Patients et professionnels de santé : nouveaux droits et ... · André COMTE-SPONVILLE Je crois...

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Conférence inaugurale du MEDEC – 8 mars 2000 Ordres des chirurgiens-dentistes, des médecins, des pharmaciens et des sages-femmes 1 Patients et professionnels de santé : nouveaux droits et nouveaux devoirs Introduction Pour la première fois la conférence inaugurale du MEDEC a été confiée aux Ordres des professionnels de santé qui ont choisi comme thème “ patients et professionnels de santé : nouveaux droits - nouveaux devoirs ”. Derrière cette interrogation, la volonté des Ordres était de réunir les professionnels de santé, les usagers et les représentants de la société civile pour ensemble faire l’état des lieux d’une question qui mobilise l’ensemble des citoyens, qu’ils soient praticiens ou usagers du système de soins. Médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, sages-femmes sont résolument déterminés à non pas suivre le mouvement des exigences des patients, mais à le devancer en ouvrant le débat et en laissant à chacun la liberté de s’exprimer sur un sujet complexe, parfois douloureux. A l’heure où est en préparation une proposition de loi sur la modernisation du système de santé en France, nous espérons que cette conférence permettra à tous ceux que la place de la déontologie dans le monde contemporain intéresse de mieux connaître les enjeux et le cadre des relations entre professionnels de santé et patients.

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Conférence inaugurale du MEDEC – 8 mars 2000 Ordres des chirurgiens-dentistes, des médecins, des pharmaciens et des sages-femmes

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Patients et professionnels de santé : nouveaux droits et nouveaux devoirs

Introduction

Pour la première fois la conférence inaugurale du MEDEC a été confiée aux Ordres des professionnels de santé qui ont choisi comme thème “ patients et professionnels de santé : nouveaux droits - nouveaux devoirs ”. Derrière cette interrogation, la volonté des Ordres était de réunir les professionnels de santé, les usagers et les représentants de la société civile pour ensemble faire l’état des lieux d’une question qui mobilise l’ensemble des citoyens, qu’ils soient praticiens ou usagers du système de soins.

Médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, sages-femmes sont résolument déterminés à non pas suivre le mouvement des exigences des patients, mais à le devancer en ouvrant le débat et en laissant à chacun la liberté de s’exprimer sur un sujet complexe, parfois douloureux.

A l’heure où est en préparation une proposition de loi sur la modernisation du système de santé en France, nous espérons que cette conférence permettra à tous ceux que la place de la déontologie dans le monde contemporain intéresse de mieux connaître les enjeux et le cadre des relations entre professionnels de santé et patients.

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Table ronde

Nicole ATECHIAN, présidente de l’Ordre national des sages-femmes François BAUMANN, président de la Société de formation thérapeutique des généralistes Micheline BERNARD, Représentante du Conseil national des associations familiales laï ques

Jean BROUCHET, conseiller national, responsable de la Commission “ relations avec les associations de patients ” du CNOM André COMTE-SPONVILLE, philosophe Marie-Madeleine DAUTEL, chargée de mission à la Direction des hôpitaux Renaud DENOIX DE SAINT MARC, vice-président du Conseil d’Etat Claude EVIN, ancien ministre de la santé, député de Loire-Atlantique Patrick HASSENTEUFEL, professeur de science politique Bernard GLORION, président de l’Ordre national des médecins Roger LEPELLEY, représentant de l’Association française des diabétiques Isabelle LESAGE, directrice de l’hôpital Bretonneau Lucien NEUWIRTH, sénateur de la Loire Jean PARROT, président de l’Ordre national des pharmaciens André ROBERT, président de l’Ordre national des chirurgiens dentistes Jean-Claude SAILLY, directeur de recherche au CNRS, économiste de la santé La table ronde a été animée par Philippe LEFAIT, journaliste à France 2.

Bernard GLORION

Monsieur le ministre, Monsieur le sénateur, chers collègues médecins, Mesdames, Messieurs,

A l’occasion de la remise d'un rapport fait pour le secrétaire d’Etat à la santé sur la place des usagers dans le système de soins, et à l’occasion de la préparation d’une loi de modernisation de la santé, les Ordres professionnels ont estimé tout à fait opportun d’ouvrir un débat sur ce sujet avec les personnes intéressées représentant les usagers et la société civile.

Certes, le souci des professionnels reste et restera toujours de préserver et de restaurer la santé par des soins de qualité. Pour cela, il est indispensable que ceux qui doivent en

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bénéficier soient informés, qu’ils puissent manifester leur choix, donner leur avis, voire même suggérer des orientations.

Cette nouvelle vision des relations entre les différents acteurs concernés donne un sens nouveau à ce que doit être une vraie politique de santé et un système de protection rénové. Cette nouvelle alliance doit avoir pour fondement la reconnaissance de la personnalité de chacun, son autonomie, sa liberté. Elle consacrera cette volonté d’instituer une démocratie sanitaire basée sur la justice et la solidarité. Si nous réussissons ce passage, nous aurons peut-être fait progresser notre société en reconnaissant les droits et les devoirs de chacun.

Je passe maintenant la parole à Philippe Lefait qui va animer nos débats.

Philippe LEFAIT

Le principe de ce débat réside dans le fait qu’il est informel. En introduction, je demanderai à chaque intervenant de souligner les points qu’il entend développer au regard du thème de ce jour concernant les droits et les devoirs des patients et des médecins. Nous passerons ensuite à une première partie axée sur l’existence d’un paradoxe apparent entre une médecine de plus en plus efficace et donc puissante et des patients, citoyens avant tout, qui veulent de plus en plus de transparence. Dans une deuxième partie, nous étudierons les évolutions en cours et nous demanderons comment faire pour aboutir à une démocratie sanitaire, comme le soulignait le Premier ministre à la fin des Etats Généraux de juin 1999.

Je souhaite tout d’abord citer une romancière, Annie Ernault, qui va publier dans quelques jours un livre intitulé L’événement. Dans l’extrait que je vais vous lire, qui relate un événement survenu dans les années 70, notre thème de ce jour y est mentionné de manière provocatrice. La femme qui parle à la première personne a subi un avortement chez une faiseuse d’anges. Comme dans de nombreux cas, elle a eu une infection et va donc à l’hôpital : “ L’interne de la nuit est passé. Il est resté au fond de la chambre. Il semblait gêné. J’ai crû qu’il avait honte de m’avoir maltraitée dans la salle d’opération. J’étais embarrassée pour lui. Je me trompais. Il avait seulement honte d’avoir, parce qu’il ne savait rien de moi, traité une étudiante de la fac de lettres comme une ouvrière du textile ou une vendeuse de Monoprix, ainsi que je l’ai découvert le soir même. Toutes les lumières étaient éteintes depuis assez longtemps. La garde de nuit, une femme à cheveux gris, est revenue dans ma chambre, s’est approchée silencieusement jusqu’à la tête de mon lit. Dans la pénombre de la veilleuse, je la voyais bienveillante. Elle m’a chuchoté d’une voix grondeuse : “ La nuit dernière, pourquoi vous n’avez pas dit au docteur que vous étiez comme lui ? ”. Après quelques minutes d’hésitation, j’ai compris qu’elle voulait dire “ de son monde à lui ”. Il avait appris que j’étais étudiante seulement après le curetage, sans doute par ma carte de la MNEF. Elle mimait l’étonnement et la colère de l’interne : “ Mais enfin, elle ne me l’a pas dit ? Pourquoi ? ”, comme indignée elle-même de mon attitude. J’ai dû penser qu’elle avait raison et que c’était ma faute s’il s’était conduit violemment. Il ne savait pas à qui il avait à faire. ”

Dans ce court extrait, la démocratie sanitaire voulue par le Gouvernement y est abordée d’une certaine manière. Je laisse maintenant la parole à nos intervenants afin qu’ils nous

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disent ce qu’ils entendent par “ Patients et professionnels de santé : nouveaux droits, nouveaux devoirs ”.

I. Introduction : “ nouveaux droits, nouveaux devoirs ? ”

Isabelle LESAGE

L’hôpital Bretonneau est en cours de construction à Montmartre. Il ouvrira l’an prochain.

Nous avons beaucoup réfléchi sur les droits et devoirs des patients et des personnels.

Nous nous sommes tout d’abord demandés comment la personne malade pouvait

davantage participer aux décisions et aux choix dont relève sa santé. Dans ce domaine, la

France a du retard. Sur le plan individuel, il est déjà bien d’être informé et de consentir aux

soins. Mais il faut s’organiser pour permettre à nos malades de devenir des partenaires

actifs, éduqués, responsables et co-décideurs. Sur le plan collectif, l’enjeu est le même.

Comment faire en sorte que les décisions du monde de la santé sortent des cercles très

fermés des professionnels et deviennent un enjeu de démocratie locale ? Il est notamment

important de développer le rôle et la place des associations de malades.

En outre, nous nous sommes demandés comment réduire l’écart entre la théorie et la pratique. Des évolutions jurisprudentielles et réglementaires sont très importantes. Cependant, sur le terrain, il est parfois difficile de passer d’une culture historique dans laquelle le malade a un statut d’infériorité au respect de ses droits. Parfois, il semble que les libertés individuelles fondamentales du citoyen ne s’appliquent pas dans les hôpitaux.

Enfin, je pense qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. Les patients ont des devoirs sur le plan de la vie en collectivité, de la responsabilité par rapport à leur traitement et aux sommes engagées. Les professionnels ont également des devoirs par rapport à la mission que la société leur confie. Plus la médecine est efficace et plus les devoirs des professionnels augmentent.

Patrick HASSENTEUFEL

Le rapport entre les médecins et les patients est de plus en plus modifié par les contraintes économiques qui se traduisent notamment par la maîtrise des dépenses de santé. Le médecin est appelé à soigner et également à contribuer à l’équilibre financier. Ces contraintes économiques entraînent deux effets majeurs sur les relations médecins/patients. Premièrement, il convient de s’interroger sur l’opportunité pour le médecin d’intégrer des critères économiques dans ses choix ? L’arbitrage entre le critère économique et le critère thérapeutique perturbe le rapport de confiance entre médecins et patients. Deuxièmement, l’autonomie du médecin est de plus en plus limitée. Il doit se

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conformer à un certain nombre de normes extérieures. Là encore, le rapport de confiance peut en pâtir. Enfin, le vocabulaire de la performance et de la concurrence est de plus en plus prégnant. Ainsi, le patient est transformé petit à petit en consommateur.

Marie-Madeleine DAUTEL

J’interviens ici en tant que directrice d’hôpital. J’ai connu un problème avec mon père qui est décédé suite à une infection nosocomiale dans un service hospitalo-universitaire. Si je n’avais pas eu une sœur médecin et une culture sanitaire, je n’aurais pas pu obtenir gain de cause. J’ai un raisonnement individuel de citoyen pour essayer de me poser les vraies questions et me rendre compte du décalage existant entre un professionnel de santé et la réalité d’un patient.

Je suis rentrée dans un système auquel je n’avais pas droit en tant que non médecin, mais auquel j’avais droit car ma sœur est médecin : le dossier médical. La loi dit que l’on a droit à la transmission du dossier médical par le biais d’un médecin. Mais au bout de combien de temps ? Aucun délai n’est mentionné. Par conséquent, j’ai fait intervenir la CADA pour l’obtention du dossier médical de mon père. Je l’ai expertisé : sur 27 jours, seulement 7 jours y sont décrits. Je me suis alors posé la question de la tenue du dossier médical. Qui en est responsable ?

Dans mon cas, j’ai travaillé dans le cadre d’une association. Cependant, quel regard peut-on poser lorsque l’on est citoyen et que l’on rentre dans un système où des problèmes existent ? Faut-il être juriste, médecin, professionnel de santé pour arriver à s’en sortir ?

Philippe LEFAIT

Pour aller dans votre sens, je citerai Josée Chineau, présidente de l’Association des usagers de l’hôpital et des soins médicaux, à propos de la consultation du dossier médical : “ On se heurte à beaucoup de réticences. Les médecins font ce que bon leur semble, souvent sans tenir compte de la législation. Mais ils jurent que c’est toujours dans l’intérêt du malade. En réalité, l’espace des victimes de la médecine est un espace de non droit. ”

André COMTE-SPONVILLE

Je crois que les médecins ont de plus en plus de puissance (pouvoir de) et de moins en moins de pouvoir (pouvoir sur). Par ailleurs, le titre de notre débat me semble trompeur car nous avons le sentiment que ce sont des droits et des devoirs réciproques. Certains disent qu’il n’y a pas de droit sans devoir. Selon moi, il n’y a pas de droit des uns sans devoir des autres. Mais nous pouvons avoir des droits sans avoir de devoirs. Par exemple, le jeune enfant n’a aucun devoir, il a des droits. Il en est de même pour le dément. Je pense que nous n’allons malheureusement pas vers une période où les patients et les médecins auront de plus en plus de droits. En réalité, si les patients ont plus de droits, les médecins ont plus de devoirs. Cela n’est pas seulement vrai pour les médecins.

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Nicole ATECHIAN

Il faut tout dire au patient. Mais il convient de savoir comment le dire. Doit-on apprendre à écouter, à changer notre vocabulaire ?

Roger LEPELLEY

En tant que patient, étant moi-même diabétique, je pense que les médecins ont davantage de devoirs que de droits. Ils doivent non seulement écouter mais également entendre ce que disent leurs patients. Ce n’est pas toujours le cas. En outre, il faudrait informer le patient avec des mots à sa portée. De fait, tous n’ont pas le même niveau intellectuel pour comprendre le jargon médical. Enfin, selon moi, pour être entendus et écoutés, les patients devraient s’assembler. Notre association est importante (35 000 diabétiques). C’est notre force.

Philippe LEFAIT

Vous avez raison. Je ne crois pas que le mot “ nosocomial ” figure dans les dictionnaires de poche. Jean Parrot, à vous de nous dire ce que vous entendez par “ nouveaux droits, nouveaux devoirs ”.

Jean PARROT

Les pharmaciens sont confrontés à une explosion des moyens, avec l’arrivée de nouvelles thérapeutiques. Leur étroite fenêtre thérapeutique oblige donc les dispensateurs pharmaciens en hôpital ou en ville à donner des informations de plus en plus précises sur les médicaments et à réaliser un véritable suivi de leurs patients. Autrefois, ce métier était centré sur le produit. Aujourd’hui, il est également centré sur le patient. De fait, le médicament reste le moyen de traiter mais la prise en charge du patient doit être au centre des préoccupations des pharmaciens. C’est une révolution que nous devons accomplir dans la modification de nos structures pharmaceutiques, d’où notre souci de nous rapprocher davantage des associations de patients pour construire avec eux une nouvelle et une meilleure prise en charge thérapeutique, si possible au moindre coût.

Philippe LEFAIT

Ce partenariat avec les patients est donc inévitable.

Jean PARROT

Tout à fait. Nous sommes confrontés à des transferts de plus en plus rapides des patients entre les circuits de ville et les circuits hospitaliers. Avec les patients, il faut absolument

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réaliser une prise en charge globale en incluant tous les interlocuteurs de santé, d’où la nécessité de construire un relationnel différent.

Lucien NEUWIRTH

Les rapports entre médecins et malades sont en train de changer en profondeur. Aujourd’hui, le malade est devenu un partenaire qui écoute les émissions à la radio et à la télévision, qui se connecte à Internet et qui peut donc avoir le sentiment d’en savoir autant que le médecin. Comme le disait Bernard Kouchner, je crois que la pratique citoyenne s’est désormais introduite dans l’univers de la médecine. Les droits des malades sont en train d’intégrer les droits de l’homme.

Selon moi, il existe un préalable incontournable : il nous faut un grand Ministère de la santé à part entière avec une autorité, des moyens budgétaires et une politique globale de la santé. Il s’agit de l’organisation sanitaire. Enfin, je crois que les professionnels de santé ne savent pas encore bien communiquer. Or les malades souhaitent une information claire et accessible. En outre, ils veulent avoir le sentiment d’être associé à la thérapeutique et désirent avoir une relation plus personnelle avec le médecin.

Bernard GLORION

J’aimerais répondre à André Comte-Sponville. La confrontation du code de déontologie médicale avec le droit des malades est impressionnante. Les réponses à toutes les questions y figurent. Par conséquent, si nos médecins étaient imprégnés de déontologie, nous pourrions assister à un progrès très important. C’est de notre responsabilité et de celle des enseignants. Le corps médical doit se prendre en charge.

Philippe LEFAIT

Les médecins ne sont-ils pas imprégnés de déontologie ?

Bernard GLORION

Pas suffisamment.

Renaud DENOIX DE SAINT MARC

Tout comme André Comte-Sponville, je pense que les droits des patients correspondent aux devoirs des médecins. Je suis également d’accord avec les propos de Bernard Glorion. Le code de déontologie médicale a profondément évolué depuis 1947. Les relations avec les patients sont au cœur du code actuel.

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Je pense par ailleurs que les malades n’ont pas de nouveaux droits. Par l’effet de la civilisation, de la sensibilité, de l’évolution des mœurs et des techniques médicales, l’accent est mis sur tel ou tel droit des malades. Mais ces droits relèvent tous d’une même idée : le respect de la dignité de la personne et de l’intégrité du corps humain.

Claude EVIN

Pour moi, il n’y a pas de nouveaux droits et de nouveaux devoirs. Je suis tout à fait conscient de la demande de plus en plus forte des patients et des associations, qui sont aujourd’hui représentées dans les Conseils d’Administration des établissements de santé. Je suis également conscient de l’inquiétude des professionnels de santé. Mais cela n’est pas l’expression d’une volonté politique ou jurisprudentielle. La jurisprudence de la Cour de Cassation et celle du Conseil d’Etat n’ont fait que confirmer des principes fondamentaux. Pour le malade, il s’agit des droits de toute personne humaine. Pour les professionnels, il s’agit d’obligations traditionnellement inscrites dans le code de déontologie, soit l’obligation d’informer et de rechercher le consentement de la personne. La difficulté actuelle réside dans le fait que des pressions de plus en plus fortes existent. Elles sont liées à l’évolution des techniques et à des contraintes économiques.

Notre table ronde va permettre d’identifier les actions à mener. Il est nécessaire de permettre cette affirmation des droits pour les malades par une inscription dans le code de la santé. Par ailleurs, un certain nombre de réponses doivent être apportées aux professionnels de santé, par exemple face à la judiciarisation du rapport entre le malade et le médecin. La question de l’indemnisation des accidents médicaux est notamment d’actualité. Enfin, nous devrons poser la question de la formation et de la culture nouvelle qui découle de cette réalité.

François BAUMANN

Je suis praticien de terrain. Ma vision est peut-être prosaï que. Je ne sais pas trop ce que signifient les termes “ droits ” et “ devoirs ”. En revanche, je sais que des éléments nouveaux apparaissent quant à la consultation et à la relation. Cette nouveauté provient de l’inflation de l’information, d’une plus grande dignité et autonomie du patient. Elle entraîne nécessairement une adaptation du praticien qui doit mieux se former et suivre cette information. C’est une évidence. Aujourd’hui, les patients viennent avec des articles pour nous expliquer leur maladie. Nous devons y faire face. La formation initiale est également très importante. Or où est l’apprentissage de la communication, de la relation médecins/malades ?

Philippe LEFAIT

D’où l’ambition de réintroduire les sciences humaines et sociales dans le cursus de formation des médecins.

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Micheline BERNARD

Je suis sensée tous vous représenter ici puisque mon association est une association de consommateurs. Selon moi, la notion de santé a évolué. Nous devons partir de cette idée. Autrefois, il s’agissait de soigner et de guérir. Aujourd’hui, il s’agit également de donner l’impression d’être mieux et de se sentir mieux. Par ailleurs, il convient de ne pas mélanger la technique de la manière de soigner. Nous devons donc savoir comment informer pour faire comprendre, afin de pouvoir aller plus loin, soit dans un traitement soit dans un choix. L’intérêt dans les nouveaux droits et devoirs, si tant est qu’ils soient nouveaux, est de savoir jusqu’où il y aura participation intellectuelle entre le thérapeute et le malade pour faire avancer le problème de sa santé. C’est un droit fondamental qu’il faut adapter à tous. Nous avons tous un devoir de solidarité et le droit à l’accès aux soins.

André ROBERT

Je voudrais sortir de cette notion abstraite de santé pour recentrer toute notre préoccupation sur le patient. Ces dernières années, nous avons vécu une évolution très importante. Etant mieux informés ou croyant l’être, nos patients ont adopté un discours tout à fait différent. Nous sommes passés de soins prodigués à des soins voulus. Dorénavant, les soins résultent davantage d’une prise de conscience par le patient de son état thérapeutique et d’une acceptation par le médecin du traitement proposé, d’où la nécessité d’une meilleure information. Il faut néanmoins que les médecins restent maîtres de leur liberté thérapeutique pour toujours offrir la meilleure efficacité pour le patient. Dès lors, nous sommes tout à fait en accord avec notre déontologie, le respect des droits du patient et l’application des devoirs du médecin.

Jean BROUCHET

Le débat a déjà commencé. L’information est devenue le sujet primordial. Je pense que nous confondons toujours les problèmes qui lient la santé et le monde des soins avec les problèmes qui lient la maladie et le malade. Or ils sont totalement différents. Les médecins sont obligés de s’occuper d’un individu, le malade, qui est au centre du débat. Ce dernier doit pouvoir décider de certaines choses. Pour cela, il doit être parfaitement informé et persuadé que le professionnel qui lui fait face est compétent. Avec l’évolution des techniques, le médecin doit être également contrôlé. Par conséquent, toute cette évolution de la science médicale ne peut s’appliquer au monde de la santé que si chacun a compris que la relation existant entre le médecin et son malade est une relation individuelle.

Jean-Claude SAILLY

Pour l’économiste de la santé, dont la préoccupation constante est de déterminer la meilleure allocation des ressources en vue d’obtenir le plus de santé possible, le fait que les usagers aient leur mot à dire est primordial. Pour cela, il faut que l’organisation du système de soins dispose de mécanismes induisant la vertu plutôt qu’ils ne la supposent, la

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vertu consistant, en l’occurrence, à associer les usagers à la décision, et ceci à deux niveaux.

Le premier niveau se situe au plan micro, dans la relation médecin-malade (offreur-demandeur de soins). Or, cette relation est marquée par une grande asymétrie d’informations au détriment du malade. De même que, sur un marché, il n’est pas bon que le vendeur soit dans un rapport trop favorable par rapport à l’acheteur, de même dans la relation médecin-malade est-il souhaitable, pour la qualité même des soins dispensés, que plus de pouvoir soit donné au malade, le droit à une bonne information représentant, à cet égard, le minimum indispensable.

Le deuxième niveau, au plan macro, concerne l’organisation générale du système de soins et de la politique de santé. Ici encore, le poids et l’influence des professionnels de santé est tel qu’ils pèsent fortement sur la conception de la santé (souvent une conception biomédicale), sur la définition des besoins de santé, sur la détermination des priorités de santé et sur la façon dont le système est organisé. Sans doute faut-il réintroduire plus de débat démocratique dans ces orientations, ce qui exige que les usagers interviennent davantage au niveau national et régional. A cet égard, les opinions des experts ne doivent pas étouffer celles des citoyens.

II. Existe-t-il un paradoxe entre le pouvoir ou la puissance de la médecine et le besoin de savoir du patient ?

1. Débat

Philippe LEFAIT

Pensez-vous que les médecins ont de plus en plus de puissance ou de pouvoir ?

François BAUMANN

Nous sommes en train de partager un pouvoir. Plus la médecine évolue techniquement, plus les patients sont inquiets lorsqu’ils s’adressent à cette technique. C’est la dimension perverse de l’information. Nous assistons à un glissement du médecin de sa fonction de thérapeute à la fonction d’avocat, de conseiller et de réel chef d’orchestre de la santé. Le médecin devient un véritable pivot.

Philippe LEFAIT

En quoi l’économie apparaît-elle comme une contrainte dans la manière dont vous percevez votre métier ?

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François BAUMANN

L’économie est une contrainte à côté de laquelle nous ne pouvons pas passer. Mais il ne faut pas considérer l’économie en tant que telle, sur un plan financier. Elle doit être considérée du point de vue de sa dimension éthique. Les médecins ne sont pas encore bien sensibilisés à ce domaine. Je crois que nous ne leur avons pas fait suffisamment comprendre l’importance que cela pouvait avoir sur le plan éthique.

Jean-Claude SAILLY

Les médecins ont reçu deux pouvoirs de l’ensemble de la société : le pouvoir de soigner et le pouvoir de tirer des chèques sur la société par le biais de leurs prescriptions. Je pense qu’ils n’ont pas encore suffisamment pris conscience de cette deuxième responsabilité, ce qui exige qu’ils délivrent la meilleure santé, certes (responsabilité de soigner) mais au moindre coût (responsabilité économique).

André COMTE-SPONVILLE

La situation de la médecine est effectivement paradoxale. Ces dernières décennies, trois faits se sont produits simultanément. Tout d’abord, le progrès considérable de la médecine a accru d’autant la puissance des médecins. Par ailleurs, le rôle social, sociétal et culturel de la médecine a augmenté. Cette dernière tend à tenir lieu de philosophie et de religion. Voltaire disait : “ j’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ”. Lorsque le bonheur devient un moyen au service de la santé, cela signifie que les choses évoluent sans cesse. Il y a quelques années, un dessin figurait dans un magazine où une dame dans une église gothique disait : “ Mon Dieu, mon Dieu, j’ai tellement confiance en vous que, des fois, je voudrais vous appeler docteur ”. Paradoxalement, les médecins ont le sentiment qu’ils ont de moins en moins de pouvoir et de prestige. Ainsi, la médecine n’a jamais eu autant d’importance et les médecins n’ont jamais été aussi mécontents.

Bernard GLORION

Historiquement, il s’est introduit, dans la société, des faits que les médecins portent très lourdement. Je pense notamment au sang contaminé. Une suspicion est née à la suite de ces événements. Nous sommes donc passés d’une confiance absolue à une certaine défiance, plus collective qu’individuelle. Plutôt que de parler de puissance, je pense qu’il convient de parler de responsabilité des médecins. A l’heure actuelle, cette responsabilité est devenue extrêmement importante. Ainsi, les médecins sont de moins en moins confiants et heureux, mais leur charge économique est redoutable. Notre société demande au médecin une responsabilité et une sécurité totale. Alors convenez que les médecins frissonnent car, par définition, la médecine ne peut pas assurer une totale sécurité.

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André COMTE-SPONVILLE

Je suis assez d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de nouveaux droits et devoirs. Mais il existe plus ou moins de liberté. Non seulement des pratiques citoyennes mais également des pratiques consuméristes s’introduisent dans la médecine. Or les droits et les devoirs vont de paires mais pas pour les mêmes individus. Pour ma part, je ne vois pas quels sont mes devoirs spécifiques vis-à-vis de mon médecin. Je n’ai que les devoirs que j’ai vis-à-vis de tout homme. La réciproque n’est pas vraie. Mon médecin a des devoirs spécifiques envers moi, patient.

Par conséquent, les progrès de la démocratie, de la médecine et l’élévation du niveau culturel moyen font que nous allons vers davantage de liberté des citoyens. Dès lors, cela fait peser plus de contraintes vis-à-vis des médecins dont le “ pouvoir sur ” est réduit d’autant. Les médecins le vivent donc mal puisque leur pouvoir est essentiellement limité par l’Etat et les consommateurs qui ne connaissent rien à la médecine. Ainsi, dans aucune démocratie, le pouvoir n’est proportionné à la compétence. Par exemple, un débat entre Messieurs Chirac, Balladur et Jospin, personnes très compétentes, est tranché par 38 millions d’électeurs incompétents. Il n’y a donc aucune raison que la compétence des médecins empiète sur la liberté des citoyens. Je conçois que cela soit difficile à vivre pour les médecins. Je précise que cela s’est produit beaucoup plus douloureusement pour les professeurs des lycées ou collèges. Qui d’entre vous aujourd’hui voudrait être professeur de collège ?

Micheline BERNARD

Vous avez parlé de prestige et de pouvoir des médecins. En ce qui nous concerne, nous avons à faire à un ensemble de professionnels de santé qui ne se comportent pas tous de la même façon. Il est dommage que les médecins perdent leur prestige par rapport à leur image. Cependant, cela ne leur enlève pas un certain pouvoir, même si nous ne les considérons plus comme des personnes à ne pas déranger. En effet, plusieurs personnes m’ont souvent dit : “ je ne vais pas déranger le docteur pour ça ”. Nous devons évoluer par rapport à cette formule. Il est vrai que certaines personnes vont voir leur médecin pour un oui ou pour un non. Il convient de trouver un équilibre. Il ne faut cependant pas croire que les médecins détiennent plus de pouvoir par rapport aux faibles patients. En effet, les notions, donc les pratiques de santé, ont changé. Nous demandons aujourd’hui à être informés. Mais il convient de faire attention à la qualité de l’information pour que la majorité des patients la comprenne.

François BAUMANN

Le pouvoir scientifique doit être partagé. Pour répondre à André Comte-Sponville, le thérapeute n’est pas aussi déprimé que cela. Il fait un métier tout à fait passionnant. Malgré ses difficultés socio-économiques, il retrouve quotidiennement la valeur de ce qu’il voulait faire lorsqu’il a débuté. Par ailleurs, pour moi, “ thérapeute ” signifie “ être au service de ”. Et, qui mieux que le patient connaît sa santé ? Le médecin met seulement une étiquette sur ce que ressent son patient. C’est l’art médical.

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Enfin, un médecin généraliste du début du siècle disait de façon prophétique : “ Que tous les humains soient médecins et que tous les médecins soient humains ”. Cela résume bien notre prise de position actuelle.

Philippe LEFAIT

Claude Evin, vous disiez qu’il n’y a ni nouveau droit ni nouveau devoir. Si les rapports des uns et des autres sont si bien codifiés, pourquoi le politique et le juge ont-ils eu besoin d’intervenir ? Pourquoi faut-il aujourd’hui réaffirmer des principes qui, selon vous, existent dans les textes et notamment dans le code de déontologie ?

Claude EVIN

Je crois effectivement que la médecine évolue. Le philosophe et l’économiste en ont fait mention. Mais face à cette évolution des rapports personnels entre médecins et patients, des techniques, des contraintes, la démarche du professionnel de santé et l’organisation des établissements de santé n’ont peut-être pas été aussi rapides. Par conséquent, le législateur ou le politique a parfois été contraint d’acter un certain nombre de principes dans la loi.

Je me souviens notamment des difficultés rencontrées pour la mise en place d’un outil d’évaluation médicale. Cela a pu se faire à la suite d’efforts menés plusieurs années auparavant par d’autres ministres avant moi. Cela ne signifiait pas la remise en cause de cet outil, mais le débat social était très confus quant aux problèmes économiques. J’identifie davantage la prise de conscience actuelle vers la fin des années 80, lorsque la responsabilité économique du médecin a été reconnue. De fait, la médecine a un coût. Il fallait bien que quelqu’un s’en occupe.

Ainsi, toute cette démarche confuse n’avait pas encore complètement imprégné les décisions collectives. Devant l’urgence, le politique a posé le problème dans des conditions nouvelles, parfois de manière brutale. Nous devons légiférer sur ce point, non pas pour exonérer les uns et les autres de leur responsabilité mais pour réaffirmer, en termes de débat sociétal, un certain nombre de principes. Je rappelle néanmoins que le code de déontologie fait déjà l’objet d’un décret signé par le Premier ministre. Le fait d’écrire des obligations de ce code en termes de droit est une démarche nouvelle. De fait, il n’existe pas aujourd’hui d’affirmation de droits des patients. Ils ne sont déduits que par rapport aux obligations des professionnels.

Un rééquilibrage est donc nécessaire. Le politique est là pour accompagner une démarche de la société dans la réaffirmation des droits, notamment dans le cadre de la préparation du texte sur l’organisation et la modernisation du système de santé. Je n’ai pas non plus l’orgueil de penser que les politiques vont pouvoir changer les comportements. Il s’agit d’un travail en profondeur dont nous sommes tous responsables.

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Renaud DENOIX DE SAINT MARC

Pour moi, il n’existe pas de paradoxe mais un lien évident de cause à effet. La modernisation foudroyante de la médecine a fait évoluer ses conditions d’exercice. Il a donc fallu renforcer les droits des patients.

Le débat s’est essentiellement engagé sur la responsabilité du médecin mais pas tellement sur les droits du malade. Ces derniers ont seulement été évoqués en termes de consumérisme. Or il s’agit d’une question beaucoup plus fondamentale. C’est le respect de la dignité de la personne qui est en cause. C’est l’intégrité du corps humain. C’est pour cela qu’un certain nombre de droits sous-jacents à notre civilisation judéo-chrétienne ont été explicités. L’article 16 du Code civil dispose : “ La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci, garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ”. Tout vient de là. Le principe du consentement implique notamment la confiance réciproque, d’où la question du libre choix. La dignité va fonder le droit à la confidentialité et entraîner toutes les questions liées au secret partagé. Elle va également engendrer l’égalité face à l’accès aux soins. Par conséquent, le droit du patient n’est pas seulement le droit du consommateur. Il est beaucoup plus profond.

Lucien NEUWIRTH

Philippe Lefait, vous avez demandé pourquoi le politique doit intervenir dans le domaine médical. Je rappelle tout d’abord que le politique est issu du suffrage universel. Il a donc une mission à remplir. Par ailleurs, nous sommes dans un pays routinier où des pesanteurs administratives existent et empêchent certaines avancées. Ainsi, en 1995, le législateur a dû prendre l’initiative de la prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs. C’est la raison pour laquelle nous devons nous accorder sur la place que nous voulons donner à l’homme du XXIème siècle. Si nous voulons reconnaître que l’homme est l’alpha et l’oméga, il faut que la médecine soit l’activité humaniste par excellence. Dans ces conditions, le politique sera amené à intervenir pour sortir du carcan beaucoup trop lourd de l’administration, qui fait passer ses visions de belles constructions administratives avant la place de l’homme.

Philippe LEFAIT

Marie-Madeleine Dautel, lorsque vous avez été obligée d’imaginer une association pour l’information des patients, dans quel état d’esprit étiez-vous ? Vous sentiez-vous respectée dans vos droits ?

Marie-Madeleine DAUTEL

Je suis professionnelle et administrative. J’ai toujours respecté le corps médical pour avoir travaillé avec lui. En cas de conflit dans le cadre des relations professionnelles, il faut avoir le courage d’engager une discussion. J’ai donc créé mon association avec des

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professionnels pour essayer de les remuer, car ce que ma famille et moi-même avons vécu a été dramatique. J’ai été révoltée par certains comportements.

Je souscris à tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant. En théorie, il faut obtenir le consentement de la personne pour l’hospitaliser ou lui administrer un traitement. Mais dans un établissement hospitalier, c’est une équipe qui s’occupe du malade. La relation entre le médecin et son patient n’existe pas comme en ville. Par conséquent, le système de responsabilités est complètement dilué. Je me suis trouvée confrontée à des problèmes de transmission de dossier médical.

Philippe LEFAIT

Etait-ce le fait de lourdeurs administratives ?

Marie-Madeleine DAUTEL

Pas du tout. Il s’agissait d’un problème de mentalités. Dans mon cas, mon père est rentré à l’hôpital sans infection, uniquement pour un scanner et un médicament. Il a attrapé une infection nosocomiale et s’est retrouvé 27 jours en hospitalisation classique, deux mois en réanimation et est finalement décédé. Ce n’est pas tout à fait normal. Nous avons donc voulu savoir ce qui s’est passé et nous nous sommes alors heurtés à des problèmes de transmission de dossier médical. Nous avons alors fait intervenir la CADA. Il nous a ensuite fallu comprendre le dossier médical, ce qui ne m’a pas été facile car je ne suis pas médecin. La seule chose que j’ai pu constater est que le dossier médical de mon père n’était pas rempli. En contrepartie, le dossier infirmier était très bien rempli. Dès lors qu’une liaison était faite entre ces deux dossiers, nous nous sommes aperçus qu’il existait un réel dysfonctionnement. Nous avons alors demandé une expertise dont la conclusion a effectivement confirmé l’existence d’un grave dysfonctionnement. Cela devient alors un problème administratif. Mais il existe en premier lieu un problème de comportement et de respect de la personne. Une personne qui a des soucis ne doit pas se voir enlever son pyjama pour des raisons de commodités pour le personnel. En créant mon association, je voulais essayer de faire bouger les choses, avec l’aide de professionnels. J’ai toujours autant confiance dans le corps médical qu’auparavant.

Philippe LEFAIT

Le système est donc perfectible.

Marie-Madeleine DAUTEL

Absolument.

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Philippe LEFAIT

Monsieur Lepelley, en tant que concitoyen, comment entendez-vous le débat jusqu’ici ?

Roger LEPELLEY

Le cas des diabétiques est un peu particulier. En effet, ils participent aux soins par des contrôles quotidiens et peuvent ajuster leur insuline. Dans d’autres domaines, il serait peut-être judicieux de faire participer le patient aux soins. Je ne peux néanmoins pas l’affirmer techniquement.

Jean PARROT

Par rapport au facteur de risque et à l’acceptation de ce risque dès lors qu’une thérapeutique devient plus invasive, le devoir de communication de la part des professionnels de santé est encore plus grand pour faire ressortir le résultat en termes de prouesse technique et faire accepter le facteur de risque lié à cet interventionnisme. En effet, une thérapeutique qui est aujourd’hui parfaitement adaptée à un état donné peut être totalement contre-indiquée le lendemain.

Bernard GLORION

Il convient de bien distinguer les différents types d’associations. Tout d’abord, il existe des associations de patients (diabétiques, myopathes…) telles que nous pouvons les concevoir idéalement. Elles résultent d’une alliance entre des médecins et des malades dont la finalité est de progresser dans la connaissance et la prise en charge des maladies et de s’apporter une aide mutuelle.

Par ailleurs, il existe des associations dont la finalité est identique à celle revendiquée par Marie-Madeleine Dautel et qui ont le courage de faire le recensement des dysfonctionnements du système de soins. Les problèmes ne vont peut-être pas se régler tout de suite. Dans le cas de Marie-Madeleine Dautel, tout le monde a peut-être été trop passif. Tout le monde a dit que c’était la fatalité. Or ce n’est pas le cas.

Isabelle LESAGE

Plus le partenariat avec les associations de malades est solide et transparent, plus les contentieux dramatiques peuvent être évités. Il est nécessaire de discuter en amont. En ce qui me concerne, je pense que le malade a des devoirs vis-à-vis de son praticien, notamment en termes de loyauté et d’hygiène de vie. Le médecin a également des devoirs puisqu’il est le premier formateur de son patient.

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Philippe LEFAIT

En tant que directrice d’hôpital, comment percevez-vous la relation patient/médecin ?

Isabelle LESAGE

Dans le monde hospitalier, nous sommes à un tournant. Le dialogue est de plus en plus équilibré, démocratique. La place des associations dans les hôpitaux est plus grande, non seulement au niveau du Conseil d’Administration mais également dans la vie de tous les jours. Le niveau d’exigence du dossier s’accroît, notamment à travers l’accréditation. Ce dossier bien tenu, gage de compétence pour le patient, est un outil de dialogue qui va prendre de plus en plus d’ampleur. Par exemple, dans l’hôpital Bretonneau, la première chose qu’on verra en entrant est : “ Association des malades et des familles ”. Cette place physique des associations dans l’hôpital est une avancée.

Philippe LEFAIT

Le corps médical entend-il bien cette volonté de modifier la place du patient et de l’intégrer dans le fonctionnement collectif de la structure hospitalière ?

Isabelle LESAGE

Il est difficile de répondre de manière générale à votre question. De nombreuses personnes sont impliquées et discutent de ces éléments dans des commissions ou des groupes de travail. Bien évidemment, il ne s’agit pas de 100 % du corps médical. Mais dans l’ensemble, le dialogue et la transparence sont beaucoup plus présents aujourd’hui.

Philippe LEFAIT

Selon vous, doit-on parler d’égal à égal avec le patient ?

Isabelle LEFAIT

Dès lors qu’il s’agit de deux êtres humains, je dirais même que celui qui est en situation de faiblesse doit dominer.

François BAUMANN

Dans ce débat, nous n’avons que peu abordé la notion de secret professionnel et de secret médical. Qu’est ce que ce culte de la transparence et du secret ? Cela m’intéresse d’avoir l’opinion des intervenants sur cette notion.

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Claude EVIN

Sur la notion du secret, je voudrais rappeler que le secret n’est pas opposable au patient. Il convient d’aborder cette question plus sereinement. Le secret n’est pas fait pour protéger le médecin mais pour protéger le patient. Le patient peut ne pas pouvoir entendre certaines informations dont le médecin dispose, d’où une réserve à les divulguer. Mais rien ne doit être caché au patient.

Pour en revenir aux contentieux, il faut identifier l’origine de l’inquiétude des médecins aujourd’hui et relativiser la montée du contentieux. Des faits médiatiquement forts ont eu lieu, sur lesquels la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat ont mis l’accent. Ils donnent le sentiment que la jurisprudence évolue et que les exigences sont de plus en plus grandes. Cependant, il n’y a pas une très forte augmentation des contentieux.

Pour autant, il ne faut pas ignorer leur origine. Le contentieux est souvent engagé lorsqu’il y a eu une rupture de confiance. Le problème ne réside donc pas essentiellement dans la question du risque ou de la responsabilité. Je pense que le malade est capable d’entendre un certain nombre d’éléments sur sa santé, mais il ne doit pas avoir le sentiment que le médecin ou l’établissement de santé lui a caché quelque chose. Par conséquent, nous devons faire en sorte que ce dont nous débattons ici se traduise vraiment dans la réalité des comportements. Pour cela, des procédures devront certainement être mises en place.

Philippe LEFAIT

Chaque année, sur 5 000 déclarations d’accidents médicaux, la moitié donne lieu à une réclamation de la victime. Je précise que des dizaines de millions d’actes médicaux sont pratiqués tous les ans. Par ailleurs, en 1999, au regard des questionnaires de sortie distribués aux patients, 62 % des patients disent avoir spontanément reçu des informations des médecins sur leur traitement et 57 % à propos des examens qu’ils ont subis. Le manque d’information est donc sérieux.

Bernard GLORION

Le contraire de la transparence est l’opacité. Ce n’est pas le secret. Il ne faut surtout pas confondre les deux. Ma génération porte lourdement le fait d’avoir brandi le secret médical pour masquer de nombreux éléments, y compris les insuffisances. Le règne de la transparence est de savoir faire la part de la confidence de celle des informations objectives qui appartiennent aux malades. C’est la raison pour laquelle le secret n’est pas opposable au patient. Les médecins doivent prendre conscience du fait que le secret n’est pas là pour les défendre.

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André COMTE-SPONVILLE

Je pense que le patient n’a pas de devoirs juridiques mais des devoirs moraux. En effet, le devoir de loyauté vaut vis-à-vis de tout homme. Quant au devoir d’hygiène de vie, qui peut croire que celui qui fume viole son devoir par rapport à son cancérologue ? Nous avons donc tous des droits et des devoirs. Cependant, une situation professionnelle peut créer des devoirs nouveaux.

Par ailleurs, des éléments ne doivent pas être confondus.

•• Les politiques et la République : Les politiques font partie du jeu, la République n’en fait pas partie : elle est le jeu même. Nous sommes tous des citoyens. Il ne peut donc pas y avoir de négociations entre les médecins et le peuple souverain puisque les médecins eux-mêmes font partie du peuple souverain.

•• La médecine de ville (cas courants) et la médecine hospitalière (cas graves) A l’hôpital, la question de la dignité est essentielle. En revanche, l’intégrité du patient qui va voir son médecin généraliste deux fois par an est peu menacée. Sa dignité est complètement respectée. Ainsi, la liberté de l’individu fait partie des valeurs essentielles de notre démocratie et de notre civilisation. Nous devons tous y réfléchir.

Philippe LEFAIT

Renaud Denoix de Saint Marc, pensez-vous, comme certains médecins, qu’il existe un risque de judiciarisation du secteur, comme cela peut être le cas aux Etats-Unis ?

Renaud DENOIX DE SAINT MARC

Je ne dispose pas de statistiques exhaustives. Mais au regard du nombre d’actes médicaux accomplis chaque année en France, il ne semble pas que le volume du contentieux ait relativement grossi. Je comprends néanmoins l’émotion légitime de l’ensemble du corps médical. Mais nous sommes encore loin des descriptions qui sont faites sur la situation aux Etats-Unis où les avocats courent les corridors d’hôpital.

Bernard GLORION

Nous ne sommes pas des Américains. Nous sommes tout à fait en mesure de concilier les deux parties. Il faut que les personnes concernées par un conflit se rencontrent. Il faut ouvrir un dialogue et ne pas se méconnaître. Avant d’engager une procédure, il convient de tenter une conciliation, une médiation ou un arbitrage. Il existe des commissions de conciliation à l’hôpital. Le Président de l’Ordre est d’ailleurs chargé de réunir les deux parties qui s’opposent.

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Claude EVIN

La situation française n’est pas comparable à la situation américaine. En effet, nous avons un système d’assurance maladie. Le fait de ne pas avoir de système d’assurance maladie aux Etats-Unis est une des explications du contentieux.

Par ailleurs, les procédures pré-contentieuses me semblent en effet nécessaires. Une modification des procédures d’expertise est également souhaitable. Pour autant, il convient d’apaiser les situations de contentieux lorsqu’elles existent. Un texte doit donc modifier la législation actuelle concernant l’indemnisation des accidents médicaux.

2. Commentaires de la salle

Un psychiatre hospitalier

Concernant la place du malade dans le dispositif de soins, dans la psychiatrie hospitalière, le patient fait partie de l’équipe. Cette évolution est fondamentale. Le malade ne subit pas, mais est au cœur du dispositif. Dès lors, les relations entre médecins et patients sont totalement modifiées. Je pense que le patient a des devoirs, même s’ils ne sont pas juridiques. Il apporte sa coopération aux soins.

Par ailleurs, je pense que la perte de confiance du patient et la mauvaise communication envers celui-ci ou sa famille créent davantage la judiciarisation que le problème lui-même.

Enfin, les drames comme les affections nosocomiales marquent le problème de l’avancée de la médecine et de ses limites. Il arrive un moment où les progrès de la médecine et les progrès de l’hygiène engendrent d’autres problèmes.

Une gastro-entérologue

Vos interventions m’ont beaucoup intéressée. Depuis trente ans, je réalise des coloscopies. Depuis environ deux ans, nous devons informer le malade des risques qu’il encoure. Je dois le prévenir qu’il existe un risque de perforation, éventuellement d’hémorragie et, parfois, de décès. Ce n’est pas chose aisée. De fait, les patients ont besoin de l’examen, mais les risques sont bien réels.

La société de gastro-entérologie a donc préparé des notes d’information à l’attention des malades. Selon moi, c’est une manière de s’en décharger. Or le malade ne comprend pas la plupart de cette note. Le médecin doit donc nécessairement la lire avec lui et demander ce qu’il en a compris.

Le Président de la Fédération des opérés du cœur

Nous ne partageons pas le point de vue de Bernard Glorion lorsqu’il fait état de deux types d’associations. Nous ne voulons plus être des spectateurs mais des acteurs sur tous les

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sujets. Pourquoi distinguer deux sortes d’associations ? Nous voulons être présents partout. Dans nos associations, nous faisons de la prévention, du social, de l’aide à la recherche et du conseil aux malades.

En ce qui concerne le secret médical, ma génération a subi le code du secret. Heureusement, aujourd’hui, les jeunes médecins respectent un peu plus les patients. Nous sommes contre ce secret médical. Il est néanmoins normal qu’il soit protégé par une conversation avec le patient. Nous espérons que le projet en cours va donner satisfaction aux associations qui deviennent des acteurs du système de santé.

III. Que doit-on faire pour que le système de santé s’améliore ? Vers quel partenariat entre le patient et le médecin doit-on se diriger ? Vers quelle démocratie sanitaire doit-on tendre ?

1. Débat

Nicole ATECHIAN

Je pense que nous devons améliorer les relations entre les médecins et leurs patients. Les sages-femmes sont près des femmes, non seulement parce qu’elles travaillent avec elles mais également parce qu’elles sont femmes elles-mêmes. Il faut sans cesse améliorer la façon dont nous expliquons à la patiente ce qu’elle a. Nous avons encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Jean PARROT

En ce qui concerne les pharmaciens, nous avons engagé une véritable consultation avec les associations de patients. Nous allons travailler ensemble sur la mise en place d’un nouveau relationnel. L’Ordre et les associations iront ensuite à la rencontre des pharmaciens dans les régions pour engager ce débat de proximité et pour essayer d’établir une relation plus forte entre le médicament, la thérapeutique et le patient.

Bernard GLORION

Le Conseil national de l’Ordre des médecins a pris l’initiative de créer une commission permanente, dirigée par Jean Brouchet, prête à rencontrer les associations de patients pour dialoguer. Cette ouverture nous paraît absolument indispensable. Nous devons y préparer notre jeune génération. Cette dernière a besoin de connaître non seulement la science médicale mais également la façon de dialoguer avec les malades. Cela s’apprend par l’exemple, auprès des aînés. C’est donc notre rôle à tous.

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André ROBERT

Dans notre profession, la prévention est fondamentale. Cette mise en place est la seule relation totalement vertueuse qui peut exister sur une coresponsabilité entre le patient et le praticien sur l’hygiène et la santé bucco-dentaire. C’est un exemple caractéristique de ce que doit être la relation patient/praticien.

Philippe LEFAIT

Jean Brouchet, comment envisagez-vous ce rapport de l’Ordre des médecins avec les associations de patients ? Qu’est-ce qui vous guide dans votre action et dans votre écoute ?

Jean BROUCHET

Nous ne nous intéressons pas à la question uniquement parce qu’elle est d’actualité. Aujourd’hui, il existe plus de 4 000 associations de patients et 180 000 médecins. La grande difficulté du moment est de se connaître mieux. Pour cela, il faut savoir quels sont les désirs de chacun. Le problème est quelque peu aléatoire et complexe devant la très grande diversité des associations.

Philippe LEFAIT

Que pensez-vous du rapport au secrétaire d’Etat à la santé qui dit que le principe du dialogue avec les usagers doit être renforcé ? S’il doit être renforcé, c’est qu’il n’est pas suffisant.

Jean BROUCHET

Il me semble que les personnes les mieux placées pour parler des devoirs des médecins sont des personnes qui ne sont pas médecin. J’ai été très heureux que le juriste et le politique présents aujourd’hui soient capables de nous réciter le code de déontologie alors que les médecins autour de la table n’en ont pas parlé.

Pour en revenir aux associations, nous voulons les connaître. Beaucoup d’entre elles sont récentes. Certaines ont fait de nombreuses avancées au niveau de la qualité des soins et de la recherche médicale. En résumé, ce qui nous intéresse, c’est ce qui est bon pour le malade. Dans ce cadre, il est certain que les associations ont un rôle essentiel à jouer.

Philippe LEFAIT

Marie-Madeleine Dautel, par rapport à ce que vous avez vécu, quelles seraient, selon vous, les réformes à engager pour améliorer le système de santé ?

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Marie-Madeleine DAUTEL

Pour être claire, je tiens à préciser que le problème d’infection nosocomiale de mon père n’était pas dû à un problème de traitement médical mais à un problème de négligence.

Nous avons parlé de transparence et de relation de confiance. C’est tellement plus simple de dire les choses lorsqu’elles arrivent. A l’hôpital, il existe des équipes. Dans une équipe, qui est responsable ? Quel médecin peut-on voir en cas de problème ? Je voulais connaître ces réponses. Ma famille et moi-même avons désespérément essayé de le faire. Nous aurions aimé savoir à qui nous pouvions nous adresser en cas de doléances. J’ai vécu cette histoire comme une débâcle de l’hôpital.

Philippe LEFAIT

Isabelle Lesage, en tant que directrice d’hôpital, comment veillez-vous à mettre en place ces structures de concertation, de dialogue et d’échange entre patients et médecins ?

Isabelle LESAGE

Avant même de parler de structures, il est important de faire développer la formation des personnes. Les budgets sont peut-être à rééquilibrer entre la technique (savoir-faire) et les aptitudes (savoir-être). En termes de structures, il faut aller plus loin que ce que la réglementation a créé, c’est-à-dire les commissions de conciliation et la représentation des usagers au Conseil d’Administration. Il convient de créer, de manière informelle, des espaces de dialogue, des tables rondes, des soirées d’information… Cela peut également prendre la forme de commissions d’usagers qui pourront être consultées sur des sujets qui interfèrent dans la vie quotidienne. Une meilleure organisation autour du dossier du patient est également nécessaire, de même que la continuité des soins avec la ville.

Philippe LEFAIT

Selon vous, quel terme semble le mieux convenir à l’établissement de cette démocratie sanitaire : partenariat, cogestion, écoute ?

Isabelle LESAGE

Dans la relation individuelle, il y a tout d’abord de l’écoute et de la prise en considération. Ensuite, le partenariat vient avec une éducation. Puis, au niveau collectif, je pense que nous pouvons aller jusqu’à la cogestion. En effet, pour certains choix de santé publique et d’organisation, il s’agit bien de partager le pouvoir.

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Philippe LEFAIT

Roger Lepelley, que vous manque-t-il par rapport à votre relation avec votre médecin et avec le système de santé en général ?

Roger LEPELLEY

La relation avec les diabétologues est relativement proche. Ils sont obligés de nous entendre puisque c’est en fonction d’un contrôle trimestriel qu’un diagnostic peut être réalisé. Par conséquent, avec le diabète, une grande concertation est obligatoire entre le médecin et le patient.

Philippe LEFAIT

Cette relation vous semble-t-elle satisfaisante aujourd’hui ?

Roger LEPELLEY

Oui. Dans notre association, il existe une structure d’aide aux malades “ Allo Diabète ”. Tout le monde peut consulter, malades de l’association ou non. Des médecins, professeurs, diabétologues y participent.

Renaud DENOIX DE SAINT MARC

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’expression “ démocratie sanitaire ”. Ni le diagnostic ni la thérapeutique ne sont décidés à la pluralité des voix des patients. Parlons simplement des droits des malades.

Claude EVIN

En plus de la réaffirmation des droits et des procédures à simplifier, je pense que le maître mot de la relation future entre médecins et patients est la formation. En effet, nous avons perdu le sens d’un certain nombre de principes fondamentaux. Il convient donc de se les réapproprier. Tout à l’heure, une gastro-entérologue nous disait que des notes d’information étaient à la disposition des patients. Ce n’est absolument pas satisfaisant. En février 1997, lorsque la Cour de Cassation a commencé à réaffirmer l’obligation d’informer, nous avons vu fleurir des documents. Mais ces derniers ne répondaient en rien aux questions posées par le patient qui veut comprendre et consentir. Or cette question du consentement est inscrite depuis longtemps dans le code de déontologie. Il ne sert à rien d’affirmer des droits si nous n’essayons pas de les faire vivre. Pour cela, il faut changer les comportements. Cela passe par la formation initiale et continue.

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Philippe LEFAIT

En quoi la prise en compte de l’économie de la santé peut peser dans l’établissement de ce partenariat ?

Jean-Claude SAILLY

L’économiste souhaite que les dépenses de santé se fassent à l’intérieur d’un budget donné. La qualité de ce qui est fourni et donc la relation avec le malade sont déterminantes. Accorder une meilleure place aux usagers dans le système de soins est un des moyens qui permettront d’améliorer l’efficacité du système, si ce n’est son équilibre financier.

Je pense que nous manquons de méthodologie pour obtenir le consentement éclairé du patient. Avant le problème de la formation des professionnels, une réflexion est nécessaire sur la manière de procéder. Sur le plan des sciences sociales, il faudrait davantage réfléchir à la façon dont le malade peut effectivement être impliqué dans une relation qu’il comprenne.

Lucien NEUWIRTH

Les études médicales ne doivent pas seulement être conçues comme une formation mais comme une éducation.

François BAUMANN

Dans la vie quotidienne, la formation continue des médecins n’est pas une obligation réelle aujourd’hui. Ceci est d’autant plus tragique que l’écoute est fondamentale dans une consultation. Plus l’écoute est longue, plus la prescription de médicaments sera faible. Or cette éducation à l’écoute et à la communication n’existe pratiquement pas au cours des études médicales. Aujourd’hui, le temps passé à une formation aux sciences humaines en médecine représente 5 % du total de la formation continue. Ceci est révoltant. Les associations de patients doivent nous aider à promouvoir la formation continue.

Philippe LEFAIT

Patrick Hassenteufel, au regard de votre pratique, comment voyez-vous évoluer l’ensemble du système de santé ?

Patrick HASSENTEUFEL

La notion de “ démocratie sanitaire ” est effectivement problématique, mais deux aspects paraissent intéressant dans cette expression. Premièrement, elle inclut l’idée de citoyens

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éclairés. La formation du médecin est essentielle, celle du patient également. Hors de la télévision et de la radio, il convient de se demander quelle est l’information à disposition du citoyen et quel est, par conséquent, le rôle des pouvoirs publics dans ce domaine. Deuxièmement, la démocratie sanitaire fait référence à l’établissement de priorités collectives. En effet, le débat public porte essentiellement sur l’aspect financier et la question de la sécurité sanitaire. Il manque un débat plus large sur le système de santé dans son ensemble.

2. Commentaires de la salle

Un chirurgien dentiste

Nous avons évoqué les problèmes qui génèrent les conflits. Chez les chirurgiens dentistes, la bonne confraternité est un élément supplémentaire. De très nombreux conflits sont générés par le praticien qui dit à son patient : “ Quel est l’incompétent qui vous a fait cette prothèse ? ”.

Pour améliorer le système, il appartient aux ordinaux de bien faire comprendre aux praticiens qu’il n’y a aucune honte à être faillible. Lorsque qu’un incident ou un accident arrive, il faut y faire face avec dignité. Le refuge derrière la notion de secret médical n’améliorera en rien la relation de confiance entre patients et praticiens.

André Comte-Sponville a fait une judicieuse comparaison avec l’enseignement. Actuellement, est-ce que l’évolution du comportement vis-à-vis des enseignants est génératrice de plus de bien-être, de confort et de savoir des étudiants ? Je n’en suis pas sûr. Certes, la désacralisation des professions de santé était nécessaire. Mais jusqu’où devons-nous aller ? N’allons-nous pas générer d’autres difficultés ? De nombreux praticiens, rencontrant des difficultés de gestion du temps et de gestion financière, doivent éclairer le patient. Ils ont également la hantise d’une procédure. Par conséquent, je pense qu’il ne faut pas aller trop loin dans la recherche systématique de responsabilités. Je ne voudrais pas que les praticiens, comme les enseignants, prennent un jour des gifles dans leur cabinet.

Un médecin généraliste

La relation entre malades et médecins est très simple. Il s’agit pour le médecin de résoudre un problème de santé du patient. Or en parlant de droits et de devoirs, ne sommes-nous pas en train de rentrer dans une spirale infernale comme cela se passe aux Etats-Unis ?

A ce propos, je vais vous raconter une anecdote. Une femme de 43 ans a eu la chance de tomber enceinte. C’était sa première (et certainement dernière) grossesse. Un premier gynécologue l’a examinée et lui a demandé sa profession. Elle a répondu qu’elle était avocate. Ce gynécologue lui a alors proposé d’aller voir un de ses confrères. Elle a visité trois autres gynécologues sans succès. Elle a finalement accouché dans l’urgence.

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Philippe LEFAIT

J’ai l’impression que l’exemple que vous venez de citer n’est pas très représentatif de la réalité.

Un médecin généraliste

Peut-être. Mais nous sommes dans une démarche particulière. Au lieu d’axer sur la relation, nous sommes en train de passer sur le versant du droit.

Une avocate

J’aimerais rebondir sur l’inquiétude, largement exprimée aujourd’hui, à propos de la sécurité et de la responsabilité. Si le droit n’est pas nouveau, nous notons néanmoins une évolution des mentalités. A l’heure actuelle, le patient n’a pas encore le réflexe systématique d’engager la responsabilité du médecin, mais il a le réflexe d’envisager la question.

Par ailleurs, je m’interroge sur l’efficacité des procédures amiables, notamment sur la différence de traitement d’un contentieux (et l’évaluation d’un préjudice) suivant qu’il est soumis aux juridictions administratives ou aux juridictions de l’ordre judiciaire. Le rapport n’est pas toujours identique. Nous avons tendance à obtenir davantage des juridictions civiles que des juridictions administratives.

Renaud DENOIX DE SAINT MARC

C’est une idée reçue erronée. Je n’admets pas cette querelle aujourd’hui tout à fait infondée. Il n’existe pas de différence d’appréciation mais une différence de vocabulaire entre le juge judiciaire et le juge administratif. Le juge judiciaire détaille, selon les divers chefs de préjudice, les indemnités au titre de l’incapacité permanente partielle, les indemnités au titre des préjudices liés à la perte de revenus, les indemnités au titre de la douleur physique, les indemnités au titre du préjudice esthétique et, le cas échéant, les indemnités au titre du préjudice d’agrément. Le juge administratif utilise un autre vocabulaire et une technique plus globalisante. Il n’indemnise pas l’invalidité permanente partielle en tant que telle. Il indemnise la perte de revenus consécutive à cette invalidité. Il indemnise également le préjudice esthétique, la douleur morale, ainsi que le préjudice d’agrément. En général, le juge administratif globalise tous ces éléments de préjudice en “ troubles de toute nature dans les conditions d’existence ”.

C’est cela qui peut rendre difficile les comparaisons. Mais si l’on surmonte cette difficulté, il apparaît que les indemnités allouées par le juge administratif et le juge judiciaire sont sensiblement équivalentes.

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Claude EVIN

Il n’en reste pas moins que la dualité de juridiction sur l’ensemble du traitement des contentieux (peut-être pas sur le niveau d’indemnisation) pose un certain nombre de problèmes pour les usagers. Je ne vais pas détailler cette question aujourd’hui. Néanmoins, en tant que législateur, je pense qu’il faudra la traiter. Pour de nombreuses raisons, il est nécessaire de trouver une solution à cette dualité de juridictions.

De la salle

Les propos de Marie-Madeleine Dautel sont exemplaires. En effet, dans le milieu hospitalier, nous avons à faire à des équipes. Par conséquent, le dialogue se passe entre le patient, le médecin et toute l’équipe, depuis le personnel paramédical jusqu’au technicien de surface. Il faut en tenir compte. Aujourd’hui, les problèmes sont liés à l’insuffisance du personnel paramédical et non pas seulement à la relation entre le médecin et le patient. Ils sont également liés au fonctionnement de l’ensemble d’une structure.

Jean MAZARS, conseiller à la Cour de Cassation

Tout d’abord, je tiens à dire que les procès sont peut-être plus nombreux qu’auparavant en chiffres absolus mais, s’ils sont rapportés au nombre d’actes médicaux, cela reste infime.

En outre, les procès proviennent d’un problème de confiance, de rupture et de silence. J’ai réalisé une étude pour le compte du Ministère de la Justice sur les plaintes déposées au Parquet. Il s’avère que 92 % des plaintes étaient sans suite dès lors qu’elles avaient permis d’informer le patient ou la famille de ce qui s’était passé.

Par ailleurs, si nous voulons que les patients aient un rôle suffisant vis-à-vis des médecins, il faut compenser le handicap considérable de la science. Nous ne ferons jamais d’un patient un médecin, à moins qu’il ne soit déjà médecin. Dès lors qu’une procédure de conflit est amorcée, je pense qu’il faut, si possible, faire intervenir un expert. Par exemple, en Suisse, il existe un système d’expertise qui permet à une personne s’estimant victime d’un incident médical de savoir rapidement si quelque chose s’est mal passé. Nous pourrions peut-être nous inspirer de ce système pour désamorcer les problèmes.

Enfin, dans la quantité des procès, il convient de différencier les procès spécifiques pour les risques importants, comme l’hépatite B.

Rédacteur en chef aux Nouvelles Pharmaceutiques

Dans les moyens pour améliorer la confiance des patients, je pense qu’une expression n’a pas été suffisamment citée : “ la recherche de la qualité ”. Elle peut se faire par une réglementation ou bien par l’évaluation des professionnels de santé. Doit-on aller jusqu’à l’accréditation et mettre en place des “ labels ” ?

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Claude EVIN

Concernant la qualité, les procédures d’évaluation et d’accréditation pour les établissements de santé sont en cours. Pour ce qui est de l’évaluation de la médecine libérale, elle est en amorce. Les textes réglementaires ont été publiés il y a quelques semaines. Quant à en connaître les limites, la réflexion sur ce sujet n’est pas tout à fait terminée. Il me semble nécessaire que les Ordres professionnels jouent un rôle important. D’ailleurs, y compris sur le plan législatif, il faudra modifier la manière dont les Ordres pourront intervenir. La transparence souhaitée par les patients nécessite des garanties.

Lucien NEUWIRTH

Je pense que la Commission de la nomenclature aura beaucoup à faire sur ce sujet (modes de fonctionnement, perspectives…).

IV. Conclusion

André COMTE-SPONVILLE

Je remarque que nous n’avons pas parlé d’argent. Si vous étiez tous bénévoles, vous pourriez tenir exactement le même discours. Mais les médecins ne sont pas bénévoles. Je pense que tout travail mérite rémunération. Par conséquent, la santé est aussi un marché. Je ne dis pas que les médecins ne travaillent que pour l’argent. Néanmoins, nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte lorsque nous réfléchissons au problème de la médecine en France.

En outre, s’il n’existe pas de sot métier, ceux de médecin et de vétérinaire sont spécifiques. Scientifiquement, les différences sont minimes. Cependant, l’objet sur lequel travaille un médecin est un sujet. La dimension éthique de la médecine fait donc partie de sa définition. Par exemple, les médecins nazis qui se servaient de leur savoir pour leurs expérimentations à Auschwitz étaient médecins par ailleurs, mais ne faisaient assurément pas de médecine à Auschwitz. Il n’y a de médecine que lorsqu’elle est au service du patient en prenant en compte son statut de sujet.

De ce point de vue, le rapport entre le médecin et le patient est un rapport de partenariat asymétrique. En effet, le médecin est au service du patient et non l’inverse. Néanmoins, cette relation de partenariat suppose la plus grande confiance réciproque possible. Mais chacun sait que la confiance ne peut jamais être exigée. Ce n’est pas un devoir. La confiance est méritée. Il ne s’agit donc pas d’exiger la confiance de l’autre mais d’être fiable.

Le travail du médecin, essentiellement en ville, est également d’aider le patient à prendre sa santé en main, y compris dans toutes les circonstances où il n’a pas besoin du médecin. Les progrès de la médecine, les progrès du niveau culturel de la population, ne peuvent qu’entraîner les patients à prendre leur santé en main. Les médecins sont là pour les y aider. Bien moins qu’une contradiction entre la part d’automédication et la part du médecin,

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il existe une évidente solidarité. Un jour, un médecin m’a écrit : “ Comment voulez-vous que les patients prennent en main leur santé ? Ils ne font même pas la différence entre l’aspirine et le paracétamol. ” Quel échec pour la médecine si, après avoir vu des dizaines de médecins, nous ne savons toujours pas faire la différence entre l’aspirine et le paracétamol ! En ce qui me concerne, je l’ai appris à trente ans à la naissance de mon premier enfant. Il est curieux que, là où l’automédication serait la plus risquée vis-à-vis d’un bébé, on accompagne les parents pour le faire, et lorsqu’il s’agit d’adultes, on ne leur explique surtout rien. Je n’essaye pas d’opposer le patient au médecin. Mais il y a une convergence d’intérêts. Les médecins sont là pour nous soigner, mais également pour nous aider à gérer notre santé.

Cela vaut pour l’individu. Cela vaut également pour le peuple. Il n’existe bien évidemment pas de démocratie sanitaire : nous n’allons pas voter une ordonnance. Il y a deux concepts importants sur lesquels nous ne voterons jamais : le vrai et le faux ; le bien et le mal. Ainsi, ni la connaissance ni la conscience morale ne sont soumises à la démocratie. En revanche, nous votons légitimement sur les dépenses, les priorités, les droits, les libertés… Il ne s’agit alors plus de partenariat entre patients, médecins et politiques. C’est à nous, peuple français et peuples européens de prendre cette histoire commune en main. Dans cette réflexion démocratique, les médecins ont un rôle important à jouer. La formation des médecins et celle des patients y sont très importantes. Je ne compte pas trop sur les émissions de télévision pour assumer ce rôle de formation des patients. Les médecins ont une action décisive à mener sur cette question. Ils sont là pour nous aider et nous apprendre à gérer notre santé.