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ÉLECTRONIQUE RUÉE SUR LES MÉMOIRES MAGNÉTIQUES L'alliance de la microélectronique et du magnétisme, ou spintronique, s'avère prometteuse. Les géants du secteur s'intéressent notamment aux mémoires magnétiques. L es industriels de la microélectro- nique se lancent dans la course aux mémoires magnétiques. Samsung a annoncé dès octobre 2017 que sa production de mémoires magnétiques (MRAM) utilisant la technologie de trans- fert de spin (STT) débuterait fin 2018. Objectif: réaliser des puces mémoires de faible capacité pour les microcontrôleurs, dispositifs et appareils mobiles qui uti- lisent actuellement la mémoire flash. D'autres acteurs majeurs de la microélec- tronique l'ont suivi, comme TSMC, Glo- balFoundries, Micron ou encore Qual- comm. En France, STMicroelectronics, qui avait fait le choix d'une autre techno- logie de stockage alternative, la mémoire à changement de phase, envisage égale- ment désormais d'explorer les promesses de la spintronique, qui marie électronique et magnétisme. « Nous allons très proba- blement collaborer avec eux, dans un futur proche, autour de l'enregistrement magnétique et de l'intégration dans les microcontrôleurs», espère Bernard Dieny, le directeur scientifique de Spintec, l'un des laboratoires français spécialisés dans la spintronique. Il faut dire que les STT-MRAM ont de quoi séduire. Ces mémoires ont la parti- cularité d'utiliser le moment magnétique de l'électron (le spin) au lieu de la charge. Elles n'ont donc pas besoin d'une alimen- tation électrique continue pour conserver l'information, utilisent peu d'énergie lorsqu'elles fonctionnent... et pas du tout à l'arrêt. Ce qui les rend attractives pour les applications ultra-basse consomma- tion, comme les objets connectés. Ceux-ci représentent justement un véri- table casse-tête pour le secteur. Non seu- lement ils occasionnent une explosion des données stockées, mais leurs concepteurs, comme ceux de nombreux autres produits électroniques grand public, multiplient les exigences : la lecture et l'écriture doivent être rapides, le dispositif doit consommer peu, être intégrable sur une puce et son coût de production doit être modéré. Disques durs, clés USB, mémoires flash, RAM... Les formes de stockage ont beau être multiples, elles peinent à relever ce défi multifactoriel, d'autant plus que la loi de Moore, qui prédisait le doublement des capacités des puces tous les deux ans, tend à s'essouffler. IBM, pionnier des applications en spintronique La spintronique constitue donc une piste à ne pas négliger. Apparue à la fin des années 1980, elle a donné lieu à ses pre- mières applications dès 1989, lorsqu'une équipe dirigée par Virgile Speriosa, cher- cheur chez IBM, a mis au point des têtes de lecture reposant sur le phénomène tout juste découvert de magnétorésistance géante. Celui-ci permet de comparer le spin d'un électron à l'orientation du champ magnétique du matériau dans le- quel il se déplace. Ultrasensibles aux champs magnétiques, ces têtes ont permis de réduire la dimension des bits magné- tiques, augmentant ainsi significativement la densité des mémoires des disques. «À l'époque de ces recherches, j'étais chez IBM, se remémore Bernard Dieny, sourire aux lèvres. J'ai contribué à mettre au point les capteurs à base de vanne de spin inté- grés dans les têtes de lecture des disques durs. » La commercialisation du premier disque dur d'IBM a débuté en 1998. «En quittant IBM en 1992, j'ai continué à tra- vailler sur les phénomènes de spintro- Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 8-10 SURFACE : 238 % PERIODICITE : Mensuel DIFFUSION : 6440 JOURNALISTE : Severine Fontaine 1 mars 2018 - N°1007

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ÉLECTRONIQUERUÉE SUR LES MÉMOIRESMAGNÉTIQUESL'alliance de la microélectronique et du magnétisme,ou spintronique, s'avère prometteuse. Les géants du secteurs'intéressent notamment aux mémoires magnétiques.

Les industriels de la microélectro-nique se lancent dans la course auxmémoires magnétiques. Samsunga annoncé dès octobre 2017 que

sa production de mémoires magnétiques(MRAM) utilisant la technologie de trans-fert de spin (STT) débuterait fin 2018.Objectif: réaliser des puces mémoires defaible capacité pour les microcontrôleurs,dispositifs et appareils mobiles qui uti-lisent actuellement la mémoire flash.D'autres acteurs majeurs de la microélec-tronique l'ont suivi, comme TSMC, Glo-balFoundries, Micron ou encore Qual-comm. En France, STMicroelectronics,qui avait fait le choix d'une autre techno-logie de stockage alternative, la mémoireà changement de phase, envisage égale-ment désormais d'explorer les promessesde la spintronique, qui marie électroniqueet magnétisme. « Nous allons très proba-blement collaborer avec eux, dans unfutur proche, autour de l'enregistrementmagnétique et de l'intégration dans lesmicrocontrôleurs», espère Bernard Dieny,le directeur scientifique de Spintec, l'undes laboratoires français spécialisés dansla spintronique.

Il faut dire que les STT-MRAM ont dequoi séduire. Ces mémoires ont la parti-cularité d'utiliser le moment magnétiquede l'électron (le spin) au lieu de la charge.Elles n'ont donc pas besoin d'une alimen-tation électrique continue pour conserverl'information, utilisent peu d'énergielorsqu'elles fonctionnent... et pas du toutà l'arrêt. Ce qui les rend attractives pourles applications ultra-basse consomma-tion, comme les objets connectés.

Ceux-ci représentent justement un véri-table casse-tête pour le secteur. Non seu-lement ils occasionnent une explosion des

données stockées, mais leurs concepteurs,comme ceux de nombreux autres produitsélectroniques grand public, multiplient lesexigences : la lecture et l'écriture doiventêtre rapides, le dispositif doit consommerpeu, être intégrable sur une puce et soncoût de production doit être modéré.Disques durs, clés USB, mémoires flash,RAM... Les formes de stockage ont beauêtre multiples, elles peinent à relever cedéfi multifactoriel, d'autant plus que la loide Moore, qui prédisait le doublement descapacités des puces tous les deux ans,tend à s'essouffler.

IBM, pionnier des applicationsen spintronique

La spintronique constitue donc une pisteà ne pas négliger. Apparue à la fin desannées 1980, elle a donné lieu à ses pre-mières applications dès 1989, lorsqu'uneéquipe dirigée par Virgile Speriosa, cher-cheur chez IBM, a mis au point des têtesde lecture reposant sur le phénomène toutjuste découvert de magnétorésistancegéante. Celui-ci permet de comparer lespin d'un électron à l'orientation duchamp magnétique du matériau dans le-quel il se déplace. Ultrasensibles auxchamps magnétiques, ces têtes ont permisde réduire la dimension des bits magné-tiques, augmentant ainsi significativementla densité des mémoires des disques. «Àl'époque de ces recherches, j'étais chezIBM, se remémore Bernard Dieny, sourireaux lèvres. J'ai contribué à mettre au pointles capteurs à base de vanne de spin inté-grés dans les têtes de lecture des disquesdurs. » La commercialisation du premierdisque dur d'IBM a débuté en 1998. «Enquittant IBM en 1992, j'ai continué à tra-vailler sur les phénomènes de spintro-

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nique. J'ai développé des liens avec le CEALeti pour trouver des applications avec laspintronique. Il y avait alors un véritablefossé entre la recherche et les applica-tions.» C'est de cette réflexion qu'est nél'un des trois principaux laboratoires fran-çais travaillant sur la discipline : Spintec,à Grenoble. Lesdeux autres sont l'InstitutJean Lamour à Nancy et le laboratoire duCNRS et de Thaïes à Palaiseau.

100000 fois plus rapide enécriture que la mémoire flash

En 1995, un autre phénomène est dé-couvert: la magnétorésistance tunnel(TMR) à température ambiante. Celle-cisurvient dans des matériaux composésde couches magnétiques séparées par unecouche isolante très fine faite d'oxyde,formant la barrière tunnel. Lorsque lecourant électrique traverse, les électronspassent d'une électrode à l'autre par unphénomène quantique appelé effet tunnel,qui dépend de l'orientation de l'aimanta-tion des électrodes. Lorsque celle-ci estparallèle, le courant passe mieux. La TMRa permis la lecture des mémoires magné-tiques MRAM. L'effet de transfert de spin,qui intervient dans les STT-MRAM, utiliseun courant électrique polarisé en spin-dont la majorité des électrons ont le spinorienté dans le même sens- pour modifierl'aimantation de nanostructures magné-tiques. Le champ magnétique externeénergivore n'est alors plus nécessaire pourécrire des bits de mémoire.

En plus d'être peu énergivores, les STT-MRAM sont 100000 fois plus rapides enécriture. De plus, elles ne nécessitent pasnécessairement une refonte des installa-tions de production. Pour produire sesMRAM, Samsung a d'ailleurs annoncéutiliser son procédé existant FD-SOI de28 nm destiné à la fabrication de ses cir-cuits semiconducteurs basse consomma-tion, en y apportant seulement quelquesmodifications (trois couches supplémen-taires). Le groupe coréen a collaboré avecNXP sur ce projet pour produire en sériela nouvelle génération de SoC (system onchip, ou système sur une puce) i.MX des-tinée à l'internet des objets. Dernier atout:les STT-MRAM ne vieillissent pas. «Pourla mémoire flash, au bout de 10000 à100000 écritures, celle-ci se dégrade etne fonctionne plus, souligne Bernard Die-ny. Alors qu'avec le spin, il n'y a pas devieillissement du point de mémoire. » Pour WT1

STT-MRAM(spin-transfer torque)

Type avancé de MRAMdans lequel l'orientation

d'une couchemagnétique dansune jonction tunnel

magnétique peutêtre modifiée sans

champ magnétiquegrâce à un courantpolarisé en spin, dont

l 'interaction avecle matériau se traduitpar un couple agissant

sur l'aimantationde l'électrode.

SOT-MRAM(spin-orbite torque)

Mémoires dontl'architecture présente

trois terminaux,contrairement à celledes STT-MRAM quin'en ont que deux.

L'écriture repose enparticulier sur l'effet hall

de spin. Les chemins decourant d'écriture et delecture sont différents.

TAS-M RAM

(thermolly assisted)Dispositifs tirant partide l'échange entre une

couche ferromagnétiqueet une couche anti-ferromagnétique pour

assurer la conservationde l'informationdans la couche anti-

ferromagnétique, touten ayant une écriture

facile de la coucheferromagnétique.

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autant, les mémoires flash ont encore del'avenir. Même si elles sont moins endu-rantes et moins rapides que les MRAM, ellesrestent en effet moins coûteuses.

Des memristorsaux biotechnologies

Les dispositifs issus de la spintroniquepourraient bientôt remplacer la SRAM, lamémoire rapide proche des circuits logiques.«Pour cela, il est nécessaire d'écrire sousles trois nanosecondes, et la STT-MRAMn'est pas tout à fait prête, nuance toutefoisBernard Dieny. Plus on veut aller vite, plusil faut travailler sur les tensions électriques.Et on doit améliorer les matériaux des jonc-tions tunnel pour éviter le claquage élec-trique qui pèse sur la STT-MRAM quand onécrit avec des puises de courant de l'ordre

de la nanoseconde. » La technologie laplus prometteuse est la MRAM aveccouple spin-orbite torque (SOT-MRAM),développée par Antaios. Cette dernièrepermet d'écrire plus vite en séparant che-mins de lecture et d'écriture.

Et après? Des memristors aux neuronesartificiels, des dispositifs de radiofré-quence pour les télécoms aux capteurspour la mesure de champ magnétique, en

Ces start-up qui se lancent dans les MRAMLe Spintec de Grenoblea fait émerger nombrede start-up. CrocusTechnology s'est faitconnaître sur le marchédes semiconducteursavec ses capteurs dechamp magnétique et sesmémoires magnétiquesà commutationthermiquement assistée(TAS-MRAM), conçus en

Californie. En 2015, cettesociété a ouvert une filialeen Russie, en partenariatavec Rosnano. L'un deses plus gros clients estMorpho (groupe Safran).Antaios développe unenouvelle générationde mémoire avec effetde couple spin-orbite(SOT-MRAM) qui pourraitremplacer les mémoires

SRAM. Hprob fabrique destesteurs pour caractériserles propriétés des MRAM.Evaderis conçoit descircuits CMOS avec jonctiontunnel magnétique. Citonsenfin quelques start-upextérieures au Spintec, quise sont aussi spécialiséesdans ce domaine:Avalanche, Everspin, et

Spin Transfer Technology.

Spintec contrôleses composantsspintroniquespar des testsélectriques.

passant les biotechnologies et les nano-robots, les do m a i n es à investir nemanquent pas. Prenons l'exemple d'uneapplication en cours de développementpar le Spintec, avec le CHU de Grenobleet Climatec. Les scientifiques travaillentsur un procédé qui pourrait permettre àl'organisme de lutter contre le cancer grâceà des particules magnétiques fonctionna-lisées mises en contact avec les cellulescancéreuses. Ils ont appliqué un stressmécanique à une cellule, avec un champmagnétique basse fréquence, qui modifiel'échange ionique entre l'intérieur et l'ex-térieur de la cellule. Celle-ci a alors détec-té un dysfonctionnement et tué les cellulescancéreuses. Le mécanisme a été observéin vitro puis in vivo, avec un champ de30 millitesla (contre 8 tesla pour l'IRM).Ce procédé, encore à l'étude, pourrait êtreassocié à moins d'effets secondaires. «Lesnanoparticules sont biocompatibles, doncinjectables dans le corps humain, direc-tement dans la t umeur», note le cher-cheur. Pas de doute, les promesses de laspintronique sont multiples ! •

» SEVERINE [email protected]

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