Pema Chödrön - Conseils d'une amie pour des temps difficiles [PDF images avec recherche]

7/16/2019 Pema Chödrön - Conseils d'une amie pour des temps difficiles [PDF images avec recherche]

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Quand tout s'effondre



PEMA CHÖDRÖN

D'origine am éricaine, mère de deux enfants, Pem aChödrön est devenue moniale bouddhiste. Elle est

l'un des principaux disciples du maître tibétainChögyam Trungpa Rinpoché, qui lui a confié en1986 la direction de l'abbaye de Gam po, monastèrebouddhiste situé en Nouvelle-Écosse (Canada).Pema Chödrön est l'auteur de divers ouvrages despiritualité parmi lesquels Sur le chemin de la trans-

formation : le Tong len (2003), Bien-être et incertitude :

cent huit enseignem ents (2004), et récemm ent Pour

faire la paix en temps de guerre : un point de vue

bouddhiste (2007).



CONSEILS D'UNE AMIEPOUR D ES TEM PS DIFFICILES

QUAN D TOUT S'EFFONDR E



DU MÊME AUTEUR

CHEZ POCKET

ENTRER EN AMITIÉ AVEC SOI-MÊME

CONSEILS D'UNE AMIE POUR DES TEMPS DIFFICILES

LA VOIE COMMENCE LÀ OÙ VOUS ÊTES

LES BASTIONS DE LA PEUR

SUR LE CHEMIN DE LA TRANSFORMATION

BIEN-ÊTRE ET INCERTITUDEPOUR FAIRE LA PAIX EN TEMPS DE GUERRE



PEM A CHÖDRÖN

CONSEILS D'UNE AM IE

POUR DES TEM PSDIFFICILES

Quand tout s'effondre

Traduit de l'anglais (américain)

par Claude et Claude Riso-Lévi

LA TABLE ROND E



Titre original :

WHEN THINGS FALL APART

Révisé par Stéphane Bédard,

membre des Traductions Nalanda

Le C ode d e la prop riété intellectuelle n'autorisant, aux termes d e l'article L. 122-5,(2° et 3° a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées àl'usage privé du copiste et non destinées à un e utilisation collective» et, d'autre part,qu e les analyses et les courtes citations dans un b ut d'exem ple et d'illustration, « toutereprésentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'au-teur ou de ses ayants dro it ou ayants cau se est illicite» (art. L. 122 -4).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitueraitdonc un e contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du C ode de lapropriété intellectuelle.

0 Pema C hödrön, 1997.Pub lié avec l'accord de Sh ambhala Publications, Boston, London.

La Sadhana du M ahamudra par Chögyam Trungpa, 1968, 1976.Diana J. Muk po. Avec l'autorisation de Diana J. Mukpo

et du comité des Traductions Nalanda.0 L a Tab le Ron de, Paris, 1999, pour la traduction française.

ISBN : 978-2-266-12330-3



SOMMAIRE

Remerciements Introduction13

1. L'intimité avec la peur192. Quand tout s'effondre273. Le moment présent est le maître par

excellence364. Se détendre tel quel465. Il n'est jamais trop tard66. Éviter de nuire

67

7. L'absence d'espoir et la mort78. Les huit dharmas de ce monde99. Six sortes de solitude100

10. Manifester de la curiosité envers son

existence

11211. La non-agression et les quatre maras 12012. Grandir13413. Élargir le cercle de compassion14114. L'amour qui ne mourra pas153

15. Aller à contre-courant

16416. Serviteurs de la paix17117. Opinions188



18. Instructions orales secrètes19619. Trois méthodes pour travailler avec le

chaos20620. Le coup du non-choix21721. Inverser la roue du samsara23322. La voie est le but242

Bibliographie249Les Centres Sham bhala251



REMERCIEMENTS

Ma gratitude la plus sincère va à Lynne vanden Bunte, qui ne s'est pas contentée de conser-ver les enregistrements qui constituent les cau-series de ce livre mais a aussi passé de nom-

breuses heures à trouver ceux dont le nom suitpour les transcrire : je remercie Heidi Utz, RexWashburn, Ginny Davies et Aileen et Bill Fell,qui a rassemblé toutes les causeries sur un seulordinateur, ainsi que Lynne elle-même, qui a

transcrit des bandes tellement anciennes quepersonne d'autre ne pouvait arriver à lescomprendre. Enfin, un « merci » très spécial àmon amie et éditrice, Emily Hilburn Sell, qui apris une boîte en carton pleine de causeries non

mises en forme et les a transformées en ce livre.Sans son talent, sans la peine qu'elle s'est don-née et sans son dévouement plein d'amour, jen'aurais jamais pu publier quoi que ce soit. Jelui suis reconnaissante à l'idée de continuer à

travailler ensem ble.



Au Sakyong Mipham Rinpoché,

avec dévotion, amour et gratitude.



INTRODUCTION

En 1995, j'ai pris un congé sabbatique. Pen-dant douze mois, mon activité essentielle a étéde ne rien faire. Du point de vue spirituel, cette

période a été le moment le plus fertile de mavie. Je n'ai presque rien fait d'autre que de medétendre pendant toute l'année. J'ai lu, je mesuis promenée et j'ai dormi. J'ai cuisiné etmangé, médité et écrit. Je n'avais ni horaire, ni

programme, ni obligation. J'ai pu digérer biendes choses pendant cette période sans bornes nidirections. D'abord, j'ai commencé à lire lente-m ent tout le contenu de deux boîtes de transcrip-tions assez brouillon de causeries données de

1987 à 1994. Contrairement aux causeries dudathün qui constituent le livre Wisdom of no

Escape' et aux enseignements sur le lojông réu-nis dans Start Where You Are, ces textes ne

1. Entrer en amitié avec soi-même, La Table Ronde,1997. (N.d.T.)



semblaient avoir aucun fil conducteur. De tem psà autre je parcourais quelques transcriptions. J'ytrouvais toutes sortes de qualités, parfois dupédantisme, parfois de petites merveilles.C 'était à la fois intéressant et gênant d'être m iseen présence de la profusion de mes propresmots. À mesure que je lisais, je commençais àvoir que, peu importe le sujet choisi, le pays où

je me trouvais, ou l'année en cours, je n'avaispas cessé d'évoquer les mêmes thèmes : legrand besoin de maitri (bienveillance enverssoi-même) et faire naître à partir d'elle une atti-tude hardie et compatissante envers notre dou-

leur et celle des autres. Il m'a semblé que der-rière chaq ue causerie apparaissait en filigrane laperspective d'avancer dans un territoire sanscarte et de se détendre même dans une situation

déstab ilisante. L'autre thèm e sous-jacent était la

dissolution de la tension dualiste entre eux etnous, ceci et cela, bon et mauvais, en invitant ceque nous évitons d'habitude. Mon maître, Chô-gyam Trungpa Rinpoché, employait l'expres-sion « se frotter aux pointes acérées de l'expé-rience ». J'ai compris alors que, pendant cessept dernières années, je n'avais fait qu'essayerd'assimiler et de transmettre ces instructions à lafois utiles et pleines de cran que Trungpa Rin-

poché donnait à ses étudiants.En fouillant dans les boîtes, je me suis renducompte du long chemin qui me restait à faire



pour prendre pleinement conscience de ce quim 'avait été enseigné. J'ai vu aussi qu'en m ettanten pratique le conseil de Rinpoché du m ieux q ueje pouvais, et en essayant de partager avecd'autres cette expérience d'une étudiante sur lavoie, j'avais trouvé, pour la première fois de mavie, une sorte de bonheur fondam ental et de plé-nitude. J'ai éclaté de rire en constatant que,

comme je l'avais dit si souvent, se lier d'amitiéavec ses propres démons et avec l'insécurité quiles accompagne conduit à une détente toutesimple, discrète, et à la joie.

Au m ilieu de l'année à peu près, m on éditrice,

Emily Hilburn Sel!, m'a demandé comme ça sij'avais d'autres causeries pour com poser un troi-sième livre. Je lui ai expédié les boîtes. Elle a lules transcriptions d'un bout à l'autre et s'estsenti l'assurance de dire à Shambhala Publica-

tions : « Nous avons un autre livre. »Pendant les six mois qui ont suivi, Emily le

passa au crible, modifia des passages, en sup-prima d'autres et le prépara pour la publication,et j'ai connu le luxe de retravailler chaque cha-

pitre autant que je l'ai voulu. Quand je n'étais nien train de me reposer ni de regarder l'océan nide marcher dans les collines, j'étais totalementabsorbée par ces causeries. R inpoché m'avait un

jour donné ce conseil : « Détends-toi et écris. »À l'époque, je ne pouvais imaginer que je feraisun jour l'une ou l'autre de ces deux choses mais,



bien des années plus tard, voilà que je suivaisses instructions.

Ce livre est donc le résultat de cette collabo-ration avec Emily et de cette année passée à nerien faire.

Puisse-t-il vous encourager à trouver de lapaix dans votre existence et à prendre à coeur cesenseignements sur l'honnêteté, la bienveillance

et le courage. Si votre vie est chaotique et diffi-cile, il y a ici une foule de conseils à votre inten-tion. Si vous êtes en période de transition, souf-frant d'une perte, ou bien simplement agité denature, ces enseignements sont faits pour vous.

L'essentiel, c'est que nous avons tous besoinqu'on nous rappelle et nous encourage à nousdétendre en face de tout ce qui se présente et àutiliser sur la voie tout ce que nous rencontrons.

En mettant ces instructions en pratique, nous

rejoignons une longue lignée de maîtres etd'élèves qui ont su accorder la voie du Bouddhaaux hauts et aux bas de leurs vies ordinaires.Tout comme ils ont fait la paix avec leurs egoset découvert l'esprit de sagesse, nous aussi nouspouvons le faire.

Je remercie le Vidhyadhara, le VénérableC hiigyam Trungp a Rinpoché, pour avoir totale-ment engagé sa vie dans le dharma et pour son

ardent désir de transmettre l'essence du boud-dhisme aux Occidentaux. Puisse l'inspirationque j'ai reçue de lui être contagieuse. Puissions-



nous, comme lui, mener la vie d'un bodhisattva,et puissions-nous ne pas oublier ce qu'il disaithaut et fort : « Le chaos doit être considérécomme une excellente nouvelle. »

P E M A C H Ô D R Ô N ,Abbaye de Gampo

Pleasant Bay, Nouvelle-Écosse,1996.



1

L'INTIMITÉ AVEC LA PEUR

La peur est une réaction naturelle à

une proximité plus grande de la vérité.

S'embarquer pour le voyage spirituel, c'estcomme monter dans un minuscule bateau et selancer sur l'océan à la recherche de terresinconnues. En pratiquant de tout son coeur, oninvite l'inspiration mais, tôt ou tard, on va aussi

rencontrer la peur. Tout ce que nous savons,c'est qu'en atteignant l'horizon, nous tombonsde l'autre côté du monde. Comme tous lesexplorateurs, nous sommes amenés à découvrirce qui nous attend là-bas sans savoir à l'avance

si nous aurons le courage de l'affronter.Si on s'intéresse au b ouddh ism e et qu'on veutsavoir ce qu'il a à offrir, on découvre rapide-m ent q ue d ifférentes perspectives sont possibles.Par la méditation fondée sur l'intuition péné-

trante, on commence à exercer son attention, àêtre complètement présent à toutes ses activitéset pensées. Dans la pratique zen, on suit des



enseignements sur la vacuité et on est mis audéfi d'entrer en relation avec la clarté ouverte etincommensurable de son esprit. Les enseigne-ments du vajrayana nous incitent à travailleravec l'énergie de toutes les situations et à voirtout ce qui surgit comme faisant partie de l'étatd'éveil. L'une ou l'autre de ces approches peutnous séduire et nourrir notre enthousiasm e pourexplorer plus avant, mais si nous voulons allerau fond des choses et pratiquer sans réticences,il est inéluctable qu' à un certain moment onfasse l'expérience de la peur.

La peur est une expérience universelle. M ême

le plus petit insecte la ressent. Si nous patau-geons dans les flaques d'eau laissées par lamarée et si nous posons notre doigt près descorps mous et ouverts des anémones de mer,elles se referment. Toute chose agit ainsi sponta-

nément. Il n'y a rien d'extraordinaire à avoirpeur quand on affronte l'inconnu. C ela fait par-tie de notre condition humaine, c'est quelquechose que nous partageons tous. On réagit à lapossibilité de solitude, de mort, de ne plus rien

avoir à quoi se raccrocher. La peur est une réac-tion naturelle à une plus grande proximité de lavérité.

Si on s'astreint à rester scrupuleusement là oùon se trouve, alors nos expériences deviennent

très vives. Les choses deviennent très nettesquand il n'y a nul lieu où fuir.Au cours d'une longue retraite, j'ai eu, me



semble-t-il, la révélation bouleversante que nousne pouvons pas à la fois vivre dans le présent etdérouler nos scénarios habituels. Cela sembletout à fait évident, je le sais, mais quand vousdécouvrez quelque chose comme ça par vous-même, cela vous transforme. L'impermanencedevient quelque chose de vif à l'instant même ;tout comme la compassion, l'émerveillement et

le courage. Et aussi la peur. En fait, toute per-sonne qui se tient au bord de l'inconnu, totale-m ent dans l'instant, sans p oint de référence, faitl'expérience de perdre pied. C'est alors quenotre compréhension s'approfondit. Nous

découvrons que l'instant présent est un pointparticulièrement vulnérable et que cela peut êtreà la fois profondém ent troublant et très tendre.

Quand on commence son exploration, on atoutes sortes d'idéaux et d'attentes. On cherche

des réponses qui vont satisfaire la faim qu'on aressentie depuis si longtemps. Mais la dernièrechose que nous souhaitions c'est bien de faireplus am ple connaissance avec le Père Fouettard.Bien sûr, bien des gens essayent de nous mettreen garde. Je m e souviens de la prem ière fois quej'ai reçu une instruction en méditation, unefemme m'a expliqué la technique et les grandeslignes de la pratique puis m'a dit : « Mais s'il

vous plaît ne partez pas d'ici en pensant que laméditation est un moyen de vous soustraire àl'irritation. » P our une raison ou une autre, tous



les avertissements du monde sont loin de nousconvaincre. En fait, ils nous rapprochent.

Il s'agit ici de connaître la peur, de se fam ilia-riser avec elle, de la regarder droit dans les yeux— non pour en faire un moyen de résoudre lesproblèmés, m ais pour ab andonner comp lètementnos anciennes façons de voir, d'entendre, desentir, de goûter et de penser. Il faut savoir quedès qu'on commence vraiment à agir ainsi, onne cesse jamais d'apprendre l'humilité. Il n'y aplus beaucoup d'espace pour l'arrogance quepeut apporter le fait de détenir des idéaux.L'arrogance qui ne manque pas de surgir estsans cesse démolie par le courage de faire unpas de plus. Les découvertes que permet la pra-tique n'ont rien à voir avec le fait de croire enquoi que ce soit. Elles ont beaucoup plus à voiravec le courage de m ourir, de m ourir sans cesse.

Les instructions sur l'attention, la vacuité oule travail avec l'énergie soulignent toutes lam ême chose : être là dans l'instant présent nouscloue sur place. Cela nous cloue précisément aupoint de l'espace et du temp s où nous nous trou-

vons. Quand nous nous y arrêtons et que nouscessons de donner libre cours à nos émotions ou

de les réprimer, de blâm er quelqu'un d'autre oude nous blâmer nous-mêmes, alors nous noustrouvons en présence d'une question posée à

jamais et qui n'a aucune réponse conceptuelle.Nous rencontrons aussi notre coeur. Comme l'adit de façon si expressive un étudiant : « La



nature-de-bouddha, astucieusement déguisée enpeur, nous botte les fesses pour que nous soyonsréceptifs. »

J'ai assisté une fois à une conférence surl'expérience spirituelle d'un homme, en Inde,dans les années 60. Il racontait qu'il était décidéà se débarrasser -de ses émotions négatives. Illuttait contre la colère et la luxure ; il se battait

contre la paresse et l'arrogance. M ais, surtout, ilcherchait à se débarrasser de sa peur. Son m aîtrede méditation ne cessait de lui dire d'arrêter delutter, mais il croyait que ce conseil n'étaitqu'une autre méthode pour venir à bout de ses

obstacles.À la fin, le maître l'envoya méditer dans unehutte minuscule dans les collines au pied desmontagnes. Il ferma la porte et s'installa pourpratiquer et, quand il fit sombre, alluma trois

petites bougies. Vers m inuit, il entendit un b ruitvenant du coin de la pièce et, dans l'obscurité, ilvit un énorme serpent. Il lui sembla que c'étaitun cobra royal qui se dandinait juste en face delui. Toute la nuit il demeura sur le qui-vive, les

yeux rivés sur le serpent. Il était tellem ent épou-vanté qu'il ne put faire un mouvement. Il neresta plus que le serpent, lui-même et la peur.

Peu avant l'aube, la dernière bougie s'achevaet il se mit à pleurer, pas de désespoir mais de

tendresse. Il ressentit l'aspiration de tous les ani-maux et de tous les êtres humains dans lemonde ; il sentit leur aliénation et leur lutte.



Toute sa pratique de la méditation n'avaitconsisté qu' à créer p lus de séparation et p lus deconflit. Il décida d'accepter sincèrem ent, de toutson coeur, qu'il était coléreux et jaloux, qu'ilrésistait et luttait et qu'il avait peur. Il acceptaaussi que son existence était précieuse au-delàde toute mesure, qu'il était sage et fou, riche etpauvre et totalement insondable. Il éprouva unetelle gratitude que, dans l'obscurité la pluscomplète, il se leva, marcha vers le serpent,s'inclina devant lui et tomba sur le sol dans unsommeil profond. Quand il se réveilla, leserpent avait disparu. 11 ne sut jamais si c'étaitson imagination ou bien s'il avait vraiment étélà. Cela ne semblait avoir aucune importance.Comme il le dit à la fin de la conférence, une sigrande intimité avec la peur avait provoquél'effondrement de ses drames personnels et lemonde autour de lui avait finalement émergé.

Personne ne nous dit jamais de cesser de fuirla peur. On nous dit très rarement de nous enapprocher, d'être tout bonnement là, de nousfamiliariser avec elle. J'ai demandé un jour au

m aître zen Roshi Kobun C hino q uelle relation ilavait avec la peur et il m'a dit : « Je suisd'accord. Je suis d'accord. » Mais le conseil quenous recevons d'habitude est de l'adoucir, del'aplanir, de prendre un cachet ou de nous dis-

traire, mais en tout cas de nous en débarrasserpar n'importe quel moyen.Nous n'avons pas besoin de cette sorte



d'encouragement parce que nous dissocier de lapeur est tout naturel pour chacun de nous.

D'habitude, nous sommes pris de panique ounous piquons une crise au moindre indice depeur. Nous la sentons venir et nous mettons lesvoiles. Il est bon de prendre conscience de cela— pas pour nous fouetter, mais pour fairecroître en nous une compassion incondition-nelle. La chose la plus navrante qui soit est lamanière dont nous nous escroquons nous-mêmes de l'instant présent.

Parfois, cependant, nous sommes coincés ;tout s'écroule et nous sommes à court de possi-bilités pour nous échapper. En de pareilsmoments, les vérités spirituelles les plus pro-fondés sem blent tout à fait sim ples et directes. Iln'y a nul endroit où se cacher. Nous le voyonsaussi bien que n'importe qui — mieux que

n'importe qui. Tôt ou tard, nous comprenonsque, bien qu'il soit impossible d'embellir lapeur, c'est elle pourtant qu i va nous introduire àtout l'enseignem ent que nous avons pu entendreou lire jusqu'alors.

Aussi, la prochaine fois que vous croisez lapeur, considérez-vous comme chanceux. C'estici qu'intervient le courage. D'habitude onpense que les gens courageux n'ont peur de rien.En fait, ils sont intimes avec la peur. Au début

de mon mariage, mon époux disait que j'étaisune des personnes les plus courageuses qu'ilconnaissait. Quand je lui dem andais pourquoi, il



répondait que, même si j'étais une froussardeachevée, je fonçais et j'agissais comme si derien n'était.

L'astuce c'est de continuer à explorer et de nepas se défiler même si on découvre que quelquechose ne correspond pas à ce qu'on pensait.C'est ça qu'on va découvrir encore et encore.Rien n'est jamais conforme à ce qu'on croyait.Je peux l'affirmer avec une grande assurance.La vacuité ne correspond pas à l'idée qu'on s'enfaisait. Ni l'attention ni la peur. La compassionnon plus. L'amour. La nature-de-bouddha. Lecourage. Ce sont des noms de code pour deschoses que nous ne connaissons pas dans notreesprit, mais n'imp orte lequel d'entre nous p our-rait les expérimenter. Ce sont des mots quiindiquent ce qu'est vraiment la vie quand nouslaissons les choses s'écrouler et que nous nous

permettons d'être cloués sur place à l'instantprésent.



2

QUAND TOUT S'EFFONDRE

Quand tout s'effondre et que l'on est

sur le bord d'on ne sait quoi, l'épreuve

pour chacun d'entre nous est de

demeurer au bord de ce précipice sans

s'efforcer de concrétiser la situation.

Le voyage spirituel n'a rien à voir avec

le ciel ni avec le fait d'arriver, au bout

du compte, dans un lieu mirobolant.

L'abbaye de Gampo est une vaste étendue oùla mer et le ciel se fondent l'un dans l'autre.L'horizon s'étend à l'infini et dans ce vasteespace flottent des mouettes et des corbeaux. Lecadre est comme un immense miroir qui accroît

la sensation de ne pouvoir se cacher nulle part.Qui plus est, comme c'est un monastère, il y atrès peu de moyens de fuir — pas de mensonge,pas de vol, pas d'alcool, pas d'activité sexuelle,pas la moindre porte de sortie.

L'abbaye de Gampo est un lieu où j'avais étéprofondém ent désireuse de me rendre. Trungp aRinpoché m'ayant demandé d'en être la direc-



trice, je me suis donc retrouvée là-bas. Être surplace m'a permis de mettre à l'épreuve mongoût du défi, parce que pendant les premières

années ça a été comme être sur des charbonsardents.Quand je suis arrivée à l'abbaye, tout s'est

écroulé. Toutes les façons de me protéger,toutes les façons de me duper, toutes les façons

de maintenir bien polie l'image que j'avais demoi-même — tout cela s'écroulait. Malgré tousmes efforts, je ne pouvais plus manipuler lasituation. M on style rendait tout le monde fou etje ne pouvais trouver aucun endroit où me

cacher.J'avais toujours cru être quelqu'un de soupleet de serviable, aimée par presque tout lemonde. J'avais pu garder cette illusion pendantla plus grande partie de ma vie. Pendant mes

premières années à l'abbaye, j'ai découvert quej'avais vécu sur une sorte de malentendu. Ce nesont pas les qualités qui me manquaient, c'estsimplement que je n'étais pas la petite chérie laplus populaire. J'avais tant investi dans cette

image de moi et voilà qu'elle ne tenait plusdebout. Tous mes problèmes non réglés étaientexposés, de façon éclatante et précise, en Tech-nicolor et en relief, pas seulement à mes yeuxmais aussi à ceux de tous.

Tout ce que je n'avais pas été capable de voirà propos de moi-même auparavant était sou-dainement porté à l'écran. Et comme si cela ne



suffisait pas, les autres n'hésitaient pas à medonner leur avis sur moi et sur ce que je faisais.C'était si douloureux que je me demandais sij'arriverais jamais à m'en remettre. J'avaisl'impression que des bombes étaient lancées surmoi presque continuellement, j'assistais auxexplosions de mes illusions sur moi-même.Dans un endroit où il y avait tellement de pra-tique et d'étude, je ne pouvais pas passer inaper-çue en essayant de me justifier et de blâmer lesautres. Cette sorte d'échappatoire n'était paspossible.

Une femme, maître spirituel, est venue nousrendre visite à cette époque et je me rappelle cequ'elle a dit : « Quand tu seras devenue unebonne amie de toi-même, il y aura aussi plusd'amitié dans ta vie. »

J'avais déjà appris cette leçon auparavant et je

savais que c'était le seul chemin à emprunter.J'avais une affiche punaisée sur mon mur quidisait : « C'est seulement dans la mesure oùnous nous exposons nous-mêmes encore et tou-jours à l'anéantissement que ce qui est indes-

tructible en nous peut apparaître. » En fait, avantmême d'entendre les enseignements boud-dhistes, je savais que là résidait l'esprit del'éveil véritable. Il s'agissait de renoncer à sonemprise sur tout.

Q uand la base est ébranlée, toutefois, et qu'onne peut rien trouver à quoi s'accrocher, la dou-leur est grande. C'est comme la devise de l'Ins-



titut Naropa : « L'amour de la vérité vous metsur la sellette:» On pourrait avoir une visionrom antique de ce que cela veut dire, m ais quandon est cloué à la vérité, on souffre. On seregarde dans la glace de la salle de bains et nousvoici, avec nos boutons, notre visage vieillis-sant, notre absence de b onté, notre agressivité etnotre timidité — tout le fourbi.

C'est là qu'intervient la tendresse. Quand leschoses sont chancelantes et que rien ne va plus,on peut se rendre compte qu'on est sur le pointde découvrir quelque chose. On peut se rendrecompte que c'est un endroit très vulnérable ettrès tendre, et que la tendresse peut prendren'importe quelle voie. On peut se refermer et sesentir plein de rancoeur ou b ien on peut entrer encontact avec cette qualité palpitante. C'est cer-tainement quelque chose de tendre et de palpi-

tant qu'il y a dans cette absence de terre ferme.C'est une sorte d'épreuve, une épreuve dontles guerriers spirituels ont besoin pour éveillerleur coeur. Parfois, c'est à cause de la m aladie oude la mort que nous nous retrouvons à cet

endroit. Nous faisons l'expérience de la perte —perte des êtres qui nous sont chers, perte denotre jeunesse, perte de notre vie.

J'ai un ami qui se meurt du sida. Un jour,juste avant que je parte en voyage, il m'a dit :

« Je n'en voulais pas, je la haïssais et cela meterrifiait. Mais il se trouve que cette maladie aété mon plus grand cadeau. » Il m'a dit :



« M aintenant chaq ue instant est si précieux pourm oi. Tous les gens qu i font partie de m a v ie sontsi précieux pour moi. Ma vie tout entière a pristellement de sens. » Quelque chose avait vrai-ment changé en lui et il se sentait prêt à mourir.Quelque chose d'horrible et de terrifiant s'étaitmué en cadeau.

Les choses qui s'écroulent sont une sorte

d'épreuve, mais aussi une sorte de guérison. Onpense que l'essentiel est de venir à bout del'épreuve ou de triompher du problème, mais lavérité c'est que les choses ne sont pas vraimentrésolues. Il y a réconciliation puis écroulement.

On les réconcilie encore et elles s'écroulent denouveau. C'est comme ça que ça marche. Laguérison vient de ce qu'on laisse de l'espacepour que tout ça se produise : de l'espace pourla douleur, pour le soulagement, pour la tris-

tesse, pour la joie.Quand on croit que quelque chose va nous

procurer du p laisir, on ne sait pas ce qui va vrai-ment se passer. Quand on croit que quelquechose va nous apporter de la douleur, on ne lesait pas. Le plus important est de faire en sortequ'il y ait de l'espace pour ne pas savoir. Onessaye de faire ce que l'on croit utile. Mais onn'en sait rien. On ne sait jamais si on tombera à

plat ou si on se retrouvera bien droit sur sespieds, la tête haute. En présence d'une grandedéception, on ne sait pas si c'est la fin de l'his-



toire. Cela peut être précisément le début d'unegrande aventure.

J'ai lu quelque part l'histoire d'une famillequi n'avait qu'un seul fils. Ils étaient trèspauvres. Ce fils leur était extrêmem ent précieux,et la seule chose qui comptait pour cette familleétait qu'il leur apporte un soutien financier etleur confère du prestige. Un jour, le fils est jetéà bas d'un cheval et estropié. Les m em bres de lafamille ont l'impression que tout est fini poureux. Deux semaines après, l'armée arrive au vil-lage et prend tous les hommes valides pour laguerre, et le jeune homme est autorisé à rester

avec les siens pour s'occuper d'eux.La vie est ainsi faite. Nous ne savons rien.Quelque chose peut nous sembler mauvais ou,au contraire, bon. Mais, en fait, on n'en saitvraiment rien.

Quand tout s'écroule et que l'on est sur lebord d'on ne sait quoi, l'épreuve pour chacund'entre nous est de dem eurer au bord de ce pré-cipice sans s'efforcer de concrétiser la situation.Le voyage spirituel n'a rien à voir avec le ciel ni

avec le fait d'arriver, au bout du compte, dansun lieu mirobolant. C'est bien cette façon devoir les choses qui nous maintient dans le mal-heur. Croire que nous pouvons trouver quelqueplaisir durable et éviter la douleur, c'est ce que

le bouddhisme appelle le samsara, ce cycle sansespoir qui tourne et tourne indéfinim ent et nouscause de grandes souffrances. La toute prem ière



noble vérité du Bouddha montre que la souf-france est inévitable pour les êtres humains tantque l'on croit que les choses durent — qu'ellesne se désintègrent pas et qu'on peut com pter surelles pour satisfaire notre soif de sécurité. De cepoint de vue, le seul moment où nous savonsvraiment ce qui se passe, c'est quand le tapis esttiré sous nos pieds sans que nous puissions trou-ver aucun endroit où atterrir. Nous utilisons cessituations ou bien pour nous éveiller ou bienpour nous endormir. Là, tout de suite — à l'ins-tant même où le sol se dérobe sous nos pas — setrouve le germe de cette disposition à prendre

soin de ceux qui ont besoin de nous et de ladécouverte de notre bonté.Je me souviens si vivement de ce jour, c'était

au début du printemps, où tout ce qui faisait mavie s'est volatilisé. Bien que cela se soit produit

avant que j'aie entendu aucun enseignementbouddhiste, c'était ce que certains appelleraientune expérience spirituelle authentique. Ça s'estproduit quand mon mari m'a appris qu'il avaitune liaison. Nous habitions dans le nord du

Nouveau-Mexique. J'étais debout devant notremaison en train de boire une tasse de thé. J'aientendu la voiture arriver et la porte se fermeren claquant. Alors, à peine le coin de la maisondépassé, sans préambule, il me dit qu'il avait

une liaison et qu'il voulait divorcer.Je me souviens du ciel immense. Je me sou-viens du bruit de la rivière et de la vapeur s'éle-



vant de mon thé. Il n'y avait plus de temps, plusde pensée, il n'y avait rien — rien que lalumière et un calme profond, illimité. Alors jeme suis ressaisie, j'ai ramassé une pierre, que jelui ai lancée.

Quand on me demande comment je me suisengagée dans le bouddhisme, je réponds tou-jours que j'étais très en colère contre mon mari.La vérité est qu'il m'a sauvé la vie. Quand cemariage s'est écroulé, j'ai lutté — j'ai lutté detoutes mes forces — pour revenir à une espècede confort, une espèce de sécurité, un endroitfamilier où je puisse me reposer. Heureusementpour moi, je n'y ai pas réussi. Instinctivement,je savais que l'anéantissement de mon vieuxmoi dépendant, cramponné, était la seule voie àprendre. C'est alors que j'ai punaisé cetteaffiche sur le mur.

La vie est un bon maître et un bon ami. Leschoses sont toujours transitoires, si seulementnous pouvions nous en rendre compte. Jamaisrien ne se résout de la façon dont nous lerêvions. L'état intermédiaire, décentré, est une

situation idéale, une situation dans laquelle onn'est pas piégé et où on peut ouvrir son coeur etson esprit au-delà de toute limite. C'est un étattrès tendre, non agressif, ouvert.

Demeurer avec cet ébranlement — rester

ainsi avec le coeur brisé, un estomac qui gar-gouille, un sentim ent de non-espoir et le désir deprendre sa revanche — c'est cela le chemin de



l'éveil véritable. Coller à cette incertitude,acquérir le talent de se détendre au milieu duchaos, apprendre à ne pas être pris de panique— c'est ça la voie spirituelle. Trouver le trucpour s'attraper soi-même, s'attraper avec dou-ceur et com passion, c'est la voie du guerrier. Ons'attrape des millions de fois, une nouvelle foisencore, que cela nous plaise ou non, on s'endur-cit dans la rancoeur, l'amertume, l'indignationjustifiée — on s'endurcit de mille manières,même avec le soulagement, l'inspiration.

Chaque jour, on pourrait penser à l'agressi-vité dans le monde, à New York, Los Angeles,Halifax, Taïwan, Beyrouth, au Koweït, enSomalie, en Irak, partout. Partout dans lemonde, chacun attaque un ennemi et la souf-france ne cesse de croître. Chaque jour nouspouvons y réfléchir et nous demander : « Est-ce

que je vais augmenter l'agression dans lemonde ? » Chaque jour, au moment où noussommes à cran, nous pouvons simplement nousdire : « Est-ce que je vais pratiquer la paix oubien vais-je partir en guerre ? »



3

LE MOMENT PRÉSENT EST LE MAÎTREPAR EXCELLENCE

Nous pouvons nous mesurer à un

caniche ou à un chien de garde en

fureur, mais la question à se poser est :

que se passe-t-il ensuite ?

Généralement, on considère la gêne sousquelque forme que ce soit comme une mauvaisenouvelle. M ais, pour les pratiquants ou les guer-

riers engagés sur une voie spirituelle — ceuxqui ont une certaine faim de connaître la vérité— des sentiments comme la déception, l'embar-ras, l'irritation, le ressentiment, la colère, lajalousie et la peur, au lieu d'être de mauvaises

nouvelles, sont en réalité des moments de clartéqui nous enseignent ce que nous refoulons. Ilsnous enseignent à redresser la tête et à fairefront quand nous sentons que nous aimerionsmieux nous affaler et reculer. Ce sont des mes-

sagers qui nous montrent avec une clarté terri-fiante l'endroit exact où nous sommes coincés.Le moment présent est le maître par excellence



et, heureusement pour nous, il est toujours etpartout avec nous.

Les événements et les gens qui traversentnotre vie et déclenchent ces problèm es non réso-lus peuvent être considérés comme de bonnesnouvelles. Inutile d'aller chercher quoi que cesoit ailleurs ou de créer des situations dans les-quelles nous atteignons notre limite. Elles seproduisent d'elles-mêmes, avec la régularitéd'une horloge.

Ch aque jour nous donne de nom breuses occa-sions de nous ouvrir ou de nous refermer.L'occasion la plus précieuse se présente quandnous arrivons à la situation q ue nous pensons nepas pouvoir dominer, quoi qu'il arrive. C'en esttrop. C'est allé trop loin. Nous nous sentons maldans notre peau. Il n'y a aucune façon d'avoirprise sur la situation pour nous en sortir avec

succès. Peu importe l'effort déployé, cela ne vatout bonnement pas marcher. Au fond, la vienous a épinglé.

C'est exactement comme si vous vous regar-diez dans le miroir et que vous voyiez un

gorille. Le miroir est là, il vous reflète et ce quevous voyez a l'air sinistre. Vous essayez de pla-cer le miroir sous un autre angle afin d'avoir unpeu meilleure mine mais rien n'y fait, vous res-semblez toujours à un gorille. C'est cela être

démasqué par la vie, le moment où vous n'avezd'autre choix qu'accueillir ce qui arrive ou lerepousser.



La p lupart des gens ne prennent pas ces situa-tions comme des enseignements. On les déteste,c'est automatique. Nous courons comme desfous. Nous utilisons toutes sortes de méthodespour nous échapper — toutes les dépendancesont pour origine ce mom ent où nous rencontronsnotre limite et où nous ne pouvons tout simple-ment pas y faire face. Nous avons le sentimentque nous devons l' adoucir, l'amortir avec quel-que chose et nous devenons dépendants de toutce qui semble atténuer la douleur. En réalité, lematérialisme déchaîné qui sévit dans notrem onde prend son origine dans ce mom ent. Il y atellement de systèmes qui ont été imaginés pournous divertir en nous éloignant de cet instantprécis, adoucir son arête dure, l'amortir pourque nous n'ayons pas à ressentir tout l'im pact dela douleur qui se produit quand nous ne pouvons

avoir prise sur la situation pour nous en sortirhonorablement.La méditation est une invitation à percevoir

l'instant où nous atteignons notre limite et à nepas nous laisser emp orter par l'espoir ou la peur.

Par la m éditation, nous pouvons voir clairem entce qui se passe dans nos pensées et nos émo-tions et nous pouvons aussi les laisser tomber.Ce qui est encourageant avec la méditation,c'est que même si nous nous renfermons en

nous-mêmes, nous ne pouvons plus le faire sansen prendre acte. Nous voyons très clairementque nous nous fermons. C'est cela même qui



commence à éclairer l'obscurité de l'ignorance.Nous pouvons voir comment nous nous précipi-tons pour nous cacher et comment nous cher-chons toujours à nous occuper pour que notrecoeur ne soit jamais touché. Mais nous pouvonsaussi voir comment nous pourrions nous ouvriret nous détendre.

Au fond, la déception, la gêne et toutes cessituations où nous ne pouvons pas précisémentnous sentir bien sont une sorte de mort. Nousavons tout bonnement complètement perdunotre assise ; nous sommes incapables de lareconstituer et de sentir que nous sommes au

pinacle. Au lieu d'accepter que la mort estnécessaire pour qu'il y ait naissance, nous nouscontentons de nous battre contre la peur de lamort.

Atteindre notre limite n'est pas une punition

particulière. Rencontrer le moment où nousallons m ourir, en avoir peur et trembler, c'est enfait un signe de santé. Il est sain aussi de ne passe laisser dém olir par la peur et le tremb lement,mais d'y voir plutôt un message qu'il est temps

d'arrêter de lutter et de regarder en face ce quinous menace. La déception et l'anxiété sont desm essagers nous annonçant que nous som m es surle point d'entrer dans un territoire inconnu.

La penderie de la cham bre à coucher peut être

un territoire inconnu pour certains d'entre nous.Pour d'autres, c'est aller dans le cosmos. Ce quiévoq ue l'espoir ou la peur pour m oi est différent



de ce qui suscite ces états pour vous. Ma tanteatteint sa limite quand je déplace une lampedans son salon. Pour mon amie, la limite est lar-gement dépassée quand elle doit déménagerdans un autre appartement. Ma voisine, elle, apeur de l'altitude. Peu importe ce qui nous faitatteindre notre limite. L'essentiel est que, tôt outard, cela nous arrive à tous.

La première fois que j'ai rencontré TrungpaRinpoché, c'était dans une classe de quatrièmeannée '. Mes élèves lui avaient posé un tas dequestions sur la manière dont il avait grandi auTibet; ils voulaient savoir comment, après avoiréchappé aux communistes chinois, il avaitgagné l'Inde. Un garçon lui demanda s'il luiarrivait jamais d'avoir peur. Rinpoché lui arépondu q ue son m aître l'avait encouragé à allerdans des lieux comme les cimetières, qui

l'effrayaient, et à s'approcher des choses qu'iln'aimait pas. Ensuite il a raconté l'histoire d'unvoyage avec ses serviteurs vers un monastèrequ'il n'avait jamais vu auparavant. Comme ilsapp rochaient des portes, il a vu un gros chien de

garde aux crocs énorm es et aux yeux rouges, qu igrondait avec férocité et luttait pour se libérer deses chaînes. Le chien voulait à toute force lesattaquer. En s'approchant, Rinpoché pouvaitvoir sa langue bleuâtre et des gouttes de bave

1. Équivalent de la première année du cours moyen enFrance. (N.d.T.)



jaillissant de sa bouche. Ils passent donc devantle chien à bonne distance et franchissent laporte. Soudain la chaîne se rompt et le chienfonce sur eux. Les serviteurs crient et se figentde terreur. Rinpoché se retourne et fonce aussivite qu'il peut, droit sur le chien. Le chien, telle-ment surpris, prend la fuite, la queue entre lesjambes.

Nous pouvons nous mesurer à un caniche ouà un ch ien de garde en fureur, mais la question àse poser est : que se passe-t-il ensuite ?

Le voyage spirituel implique d'aller au-delàde l'espoir et de la peur, d'avancer dans un terri-toire inconnu, de continuer sa route. L'aspect leplus imp ortant de la voie pourrait bien être de nepas arrêter d'avancer. D'habitude, lorsque nousatteignons notre limite, exactement comme lesserviteurs de Rinpoché, nous nous figeons de

terreur. Notre corps et notre esprit se figent.Comment travailler avec notre esprit lorsquenous rencontrons un adversaire de taille ? Aulieu de nous complaire dans la situation ou de la

rejeter, nous pouvons laisser l'énergie de l'émo-

tion, la qualité de ce que nous ressentons, nouspercer jusqu'au coeur. C'est plus facile à direqu'à faire, mais c'est une manière noble devivre. C'est certainement la voie de la compas-sion — la voie où se cultivent le courage

humain et la bonté.Les enseignements bouddhistes parlent del'absence d'ego. Cela semble difficile à saisir :



de quoi parle-t-on, au fait ? Mais quand lesenseignements parlent de névrose cela noussemble familier. Là nous comprenons vraiment.Mais l'absence d'ego ? Quand nous atteignons

notre limite, si nous voulons vraimentcomprendre cette situation — ce qui veut direque nous n'essayons ni de nous y complaire nide l'étouffer — quelque chose de dur en nous vase dissoudre. Nous serons attendri par la simpleforce de l'énergie qui jaillit — que ce soitl'énergie de la colère, l'énergie de la déceptionou l'énergie de la peur. Quand elle n'est passolidifiée dans une direction ou une autre, cettemême énergie nous atteint jusqu'au coeur etnous ouvre. C'est ça la découverte de l'absenced'ego, du non-moi. C'est quand tous nos planshabituels s'écroulent. Atteindre notre limite,c'est comm e trouver une porte vers la santé et la

bonté inconditionnelle de l'humanité, au lieu derencontrer un ob stacle ou une punition.La situation la plus sûre et la plus enri-

chissante pour commencer à travailler de cettefaçon reste la méditation. Sur le coussin, nous

commençons à nous y mettre pour ne plus nouscomplaire dans nos émotions ni les refouler ;nous les prenons pour ce qu'elles sont et lais-sons l'énergie être simplement là. C'est pourcette raison qu'il est tellement conseillé de

méditer chaque jour et de continuer à entrer enamitié avec nos espoirs et nos peurs encore ettoujours. Ainsi se sème la graine qui permet



d'être plus éveillé au m ilieu du chaos quotidien.C'est un éveil progressif et cumulatif, m ais c'estbien ce qui arrive. Nous ne faisons pas de laméditation assise pour devenir de bons médi-tants. Nous faisons de la méditation assise afind'être plus éveillés dans la vie.

Au cours de la méditation, la prem ière chosequi se produit c'est que nous commençons àvoir ce qui se passe. Malgré notre tendance àfuir et à nous complaire dans cet état, nousvoyons clairement ce que nous faisons. Onpourrait penser que le fait de le voir avec clartésuffirait pour que tout cela disparaisse illico,mais il n'en est rien. Il y a une longue périodeoù on ne fait que le voir avec netteté. Dans lamesure où nous voulons bien voir clairementcette com plaisance et cette tendance au refoule-m ent, elles comm encent à s'user d'elles-m êmes.

S'user n'est pas tout à fait la même chose quedisparaître. À leur place surgit une perspectiveplus large, plus généreuse et plus éveillée.

Pour nous maintenir à égale distance de lacomplaisance et du refoulem ent, il faut prendre

acte de tout ce qui surgit, sans porter de juge-ment, laisser simplement les pensées se dis-soudre, puis revenir à la qualité d'ouverture del'instant présent. C'est exactement ce qu'on faitquand on m édite. Toutes ces pensées m ontent à

la surface, mais au lieu de leur coup er le siffletou d'en faire une ob session, nous les reconnais-sons et cessons de nous y agripper. Puis nous



revenons au moment présent. Ensuite, selonl'expression de Sogyal Rinpoché, nous ne fai-sons que « ram ener notre esprit à la maison ».

Au bout de quelque temps, c'est de cettemanière que nous entrons en rapport avecl'espoir et la peur dans la vie de tous les jours.Un peu comme par magie, nous arrêtons de lut-ter et nous nous détendons. Nous arrêtons denous parler à nous-mêmes et nous retrouvons lafraîcheur de l'instant présent.

Cela se fait petit à petit, lentement, avec letemps. Quelle durée demande ce processus ? Ehbien, le reste de notre vie. N ous continuons, aufond, à nous ouvrir plus, à apprendre davantage,à entrer encore plus en relation avec la profon-deur de la douleur et de la sagesse hum aines, àarriver à les connaître l'une et l'autre dans toutel'étendue de leur complexité. À devenir des

gens plus tendres et plus compatissants. Et lesenseignements vont plus loin. Il y a toujoursplus à apprendre. Nous ne sommes pas seule-ment de vieilles badernes satisfaites d'elles-mêmes qui ont renoncé et qui déclinent tout défi

lancé par quoi que ce soit. Aux moments lesplus inattendus, nous rencontrons encore ceschiens féroces.

Nous pourrions croire qu'en devenant plusouverts il nous faudra de plus grandes cata-

strophes pour atteindre notre limite. Ce qui nemanque pas d'intérêt c'est que, au fur et àmesure que nous nous ouvrons, ce sont les gran-



des catastroph es qui nous éveillent imm édiate-m ent et les petites choses qui nous surprennentgarde baissée. Cependant, quelles que soientleur taille, leur couleur ou leur forme, l'essentielc'est toujours de regarder de près l'inconfort del'existence et de le voir clairement plutôt que denous en protéger.

Quand nous pratiquons la méditation, nousn'essayons pas de vivre à la hauteur d'un idéalmythique — bien au contraire. Nous n'avonsque notre expérience, quelle qu'elle soit. Sinotre expérience fait que parfois nous avons unecertaine perspective et que parfois nous n'enavons aucune, alors c'est cela notre expérience.Nous pouvons approcher parfois ce qui nouseffraye et parfois nous n'y arrivons pas, alorsc'est cela notre expérience. Voilà une instruc-tion très profonde : « C'est l'instant présent qui

est le maître par excellence, et il est toujoursavec nous. » Simplement voir ce qui se passe —c'est cela l'enseignem ent en somm e. Nous pou-vons demeurer avec ce qui se passe et ne pasnous en séparer. L'éveil se trouve dans notre

plaisir et notre peine, notre confusion et notresagesse, accessible à chaque instant dans notreétrange et insondable vie ordinaire.



4

SE DÉTENDRE TEL QUEL

Une fois que nous avons compris cette

instruction, nous pouvons la mettre en

pratique. Ce qui arrive ensuite dépend

de nous. En fin de compte, cela revient

à savoir si nous sommes prêts à nous

détendre et à relâcher notre étreinte.

Jusqu'à quel point voulons-nous être

honnêtes avec nous-mêmes ?

La méthode de méditation que ChôgyamTrungpa Rinpoché a donnée à ses étudiantss'appelle shamatha-vipashyana. Quand TrungpaRinpoché a commencé à enseigner en Occident,il a dit à ses étudiants de ne rien faire d'autre

que d'ouvrir leur esprit et de se détendre. S'ilsétaient distraits par des pensées, ils n'avaientqu'à les laisser se dissoudre et revenir à cet étatd'esprit ouv ert et détendu .

Quelques années plus tard, Rinpoché se rendit

compte que certains de ceux qui étaient venus àlui étaient dans l'impossibilité de suivre cetteconsigne si simple et qu'ils avaient besoin d'un



peu plus de technique pour aller de l'avant.C'est alors que, sans vraiment changer l'espritfondamental de la méditation, il commença àdonner les instructions de façon légèrement dif-férente. Il mit davantage l'accent sur la postureet il enseigna aux gens à porter une attentiontrès légère à leur expiration. Plus tard, il dit quel'expiration était le point le plus accessibleauquel parvenir pour simplement reposerl'esprit dans son état naturel d'ouverture, tout enayant un objet vers lequel retourner.

Il insista sur le fait qu'il ne s'agissait que del'expiration ordinaire, en aucune m anière fabri-quée, et que l'attention devait être douce, unesorte d'approche de toucher-et-lâcher. Ilconseilla de porter environ vingt-cinq pour centde l'attention sur la respiration, afin de demeu-rer conscient de l'environnement, sans le consi-

dérer comme une intrusion ou un obstacle à lam éditation. Des années plus tard, il utilisait, nonsans hum our, l'analogie du m éditant en tenue degala tenant une cuiller pleine d'eau, joyeuse-m ent assis, paré de tous ses atours, ne se laissant

jamais distraire de la cuillerée d'eau qu'il a enm ain. L'imp ortant n'était pas d'essayer d'arriverà un état particulier ou bien de transcender lesbruits et le mouvement de la vie ordinaire. Ilnous fallait plutôt nous détendre davantage dans

notre environnement et jouir du monde autourde nous ainsi que de la vérité toute sim ple qui seproduit à chaq ue instant.



La plupart des techniques de méditation uti-lisent un objet de méditation — quelque choseauquel on peut revenir encore et toujours, peuimporte ce qui se passe dans notre esprit. Qu'ilpleuve, qu'il neige, qu'il vente, que ce soit ledégel, que le temps soit beau ou maussade, onretourne simp lement à l'objet de m éditation. Ici,l'expiration est l'objet de méditation — l'expi-ration évanescente, fluide, toujours changeante,insaisissable, qui pourtant reprend sans cesse.Quand on inspire, c'est comme une pause ouune brèche. Il n'y a rien de spécial à faire si cen'est d'attendre l'expiration suivante.

J'ai expliqué un jour cette technique à uneamie qui, pendant des années, avait pratiqué uneconcentration très focalisée sur l'inspiration etl'expiration ainsi que sur un autre objet. Quandelle a entendu cette instruction, elle m'a dit :

« Mais c'est impossible ! Personne ne pourraitfaire ça! Il y a toute une partie dans laquelle iln'y a rien sur quoi porter son attention. » C 'étaitla prem ière fois que je me rendais com pte qu'aucoeur de l'instruction il y avait l'occasion de

complètement lâcher prise. J'avais entendu desm aîtres zen parler de la méditation com m e de ladisposition à m ourir encore et toujours. Et voilàque c'était là — à chaque expiration qui sortaitet se dissolvait, il y avait l'occasion de mourir à

tout ce qui s'était passé auparavant et de sedétendre au lieu de céder à la panique.Rinpoché nous a dem andé, en tant qu'instruc-



teurs de méditation, de ne pas utiliser le terme« se concentrer » sur l'expiration mais d'userd'un langage plus fluide. Ainsi nous disons auxétudiants « de toucher l'expiration et de l'aban-donner » ou « de porter une attention légère etdouce sur l'expiration » ou b ien « d'être un avecl'expiration tandis qu'elle se dissout dansl'espace ». La consigne de base était toujours des'ouvrir et de se détendre, sans ajouter quoi quece soit d'autre, sans y mettre de concepts, maissans cesser de revenir à l'esprit tel qu'il est toutsimplement, clair, lucide et frais.

Quelque temps après, Rinpoché ajouta unautre raffinem ent à l'instruction. Il com m ença ànous demander d'étiqueter nos pensées « pen-ser ». Nous étions assis là, à suivre notre expira-tion, et avant que nous sachions ce qui s'étaitproduit nous étions partis - à inventer des pro-

jets, des inquiétudes ou bien des fantasmes -complètement dans un autre monde, un mondeentièrem ent fait de pensées. Au m om ent où nousnous rendions compte que nous étions partis,l'instruction consistait à dire « penser » et, sans

en faire tout un plat, à simplement revenir denouveau à l'expiration.Une fois j'ai vu quelqu'un le danser. Le dan-

seur est venu sur scène et s'est assis en posturede méditation. En quelques secondes des pen-

sées de passion ont commencé à surgir en lui.Le danseur a suivi tout le processus en devenantde plus en plus frénétique depuis le minuscule



aperçu de passion q ui com m ençait à s'intensifierjusqu'à l'épanouissement d'un fantasme sexuelcomplet. C'est alors qu'une clochette a sonné,une voix calme a prononcé le mot « penser » et

le danseur s'est détendu et a repris la posture deméditation. Environ cinq secondes plus tard, ladanse de la colère a commencé, débutantcomme auparavant par une petite irritation etexplosant ensuite de manière de plus en plussauvage. Puis ça a été la danse de la solitude,puis la danse de l'assoupissement et chaque foisla clochette sonnait et la voix disait « penser »,et le danseur se détendait simplement, toujoursun peu plus longtemps, dans ce qui commençaità être ressenti com m e la paix imm ense et le sen-tim ent d'espace qui se dégageait d'être tout bon-nement assis là.

Le m om ent où on dit « penser » dans la m édi-

tation n'est pas banal. C'est, en effet, à cet ins-tant précis que nous pouvons nous entraîner à ladouceur de façon consciente, et apprendre à nepas porter de jugements. Le mot sanscrit « mai-tri » se traduit par bienveillance ou, parfois, par

amitié inconditionnelle. Ainsi, chaque fois quevous vous dites « penser », vous cultivez cetteamitié inconditionnelle envers tout ce qui surgitdans votre esprit. Étant donné que cette sorte decompassion inconditionnelle est difficile à obte-

nir, cette méthode simple et directe pour l'éveil-ler est extrêmement précieuse.Il nous arrive de nous sentir coupables ou



arrogants. Parfois nos pensées et nos souvenirsnous terrifient et nous rendent extrêmementmalheureux. Nos pensées parcourentconstamment notre esprit et quand nous médi-tons nous leur fournissons à toutes beaucoupd'espace pour surgir. Comme des nuages dansun ciel immense ou des vagues dans une merinfinie, nous donnons à toutes nos penséesl'espace pour apparaître. Si l'une ou l'autred'entre elles ne nous lâche pas et nous entraîneau loin, que nous l'appelions agréab le ou dép lai-sante, l'instruction consiste à l'étiqueter en bloc« penser » avec autant d'ouverture et de bien-veillance que nous pouvons trouver, puis à lalaisser se dissoudre dans le vaste ciel. Si lesnuages et les vagues reviennent aussitôt après,ce n'est pas un problème. On les reconnaîtencore et encore, avec une amitié incondition-

nelle, en les étiquetant « penser » tout simple-ment et on lâche prise.Certains utilisent la méditation pour essayer

d'éviter des sentiments hostiles et des penséestroublantes. Nous pouvons essayer d'utiliser

l'étiquetage comme moyen de nous débarrasserde ce qui nous préoccupe, et si nous éprouvonsquelque chose de joyeux ou qui nous inspire,nous pouvons croire que c'est enfin arrivé etessayer de demeurer là où règnent paix et har-

monie, où il n'y a rien à craindre.Ainsi, dès le début, il est bon de toujours sesouvenir que la méditation concerne le fait de



s'ouvrir à tout ce qui se produit et de se détendresans choisir ce qui fait l'affaire. Elle n'est abso-lument pas conçue pour réprimer quoi que cesoit, mais elle n'a pas non plus pour butd'encourager l'avidité. Allen Ginsberg emploiel'expression « esprit surprise ». Vous vousasseyez et — vlan ! — surgit une surprise plutôtdésagréable. Bien. Soit. Cette partie ne doit pasêtre rejetée mais reconnue avec compassioncomme partie du « penser » puis abandonnée.Ensuite — chic ! — une surprise délectableapparaît. Bien. Soit. Inutile de se cramponner àcette partie, il s'agit de la reconnaître aveccom passion com m e partie du « penser », puis delâcher prise. Ces surprises, nous le constatons,sont sans fin. Milarépa, yogi tibétain du dou-zième siècle, nous a laissé des chants magni-fiques sur la façon juste de méditer. Dans un de

ces chants, il dit que l'esprit a plus de projec-tions qu'il n'y a de grains de poussière dans unrayon de soleil et que même des centaines delances ne pourraient en venir à bout. Quant ànous, m éditants, nous ferions m ieux d'arrêter de

lutter contre nos pensées et de comprendre quel'honnêteté et l'humour sont une bien plusgrande source d'inspiration et d'aide que toutessortes d'efforts religieux solennels pour oucontre quoi que ce soit.

En tout cas, l'imp ortant n'est pas d'essayer denous libérer de nos pensées mais plutôt de voirleur nature véritable. Les pensées nous feront



tourner en rond si nous nous laissons prendre àleur jeu. En réalité elles sont comme des imagesde rêve, elles sont comme une illusion — pasvraiment solides. C e ne sont, com m e on dit, rienque des pensées.

Au fil des ans, Rinpoché a continué à élaborerles instructions sur la posture. Il disait que cen'était jamais une bonne idée de lutter pendant

la méditation. C'est ainsi que, si nos jambes ounotre dos nous faisaient mal, on nous disait qu'ilvalait mieux bouger. Cependant, il devintévident qu'en travaillant avec la posture conve-nable, on se trouvait beaucoup plus détendu et

m ieux dans son corps tout en faisant des adapta-tions bien plus subtiles. Des mouvements degrande am plitude apportaient environ cinq à dixm inutes de bien-être, et ensuite nous éprouvionsle besoin de changer encore. En fin de compte,

nous avons commencé à pratiquer les six pointsde la posture correcte com m e un m oyen de nousinstaller vraiment. Ces six points sont les sui-vants : 1° le siège, 2° les jambes, 3° le torse,4° les mains, 5° les yeux, 6° la bouche. Voici

1' instruction :

1. Que vous soyez assis sur un coussin posé àmême le sol ou sur une chaise, le siège doitêtre plat ; il ne doit être incliné ni vers ladroite ni vers la gauche, ni vers l'arrière nivers l'avant.



2. Les jambes sont croisées confortablementdevant vous — ou bien, si vous êtes assis surune chaise, les pieds sont à plat sur le sol etles genoux écartés de quelques centimètres.

3. Le torse (qui va de la tête jusqu'au siège) estbien droit, avec le dos ferme et la poitrineouverte. Si vous êtes assis sur une chaise, ilvaut mieux ne pas vous appuyer sur le dos-

sier. Si vous commencez à vous affaisser,asseyez-vous bien droit de nouveau.

4. Les m ains sont ouvertes, les paum es reposentsur les cuisses.

5. Les yeux sont ouverts pour favoriser une atti-tude de détente et d'éveil à tout ce qui se pro-duit. Le regard est légèrement abaissé etdirigé vers le sol à une distance d'environ unm ètre vingt à un m ètre quatre-vingts.

6. La bouche est très légèrement ouverte pourque la mâchoire soit détendue et que l'airpuisse circuler facilement par la bouche et lenez. L'extrémité de la langue peut être placéesur la voûte du palais.

Chaque fois qu'on s'assied pour méditer, onpeut passer en revue ces six points et chaquefois qu'on est distrait pendant la méditation, onpeut reporter son attention sur son corps et

revoir les six points. On repart ensuite à neufpour revenir encore une fois à l'expiration.Si nous découvrons que des pensées nous



absorbent, rien ne sert de nous inquiéter. Ils'agit de dire « penser » et de revenir à l'ouver-ture et à la détente de l'expiration. Encore etencore, on revient tout bonnement à l'endroitexact où l'on est.

Au début les gens trouvent cette méditationpassionnante. C'est com m e un nouveau projet etnous pensons que si nous nous y donnons à fondpeut-être que tout notre fatras indésirable dispa-raîtra et que nous deviendrons ouverts, impar-tiaux et capables d'une amitié inconditionnelle.Mais après quelque temps l'impression de nou-veauté s'use. On se contente de trouver dutemps chaque jour pour s'asseoir avec soi-même. On revient à cette respiration encore etencore, dans l'ennui, l'irritation, la peur et lebien-être. Cette persévérance et cette répétition— quand elles se manifestent avec honnêteté,

légèreté, hum our et douceur — sont leur proprerécompense.Une fois que nous avons compris cette ins-

truction, nous pouvons la m ettre en pratique. Cequi arrive ensuite dépend de nous. En fin de

compte, cela revient à savoir si nous sommesprêts à nous détendre et à relâcher notre étreinte.Jusqu'à quel point voulons-nous être honnêtesavec nous-m êmes ?



5

IL N'EST JAMAIS TROP TARD

Ce qui fait de maitri une approche si

différente, c'est que nous n'essayons

pas de résoudre un problème. Nous ne

nous efforçons pas de chasser la dou-

leur ou de devenir quelqu'un de meil-

leur. En fait, nous renonçons complète-

ment à tout contrôler et nous laissons

concepts et idéaux s'écrouler.

Je reçois de nombreuses lettres de « la pirepersonne du monde ». Parfois, cette pire per-sonne a pris de l'âge et a le sentiment d'avoirgâché sa vie. Parfois c'est une adolescente suici-daire qui implore de l'aide. Les gens qui se

traitent aussi mal sont de tout âge, de touteapparence et de toute couleur. La chose qu'ilsont en commun, c'est de n'avoir aucune bien-veillance envers eux-mêmes.

Il y a peu, je parlais avec un homme que je

connais depuis longtemps. Je l'avais toujoursconsidéré comme quelqu'un de timide, ayantbon coeur et consacrant plus de temps que la



plupart des gens à aider les autres. Ce jour-là, ilétait complètement découragé et avait l'impres-sion d'être un cas désespéré. Je lui ai demandéen plaisantant : « Alors ! ne pensez-vous pasque, quelque part sur notre planète, il y a peut-être quelqu'un de pire que vous ? » Il m'arépondu avec une honnêteté déchirante : « Non.Si vous voulez savoir ce que je ressens vrai-ment, c'est qu'il n'y a personne d'aussi mauvaisque moi. »

Cela m 'a fait penser à un dessin h um oristiquede Gary Larson que j'ai vu un jour. Deuxfemmes, debout derrière leur porte verrouillée,sont en train de jeter à travers leur fenêtre uncoup d'oeil furtif à un m onstre sur le pas de leurporte. Une des dames dit : « Calme-toi, Edna.Bien sûr que c'est un insecte géant et hideux,mais c'est peut-être un insecte géant et hideux

qui a besoin d'aide. »Les moments les plus difficiles pour beau-coup d'entre nous sont ceux que nous nous obli-geons à vivre. Il n'est pourtant jamais trop tardni trop tôt pour pratiquer la bienveillance. C 'est

comme si nous étions en phase terminale d'unemaladie mais qu'il nous reste encore passable-ment de temps à vivre. Ne sachant pas combiende temps il nous reste, nous pourrions commen-cer à penser qu'il est important de nous lier

d'amitié avec nous-m êmes et avec autrui durantles heures, les mois ou les années qui nousrestent à v ivre.



On dit qu'il est impossible d'atteindre l'éveil,ni même de connaître la joie ou la satisfaction,si l'on ne voit pas ses schémas habituels. Onappelle maitri cette démarche qui consiste àfaire croître la bienveillance et l'amitié incondi-tionnelle envers soi-même.

Certains confondent parfois ce processus avecl'amélioration de soi-même ou bien avec uneméthode pour se construire une carapace. Onpeut être tellement pris au piège du réconfortqu'on cherche pour soi-même qu'on en oubliede porter la moindre attention à l'effet de cetteattitude sur les autres. On peut croire à tort quemaitri est un moyen de trouver un bonheurdurable ; comme ces publicités qui promettentde manière si alléchante qu'on se sentira biendans sa peau à jamais si... Il ne s'agit pas de secongratuler en se disant : « C'est toi le plus

beau » ou bien : « Ne t'en fais pas, mon trésor,tout ira bien. » C'est plutôt un processus parlequel l'auto-illusion est mise à nu avec tantd'habileté et de compassion qu'on ne peut plusse cacher derrière aucun m asque.

Ce qui fait de maitri une approche si dif-férente, c'est que nous n'essayons pas derésoudre un problème. Nous ne nous efforçonspas de chasser la douleur ou de devenir meil-leur. En fait, nous renonçons complètement à

tout contrôler et laissons concepts et idéauxs' écrouler.Ça commence quand nous nous rendons



compte que tout ce qui se passe n'est ni le débutni la fin de quoi que ce soit. C'est tout simple-ment le même genre d'expérience humaine nor-male qui arrive à tout un chacun depuis que lemonde est monde. Les pensées, les émotions, leshumeurs vont et viennent et, à la base, l'instantprésent est toujours là.

Il n'est jamais trop tard pour regarder notreesprit. Et cela nous concerne tous. Nous pou-vons toujours nous asseoir pour m éditer et nouslaisser de l'espace pour que tout et n'importequoi puisse se produire. Parfois l'expérience q uenous avons de nous-mêmes nous choque. Par-fois nous cherchons à nous cacher. Parfoisl'expérience est surprenante. Souvent nous nousem ballons. Sans juger, sans croire mordicus à ceque nous aimons ou n'aimons pas, nous pou-vons toujours nous encourager à être là encore

et toujours.Ce qui est pénible, c'est que quand noussomm es gagnés par la désapprobation, nous pra-tiquons la désapprobation. Quand nous somm esemportés par la dureté, nous pratiquons la

dureté. Et plus nous le faisons et plus ces carac-téristiques s'accentuent. C'est triste de deveniraussi habiles à nous causer du mal à nous-m êm es et aux autres. L'astuce c'est de pratiqueralors la douceur et le lâcher-prise. Nous pou-

vons apprendre à accueillir tout ce qui se pré-sente avec curiosité, sans y attacher tantd'importance. Au lieu de nous battre contre la



confusion, nous pouvons venir au-devant d'elleet nous détendre. Ce faisant, nous découvronsprogressivement que la clarté est toujours pré-sente. Au coeur du plus mauvais scénario de laplus mauvaise personne du monde, au milieu detous les dialogues insoutenables avec nous-mêmes, il y a toujours de l'espace ouvert.

Nous portons en nous une image de nous-mêmes, une image que nous gardons à l'esprit.On pourrait dire que c'est notre « petit esprit ».On peut aussi le désigner par le mot sem. Entibétain, il y a plusieurs mots pour désignerl'esprit, m ais il y en a deux qui sont particulière-ment utiles : sem et rigpa. Sem c'est ce dontnous faisons l'expérience sous forme de penséesdiscursives, ce flot de bavardage qui renforceconstamment l'image de nous-mêmes. Rigpasignifie littéralement « intelligence » ou

« clarté ». Derrière tous les plans que nous fai-sons et les soucis qui nous agitent, derrière tousles souhaits et les besoins, les obsessions faceaux choix à faire, l'esprit de sagesse non fabri-qué de rigpa est toujours présent. Chaque fois

que nous arrêtons de nous parler à nous-m êmes,rigpa est constamment là.Au Népal, les chiens aboient pendant toute la

nuit. Toutes les vingt minutes environ, ilss'arrêtent tous en même temps et on fait l'expé-

rience d'un soulagement et d'une tranquillitéimmenses. Puis ils se remettent tous à aboyer.Le petit esprit ou sem peut être ressenti exacte-



ment de la même manière. Quand nouscommençons à pratiquer la méditation, c'estcomme si les chiens n'arrêtaient jamaisd'aboyer. Au bout de quelque temps, il y a despauses. Les pensées discursives sont comme ceschiens sauvages qui ont besoin d'être apprivoi-sés. Au lieu de les battre ou de leur jeter despierres, nous les apprivoisons par la compas-sion. À maintes reprises, nous les traitons avecla précision et la bienveillance qui leur per-mettent de se calmer progressivement. Parfoison a l'impression qu'il y a beaucoup plusd'espace ; on entend seulement quelquesrumeurs, des jappements ici ou là.

Bien sûr que le bruit va continuer. Nousn'essayons pas de nous débarrasser de ceschiens. Mais une fois que nous avons touché lecaractère spacieux de rigpa, il commence à

s'insinuer partout. Pour peu que nous ayons euun aperçu de cet espace et que nous pratiquionsmaitri, il continuera à s'étendre. Il s'étend ausein de notre ressentiment. Il s'étend au sein denotre peur. Il s'étend à l'intérieur de nos

concepts et opinions sur les choses ainsi que surce que nous pensons être nous-mêmes. Il pour-rait même arriver que la vie nous apparaissecomme un rêve.

Quand j'avais dix ans environ, ma meilleure

amie s'est mise à avoir des cauchemars : ellecourait dans un immense immeuble sombre,poursuivie par des m onstres hideux. Elle arrivait



à une porte, l'ouvrait à grand-peine et aprèsl'avoir refermée derrière elle, elle entendait lesm onstres qui s'approchaient à toute vitesse pourl'ouvrir. Finalement, elle se réveillait en appe-lant à l'aide.

Un jour nous étions assises dans sa cuisine,parlant de ses cauchemars. Je lui ai alorsdemandé à quoi ressemblaient ses démons, ellem'a répondu qu'elle ne le savait pas, car ellecherchait toujours à les fuir. C'est après avoirentendu ma question qu'elle a commencé às'interroger sur les monstres. Elle se demandaitsi certains d'entre eux ressemblaient à des sor-cières et si d'autres avaient des couteaux. Sibien qu'une nuit, alors que les démons s'apprê-taient à la poursuivre, elle s'arrêta net et fitdem i-tour. Cela lui demanda un courage inouï etson coeur battait fort, mais elle s'adossa au mur

et les regarda. Ils s'arrêtèrent tous devant elle etse mirent à faire des bonds en l'air, mais aucunne s'approcha davantage. Il y en avait cinq entout, ressemblant chacun à un animal. L'un étaitun ours gris, sauf qu'en guise de griffes il avait

de longs ongles rouges. Un autre avait quatreyeux. Un troisième avait une blessure à la joue.En les regardant attentivement, ils lui apparurentmoins comme des monstres véritables quecomme les dessins à deux dimensions d'une

bande dessinée. Puis, tout doucement, ilscommencèrent à s'effacer. Elle se réveilla alors.C e fut son dernier cauchem ar.



On enseigne qu'il y a trois types de réveil : leréveil du rêve lors du sommeil ordinaire, leréveil du rêve de la vie à l'heure de la mort et leréveil du rêve de l'illusion dans l'éveil total. Cesenseignements disent qu'à notre mort nous fai-sons l'expérience de ce moment comme si onsortait d'un très long rêve. Quand j'ai entenducet enseignement, je me suis souvenue des cau-chemars de mon amie. Ce qui m'a frappée toutd'abord, c'est que si vraiment tout cela est unrêve, je pourrais aussi bien le traverser enessayant de regarder en face ce qui m'effraieplutôt que de fuir. Je n'ai pas toujours trouvé ladémarche facile, mais elle m'a appris beaucoupde choses sur maitri.

Nos démons personnels apparaissent sousplusieurs déguisements. Nous les vivons sousforme de honte, de jalousie, d'abandon, de rage.

Ils sont tout ce qui nous met mal à l'aise, aupoint de vouloir prendre la fuite sans arrêt.Nous prenons le grand large : nous passons à

l'acte, nous disons quelque chose, nous cla-quons une porte, nous frappons quelqu'un ou

bien nous jetons un vase par terre pour ne pasaffronter ce qui se passe dans notre coeur. Oubien nous enfouissons nos sentim ents au fond denous pour, en quelque sorte, calmer notre dou-leur. Nous pouvons passer toute notre vie à fuir

les monstres de notre esprit.Partout dans le monde les gens sont tellementoccupés à courir qu'ils en oub lient de p rofiter de



la beauté qui les entoure. Nous avons tellementl'habitude de foncer à toute vitesse que nousnous dérobons à nous-mêmes la joie que nouspourrions ressentir.

J'ai rêvé un jour que j'étais en train d'arrffl-ger une maison pour recevoir Khandro Rin-poché. Je courais à droite et à gauche pour net-toyer et cuisiner. Soudain sa voiture arriva etelle se trouva là, avec son assistante. Comme jecourais les saluer, Rinpoché me demanda ensouriant : « As-tu vu le soleil se lever, cematin ? » Je lui répondis : « Non, Rinpoché, jene l'ai pas vu. J'étais bien trop occupée pourvoir le soleil. » Elle rit et me dit : « Tropoccupée pour vivre sa vie ! »

Il semble parfois que nous ayons une pré-férence pour l'obscurité et la précipitation. Nousavons beau nous rebeller, gémir et conserver

une rancune de m ille ans au coeur de l'amertumeet de la haine nous avons un aperçu fugitif del'existence de maitri. Nous entendons un enfantqui pleure ou nous sentons l'odeur du pain quel'on cuit. Nous ressentons la fraîcheur de l'air

ou nous voyons le premier crocus du printemps.Malgré nous, nous sommes attirés dehors par labeauté de notre propre arrière-cour.

Pour dissoudre notre résistance à la vie, il fauty faire face, sans ambages. Si nous éprouvons

de l'irritation parce qu'il fait trop chaud dans lapièce où nous sommes, il faut affronter la cha-leur, en sentir l'ardeur et le poids. Si nous



sommes irrités parce qu'il y fait trop froid, ilfaut affronter le froid et en sentir le caractèreglacial et mordant. Au lieu de nous plaindre dela pluie, nous pourrions en sentir l'humidité. Sinous sommes ennuyés parce que le vent secouenos fenêtres, il faut l'affronter et écouter le bruitqu'il fait. Couper court à nos attentes de guéri-son est un cadeau q ue nous pouvons nous faire ànous-mêmes. On ne peut pas guérir de la cha-leur ou du froid. Ils sont là pour toujours. Aprèsnotre mort, le flux et le reflux vont persister.Comme les marées, comme le jour et la nuit —c'est la nature des choses. Être capable des'intéresser aux choses, de les regarder atten-tivement, d'ouvrir son esprit — c'est cela lecoeur de maitri.

Les rivières et l'air pollués, les familles et lesnations se faisant la guerre, les vagabonds sans

foyer encombrant les routes, sont autant designes traditionnels d'un âge sombre. On peuten ajouter un autre : les gens sont empoisonnéspar le doute sur eux-mêmes et deviennent deslâches.

Pratiquer la bienveillance envers soi-mêmesemble être un moyen qui en vaut bien un autrepour commencer à illuminer l'obscurité destemps difficiles.

Être . préoccupé de l'image de nous-mêmes,

c'est comme être sourd et aveugle. C'est commese tenir debout au milieu d'un grand champ defleurs sauvages avec une cagoule noire sur la



tête. C'est comme tomber sur un arbre oùchantent des oiseaux quand on a des boulesQuiès dans les oreilles.

Il y a tant de résistance à la vie, tellement de

ressentiment dans l'air ; dans tous les pays, c'estcomm e une peste qui échappe à notre contrôle etem poisonne l'atm osphère du m onde. A ce stade,il serait sage de s'interroger sur ces choses et decommencer à avoir du talent pour la bienveil-lance.



6

ÉVITER DE NUIRE

Simplement faire une pause au lieu de

remplir l'espace aussitôt, c'est une

expérience transformatrice. En restant

en attente, nous commençons à entrer

en rapport avec l'agitation fondamen-

tale aussi bien qu'avec l'espace fonda-

mental.

N e pas nuire à autrui suppose évidem m ent de

s'abstenir de tuer, de voler ou de mentir. Celaimplique aussi de ne pas être agressif — aussibien en action qu'en parole ou en esprit.Apprendre à ne nuire ni à nous-mêmes ni auxautres est un enseignement de base du boud-

dhisme sur le pouvoir de guérison lié à la non-agression.

Ne causer de tort ni à nous-mêmes ni auxautres au début, au milieu ou à la fin, c'est labase même d'une société éveillée. C'est ce qui

peut permettre un monde plus sain. Çacommence avec des citoyens sains, avec nous-m êmes. L'agression la p lus fondam entale envers



nous-mêmes, le mal le plus fondamental quenous pouvons nous faire est de demeurer igno-rant en n'ayant ni le courage ni le respect denous regarder avec honnêteté et douceur.

À la base de cette disposition à ne pas nuire àautrui, il y a l'attention, c'est-à-dire le sentim entde voir clairement, avec respect et compassion,ce que nous percevons. C'est ce que nousmontre la pratique de base. Mais l'attention nese limite pas à la méditation formelle. Elle nousaide à entrer en rapport avec tous les détails dela vie, à voir, à entendre et à sentir, sans fermerles yeux ou nous boucher les oreilles ou le nez.C'est le parcours de toute une vie que d'entrerhonnêtement en relation avec le caractère im m é-diat de notre expérience et de nous respectersuffisamment pour ne pas porter de jugementsur celle-ci.

Comme nous prenons de plus en plus à coeurce voyage de douceur honnête, c'est un vraichoc de constater à q uel point nous avons refuséde voir certaines de nos manières de nuire.Notre style est si bien enraciné en nous que nous

ne pouvons pas entendre ceux qui essayent denous dire, avec douceur ou rudesse, que peut-être nous causons du tort par notre façon d'êtreou dans nos rapports avec les autres. Noussommes si habitués à notre façon de faire que

nous croyons en quelque sorte que les autres lesont aussi.C'est douloureux de faire face à la manière



dont nous pouvons nuire aux autres, et celademande passablement de temps. Le voyage alieu parce qu'on s'est engagé à pratiquer la dou-ceur, l'honnêteté, à rester réveillé, à être attentif.Grâce à l'attention, nous voyons nos désirs etnotre agression, notre jalousie et notre igno-rance, sans suivre ces pulsions ; nous nouscontentons de les voir. Sans l'attention, impos-sible d'en prendre acte.

L'étape suivante consiste à s'abstenir.L'attention est la base; l'action de s'abstenir estla voie. S'abstenir, c'est un de ces mots crispésqui ont l'air répressif. Il est évident que les gensvifs, pleins d'entrain et intéressants ne vont paspratiquer l'abstention. Peut-être le feront-ilsoccasionnellement, mais sans jamais en faireleur mode de vie. Dans ce contexte, pourtant, lacapacité de s'abstenir sert souvent de méthode

permettant de devenir une personne dharm ique .C'est grâce à elle que nous ne cherchons pas ànous divertir dès que nous sentons poindre unpetit début d'ennui. C'est la pratique quiconsiste à ne pas remplir immédiatement

l'espace juste parce qu'il y a enfin une brèche.On m'a donné un jour une pratique de médi-tation intéressante qui faisait appel à l'attentionet à la faculté de s'abstenir. On nous avait sim-plement dit de remarquer les mouvements de

1. Personne incarnant dans son existence l'éthiqueproposée par le Bouddha. (N.d.T.)



notre corps quand nous nous sentions mal àl'aise. J'ai commencé à m'apercevoir que,quand je me sentais mal à l'aise, je faisais cer-tains mouvements comme me tirer l'oreille, megratter le nez ou la tête, alors que ça ne medémangeait pas, ou bien ajuster mon col. Je fai-sais toute sorte de petits mouvements incontrô-lés et fébriles quand je sentais que je perdaismon assise. La consigne était de ne pas essayerde changer q uoi que ce soit, de ne pas nous criti-quer quoi que nous fassions, mais de nouscontenter d'observer nos gestes.

Prendre note de la manière dont nousessayons d'éviter l'absence de terrain solide estun moyen d'entrer en contact avec cette perted'assise. S'abstenir, c'est-à-dire ne pas passer àl'acte de façon impulsive comme d'habitude, aquelque chose à voir avec le renoncement à la

mentalité de divertissement. En nous abstenantd'agir, nous pouvons voir que quelque choseexiste entre l'apparition du désir — de l'agres-sion, de la solitude ou quoi que ce soit d'autre— et toute action que nous accomplissons

comme résultat de ce sentiment. Il y a en nousquelque chose dont nous ne voulons pas fairel'expérience et dont nous ne faisons jamaisl'expérience parce que nous sommes tellementpressés d'agir.

Dans notre vie ordinaire, derrière tout notrebavardage, derrière tous les mouvements quenous faisons, derrière toutes les pensées de notre



esprit, il y a une absence fondamentale de ter-rain solide. Elle est là, à bouillonnerconstamment. Nous en faisons l'expérience sousform e d'agitation et d'irritation. N ous en faisonsl'expérience sous forme de peur. Elle provoquela passion, l'agression, l'ignorance, la jalousie etl'orgueil, mais nous ne descendons jamaisjusqu'à son essence.

S'abstenir, c'est la méthode dont on use pourparvenir à connaître la nature de cette agitationet de cette peur. C'est la méthode permettant dese faire à l'absence de terrain solide. Si nousnous d ivertissons aussitôt en com m ençant à par-ler, à agir ou à penser — si nous ne faisonsjamais aucune pause — nous ne pourrons jamaisnous détendre. Notre vie sera un marathon sansfin. Nous demeurerons bloqués au stade du« vrai paquet de nerfs », comme disait mon

grand-père. Dans ce sens, s'abstenir c'est unefaçon d'entrer en amitié avec soi-même auniveau le plus profond possible. On peut com-mencer à entrer en rapport avec ce qui existe endessous des bulles, des renvois et des pets, tous

ces machins qui sortent et s'expriment sousforme d'une conduite très tendue, dominatriceou manipulatrice, etc. Derrière tout cela, il y aquelque chose de très doux et de très tendre,dont nous faisons l'expérience sous forme de

peur ou d'irritation.Il était une fois une jeune guerrière à qui sonmaître dit qu'elle devait engager le combat



contre la peur. Elle ne voulait pas le faire. Ça luisem blait trop agressif, effrayant, hostile. M ais lem aître lui dit qu'il fallait le faire et lui donna desinstructions pour la bataille. Le jour du combatarriva. L'étudiante guerrière se tint d'un côté etla peur de l'autre. La guerrière se sentit toutepetite et la peur avait l'air grande et courroucée.Toutes deux avaient leurs arm es. La jeune guer-rière s'enhardit et s'avança vers la peur, se pros-terna trois fois et lui dem anda : « Puis-je avoir laperm ission de m e m esurer à vous ? » La p eur luidit : « Merci d'avoir tant de respect pour moique vous sollicitiez ma permission. » Alors lajeune guerrière lui demanda : « Commentpuis-je vous vaincre ? » La peur répliqua : « Jeparle très vite et je m'approche tout près devotre visage : voilà mes armes. Alors vous voustroublez complètement et faites tout ce que je

vous dis. Si vous ne faites pas ce que je vousdis, je n'ai aucun pouvoir. Vous pouvezm'écouter et avoir du respect pour moi. Vouspouvez même être convaincue par moi. Mais sivous ne faites pas ce que je vous dis, je n'ai

aucun pouvoir. » C'est ainsi que l'étudianteguerrière app rit à vaincre la peur.C'est vraiment comme ça que ça marche. Il

faut avoir un certain respect pour sa frousse,comprendre un tant soit peu comment nos émo-

tions ont le pouvoir de nous faire tourner enrond. Cette compréhension nous aide à décou-vrir comm ent nous augm entons notre douleur et



notre confusion et nous nous faisons du mal.Parce que nous possédons la bonté fondamen-tale, la sagesse fondamentale, l'intelligence fon-dam entale, nous pouvons cesser de nuire à nous-mêmes et aux autres. Grâce à l'attention, nouspouvons voir les choses au moment où elles sur-gissent. Quand nous comprenons le processus,nous ne nous faisons pas avoir par la réaction en

chaîne qui transforme des choses minuscules enmonstruosités. Nous laissons les choses êtreminuscules. Elles restent toutes petites. Elles neprennent pas une am pleur qui les transform e entroisième guerre mondiale ou en violence

dom estique. Tout cela est possible parce q u'on aappris à s'arrêter ne serait-ce qu'un instant, à nepas répéter compulsivement la même choseencore et toujours. Simplement faire une pauseau lieu de remplir l'espace aussitôt, c'est une

expérience transformatrice. En restant enattente, nous commençons à entrer en rapportavec l'agitation fondamentale aussi bienqu'avec l'espace fondamental.

Et quelle est la conséq uence de tout ça ? C 'estque nous cessons de causer du tort. Nouscommençons à nous connaître à fond et à nousrespecter. Tout peut arriver, tout peut entrerdans notre m aison ; quoi que nous trouvions ins-

tallé sur le canapé du salon, nous ne piquons pasune crise. La démarche entreprise pour nousconnaître nous a assouplis totalement, l'atten-



tion douce, honnête, nous a transformés du toutau tout.

Ce processus nous met en rapport avec lafructification liée à la capacité de s'abstenir : lebien-être fondamental de notre corps, de notreparole et de notre esprit. Le bien-être du corpsest comme une montagne. Beaucoup de chosesse produisent sur une montagne. Il y grêle, lesvents se lèvent, il y pleut et il y neige. Le soleiltape fort, les nuages se croisent, les animauxchient et pissent sur la montagne, les humainsfont de même. Des gens laissent des ordures qued'autres nettoient. Bien des choses vont etviennent sur cette montagne, mais elle resteimmuable. Quand nous nous sommes vus àfond, nous connaissons une immobilité du corpsqui rappelle celle de la montagne. Nous cessonsde ne p as pouvoir rester en place, d'avoir besoin

de nous gratter le nez, de nous tirer les oreilles,de frapper quelqu'un ou de nous soûler jusqu'àperdre conscience. Etablir une relation vraim entbonne avec nous-mêmes nous apprend l'immo-bilité, ce qui ne nous empêche pas de courir, de

sauter ni de danser. Cela signifie plutôt que lacompulsion a disparu. Nous ne travaillons pastrop, nous ne mangeons pas trop, nous nefumons pas trop et nous ne cherchons pas trop àséduire. En bref, nous commençons à cesser de

nuire.Le bien-être lié à la parole est comme un luthsans cordes. Même sans cordes, l'instrument se



révèle par lui-même. C'est une image de laparole au repos, apaisée. Cela ne veut pas direque nous la contrôlons, tendus, en nous effor-çant de ne pas parler mal. Cela signifie quenotre parole est directe et disciplinée. Nous nenous mettons pas à lâcher des mots simplementparce que personne d'autre ne parle et que celanous rend nerveux. Nous ne jacassons pascomme des pies ou des corbeaux. Nous avonstout entendu; on nous a injurié et on nous a féli-cité. Nous savons ce que c'est qu'être dans unesituation où tout le monde est en colère ou, aucontraire, où tout le monde est en paix. Lemonde nous est familier, parce que nous nousconnaissons bien et, par conséquent, nousn'avons pas besoin, par nervosité ou pour suivrenos schém as habituels, de nous mettre à parler àtoute vitesse. Notre parole est apprivoisée et

communique quelque chose. Nous ne gaspillonspas le don de parole pour exprimer notrenévrose.

Le bien-être de l'esprit est comme un lac demontagne sans rides. Quand le lac n'a aucune

ride, on peut tout y voir. Quand l'eau est toutagitée, on ne peut rien y voir. Le lac calme sansrides est une im age de notre esprit au repos, tel-lement plein d'une amitié illimitée pour tout lebric-à-brac qui se trouve au fond du lac que

nous n'éprouvons nullement le besoin de fairebouillonner les eaux pour éviter de voir ce qu'ily a au fond.



Ne pas causer de tort demande q u'on demeureéveillé. Cela suppose, entre autres, de ralentirsuffisamment pour remarquer ce que nousdisons et faisons. Plus nous observons nos réac-tions émotionnelles en chaîne et comprenonsleur fonctionnement, plus il nous est facile denous abstenir. Rester éveillé, ralentir et remar-quer ce qui se passe devient alors un mode devie.

À la racine de tout le tort que nous faisons setrouve l'ignorance. Par la méditation, c'est ceque nous com m ençons à défaire. S i nous consta-tons que nous ne som m es pas attentifs, que nousne savons pas nous abstenir le plus souvent ouque nous ne sommes pas bien dans notre peau,tout cela n'est pas de la confusion, c'est le débutde la clarté. Au fur et à mesure que notre vies'écoule, notre capacité à être sourd, muet et

aveugle s'amenuise. Curieusement, au lieu denous crisper, ce processus nous libère. C'est lalibération qui se produit naturellement quandnous sommes tout à fait là, sans. nous faire desouci au sujet de l'imperfection.



7

L'ABSEN CE D 'ESPOIR ET LA M ORT

Si nous sommes disposés à abandonnerl'espoir d'éradiquer l'insécurité et la

dou leur, alors nou s aurons le cou ragede nous détendre dans une situation

sans assise. C'est le prem ier pas sur lavoie.

Tourner son esprit vers le dharma n'apporteni sécurité ni confirmation. Tourner son esprit

vers le dharm a n'apporte aucun terrain solidesur lequel se tenir. En fait, quand on tourne sonesprit vers le dharm a, on prend courageusementacte de l'impermanence et du changem ent et oncommence à acquérir le talent du non-espoir.

Y e tang ch e est un mot tibétain intéressant. Leye signifie « totalement, complètement », et lereste du m ot signifie « épuisé ». L'expression yeta n g c h e signifie complètement épuisé, nouspourrions dire « le ras-le-bol total ». Ce mot

décrit une expérience d'absence totale d'espoir,de com plet abandon de l'espoir. C 'est un p ointimportant. C'est le début du com mencement. Si



nous n'abandonnons pas l'espoir, c'est-à-direl'idée qu'il existe quelque part un endroit oùnous serions mieux, qu'il existe quelqu'un demieux que nous pourrions être, alors nous nenous détendrons jamais là où nous sommes,avec la personne que nous sommes.

Nous pourrions dire que le mot attention

indique que nous ne faisons qu'un avec notreexpérience, que nous ne nous en dissocions pas,que nous sommes bien là quand notre maintouche la poignée de la porte ou que le télé-phone sonne ou que des sentiments de toutesorte surgissent. Le mot attention signifie êtrebien là où nous sommes. Ye tang che, parcontre, n'est pas assimilé aussi facilement. Ilexprime le renoncement, essentiel à la voie spi-rituelle.

Penser que nous pouvons finalement tout

contrôler n'est pas réaliste. Rechercher unesécurité durable est futile. Sortir de nos habi-tudes mentales très anciennes et profondémentancrées dem ande que nous comm encions à fairefaire volte-face à certaines de nos convictions

essentielles. Croire à un moi solide et séparé,continuer à rechercher le plaisir et à fuir la dou-leur, croire que quelqu'un « là-bas » doit êtreblâmé pour notre douleur — c'est de cesmanières de penser qu'il faut arriver à être

complètement écoeuré. Il faut abandonnerl'espoir que ces façons de penser vont nousapporter la satisfaction. La souffrance



commence à se dissoudre quand on est capablede remettre en question la croyance ou l'espoirqu'il existe un endroit quelconque où se cacher.

L'absence d'espoir veut dire que nousn'avons plus le coeur à poursuivre notre ciném a.Nous pouvons désirer encore le poursuivre.Nous aspirons à un terrain sûr et accueillantsous nos pieds, mais même si nous avons essayémille façons de nous cacher et mille autres derégler tous les détails qui restent, le sol demeurem ouvant sous nos pieds. Essayer d'arriver à unesécurité durable nous apprend beaucoup, car sinous n'essayons jamais de le faire, nous ne nousrendrons jamais compte que c'est tout simple-ment impossible. Tourner notre esprit vers ledharma accélère le processus de cette décou-verte. Chaque fois que nous nous tournons versle dharma, nous comprenons une fois de plus

que c'est absolument sans espoir — nous nepouvons avoir aucun terrain solide sous lespieds.

La différence entre théisme et non-théism e neréside pas dans le fait de croire ou non en Dieu.

C'est un problème qui se pose à tous, aux boud-dhistes et aux non-bouddhistes. Le théisme estla conviction profondément ancrée qu'il existeune main que l'on peut tenir : si nous faisons cequ'il faut, quelqu'un l'appréciera et prendra soin

de nous. Cela revient à croire qu'il y a toujoursune baby-sitter disponible quand nous en avonsbesoin. Nous avons tous tendance à nous



démettre de nos responsabilités et à déléguernotre autorité à quelque chose d'extérieur ànous. Le non-théisme, c'est se détendre dansl'ambiguïté et la précarité de l'instant présentsans chercher à atteindre quoi que ce soit pournous protéger. Nous pensons parfois que ledharma est quelque chose d'extérieur à nous,quelque chose en quoi nous pouvons croire, etque nous devons nous hisser à son niveau. Maisle dharma n'est pas une croyance, ce n'est pasun dogme. C'est être pleinement sensible àl'impermanence et au changement. Les ensei-gnements se désintègrent quand on cherche às'en saisir. Il faut les mettre en pratique sanscaresser d'espoir. Beaucoup de gens courageuxet compatissants les ont expérimentés et ensei-gnés. Le message est intrépide : le dharma n'ajamais été une croyance à suivre aveuglément.

Le dharma ne nous procure absolument rien àquoi nous accrocher.L'absence de théisme, c'est comprendre enfin

qu'il n'y a pas de baby-sitter sur qui on peutcompter. Vous venez à peine de tomber sur une

bonne baby-sitter et déjà elle a disparu. Le non-théisme, c'est se rendre compte qu'il n'y a pasque les baby-sitters qui vont et viennent. Toutela vie est comme ça. C'est la vérité, et la véritéest gênante.

Pour ceux qui cherchent quelque chose à quois'accrocher, la vie est plus embarrassanteencore. De ce point de vue, le théisme est une



dépendance. Nous sommes tous accros àl'espoir — l'espoir que le doute et le mystèrevont disparaître. Cette dépendance a un effetdouloureux sur la société; une société fondéesur une multitude de gens accrochés à l'idéed'avoir un terrain solide sous leurs pieds n'estpas un lieu de grande compassion.

Selon la première noble vérité du Bouddha,

quand nous ressentons de la souffrance cela neveut pas dire que quelque chose ne va pas. Quelsoulagement ! Enfin quelqu'un dit la vérité. Lasouffrance fait partie de la vie et rien ne sert decroire qu'on a mal parce qu'on a fait quelque

chose de travers. En fait, pourtant, quand noussouffrons, nous croyons que quelque chose va

mal. Tant que nous nous adonnons à la droguede l'espoir, nous croyons pouvoir étouffer notreexpérience, l'exaltei ou la changer d'une

manière quelconque et nous continuons à souf-frir énormém ent.

En tibétain le mot espoir se dit rewa, le motpeur se dit dokpa. On se sert plus comm unémentdu mot re-dok, qui combine les deux. L'espoircomme la peur sont des sentiments à deuxfaces : quand il y en a une, il y a aussi l'autre.Ce re-dok est la racine de notre souffrance. Dansle monde de l'espoir et de la peur, on doit

constamment changer de chaîne, changer detempérature, changer de musique parce quequelque chose devient gênant ou nous agite,



quelque chose commence à nous faire mal etnous n'arrêtons pas de chercher autre chose.

Dans un état d'esprit dépourvu de théisme,abandonner l'espoir est une affirmation, le débutdu commencement. Vous pourriez même affi-cher « Abandonner l'espoir » sur la porte devotre réfrigérateur plutôt que des m aximes plusconventionnelles telles que : « Tous les jours,dans tous les domaines, je m'améliore de plusen plus. »

L'espoir et la peur proviennent de l'impres-sion de manquer de quelque chose ; ils viennentd'un sentiment de carence. Il nous est tout sim-

plem ent im possible de nous détendre avec nous-mêmes. Nous nous accrochons à l'espoir etl'espoir nous dérobe l'instant présent. Nousavons l'im pression que quelqu 'un d'autre sait cequi se passe, mais qu'il nous manque quelque

chose et que, par conséquent, quelque chosem anque à notre m onde.Au lieu de laisser la négativité nous dominer,

nous pouvons reconnaître qu'en ce momentmême nous nous sentons comme une merde et

ne pas faire le délicat pour bien regarder. C'estça la compassion. C'est ça le courage. On peutrespirer cette merde. On peut la sentir : quelle enest la texture, la couleur, la forme ?

On peut explorer la nature de la merde. On

peut connaître la nature du dégoût, de la honte etde la gêne sans croire qu'il y ait là quelquechose qui cloche. On peut laisser tomber



l'espoir fondamental qu'il y a un « moi » meil-leur qui émergera un jour. On ne peut pas fairel'impasse sur soi-même comme si on n'était paslà. Il vaut m ieux avoir une vue juste sur tous nosespoirs et toutes nos peurs. C'est alors que sur-git une sorte de confiance en notre santé fonda-mentale.

C'est là que le renoncement entre en scène —renoncer à l'espoir que notre expérience pourraitêtre différente, à l'espoir que nous pourrionsêtre mieux. Les règles monastiques bouddhistesqui conseillent de renoncer à l'alcool, à l'acti-vité sexuelle, etc., ne signifient pas que ceschoses sont fondamentalement mauvaises ouimmorales, mais que nous nous en servonscomme des baby-sitters. Nous nous en servonscomme moyens de fuite ; nous nous en servonspour notre confort ou en guise de distraction. La

véritable chose à laquelle nous renonçons estl'espoir tenace que nous pourrions être sauvésd'être ce que nous sommes. Le renoncement estun enseignement pour nous inciter à élucider cequi se produit chaq ue fois que nous empoignons

quelque chose parce que nous ne supp ortons pasde faire face à ce qui nous arrive.J'étais assise, un jour, en avion, à côté d'un

homme qui interrompait fréquemment notreconversation pour prendre diverses pilules. Je

lui demande : « Que prenez-vous ? » Il merépond : « Des tranquillisants. » Je lui dis :« C'est donc que vous êtes nerveux ? » Il



rétorque : « Non, pas en ce moment, mais jecrains de l'être quand je serai rentré. »

On peut bien rire de cet homme, mais quefaites-vous quand vous commencez à vous sen-tir mal à l'aise, déstabilisé, nauséeux ? Remar-quez votre panique, rem arquez que vous m ettezaussitôt le grappin sur quelque chose. Ce gestese fonde sur l'espoir. S'abstenir de mettre legrappin sur quelque chose s'appelle l'absenced' espoir.

Si l'espoir et la peur sont comme les deuxfaces d'une pièce de monnaie, il en est de mêmede l'absence d'espoir et de la confiance. Si nous

som m es disposés à abandonner l'espoir d'éradi-quer l'insécurité et la douleur, alors nous auronsle courage de nous détendre dans une situationsans assise. C'est le premier pas sur la voie. Sicela ne nous intéresse pas d'aller au-delà de la

peur et de l'espoir, trouver refuge dans le boud-dha, le dharma et la sangha n'a plus alorsaucune signification. Chercher refuge dans lebouddha, le dharma et la sangha veut direrenoncer à l'espoir d'avoir un terrain solide sous

ses pieds. On est prêt à cherch er refuge quand lestyle de cet enseignement (que nous ayons lesentiment de l'avoir complètement assimilé ounon) est comme la résonance à nos oreilles d'unvieil air connu, comme l'expérience de l'enfant

qui retrouve sa mère après une longue sépara-tion.L'absence d'espoir est le terrain de base.



Autrement, nous ferons le voyage avec l'espoird'obtenir la sécurité. Si nous faisons le voyagepour nous rassurer, nous passons com plètementà côté de l'essentiel. Nous pouvons pratiquer laméditation dans l'espoir de gagner la sécurité ;nous pouvons étudier les enseignements avecl'espoir d'obtenir la sécurité ; nous pouvonssuivre les consignes et les instructions pouratteindre la sécurité ; mais tout cela ne peutconduire qu'à la déception et à la douleur. Nouspourrions épargner un temps considérable enprenant ce message très au sérieux dès mainte-nant. Commençons ce voyage sans espoird'avoir un terrain solide sous nos pieds.Commençons-le avec le non-espoir.

Toute l'anxiété, toute l'insatisfaction, toutesles raisons d'espérer que notre expérience pour-rait être différente prennent racine dans notre

peur de la m ort. À l'arrière-plan, on trouve tou-jours la peur de m ourir. Com m e l'a dit le maîtrezen Shunryu Suzuki Roshi, la vie c'est commem onter à bord d 'un navire sur le point de partiren mer et de sombrer. Mais c'est très difficile,

en dépit de tout ce que nous en avons entendudire, de croire à notre propre m ort. Beaucoup depratiques spirituelles essayent de nous encoura-ger à prendre au sérieux notre propre m ort, maisil est étrangement difficile de nous laisser tou-

cher en plein coeur par cela. La seule chose de lavie dont nous pouvons être absolument certainsest incroyablement éloignée pour nous tous.



Nous n'allons pas jusqu'à dire : « Sûrement, jene vais pas mourir », car, bien sûr, nous savonsque nous allons disparaître. Mais ce sera sûre-ment plus tard. C'est notre espoir le plus déme-

suré.Trungpa R inpoché a donné un jour une confé-

rence intitulée : « La m ort dans la v ie de tous lesjours. » Nous avons été élevés dans une culturequi a peur de la mort et nous la cache. Nous enfaisons néanmoins l'expérience tout le temps.Nous en faisons l'expérience sous la forme dedéceptions, sous la forme de choses qui nemarchent pas. Nous en faisons l'expérience sousla forme de choses en perpétuel changement.Quand un jour finit, quand une seconde finit,quand nous expirons, c'est la mort dans la vie detous les jours.

La mort dans la vie de tous les jours peut

aussi se définir comme l'expérience de toutesces choses dont nous ne voulons pas. Notremariage ne marche pas, notre boulot ne nousrevient pas. Avoir une relation avec la mort dansnotre vie de tous les jours signifie que nous

comm ençons à pouvoir attendre, à pouvoir nousdétendre dans l'insécurité, dans la panique, dansla gêne, ou avec ce qui ne marche pas. Au fur età m esure que les années passent, nous ne faisonsplus aussi vite appel à la baby-sitter.

La mort et l'absence d'espoir procurent unemotivation appropriée — une motivation adé-quate pour vivre une vie lucide et compatis-



sante. Mais la plupart du temps nous prémunircontre la mort est notre motivation la plus puis-sante. Nous évitons habituellement tout ce quipose problème. Nous essayons toujours de nierqu'il est naturel que les choses changent, que lesable nous glisse entre les doigts. Le tempspasse. C'est tout aussi naturel que le change-ment des saisons ou la transform ation du jour ennuit. Mais vieillir, tomber malade, perdre ceuxque nous aimons, nous ne voyons pas ces événe-ments comme des circonstances naturelles.Nous voulons échapper à ce sentiment de mort,à tout prix.

Quand nous avons des rappels de la mort,nous sommes pris de panique. Ça ne se limitepas à se couper le doigt, au sang qui se met àcouler et au pansement qu'on applique. On yajoute encore autre chose — son propre style.

Certains se contentent de rester stoïquementassis et de saigner abondamment sur leurs vête-ments. D'autres deviennent hystériques ; ils nese contentent pas de mettre un pansement, ilsappellent l'ambulance et vont à l'hôpital.

D'autres encore portent des sparadraps derniercri. Mais, quel que soit notre style, ce n'est passimple. Ce n'est pas l'essentiel.

Ne pouvons-nous pas revenir à l'essentiel ?Ne pouvons-nous pas tout simplement revenir

en arrière ? C'est le début du commencement.L'essentiel, ce bon vieux soi-même. L'essentiel,ce bon vieux doigt saignant. Revenir au point de



départ, rien que le minimum de l'essentiel. Sedétendre dans le moment présent, se détendredans l'absence d'espoir, se détendre avec lamort, ne pas s'opposer au fait que les choses ontune fin, que les choses passent, qu'elles n'ontpas de substance durable, que tout change toutle temps — c'est ça le message de base.

Parler de l'absence d'espoir et de la mort, çaveut dire faire face aux faits. Aucune fuite de laréalité. Nous pouvons continuer à avoir desdépendances de toute nature, mais nous cessonsde croire qu'elles sont autant de portes d'accèsau bonheur. Nous avons si souvent abusé dufugace plaisir de la dépendance. Nous l'avonsfait si souvent que nous savons bien que nouscramponner à cet espoir est source de misère,transformant un bref plaisir en un long enfer.

Abandonner l'espoir est une incitation à

demeurer avec nous-mêmes, à entrer en amitiéavec nous-mêmes, à ne plus fuir, à retourner àl'essentiel quoi qu'il arrive. La peur de la mortest toujours à l'arrière-plan. C'est pourq uoi nousnous sentons agités, paniqués, anxieux. Mais si

nous vivons à fond l'absence d'espoir en renon-çant à toute lubie d'une quelconque alternativeau moment présent, il est possible de connaîtrela joie dans la v ie, d'établir une relation honnêteet directe avec elle qui ne néglige plus la réalité

de l'impermanence et de la mort.



8

LES HUIT DHARMAS DE CE MONDE

Nous pourrions avoir l'impression

qu'il faut essayer d'éradiquer ces sen-

timents de plaisir et de douleur, de

perte et de gain, de louange et de

blâme, de gloire et de honte. Une

approche plus efficace serait de parve-

nir à les connaître, de voir comment ils

nous harponnent, comment ils colorent

notre perception de la réalité, et qu'ils

ne sont pas si solides que ça. Alors leshuit dharmas de ce monde deviendront

le moyen de devenir plus sage, en'

même temps que plus aimable et plus

satisfait.

Un des enseignements bouddhistes classiquessur l'espoir et la peur a pour objet ce qu'onappelle les huit dharmas de ce monde. Ce sontquatre couples d'opposés, quatre choses que

nous aimons et auxquelles nous nous attachonset quatre choses que nous n'aimons pas et quenous essayons d'éviter. Le m essage fondam ental



est que, quand nous sommes sous l'emprise deshuit dharmas de ce monde, nous souffrons.

Prem ièrement, nous aim ons le plaisir ; nous ysommes attachés. À l'inverse, nous n'aimonspas la douleur. Deuxièmement, nous aimons leslouanges et y sommes attachés. Nous tâchonsd'éviter la critique et les reproches. Troisième-ment, nous aimons la gloire et y sommes atta-chés. Nous n'aimons pas la honte et essayons del'éviter. Enfin, nous sommes attachés au gain, àl'obtention de ce que nous désirons. Nousn'aimons pas perdre ce que nous possédons.

Selon cet enseignement très simple, c'estl'immersion dans ces quatre couples d'opposés— plaisir et douleur, perte et gain, gloire ethonte, louanges et reproches — qui nous main-tient englués dans la souffrance du samsara.

Chaque fois que nous nous sentons bien, nos

pensées roulent généralement sur les choses quenous aimons — la louange, le gain, le plaisir etla gloire. Quand nous nous sentons mal à l'aise,irritables et que nous en avons ras-le-bol, il estprobable que nos pensées et nos émotions

tournent autour de la douleur, de la perte, de lahonte et du blâme.Prenons, par exemple, les louanges et les

reproch es. Quelqu'un s'app roche de nous et dit :« Tu es vieux. » Si justement nous voulions être

vieux, nous nous sentons tout à fait bien. Nousprenons ça comme un compliment. Cela nousfait un plaisir extrême et nous procure un senti-



ment de richesse et de gloire. Mais supposonsque nous ayons été obsédés toute l'année par lasuppression de nos rides et le raffermissementde l'ovale de notre visage. Quand quelqu'unnous dit : « Tu es vieux », nous nous sentonsinsultés. Nous venons d'être critiqués et celanous fait mal.

Même si nous n'allons pas plus loin dans cetenseignement particulier, nous pouvons déjàvoir que beaucoup de nos oscillations d'humeursont en rapport avec la façon dont nous inter-prétons ce qui se passe. Si nous observons deprès nos oscillations d'humeur, nous constatonsqu'il y a toujours au départ quelque chose quiles provoque. Nous transportons avec nous uneréalité subjective qui déclenche nos réactionsémotionnelles. Quelqu'un nous dit : « Tu esvieux » et nous entrons dans un état d'esprit par-

ticulier, heureux ou triste, ravi ou furieux. Pourquelqu'un d'autre, il est possible que la mêmeexpérience soit complètement neutre.

Des mots sont prononcés, des lettres reçues,des appels téléphoniques envoyés, de la nourri-

ture est mangée, des choses apparaissent oun'apparaissent pas. Nous nous réveillons lematin, nous ouvrons les yeux et des événementsse produisent tout au long de la journée jusqu'àce que nous allions dormir. Beaucoup de choses

se produisent aussi pendant notre somm eil. Toutau long de la nuit nous rencontrons les per-sonnes et les péripéties de nos rêves. Comment



réagissons-nous à ce qui se produit ? Sommes-nous attachés à un certain type d'expérience ?Est-ce que nous en rejetons ou en évitonsd'autres ? Jusqu'où avons-nous avalé l'ham eçondes huit dharmas de ce monde ?

L'ironie dans tout ça, c'est que nous fabri-quons nous-mêmes les huit dharmas de cemonde. Nous les inventons en réaction à ce quinous arrive dans ce monde. Ils n'ont rien deconcrets comme tels. Mais il y a quelque chosede plus étrange encore : notre propre personnen'est pas si figée que nous le croyons. Nousavons un concept de nous-mêmes que nousreconstruisons instant après instant et que nousessayons de protéger en pratiquant un retour surnotre propre pensée. Mais ce concept que nousprotégeons est discutable. Tout cela « fait beau-coup de bruit pour rien », com m e de pousser ou

de tirer une illusion qui s'évanouit.Nous pourrions avoir l'impression qu'il fautessayer d'éradiquer ces sentiments de plaisir etde douleur, de perte et de gain, de louange et deblâme, de gloire et de honte. Une approche plus

efficace serait de p arvenir à les connaître, à voircomment ils nous harponnent, comment ilscolorent notre perception de la réalité et qu'ilsne sont pas si solides que ça. Alors les hu it dhar-mas de ce monde deviendront le moyen de

devenir plus sage, en même temps que plusaimable et plus satisfait.Pour commencer, nous pouvons remarquer,



lorsque nous méditons, à quel point nos émo-tions et nos mouvements d'humeur sont liés à lanotion de perte ou d'acquisition de quelquechose, aux louanges ou aux reproches et à toutce qui s'ensuit. Nous pouvons observer com-ment ce qui débute sous la forme d'une simplepensée, d'une simple qualité d'énergie aboutitvite et clairement soit à du plaisir, soit à de ladouleur. Il est sûr qu'il nous faut une certainedose de courage parce que nous aimerions quetout arrive sur le versant plaisir-louange-gloire-gain. Nous aimerions être sûrs que toute chosetourne en notre faveur. Mais si nous regardonsles choses de près, nous nous apercevons quenous n'avons absolument aucun contrôle surtout ce qui se passe. Nous vivons toutes sortesde sautes d'humeur et de réactions émotion-nelles. Elles vont et viennent sans fin, c'est tout.

Parfois nous nous trouvons complètementpris au milieu d'un drame. Nous sommes aussifurieux que si quelqu'un venait d'entrer dans lapièce pour nous gifler. Quelque chose pourraitalors nous venir à l'esprit : « Attends une

minute — que se passe-t-il donc ? » En exami-nant davantage, nous pouvons voir que nousavons le sentiment, venu d'on ne sait où, d'avoirperdu quelque chose ou d'avoir été insultés.D'où sort cette pensée, nous ne le savons pas,

mais nous voilà, harponnés une fois de plus parles huit dharmas de ce monde.Sur-le-champ, nous pouvons ressentir cette



énergie, faire de notre mieux pour laisser lespensées se dissoudre et nous offrir une pause.Au-delà de tout ce branle-bas, de tout ce tracas,il y a un ciel immense. Précisément au milieu dela tempête, nous pouvons lâcher prise et nousdétendre.

Nous pourrions aussi être complètement prisdans un fantasme merveilleux et très agréable.En l'observant de près, nous constatons quenous avons le sentiment, venu de nulle part,d'avoir gagné quelque chose, d'avoir remportéquelque chose ou d'avoir reçu des louangespour q uelque chose. Ce qui se produit échappe ànotre action et reste totalement imprévisible,comme les images d'un rêve. Mais ça arrive etnous voilà harponnés de plus belle par les huitdharmas de ce monde.

La race hum aine est tellem ent prévisible. Une

pensée minuscule surgit, puis elle grandit et,avant même de savoir ce qui nous a frappés,nous voilà rattrapés par l'espoir et la peur.

A u huitième siècle, un h om m e remarq uable aintroduit le bouddhisme au Tibet. Il s'appelait

Padm asamb hava, Celui qui est né dans un lotus.On l'appelle aussi Guru Rinpoché. La légendedit qu'il est apparu un matin, assis sur un lotusau milieu d'un lac. On raconte que cet enfanthors du commun est né complètement éveillé,

sachant dès le tout premier instant que les phé-nomènes, tant externes qu'internes, n'ontaucune réalité. Ce qu'il ne savait pas c'est com-



ment les choses de tous les jours fonctionnaientdans son monde.

C'était un enfant très curieux. Il découvrit dèsle premier jour que, grâce à son rayonnem ent età sa beauté, tous étaient attirés vers lui. Ilconstata aussi que quand il était joyeux etespiègle les gens étaient heureux et lecomblaient de louanges. Le roi de ce pays futtellement im pressionné par G uru R inpoché qu'ill'invita dans son palais et le considéra commeson fils.

Un jour, le garçon alla jouer sur la terrasse dupalais, prenant avec lui les objets rituels du roi,une cloche et un sceptre de métal, appelé vajra.

Au comble du ravissement, il se mit à dansertout autour du toit, faisant sonner la cloche ettournoyer le vajra. Puis, poussé par une grandecuriosité, il les lança dans le vide. Ils tombèrent

en bas dans la rue, atterrissant sur la tête dedeux passants, qui furent tués sur le coup.Les habitants du pays furent tellement scan-

dalisés qu'ils exigèrent du roi qu'il expulseGuru Rinpoché. Le jour même, sans aucun

bagage ni aucune nourriture, il fut envoyé toutseul dans une région sauvage.Cet enfant plein de curiosité avait appris une

leçon magistrale sur le fonctionnement dumonde. L'histoire dit ensuite que cette brève

mais vive confrontation avec les louanges et lesreproches fut tout ce dont il eut besoin pour arri-ver à comprendre le fonctionnement quotidien



du samsara. À dater de ce jour, il abandonnal'espoir et la peur et travailla joyeusement àl'éveil des autres.

Nous pouvons aussi utiliser nos vies de cettemanière. Nous pouvons explorer ces couplesbien connus d'opposés dans tout ce que nousfaisons. Au lieu de tomber automatiquementdans nos schémas habituels, nous pouvons com-

mencer à observer comment nous réagissonsquand on nous fait des compliments. Quandquelqu'un nous fait des reproches, commentréagissons-nous ? Quand nous avons perdu ougagné quelque chose, comment réagissons-

nous ? Q uand nous ressentons du plaisir ou de ladouleur, est-ce aussi simple que ça ? Est-ce quenous ressentons seulement du plaisir ou de ladouleur ? O u b ien y a-t-il toute une p artition q uiles accompagne ?

Quand notre intérêt au sujet de ces choses estéveillé et qu'avec la curiosité d'un petit enfantnous les regardons de près, quand nous voyonsqui nous sommes et ce que nous faisons, ce quipourrait sem bler un prob lèm e devient source de

sagesse. Étrangement, cette curiosité commenceà miner ce que nous appelons la douleur del'ego, ou le fait d'être centré sur soi-même, etnous voyons les choses plus clairement. D'habi-tude, nous nous laissons emporter par les senti-

m ents plaisants ou douloureux. Ils nous balayentdans les deux sens ; nous tournoyons avec notrestyle habituel, sans même remarquer ce qui se



passe. En moins de deux, nous avons déjàcomposé tout un roman pour expliquer pourquoiquelqu'un a tellement tort ou pourquoi nousavons tellement raison ou pourquoi nous devonscoincer telle ou telle personne. Quand nouscommençons à comprendre l'ensemble du pro-cessus, il devient beaucoup moins lourd.

Nous sommes comme des enfants quiconstruisent un château de sable. Nous l'embel-lissons avec de beaux coquillages, des bouts debois qui flottent et des morceaux de verre decouleur. Ce château est le nôtre, interdit auxautres. Nous sommes prêts à le défendre sid'autres menacent de l'abîm er. Cependant, m al-gré tout l'attachement que nous avons pour lui,nous savons que la marée viendra inéluctable-ment et qu'elle emportera notre château desable. L'astuce c'est d'en jouir au maximum

mais sans fixation et, le moment venu, de lelaisser se dissoudre dans la mer.Ce type de lâcher-prise est parfois appelé

non-attachement, mais ce mot n'a pas la qualitéfroide et distante qu'on lui associe souvent. Ce

non-attachement contient plus de bienveillanceet d'intimité. C'est en vérité un désir de savoir,com parable aux q uestions que pose un enfant detrois ans. Nous voulons connaître notre douleurafin d'arrêter de courir sans fin. Nous voulons

connaître notre plaisir pour pouvoir arrêter desaisir avidement les choses, sans fin. C'est alorsque nos questions deviennent plus profondes et



notre curiosité plus vaste. Nous voulons savoirce que signifie perdre afin de pouvoircomprendre les autres quand leurs viess'écroulent. Nous voulons savoir ce que veutdire gagner pour pouvoir com prendre les autresquand ils sont en plein ravissement, quand ilsdeviennent arrogants, qu'ils sont imbus d'eux-mêmes et qu'ils s'emballent.

Q uand nous devenons p lus perspicaces et pluscompatissants à propos de la manière dont nousnous laissons prendre nous-mêmes au piège,nous ressentons spontanément plus de tendresseenvers la race humaine. Connaissant notrepropre confusion, nous sommes mieux disposésà nous salir les mains pour tenter d'alléger laconfusion chez autrui tout en étant plus aptes àle faire. Si nous n'examinons pas l'espoir et lapeur en voyant surgir une pensée, puis en

voyant la réaction en chaîne qui s'ensuit — sinous ne nous entraînons pas à la méditationassise avec cette énergie-là, sans nous laisserprendre au piège du drame, nous ne sortironsjamais de la peur. Le monde où nous vivons, les

gens que nous rencontrons, les animaux q ui sur-gissent des portes inopinément — tout celadeviendra de plus en plus menaçant.

Nous commençons donc simplement par exa-miner notre propre coeur et notre propre esprit. Il

se peut que nous commencions l'examen parceque nous ne nous sentons pas à la hauteur ; nousavons mal et nous voulons mettre de l'ordre



dans notre vie. Mais, progressivement, notrepratique évolue. Nous commençons àcomprendre que, tout comme nous, les autresdem eurent accrochés à l'espoir et à la peur. Par-tout où nous allons, nous voyons la détressequ'engendre la croyance aux huit dharmas de cemonde. Il est assez évident que les gens ontbesoin d'aide et qu'il n'y a aucun moyen defaire du bien à qui que ce soit si nous necommençons pas par nous-mêmes.

Notre motivation à pratiquer commence àchanger et nous cherchons à nous apprivoiser età devenir plus raisonnables pour l'amour desautres. Nous voulons toujours voir commentfonctionne notre esprit et comment le samsaranous séduit, mais la démarche ne s'arrête plus ànous-mêmes. Elle s'étend à nos compagnes, noscompagnons, nos enfants, nos patrons - à

l'ensemble du dilemme humain.



9

SIX SORTES DE SOLITUDE

D'habitude, nous considérons la soli-

tude comme l'ennemie. Le chagrin

n'est pas quelque chose que nous cher-

chons à inviter. Il ne nous laisse pas de

répit, il est porteur du désir brûlant de

fuir, de trouver quelque chose ou

quelqu'un qui nous tienne compagnie.

Quand nous sommes capables de

demeurer en son centre, nous commen-

çons à entretenir avec la solitude unerelation qui n'est pas menaçante. C'est

une solitude qui nous détend, nous

rafraîchit et qui met sens dessus des-

sous nos schémas habituels chargés de

crainte.

Dans la voie du milieu, il n'y a pas de pointde référence. L'esprit sans repère ne se trans-forme pas lui-même, ne fait pas de fixation, nesaisit rien. Com m ent serait-il possible de ne p lus

avoir de point de référence ? N'avoir aucunpoint de repère suppose de changer une réactionhabituelle au monde, bien ancrée en nous : vou-



loir le faire fonctionner d'une façon ou d'uneautre. Si je ne peux aller ni à gauche ni à droite,alors je vais mourir ! Quand nous n'allons ni àgauche ni à droite, nous avons l'impressiond'être dans un centre de désintoxication. Noussommes seuls, en manque, avec tout l'énerve-ment que nous avons essayé d'éviter en allant àgauche ou à droite. C ette irritation p eut se révé-ler drôlem ent oppressante.

Cependant, passer des années et des années àchoisir la gauche ou la droite, le oui ou le non,le juste ou le faux n'a jamais vraiment rienchangé. La ruée vers la sécurité n'a rien amenéd'autre qu'une joie temporaire. C'est commechanger la position de nos jambes pendant laméditation assise. Nos jambes nous font malparce qu'elles sont croisées et nous décidons deles bouger. Nous pensons alors : « Ouf ! quel

soulagement. » M ais deux m inutes et dem ie plustard, nous avons encore envie de les bouger.Nous n'arrêtons pas de remuer, de chercher leplaisir, le bien-être, mais la satisfaction quenous en retirons est de courte durée.

On entend beaucoup parler de la douleur dusamsara et de la libération. M ais on nous dit peude choses de la douleur nécessaire pour passerd'un état complètement coincé à un étatdécoincé. Il faut un courage inouï pour entrer

dans cette démarche de déblocage parce qu'elleexige de changer complètement notre façon depercevoir la réalité, comme si nous changions



notre ADN. Nous défaisons un schéma qui n'estpas seulement notre schéma à nous. C'est leschém a du genre hum ain : nous projetons sur lem onde des m illions de possibilités pour arriver àune solution. Nous pouvons avoir les dents plusblanches, une pelouse sans mauvaises herbes,une vie sans problèmes, un monde sans confu-sion. Et vivre heureux p our toujours. Ce m odèlenous maintient dans l'insatisfaction et causebeaucoup de souffrance.

En tant qu'êtres humains, nous allons plusloin que chercher une résolution, nous avons lesentim ent de la m ériter. L'ennui, c'est que m is àpart le fait que nous ne la méritons pas, nous ensouffrons. Nous ne méritons pas de résolution ;nous méritons quelque chose de mieux. Nousméritons notre droit de naissance, la voie dumilieu, un état d'esprit ouvert qui peut se

détendre dans le paradoxe et l'ambiguïté. Dansla mesure où nous avons évité l'incertitude,nous aurons bien sûr des symptôm es de m anque- c'est-à-dire croire constamment qu'il y a unproblème et qu'il faut que quelqu'un, quelque

part, le règle.La voie du m ilieu est grande ouverte mais elleest dure à suivre car elle va à contresens d'untrès vieux schéma névrotique qui nous est com-mun à tous. Quand nous nous sentons seuls,

désespérés, nous avons envie de nous déplacer àdroite ou à gauche. Nous ne voulons pas nousasseoir et toucher à ce que nous ressentons.



Nous refusons de passer par la désintoxication.Et pourtant c'est précisément ça que la voie dumilieu nous encourage à faire. Elle nous encou-rage à réveiller la bravoure qui existe en ch acunde nous sans exception, y compris en vous et enmoi.

La m éditation nous fournit un m oyen de nousentraîner dans la voie du milieu - en demeu-rant dans le vif de la situation. On nous encou-rage à ne rien juger de ce qui surgit dans notreesprit. Qui plus est, on nous recommande de nepas nous accrocher à ce qui s'y produit. Ce qued'habitude nous appelons bon ou mauvais, nousnous contentons de le reconnaître comme du« penser », sans tout le cinéma habituel quiaccompagne le bon ou le mauvais. On nousenseigne à laisser les pensées aller et venircomme si on touchait une bulle avec une plume.

Cette discipline simple nous prépare à cesser lecombat et à découvrir un état frais et sans pré-jugé.

L'expérience de certains sentiments commela solitude, l'ennui, l'anxiété, peut sembler par-

ticulièrement grosse du désir de résolution. Àmoins de pouvoir nous détendre avec ces senti-ments, il est très difficile de demeurer en pleindedans quand nous les éprouvons. Nous dési-rons la victoire ou la défaite, des louanges ou

des reproches. Par exemple, si quelqu'un nousabandonne, nous ne voulons pas rester avec cemalaise à vif. Nous préférons, au contraire, évo-



quer une image familière de nous-mêmes, cellede la malheureuse victime. Ou bien nous fuyonsla douleur vive de cet abandon en passant àl'acte et en faisant, tel un modèle de vertu,com prendre à la personne q ui nous a laissé choirà quel point elle est déboussolée. Nous voulonsautomatiquement recouvrir la douleur d'unefaçon ou d'une autre, en nous identifiant soit àla victoire, soit au rôle de victime.

D'habitude, nous considérons la solitudecomme l'ennemie. Le chagrin n'est pas quelquechose que nous cherchons à inviter. Il ne nouslaisse pas de rép it, il est porteur du désir brûlantde fuir, de trouver quelque chose ou quelqu'unqui nous tienne compagnie. Quand noussommes capables de demeurer en son centre,nous commençons à entretenir avec la solitudeune relation qui n'est pas menaçante. C'est une

solitude qui nous détend, nous rafraîchit et quimet sens dessus dessous nos schémas habituelschargés de crainte.

Il y a six façons de décrire cette sorte de soli-tude calme : la diminution du désir, le contente-

ment, la capacité d'éviter l'activité superflue, ladiscipline totale, la capacité de ne pas errer dansle monde du désir et celle de ne pas chercher desécurité dans ses pensées discursives.

Moins de désir signifie être disposé à demeu-

rer seul sans résolution quand tout en nousaspire à quelque chose qui nous ragaillardisse etchange notre humeur. Vivre cette sorte de soli-



tude est un moyen de semer des graines pourfaire décroître l'agitation fondam entale. Dans laméditation, par exemple, chaque fois que nousétiquetons à l'aide du mot « penser », au lieu delaisser courir nos pensées indéfiniment, nousnous entraînons à être tout simplement là sansdissociation. Nous ne pouvons pas faire celamaintenant dans la mesure où nous n'étions pasdisposés à le faire hier ou le jour d'avant ou lasemaine dernière ou l'an dernier. Après avoirpratiqué la diminution du désir, de tout coeur etrégulièrement, quelque chose bouge. Nous res-sentons moins de désir dans le sens où noussommes séduits de façon moins solide par notreScénario Très Important. Même si en présencede cette brûlante solitude, nous demeurons assisavec cette agitation pendant 1,6 seconde alorsqu'hier nous ne pouvions même pas nous

asseoir une seule seconde, c'est cela le voyagedu guerrier. C'est cela la voie du courage.Moins nous divaguons et devenons cinglés etplus nous goûtons la satisfaction de la solitudeapaisée. Comme l'a souvent dit le maître zen

Katagiri Roshi : « On peut être solitaire sansêtre déboussolé pour autant. »La seconde sorte de solitude est le contente-

ment. Si nous n'avons rien, nous n'avons rien àperdre. Nous n'avons rien à perdre si ce n'est

que nous avons été programmés dans nosentrailles à croire que nous avons un tas dechoses à perdre. Ce sentiment que nous avons



un tas de choses à perdre est enraciné dans lapeur — peur de la solitude, du changement, detout ce qui ne peut pas être résolu, de la non-existence. L'espoir d'éviter ce sentiment et lapeur de ne pas y parvenir deviennent notre pointde référence.

Quand en partant du centre d'une page noustraçons une ligne vers le bas, nous savons quinous sommes si nous sommes du côté droit oudu côté gauche. Mais nous ne savons pas quinous sommes si nous ne nous plaçons sur aucuncôté. Nous ne savons alors plus quoi faire. Nousne le savons tout simplement pas. Nous n'avonspas de point de référence, pas de m ain à tenir. Ace stade nous pouvons ou bien céder à lapanique ou bien nous stabiliser. Le contente-m ent est synonym e de solitude, de solitude apai-sée, c'est s'installer dans la solitude calme.

Nous renonçons à croire que pouvoir fuir notresolitude nous apportera un bonheur durable, unejoie, un b ien-être, un courage ou une force quel-conques. D'habitude, il nous faut renoncer àcette croyance environ un m illiard de fois, entrer

encore et toujours en am itié avec notre nervositéet notre épouvante, et faire un m illiard de fois lamême chose en gardant sa conscience en éveil.Sans même que nous nous en rendions compte,quelque chose commence alors à changer. Il

nous est tout simplement possible d'être soli-taire, sans aucune alternative, satisfait d'être làdans le climat et la texture de ce qui se produit.



La troisième sorte de solitude consiste à évi-ter les activités qui ne sont pas nécessaires.Quand nous nous sentons vraiment très seuls,nous cherchons quelque chose qui puisse noussauver ; nous cherchons une porte de sortie.Nous éprouvons ce sentim ent indigeste que nousàppelons solitude et notre esprit se déchaîne àforce d'essayer de nous rapprocher de compa-

gnons pour nous sauver du désespoir. Celas'appelle une activité superflue. C'est unem anière de nous maintenir occupés pour ne res-sentir aucune souffrance. Cela peut prendre laforme d'un rêve éveillé obsessionnel à propos

d'une idylle véritable, ou bien d'un potin decommère qu'on transforme en bulletin d'infor-mations de dix-huit heures, ou bien de la déci-sion de partir dans une région reculée. L'essen-tiel est que, dans toutes ces activités, nous

recherchons de la compagnie selon notre habi-tude, réutilisant toujours les mêmes vieillesficelles pour tenir à distance le démon solitude.Ne pouvons-nous pas nous calmer et avoir unpeu de compassion et de respect pour nous-mêmes ? Pouvons-nous arrêter d'essayerd'échapper au fait d'être seul avec nous-mêmes ? Et nous abstenir de sursauter et de nousagripp er quand nous com m ençons à être pris de

panique ? N ous détendre dans la solitude est uneoccupation qui mérite d'être pratiquée. Commel'a dit le poète japonais Ryokan : « Si vous vou-



lez trouver le sens, cessez de courir après tant dechoses. »

La discipline complète est un autre élémentde la solitude calme. La discipline complètesignifie qu'à chaque occasion nous sommes dis-posés à revenir, à revenir simplement avec dou-ceur au moment présent. C'est ça la solitudecomme discipline complète. Nous sommes dis-posés à nous asseoir immobiles, à être simple-ment ici, solitaires. Nous n'avons pas à cultiverparticulièrem ent cette sorte de solitude ; il suffitde nous asseoir immobiles assez longtemps pournous rendre compte de la nature véritable deschoses. Nous sommes fondamentalement seulset il n'y a rien, nulle part, à quoi s'accrocher. Enoutre, cela n'est pas un problème. En réalité, çanous permet de découvrir enfin un état complè-tem ent non fabriqué. Nos hypothèses habituelles

— toutes nos idées sur la façon dont marchentles choses — nous empêchent de voir quoi quece soit d'une manière fraîche et ouverte. Nousdisons : « Ah oui, je sais. » Mais nous ne savonspas. En fin de compte, nous ne savons rien. Il

n'y a aucune certitude sur quoi que ce soit. Cettevérité de base fait mal et nous voulons la fuir.Mais revenir et nous détendre dans quelquechose d'aussi familier que la solitude est unebonne discipline pour se rendre compte de la

profondeur des moments non résolus de notrevie. Nous nous trompons nous-mêmes quandnous fuyons l'ambiguïté de la solitude.



Ne pas errer dans le monde du désir est uneautre façon de décrire la solitude calme. Errerdans le monde du désir im plique de chercher desalternatives, de rechercher quelque chose quinous réconforte — de la nourriture, de la bois-son, des gens. Le mot désir inclut ce caractèrede dépendance, la manière dont nous agripponsquelque chose parce que nous voulons mettreles conditions en accord avec nous-mêmes. Cetrait vient de ce qu'on n'est jamais devenuadulte. Nous voulons encore rentrer à la m aison,pouvoir ouvrir le réfrigérateur et le trouver pleinde nos friandises favorites ; quand les chosesdeviennent difficiles, nous voulons hurler :« Maman ! » Mais progresser sur la voie, c'estquitter la maison et devenir quelqu'un sansdomicile. Ne pas errer dans le monde du désirconcerne le fait d'être directement en rapport

avec la nature des choses. La solitude n'est pasun problème. La solitude n'a en rien besoind'être résolue. Il en est de même pour touteautre expérience que nous pouvons vivre.

Une autre caractéristique de la solitude calm e

consiste à ne pas chercher la sécurité dans sespensées discursives. Le tapis a été tiré sous nospieds ; c'est foutu ; il n'y a pas m oyen d'en sortircette fois-ci ! Nous ne recherchons même pas lacompagnie de notre conversation incessante

avec nous-mêmes sur la manière dont cela estou n'est pas, si cela est ou n'est pas, si celadevrait être ou pas, si cela pourrait être ou pas.



Avec la solitude calme, nous n'attendons pas lasécurité de notre propre bavardage interne. C'estpourquoi on nous donne la consigne de l'étique-ter « penser ». Il n'a aucune réalité objective. Ilest transparent et insaisissable. Nous sommesencouragés à nous contenter de toucher cebavardage et de relâcher notre emprise sur lui,de ne pas faire trop de bruit pour rien.

La solitude calme permet de regarder hon-nêtement et sans agressivité notre propre esprit.Nous pouvons progressivement laisser tombernos idéaux à propos de celui que nous devrionsêtre, ou de celui que nous croyons vouloir être,ou de celui que nous croyons que les autrescroient que nous voulons ou devrions être. Nousy renonçons et nous regardons, en toute simpli-cité, avec compassion et humour celui que noussommes. Alors la solitude n'est plus une menace

ni un chagrin ni une punition.La solitude calme ne fournit aucune solutionni ne donne du terrain sur lequel se tenir. Ellenous met au défi d'avancer dans un monde sansaucun point de référence, sans nous polariser ni

nous solidifier. Cela s'appelle la voie du milieuou la voie sacrée du guerrier.Quand vous vous réveillez le matin et que, de

nulle part, surgit la douleur de la solitude et del'aliénation, pouvez-vous utiliser cela comme

une occasion en or ? Au lieu de vous persécuterou d'avoir l'impression que quelque chosed' extrêmement néfaste est en train de se pro-



duire, en cet instant de tristesse et de nostalgiepouvez-vous vous détendre et toucher l'espacesans limites du coeur hum ain ? La prochaine foisque vous en avez la chance, faites-en l'expé-rience.



10

MANIFESTER DE LA CURIOSITÉ ENVERSSON EXISTENCE

Reconnaissons l'impermanence, la

souffrance et l'absence d'ego dans

l'ordinaire de la vie et intéressons-

nous à nos réactions. Découvrons par

nous-mêmes ce qu'est la paix et s'il est

vrai ou non qu'il y a de la joie dans le

simple fait de vivre.

Il y a trois vérités, qu'on appelle traditionnel-

lement les trois marques de l'existence :l'impermanence, la souffrance et le non-moi.Même s'ils décrivent de façon exacte les fonde-ments de notre existence, ces mots paraissentmenaçants. Il est facile de s'imaginer que quel-

que chose ne va pas dans l'impermanence, lasouffrance et l'absence d'ego, ce qui revient àpenser que quelque chose ne va pas dans notresituation fondamentale. Mais il n'y a riend'aberrant dans l'impermanence, la souffrance

et l'absence d'ego ; on p eut les célébrer. Il y a dela joie dans le seul fait d'exister.L'impermanence est la bonté de la réalité.



Tout com m e les quatre saisons sont en perpétuelchangement, l'hiver devient le printemps, puisl'été et l'autom ne ; tout com m e le jour devient lanuit, la lumière obscurité puis lumière de nou-veau — c'est ainsi que tout évolue sans cesse.

L'impermanence est l'essence de toute chose.Elle est ces bébés qui sont un jour des enfants,des adolescents, des adultes, puis des vieillardset tombent enfin morts quelque part le long duchemin. L'impermanence, c'est se rencontrer etse séparer. C'est tomber amoureux et rompre.L'impermanence est douce-amère, c'est commeacheter une nouvelle chem ise et la retrouver desannées plus tard incorporée à une courtepointeen patchwork.

Les gens n'ont aucun respect pour l'imper-manence. Nous ne lui trouvons aucun charme ;en fait, elle nous désespère. Nous la considérons

comme une douleur. Nous essayons de lui résis-ter en faisant des choses qui vont durer — tou-jours, comme on dit —, des choses que nousn'avons pas besoin de laver, ni de repasser. Enessayant de nier que tout change constamment,

nous perdons le sens du caractère sacré de lavie. Nous avons tendance à oub lier que nous fai-sons partie de l'ordre naturel des choses.

L'impermanence est un principe d'harmonie.Quand nous ne luttons pas contre elle, nous

sommes en harmonie avec la réalité. De nom-breuses cultures célèbrent cette relation. Il y ades cérémonies qui ponctuent tous les événe-



ments de la vie, de la naissance à la mort, ainsique les rencontres et les séparations, le départ aucombat, la défaite et la victoire. Nous pourrionsnous aussi reconnaître, respecter et célébrerl'impermanence.

Mais qu'en est-il de la souffrance ? Pourquoicélébrer la souffrance ? Est-ce que cela nesemble pas masochiste ? Notre souffrance esttellement basée sur la peur de l'impermanence.Notre souffrance est tellement enracinée dansnotre vision tronquée et biaisée de la réalité. Q uia jamais eu l'idée qu'on pouvait connaître leplaisir sans la douleur ? C ette idée est plutôt lar-gement répandue dans le monde et nous la fai-sons nôtre. Mais la douleur et le plaisir vontensem ble ; ils sont inséparab les. Ils peuvent êtrecélébrés. Ils sont normaux. La naissance estsource de douleur et de plaisir. La mort est

source de douleur et de plaisir. Tout ce quis'achève est aussi le début de quelque chosed'autre. La douleur n'est pas une punition ; leplaisir n'est pas une récompense.

L'inspiration et l'affliction sont inséparables.

Nous voulons toujours nous débarrasser de lasouffrance plutôt que de voir comment elles'harmonise avec la joie. Il ne s'agit pas decultiver l'une par opposition à l'autre, mais debien nous situer par rapport à l'endroit où nous

nous trouvons. L'inspiration et l'affliction secomplètent. Lorsque nous ne somm es en contactqu'avec l'inspiration, nous devenons arrogants.



Lorsque nous ne voyons que l'affliction, nousperdons notre vue d'ensemble. Se sentir inspiréréconforte et fait comprendre à quel point lemonde est vaste et merveilleux. Se sentir misé-rable rend humble. L'éclat de notre inspirationnous met en rapport avec le caractère sacré dumonde. Mais quand la fortune a tourné et quenous nous sentons malheureux, cela nous adou-cit. Cela fait mûrir le coeur. Cela forme le terrainpour comprendre les autres. On peut célébreraussi bien l'inspiration que l'affliction. Nouspouvons être à la fois grand et petit.

Pouvons-nous aussi célébrer le non-moi ?Souvent nous considérons l'absence d'egocom m e une grande perte, mais en vérité c'est ungain. La reconnaître, elle qui est notre état natu-rel, c'est com m e recouvrer la vue après avoir étéaveugle ou recouvrer l'audition après avoir été

sourd. On l'a com parée aux rayons du soleil. Enl'absence de soleil massif, les rayons irradientsimplement vers l'extérieur. De la même façon,une attitude éveillée rayonne naturellem ent versl'extérieur dès que nous ne sommes plus si cen-

trés sur nous-mêmes. Le non-moi se compare àla bonté fondamentale ou à la nature-de-boud-dh a, c'est notre être inconditionnel. C'est ce quenous avons toujours et ne perdons jamais vrai-ment.

On peut définir l'ego ou le moi comme toutce qui cache la bonté fondam entale. Du point devue de l'expérience, qu'est-ce que l'ego dissi-



m ule ? Il m asque l'expérience d'être sim plementlà, d'être complètement là où nous sommes,reliés au caractère immédiat de notre existence.L'absence d'ego est l'état d'un esprit ayant uneconfiance totale dans le caractère sacré dumonde. C'est un bien-être inconditionnel, unejoie inconditionnelle qui comprend toutes lesdifférentes qualités de notre expérience.

Comment célébrer alors l'impermanence, lasouffrance et l'absence d'ego dans la vie de tousles jours ? Quand l'impermanence entre dansnotre vie, nous pouvons la reconnaître commetelle. Inutile de rech ercher des occasions pour le

faire. Quand notre stylo manque d'encre aumilieu de la rédaction d'une lettre importante,on reconnaît l'impermanence du moment,comme une partie de tout le cycle de la vie.Quand quelqu'un naît, on peut prendre acte de

l'impermanence de ce phénomène. Quandquelqu'un m eurt, mêm e chose. Q uand on se faitvoler sa voiture, on peut là aussi prendre acte del'im perm anence. Quand on tomb e amoureux, onpeut reconnaître l'imperm anence de la situationet la laisser intensifier ce qu'il y a de précieuxdans l'amour. Quand une relation se termine,c'est aussi une occasion de voir l'imperma-nence. Il y a d'innombrables exemples d'imper-

manence dans notre vie quotidienne, de notreréveil à notre coucher et même pendant nosrêves, sans cesse. C'est une pratique qui s'étire



vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Reconnais-sons l' im perm anence com m e im perm anence.

Nous pouvons ensuite reconnaître notre réac-tion à l' impermanence. C'est là qu'intervient lacuriosité. Généralement, nous réagissons defaçon stéréotypée aux diverses situations de la.vie. Nous sommes amers ou ravis, enthousias-més ou déçus. Il n'y a aucune intelligence là-dedans, aucune bonne hum eur. M ais quand nousreconnaissons l' impermanence comme telle,nous pouvons aussi observer notre réaction à cephénomène. C'est ce qu'on appelle l'attention,la conscience, la curiosité en éveil. Quel que soitle nom qu'on lui donne, c'est une pratique trèsutile, puisqu'elle permet de se connaîtrecomplètement.

Quand la souffrance surgit dans notre vie,nous pouvons la reconnaître comme souffrance.

Quand nous échoit ce que nous ne désirons pas,quand nous n'obtenons pas ce que nous désironsvraiment, quand nous tombons malades, quandnous vieillissons, quand nous sommes sur lepoint de mourir — quand nous vivons l'une ou

l'autre de ces expériences, nous pouvonsreconnaître la souffrance en tant que telle. C'estle moment d'être curieux, d'observer et d'êtreattentifs à nos réactions. Le plus souvent noussommes amers et nous nous sentons dupés ou, à

l'inverse, nous sommes comblés. Mais, quelleque soit notre réaction, elle se conforme engénéral à un schém a habituel. Nous pouvons, en



revanche, voir venir l'impulsion suivante et lamanière dont notre action en résulte. L'effetd'entraînement n'est ni bon ni mauvais ; c'esttout bonnem ent quelque chose qui se produit enréaction au plaisir et à la douleur de notre exis-tence. Nous pouvons voir cela, en toute simpli-cité, sans porter de jugem ents ni chercher à nousreprendre en m ain.

Quand surgit l'absence d'ego, nous pouvonsla reconnaître comme telle — un moment frais,la perception claire d'une odeur, d'un objet oud'un son, le sentiment de s'ouvrir aux émotionset aux pensées au lieu de nous renfermer dansnotre moi étroit et limité. Quand nous percevonsla sensation d'espace dans notre vie, quand noussentons une brèche dans la conversation conti-nuelle que nous avons avec nous-mêmes, quandnous remarquons soudain ce qui est en face denotis, quand nous portons un regard frais, clairet non trafiqué sur la réalité, nous pouvons alorsreconnaître tout cela comme l'absence d'ego. Iln'est pas nécessaire de le prendre trop ausérieux. L'absence d'ego est constamment à

notre disposition com m e fraîcheur, ouverture etplaisir des perceptions de nos sens. Assezcurieusem ent, nous faisons aussi l'expérience del'absence d'ego quand nous ne savons pas cequi arrive, quand nous avons perdu notre point

de référence, quand nous vivons un choc et quenotre esprit s'arrête. Nous pouvons observer nosréactions dans ces moments-là. Parfois nous



nous ouvrons davantage ; parfois nous nousrefermons rapidement. En tout cas, quandl'absence d'ego survient dans notre vie, nouspouvons la reconnaître comme absence d'ego.

N ous pouvons observer, être curieux, être atten-tifs à nos réactions et à ce q ui se produit ensuite.

Souvent on enseigne que la paix est la qua-trième marque de l'existence. Il ne s'agit pas icide la paix qui est l'opposé de la guerre. C'est lebien-être ressenti quand on considère le nom breinfini de paires d'opposés comme complémen-taires. S'il y a la beauté, il doit y avoir la lai-deur. S'il y a la justice, il y a l'injustice. Lasagesse et l'ignorance ne peuvent être séparées.C'est une vieille vérité - une vérité que deshommes et des femmes comme nous ont décou-verte depuis longtemps. En cultivant minute parminute la curiosité, nous pourrions bien décou-

vrir, jour après jour, que cette sorte de paix naîten nous et comm encer à comprendre ce dont ontparlé tous les livres.

Il est bon de ne rien considérer comme allantde soi et de ne pas croire tout ce qu'on nous dit.

Sans être cyniques ou crédules, je vous conseillede chercher la qualité vivante du dharma.R econnaissons l'imp ermanence, la souffrance etl'absence d'ego dans l'ordinaire de la vie etintéressons-nous à nos réactions. Découvrons

par nous-mêmes ce qu'est la paix et s'il est vraiou non qu'il y a de la joie dans le simple fait devivre.



11

LA NON-AGRESSIONET LES QUATRE MARAS

Tous les maras indiquent la voie à

suivre pour être complètement éveillés

et vivants : en lâchant prise, en nous

laissant mourir, moment après

moment, à la fin de chaque expiration.

Quand nous nous éveillons, nous pou-

vons vivre complètement sans recher-

cher le plaisir ni éviter la souffrance,

sans nous recréer nous-mêmes quand

nous nous effondrons.

La nuit où il était sur le point d'atteindrel'éveil, le Bouddha s'assit sous un arbre. Pen-dant qu'il s'y trouvait, il fut attaqué par les

forces de Mara. L'histoire raconte qu'elles luilancèrent des épées et des flèches et que leursarmes se changèrent en fleurs.

Que signifie cette histoire ? Je la comprendsainsi : ce que nous considérons habituellement

comme un obstacle n'est pas vraiment notreennem i, m ais bien notre am i. Ce que nous appe-lons obstacle est en vérité la façon dont le



m onde et toute notre expérience nous enseignentl'endroit où nous sommes coincés. Ce qui paraîtêtre une flèche ou une épée, nous pouvons vrai-ment en faire l'expérience comme d'une fleur.Que nous ressentions ce qui nous arrive commeun ob stacle et un ennem i ou comm e un m aître etun ami dépend entièrement de notre perceptionde la réalité. Ça dépend de la relation que nousentretenons avec nous-mêmes.

Les enseignements nous disent que les obs-tacles surviennent sur les plans externe etinterne. Dans ce contexte, le niveau externec'est le sentiment que quelque chose ouquelqu'un nous a fait du mal en s'immisçantdans l'harmonie et la paix que nous croyionsnôtres. Un vaurien a tout gâché. Cette sensationparticulière d'obstacle se produit dans nos rela-tions et dans beaucoup d'autres situations ; nous

nous sentons déçus, meurtris, perturbés et atta-qués de mille façons. C'est ainsi que les gensressentent les choses depuis le début des temps.

Quant à l'obstacle interne, il se peut que rienne nous ait jamais vraiment attaqué si ce n'est

notre propre confusion. Peut-être qu'il n'y aaucun obstacle solide si ce n'est notre proprebesoin de nous protéger de toute possibilité denous laisser toucher. Peut-être que notre seulennemi c'est que nous n'aimons pas la façon

dont la réalité se présente à nous maintenant,c'est pourquoi nous souhaitons qu'elle dispa-raisse rapidement. Mais ce que nous décou-



vrons, en tant que pratiquants, c'est que rien nedisparaît jamais avant de nous avoir appris ceque nous avons besoin de savoir. Si nous cou-rons à cent soixante kilomètres à l'heure àl'autre bout du continent pour nous soustraire àl'obstacle, nous retrouvons exactement le mêmeprob lème qui nous attend à l'arrivée. Il continuetout simplement à revenir, sous des noms nou-veaux, des formes et des manifestations nou-velles jusqu'à ce que nous apprenions tout cequ'il a à nous apprendre sur l'endroit où nousnous séparons de la réalité, sur la manière dontnous avons un mouvement de retrait au lieu denous ouvrir et comment nous nous fermons aulieu de nous autoriser à éprouver complètementtout ce que nous avons à affronter, sans hésiterni nous replier sur nous-mêmes.

Trungpa Rinpoché a demandé un jour à un

groupe d'étudiants : « Que faites-vous quandvous êtes coincés ? Que faites-vous quand çadevient insupportable ? » Nous étions tous assislà, ne sachant pas quoi dire. Alors il nous aappelés un par un. Nous étions si effrayés que

nous avons répondu de façon très authentique.Nous avons presque tous avoué avoir tendance ànous effondrer complètement, à tout oublier ausujet de la pratique et à revenir à nos réactionshabituelles. Inutile de le dire, après ça nous nous

somm es rendu com pte très clairement de ce quenous faisions quand nous nous sentions atta-qués, trahis ou perturbés, quand nous devions



faire face à des situations insupportables ou.inacceptables. Nous avons commencé à obser-ver vraiment ce que nous faisions. Étions-nousportés à nous ouvrir ou à nous refermer ? Étions-nous pleins de rancune et amers ou plus doux ?Plus sages ou plus bêtes ? Comme résultat denotre souffrance, est-ce que nous en savionsplus sur la condition humaine ou bien ensavions-nous moins ? Étions-nous plus critiquesenvers notre monde ou bien plus généreux ?Étions-nous transpercés par les flèches ou bienles changions-nous en fleurs ?

Les enseignem ents traditionnels-sur les forcesde Mara décrivent la nature des obstacles et lamanière dont les êtres humains sont générale-m ent déroutés et comm ent ils perdent confiancedans leur esprit de sagesse fondamentale. Lesmaras fournissent des descriptions de certains

moyens très usuels grâce auxquels nousessayons d'éviter ce qui se produit.Il y a quatre maras. Le prem ier mara s'appelle

devaputramara. Il concerne la recherche duplaisir. Le deuxième, appelé skandhamara,

concerne la manière dont nous essayonsconstamment de nous recréer, de récupérer duterrain, d'être celui ou celle que nous croyonsêtre. Le troisième mara est appelé kieshamara.

Il concerne la manière dont nous utilisons nos

émotions pour demeurer stupides ou endormis.Le quatrième, yamamara, a trait à la peur de lamort. La description de ces quatre maras nous



m ontre quatre façons d'être app arem m ent atta-qués, tout comme l'a été le Bouddha.

Le devaputramara implique la recherche duplaisir. Il fonctionne ainsi : quand nous noussentons gênés ou mal à l'aise, quand la douleurse présente à nous sous n'importe quelle forme,nous courons comme des fous vers le confort.Tout obstacle que nous rencontrons a le pouvoirde retirer complètement le tapis de dessous nospieds, de faire éclater la bulle de réalité quenous avions été amenés à considérer commesûre et certaine. Menacés de la sorte, nous nepouvons supporter de ressentir la douleur, latension, l'anxiété, le mal au coeur, la brûlure dela colère qui monte, le goût amer du ressenti-ment. C'est pourquoi nous essayons de nousaccrocher à quelque chose d'agréable. Nous réa-gissons avec cette habitude tragiquementhumaine de rechercher le plaisir et d'essayerd'éviter la douleur.

Le devaputramara décrit bien comment noussommes tous dépendants à l'égard de l'esquivede la douleur. Quand elle surgit, nous essayons

tant et plus d'atteindre quelque chose quil'annulera. Il se peut que nous nous mettions àboire ou à nous droguer ou simplement àmâcher du chewing-gum ou à mettre la radio.Nous pouvons même nous servir de la médita-

tion pour tenter d'échapper aux aspects les plusembarrassants, les plus déplaisants et les plusenvahissants liés au fait d'être vivant.



Quelqu'un a simplement décoché une flèche oubrandi une épée et au lieu de les laisser se trans-former en fleurs, nous fuyons, en essayant denous échapper de toutes sortes de manières. Il ya, bien sûr, un nombre infini de manières derechercher le plaisir et d'éviter la souffrance.

Cependant, rien ne sert de considérer larecherche du plaisir comme un obstacle, aucontraire la recherche du p laisir est une occasiond'observer ce que nous faisons quand nousaffrontons la douleur. Au lieu d'éviter notremalaise et notre déséquilibre en nous enfuyant,nous pouvons comm encer à ouvrir notre coeur àl'ambiguïté humaine qui provoque tant de mal-heur dans ce monde. Il nous est possible decomprendre que la façon de transformer cetteflèche de devaputra en fleur est d'ouvrir notrecoeur et d'observer comment nous essayons de

nous échapper. Avec une douceur et une clartéimmenses, nous pouvons observer combiennous sommes faibles. Nous pouvons ainsidécouvrir que ce qui semble être particulière-ment horrible est en fait source de sagesse et

m oyen de nous relier à nouveau à notre esprit desagesse fondam entale.Le skandhamara correspond à notre m anière

de réagir quand le tapis est retiré de dessous nospieds. Nous avons l'impression d'avoir perdu

tout ce qui est bon. On nous a jetés hors du nid.Nous voguons dans l'espace sans aucune indica-tion sur ce qui se passera ensuite. Nous sommes



dans un no m an's land : on s'en sortait bien, toutmarchait impeccablement, quand soudain unebombe atomique est tombée et a fracassé notremonde en un million de morceaux. Nous nesavons pas ce qui nous attend ni même où noussomm es. A lors nous nous recréons nous-m êmes.Nous revenons au terrain solide du concept quenous avons de nous-mêmes aussi vite que pos-sible. Trungpa Rinpoché appelait cela « la nos-talgie du sam sara ».

Tout notre monde s'écroule, cette grandechance nous a été donnée. Cependant, nous nefaisons pas assez confiance à notre esprit desagesse fondamentale pour le laisser demeurercomme il est. Notre réaction habituelle est devouloir redevenir nous-mêmes — même avecnotre colère, notre rancune, notre peur et notretrouble. Nous recréons alors notre personnalité

solide, immuable comme si nous étions unMichel-Ange se ciselant lui-même dans dumarbre.

A u lieu d'être une tragédie ou un m élodram e,ce mara est plutôt com m e une com édie de situa-

tion. Juste au moment où nous sommes sur lepoint de comprendre vraiment quelque chose, enpermettant à notre coeur de s'ouvrir véritable-m ent, juste au m om ent où nous avons la possibi-lité de voir clairement la situation, nous nous

mettons sur le visage le masque de GrouchoM arx, avec ses sourcils fournis et son grand nez.Puis nous nous interdisons de rire ou de lâcher



prise, parce que nous risquons de découvrir —on ne sait quoi ?

Je le répète, ce processus ne doit pas êtreconsidéré comme un obstacle ni un problème.Même si nous avons l'impression que c'est uneflèche ou une épée, si nous nous en servonscomme d'une occasion de devenir conscients dela façon dont nous essayons de nous recréernous-mêmes encore et toujours, alors cela setransforme en fleur. Nous pouvons nous per-mettre de porter de l'intérêt ou d'être ouverts àce qui vient tout juste de se produire et à ce quiva survenir. Au lieu de lutter pour reconq uérir leconcept de celui que nous sommes, nous pou-vons entrer en contact avec cet esprit qui toutsimplement ne sait pas, l'esprit de la sagessefondamentale.

Le kleshamara se caractérise par des émo-

tions violentes. Un sentiment tout simple surgitet, au lieu de le laisser être là, c'est la panique.Nous commençons à tisser nos pensées en unscénario qui fait naître des émotions plus fortesencore. Au lieu de juste rester assis et ouverts à

notre sensation de m alaise, nous sortons le souf-flet et l'attisons. Avec nos pensées et nos émo-tions, nous le maintenons enflammé, brûlant ;pas question de le laisser partir.

Quand tout s'écroule et que nous ressentons

l'incertitude, la déception, le choc, le malaise,ce qui reste est un esprit clair, frais et sans pré-jugé. Mais ça nous ne le voyons pas. Nous res-



sentons plutôt le malaise et l'incertitude d'êtredans un no m an's land ; nous m agnifions ce sen-timent et nous le faisons descendre dans la rue,avec des banderoles qui proclament à quel pointtout va mal. Nous frappons à toutes les portes,pour faire signer des pétitions jusqu'à ce qu'il yait toute une armée de gens qui conviennentavec nous que tout va de travers. Nous oublionsce que nous avons appris grâce à la méditationet que nous savons être vrai. Quand des émo-tions vraiment fortes surgissent, toutes les doc-trines et les croyances auxquelles nous nousaccrochons paraissent, pour ainsi dire, dérisoiresen comparaison, les émotions sont tellementplus puissantes.

Ainsi ce qui a commencé comme un immenseespace ouvert devient un incendie de forêt, uneguerre m ondiale, un v olcan en éruption, un raz-

de-marée. Nous utilisons nos émotions. Nous lesutilisons. Dans leur essence, elles sont simple-ment inhérentes au fait d'être vivant, mais aulieu de les laisser être, nous les prenons et nousnous en servons pour reconquérir notre terrain.

Nous les utilisons pour essayer de n ier qu'en faitpersonne n'a jamais su et ne saura jamais ce quise passe. Nous nous en servons pour essayer derendre toute chose sûre et prévisible et de nou-veau réelle, pour nous dup er nous-m êmes sur ce

qui est réellement vrai. Nous pourrions simple-ment demeurer assis avec l'énergie de notreémotion et la laisser passer. 11 n'y a aucun



besoin particulier de nous répandre en blâme eten autojustification. Au lieu de cela nous jetonsde l'essence sur l'émotion pour qu'elle sembleplus réelle.

Encore une fois, il est peu utile de considérerce processus comme un obstacle ou un pro-blème. Si nous pouvons observer de près et voirla violence des émotions, nous pouvons alorscom m encer à nous traiter nous-mêm es en am i etêtre plus doux envers nous-mêmes, mais aussicommencer à traiter avec amitié tous les êtreshumains et même tous les êtres vivants. Endevenant conscient de la manière dont nous

refaisons cette chose imbécile encore et toujoursparce que nous ne voulons pas demeurer dansl'incertitude, le malaise et la douleur de ne passavoir, nous com m ençons à faire naître une véri-table compassion pour nous-mêmes et pour

autrui, parce que nous voyons ce qui se produitet comment nous réagissons quand touts'écroule. C'est cette vigilance qui transformel'épée en fleur. C'est ainsi que ce qui sembleparticulièrement déplaisant, problématique et

non désiré devient en fait notre maître.Je crois bien que tous les m aras naissent de lapeur de la mort, mais le yamamara y est parti-culièrement enraciné. Quand nous parlons d'unebonne vie du point samsarique habituel, ce que

nous voulons dire c'est que nous sommes enfinarrivés à trouver l'équilibre. Nous sentons enfinque nous sommes quelqu'un de bien. Nous



avons un tas de qualités, nous sommes en paixavec nous-mêmes et nous ne perdons pas l'équi-libre quand on nous lance des flèches. Noussavons comment transformer une flèche enfleur. Nous sommes tellement fiers de nous-mêmes. Nous avons enfin réglé tous les détailsrestés en suspens. C'est le bonheur. Nous pen-sons que c'est ça la vie.

Nous croyons que si seulement nous faisionsassez de m éditation ou assez de jogging ou m an-gions des aliments parfaitement sains, tout seraitparfait. Mais du point de vue de quelqu'und'éveillé, c'est ça la m ort. Rechercher la sécuritéou la perfection, se réjouir de se sentir assuré etcomplet, autosuffisant et bien dans sa peau, estune espèce de mort. Il n'y a aucun air frais. Iln'y a aucun espace pour que quelqué chosevienne interrompre tout ça. Nous tuons l'instant

en contrôlant notre expérience. Nous couronsdonc à l'échec parce que, tôt ou tard, nousvivrons quelque chose que nous ne pourrons pascontrôler : notre m aison sera réduite en cendres,quelqu'un de très cher mourra, nous découvri-

rons que nous avons un cancer, une brique tom-bera du ciel sur notre tête, quelqu'un maculeranotre complet blanc de jus de tomate ou biennous arriverons à notre restaurant favori pourconstater que les commandes de nourriture n'ont

pas été passées et que sept cents personnesviennent y déjeuner.La vie est essentiellement remplie de défis.



C'est parfois doux et c'est parfois amer. Parfoisnotre corps se crispe et parfois il se détend ou ils'ouvre. Parfois nous avons la migraine et par-fois nous nous sentons en pleine forme. Dupoint de vue de l'éveil, essayer de résoudre tousles problèmes et finalement y parvenir équivautà la mort, parce que cela implique de rejeterbeaucoup de notre expérience de base. Il y aquelque chose d'agressif dans cette approche dela vie, à essayer C l' aplanir toutes les rugosités etles imperfections en un bon parcours bien régu-lier.

Être entièrement vivant, entièrement humainet complètement éveillé, c'est être continuelle-ment jeté hors du nid. Vivre complètement,c'est être sans cesse dans le no man's land, c'estfaire l'expérience de chaque instant commecomplètement neuf et frais. Vivre, c'est être dis-

posé à mourir encore et toujours. Du point devue éveillé, c'est ça la vie. La mort c'est vouloirs'agripper à ce que nous avons et vouloir quechaque expérience nous confirme et nous flatteet nous fasse nous sentir tout à fait équilibré.

Ainsi, bien que nous disions que le yamamararevient à la peur de la mort, c'est en fait la peurde la vie.

Nous désirons atteindre la perfection, maisnous continuons sans cesse à voir nos imperfec-

tions et il n'y a pas d'espace pour partir, pas desortie, nul endroit où fuir. C'est à ce moment-làque l'épée se transforme en fleur. Nous nous en



tenons à ce que nous voyons, nous éprouvonsnos propres sentiments et commençons ainsi àentrer en rapport avec notre propre esprit desagesse.

Sans les muas, est-ce que le Bouddha seserait éveillé ? Aurait-il atteint l'illuminationsans eux ? N'ont-ils pas été ses meilleurs amis,puisqu'ils lui ont montré qui il était et ce quiétait vrai ? Tous les maras indiquent la voie àsuivre pour être complètement éveillés etvivants : en lâchant prise, en nous laissant mou-rir, moment après moment, à la fin de chaqueexpiration. Quand nous nous éveillons, nouspouvons vivre complètement sans rechercher leplaisir ni éviter la souffrance, sans nous recréernous-mêmes quand nous nous effondrons. Nouspouvons nous permettre d'éprouver nos émo-tions comme brûlantes ou glacées, vibrantes ou

égales, au lieu de les utiliser pour demeurerignorants et stupides. Nous pouvons renoncer àla perfection et vivre chaq ue instant à fond. Fuirn'est jamais la réponse pour devenir un êtrehum ain comp let. Vouloir échapp er au caractère

immédiat de notre expérience, c'est comme pré-férer la mort à la vie.En regardant les flèches et les épées ainsi que

la façon dont nous y réagissons, nous pouvonstoujours revenir à l'esprit de sagesse fonda-

m entale. Plutôt que d'essayer de nous débarras-ser de quelque chose ou de verser dans le senti-ment dualiste d'être attaqués, nous saisissons



l'occasion de voir comment nous nous refer-mons complètement quand on nous pousse dansnôs retranchements. C'est ainsi que nousouvrons notre coeur. C'est ainsi que nous éveil-lons notre intelligence et que nous entrons enrelation avec la nature-de-bouddha fondamen-tale.



12

GRANDIR

Du tout début à l'extrême fin, s'ouvrir

à son propre coeur pour découvrir ce

qui est vrai n'est pas seulement une

question d'honnêteté ; c'est aussi mon-

trer de la compassion et du respect

pour ce qu'on voit.

Il y a dans mon bureau un rouleau avec unecalligraphie japonaise et une peinture qui repré-sente le maître zen Bodhidharma. C'est unhomme gros, à l'air grognon et aux sourcilstouffus. Il a l'air d'avoir une indigestion. La ca l-ligraphie dit : « En regardant directem ent votre

propre coeur, vous trouvez Bouddh a. »Écouter des causeries sur le dharm a ou sur lesenseignements du Bouddha ou pratiquer laméditation n'est rien d'autre que nous étudiernous-mêmes. Que nous soyons en train de man-

ger, de travailler, de méditer, d'écouter ou deparler, la raison pour laquelle nous som m es dansce monde est de nous étudier nous-mêmes. En



fait, on a dit que cette étude nous procure tousles livres dont nous avons besoin.

Il se peut que la seule raison d'être des cause-ries et des livres du dharma soit de nous encou-rager à comprendre cet enseignement simple :toute la sagesse à propos des souffrances quenous nous infligeons à nous-mêmes ou de lamanière dont notre esprit est joyeux, vaste etpeu compliqué — ces deux choses, à savoircomprendre ce qu'on pourrait appeler notrenévrose et la sagesse de la vérité incondition-nelle et sans préjugé, ne peuvent se trouver quedans notre propre expérience.

Bodhidharma a étudié le bouddhisme zen enInde avant de l'introduire en Chine. 11 était bienconnu pour sa férocité et son intransigeance.Une histoire rapporte que, com me il s'endorm aitrégulièrem ent pendant la m éditation, il se coupa

les paupières. Quand il les jeta sur le sol, elles setransformèrent en un plant de thé et il se renditcompte alors qu'il n'avait qu'à boire le thé pourrester éveillé ! Il était intraitab le en ce sens qu'ilvoulait connaître ce qui était vrai et qu'il

n'acceptait pas la parole de qui que ce soitcomme vérité. Sa grande découverte c'est que sinous regardons directement dans notre proprecoeur nous découvrons le Bouddha éveillé,l'expérience totalement claire des choses telles

qu'elles sont vraiment.Dans toutes sortes de situations, nous pou-vons découvrir ce qui est vrai simplement en



nous étudiant nous-mêmes dans chaque coin etrecoin, dans chaque trou noir et chaque pointlumineux, que ça soit obscur, terrifiant,effroyable ou superbe, que ça donne la chair depoule, de la joie ou de l'inspiration, que ça soitpaisible ou courroucé. Nous pouvons simple-ment observer toute la situation. Beaucoup dechoses nous y incitent et la méditation nousfournit la méthode pour le faire. Quand j'aidécouvert le bouddhisme, j'ai été extrêmementsoulagée de voir qu'il proposait, outre des ensei-gnements, une technique que je pouvais utiliserpour les explorer et les mettre à l'épreuve. Onm'a dit, dès le premier jour, que, tout commeBodhidharma, je devais trouver par moi-mêmece qui était vrai.

Cependant, quand nous nous asseyons pourméditer et regarder honnêtement notre esprit,

nous avons tendance à transformer l'expérienceen un projet morbide et décourageant. Au pointmême de perdre tout sens de l'humour et denous asseoir avec la détermination sinistred'arriver au fond de ce fatras puant. Au bout

d'un certain temps, ceux qui pratiquent ainsicommencent à ressentir tant de culpabilité et dedouleur qu'ils ne peuvent que s'effondrer etfinir par avouer à quelqu'un en qui ils ontconfiance : « Où est la joie dans tout ça? »

Il y a donc à côté de la vision claire un autreélément important, c'est la bienveillance. Ilsemble que, sans clarté ni honnêteté, nous ne



progressions pas. Nous restons tout bonnementcoincés dans le même cercle vicieux. Maisl'honnêteté sans la bienveillance nous fait noussentir sinistres et mesquins et assez vite nouscommençons à avoir l'air d'avoir sucé descitrons. Nous sommes tellement captivés parl'introspection que nous perdons toute la satis-faction ou la reconnaissance que nous aurionspu ressentir. Le sentiment d'être irrités par nous-mêmes, par notre vie et par les idiosyncrasiesdes autres est accablant. C'est pourquoi oninsiste autant sur la bienveillance.

Parfois, pour exprimer cette bienveillance, onparle du coeur ou d'éveiller notre coeur. On faitaussi souvent allusion à la douceur, parfois àl'amitié sans limite. Mais, au fond, la bienveil-lance est une m anière terre à terre et familière dedécrire l'élément im portant qui équilibre tout le

tableau et aide à nous relier à la joie incondi-tionnelle. Comme dit le maître vietnamienThich Nhat Hanh : « Souffrir ne suffit pas. »

La discipline est importante. Quand nousnous asseyons en m éditation, on nous encourage

à nous en tenir à la technique et à être fidèlesaux instructions mais, dans ce cadre qu'est ladiscipline, pourquoi devons-nous être si durs ?Est-ce que nous méditons parce que nous« devrions »? Ou pour devenir de « bons »

bouddhistes, pour faire plaisir à notre maître oupour échapper à l'enfer ? La manière dont nous

abordons ce qui surgit en méditation nous pré-



pare à aborder ce qui surgit dans le reste denotre vie. Le défi consiste à app rendre à cultiverla compassion en même temps qu'une visionclaire ; autrement dit, comment arriver à nousdétendre et à nous réjouir plutôt qu'à devenirplus tourmentés par la culpabilité et plus mal-heureux encore. S inon, nous finissons par dém o-lir tout le monde, y compris nous-mêmes. Rienn'est jamais à la hauteur de nos espérances.Rien n'est jamais assez bon. L'honnêteté sans labienveillance, l'humour et la bonté, n'est plusque méchanceté. Du tout début à l'extrême fin,s'ouvrir sur son prop re coeur pour découvrir ce

qui est vrai n'est pas seulement une questiond'honnêteté ; c'est aussi montrer de la compas-sion et du respect pour ce qu'on voit.

C'est important d'apprendre à être bienveil-lants envers nous-mêmes et à nous respecter.

Pourquoi ? C'est qu'au fond, lorsque nous exa-minons notre propre coeur et commençons àdécouvrir nos côtés confus ou lumineux, aigresou doux, ce n'est pas seulement nous-mêmesque nous découvrons. Nous découvrons l'uni-

vers. Quand nous découvrons le Bouddha quenous sommes, nous nous rendons compte quetoute chose et toute personne est Bouddh a. Nousdécouvrons que toute chose est éveillée et quetoute personne est éveillée. Toute chose est éga-

lement précieuse, complète et bonne. Quandnous considérons les émotions et les penséesavec humour et ouverture, c'est ainsi que nous



percevons l'univers. Nous ne parlons pas seule-ment de notre libération personnelle ; celaenglobe la façon d'aider la collectivité où nousvivons, notre famille, notre pays et le continenttout entier, sans parler du monde, de la galaxie,en fait aussi loin que nous voulons aller.

Il y a une transition intéressante, qui se pro-duit de façon naturelle et spontanée. Nouscom m ençons à constater que, dans la mesure oùil y a du courage en nous (la disposition à regar-der, à nous pencher directement sur notre proprecoeur) et que nous éprouv ons de la b ienveillanceenvers nous-mêmes, nous pouvons avoir foi ennotre pouvoir de nous oublier vraiment nous-mêmes et de nous ouvrir au monde.

La seule raison qui nous empêche d'ouvrirnotre coeur et notre esprit aux autres c'est qu'ilsdéclenchent en nous une déroute telle que nous

ne nous sentons ni le courage ni la santé m entalesuffisants pour l'assumer. C'est dans la mesureoù nous nous observons nous-m êmes avec clartéet compassion que nous nous sentons assezconfiants et intrépides pour regarder quelqu'un

d'autre dans les yeux.C'est alors que cette expérience d'ouvertureau monde nous permet à nous aussi bien qu'àautrui d'en bénéficier sim ultaném ent. Plus nousentrons en relation avec les autres et plus nous

découvrons vite là où nous sommes bloqués, làoù nous sommes méchants, effrayés, renfermés.Voir cela est utile, mais douloureux aussi.



Souvent, la seule manière de réagir que nousconnaissions est de nous en servir comme muni-tion contre nous-mêmes. Nous ne sommes pasbienveillants. Nous ne sommes pas honnêtes.Nous ne sommes pas courageux et nous pour-rions aussi bien tout abandonner sur-le-champ.Mais quand nous appliquons l'instruction quiconseille d'être doux et de ne pas porter de juge-ment sur tout ce que nous voyons à l'instantmême, alors cette image gênante dans le miroirdevient notre am ie. Voir cette image devient unemotivation pour nous adoucir et nous détendredavantage, car nous savons que c'est la seulem anière de continuer à travailler avec les autreset d'être d'une quelconque utilité pour lemonde.

C'est le début de l'âge adulte. Tant que nousne voudrons pas être honnêtes et bienveillants

envers nous-m êm es, nous resterons toujours despetits enfants. R ien qu'en com m ençant à essayerde nous accepter nous-mêmes, le très vieux far-deau de la prétention se trouve considérable-ment allégé. Enfin, il y a de l'espace pour vivre

avec une curiosité authentique et nous retrou-vons l'appétit pour ce qui nous entoure.



13

ÉLARGIR LE CERCLE DE COMPASSION

Ce n'est que dans un espace ouvert où

l'on ne porte pas de jugement qu'il est

possible de reconnaître ce que l'on

ressent. Ce n'est que dans un espace

ouvert où nous ne sommes pas prison-

niers de notre propre interprétation de

la réalité que nous pouvons voir,

entendre et sentir qui sont vraiment les

autres. C'est ce qui permet d'être et de

communiquer avec eux correctement.

Quand nous parlons de compassion, nousvoulons dire, en général, s'occuper de gensmoins chanceux que nous-mêmes. Comme nous

avons plus de possibilités, une solide instructionet une bonne santé, nous devrions avoir de lacompassion envers ces malheureux qui n'ontrien de tout ça. Toutefois, lorsqu'on pratique lesenseignements sur la manière de faire naître la

compassion et qu'on tente d'aider autrui, on enarrive à la conclusion que l'action com patissanteimplique autant de s'occuper de soi-même que



des autres. L'action compatissante est une pra-tique, l'une des plus avancées. Rien n'est plusdifficile qu'entrer en relation avec les autres.Rien n'est plus poussé que la communication —

la comm unication compatissante.Entrer en relation avec autrui en toute

compassion est un pari. Com m uniquer vraim entjusqu'au coeur et être présent à quelqu'und'autre — enfant, conjoint, parent, client,patient ou la SDF dans la rue — cela signifie nepas se fermer à cette personne, ce qui veut dire,avant tout, ne pas se fermer à soi-mêm e. Ça veutdire nous autoriser à ressentir ce que nous sen-tons sans le rejeter. Ça veut dire accepter tousles aspects de nous-mêmes, y compris ce quenous n'aimons pas. Faire cela demande del'ouverture, ce que dans le bouddhisme onapp elle parfois la vacuité — ne pas s'attacher ou

se retenir à quoi que ce soit. Ce n'est que dansun espace ouvert où l'on ne porte pas de juge-ment qu'il est possible de reconnaître ce quel'on ressent. Ce n'est que dans un espace ouvertoù nous ne sommes pas prisonniers de notre

propre interprétation de la réalité que nous pou-vons voir, entendre et sentir qui sont vraimentles autres. C'est ce qui permet d'être et de com-m uniquer avec eux correctem ent.

Récemment, je parlais avec un vieil homme

qui vit dans la rue depuis quatre ans. Personnene le regarde jamais. On ne lui parle jamais.Parfois quelqu'un lui donne une pièce mais per-



sonne ne le regarde jamais en face ni ne luidemande comment il va. Son impression qu'iln'existe pas pour les autres, son sentiment desolitude et d'isolement sont profonds. Il m'arappelé que l'essence de la parole ou de l'actioncom patissantes c'est d'être là pour les gens, sansreculer devant l'horreur, la peur ou la colère.

Être compatissant est une sacrée consigne.Nous avons tous des relations quotidiennes avecles autres, mais cèux surtout qui désirent aiderautrui — cancéreux, sidéens, enfants ou femm esviolentés, animaux brutalisés, tous ceux qui ontmal — prennent conscience d'un fait, c'est quela personne à qui ils se proposent de prêterassistance peut réveiller en eux des problèmesnon résolus. Même si nous souhaitions leurapporter de l'aide, et peut-être y arrivons-nouseffectivement pendant quelques jours ou un

mois ou deux, tôt ou tard quelqu'un franchitcette porte et titille tous nos points sensibles.Nous finissons par haïr cette personne, par enavoir peur, ou voir que nous ne pouvons plusnous en occuper. C'est toujours le cas lorsque

notre désir de rendre service est sincère. Tôt outard, tous nos problèmes non résohis vontrem onter à la surface ; nous serons confrontés ànous-mêmes.

Roshi Bernard Glassman est un maître zen

qui dirige un programme d'aide aux SDF de laville de Yonkers, dans l'État de New York. Ladernière fois que je l'ai entendu, il a dit une



chose qui m'a frappée ; il a dit que ce n'est pasvraim ent pour aider les autres qu'il fait ça, m aisbien parce que côtoyer les couches de la société

qu'elle a rejetées revient à travailler sur les partsde lui-même qu'il a rejetées.Bien que ce soit une manière de penser habi-

tuelle pour un bouddhiste, c'est difficile de lamettre en pratique. C'est même difficile

d'entendre que ce q ue nous rejetons à l'extérieurde nous-mêmes c'est ce que nous rejetons ennous-mêmes et que ce que nous rejetons ennous-mêmes est ce que nous allons rejeter àl'extérieur de nous-mêmes. Mais, en un mot,c'est comme ça que ça marche. Si nous décou-vrons que nous sommes un cas désespéré et que

nous laissons tomber, nous trouverons alors lecas des autres désespéré et nous les abandonne-

rons. Ce que nous haïssons en nous-mêmes,nous le haïrons chez les autres. Dans la mesureoù nous avons de la compassion pour nous-mêmes, nous en aurons aussi pour les autres.Éprouver de la compassion commence et finit

en ayant de la compassion pour toutes ces partsnon désirées de nous-mêmes, toutes ces imper-fections que nous ne voulons même pas regar-der. La compassion n'est pas une sorte de pro-

gramme de croissance personnelle ou un idéalselon lequel nous voudrions vivre.

Un slogan relié aux enseignements du



mahayana dit : « Ramène à toi tous lesblâmes. » L'essence de ce slogan est : « Si celafait si mal c'est parce que je m'y accroche sifort. » Il ne dit pas que nous devons nous flagel-ler. Il n'appelle pas au martyre. Il implique quela douleur provient de la tendance à s'accrochertellement fort pour que les choses se fassent ànotre façon, et que l'une de nos principales

portes de sortie quand nous nous sentons mal àl'aise, ou dans une situation ou un lieu indési-rables, se résume à en rejeter la responsabilitésur un autre.

Nous construisons d'ordinaire une barrière

appelée blâme qui nous dispense de communi-quer authentiquement avec les autres et nous lafortifions avec nos conceptions sur celui qui araison et celui qui a tort. Nous faisons ça avecnos proches, avec les systèmes politiques, avec

tout ce que nous n'aimons pas chez nos associésou dans notre société. C'est un dispositif trèscourant, très vieux et bien rodé pour essayer dese sentir mieux. Rejeter la responsabilité sur lesautres est un moyen de protéger notre coeur,

d'essayer de protéger ce qui est doux, ouvert ettendre en nous-mêmes. Au lieu de faire nôtrecette douleur, nous nous précipitons pour trou-ver un terrain confortable.

1. Le « grand véhicule », qui présente une visionbasée sur la vacuité, la compassion et la reconnaissanced'une nature-de-bouddh a universelle.



Utile et intéressant, ce slogan propose decommencer à inverser la tendance habituelle,très vieille et bien ancrée, qui consiste à nouscram ponner au fait que tout doit se faire à notreidée. Pour comm encer, nous pourrions d'abord,quand nous nous sentons enclins à rejeter lafaute sur autrui, essayer d'entrer en contact avecce que nous ressentons quand nous nous serronsautant la vis à nous-mêmes. Quel effet celafait-il de rejeter la responsabilité sur un autre ?Comment se sent-on quand on rejette quelquechose ? Q uel effet cela fait-il de haïr ? Quel effetcela fait-il d'être pris d'une vertueuse indigna-tion ?

En chacun de nous se trouvent des trésors dedouceur et de coeur. Toucher ce point tendre doitêtre le point de départ. C'est ça la compassion.Si nous cessons de rejeter la faute sur autrui

assez longtemps pour nous donner à nous-m êmes un espace ouvert dans lequel sentir notrepropre tendresse, c'est comme si nous attei-gnions une grande blessure qui se trouve justesous la coquille protectrice sécrétée par ce

blâme.Les termes bouddhistes tels que compassion

ou vacuité ne signifient pas grand-chose tantque nous n'avons pas comm encé à cultiver notrefaculté d'être simplement présents à la douleur

avec un coeur ouvert et le désir de ne pas cher-cher instantanément à avoir un sol ferme sousnos pieds. Par exemple, si nous ressentons de la



rage, nous supposons généralement qu'il n'y aque deux façons d'entrer en rapport avec cettesituation : l'une est de rejeter la responsabilitésur autrui, de tout mettre sur le dos de quelqu'und'autre et de faire porter toute la responsabilitéaux autres ; l'autre est de nous sentir coupablesde notre rage et de nous en accuser nous-m êmes.

Blâmer est un moyen de nous solidifier. Nousne nous contentons pas de montrer du doigtquelque chose qui est « mal » mais nous vou-lons aussi faire que les choses soient « bien ».Quelle que soit la relation à laquelle noussommes fidèles, que ce soit un conjoint, unenfant, un emploi, une communauté spirituelleou quoi que ce soit d'autre, nous découvronsque nous souhaitons la rendre « mieux » qu'ellen'est parce que nous sommes un peu nerveux.Peut-être qu'elle n'est pas à la hauteur de nos

exigences, alors nous la justifions et la justifionsencore et nous essayons de la rendre tout à faitbien. Nous disons à tout le monde que si notremari, notre femm e, notre enfant, notre maître ounotre groupe de soutien agit de façon bizarre et

antisociale, c'est pour des raisons spirituellesvalables. Ou nous trouvons quelque croyancedogmatique et nous nous y cramponnons pourde bon, toujours pour solidifier notre terrain.Nous avons l'impression que nous devons

redresser les choses selon nos normes. Si nousne parvenons plus à assurer une situation, alorsça déborde et nous faisons en sorte que ça



tourne mal, car nous pensons que c'est notreseule alternative. Quelque chose est juste ouquelque chose est faux.

Nous commençons par nous-mêmes. Nousnous donnons raison ou tort, chaque jour,chaque semaine, chaque mois et chaque annéede notre vie. Nous avons l'impression qu'il fautque nous soyons dans notre bon droit pour noussentir bien. Nous ne voulons pas être dans notretort parce qu'alors nous nous sentirions mal.Mais nous pourrions avoir plus de compassionenvers toutes ces parts de nous-mêmes. Quandnous nous sentons bien, nous pouvons observerça. Se sentir dans notre bon droit peut nous fairenous sentir bien; nous pouvons être absolumentcertains d'avoir raison et trouver un tas de gensqui nous confortent dans ce sentiment. Maissupposez que quelqu'un ne soit pas d'accord.

Que se passe-t-il alors ? Réagissons-nous alorsavec colère et agressivité ? Si nous regardons lemoment même de la colère ou de l'agressivité,nous pouvons voir que c'est de ça que sontfaites les guerres. C'est de ça que sont faites les

émeutes raciales : avoir le sentiment qu'il fautque nous ayons raison, être désarçonnés et indi-gnés « à juste titre » si quelqu'un n'est pasd'accord avec nous. D'autre part, quand noussommes dans l'erreur, convaincus d'avoir tort,

nous solidifiant dans notre sentiment de tort,nous pourrions aussi observer ça. Tout ce jeu dujuste et du faux nous enferme et rapetisse notre



m onde. Vouloir que les situations et les relationssoient solides, perm anentes et qu'on ait prise surelles obscurcit le coeur du sujet, à savoir que toutest essentiellement sans point d'appui.

Au lieu de donner raison ou tort aux autres,ou de refouler le juste et le faux en nous-mêm es,il existe une voie moyenne, une très puissantevoie moyenne. C'est comme le fait de se tenirsur le fil du rasoir, sans tomber ni à droite ni àgauche. Cette voie moyenne implique de ne pasnous accrocher si fort à notre propre interpréta-tion de la réalité. Elle implique que nous main-tenions notre coeur et notre esprit ouverts assez

longtemps pour adm ettre l'idée que, quand nousdécidons que telle chose est mal, nous le faisonspar désir d'obtenir un terrain ou une sécuritéquelconques. De même, quand nous décidonsque telle chose est bien, c'est que nous cher-

chons encore à obtenir une sorte de terrain ou desécurité. Notre esprit et notre coeur pourraient-ils être assez vastes pour flotter dans cet espaceoù nous ne sommes pas entièrement sûrs de quia raison et qui a tort ? Pourrions-nous ne pas

avoir d'intentions déclarées quand nous entronsdans une pièce où se trouve une autre personne,ne pas savoir quoi dire, ne pas faire en sorte quecette personne ait tort ou raison ? Pourrions-nousvoir, entendre, sentir les autres comme ils sont

réellem ent ? C'est puissant de pratiquer de cettemanière, car nous constatons que nous n'arrê-tons pas de nous agiter pour essayer de nous



sentir de nouveau en sûreté — pour faire queeux ou nous aient soit raison, soit tort. Mais unecommunication véritable ne peut se produireque dans cet espace ouvert.

Qu'il s'agisse de nous-mêmes, de nos amants,de nos patrons, de nos enfants, du harpagonlocal ou de la situation politique, il est plusaudacieux et plus vrai de n'exclure personne denotre coeur et de ne pas faire de l'autre notreennemi. Si nous commençons à vivre ainsi, nousverrons qu'il ne peut plus être question de fairedes choses complètement justes ou complète-ment fausses, car les choses sont beaucoup plusfluctuantes et espiègles que ça. Tout est am bigu ;tout se modifie et change constamment et il y aautant de points de vue différents sur une situa-tion donnée qu'il y a de personnes impliquées.Essayer de trouver des vrais ou des faux absolus

est un tour que nous nous jouons à nous-mêmespour nous sentir à l'aise et en sécurité.On en arrive à la grande question sous-jacente

qui nous concerne tous : Comment pourrons-nous jamais changer quoi que ce soit? Com m ent

faire pour qu'il y ait plutôt moins que plusd'agression dans l'univers ? N ous pouvons alorsdescendre à un niveau plus personnel : com m entpuis-je apprendre à communiquer avecquelqu'un qui me fait du mal ou quelqu'un qui

fait du mal à un tas de gens ? Comment puis-jeparler à quelqu'un pour qu'un changement seproduise réellem ent ? Com m ent puis-je com m u-



piquer pour que l'espace s'ouvre et que l'un etl'autre nous commencions à entrer en contactavec une sorte d'intelligence primordiale quenous partageons tous ? En cas de confrontationoù la violence est dans l'air, comment puis-jecommuniquer pour qu'aucun d'entre nous nedevienne de plus en plus agressif et furieux ?Comment puis-je communiquer jusqu'au coeurpour qu'une situation coincée puisse s'aérer ?Comment puis-je communiquer pour que leschoses qui sem blent figées, impraticables et per-pétuellement agressives commencent à s'adou-cir et qu'une sorte d'échange compatissantpuisse avoir lieu ?

Eh bien, ça commence par la disposition àéprouver ce que nous vivons. Ça commence parune disposition à entretenir une relation com pa-tissante avec les parts de nous-mêmes que nous

jugeons indignes d'exister sur la planète. Si àtravers la méditation nous consentons à êtreattentifs non seulement à ce qui nous met àl'aise mais aussi à ce qui nous fait souffrir, sinous aspirons même à demeurer éveillés et

ouverts à ce que nous ressentons pour lereconnaître et le comprendre du m ieux que nouspouvons à chaque instant, alors quelque chosecommence à changer.

Pratiquer l'action compatissante, être au ser-

vice d'autrui, être capables d'agir et de parlerd'une manière qui établit une communication,commence en nous surprenant dès que nous



nous donnons raison ou tort. À ce moment pré-cis, nous pourrions juste envisager qu'il existeune autre solution, une sorte d'endroit plus

tendre, plus vu lnérable, où nous pourrions vivre.Cet endroit, si nous pouvons entrer en contactavec lui, va nous permettre de nous entraînertout au long de notre vie à nous ouvrir davan-tage à tout ce que nous pouvons ressentir, à nous

ouvrir plus au lieu de nous renfermer. Nous ver-rons que si nous commençons à nous engagerdans cette pratique, si nous commençons àsavoir célébrer les aspects de nous-mêmes quinous sem blaient tellement inacceptables aupara-

vant, quelque chose changera en nous. La trans-formation sera durable. Nos très vieux schémashabituels vont commencer à s'adoucir et nousallons enfin voir les visages et entendre lesparoles des gens qui nous parlent.

Si nous commençons à entrer en contact avectout ce que nous ressentons avec une certainebienveillance, nos coquilles de protection vontfondre et nous verrons que davantage d'aspectsde notre vie se laissent travailler. À mesure que

nous apprenons à pratiquer la compassionenvers nous-mêmes, le cercle de compassionenvers les autres — sur quoi on peut travailler,avec qui et comment — s'élargit.



14

L'AM OUR QUI NE M OURRA PAS

Dans les moments difficiles, il n'y a

que la bodhichitta qu i sou lage. Qu andl'inspiration a disparu et que nous

sommes sur le point de tout laisser

tomber, c'est le moment où la guérisonpeu t se trou ver dans la tendresse de ladouleur elle-même. C'est le moment

d'entrer en contact avec le coeur

authentique de la bodhichitta.

Le père d'un enfant de deux ans racontequ'en allumant la télévision il voit, sans s'yattendre, l'explosion d'une bombe dans unimmeuble du gouvernement fédéral à Okla-

homa. Il observe les pompiers sortant desdécombres de la garderie, située au premierétage de l'immeuble, les corps déchiquetés etsanglants des tout-petits. Il dit qu'auparavant ilétait capable de prendre de la distance par rap-

port aux souffrances des autres. Mais que,depuis qu'il est devenu père, les choses ontchangé. Il a le sentiment que chacun de ces



enfants pourrait être son enfant et éprouve lapeine de tous les parents comme la siennepropre.

Cette parenté avec la souffrance d'autrui,cette incapacité à continuer à la considérer deloin, c'est la découverte de notre point sensible,la découverte de la bodhichitta; ce mot sanscritsignifie « coeur noble ou éveillé ». On dit qu'ilest présent chez tous les êtres. De même que lebeurre est présent dans le lait et que l'huile estprésente dans la graine de sésame, ce point devulnérabilité est présent en vous et moi.

Stephen Levine décrit l'histoire d'une femmequi mourait dans des souffrances terribles, sub-mergée par l'amertume. Lorsqu'elle eutl'impression de ne plus pouvoir supporter sasouffrance et son ressentiment, elle commençade façon inattendue à vivre la souffrance

d'autres personnes à l'agonie : une m ère crevantde faim en Éthiopie, un adolescent fugueur vic-tim e d'une overdose dans une p iaule m iteuse, unhom m e broyé dans un glissem ent de terrain ago-nisant seul au bord d'une rivière. Elle dit

comprendre qu'il ne s'agissait pas de sa douleurmais de celle de tous les êtres. Il ne s'agissaitplus seulement de sa vie, mais de la vie elle-même.

Nous éveillons cette bodhichitta, cette ten-

dresse pour la vie, quand nous ne pouvons plusnous protéger nous-m êmes de la vulnérabilité denotre condition ni de la fragilité fondamentale



de l'existence. Comme le dit le seizièmeGyalwa Karmapa : « Vous absorbez tout. Vouslaissez la douleur du monde vous toucher aucoeur et vous la transformez en compassion. »

On dit que lorsque les temps sont difficiles, iln'y a que la bodhichitta qui soulage. Quandl'inspiration a disparu et que nous sommes surle point de tout laisser tomber, c'est le momentoù la guérison peut se trouver dans la tendressede la douleur elle-même. C'est le momentd'entrer en contact avec le coeur authentique dela bodhichitta. Au coeur de la solitude, au coeurde la peur, au coeur de l'incompréhension et durejet se trouve la pulsation de toute chose, lecoeur authentique de la tristesse.

Tout comme un joyau resté enfoui dans laterre un million d'années n'est ni décoloré niabîmé, de la même manière ce coeur noble n'est

pas affecté par tous nos trépignements et hurle-ments. On peut ressortir à la lumière le joyau àtout moment, il jettera autant d'éclat que si rienne lui était jamais arrivé. Quelle que soit la partde méchanceté, d'égoïsme ou d'avidité dans

notre vie, nous ne pouvons pas perdre le coeurauthentique de la bodhichitta. Il est présent danstout ce qui vit, jamais abîmé, toujours entier.

Nous pensons qu'en nous protégeant de lasouffrance nous agissons avec bienveillance

envers nous-mêmes. En fait, nous ne faisons q uedevenir plus couards, plus endurcis et plus alié-nés. Nous nous sentons comme séparés du tout.



Cette séparation devient comme une prison quinous limite à nos espoirs et à nos peurs person-nels et au souci exclusif de nos proches. Curieu-sement, si notre objectif principal est d'essayerde nous protéger de l'inconfort de notre vie,nous souffrons. Et pourtant, quand nous ne nousrenfermons pas et que nous laissons notre coeurse briser, nous découvrons notre parenté avectous les êtres. Sa Sainteté le Dalaï-Lama définitdeux catégories d'égoïstes : ceux qui sont aviséset ceux qui ne le sont pas. Les égoïstes malavi-sés ne pensent qu'à eux-mêmes et aboutissent àla confusion et la douleur. Les égoïstes aviséssavent que la meilleure chose qui puisse leurarriver c'est d'être présents aux autres. Parconséquent, ils connaissent la joie.

Quand nous voyons une femme et son enfantmendier dans la rue, ou un homme battre impi-

toyablement son chien terrorisé, ou un adolescent sauvagement battu, quand nous lisons lapeur dans les yeux d'un enfant, est-ce que nousnous détournons, incapables de supporter toutça? La p lupart d'entre nous passent leur chem in

sans doute. Quelqu'un doit nous encourager à nepas balayer ce que nous ressentons, à ne pasavoir honte de l'amour et du chagrin que ça faitmonter en nous, à ne pas craindre la douleur.Quelqu'un doit nous faire voir que ce point sen-

sible en nous peut être éveillé et que cela trans-formerait notre vie.La pratique de tonglen — donner et recevoir



— est conçue pour éveiller la bodhichitta, pournous mettre en contact avec notre coeur nobleauthentique. C'est une pratique qui consiste àprendre la douleur et à renvoyer de la joie ; elleva donc complètement à l'encontre de notrehabitude bien ancrée de faire exactement lecontraire.

Tonglen est une p ratique q ui crée de l'espace,aère l'atm osphère de notre vie pour que les genspuissent y respirer librement et se détendre.Chaque fois que nous rencontrons une formequelconque de souffrance, l'instruction de ton-glen nous dit d'inspirer cette souffrance en for-m ulant le souhait que tous puissent être exemptsde douleur. Chaque fois que nous rencontronsune forme quelconque de bonheur, l'instructionest d'expirer ce bonheur, de l'envoyer à l'exté-rieur en formulant le souhait que tous puissent

ressentir de la joie. C'est une pratique qui per-met de se sentir moins accablé, moins à l'étroit,une pratique montrant comment aimer sanscondition.

Bo et Sita Lozoff aident des prisonniers

depuis plus de vingt ans. Ils enseignent la médi-tation, donnent des conférences et proposentdans des livres et des bulletins des conseilsconcrets, qui sont aussi source d'inspiration auplan spirituel. Chaque jour, leur boîte à lettres

est bourrée de courrier de prisonniers purgeantleur peine. Chaque jour, ils y répondent autantqu'ils le peuvent. Sita m'a dit que ces lettres



sont parfois tellement pleines de souffrancequ'elle se sent submergée. Sans jamais avoirentendu parler de tonglen, elle se met alors toutnaturellement à aspirer toute la douleur conte-nue dans ces lettres et à renvoyer du soulage-ment.

De nombreuses personnes en train de mourirdu sida se sont mises à la pratique du tonglen.Ils inspirent la souffrance de tous ceux qui sontaffligés du m êm e m al. Ils inspirent la souffrancedes millions de femmes, d'enfants et d'hommesatteints du sida. Ils expirent un état de bien-êtreet de bienveillance. Comme l'a dit l'un d'eux :« Ça ne me fait pas de mal. Ça me donnel'imp ression q ue je ne souffre pas p our rien, queje ne suis pas seul et inutile. Ça fait que tout çaen vaut la peine. »

Q uand nous nous protégeons pour ne pas res-

sentir de douleur, cette protection devientcomme une armure qui emprisonne la douceurdu coeur. Nous faisons tout ce qui est en notrepouvoir pour ne rien ressentir de menaçant.Nous essayons de prolonger les moments où

nous sommes contents de nous. En regardantdans une revue des photos en couleur de gensqui s'amusent sur la plage, beaucoup d'entrenous souhaitent sincèrement que leur vie puisseêtre aussi agréab le.

Quand nous inspirons la souffrance, celle-cipénètre en quelque sorte cette armure. Notretendance à parer les coups n'est plus aussi



immuable. Cette armure lourde, rouillée, grin-çante ne semble plus si m onolithique, après tout.Avec l'inspiration, notre armure commence àtomber en morceaux et nous constatons quenous pouvons respirer profondément et nousdétendre. De la bienveillance et de la tendressecommencent à surgir. Nous n'avons plus à nouscrisper comme si nous devions passer toutenotre vie sur le fauteuil du dentiste.

Quand nous expirons notre soulagement etnotre sentiment d'espace, nous favorisons aussila dissolution de l'armure. L'expiration est unemétaphore de l'ouverture de tout notre être.Quand une chose est précieuse, plutôt que de laserrer très fort, nous pouvons ouvrir les mains etla partager. Nous pouvons la donner toutentière. Nous pouvons partager la richesse decette insondable expérience humaine.

Un homme, victime de sévices sexuels aucours de sa toute petite enfance, commence àpouvoir se souvenir de toute cette période de savie. Sans savoir d'où lui vient cette idée, il semet à aspirer toute la douleur de ce bébé terro-

risé et sans défense. Ensuite il inspire la douleurde tous les poupons du monde, ces petits quisurvivent à peine au manq ue de soins, aux m au-vais traitements, à la maladie et à la guerre.Comme par miracle, il découvre la bodhichitta.

C'est ainsi qu'on peut toujours découvrir lecoeur éveillé. Pour ce faire il n'est pas nécessairede se préparer ni de lutter. Q uand nos stratégies



ne sont pas encore construites et que nous nesavons pas de quel côté nous tourner, dans cesmoments de vulnérabilité la bodhichitta est tou-

jours présente. Elle se manifeste commel'ouverture primordiale, que les bouddhistesappellent shunyata. Elle se manifeste commetendresse primordiale, chaleur compatissanteprimordiale. Quand nous allons et venons

comme si nous nous attendions à être attaqués,nous la bloquons. Quand nous soulageons latension entre ceci et cela, la lutte entre eux etnous, c'est alors que la bodhichitta surgit.

Sur le plan relatif, notre noble coeur est res-

senti com m e parent de tous les êtres. Sur le planultime, nous en faisons l'expérience en tantqu'absence de terrain ou espace ouvert.

Comme la bodhichitta ne nous donne aucunterrain ferme, elle tranche net nos concepts et

idéaux. On ne peut pas la transformer en projetde devenir « quelqu'un de bien » ou « celui surlequel on peut toujours compter ». C'est beau-coup plus incertain que ça.

Parce que la bodhichitta éveille la tendresse,nous ne pouvons pas l'utiliser pour nous tenir àdistance. On ne peut pas la réduire à une abs-traction autour de la vacuité de la douleur. Onne peut pas s'en tirer en disant : « Il n'y a rien

qui se passe et rien à faire. »Le relatif et l'ultime fonctionnent ensemblepour nous relier à l'amour illimité. La compas-



sion et shunyata sont les qualités d'un am our quine mourra pas.

Faire l'expérience du point de vulnérabilitéqu'est la bodhichitta c'est comme rentrer à lamaison. C'est comme si nous avions très long-temps souffert d'amnésie et que nous nousréveillions pour nous rappeler qui nous sommesvraiment. Le poète Jalal ud-Din Rûmi parle devoyageurs nocturnes, qui recherchent l'obscuritéau lieu de la fuir, comme d'une confrérie degens désireux de connaître leur prop re peur. Quece soit les petites peurs d'un entretiend'embauche ou les terreurs indicibles imposéespar la guerre, les préjugés et la haine ; que cesoit la solitude d'une veuve ou les horreursd'enfants humiliés ou maltraités par leursparents, c'est dans la tendresse de la douleurelle-même que les voyageurs nocturnes

découvrent la lumière de la bodhichitta.La bodhichitta est à notre disposition dans cesmoments où nous prenons soin des choses,quand nous nettoyons nos lunettes ou nous nousbrossons les cheveux. Dans ces moments où

nous donnons du prix aux choses, quand nousremarquons le ciel bleu ou que nous faisons unepause pour écouter la pluie. Dans nos momentsde gratitude, quand nous nous souvenons d'unegentillesse ou reconnaissons le courage de

quelqu'un. Elle est à notre portée dans lam usique et la danse, l'art, la poésie. C haque foisque nous renonçons à nous cramponner à nous-



mêmes et que nous regardons de très près lemonde autour de nous, chaque fois que nousentrons en contact avec notre peine, chaque foisque nous entrons en contact avec notre joie,chaque fois que nous laissons tomber notre ran-cune et nos doléances, c'est alors que la bodhi-chitta est présente.

On décrit souvent l'éveil spirituel comme unvoyage vers le sommet d'une montagne. Nouslaissons nos liens et nos attachements aux biensde ce monde derrière, et nous cheminons lente-ment vers le sommet. Au point culminant nousavons transcendé toute douleur. Le seul ennuidans cette métaphore c'est que nous laissonstous les autres derrière : notre frère ivrogne,notre soeur schizophrène, nos animaux et nosamis tourmentés. Leur souffrance continue, ellen'est pas soulagée par notre fuite individuelle.

Dans le processus de découverte de la bodhi-chitta, le voyage va vers le bas et non vers lehaut. C'est comme si la montagne était dirigéevers le centre de la terre au lieu de toucher leciel. Au lieu de transcender la souffrance de

toutes les créatures, nous nous dirigeons vers laturbulence et le doute. Nous y sautons. Nous yglissons. Nous y allons sur la pointe des pieds.Nous y allons par tous les moyens possibles.Nous explorons la réalité et le caractère im prév i-

sible de l'insécurité et de la douleur en essayantde ne pas les rejeter. Si cela demande desannées, plusieurs vies, nous laissons les choses



être comme elles sont. À notre propre rythme,sans précipitation ni agression, nous descendonstoujours plus bas. Avec nous se déplacent des

millions d' autres, nos compagnons du réveilhors de la peur. Au plus profond nous décou-vrons l'eau, l'eau de la boddhichitta qui guérit.Tout en bas, là, au coeur des choses, nous décou-vrons l'amour qui ne mourra pas.



15

ALLER À CONTRE-COURANT

Tonglen va à l'encontre de la logique

courante qui consiste à éviter la dou-

leur et à rechercher le plaisir. Cette

pratique nous libère de très anciens

schémas de l'égoïsme. Nous commen-

çons à éprouver de l'amour à la fois

pour nous-mêmes et pour les autres, à

prendre soin de nous-mêmes et des

autres. Tonglen éveille notre compas-

sion et nous amène à une vision beau-coup plus vaste de la réalité.

Pour avoir de la compassion envers les autres,il faut en éprouver envers nous-mêmes. En par-

ticulier, nous soucier des personnes anxieuses,irritées, jalouses, dom inées par des dépendancesde toutes sortes ou arrogantes, orgueilleuses,avares, égoïstes, méchantes, peu importe ; res-sentir de la compassion pour elles et nous en

occuper implique de ne pas fuir la douleur dedécouvrir toutes ces choses en nous-mêmes. Enfait, toute notre attitude envers la douleur peut



changer. Au lieu de l'éluder et de nous dérober àelle, il est possible d'ouvrir notre coeur et denous autoriser à ressentir cette douleur, commeun m oyen susceptible de nous rendre infinimentplus affectueux et bienveillants.

La pratique de tonglen est une méthode pourentrer en relation avec la souffrance — la nôtreet celle qui nous entoure partout où nous allons.C 'est une m éthode pour surm onter la peur de lasouffrance et faire disparaître la rigidité de notrecoeur. C'est essentiellement une méthode pouréveiller la compassion qu'on trouve en chacunde nous, quelles que soient la cruauté ou la froi-

deur qui sem blent nous habiter.Nous commençons la pratique en nous char-geant de la souffrance d'une personne qui a malet que nous souhaitons aider. Par exemple, sinous connaissons un enfant en proie à la souf-

france, nous inspirons en souhaitant prendretoute la souffrance et la peur de cet être. Puis, enexpirant, nous lui renvoyons le bonheur, la joieou tout ce qui peut le soulager. C'est le coeur dela pratique : inspirer la douleur des autres pour

qu'ils puissent se sentir bien et avoir plusd'espace pour se détendre et s'ouvrir ; expirer enleur envoyant la détente ou tout ce que noussentons pouvoir leur apporter soulagement etbonheur.

Souvent, nous sommes toutefois incapablesd'accomplir cette pratique parce que nous noustrouvons face à face avec notre peur, notre



propre résistance ou notre propre colère ou touteautre forme que prend alors notre douleur per-sonnelle.

À ce stade, nous pouvons modifier le point defocalisation de tonglen et le faire porter sur ceque nous ressentons alors et sur les millionsd'autres semblables à nous qui ressentent à cemoment-là la même impression de poisse et demisère. Il se peut que nous puissions donner unnom à notre douleur. La voir clairement com m eterreur, dégoût ou désir de vengeance. Nous ins-pirons alors pour tous ceux qui sont aux prisesavec la même émotion, et nous expirons le sou-lagement ou tout ce qui ouvre l'espace, soit pournous soit pour les innombrables autres êtres. Ilse peut que nous ne puissions pas donner denom à ce que nous ressentons. Mais nous pou-vons le sentir : un pincement à l'estomac, une

obscurité lourde, etc. Nous entrons simplementen contact avec ce que nous ressentons et nousl'inspirons, nous l'accueillons à l'intérieur denous-mêm es pour nous tous et nous renvoyons à

l'extérieur du soulagement pour tous.

On dit souvent que cette pratique va àl'encontre de notre conduite habituelle. Envérité cette pratique va vraiment à l'encontre denotre désir de vouloir que les choses sedéroulent à notre idée et tournent à notre avan-

tage, sans nous soucier de ce qui arrive auxautres. Cette pratique dissout les murs qu e nousavons édifiés autour de notre coeur. Elle dissout



les couches autoprotectrices que nous avonsessayé à grand-peine de créer. En langage boud-dhiste, on dirait qu'elle dissout la fixation etl'attachement de l'ego.

Tonglen va à l'encontre de la logique cou-rante qui consiste à éviter la douleur et à recher-cher le plaisir. Cette pratique nous libère de trèsanciens schémas de l'égoïsme. Nous commen-çons à éprouver de l'amour à la fois pour nous-mêmes et pour les autres, à prendre soin denous-mêmes et des autres. Tonglen éveille notrecompassion et nous amène à une vision beau-coup plus vaste de la réalité. Il nous introduit àl'espace illimité de shunyata. En accomplissantla pratique, nous commençons à entrer en rela-tion avec la dimension ouverte de notre être.Tout d'abord, cela nous permet de vivre sansfaire un plat de tout ce qui arrive, sans voir les

choses de manière aussi solide qu'elles nousparaissaient auparavant.On peut faire tonglen pour ceux qui sont

malades, à l'agonie ou déjà morts, et ceux quisouffrent d'une douleur quelconque. Il peut être

accomp li comm e une pratique formelle de m édi-tation ou sur le terrain à tout moment. Nousmarchons dehors et nous voyons quelqu'un quisouffre — sur-le-champ nous pouvons inspirerla douleur de cette personne et lui renvoyer du

soulagement. Il se peut aussi qu'on voiequelqu'un souffrir et qu'on décide de regarderailleurs. La douleur fait remonter notre peur ou



notre colère ; elle fait remonter notre résistanceet notre confusion. C'est alors que l'on peutfaire tonglen sur-le-champ pour tous ceux qui,comme nous, voudraient être compatissantsmais qui ont peur — ceux qui souhaitent êtrecourageux mais ont tendance à se conduire enlâches. Plutôt que de battre notre coulpe, nouspouvons nous servir de notre propre tendance à

rester coincés comme d'un tremplin pourcomprendre à quoi se heurtent les êtres partoutdans le monde. Inspirez pour nous tous et expi-rez pour nous tous. Servez-vous de ce quisemble être un poison comme d'un remède.

Nous pouvons nous servir de notre souffrancepersonnelle comme d'une voie de compassionenvers tous les êtres.

Quand vous accomplissez tonglen sur-le-cham p contentez-vous d'inspirer et d'expirer, en

prenant la douleur et en renvoyant l'espace et lesoulagement.

Quand vous accomplissez tonglen commepratique formelle de méditation, cela se fait enquatre étapes :

1. Premièrement, reposez votre esprit briève-ment, une seconde ou deux, dans un étatd'ouverture ou d'immobilité. Cette étape esttraditionnellement appelée éclair de bodhi-

chitta ultime ou ouverture soudaine à laclarté et à l'espace primordiaux.



2. Deuxièmement, travaillez avec la texture.Inspirez une sensation de chaleur, d'obs-curité et de lourdeur — une impression declaustrophobie — et expirez une sensation derafraîchissement, de clarté et de légèreté —une impression de fraîcheur. Inspirez à fondpar tous les pores de votre corps et expirez,irradiez à fond par tous les pores de la peau.Faites-le jusqu'à ce que ce soit synchronisé

avec votre inspiration et votre expiration.3. Troisièmement, travaillez sur une situation

personnelle — n'importe quelle situationdouloureuse qui vous parle. Traditionnelle-ment, on commence par faire tonglen pour

quelqu'un à qui on s'intéresse et qu'on sou-haite aider. Cependant, comme je l'ai men-tionné, si vous êtes coincé, vous pouvez fairela pratique pour les douleurs que vous éprou-vez vous-même et en même temps pour tous

ceux qui éprouvent le même genre de dou-leur que vous. Par exemple, si vous vous sen-tez inadapté, vous aspirez ça pour vous-m ême et pour tous ceux qui logent à la m êmeenseigne et vous renvoyez la confiance, le

sentiment d'être à la hauteur ou le soulage-ment sous la forme que vous voulez.

4. Finalement, amplifiez ce que vous prenez envous et ce que vous renvoyez. Si vous faitestonglen pour quelqu'un que vous aimez,

étendez-le à ceux qui sont dans la mêmesituation que votre ami. Si vous faites ton-glen pour quelqu'un que vous avez vu à la



télévision ou dans la rue, faites-le pour tousles autres qui sont dans la même galère.Étendez-le au-delà de cette seule personne.Si vous faites tonglen pour tous ceux qui res-sentent de la colère, de la peur ou tout senti-ment dans lequel vous êtes pris au piège,c'est peut-être suffisant. Mais vous pouveztoujours aller au-delà dans tous les cas. Vouspouvez faire tonglen pour des gens que vousconsidérez comme vos ennemis — ceux quivous font du mal ou font du mal aux autres.Faites tonglen pour eux, en pensant qu'ilssouffrent de la même déroute et de la mêmeincapacité à se décoincer que votre ami ouvous-même. Inspirez leur souffrance et ren-voyez-leur du soulagement.

Tonglen peut s'étendre indéfiniment. Au fur

et à mesure que vous accomplirez cette pratique,votre compassion s'étendra tout naturellement,et vous réaliserez alors que les choses n'ont pasla solidité que vous pensiez. Si vous faites cettepratique progressivement, à votre propre

rythme, vous serez surpris de vous découvrir deplus en plus apte à être là pour autrui mêmedans des situations qui auparavant vous sem-blaient inextricables.



16

SER VITEURS D E LA PAIX

Ce qui différencie les paramitas des

actions ordinaires, c'est qu'elles sont

fondées sur prajna. Prajna est une

façon de voir qu i dissou t continu elle-ment toute tendance à se servir des

choses pour avoir du terrain sous les

pieds, c'est une sorte de détecteur de

conneries qui nous empêche de nous

croire vertueux.

Supposez qu'il y ait un endroit où nous pour-rions apprendre l'art de la paix, une espèce decamp d'entraînem ent pour apprentis guerriersspirituels. Au lieu de passer des heures et des

heures à nous discipliner pour vaincre l'ennemi,nous pourrions les passer à dissoudre les causesde la guerre.

Ça pourrait s'appeler cam p d'entraînem entdes bodhisattvas — ou camp d'entraînement des

serviteurs de la paix. Le mot bodhisattvas'applique à ceux qui se sont consacrés à la voiede la compassion. Ce camp pourrait être dirigé



par N elson M andela, M ère Teresa et Sa Saintetéle Dalaï-Lam a. Plus vraisemblablem ent, il seraitdirigé par des gens que nous n'avons jamais vuset dont nous n'avons jamais entendu parler, deshommes et des femmes ordinaires, venus dum onde entier, qui consacrent leur vie à aider lesautres à se libérer de la douleur.

Les méthodes enseignées au camp d'entraîne-ment des bodhisattvas pourraient inclure laméditation et la technique de tonglen. Ellespourraient aussi comprendre les six paramitas

— les six activités des serviteurs de la paix.Le mot paramita signifie « passer sur l'autre

rive ». Ces actions sont comme un radeau quinous fait traverser la rivière du samsara. Lesparamitas sont aussi appelées actions transcen-dantes parce qu'elles sont fondées sur le faitd'aller au-delà des notions conventionnelles de

vertu et de non-vertu. Elles nous entraînent àdépasser les limitations dualistes et à augm enterla souplesse de notre esprit.

Un des plus grands défis de ce camp seraitd'éviter de devenir moralisateur. Avec des gens

venant de tous les pays, il y aurait de nom-breuses opinions conflictuelles sur ce qui estconforme à l'éthique ou ce qui ne l'est pas, surce qui est utile ou ce qui ne l'est pas. Très vite,nous aurions probablem ent besoin de dem ander

aux personnes les plus civilisées et les pluséveillées de donner un cours sur la souplesse etl'hum our !



À sa façon à lui, Trungpa R inpoché a conçuun tel cours pour ses étudiants. Il nous faisaitapprendre par coeur certains chants et, quelques

m ois après, dès que la plupart d'entre nous lesconnaissait, il en changeait les mots. Il nousenseignait des rituels spécifiques et nous disaitde manière extrêmem ent précise comm ent nousdevions les accomplir. À peu près au moment

où nous commencions à critiquer ceux qui s'yprenaient mal, il se mettait à enseigner cesrituels d'une façon complètement différente.Nous im primions de beaux m anuels avec toutesles procédures correctes, mais en général ils

étaient périmés avant même leur sortie depresse. Après des années de ce genre d'entraîne-ment, on commence à desserrer sa prise. Siaujourd'hui la consigne est de tout placer àdroite, on le fait aussi impeccablem ent que pos-

sible. Si dem ain la consigne est de tout placer àgauche, on le fait de tout son coeur. L'idée selonlaquelle il n'y aurait qu'une seule manièreconvenable de faire les choses se dissout dans lebrouillard.

La m éditation et tonglen sont deux m éthodesbien au p oint pour s'entraîner à la souplesse etabandonner sa rigidité d'esprit. Les six parami-tas complètent ces pratiques et étendent cetentraînement à toutes les activités de la vie.

Elles deviennent le moyen de faire de chaquechose que nous faisons une manière de vivrel'art de la paix.



Ce qui différencie les paramitas des actionsordinaires, c'est qu'elles sont fondées surprajna. Prajna est une façon de voir qui dissoutcontinuellement toute tendance à se servir deschoses pour avoir du terrain sous les pieds, c'estune sorte de détecteur de conneries qui nousempêche de nous croire vertueux.

Quand nous nous entraînons dans l'art de lapaix, on ne nous fait aucunement la promesseque, grâce à nos nobles intentions, tout se pas-sera bien. En fait, il n'y a aucune promessed'accomplissement. Au lieu de ça, on nousencourage simplement à regarder à fond la joieet la peine, le rire et les pleurs, l'espérance et lacrainte, tout ce qui vit et meurt. Nous apprenonsque ce qui sauve vraiment c'est la gratitude et latendresse.

Il n'est pas question de dire : « Ça ne compte

pas tellement pour moi, mais si je changeais lemonde ça irait mieux pour les autres. » C'estmoins compliqué que ça. Nous n'entreprenonspas de sauver le monde ; nous entreprenons denous demander comment agissent les autres et

de réfléchir sur la façon dont nos propres actionsinfluent sur le coeur des autres.Les cinq premières actions transcendantes

sont la générosité, la discipline, la patience,l'effort soutenu et la méditation. Elles sont insé-

parables de la sixième — prajna, qui nousempêche d'utiliser nos actions pour nous rassu-rer. Prajna est la sagesse qui tranche à travers



l'immense souffrance qui vient de ce que nouscherch ons à protéger notre territoire.

Les mots mêmes de générosité, discipline,

patience, effort soutenu ont des connotationsrigides pour beaucoup d'entre nous. Il se peutqu'ils résonnent comme une liste rébarbative de« tu devrais » et « tu ne devrais pas ». Il se peutqu'ils nous rappellent les règles de l'école ou leprêche des moralistes. Cependant, dans cesparamitas, il n'est pas question d'évaluation. Sinous pensons qu'elles concernent la réalisationd'une certaine norme de perfection, alors nousnous sentirons battus d'avance. Il est plus exactde définir les paramitas comme un voyaged'exploration et non comme des commande-ments gravés dans le roc.

La première paramita est la générosité, levoyage qui consiste à apprendre comment don-

ner. Quand nous nous sentons indignes ou pas àla hauteur, nous accumulons les choses. Nousavons tellement peur : peur de perdre, peur denous sentir encore plus misérables que nous nele sommes déjà. Cette avarice est extrêmement

triste. Nous pourrions l'examiner et verser unelarme sur le fait de nous agripper et de nouscramponner si peureusement. Cette tendance ànous cram ponner nous fait grandem ent souffrir.Nous souhaitons nous sentir bien, mais, para-

doxalement, nous renforçons notre aversion,notre sens du péché et notre sentiment d'être uncas désespéré.



Les causes de l'agression et de la peurcommencent à se dissoudre d'elles-mêmesquand nous dépassons l'étroitesse qu'il y a àretenir. L'idée de base de la générosité est denous entraîner à voir plus grand, à nous faire laplus grande faveur du monde en arrêtant decultiver nos combines personnelles. Plus nousfaisons l'expérience de la richesse fondamen-tale, plus nous pouvons desserrer notre prise.

Cette richesse fondamentale est présente àtout instant. L'idée clé c'est de se détendre : sedétendre au passage d'un nuage dans le ciel,d'un minuscule oiseau aux ailes grises ou aubruit du téléph one qui sonne. Nous pouvons voirla simplicité dans les choses telles qu'elles sont.Nous pouvons sentir les choses, les goûter, res-sentir nos émotions et avoir des souvenirs. Sinous sommes capables d'être là en nous abste-

nant de dire : « Je suis absolument d'accordavec ceci » ou « Je ne suis pas du tout d'accordavec cela », m ais en nous contentant d'être là defaçon très directe, alors nous trouverons larichesse fondamentale partout. Ce n'est pas la

nôtre ou la leur, elle est toujours à la dispositionde tous. Dans les gouttes de pluie, dans lesgouttes de sang, dans le chagrin et dans la joie,cette richesse est la nature de toute chose. Elleest comme le soleil qui brille pour tous sans dis-

tinction. Elle est comme un miroir disposé àréfléchir n'importe quoi sans préjugé favorableni rejet.



Le périple de la générosité consiste à sem ettre en relation avec cette richesse, à la chérirtellement qu'on est disposé à abandonner tout cequi la bloque. Nous abandonnons nos lunettesfoncées, nos manteaux longs, nos capuchons etnos déguisements. En bref, nous nous ouvronset acceptons d'être touchés. Cela s'appelle bâtirsa confiance sur la richesse qui s'étend partout.Dans la vie ordinaire, au quotidien, cetterichesse se traduit sous forme de souplesse et dechaleur.

Quand on fait officiellement voeu de bodhi-sattva, la présentation d 'un cadeau au m aître estun moment capital de la cérémonie. On recom-mande de donner quelque chose de précieux,quelque chose dont on a du mal à se séparer. Ilm'est arrivé de passer une journée entière avecun ami qui essayait de trouver ce qu'il pourrait

donner. Dès qu'une chose lui venait à l'esprit,son attachem ent pour elle redoublait d'intensité.Au bout de quelque temp s, il était com plètem enteffondré. La simple idée de se séparer d'uneseule de ses possessions favorites était plus qu'il

ne pouvait supporter. Plus tard, je mentionnail'épisode à un enseignant qui venait nous voir ;il me dit que cela aurait pu être l'occasion pourcet homme de cultiver la compassion pour lui-même et pour tous ceux qui sont pris dans la

m isère du désir insatiable — pour tous les autresqui sont incapables de lâcher prise.Donner des biens matériels peut aider les



gens. Si c'est de la nourriture qui est nécessaireet que nous pouvons en offrir, nous le faisons.Si c'est un abri, des livres ou des médicaments,et que nous pouvons en donner, nous le faisons.Nous pouvons nous occuper le mieux possiblede tous ceux qui ont besoin de nos soins. Cepen-dant la transformation véritable se produit quandnous abandonnons notre attachement et faisonsdon de ce que nous pensions ne pas pouvoirdonner. Ce que nous faisons sur le plan externea le pouvoir d'assouplir les habitudes profondé-ment ancrées de nous accrocher à nous-mêmes.

Dans la mesure où nous pouvons donnerainsi, nous pouvons transmettre cette capacitéaux autres. Cela s'appelle faire don de l'intrépi-dité. Quand nous touchons la simplicité et labonté des choses et réalisons que nous nesommes pas fondamentalement englués dans la

boue, nous pouvons alors partager ce soulage-ment avec les autres. Nous pouvons accomplirce voyage ensemble. Nous partageons ce quenous avons appris : comment nous débarrasserde nos visières, déverrouiller nos arm ures et être

assez intrépides pour ôter nos masques.Nous pouvons aussi faire don du dharma.Dans la mesure où nous le pouvons, nous don-nons des instructions de méditation. Nous par-lons de tonglen aux gens. Nous leur montrons

les livres et les enregistrements, nous leur par-lons des causeries et des séances de pratique.Nous leur donnons les outils pour qu'ils



découvrent par eux-mêmes ce qui nous encou-rage à desserrer notre prise et à élargir nos pers-pectives.

Pour dissoudre les causes de l'agressivité, ilfaut de la discipline, une discipline douce maispourtant précise. Sans la paramita de la disci-pline, nous n'avons tout simplement pas l'appuidont nous avons besoin pour évoluer.

Je m e souviens de la prem ière retraite que j'aidirigée après la publication de Wisdom of no

Escape'. La plupart des participants étaientvenus à cette retraite parce qu'ils étaient inspiréspar la notion de m aitri qui im prègne ce livre. Au

troisième jour du programme environ, nousétions tous assis en train de méditer quand unefemme se leva brusquement, s'étira légèrementet s'étendit sur le sol. Quand, plus tard, je lui aidemandé pourquoi elle avait agi ainsi, elle m'a

dit : « Eh bien ! je me sentais si fatiguée que j'aipensé qu'il me fallait être bonne envers moi-même et m'accorder une pause. » C'est alorsque je me suis rendu com pte que je devais parlerde la magie de la discipline et du fait de ne pas

être ballotté par ses humeurs.La première fois que j'ai médité avec des étu-diants de Trungpa Rinpoché, c'était en 1972. Iln'y avait pas longtemps qu'il habitait en Amé-rique du Nord et son « milieu », comme nous

1. Entrer en amitié avec soi-même, La Table Ronde,1997. (N.d.T.)



avions l'habitude de l'appeler, commençait àpeine à se développer. Dans un coin de la salle,un homme s'était juché sur trois coussins rondsqui, toutes les cinq ou dix minutes, s'effon-draient par terre. Il refaisait alors sa pile de troiscoussins et continuait. Une autre étudianten'arrêtait pas de bondir sur ses pieds pour courirhors de la salle en pleurant. Elle réitérait sonmanège à peu près cinq fois pendant une séancede méditation d'une heure. Quand nouscommencions la méditation marchée, il y avaitautant de styles excentriques que de partici-pants. L'un d'eux pliait profondément le genouet flottait littéralement en l'air à chaque pas ; unautre m archait à reculons. Tout cela était tout àfait divertissant et distrayant. Peu de tempsaprès, Rinpoché a commencé tout doucement àintroduire des instructions à suivre pour unifor-

miser certains principes dans les salles de médi-tation et le climat s'est beaucoup amélioré.Ce que nous disciplinons ce n'est pas notre

« incorrection » ni notre « inconvenance ». Ceque nous d isciplinons c'est toute forme d'échap-

pée possible hors de la réalité. En d'autrestermes, la discipline nous permet d'être tout àfait là et de nous relier à la richesse du m om ent.

Ce qui rend cette discipline exempte de sévé-rité c'est prajna. Ce n'est pas la même chose que

si l'on nous disait de ne prendre aucun plaisir àtout ce qui est agréable ou de nous maîtriser àtout prix. Au contraire, ce voyage de la disci-



pline fournit l'encouragement qui permet delâcher prise. C'est une espèce de processus dedém ontage qu i nous soutient pour aller à contre-courant de nos habituels mécanismes doulou-reux.

Au niveau externe, nous pourrions concevoirla discipline comme une structure, tout commeune période de méditation de trente minutes ouune classe sur le dharma de deux heures. Nousnous asseyons dans une position précise et noussommes aussi fidèles que possible à la tech-nique. Nous nous contentons de porter unelégère attention à l'expiration, encore et encore,tout au long des mouvements d'humeur, dessouvenirs, des drames et de l'ennui. Ce simpleprocessus répétitif est un peu comme invitercette richesse fondamentale dans nos vies. Noussuivons donc la consigne comme des siècles de

m éditants l'ont fait auparavant.À l'intérieur de cette structure, nous avançonsavec compassion. Ainsi, au niveau interne, ladiscipline demande de revenir à la douceur, àl'honnêteté, à la bienveillance. Elle consiste à

trouver l'équilibre entre ni trop serré et ni tropdétendu, entre ni trop avachi et ni trop rigide.La discipline nous fournit un ap pui pour nous

ralentir suffisamm ent et être assez présents pourvivre notre vie sans en faire un gâchis. Elle four-

nit l'encouragement nécessaire pour avancermalgré l'absence de terrain ferme.La puissance de la paramita de la patience



tient à ce qu'elle est l'antidote de la colère, unmoyen d'apprendre à aimer et à nous intéresserà tout ce que nous rencontrons sur la voie. Parpatience, nous ne voulons pas dire endurer —tout prendre avec un sourire. Dans toute situa-tion, au lieu de réagir précipitamment, nouspouvons la mastiquer, la sentir, l'observer etnous ouvrir pour voir ce qu'il y a là. L'opposéde la patience est l'agression — le désir de sau-ter et de bouger, de bousculer nos vies,d'essayer de remplir l'espace. Le voyage de lapatience implique de se détendre, de s'ouvrir àce qui se produit, de faire l'expérience d'un sen-tim ent d'ém erveillement.

Une amie m'a raconté que, dans son enfance,sa grand-mère, qui avait du sang cherokee,l'emmenait en promenade avec son frère pourvoir des animaux. Sa grand-m ère lui disait : « S i

tu t'assieds sans bouger, tu verras quelquechose. Si tu es très silencieuse, tu entendrasquelque chose. » Elle n'employait jamais le motpatience, mais c'est ça qu'ils ont appris.

Une des façons de pratiquer la patience est de

faire tonglen. Quand nous voulons faire un m ou-vement brusque, quand nous commençons àvivre dans la précipitation, quand nous devonsfaire preuve d'esprit de décision, quandquelqu'un hurle après nous et que nous nous

sentons insultés, nous voulons hurler en retourpour être quittes. Nous voulons faire sortir notrepoison. Au lieu de ça, nous pouvons nous relier



à l'agitation humaine fondamentale, à l'agres-sion humaine fondamentale, en pratiquant ton-glen pour tous les êtres. Ensuite, nous pouvonsenvoyer un sentiment d'espace, qui ralentitencore plus les choses. Assis ou debout, nouspouvons laisser de l'espace pour que la tendancehabituelle et coutumière ne se reproduise pas.

Nos paroles et nos actions peuvent être complè-tement différentes parce que nous nous sommesdonné le temps de toucher, goûter et d'abordvoir la situation.

Comme les autres paramitas, l'effort soutenuimplique une qualité de voyage, une qualité deprocessus. Q uand nous com m ençons à pratiquerl'effort soutenu, nous constatons que, parfois,nous y parvenons et que, parfois, c'est impos-sible. La question devient : « Comment trouverl'inspiration ? Comment entrer en rapport avec

l'étincelle et la joie disponibles à chaque ins-tant ? » Pratiquer l'effort soutenu ne consiste pasà se contraindre. Ce n'est passun projet qu'il fautmener à bien ou une course à gagner. C'estcom m e se réveiller par un m atin froid et neigeux

dans un chalet de montagne, prêt à partir en pro-menade, tout en sachant que, d'abord, il fautsortir du lit et faire du feu. On aurait plutôtenvie de rester dans ce lit douillet, mais on ensort d'un bond et on allume le feu parce que

l'éclat du jour, en face de soi, est plus exaltantqu'une grasse matinée.Plus nous établissons un lien avec une pers-



pective plus vaste, plus nous touchons à une joiepleine d'énergie. L'effort soutenu déclenchenotre appétit pour l'éveil. Il nous permet d'agir,de donner, de travailler avec plaisir avec tout cequi croise notre chemin. Si nous savions vrai-ment à quel point le fait que nous essayons tousd'éviter la douleur et de rechercher le plaisirrend malheureuse toute la planète, à quel pointça nous rend malheureux et nous isole de notrecoeur fondamental et de notre intelligence pri-mordiale — nous pratiquerions alors la médita-tion comme si nos cheveux étaient en feu. Nousla pratiquerions comm e si un gros serpent venaitjuste d'atterrir dans notre giron. Il ne saurait êtrequestion de penser qu'il nous reste plein detemps et que nous pouvons remettre ça à plustard.

Grâce à prajna, ces actions deviennent le

moyen de nous dépouiller de nos mécanismesde défense. Chaque fois que nous donnons quel-que chose, chaque fois que nous pratiquons ladiscipline, la patience ou l'effort soutenu, c'estcomme si nous déposions un lourd fardeau.

La paramita de la méditation nous permet decontinuer ce voyage. C'est le fondement d'unesociété éveillée qui n'est pas basée sur le fait degagner et de perdre, sur la perte et le gain.

Quand nous nous asseyons pour méditer,

nous pouvons entrer en contact avec quelquechose d'inconditionnel — un état d'esprit, unenvironnement fondamental qui n'agrippe rien



ni ne rejette rien. La méditation est probable-ment la seule activité qui n'ajoute rien autableau. On perm et à toute chose d'aller et venirsans y ajouter de fioritures. La méditation estune activité totalement non violente et nonagressive. Ne pas remplir l'espace, offrir la pos-sibilité de se relier à l'ouverture inconditionnelle— c'est ça qui fournit la base d'un changementvéritable. Vous pourriez penser que c'est s'atte-ler à une tâche presque impossible. C'est peut-être vrai. Mais, d'un autre côté, plus nous médi-tons avec cette impossibilité, plus nous décou-vrons que c'est toujours possible, après tout.

Quand nous nous accrochons à des pensées età des souvenirs, nous nous accrochons à l'insai-sissable. Quand nous touchons ces fantômes etles abandonnons, il se peut que nous décou-vrions un espace, une pause dans le bavardage,

une vision fugitive du ciel ouvert. C'est notredroit de naissance — la sagesse avec laquellenous sommes nés, le vaste déploiement derichesse primordiale, de l'ouverture primordiale,de la sagesse primordiale elle-même. Tout ce

qui est nécessaire alors est de reposer sans selaisser distraire dans le présent immédiat, danscet instant même du temps. Et si nous nous lais-sons entraîner par des pensées, des désirs, desespoirs ou des peurs, nous pouvons toujours

revenir à ce moment présent. Nous sommes ici.Nous sommes comme emportés par le vent et,comme par le vent, nous sommes ramenés.



Quand une pensée s'est achevée et que la sui-vante n'a pas encore commencé, nous pouvonsreposer dans cet espace. Nous nous formons à

revenir au coeur im m uable de ce mom ent m ême.Toute la compassion et toute l'inspirationviennent de là.

La sixième paramita est prajna, celle quitransforme toutes les actions en or. Il est dit que

les cinq autres paramitas peuvent nous donnerdes points de repère, mais prajna tranche à tra-vers tout ça. Prajna fait de nous des sans domi-cile fixe ; nous n'avons plus aucun endroit oùrésider. C'est pourq uoi nous pouvons enfin nous

détendre. On ne se bat plus. On ne mord plus.On ne prend p lus parti.Parfois nous ressentons une nostalgie insoute-

nable envers nos vieilles habitudes. Quand noustravaillons sur la générosité, nous voyons resur-

gir notre vieille tendance à nous cramponner.Quand nous travaillons sur la discipline, nousvoyons notre vieille tendance à « glander » et ànous déconnecter de tout. Quand nous travail-lons sur la patience, nous découvrons notre désir

de précipitation. Qu and nous pratiquons l'effortsoutenu, nous comprenons notre paresse. Avecla méditation, nous voyons notre perpétuelletendance à être discursif, notre agitation et notreattitude de « je m'enfichisme » intégral.

Nous laissons simplement cette nostalgie êtreen sachant que tous les êtres humains vont res-sentir tout cela. Il y a une place pour la nostal-



gie, tout comme il y en a une pour toute chosesur cette voie. D'année en année, nous conti-nuons simplement à ôter notre armure et à avan-cer dans l'absence de terrain solide.

C'est cela la formation du bodhisattva, la for-mation des serviteurs de la paix. Le monde abesoin de gens ainsi formés — de politiciensbodhisattvas, de policiers bodhisattvas, deparents bodhisattvas, de conducteurs d'autobusbodhisattvas, de bodhisattvas à la banque et àl'épicerie. On a besoin de nous à tous les éche-lons de la société. On a besoin que nous trans-formions nos esprits et nos actions pour le biendes autres et pour l'avenir du monde.



17

OPINIONS

Quand nous nous cramponnons à nos

opinions avec agressivité, quelle que

soit la validité de notre cause, nous ne

faisons qu'ajouter de l'agressivité à la

planète, dont la violence et la douleur

augmentent. Cultiver la non-agression,

c'est cultiver la paix.

L'une des meilleures pratiques de la vie quo-

tidienne, quand nous avons peu de temps pourméditer, est d'observer nos opinions. Quandnous pratiquons la méditation assise, une partiede la technique consiste à être attentif à nos p en-sées. Puis, sans les juger, sans les qualifier de

bonnes ou de mauvaises, nous nous contentonsde reconnaître que nous pensons. C'est un exer-cice de non-agression envers nous-mêmes. C'estaussi un exercice de mise en lumière de notreintelligence : voir que nous sommes juste en

train de penser, m ais sans y attacher d'espoir oude crainte, d'app robation ou de désapprobation.Mais quand nous nous asseyons pour méditer,



cela ne se passe pas toujours de façon aussiidéale. Souvent, le fait de remarquer que nouspensons, ne serait-ce qu'un quart de secondependant une heure de m éditation, s'accompagned'approbation ou de désapprobation. C'est bonou c'est mauvais. De toute façon, il y a quelquechose de plus qu'un simple étiquetage du « pen-ser ».

M ais, après un certain temps de cette pratiqueoù nous demeurons seuls avec nous-mêmes,sans rien faire d'autre que d'être attentifs à notreexpiration en observant nos pensées, notre espritdevient plus calme. C'est pourquoi nouscommençons à remarquer davantage chaquechose. Que nous nous en apercevions ou pas,c'est bien ce que nous faisons. Dans la médita-tion, nous permettons à l'espace de se déployeret nous commençons à percevoir les choses avec

une netteté et un éclat croissants. Nous obser-vons que nous pondons des pensées en série etqu'il y a aussi des pauses dans tout ce bavar-dage. Nous remarquons aussi nos réactions à ce

qui arrive. Puis, nous nous trouvons branchés

sur nos schémas habituels et : voyons ce quenous faisons, qui nous som m es et com m ent nousmaintenons notre image avec des opinions etdes idées sur tout.

Quand nous ne méditons pas, nous pouvons

commencer à remarquer nos opinions toutcomme nous remarquons que nous sommes entrain de penser quand nous méditons. C'est une



pratique extrêmement utile car nous exprimonsdes tas d'opinions que nous avons tendance àprendre pour des vérités. Mais, enfait, ce nesont pas des vérités. Ce ne sont que nos opi-nions. Nous possédons des quantités de supportsémotionnels pour soutenir ces opinions. Ellessont souvent tendancieuses ou critiques ; parfoiselles concernent la beauté ou la perfection dequelque chose. De toute façon, nous avons desquantités d'opinions.

Des opinions sont des opinions, ni plus nimoins. Nous pouvons commencer à les observeret à les étiqueter comme opinions, tout comme

nous étiquetons les pensées comme pensées.R ien que par ce sim ple exercice nous nous fami-liarisons avec la notion d'absence d'ego. En faitl'ego dans son intégralité est constitué de nosopinions, que nous tenons pour solides, réelles

et d'une vérité absolue sur l'essence des choses.Avoir ne serait-ce que quelques secondes dedoute sur la solidité et la vérité absolue de nospropres opinions, com m encer sim plement à voirque nous avons effectivement des opinions,

nous familiarise avec la possibilité de l'absenced'ego ou du non-moi. Il n'est pas nécessaire defaire disparaître ces opinions, ni de nous criti-quer parce que nous les avons. Il suffit deremarquer ce que nous nous disons à nous-

mêmes et de voir à quel point ce n'est que notrepoint de vue personnel sur la réalité, point devue que les autres peuvent partager ou non.



Nous pouvons aussi bien laisser tomber cesopinions et revenir à l'immédiateté de notreexpérience. Revenir pour regarder le visage dela personne en face de nous, goûter notre café,nous brosser les dents ; quoi que ce soit, revenirà ce que nous faisons. Si nous pouvons voir nosopinions en tant qu'opinions et les laisser tom-ber, ne serait-ce qu'un instant, pour revenir àl'immédiateté de notre expérience, nous nousretrouverons peut-être alors dans un mondeflambant neuf, avec des yeux nouveaux et desoreilles neuves.

Quand je parle de remarquer ses opinions, jeveux dire que c'est un moyen simple de com-m encer à prêter attention à ce que nous pensonset faisons et à la quantité d'énergie qui est enjeu.Nous pouvons alors aussi commencer àcomprendre combien nous solidifions les choses

et à quel point il est facile d'entrer en guerrepour que nos opinions gagnent et que cellesd'autrui perdent. C 'est particulièrem ent tentantquand on est engagé dans l'action sociale.

Prenons l'exemple de la couche d'ozone. On

peut dire avec raison que la diminution de lacouche d'ozone est un fait scientifique et nonune simple opinion. Mais si, pour éviter l'aggra-vation de l'état de la couche d'ozone, nous envenons à solidifier notre opinion à l'égard de

ceux que nous estimons en faute, alors rien nechangera jam ais ; la négativité engendre la néga-tivité. En d'autres termes, aussi noble ou bien



étayée que soit notre cause, elle n'avancera paspar notre agressivité à l'égard des oppresseursou de ceux qui propagent ce danger. Rien nechangera jam ais par l'agression.

Vous pourriez rétorquer que rien n'a jamaisbeaucoup changé par la non-agression non p lus.Pourtant, la non-agression est profondémentbénéfique pour la terre. La cause profonde de ladisette, de la fam ine et de la cruauté individuelleest l'agression. Quand nous nous cramponnonsà nos opinions avec agressivité, quelle que soitla validité de notre cause, nous ne faisonsqu'ajouter de l'agressivité à la planète, dont laviolence et la douleur augmentent. Cultiver lanon-agression, c'est cultiver la paix. Le moyend'arrêter la guerre est de cesser de haïr l'ennem i.Cela commence en voyant que nos opinions denous-mêmes et des autres ne sont que notre

point de vue personnel sur la réalité et en ces-sant d'en faire un prétexte pour accroître lanégativité de la planète.

La clé c'est de b ien voir la différence entre lesopinions et l'intelligence clairvoyante. L'intel-

ligence, c'est de voir les pensées en tant que« penser », sans qualifier celles-ci de bonnes oude mauvaises. Dans le contexte de l' actionsociale, nous pouvons voir que ce qu'un gouver-nem ent, une société com m erciale ou un individu

font a pour conséquence évidente de polluer lesrivières ou de nuire aux gens et aux animaux.Nous pouvons prendre des photos ; nous pou-



vons constituer un dossier. Nous pouvons voirque la souffrance est réelle grâce à notre intel-ligence et parce que nous ne nous laissons pasemporter par des opinions sur le bien ou le mal,sur l'espoir ou la peur.

C'est à nous de faire le tri entre faits et opi-nions : après, nous pouvons voir avec intelli-gence. Plus nous voyons clairement la situation,plus notre discours et notre action auront depoids. Moins nos paroles et nos actions sontobscurcies par des opinions, plus elles serontconvaincantes, non seulement pour ceux quipolluent les rivières mais aussi pour ceux quifont pression sur les pollueurs de rivières.

Comme l'a enseigné le Bouddha, il est impor-tant de voir la souffrance en tant que souffrance.Il ne s'agit pas de passer quoi que ce soit soussilence ni de se taire. Si nous ne nous laissons

pas emballer par nos opinions et si nous ne soli-difions pas ce qui semble hostile, nous arrive-rons à' quelque chose. Si nous ne nous laissonspas emporter par notre indignation, nous pour-rons alors voir plus clairement la cause de la

souffrance. C'est ainsi que progresse la cessa-tion de la souffrance.Ce processus requiert une patience énorm e. Il

est important de nous rappeler, quand nousoeuvrons sans agressivité pour réformer quelque

chose que, même si la question dont nous nousoccupons n'est pas résolue, nous augmentons lapaix dans le monde. Nous devons faire de notre



m ieux et, en m ême temp s, renoncer à tout espoirde résultat. Don Juan conseillait à Carlos Casta-neda de faire toute chose comme si c'était laseule chose qui importait au monde, tout en ne

perdant jamais de vue q u'elle n'avait strictementaucune importance. Cette attitude permet dem ieux apprécier la vie et de m oins s'épu iser, caralors nous àccomplissons notre travail de toutcoeur et nous nous y intéressons. D'autre part,chaque jour est un nouveau jour, nous nesommes pas trop axés sur l'avenir. Bien quenous allions dans une certaine direction, qui estde contribuer à diminuer la souffrance, nousdevons comprendre qu'une partie de notrecontribution consiste à garder l'esprit clair, lecoeur et l'intelligence ouverts. Quand les cir-constances font que nous avons envie de fermerles yeux, de nous boucher les oreilles et de

transformer les autres en ennemis, l'actionsociale peut devenir la pratique la plus avancée.Comm ent continuer à p arler et à agir sans agres-sion devient un formidable défi. La manière denous y mettre est de commencer à observer nos

opinions.Il n'y a personne sur la planète, ni ceux quenous considérons comme des opprimés, ni ceuxque nous considérons comme des oppresseurs,qui n'ait la capacité de s'éveiller. Nous avons

tous besoin d'aide et d'encouragem ent pour êtreconscients de ce que nous pensons, de ce quenous disons et de ce que nous faisons. Observez



vos opinions. Si vous vous surprenez en train dedevenir agressif dans vos opinions, notez-le. Encultivant un esprit qui ne s'accroche ni au vraini au faux, vous trouverez un état plein de fraî-cheur. L'ultime cessation de la souffrance vientde là. Enfin, n'abandonnez jamais l'être quevous êtes. A lors vous n'abandonnerez jam ais lesautres. De tout votre coeur, faites ce qu'il fautpour éveiller en vous une intelligence qui per-met de voir clair, mais qu'à chaque jour suffisesa peine, qu'à chaque instant suffise sa peine. Sinous vivons ainsi, nous apporterons des bien-faits à cette terre.



18

INSTRUC TIONS ORA LES SECRÈTES

Dans cet instant malaisé et ambigu

réside notre propre esprit de sagesse.

Juste là, dans l'incertitude du chaos

quotidien, se trouve notre propre esprit

de sagesse.

Parfois, tard dans la nuit ou durant une longuepromenade avec un ami, nous échangeons nos

idées sur la façon de v ivre et d'agir, et sur ce q uiimporte dans la vie. Il se peut que les personnesqui étudient le bouddhisme et pratiquent laméditation se mettent à parler du non-moi et dela vacuité, de la patience et de la générosité, de

la bienveillance et de la compassion. Il se peutque nous venions à peine de lire un texte oud'entendre un enseignement qui a mis sens des-sus dessous notre façon habituelle de voir leschoses. Nous avons l'impression d'avoir tout

juste retrouvé une vérité que nous connaissionsdepuis toujours et que, si seulement nous pou-vions en apprendre plus à ce sujet, notre vie



serait riche et heureuse. Nous confions à nosam is notre désir d'abandonner l'énorm e fardeauque nous avons l'impression d'avoir toujoursporté. Soudain, dans notre exaltation, nous sen-tons que c'est possible. Nous parlons à notreami de ce qui nous inspire et de la manière dontcela ouvre notre vie. « C'est possible », disons-nous, « de prendre plaisir aux choses mêm es quinous déprim ent. Nous pouvons prendre plaisir àfaire notre boulot, à prendre le métro, à pelleterla neige, à payer nos factures et à faire la vais-selle. »

Vous avez peut-être remarqué, cependant,qu'il y a souvent un écart irritant, sinon dépri-mant, entre nos idées et nos bonnes intentions,d'une part, et la façon dont, d'autre part, nousréagissons quand nous sommes confrontés auxdétails terre à terre de la vie réelle.

Un après-midi, à San Francisco, j'étais dansl'autobus en train de lire un article très émou-vant sur la souffrance hum aine et l'aide à appor-ter aux autres. L'idée d'être généreuse et dem'identifier à ceux qui étaient dans le besoin

devint si poignante que je me mis à pleurer. Lesautres passagers me regardaient, les larmes cou-laient sur mes joues. Je ressentais une grandetendresse envers chaque être et l'idée dem'engager à faire du bien aux autres s'imposa à

moi. À peine arrivée chez moi, passablementexténuée après ma journée de travail, le télé-phone se mit à sonner : c'était une amie qui me



demandait si je pouvais lui rendre le service dela remplacer ce soir comme responsable d'ungroupe de méditation. « Non, je regrette, j'aibesoin de me reposer », répondis-je, et je raccro-chai.

La question n'est pas de faire le bon ou lemauvais choix, mais bien d'admettre que nousvivons souvent ce dilemme : comment fairecoïncider l'inspiration que nous donnent lesenseignements et ce qu'ils signifient pour noussur le vif? Il y a une tension difficile à résoudreentre nos inspirations et le fait bien réel d'êtrefatigué, affamé, horripilé, effrayé, en colère,ennuyé ou en prise à tout autre sentiment donton fait l'expérience à n'importe quel instant de1' existence.

Un yogi indien du onzième siècle, du nom deNaropa, rencontra un jour, inopinément, une

vieille sorcière. Apparemment, elle savait qu'ilétait l'un des p lus grands érudits bouddhistes del'Inde et elle lui demanda s'il comprenait lestermes du grand livre qu'il tenait en main. Il luidit que oui, et elle se mit alors à rire et à danser

de jub ilation. Puis elle lui dem anda s'il saisissaitla signification des enseignements de ce livre.Croyant lui faire plus plaisir encore, il lui répon-dit de nouveau oui. Furieuse, elle se mit à hurleret à le traiter d'hypocrite et de menteur. Cette

rencontre changea la vie de Naropa. Il compritqu'elle avait vu clair dans son jeu. En vérité, ilne comprenait que les mots et non le sens pro-



fond de tous les enseignements qu'il pouvaitexposer avec tant de brio.

Nous en sommes là nous aussi, dans une cer-taine mesure. Nous pouvons nous faire croirependant un certain temps que nous connaissonsla méditation et les enseignements, mais vientun moment où il faut cesser de se raconter deshistoires. Rien de tout ce que nous avons appris

ne semble plus pertinent quand notre amantnous quitte, que notre enfant pique une crise ausupermarché ou qu'un collègue nous insulte.Comment travaillons-nous avec notre ressenti-ment quand notre chef pénètre dans notre bureau

en nous engueulant ? Comment concilions-nouscette frustration et cette humiliation avec notredésir d'être ouverts et compatissants et notrevolonté de ne faire de mal ni à nous-mêmes niaux autres ? Comment allions-nous notre inten-

tion d'être bien éveillés et doux pendant lam éditation à cette sim ple réalité : tomber endor-mis dès que nous commençons à méditer ? Etque dire quand, pendant la méditation, nous pas-sons tout notre temps à penser à ce désir tarau-

dant pour quelqu'un ou quelque chose que nousavons vu en nous rendant dans la salle de médi-tation ? Ou bien quand, pendant la méditation,nous nous tortillons toute la matinée parce que

nous avons mal aux genoux et au dos, que noussomm es abrutis et que nous en avons marre ? Aulieu d'être calmes, éveillés et sans ego, nous



nous retrouvons encore plus tendus, irritables etsolides.

Voilà une situation qui ne manque pas d'inté-rêt. Pour le pratiquant, c'est une expérience de

la plus haute im portance.Quand Naropa, qui cherchait le sens derrière

les mots, partit à la recherche d'un maître, il setrouva en permanence dans cette situation, tou-jours coincé. Intellectuellement, il savait tout surla compassion m ais, quand il rencontra un chiencrasseux et pouilleux, il regarda a illeurs. Dans lemême ordre d'idées, il connaissait tout sur lenon-attachement et le fait de ne pas juger mais,quand son maître lui demanda de faire unechose qu'il désapprouvait, il s'y refusa.

Nous nous trouvons constamment dans ceporte-à-faux. C'est une situation où nous cher-chons des solutions au lieu d'être sim plem ent là,

une situation gênante, inconfortable, et c'estsouvent dans ces moments que nous abandon-nons la partie. Nous aimions la méditation et lesenseignements quand nous étions inspirés, encontact avec nous-mêmes et sur la bonne voie.

Mais qu'en est-il lorsque ça commence à res-semb ler à un fardeau, com m e si nous av ions faitle mauvais choix et que plus rien n'est à la hau-teur de nos attentes ? Les gens que nous ren-controns ne sont pas tellement sains. En fait, ils

ont l'air passablement perdus. La gestion de celieu est insatisfaisante. Même le maître estcontestable.



Cette situation où nous nous retrouvons coin-cés est précisément l'étape dans notre médita-tion et dans nos vies où nous pouvons vraimentapprendre quelque chose. Le m om ent où nousne pouvons ni prendre ni laisser, où noussommes pris entre le marteau et l'enclume, prisentre la noblesse de nos idées et la crudité de ceque nous avons sous les yeux - c'est, en vérité,un lieu extrêm ement fécond.

Quand nous avons l'impression d'être prisdans un étau, notre esprit a tendance à rapetis-ser. Nous nous sentons malheureux, comme unevictime, comm e un cas pathétique et désespéré.Croyez-le ou non, c'est dans ces moments detracas, de déroute et de m alaise que nos espritspeuvent grandir. A u lieu de voir ce qu i se pro-duit com m e une preuve de notre faiblesse per-sonnelle ou de la puissance de quelqu'un

d'autre, au lieu de penser que nous som mes stu-pides et que quelqu'un d'autre manque de bien-veillance, nous pouffions renoncer à toutes lesrécriminations envers nous-mêm es et envers lesautres. Nous pourrions demeurer là, désar-

çonnés, ne sachant pas quoi faire, rester danscette situation avec l'énergie tendre et crue dumoment. C'est à ce stade que nous comm ençonsà ap prendre le sens derrière les concepts et lesmots.

N ous avons tellement l'habitude de fuir toutce qui rend mal à l'aise et nous sommes telle-ment prévisibles. S i nous n'aimons pas ce qui se



passe, nous nous déchaînons sur quelqu'un ounous nous tapons dessus. Nous voulons avoir lasécurité et une espèce de certitude quand en faitnous n'avons aucun terrain sur lequel nous tenir.

La prochaine fois que vous n'aurez plus deterrain sur lequel vous tenir, ne considérez pascela comme un obstacle. Considérez plutôt celacomme un sacré coup de chance. Nous n'avonspas de terrain sur lequel nous tenir et qui, par lamême occasion, pourrait nous attendrir et nousinspirer. Après toutes ces années, nous pour-rions enfin grandir vraiment. Comme l'a dit unjour Trungpa R inpoché, le m eilleur m antra est :« OM — grandissez — svaha. »

Les choses changent sans arrêt. Nous pou-vons soit nous accrocher à la sécurité soit resterexposés, comme si nous venions à peine denaître, comme si nous venions tout juste

d'éclore à la clarté de la vie, complètement nus.Cela paraît peut-être trop inconfortable oueffrayant, mais c'est en fait l'occasion de nousapercevoir que ce monde est le seul que nousayons, que nous pouvons le voir avec des yeux

neufs et enfin, après tant d'années, nous réveil-ler de ce vieux sommeil plein de préjugés.La vérité, a dit un ancien m aître chinois, n'est

ni comme ceci ni comme cela. Elle est commeun chien qui bave de désir au-dessus d'un bol

d'huile brûlante. Il ne peut ni s'en éloigner, carelle est trop désirable, ni la laper, car elle esttrop chaude.



Que faire alors quand on se retrouve coincéde la sorte ? D'une certaine façon, nous avonsbesoin que quelqu'un nous encourage à êtrecurieux de ce territoire inconnu et de la questionà laquelle on ne peut pas répondre sur ce qui vase passer ensuite.

On peut accéder à l'immédiateté justementquand on se retrouve bloqué de la sorte. Danscet instant malaisé et ambigu réside notre propreesprit de sagesse. Juste là, dans l'incertitude duchaos quotidien, se trouve notre propre esprit desagesse.

Nous avons besoin d'encouragement pourexpérimenter et essayer ce genre de chose. Celademande de l'audace et il se peut que nousayons l'impression de ne pas être à la hauteur.Mais c'est justement de cela qu'il s'agit. C'estbien là, dans ce sentiment d'insuffisance et

d'agitation que se trouve notre esprit de sagesse.Nous pouvons simplement en faire l'expérience.Il n'y a absolum ent rien à perdre. Nous pouvonsen faire l'expérience sans nous agiter à proposde ce qui est bien ou mal, en apprenant à nous

détendre dans l'absence de terrain solide.Quand j'étais petite, j'avais un livre d'imagesintitulé La Vie des Saints. Il était plein d'his-toires d'hommes et de femmes qui n'avaientjamais eu une pensée de colère ou une pensée

mesquine et qui n'avaient jamais fait de mal àune mouche. Je trouvais ce livre complètementinutile comme guide sur la manière dont nous,



humains, étions supposés vivre une vie bienremp lie. Pour m oi, La Vie de Milarépa est beau-coup plus instructive. Au fil des ans, en lisant etrelisant l'histoire de Milarépa, j'y trouve desconseils qui m'aident à voir là où je suis coincéeet où il ne m e semble pas p ossible de progresser.Pour commencer, M ilarépa était un meurtrier et,comme la plupart d'entre nous quand nouscom m ettons une faute, il a vou lu se racheter. Et,comme la plupart d'entre nous, en cherchant lalibération, il s'est souvent étalé de tout son long.Il a menti et volé pour avoir ce qu'il désirait, ils'est enfoncé dans la dépression au point dedevenir suicidaire et a fait l'expérience de lanostalgie du b on vieux temps. Com m e la plupartd'entre nous, il avait une personne dans sa viequi le mettait constam m ent à l'épreuve et faisaitvoler en éclats son masque de sainteté. Même

quand presque tout le monde le considéraitcomme un des plus grands saints du Tibet, savieille tante vindicative continuait à le battre àcoups de bâton et à l'injurier. Il devait s'achar-ner à comprendre comment se sortir de cette

impasse hum iliante.On peut être reconnaissant de ce qu'unelongue lignée de maîtres aient travaillé dur àrester en selle malgré tant de pression. On les amis à l'épreuve, ils ont connu l'échec et conti-

nué à explorer comment simplement demeurerlà, sans chercher de terrain solide. Ils se sontentraînés encore et toujours tout au long de leurs



vies à ne pas baisser les bras ni prendre la fuitequand le fondement de leurs concepts ou deleurs nobles idéaux se désagrégeait. Se fiant àleurs expériences personnelles, ils nous onttransmis l'encouragement de ne pas passer outreces moments forts où tout se coince, mais à lesobserver tels qu'ils sont, et pas seulement ducoin dels nous ont montré comm ent enfaire l'expérience complètement, au-delà dubien et du mal, comme autant d'expériencesinconditionnées et ordinaires.

C'est le genre d'instruction que N aropa a reçude son m aître Tilopa quand il est parti pour trou-

ver le sens profond de tout ce qui se produit surla voie. Puissions-nous être aussi courageuxqu'il l'a été pour trouver ce que cela signifie.



19

TROIS MÉTHODES POUR TRAVAILLERAVEC LE CHAOS

Le principe essentiel de ces méthodes

est de dissoudre la lutte dualiste : notre

tendance habituelle à combattre ce qui

nous arrive ou ce qui se passe en nous.

Elles nous enseignent à aller vers les

difficultés au lieu de nous en tenir à

distance. On n'a pas très souvent ce

genre d'encouragement.

Nous pratiquons pour nous libérer d'un far-deau — le fardeau d 'une perspective étroite cau-sée par le désir véhément, l'agression, l'igno-rance et la peur. Nous sommes accablés par lesgens avec qui nous vivons, les situations quoti-

diennes et surtout par nos propres personnalités.Grâce à la pratique, nous nous apercevonsqu'il n'est pas nécessaire d'obscurcir la joie etl'ouverture qui sont présentes à tous lesmoments de notre existence. Nous pouvons

nous éveiller à la bonté fondamentale, notredroit de naissance. Quand nous parvenons à lefaire, nous ne nous sentons plus accablés par la



dépression, les tracas ou la rancoeur. La viesemble spacieuse, comme le ciel ou la mer. Il ya de la p lace pour se détendre, respirer et nager,nager si loin que nous perdons le point de repèrequ'est le rivage.

Comment travailler avec cette impressiond'accablement ? Com ment apprendre à entrer enrelation avec ce qui semble être un obstacleentre nous et le bonheur auquel nous avonsdroit ? Comment apprendre à nous détendre et àcréer un lien avec la joie fondamentale ?

Dans le monde entier, les temps sont diffi-ciles ; l'éveil n'est plus un luxe ou un idéal. Celadev ient critique. Il n'est pas nécessaire d'ajouterplus de dépression, de découragement et decolère à ce qui existe déjà. Il devient essentield'app rendre à entrer sainem ent en relation avecles temps difficiles. La terre semble nous implo-rer de connaître la joie et de découvrir notreessence la plus intime. C'est la meilleure façondont nous pouvons agir pour le bien d'autrui.

Il y a trois méthodes traditionnelles pourentrer directement en relation avec des cir-

constances difficiles, considérées comme voied'éveil et de joie. Nous appellerons la premièreméthode « ne plus lutter » ; la seconde « se ser-vir du poison comme remède » et la troisième« voir tout ce qui survient comme sagesse éveil-

lée ». Ce sont trois techniques pour travailleravec le chaos, les difficultés et les situations nondésirées dans nos vies quotidiennes.



La p rem ière m éthode, ne p lus lutter, est résu-mée dans les consignes de shamatha-vipasyana.Quand nous nous asseyons en méditation, quoiqu'il se présente à notre esprit, nous le regar-dons en face, l'appelons « penser » et revenonsà la simplicité et au caractère immédiat de larespiration. Encore et toujours, nous revenons àla conscience éveillée d'origine, dénuée deconcepts. La pratique de la méditation est lam anière dont nous cessons de lutter contre nous-mêmes, contre les circonstances, les émotionsou les sautes d'humeur. Cette instruction debase est l'outil dont nous pouvons nous servirpour apprendre à pratiquer et à mener notre vie.Quoi qu'il advienne, nous pouvons l'observersans porter de jugem ent.

Ces instructions s'appliquent au travail avectout ce qui est déplaisant, sous sa multitude de

déguisements. Quelle que soit la chose ou lapersonne qui apparaît, entraînez-vous encore ettoujours à l'observer, à la regarder et la voirpour ce qu'elle est, sans la traiter de tous lesnoms, sans lui jeter de pierres ni détourner les

yeux. Laissez tomber toutes ces histoires.L'essence la plus intime de l'esprit est sans tru-cage. Les choses surgissent et se dissolventencore et toujours. C'est ainsi que ça marche.

Telle est la méthode fondamentale pour tra-

vailler avec les situations douloureuses — ladouleur planétaire, la douleur privée, n'im portequelle douleur. Nous pouvons cesser de lutter



contre ce qui se produit et en voir le vrai visagesans le traiter d'ennemi. Il est bon de se souve-nir que la pratique n'a aucun accomplissementpour but — ni gain ni perte — sinon la cessationde la lutte et la détente dans ce qui est. C'est cequ'on fait quand on s'assoit en m éditation. Cetteattitude s'étend à toute la vie.

C'est comme inviter ce qui nous fait peur à seprésenter et à rester dans les parages pour unmoment. Comme Milarépa le chantait auxmonstres de sa caverne : « C'est merveilleuxque vous, les démons, vous soyez venusaujourd'hui. Revenez demain sans faute. Detemps à autre, nous devrions converser. » Nouscommençons par travailler avec les monstres denotre esprit. Puis nous développons la sagesse etla compassion pour communiquer sainementavec les menaces et les peurs que nous connais-

sons au quotidien.La yogini tibétaine Machig Labdrôn est l'unede celles qui eurent le courage de s'entraînerdans cette perspective. Elle disait que, dans satradition, on n'exorcisait pas les démons. On les

traitait avec compassion. Elle avait reçu de sonmaître un conseil qu'elle transmettait à ses étu-diants : « Approchez-vous de ce que vous trou-vez repoussant, aidez ceux que vous pensez nepas pouv oir aider et allez dans les lieux qu i vous

font peur. » Cela commence quand nous nousasseyons pour méditer et cesser de lutter contrenotre propre esprit.



La deuxièm e m éthode de travail avec le chaosconsiste à se servir du poison comme remède.Nous pouvons nous servir des situations diffi-ciles — le poison — comme combustible pournous éveiller. En général, cette idée nous estprésentée avec tonglen.

Quand survient une difficulté quelconque —n'importe quelle sorte de conflit, de sentimentde dépréciation, tout ce qui nous semble détes-table, gênant, douloureux — au lieu de nous endébarrasser, nous l'inspirons. Les trois poisonssont la passion (qui inclut le désir insatiable et ladépendance), l'agression et l'ignorance (quicomprend la dénégation ou la tendance à sereplier sur soi et à s'enfermer). Généralementnous considérons ces poisons comme quelquechose de mauvais qu'il faut éviter. Mais ce n'estpas l'attitude qu'on adopte ici ; ils deviennent,

au contraire, germes de compassion et d'ouver-ture. Quand survient la souffrance, la consignede tonglen est de laisser le scénario se dérouleret de l'inspirer — non seulement la colère, larancoeur ou la solitude que nous ressentons mais

aussi la peine identique de ceux qui, au mêmem om ent, ressentent de la rage, de l'amertume oude l'isolement.

N ous inspirons pour tous. C e poison n'est passeulement notre malheur personnel, notre faute,

notre im perfection, notre honte — c'est une partde la condition humaine. C'est notre lien deparenté avec tout ce qui vit, le matériau dont



nous avons besoin pour comprendre ce quesignifie être dans la peau d'un autre. Au lieu dele repousser ou deee fuir, nous l'inspirons etentrons complètem ent en relation avec lui. N ousle faisons en souhaitant pouvoir être tous libérésde la souffrance. Puis nous expirons en ren-voyant le sentiment d'un espace immense, d'unegrande fraîcheur. Nous le faisons en souhaitantpouvoir tous nous détendre et faire l'expériencela plus intime de notre esprit.

On nous dit depuis que nous sommes toutpetits que quelque chose ne va pas en nous, dansle monde et dans tout ce qui se produit : il n'estpas parfait, ses arêtes sont trop acérées, son goûtest amer, il est trop bruyant, trop doux, tropâpre, trop fadasse. Nous cultivons le goût devouloir améliorer les choses car dans ce mondeça cloche, il y a une erreur, un problème. Le

principe essentiel de ces méthodes est de dis-soudre la lutte dualiste : notre tendance habi-tuelle à combattre ce qui nous arrive ou ce quise passe en nous. Elles nous enseignent à allervers les difficultés au lieu de nous en tenir à dis-

tance. On n'a pas très souvent ce genre d'encou-ragement.Tout ce qui se produit peut certes servir et se

laisser travailler mais c'est, en fait, la voie elle-même. Nous pouvons utiliser tout ce qui arrive

comme moyen de nous éveiller. Nous pouvonsemployer tout ce qui se produit — nos émotionset nos pensées conflictuelles ou ce qui semble



être notre situation extérieure — pour discerneroù nous sommes assoupis et comment nouséveiller com plètement, à fond, sans réserves.

La seconde m éthode consiste donc à se servirdu poison comme remède, à se servir de situa-tions difficiles pour éveiller notre intérêt authen-tique pour ceux qui, tout comme nous, setrouvent souvent dans la douleur. Comme le ditun slogan du Lojong « Lorsque le monde estrempli de maux, transforme toutes les mésaven-tures dans la voie de la bodhi. » C 'est ce qui seproduit dans ce cas.

La troisièm e m éthode pour travailler avec le

chaos consiste à voir tout ce qui peut survenircomme la manifestation de l'énergie éveillée.Nous pouvons nous considérer comme déjàéveillés et percevoir notre monde comme déjàsacré. Traditionnellement, l'image dont on se

sert pour voir tout ce qui survient comme l'éner-gie même de la sagesse est le charnier. AuTibet, les charniers étaient l'équivalent de noscimetières, mais ils n'étaient pas aussi coquetsque les nôtres. Les corps n'étaient pas enterrés

sous une belle pelouse bien régulière, avec dejolies petites pierres blanches, avec des angessculptés et de gentilles choses gravées à lamémoire du défunt. Au Tibet, le sol était gelé etles morts étaient donc dépecés et emmenés dans

1. Lojong : enseignements proposés sous forme deslogans perm ettant de s'orienter sur la voie. (N.d.T.)



les charniers où les vautours les dévoraient. Jesuis sûre que ces lieux ne sentaient pas très bonet étaient épouvantables à voir. Il y avait desglobes oculaires, des cheveux et d'autres partiesdu corps traînant un peu partout. Dans un livresur le Tibet, j'ai vu une photographie de gensamenant un corps au charnier. Il y avait uncercle de vautours, dont chacun semblait avoirla taille d'un enfant de deux ans — tous réunislà pour l'arrivée du corps.

Pour nous, ce qui se rapproche le plus d'uncharnier n'est peut-être pas un cimetière m ais lasalle des urgences d'un h ôp ital. C e pourrait êtrel'image de notre base de travail, fondée sur unecertaine honnêteté à propos de la manière dontfonctionne le monde humain. Ça sent fort, çasaigne, c'est plein d'imprévu mais en mêmetemps c'est la sagesse qui rayonne d'elle-même,

la bonne nourriture, celle qui nous alimente,celle qui est bénéfique et pure.Voir ce qui survient comme l'énergie éveillée

inverse notre schéma fondamental habituel, quiest d'essayer d'éviter le conflit, de nous faire

mieux que nous sommes, d'arrondir les angles,d'enjoliver les choses ou de prouver que la dou-leur est une erreur qui n'existerait pas si seule-ment nous faisions tout ce qu'il faut pour ça.Cette perspective renverse complètement ce

schéma et nous encourage à nous intéresser aucharnier de nos vies com m e base de travail pouratteindre l'éveil.



Dans nos vies quotidiennes, nous sommessouvent pris de panique. Nous avons des palpi-tations et des gargouillements d'estomac parce

que nous , nous disputons avec quelqu'un ouparce que le projet magnifique que nous avionsa tourné court. Comment abordons-nous cesdrames ? Comment traitons-nous ces démons,qui sont fondamentalement nos espoirs et nos

craintes ? Comment cessons-nous de luttercontre nous-mêmes ? Machig Labdriin nousconseille d'aller dans les endroits qui nous fontpeur. M ais com m ent faire ?

Nous essayons d'apprendre à ne pas nousscinder entre notre « bon côté » et notre « mau-

vais côté », entre notre « côté pur » et notre« côté impur ». La lutte essentielle concernenotre impression d'avoir mal agi, notre culpabi-

lité, la honte que nous avons de ce que noussommes. C'est avec ça que nous devons entreren am itié. Il s'agit de com prendre q ue nous pou-vons dissoudre ce sentiment de dualité entrenous et eux, entre ceci et cela, entre ici et là-bas,

en allant vers ce que nous trouvons difficile etque nous souhaitons repousser.

Au jour le jour, ces méthodes nous encou-ragent à ne pas nous sentir gênés avec nous-

mêmes. Il n'y a rien qui puisse nous gêner.C'est comme la cuisine traditionnelle. Nouspouvons être fiers de montrer nos boulettes de



matzoth juives, notre curry indien, nos chitlins 1afro-am éricains, nos ham burgers frites d'Am éri-cains moyens. Il y a un tas de préparationssavoureuses dont on peut être fier. Le chaos faitpartie de notre terrain à nous. Au lieu de cher-cher quelque chose de plus relevé ou de pluspur, travaillons avec lui exactement tel qu'il est.

Le monde dans lequel nous nous trouvons, la

personne que nous croyons être, voilà nos basesde travail. C e charnier appelé vie est la manifes-tation de la sagesse. Cette sagesse est la base dela liberté et aussi de la confusion. A chaque ins-tant, nous faisons un choix. Dans quelle direc-

tion aller ? Comment entrer en rapport avec lem atériau b rut de notre existence ?Telles sont les trois façons très concrètes de

travailler avec le chaos : pas de lutte, le poisoncomm e remède et considérer tout ce qui survient

sur la voie comme la manifestation de lasagesse. D'abord nous pouvons nous entraîner àlaisser filer les scénarios, à ralentir suffisam-ment pour être simplement présents, abandonnerla multitude de jugements et de projets et cesser

de lutter. Deuxièmement, nous pouvons nousservir de chaque jour de notre vie pour adopterune attitude différente envers la souffrance. Aulieu de la repousser, nous pouvons inspirer cettesouffrance en souhaitant que tous puissent ces-

1. Chitlins (pour : chitterlings) : les plus petits intes-tins des cochons utilisés comme nourriture. (N.d.T.)



ser d'avoir mal, que partout les êtres, au fond deleur coeur, puissent faire l'expérience de la satis-faction. Nous pourrions transformer la douleuren joie.

Troisièmement, nous pouvons reconnaîtreque la souffrance existe, que l'obscurité existe.Le chaos est à l'intérieur et à l'extérieur — c'estl'énergie de base, le jeu de la sagesse. Notresituation peut être perçue comme le paradis oul'enfer : tout dépend de notre perception.

Ne pourrions-nous pas enfin simp lem ent nousdétendre et cesser de nous en faire ? Dès quenous nous réveillons, nous pouvons consacrernotre journée à apprendre à cesser de nous agi-ter. Nous pouvons cultiver le sens de l'humouret nous exercer à arrêter. Chaque fois que nousnous asseyons pour méditer, nous pouvons voircette pratique comme un entraînement à dédra-

matiser, à aiguiser le sens de l'humour et à nousdétendre. Comme le disait un étudiant : « Révi-sez à la baisse votre niveau d'exigence et déten-dez-vous tel quel. »



20

LE COUP DU NON-CHOIX

Nous ne pouvons pas faire l'expérience

complète du monde sans être disposés

à tout donner. Le samaya signifie ne

rien garder, sans chercher ni échappa-

toire ni solution de rechange, sans

croire qu'il y a suffisamment de temps

pour remettre les choses à plus tard.

Les enseignem ents du bouddhisme s'adressent

à ceux qui n'ont pas beaucoup de temps àperdre. Cela concerne chacun d'entre nous, quenous en soyons conscients ou non. Du point devue des enseignements, croire que nous avonsbien assez de temps pour remettre les choses à

plus tard est le plus grand m ythe, la plus grandelubie et le plus grand poison. Cela, joint à notretendance perpétuelle, profondément enracinée,de tenter d'échapper à ce que nous sommes entrain de faire, trouble nos perceptions et notre

pensée. Si nous savions que, ce soir, nous allonsdevenir aveugles, nous jetterions alors un regardnostalgique, un vrai dernier regard à chaque



brin d'herbe, à chaque formation de nuages, àchaque grain de poussière, à chaque arc-en-ciel,à chaque goutte de pluie - à tout, quoi. Si noussavions que, demain, nous allons être sourds,nous attacherions une grande valeur à chacundes sons que nous avons entendus. Les ensei-gnements du vajrayana' essayent de noussecouer pour que nous comprenions le peu detemps dont nous disposons et le caractère pré-cieux de la naissance humaine.

Dans le vajrayana, on appelle lien du samaya

l'engagement en vertu duquel l'élève est tenud'intégrer l'ensemble de son expérience à lavoie. À un certain moment, après mûreréflexion, il peut enfin se sentir prêt à entrerdans une relation de samaya avec son maître. Sil'élève accepte le maître et lui fait entièrementconfiance, et si le maître accepte à son tour

l'étudiant, ils peuvent alors entrer dans une rela-tion inconditionnelle appelée samaya. Le maîtren'abandonnera jamais l'élève, peu importel'ampleur des problèmes qu'il connaît et lui, deson côté, ne quittera jamais le maître, quoi qu'il

arrive.L'étudiant et le maître sont définitivementliés ensemble, comme s'ils faisaient le pacted'atteindre l'éveil ensemble. On appelle aussi cesamaya « serment sacré » ou « engagement

1. Le « véhicule de diamant » : c'est la pratique quiconsiste à prendre le résultat comme voie.



sacré ». Mais ça n'a rien de saint; c'est s'enga-ger au bon sens — au bon sens indestructible.Le samaya ressemble à un mariage avec la réa-lité, avec le monde phénoménal. Mais c'est uneruse. Ce mariage, c'est un peu comme si on étaitatteint d'amnésie. Nous croyons avoir décidélibrement d'épouser ce partenaire ; en fait, bienque nous l'ignorions, nous sommes déjà mariés.

Le samaya est une ruse parce que nous pen-sons avoir le choix de prendre ou non cet enga-gement vis-à-vis de la santé psychique mais, enfait, depuis le début, nous n'avons pas le choix.C'est une astuce compatissante, une astuce pournous permettre de réaliser qu'il n'y a vraimentaucune issue. Il n'y a vraiment pas de meilleurmoment que juste maintenant, pas d'état deconscience supérieur à celui-là. C'est le genrede tour que les maîtres du vajrayana inventent

pendant leur temps libre et dont ils raffolent onne peut plus : « Comment pouvons-nous piégerces êtres ahuris, abrutis et incorrigibles pourqu'ils se rendent compte qu'ils sont déjà éveillés— et qu'il n'y a pas le choix ? »

Du point de vue du samaya, on peut dire quecherch er d'autres solutions est la seule chose quinous em pêche de réaliser que nous somm es déjàdans un m onde sacré. Cherch er d'autres possibi-lités — des choses plus belles à voir, des sons

plus mélodieux à entendre, un esprit meilleurque celui qu'on a — nous empêche de nousrendre compte que nous pouvons nous tenir fiè-



rement au milieu de notre vie et prendreconscience que c'est un mandala sacré. Nousavons une tendance si profonde à vouloir nousen échapper en nous tortillant, com m e un scara-bée sur une ép ingle : toutes ces contorsions pouressayer d'échap per au fait d'être en plein dans lemille.

Le bouddhisme vajrayana définit des samayasaussi nombreux que variés qui ont tous quelquechose à voir avec le fait que nous sommes tenusde tenir compte de la réalité; ils tendent tous lepiège du non-choix. Même si chaque centimètrede notre être veut courir dans la direction oppo-sée, nous demeurons là. Il n'y a pas d'autremoyen d'entrer dans le monde sacré. Nousdevons cesser de croire que nous pouvonsdécam per et nous établir ailleurs. Nous pouvonssimplement nous détendre — nous détendre

dans l'épuisement, l'indigestion, l'insomnie,l'irritation, la joie ou tout autre sensation.Les samayas les plus importants sont les

samayas du corps, de la parole et de l'esprit.D'abord, on est lié au corps, à la forme, à ce

qu'on voit avec ses yeux — rester fidèle à celasans jamais abandonner ce qu'on voit de sesyeux.

On dit que les samayas du corps, de la paroleet de l'esprit sont aussi continus que le flux

d'une rivière. Ce n'est pas ce que nous expéri-mentons habituellement. D'habitude, dès quenotre perception devient vive, nous nous agi-



tons. Le monde ne cesse de se déployer,ondoyant sans discontinuer, nous clignant de

mais nous sommes tellement préoccupéspar nous-mêmes que nous ne le voyons pas. Nepas perdre le monde de vue, ne pas lâcher, estune expérience où l'univers, tout ce que nousvoyons, devient d'autant plus vif et solide, touten ayant moins de substance et plus de trans-parence. Nous ne parlons pas de voir quoi quece soit d'autre que la personne assise en face denous : voir comment ses cheveux se dressent ouretombent, s'ils sont sales ou propres, brossésou ébouriffés ; ou bien voir un oiseau aux

plum es noires, une b rindille au b ec, juché sur unarbre. Les choses que nous voyons tout le tempspeuvent nous faire jaillir hors du cycle doulou-reux du samsara.

Si nous nous en tenons à cela, notre expé-

rience devient plus vive, plus transparente et ilne nous est plus possible de ne pas recevoir lemessage. Et ce message n'est jamais interprété.Les choses parlent d'elles-mêmes. Le coussinrouge ne symbolise pas la passion, la petite sou-

ris qui entre et sort comme une flèche ne signi-fie pas l'esprit discursif; c'est tout simplementun coussin rouge et une petite souris qui pointeson museau derrière la chaise.

C'est la même chose pour les sons, les sons

ordinaires — tous les sons que nous entendons,depuis la sonnerie du réveil le matin jusqu'auronflem ent nocturne de notre com pagnon. N ous



savons tous à quoi ressemblent les sons quiponctuent le silence en nous faisant sursauter,mais à quoi ressemble le bruit de la plumelorsque nous écrivons dans notre carnet? Et leson q ue vous faites en tournant les pages de celivre? Et votre propre voix ? C'est intéressantd'écouter sa voix ; on d irait celle de q uelqu'und'autre. Entendre ce qu'on dit et voir comm entça se propage dans l'espace a aussi le pouvoir denous faire sortir de l'engourdissement du sam -sara. Même si nous sommes seuls, nos bâille-ments et nos pets communiquent un message.C'est ainsi que chaque petit coup d'oeil, chaquepetite égratignure ordinaire ou chaque glousse-ment, chaq ue petit bruit qu'on fait en mangeantou en buvant, etc., peuvent nous réveiller. Aufond, le samaya nous m ontre que, si nous n'évi-tons pas notre expérience personnelle — si nous

ne croyons pas qu'il y a un son meilleur, plusexaltant, qui nous irrite et nous dérange m oins— les sons deviennent alors vifs et pleins detransparence.

C'est la même chose pour l'esprit. En prati-

quant, nous nous apercevons que nos pensées nedisparaissent pas ; elles deviennent plus préciseset perdent de leur substance. Sur le plan del'esprit, nous rom pons le samaya en q ualifiantles choses de « bonnes » ou de « mauvaises ».

Nous croyons avoir un choix à faire, qu'il y aune alternative au fait de simplement rôder làsans élucider quoi que ce soit, sans rien



résoudre. On peut dire qu'au plan de l'esprit,rompre le samaya c'est avoir le sentiment qu'ilfaut trouver la solution d'un problème — oubien croire qu'il existe une solution ou mêmequ'il existe un problème. Ça vous donne uneidée de la difficulté qu'il y a à respecter lesamaya.

Traditionnellement, on dit que conserver lesamaya, c'est comme maintenir un miroirpropre : dès qu'il vient d'être nettoyé, la pous-sière commence à s'y déposer. Le samaya est del'ordre de l'expérience et peut être rom pu par uninstant de distraction. Pourtant, on peut le répa-

rer instantanément en suivant la m ême consignefamilière : revenir tout de suite au momentprésent.

La Sadhana du Mahamudra, de Trungpa Rin-poché, décrit magnifiquement le samaya du

corps, de la parole et de l'esprit : « Ce quevoient les yeux est vivement irréel dans le vide,mais la forme est là. » Il poursuit en disant quecela n'est rien d'autre que l'apparition de notremaître : « Ce qu'entendent les oreilles est l'écho

du vide, et pourtant réel. » Et ces sons ordi-naires, ces sons de tous les jours, sont lesparoles de notre maître. Toutes nos pensées ettous nos souvenirs, « bons ou mauvais, joyeuxou tristes », tous « s'effacent dans le vide

comme la trace d'un oiseau dans le ciel ».Toutes ces pensées qui surgissent constammentsont l'esprit de notre maître. C'est là que l'on



commence à nous présenter le fait que notremaître n'est pas séparé de notre expérience.Nous réalisons qu'il n'y a aucune alternative àl'expérience que nous vivons. Notre expérienceest la seule expérience qui soit. C'est le maîtreultime.

D'après une citation célèbre, un étudiant dubouddhisme vajrayana devrait être perpétuelle-m ent dans un état de panique. Nous avons si peul'habitude de nous engager totalement à êtreéveillés que cela nous déroute. Un jour, aprèsavoir passé des heures et des heures à faire unepratique particulière, je suis devenue tellementagitée que je pouvais à peine rester immobile.Plus tard, j'ai dit à Rinpoché que tout m'irritait,m êm e les grains de poussière. Il m 'a dit que celase produisait parce que cette pratique exigeaitque je sois saine d'esprit et que je n'en avais pas

encore l'habitude.Dans le cas du samaya, quand nous parlonsd'engagement, il s'agit d'un engagement total :engagement total envers la santé psychique,engagement total envers notre expérience, rela-

tion inconditionnelle avec la réalité. Les gensdisent toujours que c'est ça qu'ils désirent : ilsveulent que quelqu'un les aime de façoninconditionnelle et ils veulent aimer quelqu'unde façon inconditionnelle. Nous croyons que

nous serions ravis d'avoir une relation incondi-tionnelle, mais cela n'est vrai que tant que c'estnous qui en fixons les termes. Tous ceux qui ont



été mariés ou qui ont eu une longue relationsavent que les défis se présentent d'eux-mêmes.Il s'agit de se rendre, d'abandonner sa façon defaire les choses et de ne pas filer quand on sesent menacé. Fondamentalement, la difficultéc'est de rester authentique — sentir son coeurqui bat très fort ou ses genoux qui tremblent ouquoi que ce soit d'autre, et demeurer dans cetétat. En résumé, très peu d'entre nous se per-mettent d'être dans une situation qui n'a pas aumoins une toute petite issue de rien du tout, paroù sortir en cas de besoin.

Au Nouveau-Mexique, dans les annéessoixante, j'allais souvent dans les tentes desudation'. Je tenais beaucoup à m'asseoir prèsde l'entrée de la tente car autrement il m'auraitété impossible de sortir. Ça devenait de plus enplus chaud là-dedans et la vapeur remplissait

l'espace et j'étais sûre que j'allais mourir. Maissi j'arrivais à m'asseoir près de l'entrée en

sachant que je pouvais sortir, je pouvais alorstenir jusqu'au bout. Bien sûr que si jem'asseyais loin de l'entrée je devais rester

jusqu'au bout, mais alors j'avais une telleangoisse que ce n'était vraiment pas drôle. Ehbien, avec le samaya, on ne peut pas s'asseoirprès de l'entrée. C'est l'astuce ultime, la seulefaçon de ressentir enfin notre expérience; c'est

1. Sweat lodge : s'y déroulent des cérémonies de puri-fication chez les Indiens d'Amérique. (N.d.T.)



notre seule porte d'accès au sacré qui existe delui-même dans le monde.

Avant de nous sentir prêts pour cette sorted'exigence, il nous faut accomplir un voyage.Nous démarrons avec notre confusion et notreturbulence et nous comm ençons à perm ettre à laméditation et aux enseignements de nous appri-voiser. N ous prenons à coeur ce que nous enten-dons et nous faisons de notre mieux pour lemettre en pratique dans notre vie quotidienne.Cet effort sincère commence à nous apaiser. Cen'est pas que nous commencions soudainementà devenir parfaits et à nous asseoir loin de laporte. C'est plutôt qu'après des années et desannées d'entraînement doux et de recherchehonnête et intelligente, nous commençons àfaire confiance à notre esprit primordial desagesse. Nous découvrons que nous avons une

sagesse essentielle, un bon coeur essentiel, quisont plus forts et plus fondamentaux que notreméchanceté et notre agressivité. Au fur et àmesure que nous pratiquons, nous dévoilonscette sagesse. C'est comme découvrir que le ciel

et le soleil sont toujours là, que ce sont lesorages et les nuages qui vont et viennent. D'unecertaine façon, ressentir que nous som m es prêtsà ne plus avoir aucune issue se fait simplementtout seul.

Le principal étudiant de Naropa était un Tibé-tain appelé Marpa le Traducteur. Au cours del'un de ses voyages en Inde, Marpa avait ras-



semblé l'or que l'on remettait traditionnellementau maître. Marpa n'était pas précisément unlâche et l'on ne peut pas dire non plus qu'il étaitpingre ; c'était un type qui avait quelque chosedans le ventre et qui avait du punch. Parexemple, ses amis et sa famille avaient essayéde trouver quelqu'un pour faire route avec luidepuis le Tibet jusqu'en Inde, mais il avaitrefusé d'avoir de la com pagnie bien q ue sa santéne fût pas florissante et qu'il eût alors plus decinquante ans.

L'histoire raconte que Marpa fit son derniercadeau, de l'or, à son maître Naropa, mais il engarda un tout petit peu — comme nous le fai-sons toujours. Et il y avait une explication plau-sible à cela : il devait retourner chez lui et ilavait besoin d'un peu d'or — juste un p eu. M aisNaropa lui dit : « Crois-tu que tu peux m'ache-

ter avec ta trom perie ? » A lors M arpa lui donnatout l'or. Naropa le lança en l'air et dit : « Lemonde entier est de l'or pour moi. » À cet ins-tant Marpa comprit la nature de la réalité defaçon plus vive que jamais.

Nous ne pouvons pas faire l'expériencecomplète du monde sans être disposés à toutdonner. Le samaya signifie ne rien garder, sanschercher ni échappatoire ni solution derechange, sans croire qu'il y a suffisamment de

temps pour remettre les choses à plus tard.En un sens, tout le rapport de samaya — qu'ils'agisse de la relation au monde phénoménal



considéré comme le maître absolu ou bien avecune personne — tourne autour de notre adou-cissement. Cela nous adoucit de telle sorte quenous ne pouvons plus nous tromper nous-mêmes, ni rester sourds, muets et aveugles, etque nous recevons toujours le message. La rela-tion de samaya avec un maître vajrayana estcensée nous aider : elle est censée nous intro-duire à l'idée que si nous pouvons entretenir unerelation inconditionnelle avec une seule per-sonne, alors nous pouvons aussi établir une rela-tion inconditionnelle avec le monde. Jusque-là,nous croyons pouvoir partir, nous faufiler versla sortie. Mais, dans cette relation-là, nous pre-nons l'engagement de nous accrocher quoi qu'ilarrive.

Le principal étudiant de M arpa était M ilarépaet, au début, leur relation était du genre épineux.

Milarépa ne doutait pas que Marpa était sonmaître et qu'il pouvait le mener à l'éveil. C'estpourquoi il lui dit : « Je m'engage totalementenvers vous avec mon corps, ma parole et monesprit. S'il vous plaît, aidez-moi à réaliser ma

nature véritable. » A lors les difficultés com m en-cèrent. Milarépa avait accumulé un tas debagages karmiques. En particulier, il avait tuébeaucoup de gens et provoqué beaucoup desouffrances. Pour pouvoir déposer ce fardeau, il

devait subir de nombreuses épreuves. M arpa n'apas cessé de lui faire construire des tours ; q uandelles étaient presque achevées, il lui hurlait de



les détruire. Milarépa a beaucoup souffert pen-dant ses premières années avec Marpa. Il nepouvait recevoir aucun enseignement, il étaitcontinuellement insulté et il construisait destours jusqu'à ce que ses mains et son dos nefussent plus qu'une plaie. Cependant, Milarépane douta jamais des motifs profonds de Marpaet, en vérité, bien qu'il ne l'ait montré que peude fois, M arpa aimait M ilarépa de tout son coeuret il voulait seulement l'aider à s'éveillercomplètement. Chaque fois que Milarépa sesoum ettait à la situation, chaq ue fois qu'il aban-donnait sa rancoeur, il laissait tomber une partiede son vieux bagage habituel. À un certainm om ent, il se retrouva tellement nu q u'il n'avaitplus rien à perdre. C'est alors que Marpa luidonna les enseignements et que leur relationentra dans une nouvelle phase de tendresse et de

chaleur.11 s'agit toutefois d'un processus. Au début,notre habitude de nous enfuir est si profondé-ment ancrée que nous nous contentons de joueravec l'astuce qui consiste à s'engager ferme-

ment. Nous le faisons en pratiquant la médita-tion assise. Au départ, l'instruction de médita-tion est tout ce que nous avons pour ne p as nousdissocier de notre corps, de notre parole et denotre esprit. Année après année, nous conti-

nuons sim plement de pratiquer le retour à notreexpérience personnelle : être dans le momentprésent.



S'engager officiellement par le samaya etentrer dans une relation inconditionnelle avec unmaître, c'est comme nous mettre nous-mêmesdans la gueule d'un crocodile. Nous avonsbesoin de réfléchir longtemps avant de déciderque c'est bien à ce crocodile-là que nous faisonsassez confiance pour rester avec lui quoi qu'ilarrive.

M a propre expérience de cette démarche a ététrès progressive. La première fois que j'ai ren-contré Trungpa Rinpoché, je me suis dit :« Voilà enfin quelqu'un que je ne peux pasduper. » C'est pourquoi je suis allée vivre auColorado, où je pouvais passer plus de tempsauprès de lui. Je me suis rapprochée, mais jen'étais vraim ent pas prête à m 'abandonner.

Il y avait une certaine intelligence qui jouait :souvent, Rinpoché me faisait peur et me cho-quait. Je n'étais pas sûre de pouvoir lui faireconfiance et, ce qui était le plus important, jen'étais pas sûre de l'aimer. Par exemple, je mesouviens d'une retraite pendant laquelle je n'aipas arrêté de regarder son image et de pleurer

parce que je ne pouvais pas ressentir ce que jecroyais être la dévotion véritable.En même temps, je continuais à me rappro-

cher. C'était la seule personne à qui je pouvaisdire où je me sentais coincée et où je me sentais

ouverte. C'était la seule personne qui pouvaittrancher net dans mes scénarios. De temps entemps il me parlait tout à coup — ça pouvait



être dans une foule ou à une réunion d'affaires,toujours quand je m'y attendais le moins. Il meposait une question ou faisait un commentairequi arrêtait net m on esprit.

J'étais son étudiante et j'avais am orcé les pra-tiques du vajrayana depuis fort longtemps —bien après le moment où les étudiants pro-noncent officiellement le voeu form el du sam ayaauprès de leur maître — quand j'ai finalementsu sans doute aucun que je pouvais lui confierma vie. Qu'importe ce qu'il disait ou faisait ilétait mon lien avec le monde sacré. Sans lui jen'aurais pas eu la moindre clé pour com prendrece que cela signifiait. Ça s'est passé simplementainsi : au fur et à mesure que je suivais lesenseignements je m'éveillais davantage et, fina-lement, je me suis rendu compte de sa bontésans limites et j'ai fait l'expérience de l'immen-

sité de son esprit. À ce stade-là, le seul endroitoù je désirais être c'était dans la gueule du cro-codile.

Quand je dis que le samaya est une ruse, jeveux dire qu'il nous force à réaliser que notre

relation avec le monde phénoménal a toujoursété une relation où il n'y a pas de choix. Nousne pouvons pas vraiment faire un choix. Lechoix que nous croyons avoir s'appelle l'ego,c'est lui qui nous empêche de nous rendre

compte que nous som m es dans un m onde sacré ;il est comparable à des oeillères, des boulesQuiès, des pince-nez. Étant totalement condi-



tionnés, dès que la chaise devient un peu tropélectrique, ou même dès que nous croyonsqu'elle va le devenir, nous en déguerpissons.L'astuce c'est de rester sur la ch aise électriqueet de s'engager à faire l'expérience de cettedécharge. Que nous ayons ou non un samayaofficiel avec un m aître, cela dem eure la questionessentielle.

À quoi est-ce que nous nous engageons vrai-ment ? S'agit-il d'avoir un jeu sûr et de manipu-ler notre vie et tout notre m onde de sorte qu'ilnous donne sécurité et confirm ation ? O u b iende s'engager à des niveaux de p lus en plus pro-fonds de m aitri ? La question persiste : En quoicherchons-nous refuge ? Dans des petitesactions, des paroles ou un esprit fats et étriqués ?Ou bien trouvons-nous refuge dans l'état deguerrier, dans la capacité de bondir et de dépas-

ser nos zones de sécurité habituelles ?



21

INVERSER LA ROUE DU SAM SARA

En général, nous croyons qu'il y a un

grand problème à résoudre. Laconsigne est de s'arrêter. Faites quel-

que chose d'inusité. Faites n'importe

quo i plutôt que de fo ncer dans la m êm evieille direction, avec les mêmes

astuces éculées.

D'une façon ou d'une autre, nous continuons

à nous tenir à distance du dharma. Cela revient àle considérer comme une philosophie ou uncours intensif de perfectionnement de soi et,malgré le nombre de fois où l'on nous encou-rage à m ettre la méditation et les enseignements

en rapport avec notre vie émotionnelle, nouscontinuons à oublier de les appliquer quandnous sommes coincés. Quand nous sommes encolère après quelqu'un ou que nous avons lecoeur brisé, quand nous voulons prendre notre

revanche ou nous suicider, à ces moments-lànous n 'avons pas l'air de croire que la m édita-tion ou les enseignements puissent faire le



poids. Ils ne s'adressent pas vraim ent à la réalitéde la situation.

Beaucoup de gens disent que la méditation nesuffit pas, que nous avons besoin de thérapies etde groupes de soutien pour traiter nos schémasles plus indécrottables. Ils sont convaincus quele dharma ne pénètre pas d'une manière suffi-sam m ent profonde dans notre confusion.

Je suggère souvent à un étudiant de suivreune thérapie. Je la vois comme un moyen habileparticulier qui est, pour certains, extrêmementutile. Pour certains d'entre nous, travailler régu-lièrement avec un thérapeute qui ne porte pas dejugement permet de vaincre les peurs et dedévelopper enfin la bienveillance envers nous-mêmes. En même temps, je sais que le dharmaest non seulement plus révolutionnaire maisque, pour beaucoup d'entre nous, c'est le

dharm a lui-m êm e qui fournit les outils et le sou-tien dont nous avons besoin pour trouver notrepropre beauté, notre propre intuition et notreaptitude propre à travailler avec la névrose et ladouleur. L'un des trucs, me semble-t-il, c'est

d'avoir assez de foi dans le dharm a pour le faireentrer tel quel dans nos mom ents de cauchem ar,non comme une théorie inutilisable qui nousdistancie de nos problèmes les plus graves oucomme une obligation de vivre à la hauteur des

enseignements, mais comme une bonne nourri-ture, un médicament sans effets secondaires,applicable en tout lieu et en tout temps.



La clé, c'est de changer nos habitudes et, enparticulier, nos habitudes mentales. Je me sou-viens du jour où j'ai compris, sans aucun doutepossible, que nous créons notre situation par lamanière dont nous utilisons notre esprit, dontnous modelons nos réponses à la vie, à notrebonne vieille manière, bien poussiéreuse etcomplètement prévisible. C'était un problèmed'argent. Nous étions à court d'argent. Jecommençais à être tendue. J'avais littéralementl'impression d'avoir un poids énorme posé surla tête. Je m e suis mise à paniquer. Il fallait trou-ver une issue. Impossible de me détendre tantque je ne trouvais pas une solution à ce pro-blèm e. Je ne p ouvais pas jouir du soleil sur l'eauou de l'aigle dans l'arbre, en face de ma fenêtre.

L'ensemble avait un air de déjà vu, bienconnu. Pourquoi cette fois-ci l'ai-je perçu plusintensément que jamais, je n'en sais rien. C'estprobablement le résultat de toutes ces annéespendant lesquelles j'avais observé mon expé-rience de façon aussi honnête et impartiale quepossible. C'était peut-être aussi le résultat de

toutes ces séances de méditation passées à voirle moment où je déraillais, puis à simplementrevenir à l'instant p résent.

En tout cas, ce jour-là, je me suis prise sur lefait. Juste là, au milieu d'un état d'esprit très

habituel, j'ai vu ce que j'étais en train de faire.Je n'ai pas seulement vu ce que j'étais en trainde faire, je me suis arrêtée. J'ai cessé de suivre



mon modèle habituel pour sauver la situation.J'ai décidé de ne pas courir à gauche et à droitepour prévenir le désastre. J'ai laissé venir lapensée : « II n'y a que moi qui puisse nous sau-ver » et je l'ai abandonnée. J'ai décidé de voirce qui arriverait sans mon intervention — m êmesi cela signifiait que tout allait s'écrouler. Celaarrive parfois qu'il faille tout laisser s'écrouler.

Cesser de m'activer a été la première étape etla plus dure. Ne pas sauver la situation c'étaitaller à contre-courant de la façon dont je fonc-tionnais. J'avais l'impression qu'il y avait uneénorm e roue dotée d'une inertie colossale quandelle allait dans la direction habituelle et que je lafaisais tourner en sens inverse.

C'est de ça dont on parle dans le dharma ;faire tourner toutes nos habitudes dans l'autresens, inverser le processus par lequel nous ren-

dons toute chose tellement solide, inverser laroue du samsara. Cela commence quand nousnous surprenons en train de dérailler selon nosvieilles habitudes. En général, nous croyonsqu'il y a un grand problème à résoudre. La

consigne est de s'arrêter. Faites quelque chosed'inusité. Faites n'importe quoi, plutôt que defoncer dans la même vieille direction, avec lesmêmes astuces éculées.

Les enseignements bouddhistes renferment

des tas d'instructions pour faire faire volte-faceà la réalité. On entend des conseils comme :« Médite sur tout ce qui t'exaspère » et



« Penche-toi sur les aspects à vif ». Quand CM-gyarn Trungpa était encore au Tibet, son maître,Khenpo Gangshar, le formait à ce mode de vie.Il appelait ça l'apprentissage de la nature nondualiste de la réalité. Quand, un jour, nousavons demandé à Rinpoché, au moment où ilavait dû fuir le Tibet, ce qui était arrivé àKhenp o Gangshar, il nous dit avoir entendu que,pendant que le reste d'entre eux s'échap pait versl'Inde, ce m aître se dirigeait vers la C hine. C 'estce que la rumeur disait.

C'est ce genre de consigne que nous pouvonsappliquer à nos vies et elle peut apporter deschangements révolutionnaires dans la façondont nous percevons les choses.

Ma première étape a été de décider de ne pasagir en suivant mon impulsion habituelle.C'était un test, une exploration de l'enseigne-

m ent bouddhique selon lequel nous créons notrepropre réalité, nous percevons notre propre pro-jection.

Tout en moi mourait d'envie de reprendre lemême vieux stratagème. Mais je ne cessais de

me rappeler les enseignements : ils disent que,jusqu'à ce que nous cessions de nous accrocherau concept du bien et du mal, le monde conti-nuera à se manifester sous forme de déessesamicales et de démons malfaisants. Je voulais

explorer par moi-même pour savoir si c'étaitvrai ou non.J'étais en mesure d'expérimenter de cette



façon, sans devenir rigide ou dure, parce que jem'étais entraînée à entrer en amitié avec mespensées et mes émotions. En quelque sorte, sinous ne cultivons pas une amitié sans limitesenvers nous-mêmes, nous n'avançons pas sur lavoie. Méditer et écouter les enseignements nousaide à nous rappeler notre engagement à fairecroître la bienveillance.

Alors que j'enseignais un jour à Austin, auTexas, un homme est venu me voir à la fin duweek-end. Il m'a dit combien il aimait laconsigne de noter le ton de sa voix q uand on éti-quette ses pensées « penser » et, si ce ton estdur, de répéter « penser » avec douceur. « J'aivraiment pris ça à coeur », m'a-t-il dit, « etmaintenant, quand mon esprit vadrouille, je medis simplement à moi-même : "Penser", monpote. »

M ême après de longues années de m éditation,beaucoup d'entre nous continuent à pratiqueravec dureté. Nous pratiquons avec un sentimentde culpabilité, comme si nous allions êtreexcommuniés si nous ne le faisons pas bien.

Nous pratiquons pour ne pas avoir honte denous-mêmes avec la crainte que quelqu'undécouvre quel « mauvais » méditant noussommes en réalité. La plaisanterie classique estqu'un bouddhiste est soit en train de méditer soit

en train de se sentir coupable de ne pas m éditer.Il n'y a pas beaucoup de joie là-dedans.L'enseignement essentiel revient peut-être au



fond à se calmer, à se détendre. C'est une aideprécieuse dans le travail avec nos esprits déran-gés et confus de nous rappeler qu'il s'agit delibérer une douceur qui est déjà en nous et de lalaisser se déployer. Nous la laissons adoucir lesarêtes pointues de l'autocritique et de la récrim i-nation.

Pour certains d'entre nous, il est bien plusfacile d'accepter les autres comme ils sont quede nous accepter nous-mêmes. Nous avons lesentiment que la compassion est réservée àautrui et il ne nous vient jamais à l'esprit del'éprouver envers nous-mêmes.

D'après mon expérience, lorsqu'on pratiquesans s'encom brer de « il faut que », on découvrepeu à peu sa nature éveillée et sa confiance.Petit à petit, sans aucun programme, exceptécelui d'être honnête et bon, on assume la res-

ponsabilité d'être là, dans ce monde imprévi-sible, en ce moment unique, dans ce précieuxcorps hum ain.

Je suis enfin arrivée au moment où j'étaisprête à ralentir la vitesse habituelle de mon

esprit et à cesser d'être aussi prévisible. Pourcommencer, j'ai cessé d'agir conformément àmes habitudes. Je sentais que c'était difficile. Ily avait en moi un désir si énorme de résoudre leproblème, ce que Trungpa Rinpoché appelait

« la nostalgie du samsara ». Mais ma curiositéenvers les enseignements était plus forte quemon envie de recommencer ce que j'avais tou-



jours fait. Là, j'avançais dans un no m an's land.Je ne me sentais pas solide sur mes jambes.C'était du réel et non quelque théorie éthéréeque j'aurais lue dans un livre. Je ne savais pas

ce qui surviendrait après, m ais tout valait mieuxqu'une réaction sur le mode coincé.

Chaque acte compte. Chaque pensée etchaque émotion comptent aussi. La voie, cen'est rien de plus. C'est là que nous appliquonsles enseignements et que nous en venons àcomprendre pourquoi nous méditons. Nous nesommes ici que pour une brève période. Mêmesi nous vivions jusqu'à cent huit ans, notre vieserait trop courte pour que nous puissions êtretémoins de toutes ses merveilles. Le dharmac'est chaque acte, chaque pensée, chaque motque nous prononçons. Sommes-nous au moinsdisposés à nous attraper nous-mêmes en train de

filer ailleurs et à le faire sans gêne ? Est-ce quenous aspirons au moins à ne plus nous considé-rer nous-mêm es com m e un problème, mais sim -plement comme un être humain pareil auxautres, qui pourrait à cet instant s'accorder une

pause et cesser d'être aussi prévisible?C'est ainsi que nos pensées commencent àralentir, si je me fie à mon expérience. Commepar magie, on a l'impression qu'il y a beaucoupplus d'espace pour respirer et danser et beau-

coup plus de bonheur.Le dharm a peut guérir nos b lessures, nos trèsanciennes blessures, qui ne sont pas dues au



péché originel mais à une incompréhension siancienne que nous ne pouvons plus la voiraujourd'hui. Les instructions suggèrent d'entreren relation avec notre situation actuelle demanière compatissante et de commencer à voirque nos difficultés se laissent travailler. Noussommes englués dans des schémas d'avidité etd'obsession qui font que les mêmes pensées etles mêmes réactions se produisent sans trêve.C'est ainsi que nous projetons notre monde.Quand nous le voyons, ne serait-ce qu'uneseconde toutes les trois semaines, nous pouvonsalors tout naturellement découvrir le tour demain pour inverser ce processus qui rend leschoses solides, le truc pour arrêter le mondeclaustrophobique tel que nous le connaissons,pour déposer des siècles de bagages et entrerdans un nouveau territoire.

Si vous vous demandez comment diable est-ilpossible de faire ça, la réponse est sim ple. Faitesen sorte que le dharma devienne personnel,explorez-le de tout votre coeur et détendez-vous.



22

LA VOIE EST LE BUT

S'il y a une possibilité d'éveil, c'est

bien maintenant et non pas dans le

futur. Maintenant c'est le moment.

Q ue faut-il pour utiliser la vie que nous avonsdéjà afin de devenir plus sages et non pas pluscoincés ? Quelle est la source de la sagesse surun plan personnel, individuel ?

Dans la mesure où j'ai compris les enseigne-ments, la réponse à ces questions semble êtreliée au fait de ram ener à la voie tout ce que nousrencontrons. Chaque chose, bien sûr, a un sol,un chemin et un fruit. Cela revient à dire que

toute chose a un début, un milieu et une fin.Mais on dit aussi que le chemin est à la fois lesol et le fruit. C'est ainsi qu'on peut lire : « Lavoie est le but. »

Cette voie a une caractéristique tout à fait par-

ticulière : elle n'est pas préfabriquée. Ellen'existe pas avant d'être parcourue. La voiedont nous parlons ici est l'évolution de notre



expérience, instant après instant, l'évolution dumonde phénoménal, instant après instant, l'évo-lution de nos pensées et de nos émotions, instantaprès instant.

Le chemin n'est pas la RN 66 qui mène à LosAngeles. Ce n'est pas comme si nous pouvionsprendre une carte et supposer que cette annéenous pourrions aller jusqu'à Gallup, au Nou-veau-Mexique, et peut-être que d'ici à 2001nous serions à Los Angeles. L'itinéraire n'estpas tracé. Il vient à l'existence instant après ins-tant et, en même temps, il se défait derrièrenous. C'est comme voyager dans un train enétant assis dans le sens opposé à la marche.Impossible de voir vers où nous nous dirigeons,nous ne pouvons qu'apercevoir les endroits quenous avons dépassés.

C'est un enseignement très encourageant car

il dit que la source de la sagesse est tout ce quiva nous arriver aujourd'hui, c'est tout ce quinous arrive à l'instant même.

Nous sommes toujours d'une certainehumeur. Cela peut être de la tristesse, de la

colère ou un peu n'im porte quoi, sim plem ent uncertain flou. Cela peut être un sentimentd'humour ou de satisfaction. En tout cas, peuimporte l'humeur, c'est ça la voie.

En général, quand quelque chose dans la vie

nous fait mal, nous ne le voyons pas commenotre voie ou la source de notre sagesse. En fait,nous croyons être sur la voie pour nous débar-



rasser de ce sentiment pénible. (« Lorsque jeserai à Los Angeles, je ne me sentirai pluscomme ça. ») Quand on en est à vouloir sedébarrasser de ce sentiment, c'est qu'on cultiveingénument une agressivité subtile envers soi-même.

Il est pourtant indéniable que toute personnequi a utilisé les moments, les jours et les annéesde sa vie pour devenir plus sage, plus douce etplus à l'aise dans ce monde n'a pu l'apprendreque par ce qui s'est passé ici et maintenant.Nous pouvons aspirer à être bon à l'instantmême, à nous détendre et à ouvrir notre coeur et

notre esprit à ce qui est juste en face de nous.C'est maintenant qu'il faut le faire. S'il y a unepossibilité d'éveil, c'est bien maintenant et nonpas dans le futur. Maintenant c'est le moment.

Maintenant c'est le seul moment qui existe.

C'est le rapport que nous établissons avec luiqui crée l'avenir. En d'autres termes, si noussommes plus joyeux dans le futur, c'est grâce ànotre aspiration à être plein d'entrain dans leprésent, à l'énergie que nous y mettons. Toutes

nos actions s'accumulent ; le futur est le résultatde ce que nous faisons à ce moment même.Quand nous sommes dans le pétrin, il ne sert

à rien de se sentir coupables. Nous pourrions, aucontraire, réfléchir au fait que la manière dont

nous allons nous y prendre pour sortir de cettepagaille va semer les germes de notre façond'entrer en rapport avec tout ce qui se produira



ensuite. Nous pouvons nous rendre nous-mêmespuissants ou misérables. L'effort à déployer estle même. C'est bien à l'instant même que nouscréons notre état d'esprit de dem ain, sans parlerde celui de cet après-midi, de celui de lasemaine prochaine et de celui de toutes lesannées de notre vie.

Parfois nous rencontrons quelqu'un quisemble respirer le bien-être et nous nous dem an-dons comment il y est parvenu. Nous aimerionsbien être comme lui. Ce bien-être-là résultesouvent de ce qu'il a eu assez de courage pourêtre complètement vivant et éveillé à chaqueinstant de sa vie, y compris pendant les jourssans joie, les périodes sombres, les moments oùles nuages cachent le soleil. Grâce à la bonnedisposition de notre esprit, nous somm es prêts àentrer en rapport direct avec tout ce qui se pro-

duit, d'une manière précise et douce. C'est cequi mène à la bonne humeur et à la détente fon-damentales.

Quand nous nous rendons compte que la voieest le but, nous avons le sentiment que les

choses se laissent travailler. Trungpa Rinpochédisait : « Tout ce qui se produit dans l'espritconfus est considéré comme la voie. Tout peutservir. C'est une proclamation intrépide, lerugissement du lion. » Tout ce qui se produit

dans notre esprit confus peut être considérécomme la voie. Tout est exploitable.Si on se retrouve dans une situation qui



semble pourrie ou douloureuse et qu'on se dit :« Eh bien, où est l'éveil dans tout ça? », on peutse rappeler cet aspect de la voie : ce qui sembleindésirable dans notre vie ne doit pas néces-sairement nous porter à dormir ni déclencherobligatoirement les réactions habituelles. Nouspouvons laisser la situation nous montrer oùnous en sommes et nous rappeler que les ensei-gnem ents incitent à la précision, la douceur et labienveillance à l'égard de chaque instant. Quandnous v ivons de cette m anière, nous nous sentonssouvent — tout le temps, peut-être — à unecroisée de chemins, sans jamais savoir ce qu'il ya au-delà.

Voilà une façon de vivre dénuée de sécurité.Nous nous trouvons souvent dans un dilemme :que dois-je faire si quelqu'un est en colèrecontre m oi ? Q ue dois-je faire si je suis en colère

après quelqu'un ? Au fond, la consigne c'est dene pas essayer de résoudre le problème maisplutôt de l'utiliser comme une question : com-ment faire pour que la situation même nouséveille encore plus au lieu de nous endormir ?

Nous pouvons nous servir d'une situation diffi-cile pour nous encourager nous-mêmes à faireun bond, pour déboucher dans cette ambiguïté.

C et enseignem ent s'applique m ême aux situa-tions les plus atroces que la vie peut nous balan-

cer. Jean-Paul Sartre disait qu'il y a deux façonsd'aller à la chambre à gaz : libre ou esclave.C'est notre choix de chaque instant. Entrons-



nous en relation avec les circonstances de notrevie avec amertume ou ouverture ?

C'est pourquoi on peut dire que tout ce quiarrive peut être considéré comme la voie et quetoutes les situations — pas seulement quelques-unes — se laissent travailler. Cet enseignementdit haut et fort, avec intrépidité, ce qui est à laportée des gens ordinaires comme vous et moi.

Nous vivons des temps difficiles. On peutm êm e sentir qu'il y a de fortes probabilités pourque la situation s'aggrave. Trungpa Rinpoché atransmis de nombreux enseignements qui onttrait à l'élévation spirituelle de la société. Avecpassion et intrépidité, il a donné des instructionssusceptibles de promouvoir une ère de couragedans laquelle les gens pourraient faire l'expé-rience de leur bonté intrinsèque et venir en aideà autrui. Dans la mesure où j'ai compris ces

conseils qui viennent du coeur, je vous en trans-mets certains. Puissent ces enseignementsprendre racine et se propager dans l'intérêt detous les êtres vivants aujourd'hui et demain.



BIBLIOGRAPHIE

LHALUNGPA, Lobsang P. (traduit par), The Life of

Milarepa, Shambhala Publications, Boulder andLondon, 1984.

NALANDA TRANSLATION COMMITTEE, UNDER THE DIREC-TION OF CHÔ GY AM TRUNGPA, TRADUCTEURS, The Life

of Marpa the Translator, Shambhala Publications,

Boston and London, 1986.TRUNGPA , Chôgyam, Folle Sagesse. Traduit par Zéno

Biadu. Paris : Éditions du Seuil, collection

« Points Sagesses », 1993.Pratique de la voie tibétaine. Traduit par Vincent

Bardet. Paris : Éditions du Seuil, collection« Points Sagesses », 1976, nouvelle édition, 1991.

Le Coeur du sujet. Traduit par Stéphane Bédard.

Paris : Éditions du Seuil, 1993.Shambhala : la Voie sacrée du Guerrier. Traduit parRichard Gravel. Paris : Éditions du Seuil, collec-tion « Points Sagesses », 1990.



LES CENTRES SHAMBHALA

Maître de méditation et détenteur des lignéeskagyü et nyingma du bouddhisme tibétain, le Vidya-dhara Chôgyam Trungpa Rinpoché (né au Tibet en

1939, mort au Canada en 1987) a introduit enOccident une présentation du Dharma à la fois fidèleà la tradition et profondément originale, notammentdans sa prise en compte des particularités de laculture occidentale et dans son intransigeance v is-

à-vis de l'approche matérialiste de la spiritualité.Par ailleurs écrivain, traducteur, poète, maîtred'arrangement floral et de calligraphie, initiateur denom breuses pratiques contemplatives, il a fondél'Institut Naropa, devenu depuis la première univer-sité d'inspiration bouddhique reconnue par l'Étataméricain.

Enfin Trungpa Rinpoché est à l'origine des ensei-gnements Shambhala, qui décrivent la voie du guer-rier, approche séculière de la méditation et de la viequotidienne, fondée sur la confiance en notre capa-

cité à travailler avec les peurs qui nous em pêchentd'être complètement humains.

En 1990, son fils, Ô sel Rangdrôl Mukpo, lui suc-



cède à la tête des diverses activités qu'il regroupedans trois « portes » d'accès aux enseignements deChôgyam Trungpa Rinpoché. En mai 1995, ÔselRangdrig M ukpo est ordonné Sakyong M ipham Rin-

poché par Sa Sainteté Penor Rinpoché ; il est déten-teur des lignées kagyü et nyingma du bouddhismetibétain, et des enseignements Shambhala.

Comme de nombreux centres en Europe et enAmérique du Nord, le Centre Shambhala à Paris per-

met d'accéder aux enseignements de ChtigyamTrungpa Rinpoché présentés par :— le Dharmadhatu, qui dispense les enseigne-

ments et pratiques du bouddhisme tibétain kagyü etnyingma;

— l'Apprentissage Shambhala, qui propose les

cycles de formation à la « Voie sacrée du guerrier »;— Nalanda, qui regroupe l'ensemble des

approch es contemplatives de la culture, de l'art, dela psychologie et des arts martiaux, dont TrungpaRinpoché a été l'instigateur et le pratiquant

accompli.Il est possible également d'obtenir le program m e

des centres de Paris, Lyon, Limoges, Marseille, Niceou M ontréal en écrivant aux adresses ci-après :

C E N T R E D E M É D I T A T I O N S H A M B H A L A D E P A R I S23-25, nie Titon, 75011 Paris.Tél. : 01 43 73 65 77.

D E C H E N C H O L I N G , C E N T R E S H A M B H A L A E U R O P E

M as M arvent87700 Saint-Y rieix-sous-Aixe.Tél. : 05 55 03 55 52 .



LYON

Aux bons soins de Brigitte Nicolet.5, rue Pérod, 69004 Lyon.

MARSEILLE

Aux bons soins de Pierre Marlaud.118, boulevard de la Blancarde, 13004 Marseille.

NICE

Aux bons soins de Lionel Fourment.26, allée du Domaine, 06370 Mouans-Sartoux.

CENTRE DE MÉDITATION SHAMBHALA DE MONTRÉAL

460, rue Sainte-Catherine Ouest, porte 510.Montréal (Québec), Canada H2L 1H3.Tél. : 00-1 (514) 397-0115.

CENTRE SHAMBHALA INTERNATIONAL

1084 Tower Road.Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada B3H 2Y5.

Tél. : 00-1 (902) 425 4275.



Quand tout s'effondre, quand le sol sembles'effriter sous nos pieds et que l'on se senttotalement déstabilisé, Pema Chijdriin nous

invite à ne pas fuir et à ne pas se voiler lesyeux. Elle nous conseille au contraire de vivrequoi qu'il nous en coûte ces instants précieux,

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