un couple larecherche dune table accueillante constate quil y adj un client dans ltablissement Chez Ren et
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dcide, pour ne pas se retrouver seul, dy dneraussi. Un troisime client fait de mme en sedisant : Il y a dj trois personnes dans ce restau-rant, il doit tre meilleur. Et ainsi de suite. lafin de la soire, Chez Ren est plein craquer et
Chez Solange est dsesprment vide. Si ce nestloccasion rate de dcouvrir une autre cuisine,lattitude grgaire de ces clients est sans grandeconsquence.
Mais, dans dautres cas, leffet de horde peut nous
mener prendre une dcision dangereuse. Imagi-nez un promeneur dans une campagne engourdiepar un froid hivernal. un moment donn, il seretrouve face un tang gel. Ne voyant personnesur la glace, il dcide de ne pas sy aventurer. Unpeu plus loin, un autre tang fait dj le bonheur de
plusieurs tonnes de patineurs. Le promeneur lesrejoint alors sans hsiter et commence ses glissadesparmi les autres. Son ct inconscient lui fait pren-dre des risques non raisonnables. Mais paradoxale-ment, il a un autre ct, parfaitement conscient,lui, qui refuse de prendre des risques l o pourtant
il pourrait parfaitement le faire.Dans le domaine financier, les mouvements depanique sont du mme ordre. Si tous les clients
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dune banque se donnent le mot et retirent massi-vement leur argent, ils vont contribuer lcroule-ment de la banque.
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LA NOTION DE BIAIS
EN QUESTION
Linfluence de lcole heuristiques et biais est
forte, non seulement en psychologie, mais aussidans dautres domaines o le jugement probabilistejoue un rle important (conomie, audit, diagnos-tic mdical).
Mais ce courant, on sen doute, a aussi suscit denombreuses discussions et controverses. La thoriepsychologique de la dcision a ses adversaires.Cest normal et cest sain. Ceux-ci peroivent lesheuristiques comme des explications circonstan-cielles et arbitraires de phnomnes mis au jour demanire empirique, et contestent que lon puisse
partir des erreurs ou des biais pour analyserles jugements probabilistes humains. Ils avancentdiffrents arguments et, en premier lieu, le manquede dfinitions prcises de ces heuristiques et biais.
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En labsence de dfinition claire, la confusionguette, cest sr. Mais, pour le thme qui nousoccupe, que lon parle de biais cognitif, de tunnelmental ou derreur de perception ne change rien auproblme. Ces mots savants ne nous rendent pas
plus savants. Nous nous trompons toujours aussisouvent.
Et nous fonctionnons le plus souvent dunemanire irrationnelle. Mais pour autant, ne seraitrationnel que ce qui est logique, et faux, que ce quiest irrationnel ? Non, cest plus subtil que cela, limage de la complexit de la nature humaine.
Pourquoi lintuition ne serait-elle pas rationnelle ?
Un patient doit subir une opration et il a de lapeine prendre une dcision. Le mdecin lui dit
quil a 10 % de chances dy rester. Le mme jour,un autre patient confront au mme problme desant sentend dire quil a 90 % de chances de sortirvivant de lopration. La logique ne fait pas de dif-frence entre les deux noncs qui reviennent aumme et attend donc la mme rponse de la partdes deux patients.Mais les patients sont attentifs et essayent de lireentre les lignes. En usant dun cadrage positif, le
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mdecin donne un signal au patient lui indiquantque lopration est le meilleur choix pour lui. Eneffet, les patients acceptent plus facilement le trai-tement lorsque le mdecin a choisi un cadragepositif1.
Daniel Kahneman et Amos Tversky dduisent decette exprience que si lon subit linfluence ducadrage, cest que lon est peut-tre incapable dereformuler les deux versions des propos du mde-cin de manire abstraite.
Ce nest pas lavis de Gerd Gigerenzer, chercheurau Max Planck Institute for Human Development.Le cadrage communique une information que napas retenue la simple logique. En lisant entre leslignes, lintuition peut donc tre plus logique, plusjuste que la logique.
Pour appuyer sa thse, il reprend le clbre effet decadrage du verre moiti plein et du verre moitivide. Selon la logique, le choix des gens ne devrait
1. Un patient discute avec un chirurgien. Celui-ci lui propose avec
insistance de loprer : Cette intervention est un succs quatre-vingt-dix-neuf fois surcent ! dit-il. Ah et combien en avez-vous dj russi ? Quatre-vingt-dix-neuf.
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pas tre affect par les deux formulations. Serait-cela description qui serait non pertinente ? Il proposelexprience suivante. Un verre rempli deau et unverre vide sont placs sur une table. Lexprimenta-teur demande au participant de verser la moiti du
verre rempli deau dans le verre vide et de placerensuite le verre moiti vide au bord de la table.Lequel des deu