Peter Marigold pour PROFIL

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101 100 DESIGN TEXTE SARAH BURKHALTER « L’art, c’est ce que vous faites quand vous êtes enfant, lorsque vous vous amusez à créer des formes. Puis, à l’école, on vous apprend à “ faire de l’art ”. Jai beaucoup de respect pour les ar- tistes, mais je remarque qu’un bon nombre se préoccupe surtout de « faire de l’art ». Réalisez simplement quelque chose qui vous plaît, et laissez le soin aux autres de décider si c’est de l’art ! » Peter Marigold nous livre ses principes. D’abord sculpteur, issu de l’école d’art Central Saint Martin’s, Peter Marigold s’est affirmé depuis en tant que designer, piquant immédia- tement l’intérêt des manufactures, des galeries et des salons dès sa sortie en 2006 d’une autre institution londonienne, la Royal College of Art, sous l’œil de Ron Arad. On le sent frondeur et méticuleux à la fois. Avec un avis précis et longuement mûri sur sa profession. Sur- tout, transformé par sa récente résidence en Norvège, en compagnie de plasticiens et de designers, à flanc de fjord. Il parle de la tentation de la forêt. « Elle nous entoure, et on a le droit d’abattre les arbres. Les gens ont donc tendance à arriver là et à créer des objets qui imitent le bois tordu. Je savais que j’avais déjà la réputation de travailler le bois de cette manière. J’en ai donc consciemment pris le contre-pied. Les pièces sont une réaction contre le désir de fabriquer des objets ru- raux. Man-made ressemble à du travail d’ingénieur, mais effectué en matière organique. » Ne lui prêtez surtout pas d’intérêt pour la nature brute, ni pour le bois en particulier : « Je n’en ai pas… Vraiment aucun ! Les pièces norvé- giennes illustrent ce dilemme. Le bois est simplement très facile à travailler, bien plus que le métal ou le plastique. Il est bon marché, régulier, donc tous les critères sont remplis. D’être associé au bois est devenu pour moi un problème... » Split et Flauna avaient pourtant trouvé leur place dans l’exposi- tion Nature en kit l’an passé au Musée de design et d’arts appliqués contemporains, à Lausanne, dont la directrice, Chantal Prod’Hom, invitait récemment Peter Marigold à débattre de la filiation floue en- tre art contemporain et design avec le galeriste Edward Mitterrand. Lorsqu’on demande au trentenaire londonien ce qu’est le design art – en français, le “ design limité ”, destiné aux galeries, enchères et collectionneurs –, il sourit : « Le nom d’un nouveau style, forcément éphémère, mais surtout d’un nouveau marché. Très lucratif. On a tou- jours expérimenté dans nos ateliers. On a constamment des proto- types et des idées qui ne trouveront jamais un marché. Maintenant, il est là – et bien que certaines de mes pièces ( Yield) n’eussent pas été diffusées sans lui, je le trouve discutable. On crée désormais des objets exclusivement pour lui. » Peter Marigold l’avoue sans détours : il préfère de loin le travail ex- périmental à l’écran d’ordinateur. L’inspiration lui vient les mains sur les matériaux, parfois simplement dans son labo à lui, dans le quar- tier ouvrier de Stoke Newington. Un réflexe de sculpteur, en d’autres termes. « Disons que j’ai toujours fabriqué des choses. Comme les enfants, tout ce que je trouve, je l’arrange, de façon aussi ingénieuse que possible. Et puis, il y a eu mon travail de scénographe. » Qui lui a été crucial. Au Brésil, il a monté des chars de carnaval, des « voitures allégori- ques à partir de n’importe quoi ». À Londres, c’est la construction de décors théâtraux qu’il a enseignée – de la « sculpture primitive à large échelle », avec un impact évident sur son mobilier. Modulable, à options variables selon les envies du moment, comme pour Make/ Shift. « Exactement. Ce projet est né d’un système de mur amovi- ble pour la scène. Dans les théâtres victoriens, interdit de percer les murs ! » L’aspect performatif de son travail sera d’ailleurs visible à Tokyo tout prochainement : il prépare une intervention live dans le cadre de POST FOSSIL : Excavating 21st Century Creation (24 avril 2010), organisé par Li Edelkoort au musée 21_21 DESIGN SIGHT. Il ose montrer le processus de fabrication, et particulièrement le moment où, du chaos et des essais abandonnés, il tire une forme inattendue. « La géométrie m’intéresse. Pas en tant que discipline, mais en tant qu’ordre sous-jacent des choses. Comment tout fonctionne, que tout se touche et s’influence – je trouve cela très curieux. Mon travail à l’atelier consiste donc à rendre ces principes visibles, à les mettre sous la loupe et à en faire des meubles tangibles. Après Split Box – produit en série par la firme SCP sous le nom de SUM –, qui démontrait que les angles inversés de n’importe quelle forme fragmentée forment toujours 360°, Palindrome explore les phénomènes de symétrie et de participation du spectateur. « Il est magique, l’instant où l’observateur comprend le code. Il s’ap- proprie une part de l’œuvre et s’y engage d’autant plus. Comme avec la toile de Holbein à la National Gallery, Les Ambassadeurs, où un crâne anamorphique n’est visible que si l’on rase le panneau du re- gard. C’est merveilleux, lorsqu’on le découvre ! Pour Palindrome, pré- senté à Art Basel en 2009, les miroirs ont servi d’étape préliminaire aux meubles. » Tattarrattat, Hannah et Mr Owl Ate My Metal Worm en sont les avatars en plâtre et bois. Peter Marigold apprécie-t-il que l’on décèle une certaine poésie dans ses armoires et paravents ? « Si c’est reconnaître une formule com- mune aux choses, voir que n’importe quel objet contient potentiel- lement d’autres objets, et que ce phénomène est partout autour de nous – alors oui. C’est ça, l’évidence poétique ! » www.petermarigold.com. Dans les collections des galeries Libby Sellers (à Londres) et Moss (à New York). Man-made sera exposé à Marsèlleria Permanent Exhibition, Via Paullo 12 A, Milan, tél. +39-02 76 394920, du 13 au 30 avril 2010. DestrØy Design, la collection du FRAC Nord-Pas de Calais au Mudac, pl. de la Cathé- drale 6 à Lausanne, tél. 021-315 25 30 jusqu’au 24 mai 2010, www.mudac.ch. Peter Marigold Make/Shift Palindrome Man-made Split Yield © Gallery Libby Sellers

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itv Peter Marigold (avril-mai 2010)

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101100 DESIGN

TEXTE SARAH BURKHALTER

« L’art, c’est ce que vous faites quand vous êtes enfant, lorsque vous vous amusez à créer des formes. Puis, à l’école, on vous apprend à “ faire de l’art ”. Jai beaucoup de respect pour les ar-tistes, mais je remarque qu’un bon nombre se préoccupe surtout de « faire de l’art ». Réalisez simplement quelque chose qui vous plaît, et laissez le soin aux autres de décider si c’est de l’art ! » Peter Marigold nous livre ses principes.

D’abord sculpteur, issu de l’école d’art Central Saint Martin’s, Peter Marigold s’est affirmé depuis en tant que designer, piquant immédia-tement l’intérêt des manufactures, des galeries et des salons dès sa sortie en 2006 d’une autre institution londonienne, la Royal College of Art, sous l’œil de Ron Arad. On le sent frondeur et méticuleux à la fois. Avec un avis précis et longuement mûri sur sa profession. Sur-tout, transformé par sa récente résidence en Norvège, en compagnie de plasticiens et de designers, à flanc de fjord. Il parle de la tentation de la forêt. « Elle nous entoure, et on a le droit d’abattre les arbres. Les

gens ont donc tendance à arriver là et à créer des objets qui imitent le

bois tordu. Je savais que j’avais déjà la réputation de travailler le bois

de cette manière. J’en ai donc consciemment pris le contre-pied. Les

pièces sont une réaction contre le désir de fabriquer des objets ru-

raux. Man-made ressemble à du travail d’ingénieur, mais effectué en

matière organique. »

Ne lui prêtez surtout pas d’intérêt pour la nature brute, ni pour le bois en particulier : « Je n’en ai pas… Vraiment aucun ! Les pièces norvé-

giennes illustrent ce dilemme. Le bois est simplement très facile à

travailler, bien plus que le métal ou le plastique. Il est bon marché,

régulier, donc tous les critères sont remplis. D’être associé au bois est

devenu pour moi un problème... »

Split et Flauna avaient pourtant trouvé leur place dans l’exposi-tion Nature en kit l’an passé au Musée de design et d’arts appliqués contemporains, à Lausanne, dont la directrice, Chantal Prod’Hom, invitait récemment Peter Marigold à débattre de la filiation floue en-tre art contemporain et design avec le galeriste Edward Mitterrand. Lorsqu’on demande au trentenaire londonien ce qu’est le design art

– en français, le “ design limité ”, destiné aux galeries, enchères et collectionneurs –, il sourit : « Le nom d’un nouveau style, forcément

éphémère, mais surtout d’un nouveau marché. Très lucratif. On a tou-

jours expérimenté dans nos ateliers. On a constamment des proto-

types et des idées qui ne trouveront jamais un marché. Maintenant,

il est là – et bien que certaines de mes pièces (Yield) n’eussent pas

été diffusées sans lui, je le trouve discutable. On crée désormais des

objets exclusivement pour lui. »

Peter Marigold l’avoue sans détours : il préfère de loin le travail ex-périmental à l’écran d’ordinateur. L’inspiration lui vient les mains sur

les matériaux, parfois simplement dans son labo à lui, dans le quar-tier ouvrier de Stoke Newington. Un réflexe de sculpteur, en d’autres termes. « Disons que j’ai toujours fabriqué des choses. Comme les

enfants, tout ce que je trouve, je l’arrange, de façon aussi ingénieuse

que possible. Et puis, il y a eu mon travail de scénographe. » Qui lui a été crucial.Au Brésil, il a monté des chars de carnaval, des « voitures allégori-

ques à partir de n’importe quoi ». À Londres, c’est la construction de décors théâtraux qu’il a enseignée – de la « sculpture primitive à

large échelle », avec un impact évident sur son mobilier. Modulable, à options variables selon les envies du moment, comme pour Make/Shift. « Exactement. Ce projet est né d’un système de mur amovi-

ble pour la scène. Dans les théâtres victoriens, interdit de percer les

murs ! »

L’aspect performatif de son travail sera d’ailleurs visible à Tokyo tout prochainement : il prépare une intervention live dans le cadre de POST FOSSIL : Excavating 21st Century Creation (24 avril 2010), organisé par Li Edelkoort au musée 21_21 DESIGN SIGHT. Il ose montrer le processus de fabrication, et particulièrement le moment où, du chaos et des essais abandonnés, il tire une forme inattendue. « La géométrie m’intéresse. Pas en tant que discipline, mais en tant

qu’ordre sous-jacent des choses. Comment tout fonctionne, que tout

se touche et s’influence – je trouve cela très curieux. Mon travail à l’atelier consiste donc à rendre ces principes visibles, à les mettre

sous la loupe et à en faire des meubles tangibles.

Après Split Box – produit en série par la firme SCP sous le nom de SUM –, qui démontrait que les angles inversés de n’importe quelle forme fragmentée forment toujours 360°, Palindrome explore les phénomènes de symétrie et de participation du spectateur. « Il est magique, l’instant où l’observateur comprend le code. Il s’ap-

proprie une part de l’œuvre et s’y engage d’autant plus. Comme avec

la toile de Holbein à la National Gallery, Les Ambassadeurs, où un

crâne anamorphique n’est visible que si l’on rase le panneau du re-

gard. C’est merveilleux, lorsqu’on le découvre ! Pour Palindrome, pré-

senté à Art Basel en 2009, les miroirs ont servi d’étape préliminaire

aux meubles. » Tattarrattat, Hannah et Mr Owl Ate My Metal Worm en sont les avatars en plâtre et bois.Peter Marigold apprécie-t-il que l’on décèle une certaine poésie dans ses armoires et paravents ? « Si c’est reconnaître une formule com-

mune aux choses, voir que n’importe quel objet contient potentiel-

lement d’autres objets, et que ce phénomène est partout autour de

nous – alors oui. C’est ça, l’évidence poétique ! »

www.petermarigold.com.Dans les collections des galeries Libby Sellers (à Londres) et Moss (à New York). Man-made sera exposé à Marsèlleria Permanent Exhibition, Via Paullo 12 A, Milan, tél. +39-02 76 394920, du 13 au 30 avril 2010.DestrØy Design, la collection du FRAC Nord-Pas de Calais au Mudac, pl. de la Cathé-drale 6 à Lausanne, tél. 021-315 25 30 jusqu’au 24 mai 2010, www.mudac.ch.

Peter Marigold Make/Shift

Palindrome

Man-made SplitYield

© Gallery Libby Sellers