Pas de smart city sans changement de comportement !

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2 [TEC 223] juillet-septembre 2014 Smart city : la technologie au service des citadins S’approprier la Smart City Changer durablement les comportements individuels pour réussir le transfert modal Ville durable-Ecomobile Conduire le changement Le développement et l’amélioration de l’offre de transport ne suffisent pas à améliorer la mobilité en général. L’accroissement de l’offre de transport de masse se heurte à la saturation qu’elle auto-génère et aux contraintes budgétaires des Autorités Orga- nisatrices de Transports qui ne peuvent se résoudre à augmen- ter significativement le prix du billet du transport pourtant économiquement trop bas. Les politiques traditionnelles de mobilité atteignent leurs limites. Les Plans de Déplacement Urbain (PDU) cherchent à organiser le report modal vers des modes collectifs, doux et moins pol- luants. Toutes les réflexions et actions menées en matière d’ur- banisme, d’habitat, d’organisation des espaces publics et des infrastructures de transport… se heurtent à l’appropriation des nouvelles mobilités (covoiturage autopartage, télétravail, vélo en libre-service…) par les utilisateurs. En parallèle, le poids de la marche à pied et du vélo dans les mobilités a connu cinq décennies de décroissance depuis l’après- guerre jusqu’au renversement de tendance des années 2000. À l’inverse, la voiture a pris une part croissance dans son usage le moins vertueux : l’« autosolisme ». Pour que cette évolution vers une mobilité plus vertueuse ait lieu ou soit accélérée, il est nécessaire de changer les habitudes de déplacement de la population. En effet, les changements de pratiques se heurtent à la force des habitudes et à une déformation de la perception des modes de transport liées au manque d’expérience. Les usagers n’ont souvent pas connaissance des alternatives de déplacement dont ils disposent. Les effets des campagnes d’information sur la réduction de l’usage de la voiture sont souvent très limités. Cette information n’atteint généralement pas les personnes ciblées. Quant aux mesures de restriction de l’usage de la voiture, elles sont généralement efficaces à court terme, mais ne changent pas profondément les mentalités. Il en est de même pour les incitations uniquement financières. Enfin, ce n’est pas parce que les usagers adhèrent à une pratique ou à un mode de vie qu’ils vont l’adopter. En particulier, la prise en compte des enjeux environnementaux s’inscrit dans un conflit entre des valeurs collectives et des intérêts individuels. Bien que sous-estimées, les mesures dites « douces », qui regroupent des mesures de communication, de motivation et d’incitation, n’occupent pas une place secondaire dans le déve- loppement d’une nouvelle mobilité. Des prérequis nécessaires Avant de pouvoir mettre en place un programme de changement de comportement volontaire, il faut s’assurer de ne pas démo- tiver un usager de bonne volonté. Il faut tout d’abord veiller à ce que les alternatives de déplace- ment existent. Ces alternatives sont le support sur lequel le programme va s’appuyer. Le report modal doit être facile d’ac- cès et riche en opportunités. Si tel n’est pas le cas, les individus Bernard MATYJASIK Président du Comité Stratégique Ecoville d’Advancity, Egis Elena UMANETS Strategy and Business Development Egis Projects, Administratrice de BNV Mobility (NL) L a Smart City repose sur des supports numériques, bien souvent le téléphone mobile pour l’utilisateur. Mais si la Smart City est une approche d’optimisation des ressources urbaines, infrastructures, matériels, ressources non renouvelables, il est important que les citadins aillent au-delà de la simple appropriation des technologies de l’information. Ils doivent aussi intégrer durablement les usages : covoiturer, marcher, faire du vélo, louer une voiture en libre-service, décaler son horaire de départ au bureau, télé-travailler, louer sa voiture ou son emplacement de parking, cesser d’effectuer un trajet de bout en bout en voiture… Pour cela il existe essentiellement deux méthodes pour les villes : l’incitation par le gain de points ou de monnaies virtuelles à valoriser dans une boutique de biens et services, et le jeu, le challenge où l’on propose à l’utilisateur de réaliser des parcours en s’essayant à de nouvelles pratiques. Dans les deux cas, pour adresser l’utilisateur ou le flatter, c’est l’approche communautaire qui est mise en œuvre. S’il est vrai que l’appropriation des nouveaux usages est au cœur des préoccupations des élus qui consentent les investissements, la Smart City révèle alors sa dimension technologique la plus importante : les réseaux sociaux et les communautés. La Smart City est avant tout relationnelle.

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S’approprier la Smart City

Changer durablement les comportements individuels pour réussir le transfert modal

Ville durable-Ecomobile

Conduire le changement

Le développement et l’amélioration de l’offre de transport ne suffi sent pas à améliorer la mobilité en général. L’accroissement de l’offre de transport de masse se heurte à la saturation qu’elle auto-génère et aux contraintes budgétaires des Autorités Orga-nisatrices de Transports qui ne peuvent se résoudre à augmen-ter signifi cativement le prix du billet du transport pourtant économiquement trop bas.

Les politiques traditionnelles de mobilité atteignent leurs limites. Les Plans de Déplacement Urbain (PDU) cherchent à organiser le report modal vers des modes collectifs, doux et moins pol-luants. Toutes les réfl exions et actions menées en matière d’ur-banisme, d’habitat, d’organisation des espaces publics et des infrastructures de transport… se heurtent à l’appropriation des nouvelles mobilités (covoiturage autopartage, télétravail, vélo en libre-service…) par les utilisateurs. En parallèle, le poids de la marche à pied et du vélo dans les mobilités a connu cinq décennies de décroissance depuis l’après-guerre jusqu’au renversement de tendance des années 2000. À l’inverse, la voiture a pris une part croissance dans son usage le moins vertueux : l’« autosolisme ».Pour que cette évolution vers une mobilité plus vertueuse ait lieu ou soit accélérée, il est nécessaire de changer les habitudes de déplacement de la population.

En effet, les changements de pratiques se heurtent à la force des habitudes et à une déformation de la perception des modes de transport liées au manque d’expérience. Les usagers n’ont

souvent pas connaissance des alternatives de déplacement dont ils disposent. Les effets des campagnes d’information sur la réduction de l’usage de la voiture sont souvent très limités. Cette information n’atteint généralement pas les personnes ciblées. Quant aux mesures de restriction de l’usage de la voiture, elles sont généralement effi caces à court terme, mais ne changent pas profondément les mentalités. Il en est de même pour les incitations uniquement fi nancières.

Enfi n, ce n’est pas parce que les usagers adhèrent à une pratique ou à un mode de vie qu’ils vont l’adopter. En particulier, la prise en compte des enjeux environnementaux s’inscrit dans un confl it entre des valeurs collectives et des intérêts individuels. Bien que sous-estimées, les mesures dites « douces », qui regroupent des mesures de communication, de motivation et d’incitation, n’occupent pas une place secondaire dans le déve-loppement d’une nouvelle mobilité.

Des prérequis nécessaires

Avant de pouvoir mettre en place un programme de changement de comportement volontaire, il faut s’assurer de ne pas démo-tiver un usager de bonne volonté.

Il faut tout d’abord veiller à ce que les alternatives de déplace-ment existent. Ces alternatives sont le support sur lequel le programme va s’appuyer. Le report modal doit être facile d’ac-cès et riche en opportunités. Si tel n’est pas le cas, les individus

Bernard MATYJASIKPrésident du Comité Stratégique Ecoville d’Advancity, Egis

Elena UMANETSStrategy and Business Development Egis Projects,Administratrice de BNV Mobility (NL)

L a Smart City repose sur des supports numériques, bien souvent le téléphone mobile pour l’utilisateur. Mais si la Smart City est une approche d’optimisation des ressources urbaines, infrastructures, matériels, ressources non renouvelables, il est important que les citadins aillent au-delà de la simple

appropriation des technologies de l’information. Ils doivent aussi intégrer durablement les usages : covoiturer, marcher, faire du vélo, louer une voiture en libre-service, décaler son horaire de départ au bureau, télé-travailler, louer sa voiture ou son emplacement de parking, cesser d’effectuer un trajet de bout en bout en voiture…Pour cela il existe essentiellement deux méthodes pour les villes : l’incitation par le gain de points ou de monnaies virtuelles à valoriser dans une boutique de biens et services, et le jeu, le challenge où l’on propose à l’utilisateur de réaliser des parcours en s’essayant à de nouvelles pratiques. Dans les deux cas, pour adresser l’utilisateur ou le fl atter, c’est l’approche communautaire qui est mise en œuvre. S’il est vrai que l’appropriation des nouveaux usages est au cœur des préoccupations des élus qui consentent les investissements, la Smart City révèle alors sa dimension technologique la plus importante : les réseaux sociaux et les communautés. La Smart City est avant tout relationnelle.

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À l’instar des études marketing, pour comprendre les motivations, on complètera l’approche quantitative des flux par une étude qualitative. Celle-ci peut être réalisée par des entretiens en face-à-face, et par des focus groups, (séance de recueil d’infor-mation et de créativité pour profiter de la dynamique de groupe pour explorer un sujet) ou être une combinaison de deux techniques. Cela permet à la fois de définir ce que les participants jugent envisageable de changer et de faire ressortir des moyens et des solutions pour y arriver. Il s’agit de trouver des solutions les mieux adaptées pour motiver les participants,

Un accompagnement par des experts, notamment des socio-logues, permet d’affiner la compréhension des leviers et des freins chez les utilisateurs.

Et à l’instar d’une campagne de publicité, on peut effectuer un « post-test ». Cela revient à travailler avec le même type d’outils méthodologiques non pas sur les attentes a priori, mais à reve-nir à une phase d’écoute des utilisateurs a posteriori, afin de comprendre la perception du programme proposé et de mesu-rer les écarts entre l’intention et l’usage.

Des campagnes peuvent être opérées pour suivre les effets du programme ainsi que la durée du changement s’il y a eu.

L’enjeu du changement de comportement

Les politiques habituellement utilisées pour favoriser le report modal sont principalement fondées sur des actions sur le système de transport lui-même, via le développement ou l’amélioration des infrastructures ou la mise en place de règles coercitives pour une meilleure régulation.

Une autre stratégie consiste à non pas agir sur le réseau de transport mais sur les mentalités des usagers afin d’induire une modification dans leurs choix individuels de mobilité. Il s’agit de passer d’un changement imposé à un changement volontaire.

La création d’une information plus ciblée, individualisée et donc persuasive permet de faire changer les attitudes autant que les comportements.

Ces méthodes douces sont fondées sur la communication, l’incitation et la motivation. Elles peuvent être définies comme des interventions visant à modifier les décisions de déplacement pour que les pratiques soient plus écologiquement responsables et que les objectifs sociaux, économiques et environnementaux soient atteints et les externalités négatives réduites.

Aucun investissement majeur sur des infrastructures n’est néces-saire. Les budgets à mobiliser pour un programme de change-ment de comportement sont réduits d’un facteur de plus de 100 par rapport à un projet d’infrastructure nouvelle.

Le programme de changement volontaire vise particulièrement les usagers utilisant leur voiture seuls (autosolisme), alors qu’ils pourraient objectivement réaliser le déplacement autrement.

qui tenteront l’aventure – les prime movers – ne seront pas satisfaits et seront plus que jamais convaincus que leurs choix actuels sont les seuls réellement efficaces. A contrario, les prime movers ont un rôle d’entraînement sur le reste des populations concernées par leur exemplarité.

Les alternatives proposées doivent être adaptées aux populations visées. La connaissance des flux, – a minima matrices origines-destinations – et des motivations des déplacements est un second préalable. Il est nécessaire de comprendre les besoins et les habitudes des habitants et de cartographier le panorama des alternatives existantes ou à mettre en place.Enfin, les participants doivent trouver un bénéfice personnel. Il peut s’agir de :

▬ une économie financière par rapport à leur mode de dépla-cement initial,

▬ un gain de temps ou une amélioration de la performance du trajet : temps pour la lecture dans de bonnes conditions…

▬ une reconnaissance au sein de sa communauté.

Les alternatives doivent donc être faciles et envisageables, sans pénaliser les usagers.

Un parallèle avec le change management dans le monde de l’entreprise

Les consultants en conduite du changement utilisent souvent les principes de sociologie des organisations développés par Michel CROZIER1.Il s’agit de comprendre le jeu des acteurs et de distinguer ceux qui ont intérêt au changement et ceux qui s’y opposeront par tous moyens avec de mêmes raisons légitimes. C’est le diagnos-tic stratégique. Dès lors, on identifie les tactiques à adopter pour contourner les obstacles et trouver des leviers de motivation pour les plus réticents.Dans une organisation, quelle que soit sa culture, administrative, technologique ou commerciale, il existe souvent un pourcentage de population très favorable au changement et un même pour-centage qui y est très défavorable. Il est généralement compris entre 15 et 25 % de la population. Une majorité, entre 70 et 50 %, suivra le groupe le plus convaincant.

À l’échelle de la mobilité, les prime movers ont donc un rôle clé et déterminant dans l’entraînement des changements de com-portements. La phase de diagnostic préalable remplit la même mission que la phase de diagnostic stratégique.

Les outils méthodologiques de diagnostic et de mesure

Les enquêtes préliminaires permettent de recenser les pratiques de déplacements des participants : nombres de déplacements par jour, motifs de déplacements, modes de transport utilisés, kilomètres parcourus, etc. On identifie ainsi les habitudes et les contraintes de déplacement. Cette approche est quantitative.

1. L’Acteur et le Système (en collaboration avec Erhard Friedberg), Paris, Le Seuil, 1977.

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autre ; le vélo plutôt que la marche à pied, le télétravail plutôt que le covoiturage domicile-travail…

Il est donc nécessaire de bien connaitre les goûts et les préfé-rences des usagers visés et d’utiliser les arguments les mieux ciblés pour viser le changement de comportement.

Le programme de changement de comportement doit être porté par une personnalité morale dont les valeurs sociétales sont acceptées. Le label « Gouvernement » ou « Ville » ne sont pas toujours suffisants à positionner la crédibilité de l’autorité. L’autorité d’une fondation d’utilité publique peut avoir un rôle moteur dans un programme de changement. Pour une com-munication persuasive la crédibilité de l’autorité est un facteur crucial. Pour convaincre de l’utilité sociale, on mettra en évidence les désavantages écologiques, financiers, sociétaux pour l’indi-vidu mais aussi pour la collectivité.

Les ressorts du changement de comportement volontaire

Psychologiquement, il est prouvé qu’un individu se sent rede-vable dès lors qu’il reçoit gracieusement quelque chose. Offrir un cadeau ou un service est un élément clé dans le processus de changement de comportement ; c’est une incitation suffisante à participer. L’engagement pris doit alors être en cohérence avec les valeurs de l’individu. Et il sera d’autant plus respecté qu’il est écrit ou rendu public. La dimension communautaire des réseaux sociaux de la Smart City rend possible la « publica-tion » du geste responsable.

Le geste vertueux, le changement de comportement sont d’autant mieux acceptés qu’ils sont socialement utiles et recon-nus en tant que tel. Les modes de mobilité alternative sont perçus de façon favorable. Parmi les solutions alternatives, l’utilisateur peut décliner ses goûts pour un mode plutôt qu’un

▄ Avez-vous identifié des spécificités culturelles et des ressorts de motivation différents au Canada ?

Les offres de transports en commun au Canada n’ont pas le même rapport de subvention publique qu’en France, la part payée par l’utilisateur est plus importante. Dans ce contexte, le potentiel de réaction de l’utilisateur est plus important, la notion de service client l’est aussi.L’enjeu environnemental au Canada est très important. Quelques chiffres pour comprendre : 2 fois moins d’habitants au Canada (35 millions) mais des émissions de CO2 5 fois supérieures en ratio par habitant, et le pays est 10 fois plus grand en superficie ce qui impacte fortement les déplacements des Canadiens. La récente alternance politique, plutôt peu favorable aux grands projets envi-ronnementaux, nous laisse espérer des développements rapides du fait de la facilité à mettre en place nos systèmes, ainsi que leur faible coût. Contrairement à la France, l’usage des programmes de fidélité est très répandu ; la notion de service est au premier plan d’une offre commerciale.La compensation financière est organisée autour d’une boutique en ligne dynamique qui permet à un offreur national de déposer une offre de récompense gratuite ou partiellement gratuite. Cette dispo-sition est aussi valable pour une enseigne locale et une entreprise. Le collectif qui met en place le dispositif (Municipalité, entreprise ou association) agit uniquement en régulation et modération de l’offre.

▄ Quels sont vos objectifs de développement ?

Offrir une solution nationale performante permettant de mettre en œuvre une stratégie urbaine pour récompenser l’utilisateur effectuant un geste citoyen et durable. Le point d’entrée et d’accès à notre offre se fait par le transport, y compris par le déplacement en voiture individuelle qui touche toutes les catégories sociales de la population, il se décline avec notre client vers tous les éco-gestes du quotidien (eau, électricité, air, déchets…). Le système de compensation et de récompense est organisé avec nos partenaires locaux et nationaux, c’est ce que nous devons continuer à développer.

TransWayFondée en 2009, TransWay est une entreprise française basée à Nantes, Paris et Montréal, qui s’est fait connaître grâce à la conception de nouvelles solutions applicatives pour que les transports, collectifs ou individuels, pèsent moins sur l’environnement.

TransWay édite l’application GoToo (sur web et mobile) qui permet à ses utilisateurs de partager leurs trajets à plus faible empreinte énergétique et d’être récompensés pour ce faire. Il s’agit d’un service de communautés de déplacements et de mise en relation destiné principalement aux déplacements domicile / travail qui récompense les bonnes pratiques en matière de mobilité. En outre, GoToo met à disposition une information en temps réel sur les offres de transports alternatifs à proximité (transports publics, services de VLS, autopartage, covoiturage,…) à l’aide d’un service de géolocalisation.

Questions à Nicolas TRONCHON, fondateur et PDG

▄ Quel type d’offre déployez-vous au Canada ? Vous appuyez-vous sur des partenaires locaux ?

Nous avons déployé une offre complète pour notre client cana-dien AQLPA (Association Québécoise de Lutte contre la Pollution Atmosphérique) pour répondre à une demande de systèmes de covoiturage urbain et périurbain (adultes et enfants), une offre d’information voyageur en temps réel et un programme de fidélité pour le transport durable. Cette demande était issue de plusieurs expérimentations conduites par plusieurs villes Nord-Américaines comme Londons, Gatineau ou Montréal qui ont expérimenté la récompense utilisateur et l’incitation aux modes de transport actifs.Notre client intervient déjà pour le compte de l’Etat pour la mise en place de l’équivalent de la « prime à la casse ». Il souhaite mettre en place des solutions alternatives auprès de ses utilisateurs. La mise à la casse est un moment privilégié pour convaincre un citoyen de changer tout ou partie de ses habitudes. Mais le programme ne se limite pas aux bénéficiaires du programme de mise à la casse, il vise l’ensemble des citoyens par le truchement des villes et des sociétés de transport notamment.

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Cette approche a consisté à contacter individuellement les personnes ciblées, et de les convaincre par un entretien de réduire leur usage de la voiture ou de l’utiliser différemment.

XL’approche marketing One to Many

D’autres expériences ont été menées en se centrant sur les ménages, des collectivités ou des communautés spécifiques. Les participants participent et réfléchissent en groupe. Cela permet de favoriser l’engagement, la libre expression et d’avoir une validation sociale immédiate sur l’alternative proposée.

Cette approche a été développée notamment dans le programme TravelSmart3 auprès d’écoles ou de lieux de travail.

Dans les écoles, les élèves ou étudiants sont directement impli-qués par les enseignants. Grâce à des activités en classe, des rencontres entre les enseignants et les parents et des événements spécifiques, toute la famille est impliquée dans le processus de changement.

Les programmes basés sur les lieux de travail ciblent les employés. Ils ont pour objectifs de réduire la congestion aux heures de pointe, de réduire les coûts de transport avec un impact positif sur l’efficacité du salarié et sur sa santé. Un des premiers livrables est le plan de déplacement d’entreprise (PDE).

XL’approche communautaire

Plus récente, l’approche communautaire utilise les réseaux sociaux comme levier d’action.

Cette approche peut prendre la forme d’un programme de fidélisation à l’instar des compagnies aériennes. La communauté est utile pour proposer des solutions alternatives lors de dys-fonctionnements majeurs : blocage de routes, grèves de trans-ports… Elle fournit aussi des informations précieuses en temps réel à tous ses membres. La communauté est animée par un community manager. Exemple : TransWay

Le site du programme de stimulation/récompense a une fonc-tion de demand management comme dans le domaine de l’énergie où l’on cherche à lisser le pic de consommation. L’utilisateur y vient pour y trouver une information issue des opérateurs de mobilité ou des membres de la communauté eux-mêmes. Une place de marché (NetMarket) peut proposer des services entre membres (covoiturage…) ou d’échanger des points accumulés contre des réductions chez des prestataires (assurance, entretien de véhicules…).

L’opérateur du programme peut se rémunérer ainsi comme apporteur d’affaires vers ses partenaires qui offrent des bons de réduction (couponing). Exemple : BNV Mobility.

Une approche consiste à organiser des défis et des jeux au sein de la communauté. Un membre est invité à se rendre dans un

3. Expérience commentée dans “Sustainable Cities of the Future: The Behavior Change Driver” Peter Newman (2011) Sustainable Development Law & Policy : Vol. 11 : Iss. 1, Article 6.

L’incitation à donner son sang ne repose pas sur une motivation pécuniaire. Ce sont la satisfaction personnelle et un sentiment altruiste qui rentrent en compte. À chaque problématique de mobilité correspondent des technologies et des leviers de moti-vation. Il s’agit pour l’Autorité publique – et son délégataire – d’effectuer le bon diagnostic puis le bon choix de solution.

Contrairement au donneur de sang, l’automobiliste sera intéressé à baisser son budget de fonctionnement ; le levier financier est au cœur du programme de changement le visant.

Le changement de comportement s’observe dans la durée. Il nécessite un temps de compréhension, de réflexion, d’intégra-tion, d’acceptation, d’adaptation et d’adoption. Les différentes théories sur le changement de comportement le montrent : il s’agit d’un processus qui évolue par étapes et plus précisément par cycles. Quelle que soit la méthode d’analyse, il existe un temps d’observation, de maturation de la réflexion, d’action et enfin de maintien de l’attitude.

Les approches pour conduire le changement

Les méthodes de l’entreprise peuvent s’appliquer au monde de la ville et de sa mobilité. On peut agir en relation individualisée, en marketing direct en one to one, ou par cibles en one to many ou encore par approche communautaire.

XL’approche marketing One To One

Des expériences ont été menées pour appliquer les méthodes marketing au management de la mobilité urbaine. Il s’agit de rencontrer le citadin de façon gratuite à son domicile. Un ciblage est réalisé sur les ménages sur lesquels on a détecté une pro-pension potentielle à changer ses usages et ayant le plus fort potentiel de changement. Les études sont centrées autour de l’individu.

À partir d’un dialogue régulier, les participants sont encouragés à réduire leur usage de la voiture par le biais d’information personnalisée sur les alternatives qui s’offrent à eux. Pour les convaincre de changer de mode de transports on propose un essai réel en offrant un titre de transport collectif. Des solutions individuelles leur sont proposées.

Un exemple de ce type d’approche de marketing direct est IndiMark2. C’est une approche marketing ciblée sur l’accroisse-ment de l’utilisation des modes de transport plus respectueux de l’environnement. Elle repose sur le choix d’une partie significative de la population, qui :

▬ Exprime un intérêt pour changer de comportement de mobi-lité vers des modes plus respectueux de l’environnement,

▬ À la possibilité de changer de comportement.

2. Étude de cas disponible dans « Management de la mobilité par le marketing indi-vidualisé – Une approche innovante pour changer durablement les comportements dans les déplacements quotidiens ». Étude du CERTU principalement d’après les travaux de SOCIALDATA, mars 2002.

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Les programmes de récompense aux pays-Bas : BnV moBiLiTy

Les Pays-Bas mènent dans diverses villes (Rotterdam, Ams-terdam, Utrecht…) des expériences de changement de com-portement des automobilistes. Ces villes ont délégué à BNV Mobility le développement de ces programmes innovants et s’inscrivant de plain-pied dans la Smart Mobility. Ils sont sub-ventionnés par l’Europe et portés par les Régions. Lancé dans le cadre de programme d’investissement « Better benutten » (pour une meilleure utilisation des infrastructures existantes), l’État Néerlandais a préféré investir dans l’optimisation des usages plutôt que dans la construction des nouvelles infras-tructures. À cet effet, les projets pilotes type « Spits Mijden » (« lissage des heures de pointe ») démarrés en 2008 ont donné lieu aux programmes de récompenses monétaires à destination des conducteurs évitant d’utiliser leur voiture aux heures de pointe, pour les trajets pendulaires domicile-travail.

En effet, la construction très coûteuse de nouvelles infras-tructures ne résout que très provisoirement le problème de congestion urbaine. L’élargissement d’une infrastructure, la construction de nouvelles routes parallèles créent rapidement un effet d’aspiration pour de nouveaux véhicules. A contrario, les programmes de type Spits Mijden ont permis l’optimisation de l’utilisation des infrastructures de façon pérenne dans 80 % des cas. En autres termes, les participants au programme pen-dant 8 à 18 mois ont changé leurs schémas comportementaux de manière durable.

La société BNV Mobility est une filiale des exploitants d’auto-routes Egis (entreprise française) et Brisa (entreprise por-tugaise) ainsi que de la société d’ingénierie de la mobilité Nedmobiel (entreprise néerlandaise). Elle s’est positionnée comme le pionnier et le leader européen sur ce nouveau marché du programme de changement de comportement avec système de récompenses. Elle a développé un savoir-faire dans la sélection et le recrutement de participants pertinents ainsi que la maîtrise des processus de communication, d’incitation, de contrôle et de récompense.

En moyenne, avec un niveau de récompense minimum de 2,5 euros par trajet évité ou reporté, le taux de participation active constaté est de 33 %. Cela permet d’atteindre de 8 à 10 % de réduction du trafic, chiffre suffisant pour désengorger

une autoroute aux heures de pointe. Actuellement, le taux de participation active relevé sur le projet en cours d’exploitation dans la région de Rotterdam1 est même supérieur : 4 770 voitures évitent d’effectuer leur trajet en heure de pointe chaque jour sur la base de 10 000 participants enregistrés. La récompense monétaire est de 3 euros par trajet et elle est abondée à 3,50 euros si le participant charge ce montant sur sa carte de transport public.

D’un point de vue technologique, ce sont des caméras ALPR2 qui sont utilisées pour identifier les automobilistes. Cette technologie est fiable et efficace mais intrusive dans le domaine de la vie privée. Son utilisation demande des précautions techniques (non conservation des données, anonymisation…) et des déclarations de fichiers auprès des Autorités.

En 6 ans d’existence, BNV Mobility a su mettre en œuvre et tester d’autres solutions techniques, telle que les boîtiers embarqués (traceurs) et des applications sur Smartphones. Cet éventail de solutions lui permet de choisir les technologies les plus adaptées à l’ambition du projet et au budget disponible.

L’innovation ne s’arrête pas à la technologie. Pour faire conver-ger les intérêts des secteurs privé et public, de nouveaux modèles économiques émergent pour économiser les deniers publics. BNV Mobility a conçu un nouveau modèle basé sur le principe d’économie participative. Toute entreprise inté-ressée par le changement de comportement des usagers pour davantage de mobilité durable ou d’écoconduite peut devenir sponsor du programme de fidélité. Récemment, BNV Mobility et une filiale locale d’Allianz ont créé un schéma qui permet de réduire les coûts de possession d’une voiture de 25 %. En évitant les heures de pointe, en pratiquant l’écoconduite, les points gagnés sont traduits directement en réduction de la prime mensuelle d’assurance ou en bon d’achat d’essence, en bon de réduction sur l’entretien du véhicule…

Pour en savoir plus : http://www.bnvmobility.com/

1. « Wild Van Spits ».2. Automatic Licence Plate Recognition, système de reconnaissance de plaques

minéralogiques.

lieu avec un vélo en libre-service, puis d’effectuer un trajet en marche à pied… Exemple : CitéGreen4

Le community manager peut également organiser un défi. Cette technique s’appuie sur les mêmes ressorts que les jeux en réseau disponibles sur Facebook. L’utilisateur peut publier dans des posts son avancée, son score et solliciter son réseau d’ « amis ».

La « ludification » (ou gamification en anglais) de la mobilité intègre le gain de points ou de trophées, les échanges entre membres, l’obtention d’un statut… Les jeux sont personnali-sables.

4. https ://www.citegreen.com

Conclusion

Les programmes de stimulation (par le jeu ou par l’espoir de gain) de changement d’usages dans la mobilité urbaine et de récompense (par le statut au sein de sa communauté ou par la monétisation de ses actes) sont en plein essor. Ils sont un nou-veau volet de la Smart Mobility qui n’a pas l’ambition de toucher 100 % des utilisateurs mais une petite part seulement, suffisante pour changer visiblement les conditions de circulation et la qualité de vie en ville.

Ils visent à optimiser l’utilisation des infrastructures plutôt que d’en construire de nouvelles. Ils ambitionnent de changer dura-blement les structures comportementales des citadins. n