Perception et perspective : métamorphoses de la représentation picturale occidentale du Moyen...
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Revue francophone d'orthoptie 2013;6:73–76 Histoire / Art et vision
Perception et perspective :métamorphoses de la représentationpicturale occidentale du Moyen Âgeà la Renaissance
Perception and perspective: Metamorphisms of theoccidental image representation from the middle Agesto the Renaissance
Catherine Véron-Issad
APHP-HICSA-GRANIT, 75005 Paris, FranceRÉSUMÉCet article a pour but d'évoquer de façon très schématique l'évolution de la représentationpicturale, de la période médiévale à la première Renaissance. Il veut montrer, au travers dequelques exemples, que la création de l'œuvre d'art et sa perception obéissent d'abord à descritères sociaux et culturels et que la fonction dévolue à une image influe de façon majeure sur salecture.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
SUMMARYThe aim of this article is to schematically evoke the evolution in image representation from theperiod of the middle ages to the renaissance. Using some examples, it attempts to show that thecreation of a work of art and its perception firstly obeys social and cultural criteria, and that thefunction devolved to an image greatly influences its interpretation.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Mots clésImagesPerceptionArt médiévalFresqueReprésentation abstraiteArt de la Renaissanceinnovations picturalesRéalismePerspective.
KeywordsImagesPerceptionMedieval ArtFrescosAbstract representationRenaissance art
INTRODUCTIONqualités narratives de l'image. Comme dans Painting innovations
RealismPerspective.
1Le Moyen Âge, période que l'onsitue entre le V
e siècle et la fin duXIIe, est caractérisé par plusieurs
temps forts, qu'une visionchronologique linéaire ne peutdéfinir. L'art médiéval est pluriel etles influences multiples. À ce sujetconsulter l'ouvrage collectif, sousla direction de PhilippePLAGNIEUX, L'Art du Moyen Âgeen France, V
e-XVe siècles Citadelleset Mazenod, France, 2010.
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La représentation picturale n'a pas toujoursété telle que nous la concevons aujourd'hui.La perception d'une image peut se définircomme le moyen par lequel l'individu donnesens à ce qu'il voit. Si l'œil, organe sensoriel,détecte, le cerveau interprète le stimuli et luidonne sens. Ainsi, la lecture et la compréhen-sion d'une image comme celle d'un texte, obéità des lois façonnées par la culture etl'éducation.
L'ART MÉDIÉVAL 1
À l'époque médiévale, les représentationspicturales ont surtout mis en évidence les
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2013.05.001
l'art byzantin, la représentation du mondeest d'abord abstraite : l'image traduitune pensée et une philosophie de l'universet ne s'intéresse que peu à une reproductionréaliste du monde. Les artistes transposentplastiquement une connaissance abstraitedu monde. On représente l'essencedes êtres et des choses, ce qui estpermanent.Les artistes s'inspirent le plus souvent destextes religieux. Le but recherché est essen-tiellement moralisateur, dogmatique voireagiographique et se fait à partir de program-mes iconographiques construits par des théo-logiens. L'artiste synthétise et propose unprogramme iconographique allégorique quise veut édifiant.
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Figure 1. a : Cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation, Le Puy en Velay, fresque romane du XIIe siècle représentant le martyr de sainte
Catherine d'Alexandrie. Située dans une des chapelles du bras gauche du transept. Cliché CI ; b : Cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation, Le Puy en Velay, fresque romane du XII
e siècle représentant le martyr de sainte Catherine d'Alexandrie. Située dans une deschapelles du gras gauche du transept. Cliché CI (détails).
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La peinture romane2
La peinture romane est étrangère à tout illusionnisme et uneconstante demeure : le refus d'imiter l'apparence du mondevisible. Le médium de prédilection des artistes romans est lafresque3 ; les murs des églises se couvrent de programmesiconographiques complexes et admirables.Afin d'illustrer ce propos, prenons l'exemple de la fresque de lachapelle Sainte Catherine (Fig. 1a et b) située dans le transeptnord de la cathédrale du Puy en Velay, modèle d'architectureromane auvergnate des XI
e et XIIe siècles. Cette fresque est
enchâssée dans un cul de four4. L'artiste, (ou les artistes
2 Le terme d'art Roman couvre généralement la période allant du XIe siècle à la
fin du XIIe.
3 Fresque : technique de peinture murale caractérisée par l'application sur enduitfrais de pigments de couleur détrempés à l'eau.4Cul de four : voute en forme de quart de sphère.
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inconnus), a peint la totalité de cet espace pour représenterle martyr de la sainte. Celle-ci se tient debout derrière une rouedentelée, symbole de son martyr. À sa droite, le roi et les savants(détail 1) qui l'ont condamnée au supplice sont rassemblés sousce qui paraît être une architecture, et deux groupes compacts depersonnages (détail 2) figurent de chaque côté de la roue. Ce quiest remarquable ici, c'est que toute profondeur est abolie, lesfigures sont assujetties à un plan unique et les proportions nesont pas respectées, bien que les volumes soient suggérés parles plissés des tissus. En revanche, nous pouvons suivre pasà pas l'itinéraire spirituel de la sainte au travers des élémentsfigurés de son martyr.Les images peintes tout comme les sculptures romanes sontinvesties d'une valeur hautement spirituelle et obéissent à unmode de pensée. Le peintre cherche, au moyen d'une échellephysique, à traduire un statut social ou un degré de sainteté.C'est la taille des personnages ou leur position dans la compo-sition qui signale leur situation sociale ou leur place dans lahiérarchie céleste. L'artiste ne cherche pas à figurer un lieu ouun temps précis mais il utilise l'image comme unité de lieu ou
Figure 2. Jean Pucelles, Bréviaire de Belleville, David et Saul,24 � 17 cm, BNF, Paris.
Figure 3. Anonyme, Paris, milieu du XIVe siècle, Portrait du roi Jean
II le Bon, (1319-1364) alors qu'il n'était encore que Duc deNormandie, 60 � 44,5 cm, panneau de bois, fond d'or, Paris,
Musée du Louvre (cliché CI).
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de temps. Ainsi, Catherine est-elle le plus grand personnagereprésenté et le plus haut situé dans cette composition de lacathédrale du Puy en Velay.
La peinture gothique5
La période gothique va être marquée par des changementssociaux qui vont progressivement transformer le moded'expression des artistes. Une culture laïc et profane émergeen parallèle du développement d'une aristocratie de courprincière et de la création des premières universités européen-nes. Progressivement les artistes s'écartent des conventionsromanes pour introduire des représentations du mondesensible.Cette période voit essentiellement se développer l'art du vitrailet de l'enluminure6. Le mécénat à la cour de France va influerde façon singulière sur la production de livres illustrés : livresd'heures, d'histoire, romans épiques et courtois vont contribuerà l'élaboration d'une illustration profane. L'homme et la naturevont être l'objet d'une observation précise et les artistes vontchercher à les représenter de façon de plus en plusvraisemblable.Ainsi, Jean Pucelle, enlumineur parisien, actif au début du XIV
e
siècle, introduit, dans la représentation d'une scène bibliqueappartenant au Bréviaire de Belleville, (Fig. 2) des élémentsréalistes comme une botte de blé et un mouton. Son sens dudétail trouve son apogée dans la représentation extrêmementprécise et délicate d'un singe, d'insectes et d'escargot pré-sents dans le décor de la marge.C'est également à cette période que va se développer l'art duportrait individuel, tel le portrait du roi Jean Le Bon, (Fig. 3) undes tous premiers portraits peints qui nous soit parvenu. C'estbien la personne du roi Jean, parfaitement individualisée etdifférentiée, qui est représentée et non la fonction royale ouducale. Les traits du visage sont singuliers et la représentationde profil évoque l'influence des médailles antiques sur lesquel-les figuraient les profils des empereurs romains.
L'ÉCLOSION DE LA RENAISSANCE
À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle et surtout au XIV
e
siècle, les peintres commencent à substituer aux formules
5 La période gothique en France, s'étend de la fin du XIIe siècle à la fin XIV
e siècle.Nous verrons qu'en Italie on parle de première Renaissance dès le XIV
e siècle.6Enluminures : décors peints à la main ornant les manuscrits dont le but est derendre plus aisée la lecture de ces ouvrages.
stéréotypées médiévales de nouveaux codes de représenta-tions basés sur un système figuratif fondé sur les perceptionsvisuelles. Cette volonté de représenter le monde de façonvraisemblable répond à une évolution générale de la sociétédans ses organisations, ses comportements, ses manières depenser et de sentir. Les artistes sortent de l'anonymat, ils sontidentifiés et reconnus dans leur singularité. Les innovationspicturales se multiplient. Si la fresque reste encore le supportprincipal de l'expression artistique, la dévotion particulière et lemécénat laïc diversifient le champ d'action des artistes. Lamultiplication des retables ou tableaux d'autel et des petitspanneaux offrent aux artistes des supports à l'innovation artis-tique et à la création.Mais c'est le XV
e siècle qui voit en Italie comme en Flandres,une véritable révolution picturale s'effectuer avec cependantdes moyens très différents.Les Flamands, portent au plus haut point un réalisme analytiquequi s'exprime par une volonté affirmer de rendre réel l'objetreprésenté, avec un souci du détail poussé à son paroxysme.Cela est particulièrement sensible dans l'art du portrait commeen témoigne ce petit tableau de Hans Memling7 (Fig. 4).À la même période, en Italie, l'introduction d'une perspectivemathématique sert à l'expression d'une structure claire dumonde en accord avec le néo platonisme8. Un sculpteur et
7Hans Memling : peintre primitif flamand, vers 1435-1494.8Néo-Platonisme : doctrine philosophique mêlant le mysticisme et le systèmeplatonicien.
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Figure 4. Hans Memling, 1433-1494, Portrait d'un homme avec unepièce romaine, huile sur panneau de bois, Musée des Beaux Arts,
Anvers, (cliché CI).
Figure 5. Masolino da Panicale dit Masaccio, fresque de la chapelleBrancacci, 1425, Florence, (cliché EJ).
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architecte florentin, Brunelleschi9, met au point la perspectivelinéaire établie selon un seul point de fuite, procédé mathé-matique qui donne l'illusion de profondeur spatiale repris pardes artistes comme Masaccio10 (Fig. 5).
CONCLUSION
En l'espace de quelques siècles, la représentation picturaleeuropéenne a subi de profondes mutations, reflets des trans-formations des sociétés et des mentalités. Les missions et lesfonctions des images peintes, outre leur valeur décorative,répondent à la perception du monde et se modifient en fonctiond'innovations techniques. Des découvertes scientifiques, enoptique notamment, vont apporter aux cours des siècles sui-vants de nouvelles inventions artistiques.
Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cetarticle.
9Brunelleschi : 1377-1446, architecte et peintre florentin.10Masaccio : Tommaso di Giovanni Cassai dit Masaccio, peintre italien,1401-1428.