Peter Dillon, capitaine des mers du Sud : le découvreur ...

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l'ETRAVE

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DANS LA MÊME COLLECTION :

U N GENTILHOMME À LA M E R

ALAIN-GILBERT GUÉGUEN, 1997

MOI, PHILIPPE THESSON, MATELOT SUR L'ASTROLABE

HERVÉ RETUREAU, 1998

MOI, JEAN GUILLOU, SECOND CHIRURGIEN

DE L'ASTROLABE - JEAN GUILLOU, 1999

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Jean GUILLOU

P E T E R D I L L O N , C A P I T A I N E

D E S M E R S D U S U D Le d é c o u v r e u r

des res tes de L a P é r o u s e

Sous la lune et les étoiles

Vie d'Aventure

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PRÉFACE DE L'AUTEUR

En 1827, trente-neuf ans après la disparition de l'expédition La Pérouse, le capitaine Dillon découvrait que les lieux du nau- frage de la Boussole et de l'Astrolabe était l'île de Vanikoro dans l'archipel des îles Salomon.

Cette réponse à une question que se posaient les parents des disparus et les milieux maritimes en France aurait suffi à conser- ver à Dillon la célébrité dans l'histoire de la découverte du

Grand Océan. Mais c'eût été trop simplifier la destinée de ce capitaine dans cette période incertaine qui précéda l'ère de la colonisation dans le Pacifique. Sa vocation et ses qualités de capitaine marchand l'ont amené à participer aux élans - que cer- tains nomment ruées - qui ont marqué la première moitié du XIX siècle : le bois de santal, le trépang, la viande de porc et l'ap- provisionnement de la colonie naissante d'Australie. Dans tous ces domaines, Dillon a été engagé avec autorité et rudesse comme l'imposaient la fréquentation des hommes de mer et cer- taines coutumes déroutantes des indigènes.

La découverte du lieu du naufrage de l'expédition La Pérouse fut un changement de cap dans l'existence de Dillon. Ses recherches à Vanikoro lui apportèrent une célébrité qu 'il méritait amplement mais qui, pa r suite d'un concours de circonstances, modifia le cours de sa carrière et compromit gravement sa situa- tion matérielle. Mais il sut faire face à toutes ces difficultés en marin dont la fréquentation des océans avait trempé le caractère. Son nom reste inséparable du destin de La Pérouse et de ses com- pagnons.

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C H A P I T R E 1

S I L L A G E S D A N S L E G R A N D O C É A N

PETER DILLON, UN CITOYEN DU MONDE

Peter Dillon est né à la Martinique le 15 juin 1785, d'un père irlandais dont le régiment tenait garnison dans l'île lors de son occupation par les Anglais. Il était donc de nationalité britan- nique

1 - Depuis 1650, l'importante famille Dillon en Irlande est en révolte contre le roi d'Angleterre et Cromwell qui a commis de nombreux excès dans l'île. Les Dillon forment des régiments qui portent le nom de leur « colonel propriétaire » et de père en fils se battent et meurent pour la France. Les Dillon, en France, sont nombreux. En 1767, Arthur Dillon se met au service de Louis XV. Lors de

la guerre de l'Indépendance en Amérique, il accom- pagne La Fayette, et en 1779, avec son régiment, débarque en Martinique qui lui sert de base. Il campe dans le domaine Girardin où se trouve une sucrerie. La propriétaire, la comtesse de La Touche, veuve d'un lieutenant de vaisseau, devient sa maîtresse. Une fille, Fanny, naîtra de cette union et sera plus tard l'épouse d'Henri-Gratien Bertrand, fidèle compagnon de Napoléon à Sainte-Hélène. Depuis cette époque, le quartier, la sucrerie et les plantations prennent le nom de Dillon. Les militaires irlandais laissent des des- cendants et Peter Dillon, né en 1785, serait l'un de ceux-là. Son père était resté dans l'île après le départ du régiment à la fin de la guerre de l'Indépendance. L'importante rhumerie Dillon est située sur le site de la sucrerie Girardin, bâtie vers 1690.

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En ces temps de changements et d'événements pré-révolu- tionnaires, la Martinique n'était pas épargnée. La situation trou- blée décida ses parents à rentrer en Irlande en attendant des jours meilleurs. Les années de la prime jeunesse n'ont pas été évoquées dans les écrits de Dillon. On sait qu'il eut, vers l'âge de 15 ans, une activité dans un service de la marine anglaise. Ce qui, si cela avait été nécessaire, devait aiguiser son désir d'embarquer. Mais serait-ce son penchant à rechercher une totale liberté et à décider sans attendre, il embarqua en 1808 pour les Indes. Il se retrouva sur les quais de Calcutta, base importante de la Compagnie anglaise des Indes orientales.

Le navire Clyde était dans le port de Calcutta et son capitaine, Anthony Burnsides, était Irlandais et naviguait dans la région du Sud Pacifique pour la Campbell and Company qui possédait une agence à Sydney. Grâce à son compatriote, Dillon bénéficia d'un premier embarquement qui lui rendit familiers les ports de Bombay, Colombo et Padang dans l'île de Sumatra. Il acquit ainsi une connaissance de la navigation et une pratique des

milieux commerciaux maritimes qu'il ne cessera d'étendre tout au long de sa carrière.

Arthur Dillon.

Vers 1808, un nouveau courant maritime s'était formé à partir de Sydney vers les

pays où le santal prospérait en quantité notable. La recherche de ce bois odorifé-

rant et irremplaçable fit naître ce que l'on a nommé la « ruée vers le santal ».

Dillon devait y prendre part.

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CHAPITRE II LA RUÉE VERS LE BOIS DE SANTAL

En 1808, Dillon embarquait sur le General Wellesley qui mit à la voile pour Penang, Sydney et de là vers la baie de Naurore dans l'île de Vanua Levu aux îles Fidji, là où les navires santa- liers venaient jeter l'ancre avant de débuter leurs opérations. La

2 - Le bois de santal et les beach combers

Le bois de santal, en brûlant, produit une fumée odoriférante. Il était utilisé depuis fort longtemps dans les cérémonies et temples bouddhiques de l'Inde. Cet arbuste provenait des côtes de Malabar et Coromandel. La Chine n'en produisait pas et en importait de grandes quantités pour en faire des coffrets, éventails, parfums et préparations médicinales. Les caravanes qui sillonnaient l'Asie approvisionnaient la Chine à partir des Indes. Le parfum du santal provient de l'huile contenue dans le coeur de l'arbuste dont la hauteur dépasse rarement huit mètres. À l'origine de son développement, le santal est une plante parasite d'un autre arbre dont il profite de la sève. Après quelques années, il peut continuer sa croissance sans l'aide de l'arbre tuteur. Un arbre de santal avait d'autant plus de valeur qu'il était gros et que le morceau utilisé était prélevé près des racines où l'huile parfumée est plus abondante. Le santal avait été découvert en petite quantité dans les îles du Pacifique. Ce n'est que vers 1800 que ce bois devait être recherché, conséquence de l'ouverture de la Chine à l'intense et considérable exporta- tion du thé. En Angleterre, vers la fin du XVIII siècle, la mode de boire du thé avait supplanté celle d'absorber l'« ale », une bière légère et populaire. La demande de thé devint considérable et l'Inde était à cette époque le seul producteur. Quant aux Chinois, ils étaient peu intéressés jusque- là par les produits de l'Europe. Par contre, le bois de santal que la Chine ne produisait pas fit l'ob- jet de la part de ce pays d'une demande considérable, ce qui laissa à ses fournisseurs d'appré- ciables possibilités pour obtenir en échange des cargaisons de thé et autres spécialités comme de fines porcelaines, des soieries et des laques. À l'instar de l'Angleterre, principale importatrice de thé, la colonie pénitentiaire de Sydney voyait la consommation de ce breuvage augmenter de jour en jour. Dans cette colonie, cela provoqua même une sévère pénurie de billets de banque et de dollars car les tortueux marchands chinois n'acceptaient rien d'autre excepté le santal à partir de 1810.

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C'est un Américain, Oscar Slater, vers 1800, sur sa goélette Argo, qui remarqua la présence d'arbres de santal aux îles Fidji. De retour à Sydney, il fit part de sa découverte. Jusque vers 1805, le santal n'avait fait l'objet que d'apports occa- sionnels et limités. Le prix élevé de cet « or végétal » n'avait pas échappé au directeur de la firme Campbell and Company et malgré la détermination des capitaines de navire à taire les lieux de provenance de leur collecte, il se fit jour que les îles Fidji étaient la source de ce bois précieux. Dès lors une ruée de navires disponibles eut pour objectif les côtes des îles Fidji et en particulier la côte sud de l'île de Vanua Levu qui prit le nom de « baie du Santal ». Mais ces

îles n'étaient pas sûres, l'anthropopha- gie était couramment pratiquée et les nécessaires alliances avec les chefs locaux pour obtenir du bois de santal exposaient les équipages à de sanglantes représailles.

Un santal.

Dans ces îles qu'aucune puissance ne s'était encore attribuées, le commerce du bois de santal et celui de la bêche-de-mer qui se développait également avaient attiré de nombreux aventuriers, les « batteurs de grève » ou beach combers. Parmi eux se trouvaient des évadés de la colonie péni- tentiaire de la Nouvelle-Galles du Sud qui tentaient leur chance dans ces îles. Leur nombre s'ac- crut lorsque la rumeur se propagea dans la région qu'un brick américain, l'Eliza, avait fait nau- frage et que l'équipage s'était emparé de quarante mille piastres d'Espagne que le navire transportait. Ces beach combers se plaçaient sous l'autorité d'un chef local qui appréciait leur habileté à se servir et réparer les armes à feu, ce qui lui donnait un avantage sur ses ennemis. Ils servaient souvent d'intermédiaires entre les capitaines désireux d'obtenir du bois de santal et les chefs qui régnaient dans la région. Ces beach combers étaient autorisés à prendre une ou plusieurs épouses fidjiennes. Beaucoup disparurent. Le plus connu de ces batteurs de grève dans l'île de Viti Levu était Charles Savage, un rescapé du naufrage du brick américain Eliza en mai 1808. Savage, ayant récupéré sur l'épave mousquets et munitions, fut en mesure d'affirmer l'autorité du grand chef de l'île Bau sur les tribus voisines. C'est dans ce contexte que Dillon séjourna à plusieurs reprises aux Fidji et qu'il faillit y perdre la vie en 1813, au cours d'un incident sanglant dans un endroit que l'on a coutume de nommer depuis « Dillon's Rock ». Après 1815, le bois de santal étant épuisé aux îles Fidji, il fut recherché dans d'autres régions : les îles Marquises puis les îles Hawaï. En 1825, Dillon découvrit du santal dans l'île d'Erromango aux Nouvelles-Hébrides. L'attitude hostile des naturels l'empêcha d'exploiter sa découverte. Ce fut sa dernière activité concernant le bois de santal. Erromango fut par la suite l'objet d'expédi- tions meurtrières, et la Mélanésie devint le théâtre des voyages des navires à la recherche du santal.

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La baie de Naurore

compagnie Campbell avait dirigé le brick Favourite vers la baie de Naurore afin d'embarquer le chargement de bois de santal du General Wellesley puis faire route sur Sydney. À Bua, un village de cette baie, les marins apprirent le pillage par son équipage des dollars espagnols sur l'épave du brick américain Eliza échoué sur un récif proche. Les pillards s'étaient dispersés dans la région et cet exemple incita d'autres marins à tenter l'aventure malgré les dangers d'un séjour au milieu d'une population cannibale. Dillon prit la décision de rester sur l'île, de se faire des amis parmi les naturels et, en gagnant la confiance des chefs, d'obtenir des coupes de ce bois de santal si vivement désiré par les capitaines des navires santaliers. Il n'ignorait pas que sa sécurité dépendait de son courage et de la façon d'établir des relations avec les natu- rels. Il avait montré qu'il était un homme de communication doté

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d'une autorité naturelle qu'il savait faire valoir quand les circons- tances le demandaient. Il apprit la langue des Fidji, ce qui pour les naturels était un signe de reconnaissance.

Dix mois plus tard, en janvier 1809, le Perseverance de la firme Campbell fit escale à Bua dans son voyage de retour des îles de la Société. Dillon se mit au service de son capitaine pour lui procurer un chargement de bois de santal et il embarqua pour rejoindre Sydney en février 1809.

La fièvre du santal était à son comble et les commerçants chi- nois réclamaient de plus en plus ce bois parfumé qu'ils brûlaient dans leurs temples en paiement du thé qui était en passe de deve- nir une des boissons préférées des pays anglo-saxons. Les navires santaliers, après chargement aux îles, revenaient à Sydney où étaient centralisés les envois vers la Chine mais cer- tains gagnaient directement Canton. Ces derniers étaient alors en infraction avec la loi édictée par l'Angleterre, la mère patrie : la Compagnie anglaise des Indes orientales avait en effet le mono- pole du commerce avec la Chine. Les navires étrangers non sou- mis à cette contraignante réglementation exigeaient des taux de fret plus élevés. Malgré cela, le commerce du santal était d'un bon rapport et devait, en ce qui concerne les îles Fidji, durer encore quelques années jusqu'à épuisement et disparition des arbres à santal. Par la suite, d'autres sources furent découvertes aux îles Hawaï, aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle- Calédonie.

La firme Campbell, encouragée par le premier voyage du Perseverance, fit de nouveau appareiller ce navire pour la baie du Santal, désignation plus imagée de la baie de Naurore. Dillon était à bord du Perseverance et devait amasser du bois qui serait transféré sur un autre navire, le Hunter, capitaine Robson. Le Hunter se dirigerait alors vers la Chine et le Perseverance revien-

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drait à Sydney après avoir obtenu un nouveau chargement de santal. Si le Hunter réussit tout juste à compléter son charge- ment, malgré une longue attente, le Perseverance revint à vide à Sydney. De sérieuses difficultés avaient contrarié la collecte de ce bois précieux. Dillon se retrouva à Sydney dans un milieu maritime qui lui était déjà familier.

PREMIÈRE VISITE EN NOUVELLE-ZÉLANDE La colonie de la Nouvelle-Galles du Sud en Nouvelle

Hollande après des années de restrictions et délaissée par la mère patrie, avait frôlé la famine. En 1800, l'agri- culture et l'élevage étaient encore insuffisamment développés et la recherche dans les îles ou pays du Pacifique de sources supplémentaires de nourriture était indispensable. Les îles de la Société, au centre du Pacifique, en Polynésie, produisaient des porcs dont la viande salée était appréciée en Nouvelle Hollande. Ce courant maritime

allait de Sydney vers la baie des Îles (Bay of Islands), en Nouvelle-Zélande, pour se ravitailler en légumes et pommes de terre puis vers Bora Bora, Huahine, Raïatea et Tahiti.

La goélette Mercury, capitaine Théodore Walker, appareilla de Sydney le 17 octobre 1809, ayant parmi son équipage le marin Peter Dillon qui, pour la première fois, visi- tait la baie des Îles. L'attirance de

Le grand chef Te Pahi. 3 - Appellation originelle de l'Australie jusqu'en 1825 que lui avaient donnée les Hollandais.

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Dillon pour les Maoris et leur culture si particulière fut immé- diate et, à plusieurs reprises, devait orienter ses futurs voyages vers la Nouvelle-Zélande.

Son respect pour les naturels devait être mis à l'épreuve par le comportement brutal du capitaine Walker. À une demande de livraison de pommes de terre, les naturels insistèrent sur le fait que les tubercules n'étaient pas arrivés à maturité et qu'ils ne pou- vaient donc en livrer. Le capitaine ne voulut pas accepter cette explication et, un soir où il était en état d'ébriété, il demanda à Dillon et un autre marin de l'accompagner à terre. Il se dirigea alors vers un jardin et arracha tous les pieds auxquels n'adhé- raient que de minuscules tubercules. La plantation fut détruite inutilement. Dillon ne cacha pas sa réprobation. Il songea à déserter ce navire commandé par un homme qui respectait si peu les droits élémentaires et la propriété des indigènes. Te Pahi, le grand chef maori de la baie des Îles, s'était déjà plaint au gou- verneur de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud du compor- tement violent des Blancs établis dans la région et, en particulier, des équipages des navires baleiniers qui se comportaient comme s'ils étaient en pays conquis.

Le capitaine Walker n'en continua pas moins à ignorer la pro- priété des indigènes et fit armer un canot dirigé par le second du Mercury pour obtenir, par la force si cela était nécessaire, un lot de pommes de terre entreposé dans une réserve appartenant au grand chef Te Pahi. Dillon fut écarté de ce coup de main qu'il condamnait. Cette opération eut lieu mais ses conséquences, désastreuses pour les navigateurs, devaient survenir peu de temps après le départ du Mercury. Dillon, homme de dialogue, avait au cours de cette escale fréquenté les communautés mao- ries dispersées dans la baie. Il considérait avec prudence l'opi- nion répandue sur la férocité et la pratique du cannibalisme des

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indigènes Et sans excès d'indulgence, il s'était composé une opinion plus compréhensive sur les mœurs des populations locales. Il n'hésitait pas, en signe de reconnaissance en abordant des amis maoris, à se frotter l'un à l'autre comme la coutume

l'exigeait. Enfin, cette région au climat tempéré et aux res- sources variées avait marqué Dillon et, par nécessité ou par goût, il y fera escale par la suite. Mais peut-être était-ce là le fait de l'imagination des navigateurs qui prêtent à des régions récem- ment découvertes des possibilités qui ne se confirment pas ulté- rieurement.

VOYAGE ÉCOURTÉ VERS LES ÎLES DE LA SOCIÉTÉ

Le Mercury mit à la voile pour Huahine où il jeta l'ancre le 8 janvier 1810. Le capitaine Walker avait l'intention de se rendre à Tahiti pour compléter un chargement de viande de porc pour la Nouvelle Hollande. Mais la situation à Tahiti, où l'autorité de la reine Pomaré était contestée, devait en décider autrement. Les

chefs de Huahine sollicitèrent le capitaine Walker pour qu'il se rende à Tahiti prêter assistance à la reine Pomaré. Mais, prudent, Walker mit à la voile pour Bora Bora, île située plus à l'est. Mais là également, les partisans de la reine insistèrent pour être trans- portés à Tahiti afin d'y rétablir la situation. Prendre ce parti, c'était s'impliquer dans une aventure incertaine, ne pas le faire, c'était s'exposer à l'attaque du brick. Walker prit la décision de revenir à Sydney où il arriva le 8 mai 1810.

Dillon se réjouit de revoir cette ville qu'il considérait comme sa nouvelle patrie et de prendre connaissance des échos mari- times sur les bords de Sydney Cove où s'amarraient les voiliers. Là, il apprit la mort tragique d'un de ses amis, Anthony

4 - La baie des Îles avait été le théâtre du massacre du navigateur français Marion Dufresne en 1772.

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Burnsides, qu'il connaissait depuis son embarquement à Calcutta. Burnsides commandait le Boyd, navire qui avait fait escale à Whangaroa, une baie située au nord de la baie des Îles. Le Boyd avait été assailli sur ordre du grand chef Te Pahi, l'équi- page massacré et le navire incendié. Cet acte était attribué à la vengeance de Te Pahi qui n'admettait pas que quelques Maoris, membres de l'équipage du Boyd, aient reçu le fouet en punition de leur mauvaise condui te Mais pour Dillon, il était certain que le capitaine Walker du Mercury, en détruisant la plantation de pommes de terre, était à l'origine de ce drame. À la suite de cela, les équipages des navires baleiniers et phoquiers en rade en baie des Îles se regroupèrent et, en représailles, attaquèrent et brûlè-

rent la résidence fortifiée de Te Pahi dans la

baie de Te Puma. Le grand chef Te Pahi et une soixantaine de guerriers furent tués.

Ces hostilités et le climat de grande défiance qui s'établit dans cette région devaient durer plusieurs années.

Bora Bora.

UNE ANNÉE À BORA BORA

Le précédent voyage du Mercury n'avait fourni qu'un demi-chargement de viande de porc. Mais la destination était rentable et l'importation de cette marchandise était encouragée par le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud. Les armateurs

mirent sur pied un autre voyage du Mercury, capitaine James Tait, en compa-

5 - La peine du fouet a été supprimée en France en 1792 sauf pour les prisons et les bagnes. Elle a été abolie dans la marine anglaise vers 1850.

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gnie de l'Endeavour, capitaine Nichols. Sur ce dernier navire, Dillon fut embarqué comme officier.

Le 20 juillet 1810, ils étaient en vue de Tahiti et sur la plage où ils devaient débarquer, les naturels affluaient, amenant avec eux bon nombre de cochons. Étant prévenus de la situation agi- tée à Tahiti, ce rassemblement leur parut être une invite à débar- quer, pour tomber dans un piège tendu par les rebelles dans le but de s'emparer des navires. Par mesure de prudence, le mouillage fut pris à Moorea, île voisine de Tahiti. C'est là que la reine Pomaré était réfugiée, en attendant que son retour à Tahiti soit possible. Après concertation entre les capitaines des navires, il fut décidé de faire partir l'Endeavour à Bora Bora pour y récu- pérer le chef Tapoa et ses trois cents guerriers favorables à la reine Pomaré. À sa demande, la reine fut également dirigée sur Bora Bora où Dillon débarqua pour réunir et préparer la viande de porc qui, il ne fallait pas l'oublier, était le but du voyage. Son séjour devait se prolonger pendant un an parmi la population des îles Sous-le-Vent où il vécut chez Tapoa, le chef respecté de cet archipel.

La situation à Tahiti s'améliora, permettant le retour de la reine Pomaré sur son île. Dillon, au cours de ce nouveau séjour, visita Tahiti et prit contact avec plusieurs chefs. La langue tahi- tienne lui devint familière.

L'Endeavour revint à Sydney vers la fin de 1810 et le Mercury, avec Dillon, en mai 1811, après une escale dans l'île de Norfo lk

6 - L'île de Norfolk, d'origine volcanique, est située à sept cents milles à l'est de l'Australie et bénéficie d'un climat subtropical. Elle a été découverte en 1774 par James Cook lors de son deuxième voyage et était alors inhabitée. De 1788 à 1814, un établissement pénitentiaire fut éta- bli puis abandonné pour être rétabli en 1826. Le régime brutal et cruel qui y régnait amena sa sup- pression quelques années plus tard. En 1863, une partie des descendants des mutins de la Bounty qui se trouvaient trop nombreux dans

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LE HUNTER VERS LA BAIE DU SANTAL

À Sydney, les mouvements des navires étaient nombreux. Plusieurs d'entre eux étaient utilisés pour transférer une partie des habitants et des convicts de l'île de Norfolk vers la terre de

Van Diemen (Tasmanie). C'est à cette époque que se fit la pre- mière évacuation des bagnards de l'île de Norfolk dont le traite- ment inhumain avait soulevé des protestations en Angleterre.

En janvier 1813, le Hunter, capitaine Robson, en route pour les Fidji avec Dillon à bord, fit escale à Norfolk. Pour le capi- taine Robson, c'était le troisième voyage qu'il entreprenait en vue de trouver du bois de santal. Il connaissait Dillon depuis leur séjour dans la baie de Naurore. Le Hunter se présenta dans cette baie qui donnait accès à une région réputée pour sa richesse en bois de santal. Le navire avait auparavant touché un récif, ce qui eut pour conséquence la perte de la fausse quille sans cependant provoquer une rentrée d'eau. L'ancre tomba au large de la sortie d'un ruisseau où accostaient les embarcations. De là partait un sentier qui menait au village de Wailea. Le chef local, Vonassa, vint rendre visite à Robson et l'invita à venir au village pour exprimer ses désirs et les contreparties qu'il proposait.

UNE RÉGION EN EFFERVESCENCE

Le chef Vonassa rappela au capitaine Robson que le santal ramassé lors de son voyage de 1811 l'avait été dans d'autres vil- lages de la région en utilisant ses sujets. Mais lesdits villages s'étaient alliés avec son rival, le chef de la région de Dreketi, sur la côte nord de l'île. Vonassa insista donc pour qu'avec l'aide de l'équipage du Hunter, une expédition préventive soit montée

l'île de Pitcairn émigrèrent dans l'île de Norfolk. Aujourd'hui, leur descendance constitue la moi- tié de la population. Norfolk est reliée par voie aérienne à l'Australie. La beauté de ses paysages, l'originalité de ses sites et son climat tempéré attirent les touristes.

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1851. Les pères Roudaire et Auliard furent déposés à Tikopia par l' Arche d'Alliance. Ils reçurent un accueil sympatique. En 1853, lorsque le père Montrouzier vint, sur le Chieftain, s'informer du sort des deux missionnaires, il ne retrouva personne. Les Tikopiens lui dirent qu'ils étaient partis sur un navire dont ils ignoraient la provenance et la destination. Jusqu'à ce jour, le mystère de la disparition des pères Roudaire et Auliard reste entier. Par la suite, il n'y eut plus d'essai d'implantation catho- lique. La religion méthodiste, dérivée de la religion anglicane, a eu des difficultés à s'implanter au début du siècle car elle contra- riait l'autorité des chefs dont les sujets étaient des adeptes du paganisme. Loin d'être une théocratie, Tikopia, avec l'approba- tion du gouvernement des îles Salomon, a conservé une nette séparation entre l'autorité des chefs et la religion.

LES PREMIERS VISITEURS

Le premier visiteur fut Quiros en 1606, mais il ne débarqua pas. Un naturel venu en pirogue offrit à Torres, capitaine du second navire, une natte finement tressée en guise d'accueil.

Ensuite, Tikopia est restée dans son isolement pendant deux siècles.

Après cette longue période, le Barwell, en 1798, fut le pre- mier navire que virent les Tikopiens. Pensant qu'ils avaient affaire à de mauvais esprits, ils empêchèrent le débarquement en tirant des flèches.

En 1813, ce fut Dillon sur le Hunter qui déposa le Prussien Martin Bushart, sa femme fidjienne et un lascar nommé Joe. Ils reçurent un accueil amical.

En 1826, Dillon, y faisant à nouveau escale, devait découvrir que les lieux du naufrage des navires de La Pérouse se trouvaient à Vanikoro, une île située à cent vingt milles à l'ouest.

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En 1826 également, une chaloupe contenant cinq Blancs fit escale à Tikopia. Ces hommes prétendirent être les naufragés d'un navire baleinier, le Harriet. Leur embarcation fut démolie

par les Tikopiens pour en récupérer les clous et pointes. En 1827, Dillon revint à Tikopia pour embarquer Bushart,

l'interprète Rathea et Stewart, l'un des cinq naufragés évoqués ci- dessus. Il fit route ensuite sur Vanikoro pour entreprendre des recherches sur les lieux du naufrage de l'expédition La Pérouse.

En février 1828, Dumont d'Urville vint à Tikopia, vérifia la véracité de l'annonce faite par Dillon de la découverte des restes de La Pérouse et fit ensuite escale à Vanikoro.

En 1828 également, Le Goarant de Tromelin sur la Bayonnaise, peu de temps après le passage de Dumont d'Urville, y fit escale avant de se rendre lui aussi à Vanikoro.

En 1829, le brick Governor Macquarie, affrété par Dillon, se rendit à Tikopia pour rapatrier les interprètes que Dillon avait à bord depuis 1827 et qu'il n'avait pu ramener plus tôt dans leur île. Mais il s'agissait uniquement de Bushart et son épouse car Rathea était mort sur le Research lors de son escale en Nouvelle-Zélande.

En 1838, le baleinier Achilles perdit plusieurs marins, tués à terre lors de son escale à Tikopia.

En 1856, on note une escale du baleinier américain Young Hector, en 1857, celle du baleinier Zone et en 1861, celle du baleinier Jireh Perry.

Viendront ensuite quelques navires recruteurs de travailleurs, dits blackbirders, et ceux, pour des escales occasionnelles, d'une mission méthodiste établie aux îles Salomon.

Actuellement, un caboteur vient tous les deux mois ravitailler

les îles de la province de Temotu et fait escale à Tikopia. Les visites des navires de plaisance sont espacées et doivent tenir compte d'un poste de mouillage peu abrité. Quelques grands