Petit Manuel d’Humanité Cahier 02-La Traversée du Miroir Noir

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  • 7/28/2019 Petit Manuel dHumanit Cahier 02-La Traverse du Miroir Noir

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    Jacques Henri PREVOST

    Petit Manuel dHumanit

    CAHIER 2 La Traverse du Miroir Noir.

    MANUSCRIT ORIGINAL

    Tous droits rservs

    N 00035434

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    a Traverse du Miroir Noir.

    Ami contemplant ton miroir, sais-tu, ce que regarde ton image ?

    Adam ouvrit les yeux sur les tres du monde,Et saisit leurs images dans le miroir des mots.

    Mais les reflets des mots ne sont que des images.

    Adam dans son miroir contemple ses mirages,

    Le singe de lenvers rve de cration.

    Du cot de Dieu la vraie chose,

    De lautre cot lillusion.

    Sans prjuger de la valeur des hypothses en concurrence concernant lorigine du monde et le sens de la vie,nous avons vu que les tres vivants, dont lhomme naturel, placs dans leur environnement normal, gnra-lement hostile, subissent les dures contraintes de la comptition. Nous pouvons penser quils vont tenter de

    survivre en sadaptant aux conditions matrielles de leur milieu de vie et aux facults des comptiteurs.

    Ce nest pas tout fait aussi simple. On trouve en fait des rponses bien diffrentes au problme pos. Par-fois cest la survie de lindividu qui est privilgie, parfois cest celle de lespce. Il ny a pas de rgle type,mais on peut nanmoins considrer que les tres vivants utilisent certaines des proprits physiques et chimi-ques de leur milieu de vie pour mettre en place un arsenal de dtecteurs. Ce sont ces appareils organiques,fonctionnant mcaniquement, que nous appelons organes sensoriels. Ils envoient vers le systme nerveuxcentral des signaux automatiquement cods qui sont en relation naturelle avec les stimuli mis par le mondeextrieur, mais qui ne sont pas une vritable projection objective du rel. Nous avons appel Icnes cessignaux sensoriels significatifs.

    Afin de comprendre pourquoi la nature a favoris cette solution de reprsentation symbolique de prfrence une prsentation objective plus exacte, nous devons engager une rflexion. Nous savons que les trainsdicnes induits par les stimuli provenant du monde extrieur sont complts par dautres icnes provenantdes senseurs internes ou issus du systme mmoriel. Ces paquets complexes de signes suivent divers che-mins, vers le cerveau dune part, vers le systme rflexe dautre part. Le cerveau tente den tirer une interpr-tation cohrente aboutissant llaboration dun objet mental unique et complet.

    Cela peut prendre un temps parfois dangereusement long.

    Le systme rflexe agit sans attendre, et le plus souvent avant mme de disposer de lensemble des informa-tions existantes. Cela ne veut pourtant pas dire qu son niveau inconscient, le systme rflexe ne dispose pasdun objet global aussi complet et cohrent que celui construit par le cerveau conscient. Il sagit ici duneconstruction rapide, la cohrence fruste, btie avec un minimum dlments, de faon gagner du temps.

    Prenons un exemple pour rflchir la nature de ces objets perceptifs quon imagine trop facilement impar-faits et grossiers. Un homme se dplace dans un sous bois obscur et va marcher sur une forme douteuse, untrou, un serpent, une norme araigne ! Il scarte brusquement. Il analyse ensuite avec son cerveau lobjet

    L

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    comme une ombre, une branche tordue ou une feuille morte. Le systme rflexe avait trs rapidement faitune autre analyse en fonction dun danger potentiel, ici inexistant, mais parfois trs rel.

    En termes de survie lanalyse rapide tait adquate. Limage tait prcise et complte. Limprcision ntaitabsolument pas dans limage forme mais dans linsuffisance des signaux inducteurs. Il faut admettre quecela implique lutilisation par le systme rflexe de nombreux icnes mmoriels associs instantanment aux

    icnes incidents momentanment insuffisants. Lobjet mental peru, trou, serpent ou insecte gant, taitunique, cohrent et complet, quoiqu'il ait t trs rapidement labor.

    Sa finition permettait une action immdiate.

    Cela montre bien que lobjet mental nest pas une projection du rel, mais quil est une construction repr-sentative symbolique, artificielle et synthtique, finie, cohrente et complte. Jai dsign par Universlensemble des objets mentaux synthtiques que nous formons pour sa reprsentation. Par contraste, et pourbien marquer la diffrence conceptuelle que je vous proposais de faire, jai appel Zoran le rel global, per-ptuellement et mystrieusement inconnu parce que inexprimentable.

    Lorsque ltre vivant, et tout particulirement lhomme, se mesure son environnement pour quelque raisonque ce soit, il faut bien comprendre ce quil fait. Il tente de situer une image actuelle dans un ensemble m-

    moris connu. Il essaye en fait de relier limage mentale quil se fait actuellement de la situation prsente, son Univers personnel, cest--dire la somme des reprsentations mmorises dont il dispose. Cela se faitde plusieurs faons, par la perception inconsciente ou rflexe, par lexamen ou la rflexion consciente, par lesentiment, ou par dautres moyens dont certains peuvent ne pas tre encore connus.

    Examinons le problme gnral pos par la ralisation dun tel lien didentification ou de reconnaissance.Pour leffectuer, ltre vivant doit utiliser, consciemment ou inconsciemment, des reprsentations. Ellesconcernent dune part les objets intresss, dautre part les interactions quil envisage avec eux. Ces projec-tions hypothtiques de relations entre les objets extrieurs et ltre lui-mme, sont aussi des sortes dicnesassez particuliers. Ils sont labors non plus partir de reprsentations exprimentales naturelles et immdia-tes du monde externe ou interne, mais pour reprsenter ces reprsentations dj mmorises, et leurs rela-tions mutuelles contingentes.

    Ce sont, en quelque sorte, des icnes au second degr.

    Tout tre vivant volu, sans que ce propos implique lusage dune fonction de conscience au sens humaindu terme, dtermine son comportement partir de ce genre dicnes contingents . En fonction de sonorganisation corporelle, de la structure et des possibilits de son systme organique, il dispose dune sorte debibliothque dicnes, variable en nature, en quantit, et en qualit.

    Les organismes simples ne peuvent appeler quun nombre trs limit de ces signes, et cela implique donc uncomportement automatique et strotyp. Nous nallons pas nous risquer formuler daudacieuses et invri-fiables hypothses sur la mmoire et les rves des organismes primitifs, le psychisme des invertbrs, oulaffectivit des vgtaux. Nous allons simplement regarder comment se comportent les cousins animaux lesplus proches de lhomme, car les organismes complexes ont beaucoup de possibilits leur disposition. Ils

    sadaptent trs finement aux alas prsents par le milieu. Nous constatons souvent que ces animaux com-mensaux semblent rver pendant leur sommeil, et quils utilisent donc inconsciemment des images animes.Notez ici que jutilise le mot images avec le sens trs gnral de reprsentations mentales. Je ltendsdonc bien au-del du sens purement optique.

    Les animations oniriques mettent en uvre des figures artificielles dobjets relis au rveur, cest--dire trsprcisment ces signes particuliers que nous avons appels plus haut, faute de mieux, des icnes contingents.Je nutilise pas encore ici la notion de concept qui pourrait apparatre approprie, mais nous y. reviendronsultrieurement. Pour linstant jvoque des reprsentations mentales au second degr, groupant la fois desobjets et leur interaction avec le sujet. Ces catgories de signes, lis au sujet, deviendront dans le courant delvolution et de la complexification organique des espces, les trs lointains prcurseurs des mots. Les re-prsentations subjectives que sont les prcurseurs des mots peuvent tre formules en plusieurs sortesdimageries, ou langages distincts.

    Chez lhomme, le premier langage est purement mental.

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    Je lappelle langage par commodit, car cest plutt un enchanement squentiel dvocations significatives,sans rgles ni syntaxe. Cela ressemble cependant une langue, image au sens gnral, rapide, et non vocale,qui nutilise donc que les prcurseurs des mots, et qui fonctionne au seul niveau crbral.

    Il apparat que tous les hommes utilisent mentalement cette mme langue originelle et universelle avant

    dapprendre un langage maternel verbalis avec les combinaisons sonores qui lui sont propres. Il est mmetrs probable que ce proto-langage mental imag originel est galement utilis par les animaux. Ils lutilisent,au moins dans le rve, pour produire une reprsentation interne du monde. Nous savons aujourdhui que detels langages, sans mots verbaux, existent. Certains sont encore plus universels, tel le code gntique. Cecode exprime les principes de construction des diffrents corps vivants terrestres dans une forme qui semblereconnue par tous les organismes de notre plante.

    Il est galement permis de penser quun code originel, plus fondamental encore, rgit entirement la structurephysique de la matire et de ses composants. Il a t envisag que cela puisse tre la suite arithmtique desnombres entiers. Cette approche simplificatrice rationalisante, ne me parat pas tre un reflet parfaitementconforme ce que le Zoran nous rvle progressivement de sa nature. Bien au contraire il semble nous d-voiler une structure toujours aussi complexe quelle que soit lchelle laquelle se fait lexamen. Nous yreviendrons.

    Concernant notre sujet actuel, il ny a bien videmment aucune raison pour que lusage du proto-langageimag soit limit chez lanimal au seul domaine du rve. Nous pouvons penser quil fonctionne galement,de faon plus gnrale, dans les autres domaines du comportement vital. Je ne prtends pas que les animauxpensent la faon dont nous pensons. Notre fonction volue ncessite une relle capacit dabstraction etlutilisation de vrais mots. Labb CONDILLAC prtendait mme que nous ne pouvons raisonner quavec lesecours des mots. La qualit de notre pense se rduirait alors la valeur de notre matrise personnelle de lalangue utilise.

    Nous devons cependant reconnatre aux animaux une activit mentale intense et efficace, base sur unebonne reconnaissance de la situation actuelle en relation avec lenvironnement, et logiquement oriente versun but prcis. Jutilise volontairement ici le terme reconnaissance avec le sens didentification unesituation dj connue. Nous devons accepter lide de cette capacit animale manipuler ces schmas essen-tiels qui relient un percept, (cest--dire un objet mental induit par la raction des sens un stimulus prove-nant du monde extrieur), un objet mental diffrent provenant du systme mmoriel. Sans cela, les animauxseraient incapables de mener les actions correctes et adquates, ncessairement adaptes aux vnementsalatoires dun environnement variable.

    Rappelons-nous que nous parlons ici du langage mental primordial non vocal. Grce lui, lobjet mental,construit initialement partir de la perception, est reconsidr en intgrant sa relation avec le sujet. Il esttransform en schmas simplifis, mmoriss et utilisables pour des oprations de classement, comparaison,rappel, et autres. Ces schmas symboliques, rduits lessentiel de la reprsentation des objets et de leurrelation avec le sujet, sont appels concepts.

    La comparaison des percepts provenant du systme sensoriel avec les concepts mmoriss aboutit laction

    adquate. Cette comparaison peut tre consciente, ou inconsciente, sans que lon puisse ce stade parler depense ou dinstinct.

    Il ne semble pas logique de distinguer pense et instinct partir de lidentit de celui qui pense.

    Quoique cela puisse gner lorgueilleux prdateur quest lhomme, il me semble plus logique de faire uneautre distinction catgorielle. On pourrait ltablir en fonction du caractre conscient ou inconscient delactivit crbrale, et donc de lappel fait des fonctions mentales avances.

    Mme en restant au niveau des animaux relativement lointains que sont les oiseaux, vous avez pu tre frap-ps par certaines analogies comportementales avec lhomme.

    Les oiseaux partagent avec nous le sens de la musique.

    Ils chantent dune faon qui nous parat parfois harmonieuse. Ils ont un vritable rpertoire, spcifique, tribal, familial ou culturel.

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    Certains dcorent trs joliment leurs nids de fleurs colores.Bernadette CHAUWIN a tudi des petits pics de jardin. Elle a dmontr quils utilisaient un quasi-vocabulaire pour dsigner les diverses nourritures quelle leur proposait, et quils taient mme capables dese nommer entre eux partir de leurs prfrences en la matire.

    Quiconque a observ longuement des oiseaux, sait quils ont des caractres diffrents, au sein de la mmeespce. Il y a des machos jaloux et des couples coopratifs. Il y a des individus stupides, et il y a des russinventifs. Tous nous paraissent cruels. Les Romains taient cependant persuads que les jeunes cigognesprenaient grand soin de leurs parents gs, au point quils ont appel loi des cigognes , ( lex ciconiona ),la loi imposant aux enfants lobligation de soin et daliment concernant leurs parents.

    Ces analogies avec lhomme sont trs troublantes, car nous croyons maintenant savoir que tous les oiseauxsont les derniers descendants des puissants dinosaures qui dominrent si longtemps notre Terre. En ce tempsl, les trs petits mammifres primitifs dont nous sommes issus tentaient de survivre dans des conditions trsprcaires. Il faut donc que les analogies comportementales dont nous parlons trouvent leurs origines dans desanctres communs. Ceux-ci seraient les ascendants, tout la fois des premiers dinosaures, lointains prcur-seurs des oiseaux, et des antiques reptiles mammaliens qui sont les trs anciens prcurseurs de lhomme.Dans la mesure ou nous lavons en commun avec les oiseaux, cela fait remonter la source commune du sens

    esthtique au-del de deux cents millions dannes.

    Par ailleurs, ces mmes oiseaux, hritiers des dinosaures, partagent avec les poissons une extrme diversifi-cation dans les formes et les couleurs. Les poissons sont encore beaucoup plus anciens que les dinosaures.Par consquent, nous pouvons raisonnablement penser que tous ces grands reptiles trs diversifis taientgalement trs colors. En raisonnant de la mme faon, on peut parfaitement imaginer que certains reptilesprimitifs chantaient, et quils ont transmis cette facult quelques descendants. Parmi ceux-ci on compte lesdinosaures disparus, et plus tard les oiseaux. On y trouve aussi aujourdhui le chant des baleines et la musi-que et les mlodies des hommes. Nous voil trs loin de la reprsentation habituelle mettant en scne desmonstres gristres barrissant comme des lphants.

    Il faut admettre que la reprsentation traditionnelle est hypothtique, conventionnelle, et trs peu vraisembla-

    ble. Mais il est difficile de changer un schma de pense, mme avec le secours de la raison. Cest gale-ment la mme poque quapparaissent les plantes fleurs avec toutes leurs couleurs, leurs formes varies,et leurs parfums capiteux, sducteurs dinsectes volants polinisateurs. Tout cela sinstalle, par hasard ou parncessit, la mme priode de la Terre, puis sorganise harmonieusement.

    Il nest pas non plus interdit de penser que le hasard a bien fait les choses. Peut-tre simplement que lestemps taient venus, des couleurs et des parfums, du chant des grenouilles, de celui des lzards et des cigales,des corolles, des tamines et des pistils, et du vol des abeilles.

    Dans la mme ligne de pense, rflchissons tous les rituels de pariade et toutes les danses de sduction.Cela existe depuis les priodes les plus recules, dans la plupart des espces. Comme les scorpions, lespaons, et les phoques, depuis la sparation des sexes, les Casanova de tous poils et de tous crins tentent depersuader les belles de leurs ingalables qualits, et sefforcent dcarter par tout moyens les concurrents

    ventuels. Voyez donc nos frres humains, et comment ils sy prennent pour sduire leurs compagnes.

    Voici encore dautres pistes de rflexion.

    Nous savons que les comportements damour parental et de dvouement envers les petits sont communs de nombreuses espces animales. Ce comportement mritoire ne serait-il donc quune vertu instinctivetrs primitive ?

    Il y a des comportements aimables et tolrants que nous pouvons croire particuliers aux hommes, ou auxespces apprivoises. Nous savons cependant que certains animaux volus sont capables de se porter se-cours, consciemment semble-t-il, au moins temporairement, dans des conditions dangereuses.

    Que dire de cette attitude lorsquelle sexerce entre des espces diffrentes ? Voyez ces images extraordi-naires, diffuses il y a quelques annes dans un film animalier. Elles montraient un hippopotame secou-rant une petite antilope agresse par un crocodile. Le contraste tait saisissant entre la sauvagerie de

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    lattaque du reptile et les efforts de son adversaire qui le contraignait lcher sa proie. Lhippopotametentait ensuite daider la victime blesse se relever. Ce comportement est trs surprenant de la part dunanimal trs dangereux, qui ne tolre gnralement aucune prsence dans son voisinage. Ce nest quuneanecdote, mais elle signale peut-tre lapparition dune forme de sympathie proche des comportementsque nous jugeons propres lespce humaine.

    La compassion senracinerait-elle dans la prairie africaine ? Pensez aussi tout ce que nous savons concernant le comportement des grands pongids. Rappelons-

    nous les capacits tonnantes de ce chimpanz qui tentait dapprendre le langage des sourds-muets sescompagnons. Lenseignement apparatrait-il dans une cage de zoo ?

    Vous pouvez vous demander o je compte vous emmener avec ces histoires de fleurs parfumes, de dinosau-res chantants, de phoques sducteurs, et de singes savants. Ce que je dsire avant tout provoquer cest unerupture avec les habitudes traditionnelles de pense. Je vous demande doser voir autrement le spectacle de lavie et la nature des choses. Dans ce chapitre et dans le suivant, je continuerai donc vous proposer des hypo-thses, ou des raisonnements non-conformistes.

    Evoquons maintenant deux aspects du fonctionnement corporel laide de comparaisons que vous risquez dejuger insolites qui sont pourtant vocatrices de la stricte vidence exprimentale. Sous linfluence des pen-seurs du sicle dernier, le mcanisme de la production de chaleur par le corps t compar celui dunesimple chaudire. On enfourne des hydro carbones dans le foyer. Lair respir par les poumons contient deloxygne qui est transport par le sang jusquaux cellules. Les aliments y sont brls pour dgager de lachaleur et des sous produits chimiques qui sont de leau et du gaz carbonique. Cette image appliquant sim-plement le principe de Carnot, est encore dans tous les esprits, y compris ceux de nombreux nutritionnistes.

    La ralit est bien moins simple mais plus admirable. Le corps ne fonctionne pas comme une chaudire. Lescombustibles quil utilise sont des assemblages complexes de grosses molcules composes de multiplesatomes. Des mcanismes chimiques trs subtils fonctionnent successivement. Ils utilisent de nombreuxcatalyseurs diffrents et spcialiss. En leur prsence, un seul atome de carbone la fois est extrait de lamolcule puis oxyd. Le systme est donc comparable un moteur extraordinaire dans lequel une batterie de

    carburateurs transformerait petit petit le carburant tout en le brlant progressivement.Limage de la chaudire ne tient pas.

    Le systme ressemblerait plutt un alambic compliqu qui distillerait progressivement ses essences tout enles consumant pas pas, chaque stade dlaboration, dans des lampes huile multiples.

    Voici une autre image imprcise, qui mrite dtre reformule. Nous savons que le corps vivant fonctionneavec des moyens lectrochimiques. Laspect chimique est frquemment vulgaris, avec parfois des imagesimparfaites, comme nous venons de le voir.Laspect lectrique est moins connu. Pour en donner une image intressante, il faut comprendre que tous lesphnomnes se passent au niveau de la cellule. Celle-ci est trs petite. Elle peut tre assimile une petitesphre enveloppe dune membrane isolante. Lintrieur et lextrieur sont conducteurs. On est donc en

    prsence dun composant analogue un micro condensateur. Les valeurs absolues des potentiels en regardsont trs faibles, mais comme les distances dilectriques sont trs petites, car lpaisseur de la membrane estinfime, 5 10 nanomtres, les champs sont trs levs. titre indicatif, ils sont de lordre de vingt millevolts par millimtre, cest--dire vingt fois plus levs que les tensions tolres par lair sec. Dans ces condi-tions, et en fonction de la rpartition des ions chimiques de sodium et de potassium de chaque cot de lasurface, on imagine aisment que la membrane isolante va subir des claquages, lesquels produiront des tin-celles. Il sagit, bien entendu, de micro tincelles, lchelle de la cellule microscopique, mais elles sont trsnombreuses. On en compte environ cinq cent mille par seconde. Si nous pouvions voir laspect lectrique descorps vivants laide dorganes appropris, ils nous apparatraient comme des nuages de myriades tourbil-lonnantes dtincelles lectriques fugitives. Nous ne les percevons pas consciemment, car nous navons pasles organes appropris, mais toutes ces tincelles mettent forcment des ondes hertziennes, qui pourraienttre inconsciemment perceptibles.

    Je vais encore changer de registre, et vous raconter une histoire. Savez-vous que le mois dernier, jai trouvun trsor dans mon jardin. Ce ntait pas la premire fois. Au printemps dernier, jen avais trouv un autre,

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    en retournant une pierre. Ces trsors ntaient pas prcieux pour les hommes. Ctaient des trsors de sourisou de campagnols. Le premier contenait une centaine de noisettes, et le second comptait deux cents noyauxde cerises. Les arbres fournisseurs sont assez loin du lieu daccumulation. Ces trsors avaient demand degros effort aux petits animaux, pour lesquels ils reprsentaient lassurance dun hiver paisible. Mais un hi-bou, un chat, une nuit de gel, une pidmie, ont rendu ces prcautions vaines. Le trsor drisoire est restinutile et cach, jusqu ce que je le dcouvre.

    Javais un voisin qui circulait la nuit avec sa carabine. Il ne surveillait pas ses noisettes, mais devait avoir unpeu dor enfoui. La maladie et la mort sont venues, renvoyant aux enfants le trsor inutile. Ny a-t-il pasbeaucoup danalogies entre le comportement des petits rongeurs sauvages qui accumulent des noyaux poursubsister pendant lhiver, et celui des hommes civiliss qui accumulent chaque jour bien plus de richessesquils ne pourront utiliser avant leur mort.Croyez-vous quil y ait plus de raison dans ces agissements humains que dans les prcautions des souris.Lor des hommes ne vaut rien pour les souris, non plus que les noyaux des souris ne valent pour les hommes,mais que valent les noyaux et les pistoles des morts.

    Sur ces bases, et pour le moment, voulez-vous constater quil y a beaucoup moins de distance entre lanimalet lhomme que ce dernier ne veut ladmettre. Mme en ce qui concerne la capacit agir sur la nature travers la matrise des outils et des armes, il sagit bien plus dune progression graduelle diffuse que de fran-

    chissements de seuils importants prcisment tablis.

    Au premier niveau se trouve llaboration des cuirasses, des appareils organiques que sont les dents, lesgriffes, et autres accessoires corporels daction.

    Puis apparaissent des appropriations sans transformation daccessoires naturels, pierres, branches, oubrindilles varies.

    Au stade suivant les lments slectionns sont prpars de diverses faons, par tri, calage, corage,mise longueur, mise en forme, parfois mise en rserve ou en fermentation. Ils peuvent ensuite tre com-bins en nombre et en forme.

    Avec lhomme, cest ensuite lapparition doutils ouvrs, puis de systmes, puis de machines combinantdes systmes, de rgulateurs contrlant les machines, de mcanismes avec prise de force, de moteursfournissant la force, etc..

    Les rponses forment une nbuleuse, une sorte de chaos qui suit ses lois inconnues, aux termes desquellesnous croyons parfois distinguer un vecteur orient vers un progrs dont nous serions la flche. Nous retrou-vons universellement cette complexit constamment rvle quelle que soit lchelle utilise pour lexamende la question.Si nous prenons suffisamment de recul dans lexamen gnral des manifestations de la vie, un schma plusglobal semble apparatre. Quel que soit le systme ou le groupe vivant considr, on a limpression que desgrands principes formateurs indpendants sont luvre. On trouve dans chacun deux des tres qui mar-chent, dautres qui nagent ou qui volent.Il y a des partout des prdateurs et des proies, des carnivores et des herbivores, des actifs et des tranquilles,

    des rapides et des lents, mme chez les plantes. On trouve chez les poissons des fauves, des loups et desmoutons. On trouve chez les hommes, des tigres, des agneaux, des bufs, des poissons, des serpents, descrapauds, ou parfois mme des vgtaux.

    Chacun peut chercher son modle de vie, et dcouvrir son totem personnel, dans le monde qui lentoure.Cest une recherche trs instructive sur le chemin de la vritable connaissance de soi. Ainsi dailleurs, lesanciens fodaux choisissaient-ils leurs orgueilleuses devises, leurs blasons, et leurs pices hraldiques char-ges de symboles totmiques.

    Jai prcdemment essay de vous montrer combien notre connaissance du monde est colore par les carac-tristiques limites de nos organes sensoriels. Jai dsir vous amener admettre la trs grande similitude delhomme et de lanimal. Cela ne signifie pas que je dsire identifier compltement lhomme lanimal. Maissi lon veut rellement diffrencier lhomme par rapport son environnement existentiel, il faut le faire partir de bases rationnelles. Il nest pas raisonnable de pratiquer lautosuggestion de la domination univer-

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    selle. De la mme faon que pour les modes de vie et les moyens daction, nous pouvons extrapoler partirdes animaux en ce qui concerne la pense.

    Sur la base dobservations attentives, nous pouvons raisonnablement croire que nous partageons avec beau-coup despces animales la facult de reprsenter mentalement la nature des lments reprs dans le relextrieur, leur interaction avec lobservateur, et les consquences prvisibles de cette interaction. Cette fa-

    cult est organise dans un systme permettant de combiner entre eux les icnes de diverses sortes reprsen-tant ces diffrents lments.

    Bien videmment lefficacit globale du systme dpend troitement de la capacit de mmorisation disponi-ble. Lanalyse combinatoire nous dmontre que le nombre de combinaisons croit bien plus vite que le nom-bre des lments mis en uvre. On a pu montrer que cette efficacit tait lie la fois au nombre de cellulesnerveuses spcialises prsentes dans la matire crbrale et au nombre de connections neuroniques tabliessimultanment entre ces cellules.

    Par rapport aux animaux, ces deux nombres sont trs significativement plus levs chez lhomme, ce qui luidonne une capacit oprationnelle beaucoup plus importante. On a pu estimer quun cerveau humain disposede cent milliards de neurones. Cest un chiffre tellement norme que sa signification relle nous chappecompltement. Sachant que cent mille neurones meurent chaque jour, il nous en reste encore plus de quatre-

    vingt-dix milliards la fin de notre vie. Toutes ces cellules sont relies entre elles par des centaines, voiredes dizaines de milliers, dinterconnexions. Il faut que le cerveau puisse exploiter une telle richesse fantasti-que dinformations.

    Pour des raisons que jessaierai dexposer plus loin, le proto-langage mental humain, figuratif, est traduitsecondairement dans un langage dchange, qui peut tre accessoirement verbalis, ventuellement en plu-sieurs langues, y compris posturales, gestuelles, ou vocales. Jinsiste sur cette notion de langage dchangequi parat trs importante. Lorsque le proto langage imag, utilisant des icnes privs usage interne, esttraduit en signes spcifiquement destins la communication, donc en signaux usage externe dchange, onchange de niveau. A partir de l on passe lutilisation dun lexique collectif et partag, lequel peut tre nonverbal. Mme non vocalis, ce lexique est compos de mots.

    On a maintenant affaire des mots mentaux .

    Une nouvelle couche est ajoute au biomcanisme crbral. Pour dcrire ce nouveau systme, les linguistesutilisent des termes prcis tels les les smantmes qui sont des lments de significations lis un signe,quils associent aux lexmes qui sont les formes spcifiques prises par ces signes. Nous ne les suivronspas dans ce domaine trs spcialis, tout en signalant que nous parlons surtout ici des monmes . Notonscependant ici que de nouvelles familles de signes dchange apparaissent, parmi lesquelles celles qui rsul-tent de lacquisition des apprentissages techniques et sociaux, lies encore plus troitement aux caractristi-ques partages de lenvironnement de vie.

    Le passage des mots mentaux aux signaux cods, gestuels ou sonores, implique une traduction ncessitantlapparition dune couche biomcanique crbrale supplmentaire associe la production dorganes designalisation adquats.

    Le dveloppement par lhomme de mots verbaux, mis par un appareil vocal perfectionn, en est une formeparticulirement remarquable. Le fonctionnement crbral est dautant plus complexe quon utilisera plu-sieurs langues dexpression. Les polyglottes savent que lon peut penser en plusieurs langues, mais que lemode de pense change avec le langage utilis.

    Poursuivons cet expos sans trop le compliquer. Nous considrerons que les mcanismes dexploitation desgroupes de signes, cods aux fins dchange, fonctionnent comme un systme de fiches. Celles-ci sont orga-nises et classes avec des index croiss qui en permettent la manipulation.

    On a appel cela le systme crbral lexico-smantique. Cest une sorte de dictionnaire intrieur contenantsparment diffrents lments lis entre eux. (Sens, orthographe, lecture, criture, prononciation, etc.).

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    Il est ncessaire de comprendre comment cet outil est utilis pour aboutir llaboration dune reprsentationdu rel extrieur intelligible et conscient, utilisable par la raison. Le cerveau humain est ainsi fait quil nepermet la fixation de lattention vive que sur un seul objet mental la fois. De ce fait, il fonctionne systma-tiquement en dcoupant dans le fantasme sensoriel ou conceptuel global soumis lexamen, la seule partierpondant aux critres de slection, en rejetant le reste dans une globalisation oppose et complmentaire.Tout ce que jappelle objet mental fantasmatique, depuis le prcdent chapitre, subit cette dichotomie ds

    lors quil est soumis la critique de la raison. Cela se produit systmatiquement, que le fantasme provienneactuellement des organes des sens, quil soit puis dans les banques de souvenirs, (ou quil soit lhabituellecombinaison des deux origines).

    Si lon attribue une proprit quelconque un mot dsignant un objet, physique ou mental, le cerveau ex-plore de faon automatique les donnes totales disponibles dans ses banques, et les dcoupe partir des crit-res de recherche. Il en extrait la reprsentation de lobjet, (ou du groupe des objets), qui possde cetteproprit remarquable, et en forme un icne particulier. Il regroupe alors les objets qui nen disposent pasdans un ensemble complmentaire qui est cart. Cette faon de faire peut aboutir, et aboutit en fait, desrsultats trs tonnants, qui pourtant paraissent normaux et vidents la plupart des gens.

    Pour me faire bien comprendre, je vous propose, en intermde, la petite exprience effective que voici.

    Concentrez-vous sur un concept relatif un objet simple.

    Une table , par exemple.

    Manipulez mentalement ce concept pendant quelques secondes, en liaison avec votre systme lexico-smantique personnel. Puis, valuez pour chacun des mots ci-aprs, combien votre systme met de tempspour contrler quils sont bien dans les banques de son lexique.

    Table de cuisine,de salon,de jardin,

    de multiplication,de salle manger,

    de caf,de logarithmes,

    de jeu,de nuit, etc..

    Avez-vous constat que les temps daccs aux banques internes sont, en gnral, courts, environ quinzemillisecondes. Mais certains cas accrochent, et ncessitent des temps beaucoup plus longs, par exemple centmillisecondes.

    Cest que les termes correspondants ne sont pas stocks de la mme faon. Ils ne sont pas accessibles parlindex de fonction, mais ils ncessitent un passage supplmentaire par un autre index, par exemple ortho-graphique. Cela est suivi dune rorganisation temporaire du contenu des banques.

    Les histoires drles fonctionnent avec les mmes mcanismes, non pas au niveau de la signification dunmot, mais celui de la cohrence dun rcit. La conclusion logique attendue est remplace par un dtourne-ment qui provoque un allongement de la prise de sens. Ce temps peut tre trs long. Par exemple cette trscourte histoire belge entendue la radio.

    Ctait un franais .

    En principe, cela devrait faire rire immdiatement les Belges et hsiter longtemps les Franais. En revanche,la simple annonce dune histoire belge ou suisse prpare le rire sarcastique des franais. Avant de conclure,et pour le plaisir, je vous en donne deux autres, de notre ami Pierre Dac. Llan du cur na rien de com-mun avec llan du grand Nord. Rien nest plus semblable lidentique que ce qui est pareil la mme

    chose.

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    On voit bien ici que linterventionnisme du mental va bien plus loin que le simple remplacement de stimulisensoriels par des icnes complexes impliquant une relation avec le sujet. Nous constatons en fait, que lesens logique de lenchanement des parties du discours est prpar avant la prsentation au conscient.

    Le sens est prpar avant la prsentation au conscient.

    Il sagit du mme genre de travail que celui quaccomplissent les organes sensoriels, par exemple visuels, surles stimuli extrieurs avant leur transmission au systme central.

    Au niveau global, le travail est accompli pour donner une signification intelligible probable la commu-nication reue.

    Au niveau primaire, il est accompli pour laborer un signal cohrent, correspondant au sens probable dupercept induit par le stimulus.

    Je vous propose maintenant daller un peu plus loin dans notre petite exprience dexploration du fonction-nement mental. Il sagit dexprience pratique et ralisable, la porte de chacun.Reprenons notre exemple de la table. Nous avons vu que le cerveau a recherch un index daccs son lexi-que. Puis il a t amen modifier cet index, en faisant appel une reprsentation diffrente de cette table,cest--dire un autre concept.

    Il faut ici bien raliser, que ce concept simple de la table peut diffrer normment dune personne lautre en fonction de sa reprsentation personnelle. Un concept combine un schma simplifi, labo-r partir de percepts mmoriss, et des relations mmorises, entre ces percepts et le sujet. Leconcept de table prendra donc en compte les habitudes culturelles et alimentaires des utilisateurs. Ilfaut sattendre une diffrence importante entre celui du citadin europen et celui du pasteur nomadedes steppes de Sibrie ou du Sahel.

    Nous pouvons utiliser notre cerveau pour crer un autre type dobjet mental, savoir crer une reprsenta-tion visuelle sur un cran intrieur, une image mentale vritable dont nous allons tenter dexaminer les pro-prits. Avec cet exemple de la table, nous allons donc faire une courte exprience intrieure.

    Efforcez-vous de visualiser mentalement une table de votre connaissance, si possible troite et longue,comme un comptoir. Imaginez quun pot de verre transparent contenant un liquide soit pos sur ce comptoir.Il faut que ce pot possde une poigne latrale comme un bock de bire par exemple, ou un pot de caf. Vi-sualisez sur le comptoir, ce pot avec sa poigne gauche, et maintenez un instant la conscience claire decette image. Maintenant, dplacez mentalement le pot jusqu lextrmit droite du comptoir, et examinez cequest devenue limage.

    Vous constatez plusieurs choses.

    Le dplacement na pas t instantan. La perspective sest modifie. Lorientation spatiale a t conserve. Lextrmit gauche du comptoir est sortie du champ.Autre exercice. Ramenez le pot devant vous, puis faites le tourner autour de son axe vertical, ce qui est vi-sualis par la rotation de la poigne. Constatez.

    La rotation prend un certain temps. Ce temps est proportionnel langle de rotation.

    La vitesse de rotation est denviron 60 par seconde.

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    Maintenant rappelez-vous bien que ce pot contient un liquide dont le niveau est visible. Faites pivotez le potautour dun axe horizontal. Que se passe-t-il ?

    Le mouvement sinterrompt de lui-mme avant que le liquide se renverse, et il est trs difficile de dpas-ser ce point.

    En plaant le comptoir devant un dcor, on peut aussi mettre en vidence lexistence de limites aux bords delimage. Celle-ci a donc un champ dtermin variable avec la taille des objets reprsents. Cest une notionque devraient prendre en compte tous les professionnels de limage et des mdias visuels.

    Ce fonctionnement mcanique automatis de limagerie intrieure est tout fait tonnant car on constate queles tres et les objets qui sont reprsents possdent la plupart des attributs et des proprits que nous attri-buons travers les percepts leurs correspondants rels. Ils ont des proportions relatives correctes, une pers-pective, une vitesse et une inertie, une cinmatique. Ils sont inscrits dans le cadre de limites du champ visuel,et sont mme soumis des contraintes culturelles qui interdisent, par exemple, de renverser un vase plein.Cest ce fonctionnement automatis qui est mis en uvre de faon inconsciente au cours des rves, des illu-sions, des dlires ou des hallucinations.

    On a galement montr que des images de ce type, donc initialement mmorielles, pouvaient tre combines

    avec des percepts sensoriels actuels, pour former une image composite dont on peut difficilement distinguerla vraie nature.

    Une question se pose ici. Il faut considrer la fois lextrme importance rserve par le mental aux traceslaisses dans la mmoire par les expriences individuelles, et lusage intensif qui en est fait constamment, ycompris dans le traitement dun stimulus fugace pour en extraire un percept significatif.

    On peut alors en conclure que des diffrenciations individuelles sont telles quil ne peut y avoir aucune har-monisation dans les comportements de ces individus mme au sein du mme groupe ou de la mme espce.Heureusement la nature a mis en place des mcanismes de compensation et dharmonisation. Ils fonctionnentau niveau de linconscient le plus profond. Ils permettent dj au nouveau-n de donner un sens commun auxperceptions sensorielles initiatrices aprs la naissance.

    Cest le sens parfois donn larchtype .

    Par des moyens lis aux gnes, le support matriel du mental des tres vivants serait prpar pourllaboration de formes en creux, cest dire dobjets mentaux prfabriqus, partages par les groupes vi-vants. On peut se les figurer comme tant des boites pralablement tiquetes, mais vides. Les premiresexpriences vcues rempliraient ces botes disponibles avec les images mentales des objets rels correspon-dants.

    Cest de cette faon que lon peut comprendre les phnomnes dimprgnation qui sont mis en vidence parles expriences prsentant une mre artificielle des animaux nouveau-ns. (Par exemple LORENZ avecles oisons). La forme vide, tiquete Maman , combine avec les relations prtablies de comportementsocial qui lui sont relies, serait remplie par limage mentale du premier objet rpondant aux conditions de

    slection adquates, particulires lespce. Cela peut tre la vraie mre, mais parfois aussi lhumain nourri-cier ou un chiffon doux et color au bout dun bton. Il est tout fait dmontr que ces mcanismes sontgalement fonctionnels chez le singe et chez lhomme. Ils peuvent trs videmment expliquer de gravesdviations comportementales dont lorigine sera vainement recherche dans lhistoire consciente du sujet.

    Le clbre psychologue suisse, JUNG, va beaucoup plus loin.

    Dans une sorte dalchimie conceptuelle quil appelle la psychologie des profondeurs, il fait de lensembledes archtypes accessibles dans le cosmos, et partags par les vivants, les bases unificatrices des individus,des familles, des espces, et mme de lunivers.

    Nous reviendrons plus tard sur les tudes menes par JUNG en coopration avec Von PAULI, savant physi-cien de trs haut niveau. Elles permettent de supposer que des canaux de communication encore mystrieux

    et inconnus, tablissent des liaisons, parfois acausales mais synchrones, entre tous les objets et tous les pointsdu cosmos, quils soient inertes ou vivants.

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    llimination organique et systmatique de certaines facults. Je pense particulirement la suppressionvolontaire de la capacit de rception intuitive des signaux collectifs mis lusage commun du groupe gr-gaire auquel le pr humain appartenait. Beaucoup danimaux semblent disposer de cette aptitude collective.Ils peuvent mettre et recevoir, par des canaux divers, parfois inconnus, des signaux dinformation oudalarme, utiles chacun. Au stade primitif, ils les mettent systmatiquement et leur obissent aveuglment,mais lorsque lon slve dans la hirarchie de lintelligence animale, on constate une tendance croissante

    masquer ou truquer lmission de ces signaux, ds lors quils induisent des dsagrments pour lindividumetteur.

    Les grands singes, nos cousins, agissent ainsi pour tromper dlibrment les membres du groupe, et toutparticulirement pour dtourner lattention des dominants, afin de sapproprier en cachette nourriture ouavantages.

    Lhumanisation aurait-elle commenc par le mensonge ?

    La tromperie dans le message mis aurait-elle provoqu secondairement la mfiance puis lindiffrence pourle message reu, avec pour consquence lapparition de la sur valorisation du soi quest lego inflationniste.Nous nen savons bien videmment rien. Un point nen reste pas moins vrai qui celui du fonctionnementinconscient et mcanique de lappareil mental.

    Lessentiel du fonctionnement mental est inconscient.

    Nous le savons, lintelligence, dans lacception de ce mot signifiant laccs la conscience, ne traite que lapartie mergente de liceberg de lactivit mentale. Le conscient, son niveau, ne reoit que les rsumssuccincts, exposant de faon aussi cohrente que possible, les matriaux constituant les lments les plusplausibles de la situation actuelle.

    Ce constat nous amne envisager des systmes extrmement varis, complexifis tous les niveaux. Noussavons que ces systmes permettent une reprsentation symbolique cohrente des lments extrieurs et deleurs interactions avec les organismes concerns. Ils deviennent donc utilisables, en tant que moyen de re-cherche, pour lobservation consciente et raisonne des caractristiques du monde extrieur, dans le butdune connaissance descriptive. Cette exploration est donc figurative. Primitivement limite lextrieur ducorps physique de lobservateur, elle sera ensuite tendue lenveloppe mme de ce corps.

    Le mental en formera une image stable, mmorise et reconnaissable, qui acquerra donc un carac-

    tre personnel.

    La description mentale explorera et mmorisera les facults diverses reconnaissables, jusquau contenu in-terne du corps. Progressivement, le centre dobservation mental placera sa propre localisation dans cettepersonne physique quil reconnat aprs lavoir mmorise.Puis il senfermera dans limage de cette enveloppe superficielle, et senfoncera progressivement danslintrieur jusqu occuper un centre ponctuel, non localis, artificiel tout fait abstrait, mais suppos auto-nome et distinct, lego. Ds lors, et linstar des philosophes orientaux, nous pouvons considrer quil y arupture de lunit entre deux entits.

    Dune part le Monde extrieur rel, inconnu ou mal connu, et donc mal mmoris, qui est globalis etrejet conceptuellement lextrieur, lAutre.

    Dune part, la fraction connue du Monde, reprsente par un objet mental de plus en plus complexe,compos de tous les lments mmoriss de nos expriences passes. Cet appareil composite est notreconscient. Il est plac sous le contrle dun centre observateur interne, sans dimension, localis en unpoint central imaginaire de notre personne, lEgo.

    Krisnamurti nous dit que nous pouvons considrer notre conscient comme une maison. Il est organis de lamme faon, avec diffrentes pices, plus ou moins accessibles, plus ou moins souvent utilises. Une maisonquelconque ne devient notre que lorsque nous y apportons nos propres meubles et nos propres objets, et quenous lhabitons. Chacun de nous garnit la sienne avec les objets mentaux dont il dispose, plus ou moins

    connus et familiers, plus ou moins conscients ou inconscients. En ralit, cest ce contenu particulier, propre chacun, entirement puis dans le pass et lexprience personnelle qui constitue lego.

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    Il ny a pas de maison sans murs.

    La maison protge son contenu, cest--dire la somme des expriences, lego, contre les peurs, lagression, lasouffrance, linconnu extrieur. En mme temps elle nous enferme dans les limites de la fraction interne duMonde total que nous avons approprie. Lego ordonne les reprsentations internes dont il dispose selon son

    humeur, ou sa conviction, du moment, et il les hirarchise. Il dcide que telle conviction est suprieure telleautre, que tel comportement est plus mritoire que tel autre, que cette action est bonne et cette autre mau-vaise, que Pierre est notre ami ou notre ennemi, et autres fantaisies.

    Comprenons que si lego dcide duser dune fonction crbrale suprieure, par exemple de la raison, pouraccder un tat de conscience diffrent, il ne pourra que modifier lordonnance des objets dont il dispose. Illes placera donc dans un ordre diffrent, lancien ordre devenant le dsordre du nouvel tat. On voit bienquil ny a pas de vraie novation dans cet ajustement. Cest toujours le mme conscient, le mme ego, quihabite la maison. Il sest simplement dispos autrement. Cette activit de rajustement est constante et conti-nuelle.

    Nous lappelons la pense.

    On voit bien que la pense ne peut pas modifier rellement le contenu du cerveau puisquelle fonctionnetoujours lintrieur des murs, en utilisant seulement les produits du pass. Pour enrichir le contenu en in-troduisant un objet nouveau dans cette maison, il faut aller le chercher lextrieur.

    Cest le rle de lintelligence.

    Celle-ci ne travaille gnralement pas avec des images mmorises dexpriences passes, quelles soientfigures par des mots reprsentatifs du rel ou de lirrel, ou inaccessiblement enfouies au plus profond desplacards de la conscience. Lintelligence fonctionne instantanment, au moment prsent et au contact du rel.Elle agit lextrieur en ignorant lego. Elle met le conscient, intrieur et limit, en contact avec un relextrieur qui le dpassait jusqualors, et quil faudra bien dornavant intgrer au conscient.

    Lintelligence est extrieure lego.

    Elle est donc galement extrieure la volont du conscient. Elle illumine lintellect de celui qui est capabledouvrir la maison dans laquelle senferme son ego, et daller chercher lextrieur les aspects nouveaux dela manifestation du rel. Puisquelle vient du dehors, elle nest donc pas rellement une facult rserve unhomme particulier, qui en disposerait en propre dans son domaine personnel. Lintelligence existe en gnraldans le Monde, (mais certains hommes y ont un accs plus privilgi que dautres).

    Pour revenir notre thme actuel de travail, ce nest pas le processus dlaboration de la personne et de legoqui est ltude. Ce nest pas non plus la description prcise et dtaille du mcanisme de manipulation desvrais mots ou des mots mentaux, qui importe, mais le propos suivant.

    Nous devons considrer que ces changements de niveau permettent des changements dusage.

    On peut dornavant passer de la manipulation de signes reprsentatifs lis au rel, la manipulation de si-gnes significatifs en eux-mmes, destins des personnes dotes dun ego autonome.

    Ds lors, les combinaisons de ces signes ne sont plus seulement induites par larrive de stimuli

    extrieurs.

    Elles peuvent aussi dpendre de lventuelle volont, de limagination, de la fantaisie, de lhumeur ou ducaprice de leur manipulateur. Les fonctions crbrales suprieures deviennent possibles. Avec les mots, lafacult combinatoire, la pense, nlabore plus un simple reflet intrieur symbolique li au mystrieux maisrel Zoran extrieur mais elle cre un sens propre.

    Elle devient potentiellement cratrice.

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    Rorganisant son gr son propre chaos intrieur dimageries lectrochimiques symboliques, la pensedonne naissance un univers intrieur fantasmatique, artificiel, ferm et personnel, isol du rel extrieurdont il nest plus la reprsentation naturelle. Cet univers intrieur comprend tout la fois les symboles repr-sentatifs, artificiels et irrels, des lments mmoriss du rel extrieur et de leurs interactions avec le sujet,mais aussi les produits artificiels galement mmoriss, dexistence uniquement conceptuelle, lesquels sontns de la logique limite et de limagination dbride du conscient contrl par lego.

    Cet univers nest quirrel, il est donc trompeur.

    Dans sa dmarche exploratoire, lhomme peut oublier, (et il oublie souvent), lexistence fondamentale etla ralit essentielle de lunique et mystrieux Zoran dans lequel il se trouve.

    Il peut arriver croire, (et il croit frquemment), que lunivers intrieur conceptuel et imaginaire, issu desa pense combinatoire, constitue le seul et vritable rel extrieur, avec lequel il sidentifie.

    Car l ego, qui est la somme des penses, nutilise que ses propres images. Il est seulement le mouvementcontinuel de ces images, puises dans le pass, dont il a fait le reflet illusoire du Monde actuel. Lorsque legoregarde ce monde intrieur artificiel, cest donc toujours un reflet irrel qui se regarde lui-mme.Il ne peut que se trouver beau et satisfait de ce quil voit. Ds lors, refusant lillumination de lintelligence,lhomme spare son Univers intrieur, son ego, du Zoran total. Refusant lunicit, il provoque la multiplicit.Comme Alice au pays des merveilles, il a travers un miroir sombre aux mirages trompeurs.

    Il est derrire le miroir magique et noir des mots.

    A lenvers de ce miroir mental, lego ne manipule que des reflets lectrochimiques, synthtiques et fugitifs,quil considre comme constitutifs tout la fois de lirrel autant que du rel. Le rel total vritable, lAutre,(ou lAilleurs), est dornavant spar et rejet lextrieur de la personnalit consciente.

    Et en cela hlas, il devient donc jamais inexprimentable.

    Dieu fit ce singe son image,

    Qui se tient nu dans la poussire.

    Sous ses pieds, le centre du monde,

    De lunivers, il se dit Roi.