Peintures murales de l'époque carolingienne et du XIe siècle en France - PAUL DESCHAMPS

download Peintures murales de l'époque carolingienne et du XIe siècle en France - PAUL DESCHAMPS

of 10

Transcript of Peintures murales de l'époque carolingienne et du XIe siècle en France - PAUL DESCHAMPS

  • Monsieur Paul Deschamps

    Peintures murales de l'poque carolingienne et du XIe sicle enFranceIn: Comptes-rendus des sances de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, 95e anne, N. 1, 1951. pp. 98-106.

    Citer ce document / Cite this document :

    Deschamps Paul. Peintures murales de l'poque carolingienne et du XIe sicle en France. In: Comptes-rendus des sances del'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, 95e anne, N. 1, 1951. pp. 98-106.

    doi : 10.3406/crai.1951.9715

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1951_num_95_1_9715

  • SANCE DU 30 MARS

    PRSIDENCE DE M. CHARLES VIROLLEAUD

    M. Paul Deschamps entretient l'Acadmie des peintures murales de l'poque carolingienne et du xie sicle en France.

    COMMUNICATION

    PEINTURES MURALES DE L'POQUE CAROLINGIENNE ET DU XIe SICLE EN FRANCE,

    PAR M. PAUL DESCHAMPS, MEMBRE DE L* ACADMIE.

    Pendant le haut Moyen Age un trs grand nombre de nos glises furent ornes de peintures murales. Les textes, annales et chroniques sont l pour l'attester. Les capitulaires de Charlemagne et de Louis le Pieux comportent des instructions pour la restauration et l'entretien des glises, mais aussi pour leur dcoration picturale.

    On a conserv de nombreux morceaux potiques, des Carminct, composs par les meilleurs crivains du temps, tels que Paulin de Noie au ve sicle, Fortunat au vie, Alcuin, Thodulfe, Angilbert au ixe. Ces Carmina taient reproduits ct des peintures et commentaient les scnes de l'Ancien et du Nouveau Testament, de l'Apocalypse et des Vies de saints qui ornaient le cul-de-four des absides, les murs des" churs et des nefs. Ces inscriptions en vers tmoignent de l'intrt que les lettrs d'alors portaient aux grandes compositions picturales qui dcoraient les difices religieux.

    En 1927, M. Ren Louis dcouvrit des fresques dans la crypte de Saint-Germain d'Auxerre, et dmontra qu'elles avaient t excutes au temps de Charles le Chauve vers 855.

    Mais cette trouvaille fut considre comme un cas exceptionnel et on continua penser qu' part le groupe d'Auxerre la France ne gardait aucun tmoin de la peinture murale non seulement de l'poque carolingienne, mais aussi du dbut de l'poque romane.

    En effet, quand on examine les travaux consacrs aux peintures de notre pays on constate que celles qui paraissent, par leur style ou leur iconographie, les plus anciennes, ont t gnralement attribues la fin du xie sicle.

    Les auteurs n'ont pas os les faire remonter plus haut. Il semble bien qu'il y ait eu l de leur part un scrupule excessif et qu'ils ont trop rajeuni un certain nombre d'entre elles. Ayant repris leur tude avec mon confrre M. Marc Thibout, j'ai observ que de nombreux

  • Phot. Hurault.' l. - Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers.

    Peinture du xi sicle.

    Phot. Hurault. Fio.2. Crypte de Ternand (Rhdne)

    Peinture carolingienne.

  • 100 COMPTES RENDUS DE L'ACADMIE DES INSCRIPTIONS

    arguments permettaient d'en dater quelques-unes de l'poque carolingienne, d'autres plus nombreuses des environs de l'an mille ou du xie sicle.

    J'ai expos ici mme le 27 janvier 1950 les raisons qui me faisaient considrer comme antrieur l'poque romane le curieux ensemble de peintures qui dcorent le chur de l'glise de Saint-Pierre-les- glises (Vienne). Ces raisons taient fondes sur l'iconographie, la palographie des inscriptions, la gamme trs restreinte des couleurs qui. ne comporte comme Saint-Germain d'Auxerre que l'ocre rouge, l'ocre jaune, le blanc, le gris et le noir.

    A ct de la ville du Puy se dresse sur une troite plate-forme au sommet d'une aiguille de brches basaltiques haute de 85 mtres, la chapelle de Saint-Michel d'Aiguilhe. Elle fut construite au temps de l'vque du Puy, Godescalc, mort en 962, et elle aurait t acheve en 984. Ce n'tait d'abord qu'un petit difice rectangulaire flanqu de quatre absides. A l'poque romane il fut agrandi vers l'Ouest. Il est trs vraisemblable que la partie la plus ancienne, le sanctuaire, fut dcore de peintures au moment de l'achvement de la construction, c'est--dire dans la deuxime moiti du xe sicle.

    A la vote apparat le Christ en majest entour de l'archange saint Michel, de sraphins, de personnages en buste figurant le soleil et la lune ; aux angles de cette vote des mdaillons ronds encadrent les symboles des vanglistes. Mais si cette composition se rapproche d'uvres carolingiennes, il n'en est pas du tout ainsi pour les tonalits, entre autres un vert sombre et le fond bleu fonc sem d'toiles d'or qui appartiennent l'art gothique.

    J'ai donc pens que, tout en conservant l'ordonnance gnrale, on avait remplac les peintures primitives par une nouvelle couche de couleurs toutes diffrentes. Et en effet M. Marcel NiGaud, artiste peintre, charg tout rcemment par le Service des Monuments historiques de fixer les peintures de cette vote, les a examines avec soin et a reconnu que ces tons taient des additions ; il a trouv les couleurs originelles qui sont, comme on pouvait s'y attendre, ocre rouge, ocre jaune, gris, noir et blanc.

    L'archologue lyonnais Lucien Bgule avait dans son livre intitul Antiquits et richesses d'art dans le dpartement du Rhne, paru en 1925, signal dans la petite crypte de la trs ancienne glise de Ternand (Rhne) des traces de peintures, en grande partie dissimules sous une couche de peintures paraissant dater du xvme sicle. Il attribuait ces vestiges la fin du xie sicle. En 1949 ils furent compltement dgags par M. Broud-Blanc. Sur l'invitation de M. Pierre Wuilleumier, professeur la Facult des Lettres de Lyon, qui jugeait ces peintures antrieures l'poque romane, j'allai les examiner avec M. Marc Thibout.

  • peintures de l'poque carolingienne et du xie sicle 101

    Elles prsentent en effet certains caractres qui ne se rencontrent plus l'poque romane. Et d'abord, au-dessus de l'entre, apparaissent trois personnages en buste encadrs dans des demi-cercles. Cette disposition se rencontre frquemment dans les miniatures carolingiennes. Le dcor de la vote est presque identique celui de la vote de Saint-Michel d'Aiguilhe : autour du Christ en majest apparaissent le buste de la Vierge, un ange mi-corps, et dans des mdaillons ronds les symboles des vanglistes.

    Les lments les plus intressants de la dcoration de cette crypte ornent la niche au fond de laquelle est perce l'troite baie absidale. En avant est encore conserv l'autel creus en vier avec rebords moulurs, semblable de nombreux autels du haut Moyen Age conservs dans le Sud-Est. Sur la petite vote de cette niche on voit une admirable figure de l'Agneau divin laquelle l'artiste parat avoir voulu donner l'expression d'un visage humain. L'Agneau se dtache sur une grande Croix patte, Deux anges adorent l'Agneau. Chacun des brasements de la niche tait orn de deux personnages ; il ne reste que ceux de l'brasement de gauche. Ces deux personnages sont debout. Le premier est le pape Grgoire le Grand (590- 604), les mains ouvertes et portant sur une paule une colombe, symbole du Saint-Esprit, qui approche son bec de l'oreille du Pontife pour lui inspirer les crits qu'il dictait son scribe. L'autre personnage est le scribe qui tient un livre, le clbre Sacramentaire, code de la liturgie romaine rdig par saint Grgoire.

    C'est au temps de Ppin le Bref que furent introduites en Gaule les rgles de la liturgie romaine. On sait de plus que le pape Hadrien Ier envoya par l'abb Jean de Ravenne Charlemagne, entre 784 et 791, un manuscrit du Sacramentaire de saint Grgoire en usage la Cour pontificale.

    Les manuscrits du Sacramentaire sont nombreux. Les plus riches sont orns de l'image de saint Grgoire ; on y voit souvent la colombe approchant son bec de la bouche ou de l'oreille du Pontife.

    La gamme des couleurs est trs restreinte ; c'est la mme qu' Saint-Germain d'Auxerre, Saint-Michel d'Aiguilhe et Saint- Pierre-les-glises. La note dominante est le rouge. Dans les images de la niche absidale les vtements sont rouges, les visages rouges rehausss de traits noirs ; les anges, placs aux cts de la croix qui est rouge, sont d'un rouge fonc sans nuances comme des silhouettes dcoupes sur un fond plus clair.

    MM. Birchler et Etienne Fels ont prsent ici en novembre 1950 les peintures du ixe sicle de l'glise Saint-Jen de Munster en Suisse. Dans ces peintures aussi la couleur rouge est le ton essentiel.

    Ces observations, la prsence de personnages en buste inscrits dans des demi-cercles, celle de saint Grgoire si frquemment repr-*

  • 102 COMPTES RENDUS DE L'ACADMIE DES INSCRIPTIONS

    sente dans les miniatures du ixe sicle, la tonalit gnrale, permettent de penser que les peintures rcemment dcouvertes Ter- nand sont, avec celles de Saint-Germain d'Auxerre, les plus anciennes que nous possdions en France.

    A ces quelques monuments qui constituent les premiers tmoins de la peinture murale en France on pourrait sans doute ajouter les peintures rupestres des Grottes de Jonas (commune de Saint-Pierre- Colamine, Puy-de-Dme), qui ont t commentes devant l'Acadmie par M. Marc Thibout le 19 janvier 1945. Elles tmoignent de traditions carolingiennes, mais peut-tre sont-elles un peu postrieures l'an mille. Il est possible en effet qu'elles soient l'uvre d'un artisan retardataire en cette rgion loigne de toutes communications.

    Nous savons que pendant tout le cours duixie sicle l'architecture religieuse connut en France un magnifique essor et beaucoup de monuments construits alors sont encore debout. Pourquoi ne les aurait-on dcors que dans les dernires annes de ce sicle, comme les dates assignes leurs peintures tendent le faire croire ? On a trop dissoci la construction et la dcoration d'un mme difice. Il faut insister sur ce fait que certains documents laissent entendre qu'une glise n'tait considre comme termine qu'aprs avoir t munie de son revtement de fresques. Maintes biographies nous disent que tel vque ou tel abb dirigea, non seulement la construction, mais aussi la dcoration peinte de son glise.

    Il est donc raisonnable de penser qu'en gnral l'uvre des peintres a suivi immdiatement l'achvement du travail des btisseurs, Bien entendu il faut faire des rserves. Il est vident que certaines peintures sont d'un sicle ou davantage plus rcentes que l'difice, mais c'est alors qu'elles ont t ravives ou mme remplaces par d'autres, diffrentes par leur style et souvent par leur iconographie ; et si l'on cherchait sous la couche de ces peintures nouvelles on trouverait la trace du dcor originel, contemporain de la construction.

    Une douzaine de monuments conservent des peintures qui paraissent appartenir au xie sicle. Elles prsentent, soit par leur iconographie, soit par la palographie de leurs inscriptions, soit par le costume des personnages, soit par leurs tonalits, des caractres qui les classent avant le grand panouissement de l'art roman au xiie sicle. La date de l'architecture qu'elles dcorent apporte aussi un lment de preuve.

    L'glise collgiale de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers est un des plus beaux tmoins de l'architecture romane. Sa construction fut entreprise par l'architecte anglais Gautier Coorland, grce la gnrosit d'Emma qui pousa en 1017 le roi d'Angleterre Canut II ;

  • PEINTURES DE. L'POQUE CAROLINGIENNE ET DU XIe SICLE 103

    une conscration de l'difice inachev eut lieu en 1049. De ces travaux subsistent le transept et le clocher nord. Dans les parties hautes du bras sud du transept restent des peintures dcoratives et au rez-de-chausse du clocher on voyait encore en 1872 quatre personnages qui portaient des coffrets ferrures ; on a suppos qu'on avait voulu reprsenter les premiers bienfaiteurs de la collgiale. L'un d'eux, aujourd'hui disparu, tait dsign par une inscription. C'tait le clbre Fulbert, vque de Chartres et trsorier de Saint- Hilaire, mort en 1029. Il est donc vraisemblable que ces peintures furent excutes entre 1029 et 1049. Un seul de ces personnages est encore apparent ; il dcore l'intrados d'un arc. Il est nimb, porte un bliaud court, et par-dessus, un manteau nou sur l'paule. C'est le costume laque qui tait en usage au milieu du xie sicle.

    Le Prieur clunisien de Domne (Isre) 10 kilomtres l'Est de Grenoble, ne garde plus qu'un fragment d'une crucifixion, le bras gauche du Christ, mais cette peinture prsente un intrt particulier parce qu'elle peut tre date de faon assez prcise. La croix est patte comme Ternand et borde de pastilles blanches, ce qui indique un type ancien qu'on ne retrouve plus gure au xne sicle. Le Prieur fut fond vers 1027 et l'glise fut consacre en 1058 par Lger, archevque de Vienne. Sa dcoration picturale parat donc bien dater du milieu du xie sicle.

    L'glise de l'Abbaye de Saint-Chef (Isre) parat avoir t restaure vers 1056 par les soins de ce mme archevque de Vienne Lger (mort en 1070) qui consacra l'glise de Domne. De son ancienne dcoration il reste dans la tribune nord du transept les peintures d'une chapelle qui bien qu'attnues de ton prsentent

    . un trs grand intrt et manifestent un talent remarquable. La vote, les murs, l'abside sont entirement orns de peintures. Une inscription peinte mentionne que l'autel fut consacr en l'honneur du Christ, des trois archanges et de saint Georges martyr ; et en effet ces quatre personnages dcorent l'hmicycle de l'abside sous Fimage du Christ en majest peinte au cul-de-four.

    Dans la chapelle mme ces peintures s'ordonnent avec une heureuse harmonie sur un seul thme : la Cour cleste. La vote est en arc de clotre. Au sommet le Seigneur trne dans une gloire ovale ; sur les reins de la vote, le chur des anges chante les louanges du Sauveur, sept sur chacun des compartiments nord et sud dont deux sraphins trois paires d'ailes charges d'yeux ; sept au compartiment oriental et au milieu d'eux la Vierge. Le compartiment ouest est occup par la Jrusalem cleste figure par un difice aux fentres duquel apparaissent des lus en buste. Aux cts du monument deux anges conduisent vers la Demeure cleste deux lus vtus de blanc. Au sommet du corps central de l'difice est reprsent l'Agneau

  • 104 COMPTES RENDUS DE L* ACADMIE DES INSCRIPTIONS

    dans un mdaillon, pour commenter le texte de l'Apocalypse : La ville n'a besoin ni du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l'illumine et l'Agneau est son flambeau .

    Au-dessous, sur le mur, des personnages sont disposs sur deux registres. Au registre suprieur un groupe compact de saints, videmment ceux qui ont soutenu la doctrine divine de leur enseignement, de leurs actions, ou de leur sang. Parmi eux, deux chevaliers coiffs d'un heaume blanc et vtus d'un haubert blanc ; ce sont peut-tre des saints militaires tels que saint Georges auquel justement cette chapelle est ddie, et saint Maurice qui dans les combats survenaient tout coup vtus de blanc, monts sur des chevaux blancs et prenaient la tte de l'arme chrtienne pour mettre l'ennemi en fuite. Au registre infrieur sont assis les quatre vanglistes en train d'crire.

    Aux peintures de Saint-Chef on observe un contact troit aveG les uvres de dcoration murale des monastres bndictins d'Italie, auxquels Didier, abb du Mont Cassin de 1057 1086, donna une grande impulsion artistique.

    Cet ensemble de peintures doit appartenir la deuxime moiti du xie sicle, ou au plus tard aux premires annes du xne sicle, alors qu'on l'a attribu sans motif au dernier tiers du xne sicle; la palographie de l'inscription place derrire l'autel comporterait cette poque plus de lettres onciales.

    On est mal inform sur les dates de construction de la cathdrale du Puy. Thiollier proposait de dater les parties les plus anciennes, dont le transept, de la fin du xie sicle. Le dernier historien de ce merveilleux difice, M. Ahmad Fikry, pense qu'elles furent l'uvre de ,1'vque Pierre II dont l'piscopat se place entre 1050 et 10.73. . Aux deux extrmits du transept se trouvent, comme Saint-Chef, deux tribunes qui taient compltement couvertes de peintures. Celles de la tribune sud ont t dtruites en 1848, mais des relevs l'aquarelle nous ont t conservs.

    Les peintures de la tribune nord constituent le plus vaste ensemble de dcor peint du dbut de l'art roman que nous possdions en France. Il y a une dizaine d'annes elles n'taient gure visibles car les grandes orgues de la cathdrale occupaient la tribune. Elles ont t dplaces par les soins du Service des Monuments historiques.

    Les trois parois de cette haute et vaste salle largement ouverte sur la croise du transept sont entirement dcores jusqu'au sommet. Certaines figures sont trs uses, d'autres sont en bon tat de conservation.

    Trois scnes rectangulaires sont disposes sous les fentres du Nord et de l'Ouest ; l'une d'elles reprsente le Jugement de Salo- mon, les deux autres des scnes de martyre. Tout autour et au-des-

  • PEINTURES DE L'POQUE CAROLINGIENNE ET DU XIe SICLE 105

    sus,- sur les pilastres, les intrados des arcs, les encadrements des fentres, s'chelonnent des personnages debout parmi lesquels saint Michel, figure d'ordre colossal, des animaux, en particulier des paons d'un coloris admirable, des ornements vgtaux ou gomtriques distribus en une harmonieuse ordonnance.

    Dans les pays d'Occident le culte de saint Michel commena se rpandre en Italie sur la cte de l'Adriatique, au Mont Gargan o l'Archange serait apparu en 492 dans une grotte dominant la mer qui devint bientt un des lieux de plerinage les plus clbres de la pninsule. Au dbut du vme sicle, en 709, l'imitation du culte rendu au Mont Gargan, on leva un sanctuaire en Normandie au Mont Saint-Michel. La coutume s'tablit d'honorer saint Michel sur les hauteurs. Nous avons vu que vers 962 on difia prs du Puy la chapelle Saint-Michel d'Aiguilhe. Cela devint aussi un usage de placer des chapelles ddies saint Michel dans les parties hautes des glises, soit au premier tage du clocher au-dessus du porche, soit dans une tribune comme la cathdrale du Puy.

    Le saint Michel du Puy est le plus grand personnage peint que nous connaissions en France dans l'art mdival ; il mesure 5 m. 55 de haut. Il est revtu du costume d'apparat byzantin avec le loros, longue charpe couverte de plaques d'or et de pierres prcieuses qui sont simules sur cette peinture. Les ailes trs hautes au-dessus des paules, la tte droite entoure d'une large aurole, les yeux normes et fixes, il se tient debout dans une attitude hiratique, les pieds sur le dragon dont le long corps de reptile rouge fonc s'enroule en un triple nud. L'Archange le transperce de sa longue lance sans mme abaisser vers lui son regard.

    On a voulu reproduire fidlement ici une antique image de saint Michel, sans doute celle mme du Mont Gargan qui devait servir de modle pour l'excution des mosaques et des peintures reprsentant le chef des lgions clestes.

    Les personnages de tailles diffrentes qui ornent les parois de la tribune ont des vtements et des attributs (tunique courte, pantalons serrs, bouclier rond) qu'on retrouve chez les combattants pied des miniatures des manuscrits carolingiens, tels que les Apocalypses de Trves et de Cambrai.

    S'il est exact que ces peintures ne sont pas antrieures au milieu du xie sicle, c'est que les traditions carolingiennes se sont prolonges ici plus encore qu'ailleurs.

    Quant aux peintures de la tribune sud, il n'en reste comme souvenir que quelques relevs d'une excution fort mdiocre, mais dont l'iconographie montre aussi qu'il s'agit de peintures antrieures au xne sicle.

    Une scne reprsente Mose frappant le rocher. Ge rocher d'o*

  • 06 COMPTES RENDUS DE i/ACADMIE DES INSCRIPTIONS

    l'eau jaillit apparat sous la forme d'une table rectangulaire borde de lobes semblables ces tables d'autel qu'on rencontre surtout dans les rgions de l'Hrault et de l'Aude au xe sicle et au xie.

    On retrouve cette mme forme de table dans la mme scne de Mose frappant le rocher figurant dans une miniature d'un Rouleau liturgique de la Bndiction de l'Eau, datant du xe sicle, et qui fut prsente l'Exposition des Trsors des Bibliothques d'Italie la Bibliothque Nationale en 1950.

    Un autre panneau prsentait la figuration de la Cne ; la table tait dispose en fer cheval, comme il en est toujours ainsi dans les plus anciens monuments o apparat cet pisode. On voyait aussi l'Entre Jrusalem avec un dtail exceptionnel : l'non, au lieu de suivre docilement l'nesse monte par le Christ, s'en cartait pour flairer un vtement jet sur le sol.

    On peut encore reconnatre comme excuts dans le cours du xie sicle des ensembles et des fragments de peintures aux Allinges (Haute-Savoie), Saint-Michel de Cuxa (Pyrnes-Orientales), Saint-Plancard (Haute-Garonne), Ligug (Vienne), Cortrat (Loiret), Saint-Ours de Loches, Saint-Martin de Tours o une belle figure de saint, aujourd'hui dpose, dcorait un pilier de la Tour Charlemagne ; c'est trs probablement une uvre du troisime quart du sicle.

    Aprs cela, les dernires annes du xie sicle et le dbut du xne nous offrent toute une moisson d'uvres magnifiques, Saint- Julien de Tours, Saint-Savin, Chteau-Gontier, Berz-la-Ville. Le grand art roman va s'panouir en une admirable floraison.

    Depuis une douzaine d'annes un renouveau d'intrt se manifeste en faveur de nos Primitifs de la peinture murale. Le moment est venu de tenter de mettre un peu d'ordre dans la chronologie de leurs uvres.

    *** .

    M. Charles Samaran souligne l'intrt de la communication : il en a t pour les peintures comme pour les manuscrits latins ; les historiens ont eu une tendance rajeunir ceux-ci et pour les peintures on a cherch tablir qu'elles n'taient pas aussi anciennes que M. Deschamps l'a montr.

    InformationsAutres contributions de Monsieur Paul Deschamps

    Pagination9899100101102103104105106

    IllustrationsFig. l. Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers. Peinture du XIe sicle.Fig. 2. Crypte de Ternand (Rhne). Peinture carolingienne.