Perfection Chrétienne Et Contemplation, Selon S. Thomas d'Aquin Et S. Jean de La Croix
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University of Toronto
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Perfection chrtienne
et Contemplation
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OUVRAGES DU MEME AUTEUR
Le Sens Commun, la Philosophie de l'tre et les for-mules dogmatiques. 3 e dition, i vol. in-16, 4oo pp. Nou-velle Librairie Nationale, 3, place du Panthon, Paris. 10 fr.
Dieu, son existence et sa nature, solution thomiste des
antinomies agnostiques. 5 e dition, i vol. grand in-8, 770 pp.
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Les Perfections divines (extrait du prcdent, sans dis-cussions philosophiques). 1 volume in-8 de 34o pp. Beau-
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De Revelatione ab Ecclesia catholica proposita. 2 e di-tion, 2 vol. grand in-8, 564-48a pp. Rome, F. Ferrari ; Paris,
Gabalda 45 fr.
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P. Rg. GARRIGOU-LAGRANGE, 0. P.
Professeur la Facult de thologie
de l'Angelico, Rome
Perfection chrtienne
et Contemplation
selon S. Thomas d'Aquin et S. Jean de la Croix
Optavi, et datus est mihi sensus ;Invocavi, et venit in me spiritus sapienti.
(Sagesse, vu, 7.)
Prlude normal de la vision du ciel,la contemplation infuse, comme le ciel,est, par la docilit au Saint-Esprit, la
prire et la croix, accessible tous.
ditions de La Vie Spirituelle
SAINT{, U8RARI6S j*
MAXIMIN ^H#*i*.*|0*
ttQttawa
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Nous soussigns avons lu l'ouvrage du P. Rg. Garrigou-Lagrange, 0. P., Matre en thologie, intitul Perfection chrtienne
et Contemplation, et nous en approuvons la publication.
Rome, Fte du Saint-Sacrement 1923.
Fr. Edouard Hugon, 0. P., Matre en S. Thologie.
Fr. M. -Raymond Gathala, 0. P., Lecteur en S. Thologie.
Imprimi potest.
Rome, 3i Mai 1923.
Fr. Lud. Theissling, 0. P.
Mag. gen.
NlHIL OBSTAT.
Pictavii, aa'Augusti 1923.
A. Chaperon.
Imprimatur.
Pictavii, die a5* Augusti 1923.
J. Braud, Vic.gen.
DA
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A LA BIENHEUREUSE YIERGE MARIE
MRE DE DIEU ET MDIATRICE
qui conduit les humbles l'intimit du Christ
comme Lui-mme les conduit au Pre,
Hommage trs imparfait de profonde gratitudeet de filiale obissance.
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INTRODUCTION
Ces pages sont l'abrg d'un cours latin de tholo-
gie asctique et mystique fait ces dernires annes
la Facult de thologie du Collge Anglique Rome ;elles ont paru en grande partie dans la Vie Spirituelle.
Nous avons surtout pris pour guide saint Thomasd'Aquin et saint Jean de la Croix.
Saint Thomas, Doctor Commuais, comme le dit larcente encyclique Studiorum ducem de Sa Saintet
Pie XI, excella en effet entre tous les thologiens par
l'union des deux sagesses acquise et infuse, et reut
minemment, pour les exprimer, le charisme quesaint Paul appelle sermo sapientiae. La sagesse acquise
unissait dj, chez lui, dans une merveilleuse syn-
thse la science du philosophe et celle du thologien.
Quant la contemplation infuse, qui procde du donde sagesse, elle parvint en lui aux degrs les plus
levs; souvent accompagne d'extase et du don deslarmes, elle restait suprieure tout langage humain.
C'est elle qui l'empcha de dicter la fin de la Sommethologique, qui ne lui semblait plus que de la paille
en comparaison de ce qu'il entrevoyait (1).
(i) voir sa Vie par Guillaume de Tocco, et les Bollandistes,
7 mars. Lire aussi le rcent ouvrage du P. Petitot, 0. P. : SainhThomas d'Aquin, la vocation, l'uvre, la vie spirituelle, 192^ Voir!injra, p. 637-644. \
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ii INTRODUCTION
L'encyclique Studiorum ducem, en nous le propo-
sant comme le Matre incontest, non seulement pourla dogmatique et la morale, mais aussi pour l'ascti-
que et la mystique, insiste particulirement sur une
de ses plus belles doctrines que nous avons ici lon-
guement dveloppe, ch. III, a. V, savoir que leprcepte de l'amour de Dieu n'a pas de limite et que
la perfection de la charit tombe soas ce prcepte, non
sans doute comme matire, ou chose raliser imm-diatement, mais comme la fin vers laquelle tout chr-tien doit tendre, chacun selon sa condition (i). Saint
Franois de Sales a conserv la mme doctrine, quia t souvent mconnue bien qu'elle ait t nettementformule par les Pres de l'glise et en particulier par
saint Augustin (2). .
(1) Encyclica Studiorum ducem, Pie XI, 29 juin 1923 : Haecigitur a Deo delapsa seu infusa sapientia, cleris comitata donisSancti Spiritus, perpetuum in Thoma accepit incrementum,aeque ac caritas, omnium domina et regina virtutum. Etenimilla huic erat certissima doctrina, amorem Dei numquam nonoportere crescere ex ipsa forma praecepti : Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo ; totum enim et perfectum idem sunt... Finis praecepti caritas est, ut Apostolus dicit I Cor., xn,
8 ; in fine autem non adhibetur aliqua mensura, sed solum in his quae sunt ad finem (IIa IIae , q. 184, a. 3). Quae ipsa estcausa quare sub praeceptum perfectio caritatis cadat tanquam illudquo omnes pro sua quisque conditione niti debent... Itaque praecep-tum de amore Dei quam late pateat, caritas eique adjuncta donaSancti Spiritus quomodo crescant, multiplies vitae status, utperfectionis, ut religiosorum, ut apostolatus. quid inter se diff-rant et quae cujusque natura visque sit, haec et talia asceticaemysticaeque theologiae capita si quis pernosse volet, is Angeli-
cum in primis Doctorem adeat oportebit. (2) L'Encyclique crite par Sa Saintet Pie XI pour le 3 e cente-
naire de saint Franois de Sales, a6 janvier 1923, la rappelait ences termes : Le Christ a constitu l'glise sainte et source desaintet, et tous ceux qui la prennent pour guide et matressedoivent par la volont divine tendre la saintet de la vie : C'est
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INTRODUCTION m
Saint Thomas, en traitant des vertus infuses et des
dons du Saint-Esprit, nous enseigne surtout quelle
est leur nature et quelles sont leurs proprits. Saint
Jean de la Croix nous fait connatre les diverses pha-
ses de leur progrs jusqu' leur parfait panouisse-
ment. Parmi les auteurs spirituels nous l'avons pris
pour guide pour plusieurs raisons : i parce qu'il est
incontestablement un des plus grands mystiques
catholiques ; 2 parce qu'il est canonis et que sa doc-
trine, qui a subi l'preuve de la critique et a t exa-
mine par l'glise, est parfaitement sre; 3 parce que,
venu au XVI e sicle, il bnficie de toute la tradition
antrieure, et, connaisant fond l'uvre de sainte
Thrse, il l'explique en rattachant les tats mystiques
dcrits par elle aux principes surnaturels d'o ils pro-
cdent, aux vertus thologales et aux dons du Saint-
Esprit, parvenus leur plein dveloppement. Il
dpasse ainsi sainte Thrse elle-mme, aborde en
thologien des questions trs leves sur lequelles elle
la volont de Dieu, dit saint Paul, que vous vous sanctifiiez. Quel
genre de saintet faut-il ? Le Seigneur le dclare lui-mme ainsi :
Soyez parfaits, comme votre Pre cleste est parfait. Que per-sonne n'estime que cette invitation s'adresse un petit nombretrs choisi et qu'il est permis tous les autres de rester dans undegr infrieur de vertu. Cette loi oblige, comme il est clair ,absolument tout le monde, sans aucune exception. D'ailleurs,
tous ceux qui parviennent au fate de la perfection chrtienne et ils sont presque innombrables, de tout ge et de toute classe,
d'aprs le tmoignage de l'histoire , tous ceux-l ont connu lesmmes faiblesses de la nature que les autres et couru les mmesdangers. En effet, saint Augustin dit excellemment : Dieu n'or-donne pas l'impossible, mais en donnant l'ordre, il avertit d'ac-complir ce que peuvent nos forces et de demander ce qui lesdpasse. Sur cette doctrine, cf. S. Franois de Sales, Traitde l'Amour de Dieu, 1. III, ch. i.
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iv INTRODUCTION
a peu crit, et fournit par l le point de jonction
entre la mystique descriptive et la thologie spcula-
tive des vertus et des dons. 4 Enfin, saint Jean de la
Croix, comme tous les thologiens du Carmel, estpleinement d'accord avec saint Thomas sur les gran-des questions de la prdestination et de la grce, et,
son exemple, il a admirablement distingu la con-
templation infuse des phnomnes extraordinaires quiparfois l'accompagnent.
La doctrine de ces Matres est l'expression sre dela tradition, nous le verrons en la confrontant avec
celle des Docteurs qui les ont prcds et de ceux qui
les ont suivis (i).
#* *
Le but que nous poursuivons est de faire connatre
ce qu'est la voie unitive, pour porter les mes y aspi-rer et faire de gnreux efforts pour y atteindre.
Il y a des personnes qui parlent beaucoup de mys-
tique, la comprennent mal et en abusent, comme onpeut abuser des meilleures choses, mme de la saintecriture ; ces personnes, il faut les clairer par l'en-
seignement sr de la thologie.
D'autres, en beaucoup plus grand nombre, igno-
rent compltement la mystique et semblent vouloir
l'ignorer. Ils ne comptent que sur leurs efforts aids
de la grce commune, ne visent par suite qu' desvertus communes et ne tendent pas la perfection,qu'ils regardent comme trop leve. Des vies religieu-ses et sacerdotales, qui pourraient tre grandement
fcondes, ne dpassent pas ainsi une certaine mdio-
(i) Cf. ch. VI, a. V : L'accord des Matres.
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INTRODUCTION v
crit; cela tient souvent, en partie du moins, la for-
mation premire et a des ides inexactes sur l'union
Dieu laquelle tout chrtien peut et doit lgitime-
ment aspirer.
Plusieurs enfin de ceux qui devraient bien conna-
tre les livres des grands Saints, les ouvrent peine,
sous prtexte que la doctrine en est inaccessible,
qu'elle prte des interprtations divergentes, et que,
d'aprs plusieurs thologiens, on ne peut pas encore
dterminer en quoi elle consiste, mme dans les gran-
des lignes, en particulier sur cette question fonda-
mentale : La contemplation, dont ils parlent, est-elle,
oui ou non, dans la voie normale de la saintet?
Il y a ainsi un certain agnosticisme en matire de
thologie mystique, tout comme il y en a un autre,
qui prtend qu'on ne peut discerner les vrais mira-
cles, parce qu'on ne connat pas toutes les lois de la
nature, et qu'on ne peut s'appuyer sur l'criture,
parce qu'on n'a pas lucid compltement certains
passages obscurs de l'Ancien et du Nouveau Testa-
ment.
Nous croyons que cet agnosticisme est faux, qu'il
ne peut pas faire de bien, et qu'il aboutit au rsultat
funeste que nous venons de signaler.
La doctrine de saint Thomas et celle de saint Jean
de la Croix sur le problme indiqu nous parat trs
nette, et si ces grands Matres avaient laiss sans solu-
tion cette question capitale, ce seraient les lments
mme de la thologie mystique qui seraient encore constituer.
Sa Saintet Benot XY daigna fliciter le Directeurde la Vie Spirituelle de faire connatre cette doctrine,
et lui crivit, le i5 septembre 192 1 : De nos jours,
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vi INTRODUCTION
beaucoup ngligent la vie surnaturelle et cultivent
sa place un inconsistant et vague sentimentalisme.
Aussi est-il absolument ncessaire de rappeler plus
souvent ce que, avec la Sainte criture, les Pres de
l'glise nous ont enseign sur ce sujet, et de le faire
en prenant surtout pour guide saint Thomas d'Aquin,qui a expos avec tant de clart leur doctrine sur
Vlvation de la vie surnaturelle. Il faut aussi instam-
ment attirer l'attention des mes sur les conditions
requises pour le progrs de la grce des vertus et des
dons du Saint-Esprit, dont l'panouissement parjait se
trouve dans la vie mystique (i). Et c'est bien cela que
vos collaborateurs et vous avez entrepris d'exposer
dans votre revue, d'une faon trs docte et solide.
Dans les dlicates questions que nous avons daborder, il est parfois difficile, lorsqu'on veut com-
battre une erreur, de ne pas se rapprocher de l'erreur
contraire, et de formuler, comme il faut, la doctrinequi s'lve au-dessus de ces dviations opposes et
qui n'est un juste milieu que parce qu'elle est unsommet. Si en quelque endroit nous avions employ
par mgarde quelque expression inexacte, nous la
rtractons ds prsent et dclarons rejeter toute spi-
ritualit qui s'carte tant soit peu de celle des Saints
approuve par la sainte glise. C'est pourquoi nous
n'avons gure cit que les mystiques canoniss, dont
Tenseignement est communment reu.
(i) Necesse omnino est ut saepius recogitetur quid hac in retradiderint, una cum Sacra Scriptura, sancti Patres, idque Aqui-nate praesertim magistro, qui quidem ipsorum doctrinam de ele-vatione vitae supernaturalis tam lucide exposuit ; ac praetereaquibus conditionibus proficiat gratia virtutum et donorum SpiritasSancti, quorum perfectio vita mystica continetur.
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INTRODUCTION
# #
Les conclusions auxquelles nous sommes arriv
peuvent se rsumer dans le tableau de la page sui-
vante (i).
Ce tableau donne quelque ide du progrs de la
doctrine sur ce point depuis saint Augustin sainte
Thrse, en allant du gnral au particulier. Saint
Augustin avait distingu les commenants, les progres-
sants et les parjaits, ce qui rpondait, selon la termi-
nologie de Denys, aux voies purgative, illuminative et
unitive. Saint Thomas a plusieurs fois not, dans lasuite, le progrs correspondant des vertus et des dons,
qui sont les principes des actes surnaturels, en parti-
culier les degrs de l'humilit (2). Les purificationspassives des sens et de l'esprit, indiques par saint
Grgoire le Grand (3), furent dcrites par Tauler et
surtout par saint Jean de la Croix. Ce dernier nous
dit, Nuit obscure, 1. I, ch. 9 (3e signe), que dans la
purification passive des sens Dieu commence secommuniquer non plus par les sens comme aupara-vant, au moyen du raisonnement..., mais d'une faon
(1) Ce tableau modifie lgrement celui publi par le P. Gerest,O. P., dans son excellent petit Mmento de la Vie Spirituelle, 1922,(Lethielleux), o il expose les ides qui nous sont communes etd'aprs lesquelles il a remani l'ouvrage du P. Meynard, O. P.,Trait de la Vie intrieure,
(2) II II-, q. 161, a. 6.
(3) Cf. dernier chapitre de cet ouvrage sur 1' Accord desMatres , rsum de la doctrine de S. Grgoire. On y verra quec'est avec Clment d'Alexandrie qu'a commenc la division destrois degrs de la vie spirituelle.
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Vertus Dons Purifications Oraisons
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INTRODUCTION ix
purement spirituelle, en un acte de simple contem-
plation . Il s'agit manifestement ici de la contempla-
tion infuse, comme il tait dj dclar dans la Mon-te du Carmel, 1. II, ch, i3. On comprend doncpourquoi il est dit, Nuit obscure, 1. I, ch. i/i, dbut :
u les progressants ou avancs se trouvent dans la voie
illuminative, c'est l que Dieu nourrit et fortifie l'me
par contemplation infuse. Enfin il est dit Nuit obscure,
1. 1. ch. 8 : La purification passive des sens est com-mune, elle se produit chez le grand nombre des com-menants. C'est bien le seuil de la vie mystique
comme l'oraison de recueillement surnaturel dcritepar sainte Thrse, IV e Demeure, ch. 3. Cette orai-
son est souvent prcde d'actes isols de contempla-
tion infuse au cours de l'oraison acquise de recueil-
lement dcrite par la Sainte dans le Chemin de la
Perfection, ch. 28. On voit ainsi dans la voie illu-minative se manifester nettement les dons de crainte
et de science (purification passive des sens o l'on
connat le vide des choses cres) et celui de pit
(quitude de la volont, o se trouve ce don).
Dans ce tableau approximatif on considre l'me
idale, par manire d'abstraction, et les voies illumi-
native et unitive y sont envisages, non pas seulementsous leur forme imparfaite, mais dans leur plnitude,
comme le fait saint Jean de la Croix, cho fidle dela tradition.
Cette haute perfection est bien celle dcrite par
saint Augustin et saint Grgoire, celle laquelle
conduisent les douze degrs de l'humilit numrs
par saint Benot, ou les sept degrs de saint Anselme;1" connatre qu'on est mprisable, 2 souffrir de l'tre,
3" avouer qu'on l'est, 4 vouloir que le prochain le
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x INTRODUCTION
croie, 5 supporter patiemment qu'on le dise, 6 accep-
ter d'tre trait comme une personne digne dempris, 7 aim tre trait ainsi (1).
Cette grande conception de la perfectiou chrtienne
et des voies illuminative et unitive est la seule qui
nous paraisse conserver toute l'lvation de l'van-
gile et des ptres de saint Jean et de saint Paul.
Le prcepte de l'amour en effet, comme nous venonsde le dire, n'a pas de limites : Tu aimeras le Sei-gneur ton Dieu de tout ton cur, de toute ton me,
de toutes tes forces, et de tout ton esprit, et ton pro-
chain comme toi-mme (2). Jsus ajoute pourtous : Soyez parfaits comme votre Pre cleste estparfait (3) , et tout le sermon sur la montagne, qui
commence par les batitudes, est comme le commen-taire de cette parole. Pour nous lever cette perfec-
tion, le Yerbe s'est fait chair et il a habit parmi
nous..., nous avons tous reu de sa plnitude (4) .
La vie de la grce qui nous a t donne est legerme de celle du ciel, c'est la mme vie en sonfond : En vrit, en vrit, je vous le dis, celui quicroit en moi a la vie ternelle (5). La contempla-tion des mystres de la vie du Christ sera donne
ceux qui le suivent fidlement : Celui qui a reu
mes commandements et qui les garde, c'est celui-l quim'aime, et celui qui m'aime sera aim de mon Pre,et je l'aimerai aussi et je me dcouvrirai lui, etmanifestabo ei meipsum (6). Je prierai mon Pre,et il vous donnera un autre consolateur, afin qu'il
(1) Voir l'explication de ces degrs de l'humilit dans saint Tho-mas, lla IIae , q. 161, a. 6.
(2) Lac. x, 27. (3) Matih., v, 48. (4) Jean., 1, i4, 16. (5) Jean, vi, 47 ; vin, 5i. (6) Jean, xiv, 21.
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INTRODUCTION xr
demeure en vous ternellement... Le Saint Esprit, que
mon Pre enverra en mon nom, vous enseigneratoutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que
je vous ai dit (i).
L'amour du prochain doit aller lui aussi trs loin : Je vous laisse un commandement nouveau, c'est devous aimer les uns les autres, comme je vous aiaims, sicat dilexi vos (2). Or personne ne peut
avoir un plus grand amour que de donner sa viepour ses amis (3).
Le Sauveur, pour nous faire entendre en quoi con-
siste la perfection de la charit, a dit aussi en priant
pour nous : Pre saint, conservez en votre nomceux que vous m'avez donns, pour qu'ils soient uncomme nous... La lumire que vous m'avez donne,je la leur ai donne, pour qu'ils soient un, commenous-mmes nous sommes un, ut sint unum sicat etnos unum sumus (4).
L'vangile selon saint Matthieu n'est pas d'une
moindre lvation, lorsqu'il rappelle, ch. xi, 25-29,
ces paroles de Jsus : Je vous bnis, mon Pre,Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez
cach ces choses aux prudents et aux sages et de ce
que vous les avez rvles aux petits.
Enfin saint Paul nous a montr tout ce qu'est et
doit tre le corps mystique du Christ, comment lechrtien doit tre incorpor au Christ par une sancti-
fication progressive, qui donne une trs grande idedes trois phases distingues plus tard.
Voie purgative : Incorpors au Christ, les fidles
(1) Jean, xiv, 16, 26. (2) Jean, xni, 34- (3) Jean, xv, i3.(!i) Jean, xvn, 11, 22.
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xii INTRODUCTION
doivent orienter toute leur vie vers le ciel et mourir
de plus en plus au pch : Mortifiez les membresde l'homme terrestre qui est en vous... dpouillez levieil homme avec ses uvres (i). Nous avons tensevelis avec le Christ par le baptme, pour mourir
au pch... Si nous avons t ents en lui par la res-
semblance de sa mort, nous y serons aussi ents par la
ressemblance de sa rsurrection ; sachant que notre
vieil homme a t crucifi avec lui, afin que le corps dupch soit dtruit en nous (2). Ceux qui sont
Jsus-Christ ont crucifi leur chair avec ses passions
et ses convoitises (3). Aussi les Aptres portent-ils
(( dans leur corps la mort de Jsus, pour que la vie
de Jsus soit aussi manifeste en eux (4) . Qui sacri-
fie sa vie, la retrouve transfigure : si le grain de
froment, mis en terre, ne vient mourir, il reste
seul; mais quand il est mort, il porte beaucoup de
fruit (Jean, xii, i[\).
La voie illuminative est aussi indique par saint Paul,
lorsqu'il nous dit que le chrtien, la lumire de la
foi et sous l'inspiration du Saint-Esprit, doit se
revtir de l'homme nouveau, qui s'claire et sese renouvelle selon l'image de son Crateur... Rev-
tez-vous donc, comme lus de Dieu, saints et bien-aims, de tendresse et d'entrailles de misricorde, de
bont, d'humilit, de modestie, de patience... Mais
surtout revtez-vous de la charit, qui est le lien de la
perfection (5) . Il faut imiter Jsus-Christ et ceuxqui lui ressemblent (6), il faut avoir ses sentiments,
(1) Coloss., ni, 5, 10. (2) Rom., vi, 4-6, et xii, 3. (3) Galat.,\, i!\. (4) II Cor., iv, 10. (5) Coloss., ni, 10, 12 ; item Ephes.,iv, 1-6; Coloss., 1, 10-12; II Cor., xiii, 9, 16; Gai., 11, 9. (6) PhiL, 11, 5 ; I Cor., xi, 1.
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INTRODUCTION xm
prendre l'esprit de ses mystres, de sa passion (i), de
son crucifiement (2), de sa mort, de sa spulture (3),
de sa rsurrection (4), de son ascension (5). Aussi
saint Paul souffre-t-il les douleurs de l'enfantement
jusqu' ce crue le Christ soit form dans l'me des
fidles (6), jusqu' ce qu'ils soient parfaitement clai-
rs par la lumire de vie. Tout me semble uneperte, dit-il, au prix de cette haute connaissance de
Jsus-Christ, mon Seigneur, pour l'amour de qui jeme suis priv de toutes choses; je les regarde commedes ordures, afin de gagner Jsus-Christ (7).
La voie unitive enfin est celle suivie par le chrtien
surnaturellement clair, qui vit dans une union pour
ainsi dire continuelle avec le Christ : Si vous tes
ressuscites avec le Christ, recherchez les choses d'en
haut, o le Christ est assis la droite de Dieu. N'ayez
de got que pour les choses du ciel, et non pour celles
de la terre. Car vous tes morts (au monde) et votre
vie est cache en Dieu avec le Christ, vita vestra est
abscondila cum Chris lo in Deo (8). Et que la paix
du Christ, laquelle vous avez t appels de manire
former un seul corps, rgne dans vos curs. Soyezreconnaissants. Que la parole du Christ demeure envous avec abondance et vous comble de sagesse.
Instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres ;que vos curs s'panchent en Dieu en psaumes, hym-nes et cantiques spirituels. Et quoi que vous fassiez,
en parole ou en uvres, faites tout au nom de Jsus-Christ, en rendant par lui des actions de grces
Dieu le Pre (9). Telle est bien, sous l'inspiration
(1) Rom., vin, 7. (2) Rom., vi, 5. (3) Rom., vi, 4-n. (4) Col., m, 1. (5) Ephes., 11, 6. (6) Gai, iv, 19. (7) Phil.,m, 8. (8) Col, m, 1-4. (9) Coi., m, 15-17.
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XIV INTRODUCTION
du Saint-Esprit, l'union Dieu par le Christ et la
contemplation aimante et savoureuse des grands mys-
tres de la foi (i); c'est le prlude normal de la vision
du ciel : Et quand le Christ, votre vie, apparatra,
vous apparatrez vous aussi dans la gloire. Cum Chris-
tus apparuerit, vita veslra, tune et vos apparebiiis cum
ipso in gloria (2).
(1) Voir plus loin, p. 388,389, ce que dit saint Paul de l'esprit
de sagesse. (2) Col, m, 4.
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CHAPITRE PREMIER
Le Problme mystique actuel
ARTICLE I e '
Objet et mthode
de la thologie ascetique et mystique
Que faut-il entendre par Thologie asctique et mys-
tique? Est-elle une science spciale ou une partie de
la Thologie? Quel est son objet propre? Sousquelle lumire procde-t-elle? Quels sont ses princi-
pes? Quelle est sa mthode?
Ce sont l des questions sur lesquelles il importe
d'tre fix avant de chercher en quoi se distinguent
l'asctique et la mystique et d'aborder les principaux
problmes qu'elles doivent rsoudre.
I. Que faut-il entendre par Thologie asctiqueet mystique? Quel est son objet?
Thologie signifie science de Dieu; et l'on distingue
la thologie naturelle ou thodice, qui connat Dieu
la seule lumire de la raison, et la thologie surna-
turelle, qui procde de la rvlation divine, en exa-
mine le contenu et dduit les consquences des vri-
ts de foi.
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a PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
Cette thologie surnaturelle est dite dogmatique en
tant qu'elle porte sur les mystres rvls, principale-
ment sur la Sainte Trinit, l'Incarnation, la Rdemp-
tion, l'Eucharistie et les autres sacrements, la vie
future. Elle est dite morale en tant qu'elle traite des
actes humains, des prceptes et conseils rvls, de
la grce, des vertus chrtiennes, thologales et morales,
des dons du Saint-Esprit, qui sont autant de principes
d'action ordonns la fin surnaturelle que la rvla-
tion fait connatre.
Souvent, chez les modernes, la thologie morale,
trop spare de la dogmatique, laquelle elle a aban-
donn les grands traits de la grce, des vertus infuses
et des dons, a t comme mutile et malheureusementrduite la casuistique qui est la moins haute de ses
applications ; elle est ainsi devenue en plusieurs ouvra-
ges bien plutt la science des pchs viter que
celle des vertus pratiquer et dvelopper sous l'ac-
tion constante de Dieu en nous. Elle a perdu ainsi
de son lvation et reste manifestement insuffisante
pour la direction des mes qui aspirent l'union
intime avec Dieu.
Au contraire, telle qu'elle est expose dans la IIe
Partie de la Somme Thologique de saint Thomas, lathologie morale garde toute sa grandeur et son effi-
cacit pour la direction des mes appeles la plushaute perfection. Saint Thomas ne considre pas, eneffet, la dogmatique et la morale comme deux sciencesdistinctes;, la doctrine sacre, selon lui, est absolument
une, minemment spculative et pratique, comme lascience mme de Dieu dont elle drive (i). C'est
(1) Summa TheoL, P, qu. i, art. 2, 8.
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LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 3
pourquoi il traite tout au long, dans la partie morale
de sa Somme, non seulement des actes humains, des
prceptes et des conseils, mais encore de la grce
habituelle et actuelle, des vertus infuses en gnral
et en particulier, des dons du Saint-Esprit, de leurs
fruits, des batitudes, de la vie active et contemplative,
des degrs de la contemplation, des grces gratuitement
donnes comme le don des miracles, le don des lan-gues, la prophtie, du ravissement, comme aussi dela vie religieuse et de ses diffrentes formes.
Il y a manifestement dans la thologie morale ainsi
conue les principes ncessaires pour conduire les
mes la plus haute saintet. Et la Thologie asctique
et mystique n'est pas autre chose que l'application de
cette grande Thologie morale la direction des mes
vers une union toujours plus intime avec Dieu. Elle
suppose ce qu'enseigne la doctrine sacre sur la nature
et les proprits des vertus chrtiennes et des dons
du Saint-Esprit, et elle tudie les lois et les conciliions
de leur progrs en vue de la perjection.
Pour enseigner la pratique des plus hautes vertus,
la parfaite docilit au Saint-Esprit et conduire la vie
d'union Dieu, elle fait converger toutes les lumi-
res de la thologie dogmatique et morale dont elle
est l'application la plus leve et le couronnement.
Ainsi s'achve le cycle form par les diffrentes par-
ties de la thologie, dont la parfaite unit apparat de
plus en plus. La science sacre procde de la Rvla-
tion, contenue dans l'criture et la Tradition, conser-
ve ' et explique par le Magistre de l'glise; elle
ordonne toutes les vrits rvles et leurs consquences
en un corps doctrinal unique, o les prceptes etconseils apparaissent fonds sur le mystre surnaturel
-
\ PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
de la vie divine, dont la grce est une participation.
Finalement elle montre comment, par la pratique desvertus et la docilit au Saint-Esprit, l'me arrive non
plus seulement croire les mystres rvls, mais
les goter, saisir le sens profond de la parole de
Dieu, source de toute connaissance surnaturelle,
vivre dans une union pour ainsi dire continuelle avec
la Sainte Trinit qui habite en nous. La mystique
doctrinale apparat bien ainsi comme le couronnementdernier de toute la science thologique acquise, et elle
peut diriger les mes dans les voies de la mystique
exprimentale. Cette dernire est une connaissance
aimante et savoureuse, toute surnaturelle, infuse, que
seul le Saint-Esprit, par son onction, peut nous don-
ner et qui est comme le prlude de la vision batifi-que.
Telle est manifestement la notion de la Thologie
asctique et mystique que se sont faite les grands
matres de la science sacre, particulirement saint
Thomas d'Aquin.Cette notion rpond parfaitement d'ailleurs au sens
courant et l'tymologie des mots asctique et
mystique . Le terme ascse, comme son originegrecque l'indique, signifie l'exercice des vertus.
Parmi les premiers chrtiens on appelait asctes ceux
qui se livraient la pratique de la mortification, des
exercices de pit et des autres vertus chrtiennes.
L'asctique est donc cette partie de la thologie qui
dirige les mes dans la lutte contre le pch et le
progrs de la vertu.
La thologie mystique, comme son nom le montre,traite de choses plus caches et mystrieuses : de
l'union intime de l'me avec Dieu, des phnomnes
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 5
transitoires qui accompagnent certains degrs de l'u-
nion, comme l'extase, enfin des grces proprementextraordinaires comme les visions et rvlations pri-ves.
De fait, c'est sous ce titre Thologie mystique
que Denys, et aprs lui beaucoup d'autres, ont trait
de la contemplation surnaturelle et de l'union intime
de l'me avec Dieu, nous montrant ainsi quel est
l'objet principal de cette doctrine (i).
Tout cela revient dire que la Thologie asctique
et mystique ou la doctrine spirituelle n'est pas une
science spciale, mais une partie de la thologie. L'en-
semble des thologiens l'a toujours entendu ainsi.
Cela n'empche nullement un psychologue, mmeincroyant, d'tudier du dehors, et en quelque sorte
d'en bas, les phnomnes asctiques et mystiques
chez les chrtiens ou dans les autres religions. Mais
cette tude sera seulement psychologique et ne mri-
tera nullement le nom de Thologie asctique et mys-tique. Elle sera surtout descriptive, et si elle veut
expliquer tous ces faits par les seules forces naturelles
de Tme, elle sera dclare fausse par tout catholique
qui verra en elle une explication matrielle du sup-
(i) On peut dire, avec certains auteurs modernes, que la tho-logie mystique repose, sur la thologie dogmatique, comme lathologie asctique repose sur la thologie morale , selon lesexpressions d'un matre anonyme cit par M. Sauv, dans sonexcellent trait sur les tats mystiques, 0 d., p. i. Cependantcette faon de parler s'inspire, croyons-nous, d'une conception dela thologie morale moins haute que celle que s'en faisait saintThomas d'quin, et elle conduirait peut-tre distinguer outremesure l'asctique de la mystique, perdre de vue la continuitdu progrs spirituel. Nous reviendrons sur cette question, surlaquelle M. Ch. Sauv s'exprime souvent d'une faon si prcise etsi traditionnelle dans le mme trait.
-
C PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
rieur par L'infrieur, semblable celle que les mca-
nistcs proposent des phnomnes vitaux.Ceci dit, il est facile de rsoudre la question pose :
Quel est l'objet de la thologie asctique et mys-
tique, sans distinguer encore ces deux parties de la
doctrine spirituelle? C'est la perfection chrtienne,l'union Dieu, la contemplation qu'elle suppose,
les moyens ordinaires qui y conduisent, et les secoursextraordinaires qui la favorisent.
Nous pourrions chercher ds maintenant en quoi se
distinguent l'asctique et la mystique; mais, commece problme dlicat est rsolu de faon plus ou moins
diffrente suivant la mthode adopte pour traiter ces
matires, il vaut mieux poser tout de suite cette ques-tion de mthode.
II. Quels sont les principes et la mthode de laThologie asctique et mystique?
tant donn ce que nous venons de dire de l'ob-
jet de cette branche de la thologie, il est facile de
voir la lumire de quels principes elle doit procder
pour atteindre cet objet.
C'est la lumire de la Rvlation, contenue dans
l'criture et la Tradition, explique par le magistre
de l'glise, commente par la Thologie dogmatique
et morale qui dduit des principes de foi les conclu-
sions qu'ils impliquent. C'est la lumire de ces
principes que doivent tre examins les faits de la
vie asctique et mystique, si l'on veut dpasser la
simple psychologie, et que doivent tre formules les
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 7
rgles de direction pour qu'elles soient autre chose
que des recettes pratiques non motives.Cela est clair et admis par tous les crivains catho-
liques : mais si l'on veut prciser davantage la question
de mthode, des divergences surgissent parfois entre
les auteurs, divergences qui ne sont pas sans influer
sur leurs thories. Quelques-uns, surtout pour la mys-
tique, usent presque exclusivement de la mthode
descriptive et inductive, qui part des faits; d'autres
au contraire procdent principalement selon la mthode
dductive, qui part des principes.
## *
A. Mthode descriptive ou inductive. L'cole des-criptive, sans mpriser la doctrine des grands tholo-
giens sur la vie de la grce et sur les secours ordinai-
res ou extraordinaires de Dieu, entreprend de dcrire
les diffrents tats spirituels, et particulirement les
tats mystiques, par leurs signes plutt que de dter-
miner thologiquement leur nature et de rechercher
s'ils procdent des vertus chrtiennes, des dons duSaint-Esprit ou des grces gratuitement donnes
comme la prophtie et les charismes qui se rattachent elle.
C'est ainsi qu'on a crit ces dernires annes divers
ouvrages, certains gards trs instructifs, qui sont
surtout des recueils de descriptions d'tats mystiques,
suivis de rgles pratiques de direction et de quelques
complments sur les questions thoriques, comme lanature de l'union mystique (1). Traits analogues, ils
(11 Tel est le livre du savant et regrett P. Poulain, S. J., Les
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8 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
le dclarent eux-mmes, aux manuels de mdecine
pratique, qui enseignent formuler rapidement un
diagnostic et prescrire les remdes appropris, sans
approfondir quelle est la nature du mal gurir, ni
quels sont ses rapports avec l'ensemble de l'organisme.
Ces ouvrages, trs utiles un point de vue, ne con-
tiennent de la science qu'une partie : les bases induc-
tives ou les faits et les conclusions pratiques. Mais la
lumire des principes thologiques et la coordination
doctrinale y font dfaut, par suite les rgles de direc-
tion y restent gnralement, aux yeux du thologien,
trop empiriques, insuffisamment classes et justifies.
La science est la connaissance des choses, non seule-
ment par leurs apparences et leurs signes, mais par
leur nature mme et leurs causes. Et comme l'actiondrive de la nature cls choses, on ne peut dire prati-
quement ce que doit faire l'homme intrieur si l'on
n'a pas dtermin la nature mme de la vie intrieure.Comment dire s'il peut sans prsomption et s'il doitdsirer l'union mystique, avant d'avoir dtermin la
nature de cette union, avant d'avoir reconnu si elle
est un don proprement extraordinaire ou une grce
minente, gnralement accorde aux parfaits, et nces-
saire, au moins moralement, une haute perfection?
Si cette question n'est traite que par manire d'ap-
pendice, comme un problme purement spculatif etquasi insoluble, les rgles de direction pralablement
formules n'auront pas le fondement doctrinal suffi-
sant.
Il arrive certains partisans de l'cole descriptive,
Grces d'oraison, que doivent avoir lu attentivement tous ceux qui
veulent traiter ces problmes
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 9
tout en admettant la vrit de la doctrine thologique
des dons du Saint-Esprit, principes de la contempla-
tion mystique, de dclarer qu'elle n'a qu'un intrt
historique (i), parce que, disent-ils, elle n'claire
ni les faits, ni les questions pratiques de la direction.
Bien des thologiens pensent au contraire qu'elle per-
met de rsoudre la question capitale dont nous venons
de parler, et de distinguer ce qui dans la vie spiri-
tuelle appartient l'ordre de la grce sanctifiante en
ses formes minentes et ce qui relve des grces gra-
tuitement donnes (gratis datae) proprement extraor-
dinaires. Il se peut trs bien que seule cette doctrine
nous permette de dterminer quel est le point culmi-
nant du dveloppement normal de la vie de la grce,
dans une me intrieure parfaitement docile au Saint-Esprit. Or c'est l un des problmes les plus impor-
tants de la spiritualit.
Pour suppler cette lacune doctrinale et cette
absence de principes directeurs, des amis trop exclu-
sifs de la mthode descriptive donnent parfois, ds la
premire page de leur Trait de mystique et commea priori, une dfinition soi-disant nominale de l'tat
mystique (quitude ou union), qui le dclare aussi
extraordinaire, ou peu s'en faut, que les visions ou
rvlations prives. Pareille dfinition contient dj
toute une thorie. Ces amis de la mthode d'observa-
tion, frapps de certains signes extrieurs de l'tat
mystique qui ne sont peut-tre que des signes acci-
dentels, dterminent prcipitamment sa nature avant
de demander la thologie ce qu'elle en pense. Seule
pourtant cette science suprme, claire par la rvla-
(i) P. Poulain, Les Grces d'oraison, 9e dit., p. i32, 164.
-
io PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
tion, peut dire si cet tat est le plein panouissement
normal de la vie surnaturelle d'union Dieu, ou s'ilest un don extraordinaire, nullement ncessaire pourla plus haute saintet.
L'usage exclusif de cette mthode descriptive con-duirait oublier que la thologie asctique et mysti-
que est une partie de la thologie, et finalement on la
considrerait comme une partie de la psychologieexprimentale. En d'autres termes, si l'on nglige derecourir la lumire des principes de la thologie, on
devra se contenter de celle que fournissent ceux de la
psychologie, comme le font les psychologues quitraitent des phnomnes mystiques dans les diffrentesreligions. Mais ce procd devrait faire abstraction de
la foi elle-mme, et ne permettrait d'assigner une
cause surnaturelle qu'aux faits proprement et mani-
festement miraculeux; quant aux autres faits mysti-
ques plus profonds, mais d'une surnaturalit moins
apparente, ils seraient dclars inexplicables ou expli-
qus indment par les seules forces naturelles de
l'me. Mme remarque pour l'histoire de la vie dessaints, des ordres religieux, de l'glise mme.
La mthode descriptive, si utile et ncessaire qu'elle
soit, ne peut donc tre exclusive. Elle est porte
mconnatre la valeur d'une distinction thologique
fondamentale, qui peut clairer toute la mystique :
celle du surnaturel essentiel (supernaturelle quoad subs-
tanlian) qui est celui de la vie intime de Dieu, dont
la grce sanctifiante ou grce des vertus et des dons
est une participation, et du surnaturel injrieur ou pr-
ternaturel (supernaturale quoad modu/n tantuni) qui est
celui des signes ou phnomnes extraordinaires, que
le dmon se plat imiter. Saint Thomas l'a dit sou-
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL n
vent (i), et aussi saint Jean de la Croix (2), il y a unabme enlre ces deux formes du surnaturel, par exemple
entre la vie essentiellement surnaturelle de la grce invi-
sible (que Fange lui-mme ne peut connatre naturel-
lement), et la rsurrection visible d'un mort, qui n'est
surnaturelle que par le mode selon lequel la vie natu-relle est rendue au cadavre: ou encore entre la foi
infuse au mystre de la Sainte Trinit et la connais-
sance surnaturelle d'un vnement futur d'ordre natu-
rel, comme la fin d'une guerre (3). C'est toute la diff-rence qu'il y a entre la doctrine et la vie chrtiennes
d'une part et les miracles et prophties qui en con-
firment l'origine divine, et qui ne sont que des signes
concomitants.
Cette distinction capitale des deux formes du surna-
turel, qui domine toute la thologie, est absolumentindispensable en mystique. Or c'est peine si la
mthode purement descriptive y fait attention; elle estfrappe surtout par les signes plus ou moins sensibles
des tats mystiques, et non par la loi foncire du pro-grs de la grce dont la surnaturalit essentielle est trop
profonde et trop leve pour tomber sous les prises
de l'observation. C'est pourtant ce dernier surnaturel
qui intresse le plus la foi et la thologie.
Aussi les ouvrages de mystique purement descriptive,si utiles soient-ils, ne contiennent-ils gure que les
matriaux de la thologie mystique. C'est pourquoi
nous souscrivons pleinement ce que nous crivait
(1) P IIac , qu. ht, art. 5 : Gratia gratum faciens est multocxcellentior quam gratia gratis data.
(2) Monte du Carmel, liv. II, ch. 10, 19, 20, 25, etc.
(3) Voir plus loin, p. 60.
-
12 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPL \TION
nagure un excellent thomiste : Il n'y a pas de tho-logie mystique comme science spciale. 11 n'y a que lathologie dont certaines applications concernent la vie
mystique. Traiter la thologie mystique comme unescience qui ait ses principes propres, c'est tout appau-
vrir et tout diminuer, c'est perdre la lumire direc-
trice. C'est par les grands principes de la thologie
qu'il faut traiter la mystique, alors tout s'illumine et
l'on est devant une science, non devant une collec-
tion de phnomnes.
B. Mthode dductive. Il ne faut pourtant pastomber dans l'autre extrme et se contenter de la
mthode thologique dductive. Certains esprits sim-
plistes seraient ports dduire la solution des pro-
blmes les plus difficiles de la spiritualit en partant
de la doctrine de saint Thomas sur les vertus infuseset les dons du Saint-Esprit (nettement distincts des
grces gratis datae) sans considrer suffisamment les
admirables descriptions donnes par sainte Thrse,
saint Jean de la Croix, saint Franois de Sales et
autres grands saints, des divers degrs de la vie spi-
rituelle, notamment de l'union mystique. Et comme,selon saint Thomas et la Tradition, les dons du Saint-Esprit sont est toute me en tat de grce, on seraitpeut-tre ainsi inclin croire que l'tat mystique
ou la contemplation infuse sont trs frquents, et
l'on pourrait confondre avec eux ce qui n'en est que
le prlude, comme l'oraison de simplicit si biendcrite par Bossuet (i). On serait ainsi port ne pas
(i) Bossuet, Manire courte et facile de faire l'oraison en foi et de
-
LE PROBLEME MYSTIQUE ACTUEL i3
tenir assez compte des phnomnes concomitants ou
auxiliaires de certains degrs de l'union mystique,
comme la ligature et l'extase, et l'on tomberait dansl'extrme oppos celui des partisans de la seule
mthode descriptive.
Ces deux extrmes viter rappellent l'opposition
qui existe en philosophie entre l'empirisme et l'ida-
lisme platonicien, ou en apologtique entre ceux qui
ne considrent que les miracles et les prophties
(signes concomitants de la rvlation) et ceux qui ne
parlent que de l'harmonie et de la sublimit de la doc-
trine et de la vie chrtienne.
Pratiquement, comme suite de ces deux excs, il ya aussi deux extrmes viter dans la direction : faire
quitter aux mes la voie asctique ou trop tt ou trop
tard. Nous y reviendrons.
Union des deux mthodes. Il est clair qu'il fautunir ces deux mthodes : inductive et ddutive, ana-
lytique et synthtique.
A la lumire des principes de la thologie il fautdterminer : ce que doit tre la perfection chrtienne,
sans l'amoindrir en rien, quelle est la contemplation
qu'elle suppose, les moyens ordinaires qui y con-duisent, les secours extraordinaires qui la favorisent.
simple prsence de Dieu (opuscule adress aux religieuses de la
Visitation de Meaux). Cette oraison peut tre appele contempla-
tion, mais si on la compare aux tats passifs, mme infrieurs,dcrits par sainte Thrse, on voit qu'elle ne mrite pas encore lenom de contemplation proprement mystique, si ce n'est en decourts instants, et dans sa seconde phase.
-
i\ PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
Pour cela il faut analyser les notions de vie et de
perfection chrtiennes, de saintet, que nous donne
l'vangile; dcrire les Jails de la vie asctique et mys-
tique, en suivant le tmoignage des saints qui les ont
mieux expriments et fait connatre. Cette description
des faits, accompagne de l'analyse des notions tho-
logiques correspondantes, doit chercher dterminer
la nature de ces faits ou tats intrieurs et les dis-
tinguer des phnomnes concomitants et adjuvants.
Les auteurs qui peuvent le mieux nous aider en cela
sont ceux qui ont t en mme temps grands tholo-giens et grands mystiques, comme saint Thomas, saint
Bonaventure, Richard de Saint-Victor, saint Jean de
la Croix, saint Franois de Sales.
Aprs ce travail d'analyse des notions et des faits,
il faut faire la synthse la lumire de la notion van-
glique de perfection ou de saintet. Il faut montrer :
i ce qui est essentiel oa conjorme la perfection chr-
tienne et ce qui lui est contraire; 2 ce qui est nces-
saire ou trs utile et dsirable pour y parvenir et ce
qui est proprement extraordinaire, nullement requis
la plus haute saintet.
En tout cela, il importe souverainement de distin-
guer Yextraordinaire de droit (ou le miraculeux) et Yex-
traordinaire de Jail qui est l'ordinaire ou le normal
dans la vie des saints, tout en tant rare comme la
saintet elle-mme. L'omission de cette distinction est
la source d'quivoques frquentes en plusieurs ouvrages
modernes, qui oublient trop les grandes divisions du
surnaturel.
Ainsi sous la lumire des notions et des principes
thologiques nous pourrons discerner les faits et for-
muler les rgles de direction, en les motivant.'
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL i5
Telle est, croyons-nous, la vraie mthode de la tho-
logie asctique et mystique, et il ne peut en tre
autrement si celle-ci est, comme nous l'avons vu,l'application de la thologie la direction des mes
vers une union Dieu toujours plus intime.
Il nous faut examiner maintenant la distinction de
l'asctique et de la mystique, leurs rapports et l'unit
de la doctrine spirituelle; question dlicate, dans
laquelle il ne faut pas oublier que Dieu appelle toutes
les mes intrieures boire la source d'eau vive o
elles trouveront la vie en abondance, au-del mmede leurs dsirs : ut vitam habeant et abiindantius
habeant. Selon les saints, l'me qui travaille se
dpouiller pour l'amour de Dieu de tout ce qui n'est
pas Dieu, est bientt pntre de lumire et tellement
unie Dieu qu'elle lui devient toute semblable et
entre en possession de tous ses biens.
-
ARTICLE II
La distinction de l'asctique et de la mystique
ET L'UNIT DE LA DOCTRINE SPIRITUELLE
La thologie asctique et mystique, disions-nous
dans le prcdent article, est une application dela
thologie la direction des mes vers une union
Dieu toujours plus intime. Elle doit faireusage,
ajoutions-nous, de la double mthode inductive et
dductive : tudier les faits de la vie spirituelle la
lumire des principes rvls et des doctrinestholo-
logiques dduites de ces principes. Il importemainte-
nant de voir en quoi se distinguent l'asctiqueet la
mystique : si cette distinction est telle qu'il n'yaurait
pas continuit dans le passage de l'une l'autre, ni
unit dans la doctrine spirituelle. Sur ce pointil n'y
a pas un accord parfait entre les auteurs ancienset
plusieurs modernes dont les ouvrages sont assez rpan-
dus.
## #
Thse traditionnelle : unit de la doctrinespirituelle
Autrefois, jusqu'aux XVIIe et XVIIIe sicles, on trai-
tait gnralement sous le titre unique Thologiemysti-
que non seulement de l'union mystique, de la contem-
plation infuse, de ses degrs, des grcesproprement
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 17
extraordinaires qui parfois l'accompagnent (visions et
rvlations prives), mais encore de la perfection chr-
tienne en gnral et des premires phases de la vie
spirituelle, dont le progrs normal paraissait ainsi
ordonn l'union mystique comme son point cul-minant.
Cet ensemble constituait un tout vritablement un :
la doctrine spirituelle, domine par une trs haute ide
de la perfection, puise dans l'vangile et chez les
saints, et c'tait un principe communment reu quela contemplation infuse ou mystique (trs distincte des
visions et rvlations prives) est ordinairement accor-
de aux parjaits et procde surtout du don de sagesse,
dont le progrs est proportionnel celui de la cha-
rit. En d'autres termes, on s'accordait reconnatrequ'une charit minente, principe d'une union trs
intime avec Dieu, s'accompagne normalement d'une
minente contemplation, confuse, mais trs pntrante
et savoureuse, d'une connaissance quasi exprimentale
du mystre de Dieu, plus intime l'me qu'elle-mme,de Dieu qui se fait sentir elle et agit constammentsur elle, dans l'preuve comme dans la consolation,tant pour dtruire ce qui doit mourir que pour rno-
ver et difier.
On peut vrifier ces assertions en consultant les
-
18 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
de saint Jean de la Croix, de sainte Thrse, des
vnrables Louis de Blois (1), Denys le Chartreux,
Tauler, du B. Henri Suso, du B. Barthlmy des Mar-tyrs, de saint Thomas d'Aquin, de saint Bonaventure,du B. Albert le Grand, de Denys le mystique, de saintAugustin.
Saint Thomas en particulier montrait les rapportsde ce qu'on appelle aujourd'hui l'asctique et la mystique en traitant des relations mutuelles de l'action et
de la contemplation. Avec saint Augustin et saint
Grgoire voici ce qu'il nous enseigne : La vie active, laquelle se rattache l'exercice des vertus morales de
prudence, justice, force, temprance (2), et les uvres
extrieures de charit, dispose la vie contemplative,
en tant qu'elle rgle les passions qui troublent la
contemplation, et en tant qu'elle nous fait grandir
dans l'amour de Dieu et du prochain (3). Ensuite Idcontemplation de Dieu, qui est propre aux parfaits, porte
l'action, la dirige et la rend beaucoup plus surnaturelle
et plus jconde (l\). Ainsi dans l'ordre naturel l'image
prcde l'ide et sert ensuite l'exprimer, l'motion
maxime Deo specialiter consecratae anirnae, ad actualem fruitivamunionem cum Deo aspirare et tendere t. II, p. 3 10 : Con-templationis supernaturalis gratia aliquando conceditur imperfec-tis, aliquando denegatur perfectis. Aliquando dsigne plutt
l'exception que la rgle. Item Thomas de Jsus, De contempla-tione divina, 1. 1, c. 9.
(1) Louis de Blois rsume admirablement l'enseignement tradi-tionnel sur ce point dans son Inslitutio spirilualis : chap. 1. Quetous les hommes doivent aspirer l'union Dieu. Chap. xu. Com-ment s'opre dans l'me arrive la perfection l'union mystiqueavec Dieu : 5 1. Celui qui persvre obtient ordinairement l'union
mystique ;... S 3. Quelques avis sur cette union ; S 4. Ses effets.
(a) S. Thomas, Sum. Theol., II* II", qu. 181, art. 1 et 2.
(3) Ibid., qu. 182, art. 3.
(4) Ibid., a. 4-
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 19
prcde le vouloir et sert ensuite excuter avec plus
d'ardeur la chose voulue; ainsi encore, dit saint Tho-
mas, nos actes engendrent une habitude, puis celle-
ci nous fait agir plus promptement et facilement (1).De la sorte, l'ascse ne cesse pas lorsque la vie con-templative commence ; mais au contraire l'exercicedes diffrentes vertus devient bien suprieur, lorsque
lame reoit la grce mystique de l'union presquecontinuelle avec Dieu.
Il y a des mes, remarque saint Thomas, qui par
suite de leur imptuosit sont plus aptes la vie
active, d'autres au contraire ont naturellement la
puret d'esprit et le calme qui les prpare davantage
la contemplation (2); mais toutes peuvent se dispo-
ser la vie contemplative (3), qui est la plus parfaite
et de soi la plus mritoire (4). L'amour de Dieu est,
en effet, plus mritoire que celui du prochain (5).C'est lui qui nous porte, dit saint Augustin, cher-
cher le saint repos de la divine contemplation (6). Et
si l'un des signes de la charit est la peine extrieure
que Ton s'impose pour le Christ, une marque beau-coup plus expressive est de mettre de ct tout ce qui
appartient la vie prsente et de trouver son bonheur
se livrer exclusivement la contemplation de
Dieu (7). Plus l'homme unit Dieu troitementson me ou celle d'un autre, et plus son sacrifice estagrable au Seigneur (8).
Saint Jean de la Croix a particulirement insist sur
ce point : la contemplation surnaturelle, dont il parle
dans La Monte du Carmet et La Nuit obscure, y appa-
(1) Ibid., a. 4, ad 2. (2) Ibid., a. 4, ad 3. (3) Ibid., a. 4, ad 3. (4) Ibid., a. 2. " (5) Ibid. (6) Cit de Dieu, 1. XIX, 19.- (7) II Ilac , qu. 182, a. 2, ad 1. (8) Ibid., ad 3.
-
20 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
rat comme le plein dveloppement de la vie de foi et de L'esprit de sagesse. La foi seule, dit-il, est le
moyen prochain et proportionn, qui peut unir l'me Dieu (i). La Foi pure, dans le dnuement etl'abngation de toul, porte beaucoup plus l'amour
divin que les visions spirituelles (2).
Cela s'entend, si l'on ne diminue pas, comme lefont plusieurs modernes, la surnaturalit essentielle de
la foi, et si l'on se souvient que cette vertu, mmeinforme ou spare de la charit, est, malgr son
obscurit, infiniment suprieure, par son objet pre-
mier et son motif, la plus haute connaissance natu-
relle des anges, ou mme la prvision surnaturelle desfuturs contingents naturels ; elle est du mme ordreessentiellement divin que la vision batifique. La foi
infuse, don de Dieu, est, dit saint Paul, la substance
des choses que nous esprons , et, surtout lorsqu'elle
s'accompagne des dons d'intelligence et de sagesse
un degr minent, elle est, pour ainsi parler, le com-mencement de la vie ternelle, inchoatio vitae aternae,dit plusieurs fois saint Thomas, de Veritate, qu. i4,
art. 2.
Si nous voulons comprendre toute la grandeur de
la vie de foi, dans laquelle tout chrtien doit progres-
ser, ce sont les matres de la mystique traditionnelle
qu'il faut lire. Et de leur point de vue, on ne s'ton-
nera pas que la vie mystique parfaite soit le point
culminant du dveloppement normal de la vie de la
grce. Ainsi l'unit de la doctrine et de la vie spirituelle
est maintenue malgr la diversit des tats intrieurs.
(1) S. Jean de la Croix, Monte du Carmel, tr. Hoornaert, ire d.,
liv. II, ch. 8, p. 118 ; ch. 2, p. 83 ; ch. 3, p. 89 ; introd., p. 76.
(2) Ibid., p. 241-2^2.
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL
# *
Thse de plusieurs modernes : sparation de ^asctique
et de la mystique
A partir des XVII e, et XVIII e sicles, plusieursauteurs ont pens devoir distinguer absolument et
pour ainsi dire sparer l'asctique et la mystique, qui
ont fait souvent ds lors l'objet de traits spciaux :
Directoire asctique et Directoire mystique ,
Cela se produisit la suite de vives discussions
occasionnes par les abus provenant d'un enseignement
prmatur et erron des voies mystiques. Ds l'poque
de sainte Thrse ces voies parurent si suspectes
plusieurs qu'il fallut dfendre les crits de saint Jean
de la Croix contre le reproche d'illuminisme, et des
suprieurs s'murent au point d'interdire leurs reli-
gieux la lecture des uvres du Vn. Tauler, de Rus-brock, du B. Henri Suso, de sainte Gertrude et de
sainte Mechtilde. Aprs la condamnation des erreurs
de Molinos, les voies mystiques furent plus suspectes
encore.
Ds lors, d'assez nombreux auteurs, excellents bien des gards, s'accordrent distinguer absolument
l'asctique et la mystique. Trop presss de systmati-
ser, d'tablir une doctrine pour remdier des abus,
et ports par suite classer les choses matriellement,
du dehors, sans en avoir une connaissance assez haute
et assez profonde, ils dclarrent que l'asctique doit
traiter de la vie chrtienne ordinaire , selon les trois
voies purgative, illuminative et unitive. Quant la
mystique, elle ne devait traiter que des grces
extraordinaires , dans lesquelles on fit entrer non
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22 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
seulement les visions et rvlations prives, mais
encore la contemplation surnaturelle confuse, les
purifications passives, l'union mystique.
Cette dernire n'apparat plus ainsi comme lepoint culminant du dveloppement normal de lagrce sanctifiante, des vertus et des dons; la contem-
plation infuse n'est plus la vie de la foi et l'esprit de
sagesse ports leur perfection, leur plein pa-
nouissement; mais elle parat se rattacher pluttaux grces gratis daiae, comme la prophtie, ou dumoins un mode tout fait extraordinaire ou mira-culeux des dons du Saint-Esprit. De sorte que cen'est pas seulement au sujet des visions et rvlations
prives, mais au sujet de l'union mystique avec Dieu
et de la contemplation infuse, que ces auteurs disent
aux mes dj trs ferventes : Ce sont l des grcesproprement extraordinaires qu'il ne convient pas de
dsirer, si l'on veut viter toute prsomption et mar-
cher par la voie de l'humilit : altiora te ne quaesieris.
N'y a-t-ii pas l une mprise, analogue celle de
ceux qui refusaient aux mmes mes la communionquotidienne, sous prtexte que l'humilit ne permet
pas de tendre si haut?
Ces auteurs distinguent ainsi une vie unitive dite
ordinaire , seule ncessaire, disent-ils, la perfec-
tion, et une vie unitive dite extraordinaire , qui
n'est pas mme requise, selon eux, pour la grandesaintet. De ce point de vue, l'asctique n'est pas
ordonne la mystique, et la perfection ou union
ordinaire , laquelle elle conduit, est normalement
un terme et non une disposition une union plusintime et plus leve. La mystique ds lors n'a d'im-
portance que pour quelques privilgis trs rares ;
-
LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 2 3
autant vaut presque l'ignorer pour viter la prsomp-
tion et l'illusion.
Pour remdiera un abus, n'tait-ce pas tomber dansun autre nettement signal en plusieurs passages dela Monte du Carmel (i) et du Cantique spirituel? Parmi
les meilleurs auteurs spirituels de la Compagnie deJsus, le P. Lallemant se plaignit assez vivement de
cette conception de la vie mystique, rpute quasi inac-
cessible, conception qui, selon lui, fermait la voie de
la haute perfection et de l'union intime avec Dieu (2).C'est ainsi qu'on a dtourn bien des mes de la lec-
ture de saint Jean de la Croix, qui est pourtant le ma-
tre qui prmunit le plus contre l'illusion et le dsir
des grces proprement extraordinaires (3).
# #
Retour la thse traditionnelle : unit de la doctrine
spirituelle.
On peut se demander si cette distinction absolue etce manque de continuit entre l'asctique et la mysti-
(1) Monte. Prologue, p. 3. Pour l'me, il n'y a pas d'tat plusinquitant et plus pnible, que celui de ne point voir clair en elle-mme et de ne trouver personne qui la comprenne. Mene parDieu sur les hauteurs de la contemplation obscure et de la sche-
resse, il lui paratra qu'elle s'gare, et au milieu des tnbres, souf-frances, angoisses et tentations, son directeur lui dira comme lesconsolateurs de Job : C'est de la mlancolie, de la faiblesse ; peut-
tre aussi gardez-vous une malice occulte d'o rsulte l'abandono Dieu vous laisse.
(2) P. Lallemant, La doctrine spirituelle. 7 principe, ch. vi, a. 3, 11 et 4 e principe, la docilit la conduite du St-Esprit, ch. 1,a. 3 ; ch. 1 1 , a. 2. Parmi les auteurs postrieurs de la Compagnie deJsus, voir aussi le P. de Caussade et le P. Grou.
(3) Monte, 1. II, ch. 10, 11, 16, 17, 20, 28.
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24 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
que i ne diminue pas notablement l'lvation de laperfection chrtienne qui est ici-bas le terme du progrsnormal de la grce sanctifiante et de la charit; 2 si
elle ne perd pas de vue que le progrs des dons duSaint-Esprit est proportionnel celui de la charit,
qui doit toujours grandir; 3 si elle ne confond pasavec les grces strictement extraordinaires les grces
minentes et peu communes accordes ordinairement lahaute perfection, elle-mme assez rare, vu la trs grandeabngation qu'elle suppose. Bref, ne confond-elle pas
l'extraordinaire de fait, qui est Vordinaire trs lev de
la vie d'union Dieu chez les saints ds ici -bas, et Vex-traordinaire de droit ou le miraculeux, qui n'est le plussouvent qu'un signe ou un secours transitoire d'ordreinfrieur la vie de la grce?
D'un mot, on peut se demander si cet enseignementne mconnat pas et n'amoindrit pas la doctrine tra-ditionnelle des grands thologiens et des grands mys-tiques sur la surnaturalit essentielle (i) de la vie de la
grce, de la foi, de la charit, des dons du Saint-Esprit; vie incomparablement suprieure au phno-mne en quelque sorte extrieur de l'extase, aux mira-cles et aux prophties, puisque sa perfection est commele prlude de la vision batifique, que l'me sainte,
dj parfaitement purifie, obtient normalement sanspasser par le purgatoire.
Ces questions ont amen, ces dernires annes, plu
sieurs auteurs, comme M. l'abb Saudreau, le P. Lam-balle, le P. Arintero, 0. P., rejeter une distinction
(i) Surnaturalit quoad substantiam , dit la saine thologie,par opposition la surnaturalit quoad modum du miraclesensible ou de la connaissance prophtique des vnementsfuturs.
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LE PROBLEME MYSTIQUE ACTUEL 25
aussi absolue entre l'asctique et la mystique, et
marquer la continuit qui existe entre l'une et l'autre.
Ils ont invoqu le tmoignage de saint Jean de la
Croix : Ceux qui dans la vie spirituelle s'exercent
encore la mditation, appartiennent l'tat des com-
menants. Lorsqu'il plat Dieu de les en faire sortir,
c'est dessein de les introduire dans la voie du pro-
grs, qui est celle des contemplatifs, et de les faire
arriver srement par ce moyen l'tat des parfaits,c'est--dire l'union divine (i). Cette dernire, dans
le langage de l'auteur de La Nuit obscure, est manifes-
tement d'ordre mystique. Et comme le montre leP. Lamballe (2), des divers textes de saint Jean de la
Croix il rsulte que la contemplation mystique est
ordinairement accorde aux parfaits, bien que certains
ne l'aient que d'une faon imparfaite et par
moments (3).
(1) Nuit obscure, 1. I, c. 1 (Trad. des Carmlites).
(2) E. Lamballe, eudiste, La Contemplation, Paris, Tqui, 1912,p. 61-71.
(3) Sans doute saint Jean de la Croix (Nuit obscure, 1. I, ch. ix)
dit : Sachez-le bien, Dieu ne mne pas la contemplation par-faite tous ceux qui s'adonnent avec rsolution la vie intrieure.
Pourquoi cela? Dieu seul le sait. De l vient qu'il y a des mesauxquelles Dieu ne retirejamais compltement la facult de produire
des considrations et des raisonnements, except pour un temps.
Mais les premiers mots que nous avons souligns : Dieu seul lesait , montrent que ce n'est pas l la foi foncire du progrs spi-rituel, au contraire. Ces mots sont une allusion la prdestination,que saint Jean de la Croix entend comme saint Thomas, car il dit,Monte, 1. II, c. k : Il est vrai que les mes, quelle que soit leurcapacit, peuvent avoir atteint l'union, mais toutes ne la poss-dent pas au mme degr. Dieu dispose librement de ce degr d'unioncomme il dispose librement du degr de la vision batifique. C'estce que dit saint Thomas, Ia , q. 23, a. 5. Or la prdestination de telleme plutt que de telle autre ne concerne pas directement le pro-blme pos dans cet article : l'union mystique est-elle ici-bas le
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26 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
Sainte Thrse parle de mme; voir notamment LeChemin de la perjecllon, c. 20 : La misricorde de
Dieu est si grande qu'il n'empche personne d'aller
boire cette source d'eau vive (la contemplation
infuse),... mais plutt II nous y appelle haute voix;
dans sa bont cependant II ne nous y force point.
La Sainte enseigne toujours ses filles qu'elles doi-
vent faire tous leurs efforts pour se disposer rece-
voir cette prcieuse grce, bien que certaines mes
malgr leur bonne volont n'en connaissent pas ici-bas
les joies. La contemplation peut avoir en effet assez
longtemps une forme aride, pendant laquelle on peut
tre contemplatif sans le savoir (1). Pie X, dans sa lettre
du 7 mars 191 4 sur la doctrine de sainte Thrse,nous dit que les degrs d'oraison numrs par elle sont
sommet du dveloppement normal de la grce sanctifiante des ver-tus et des dons? La preuve en est que, en tous les justes, la grceest essentiellement ordonne la gloire, et pourtant ils ne sontpas tous prdestins la gloire, quelques-uns en effet perdent la
grce et meurent en tat de pch mortel. Multi sunt vocati,pauci vero electi.
(1) On voit que c'est ainsi qu'il faut entendre certaines restric-tions de sainte Thrse nonces dans Le Chemin, c. 17, et dans
Le Chteau, 5 e demeure, c. 3, lorsqu'on les rapproche du principegnral qu'elle formule et dveloppe, Chemin, ch. 18, 20, 25, 29.Voir sur la conciliation des diffrents textes de sainte Thrse le
le P. Arintero, Evolution mistica, page 63g, note 2, et Cuestionesmislicas, p. 3o5 ss.> ainsi que l'excellent travail du P. Gara te,Razon y Fe, Jul. 1908, p. 325. Il est sr que les joies de l'unionmystique ne sont pas ncessaires la perfection et que la contempla-tion surnaturelle est souvent fort aride et douloureuse. Sainte Th-
rse dit, Chteau, 5 e dem., ch. 1, en parlant des religieuses de ses mo-nastres : Il en est bien peu qui n'entrent dans cette 5 e demeure.Comme il y a du plus et du moins, je dis que la plupart y entrent.Certaines des particularits qui s'y rencontrent, sont, je crois, le par-
tage du petit nombre; mais si les autres ne font qu'arriver jusqu'la porte, c'est dj de la part de Dieu une immense misricorde,car il y a beaucoup d'appels, peu d'lus.
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LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 27
autant d'ascensions suprieures vers le sommet de laperfection chrtienne : docet enim gradus orationis
quot numerantur, veluti totidem superiores in chris-
tiana perfectione ascensus esse.
Aussi, selon plusieurs thologiens contemporains,
chaque jour plus nombreux et particulirement sou-cieux de conserver renseignement traditionnel, tel
qu'il se trouve formul chez les grands classiques de
la mystique, pour toute me Intrieure, il est louable de
dsirer la grce de la contemplation mystique et de s'y
disposer avec l'aide de Dieu, par une fidlit toujours
plus grande ses saintes aspirations (1).
Selon ces thologiens, notamment selon le P. Arin-tero, la vie mystique est caractrise par la prdominance
(1) Cf. S. Jean de la Croix, Monte du Carmel, Prologue, trad. H.
Hoornaert : Pour atteindre la lumire divine et l'union parfaitede l'Amour de Dieu je parle de ce qui peut se raliser ici-bas Vaine doit traverser la Nuit obscure, et sans aucun doute pourexpliquer cette Nuit et la faire comprendre, il faudrait une scienceplus profonde et une exprience plus grande que les miennes...J'espre que le Seigneur m'aidera dire des vrits utiles, pourvenir ainsi en aide tant d'mes qui en ont un besoin pressant.Aprs les premiers pas dans le chemin de la vertu, quand le Sei-gneur dsire les faire entrer dans la Nuit obscure pour les mener l'union divine, il en est qui ne vont pas plus loin. Parfois c'est ledsir qui fait dfaut, ou elles ne veulent pas s'y laisser mener;parfois c'est cause de l'ignorance, ou parce qu'elles cherchent,sans le trouver, un guide averti capable de les conduire au som-met. Il est vraiment navrant de constater que tant d'mes favori-ses par le Seigneur de dons et de grces exceptionnels (il neleur faudrait parfois qu'un peu de courage pour arriver unehaute perfection) se contentent de relations infrieures avecDieu. Tout ce prologue a pour but de corriger de multipleserreurs de direction. Et l'on sait que, pour saint Jean de la Croix,la Nuit obscure est une priode de la contemplation mystique. 11le dit dans ce mme Prologue : Mene par Dieu sur les hauteursde la contemplation obscure et de la scheresse, il lui paratraqu'elle s'gare...
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28 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
des dons du Saint-Esprit (i). L'asctique, disent-ils,
traite de la vie chrtienne des commenants et de ceuxqui avancent, avec le secours de la grce, dans l'exer-
cice des vertus chrtiennes,, dont le mode reste unmode humain, adapt celui de nos facults. Tandis
que la mystique traite surtout de la vie unitive des par-
faits, o se manifeste clairement le mode divin des dons
du Saint-Esprit, dans l'exercice desquels l'me est plus
passive qu'active, et o elle obtient une connaissance
quasi-exprimentale de Dieu prsent en elle, commel'explique saint Thomas, I a II ae
, q. 68, et i Sent. d. i/i,
q. 2, a. 2, ad 3. Ces dons, nous dit le grand Doc-
teur, existent dans toutes les mes en tat de grce ,mais normalement ils ne prdominent ou ne s'exer-
cent d'une faon la fois frquente et manifeste que
chez les mes mortifies, trs humbles, et habituelle-
ment dociles au Saint-Esprit en toutes circonstan-ces. Certaines excellent dans les dons relatifs la vie
active, comme le don de force, d'autres dans ceux dela vie contemplative, comme l'intelligence et la sagesse.Ces dernires mes surtout entrent dans les voies
passives , parce qu'elles ne se dirigent pour ainsi dire
plus elles-mmes, mais sont habituellement diriges
immdiatement par Dieu. Il donne leurs actes ce
mode que Lui seul peut leur communiquer, commelorsqu'un grand Matre dirige son lve en lui tenant
la main. Ces actes sont ainsi doublement surnaturels
(reduplicative, diraient les scolatiques) : par leur essence,
comme les actes des vertus chrtiennes de la vie asc-tique, et par ce mode suprieur qui dpasse le simple
(i) Ces dons sont spcifiquement distincts des vertus infuses,Iall
ae, p, 68, a. i.
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LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 29
exercice des vertus chrtiennes aides de la grce
actuelle; c'est ce qui permet sainte Thrse de parler
u d'oraison surnaturelle lorsque commencent les
voies passives (1). Ce mode divin des actes surnaturels,qui proviennent immdiatement des inspirations du
Saint-Esprit, n'est pourtant pas quelque chose de pro-
prement extraordinaire, comme un miracle, unevision, une prophtie, mais quelque chose d'minnt,
et d'ordinaire chez les parfaits qui vivent habituelle-
ment recueillis dans l'adoration du mystre de la sainte
Trinit prsente en eux (2).
De fait tel est le sujet principal trait par tous les
grands thologiens mystiques depuis Denys jusqu'
Tauler et saint Jean de la Croix, qui dsigne souvent
d'un seul mot la Foi cette vertu et le don de sagesse
un degr suprieur.Secondairement ces Matres , ont parl des phno-
mnes en quelque sorte extrieurs, qui accompagnent
certains degrs de l'union mystique, comme l'extase,qui disparat avec l'union transformante. Et ils ont
toujours trs profondment distingu de cette union
tout intime avec Dieu, terme de leurs dsirs et de
toute leur vie, les grces extraordinaires d'ordre inf-
(1) Voir sur ce point, parmi les auteurs dominicains : Suzo,uvres mystiques ; Tauler, Sermons ; le P. Piny, L'abandon lavolont de Dieu; parmi ceux de la Compagnie de Jsus, les excel-lents ouvrages du P. Lallemant, la Doctrine spirituelle; du P.Grou, Maximes spirituelles, 2 e Max.; du P. de Caussaue, L'Aban-don la Providence. Chez saint Jean de la Croix, Nuit obscure,au dbut.
(2) Un effet miraculeux sensible, comme la vie rendue un cada-vre, n'est pas surnaturel dans son essence mais seulement dans lemode de sa production; tandis que l'exercice des dons du Saint-Esprit est surnaturel et dans son essence et dans son mode, quoadsubstantiam et quoad modum.
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3o PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
rieur, comme les visions ou la connaissance proph-tique de L'avenir, que, selon eux, nous ne devons pasdsirer.
De ce point de vue, des interprtes de saint Jean dela Croix, comme le P. Lamballe et le P. Arintero (i),considrent que Y union transformante ou mariage spi-rituel est, ici-bas, le sommet du dveloppement normalde la vie de la grce chez les mes pleinement fid-les au Saint-Esprit, surtout chez celles consacres
Dieu et appeles la vie contemplative.
Quelques-uns ont pens que ce terme normal duprogrs spirituel ne dpasse pas la quitude, aprs
laquelle commencerait l'extraordinaire proprement
dit, avec l'union et l'extase (2).
Mais il semble bien, par ce que dit sainte Thrse
des mes qui ne dpassent pas la quitude, qu'il y aeu chez elles un manque de fidlit au Saint-Esprit etque normalement elles auraient d arriver uneunion Dieu plus profonde qu'elle appelle un plushaut degr de perfection (3).
(1) Lamballe, La Contemplation, 195. Arintero, Evolutionmistica, p. 46o-48o; Cuestiones misticas, p. 60, p. 671, note : expli-
cation des grces ncessaires l'union transformante. M. Ch.Sauv parat favorable cette thse dans tats mystiques, pp. 85,90-96, ioo-io5, 139-11, 162...
(2) M. Saudreau avait moins clairement affirm dans les premi-res ditions de ses livres que Vunion transformante est le sommetdu dveloppement normal de la vie de la grce ici-bas; nousavions mme pens que selon lui ce sommet ne dpassait pas laquitude, ce que nous ne pouvions admettre. On voit parce qu'il dit dans la 2 e dition de l'tat mystique, p. 5i et 192, et
dans la 3 e dition de la Vie d'union Dieu, p. 259, n. 1, que noussommes tout fait d'accord. Dans ce dernier endroit il dit nette-ment : Avec ces oraisons surnaturelles ordinaires, sans jamaisavoir eu d'extase, ni de vision, l'me peut aller jusqu' l'uniontransformante, sommet de la vie spirituelle.
(3) Ste Thrse, Vie, ch. xv : II y a un trs grand nombre d'-
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LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 3i
Saint Jean de la Croix s'exprime de mme (i).Il se peut bien que l'extase n'implique (au moins
ncessairement) rien d'extraordinaire au sens propre
du mot. Elle parat souvent provenir de la faiblesse
de l'organisme qui djaille sous l'action divine; elle
peut n'tre que le contre-coup d'une grce intrieure
profonde, qui absorbe toute l'attention et toute la force
de l'me sur Dieu, qui lui est intimement prsent et
qui se fait sentir elle. De ce point de vue, il yaurait continuit entre tous les degrs de l'union
mystique, de la quitude l'union transformante, o
l'me ne connat plus la faiblesse de l'extase ,
selon l'expression de sainte Hildegarde.
Telle est la pense du P. Lam balle, du P. Arinteroet de plusieurs autres thologiens contemporains que
mes qui arrivent cet tat (l'oraison de quitude), mais celles quipassent plus avant sont rares... Chteau de l'me, IV e Demeure,ch. 3, et V e Demeure, en. i propos de l'entre dans cette cin-quime demeure (suprieure la quitude) : Encore que toutes...soyons appeles la contemplation... il y en a peu qui se disposent
voir le Seigneur leur dcouvrir cette perle prcieuse dont nousparlons. Car bien qu'en ce qui regarde l'extrieur il n'y ait rien
reprendre notre conduite, cela ne suffit pas pour arriver un sihaut degr de perfection. Quel besoin nous avons de bannir toutengligence.
(i) Particulirement lorsqu'il dcrit (Nuit obscure, 1. II, ch. i8
20) les dix degrs de la charit numrs par saint Bernard, onvoit nettement que les degrs infrieurs doivent conduire norma-lement, selon lui, aux degrs plus levs et au plus haut de tous.Or il ajoute que le progrs de la contemplation est proportionnel celui de la charit. Toute l'uvre de saint Jean de la Croix parat
bien manifester la continuit des degrs de l'union mystique jus-
qu' l'union transformante. Quelques-uns, il est vrai, ont pensque saint Jean del Croix n'crit que pour quelques rares con-templatifs. 11 dit pourtant lui-mme, la fin du Prologue de laMonte du Carmel, qu'il propose une doctrine substantielle etsolide qui s'adresse aux uns et aux autres, condition qu'on sedcide passer par la nudit de l'esprit.
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3 2 PERFECTION CHRTIENNE ET COiNTEMPL.VION
nous avons consultes. Ils tiennent en outre que l'oraisonaffective simplifie, qui prcde l'oraison proprementmystique ou passive, est normalement une disposition recevoir celle-ci. Il y aurait ainsi continuit entre
l'asctique et la mystique. La premire serait caract-
rise par le mode humain des vertus chrtiennes, laseconde par le mode divin des dons du Saint-Esprit,intervenant non plus seulement de faon latente outransitoire, mais d'une manire la fois manifeste et
frquente. Avant l'tat mystique ou passif, il y aurait,dans une priode de transition (celle de l'oraison desimplicit dcrite par Bossuet) des actes mystiques pas-
sagers, qui de soi disposeraient l'me la vritable
vie d'union ; celle-ci serait Yge adulte ou parfait de
la vie spirituelle, ou la vie de la grce devenue en
quelque sorte consciente d'elle-mme. .
S'il en est ainsi, et les raisons apportes par les
auteurs cits sont srieuses, nous le verrons, l'me qui
n'a rien encore de la vie mystique, n'a pas dpass
lenfance ou l'adolescence de la vie spirituelle. Elle
doit se rappeler la parole de saint Paul : Ne soyez
pas des enfants sous le rapport du jugement, mais
faites-vous enfants sous le rapport de la malice, et,
pour le jugement soyez des hommes faits (I Cor. xiv,20). Cette me n'est pas arrive la maturit spiri-tuelle, l'ge parfait accessible ici-bas; elle peut avoir
une grande culture, mme thologique, beaucoup desavoir faire dans la conduite de la vie, de la prudence,
de la foi, de la charit, du zle, de l'enthousiasme,
une grande activit apostolique ; mais, malgr ses
vertus chrtiennes solides, malgr son zle, elle n'est
pas assez spiritualise, sa manire de vivre reste trop
humaine, trop extrieure, encore trop dpendante
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LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 33
du temprament; on ne voit pour ainsi dire pas en
elle ce mode divin, tout surnaturel, de penser, d'aimer
Dieu et d'agir, qui caractrise ceux qui sont vraiment
morts eux-mmes et parfaitement dociles au Saint-
Esprit. Seuls, ces derniers ont, ordinairement, en
toutes circonstances agrables ou pnibles, le sens
du Christ pour juger sainement des choses spiri-tuelles, pour concilier habituellement dans leur vie
des vertus en apparence les plus opposes : la simpli-
cit de la colombe et la prudence du serpent, la force
hroque et une mansutude pleine de tendresse, l'hu-
milit du cur et la magnanimit, une foi absolument
intransigeante sur tous les principes et une grande
misricorde pour les gars, une vie intrieure intense,
un recueillement continuel et un trs fructueux apos-
tolat.
Cette dernire conception des rapports de l'ascti-
tique et de la mystique mrite considration; ceux
qui ont lu et mdit souvent les grands matres de la
mystique traditionnelle inclineront, croyons-nous,
dans ce sens, en se rappelant les principes suivants,
expression sre de la doctrine de saint Thomas.
i" La perfection chrtienne se trouve dans l'union
Dieu, laquelle suppose en nous le plein dveloppe-
ment de la charit, des autres vertus, des dons duSaint-Esprit qui supplent l'imperfection de ces ver-
tus et sont en nous le principe immdiat de la con-
templation surnaturelle.
2 Les trois vertus thologales sont surnaturelles dans
leur essence (quoad substantiam) cause de leur motif
3
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34 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
formel et de leur objet propre, inaccessibles l'un et
l'autre la seule raison ou mme la plus hauteconnaissance naturelle des anges. Plusieurs tholo-
giens, suivant la direction infrieure du nominalisme,ont pens au contraire que les actes de foi et des
autres vertus chrtiennes sont des actes subtantielle-
ment naturels, revtus d'une modalit surnaturelle(supernaturales quoad modurn tantum et non vi objectiformalis). Ils ressembleraient ainsi beaucoup plus
une affection naturelle surnaturalise, qu' une affec-
tion surnaturelle dans son essence et par son motif
formel. Il y a une immense diffrence entre ces deuxconceptions de la foi et des autres vertus thologales.
Seule la premire est vraie (i) et fait bien voir pour-
quoi la foi au mystre de la sainte Trinit est infini-
ment suprieure aux intuitions naturelles du gnie,ou mme la prvision surnaturelle d'un vne-ment futur comme la fin d'un flau, suprieure engnral aux grces gratis datae (2).
3 Les dons du Saint-Esprit sont doublement surna-
turels, non seulement dans leur essence (comme lesvertus thologales et les autres vertus infuses), mais
dans leur mode d'action;par eux l'me ne se dirige
plus elle-mme avec le concours de la grce, mais
elle est dirige et mue immdiatement par l'inspira-tion divine; et lorsque par une fidlit parfaite au
(1) Nous l'avons longuement dmontr ailleurs : De Reuelatior.et.'I, p. 202-217; 458-5i5. Cf. S. Thomas, IIa IIae , q. 5, a. 1 : Inobjecto fidei est aliquid quasijormale, scilicet veritas prima superomnem naturalem cognitionem creaturae exislens, et aliquid mate-riale, sicutid, cui assentimus, inhaerendo primae veritati.
(2) Ia llae, q. m, a. 5 : Utrum gratia gratis data sit dignior
quam gratia gratum faciens.
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LE PROBLME MYSTIQUE ACTUEL 35
Saint Esprit elle vit habituellement sous le rgime des
dons, elle est dans un tat passif.4 Ces dons, qui nous rendent dociles au souffle de
Dieu, grandissent avec la charit comme les vertusinfuses. Or la charit doit ici-bas toujours grandir, par
nos mrites, par la sainte communion. Qui n'a-vance pas recule, car. selon la remarque de saint
Augustin et de saint Thomas (i), le premier prcepten'a pas de limite et seuls les saints l'accomplissent
parfaitement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu detout ton cur, de toute ton me, de toutes tes for-
ces, de tout ton esprit . (Luc, x, 27.)5 Si nous considrons, non pas tant ce qui est de
jait que ce qui devrait tre de droit, non pas la fra-gilit de notre nature et la versatilit de notre libre
arbitre, mais l'essence mme de la grce reue aubaptme et de la charit, il faut dire que, normale-
ment ou selon sa loi foncire, la grce ne devrait jamais
se perdre, bien que beaucoup de chrtiens tombent
dans le pch mortel. De mme cette vie de la grce,germe de la gloire, commencement de la vie ternelle,devrait normalement se dvelopper assez pour que le
feu de la charit nous purifit de toute souillure avant
La mort et nous permt d'entrer au ciel sans passer
par le purgatoire; car c'est par notre faute que nous
serons retenus dans ce lieu d'expiation o il n'y a
plus de mrites. Il serait dans l'ordre radical de voir
Dieu face face sitt aprs la mort, et c'est pourquoi
les mes du purgatoire souffrent tant d'tre prives
de cette vision. Selon la loi foncire de la vie de la
grce, les purifications douloureuses, qui dlivrent
(i)llallae, q . ,84, a. 3.
-
:
36 PERFECTION CHRTIENNE ET CONTEMPLATION
1 me de ses scories, devraient donc, comme chez lessaints, tre mritoires et prcder la mort, non la
suivre. Si telle est la vrit, pourquoi l'union mysti-
que, accompagne de ces purifications passives, ne
serait-elle pas l'panouissement normal de la vie de la
grce, bien que assez peu d'mes y arrivent de fait,
comme peu conservent l'innocence baptismale ? Pour-quoi ne serait-ce pas, sinon l'ordinaire de fait, l'ordre
e droit au terme d'une vie intrieure trs gnreuse?
L'extraordinaire n'en resterait pas moins dans la colla-
tion de ces grces minentes ds l'enfance, comme ilest arriv chez plusieurs saints.
Pratiquement, tout le monde en convient, il imported'viter deux excs dans la direction : faire quitter
aux mes la voie asctique ou trop tt ou trop tard.
Trop tt les expose tomber dans l'oisivet d'un qui-
tisme ou semiquitisme pratique. Trop tard les expose
soit abandonner l'oraison, parce qu'elles ne trouvent
plus de profit dans la mdiation discursive o l'on
veut les maintenir, soit ne rien comprendre la
voie obscure mais beaucoup plus spirituelle, par
laquelle le Seigneur commence les conduire. Sur cepoint saint Jean de la Croix, dans La Monte, 1. II,
c. xii-xm, et La Nuit obscure, nous a laiss les ensei-
gnements les plus prcis. Parmi les ouvrages rcents,
un de ceux qui gardent le mieux, selon nous, la justemesure, est celui de Dom Vital Lehodey : Les voies deVoraison mentale, 5 e d. p. 227-236, 4og.
Que dit enfin Vexprience ? Ne dit-elle pas que le Jaitet le droit finalement s'harmonisent, au terme dumoins d'une sainte vie? Tous les saints canoniss
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