PassionnésdeJésusChrist

FrédériquedeWatrigant

PassionnésdeJésusChrist

ÉtiennePernetetAntoinetteFage,fondateursdesPetitesSœursdel’Assomption

DescléedeBrouwer

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rayonnement de saint François-Xavier, le grand missionnairejésuite,futconsidérablesurleclergéséculierdecetterégiondeFrance et suscita des vocations, dont certains moururent enmartyrs8.

Mais revenonsàÉtiennePernet.ÀBesançon, ilest touchépar cet élan missionnaire. Aux dires d’un de ses ancienscondisciples, le père Pernot : « Il avait le feu sacré. Il se fitadmettredanslesrangsdeplusieursélèvesplusavancésqueluiquiavaientpris la résolutiond’entrerauxMissionsétrangères.On disait, en les voyant se promener ensemble : “Voilà lesmissionnaires qui passent.” » Ce sont les témoignages de sescamarades d’alors qui permettent d’imaginer qui était ÉtiennePernetdanscesannées-là:ilsleperçoiventcommeunétudiant,dontonnesaits’ilétaitbrillant,maisquisesituaitquandmêmeparmi les premiers dans le classement ; « d’un caractère trèsdoux, assez peu expansif, il était docile, charmant et ne sesingularisaitpas9»;«toutlemondel’aimait,ilétaitsipaisiblequ’onn’avaitjamaisdediscussionsaveclui10»;ilestégalementtimide:dansce traitdecaractère,onpourraitvoirseulement latradition-nelle réservedesFrancs-Comtois,mais lepèrePernetavouera lui-mêmecette timidité,qu’ilvitcommeunhandicap :«Unedeschoses,dira-t-ilbeaucoupplustard,quim’ontlepluscoûté,c’estdeparaîtreenpublic,deparlerenpublicetdefairequelquechosedevanttémoin.Jenesuispasencoreparvenuàledominermais avec la grâce, on y parvient. » Ses camarades ledécriventcommebiendifférentdequ’ilétaitenfantauregarddeses proches. Finies la vivacité et les âpretés de caractèreconstatésalors!Ilestaucontrairetrèsaimépoursadouceuretsoneffacement.Uneffacementquitraduitenréalité,enplusdesaréelletimidité,uneimmensehumilité,unevertuquinevapasêtre sans conséquence sur le parcours d’Étienne. Car à

Besançon,ilentreclairementdansl’épreuvedudoute.Undoutesur lui-même, et notamment sur ses capacités à devenir prêtrediocésain. Il l’explique luimême en effet par ces quelquesphrases :«Jeredoutais l’isolementduclergéséculier»et« laresponsabilitédesâmesm’effrayait».Parcequ’ilesthumbleetconscient de la grande responsabilité des prêtres, en mêmetempsquedesdifficultésdeleurmission,ils’ensentincapable.Ilmontreainsiàl’instard’unCharlesdeFoucauld,lahauteidéequ’ilsefaitdusacerdoce.Ladécisiondequitterleséminairevaêtrelonguementmûrieetréfléchieetn’adoncriendecommunaveclafuguedeVesoulquatreansauparavant.Àpresquevingtans,ilestdéjàunhommedeprièreetc’estcertainementdanslaprière qu’il prend cette décisiondoulou-reuse.Un acte qui estuneépreuvepourlui,maiségalementpoursamère,dontlepluscher désir, depuis l’enfance d’Étienne, est de le voir devenirprêtre du diocèse et de pouvoir ainsi s’installer auprès de luidans une cure de village. Étienne endure ainsi une doublesouffrance:spirituelled’abordpuisqu’ilnesaitplustrèsbienàquoiDieul’appelle ;affectiveensuite,car ilnepeut ignorer lapeinecauséeàMadeleine;ilconnaîtdesurcroîtlesdifficultésfinancièresdesamèreetsaitqu’ilnepeutsemettreàsacharge.

Sadécision est prise librement et enplein accord avec sessupérieurs. En effet, la veille du dimanche de la Passion de1844, ilquitteBesançonpourVellexoncar ilaobtenuledroitdesereposer,épuiséparl’épreuvemoraleetlatyphoïdequ’ilacontractée. Ce détail révèle un point important de la person-nalitéd’ÉtiennePernet :bienqued’apparencerobuste,commel’étaitsonpère,enréalitéiln’apasunesantésolide.Victimedela fièvre typhoïde, il connaîtra par la suite rechutes etcomplications ; il souffre aussi de sévères migraines etrégulièrement, il a besoin de se reposer avant de repartir à latâche.ÀsonretouràVellexon,samèreestalorsabsenteetc’est

chez son père d’adoption, l’abbé Guillaume qu’il se réfugie ;c’est ce dernier qui l’aide à se remettre sur pied. AucuneconfidencenenousestparvenuesurcetterencontremaisilestàgagerquelebonabbéaaidéÉtienne,nonseulementàserétablirmais également à approfondir sa réflexion dans la liberté. Lesvacancesterminées, ilrevientauséminaire,maisilaobtenudeses supérieurs d’être externe, en habitant unemaison d’étudesdépendant du séminaire ; un an plus tard, en avril 1845, aumomentderecevoirlesordresmineurs–lapremièreétapeversla cléricature pour les séminaristes jusqu’à Vatican II – et derevêtir la soutane, il part, cette fois, définitivement11. À vingtans, Étienne Pernet se trouve totalement démuni : depuis sixannées, il a fait des études qui l’ont coupé de ses originespaysannes.Fairelemêmetravailquesonpèreluiestmaintenantimpossible.Ilnepeutsepermettrenonplusd’êtreàlachargedesamère; il luifautdonctrouveruntravailquiluicorrespondepourgagnersavie.

1. Jean THIEBAUD,Missionnaires du diocèse de Besançon, p.115.2. Anne, 1823 ; Claude-Étienne, 1824-1899 ; Jean-François,1826-1890 ;Simon«1»,1827-1830;Marguerite,1829-1896;Louis,1835-1840;Simon«2»,1838-1866.3. Jean-Baptiste Alexandre Guillaume, 1804-1863, curé deVellexonde1833à1863.4.Notesbiographiques,n°121.5.Témoignagen°480,deJean-ClaudePernot.6.Témoignage–Nîmes,n°195.7.En1819,PaulineJaricot,informéedelasituationcritiquedesMissions avait eu l’idée de constituer des groupes de dixpersonnes, dont chacune s’engageait à former un nouveau

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servicedeDieu.Étudiantendroit,etpassionnédelaparoledeDieu,ilestinscritàl’Associationpourladéfensedelareligioncatholique et à la Conférence religieuse où il rencontreLamennais, qui le fascine par la modernité de ses idées (uneamitié qu’il devra rompre à la demande du pape, quandLamennais seracondamnépar l’Église).Àvingt-deuxans, à lastupéfactiondesafamilleetsesamis,ilannoncesadécisiondedevenirprêtre.IlfaitsonséminaireàMontpellieretàRomeoùilestordonnéàvingt-quatreans.Commepremierlieudecombatpour son sacerdoce, Il choisit le diocèse de Nîmes, car lesCévennessontundeshauts lieuxduprotestantismeenFrance,oùilsedonnesanscompter.Sesarmessontlaprédicationetlecatéchisme. Il va très vite être nommé vicaire général del’évêque. On en parle comme futur évêque. Mais Emmanueld’Alzona,depuisleséminaire,uneintuitionpluspersonnelle:travailler,dansunesociétéquisedétournedelafoichrétienne,àl’établissement du règne de Jésus-Christ par l’annonce et ladiffusiondelafoi,soustouteslesformespossiblesetdansdestermes compréhensibles pour tout le monde, sans savoirprécisémentcommentlemettreenœuvre.Cesontunerencontre,Anne-EugénieMilleret, et l’existenced’uncollègeàNîmes, lepensionnatde l’Assomption,quivont leconduireà renonceràune carrière ecclésiastique prometteuse pour se consacrertotalement à son intuition. On connaît le projet d’EugénieMilleret et l’influence qu’a eue le père d’Alzon ; en 1843, ildevientpropriétaireetdirecteurdupensionnatdel’Assomption,uncollègefondédepuiscinqansmaisquiestenpleindéclin.Àson tour, après avoir obtenu l’accord de son évêque pour unessai,ilfondeen1845,l’associationdel’Assomption,àlafoisembryon de la future congrégation des Augustins del’AssomptionetduTiersOrdre,etadoptelaviereligieuse.C’estàNotre-Dame-des-Victoires, la basilique qu’Étienne Pernet ne

connaît pas encore, qu’Emmanuel d’Alzon prononce ses vœuxprivés. Les premiers membres de l’association sont les neufmaîtres, prêtres et laïcs, du pensionnat de Nîmes à qui il aproposé de le suivre dans la voie d’étendre le règne de Jésus-Christ dans les âmes. Rien de politique dans le combat danslequel se jetted’Alzon : c’est un catholique républicain et sesennemis ne sont pas la République et la démocratie maisl’athéismeetl’indifférencereligieuse.ProvincialcommeÉtiennePernet, ilacependantunepersonnalitéradicalementdifférente.C’estd’abordunméridional,avectoutcequecelacomportedebouillonnement, de caractère bien trempé, et d’audace. C’estsurtoutunapôtrequinevacesserd’agirpour«faireadvenirleRègne de Dieu en moi et autour de moi » : œuvres pour lespauvres,enseignement,éducation,journaux.Rienn’échappeauzèle de ce prêtre d’exception. Tel est celui qu’Étienne Pernetrencontre pour la première fois début juin 1849 en arrivant àNîmes, où il est accepté comme surveillant. L’Association n’aencore que quatre ans et n’a pas encore reçu l’approbationdéfinitivede l’évêquedeNîmes, empêchant lepèred’Alzonetsesdisciplesdefaireleursvœuxpublics.ÉtiennePernetrejointainsiunefamillequinefaitquedébuter,maisdèslors,ilestprisenchargeparlepèred’Alzon,qui,pourcommencer,luiapayéson long voyage de Paris, par l’intermédiaire deMèreMarie-Eugénie : le 6 juin, à peine arrivé, il commence une retraiteaccompagnée par le père d’Alzon. Il a fait une excellenteimpression autant sur le maître que sur ses quelquescompagnons:

«Jeremarquechezluidel’ouverture,delafranchise,dela bonne volonté, un esprit sérieux, clair, peud’imagination… Il me produit l’effet d’un hommesolide.»

Déjà Emmanuel d’Alzon envisage de le prendre commenovice, mais auparavant, il a décidé de le mettre à l’épreuve,pourlefaireréfléchirsursavocation.

1.LepèrePernetaconservésixlettresdesamère(1846à1851)classéesdanslacorrespondancereçueparlui(B,n°0).2.MmePernotdeFontenelleMarieAngélique,néeTricornotduTremblay, décédée en 1874 à quatre-vingt-quatre ans. Elle euttrois enfants. Son second fils, Marie Joseph Gabriel (1828-1880),prêtre,eutEtiennePernetcommeprécepteur.3.Témoignagen°491,du17mars1897(aunoviciat).4.LettredeMadeleined’août1846.5.MgrAffreDenis,archevêquedeParis,1793-1848.6. Mme Varichon, née Pernet Françoise Augustine, époused’AlexandreVarichon,cousined’ÉtiennePernet.7.Lettreàsamèreenjanvier1849.8.ConsécrationauCœurImmaculédeMarieen1836parl’abbéCharles Dégenettes, curé, et création d’une association deprières sous le titre de Confrérie pour obtenir par Marie laconversiondespécheurs.StatutsapprouvésparMgrdeQuelen.Le pape Grégoire XVI élève l’Association au titred’Archiconfrérie.L’égliseseraérigéeenbasiliqueen1927.9.PèreMorcel,mariste,1813-1892.10. Le cas n’est pas exceptionnel car à l’époque les ordresreligieuxréclamaientunedotàceuxquilesrejoignaient.22.Anne-MarieEugénieMilleretdeBrou,1817-1898.12. « J’avais conçu le désir de donner toutes mes forces ouplutôt toutema faiblesse à cette Église qui, seule désormais àmesyeux,avaitici-baslesecretetlapuissancedeDieu.»13.ThéodoreCombalot,1797-1876,missionnaireapostolique.14.AnastasieBevier.

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mérite une explication : incorporés au diocèse de Nîmes, etrésidantàParis,c’est l’archevêquedelaCapitalequiauraitdûlesordonner,maislerefusdel’évêquedeNîmesd’écrireàsonhomologueparisiennelepermitpas.ÉtiennePernet,désormaisprêtre assomptionniste, a trente-quatre ans. Au soir de lapremièremessequ’ilcélèbrelejourdePâquesdanslachapelleducollègedeClichy,ilécritsajoieàEmmanueld’Alzon,àquiildoit tout.Cederniercontinueàveilleravecattentionsur luitoutenlerabrouantvertementsinécessaire.Carilnepeutplusaccepterchez leprêtre, la faiblessedu frère ;voicicequ’il luiécritle29avril1859:

« Laissez-moi vous dire, tout d’abord la peine quemefaitladispositiondevotreâme,quiesttoujoursportéeàunesortededécouragement.Celasentbeaucouptropladévote; il y a, au-dessous, une plainte, et même unmurmure, que je ne puis accepter de la part d’unreligieux. Tout cela contraste avec ce besoin de sedonnerauxœuvresextérieures.Est-cequ’onestcapablede porter les autres, quandon l’est si peu de se portersoi-même…Retrempezvousdanslaprièrequipourvousest encore plus nécessaire que la science et que vousobteniez, en priant, ce courage sacerdotal et religieux,quivousmanquebeaucouptrop.»

Pendant toutes ces années, Étienne a grandi au planspirituel,mais aussi auplanpsychologique.Car les difficultésneluiontpasmanqué,àlafoisdanslaviedecommunauté,maisaussi dans sa propre famille, qui a été à l’origine de sa plusgravecrisedeconscience.

LamaturationpsychologiqueÉtienneestunanxieuxquiaconstammentbesoind’êtrerassuré.C’estpourquoilepèred’Alzon,quiluiapportaitcettequiétude,a eu une grande importance à la fois dans son cheminementspirituel mais aussi dans sa croissance psychologique. Ens’engageantdans l’Assomption,Étiennesaitqu’ilnepeutplusêtre un secours pour sa mère et il en est profondémentmalheureux. En tant qu’aîné, il se sent, en effet, uneresponsabilité particulière vis-à-vis d’elle et de ses frères etsœur, dont le plus jeune Simon est infirme. Si Madeleine seréjouit que son fils ait trouvé sa voie auprès d’Emmanueld’Alzon,elleencomprendaussitoutdesuitelesconséquencespourelle,commeentémoigneunelettredu24décembre1849:

«Situt’engagesdanscecorpsdereligieux,ilfautdoncquejerenonceàtoipourneplustevoirjamaisprèsdemoi,pournepaspouvoirtediremespauvresraisonsenpersonne, ne jamais avoir un mot de consolation d’unenfantquej’aimetant.Quecelameferaitdubiendetevoir, et que celam’est dur d’en être privée ! Surtout àmonâge,pauvreveuveabandonnéeàelle-même.»

Son second fils, Jean-François lui cause, en plus, à cetteépoque,unsouciparticulier: ilestàParis,d’oùilnecessederéclamer de l’argent à sa mère, et est maintenant père d’unenfant, dont il n’a pas encore épousé la mère. La situationmatérielle de la famille se dégrade peu à peu, d’autant queMadeleine tombemaladeen1853, cequi la rend incapabledesubvenirauxbesoinsdesdeuxenfantsqu’elleaencoreàcharge.Trois ans plus tard, en mai 1856, elle débarque à Paris, pourréclamerlesecoursdesonaînéquisetrouvealorsàClichy,ce

quiplongeÉtiennedansundilemmeterribleparcequ’insoluble.Jean-François, qui s’est marié et travaille comme agent depolice,necompteaucunementprendresamèreenchargeetc’estsurÉtiennequeretombeledevoirdetrouverunesolution.Quepeut-ilfaired’autrequed’aban-donnersavocationpourassumerlachargedechefdefamille?Le12mai, il s’enouvreaupèred’Alzondansunelettretrèsémouvante.Enréponse,celui-ciluiinterditfermementd’abandonnersavocationets’engage,malgréles très graves difficultés financières de la congrégationtraverséesalorsparlesAssomptionnistes,àtrouverdessecourspourMadeleine.Après s’être fait soigner, cette dernière repartenFranche-Comté.Maisl’annéesuivante,c’estunnouvelappelau secours, encore plus pressant carMadeleine est de plus enplusmalade.Ellemeurtd’ailleurs le23 juillet1857,à61ans,sans avoir la consolation de voir son fils ordonné prêtre. Elleconfie à Étienne ses trois autres enfants, Jean-François,MargueriteetSimon,unetâchedontlepèrePernets’acquitterajusqu’à leurmort en conservant des liens très affectueux aveceux.Mais il a appris dans cette épreuve, grâce au soutien dupère d’Alzon, de Mère Marie-Eugénie et de ses frèresassomptionnistesàgarderconfianceenDieuetàcontinuersursavoiemalgrétout,sansselaisserenvahirparlaculpabilité.Cardans la petite congrégation, les choses ne sont pas toujourssimples non plus. À Nîmes, Il avait trouvé une communautéchaleureuseet ferventeoù il avait commencéà s’épanouir. Il yavait surtout la présence du père d’Alzon qui veillait avecaffectionsur lui.S’iloccupeavecpeine lesemplois successifsde surveillant etdepréfetdediscipline, il va trouver sapleinemesureaupatronagecréépar son supérieur.Cederniervoulaituneéducationchrétiennepoursesélèves,cequiincluaitdelesformer à la charité. Quand Étienne arrive à Nîmes, l’activitécharitable du collège comprenait des visites de pauvres, une

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« Je ne dois pas prétendre être jamais un orateur demérite et de renom, mais ce n’est pas ce quej’ambitionne. Porter simplement la parole de Dieu, larépandredans les cœurs commeunebonne semencedevie, faire aimer cette divine Parole, la faire mettre enpratique;voilàcequ’ondoitambitionneret rechercherdanslaprédication.Avoirl’onctionduSaint-Esprit!Unprêtretrèsordinaireentalentetenéloquencepeutfairetout ce que j’ai dit, et quelquefois plus efficacementqu’ilcomptepourriensespropresressources8.»

Ne trouver sa forcequ’enDieu, est la règledeviedupèrePernetet cedepuis ledébutde sonministère sacerdotal.C’estl’Écriture sainte qui le soutient et l’inspire dans sa viespirituelle.Illalitetlaméditequotidiennementàuneépoqueoùcen’estpas si courant–Vatican II est encore loin–dansunebelle bible en latin de 1572. C’est là qu’il puise pour seshoméliesetlesconférencesqu’ilseraamenéàdonnerplustard.Il la connaît par cœur et l’utilise pour l’appliquer à toutes lescirconstances de la vie, que ce soit dans sa prédication, sesprisesdeparolediversesou ladirection spirituelle.Enpublic,c’estsafaçondecélébrerlamesse,plusqu’undondelaparole,quilefaitremarqueretapprécier:lesacrificeeucharistiqueestassurément au centre de sa vie, et de sa journée. « Pour unprêtre,disait-il,lamessec’esttout.»Denombreuxtémoignagesconcordent pour dire qu’il est méconnaissable quand il lacélèbre. Lorsqu’il arrive à l’autel, lui si avenant et effacéordinairement,avancetrèsdroit, latêtehaute,presquerigideetavec majesté, portant magnifiquement les ornements qu’ilsouhaite beaux. Il célèbre sans lenteur mais avec intensité,commetotalementabsorbéenDieu.C’estainsiquelerapporteunejeunefilleassistantàsamesseàlabasiliquedeFourvièreen

1893:

« AuPater, je jouis d’un spectacle que de ma vie, jen’oublierai.Cen’était plus unhommeni unprêtre quiprononçait ces paroles avec tant de foi, d’amour, deconfiance, c’était la voix et le visage d’un être céleste.Chaqueparoleétaitprononcée très lentement, surtoutàl’adveniatregnumtuum,oùils’arrêtapluslongtemps…Ildevaitcontempler,danssonamour,ceDieuàlagloireduquelilconsacraitsavie.»

Onimaginelasouffrancequifutlasienne,lorsqu’àcausedesesproblèmesde santé récurrents, il estprivédedire lamessependantplusieursjours.Cependantc’estauconfessionnal,qu’ilconsacrelamajeurepartiedesontemps;touslesjoursàpartirde 5h30, il y assure une permanence. Si dans ce domaine, lestémoignages, par force,manquent, lemonde qu’il attire est ensoi lapreuvequ’ilexcelledansceministère.Déjà, lorsdesonséjouràRethel,oùonavaitdemandéauxélèvesde ladivisiondesmoyensdeprendreunpèrespirituel, tousavaientchoisi lepère Pernet au point que le supérieur de la communauté dutintervenirpourune répartitionplus égale.RueFrançois-1er, leconfessionnal occupé par le père, ne désemplit pas, comme leraconte Marie de Longueil9, voisine de la maison desAssomptionnistes:

«Ilconfessaittoutlemonde.Sonconfessionnal,prèsdelaporte,encourageaitlesplushésitantsàvenir,lespluspressésàs’enretourner.»

LacorrespondancedupèrePicard aussi y faitmaintes foisallusion, notamment lorsqu’il obtient du père d’Alzon

qu’Étienne reste rue François-1er au lieu de partir au Vigan :«Quedepénitentsenbénissent leBonDieu!»Etplus tard :« Pernet confesse et dirige », « il est absorbé par leconfessionnal»,«Pernetconfesseàmort»et« il fait touslesjoursdenouvellesconquêtespar sonamabilitéet sesmanièresdoucesetavenantes. Je suispersuadéqu’ilestappeléà faireàParis quatre fois plus de bien qu’au Vigan et dix fois pluslongtemps. » Le père Picard ne pensait pas si bien dire car ilétaitloindesedouterquele«bien»iraitjusqu’àlafondationd’une congrégation. Quand s’ajoutera la charge des PetitesSœurs,ÉtiennePernetpoursuivraceministère,etce jusqu’à lafin de sa vie. S’il attend à la permanence, il n’hésite pas nonplusàallerversceux,commelesmalades,quinepeuventveniràlui. Ses pénitents sont aussi très divers, sans distinction demilieu social ou d’âge comme de foi. Son but n’est que deramener les hommes et les femmes à Dieu – aujourd’hui ondirait évangéliser – quels que soient le temps et les difficultésque cela peut lui prendre. Avec lui, la confession est courte :« Pas plus de trois minutes et trois péchés seulement »,racontera une de ses pénitentes, qu’il jugeait un peu tropscrupuleuse et à qui il avait ordonné de ne pas s’étendre.Caraveclagrandeintuitiondesâmesetdescœursqueluidonnesonextrême sensibilité, il sait aller à l’essentiel tout de suite.Sonsuccèsauconfessionnalentraînedesdemandesdeplusenplusnombreusesdedirectionspirituelle.Làaussi,ilfaitplaceàtoutlemonde,enaccompagnantdespersonnesdetoutesconditions:domestiques, employées et dames du monde, religieuses danslesquelles on ne trouve pas que les Petites Sœurs, prêtres…C’est par sa correspondance que l’on connaît les axes qu’ildonnaitàsesdirigés.Cequifrapped’abord,danssesconseils,c’estquelasaintetéestexigéedetoutbaptisé,quelquesoitson

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laisséAntoinette,quihabitaitunepetite chambre, toutprèsdeleurappartement:

« Elle avait beaucoup à souffrir des inégalités decaractère de différentes personnes avec qui elletravaillait,mais jamais jene l’ai entendue seplaindre ;au contraire, elle paraissait toujours heureuse et sonhumeuret sadouceurétaient toujourségales, la faisantchérirdetoutlemonde.Ellea,pendantseptansquejel’aiconnuedanscettemaison,aidédesesconseilsetdesa bourse biendes jeunes filles qui, sans elle, auraientquitté labonnevoie. J’en ai connuplusieursmaisune,entre autres, qui étant tout à fait tombée… s’estsouvenuequ’iln’yavaitqueMlleAntoinettequiauraitla charité de lui tendre la main… Antoinette n’a pashésité,elleestalléeàelleetatoutfaitpourlarameneraubien…Laconversionn’apaseude suite,mais celan’apasrebutéMlleAntoinette.Ellenel’apaspourcelaabandonnée, elle est allée la rechercher, l’a consoléeetelleaeu la satisfactionet la joied’arriverà luiassurerune position honorable. Outre les journées qu’ellepassaità l’atelier,elle travaillait lematindanssapetitechambre sans feu. Elle se levait à 6 heures et on sedemandait à quoi passait l’argent qu’elle gagnait. Sesgoûtsétaientsimples,samisepropremais trèsmodesteetmalgré tout cela, elle n’avait aucune épargne…Toutl’argentqu’ellegagnaitservaitàaiderdesjeunesfemmesquisouffraientdelamisèredansleursménages.Quedeloyersdontelleapayécequimanquait!»

SabineBernarddoitaussiàAntoinettesonretouràDieuetfutmarquéetoutesavieparladouceuretladélicatessequ’elle

employaalors:

« Je puis dire à sa louange que si j’ai continué àpratiquer, c’est à elle, à son bon exemple que je ledois.»

Déjà, malgré une apparence chétive et souffreteuse, MlleFageacecharismed’attireretdemettreenconfiance.Elleapriscomme directeur de conscience, un jeune dominicain, le pèreFaucillon8, sous-prieur du couvent de Paris, qui a perçu sesgrandes qualités, mais aussi ses fragilités et qui va la guiderd’une main ferme à approfondir son amour de Dieu et duprochain ; quitte parfois à refréner les ardeurs de sa pénitentecommeentémoignecettelettre:

«Sivouscontinuezàtravaillercommevousfaites,vousserezbienviteaccablée;votresantédoitenrecevoirunerude atteinte et votre piété également. Il est temps quej’intervienne pour y mettre ordre. Vous avez eu lasimplicitédemefaireconnaîtrecequevoussouffrezparl’excèsdetravail,ayezaussiladocilitédebienfairetoutce que je vais vous dire. Jusqu’à présent, je m’étaiscontenté de vous recommander la modération dans letravail,aussibienpourvotrecorpsquepourvotreâme;aujourd’hui,mafille, jevousl’imposeformellement.Jevousordonnedonc,envertudel’autoritéqueDieum’adonnée sur vous, et de l’obéissance que vous m’avezpromise,devousarrangeràvousfatiguermoins.Nevouschargez pas de tant d’ouvrage ; n’acceptez que ce quevosforcesvouspermettentd’accepter,envousréservanttoujoursletempssuffisantpourvotresommeil,vosrepaset vos exercices de piété. Conformez-vous, donc, ma

fille, à ce que je vous prescris ; cela sans scrupule deconscience,carjenevouscommanderiensouspeinedepéché,maiscependantjeleveux9…»

Àladésolationd’Antoinette, lepèreFaucillonquitteParispour devenir prieur du Couvent de Nancy, obligeant ainsi sadirigéeàchercherd’autresconfesseurs.Ellerestacependantenrelation avec lui jusqu’à la fin de sa vie. En 1853, il lui aconseillé un des premiers patronages de Paris, dont les aînéess’étaient regroupées dans l’association Notre-Dame du BonConseil. Cette association a été fondée sur la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin, par une Tertiaire domini-caine, MlleGaillardin10.PlustardAntoinettedira:

«C’est àNotre-Dame duBonConseil que je doismavocation.»

Elle y trouve en effet un lieu qui lui permet de se donnerplusencoreauxautresetenparticulierauxpauvres.Lesjeunesfilles sont chargées chacune de visiter des pauvres et desmalades,pourydistribuerdesbonsdeviandeetdepainfournisparMlleGaillardin,quiconseilleaussiauxjeunesfillesdefairedesdonspersonnelspuisésdansleurséconomies.Danscebut,Antoinettetravailleencoredavantage,seprivedefeuaupointdesefaireréprimanderparsondirecteurspirituel,commeonl’avuplushaut.MalgrésasoifdeDieu,dufaitdesonindépendancedecaractèreetdesasantéprécaire,ellenesecroitpasappeléeàla vie religieuse. Proche des Dominicains, elle pense plutôt àleur Tiers Ordre. Mais contre toute attente, son directeurspirituel, lepèreFaucillon,ne lasoutientpasdanscettevoie :«Jenecroispasquevousayez lavocationduTiers-Ordre, luirépond-il sèchement, tenez-vous l’esprit en reposde ce côté. »

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garçons3quelepèrePernetconnaîtbien.Cependant,iln’existeriendegratuitpourlesmaladesquin’ontpaslesmoyensdesepayer une aide à domicile ; c’est ce créneau que visent lesgardes-maladesdupèrePernet,d’autantquecederniersaitparexpérience que le nombre des lits d’hôpitaux est insuffisantpourprendre tous lespauvresqu’onyenvoie.C’estdoncdansce quartier que, le 5 juillet, Marie-Antoinette Fage déménageavecsafidèleEugénie.Unendroitqu’elleconnaîtbienetdontelle n’a pas gardé les meilleurs souvenirs, comme elle l’écritdanssonpetitjournal:

«Le seul où je n’eusse jamais voulu habiter, car ilmerappelaitdessouvenirsd’enfance,defamille,déchirants,etmapauvremèreyétaitmorte.Cependant,commecelane concernait que moi, j’eus assez d’empire sur moi-mêmepournepaslelaisservoiretnotrebonpèrenel’ajamaissu.»

C’est parce qu’il est proche de la résidence des Pères del’Assomption et très populaire que le père Pernet l’a choisi :« Une population nombreuse et une quantité immense depauvres,indiqueMlleFageaprèsl’avoirvisité,offrantunvastechampàl’exerciced’uneœuvretoutedecharité»quiapprouvele choix de son directeur.De plus, le curé de la paroisse4 lesaccueille à bras ouverts, et lui fait la promesse de les aider àpayerleloyerdelarueSaint-Dominique.Riendeluxueuxdansce logement, où les premières sœurs ne disposent commemeubles que de six vieilles chaises, que l’on transporte, selonles besoins, du réfectoire à la salle de communauté ou àl’oratoire, de deux vieilles tables boiteuses et d’une grandearmoiresansfermeture.Pourlacuisine,nimarmiteniplat,maisseulement deux casseroles et une assiette, une tasse et des

couverts par personne ; ce n’est pas une surprise, car le pèrePernet,bienavantleuremménagement,avaitprévenuMlleFagedes difficultés matérielles auxquelles elle se trouveraitconfrontée:

«Nouspasseronsparlesrudesépreuvesdelapauvreté,negagnantrien,nepossédantrien. Ilnousfaudrapeut-êtremanquermêmedunécessaire, c’est-à-diremanquerdepain,devêtementpournouscouvriretdeboispournouschaufferpendantlarudesaisond’hiver.»

IlnecroyaitpassibiendirecarMlleFageseretrouveàlatêted’unepetitecommunautédehuitpersonnes–MarieMaireâgéede trente-sixans, lapremièreàavoir suivi lepèrePernet,DeniseCaysac,vingt-sixans,LéontineMartin5, lepèreveufetmalade de cette dernière, Eugénie, et de deux autres sœurs,Céline Magnoux et Maria Mougeot6 – qui ont d’autant plusbesoindesenourrirqu’unrudetravaillesattend.

LagrandeépreuvedelapauvretéCe sont les carnets tenus par Antoinette Fage qui révèlent auquotidien les difficultés qui la préoccupent le plus ; ce quiapparaît au premier abord, c’est l’extrême dénuement matérieldans lequel sont plongés les habitants de la rue Saint-Dominique. Dès juillet, Mlle Fage, en écrivant qu’elle nedispose que de 300 francs et quelques sous – dont la plusgrande partie a été dépensée en frais de déménagement et deloyer–s’engagepourtantànerienrecevoirdesmaladesqu’ellesprendront encharge : « Jusqu’alors, onavait reçu l’argentqueles malades pouvaient offrir en échange des soins qui leur

avaient été donnés. Il y en avaitmême chez lesquels, on étaitnourri.À l’avenir riende tout cela. Il ne serapermis à aucunesœur de ne rien accepter des malades ou de la famille desmalades pauvres et abandonnés, soit en argent, soit ennourriture », écrit-elle dans ses carnets. Sur ce point, ÉtiennePernet ademandéconseil à son supérieur ; c’est cedernier, lepèrePicard,quiposeleprincipedelagratuitéabsolueetlarègledenejamaissoignerlesriches.MlleFagenedisposed’aucuneressourcenécessaire à la viede lapetite communauté.Elle estpréparée, depuis toujours, à cet abandon à la Providence carc’est ainsi qu’elle a toujours vécu; dès lors, le père Pernet etAntoinette Fage inscrivent la fondation dans la pauvreté. Eneffet,ilnes’agitpasseulementd’allerverslespauvres,maisdevivre soi-même cette pauvreté. Ce sont les Pères del’Assomptionquileurdonnentaudépartcequileurmanqueenvaisselle.Maisd’autresviennent aussi à leur secours, toujoursauxmomentslespluscritiquesetconfirmantainsilaconvictiondupèrePernetetdeMlleFage,que toutvientdeDieu :MèreMarie-Eugénie, le père Picard, ses sœurs du Tiers Ordredominicain et d’autres donatrices généreuses sont citées avecreconnaissance dans les carnets ; Antoinette y note aussiscrupuleusement les dépenses de chaque mois, et les petitessommes données qui permettent de rembourser le crédit prischezlescommerçants,lepropriétaire…carpourleloyer,lecuréde laparoissen’apas tenuparole,et ilnevientà leursecoursqu’épisodiquement. Les deux premières années, les dons neservent qu’à résorber en partie les dettes qui s’accumulent :« Avec ces secours, nous vivons au jour le jour et nousacquittons àmesure les dettes que nous avons contractées lesmois précédents, afin de nous ménager la confiance de nosmarchands », noteMlle Fage en octobre et lesmois suivants.Pour lepremierNoëlde lacommunauté, ellesn’ontmêmepas

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sans l’avoir jamais rencontrée telle que je la ressensaujourd’hui,ettelle,quelamortseulepeutlabriser…»

ÉtiennePernet est bien dans lemême esprit, quoique plusréservéselonsanature,quandilluirépond:

«Vousaveztoutcequevousdemandez,nonseulementpour 67, mais pour toujours : cela continuera encoredans l’éternité. Il y a des unions éternelles en NotreSeigneur,enDieu18.»

Pourelle,ilestàlafoisunpèreetunfrère.Pourlui,elleestsa fille et sa sœur, dont il s’inquiète quotidiennement, mêmequand ils sont éloignés. Et les séparations sont fréquentesdurant ces cinq années, car Étienne Pernet demeure obéissantaux demandes de ses Supérieurs et très actif dans sacommunauté;trèssollicité,ilrépondaussiàtouslesappelsausecours qui lui sont adressés. Alors que la fondation sembleavoir passé les écueils les plus difficiles, et qu’elle a enfintrouvé un havre, où, elle va pouvoir s’enraciner, la guerre de1870 éclate.Antoinette Fage et le père Pernet vont se trouverséparés pendant des mois, cette fois, sans même pouvoircorrespondre facilement.La guerre va être source de nouvellesépreuvesoùilsn’aurontpaslacompensationdes’appuyerl’unsurl’autre.

1.SrMarieDenise,P.S.A.,1838-1866,DeniseCayzac,décédéele22aoûtàParis.2.SimonPernet,1838-1866,décédéàParisle20juillet.3.PatronageSaint-JeanoùlepèrePernetaconsacréunpeudesontempslesannéesprécédentes.

4. Curé de la paroisse Saint-Pierre du Gros-Caillou depuis1849:abbéCastan.5.LéontineMartin,SrMariedel’Assomption,garde-maladedespauvres.Entréeen1865,sortieen1867.6.MariaMougeot,SrMariedel’ImmaculéeConception,P.S.A.,entréeen1865,vœuxprivésle8décembre1867,sortiele5août1869.7.Carnet,mai1866.8.Carnet,juillet1865.9.Cette date sera celle retenue par laCongrégation comme ladateofficielledelafondation.10.25mai1865.11. M. Joséphine Dumont, Sr Marie Joseph de la Sainte-Famille,P.S.A.,1835-1901.Entréeenjanvier1867,vœuxprivésle8décembre1867.12.CurédeSaint-PierredeChaillot:M.Causse.13.M.deBorie.14.MèreBigourdan : SuzanneMalina, 1826-1887, supérieuredes Filles de la Charité de Saint-Philippe-du-Roule, surdécisionducuré,logealesP.S.A.danslamaisond’œuvres,15,ruedeMonceaupuisau11.15. Père Galabert Victorin, A.A., 1830-1885, fondateur de laMissiond’Orient.16.Novembre1865.17.Lettredu22janvier1866.18.Lettredu1erjanvier67.

VII

L’épreuvedelaguerreetdelapersécution

LesévénementspolitiquesquibouleversentlaFranceen1870et1871 vont avoir des conséquences importantes sur la vied’AntoinetteFageetd’ÉtiennePernet,commesurcelledeleurscontemporains. Ce n’est pas la première grosse turbulencepolitique qu’ils connaissent mais, en 1848, plus jeunes, ilsn’avaient encore ni l’un, ni l’autre charge d’âmes. Cette foisaussi,c’estl’intégritémêmedeleurpaysquiestmenacéeet,touten étant religieux, ils n’en sont pasmoins citoyens d’un paysqu’ilsaimentprofondémenttouslesdeux,commeentémoignentles lettresquinoussontparvenues. Ilsvontaussiexpérimenterpersonnellement pour la première fois l’anticléricalisme etl’athéisme qu’ils voyaient monter dans la société française.Cette expérience leur permettra, a contrario, de poursuivrerésolument l’œuvre fondéecinqansauparavant etde l’orienterplus encore dans le sens de la mission évangélisatrice. Pourcomprendre dans quel contexte vont vivre Antoinette Fage etÉtienne Pernet, il faut, au préalable, décrire rapidementl’histoirequi,enmoinsd’uneannée,vabouleverser totalementlepays.

Lesévénements

Le 19 juillet 1870, l’empereur Napoléon III1 déclareprécipitamment la guerre à la Prusse, en réponse à une

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marquée,deplus,parunehaineférocepourtoutcequi toucheau religieux. Pendant la guerre, les prêtres français avaient pucraindre, comme l’a noté Étienne Pernet, l’hostilité desPrussiens envers les catholiques et à Mayence, les deuxAssomptionnistesontétéprotégésparMgrVonKetteler.AveclaCommune,lesreligieuxetlesprêtressonttraquésetmenacésdemortauquotidien.Certes,lamenaceestlimitéeàParismaislafamillereligieusedesAssomptionnistes,aveclesReligieusesducouventd’Auteuil,lamaisondesAugustinsdel’AssomptionrueFrançois-1er et les communautés des Petites Sœurs, y estjustement très implantéeetainsiexposéeàun réeldanger :denombreuxprêtres,àcommencerparl’archevêquedelacapitale,MgrGeorgesDarboy,sontassassinésdurantcesquelquesmois.Le couvent d’Auteuil est saccagé, obligeant les religieuses às’enfuir.Lesdeuxmoisàvenirsontdonclourdsdepérilspourla fondation dirigée parAntoinette Fage et Étienne Pernet. Ilsmarquent aussi les commencements d’un athéisme et d’unanticléricalisme virulents qui bouleversent la place de l’Églisedanslasociétéfrançaise,etdémontrentl’urgencedelamission,comme l’avaient déjà compris Eugénie Milleret, Emmanueld’Alzonet, à leur suite,ÉtiennePernet etAntoinetteFage.LaCommuneestproclaméele18mars,soitquelquesjoursàpeineaprès le retour du père Pernet à Paris. Il va à nouveau quitterParismaiscettefois,pourprotégersavie.DèslaproclamationdelaCommune,ilarevêtudeshabitscivilsdefaçonàpouvoircirculersansêtreinquiété.LejournaldelacommunautéfaitétatdelasurprisedeMèreMariedeJésus,lapremièrefoisqu’ellelevoitainsi:

«Unjour,notrePèrevinthabilléenlaïc.LesaisissementdenotreMèrefutsigrandqu’ellefaillitsetrouvermal.NotrevénéréPèrepassalanuitdansson“château”,nom

qu’ildonneànotremaison.»

Ils’installerueVioletpoursecacheretprotégerlesPetitesSœursd’uneéventuelleincursiondesCommunards.Lajournéedu19avrilvaluimontrerquelesprécautionsnesontpasvaines.Cejour-là,ilquittesonrefugepourserendrerueFrançois-1er;sur le chemin du retour, au Champ-de-Mars, il est reconnumalgréseshabitscivilsparunjeunegardenationalquisevanted’interpellersonsixièmeprêtredelajournée.Onl’amèneàunpremierofficier,quiluisommed’avouers’ilestprêtre;cequele père Pernet confirme sans hésitation. Conduit ensuite pourcomparaîtredevantledéléguédelaCommune,aucommissariatduquartierdeGrenelle,ilréussitàfaireprévenirunhabitantduquartier19, qui accepte de répondre de lui et de le fairereconduire rue Violet. Il est sauf mais l’alarme a été assezchaude pour que le père Picard lui ordonne de partirimmédiatement à Arras20, dans une de leurs maisonsd’éducation, où plusieurs Assomptionnistes se sont déjàréfugiés. La séparation avec les Sœurs lui pèse cette fois bienplusquedurantsesseptmoisd’exilenAllemagne.D’unepart,il se ronged’inquiétudepourses frèresetsœurs restésdans lacapitale;d’autrepart,iln’apaslaconsolationd’exercerauprèsdemilliersd’hommesunministèreutile;lesjeunesdelamaisonne luisuffisentpas.Cette fois, ilpeutcorrespondreavecMèreMariedeJésus,cequ’ilneseprivepasdefaire.Encettejournéedu19avril,parcequ’iln’apascachésonidentité,lepèrePernetamontréunefoisdeplusunréelcouragephysique.MèreMariedeJésusn’estpasenrestenonplus.AudébutdelaCommune,lequartierdeGrenelleestmoinsagitéqueceuxd’oùestpartiel’émeute –Ménilmontant et Belleville – mais, du fait de sonemplacement,avecl’arrivéedel’arméedesVersaillaisauxportes

de la capitale, il est une nouvelle fois exposé auxbombardements qui commencent début avril. La Supérieuredécidealors,sanshésiteruninstant,detransformerànouveaularueVioletenhôpital.Lespremiersblesséssontamenésfinavril.Àladifférencedupremiersiège,lessœursn’accueillentpasdeshommesqui lesdéfendent,maisdes ennemis, ceuxmêmesquitraquentetmassacrentprêtresetreligieux.Danscesévénementstragiques,MèreMariedeJésuset lacommunauténecherchentqu’àrépondreàlavéritédeleurvocationdecharitéuniverselle.C’estpourquoileurmaisonestouverteàtous,quellesquesoientles divergences politiques et religieuses. L’avantage est que larue Violet, au contraire d’autres maisons religieuses, estmiraculeusement préservée de la violence des révolutionnairespendant toute la durée de la Commune. Les sœurs reçoiventaussidesvivres,quileurpermettentdenepasmourirdefaimetde nourrir les pauvres qui viennent demander du secours.L’inconvénient est qu’elles risquent de payer cher leurgénérositéquand lesVersaillais se rendrontmaîtresde laville.LorsquecesderniersentrentdansParis,ilspoursuivent,eneffet,les communards jusque sur leurs lits de malade : rue Violet,MèreMariedeJésusdoits’interposerelle-mêmepourempêcherlessoldatsd’acheverlesagonisants.Ilresteégalementlamenacepermanente des obus et des balles perdues. Durant ces deuxmois,AntoinetteFagen’a jamaisperdusonsang-froid;commependantlaguerre,elleafaitfaceseule,privéedusoutiendesondirecteur, et prouvé ses qualités de Mère supérieure. CommeÉtienne Pernet, elle est prête à tout pour se conformer à lavolontédeDieu:

«SinoussommeschoisiesduBonDieuetdestinéesparlui à passer par toutes les rigueurs de la plus extrêmepauvreté,àcepointd’êtreexposéesàmourirdefaim,à

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«Elleétaittrèsindépendante.»ParcequelesPetitesSœurssontsoumisesàuntravailharassantetconfrontéesàdesmilieuxtrèsdéchristianisés,ellepartagetotalementlesvuesdesondirecteursur l’importance de la formation spirituelle et les qualitésqu’ellesdoiventacquérir.Carlebutproposépourlessœursparlesdeuxfondateursn’estautrequelasainteté,etc’estpourquoitoutenmanifestantsatendresse,MèreMariedeJésuspratiquela correction fraternelle, écarte les postulantes dont elle doutequ’elles puissent acquérir les qualités qui en feront des sœursirréprochables, à la fois dans leur travail à l’extérieur et dansleur vie communautaire. Et à chaque fois, c’est un chagrinterrible.Comme lepèrePernet, elleveillepersonnellement surleurformationenassistantelle-même,parexemple,aucoursdel’histoire de l’Église dispensé aux novices. Son travail nel’empêche pas de mener une intense vie de prière : elle nemanque jamais lamessequotidienne,oùelle se tientàgenouxmalgrésesdouleurs;chaquejour,elleméditelesÉcrituresdelaliturgie,sanscomptercelled’unestationduchemindecroixunejournéeentière,ouunesemaine.Endécembre1874,elleprendl’habit religieux, se soumettant à l’avis du père Pernet, alorsqu’audépart, ellene lepartageaitpas : il lui semblait eneffetque les sœurs, vêtues ainsi, risquaient de se voir fermer desportes. Encore un exemple de l’obéissance qu’elle a toujoursmanifestéàl’égarddesondirecteur.Le3juillet1875,aprèslareconnaissance officielle de la congrégation par le diocèse deParis, elle prononce ses vœux canoniques avec trente autressœurs. Le soir même, une dame bienfaitrice, qui assiste à lacérémonieluiécrit:

« Madame, et bien chère Marie de Jésus. Je suisempressée à vous donner ce nom qui doit vous être sichermaintenant.Oui,jecomprendsvotrebonheur,votre

reconnaissanceetaussivotreconfiance.Voussavezavecquel intérêt j’ai suivi votre œuvre dès son origine etcombienj’aipartagédecœurvosépreuves.LebonDieua exaucé vos vœux et béni votre zèle.Quel bien, vousêtesappeléeàfaireauxâmesetaussiquellerécompensevousseraréservée!»

Le15octobre1878,àSèvres,ellefaitsesvœuxperpétuelsaccompagnée des Sœurs Marie de la Croix et Marie Joseph.Entre-temps, elle a dû personnellement batailler, carl’archevêchédeParisvoulaitgarder lesPetitesSœurssoussonautorité directe, en leur nommant un autre supérieurecclésiastique qu’Étienne Pernet. C’est avec le père qu’elle atout décidé et inventé, et il n’est pas question pour elle dechanger.Aufildesannées,letempsluimanquedeplusenpluspour s’entretenir en particulier avec son directeur, comme elles’enplaintavecsafranchisehabituelle:

« Permettez encore, mon bon Père, puisque je suis entraindevousouvrirmoncœur,que jevousdisecequiajouteàmessouffrances:c’estden’avoirjamaiscommeautrefoislafacilitédevousvoir,nidevousparlerseuleetlibrement.Pourquoimedirez-vous,nelepouvez-vousplus ?Là est le point délicat. Permettez-moi denepasvousledire,parcequejevousconnaisassezpoursavoirque vous le verrez… En me voyant marcher, vous mesupposiezbienétabliedanslasainteindifférencemaisiln’en est rien, et, en serait-il ainsi, je ne serais pasdispensée de venir à vous. Cela ne doit point vousétonner.Toutesmesenfantsont surqui s’appuyerpouralleràDieu:Père,Mères.Moi,jen’aiquevousseulenquijepuisseavoirconfiance,etjepuisvousaffirmerque

vousl’aveztoutentière.»

Pourtant,lepèreestconscientdelalourdechargequireposesur les frêles épaules de la Supérieure, alors que luimême estdébordé:

«J’aibeaumeraisonner,jesuisinquietquandmêmedetouslestracasoùvousdevezvoustrouverplongéeencemoment difficile. Dites-moi tout là-dessus ; la véritécomplète mettra mon esprit dans une assiette plustranquille, plus résolue aumoins que le silence ou lesréticences qui me font tout supposer. Quoi ? desconstructions?–Quoi?dunotaire?–quoi?ducréditfoncieretdesintérêts?–quoi?desdépensescourantesetdesfournisseursordinaires?Commentvosofficesdudimancheetlesconfessions31?»

À partir de 1878, la fidèle Eugénie – qui n’entrera jamaisdans lavie religieuse, toutenpartageant lavieet le travaildessœurs – semet à son service comme secrétaire. La souffrancephysiquedeMèreMariedeJésus,dontelleneseplaintjamais,s’aggrave en effet avec les années : avec le visage mangéd’eczema, de grandes difficultés pour se déplacer qui lacondamnentleplussouventaufauteuil,ellegardecependantlesourire.Sielleagardésonénergie,ellesentquelecorpsnesuitplus,commeellel’écritàsondirecteur:

« Pauvre cœur, que peut-il tout seul quand le corpsfléchit et que la vie de l’intelligence se ressent de lafaiblesse corporelle. Quels que soient ses élans, illanguit et semble s’étiolerparceque l’enveloppequi lecontient ne lui laisse aucun essor pour l’action. Mais

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encorecarnousn’avonsplusaucune ressourceet jenevois aucun moyen de nous en procurer. Comment sedisperser et où se réfugier, si Dieu ne nous vient enaide?Sérieusequestiondontilestimpossibledenepasse préoccuper pour vous d’abord, sinon pour tous etd’unmêmecoup.Jevousentendsmedire:monenfant,ayonsconfianceenDieu.Oui,monbonPère,vousavezraison pour chacun de nous en particulier, mais si entout temps les Pères et lesMères ont reçu de Dieu lamission de veiller sur les enfants qu’il leur a confiés,commentpourraient-ils,dans les tempsmalheureuxquenoustraversons,nepascraindrechaquejourdelesvoirexposésauxhorreursdes révolutions? Jeveuxchasserde mon esprit ces pénibles pensées, je ne puis, ellesreviennentsanscesse44.»

LeshorreursdelaCommunen’étaientpassilointainesetenmatière de révolution, ils en ont déjà traversé deux. Dans saréponse,lepèrePernetessaiedelarassurer,luiassurantquelescongrégationsfémininesneserontpas inquiétéesetqu’ellen’arien à craindre pour ses filles. Par contre, il est sûr que lescongrégationsd’hommes«seronttoutesexécutées»;maisle7octobre,ilestnettementpluspessimiste.

«Dans ledernierconseil tenuparnosministres,mardidecette semaine, il auraitétédécidéque l’on fermeraitleschapellesdetouteslescongrégationsnonautoriséesetquel’onprocéderaitàcettefermeturegénéralelejeudiet le vendredi suivants, c’est-à-dire aujourd’hui etdemain.Sicelasefait,ceseracommeuncoupdefoudrequiauraéclatésurlestêtes;ceseraenmêmetempsuncoupdudiabledesplusperfides,despluscruelsetdes

plus habiles pour le mal incalculable qui en sera lasuite.»

La rumeur s’avérera encore fausse, ou du moins remise àquelquessemaines.LesSœurscontinuentleursgardescommesiderienn’était,maissontquandmêmerassuréesderetrouverenoctobre leur Supérieure qui, dès son retour, s’organise en casd’expulsion.Sursesprudentsconseils,lepèrePernetluiremettouslesécritsrelatifsàl’œuvrequ’ilconservaitdanssacellulerue François-1er et que Mère Marie de Jésus s’empresse demettreenordre.Bienluienapris,carle5novembreaprèslesBarnabitesetlesCarmes,lesAssomptionnistessontexpulsésdela rue François-1er à 6 heures du matin. Ils se trouvent alorsréunis à la chapelle pour la messe, qu’ils terminent etpoursuiventenchantantdesMisereresanss’occuperdesagentsprésents. À 8h30, ces derniers, lassés, intiment l’ordre auxreligieux de cesser l’office et de quitter les lieux. Ce n’estqu’après avoir porté le Saint-Sacrement à la sacristie, qu’ilsquittentlarueFrançois-1erpourserendre,àpiedetenrécitantdes rosaires, avenue d’Antin, où ils peuvent se réfugier. À 10heures, le père Pernet vient rue Violet célébrer sa messe. LemêmejourlesnovicesalorsàSèvressontexpulsésàleurtouretsont accueillis par un ami des pères,M.Février, rueBayard àParis.Leursmalheursnes’arrêtentpas là,car lepèred’Alzon,dont la santé s’est beaucoup affaiblie depuis quelques années,est au plus mal à Nîmes. Le père Picard y est parti dès lelendemaindel’expulsionetc’estlepèrePernetquileremplaceavenue d’Antin. La Mère Marie de Jésus, elle, se débrouillepourtrouvertoutcequimanqueenvêtements,linge,meubles,etnourritureauxproscrits.Pendantcetemps,alorsquelesagentssont aux portes de son collège, le père d’Alzon s’éteint

doucement àNîmes. Ilmeurt le 21 novembre, en la fête de laPrésentation de la Vierge Marie, à 70 ans. Lucide sur sonépoque, et homme de combat, il n’en était pas moins pleind’espérancesurlarésistancedel’Égliseauxsecoussesviolentesdel’époque:«Regardezautourdevous,disait-ilquelquesjoursavantdemourir,qu’est-cequinetombepasexceptél’Église?»C’estunegrandepertepourlepèrePernet,commepourtoutelafamillereligieuseassomptionniste.Aprèslesobsèques,ilécritàMèreMariedeJésus:

«Jen’aijamaisrienvu,nirienéprouvédepareildemavie.C’étaitletriomphed’unsaintquiserévèlequandiln’est plus. Lorsqu’il était exposé à la chapelle ducollège, la foule ne désemplissait pas de ceux quivenaient prier aux pieds duPère et faire toucher à soncercueillesobjetsqu’onavaitàlamain.»

Le lendemain, lorsd’uneseule séanceduChapitre, lepèrePicard est élu, à l’unanimité, Supérieur général de lacongrégation.Auretour, lepèrePernets’arrêteàsontourdanslacommunautédePerpignan.L’année1881s’annonce sousdemeilleursauspicescarlapersécutionsembleépargnerlesPetitesSœurs. Malgré cette épée de Damoclès, les fondateurscontinuentàétablird’autrescommunautésenFrance,cequifaitécrirelepèreFaucillonàsonanciennedirigée:

«Ellesvontbien, vosœuvres ! jevous admirede fairedes fondations en ce moment. Vous avez une foi àtransporterlesmontagnes.QueDieuvousassistedanslamesuremêmedelaconfiancequevousluitémoignez.»

Mère Marie de Jésus espère enfin pouvoir se rendre à

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ainsi chaque fondation en tenant compte en plus, à la fois del’avis de son Supérieur, de celui de Mère Marie du Saint-Sacrement,delaquestionde«personnelreligieux»etdeleursressources:unéquilibredélicattoujoursdifficileàétablir.

HommedeprièreabandonnéàDieu,iln’enestpasmoinsunactif,quitravailledurement:«Lefondementdemonespérancepour cette grande œuvre de Jésus-Christ, c’est que nous nesommes rien, et qu’il a fait et continue à faire tout de rien,quandils’agitdesinstrumentsqu’ilsechoisit.Celaneveutpasdire que nous devons nous croiser les bras, rester oisifs, etregarderlaruecommelesapôtresetlesdisciplessurlemontdel’Ascension, et quand N-S eut disparu. Nous mourrons à lapeinepourlacausedeN-Setcelledenosenfants,toutennousconsidérant jusqu’à la fin, comme des serviteurs inutiles9 »,écrit-ilàMèreMarieduSaint-Sacrement,quisetrouvealorsàLondres. Ils se partagent en effet les visites des communautés,maislui-mêmeneménagepassapeine:parexemple,pourcetteseuleannée1885,enfévrier,ilestàLyond’oùilvaàPerpignanet à Nîmes en mars ; en mai, il est à Lyon ; en septembre-octobre,àLondresetàDublin;iln’yapasuneannéeoùilnes’absentedeuxàtroismois,pourdesvoyagesfatigantsetlongsen bateau, train ou voiture. L’âge et les ennuis de santé ne lefreinerontaucunement;chaquefondationnouvelleluidemandeun voyage de prospection et ensuite c’est une nouvellecommunauté à ajouter pour les visites annuelles, sans compterlesDamesServantesetlesFraternitésquisedéveloppentautourdes fondations. Après Nîmes, est fondée une deuxièmecommunauté à Londres (1886) ; un Londres auquel il estparticulièrement attentif, tant il a été touché par la misèreouvrièrequiyrègne,sansaucunéquivalentailleursenEurope.Ils’y est aussi fait un ami en la personne du cardinalManning,

archevêque de la ville. Celui-ci s’intéresse également de trèsprèsàlaconditionouvrièreetpartagelemêmerêveapostoliquequ’Étienne Pernet, comme celui-ci le confie àMèreMarie duSaint-Sacrement:

«SonÉminencem’aconfiésonrêvefavoriquiétaitderefairela«domesticity»–lafamille–chezlesouvrierset les gens du peuple, en lui rendant son vrai et seulfondement, Jésus-Christ, que la politique des tempsmodernes et la libre pensée ont renversé et détruit etveulentencoreplusrenverseretdétruire10.»

Le développement à l’étranger s’explique aussi par uncontextepolitiquemenaçant, sur lequel lepèrePernet est sansillusion.Pourpareràl’avenirincertain,lesfondationshorsdesfrontières de l’Hexagone, peuvent êtres des solutions de repliprécieuses.Cequin’empêchepas,parailleurs,defonderaussien France. Une deuxième communauté est en effet fondée àLyon (1887) ; ensuite ce sera Dublin et New York (1891).Concernant cette dernière, l’immense océan n’est pas unobstacle suffisant pour empêcher le père Pernet de faire unevisite : le 29 avril 1893, alors qu’il approche des soixante-dixans, et a subi de sérieux accidents de santé, il s’embarque auHavreaccompagnédequatresœursàdestinationdeNewYork11.Unevillequ’ilvaarpenterpourladécouvrir,commeillefaitàLondresetdanstouteslesvillesinconnues.C’estparseslettres,fourmillantdedétails,qu’estrévéléesagrandecuriositéd’esprit,son ouverture aux autres et son incroyable capacitéd’adaptation;plongéaucœurdunouveaumondesidifférentdela vieille Europe, il ne met que quelques jours pour encomprendre le fonctionnement : «Ce qui frappe àNewYork,

écrit-il12, c’est l’agitation et lemouvement dans tous les sens,desavenuesetdes rues…En foule,danscepayscommedanslesautres,oncourtaprèsl’argent,oncultiveleveaud’or,maisilyacettedifférencequedanslesautresrégions,onenprend,onen laisse, on ne va pas à ce qui coûte trop, tandis qu’à NewYork, tout lemonde peine, chacun veut être par sesœuvres etarriverenneseménageantpas»;ouencore:«J’aimel’activité,l’expansion et la raison pratique des gens d’ici. Ils ne vousdisentpasdeparolesbanalesetnefontpasdemouvements,nidedémonstrationsinutiles13.»Dansuneautre lettre, ilnote lapuissance des Jésuites et la nécessité de ne pas s’en faire desennemis. Aux États-Unis, comme ailleurs devant des paysagesgrandioses,ilsaits’émerveillerdeleurbeauté:«Nousétionsàcinquantelieuesàpeuprèsdanslesterresetsurlarivedroitedel’Hudson. Les horizons sont à perte de vue, malgré desmontagnes toutes couvertes de demeures, de fermes et defabriques. Par une belle journée, c’est féerique tant c’estgrandiose»,écrit-ilaprèsavoirétéinvitéchezdesfamillesamiesaux environs de New York14. Après un mois d’un séjouréreintant, où il a notamment lancé les Dames Servantes, ilreprend le bateau pour repartir directement sur Nîmes où sepréparentdesfêtesenl’honneurdupèred’Alzon.IlneregagneParisquedébutjuin.AprèslafondationdeDublin,c’estSaint-Étienne (1892) puis une troisième communauté dans lesenvirons immédiats de Lyon (Oullins 1895), une seconde enIrlande (1897), Amiens et Saint-Ambroise à Paris (1898) etRoanne (1899) quelquesmois avant samort.Mais ce ne sontpasseulementlessœursquimobilisentlepère.Ilyaaussitousles laïcs qui gravitent autour des communautés, DamesServantes, Frères de la Fraternité, Décurions et les dernièresarrivées,maistoutaussivigoureuses,lesFillesdeSteMonique:

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permettentàchacundedéveloppersacapacitéd’aimer,d’entrerenrelationavecsesprochesetavecDieu.

Comme aux premiers jours, leur témoignage nous inviteaujourd’huiànouslaisserétonner,enseignerparlanouveautédel’Évangile et par la nouveauté du monde dans lequel nousvivons. L’esprit y est à l’œuvre d’une manière inattendue quinous déroute parfois, mais Jésus nous l’a promis, Il est avecnoussurtousnoscheminsjusqu’audernierjour(Mt28,20).

« Va, dit le Seigneur, avec cette force qui t’habite !N’est-cepasmoiquit’envoie2?»

Alors que dans la vieille Europe les effectifs et les forcesvives de la Congrégation s’amenuisent, des appels viennentd’ailleurs.LesderniersChapitresgénérauxontchoisi lavieentransmettantlecharismedansd’autreslieuxdesouffranceetdefragilité,maisaussidegranderichesseculturelle,oùl’intuitionfondatriceselaisserainculturer.ÉtiennePernetnenousavait-ilpasdit:

« Vous irez partout, parce que partout il y a desmalades, des pauvres, des âmes à sauver… l’universentiervousestouvert!»

«Va,ditleSeigneur,aveccetteforcequetuas!Oui!C’estmoiquit’envoie.»

SrBernadetteGUYOT

1. Thème du dernier Chapitre général des Petites Sœurs del’Assomption.

2.Jg6,14.

Table

Avant-Propos,deSrM.F.PHELIPPEAUPréface,deSrLucieLICHERI

Introduction

Lesoriginesd’ÉtiennePernetLesquatreannéesdetravailetd’épreuve(1845-1849)Lesdébutsavecl’Assomption(1849-1863)UnprêtreassomptionnisteaccompliAntoinetteFageetsespremierspasauxcôtésdupèrePernetÀl’œuvreensembledanslestribulations(1865-1870)L’épreuvedelaguerreetdelapersécutionLetempsdelacroissanceLesdernièresannées(1883-1898)

Conclusion,deSrBernadetteGUYOT

Achevéd’imprimersurlespressesdel’imprimerieenavril2013

N°d’imprimeur:XXXXX

Dépôtlégal:mai2013ImpriméenFrance

CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

542/2013