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Le technicien propose, le paysan dispose. Le cas de l'adoption des systèmes de culture sous couverture végétale au lac Alaotra, Madagascar Résumé A ` Madagascar, dans la re ´gion du lac Alaotra, les syste `mes de culture sous couvert ve ´ge ´tal (SCV) ont e ´te ´ promus par un projet de de ´veloppement pour mettre en place une agriculture pluviale durable. Des enque ˆtes sur l’e ´volution des pratiques agricoles et l’adoption des SCV ont montre ´ l’existence d’un « cœur d’innovation » ou groupe de paysans ayant adopte ´ les SCV (environ 600 paysans pour 420 ha de SCV en 2010) avec un fort investissement du projet en information et formation technique pendant plus de 5 ans. On observe e ´galement un processus de conception paysanne spontane ´ que nous avons appele ´ « syste `mes de culture innovants » (SCI), ne reprenant que certaines parties des e ´le ´ments constitutifs des SCV, pour ame ´liorer les syste `mes de culture conventionnels paysans. Ainsi, la pratique de la rotation raisonne ´e, relativement re ´cente dans cette re ´gion, est la plus prise ´e, suivie de l’utilisation des plantes de couverture pour le couvert du sol, mais aussi comme fourrages ou engrais vert. Par contre, le labour reste partiellement pre ´sent dans la majorite ´ des successions SCV ou SCI, mais pas avant tous les semis. Les obstacles majeurs a ` l’adoption du paquet technique SCV recommande ´ sont (i) la complexite ´ d’un ensemble de pratiques, avec en particulier l’abandon total du labour, et (ii) le changement de paradigme pour l’agriculteur d’une vision a ` court terme vers une vision a ` long terme. Face a ` telles contraintes, les paysans innovent et cre ´ent des syste `mes techniques plus souples (SCI). Mots cle ´s : adaptation ; agriculture de conservation ; innovation ; Madagascar ; semis direct sous couverture ve ´ge ´tale ; vulgarisation agricole. The `mes : productions ve ´ge ´tales. Abstract The technician proposes, the farmer disposes. The adoption of Conservation Agriculture (CA) in the lake Alaotra region, Madagascar Conservation agriculture (CA) has been promoted in the Lake Alaotra region, Madagascar, to implement upland rainfed diversified cropping systems, locally adapted for regular and sustainable production. Surveys on the evolution of agricultural practices and the impact of CA adoption show the existence of a ‘‘heart’’ or group of farmers who have adopted CA (600 for 420 ha in 2010) and a large dissemination of intermediate practices or ICS (‘‘Innovative Cropping Systems’’ as we qualify them). If CA stricto sensu is actually adopted by a limited number of farmers in the project area, with a strong investment in information and extension for over 3 years, the majority of farmers adopt some techniques from CA (but not the whole package) to improve their conventional cropping systems, creating a continuum between CA and conventional systems. Hence, among the three principles of CA, the practice of rational crop rotation (a relatively new practice locally) is the most popular, followed by the use of cover crops as fodder or green manure. Tillage remains partially used. The major obstacles for CA adoption seem to be a complex technical pathway and the paradigm shift from a short-term to a long-term vision of agriculture. Facing such constraints, farmers innovate and create more flexible cropping patterns (ICS). Éric Penot 1 Raphaël Domas 2 Joana Fabre 3 Sarra Poletti 4 Colomban Macdowall 5 Patrick Dugu e 1 Pierre-Yves Le Gal 1 1 CIRAD UMR Innovation TA C-85/15 73, rue Jean-Franc ¸ois Breton 34398 Montpellier Cedex 5 France <[email protected]> <[email protected]> <[email protected]> 2 Soci et e Meilland 42240 Unieux Rhône-Alpes France <[email protected]> 3 INRA Laboratoire de recherche sur le d eveloppement de l' elevage (LRDE) Quartier Grossetti 20250 Corte Corse France <[email protected]> 4 CIRAD UPR HORTSYS Station de Bassin Plat BP 180 97455 Saint-Pierre Cedex La R eunion France <[email protected]> 5 Trafc International (Conservation program) 12, Birch Close Cambridge CD4 1XN Royaume-Uni <[email protected]> doi: 10.1684/agr.2015.0745 Pour citer cet article : Penot É, Domas R, Fabre J, Poletti S, Macdowall C, Dugué P, Le Gal PY, 2015. Le technicien propose, le paysan dispose. Le cas de l'adoption des systèmes de culture sous couverture végétale au lac Alaotra, Madagascar. Cah Agric 24 : 84-92. doi : 10.1684/agr.2015.0745 Tirés à part : &. Penot 84 Cah Agric, vol. 24, n8 2, mars-avril 2015 Étude originale

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Le technicien propose, le paysan dispose. Le cas del'adoption des systèmes de culture sous couverture

végétale au lac Alaotra, Madagascar

RésuméA Madagascar, dans la region du lac Alaotra, les systemes de culture sous couvert vegetal(SCV) ont ete promus par un projet de developpement pour mettre en place une agriculturepluviale durable. Des enquetes sur l’evolution des pratiques agricoles et l’adoption des SCVontmontre l’existenced’un « cœur d’innovation » ougroupedepaysans ayant adopte les SCV(environ 600 paysans pour 420 ha de SCV en 2010) avec un fort investissement du projet eninformation et formation technique pendant plus de 5 ans. On observe egalement unprocessus de conception paysanne spontane que nous avons appele « systemes de cultureinnovants » (SCI), ne reprenant que certaines parties des elements constitutifs des SCV, pourameliorer les systemes de culture conventionnels paysans. Ainsi, la pratique de la rotationraisonnee, relativement recente dans cette region, est la plus prisee, suivie de l’utilisation desplantes de couverturepour le couvert du sol,mais aussi comme fourragesouengrais vert. Parcontre, le labour reste partiellement present dans la majorite des successions SCV ou SCI,mais pas avant tous les semis. Les obstacles majeurs a l’adoption du paquet technique SCVrecommande sont (i) la complexite d’un ensemble de pratiques, avec en particulierl’abandon total du labour, et (ii) le changement de paradigme pour l’agriculteur d’une visiona court terme vers une vision a long terme. Face a telles contraintes, les paysans innovent etcreent des systemes techniques plus souples (SCI).

Mots cles : adaptation ; agriculture de conservation ; innovation ; Madagascar ; semisdirect sous couverture vegetale ; vulgarisation agricole.

Themes : productions vegetales.

AbstractThe technician proposes, the farmer disposes. The adoption of ConservationAgriculture (CA) in the lake Alaotra region, Madagascar

Conservation agriculture (CA) has been promoted in the Lake Alaotra region, Madagascar,to implement upland rainfed diversified cropping systems, locally adapted for regular andsustainable production. Surveys on the evolution of agricultural practices and the impact ofCA adoption show the existence of a ‘‘heart’’ or group of farmers who have adopted CA(600 for 420 ha in 2010) and a large dissemination of intermediate practices or ICS(‘‘Innovative Cropping Systems’’ as we qualify them). If CA stricto sensu is actually adoptedby a limited number of farmers in the project area, with a strong investment in informationand extension for over 3 years, themajority of farmers adopt some techniques fromCA (butnot the whole package) to improve their conventional cropping systems, creating acontinuum between CA and conventional systems. Hence, among the three principles ofCA, the practice of rational crop rotation (a relatively new practice locally) is the mostpopular, followed by the use of cover crops as fodder or green manure. Tillage remainspartially used. The major obstacles for CA adoption seem to be a complex technicalpathway and the paradigm shift from a short-term to a long-term vision of agriculture.Facing such constraints, farmers innovate and create more flexible cropping patterns (ICS).

Éric Penot1

Raphaël Domas2

Joana Fabre3

Sarra Poletti4

Colomban Macdowall5

Patrick Dugu�e1

Pierre-Yves Le Gal1

1 CIRADUMR InnovationTA C-85/1573, rue Jean-Francois Breton34398 Montpellier Cedex 5France<[email protected]><[email protected]><[email protected]>2 Soci�et�e Meilland42240 UnieuxRhône-AlpesFrance<[email protected]>

3 INRALaboratoire de recherche sur led�eveloppement de l'�elevage (LRDE)Quartier Grossetti20250 CorteCorseFrance<[email protected]>4 CIRADUPR HORTSYSStation de Bassin PlatBP 18097455 Saint-Pierre CedexLa R�eunionFrance<[email protected]>5 Traffic International (Conservationprogram)12, Birch CloseCambridgeCD4 1XNRoyaume-Uni<[email protected]>

doi: 10.1684/agr.2015.0745

Pour citer cet article : Penot É, Domas R, Fabre J, Poletti S, Macdowall C, Dugué P, Le Gal PY, 2015.Le technicien propose, le paysan dispose. Le cas de l'adoption des systèmes de culture souscouverture végétale au lac Alaotra, Madagascar. Cah Agric 24 : 84-92. doi : 10.1684/agr.2015.0745

Tirés à part : &. Penot

84 Cah Agric, vol. 24, n8 2, mars-avril 2015

Étude originale

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L'accroissement de la productionagricole pluviale et le maintiendes capacites productives des

agrosystemes constituent les grandsenjeux des agricultures familialesd’Afrique et de Madagascar(Coughenour et al., 2000). Ces objectifspourraient etre atteints par la mise enœuvre a grande echelle des principesde l’agriculture de conservation (AC)tels que definis par la FAO1, et dontemanent les systemes de culture souscouvert vegetal (SCV) (Tittonell et al.,2012). Ces systemes combinent leseffets du non-labour, de l’usage deplantes de couverture et de la rotationdes cultures. Ils requierent un investis-sement a moyen terme dans le capitalsol, du fait du recours aux fertilisants etaux herbicides en quantite importante,aumoins les premieres annees. Compa-res a la culture pluviale conventionnellebasee sur le travail du sol, l’adoptiondesSCV correspond pour l’agriculteur a unchangement deparadigme important eta une nouvelle facon de concevoir sonmetier (Penot et Andriatsitohaina,2011). Le labour et la mobilisation desattelages permettent a l’agriculteur demontrer qu’il est capable dedisposer dechamps propres avant semis, et d’inves-tir et d’entretenir du materiel et desanimaux de trait (Bourrigaud et Sigaut,2006). Par leurs caracteristiques debase, les SCV constituent une innova-tion complexe, dont l’adoption requiertdes formes de vulgarisation basees surle partenariat et le renforcement descompetences des producteurs, combi-nes a d’autres services agricoles adaptescomme l’approvisionnement et le credit(Faure et al., 2013).Les objectifs des SCV ont ete maintesfois repertories (Scopel et al., 2012), dememe que les contraintes a leuradoptiondansdifferentspays d’Afriquesubsaharienne (Giller et al., 2009 ;Serpantie, 2009). Cet article vise acaracteriser les processus d’adoptionet d’adaptation des SCV vulgarisesdepuis 16 ans, en s’interessant a la

place qu’ils occupent dans les diffe-rents typesd’exploitations, ainsi qu’auxstrategies et aux pratiques des agricul-teurs vis-a-vis de cette innovation.

Contexte

La region du lac Alaotra est l’une desprincipales zones rizicoles exceden-taires de Madagascar avec plus de110 000 ha de rizieres (dont 40 000 habien irrigues et 70 000 ha a maıtrisepartielle de l’eau) et plus de 30 000 hade tanety, zones de colline en agri-culture pluviale (riz pluvial, maıs,arachide, manioc, etc.) (Deveze,2007). Un doublement de la popula-tion tous les 18 ans conduit a unesaturation fonciere importante sur leszones irrigables et a une forte pressionsur les ressources naturelles. Lesmeilleures terres, rizieres et baiboho(zones colluviales exondees au pieddes tanety) sont deja totalement misesen culture. L’expansion des surfacescultivees se fait donc en agriculturepluviale, sur les tanety tres sensibles al’erosion, aux sols peu fertiles etsoumis aux aleas pluviometriques –entre 460 et 1 600 mm/an ces vingtdernieres annees (Domas et al., 2009).Dans un tel contexte de degradationdes sols de tanety (Blanc Pamard etRakoto Ramiarantsoa, 2003), des pro-grammes de recherche et un projet dedeveloppement (projet pilote BV-Lacfinance par l’Agence francaise dedeveloppement - AFD) ont promules SCV dans un contexte ou la mise enculture des tanety a ete progressive. Lavulgarisation a large echelle des SCV,commencee en 2003 avec BV-Lac,repose sur une large gamme desystemes adaptes aux differentes uni-tes de paysage (tableau 1). Cessystemes sont bases sur diversesplantes de couverture, l’utilisationd’herbicides et une fertilisation mine-rale standard (150 kg d’uree + NPK/ha). Les SCV ont d’abord ete vulgarisesselon une approche « descendante »normative et techniciste, peu efficaceau vu du fort taux d’abandon : 60 % enpremiere annee, entre 20 et 40 %

ensuite. A partir de 2007, une appro-che « exploitation » a ete mise enœuvre. Elle repose sur l’etablissementd’un plan previsionnel annuel d’adop-tion des innovations par l’agriculteuret la prise en compte par le vulgari-sateur de la diversite des parcellesselon les unites de paysage et lesstrategies des producteurs. Le dou-blement du prix des engrais en 2008 aquasiment stoppe le developpementde SCV semi-intensifs avec utilisationd’engrais. Depuis cette date, tous lessystemes preconises ou adoptes nerecourent quasiment plus a l’engrais.Par contre, les herbicides peu chers abase de 2-4-D sont utilises par lamajorite des paysans encadres par leprojet sur leurs parcelles de cerealesSCV, comme ils le sont par ailleursaussi sur les systemes conventionnelsdepuis les annees 1990.

Méthodologie

L’etude concerne la zoneNord-Est (NE)et les vallees du Sud-Est (VSE) autourdu lac Alaotra (figure 1), du fait del’adoption differenciee des systemesSCV dans ces zones. Elle est basee surtrois enquetes successives. L’enqueten8 1, realisee en 2010, concerne l’eva-luation technico-economique del’adoption des SCV dans 60 exploita-tions encadrees par le projet, et plusparticulierement la place occupee parles SCV depuis 2008 (109 parcelles).L’enquete n8 2 a ete realisee en 2011 sur30 exploitations geographiquement pro-chesde celles de l’echantillonprecedent,dont quelques-unes jamais encadreespar le projet et d’autres, devenues auto-nomes, qui n’entretiennent plus derelations avec les vulgarisateurs. Elles’appuie sur 53 parcelles de culturespluviales, pour estimer l’adoption desSCV in extenso et les divergences entreles differents systemes mis en place parces 30agriculteurs et ceuxqui avaient etepreconises par le projet (dans l’enqueten8 1). Les pratiques culturales (rotations,gestion de la couverture du sol et travaildu sol) ont ete analysees sur 109

Key words: adaptation; conservation agriculture; direct sowing under mulch;Madagascar; agricultural extension; innovation.

Subjects: vegetal productions.

1 Food and Agricultural Organization of theUnited Nations.

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parcelles en culture pluviale des deuxenquetes (dont les 80 parcelles les plusanciennesenSCVdansceszoneset29enculture conventionnelle non SCV). Cetteetude a ete realisee chez des exploitantsencadres par le projet ayant au moinsune parcelle « declaree » en SCV (enque-tes n8 1 et 2 soit 86 % de l’echantillon) etchez leurs voisinsnonencadres (14 %del’echantillon, enquete n8 2). Les itinerai-res techniques ont ete reconstituessur cinq annees (2005-2010). Enfin,l’enquete n8 3 a porte sur l’identificationdes systemes de culture traditionnels ouconventionnels pratiques actuellementdans la region et leurs evolutions sur lesdix dernieres annees. Pour cela, desenquetes ont ete realisees dans 20exploitations non encadrees par le projetet n’ayant pas adopte des elements dessystemes SCV vulgarises. Les differences

de pratiques enregistrees entre lesenquetesn8 2et 3permettentdepreciserles options techniques innovantes rete-nues par les paysans n’etant plus ou pasen contact avec le projet BV-Lac.

Résultats

Un début d'adoption desSCVEn 2010, le projet denombrait1 080 ha de SCV en integrant lessurfaces en annee d’installation dusysteme (A0), visant a produire labiomasse de couverture pour le semisdirect l’annee suivante (A1). Si l’onexclut les surfaces A0 ou le labour estsouvent present, 420 ha en SCV stricto

sensu ont ete recenses en 2010 chezenviron 600 paysans. Un « cœurd’innovation » a donc ete cree, maisil demeure restreint par rapport aux3 000 ha et 2 500 paysans encadrespar le projet pendant 10 ans. Ceresultat reflete les forts taux d’abandondu SCV les 3 premieres annees, del’ordre de 60 % entre A0 et A1 et de45 % entre A1 et A2, periode pendantlaquelle les agriculteurs experimen-tent ce systeme.Les raisons d’abandon sont diverses.Au total, 36 % des paysans considerentque les SCV sont mal adaptes ausysteme agraire local, le betail diva-gant consommant les biomasses decouverture en saison seche, tandis que13 % mettent en avant des raisonsd’insecurite fonciere, et 32 % desraisons financieres. De fait, les couts

Tableau 1. Synthèse des différents systèmes de culture observés selon la toposéquence et les zonesNE et VSE.Table 1. Synthesis of various types of cropping systems according to position and zone, NE and VSE.

Unité de paysage SCV préconiséspar le projet

SCI « paysansencadrés » (enquête 1)

SCI spontanésou « paysans nonencadrés (enquête 2)

SC Traditionnels(enquête 3)

Tanety Maïs + l�eg* // Riz Maïs + l�eg // Maïs +l�eg (NE)

Maïs // Maïs //Arachide (NE)

Monoculture suivied'une longue jachère :Arachide,Manioc,Maïs,Haricot,Tabac(NE)

Maïs + l�eg // Riz //Maïs + l�eg // Arachide

Maïs + l�eg // Riz //Arachide

Maïs // Maïs //Arachide //Manioc (VSE)

Manioc // Stylosanthesou Brachiaria (> 2 ans)

Stylosanthes ou Brachiariaen culture purefourragère(> 2 ans)

Maïs // Maïs //l�eg et engrais vert

Riz // Stylosanthes Haricot/Vesce

Tanety en basde pente

Maïs + l�eg // Riz //Maïs + l�eg // Arachide

Maïs + l�eg // Riz

Maïs + l�eg // Riz //Arachide

Brachiaria puret fourrager > 2 ans(VSE)

Riz // Maïs //Arachide (NE)

Arachide //Manioc //Haricot (VSE)

Monoculture suivied'une longue jachère :Arachide,Manioc,Maïs,Haricot,Tabac (NE)

Baiboho Riz + Vesce /maraîchage paill�ede CS

Riz + Vesce(enfouissementvesce en engrais vert)

Riz / Maraîchagede CS

// : succession entre deux années agricoles./ : succession intra-annuelle entre la saison pluvieuse et la contre saison (CS).+ : association de cultures.SCV : système de culture sous couvert végétal ; SCI : système de culture innovant ; SC : système de culture.* lég = légumineuses = Lablab purpureus (dolique), Vigna unguiculata (niébé) et Vigna umbellata (ricebean).(NE) : Nord-Est ; (VSE) : Vallées du Sud-Est.Tous les itinéraires techniques SCV proposés sont en semis direct sans labour.

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de production en SCV, dont 80 % sontdus a la main-d’œuvre temporaire,depassent ceux en culture conven-tionnelle. Or, la tresorerie des exploi-tations en debut de campagne est treslimitee (periode de soudure alimen-taire), l’acces au credit est difficile etles retours economiques dus aux SCVne sont pas ceux escomptes par lespaysans. Des considerations techni-ques sont aussi mises en avant, tellesque la complexite de ces systemes deculture, ou la necessite de mettre laparcelle SCV en jachere « amelioree »pendant 2 ou 3 ans dans le cas des

systemes a base de Stylosantes guia-nensis ou de Brachiaria spp. Cesplantes produisent la biomasse decouverture mais ne permettent pasd’obtenir un produit marchand oualimentaire, alors que les paysanscherchent a produire des culturesvivrieres tous les ans sur toutes leursparcelles cultivables.Enfin, les effets positifs des SCV sur lesrendements ne sont pas immediats. Siles rendements enA0 sont globalementequivalents a ceux des cultures ensysteme conventionnel avec labour, ilsleur sont souvent inferieurs ou au

mieux egaux en A1 du fait d’unemaıtrise technique encore partielle dusemis direct dans la couverture. A partird’A2, ils atteignent le meme niveauqu’en conventionnel pour augmenterensuite de 10 a 15 % a partir d’A3(Penot et al., 2011). Le taux d’abandondes SCV baisse alors significativement,a environ 10 a 20 % par an.La nature des systemes adoptes estfonction de l’importance spatiale destanety et baiboho dans les deux zonesd’etude, NE et VSE (figures 1 et 2).Dans la zone NE, ou les parcelles surtanety sont preponderantes, le SCV

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200 km

Limite des districts

Limite communale

Périmètre irrigué

Tanambao Besakay

Soalazaina

Ranamainty

RN

44Plan d’eau

Autre route

Didy

Route nationale

Chef-lieu de district

Chef-lieu de commune

100 mi

Ambovombe

Nosy Varika

MahanoroAntanifotsy

Soavinandriana

Faratsiho

Manakara-Atsimo

Ambatondrazaka

Antananarivo

Vavatenina

Antanimenabaka

Bemaitso

Andilamena

Tanananifololahy

Amboavory

Vohimena

AvaratraAndilanaAndrebakely Nor

Andromba

Imerimandroso

Antanandava

Vohisara

Amparihitsokatra

Ambatosoratra

Ambohitsilaozana

Ambandrika

Ambatomainty

Ambohitrarivo

AnororaSahamamy

Ambohijanahary

BeananaAmbodimanga

Amparafaravola

Ambohimandroso

Andrebakely Sud

Ampasikely

Bejofo

AtsimoMorarano

Ambatondrazaka

Manakambahiny Est

MAYOTTE (FR)

0 10 20 30 40 50 Kilometers

Système de projection Labordeprojet BV Lac, jan 2009

N

Zone Sud-Est(Vallées du Sud-Est)

Zone Nord-Est(Imerimandrosso)

Miarinarivo

Figure 1. Localisation des zones d'étude dans la région du lac Alaotra, Madagascar.

Figure 1. Localization of study areas in the Lake Alaotra region, Madagascar.

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base sur la rotation maıs + dolique //riz pluvial sur mulch de residusdomine largement. Le signe « / »indique une association de plantesdans la meme annee. Le sigle « // »indique le passage d’une annee al’autre (succession). Le dolique estparfois remplace par le Mucuna spp.ou Vigna spp. Dans la zone VSE richeen baiboho, le SCV riz pluvial / vesce// maraıchage est le plus frequent,ainsi que les cultures maraıcheresimplantees sur une simple couverturede paille de riz, sans labour prealable.Enfin, l’association manioc + Brachia-ria, ou manioc + Stylosanthes serencontre de plus en plus rarement,toujours sur des parcelles de tanetypeu fertiles et plutot en zone NE. LeStylosanthes est en general prefere auBrachiaria car il peut etre controlemanuellement apres 1 ou 2 annees dedeveloppement, sans recourir auxherbicides couteux a base de glypho-sate, necessaires pour controler leBrachiaria.

Une dynamique d'adaptationdes systèmes proposésDurant la periode d’experimentationdes SCV (A0-A3), la plupart despaysans encadres se sont ecartes dumodele promu par le projet. Les

agriculteurs non encadres ont aussiinnove en developpant des systemesde culture s’inspirant pour partie desprincipes des SCV observes chez leursvoisins (tableau 1). Ces adaptations,que nous avons denommees systemesde culture innovants (SCI), ont etecaracterisees en fonction de leur typede rotation, de leurs modes de gestiondu couvert vegetal et du travail du solapplique (labour versus semis direct).Alors que la monoculture de maniocou d’arachide suivie d’une jacherelongue sur tanety etait la regle dansles annees 1960-1970, la rotation descultures avec ou sans labour estmaintenant tres courante (82 % descas), que les parcelles soient ou nonencadrees par le projet. La pratique dela jachere naturelle est de moins enmoins frequente du fait de l’accroisse-ment demographique (encadre). Dece fait, elle ne figure pas dans lessuccessions en SCI et en SCV(tableau 1). Les paysans ont d’abordinsere une ou deux cultures (arachide,manioc) apres deux annees successi-ves de maıs. Certains ont ensuiteintroduit le riz pluvial, culture forte-ment encouragee par le projet pourfaire face aux besoins de leur famille.Ainsi, le riz pluvial vient en tete derotation et laisse ensuite la place aumaıs, puis a une legumineuse moinsexigeante. Cette succession riz // maıs

// legumineuse fonctionne a l’inversede celle proposee avec les SCV, ou leriz suit le maıs + legumineuses afin derespecter le principe de couverture dusol permanente. Cela etant, ces suc-cessions de cultures, avec ou sanscouverture du sol, sont adaptees parles paysans en fonction des opportu-nites economiques qui s’offrent a eux.Ainsi, certains peuvent deciderd’accroıtre leur surface en arachide,culture qui produit peu de couverturemais qui rapporte autant qu’un rizpluvial a 2,5 t/ha, tout en demandantmoins de travail.

La jachère dans les systèmes deculture pluviaux en 2015

Dans les deux zones d'�etude, lapratique de la jachère en agriculturepluviale a continuellement r�egress�eavec l'accroissement de la popula-tion. Elle a quasiment disparu surbaiboho du fait de la bonne fertilit�e deces terres. Aujourd'hui, on observe lepassage d'une culture continue ensaison des pluies à deux cultures paran avec, en contre-saison, l'adoptionde la vesce et le d�eveloppement descultures maraîchères. Sur les parcel-les de tanety de bas de pente, moinsaffect�ees par les s�echeresses, lajachère tendaussiàdisparaître.Enfin,sur les tanety des glacis et lesplateaux sommitaux, les agriculteurss�electionnent les meilleures terres(les moins pauvres et les plus pro-fondes) pour y installer leurs cultures.Dans ces situations, la jachère natu-relle de courte dur�ee (1 à 3 ans)subsiste quand l'agriculteur disposed'une surface cultivable qui d�epasseses capacit�es de travail et lorsqu'ilrefuse de louer ce type de terre à despaysans ayant peu ou pas de terres.La majeure partie de ces deux unit�esdepaysageest r�eserv�eeauxparcoursnaturels jamais mis en culture.

L’association d’une plante de couver-ture avec une culture d’interet(consommation familiale et/ou mar-chande), ou le recours a la paillecomme mulch de couverture, est ledeuxieme principe de l’agriculture deconservation le plus adopte par lesagriculteurs (39 % des parcelles obser-vees (figure 3), pour diverses raisons :

0

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NE VSE

NE et VSE correspondent aux deux zones d'études.

Figure 2. Distribution des différents systèmes rencontrés en fonction du nombre d'adoptants en 2009.

Figure 2. Distribution of different types of cropping systems according to number of adoptive farmers.

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– Les couvertures issues des associa-tions maıs + legumineuses (Vignaspp., dolique) et haricot + vesce don-nent globalement de bons resultatspour les deux cultures en associationavec une production de grain pour lesplantes de couverture comme lesVigna et le dolique et du fourrageavec la vesce.– La couverture du sol par la paille deriz pour le maraıchage de contre-saison sur baiboho est courante danstoute la region du lac Alaotra et estpratiquee depuis des decennies. Cettepratique traditionnelle du paillage dusol a certainement facilite l’adoptiondu mulch de couverture dans lesautres SCV ou SCI.– Plus rarement, les plantes de cou-verture en culture pure sont utiliseescomme engrais vert, enfoui apresquelques mois pour beneficier a laculture suivante, sans fournir demulch(concerne surtout la vesce).Les associations de culture a based’especes a cycle court sont faciles arealiser et fournissent une biomasseabondante si la divagation du betail estbien controlee. Les SCV ou SCI a basede couverture de Stylosanthes ou deBrachiaria sont moins frequents carleur gestion demande beaucoup detravail ou d’herbicides. Par contre, ilsont ete adoptes par les agro-eleveurspour leur fourniture de biomasse

fourragere. Dans ce cas, les plantesde couverture peuvent etre exploiteesde deux facons differentes : commeculture pure, fourragere stricte, si toutela biomasse est recoltee pour l’elevage,ou, dans quelques cas, comme uneculture de couverture d’un SCV si lepaysan ne preleve qu’une partie de labiomasse (20 a 30 % maximum) etconserve le reste pour couvrir le sol(Andriarimalala et al., 2013).Enfin, le labour reste utilise dans lesparcelles declarees en SCV par lespaysans. Un total de 87 % des parcel-les de l’enquete « pratiques agricoles »recouraient au moins a un labourdurant la rotation, mais sa frequencediminue dans les rotations en SCI(figure 3). Par exemple, dans le cas desSCI maıs + legumineuses // maıs+ legumineuses oumaıs + legumineu-ses // riz pluvial // arachide, le labourn’est pas systematiquement realiseapres l’association maıs + legumineu-ses venant en tete de rotation. Quandla biomasse de couverture issue decette association est encore abondanteapres la saison seche, la culture (oul’association de cultures) suivante peutetre implantee par semis direct. C’estle cas pour 50 a 70 % des parcellesavec ce systeme de culture.Meme sur les parcelles en SCV condui-tes sans travail du sol pendant plusieursannees de suite, un retour du labour

entre la 4e et la 7e annee est souventconstate, pour diverses raisons selonles agriculteurs : compaction des sols,couverture trop partielle du sol et doncdifficultes a controler les adventices,besoin d’inserer une culture economi-quement interessante (arachide ouniebe), mais qui ne produit alors pasde couverture. Apres ce labour, laparcelle peut repasser pour plusieursannees en SCV stricto sensu.

Influence du typed'exploitation sur l'adoptiondes SCV ou des SCIEntre 2008 et 2010, les exploitationsencadrees par le projet et ayantexperimente les SCV ont cultive enmoyenne 25 % de leur surface totaleen SCV ou SCI (figure 4). Les exploi-tations considerees comme « adoptan-tes de SCV ou SCI » cultivent au moinsune parcelle sous cette forme depuis 5ans (environ 600 exploitations pourles deux zones NE et VSE en 2010),pour 50 a 75 % de leur assolementpluvial. Ce sont principalement desexploitations disposant de peu decapital, ayant peu de rizieres irrigueeset a forte proportion de terre cultivableen tanety. En particulier, les exploita-tions sans zebu de trait, qui rencon-trent des difficultes pour la realisationdu labour manuel sur tanety, opera-tion tres couteuse en temps, trouventun interet aux systemes sans laboursystematique, qui permettent dereduire les charges de travail et lescouts d’installation des cultures.Les exploitations mecanisees tourneesvers la riziculture irriguee, pour laquellele projet ne preconise pas de SCV, ontadopte les systemes SCVouSCIpluviauxsur 15 % a 25 % de leur surface cultiveetotale, sous une forme extensive avecpeu d’intrants. Les grandes exploitationsrizicoles possedant aussi une grandesurfaceen tanety ontcultive 50 a 75 %deleur surface totale en SCV ou SCI enpratiquant les systemes maıs + legumi-neuses // riz pluvial sur tanety, etriz // maraıchage paille de contre saison(qui remplace la vesce) localement surbaiboho. Quelques exploitations rizico-les dotees d’une main-d’œuvre familialeimportante ont maintenu des parcellesen SCV pendant 4 a 6 ans, maisgeneralement sur de petites surfaces.La faible place occupee par les SCV oules SCI dans l’assolement de ces

Syst.

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NE VSE

NE et VSE correspondent aux deux zones d'études.

Figure 3. Distribution des systèmes rencontrés en fonction des surfaces en hectares en 2009.

Figure 3. Distribution of cropping systems according to 2009 area.

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exploitations impacte en effet peu leursperformances economiques, liees prin-cipalement au riz irrigue.Enfin, des exploitations qualifieesd’« opportunistes » ont adopte lesSCV sur moins du quart de leurassolement, mais jamais dans la duree.Leur interet pour ces systemes estfonction des apports du projet entermes d’information (acces au tech-

nicien), de services d’approvisionne-ment ou de possibilite de vendre dessemences de plantes de couverture.

Discussion

L’exemple du lac Alaotra soulignecombien les processus d’adoption

d’une innovation telle que les SCV,touchant a differentes composantesdes systemes de production a l’echelleindividuelle et des systemes agraires al’echelle collective, peuvent prendredes voies diverses, rendant l’evalua-tion des resultats obtenus pluscomplexe que la mesure d’un simpletaux d’adoption. Tout d’abord, lesagriculteurs encadres par le projet et

Non-labourpendant toute la rotation

13 %n = 10

SCV strictosensu

SCI

SCI procheSCV

SCI

SCI proche duConventionnel

Conventionnel/traditionnel

Rotation 90 %n = 9

Rotation 81 %n = 57

Monoculture 10 %n = 1

Labourau moins une fois dans

la rotation87 %n = 70

Monoculture 19 %n = 13

Couvert végétal 67 %n = 6

Sans couvert végétal 33 %n = 3

Couvert végétal 100 %n = 1

Sans couvert végétal 0 %

Couvert végétal 42 %n = 24

Sans couvert végétal 58 %n = 33

Couvert végétal 0 %

Sans couvert végétal100 %n = 13

SCV : système de culture sous couvert végétal ; SCI : système de culture innovant.

Figure 4. Fréquence des pratiques selon les systèmes de culture considérés en système de culture sous couvert végétal (SCV) par les producteurs.

Figure 4. Frequency of technical practices in cropping systems considered as CA by farmers.

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consideres comme « adoptants » ontune bonne appreciation des SCV, quirecoupe celle de leurs promoteurs,illustree par les propos suivants rele-ves durant nos enquetes : « les cou-vertures protegent les sols et limitentl’erosion, la terre est vivante » ; « si lacouverture est epaisse, elle permet dereduire le temps d’entretien des cultu-res » ; « la couverture constitue uneprotection contre les aleas pluviome-triques en debut de cycle et lesrendements sont plus stables ». Deplus, « la reduction du temps dejachere ou sa suppression permisepar l’adoption des SCV sur tanety nouspermet d’augmenter la surface culti-vee quand on possede peu de terre etdonc d’augmenter la production ali-mentaire ». Mais malgre ces declara-tions, le nombre de producteurs et lessurfaces concernes par les SCV strictosensu stagnent a un niveau bien endeca des objectifs du projet.Ce premier constat pourrait decevoir.Pour autant, nosobservationsmontrentl’existence d’une dynamique d’innova-tions en lien avec les SCV, dontcertaines composantes (rotation, cou-verture du sol) ont ete reprises tant pardes agriculteurs en relation frequenteavec le projet que par des exploitantsnon encadres. Cette dynamique ren-voie a l’adequation entre les contextespropres a chaque exploitation et lesreponses qu’apportent ces composan-tes techniques aux objectifs et auxcontraintes des producteurs. Ce cons-tat, courant en matiere de diffusion desinnovations (Faure et al., 2013),explique pourquoi les exploitationsavec une forte proportion de tanety,ne possedant pas de zebus de trait ouayant besoin de fourrage dans le cadred’uneplus forte integration agriculture-elevage, ont ete interessees par les SCVou par diverses adaptations en SCIqu’ils ont effectuees.Par ailleurs, la gestion et les impactspluriannuels des SCV se confrontentaux horizons de temps choisis par lesproducteurs dans leurs decisions. Ence sens, des objectifs tels que lareduction des investissements en tra-vail et en intrants, la recherche deresultats rapides, ou plus generale-ment des strategies anti-risques, s’ave-rent defavorables a l’adoption des SCV(qui demandent du temps pour reve-ler leurs effets), mais peuvent favoriserl’emergence d’adaptations plus facilesa integrer dans les systemes de pro-

duction en place. Des SCI integrantdes especes a cycle court, demandantpeu de travail et a valeur fourragere,telles que la vesce, presentent ainsi uninteret plus eleve que des systemespluri-annuels a base de Brachiaria ouStylosanthes. Les producteurs ne sontpas refractaires au changement mais,au contraire, se situent dans unedynamique d’innovation et saventfaire le tri entre ce qui repond a leursbesoins du moment et ce qui leurparaıt inadapte a leur contexte (Garinet Penot, 2011). De ce point de vue,des projets limites dans le temps, avecdes contenus decides sans une reelleparticipation de leurs « beneficiaires »,prennent le risque de rencontrer untaux important d’echec par rapport aleurs objectifs quantitatifs affiches(Penot et al., 2014).Cette relation etroite entre les carac-teristiques d’un systeme techniqueinnovant et le contexte dans lequel ils’insere, fait que l’interet du premierdepend de l’evolution du second. Desfacteurs socio-economiques tels que lapression demographique et la dispo-nibilite en terre, peuvent pousser lesproducteurs a intensifier ou a coloni-ser des terres de tanety de moins enmoins fertiles. L’amelioration recentede l’acces aux services de credit acaution solidaire (Wampfler et Penot,2010), ainsi que la baisse recente desprix des engrais, pourraient a l’avenirmodifier la capacite d’investissementdes agriculteurs, et donc leurs choixtechniques.Enfin, la conception et la diffusion d’unsysteme agricole innovant dependentd’un ensemble d’acteurs, dont la per-tinence des actions et des methodes parrapport au contexte d’interventionconditionne l’efficacite (Meynard et al.,2012). L’experience du lac Aloatra secaracterise de ce point de vue par un fortpoids de la recherche et d’un projet dedeveloppement present pendant dixans, avec un schema lineaire descendantdont les limites sont pourtant bienconnues (Le Gal et al., 2011). Les choixmethodologiques des actuels projets derecherche-action dans la zone visent aintegrer les producteurs dans la concep-tion des systemes innovants (Tittonellet al., 2012). Des plateformes d’innova-tion basees sur le partenariat et lesreseaux socio-techniques existants(Latour, 1989) ont ainsi ete mises enplace plutot que de creer ex nihilo desstructures paysannes de promotion des

SCV. De meme, les approches devulgarisation et de conseil experimen-tees dans cette region pourraient s’enri-chir de dispositifs portes par des leaderspaysans ou des producteurs experimen-tateurs, constitues dans le cadre d’uni-versites paysannes, facilitant leschangements techniques a moyenterme dont ces agricultures ont besoin(Sabourin et al., 2004).

Conclusion

Le bilan de l’adoption des SCV dans laregion du lac Alaotra demeure mitige :les 420 ha concernes en 2010 peuventparaıtre consequents au vu de lacomplexite du systeme technique,maisfaibles par rapport auxmoyens investispour la vulgarisation de ce systeme. Leseffets attendus des SCV concernant lastabilite, voire l’augmentation des ren-dements, ne sont perceptibles qu’amoyen terme et ne compensent pasles efforts necessaires a leur gestion,dansunenvironnement instable tant auplan climatique qu’economique. Maissi l’on considere plus largement ladynamique d’evolution des systemesde culture sur tanety et baiboho, lebilan apparaıt plutot positif. En effet, laforte diffusion, sans encadrement desprojets, d’une partie des composantsdu SCV a travers les SCI (l’adoption deplantes de couverture comme culturesfourrageres en particulier), souligne lacapacite d’innovation et d’adaptationdes producteurs de cette region. Larotation des cultures comme l’insertiondes plantes de couverture ou fourra-geres a cycle court et l’utilisation deresidus de culture comme paillage sesont en effet largement diffusees. Maisle labour ponctuel demeure par contreune pratique courante dans les exploi-tations ayant adopte les SCV ou les SCIet pratiquant regulierement le semisdirect. Le labour permet de decompac-ter les sols et de controler les adventi-ces. Il est encore trop tot pour juger dela durabilite economique et ecologiquedes SCI, d’autant que ces systemesn’ont pas ete evalues au plan agrono-mique, et de l’adoption perenne desSCV sur le long terme, en l’absenced’une structure d’appui fournissant desservices susceptibles d’encourager ceprocessus (intrants, credit, conseil). Lesmethodes d’interactionavec et entre les

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agriculteurs evoluent vers une plusgrande autonomie avec la mise enplace recente de plateformes d’innova-tion, dont l’efficacite devra egalementetre evaluee sur le moyen terme. &

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