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LA FRUGIVORIE DE CIVETTICTIS CIVETTA (SCHREIBER) ET SON RÔLE DANS LA DISPERSION DES GRAINES AU MAYOMBE Geneviève PENDJE Laboratoire de Botanique Tropicale, Université de Paris VI* En Afrique tropicale, la frugivorie de Nandinia binotata est bien connue. Charles-Dominique ( 1 978) a dénombré 10 espèces différentes de fruits dans 22 contenus stomacaux analysés au Gabon. Il estime à 80 % du poids frais total la part des fruits dans l'alimentation de ce Viverridé. La frugivorie de Civettictis civetta est également classique (Rosevear, 1974; Kingdon, 1 977; Estes, 1991). Berry ( 1 988) a montré que le régime à la fois frugivore et insectivore de l'espèce, explique sa présence jusque dans les zones arides pourvu qu'elle dispose d'une source d'eau pérenne. Un trait comportemental caractéristique de la Civette africaine consiste à déposer régulièrement ses fèces au même endroit (Rahm, 1 966 ; Dorst et Dandelot, 1 970). De telles latrines se situent souvent dans des cavités naturelles (Randall, 1 982). C'est ce que nous avons observé en forêt du Mayombe. L'analyse du contenu de ces latrines a été entrepris pour apporter de nouvelles informations sur la frugivorie de la Civette et sur son rôle comme agent disséminateur de graines. LE SITE D 'ÉTUDE Le Mayombe zaïrois se situe à la pointe méridionale extrême de la forêt guinéo-congolaise, juste au-dessus du bief maritime du fleuve Zaïre (ou Congo). Sa végétation naturelle appartient à la forêt dense humide planitiaire de type semi-sempervirent selon la classification de White (1989). Suite à une pression démographique sans cesse croissante, la forêt primitive ne subsiste plus q ue sous forme d'îlots entourés de forêts remaniées, de formations secondaires et de recrûs forestiers. La faune y subit une exploitation intense et les gros mammifères ont disparu. Les Viverridés sont actuellement représentés par Bdeogale nigripes et A tilax pa/udinosus (Herpestinae), Nandinia binotata (Paradoxurinae) et Genetta tigrina, G. serva/ina et Civettictis civetta (Viverrinae) (Pendje et Baya, 1992). Adresse : 12, rue Cuvier, F-75005 Paris. Rev. Eco/. ( Terre Vie) , vol. 49, 1994. 107 -

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LA FRUGIVORIE DE CIVETTICTIS CIVETT A (SCHREIBER) ET SON RÔLE DANS LA DISPERSION DES GRAINES

AU MAYOMBE

Geneviève PENDJE

Laboratoire de Botanique Tropicale, Université de Paris VI*

En Afrique tropicale, la frugivorie de Nandinia binotata est bien connue. Charles-Dominique ( 1 978) a dénombré 10 espèces différentes de fruits dans 22 contenus stomacaux analysés au Gabon. Il estime à 80 % du poids frais total la part des fruits dans l'alimentation de ce Viverridé. La frugivorie de Civettictis civetta est également classique (Rosevear, 1974; Kingdon, 1 977; Estes, 1 99 1 ). Berry ( 1 988) a montré que le régime à la fois frugivore et insectivore de l'espèce, explique sa présence jusque dans les zones arides pourvu qu'elle dispose d'une source d'eau pérenne. Un trait comportemental caractéristique de la Civette africaine consiste à déposer régulièrement ses fèces au même endroit (Rahm, 1 966 ; Dorst et Dandelot, 1 970). De telles latrines se situent souvent dans des cavités naturelles (Randall, 1 982). C'est ce que nous avons observé en forêt du Mayombe. L'analyse du contenu de ces latrines a été entrepris pour apporter de nouvelles informations sur la frugivorie de la Civette et sur son rôle comme agent disséminateur de graines .

LE SITE D 'ÉTUDE

Le Mayombe zaïrois se situe à la pointe méridionale extrême de la forêt guinéo-congolaise, juste au-dessus du bief maritime du fleuve Zaïre (ou Congo). Sa végétation naturelle appartient à la forêt dense humide planitiaire de type semi-sempervirent selon la classification de White (1989). Suite à une pression démographique sans cesse croissante, la forêt primitive ne subsiste plus que sous forme d'îlots entourés de forêts remaniées, de formations secondaires et de recrûs forestiers. La faune y subit une exploitation intense et les gros mammifères ont disparu. Les Viverridés sont actuellement représentés par Bdeogale nigripes et A tilax pa/udinosus (Herpestinae), Nandinia binotata (Paradoxurinae) et Genetta tigrina, G. serva/ina et Civettictis civetta (Viverrinae) (Pendje et Baya, 1992).

• Adresse : 12, rue Cuvier, F-75005 Paris.

Rev. Eco/. ( Terre Vie) , vol. 49, 1994.

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LES MÉTHODES

Mes observations se sont échelonnées d'octobre 1989 à mai 1 99 1 , soit sur une période de 18 mois. Elles ont comporté :

1. L'observation directe de quatre cavités-dépotoirs utilisées par la Civette,afin de mieux connaître leur nature et leur fonction.

2. L'analyse du régime frugivore : Les graines et plantules présentes dans ceslatrines ont été déterminées pour dresser la liste des espèces végétales consom­mées. L'étude de la répartition des germinations dans le temps devrait également mettre en évidence d'éventuelles variations saisonnières de consommation.

3. L'analyse de la dispersion: l'étude des graines et fèces présentes dans cesdépotoirs, ainsi que l'étude de la répartition spatiale des plantules à leur intérieur, devrait permettre de mieux connaître les items consommés (fruit entier, graine ou pulpe) et le rôle disséminateur éventuel de la Civette. Rappelons que le transport des propagules par les frugivores peut être volontaire (synzoochorie), involontaire après passage dans le tube digestif (endozoochore) ou externe et involontaire (épizoochorie) . La mesure de la distance entre le trou-dépotoir et l'arbre porte-graines le plus proche doit permettre d'estimer la distance de dispersion minimum des graines.

4. L'étude du devenir des graines permet de préciser leur pouvoir germinatifet le taux de mortalité des plantules. A cet effet, graines, germinations (non encore photosynthétiques), plantules (autotrophes) et stades juvéniles ont été dénombrés à des intervalles de 3, 6 et 1 2 mois. Les stades juvéniles ont été répartis en catégories de hauteur (25-50 cm, 50-100 cm, > 100 cm).

LES RÉSULTA TS

1. Les cavités-dépotoirs utilisées par la Civette : nature et fonctions.

Celles que j'ai étudiées (numérotées de 1 à 4) étaient distantes de plusieurs kilomètres et utilisées chacune par une seule Civette. Il s'agissait de cavités naturelles provenant du déracinement d'un arbre, et mesurant de 35 à 65 cm de profondeur et de 60 à 170 cm de diamètre. Elles étaient situées non loin d'une rivière (à une distance variant de 8 à 30 rn). Les cavités n• 1 et 2 se trouvaient enmilieu purement forestier, alors que les deux autres étaient localisées à moins de 3 km d'habitations villageoises ; la troisième était proche d'une grande clairière, et la quatrième située dans une plantation de cacaoyers établie en forêt. La Civette effectue des dépôts successifs de fèces dans de telles cavités mais elle y accumule également des graines ; ainsi 212 graines de Staudtia stipitata ont été dénombrées dans la latrine n• 1 (Fig. 1 ) .

2 . Le régime frugivore de la Civette africaine.

Les espèces de fruits consommés : Onze espèces végétales ont été dénombrées dans les dépotoirs étudiés, sous forme de graines, de germinations ou de plantules. Deux d'entre elles n'étaient représentées chacune que par une seule plantule. Il s'agit d'une liane Comme/ina sp. (Commelinaceae) et d'un arbre Berlinia bracteosa (Caesalpiniaceae). Le tableau 1 recense 9 espèces végétales dont la Civette consomme les fruits et disperse les graines au Mayombe zaïrois. Parmi celles-ci figurent 6 grands arbres forestiers appartenant aux familles suivantes : Bursera­ceae (1), Moraceae (2), Myristicaceae (2), Sapindaceae (1), ainsi que le Palmier à

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Figure 1 . - Accumulation de graines arillées de Staudtia stipitata (Myristicaceae) et dépôt de fèces fraîches dans le trou dépotoir n· 1 . Les fèces contiennent essentiellement des arilles rouges

de S. stipitata et quelques fragments de cuticule d'iules noires.

huile (Arecaceae) et deux espèces non déterminées. Elaeis guineensis est la seule espèce commune aux quatre dépotoirs étudiés. Les Myristicaceae sont présentes dans 3 latrines sur 4. En effet, Palmier à huile et Myristicaceae sont abondants dans la végétation secondarisée du Mayombe au Zaïre. La florule du dépotoir n· 2 inclut 3 espèces communes au n· 4 (E. guineensis, G. giganteum et l'espèce indéterminée Y) et 3 autres qui lui sont propres (Antiaris welwitschii, Dacryodes edulis et Trilepisium madagascariense) ; de plus, les Myristicaceae en sont absentes. Cette différence floristique s'explique probablement par la situation de ce dépotoir en forêt primaire.

Les quantités ingérées: Les fèces fraîches du dépotoir n· 1 (Fig. 1) ne contenaient que des arilles de S. stipitata, à l'exception de quelques fragments de cuticule d'iules noires . Celles du dépotoir n· 4 contenaient un grand nombre de petites graines intactes noyées dans la chair des fruits. La quantité importante de graines ou d'arilles contenus dans les fèces, ainsi que le nombre élevé de germinations se formant par « bouquets » monospécifiques dans les latrines suggèrent qu'une seule espèce de fruits est consommée à la fois, en quantités importantes, et qu'elle constitue à elle seule-à une période donnée -la presque totalité des aliments ingérés par la Civette.

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TABLEAU 1

Le régime frugivore de Civettictis civetta

Espèces végétales et items consommés. (D : distance de dispersion, Gr : graines, G' : germinations, Pl : plantules et stades juvéniles, H : hauteur en cm, P : pulpe, Ar : arille).

Espèce Numéro D Item dénombré

Item Diamètre du maximum végétale dépotoir (rn) Gr G' (H) P l (H)

consommé (cm)

Antiaris 2 74(13) P&Gr < 1

welwitschii

Dacryodes 2 12 67 P? 2

edulis

1 100 4 Elaeis 2 20 5 P? 2,5

guineensis 3 18 6 4 15 60 4

Ganophyllum 2 88(11) P&Gr < 1 giganteum 4 18(14)

Pycnanthus 3 35 109(22) angolensis 4 68 16 16 ? 1,3

Staudtia 1 15 212 Ar 1,9

stipitata 3 91 7(25-50) 4 42 19(23)

Trilepisium 2 30 163(13) P&Gr 0,8

madagascariense

Esp. indét. X 4 56(10) P&Gr 0,6

Esp. indét. Y 2 nbses P&Gr 0,5 4 nbses

Les variations saisonnières: L'étude de la répartition temporelle des germi­nations permet d'établir un « calendrier » de consommation des fruits par C. civetta et met en évidence des variations saisonnières. Dans un intervalle de 6 mois, 6 espèces végétales différentes ont donné lieu à des germinations dans le dépotoir n· 4, et 4 espèces différentes ont germé en 3 ou 4 mois dans le dépotoir n· 2, et ceci durant deux années consécutives. La Civette semble donc consommer environ une espèce de fruit par mois quand ceux-ci sont mûrs et en abondance. Les chevauchements constatés dans le dépotoir n· 2 pourraient correspondre soit à des délais de germination différents pour les espèces concernées soit à la consommation simultanée de fruits de deux espèces différentes à fructification synchrone. La saison sèche dure de mi-mai à mi-octobre dans le Ma yom be zaïrois. La présence de graines et de plantules d'Elaeis guineensis dans les 4 dépotoirs en octobre et novembre prouve que la Civette mange des noix de palme pendant la

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saison sèche. Les germinations de Pycnanthus angolensis ont lieu en novembre, et celles de S. stipitata en décembre et janvier. Or le délai de germination de ces deux Myristicaceae est de deux mois (obs . pers.) . La Civette consomme donc les fruits de P. angolensis en fin de saison sèche et ceux de Staudtia stipitata au début de la saison des pluies ce qui correspond au pic de fructification de ces deux espèces d'arbres au Mayombe zaïrois (obs. pers.) . Durant la saison des pluies la Civette ingère une plus grande variété de fruits : A. welwitschii, D. edulis, G. giganteum, T.madagascariense et deux espèces indéterminées.

Un comportement opportuniste: Tout se passe comme si l'existence d'une cavité préexistante à 1 5 ou 30 rn d'un porte-graines dont les fruits sont mûrs amenait la Civette à s'approprier cette cavité. Son comportement alimentaire dépend par la suite du rythme de fructification des arbres situés dans un rayon de 1 00 rn de cette cavité. En effet, pendant les deux années de cette étude, la Civette « propriétaire » du dépotoir no 2 n'a consommé les fruits de D. edulis qu'en 1 990, l'arbre porte-graines le plus proche n'ayant pas fructifié en 1 99 1 . Pour la même raison les fruits d'A. welwitschii et de G. giganteum ne furent consommés que la deuxième année. Au contraire, la production de T. madagascariense et de E. guineensis, dont les fructifications furent annuelles, ont entraîné leur consomma­tion pendant les deux années consécutives. L'ingestion d'iules noires effectuée par la Civette du dépotoir no 1 en même temps que celle des arilles de S. stipitata en novembre 1 990 souligne également le comportement alimentaire opportuniste de la Civette africaine. En effet, une prolifération d'iules s'était produite au pied d'un Ricinodendron heudelotii situé à quelques mètres seulement du dépotoir lors de la dissémination des fruits de S. stipitata. La Civette a donc profité d'une soudaine abondance de deux ressources différentes : fruits et invertébrés.

3 . L 'action zoochore de la Civette africaine

La distance de dispersion : Les fruits consommés appartiennent à des arbres situés dans un rayon de 1 2 à 1 00 rn du dépotoir (Tab. l). En admettant que les graines accumulées proviennent de l'arbre porte-graines le plus proche, la distance minimum de dispersion serait donc en moyenne de 40,5 ± 30,2 mètres (N = Il) .

Le mode de dispersion: Il semble qu'en général la Civette se déplace pour chercher sa nourriture et revienne à son dépotoir pour y déposer ses fèces. Les fruits sont avalés en entier en grande quantité et une multitude de graines sont rejetées après leur transit intestinal. Les graines de plusieurs espèces végétales sont ainsi dispersées par endozoochorie . Cependant la cavité-dépotoir no 1 , située sous un énorme S. stipitata en fructification et observée dès le début de son utilisation, fut d'abord utilisée par la Civette comme gîte, où elle accumula une grande quantité de graines arillées (Fig. 1 ). L'animal y amassa plus de fruits qu'il ne put en consommer et certains d'entre eux pourrirent. Sur 2 1 2 fruits dénombrés 50 seulement - soit près d'un quart- étaient dépourvus d'arilles . Les fèces fraîches contenaient uniquement des fragments d'arilles rouges (à l'exception de quelques débris de cuticule d'iules noires), et pas de graines, entières ou non. Ce qui fut consommé était bien l'arille de S. stipitata et les graines de cet arbre sont donc dispersées par synzoochorie. Il se pourrait que les noyaux soient recrachés par l'animal après ingestion des arilles . L'accumulation dans le dépotoir no 4 de 60 noix d'Elaeis guineensis dépourvues de leur chair et non enrobées d'excréments pourrait également dénoter un transport synzoochore et une utilisation préalable de ce dépotoir-latrine comme gîte temporaire. Par ailleurs la présence, dans le

Il l

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dépotoir n" 1 , de 4 noix de palme dépourvues de leur chair et situées en dehors des dépôts de fèces (deux d'entre elles en bordure de la cavité et les deux autres à l'intérieur de celle-ci), confirme également le transport par synzoochorie. Il en est de même pour les 32 graines de Pycnanthus angolensis du dépotoir n" 4, dépourvues de leur arille mais non incluses dans les dépôts d'excréments .

Le paramètre taille des graines : Les aliments consommés et le mode de dispersion qui en résulte semblent corrélés à la taille des graines (Tab. I). Endozoochore pour les graines de diamètre inférieur à 1 cm (Antiaris welwitschii, Ganophyllum giganteum, Trilepisium madagascariense et les espèces indéterminées X et Y), la dispersion serait synzoochore pour les graines de S. stipitata mesurant 1 ,8-2,3 x 1 ,4- 1 ,9 cm (N = 1 5) et probablement aussi pour d'autres graines d'assez grosse taille comme celles d'E. guineensis, de P. ango/ensis et de D. edulis.

4. Le devenir des graines dispersées

Le pouvoir germinatif des graines : Les graines de 8 espèces végétales dispersées par la civette ont germé durant la période d'étude. Le tableau II indique le délai et le taux de germination de 3 espèces ligneuses ainsi disséminées. Certaines graines dispersées ont un pouvoir germinatif faible : 6,3 % pour Elaeis guineensis (N = 64), 1 7,9 % pour S. stipitata (N = 2 1 2) ; d'autres présentent un pouvoir germinatif élevé : 50 % pour P. angolensis (N = 32). Ce dernier cas semble le plus fréquent puisque nous avons dénombré par « bouquet » de germinations développées sur des latrines : 74 A . welwitschii, 88 G. giganteum, 1 63 T. madagascariense et 56 germinations d'une espèce indéterminée. Nous avons également dénombré 67 germinations de D. edulis dans le dépotoir n" 2 et 109 plantules de P. angolensis dans le dépotoir n" 3 (Fig. 2) .

Figure 2. - Le trou n" 3 contient de nombreuses Myristicacées : 109 plantules de P. angolensis, 7 stades juvéniles de P. angolensis et 8 de S. stipitata âgés de 1 ou 2 ans. Au bord du trou (à gauche sur

la photo) : 2 plants de P. angolensis dépassant 1 m de haut.

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TABLEAU Il

Délai et taux de germination des graines de trois espèces végétales dispersées par C. civetta.

Espèces végétales Nb de Nb de Délai de graines germinations germination

Elaeis guineensis 64 4 > 2 mois Pycnanthus ango/ensis 32 16 2 mois Staudtia stipitata 2 1 2 38 2 mois

Taux

6,3 % 50 %

17,9 %

La répartition spatiale des plantules : A l'échelle de la forêt la répartition des jeunes plants dispersés par la Civette est toujours agrégative puisque associée à un dépotoir. A l'intérieur de ce dernier, la répartition est agrégative ou aléatoire selon le mode de dispersion. Lorsque le transport est endozoochore, les germinations se produisent en « bouquets >> serrés sur les dépôts successifs de fèces et leur répartition à l'échelle du trou est agrégative. Au contraire, lorsque le transport est synzoochore, la distribution est aléatoire et les plantules occupent tout l'espace disponible . Ce fut le cas pour les 1 09 jeunes plants de P. angolensis du dépotoir n· 3 (Fig. 2) et les 1 9 plantules de S. stipitata du dépotoir n· 1 , cinq mois après le dépôt des fruits par la civette.

La survie des jeunes plants : Bien que la mortalité, calculée sur 14 mois, atteigne des taux élevés allant de 50 % à 91 %, certaines plantules ont survécu pendant plus d'un an : E. guineensis ( 1 plant survivant en fin d'étude), D. edulis (6), S. stipitata (8), T. madagascariense (23) et P. angolensis (59) (Tab . III) . Quinze Myristicacées ont dépassé deux ans d'âge et mesuraient de 50 à 1 50 cm de hauteur à la fin de notre période d'observation. La principale entrave à la croissance et la cause essentielle de mortalité des germinations et jeunes plantules paraît être la concurrence intra- et interspécifique se produisant dans le trou ; c'est ainsi que les 2 plants de Myristicacées dépassant 1 rn de hauteur - et donc à croissance rapide- sont situés en bordure du dépotoir. Une autre cause de mortalité est la saison sèche ; dans le cas d' E. guineensis par exemple, si aucune plantule n'est morte pendant la saison des pluies, c'est-à-dire pendant les 6 premiers mois dans le dépotoir n• 4 (N = 4), un plant seulement a survécu après la saison sèche dans le dépotoir n· 3 (N = 5).

CONCLUSION

L'omnivorie de Civettictis civetta (Schreber) a été mentionnée par divers auteurs (Rosevear, 1 974 ; Kingdon, 1 977 ; Bearder et Randall, 1 978 ; Ikeda et al. , 1 982 ; Randall, 1 982 ; Estes, 1 99 1 ) . Nous pensons qu'elle pourrait être liée à l'habitat très varié de la Civette africaine constitué surtout de forêts secondaires, mais également de forêts primaires et de milieux ouverts, humides ou arides (Dorst et Dandelot, 1 970 ; Kingdon, 1 977 ; Berry, 1988).

Notre étude montre qu'en milieu forestier la Civette s'avère être un frugivore opportuniste et qu'elle joue un rôle non négligeable dans la dispersion des graines d'une dizaine d'espèces végétales dont le palmier à huile E. guineensis et six arbres de la voûte forestière : A . welwitschii, D. edulis·,. G. giganteum, P. angolensis,

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TABLEAU III

Survie (en mois) et taux de mortalité (sur 14 mois) des plantules issues des germinations de 5 espèces ligneuses dispersées par C. civetta.

(Abréviations utilisées : Nb : nombre, a• : germinations, Pl : plantules et stades juvéniles, H : hauteur).

Espèces Graines Plantules Hauteur moyenne Survie Taux (Nb) (Nb) (cm) (mois) %

D. edulis 67 6 3 1 1 4 9 1 %

E. guineensis 4 4 6 5 1 14 80 %

P. ango/ensis 16 9 22 6 109 54 23 14 50,5 %

2 25-50 > = 24 3 > 50 > = 24 2 > 100 > = 24

S. stipitata• 38 1 9 2 3 6 50 % * 7 25-50 > = 24 1 > 50 > = 24

T. madagascariense 163 23 23 14 85,9 %

• Pour S. stipitata le taux de mortalité est calculé à 6 mois, au lieu de 14 mois pour les autresespèces.

S. stipitata et T. madagascariense. Les fruits sont consommés en grande quantité et la Civette s'intéresse à peu d'autres aliments tant qu'ils sont disponibles. Les graines dispersées s'accumulent dans un dépotoir, établi souvent dans une cavité naturelle. Cette dernière est régulièrement utilisée par une même Civette et reste abandonnée au départ de son « titulaire » . Nos observations à ce sujet sont en contradiction avec celles de Randall ( 1 982) qui dit que chaque animal fait usage en même temps de plusieurs « civetries » ; elles s'accordent par contre avec celles de Rahm ( 1 966) . Cet auteur précise en outre que l'unique lieu de dépôt est situé à peu près au centre du territoire de l'animal.

L'étude comparative des fruits consommés par Civettictis civetta au Zaïre (espèces citées dans la présente étude) et par Nandinia binotata au Gabon (Ficus sp. , Musanga cecropioides, Santiria sp. , Uapaca sp., Uvaria klaineana, banane et papaye, Charles-Dominique, 1 978) montre que les fruits consommés par ces Viverridés nocturnes sont différents. Ils n'entrent donc probablement pas en compétition bien qu'ils soient sympatriques et que la plupart des espèces ligneuses citées soient communes aux deux forêts étudiées . Aux préférences alimentaires spécifiques s'ajoutent des différences de microhabitat : la Civette, toujours terrestre, fréquente des biotopes variés, alors que la Nandinie, arboricole, est plus forestière. La coexistence de plusieurs espèces de Viverridés dans le même habitat a déjà été soulignée par Taylor ( 1 970) et Waser ( 1 980) cités par Ikeda et al. ( 1 982). Les besoins métaboliques élevés liés à la petite taille de ces Carnivores, ainsi que les grandes quantités de fruits consommées, laissent à penser que le rôle de disperseurs de propagules de ces deux Viverridés peut être important.

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Pour préciser les rôles respectifs de l'endo- et de la synzoochorie chez la Civette une analyse de contenus stomacaux serait cependant souhaitable. En effet, cette espèce est connue pour se nourrir rapidement et en mâchant peu (Kingdon, 1 977).

Nous ajoutons également, pour la forêt secondarisée du Mayombe au Zaïre, la Civette africaine à la liste des disperseurs des fruits de Myristicacées dressée par Gauthier-Rion et al. ( 1 985) pour la forêt gabonaise. Comme les oiseaux et les singes, elle appartient au groupe des disperseurs de fruits colorés et brillants possédant une chair riche en sucres et en acides gras. Bien que ponctuel, le rôle disséminateur de C. civetta n'est certainement pas négligeable dans une forêt où les frugivores spécialistes - cercopithèques, touracos et calaos - se raréfient, victimes d'une chasse abusive (Pendje et Baya, 1 992). Notons cependant que Nandinie et Civette viennent en tête des Carnivores chassés dans la forêt de Luki (Pendje et Baya, 1 992) .

RÉSUMÉ

L'observation des dépotoirs de quatre civettes africaines pendant 1 8 mois et l'analyse de leur contenu par comptage directe des graines ou plantules ont permis de démontrer le rôle zoochore de l'espèce. Dans le milieu forestier étudié Civettictis civetta s'avère être un frugivore opportuniste se nourrissant presque exclusivement de fruits durant la majeure partie de l'année. La Civette disperse les graines de 9 espèces végétales au moins, dont 6 arbres de la voûte. L'endozoo­chorie est pratiquée pour toutes les graines de petite taille (Diamètre < l cm) et la zynzoochorie pour les graines de Staudtia stipitata (Myristicaceae) mesurant 1 ,8-2,3 x 1 ,4- 1 ,9 cm (N = 1 5) . La distance minimum moyenne de dispersion des diaspores est de 40,5 ± 30,2 rn (N = I l ) . Par ces dépôts successifs de fèces la Civette transforme l'emplacement d'un arbre tombé en un véritable germoir où se succèdent des « bouquets » de germinations et où quelques plantules survivent pendant plus de 2 ans et dépassent l rn de hauteur.

SUMMARY

Fruit consumption and seed dispersal by the African Civet, Civettictis ci vetta, was studied for 1 8 months in a disturbed rain forest of the Ma yom be district, in Zaïre.

In our study area, civets used holows in the ground at the base of uprooted trees as temporary dens, in which they hoarded whole mature fruits, undigested seeds and faeces. When such « civetries >> were deserted, many seeds germinated, forming clumps of seedlings. Only a few of them managed to survive and became 1 rn tall at the end of the study.

The four civets studied were opportunistic omnivores, able to take advantage of any abundant food source, whether it was a mass fruiting tree or an outbreak of millipeds. However they apparently relished fruits, and those of 9 species of forest trees (8 of them canopy species) were regularly eaten. The arillate seeds of Staudtia stipitata were particularly sought for Civets apparently selected dens close to fruit-bearing trees, and moved away when the fruiting season was over.

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Small seeds (diameter less than 1 cm) were dispersed through endozoochory,whereas larger ones were dispersed through synzoochory. The average minimum dispersal distance was about 40 m from the parent tree. The germination rates of the dispersed seeds, as weil as the mortality rates of the seedlings, varied widely according to the species (see Tab. II and III).

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