"Parva: I L'éveil de l'Océan" d'Amruta Patil (Au Diable Vauvert)

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Parva L’éveil de l’Océan AMRUTA PATIL ROMAN GRAPHIQUE TRADUIT DE LANGLAIS PAR MARIELLE MORIN

description

Voici les cinquantes premières pages du roman graphique d'Amruta Patil qui paraîtra le 2 novembre aux éditions du Diable Vauvert.

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Pa rvaL’éveil de l’Océan

amruta patil

roman graphique traduit de l’anglais

par marielle morin

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ce soleil que je vénère

conteurs

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Nous sommes une lignée ininterrompue de conteurs engendrant d’autres conteurs.

Dans chacune de mes paroles, vous entendrez l’écho de celles et ceux qui m’ont précédé.

Il est des choses que vos ancêtres ont voulu sauver de l’oubli.

Aussi les transmirent-ils par le biais des conteurs, les sutradhars.

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Sur la place publique. Dans le cycle des galaxies.

Oui ? Alors c’est de l’or. Si l’ampleur du récit vous donne le vertige : c’est de l’or.Voici une mise en garde et un secret : faites confi ance à qui déroule humblement le fi l d’un récit. Méfi ez-vous du fanfaron qui embellit ou complique à souhait. Ne lâchez pas l’histoire, même lorsqu’elle passe de main en main. Ne la lâchez pas.

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Pour savoir si le récit vaut son pesant d’or, voyez s’il trouve un écho dans le sang qui coule en vos veines.

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au déBarcadère

L’essentiel exige qu’on s’y attarde, qu’on y revienne. Où serait la dimension cosmique d’une histoire qui s’offrirait tout entière dès la première écoute ? Ne lâchez pas l’histoire. Le moment venu, comme la rose qui s’épanouit, elle révélera ses secrets.

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Quel splendide animal !Tu penses ce que je pense ? Seulement si tu penses qu’il

lui faut de nouveaux maîtres puisque le sien ne se préoccupe même pas de la ramener à l’étable le soir…

À votre place, j’y réfl échirais à deux fois. Le prix à payer est bien trop lourd – et ce n’est pas aux coups de bâton du vacher que je pense.

Elle a les pieds à l’envers, comme un fantôme ?

Il y a une dame étrange toute vêtue de blanc derrière nous.

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À l’heure qu’il est, vous ne feriez que commettre d’autres bêtises. Asseyez-vous et écoutez ce qui est arrivé à mes fi ls. J’ai dû les noyer à la naissance parce qu’ils avaient volé la vache d’un ermite lors d’une vie précédente. Je vous ai prévenus : ces histoires de vol de bétail fi nissent toujours mal.

Madame, si cette vache vous appartient, nous vous présentons nos excuses. Elle était l’objet de notre admiration bien plus que de notre convoitise. Il faut vraiment qu’on s’en aille maintenant. Bonne nuit.

À l’heure qu’il est, vous ne feriez que commettre d’autres bêtises. À l’heure qu’il est, vous ne feriez que commettre d’autres bêtises. À l’heure qu’il est, vous ne feriez

Asseyez-vous et écoutez ce qui que commettre d’autres bêtises. Asseyez-vous et écoutez ce qui que commettre d’autres bêtises.

est arrivé à mes fi ls. J’ai dû les Asseyez-vous et écoutez ce qui est arrivé à mes fi ls. J’ai dû les Asseyez-vous et écoutez ce qui

noyer à la naissance parce qu’ils est arrivé à mes fi ls. J’ai dû les noyer à la naissance parce qu’ils est arrivé à mes fi ls. J’ai dû les

avaient volé la vache d’un ermite noyer à la naissance parce qu’ils avaient volé la vache d’un ermite noyer à la naissance parce qu’ils

lors d’une vie précédente. Je vous ai prévenus : ces histoires de vol lors d’une vie précédente. Je vous ai prévenus : ces histoires de vol lors d’une vie précédente. Je vous

de bétail fi nissent toujours mal.de bétail fi nissent toujours mal.ai prévenus : ces histoires de vol de bétail fi nissent toujours mal.ai prévenus : ces histoires de vol ai prévenus : ces histoires de vol de bétail fi nissent toujours mal.ai prévenus : ces histoires de vol

Madame, si cette vache vous appartient, nous vous présentons Madame, si cette vache vous appartient, nous vous présentons Madame, si cette vache vous

nos excuses. Elle était l’objet appartient, nous vous présentons nos excuses. Elle était l’objet appartient, nous vous présentons

de notre admiration bien plus nos excuses. Elle était l’objet de notre admiration bien plus nos excuses. Elle était l’objet

que de notre convoitise. Il de notre admiration bien plus que de notre convoitise. Il de notre admiration bien plus

faut vraiment qu’on s’en aille que de notre convoitise. Il faut vraiment qu’on s’en aille que de notre convoitise. Il

maintenant. Bonne nuit.maintenant. Bonne nuit.faut vraiment qu’on s’en aille maintenant. Bonne nuit.faut vraiment qu’on s’en aille

Asseyez-vous, écoutez l’histoire de l’ermite Mandavya.

De toutes les privations qu’il s’imposa à l’âge adulte, aucune ne racheta les crimes commis dans son enfance. Car petit garçon, Mandavya aimait empaler les insectes sur des brindilles.

Et voyez-vous, le passé fi nit toujours par vous rattraper.

Je n’aime pas la tournure que prend cette histoire, et j’ai mal à l’estomac. Peut-on rentrer à la maison maintenant ?

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Takshak est trop malin pour se faire prendre. S’il n’en veut qu’à

Takshak, pourquoi les brûler tous ?

C’est qu’il doit vraiment haïr les serpents ! Seulement ceux qui ont

des pouvoirs magiques, et en particulier Takshak.

Il y a une part d’orgueil dans tout serment. Tant qu’il n’a pas réussi à tirer Takshak de sa tanière, Janmejaya, par dépit, fera payer tous les autres.

Écoutez-moi : le feu a fait rage toute l’année. Il est si violent qu’on l’aperçoit dans les trois mondes. Il concentre l’ardeur d’un millier de rishis, les yeux injectés de sang par la fumée. Regardez : des oiseaux tombent à terre, morts, tandis que la terre se crevasse sous la chaleur. Pourtant, Janmejaya refuse de mettre un terme au sarpa sattra, son sacrifi ce des serpents. Il ne cédera pas, bien que le pays soit en fl ammes. Il a juré de se venger, il est le plus grand ennemi de son peuple.

D’ici, nous apercevons une brume de chaleur à l’horizon. C’est le feu sacrifi ciel du roi Janmejaya.

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Peu importe celui qui m’écoute, l’endroit où je le rencontre et combien de fois il a entendu le récit, c’est toujours sa propre histoire qui l’intéresse. Nous ne contons qu’à la nuit tombée, car c’est le seul moment où les hommes sont maîtres de leur temps. C’est quand l’astre qui brille sur le monde s’est couché que l’on distingue celui qui brille en nous.

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Comme point de départ de l’histoire, le début en vaut un autre. C’est un commencement parmi beaucoup d’autres, un monde parmi beaucoup d’autres mondes.

un déBut

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Il est lové au creux des anneaux protecteurs d’Anant, le serpent infi ni.

Le monde périt, englouti par les eaux. Entre la fi n d’un monde et le début d’un autre, Vishnu dort.

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De son nombril émerge un lotus parfait.

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La création est un jeu, aussi les âges cosmiques portent-ils le nom des coups de dé. Le premier de ces âges est Krita Yug, c’est l’âge d’or, jeune et généreux, une créature solidement campée sur ses quatre pattes. Sous l’ère de Krita Yug, donner est un désir dont on cherche l’assouvissement. Nul besoin de rituels. Même le langage est superfl u car Krita Yug, c’est l’intention devenue réalité. L’Œil intérieur, grand ouvert, lit dans les pensées.

Ce dernier émerge et crée la vie. La roue des âges cosmiques tourne, tout comme, inéluctablement, le corps s’achemine de l’enfance vers la vieillesse.

Il s’ouvre pour révéler en son centre Brahma.

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Puis Tetra fait place au bronze, à Dvapar Yug. Des quatre pattes originelles de la bête, il n’en reste que deux. On reconnaît là les prémices de l’instabilité. Les cordons de la bourse se resserrent et rien n’est donné qui n’ait été réclamé. Intention ou sacrifi ce ne suffi sent plus à lier corps et esprit, qui sont contraints de plier sous le joug du rituel.

Krita Yug se couvre d’une couche d’argent pour devenir Tetra Yug. Sa démarche stable se mue en claudication sur trois pattes. Le dessèchement du cœur est le plus sûr indice de la succession des cycles. Il faut désormais aller chercher le don. Corps et esprit sont en proie aux affres de la séparation, et de lourds sacrifi ces sont exigés pour que la main comprenne ce que sait l’âme.

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Brahma meurt. Un autre Brahma le remplace.

La création est leela. Elle est divertissement, jeu, rêve.

Puis le monde périt, englouti par les eaux.

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Lorsque Kali Yug arrive sautillant sur une seule patte, empestant la rouille, l’ordre est menacé. La boucle est bouclée, la création s’achemine vers sa dissolution. Les vies sont brèves, la vitesse sans précédent. La désintégration est si totale que tout en est simplifi é. Pour Kali, nul besoin d’Œil intérieur, de sacrifi ces ou de rituels. Il suffi t d’attacher sa ceinture au moment où la grand’roue s’apprête à tourner à nouveau vers Krita. Pendant Kali, repliez-vous sur vous-même pour méditer sur ce qui est sans conteste simple et vrai.

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L’univers est né d’un œuf d’or.

Chez moi, on ne voit pas les choses de la même manière. Car tout cela est très amusant mais c’est un peu fort de croire que ce type avec un lotus poussant dans le nombril est l’origine de tout.

Pas un œuf mais un utérus d’or.

l’origine de tout.

C’est Brahma qui est l’origine de la création, y compris celle de Vishnu.

Pas du tout, c’est Shiv qui les a créés tous les deux.

Tu n’es pas seul à penser cela.

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Entre la fi n d’un monde et le début d’un autre, Vishnu dort.

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Brahma entra dans Vishnu et vit dans sa gorge le multivers.

Bon, faisons la paix, de toute façon, il n’y a que nous dans les parages. Nous sommes tous les deux l’origine de la création, sa source.

Vishnu entra dans la tige de lotus et vit toute la création. Impossible de tirer une quelconque conclusion. Ils s’exclamèrent alors en chœur :

Qui es-tu ? Qui es-tu ?

Eh bien, je suis l’origine de tout.

Bien joué petit, mais c’est moi qui suis l’origine de tout. Tout ce qui fut, est et sera est en moi sous forme embryonnaire, y compris toi, mon cher.

Entre en moi, tu verras que tu te trompes et que je suis l’origine de tout.

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Au commencement, un commencement parmi beaucoup d’autres, Vishnu et Brahma s’aperçurent pour la première fois et s’écrièrent à l’unisson :

Sans vouloir te vexer, je te conseille de regarder d’où pousse la tige de ton lotus…

D’accord, nous sommes reliés. Mais est-ce mon lotus qui émerge de ton nombril ou l’inverse ?

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Brahma, prenant la forme d’un cygne, fi t l’ascension du rai lumineux tandis que Vishnu, sous la forme d’un sanglier, le descendit. Des années-lumière s’écoulèrent sans qu’ils en trouvent la source, ni l’aboutissement. Dans sa lumière, ils virent tout l’univers.

Faisons la paix. De toute façon, il n’y a que nous dans les parages. Nous sommes tous les trois l’origine de la création.

Et il en est ainsi, ad nauseam, avec chaque mythe des origines. Ça se bouscule à l’assemblée des créateurs.

Qui es-tu ? Qui es-tu ?

Je suis Shiv. Le commencement et la fi n.

Suivez le faisceau de lumière et vous verrez que je suis sans fi n. Je suis l’origine de tout.

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Mais ils n’étaient pas seuls. Il y avait, non loin d’eux, quelqu’un ou quelque chose : un rai de couleurs vives, une forme tout à la fois dansante et immuable. Brahma et Vishnu s’écrièrent à l’unisson :

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En principe, c’est une histoire de dieux et de rois que je raconte. Mais pour vous deux, ce sera plutôt l’occasion d’apprendre la politesse, comment il faut s’asseoir, se tenir, écouter, servir, diriger, mais aussi apprendre à se contenter de suivre.

Et quand il faut aller pisser ?

Ou comment baiser, et qui ?

Oh, ça aussi, mais quand on a résolu de plus vastes questions, ce genre de problème ne mérite plus qu’on s’y attarde.

Qui est cette femme parlant si effrontément à des étrangers en pleine nuit au lieu de rentrer chez elle ?

C’est une déesse.

C’est ça… N’importe quelle femme, si tu t’accroches un peu trop longtemps à ses jupes, tentera de te faire croire qu’elle est une déesse et qu’il faut la vénérer.

Eh, toi, avec la bouche de travers, ferme ton clapet.Laisse-le parler, il ne

fait que révéler sa vraie nature ; et après tout, il ose dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas.

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Revenons aux débuts de ce monde qui est le vôtre. Vishnu, de son orteil, déchira la surface des eaux primordiales.

Je m’élançai. Devenue Akashganga, je jaillis de cette déchirure et inondai les cieux. Puis, je me dirigeai vers la terre.

Va. Sois leur mère.

ganga

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Je déferlai tandis que Shiv restait immobile, retenant ma chute.

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Terrorisés à l’idée que ma chute rase la surface de la terre, vos ancêtres allèrent réclamer la protection de Shiv.

Depuis la nuit des temps, Shiv a l’habitude d’être celui qui amortit les chocs. Il accepta donc de les aider.

Je ruisselai le long de son visage, comme la pluie sur du métal chauffé à blanc.

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Je connus l’amour avec un ermite.

Mais c’est lui qui apaisa ma fureur avant de me laisser toucher le sol.

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Comment une jeunette comme toi pourrait-elle être ma mère ?

Que vous êtes sceptiques ! Si vous êtes capables de parler à une rivière, allez lui poser la question. Elle vous racontera la même chose.

Mais tu es une femme, pas une rivière.

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Je suis Ganga. Je règne sur les fl euves célestes et sur ceux d’ici-bas. J’abreuve de mes eaux les terres que vous cultivez ; en mon sein grandit le poisson que vous pêchez. Je vous lave de vos fautes comme de vos impuretés et je charrie la dépouille de vos défunts. Sur mes fl ots naissent les légendes, voguent les récits. Loin de mes rives, invoquez mon nom devant toute rivière et je serai là. Je suis votre mère et je serai à vos côtés jusqu’à ce que votre monde ne soit plus.

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Bien plus tôt que vous ne l’imaginez. Celui qui mettra un terme à l’absurde quête du roi se trouve déjà parmi vous.

Au sarpa sattra de Janmejaya.

As-tu mangé ? Comment t’appelles-tu ?

Où vas-tu comme ça, tout seul, petit ?

Astik.

Son nom est Astik, évidemment. Il est temps pour moi de vous parler des serpents et des oiseaux.

mère reptile, mère rapace

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Quand le sacrifi ce fi nira-t-il, mère ?

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La réponse de Kadru ne se fi t pas attendre.

Alors donne-moi mille fi ls puissants et dotés de pouvoirs magiques.

Et toi, Vinata ?

Moi ? Donne-moi seulement deux fi ls, mais plus puissants et plus vertueux à eux deux que les mille fi ls de Kadru.

Tout ce qui m’importe actuellement, c’est de devenir mère.

Demandez-moi ce que vous voulez.

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L’un des nombreux fi ls de Brahma s’appelait Marichi. Lui-même avait un fi ls nommé Kashyap, dont le nom signifi e tortue. Il avait treize épouses, fi lles de Prajapati Daksha, et avait engendré les devas, les asurs, les démons, les esprits célestes et ceux de la forêt, les arbres, les oiseaux, les bêtes, les serpents, bref la vie telle que vous la connaissez.Parmi ses innombrables épouses, Kashyap avait pour favorites deux sœurs, Vinata et Kadru. Un jour, il décida de leur accorder à chacune une faveur, comme preuve d’amour.

Vinata et Kadru s’aimaient comme peuvent s’aimer deux sœurs, mais elles avaient l’esprit de compétition et une légère tendance à se jalouser plus qu’à s’aimer. L’écho de leur rivalité résonnera pour l’éternité à travers l’histoire des serpents et des oiseaux que vous allez entendre.

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À l’inverse, l’attente de Vinata s’avérait très longue.

Kadru fut bientôt entourée de sa descendance.

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À l’intérieur se trouvait Arun, au large poitrail mais aux jambes informes.

Qu’as-tu fait là ? Maudite sois-tu pour ton impatience ! Tu seras l’esclave de ta sœur.

Seul mon frère au plumage doré pourra te libérer, si tu as le bon sens d’attendre qu’il naisse.

Sur ce, il déploya ses ailes et monta vers le soleil.

Les ombres s’allongeaient puis décroissaient tour à tour. Les couleurs, les saisons et les contours des montagnes changèrent, cinq cents ans s’écoulèrent mais les œufs de Vinata n’avaient toujours pas éclos.

Finalement, incapable de résister plus longtemps, elle brisa la coquille d’un des deux œufs.

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Affamé par mille ans d’incubation, Garud parcourut les cieux à la recherche de nourriture, mais rien ne parvenait à le rassasier.

Thousand years went by before Vinata’s other egg broke open. Garud, foremost of the bird tribe, emerged golden. Such was his effulgence, no god or mortal could gaze at him directly. He would need to take on a less blazing form so that others could look at him.

Thousand years went by before Vinata’s other egg broke open. Garud, foremost of the bird tribe, emerged golden. Such was his effulgence, no god or mortal could gaze at him Thousand years went by before Vinata’s other egg broke open. Garud, foremost of the bird tribe, emerged golden. Such was his effulgence, no god or mortal could gaze at him Thousand years went by before Vinata’s other egg broke open. Garud, foremost of the

directly. He would need to take on a less blazing form so that others could look at him. bird tribe, emerged golden. Such was his effulgence, no god or mortal could gaze at him directly. He would need to take on a less blazing form so that others could look at him. bird tribe, emerged golden. Such was his effulgence, no god or mortal could gaze at him Un millier d’années s’écoulèrent avant que l’autre œuf de Vinata n’éclose. Garud, seigneur du clan des oiseaux, en émergea recouvert d’or. Il était si éblouissant que ni dieux ni mortels ne pouvaient le fi xer du regard ; il dut même atténuer son éclat pour qu’on puisse lever les yeux vers lui.

Comme son frère avant lui, il s’envola vers le soleil.

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Le fossé séparant les rapaces, fi ls de Vinata, et les reptiles, fi ls de Kadru, allait s’avérer impossible à combler. Tout cela à cause des crins de la queue d’un cheval…

Kadru, regarde !

Sur ces rives-ci, et sur d’autres, la légende parle d’un cheval ailé né de l’océan. On dit parfois que son front est orné d’une corne, parfois non, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il est d’une beauté époustoufl ante. L’un des noms qu’il porte est Ucchaishravas.

La race des serpents prolifère. Que ces êtres vigoureux mais malfaisants soient ta nourriture pour toujours.

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C’est alors qu’il entendit la voix de Kashyap, son père.

Jusqu’à ce jour, l’ombre de Garud remplit de terreur les êtres rampants.

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C’est ce que nous verrons.

J’accepte. Je n’ai que faire d’une esclave mais je connais mes mythes cosmiques.

Si tu gagnes, je serai ton esclave jusqu’à la fi n des temps. Si c’est moi, tu devras me porter sur ton dos, pendant un millier d’années.

Il est sans défaut. Pas une poussière pour entacher sa robe.

Presque sans défaut : tu oublies les poils noirs de sa queue.

Il n’y a pas de poils noirs !

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Saisies d’un pressentiment confus, les deux sœurs posèrent le regard sur lui.

Tu es bien sûre de toi… Faisons un pari.

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Kadru était blême de rage.

Ingrats ! Qu’attendez-vous pour réagir alors que l’honneur de votre mère est en jeu ? Maudits soyez-vous ! Sachez que la malédiction d’une mère est toujours entendue. Un roi naîtra qui n’aura d’autre but que de vous détruire par le feu jusqu’au dernier. Vous périrez par les fl ammes d’une mort atroce.

Kadru rassembla ses fi ls.

Transformez-vous en longs crins noirs et, quand Vinata aura le dos tourné, accrochez-vous à la queue d’Ucchaishravas.

Mais elle n’avait pas prévu la réaction de ses fi ls. Tous, jusqu’aux plus vicieux, ceux qui adoraient se battre à la moindre provocation, hésitaient à tromper leur tante, si douce de caractère. Un profond silence accueillit les paroles de Kadru.

C’est le moment d’aider votre mère grâce à vos pouvoirs magiques.

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Les serpents se rallièrent autour de leurs trois princes, Anant, Vasuki et Takshak. Ils étaient divisés en deux camps : la majorité, décidée à utiliser la force pour venir à bout de leur futur ennemi, et ceux qui préféraient laisser le destin suivre son cours. Nul ne s’étonnera que ces derniers fussent en minorité.

Seul Anant, l’aîné des serpents, gardait le silence. Ses frères étaient obsédés par la cruelle malédiction de leur mère, mais lui méditait sur les dernières paroles qu’elle avait prononcées, sur la repentance et la quête de sagesse. Devinant la futilité de leur tentative, il s’éloigna.

Il nous faut éteindre tous les feux de la planète.

Il nous faut tuer dans l’œuf la lignée de Janmejaya, pour empêcher sa naissance.

Un terrible bûcher nous attend, alimenté par des armées de prêtres au service du roi Janmejaya. Je vois nos enfants périr dans les fl ammes.

Il nous faut exterminer les ancêtres de tous les prêtres.

Les serpents furent saisis d’effroi. Certains choisirent d’apaiser le courroux de leur mère et de lui obéir. C’est ainsi que Vinata devint l’esclave de Kadru.

Allez, on va jusqu’à l’océan !

Votre souhait est exaucé, mère. Qu’en est-il de la malédiction ?

Que le meilleur d’entre vous se repente et cherche la voie de la sagesse, c’est votre seul espoir.

Qu’est-ce que vous croyez, imbéciles ! Je l’ai prononcée : impossible de revenir dessus.

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Je ne veux plus de ce monde. Garde-moi à tes côtés.

Qu’il en soit ainsi.

S’éloignant de Naglok, la demeure des serpents, il arriva en bordure de l’océan de lotus et rencontra un être androgyne et souriant.

Le corps d’Anant devint alors la couche sur laquelle était allongé Vishnu, et sa queue l’axe de l’univers.

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S’il est louable de se montrer reconnaissant d’être en vie, des périodes de désespoir sont une garantie de lucidité.

Tu es si belle les cheveux lâchés, mère. Pourquoi les attaches-tu en un chignon si sévère ?

On accorde beaucoup d’importance à l’optimisme à tous crins, cet état aveugle et insouciant, qui ignore les conséquences de ses actes…

Parce que sinon vous n’écouteriez pas un mot de ce que je dis.

Quand le fi ls aîné de Kadru, Anant, contempla ses frères, il ne vit pas des reptiles aux pouvoirs magiques et à l’avenir radieux, il vit du désespoir, de la peur ; il vit des serpents se débattant au fond d’une fosse.

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Franchissant toutes les lignes de défense, il pénétra Devlok pour s’emparer du calice en forme de cœur contenant l’amrit. Aucun dieu ne put lui faire obstacle, pas même Indra, leur roi.

La nouvelle d’un étrange oiseau aux ailes aussi vastes que le ciel se répandit comme une traînée de poudre. Indra fi t appel à Vishnu pour l’arrêter.

Une lumière se mit à scintiller sur l’océan constellé de lotus et Garud fut irrésistiblement attiré.

Entre-temps, Garud avait appris que sa mère avait été réduite en esclavage, et il partit pour Naglok, la demeure des serpents. Cherchant à contrer la malédiction de Kadru, ces derniers eurent tôt fait de fl airer l’aubaine.

Rends-toi au royaume des devas et rapporte-nous l’amrit, l’élixir d’immortalité qu’ils détiennent.

Nous voulons vivre et toi, tu veux récupérer ta mère. Nous devrions nous entendre.

Oui, rapporte-nous l’amrit !Si tu y parviens, nous libérerons ta mère.

Garud s’envola pour Devlok.

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Rien n’arrive sans bonnes raisons. La naissance des rapaces solaires n’était pas un hasard.

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Que vois-je là ? Le calice d’amrit est intact ! Tu tenais l’immortalité entre tes paumes et tu n’en as pas bu une gorgée ? J’aime ta détermination. Demande-moi ce que tu veux.

Soit. Anant est mon socle, toi, tu seras mes ailes. Que la grâce soit avec toi.

Rends-moi clairvoyant sans l’aide de l’élixir. Et garde-moi auprès de toi.

Tu es libre, Suparna, oiseau aux belles plumes. Allez, maintenant, à toi de remplir ta part du marché. Moi, je m’assurerai que les serpents ne boivent pas une goutte d’amrit.

C’est la rançon de la liberté de ma mère que je transporte. Dites-moi ce que vous voulez et je le ferai.

C’est la rançon de la liberté de ma mère que je C’est la rançon de la liberté de ma mère que je C’est la rançon de la

Es-tu conscient que l’amrit ne doit pas tomber entre de mauvaises mains ?

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Garud n’a qu’à sortir de sa coquille et hop, il sait tout de suite ce qu’il a à faire. Ni une ni deux, le voilà au royaume de Vishnu.

Observez-les bien. Pourquoi prennent-ils du retard ? Parce qu’ils apprennent plus lentement que les autres ou parce qu’ils n’ont pas envie d’avancer ? Car rester dans la fosse aux serpents, c’est un choix… Garud s’est peut-être retrouvé à Vaikunth, le royaume de Vishnu, mais ce n’est qu’une partie de l’histoire.

Y entrer, c’est facile, mais le plus diffi cile, c’est de pouvoir y rester.

Qu’en est-il des pauvres diables qui bataillent pour trouver leur voie ?

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Bien avant que Garud ne vienne au monde, Kashyap, son père, afi n de s’assurer une descendance digne de lui, avait accompli un sacrifi ce auquel participèrent des créatures venues de tous les mondes. Parmi elles se trouvaient les Valkhilyas, un groupe de rishis hauts comme le pouce.

La lignée de Kashyap donnera bientôt naissance à un être étincelant qui deviendra l’Indra des oiseaux. Il contrôlera les cieux et te surpassera en tous points.

Tandis qu’Indra se prélassait au soleil, les Valkhilyas cheminaient, courbés sous le poids d’une feuille d’arbre. En les voyant, Indra éclata de rire. Surpris, les Valkhilyas tombèrent dans une fl aque d’eau. Indra rit de plus belle. La délicatesse n’était pas vraiment son fort.

Les rishis étaient petits de stature mais immenses par leurs pouvoirs magiques. Faisant d’une pierre deux coups, ils maudirent Indra tout en récompensant Kashyap.

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Pardonne-moi. Je ne suis qu’un imbécile.

Garud se releva de cette épreuve plus habile, mais aussi plus sage. Il n’oublia pas la leçon : la douce main de la grâce qui se pose sur ton front et t’insuffl e puissance et clairvoyance peut tout aussi aisément te détruire et effacer de ta mémoire tout ce que tu as appris. Il lui fallut plus longtemps pour comprendre que le maître-orfèvre bat, martèle et cisèle son métal le plus précieux avec plus d’acharnement que les matériaux inférieurs de la fonderie.

Mais ce doigt était si lourd que Garud fut écrasé au sol, le souffl e coupé.

Dis-moi ce qui te contrarie.

Tu as sans doute raison. Je vais y réfl échir. En attendant, veux-tu me rendre un service ? Mon petit doigt est fatigué, j’aimerais le reposer sur ton dos un instant.

Les autres maîtres traitent leurs disciples avec douceur et amour, alors qu’à tes yeux je n’existe pas. Tu ne me fais jamais de compliment, jamais de cadeau. Tu ne reconnais même pas mes mérites.

C’est à la force de mes ailes que tu te déplaces, c’est ma férocité qui éloigne les serpents et les asurs. Pourtant, tu affi rmes que c’est toi qui les as vaincus.

Un jour, au commencement, Garud eut le cœur lourd.

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La grande différence, c’est que le courroux n’a rien à voir avec les humeurs ou la contrariété. Ce n’est pas une étincelle qui lance de vaines menaces : il détruit tout sur son passage.

Je sens que quelqu’un va bientôt proférer une malédiction. Dans cette histoire, les gens se mettent en colère à la moindre provocation.

C’est du courroux, pas de la colère.

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C’est une menace pour que tout le monde soutienne Vishnu ?

Croyez-vous que le Divin ait besoin de votre soutien ?

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Des personnages lumineux se glissent constamment dans ce récit, voyageant seuls, sans armes ni bagages, leur pas ne froissant jamais une feuille de plus que nécessaire. Silhouette effi lée, maîtrisant parfaitement leurs six sens, ce sont les rishis, navigateurs du multivers. Leur mode de communication est laconique : mise en garde ou déclaration, passion ou courroux, faveur ou malédiction. La passion, pour opérer sur certains gènes. Le courroux pour remettre les arrogants à leur place. Une faveur, pour contrer l’anathème. Une malédiction, pour agencer l’avenir.

navigateurs du multivers

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En quête de plaisirs et de jolies choses, les mortels se préoccupent assez peu des rishis. Ils attachent bien plus d’importance au royaume des dieux, Devlok. Ah, Devlok… Ciel de nacre, pureté des couleurs, bleu des lagons, musique et volupté de la chair, abondance des fl eurs et des fruits… Les mortels aiment la hiérarchie. Ils aiment l’idée de parents divins, infaillibles et sensuels, qui mènent le bal depuis leur perchoir divin, tandis qu’en bas tout le monde se prosterne.

Les mortels passent leur vie à désirer accéder au royaume divin et à ses richesses. Certains y parviennent mais s’aperçoivent vite que c’est un royaume comme un autre, à cela près qu’on a bien plus à y perdre. Devlok est si proche de la perfection qu’on ne peut que dégringoler… Chaque sommet est une invitation à la chute, chaque plaisir conçu pour détourner du droit chemin. C’est un lieu précaire…

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Au repos, les rishis évitent les zones peuplées. Ils ne tissent aucun lien mais se manifestent là où le besoin se fait le plus sentir.

Les effets de l’intervention des rishis fl eurissent dans leur sillage. Le sceptique comme l’imbécile comprendront un jour le pourquoi du comment, mais les rishis seront partis depuis très longtemps. Ce qui n’est pas plus mal, car en général on ne reconnaît les vrais prophètes qu’après leur mort.

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Le privilège des dieux, c’est d’avoir l’amrit. Pour dire les choses crûment : ils y sont accros, dépendants d’une substance qu’ils ne peuvent ni produire ni remplacer.

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À vrai dire, les devas ne mènent pas le bal. Ils sont bien trop préoccupés pour ça. Dans ce royaume divin, où l’abondance règne et où tous les plaisirs sont à portée de main, l’insatisfaction et l’anxiété augmentent de jour en jour. Des rivalités éclatent. Alors qu’ils ne manquent de rien et ont l’immortalité pour eux, les devas sont troublés par des envies incontrôlables et mystérieuses. Leur vie est si belle qu’ils vivent dans l’angoisse perpétuelle de la perdre.

C’est l’élixir qui les rend invincibles et leur donne une vision télescopique. L’ingrédient qui leur permet de naviguer à travers le multivers.

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Le moment arriva où l’amrit fi nit par échapper aux devas, qui étaient des êtres sous l’emprise du samsara et avaient les mêmes défauts que les mortels qui les vénéraient. Ce fut l’arrogance de leur roi, Indra, qui attira sur eux le courroux de Durvas le rishi. Durvas était aussi célèbre, dans les trois mondes, pour son tempérament colérique que pour ses pouvoirs psychiques. Lors d’une visite, il offrit à Indra sa guirlande de sept lotus immortels.

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Les jardins de fl eurs se fl étriraient, tout comme leurs compagnes. Sans l’amrit, les devas sont vulnérables et leurs ennemis, les asurs, n’en feraient qu’une bouchée.

Sans amrit, adieu les jeux au royaume des dieux, adieu aussi les couleurs iridescentes, les crépuscules aux refl ets or et violet.

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À mesure que l’amrit s’épuisait et que les devas s’affaiblissaient, les asurs se fi rent plus menaçants.

Ce fut précisément ce qui arriva.

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C’était une belle journée et Indra débordait d’exubérance et de morgue. Sur un coup de tête, il se saisit du cadeau du rishi et le jeta sur la tête de sa monture, l’éléphant Airavat.

Énervé par le bourdonnement des abeilles et l’odeur entêtante des fl eurs, Airavat jeta la guirlande et la piétina. Durvas écumait de rage.

Imbécile de deva sur ta stupide monture !

Tu ne sais même pas te comporter avec plus sage que toi. Je te maudis, toi et ton monde : Lakshmi vous abandonnera et votre fontaine d’amrit se tarira !

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Selon le protocole, Brahma alla trouver Vishnu.

La solution n’est pas simple, mais elle existe. Les devas doivent faire taire leur ego. Ils doivent faire face à leur plus grande peur et s’allier à leurs pires ennemis. Avec l’aide des asurs, ils devront baratter l’océan. S’ils tiennent bon, ils trouveront ce qu’ils cherchent.

Le sommet du mont Meru était envahi de devas au teint de cendres et en manque d’amrit venus faire pénitence et demander à leur créateur, Brahma, de les aider. Mais ce n’était pas de son ressort, car lui non plus ne pouvait pas produire d’amrit.

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Comme on baratte le lait pour obtenir du beurre, il faut baratter l’océan pour obtenir l’amrit, décidèrent les devas. Le nom de l’océan était Mansarovar – océan de l’esprit. Un nom révélateur, pour un champ de bataille… Le mont Mandar, avec ses sommets dorés et ses herbes médicinales, serait l’instrument idéal pour un exercice aussi violent. Pour faire offi ce de corde, qui d’autre qu’Anant, le serpent infi ni ? Quant à empêcher le lit de l’océan de s’effondrer, seule la divine tortue en serait capable. On murmure que la tortue était Vishnu en personne. Évidemment : pour l’amant, l’aimé est océan et montagne, épuisement et soulagement, poison et amrit – le barattage, en somme.amrit

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Ils barattèrent jusqu’à n’être plus que muscles palpitants, et l’océan un vortex rugissant. La surface de l’eau, naguère calme, fut secouée de tempêtes, tourbillons et de raz-de-marée gigantesques.

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Il ne restait plus qu’à demander leur aide aux asurs. Ces derniers haïssaient les devas plus que tout. Pourtant, lorsque Indra demanda de l’aide à leur roi, Vali, ce dernier répondit par l’affi rmative.

La perspective de l’amrit l’emporta sur celle de saboter les projets des devas. Tout le monde rêve d’immortalité…

Voilà comment le barattage commença.

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Du plus profond de l’océan, une substance fétide monta à la surface – Halahal, le plus violent poison qui fût. Avant qu’il ne corrompe les eaux, Shiv l’avala. Il en porte encore la marque à la gorge.

L’or fondit, les herbes bienfaitrices et autres résines odorantes se déversèrent dans l’océan dont les eaux se troublèrent.

Se tordant sous l’effort, Anant crachait feu et fumée. D’épais nuages se formèrent, manquant asphyxier les asurs avant de fl otter vers l’autre rive pour rafraîchir d’une ondée les devas épuisés. Le frottement du serpent contre la montagne faisait jaillir des étincelles.

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Sans un regard pour les devas et les asurs, qui la dévoraient des yeux, Padma Lakshmi s’unit à Vishnu, formant avec lui la fractale parfaite. S’inclinant devant le choix de partenaire de Padma Lakshmi, les devas se prosternèrent.

L’inégalable Padma Lakshmi sortit des eaux. Les sages se mirent à psalmodier des hymnes en son honneur, les gandharvas à chanter et les apsaras à danser. Afi n de lui offrir des eaux pures dans lesquelles se baigner, mes sœurs les rivières jaillirent. L’océan la vêtit et la para d’une guirlande de lotus immortels, et Vishvakarma la couvrit de bijoux.

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Que le partage de l’amrit soit fait de tes mains.

Échaudés par le dédain de Lakshmi, les asurs se précipitèrent vers l’amrit comme des frelons, suivis de près par les devas.

Avant qu’ils ne se télescopent et ne s’anéantissent mutuellement sur les rives du Mansarovar, Vishnu intervint sous les traits de Mohini, enchanteresse sans pareille.

Sa beauté était telle – courbes généreuses, voix mélodieuse, grâce veloutée – qu’ils en oublièrent leur fatigue, leur rivalité et jusqu’à l’amrit.

Mohini, avançant langoureusement, servit d’abord les devas. Une fois le dernier des dieux servi, elle disparut avec l’amrit.

Décide de notre sort.

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L’une après l’autre, d’innombrables merveilles émergèrent lentement des eaux. Kamdhenu, la vache qui exauce tous les souhaits, le Parijat, dont les fl eurs ne se fl étriraient jamais, les gracieuses et sensuelles apsaras, Ucchaishravas, la lune, Kaustubh, joyau ornant la poitrine de Vishnu. Finalement, Dhanvantri, médecin des dieux, apparut, tenant le calice du feu de la félicité, l’amrit.

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Le noyau de l’atome est chargé de particules positives. Des particules négatives (ou peut-être des ondes serpentines ?) tournent en orbite autour de lui, dépassant de loin le nombre des particules positives.

Il n’y a pas de rivalité entre un type de particules et un autre : l’atome trouve sa stabilité quand le négatif et le positif s’équilibrent. Le noyau ne reconnaît ni Bien ni Mal.

Vishnu non plus n’a aucune implication personnelle dans les luttes entre devas et asurs, entre harmonie et dissonance, entre antigène et pathogène, entre nuit et lumière. Il n’existe aucune garantie que le jour triomphera de la nuit, ou que l’harmonie viendra à bout des dissonances. Lorsque Vishnu intervient, ce n’est que pour maintenir l’équilibre.

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Les asurs n’ont donc reçu que des mensonges en échange de leurs efforts, comme les serpents.

À quoi bon faire des efforts, quand l’intention première est dévoyée ?

L’intérêt de Vishnu n’est pas partisan : son seul but est de maintenir l’équilibre.

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Vali reconnut celui à qui il venait de faire l’aumône.

En seulement deux pas, j’ai pris tout ce qui t’appartenait, Vali. Mais dis-moi, où dois-je poser mon pied pour accomplir mon troisième pas ?

Lève-toi Vali. Quand le règne d’Indra s’achèvera, tu prendras sa place et le royaume t’appartiendra à juste titre.

Sur ma tête, Ô bien-aimé, sur ma tête, la seule chose qui m’appartienne vraiment.

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Le roi des asurs, Vali, a usurpé mon royaume. Il semble gagner en puissance chaque jour. J’ai besoin de ton aide, Ô Vishnu.

Je ne vois aucune différence entre toi et Vali. Sa dévotion et son règne sur Devlok sont parfaits. De plus, il parvient bien mieux que toi à faire taire son arrogance.

Néanmoins, tu as fait appel à moi, donc je me dois de t’aider. La générosité de Vali est bien connue : je vais prendre l’apparence d’un ermite et lui demander en aumône un terrain équivalent à trois de mes pas. Devlok sera rendu aux tiens.

C’est ce qu’apprit Indra le jour où il fi t appel à Vishnu à propos d’une bagarre entre devas et asurs.