Passeurs de mémoire

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récits de plusieurs personnes sur la Garonne

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sommaireBAUDET Joël / p 4-5BILLA Jean-Marie / p 6-7CAZENAVE Claude / p 8-9COUTHURES Marie / p 10-11DEJEAN George / p 12-13HILAIRE Michel / p 14-15JORNET Jean-Claude / p 16-17LABROUSSE Nadine / p 18-19LAHEURTE Jean-Louis / p 20-21LEGLISE Roger / p 22-23MIOT Alain / p 24-25SOUCARET Robert / p 26-27THOMAS Aline / p 28-29TOITOT Paul / p 30-31TROUTET Marie-Christine / p 32-33

éditoLa parole se libère,

Comme délivrés du fond de la mémoire, les souvenirs ressurgissent.Ce recueil de témoignages nous dévoile une Garonne insoupçonnée,pourtant si proche, la Garonne d’hier…

Association Vacances Loisirs

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« Je n’ai pas voulu assister à la destruction du pont car cela me fendait les tripes »

M. Baudet est né à Langon en 1949 et vit au Bas Pian depuis 1989.

C’est avec enthousiasme que Joël nous raconte :« Le pont ? Oh oui, je m’en souviens ! A l’époque ma grand-mère habitait encore à Langon et je le prenais à chaque fois que nous allions lui rendre visite. Au bas de chacun de ses piliers, il y avait une énorme drague faite de poulies et de trémies. Je dois vous avouer que j’en avais une peur bleue lorsque je les voyais. La plupart des souvenirs que j’ai du pont sont liés à cette drague. C’était un pont majestueux, imaginé par Gustave Eiffel et construit selon les techniques du «pont poutre ». Malheureusement il fut détruit en 1975 mais il était déjà condamné depuis 1971 lorsque l’on a vu surgir des eaux son successeur : un large pont en béton qui, selon les élus de l’époque, fluidifierait le trafic. Il aura vécu 70 printemps… ».Après une courte pause, il reprend, quelque peu contrarié :« En 1858, nos aïeuls avaient construit le chemin de fer dans un esprit de modernité. Ils pensaient alors que cela permettrait de renflouer l’économie locale. Ce n’est pas pour autant que les communes avoisinantes se sont vues valorisées. Un siècle après le même raisonnement a été suivi. Sont apparus alors l’autoroute, la «rocade» et enfin l’objet de tous les maux : le pont. Suite à une bataille acharnée de quatre ans, entretenue par les Macariens, l’ancien pont a décliné. La Garonne est une frontière effective entre Langon et Saint Macaire et la démolition du pont n’a fait qu’accentuer cette frontière, attisant ainsi les discordes. Je me suis battu pour ce pont qui avait le tort d’être vieux à une époque où il fallait être résolument moderne. Les années 70, période de toutes les exubérances ont eu raison des coutumes locales. L’autoroute a également contribué à la disparition de certaines activités en bords de Garonne. En effet, c’est en récupérant le gravier que les ouvrages liés à l’autoroute furent construits. Ce dragage a dévasté la Garonne, certains peupliers en sont même tombés, ce fut un saccage écologique et archéologique ! Je me rappelle que ce dragage massif a été dangereux à tel point que plusieurs personnes se sont noyées. Toutes les baignades ont alors été interdites. J’adorais cet endroit, théâtre de mes plus beaux souvenirs ».Le regard triste il poursuit :« J’ai également été acteur de la crue de 1981. À l’époque j’étais conseiller municipal à Saint Macaire. Heureusement, sur les conseils de mon père, j’avais rénové ma maison de sorte qu’en cas d’inondation je ne déplore que peu de dégâts. J’avais remplacé la tapisserie par de l’enduit lavable, le sol était fait de carrelage et j’avais prévu l’enlèvement des radiateurs électriques. J’avais même construit un batardeau en bas de la maison pour tenter d’empêcher l’eau de rentrer. En vain, j’ai tout de même été inondé. Les lignes électriques étaient coupées et les routes impraticables; nous étions coupés du monde. Le seul moyen pour nous de relier Saint Macaire à Langon était de passer par le viaduc du chemin de fer. Le gouvernement a décrété l’état de crise quand l’eau a cessé de monter !

Joël Baudet

Il devait être vingt heures quand on a vu arriver plus de deux cents hommes, personne n’étant au courant de leur venue. Il a fallu s’organiser tant bien que mal pour les loger et les nourrir; on a donc investi la salle des fêtes pour les accueillir et la maison de retraite pour préparer les repas. Quelle pagaille ! ».C’est avec une pointe de nostalgie dans la voix, que Joël se replonge dans le passé :« Enfant, j’adorais pêcher. Moments privilégiés avec mon père. Nous n’étions pas les seuls à apprécier la pêche, plusieurs dizaines de personnes remplissaient les plages de gravier chaque fin de semaine. Un jour, toujours accompagné de mon père, je suis arrivé sur le lieu de pêche à trois heures du matin pour être certain d’avoir une place pour pêcher la mule. Nous avions dormi sur les bords de Garonne emmitouflés dans un sac à patates. Et je dois dire que je n’ai pas eu très chaud cette nuit-là ! Lorsque la chance n’était pas au rendez-vous, je regardais les péniches passer, aussi belles les unes que les autres. Chacune d’entre elles, avait un nom et une couleur propre, les couleurs indiquant la marchandise transportée, et le nom correspondant à une ville de France. C’est ainsi que j’ai pris mes premiers cours de géographie ! ».

Quelques bons souvenirs en bords de Garonne :« Tous les ans, au printemps, les hannetons arrivaient sur les bords de Garonne. Ces petits insectes voisins du scarabée, à la vie éphémère, ont disparu avec le temps. Nous prenions un malin plaisir à les capturer et à les attacher par la patte pour ensuite s’en servir comme cerf-volant. Je me souviens aussi des jours de classe pendant lesquels nous nous amusions à entasser un bon nombre de ces insectes dans une grosse boîte d’allumettes que nous agitions et que l’on entrebâillait pour les laisser sortir un par un en classe. L’institutrice qui, à l’époque, nous faisait cours, avait une peur bleue de ces petites bêtes et par

conséquent nous laissait sortir dans la cour. Un bon moyen pour nous d’échapper aux leçons et d’aller jouer au football. Quelle belle époque ! ».Le sourire aux lèvres Joël continue :« Mon père avait entendu parler d’une loutre qui attaquait les poules dans le village. À cette époque je devais avoir dix ans. Un matin, alors qu’il faisait froid et que la gelée blanche recouvrait les berges, il a vu à quelques mètres de lui une petite masse noire faire des allers-retours. Persuadé que c’était la fameuse loutre, mon père l’a mise en joue. Il a tiré. Dans un cri strident, il a entendu un hurlement et le mot : « ASSASSIN » provenir du fossé. C’était un chasseur, un petit homme coiffé d’un béret qui, pour lutter contre le froid faisait des allers-retours dans le fossé en attendant le gibier » .

Merci à Mr Baudet pour son savoir et ses souvenirs qu’il a bien voulu nous faire partager.

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« La Garonne était un lieu de sérénité.Elle n’appartenait à personne. Tout le monde y était libre »

Jean-Marie Billa, sexagénaire à la carrure imposante, arrive dans nos locaux. Très intimidés, nous débutons par une séance photos, pour nous mettre en confiance. Malgré tout, nous commençons l’entretien quelque peu impressionnés. Les bras chargés d’Histoire, Jean-Marie, ancien maire de Saint Macaire, nous raconte :

« Saint Macaire s’est développé grâce au commerce fluvial au XII° siècle. La région toulousaine apportait du blé aux Bordelais et inversement avec le vin. Pour l’anecdote, à cette époque, plus le vin était jeune et plus il était cher. Au Moyen Age, le vin rapportait beaucoup, ce qui a suscité la monoculture de la vigne. Le privilège du vin va se maintenir jusqu’à la Révolution. A l’époque de la colonisation, les marchands de Saint-Macaire sont partis aux Antilles pour la « traite des Noirs » car ils gagnaient bien mieux leur vie. Le négoce de Bordeaux est donc repris par des marchands étrangers. C’est pour cela qu’aujourd’hui les négociants sont d’origine étrangère. L’histoire du vin n’aurait pas été aussi forte s’il n’y avait pas eu la Garonne, elle avait un rôle très important dans son exportation. En 1830 est créé le canal latéral à la Garonne, de Toulouse à Castets. Il a été fait pour faciliter la navigabilité sur la Garonne mais le train est arrivé entre temps. Il n’a donc pas tellement servi. Les ports ont joué peu à peu un rôle très secondaire. Avant la Révolution, on ne modifiait rien au lit du fleuve, on s’adaptait. Mais quand il y avait trop de navires, on s’ancrait à distance et une petite barque faisait des allers retours pour décharger la marchandise. Au XIX° siècle, les Ponts et Chaussées ont fait des travaux colossaux pour obliger la Garonne à fonctionner comme jamais elle n’avait fonctionné. Saint Macaire s’est donc tournée vers le nord, elle a tourné le dos à la Garonne. Cette ville s’est donc développée vers la gare (construction des écoles…..) ».

Il continue :

« Des inondations ? Oh oui, j’en ai connu beaucoup. Je me souviens qu’un jour on a failli déménager une chaudière. Il s’en est fallu de peu, l’eau n’est pas montée jusqu’à elle. Heureux d’avoir échappé à cette corvée, nous avons ouvert le champagne. La malchance a fait qu’une équipe télé avait prévu de venir couvrir l’évènement chez nous. Elle nous a donc trouvés en train de boire le champagne…. Imaginez-vous ! Attention, les inondations ne sont pas si néfastes que l’on peut croire. Elles sont du pain béni pour les terres car elles les fertilisent, elles ne les asphyxient pas. La Garonne était notre univers. On en avait trois : les côtes (les vignes et les bois), la plaine (le village) et le bord de l’eau (jusqu’en sixième, je croyais que ça s’écrivait « bordelo »!). Cela faisait partie de notre quotidien. On y jouait à la dinette

Jean-Marie Billa

avec des bouses séchées comme nourriture. On s’y baignait, on y pêchait. Bref, on y était tout l’été. Malheureusement, le dragage nous a privés de cet univers. L’exploitation se faisait au bout de l’ancien pont. Pour éviter les gravières sur terre, on les a autorisés à draguer depuis la berge. Ils travaillaient la nuit avec des projecteurs. On a vu disparaître les hauts-fonds et la berge douce qui descendait, est devenue une falaise. On a bien compris que c’était un désastre ».

Après cet épisode qui a refroidi quelque peu l’ambiance, les bons souvenirs reprennent le dessus. Jean-Marie reprend avec un large sourire :

« Je me rappelle de mon adolescence et des indénombrables « flirts » qu’a connus « La France », fameux lieu-dit au bord de la Garonne. Il était entouré d’arbres, il y avait une certaine discrétion. C’était le lieu systématique pour les rendez-vous amoureux. Je me souviens que l’on raillait sur ça : « Cet après-midi, on t’a pas vu ! T’étais à la France ? ». Les gens du voyage nous amenaient des poireaux sauvages, appelés aussi « baraganes » et on les cuisinait avec les lamproies ou pour faire une soupe. On disait « lamproillonner » pour dire bécoter car les lamproies sont des sangsues qui, rassemblées dans une caisse, se collent entre elles et font un bruit de bisou. Les discussions de nos parents ressemblaient donc à cela : « Elle est où ta fille ? Partie lamproillonner à la France ? ». Le fleuve faisait partie de notre quotidien. C’était la différence avec les autres villes. J’ai été élevé à l’odeur de la vase. Selon les conditions climatiques, on les sentait plus ou moins. On pouvait se comprendre entre habitants des villes du bord de Garonne. Mais ceux qui étaient au bord du Dropt, par exemple, ne nous comprenaient pas. Pour eux, on parlait chinois.Sur le bord de Garonne, il n’y avait pas d’histoires de quartiers. Je me souviens qu’un jour je faisais du vélo avec mon cousin et on était parti deux quartiers plus loin. Il a fait « un soleil » car les enfants de ce quartier avaient tendu un fil pour nous piéger. Après sa belle chute, on a entendu « on l’a eu !! ». La Garonne était un lieu de sérénité. Elle n’appartenait à personne. Tout le monde y était libre ».

C’est dans un éclat de rire qu’il termine :

« Les pêcheurs s’asseyaient sur le banc ayant toujours quelque chose à dire. Ils racontaient leur vie et on s’en amusait. Ils étaient vieux. Enfin pas tellement ! Gamins, on avait du mal à déterminer les âges. Un jour l’un deux a dit qu’il avait rêvé d’un pendu. On a décidé de lui faire une blague… je vous laisse imaginer la suite ! ».

Un grand merci à Jean Marie pour son récit aussi riche que drôle. 6 7

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« Une belle époque mère de souvenirs intarissables. »

Claude Cazenave est né à Langon en 1948 et vit à la R.P.A de Saint Pierre d’Aurillac depuis mai 2008.

Ma vie sur les bords de Garonne :

« J’ai toujours vécu aux alentours ; je suis resté à Saint Macaire jusqu’à mes quatorze ans. Aimant l’art culinaire j’ai passé mon C.A.P de cuisinier à Langon et à vingt ans j’ai intégré l’armée. Grâce à mon service militaire, j’ai beaucoup voyagé. L’Espagne, la Suisse, les Pyrénées Orientales font partie des endroits que j’ai eu la chance de découvrir étant jeune. J’avais vingt-six ans lorsque je me suis marié. La nature a bien fait les choses car elle m’a donné deux beaux enfants ; un garçon et une fille qui ont eu à leur tour le bonheur de devenir parents. Eh oui, je suis trois fois grand père !

A l’époque, la Garonne était un lieu de rencontre. L’eau était propre, tellement claire que l’on pouvait s’y baigner. L’été, tout le monde se retrouvait sur les plages de gravier pour fuir la chaleur. On pouvait observer les poissons s’aventurer près de nous, on pouvait même apercevoir au bord de l’eau des lavandières. Un peu plus loin des nécessiteux prenaient leur bain.

Des bateaux longeaient la Garonne jusqu’au canal du midi en transportant avec eux tout le commerce fluvial. Tant de choses qui faisaient de la Garonne un lieu animé et convivial. Il y avait un pont métallique qui reliait Saint Macaire à Langon. Qu’il était beau ce pont ! Construit selon les techniques de Gustave Eiffel. Malheureusement il fut détruit en 1975. Pour le démembrer, les ouvriers durent placer des rouleaux sous chacun des piliers et tout en le faisant glisser du côté de Saint Macaire, ils le tronçonnèrent morceau par morceau. Je crois même que les restes du pont furent vendus aux pays voisins.

En 1981, j’ai vécu une des plus grandes inondations du siècle (avec celle de 1930). La crue était tellement puissante que l’eau monta jusqu’au chemin de fer. La route était submergée, les champs dévastés et le seul moyen pour les habitants de relier Saint Macaire à Langon était de prendre le train. La Garonne mit près d’une semaine à rejoindre son lit en laissant derrière elle, boue, déchets, cadavres d’animaux et une odeur nauséabonde ».

C’est en se remémorant quelques bons souvenirs, que Claude retrouve le sourire :

« Étant jeune j’allais pêcher sur les bords de Garonne. J’étais loin d’être un professionnel, mais j’aimais passer du temps assis sur ma chaise et le bouchon dans l’eau ! Hélas les poissons n’étaient pas toujours au rendez-vous. Qu’importe ! Car je m’y plaisais. Dans le temps il y avait des concours de pêche et tous les dimanches, des dizaines de pêcheurs amateurs se donnaient rendez-vous sur la place de l’horloge de Saint Macaire et c’est en fanfare, la canne sur l’épaule que

Claude Cazenave

nous nous rendions tous ensemble sur le lieu du concours. Je n’en ai jamais gagné un seul, j’y allais juste pour passer un bon moment avec mes amis. Tant de choses qui ont disparu avec le temps, une belle époque mère de souvenirs intarissables ».

Merci à Claude pour le temps qu’il nous a accordé et pour ces souvenirs qu’il nous a fait partager.

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«Une modernité qui divise»

Marie Couture est née le 31 Août 1919 à Casseuil.

Nous sommes arrivés chez Marie accompagné d’un habitant du village de Saint Pierre d’Aurillac. Méfiante elle accepte de nous ouvrir la porte et c’est en chaussettes qu’elle nous accompagne dans la cour pour nous montrer avec fierté son échelle des crues. Elle nous explique alors qu’à chaque trait correspond une année puis nous guide vers son salon :

« Je suis née à Casseuil. Lorsque j’avais quatorze ans mon frère aîné est parti à l’armée. J’ai alors quitté l’école car mes parents avaient besoin de moi : Ils n’avaient pas les moyens de payer un ouvrier pour s’occuper des terres. »Présentation faite, le dialogue s’installe alors. Marie peut enfin nous faire part de ses souvenirs de Garonne :« Le commerce fluvial ? Je ne l’ai pas connu mais mes parents m’en ont effectivement parlé. Ils m’ont raconté qu’au début du siècle naviguaient sur la Garonne, péniches et autres transporteurs de vin en barrique. Tout passait par le port, tout se faisait par la Garonne. C’était l’axe principal du transport de marchandises. Mon père la connaissait bien cette Garonne ! Il était pêcheur. Malheureusement pour nous, chaque prise revenait au chat. Quel dommage ! Mes souvenirs les plus marquants sont liés aux inondations. La plus ancienne et la plus importante est celle de 1930. Je n’habitais pas encore cette maison, et heureusement, car comme vous avez pu le constater sur l’échelle des crues je serais restée coincée au premier étage ! Vingt-deux ans après, la Garonne nous a encore rendu visite. Cette fois-ci j’étais installée dans cette maison seulement depuis un an. Je me souviens que l’eau était montée jusqu’à la nationale. Les habitants se promenaient en barque et prenaient le pâté de maison comme rond-point ! C’était une drôle de journée ! Ce n’était qu’au pic de crues que la Garonne montait jusqu’à la maison. On l’accueillait qu’une nuit pour la voir partir dès le lendemain matin. Elle nous laissait la maison et le jardin dans un piteux état ! J’espère qu’elle ne reviendra pas ».

Sur quelques souvenirs, Marie termine :

«Quand j’étais jeune je ne sortais pas, je ne me promenais jamais sur la Garonne. Et puis de toute façon elle était inaccessible, il y avait bien trop de ronces. Aujourd’hui on y a accès. Les enfants peuvent s’y promener tranquillement. J’ai quand même l’impression qu’avant on était plus heureux. Je ne sens pas les jeunes d’aujourd’hui aussi heureux qu’avant. De nos jours on ne se connait plus entre voisins. Avant on vivait plus groupés, on était plus solidaires ».

Marie Couthures

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« Ma vie est pavée d’anecdotes »

Georges Dejean est né le 21 décembre 1925 à Saint Pierre d’Aurillac. Ancien viticulteur et bon vivant, c’est avec le sourire qu’il nous reçoit.

Petit cours de géographie :

« La Garonne ?! Je vis avec depuis que je suis petit .Elle prend sa source au Val d’Aran en Espagne. Affluents : le Tarn, le Lot et l’Ariège du côté droit. Pour ce qui est du côté gauche, la Save, le Gers et la Baïse. Enfin la Dordogne et la Garonne se rejoignent pour former l’estuaire. Dans le temps, on nous enseignait les cours d’eau ainsi que leurs affluents et figurez-vous qu’à quatre-vingt-cinq ans je m’en souviens encore ! ».

Georges, d’humeur légère, nous raconte :

« Mes plus lointains souvenirs remontent au temps du commerce, quand les petits pois croisaient les barriques de vin sur la Garonne. Je me souviens du « Belem », un de ces bateaux qui venaient m’embêter lorsque je pêchais. Les courants formés par son passage, ont une fois submergé ma barque. J’aurais pu me noyer ! En parlant de barque, lors d’une des plus grosses inondations, celle de 1952, je promenais ma fille sur cette même barque dans le jardin. Ah cette bonne vieille barque ! A chacune des crues la commune recevait une dépêche, comprenant les prévisions de Marmande, La Réole et Langon. A cette époque, nous possédions deux paires de vaches, et on mettait l’une des deux en sécurité dans l’étable d’un voisin. Pour ne pas perdre nos petites récoltes de carottes, nous allions en vitesse arracher toutes celles qui étaient bonnes à manger. Eh oui, ma vie est pavée d’anecdotes ».

Avec un large sourire, il continue :

«Amateur de chasse aux canards, tous les matins avec quelques collègues une heure et demi avant l’embauche, nous allions taquiner le gibier. On partait chacun avec trois appeaux, dans le noir jusqu’au bord de la Garonne, sans lampe électrique, seuls nos yeux suffisaient ! Nous avons eu, un jour, la désagréable surprise de compter vingt-quatre bateaux munis de drague. Ils étaient là pour approfondir la Garonne. Le maire de l’époque a tenté de sauvegarder la plage, mais, en vain… Les bateaux draguaient en aval et en amont. A chaque courant le peu de gravier qui nous restait foutait le camp ! La plage a disparu. Avant les dragues, tous les dimanches avec mes copains on se retrouvait pour aller se baigner dans la Garonne. Tout le monde savait nager, on n’avait pas besoin de moniteur ! La pêche rythmait aussi notre quotidien. Ces années-là, la pêche au « coul » (grande épuisette) se pratiquait beaucoup et on attrapait de tout. Certains s’intéressaient plus particulièrement aux lamproillons, sortes de petites lamproies, car c’était l’ingrédient phare des fêtes de fin d’année. Il y avait aussi trois pêcheurs professionnels. Eux pêchaient à la birole, à chacune de leur prise

George Dejean

c’était l’effervescence au village. Le premier esturgeon que j’ai vu faisait soixante kilos. L’école avait appris la nouvelle et le maitre a arrêté la classe pour aller le voir. Une femelle esturgeon, énorme et remplie d’œufs. J’étais un féru des concours de pêche ! L’été je participais aux concours de la commune et aux intercommunaux. Ma meilleure place ? J’ai fait 2ième. Le premier m’a coiffé d’un poisson, il en a attrapé deux d’un coup. Je me souviens aussi de Monsieur « rigolo », il fabriquait une ligne avec un hameçon et un bouchon énorme. Il menait la danse ! En hiver on s’occupait comme l’on pouvait. L’hiver 1940 a été très froid, des blocs de glace entiers déambulaient le long du fleuve. Les Ponts et Chaussées avaient un dépôt de pavés juste après le pont Eiffel, et, pour s’amuser on a décidé d’en prendre quelques-uns pour les jeter sur les blocs de glace, et figurez-vous qu’ils ne se sont même pas brisés ! Je vous laisse imaginer l’épaisseur de ces monstres flottants ! ».

Après nous avoir montré quelques photos, Georges reprend :

« Je n’ai pas assisté à la démolition de l’ancien pont mais j’ai volontiers assisté à l’inauguration du nouveau ! L’ancien pont avait déjà failli être démoli une première fois en 1944, lorsque les Allemands l’avaient miné pour stopper l’avancée des FFI qui arrivaient de Saint Macaire. Il a survécu grâce à un téméraire qui a réussi à couper la mèche à temps. Je n’ai jamais vraiment compris le combat qui a été mené pour conserver ce pont. Je pense que le nouveau est bien plus pratique pour le trafic d’aujourd’hui ».

Et c’est par un des moments de sa vie les plus marquants qu’il termine :

« Je me suis marié en avril 1948, le 14 juillet de cette même année, nous sommes allés ma femme et moi nous promener en barque. En arrivant face au port, je vis un avion changer de cap et se diriger droit sur nous. J’ai immédiatement ordonné à ma femme de se baisser et de s’agripper de toutes ses forces tout en me servant de ma palme comme stabilisateur. Les cheveux de ma femme, de belles anglaises, ont volé sous le vent, la roue du train arrière gauche de l’avion a effleuré ma tête et j’ai même pu relever le numéro d’immatriculation apposé sous son aile. Je crois qu’il a dû se faire très peur car on ne l’a jamais revu. Les gens du port, eux, ont tellement eu peur que le soir même, ils venaient tous nous voir un par un en nous disant qu’ils nous avaient vus morts l’espace d’un instant. Voilà une blague qui aurait pu sacrément tourner au vinaigre… Un mal pour un bien le soir au bal on était les rescapés du 14 Juillet ! ».

Mille merci à Georges pour ses anecdotes aussi drôles les unes que les autres.

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« La Garonne : protéger et développer un patrimoine »

Michel Hilaire est conseiller général et premier adjoint au maire de la commune de Saint Pierre d’Aurillac. Après une carrière dans l’enseignement public et la vente, il a été élu maire de cette même

commune.

C’est à la mairie que Michel nous reçoit :

« Le commerce fluvial est en chute libre depuis une cinquante d’années, je ne l’ai donc jamais connu. C’est suite à un choix politique que le commerce fluvial a décliné. Dans un monde où tout va vite la Garonne était une voie relativement lente. C’était une activité économique qui polluait peu. J’ai tout de même connu les dernières péniches qui transportaient du blé, du pétrole et quelques fruits et légumes. Je suis né avec le début de la disparition des activités en bords de Garonne. Auparavant les plaisanciers descendaient par la Garonne ou le Canal pour rejoindre la Méditerranée et inversement. Aujourd’hui, c’est chargé sur un camion que leur bateau rejoint la mer. Le dragage a fait baisser le niveau de l’eau d’un mètre cinquante et les bateaux à marée basse ne pouvaient plus passer car ils touchaient le fond. Cela a été une catastrophe écologique. Ils ont extrait le gravier de la Garonne prétextant son faible coût. Quelques années plus tard, les impôts locaux financent encore les dégâts qui ont été causés. Ce fleuve donnait du travail et bien que parfois précaire, il nourrissait les Locaux. La plus grosse inondation que j’ai connue est celle de 1981. La montée des eaux a été telle que l’eau ressortait des égouts de l’autre côté de la rue. À l’époque on savait que l’eau risquait de monter. On ne faisait pas n’importe quoi. Ne restaient au rez-de-chaussée, qu’une table et ses quatre chaises. On ne collait pas non plus de tapisserie au mur mais on les recouvrait d’enduit. Aujourd’hui on ne se préoccupe pas des crues car on se repose sur la bienveillance des barrages et des assurances. Il y a donc plus de dégâts lors de la montée des eaux. J’ai tiré une leçon de ces nombreuses inondations. Lorsque j’ai construit ma maison, j’ai installé le chauffage central à l’étage. À l’époque on connaissait mieux la Garonne, on était préparé ».

Michel Hilaire continue son récit d’un ton plus marqué :

« La Garonne avait plusieurs fonctions. C’était une voie de communication, elle servait au transport des marchandises et des personnes. C’était également un moyen de se nourrir car elle était gorgée de poissons. Il n’y a pas si longtemps que ça, les plus démunis s’y lavaient et on s’y rafraîchissait après des journées de dur labeur. L’évolution de la Garonne a modifié la faune et la flore. En effet, ces dernières années, on observe une quantité croissante de sandres, de silures, de cormorans et de ragondins. Ce dernier cause d’ailleurs beaucoup de dégâts. Certains pêcheurs ainsi que la communauté de communes des coteaux macariens ont entamé une campagne de destruction car les ragondins creusent des galeries, ce qui affaisse les digues. Il y a une vingtaine d’années, cet animal n’existait pas. Il est arrivé des Etats-Unis où il était réputé pour sa fourrure. Ces

Michel Hilaire

modifications sont aussi la cause principale de la disparition des goujons, poissons vivant dans une rivière très oxygénée donc dans un milieu sain. Cependant, on observe encore des migrateurs tels que les martins-pêcheurs, quelques hérons et parfois même des hérons blancs. Des poissons migrateurs, comme l’anguille et l’alose, sont menacés par la pollution et les barrages, et non par la pêche! Plus jeune je participais à quelques concours de pêche. Ma passion est née suite à l’ouverture d’un magasin dans lequel on trouvait bon nombre d’articles de pêche. Je dédiais un peu de mon temps libre aux enfants du centre de loisirs pour les initier au plaisir de la pêche. Les trois derniers maires et moi-même avons tenté de réhabiliter la Garonne en effectuant des travaux sur les berges, pour y accéder de nouveau. Tous les bords de Garonne ont été remembrés. Avant c’était un tas de ronces, aujourd’hui on a une belle forêt. En tant que conseiller général, j’appuie l’idée d’une voie verte qui relierait Castets à Meilhan. On ne peut malheureusement pas tout rénover, c’est hors de nos moyens. Je regrette le Pont Eiffel. J’aurais aimé qu’il ne soit pas détruit. Airbus a fait passer deux énormes bateaux. La compagnie a décidé de raser un des piliers qui gênait leur passage. Aujourd’hui il ne reste donc plus qu’une pile. J’ai l’espoir qu’un jour nous réussirons à reconstruire une passerelle sur cette même et unique pile. À La Réole, Cadillac ou encore à Bordeaux il y a deux ponts : l’un grand et l’autre plus petit. Le nôtre a lui trois fonctions. D’abord celle de faire transiter les camions qui arrivent de l’autoroute, les voitures mais aussi les piétons. C‘est un cas unique en terme de danger ! Il m’est arrivé, par curiosité, de rester à regarder le passage sur ce pont et je me suis rendu compte qu’il y a en moyenne une moto, un piéton ou un vélo qui passent par minute. Cela fait une moyenne de soixante passages à risque par heure. Les piétons sont souvent des gens démunis. Je les vois souvent passer avec leurs sacs de courses pleins. Je veux plus de justice sociale, c’est pour cela que je fais de la politique ! Ecologie et sécurité sont les maîtres mots de cette demande de nouveau pont ».

Merci à Michel Hilaire pour le temps qu’il nous a accordé.

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« Parlons peu, parlons bien »Jean-Claude Jornet est né le 31 mai 1942 à Langon et a toujours habité à Langon. Ancien employé

dans la téléphonie, c’est plein d’entrain qu’il nous raconte ses souvenirs liés à la Garonne.

A peine assis, il commence :

«Je vais vous parler de l’inondation de 1981. Elle a été la plus impressionnante de ces dernières années. François Mitterrand était même venu constater les dégâts! Suite à cela, les Ponts et Chaussées ont construit des bassins de rétention d’eau et ont mis en place des capteurs de niveau d’eau. Les cotes nous étaient transmises par télégramme ».

Après s’être enfin installé, Jean Claude reprend :

« J’ai connu le temps du transport fluvial en péniche mais je dois dire que j’étais beaucoup plus sur le port que sur les bateaux ! A l’époque, un bistrot et un maréchal-ferrant bordaient le port de Langon. A mon grand regret, le bistrot a disparu et le maréchal-ferrant avec. J’aimais ce petit bistrot, c’était un lieu convivial où mes collègues et moi nous retrouvions après le travail, histoire de se détendre un peu avant de rentrer. J’aimais cette époque ! La ville de Langon détient cinq ports, plus ou moins connus. Le premier se trouve au bord de l’entrepôt de l’airbus. Le deuxième, si je me souviens bien, est au bout du chemin de Canteau en allant vers la Garonne et desservait le Sauternais en matières agricoles; le troisième est en bas de la grue de Golfech. Celui-ci était destiné à décharger des bateaux les éléments de la centrale. Le quatrième est le fameux port fluvial, il se trouve en face de l’ancien bistrot; le dernier est le port de plaisance,qui lui, se situait jadis en face du parc des Vergers. En 1860, le chemin de fer a vu le jour et beaucoup de choses ont changé. Il y a eu un aménagement complet des quais de Langon à Bordeaux. L’ouverture du Canal du Midi et des écluses a également suivi. En parlant de transformations, il y avait à l’époque un pont qui reliait Langon à Saint Macaire. Ce pont avait été offert aux deux communes à la mort de Georges Pompidou. Les deux villes étaient relativement pauvres à ce moment-là et le pont avait des problèmes d’oxydation. Elles n’ont donc pas pu le rénover. En plus des rénovations coûteuses, l’ancien pont avait l’inconvénient d’être trop étroit et donc d’être difficile d’accès aux véhicules de gros gabarit. Il fut donc détruit dans les années 70 pour laisser place au nouveau pont : en béton et bien plus pratique ! ».

Jean-Claude termine sur ses meilleurs souvenirs :

« Je n’étais pas un mordu de pêche mais, petit, j’allais pêcher entre Sainte Bazeille et La Réole avec mon grand- père. Je n’ai jamais repêché par la suite. Je n’étais pas acteur des concours de pêche mais plutôt spectateur. On pouvait trouver sur le port des cabanes de pêcheurs avec une piste de danse, un bar et un orchestre. J’aimais y danser ! ».

Merci à Jean Claude pour le moment qu’il nous a consacré.

Jean-Claude Jornet

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Page 10: Passeurs de mémoire

« Des inondations… »

Ancienne maîtresse des écoles, Nadine Labrousse a 76 ans, elle est née à Saint Pierre d’Aurillac.

« Je suis née en 1934, je n’ai donc pas connu l’inondation de 1930. Longtemps après on en parlait encore. Il y avait trente centimètres d’eau dans la maison. Les soubassements en bois qui cachaient les murs ont pourri à la longue. Mon père me racontait qu’il faisait du bateau sur la Nationale 113. Avec les pêcheurs du port, ils avaient capturé un esturgeon, appelé chez nous « créac ». Les volailles, les troupeaux dans les fermes riveraines avaient été emportés par le courant. On pouvait voir passer sur des tas de fumier, les quelques poules et coqs les plus chanceux ! Un des voisins a même failli se noyer en tentant de sauver un cochon des eaux. À l’époque, les crues étaient bien plus fréquentes qu’aujourd’hui. »Nadine a connu l’inondation de 1952, elle nous raconte : « Les dépendances de ma maison étaient complètement inondées. N’ayant que peu de choses de valeur nous avions simplement déménagé mon précieux piano. Il avait voyagé en charrette jusqu’à la salle des fêtes qui fut d’ailleurs son seul et unique voyage ! Il n’y avait pas encore de congélateur, de réfrigérateur, de télévision, de machine à laver, les dégâts matériels étaient donc beaucoup moins importants qu’aujourd’hui ».

Les inondations ont beaucoup marqué l’enfance de Nadine. C’est en esquissant un léger sourire qu’elle reprend :

« La solidarité et l’entraide étaient les maîtres mots de ces inondations. Beaucoup de gens descendaient des coteaux pour assister au spectacle. Ma mère leur préparait des crêpes. Quelle cuisinière, c’était les meilleures crêpes ! Dans la bonne humeur, les familles d’en haut retrouvaient celles d’en bas. C’était presque la fête ! Nous avons aussi connu de faibles inondations. Je faisais partie des enfants de la guerre, et pour nous chaque crue était une attraction, minime soit-elle. Chaussés de nos bottes, nous marchions sur les digues qui entouraient les champs inondés jusqu’à ce que l’eau les recouvre à peine. On rentrait les bottes remplies d’eau et les chaussettes mouillées à la maison où nous attendait une bonne fessée ! Nos parents nous « sermonnaient » tout en énumérant les risques auxquels on s’exposait : perte d’équilibre, simple poussée et nous aurions pu nous noyer. A chaque lendemain de crue, lorsque nous ouvrions nos volets et que le fleuve avait retrouvé son lit, nous étions déçus. Notre terrain de jeux avait disparu ».

C’est le visage fermé qu’elle continue :

« Des noyades … ah oui j’en ai connu ! J’en ai un très mauvais souvenir. Je me souviens que le frère d’un de mes camarades réfugiés de Lorraine s’était noyé. Durant la classe une dame était venue le chercher, et je l’entends encore chuchoter à l’oreille du maître « son frère s’est noyé ». Un frisson m’avait parcouru le corps et une soudaine envie de pleurer m’avait submergée. Ce ne fut hélas

Nadine Labrousse

pas la seule noyade. Nos parents nous ont par la suite formellement interdit de nous approcher de l’eau. Est-ce pour cela que j’en ai peur et que je n’ai jamais pu apprendre à nager … ».

Après une bonne tasse de thé, Nadine reprend :

« Pour moi, simple riveraine, la Garonne est une présence dont je ne peux me passer. Chaque jour de beau temps je vais lui rendre visite, quelle que soit la saison, qu’elle soit haute ou basse. J’apprécie toujours ses hérons, ses cormorans et sa végétation diverse et changeante. Je regrette les péniches qui la fréquentaient encore dans les années passées. Aujourd’hui on peut voir, de temps à autre, un bateau de plaisance qui navigue vers le canal du midi. Je regrette aussi la pêche à l’alose où l’on attendait que les pêcheurs tirent le filet pour voir briller ces beaux poissons argentés. Tant de souvenirs intarissables ».

Merci encore à Nadine pour ce témoignage émouvant.

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Page 11: Passeurs de mémoire

« Le canal, ma vie »Jean-Louis Laheurte a 62 ans et habite au bord du canal à Castets en Dorthe. Pêcheur depuis son

plus jeune âge, il nous raconte son histoire :

« J’ai été artisan toute ma vie. J’ai commencé à travailler à quatorze ans sur les bateaux avec mes parents. J’ai dû quitter mes bateaux un moment, le temps d’effectuer mon service militaire obligatoire. A mon retour, j’ai eu un bateau de vin pendant trois ans. Je me suis ensuite marié à l’âge de vingt-deux ans, et ma fille est née l’année d’après. Il y avait beaucoup de travail. Trop de travail ! J’ai donc levé le pied pour ma famille. Ma femme et moi avons acheté une péniche pour y vivre et y travailler en famille. Une belle vie nomade sans toutes les contraintes liées à un logement sédentaire. Nous avions eu la chance de pouvoir lier l’utile à l’agréable. Quelle belle époque !J’ai évidemment connu le commerce fluvial sur le canal. C’était mon gagne-pain ! Beaucoup de marchandises transitaient. Les pétroliers croisaient les pêcheurs qui eux même croisaient les dragues. Il y avait du passage, chaque jour une cinquantaine de bateaux étaient attendus à l’écluse de Castets. Tous les matins les voyages étaient affichés sur un grand tableau. Premier arrivé, premier servi ! Je m’explique : le premier marinier arrivé choisissait son chargement donc sa destination. La plupart du temps on descendait à vide et on rechargeait nos bateaux dans le midi. Les bords du canal ont été modifiés non pas pour faciliter le commerce mais pour revaloriser le tourisme. Ces réhabilitations ont été financées par nos taxes bien que ces modifications ne nous soient pas destinées. J’ai le sentiment d’avoir été taxé dans le vent ! Le commerce fluvial n’a pas été apprécié à sa juste valeur. Il a peu à peu décliné sous le poids du modernisme. Cet arrêt a eu un impact sur les petits commerces situés sur les bords du canal. Sur tout le long du canal il y avait beaucoup de petits commerces de proximité, comme l’épicerie à l’écluse de Bassanne. L’été elle était utile à tous, touristes comme locaux. Elle ne fermait pas pour autant l’hiver, elle servait de point de ravitaillement aux bateaux. Aujourd’hui il ne reste rien ! ».

Cet épisode semble l’avoir beaucoup marqué. Il reprend :

« Tout a coulé avec l’arrêt du commerce fluvial, le canal est aujourd’hui au chômage. Il y a beaucoup moins de passages à l’écluse, les éclusiers ont donc très peu de travail. Les berges ne sont pas pour autant mieux entretenues. J’habite au bord du canal et je dois dire que je ne les vois pas souvent. Rares sont les fois où les bateaux sont accueillis. Il est tellement difficile de trouver l’éclusier, qu’on se surprend à traîner aux alentours de son domicile dans l’espoir de le croiser.Lorsque la Garonne sortait de son lit il arrivait qu’elle déborde jusque dans le Canal ».

Jean-Louis Laheurte

Jean-Louis témoigne :

« J’ai connu plusieurs inondations dont celle de 1981 qui a été très dévastatrice. Ma voiture s’était noyée dans mon garage, c’est pour vous dire ! Tous les ans l’écluse est submergée mais jamais rien de bien méchant. En 1981 il y eu beaucoup de dégâts. L’eau est montée par-dessus les digues.L’eau montait très vite. Elle progressait d’environ trois ou quatre mètres dans la nuit, et, arrivée à cinq mètres elle ne montait plus que de quelques centimètres. On avait donc le temps de déplacer les meubles. Un numéro de téléphone était mis à notre disposition pour que l’on puisse s’informer des cotes. Aujourd’hui cela se fait par internet, c’est bien moins précis. Mais je suis un ancien, le canal je le connais bien ! J’adore la pêche mais je ne participais pas aux concours. Je pêchais bien assez, c’était mon métier ! J’attrapais aussi bien des lamproies que des crevettes, mais j’avais un faible pour ces dernières… Je les attirais avec des croquettes ! Oui, des croquettes ! Pour les lamproies on n’avait pas besoin d’appâts. Il suffisait tout simplement de sélectionner les rochers sous lesquels elles se glissaient. Malheureusement, les dragues sont passées par là. Elles ont détruit le site de reproduction des poissons. À l’époque je ramenais jusqu’à cinq tonnes d’aloses par saison. D’une année sur l’autre, la quantité pêchée s’est amoindrie. On a chuté alors à huit cents kilos. Personne ne s’y attendait, nous étions dépassés. Le dragage a tout saccagé et a détruit l’écosystème ».

Merci à Jean-Louis Laheurte de nous avoir fait partager son expérience du Canal latéral à la Garonne.

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Page 12: Passeurs de mémoire

« La Garonne a rythmé mon enfance »M. Léglise est né le 14 Juillet 1931 à Saint Pierre d’Aurillac. Ravi d’avoir été sollicité pour participer au projet « Passeurs de Mémoire », Roger est arrivé plein d’entrain :

« Dans le temps, la Garonne servait au transport de marchandises : vin, céréales et produits pétroliers. En temps de guerre, chaque semaine, accompagné de mes parents, je partais au port pour acheter du poisson fraîchement pêché. La Garonne était magnifique ; son eau était claire et ses plages de gravier d’un blanc immaculé ! C’était très agréable. Tout le monde pêchait. A chacun de nos moments libres, nous nous y retrouvions, mes amis et moi, pour déjeuner, pêcher, rêvasser. La Garonne nous a beaucoup apporté pendant la guerre, c’était un lieu de sérénité où l’on oubliait nos soucis le temps d’une promenade. A cette époque, nous n’avions pas l’eau courante ; alors, chacun muni de sa savonnette, allait prendre son bain dans le fleuve. Cet endroit a rythmé mon enfance et mon adolescence. C’était le lieu propice aux rendez-vous de nos amourettes ! A l’école, on apprenait les fleuves français, cela faisait partie de notre patrimoine. Aujourd’hui on se décharge peu à peu de son entretien ».

Nostalgique, Roger reprend :

« Malheureusement, avec les nouveaux plans d’urbanisme, tout a été détruit. Les dragages ont commencé dans le but de construire les autoroutes. On pouvait voir les chalands munis de grandes pelles remonter le fleuve. Ils n’ont pas réussi à arriver jusqu’à Saint Pierre car on les en a empêchés. Ils ont même eu le toupet de rentrer jusque dans les terres ! Aujourd’hui les berges s’effondrent et le fleuve détourne son cours. Il me semble maintenant difficile de revenir en arrière, et même si on le pouvait, on ne retrouvera plus jamais la Garonne d’antan. Il y avait également un pont qui reliait Langon à Saint Macaire mais avec l’arrivée du nouveau pont, on savait qu’il était déjà condamné. On s’est pourtant battu pendant plusieurs années, becs et ongles, en vain ! ».

Le ton grave, il continue : « J’ai connu plusieurs crues, et pas des moindres ! La plus marquante a été celle de 1951. J’avais vingt ans et je venais de rentrer au régiment toulousain. Après avoir quitté l’école à quatorze ans et avoir obtenu mon CAP boulanger, j’ai dû partir pour effectuer mon service militaire. Un jour de permission, lorsque je suis rentré, j’ai été surpris et impressionné de voir certains lavoirs céder sous la pression de l’eau. Quelques années plus tard, je suis rentré au service de santé à l’hôpital de Cadillac, et figurez-vous qu’en une nuit, la D 10 fut submergée ! Je n’ai donc pas pu aller au travail et ce pendant une semaine. Les habitants du port de Saint Pierre, eux, étaient mieux organisés, ils avaient fait un petit chemin le long des rochers, avec une échelle au bout pour pouvoir échapper aux eaux. La Garonne n’a pas seulement connu des inondations, mais également des gelées. Dans l’hiver 1956, la température est descendue jusqu’à moins 15 degrés. Le vin gelait dans les barriques et on pouvait voir des blocs de glace entiers flotter sur le fleuve ».

Roger Léglise

C’est avec quelques bons souvenirs qu’il poursuit :

« Les bords de Garonne étaient un espace de convivialité. J’aimais pêcher, à vrai dire bon nombre d’habitants pêchaient. Tous les amis se donnaient rendez-vous accompagnés de leur femme. Je me souviens des concours de Mongauzy. On partait tous dans un même autobus et on pique-niquait sur place. Les concours de pêche se déroulaient principalement l’été. Nous pêchions l’alose, l’esturgeon et parfois quelques saumons. J’ai participé à quelques concours. Une fois, je suis même arrivé troisième ! La pêche à la civelle était très spectaculaire. Je m’étais fabriqué un petit tamis pour les attraper puis je les ébouillantais pour les donner aux canards. Aujourd’hui cela vaut de l’or ! La Garonne rythmait la vie du village ».

Merci à Roger pour ce bon moment partagé.

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Page 13: Passeurs de mémoire

« Le port était le baromètre de la vie économique locale. »

Alain Miot est arrivé à Langon en 1992, il est le Président-fondateur de l’association « Centre du Patrimoine du Sud Gironde » qui a pour but de recueillir, conserver et faire connaître le patrimoine dans son sens le plus large : chants, textes sur la Garonne, ustensiles de cuisine… Des journaux sont publiés par cette association.

Alain nous fait part de ses recherches :

« J’ai appris que le port de Langon était important depuis le temps des Romains. Langon était bien situé pour recevoir les marchandises, c’était une plateforme de commerce. Du bois, du vin, des céréales transitaient sur les péniches. C’était le seul moyen de venir dans le Sud Gironde car les autoroutes n’étaient pas encore construites. Le port de Langon était important, on débarquait même du bétail. A cette époque, il n’y avait pas de chemin de fer mais ce port n’était qu’un passage, bien qu’il soit régulier. Le marché était important entre les vignes et les bois, il y avait de la matière à revendre. Le trafic partait jusqu’en Hollande, c’est pour cela qu’ici on mange beaucoup de fromage hollandais !L’arrêt du commerce n’a pas vraiment eu d’impact sur la vie quotidienne des habitants à part pour les mariniers et ceux qui travaillaient sur le port, ils ont perdu leur gagne-pain. Certains se sont reconvertis dans l’industrie de la chaussure. De nos jours, c’est plus difficile de se reconvertir car il y a moins de poste vacant. En somme, le port était le baromètre de la vie économique locale ! L’inondation la plus destructrice du siècle était celle de 1930. L’eau arrivait jusqu’aux allées Jean Jaurès, au centre de Langon. Celle de 1981 a été aussi très importante. Cette même année, le Président, Monsieur Mitterrand, est arrivé en hélicoptère à la caserne de Langon. Ce fut une année marquante pour les langonnais ! Lors des inondations, chacun avait sa barque, son échelle et il y avait beaucoup de solidarité. Aujourd’hui, on attend les pompiers avec impatience. C’était une autre époque ».

Alain nous amène dans une pièce chargée d’archives. Il reprend sur un ton plus personnel :

« Avant on vivait avec la Garonne. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Avec les bassins de rétention, on ne connaît plus les inondations, mais si un jour ils cèdent, nous n’aurons pas le temps de réagir. Les inondations faisaient partie du quotidien. La Garonne était un lieu de pêche. On y trouvait aussi des moulins qui écrasaient le grain, transporté ensuite par des bateaux. Certains bateaux étaient équipés de leur propre moulin. A Saint Macaire il y avait une plage très agréable que les gens surnommaient « Deauvillette » (petit Deauville). Il y avait aussi des courses d’aviron et des concours de pêche… c’était folklorique ! On ne s’ennuyait vraiment pas sur les bords de Garonne. Il y avait beaucoup de fêtes, c’était vivant. Il y avait aussi l’école, la fonderie… Bref, beaucoup de vie qui a disparu avec le temps. Quatre ponts ont vu le jour sur le langonnais. Le premier était le pont suspendu. Il

Alain Miot

a malheureusement été détruit entre 1907 et 1910. Il était magnifique ! Le pont Eiffel est arrivé en 1905. C’était un coût pour la commune qui s’en est débarrassé en 1975. Je les regrette bien que je ne les ai jamais connus. Aujourd’hui il n’en reste plus que deux, le viaduc du chemin de fer ainsi que le grand pont bétonné qui surplombe la Garonne reliant Saint Macaire à Langon. Avant, il y avait une entraide qu’on ne connaît plus. A l’époque du maïs tout le monde venait l’égrainer pendant que les châtaignes grillaient. On travaillait avec des animaux, aujourd’hui c’est avec des tracteurs climatisés ! La différence est là. On vendait son poulet pour acheter un bout de viande chez le boucher. Il y avait bien plus d’échanges. La vie était plus saine, plus humaine ».

C’est sur ces paroles qu’Alain nous a fait partager ses trouvailles, aussi intéressantes les unes que les autres.Merci à Alain pour ce riche témoignage.

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Page 14: Passeurs de mémoire

Robert Soucaret

« C’était une autre époque ! »Interviews de Robert Soucaret, Alain Soucaret et de francis Lasnier .Robert Soucaret est né en 1916 à Moncrabeau dans le Lot et Garonne. Il nous a reçus à la maison

de retraite de Saint Macaire où il réside. C’est avec modestie qu’il nous raconte :

« Mes souvenirs de la Garonne ? Ils ne datent pas d’hier ! J’en ai vu des choses ! Avant la guerre, pour passer le temps, j’allais pêcher. Le dernier concours en date remonte à 1939, avant mon entrée au régiment. Manque de chance à chaque prise, ne remontaient que des petits poissons. Je n’étais pas un réel compétiteur, un amateur avant tout. J’ai laissé la Garonne le temps d’une guerre, pendant laquelle j’ai été fait prisonnier. J’ai pu m’échapper de cet enfer et la retrouver. Elle n’avait pas changé ! C’est bien plus tard que les grands changements apparurent. Dans les années 70, la Garonne fut investie par les dragues. A l’époque, l’entreprise qui m’employait avait des difficultés à trouver des chantiers, donc du travail. Un après midi, en me baladant sur les bords du canal latéral à la Garonne j’ai croisé une drague. Une idée me traversa alors l’esprit. Au culot, je me suis présenté au patron : vous n’auriez pas besoin d’un gars intelligent et dévoué ? Un peu surpris celui-ci me répond : qu’est-ce que tu sais faire ? et bien, tout et rien ! C’est ainsi que quelques jours plus tard, je me retrouvais à travailler sur cette drague. Mon travail consistait à tourner la manivelle pour draguer le canal, récupérant les graviers du fond qui ensuite étaient chargés sur des chalands. Le dragage n’a pas fait que des malheureux. Approfondir le canal était du pain béni pour les pêcheurs car le poisson remontait. Les dragues m’ont nourri pendant six mois. Je ne m’en plains pas et ne regrette rien ».

C’est en se remémorant cette époque que Robert se plonge dans ses souvenirs plus lointains. Le sourire aux lèvres il poursuit :

« Je me souviens encore des bateaux pleins de pinard qui passaient deux à trois fois par jour sur la Garonne. Je me souviens surtout des baignades hivernales. Figurez-vous que même au mois de décembre on faisait trempette ! Mon engouement pour les cours d’eau a débuté dans le Lot et Garonne où je suis né. Là-bas on se baignait déjà dans la Baïse, un des affluents de la Garonne.Quelques jours plus tard, le mardi 8 février, nous décidons d’aller rencontrer le fils de Robert, un certain Alain vivant toujours sur les bords de Garonne. Arrivés sur les lieux, nous retrouvons Alain accompagné de son ami et voisin Francis Lasnier. Après de timides salutations, Alain nous fait entrer dans sa belle maison familiale. Francis ferme la marche. Francis est arrivé en Gironde à l’âge de 8 ans. Il a grandi en région parisienne (Seine et Marne) mais c’est avec un petit accent du sud qu’il nous apprend sa passion pour la pêche ».

Alain prend connaissance du témoignage de son père et ajoute en riant :

« Il ne vous a pas tout dit ! Mon père a fait les quatre cents coups ! Il m’a raconté que plus jeune, il s’amusait avec ses amis à défier le pont de Castets. Ils grimpaient sur les poutres qui surplombent le pont et s’élançaient dans une

course de tous les dangers… le dernier arrivé devait payer l’apéro ! C’étaient de vrais phénomènes ! ».Francis ajoute « C’était une autre époque ! ».

Commence alors un vrai dialogue entre les deux amis. Alain débute :

« Tu te souviens de notre ancienne Garonne ? Celle qui accueillait gabares (bateaux tirés par des chevaux) et péniches. Bon c’est vrai que les gabares, on ne les a pas vraiment connues. On n’était pas né au début du siècle. On n’est pas si vieux ! ».

Dans cette bonne ambiance, Francis ajoute quelques précisions :

« Les pinardiers s’arrêtaient au port de Saint Pierre et croisaient les péniches chargées de petit pois. Suite au remembrement, le paysage a complètement changé. Adieu pêchers, abricotiers et autres arbres fruitiers, bonjour le maïs ! Commerce et travail ont été chamboulés.Le remembrement ? Francis, tu oublies de dire que les dragues ont, elles aussi, chamboulé notre vie ! Ils ont creusé pour extraire du gravier et non pour approfondir la Garonne comme ils ont bien voulu nous faire croire. De plus, le chenal (voie navigable de la Garonne et aussi l’endroit le plus profond) n’a pas été entretenu comme il se doit, même les plaisanciers ont du mal à naviguer sans croiser un rocher ou sans se prendre l’hélice dans la vase.Ah quel cauchemar cette vase ! Mes bottes ne font pas le poids, je suis obligé de sortir les cuissardes lorsque je m’aventure sur les bords de Garonne. Les pêcheurs à la ligne sont obligés de s’acheter un bateau pour continuer leur activité. C’est bien dommage ! Fort heureusement on peut encore pêcher la lamproie. L’écosystème entier a été bouleversé. Les poissons sont pollués et les berges effondrées. Le dragage a épargné la Garonne d’en haut, la nôtre n’est plus la même. C’est seulement à partir de La Réole qu’elle retrouve son charme. De belles plages de gravier sont encore visibles. La belle époque des concours de pêche où l’on se promenait en espadrilles sur le gravier est révolue. Celle des belles fêtes en bords de Garonne a elle aussi disparu. Je me souviens que de vraies stars venaient nous rendre visite le temps d’un concert. »

Alain l’interrompt :

« C’est à cette même époque qu’on a vécu d’importantes

inondations. J’ai longtemps entendu parler de la crue de 1930. L’eau est montée très haut. Notre maison familiale a bien failli y passer ! Mon père me racontait que chez certains, les meubles flottaient. Mais celle que je garde en mémoire est l’inondation de 1981. Celle-là, je l’ai vécue. Cette nuit là a été rythmée par les craquements d’arbres, c’était impressionnant ! De nos jours les crues ne sont pas aussi importantes. Mais si un jour elle venait à déborder, ça serait la pagaille ! Ils ont aplani les digues et ont détruit les pieux qui servaient à briser le courant (piquets en pin, enfoncés dans la Garonne, reliés les uns aux autres par une barre qui coupaient le courant). Comme on dit, chassez le naturel il reviendra au galop ! Le jour où la Garonne va s’énerver le courant va tout amener. »

Alain se souvient alors d’une de ses mésaventures, il raconte :

« La Garonne nous a fait peur. Le 6 février 2006, je décide de partir pêcher sur le bateau d’un ami. Il faisait très froid, le courant n’était pas favorable, les conditions n’étaient pas vraiment propices à une belle journée de pêche. Lorsque l’on relève les bourgnes, il faut attacher la corde au bateau. Malheureusement, cette manoeuvre a mal été effectuée. Le bateau a commencé à prendre l’eau par l’arrière et a entamé sa descente dans les eaux. Ne sachant pas très bien nager, mon copain s’est vite retrouvé submergé par le courant. Je l’ai perdu de vue pendant quelques secondes, qui m’ont paru une éternité. Lorsque je l’ai vu à la surface, ma joie a été immense. Ma chienne qui elle aussi faisait partie du voyage a été traumatisée. Elle en est devenue sourde et n’a plus jamais voulu remonter sur un bateau. Ah cette journée ! Tu nous as ramené tous les pompiers du coin ! Je n’ai jamais connu une telle mésaventure, bien qu’un jour, je suis moi aussi tombé dans la Garonne. En voulant embarquer, j’avais un pied sur la barque et l’autre sur une pierre pleine de vase, donc terriblement glissante. Après un beau grand écart digne des meilleurs athlètes, je me suis retrouvé à l’eau ! ».

C’est dans un éclat de rire que nous terminons ce bel entretien entre ces deux amis.

Merci à Robert, Alain et son épouse ainsi que Francis leur voisin, pour cet échange de souvenirs.26 27

Page 15: Passeurs de mémoire

« Quinze ou vingt ans après, on en parlait encore ! »

« J’ai passé mon enfance et la majeure partie de mon adolescence à Bassanne, petit village de deux cents habitants, situé entre le canal latéral et la Garonne.Mes grands-parents, chez lesquels je vivais les trois quarts du temps, habitaient une grande maison légèrement surélevée dont le rez de chaussée comprenait deux grandes pièces. Sur la cheminée de la cuisine, à 1 mètre 80 de hauteur, une barre horizontale ressemblant à une tringle à rideau indiquait la hauteur que l’eau avait atteinte lors de l’inondation de 1930.Quinze ou vingt ans après, on en parlait encore ! On montrait des photos déjà légèrement jaunies à ceux qui n’avaient pas vécu l’évènement, on parlait des arbres déracinés et des cadavres d’animaux qui dérivaient au fil du courant, des rats dont il fallait se débarrasser lorsque l’eau se retirait, sans compter les récits cauchemardesques qui, toute petite, m’empêchaient de m’endormir le soir.

Notre vie était rythmée par les caprices du fleuve ; car, mis à part le boulanger qui passait tous les deux jours et le boucher deux fois par semaine, il fallait se rendre à La Réole pour tous les autres achats.Il y avait bien la petite épicerie du «canal». La propriétaire, prénommée Yvette, avait le cœur sur la main. Elle était à la fois épicière, cafetière, préposée au téléphone et éclusière.Dès que nous, enfants, entendions la corne d’une péniche qui se présentait devant l’écluse, nous nous précipitions sur le pont du canal. Et c’était toujours un spectacle étonnant et mystérieux de voir l’eau descendre, monter et le bateau finalement continuer sa route.

Il fallait donc se rendre à La Réole une à deux fois par semaine, généralement les jours de marché. L’été aucun problème, la rivière pouvait être presque à sec.Le reste de l’année, elle était capricieuse ! Elle ne montait pas forcément très haut, mais une toute petite crue suffisait à nous barrer la route. Le signal, pour nous, gens de Bassanne ou de Barie, était le pont de «Trempe soupe» . Dès que l’eau atteignait ce pont nous savions qu’il allait falloir rejoindre La Réole en faisant un grand détour, la route du terrain d’aviation étant coupée.

Mais en 1952, j’ai vécu les débordements de la Garonne. J’étais en 5ème au lycée de La Réole (où je me rendais tous les jours à bicyclette). Mes parents se sont laissés surprendre, c’est en bateau que j’ai gagné la maison d’amis qui m’ont hébergée le temps que tout rentre dans l’ordre. Traverser le fleuve en bateau, quelle aventure !J’avais assisté auparavant à tout le «cérémonial» qui s’imposait en ce cas là : il fallait se réfugier au premier étage en essayant de sauver tout ce qui pouvait l’être et monter «à la côte» c’est-à-dire de l’autre côté du canal, vaches, cochons, veaux, chevaux etc…

Aline Thomas

Quand je suis revenue chez moi après la décrue, ma grand-mère m’a raconté que les hommes avaient tiré les rats au fusil, ce qui me rassura pleinement. Et une autre tringle était posée 20 cm plus bas sur la cheminée… «Tu vois, elle n’est pas venue si haut». Puis le fleuve a fait encore des siennes en 1956. Non seulement il a gelé!!! mais il est sorti ensuite de son lit et comme il devait se sentir bien , il est resté trois semaines. La maison de mes grands parents n’a pas été inondée , l’eau léchait simplement le devant de leur porte.

En décembre 1981, ma mère est revenue habiter la maison de ses parents à Bassanne. Un après midi, alors que nous entendions des nouvelles alarmantes sur l’état du fleuve à la radio, je lui propose de trouver des « bras » pour monter les meubles au premier étage. « Mais pourquoi ? On n’a jamais vu la Garonne déborder en décembre ! Ils n’y connaissent rien. »Peut-être, mais le lendemain, impossible de passer. Ma mère a quitté la maison sur le dos des pompiers ! Et le vieux piano que les voisins avaient transporté à l’étage y est resté jusqu’en 1993, personne ne voulant se charger de le redescendre ! ».

Merci à Aline Thomas pour son témoignage.

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des montagnes d’anguilles. Elles sont aujourd’hui comme les dinosaures, elles ont disparu ! »

Avec un large sourire, il conclut :

« J’aimais tellement pêcher ! Je dois vous avouer qu’à mes douze ans, sur le souhait de mes parents j’allais faire ma première communion. Mais comme j’avais, à plusieurs reprises, séché la messe pour aller à la pêche, le curé ne voulait rien savoir. Heureusement pour moi, il a changé d’avis. C’était le bon vieux temps comme disent les vieux d’aujourd’hui ! ».

Merci à Paul pour ce témoignage rempli d’émotions.

« Laissons la garonne en paix ! »Paul est né à Langon le 13 mai 1956. Grand amateur de pêche depuis son enfance, et très enthousiaste

à l’idée d’être interviewé, c’est la mémoire chargée d’anecdotes qu’il est venu nous rendre visite.

« Lorsque j’avais 10-12 ans le commerce fluvial s’exerçait encore, mais je n’ai pas connu le temps des bateliers. C’est bien trop vieux ! A chaque marée, on pouvait compter une trentaine de péniches naviguant sur la Garonne. Étant amateur de pêche, avec mes copains du moment, on attaquait les bateaux avec des mottes de terre car ils faisaient fuir les anguilles. Nos anguilles ! A l’époque nous n’avions pas les mêmes loisirs que les jeunes d’aujourd’hui, les bords de Garonne était notre terrain de jeux favori ».

L’air pensif, il poursuit :

« Malheureusement, tout est tombé à l’abandon, l’extraction de gravier a causé beaucoup de dégâts. Contrôlés la journée, les dragueurs, une trentaine environ, profitaient de la nuit pour tout saccager. Toutes les berges se sont effondrées et les frayères ont été détruites. Le bouchon vaseux qui venait de l’estuaire n’arrivait jamais chez nous. Il allait au plus jusqu’ à Cadillac. Toutes les plages de gravier et les accès aux berges ont disparu, recouverts par la vase. Le bouchon vaseux est un phénomène irréversible qui monte chaque année un peu plus. Je me rappelle aussi de certaines inondations qui ont marqué l’histoire locale. La plus marquante a été celle de 1981. L’eau est montée, par endroits, jusqu’à onze mètres. Suite à ces impressionnantes crues, la Garonne a été régulée par des barrages. Nous avions l’habitude de « recevoir l’eau », nous nous informions auprès des mairies où les crues étaient annoncées. L’entraide et la solidarité étaient de mise ».

C’est en se remémorant ces épisodes, que Paul reprend son récit quelque peu agacé :

« Aujourd’hui les habitants des bords de Garonne sont des citadins qui ne connaissent le fleuve que par ses belles cartes postales et sous ses meilleurs jours. La Garonne ne meurt pas l’hiver ! Je me méfie maintenant des moindres projets liés à la Garonne comme le transport ou le tourisme fluvial. On ne sait jamais à qui cela va réellement profiter. Dans ces projets le profit personnel prend souvent le pas sur l’intérêt général. Chaque aménagement est une nouvelle agression. Le niveau de la Garonne a baissé de deux mètres, aujourd’hui elle est inexploitable et les dégâts causés sont irréversibles. Laissons la Garonne en paix ! ».

Les bons souvenirs radoucissent son discours :

« A mon époque, le loisir principal des habitants était la pêche. Ceux qui ne partaient pas en vacances allaient se divertir en bord de Garonne. J’ai d’ailleurs appris à nager entre deux « biroles », sorte de filet tournant pour pêcher. On y trouvait beaucoup de poissons et en très grande quantité : aloses, esturgeons, saumons, gardons, lamproillons… On pêchait les aloses par centaines. Il y avait

Paul Toitot

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Marie-Christine Troutet

« Des souvenirs heureux »Marie Christine Troutet est née le 4 août 1950 à Langon, c’est « une enfant du pays ».Très intéressée par l’histoire locale, c’est les bras chargés d’illustrations que Marie Christine est arrivée. Elle nous raconte :

« Je n’ai jamais connu le commerce fluvial, j’étais bien trop jeune. J’ai pu voir à quoi cela ressemblait grâce aux photos que j’ai récupérées. Les bords de Garonne à Langon ont bien changé ces dernières années, beaucoup de choses ont disparu, comme les lavoirs, le puits artésien ou le pont ».

C’est dans la bonne humeur qu’elle continue :

« Lorsque j’étais enfant, on se baignait dans la Garonne du côté de Saint Macaire, dans un carré délimité par des pierres. On n’avait qu’à traverser le pont pour s’y rendre. C’était notre piscine municipale ! Malheureusement certains se sont noyés et depuis les baignades ont été interdites. Les pêcheurs étaient très nombreux. Autrefois la pêche se pratiquait avec de grands filets, comme deux ailes de papillon, surnommés les biroles.La Garonne fut le théâtre de nombreux évènements : J’ai assisté à plusieurs inondations, et j’ai remarqué qu’au fil des années celles-ci se sont amoindries. Je me souviens de la crue de 1965 mais celle qui m’a particulièrement marquée est celle de 1981. Tous les bords de Garonne étaient inondés ainsi que la route de Bazas ou encore le rond-point du Viaduc. Tout était recouvert d’eau ! J’habitais en bord de Garonne et à chaque inondation on troquait notre voiture contre une barque. A cette époque beaucoup de maisons étaient en hauteur. On profitait donc de cet avantage pour s’abriter à l’étage. Ceux qui étaient plus proches de la Garonne se barricadaient derrière des planches en bois que l’on surnommait des « batardeaux». Quelle aventure ! Mes souvenirs climatiques ne s’arrêtent pas aux inondations. En effet, au cours de l’hiver 1956 la Garonne a gelé comme jamais ! On pouvait contempler des morceaux de glace se déplacer au gré des courants. Des courses hippiques se déroulaient sur les bords de Garonne au domaine des Vergers. Il y avait aussi la fête de la Saint Jean. Je me souviens encore que tout le monde tentait de braver les feux de la Saint Jean ! Dans le temps, les bords de Garonne étaient très ombragés, les mères se rencontraient avec leurs enfants, les gens aimaient se retrouver pour discuter. Il y avait des bancs sur lesquels les gens papotaient ».

C’est avec un sourire discret que Marie-Christine poursuit :

« Au niveau des berges, il y avait les trois ponts : on jouait à cache-cache car il y avait beaucoup de feuillage. On a appris à faire du vélo dans les chemins en pente et on protégeait les poteaux électriques avec des copeaux de bois récupérés par le père d’un copain qui à l’époque était ébéniste. On se confectionnait des jeux, des chariots avec des roulettes et on faisait la course : la rue Amand Dumeau était notre terrain de jeux favori ».

Mélancolique elle reprend :

« A ma connaissance, les principaux travaux effectués sur les bords de Garonne ont été la démolition des lavoirs pour construire la halle des marchés couverts et celle du pont dans les années 70. Avant la démolition du fameux pont Eiffel, c’était l’affluence le dimanche matin. Grand nombre de familles traversait avec les paniers de pique-nique sur la rive de Saint Macaire dans l’attente des bateaux qui ramenaient les aloses toutes frétillantes. Je ne comprends toujours pas pourquoi ce pont a disparu. Il semble qu’il n’était pas assez stable, il était peut-être trop vieux. Je trouve cela dommage qu’il ait disparu, il aurait pu être gardé pour les piétons ou les vélos. Il a fallu tout démonter par tronçons, et cela a coûté très cher. J’ai aussi connu le dragage. Quel spectacle ! ».

C’est sur un bon souvenir que Marie Christine conclut:

« Les bords de Garonne à Saint Pierre d’Aurillac n’étaient aménagés que sur la partie basse au bord de l’eau. Les gens se retrouvaient et mangeaient sur les tables en béton qui avaient été construites. Quelques années plus tard, la partie haute a été aménagée. Si les arbres le pouvaient, ils nous raconteraient les fêtes grandioses qui s’y déroulaient drainant des milliers de personnes. Pour beaucoup, ce lieu de convivialité a été baptisé « La Plage ».

Merci à Marie Christine pour ses photos et son témoignage.

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L’Association Unis-cité, créée en 1994, est l’association pionnière du Service civique, statut conforté par la loi du 10 mars 2010. « Passeurs de mémoire » est le premier programme national intergénérationnel lancé par Unis-Cité, en octobre 2008. Trois volontaires Unis-cité, Solène, Anthony et Mélissa, ont réalisé une partie de leur service civique auprès de l’Association Vacances Loisirs afin de mettre en œuvre le projet Passeurs de mémoire. Ce projet a permis aux volontaires et aux aînés de créer un lien intergénérationnel. L’objectif du projet est de recueillir la mémoire de toute une génération : la génération du futur met en lumière la mémoire du passé. Depuis sa création, 700 volontaires dans 20 villes françaises ont développé des liens intergénérationnels avec près de 3200 personnes âgées dans le cadre de temps de visites, et de collecte de récits de vie. 350 témoignages sont aujourd’hui consultables sur www.passeursdememoire.fr. Ceci constitue la première véritable bibliothèque virtuelle de mémoire !Par la capitalisation de témoignages autour de la Garonne et du canal, les volontaires, Solène, Mélissa et Anthony ont permis de réaliser ce recueil comme fil conducteur de la transmission de souvenirs.

AnthonySolène Mélissa

Photo de M. Robert Soucaret.

« C’était une autre époque ! »

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Participation 2€

Association vacances loisirs et

www.passeursdememoire.fr