Partie 1 - Le fruit d'un amour...

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Transcript of Partie 1 - Le fruit d'un amour...

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Le Fruit d’un Amour impossible

Partie 1

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Du même auteur aux Editions Sharon Kena

De feu et de Glace (tome 1 et 2)

Les Raisons du Cœur (tome 1 et 2)

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Le Fruit d’un Amour impossible

Partie 1

Angie L. Deryckère

LES EDITIONS SHARON KENA

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Tous droits réservés, y compris droit de reproduction totale ou

partielle, sous toutes formes.

©2013Les Editions Sharon Kena

www.leseditionssharonkena.com

ISBN : 978-2-36540-228-6

6

« On rencontre souvent sa destinée lorsqu’on prend des

chemins pour l’éviter… »

Jean de La Fontaine

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8

Table des matières

C

hapitre 1 p 11

C

hapitre 2 p 22

C

hapitre 3 p 29

C

hapitre 4 p 38

C

hapitre 5 p 51

C

hapitre 6 p 63

C

hapitre 7 p 77

C

hapitre 8 p 89

C

hapitre 9 p

101

C

hapitre 10 p

113

C

hapitre 11 p

131

C

hapitre 12 p

145

C

hapitre 13 p

161

C

hapitre 14 p

179

C

hapitre 15 p

196

C

hapitre 16 p

217

C

hapitre 17 p

236

C

hapitre 18 p

248

C

hapitre 19 p

260

C

hapitre 20 p

276

C

hapitre 21 p

293

C

hapitre 22 p

311

C

hapitre 23 p

333

C

hapitre 24 p

353

9

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1

RETOUR CHEZ MOI

Jenna

Je ne m’étais pas rendu compte à quel point le souvenir des dernières

années était toujours si bien présent en moi. J’avais beau secouer la tête

pour éviter de penser à ce que je trouverais dans les prochaines minutes,

mais rien n’y faisait…

Tout était pareil depuis il y a un peu plus de quatre ans.

Rien n’avait changé.

Fidèle à ma promesse, j’étais revenue, le cœur déchiré… tout comme il

l’avait été lorsque j’avais fui la demeure familiale. Non pas à cause de

l’un de ses membres, quoique… je devais le préserver.

Qu’aurait-il pensé s’il avait su ? Je lui devais au moins ça, partir avant

que je ne le fasse souffrir plus encore.

Ce n’était plus le cas à présent…

Je fermai les paupières et appuyai ma tête contre le dossier du siège de

la voiture, garée devant cette maison où j’avais grandi.

J’étais son unique fille, mais aussi la cause de son déchirement.

Sébastien, mon frère aîné n’avait su m’ôter la culpabilité que je ressentais

malgré toute l’attention et la gentillesse qu'il me portait. Notre père me

rejetait sans cesse et je ne pouvais le lui en vouloir…

Après tout, en venant au monde, je lui avais enlevé l’amour de sa vie.

Au souvenir douloureux du passé, mes yeux picotèrent. Grands

ouverts, ils étaient rivés droit devant, repoussant tout simplement l'envie

de regarder sur la gauche.

J’éclaterais sans doute en sanglots et je me le refusais. Ce n’était pas

envisageable. Je revenais pour lui – mon frère – et personne d’autre. Il

avait besoin de moi.

Notre père était décédé depuis plus d’une semaine, et ce, malgré les

efforts de Séb pour me convaincre de lui faire un dernier adieu, j’avais

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tout bonnement manqué les funérailles.

Délibérément…

Il m’en voulait certainement, mais il comprendrait sans doute. Après

tout, il connaissait ce que j’éprouvais.

Mon aîné, de treize ans, Sébastien avait toujours été là, prenant soin de

moi depuis mon premier cri dans ce monde – en dépit de la présence de

mon père –, jusqu’au moment où j'avais fui sans donner la moindre

explication. Mais je savais que le lien était trop puissant entre nous pour

qu’il m’en tienne rigueur indéfiniment. Lui seul aurait pu comprendre si je

lui avais avoué, mais je n’en avais pas eu la force… à l’époque.

Mais celui-ci ne me supportait pas et le simple fait de poser son regard

sur l’enfant que j’étais le terrifiait. Je devais lui ressembler.

Peut-être…

Dès ses treize ans, Séb n’avait pas eu le choix que de s’occuper de

moi. Il n’aurait pas laissé cette petite fille livrée à elle-même.

Il aurait pu m’en vouloir pourtant. J’avais déstabilisé… perturbé son

adolescence… et surtout, je lui avais pris sa mère à lui aussi.

Je lui avais ôté l’amour maternel qu’il méritait et n’avais jamais connu

ce que l’on pouvait éprouver en tant qu’enfant, blotti contre le cocon

protecteur d’une maman.

Qu’était-ce au juste d’en avoir une ?

Serait-ce identique à mes amies du lycée ?

À appeler toutes les cinq minutes, mourant d’inquiétude lorsqu’elles

dépassaient l’heure du couvre-feu ?

Aurait-ce été si difficile de lui raconter mes déceptions amoureuses ?

Mes flirts ?

Bien que ce ne fût pas trop mon cas.

Nos sujets de conversations auraient été bien limités. Et puis, Sébastien

était avec moi, il avait toujours été là, lui. Dans le rôle du père, d’un ami,

d’un confident…

Et comment l’avais-je remercié de tout ce qu’il m’avait apporté ?

En m’enfuyant loin de tout… en lui mentant…

J’aurais pu lui avouer toute la vérité, mais je n’étais pas assez forte.

J’aurais détruit beaucoup de choses, particulièrement, la grande amitié

avec le voisin d’en face.

Non, je n’aurais pu…

Toujours installée au volant de ma voiture, j’inspirai profondément afin

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de trouver le courage d’en sortir, mais je restais immobile, incapable de

bouger. Je savourai encore ces instants de silence, comme si la tempête

s’apprêtait à déchirer celui-ci en des hurlements macabres que me jetterait

– sans doute – Sébastien au visage quand il la verra… lorsqu'il

comprendra enfin.

Mais je me consolais à me dire que j’avais connu plus difficile comme

épreuve à surmonter.

Oui...

Toutes ces années de solitude – bien que je ne fusse pas vraiment seule

– m’avaient endurcie, elles m’avaient fait mûrir. Ce n’était pas comme

autrefois... pas comme ce jour où j’avais fêté mon dix-huitième

anniversaire. Ce soir-là que je ne pourrais jamais oublié même si je le

voulais plus que tout au monde.

Je soupirai, essayant de retrouver un souffle plus régulier. Je jetai un

regard dans mon rétroviseur et esquissai un faible sourire avant de sortir

vivement de la voiture.

L’air frais picota la peau de mon visage découvert. Il neigeait, mais

quoi de plus normal, en plein mois de décembre ?

Je n’étais plus en France, mais à New York ! J’étais revenue à la

maison…

Après cinq années d’absence, je rentrais chez moi pour faire face à mes

cauchemars, mais j’avais grandi !

Je n’étais plus la petite fille innocente que tout le monde pensait que

j’étais alors…

– C’est bien toi ?

Cette voix…

Je l’aurais reconnue entre mille.

Plaquant un large sourire sur mes lèvres, je tournai la tête dans sa

direction.

– Sébastien !

Une seule fraction de seconde suffit pour qu’il se tienne devant moi.

Il me toisa de ses grands yeux noisette puis m’attira brutalement

contre son torse.

Peut-être était-ce cette étreinte que je n'avais plus eue durant tout ce

temps ?

Ou alors, le fait de sentir l’amour qui émanait de lui, m’enveloppant

ainsi dans ses bras ?

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Je n’en savais rien, mais je fondis en larmes.

– Tu m’as tellement manqué, ma puce…

– Pardonne-moi, soufflai-je en sanglotant.

Il me serra plus fort contre lui sans toutefois ajouter les mots que

j’attendais, les questions que j’appréhendais avant qu’il ne la voie.

– Séb… murmurai-je, le visage blotti dans le creux de son épaule.

– Ne t’inquiète pas. Tu es revenue, c’est tout ce qui compte.

Non !

Mon retour devrait l’alarmer, au contraire !

Je m’écartai de lui un peu trop sauvagement et baissai le regard,

sentant la nausée m’envahir. Je fermai les yeux en priant silencieusement

que, par un miracle, je me réveillais, stoppant ainsi le cauchemar qui me

hantait chaque nuit… mais j’étais bien là, ici, face à mon frère qui me

dévisageait étrangement.

Il avait compris.

– Qu’est-ce que…

Je ne lui laissai pas le temps de terminer sa phrase. Je levai la main

afin qu’il n’ouvrît pas la portière de la BMW.

– C’est ma fille, Séb.

Je ne saurais dire quelle force intérieure venait de me pousser à lui

annoncer aussi directement cette nouvelle alors que je n’en avais jamais

trouvé le courage ces années durant.

Incrédule, il me fixa.

Je fuis son regard, la honte me submergeant de plein fouet.

– Ta… fille ?! s’écria-t-il d’une voix étranglée.

Je hochai la tête, incapable de prononcer autre chose, qu’un pauvre :

– Je suis désolée…

Une mouche vola. Plutôt un flocon qui termina sa chute sur le bout de

mon nez.

– Tu es désolée ?! Comment as-tu pu me cacher ça !

Ses mains vinrent encadrer mon visage sans douceur ni tendresse.

Je n’avais plus le choix à présent. Je dus affronter la colère de ses iris,

devenus si sombres que mon corps en frissonna tout entier. Mais je soutins

son regard. J’étais prête à assumer ses foudres, je l’avais mérité.

– Sébastien…

– Est-ce la raison de ton départ ?

Je baissai les yeux, mais la pression de ses doigts contre mes joues

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m’en dissuada aussi vite.

– Je… Oui, murmurai-je, luttant contre les larmes qui menaçaient de

se déverser en un flot bien trop longtemps retenu.

– Comment ? Que s’est-il passé ? Tu aurais dû me le dire. Bon sang !

hurla-t-il en serrant son emprise sur mon visage. Pourquoi avoir gardé ça

secret ?

Mes paupières se fermèrent.

Comment le lui avouer ?

Comment lui expliquer la situation infernale dans laquelle je m’étais

trouvée ?

– S’il te plaît… tu me fais mal, fis-je en refermant mes doigts autour

de ses poignets.

J’ouvris les yeux et le fixai.

– Très bien, dit-il en desserrant enfin son emprise.

– Séb, je sais que…

– Rentrons... Tu vas attraper froid ! me coupa-t-il d’un ton autoritaire

en m’écartant de son passage.

Indécise, je l’observai une minute tandis qu’il se penchait à l’intérieur

de la voiture. Il en extirpa mon enfant, sagement endormi dans une

couverture polaire. Je remerciai alors silencieusement le fait qu’il faisait

trop sombre dans le quartier pour qu’il puisse distinguer les traits de son

visage ainsi, devant cette maison où j’avais trop souvent attardé mon

regard…

Tant de moments à imaginer cet instant, à représenter la réaction qu’il

aurait, que je ne m’étais pas attendue à celle-ci.

Il restait silencieux, pénétrant dans les pièces jusqu’à ce qu’il arrivât au

salon. L’esprit en déroute, je pressai le pas derrière lui et pris ma fille dans

mes bras.

– Maman…

– Je suis là, mon trésor. Nous sommes arrivées.

Je savais que nous faisions l’objet d’une contemplation intense, mais

j’évitai son regard.

– J’ai faim, railla ma fille.

J’ôtai son manteau et son bonnet de laine.

– Je vais préparer quelque chose, informa Sébastien d’une voix neutre.

Je levai les yeux et aperçus avec étonnement la tristesse installée dans

ses pupilles avant qu’il ne quitte la pièce d’un pas vif.

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– C’est qui ?

J’esquissai un léger sourire et passai une main dans ses longues

boucles brunes.

– C’est ton oncle Sébastien, ma chérie. Tu te souviens ? Je t’en ai

parlé.

Elle hocha la tête et observa autour d’elle. Je l'imitai, consciente que

tout avait changé. Je n’y avais pas prêté attention à mon entrée, bien trop

inquiète de la réaction de mon frère.

Les murs étaient d’un blanc éclatant à présent. Auparavant, un

immonde papier peint à fleurs recouvrait la totalité de la pièce. Le canapé

où Sébastien et moi nous chamaillions sans cesse dans le passé n’était plus

le même. Un imposant angle de cuir noir trônait le long de la paroi, face à

un écran plat de dernière technologie, remplaçant la bonne vieille

télévision que l’on regardait plus que l’on n'aurait dû…

J’étouffai un soupir et m’installai près de Maddy dans le canapé où

l’on ne risquait pas de faire tomber les coussins au sol.

Un sourire anima mon visage un instant, le temps de ces souvenirs

joyeux des batailles que nous faisions tous les deux et des pirouettes

rocambolesques que j’essayais d’améliorer à la moindre occasion.

– Maman ? On va rester ici ? me tira-t-elle de mes pensées.

Nostalgique, je hochai la tête, incapable de prononcer un mot. Ma

gorge me brûlait tant, cette boule d’angoisse familiale obstruait le passage

de l’oxygène dont j’avais besoin.

– Maman ?

– Tu vas aimer être ici, ma puce, arrivai-je à dire avant de l’attirer

contre moi.

– Si t’aimes bien ici, moi aussi alors j’aimera bien.

– J’aimerais bien, la corrigeai-je en riant doucement.

Maddy m'imita et enroula ses bras autour de mon cou. Je fermai les

yeux, savourant avec délice cette étreinte.

– Je t’aime si fort, mon ange.

– Moi aussi je t’aime, maman.

– C’est prêt !

Je relevai la tête et esquissai un sourire à l’adresse de mon frère,

appuyé contre le chambranle de la porte.

– Allez, ma puce... On va manger et ensuite, je te mettrai au lit.

– Je suis pas fatiguée, rétorqua-t-elle en bâillant ouvertement.

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Le rire de Sébastien me donna un peu de baume au cœur. Nos regards

se croisèrent un court instant, car j’y mis fin rapidement avant que

l’émotion ne me gagne.

Je ne devais pas craquer.

Pas devant Maddy.

– J’espère que tu aimes les spaghettis, ma grande ?

– Elle adore ça ! m’écriai-je d’une voix enthousiaste.

– Oui, mais si y’a pas de sauce tomate, je mange pas, rétorqua Maddy

en soutenant le regard de son oncle.

Un peu décontenancé, il hocha la tête et me fixa, les sourcils froncés

par l’interrogation. Il fallait que je fasse diversion, mais il prit la

délicatesse de ne pas poser de questions, du moins, pour le moment…

Je sentis la nausée m’envahir et Sébastien en fut certainement

conscient, car il s’approcha vers moi et me tendit la main.

Déstabilisée, je le contemplai un instant puis plaçai la paume de ma

main dans la sienne.

– Venez manger pendant que c’est chaud.

Je hochai la tête, le remerciant silencieusement du tact qu’il prenait en

présence de ma fille.

Nous le suivîmes toutes les deux dans la cuisine et nous nous

installâmes à la table.

– Mange, m’ordonna Sébastien en posant une assiette pleine de

spaghettis rougeâtres devant moi.

– Merci…

J’imitai alors ma fille qui avalait déjà une bonne fourchette. Elle se

régalait visiblement et je ne pus que sourire tandis qu’elle en mettait

partout.

– Mm… je comprends pourquoi tu aimes tant la sauce tomate, fit

Sébastien en fixant mon enfant.

– Ah oui ?

– Tu en as fichu partout, l’informa-t-il d’une voix douce.

Je déglutis difficilement alors que mon regard s’attarda sur son visage.

Il n’avait pas changé, si ce ne fut que ses traits étaient plus tirés et ses

cheveux devenus plus ternes que le brillant de jais qu’il avait auparavant.

Je profitai de son occupation à nettoyer les lèvres et le menton de ma

fille pour l’épier avec attention.

De minuscules ridules ombrageaient le coin de ses yeux et sa fossette,

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que j’adorais, s’était creusée sans qu’il se donne la peine de sourire pour

la faire apparaître.

Il ressemblait tant à notre père.

– Jenna ?

– Mm ?

– Elle s’endort ou…

– Oh, le coupai-je en attirant Maddy contre moi. Elle est épuisée.

– Viens, je vais t’accompagner.

Je le suivis silencieusement, serrant ma fille dans mes bras tandis que

j’espérai qu’il n’avait pas remarqué la ressemblance frappante avec son

père.

J’étais dans le brouillard total, ou plutôt dans un rêve irréel où une

partie secrète en moi voulait que ça se passe ainsi.

Arrivée à l’étage, je découvris avec surprise que ma chambre n’avait

pas changée. Je fis mine de ne pas lui montrer la douleur que j’éprouvais à

me tenir dans cette pièce, au milieu des objets laissés à leurs places.

Malgré moi, mes pensées me propulsèrent à ce soir-là où pour la première

fois, je connus l’amour d’un homme, le seul…

– Hé, ça va ? Tu es toute pâle ! s’inquiéta Sébastien en passant un bras

autour de ma taille.

– Oui, oui… c’est juste que…

– Il n’a jamais voulu que je touche à cette chambre, murmura-t-il

d’une voix un peu rauque. Les draps sont propres et la pièce a été aérée…

– Merci, soufflai-je, troublée par l’aveu qu’il venait de me faire.

Maddy dormait toujours, le visage blotti contre ma poitrine. Sébastien

m’aida à la mettre au lit et je me félicitai de l’avoir déjà habillée pour la

nuit avant notre arrivée. Mais cette attention n’atténuait pas pour autant le

besoin pressant de fuir cet endroit, car je pris tout mon temps pour la

couvrir avant de l’embrasser sur le front.

– Elle s’endort très vite, remarqua-t-il dans un murmure.

Je hochai la tête et caressai tendrement les cheveux ébène de mon

trésor.

Soudain, j’eus conscience qu’il observait Maddy plus minutieusement

au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient.

L’insupportable panique m’envahit alors à nouveau.

– Il faut qu’on parle, Jenna.

– Je sais, arrivai-je à prononcer.

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Quelques minutes plus tard, je laissai Maddy dans mon ancienne

chambre et suivis Sébastien au salon. Nous nous installâmes sur le canapé.

J’attendis, les bras croisés, poings serrés contre mes côtes, que sa première

question vînt.

Ce qui ne tarda pas… Malheureusement.

– Qui est le père de Maddy ?

Comment lui en vouloir de me poser celle-ci précisément ? Je ne

pouvais pas lui avouer, je culpabilisai une fois de plus.

– Je ne peux pas te le dire.

Ma réponse était bien minable.

– Je le connais ?

Je fermai les paupières, tentant désespérément de trouver le courage

pour le dissuader.

– Je ne peux pas, Séb…

Il soupira, exaspéré par mes réponses futiles et si faciles.

– Jenna, je ne vais pas te faire la morale. Il est au courant de son

existence ?

– Non !

Il leva les bras et s’esclaffa :

– Bon sang, Jenna ! Pourquoi es-tu partie dans ce cas ? On aurait pu

t’aider, tu ne crois pas !?

– Tu en as assez fait, Sébastien… Je n’avais pas le droit de…

– Stop ! hurla-t-il, très furieux.

Je commençai à perdre patience, moi aussi. Je n’étais plus une petite

fille. Le mal était fait depuis longtemps maintenant et c’était impossible

de revenir en arrière…

– Écoute…

Voilà que je lui demandais de m’écouter alors que je fus incapable de

continuer.

Comment lui dire ?

Par où commencer ?

Malgré les heures que j’avais passées à écrire sur papier, les mots que

je pourrais utiliser pour lui raconter toute l’histoire, je n’étais plus capable

de me souvenir.

– Je t’écoute, Jenna.

– Je… Ce n’est pas si simple, murmurai-je d’une petite voix que je ne

reconnus pas.

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– S’il te plaît, pria-t-il d’un ton brisé par l’émotion. J’estime avoir le

droit de savoir pourquoi tu as fui, tu ne penses pas ?!

– J’étais enceinte. C’était la seule raison.

– Ne me prends pas pour un con, Jenna ! De quoi avais-tu si peur ?

Papa ne t’aurait pas…

Je fermai les paupières. Sa main se posa sur ma joue, cueillant une de

mes larmes de son pouce.

Je ne voulais pas qu’il ait honte de moi.

– Jenna…

– Il m’a toujours rejetée, tu le sais aussi bien que moi. Et, je refusais

que mon bébé connaisse cette souffrance.

– Tu aurais pu avorter, tu étais si jeune…

– Jamais ! Tu m’entends ? m’écriai-je, hors de moi.

Je le vis hocher la tête, il avait l'air aussi perdu que je l'étais.

– Tu l’aimais, n’est-ce pas ?

Je baissai le visage, marqué par cette douleur perpétuelle qui

comprimait irrémédiablement ma poitrine. J'acquiesçai timidement tandis

que la honte me soulevait le cœur en miette, encore un peu plus.

– Viens là…

J’éclatai alors en sanglots contre son torse.

Pendant plusieurs minutes, il me garda dans ses bras, me berçant

tendrement en murmurant des paroles apaisantes.

Puis, il me demanda :

– Tu es certaine que ce n’est pas à cause de son père que tu as quitté la

maison ?

Je ne pouvais pas lui mentir plus que je ne l’avais déjà fait.

Je secouai alors la tête.

Il me repoussa lentement et attendit que mon regard s'offre au sien.

– J’ai… préféré partir, Sébastien. C’est tout ce qu’il y a à savoir,

murmurai-je d’une voix sincère.

– Mais pourquoi ? Et ce type, tu l’aimais vraiment ?

– Oui…

– Mais… Jenna, j’ai vraiment du mal à comprendre. Je n’ai jamais vu

de garçon qui… Mon Dieu ! Peter ?

– Peter ? répétai-je en fronçant les sourcils, essayant de me remémorer

le visage de mon ami d’enfance.

20

– Oui, Peter !

– Non ! Bien sûr que non, il était un ami…

– Il est au courant, lui ?

– Personne n’a jamais su, Séb…

– Comment t’es-tu débrouillée alors ? Tu as eu ce bébé toute seule !

Jenna…

Sa voix était désespérée, profondément brisée, et je me serais bien mis

deux claques de lui infliger tout cela.

– Me pardonneras-tu un jour ?

Son regard me bouleversa.

– Tu es ma petite sœur, Jenna. Bien sûr que je te pardonne, mais dis-

moi comment tu as pu supporter ça toute seule ? Tu n’avais que…

– Dix-huit ans… le coupai-je dans un murmure.

Il me serra contre lui.

À nouveau, je retrouvai la chaleur de son corps et fermai les yeux,

savourant cette étreinte fraternelle qui m’avait tant manqué.

– Raconte-moi tout, ma puce, me susurra-t-il en s’enfonçant dans le

canapé, m’entraînant avec lui.

Lentement, je relevai la tête, laissant choir une larme sur son bras.

– D’accord…

21

2

EXPLICATIONS

Jenna

Pendant de longues minutes, et malgré la fatigue, je racontai à

Sébastien mon départ, sans lui révéler le nom de celui qui en était la

cause. Je lui expliquai le désespoir que j’avais éprouvé lorsque j’avais

appris ma grossesse. Je ne voyais aucune autre solution que cette

échappatoire : la fuite.

Ce fut avec une voix neutre que je tentai de garder, pour lui narrer mon

récit où je détaillais les périples de mon exil en France.

À l’époque, mon compte en banque le permettait, donc, j’avais pris le

premier avion. Je connaissais bien la ville de Paris, pour y avoir passé une

année de pensionnat lorsque j’avais seize ans. Durant mon année scolaire

en France, j’avais fait la connaissance de Julie qui, au fil du temps, était

devenue ma meilleure amie. Celle-ci m’avait hébergée, sans que je lui

avoue toutefois la véritable raison de ma soudaine venue.

J’avais trop honte.

Quelque temps plus tard, j’avais trouvé un travail de serveuse dans un

restaurant, toujours peuplé dans les soirées interminables. Cela avait été

difficile, mais la paie était bonne, ce qui m’avait permis de louer un petit

appartement, trois mois après.

Je narrai les dernières semaines avant la venue au monde de Maddy en

prenant soin d’éviter son regard. Il m’écouta avec une grande attention,

décryptant sans doute la souffrance sur mes traits lorsque je lui avouai que

j’avais eu recours à une association pour mères célibataires.

Les gens étaient formidables. Ils m’avaient conseillée dans la

préparation de la venue de mon bébé et m’avaient aidée avec les

formulaires administratifs qui étaient difficiles pour mon niveau de

français.

Je finis par lui épargner le récit sur toutes les douleurs de

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l’accouchement et lui informai juste de l'essentiel, que tout s’était bien

déroulé.

– Comment as-tu trouvé tout ce courage, Jenna ?

– Je n’avais pas le choix.

– Si, bien sûr que tu l'avais ! Bon sang, tu aurais dû rester…

– Je sais, murmurai-je dans un souffle.

– Papa ne t’aurait pas chassée de la maison. Tu lui manquais, Jenna.

– Arrête ! C’est faux !

– Il t’aimait, quoi que tu en penses. Notre père t’aimait, Jenna.

– S’il te plaît, stop ! le priai-je de se taire.

Je massai mes tempes douloureuses.

– Très bien, mais il faut que tu saches qu’il a souffert de ton absence.

Je secouai la tête, refusant de m’attarder sur cette dernière remarque.

– Quel âge à Maddy ?

– Quatre ans.

Ses sourcils s’arquèrent tout en me fixant de façon incrédule. Je repris

alors une contenance en affichant un maigre sourire et débitai aussitôt

qu’elle était très intelligente et très avancée pour son âge.

– J’espère qu’elle se plaira ici.

– J’en suis sûre. Elle n’est pas difficile.

– Tout comme sa mère, j’imagine… répliqua-t-il.

– Mm… mais dis-moi… et toi ?

– Quoi, moi ?

Je souris, le priant d’un regard de me répondre. Il soupira puis s’élança

dans un long discours.

– Toujours la même chose que je te disais durant nos conversations

téléphoniques. Je suis en vacances actuellement, du moins, j’ai pris un peu

de temps.

– Tu as terminé ton roman ?

– Oui. Deux jours avant l’enterrement de papa, je l’ai envoyé à

Charles.

– Comment va-t-il ?

– Bien…

– Une petite amie ? demandai-je d’un ton espiègle afin de détendre

l’atmosphère.

– Non… j’ai repoussé ces relations pour le moment. J’ai besoin de me

23

consacrer un peu à mes amis. Je les ai pas mal délaissés pendant l’écriture

de mon roman.

Je fermai les yeux inconsciemment avant de reprendre :

– C’est bien.

– Mm… c’est vrai que nos sorties commençaient à me manquer…

mais avant, j’ai besoin de te retrouver, ma puce. C’est tout ce que je

veux… et je voudrais connaître ma nièce. Tu crois qu’elle m’aimera ?

Je souris. Les larmes montèrent et je fus incapable d’ouvrir la bouche.

Il serra ma main dans la sienne et m’attira contre lui. Je restai

silencieuse, perdue dans les souvenirs.

– Me pardonneras-tu un jour ?

Il soupira longuement. De peur qu’il refuse mes excuses minables, je

frémis.

– Et ce David ? me demanda-t-il soudainement en caressant mes

cheveux.

Honteuse une fois de plus à cause de tous mes mensonges, je baissai

les yeux.

– Je t’ai menti, soufflai-je.

– Tu veux dire…

– C’est juste un ami... rien d’autre. Si je t’ai raconté que nous étions

ensemble, c’était pour…

– Me faire croire que tu étais heureuse ? continua-t-il d’une voix

brisée par la déception. Et ce n’était pas le cas… loin de là, je me trompe ?

Je n’étais pas fière de l’ampleur de la mascarade que j’avais créée pour

lui cacher la vérité, mais j’acquiesçai.

– Je suis désolée…

– Tu as des nouvelles de ce type ?

Indécise, je relevai le visage et scrutai son regard quelques secondes. Il

paraissait furieux, en colère, mais elle ne m’était pas destinée… pourtant,

moi seule la méritais.

– Pas comme tu l’imagines… c’est du passé, Sébastien. Je ne veux

plus en parler, je t’en prie. Je sais que j’ai commis des erreurs, mais tout

ce qui m’importe maintenant, c’est Maddy… son bonheur.

Le silence s’installa entre nous. Son corps était raide, ses muscles se

contractaient durement sous sa peau hâlée. Attendant silencieusement une

autre question, ou le flux de colère qu’il n’avait toujours pas exprimée

24

comme il aurait dû le faire, je fermai les yeux.

Au lieu de cela, de ce que j’espérai secrètement, il m’enlaça plus

étroitement.

– Tout ce qui importe c’est que tu sois revenue… avec Maddy,

murmura-t-il contre mon oreille, d’une voix qui me bouleversa.

Une larme s’échappa. Silencieusement, je la laissai couler, n’essayant

plus de la retenir dans un geste automatique. Il s’en rendit compte et

redressa mon visage de ses longs doigts fins. Son regard sonda dans le

mien, ne me laissant aucune occasion de le fuir.

– Promets-moi de ne plus partir, Jenna ? murmura-t-il.

Je fus incapable de répondre, bouleversée par tout l’amour que je

retrouvai dans ses yeux après ces cinq interminables années.

Mais était-ce la véritable raison de mon mutisme ?

Non !

J’étais de retour, et ce malgré la grande appréhension de le revoir…

L’homme que je n’avais pourtant pas réussi à chasser de mon esprit… de

mon cœur brisé en mille éclats. Nos chemins se croiseraient à nouveau et

j’en porterais la responsabilité et ses conséquences comme j’étais

parvenue à les assumer jusque-là.

Dans un état second, je sentis qu’il me montait à l’étage. Mon visage

blotti dans son cou, j’inhalai son odeur. Je humai son parfum avec saveur,

comme j’avais toujours envie de le faire lorsqu’il venait chez nous.

À quatre-vingt-dix-neuf pour cent, j’étais quasiment certaine de rêver.

Une fois encore, je vivais à travers cette nuit-là. Pourtant, elle fut

différente des autres fois. Je voyais plus précisément les traits parfaits de

son visage, les gestes hésitants de nos mains découvrant nos corps,

l’appréhension de son regard et la béatitude de son expression alors que je

refusais de le laisser partir.

Je pouvais tout ressentir… comme si je revivais l’instant.

La peur, la panique passant de l’incroyable émotion qui m’avait

électrisée de toute part alors que mes lèvres s’accrochaient aux siennes

puis… le goût fruité de sa langue lorsqu’il s’était abandonné… enfin…

Il aurait pu me déposer sur le lit et me raisonner, me jetant à la figure

que j’avais bu plus que de raison pour fêter mon dix-huitième

anniversaire, mais il ne l’avait pas fait.

Après ce doux baiser, son regard s’était ancré au mien, brillant d’un

désir insoupçonnable. Je revis à travers les brumes de mon sommeil mes

25

mains qui passaient sur son visage, redessinant chacun de ses traits d’une

beauté inégalable à quiconque.

Je l’avais incité, l’avais invité silencieusement à se coller contre moi.

Ce qu’il avait fait, laissant un grognement sourd s’échapper de sa gorge en

même temps qu’il écartait la voix de sa raison, lui dictant de partir avant

de commettre la plus grosse erreur de sa vie.

Mais ça, il ne l’avait pas fait non plus.

Il était resté près de moi, me serrant avec une force étonnante contre

son corps, entre ses bras, me couvrant de baisers délicieux. Aucun garçon

ne m’avait embrassée ainsi.

Tout tournoyait autour de moi, pourtant, je n’étais pas ivre et il s’en

était bien rendu compte. Je me noyais dans un monde jamais aperçu

auparavant. Cette nuit-là, il m’avait aimée comme personne ne l’avait

jamais fait et ne le ferait jamais…

À l’instant où nous étions sur le point de commettre l’acte le plus beau

qui soit, il avait encerclé mon visage de ses mains et avait fixé mes iris

noyés d’émotions. Je lisais l’interrogation dans ses pupilles presque

translucides. Il savait que j’appréhendais… mais se doutait-il que c’était la

première fois que je me livrais ainsi ?

Je ne savais pas, mais il le comprit plus tard.

Contrairement à ce que l’on racontait sur la première expérience

sexuelle, je n’avais ressenti aucune douleur. Peut-être, était-ce dû à sa

tendresse, à la douceur dont il avait fait preuve. Je l'ignorais, et je ne

pouvais la comparer avec une autre.

Il s’était montré si attentionné.

Cette nuit là resterait gravée dans ma mémoire, je le savais en mon for

intérieur tandis qu’il prenait possession de mon corps… de mon cœur. Je

ressentais encore les mille papillons qui agitaient leurs ailes, effleurant ma

peau sensible à l’extrême.

Ses lèvres revenaient sans cesse sur les miennes, les cajolant, unissant

nos langues dans des cris et gémissements étouffés alors que j’étais sur le

point d’apercevoir le monde de la jouissance…

Cette unique sensation troublante…

Tout avait été merveilleux.

Mais pourquoi alors cela continuait-il ?

Étais-je bien en train de rêver ?

Pourquoi je ne me réveillais pas… là, maintenant ?

26

Je compris…

Ce rêve dérivait vers le cauchemar, comme à chaque fois où ses mots

me heurtaient de plein fouet.

– Je t’aime…

– Tu ne mesures pas la portée de tes paroles, Jenna… m’avait-il

répliqué d’une voix sèche.

Son visage était crispé, près du mien qui, lui, était terrifié à l’idée qu’il

me quittât.

Ce qu’il fit pourtant…

Il s’était relevé rapidement, évitant mon regard tout en s’habillant dans

des gestes maladroits. Mon cœur se brisait peu à peu… au fur et à mesure

qu’il enfilait chacun de ses vêtements.

– Ne pars pas, avais-je murmuré, les larmes aux yeux.

Ne comprenait-il pas que je l’aimais à en mourir ?

Depuis déjà bien des années.

Savait-il ce que je ressentais lorsque mes yeux se plantaient dans les

siens, dès qu’il franchissait le seuil de notre maison ?

N’avait-il pas remarqué le manque de souffle, les battements

frénétiques de mon cœur quand il se tenait près de moi ?

Ne s’était-il vraiment jamais rendu compte de rien ?

– C’était une erreur, Jenna… je n’aurais pas dû…

– Non ! avais-je crié de toutes mes forces, les larmes inondant mes

joues.

Il m’avait fixée, incrédule d’abord, puis avait porté ses doigts sur mes

lèvres, mon visage. Ses pouces avaient effacé mes pleurs avec une

tendresse inouïe.

– Je suis trop vieux pour toi.

– Ça ne compte pas, avais-je répliqué en agrippant ses poignets.

– L’amitié de ton frère compte. Tu es sa petite sœur et… jamais il ne

me pardonnera si…

– Je ne lui dirais jamais, avais-je répliqué, soutenant son regard.

J’avais conscience à cet instant que je venais de briser quelque chose.

Je n’étais pas capable d’identifier la douleur qui me serrait la poitrine.

Était-ce la lueur de tristesse qui habitait le vert émeraude de ses yeux

qui en était la cause ? Ou alors, qu’une partie de moi-même savait-elle

pertinemment que c’était une erreur, et qu’il avait raison ?

C’était sans doute pour cela que je m’étais résignée à sa décision.

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J’avais lâché ses poignets, le libérant d’une étreinte qui n’aurait jamais dû

exister.

– Ne t’inquiète pas… Sébastien n’en saura jamais rien…

– Jenna…

Il avait émis un soupir de soulagement ou de frustration ?

Il m'était impossible d’en décrire exactement la signification, puis il

avait scellé ses lèvres aux miennes pour un dernier baiser avant de me

tourner le dos. Il avait quitté ma chambre, me laissant seule, pleurant ma

première expérience amoureuse.

Les semaines suivantes, je m’étais efforcée de ne rien laisser paraître.

Je sortais plus que de coutume, de peur de le croiser dans une des pièces

de la maison quand il rendait visite à mon frère. Mais un soir, alors que je

m’apprêtais à me coucher, je l’avais surpris par la fenêtre. La demeure de

ses parents, face à la nôtre. Ma chambre, face à la mienne, que seule la

route séparait. Il était là, debout dans l’obscurité, fixant dans ma direction.

Les résistances que je gardais jusque-là – à combattre mon chagrin –,

avaient disparu. J’avais posé ma main sur mes lèvres afin d’étouffer les

sanglots qui montaient en moi, incapable de les retenir.

J’avais alors quitté vivement l’endroit de ma fenêtre où il m’observait

toujours… je le savais…

Ce fut alors dans un état de transe que je m’endormis, les joues

humides par les larmes, espérant me réveiller au petit matin, loin de cette

vue douloureuse qui m’empêchait de respirer sans suffoquer.

28

3

COMPLICES

Jenna

Ma respiration haletait comme si je venais de courir pendant de

longues heures interminables. Malgré les battements frénétiques de mon

cœur, j’ouvris les paupières et eus un moment de stupeur. Je ne participais

pas à un marathon, non… Je venais tout simplement de me réveiller, me

tirant de cette bulle cauchemardesque.

Mes paupières clignèrent plusieurs fois, s’habituant à la lumière

éclatante du soleil qui filtrait par la fenêtre. Je dus prendre un instant pour

me remémorer où je me trouvais. C’est alors que les souvenirs de la veille

refirent surface dans mon esprit encore embrumé par le sommeil agité.

Sébastien et moi avions passé une bonne partie de la nuit à discuter.

Épuisée, je m’étais endormie dans ses bras. Pourtant, je n’étais plus au

salon et j’en conclus rapidement qu’il m’avait installée sur son matelas.

La pièce n’avait pas changé malgré toutes les années.

Seul, le bureau face au lit était neuf, ainsi que l’ordinateur posé sur

celui-ci qui paraissait être un modèle dernier cri.

Je poussai un long soupir puis me levai. Sébastien ne s’était pas

contenté de me déposer sur le matelas, songeai-je en observant ma tenue.

Vêtue d’une de ses chemises, je sortis de sa chambre et m’avançai

doucement vers celle qui était mienne dans le passé. J’ouvris la porte,

prenant soin de ne pas faire de bruit au cas où ma fille dormait encore.

Mais je découvris le lit vide.

Très vite, une impression d’étouffement monta en moi. Je portai la

main à ma gorge, essayant d’inspirer profondément pour reprendre mon

souffle.

Rien n’y fit.

Une douleur dans ma poitrine me paralysa entièrement. Puis, mes

muscles se mirent à trembler. Il fallait à tout prix que j’arrive à apaiser

29

cette crise d’angoisse.

M’adossant contre le mur, je baissai la tête vers mes genoux et tentai

de respirer calmement. Fermant les paupières, il me fallut quelques

minutes pour réussir à apaiser les battements de mon cœur qui cognaient

dans ma poitrine, prête à exploser.

Incapable de comprendre ce qu’il venait de m’arriver, je sortis

précipitamment de la pièce.

Tremblante, je m’arrêtai un instant en bas des marches et cherchai à

évacuer ce flot d’émotions effrayantes de mon corps.

Soudain, la voix de ma fille me parvint de la cuisine. Je poussai un

long soupir de soulagement puis pénétrai dans la pièce.

– Ah, tu es réveillée ! s’écria joyeusement Sébastien.

J’esquissai un léger sourire et m’avançai près de Maddy qui, à ma

grande surprise, déjeunait déjà.

– Salut, mon ange, dis-je en embrassant le sommet de son crâne.

– Oncle Sébastien m’a dit que je devais te laisser dormir.

– Il a eu raison, merci, Séb…

Il m’interrompit d’un geste de la main et m’enlaça tendrement.

– Tu as bien dormi, dis-moi ? Il est plus de midi.

– Déjà ?

Il hocha la tête en souriant, amusé de mon air ahuri. Puis il m’invita à

prendre place à leurs côtés.

– C’est toi qui as préparé ce repas ? demandai-je d’un air surpris en

fixant les pommes vapeur fumantes, la variété impressionnante de

légumes qui colorait joliment le plat, puis les morceaux de viande de bœuf

– sans doute –, qui nageaient dans une sauce délicieusement alléchante.

– J’aimerais bien arriver à cuisiner cela un jour, mais tu sais très bien

que je suis nul dans ce domaine.

– Oh…

– Elle m’apporte mes repas tous les deux jours… comme elle le fait

depuis des années d’ailleurs, tu n’as quand même pas oublié ?

Je réussis à secouer la tête.

Non, je n’avais pas oublié.

Comment aurais-je pu ?

La voisine d’en face s’était toujours montrée d’une grande attention

envers nous, et ce, depuis ma venue au monde… depuis la mort de ma

mère.

30

– Tu vas bien ? Jenna ?

D’un geste vif, je redressai la tête et le gratifiai d’un sourire forcé qui

se voulait rassurant.

– Oui, ne t’en fais pas.

– Tiens, je vais te servir.

– Non, merci… je n’ai pas faim.

– Jenna !

– Je vais juste prendre un café, répliquai-je en me levant.

Il n’insista pas, pour mon plus grand soulagement. Je me servis une

tasse de café encore fumant et le bus à petites gorgées, savourant le

liquide glissant dans ma gorge.

Quelques minutes plus tard, Sébastien déchargeait le coffre de ma

voiture. Il monta les bagages à l’étage alors que je préparais Maddy avant

de l’autoriser à regarder son DVD préféré, le temps de prendre une bonne

douche et ranger nos affaires dans les placards.

– On pourrait aller chercher ce qu’il faut pour préparer la chambre de

Maddy ?

– Ah… oui, pourquoi pas. Le reste de nos affaires devraient être livrés

aujourd’hui.

– Je vais y aller dans ce cas.

– Tu sais, cela peut attendre.

– Non… de toute façon, je dois y faire quelques courses.

– Ça ne te dérange pas ? demandai-je.

– Bien sûr que non, ma puce. Je peux emmener Maddy si tu veux, tu

auras plus de temps pour terminer de mettre tout en place.

J’arrêtai mon geste un instant et j'empilai la dernière pile de vêtements,

avant de me tourner vers lui.

– Si… oui, si Maddy veut venir avec toi, je n'y vois pas

d’inconvénients, répondis-je d’une voix un peu bredouillante.

– Jenna, murmura-t-il en fronçant les sourcils. Je t’ai promis hier que

je ne te demanderais plus qui est le père de ton enfant. Tu n’as rien à

craindre. Je suis son oncle. Et si elle risque…

– Non, non… le coupai-je, comprenant qu’il s’inquiétait au sujet de sa

nièce à cause de ma réaction.

– Tout va bien ?

– Oui, soufflai-je. Excuse-moi, mais je n’ai jamais laissé Maddy… tu

31

es mon frère et je suis stupide de réagir ainsi.

Il éclata de rire à mes paroles et vint me serrer dans ses bras.

– Je comprends, ne t’en fais pas. Nous allons juste nous rendre au

supermarché pour acheter de quoi décorer la chambre de la petite. On ne

sera pas longs.

– D’accord, acquiesçai-je, les joues rosies par la honte.

Il me sourit tendrement et je m’écartai de son étreinte. Il s’avança vers

la porte et se retourna vers moi avant de me lancer un clin d’œil de

complicité retrouvée.

– Ce soir, je vous emmène toutes les deux chez Jack.

– Jack ? m’écriai-je aussitôt à l’écoute de ce prénom, si doux à mes

oreilles.

– Oui. Il sera ravi de te revoir.

– Il tient toujours son restaurant ?

– Bien sûr que oui ! Il fait les meilleurs burgers du coin.

Mon regard plongea dans le sien et, pendant une fraction de seconde,

l’envie de me jeter dans ses bras pour le remercier me submergea.

– J’ai hâte de le revoir… Maddy va l’adorer.

– Tu as toujours été sa préférée, tu sais. Il va tomber des nues quand il

va la voir. Il t’a connue toute petite, je te rappelle, et quand il va voir ta

fille, il va se sentir projeter dans le passé, fit-il en se mettant à rire.

– Pourquoi ça ? demandai-je, un peu soucieuse.

– Maddy te ressemble comme deux gouttes d’eau.

J’écarquillai les yeux, sentant un profond soulagement naître au creux

de mon ventre à cette remarque.

– Quoique… son regard…

Il s’interrompit, les yeux plissés, tandis que l’inquiétude balayait le

soulagement que je ressentais en une seconde vive et dévastatrice.

– Bon, on file. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi.

– D’accord.

Il me sourit puis quitta la pièce, me laissant perplexe quant à ses

soupçons silencieux sur le regard de Maddy qui m’irritaient

intérieurement.

Malheureusement, il m’était impossible de cacher la couleur de ses

yeux… et cette intensité profonde à regarder les gens comme son père le

faisait.

32

Les exclamations joyeuses que j’entendis au rez-de-chaussée

interrompirent mes pensées. Un faible rire s’échappa de ma gorge en

découvrant la complicité naissante entre ma fille et mon frère. Un soupçon

de culpabilité vint pourtant tourmenter l’exaltation de mon bonheur, mais

je l’effaçai derechef.

Pendant de longues minutes, je m’évertuai à nettoyer un peu et à

ranger la chambre, évitant soigneusement de jeter un coup d’œil par la

fenêtre. Dès que tout fut en place, j’inspectai la pièce d’un regard

inquisiteur.

C’était plutôt pas mal, m’avouai-je en poussant un long soupir.

Je ne saurais dire si c’était à cause des bruits des moteurs des véhicules

passant devant la maison ou alors la neige qui commençait à tomber en

gros flocons, mais mon regard s’égara en direction de la fenêtre. J’avançai

d’un pas hésitant.

Lentement, je posai une main contre la vitre et scrutai la maison, face à

la nôtre. Elle n’avait pas changé elle non plus, du moins, vue de

l’extérieur.

Les questions se bousculèrent à nouveau dans mon esprit. Toutes les

mêmes, incessantes et irrévocablement inquiétantes.

Viendrait-il passer les fêtes de fin d’année chez ses parents ?

Comment allait-il ?

Et surtout, comprendrait-il le lien entre Maddy et lui si jamais il venait

à la croiser ?

Toutes ces questions martelèrent mon crâne jusqu’à en avoir mal. Je

redoutai toutes les réponses, mais je savais au plus profond de moi que je

pouvais m’en sortir.

Tout était clair dans ma tête.

Maddy ne fera jamais partie de sa vie et je m’en tiendrai à cela.

Les livreurs étaient venus comme prévu un peu avant dix-huit heures.

Sébastien et Maddy n’étaient toujours pas de retour et je venais

pratiquement de terminer de monter le lit de ma fille quand ils apparurent

près de la porte de la chambre.

– Oh, vous êtes là ? observai-je en me redressant difficilement.

– Tu as fait ça toute seule ?

Je fronçai les sourcils puis parcourus la pièce du regard.

Était-ce si difficile de m’imaginer monter des meubles ?

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– J’ai juste terminé d’assembler l’armoire et la coiffeuse. Il me reste

plus qu’à mettre le matelas, l’informai-je en souriant à la vue de son air

perplexe. Si cela peut te rassurer, les livreurs ont été très gentils en

montant tout ça à l’étage.

– Eh bien dis donc… j’avoue que tu m’en bouches un coin, Jenna. Je

ne te savais pas si habile avec des outils.

À cette remarque, j’aurais très bien pu me renfrogner, m’offusquant de

son manque de délicatesse en me rappelant sans le vouloir mon ancienne

maladresse. Mais j’avais changé.

– J’ai appris ! lui répondis-je en riant.

Et heureusement d’ailleurs !

Surtout devant le fait accompli lorsque j’avais acheté le berceau de

Maddy avant qu’elle ne vienne au monde.

Étant seule – je ne pouvais me plaindre, je l’avais voulu ainsi –, j’avais

mis ma gaucherie de côté et m’étais débrouillée. Certes, avec un peu de

d’étourderie au début, mais je m’en étais bien sortie.

– Tu sais que tu as beaucoup changé, Jenna, lança-t-il en s’avançant

vers moi.

– Les gens changent, Sébastien.

– Maman ! On a mes jouets ! s’exclama Maddy en tirant son ours en

peluche d’un carton.

– Oui, ma puce. Si tu veux, tu n’as qu’à tous les sortir et les ranger

dans ton coffre.

Maddy opina naturellement. Un large sourire sur ses lèvres, elle

s’empressa de sortir le contenu du carton en poussant des petits soupirs,

ravie de retrouver ses affaires.

Avait-elle cru qu’ils avaient disparu ?

Craignait-elle de ne pas récupérer ses jouets ?

Je me faisais la réflexion silencieusement lorsque la main de Sébastien

s’agita devant mon visage.

Surprise, je fronçai les sourcils et l’étudiai du regard.

– Quoi ?

– Tu es rêveuse et j’ai remarqué que tu l’étais à de nombreuses

reprises. Tu as un souci ?

– Non, bien sûr que non. Elle a été sage ? lui demandai-je afin de

dissimuler une nouvelle fois la vérité.

– Ouais. C’est une gosse adorable.

34

Je baissai la tête et le remerciai dans un murmure.

– Elle a choisi la couleur pour les murs. Je m’en occuperai demain

matin.

– Quelle couleur a-t-elle choisie ?

À ma question, il se mit à rire.

– Vert pomme ! J’ai tenté de la dissuader et de choisir le rose, lui

expliquant que toutes les chambres des petites filles étaient roses, mais…

– Elle a tenu tête.

– Ouais, souffla-t-il en baissant les épaules.

– J’imagine que tu n’as pas insisté ?

– Mm. Tu as vu son regard ? Comment ne pas lui céder ?

– C’est difficile, j’en conviens, mais tu y arriveras avec le temps,

parvins-je à prononcer.

Il s’esclaffa et secoua la tête.

– Je pense qu’il est déjà trop tard, Jenna. Ta fille est une vraie

ensorceleuse. Je crois bien qu’elle m’a déjà envouté.

J’éclatai de rire à sa grimace.

– Le vert est sa couleur préférée, lui confiai-je en lui donnant un léger

coup de coude dans le bras.

Nous terminâmes tous les trois de ranger les affaires de Maddy dans la

bonne humeur. Une fois que tout fut en place, ma fille sauta sur son

matelas en riant. J’appréciais de la voir ainsi... Elle arborait un large

sourire jusqu’aux oreilles, laissant admirer ses petites dents d’une

blancheur éclatante. Sébastien la rejoignit et se mit à la chatouiller,

redoublant les éclats de rire de Maddy.

Pour la première fois depuis très longtemps, un sentiment profond

d’apaisement prit possession de tout mon être. La vue de Sébastien et de

ma fille s’amusant de cette façon me rappela nos moments uniques.

– Hé, Jenna ! Au secours !

Amusée, je m’approchai et attirai Maddy contre moi, le libérant ainsi

pour qu’il puisse se relever.

– Dis-moi, toi ! Tu en as de la force ! avoua-t-il en prenant une mine

surprise en fixant sa nièce.

– Oui ! J’ai gagné ! s’écria-t-elle fièrement.

– Allez, ma puce, nous allons nous préparer.

– On va chez Jack ? demanda-t-elle.

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Je lançai un coup d’œil en direction de Sébastien et je ne pus

m’empêcher de rire légèrement. Ils avaient bien parlé tous les deux,

observai-je tandis que je passais une main furtive dans les boucles de ma

fille pour les lisser.

– Oui, ma puce. Tu vas être bien sage, hein ?

Je lui souris alors qu’elle acquiesçait d’un signe de tête entendu.

– Je file sous la douche. Vous serez prêtes dans une demi-heure,

j’espère !

– Ne t’en fais pas, je suis certaine que c’est nous qui devrons

t’attendre. N’est-ce pas, Maddy ?

– Oui.

– C’est ce qu’on verra, répliqua Sébastien en s’esclaffant avant de

quitter la chambre.

Le sourire aux lèvres, je restai immobile tout en contemplant Maddy

qui fouillait déjà dans son armoire en quête d’une nouvelle tenue. Un long

soupir s’échappa de ma gorge et j’allai la rejoindre pour l’aider à choisir

ses vêtements. Maddy avait beau n’avoir que quatre ans, elle aimait mettre

sa coquetterie en avant. Je souris alors qu’elle sortait une robe, sa

préférée.

– D’accord, mais tu mets une paire de collants, ma puce.

– Oh, non !

– Nous ne sommes pas en France, mon ange. Il neige ici et il

commence à faire très froid.

– D’accord, se résolut-elle à murmurer dans un soupir.

Je secouai la tête et l’invitai à se dépêcher si elle ne voulait pas laisser

gagner son oncle. Tandis qu’elle commençait déjà à ôter ses vêtements, je

dénichai rapidement sa brosse dans le tiroir de sa coiffeuse pour démêler

ses cheveux.

– On doit se dépêcher, maman ! Oncle Sébastien va gagner.

– Ne t'en fais pas, on sera prêtes avant lui, répondis-je en riant.

– Dis, maman ? C’est vrai que Jack t’aimait beaucoup quand tu étais

petite ? me demanda-t-elle, quelques minutes après.

Un sentiment de nostalgie se propagea en moi aux souvenirs de cet

homme qui comptait beaucoup, autrefois.

Faute d’un amour paternel, je trouvais ce réconfort auprès de lui. Dès

que le temps me le permettait, je m’évadais de la maison pour trouver

refuge dans son restaurant où mon confident m’attendait. Encore une

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personne qui avait souffert par ma faute…

Soudain, cette pensée me serra brutalement le cœur. Je pris conscience

que lui seul pouvait être susceptible de connaître la véritable identité du

père de Maddy. Je lui avais tellement parlé de lui. Bien sûr, je n’avais pas

narré ce qu’il s’était passé, ce soir-là où j’avais fêté mes dix-huit ans.

Mais Jack savait très bien que mon cœur n’était que pour un seul

homme… et cela même si je savais pertinemment que cet amour n’était

pas à double sens…

37

4

À BOUT DE SOUFFLE

Jenna

Respirer profondément... inspirer à pleins poumons l’air frais de New

York ne m’avait pas aidée à refouler ce flot d’émotions qui me

submergeait.

Je restai immobile un instant et serrai la main de Maddy dans la

mienne sous le regard compatissant de Sébastien. Il savait, ou du moins, il

se doutait de l’effet produit en moi face à cette façade du restaurant.

– Maman, j’ai froid !

L’exclamation de ma fille me parvint vivement et je repris mes esprits

où les souvenirs s'étaient rétablis. La main de Sébastien s’empara de la

mienne.

Avec un effort ultime, je lui rendis son sourire et hochai la tête, le

rassurant silencieusement.

Alors que je pensais avoir la force d’avancer, de pousser cette porte au

tintement familier, je restai là, les pieds enfoncés dans la neige. Je fixai les

flocons qui virevoltaient devant mon visage.

– Jenna ? Ça va ?

Un sourire léger l’eut sans doute rassuré, car je me sentis entraînée

vers la porte. Il fallait que je trouve un moyen de ne pas laisser ce

tourbillon d’émotions prendre possession de moi.

Tu es forte, Jenna, me répétai-je plusieurs fois en posant un pied à

l’intérieur.

Le brutal changement de température me fit revenir à la réalité, me

libérant de mes songes éveillés. Mes joues – rosies par le froid –

picotèrent à présent à la chaleur qui irradiait l’atmosphère du restaurant. Je

laissai un long soupir s’échapper de ma gorge asséchée.

– On a de la chance ce soir, il n’y a pas beaucoup de monde.

Son observation était exacte. Tandis que je cherchais Jack du regard, je

38

comptai le nombre des clients à sept avant de reconnaître l’un d’entre eux.

Les sourcils arqués, je m’efforçai de mettre un nom sur ce visage, mais la

main de Maddy tira ma manche pour attirer mon attention.

– Oui, ma puce ? Attends, je vais t’aider.

J’ôtai son manteau et son bonnet dont Sébastien s’empressa de m’en

débarrasser. Je le remerciai d’un sourire avant qu’il m’aidât à prendre le

mien.

– Sébastien !

Cette voix aux intonations chaudes et agréables me fit redresser la tête

d’un coup. Mon cœur cogna dans ma poitrine, prenant un rythme effréné à

la vue de ce visage chaleureux. Jack était là… il s’approcha rapidement de

nous.

Son regard croisa le mien une seule fraction de seconde. Je retins alors

ma respiration et fus surprise de son indifférence.

Ne m’avait-il pas reconnue ?

Ou alors, m’en voulait-il pour ces années d’absences ?

– Comment vas-tu, Jack ? lui demanda Sébastien en l’embrassant

chaleureusement.

– Mais tout va bien, mon grand. Tu as amené du monde ! C’est ton

amie ?

Une amie ?

Alors que je plissai les yeux, Sébastien avait du mal à retenir son rire.

Mon regard brillant croisa enfin celui de Jack et nous restâmes un instant,

à nous fixer.

– Jenna ?

– Bonsoir, Jack, arrivai-je à murmurer, émue.

– Ma petite fille !

Je fus attirée contre son torse dans un mouvement rapide. Ses bras se

refermèrent dans mon dos et je lui rendis son étreinte chaleureuse, les

yeux embués de larmes à l’émotion forte de nos retrouvailles.

– C’est bien toi, Jenna…

– Oui, c’est moi, Jack.

– Tu es si… tu es magnifique, me lança-t-il avant d’entourer mon

visage de ses grandes mains.

– Je n’ai pas si changé que ça.

– Tu plaisantes ? Tu es… éblouissante, ma chérie. Tu es une très jolie

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jeune femme, crois-moi… bien que je te trouve un peu maigre, rétorqua-t-

il en prenant une expression inquiète sur le visage.

– Maman ?

– Mais…

Jack venait de sursauter légèrement avant de s’écarter. Il contempla

Maddy d’un regard interrogateur. Je me mordis la joue discrètement, me

rendant compte qu’il fronçait ses épais sourcils sombres. Je fus sûre à cet

instant qu’il faisait le rapprochement avec le père de mon enfant. Une

expression triste traversa ses yeux d’un iris bleu très sombre quand il

chercha mon regard.

– C’est ma fille, Jack. Je te présente Maddy. Ma chérie, dis bonjour à

Jack.

– Bonjour, Jack.

– Bon… bonjour, tu es aussi magnifique que ta maman, fit-il en

s’abaissant à sa hauteur.

Je souris, soulagée qu’il ne fasse aucune autre observation. Sébastien

me dévisagea d’un air compatissant sans connaître exactement les causes

de mon appréhension.

– Venez, les enfants. Vous devez avoir faim, s’exclama-t-il d’un ton

joyeux en prenant la main de Maddy.

Nous le suivîmes et je déposai un baiser sur sa joue lorsqu’il me reprit

une nouvelle fois dans ses bras avant de nous installer à notre table

habituelle. Sébastien se posa en face de moi tandis que Maddy tournait

autour de nous, lançant des regards curieux autour d’elle.

– Tu nous as beaucoup manqué, tu sais.

Je le fixai. La culpabilité me noua la gorge.

– Tu viens, ma chérie ? Je vais te montrer quelque chose, fit Sébastien

en prenant la main de Maddy dans la sienne.

Il était inutile que je lui fasse comprendre silencieusement que je

n’étais pas d’accord qu’il me laisse seule avec Jack. Mon frère s’éloignait

déjà avec ma fille vers le fond de la pièce. Jack devait toujours avoir son

aquarium gigantesque avec ses multiples poissons colorés qui faisaient

l’attraction principale des enfants.

– Ma chérie, murmura Jack en tirant la chaise à côté de la mienne

avant de s’y installer. Je suis très heureux de te revoir, Jenna… je suis

désolé… pour ton père.

– Ce n’est rien, Jack. Je suis contente de voir que tu es toujours pareil,

40

tu sais, fis-je d’une voix mal assurée.

– Et toi, tu t’es métamorphosée, ma chérie ! Je ne t’avais même pas

reconnue, pardonne-moi d’ailleurs.

– Mais non, voyons… répliquai-je, gênée.

– Alors ? Tu as enfin décidé de revenir t’installer ici ou tu comptes

repartir ?

– Non… je ne partirai plus, annonçai-je en arborant un léger sourire.

Sébastien a insisté pour que je reprenne la bibliothèque.

– Mais c’est formidable !

– Tu crois ? Je ne sais pas.

– Ne t’en fais pas, Jenna. Tu y arriveras.

Je fermai les paupières un instant tandis que la main de Jack serrait la

mienne.

Oui, j’espérais y arriver, même si les souvenirs étaient trop lourds à

porter. Tu sais, on pourra se voir tous les jours.

– Hum… bien sûr, Jack. Mais nous devons faire des travaux de

rénovation avant que je ne la dirige. Sébastien m’a dit qu’il y avait eu le

feu, il y a trois mois.

– Exact. La police soutient qu’il s’agit d’un incendie volontaire, mais

ils n’ont jamais trouvé le coupable.

– Oui, il m’en a parlé. C’est pourquoi nous devons attendre le mois de

janvier pour entreprendre de la remettre sur pied, lui dis-je en souriant.

– Tu y arriveras, je n’en ai aucun doute.

Un silence s’installa entre nous et il me surprit à regarder dans la

direction de Sébastien et de Maddy.

– Elle est vraiment très belle, murmura-t-il sans me regarder.

– Oui.

– J’aurais pu t’aider, Jenna.

– Je sais, Jack… mais je devais m’en sortir toute seule.

– C’était difficile.

– Oui, répondis-je, émue, en baissant les yeux. Mais je m’en suis bien

sortie. Maddy est heureuse et c’est tout ce qui compte.

– Et toi, l’es-tu, Jenna ?

– Peu importe, Jack, répondis-je dans un souffle.

– Il n’est pas au courant, j’imagine.

Mon regard s’ancra au sien, cherchant exactement ce qu’il voulait dire

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au juste. Je compris alors qu’il n’avait pas oublié toutes nos conversations

passées où je lui avais avoué les sentiments puissants que je ressentais

pour le meilleur ami de mon frère.

– Non…

– Sébastien ?

– Personne ne sait, Jack !

– Chut… tu peux compter sur ma discrétion, tu le sais, ma petite

Jenna. Mais je ne te promets pas de rester de marbre si je le vois, car je

n’arriverai peut-être pas à retenir mon quarante-cinq qui rêve de se loger

dans ses fesses !

– Tu ne feras pas ça, Jack ! rétorquai-je en riant doucement.

– Je le ferais si ça pouvait te rendre heureuse, ma fille.

– Tu es un amour, Jack… je suis déjà très heureuse d’être rentrée à la

maison.

– Mais sais-tu s’il va venir pour les fêtes ?

– Comme chaque année, je suppose…

– Et tu ne crains pas sa réaction ? Tu sais qu’il assume ses

responsabilités, là, tu lui as caché l’existence de Maddy.

– Je sais, acquiesçai-je dans un soupir. Je ne compte pas la lui révéler,

Jack. Je ne peux pas.

– Toi, tu as encore des sentiments pour lui et tu vas au-devant de

graves ennuis ! En es-tu consciente ?

– J’aurais dû rester en France, à ton avis ?

Il secoua la tête énergiquement.

– Bien sûr que non ! Ta maison est ici, ma puce. Et si tu as le moindre

problème, je suis là. Tu n’auras qu’à me faire signe et je viendrai,

d’accord ?

J’acquiesçai d’un signe de tête, les larmes aux yeux. Il me sourit

tendrement avant de m’attirer contre lui. Un soupir d’aise s’échappa de

mes lèvres, je savourai le cocon protecteur de ses bras serrés autour de

moi.

Quelques minutes plus tard, je m’attardai dans la contemplation du

visage de Maddy. Elle se régalait de son hamburger et des frites que venait

de lui servir Jack, n’oubliant pas de lui dire que c’était chez lui qu’on

trouvait les meilleures.

Nous passâmes tous les quatre un agréable moment. Jack demanda à

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une des serveuses de le remplacer le temps que nous étions ici.

La conversation s’engagea sur le roman de Sébastien, pour mon plus

grand plaisir, d’ailleurs. J’aimais beaucoup ce que mon frère était capable

de faire et je me réjouissais du bonheur que je lisais dans son regard.

Maddy fut aussi mise à contribution dans notre conversation.

Jack s’était attaché à elle rapidement, mais qui ne pouvait pas aimer

cette petite fille au regard envoûtant ? Tout comme Sébastien, il allait très

vite céder à ses caprices. Je ris quand elle lui demanda un autre hamburger

alors qu’elle en avait encore la moitié à finir.

– Non, ma puce. Tu dois terminer le tien avant.

– D’accord, me répondit-elle en soupirant de son air résigné.

Je secouai la tête et me demandai soudainement si elle tenait de lui,

concernant son appétit insatiable. C’est alors que mes souvenirs se

bousculèrent dans mon esprit et je me surpris à ne pas les repousser, au

contraire…

Je le voyais encore rire aux éclats dans notre cuisine lorsque je m’étais

évertuée à faire le déjeuner pour la première fois. Il avait mangé avec

prudence et m’avait souri pour me réconforter, du moins pour ne pas me

blesser.

C’était immangeable, je m’en étais rendu compte lorsque j’avais

accepté d’ouvrir la bouche pour qu’il me fasse goûter mon plat de pâtes

fades et collantes. Je n’avais que quinze ans ! C’était la remarque que je

lui avais faite en croisant les bras sur ma poitrine, vexée.

C’était cette fois que mes sentiments pour lui s’étaient transformés en

quelque chose de beaucoup plus fort, de beaucoup plus intense.

Pour me réconforter, il m’avait prise dans ses bras et ses lèvres avaient

effleuré mon cou. S’était-il rendu compte de la décharge électrique qui

nous avait traversé le corps ?

– Hé, Jenna ?

Sortant de ma rêverie, j’esquissai un sourire à l’adresse de Jack. Il

secoua la tête en riant.

– Toujours rêveuse, ça n’a pas changé ça, remarqua-t-il en regardant

Sébastien qui acquiesçait en haussant les épaules.

– Et elle n’a pas perdu non plus sa maladresse, je te rassure !

– Séb ! m’exclamai-je, offusquée.

– Ben quoi, c’est vrai !

– Ce n’est pas de ma faute, Sébastien, rétorquai-je en le foudroyant du

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regard.

– Oh, mais non ! C’est à cause du temps, fit-il d’un ton ironique.

Je roulai des yeux tandis qu’il s’adressait à Jack, lui narrant que j’avais

manqué de me retrouver sur les fesses en sortant de chez nous.

– Il y avait du verglas !

– Oui et heureusement que je t’ai rattrapée à temps.

– Toi, tu n’as pas changé, tu es toujours aussi moqueur, Séb ! lâchai-je

d’une traite tandis qu’ils éclataient de rire.

– Mais, maman, elle a monté mon lit toute seule, intervint Maddy en

souriant.

– C’est vrai ?

– Ben ouais.

– Oui, c’est vrai, assura Sébastien en grimaçant à l’adresse de Jack.

C’est ainsi que la soirée se poursuivit, en parlant principalement de nos

souvenirs qui égayaient jadis nos vies respectives.

Un sentiment d’apaisement, ou de soulagement – je ne saurais le dire –

prit possession de moi.

Revoir Jack me faisait du bien, il me rappelait tant de choses… Un

père de substitution que jamais je ne pourrais remercier assez pour tout ce

que cet homme bon m’avait apporté... et m’apportera certainement

encore…

Deux jours après notre dîner chez Jack, la chambre de Maddy était

terminée, les décors avaient été achevés sous le regard attentif de ma fille

qui avait ajouté sa touche personnelle en dessinant un soleil éclatant sur

un des murs. Pour mon plus grand soulagement, elle s’était vite habituée à

notre nouveau foyer, et aussi à son oncle Sébastien qui assouvissait tous

ses moindres caprices et passait un temps considérable avec elle.

La neige n’avait pas cessé de tomber depuis notre arrivée. En ouvrant

les paupières, je me souvins que nous avions promis à Maddy de fabriquer

un bonhomme de neige dans la journée. Il n’était que sept heures et demie

du matin, mais je décidai tout de même de me lever.

Passant dans le couloir, un sourire se dessina sur mes lèvres à l’écoute

des ronflements de ma fille qui dormait paisiblement. La porte de la

chambre de mon frère étant ouverte, je constatai alors qu’il devait déjà

être debout depuis un bon moment.

Pénétrant dans la cuisine quelques minutes plus tard, je découvris un

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mot accroché sur la porte du réfrigérateur.

Fronçant les sourcils, j’avançai et le décrochai rapidement.

Coucou, ma belle. J’espère que tu as bien dormi ? Il est six heures

quarante-cinq et je suis parti chercher Went à l’aéroport. Si tu es déjà

levée, prépare le café. Merci. Biz.

Séb.

– Went…

Pour la première fois depuis très longtemps, son prénom vint franchir

mes lèvres, bien que j'eus des difficultés à reconnaître le timbre de ma

voix. Le papier glissa de mes doigts et tout se mit à basculer autour de

moi.

Les jambes en coton, je dus prendre appui sur le comptoir pour ne pas

tomber. Paralysée par cette annonce brutale de son retour, mon corps tout

entier fut pris de tremblements tandis que mon cœur s’affolait.

– Maddy…

Vivement, je repris mes esprits et tournai en rond avant de préparer le

café. Il fallait que j’évite cette rencontre. Je n’étais pas encore prête.

Pas maintenant !

La panique envahit chaque parcelle de mon corps, réduisant mes gestes

à ma gaucherie innée.

– Merde !

Je me baissai en poussant un grognement sourd pour ramasser la boîte

hermétique contenant la poudre noire. Je me rendis compte à cet instant

que les larmes troublaient ma vue. Je m’efforçai alors de calmer les

tremblements de mes mains. J’inspirai profondément pendant de longues

et interminables secondes puis me rappelai que j’étais assez forte

psychologiquement pour faire face à la situation.

Je serais indifférente et tout irait bien, il le fallait.

Dans le flou le plus total, j’observai la première gouttelette de café qui

tombait dans la cafetière et je soupirai.

L’idée de fuir à l’étage me traversa l’esprit. Ce que je m’apprêtai à

faire en prenant conscience que je ne portais qu’une nuisette. Mais à peine

eus-je avancé d’un pas que la porte d’entrée claqua.

Pétrifiée, je restai immobile au centre de la pièce, tentant de refaire

battre mon cœur qui venait de cesser tout mouvement. Le souffle court, je

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serrai les poings afin que mes doigts ne cessent de s’agiter de manière

incontrôlée.

– Hé, Jenna ! s’écria mon frère d’une voix enthousiaste

– Salut, soufflai-je rapidement avant de déglutir.

Il était là… juste derrière Sébastien…

Mon regard croisa le sien et s’y accrocha malgré moi. En une fraction

de seconde, il balaya toutes mes défenses que j’avais pourtant crues

impénétrables après tout ce temps afin de ne plus jamais éprouver ce

pincement au cœur devant l’être aimé inaccessible.

J’eus l’impression de me retrouver dans un film qui passait au ralenti

pour que personne ne ratât la moindre expression sur le visage des acteurs

principaux. Mais je restai là, dans l’impossibilité de me tirer de l’intensité

de son regard qui m’enveloppait. Il était toujours aussi beau, élégant,

malgré le bonnet recouvert de neige qu’il portait sur la tête.

Le vert de ses yeux me fascinait comme autrefois, reconnaissant la

moindre paillette bleutée de ses iris. Ses lèvres se mirent alors à bouger

légèrement, me sortant de ma léthargie.

– Jenna…

– Oh, oui, j’avais oublié de t’avertir, lança Sébastien en se postant

devant lui, me cachant sa vue pour mon plus grand soulagement. Désolé,

mais je vais devoir vous laisser dix minutes, je reviens.

Quoi ?

Oh, non…

Alors que j’ouvris la bouche pour l’arrêter, Sébastien avait déjà quitté

la pièce.

Hébétée, je me tournai rapidement afin de lui cacher l’expression

troublée des traits de mon visage. Malgré le picotement de mes paupières,

je réussis néanmoins à contrôler mes émotions. Alors que j’entrepris de

m’avancer vers le comptoir, deux mains se posèrent sur mes épaules. Je

fermai les yeux, me concentrant sur autre chose que la brûlure de ma

peau, provoquée par ce contact malgré ses mains froides.

– Jenna…

Son murmure fut à peine audible. L’esprit complètement dans le

brouillard, je sentis la pression de ses doigts sur ma peau, attisant encore

un peu plus la chaleur qui se propageait dans tout mon corps.

– Jenna ?

J’ouvris les paupières et me tournai légèrement vers lui. Mon regard

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resta fixé sur son torse et je dus trouver le courage pour lever les yeux à la

rencontre des siens.

Je déglutis péniblement et esquissai un faible sourire pour me donner

une contenance.

S’était-il rendu compte de mon trouble ?

De mon désir de m’éloigner de lui au plus vite ?

– Tu es enfin revenue…

Je hochai la tête silencieusement et, la seconde suivante, il m’attirait

contre lui, poussant un long soupir.

Mes paupières se refermèrent, retenant les larmes qui menaçaient de

trahir mes sentiments. Le contact de son corps pressé contre le mien

n’était que torture, ni plus ni moins…

Alors que je sentais ses muscles se contracter autour de moi, mes bras

allèrent l’entourer.

– Tu m’as manqué, Jenna… terriblement, murmura-t-il dans un

souffle.

– Toi aussi…

Il poussa à nouveau un soupir et s’écarta légèrement. Sa main

enveloppa ma joue d’une douce chaleur rassurante. Je baissai les yeux,

refusant de céder à l’envie de me jeter dans ses bras. À l’envie de l’aimer

à nouveau… de goûter ses lèvres encore et encore… de lui dire combien

je l’avais détesté pour m’avoir aimée et repoussée.

Il dut comprendre mon désir de m’écarter de lui, car il ôta sa main de

mon visage et laissa tomber lourdement son bras. Il fallait alors que je

contienne ce flot de sensations qui bouleversait mes sens et mon esprit. Il

fallait que je trouve un moyen de briser ce silence pesant dans la pièce.

– Tu veux un café ? lui demandai-je en me raclant la gorge avant de

me détourner.

– Euh… oui, merci, répondit-il en se débarrassant de son bonnet puis

en ouvrant son manteau.

J’esquissai un faible sourire et me concentrai sur le service, essayant

de ne rien faire tomber. En versant le breuvage noir dans la tasse, je fixai

mes doigts tremblants tandis que je pouvais sentir son regard sur moi. Je

soupirai, canalisant ce flot d’émotions qui irradiait tout mon corps.

Une dernière inspiration puis je lui fis face avant d'avancer vers lui.

– Tiens, murmurai-je en posant le plateau sur la table.

– Merci.

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Un sentiment de satisfaction monta en moi en remarquant son trouble.

Aussi, le fait que j’affrontai celui qui hantait mes nuits depuis plus de cinq

ans, décupla sans doute cette satisfaction silencieuse. Je pouvais contrôler

mes sentiments, mes émotions. Il suffisait d’éviter d’ancrer mon regard au

sien trop longtemps.

Je brisai le silence de la pièce en tirant la chaise, loin de lui, pour m’y

installer. Je devinai son sourire en coin, celui qui avait le don de

bouleverser le cœur de tout être humain qui se trouvait dans son champ de

vision. Mais je refusai de le regarder.

– Alors ? Tu n’as rien à me dire ? me demanda-t-il soudainement.

Cette question inattendue m’agaça profondément, mais je restai calme

en lui retournant la question.

– Presque cinq ans, Jenna ! Oui, j’ai beaucoup de choses à te dire.

Tout comme toi, je suppose.

– Peut-être… murmurai-je, me demandant si c’était bien des regrets

que je percevais dans sa voix.

– Toutes mes condoléances pour Charlie.

– Merci.

– Je suis désolé de ne pas avoir été présent pour les funérailles. Avec

le tournage…

– Ce n’est rien, ne t’en fais pas, le coupai-je, fixant le liquide noir de

ma tasse. Je n’étais pas présente non plus alors, il est inutile d’être désolé.

– OK, souffla-t-il. Et c’était quoi ton excuse ?

J’écarquillai les yeux au ton sec qu’il venait d’employer. Devrais-je lui

avouer que c’étaient les mêmes raisons qui m’avaient poussée à fuir cinq

ans plus tôt ?

– Désolé.

– Ce n’est rien… Mon père ne voulait plus me parler et tu sais bien

que nos rapports n’étaient pas au beau fixe.

Je redressai la tête et le vis hocher la sienne tristement.

– Alors, tu es revenue passer les fêtes dans ta famille ? demandai-je

dans l’espoir de changer de conversation rapidement.

– Oui. Pour un peu plus longtemps d’ailleurs. On a fini avec le

tournage et avec la grève des scénaristes en ce moment, j’ai tout mon

temps… mais dis-moi, tu connais la série ?

– Bien sûr !

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Je me mordis la lèvre discrètement, espérant qu’il n’avait pas remarqué

le ton de ma voix qui me paraissait être une exclamation bien trop

impulsive.

– C’est bien… et ton verdict ? questionna-t-il en se levant de sa chaise

pour s’approcher de moi, le sourire aux lèvres.

Mon cœur manqua un battement alors que j’anticipais clairement ses

gestes dans ma tête. Il tira la chaise voisine à la mienne et s’y installa.

Malgré la proximité de nos corps et le frôlement de son bras contre le

mien, je restai calme.

– J’aime beaucoup… comme tout le monde d’ailleurs. Mais je n’ai

pas encore vu la troisième saison, lâchai-je pour détendre l’atmosphère.

– On pourrait la regarder ensemble enfin… si tu veux.

Mes paupières clignèrent.

Avais-je bien entendu sa proposition ou cette demande venait de mon

esprit bouleversé qui me jouait des tours ?

– Je ne les ai pas encore visionnés pour être honnête.

– Oh, tu… je ne sais pas si j’aurais le temps de regarder.

– Tu repars en France ?

J’hésitai de répondre à cette question. Sa main s’avança vers la mienne

et s’y posa.

Vivement, je dégageai ma main et fis mine de repousser une mèche de

mes cheveux.

– Non. Je reste ici… du moins, pour le moment.

– OK… Tu as changé, Jenna, murmura-t-il d’une voix suave et

irrésistiblement troublante après un bref instant de silence.

– Pas tant que ça, rétorquai-je à l’instant même où Sébastien apparut

dans la pièce.

Went m’adressa un large sourire, révélant ses dents d’une blancheur

éclatante. Je baissai les yeux à son regard intense qu’il continuait de poser

sur moi.

Poussant un soupir de soulagement, je reportai mon attention vers mon

frère qui fouilla dans le placard. Il en sortit un bol et les céréales de

Maddy.

Une bouffée de chaleur m’envahit irrémédiablement tandis que j’eus

du mal à respirer. J’inspirai profondément tout en évitant de le montrer

lorsque Sébastien s’approcha de nous. Il posa le petit déjeuner de Maddy

sur la table.

49

Hébétée, je secouai légèrement la tête en le fixant. Je priai pour que

son regard croise le mien, mais il se détourna, le sourire aux lèvres.

– Allez, ma chérie !

Son exclamation me fit sursauter.

Surpris, Went m’interrogea de son regard plissé tandis que je me levais

d’un bond, comprenant la situation.

Tremblantes, mes jambes ne m’obéissaient plus, refusant de satisfaire

les cris que mon cœur leur dictait silencieusement.

– Maman…

La voix proche de Maddy attira mon regard vers la porte.

Elle était déjà là. Ses cheveux tout ébouriffés, elle se frottait

énergiquement les yeux encore ensommeillés.

Je refusai de croiser le regard de Went.

J’appréhendai sa réaction plus que tout.

Je me dirigeai alors vers elle et la soulevai dans mes bras.

– Je suis là, mon ange, murmurai-je en la serrant contre moi.

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5

COUP D’ÉCLAT

Went

Dans mes rêves les plus fous, jamais je n’avais imaginé que cela se

passerait ainsi…

Je n’avais jamais pu envisager de la retrouver, plus belle que jamais…

Ses longs cheveux d’un châtain foncé descendaient en cascade jusqu’à la

chute de ses reins. Quelques mèches de couleur miel donnaient un

contraste égayant. Son visage au teint clair était une pure beauté avec ses

yeux légèrement en amande où la couleur d’or épousait parfaitement ses

longs cils uniformes.

Son corps… Le contact de son corps que j’avais pressé contre le mien

avait tout simplement réveillé des émotions et sensations enfuies depuis

bien trop longtemps. Jamais, au grand jamais je n’aurais pu imaginer un

seul instant qu’en la prenant contre moi, tout basculerait dans mon esprit,

chamboulerait mon cœur dans un vertige enivrant.

Son odeur, mélange de chèvrefeuille et de vanille, avait émoustillé mes

sens, mes souvenirs…

Je l’avais enfin retrouvée…

Je savais pourtant que j’étais le seul responsable de son départ

précipité, mais une partie de moi refusait toujours de l’admettre.

Comme j’avais été stupide !

Tous les souvenirs de cette fameuse nuit refusaient de quitter mon

cerveau. Une fois de plus, je contemplais les flashs éblouissants de mon

esprit de nos corps emmêlés.

J’aurais dû la repousser avant que je ne perde tout contrôle… mais

comment aurais-je pu lui résister ?

J’étais bien trop désireux de son corps, de l’appel à l’amour que j’avais

envie et besoin de lui donner…

Mais évidemment, je m’étais comporté comme le pire des crétins, les

51

minutes suivantes après cette délicieuse étreinte. Je n’avais jamais

compris ce qui m’avait pris ce jour-là pour que je puisse me montrer aussi

odieux avec elle.

Les semaines qui avaient suivi, elle m’avait évité tout simplement et

était passée à autre chose. Du moins, je m’étais toujours consolé à le

penser.

Après son départ, tous mes espoirs de la revoir un jour s’étaient

dissipés au fil du temps. Mais je n'étais jamais parvenu à l'oublier. Je

n'avais su cesser de penser à elle... au mal que je lui avais fait.

Sébastien me donnait rarement de ses nouvelles. Je savais qu’il

souffrait de son départ, elle lui avait tant manqué – à lui aussi –, mais

celui-ci ne m’avait jamais appris l’existence de cette petite fille.

En l’apercevant dans cette longue chemise de nuit blanche, j’eus

l’impression de voir apparaître un petit ange. Ses cheveux étaient plus

foncés que ceux de Jenna qui, contrairement aux siens, étaient bouclés et

volumineux.

Un sourire s’était dessiné sur mes lèvres lorsque Jenna l’avait soulevée

du sol avant de la serrer dans ses bras.

Mais rapidement, mon cœur s’était violemment serré de douleur. Jenna

avait fait sa vie de son côté et elle avait aimé un autre homme.

Il lui avait donné un enfant.

Un goût amer dans la bouche, je soupirai et fixai cette petite fille qui

cachait son visage dans le cou de sa mère. D’ailleurs, Jenna était nerveuse

et tentait de le cacher… mais peine perdue, je la connaissais et

reconnaissais sans le moindre problème quand elle se sentait mal à l’aise.

Sébastien se mit à rire, me tirant brusquement de mes pensées.

– Hé, tu vas bien ?

– Ouais…

– Ne t’en fais pas, j’ai été tout aussi choqué que toi quand elles sont

arrivées lundi.

Comprenant qu’il n’avait jamais été mis au courant de son existence, je

fronçai les sourcils et écarquillai les yeux.

– On va manger au salon, ma puce.

– Nan… veux rester là.

J’esquissai un sourire discret. Cette petite fille savait comment

contredire sa mère.

Je fixai alors Jenna qui soupirait de résignation.

52

– Très bien, mais dépêche-toi de prendre ton petit-déjeuner.

La petite était visiblement satisfaite. Pour ma grande surprise, elle se

hissa sur la chaise à mon côté et planta ses magnifiques yeux verts dans

les miens.

– T’es qui, toi ?

Je me raclai la gorge et croisai le regard apeuré de Jenna.

Qu’avait-elle ?

Pensait-elle que j’allais dévorer son enfant ?

– Je suis…

Je m’interrompis.

Quelque chose se produisit en moi sans que je puisse mettre une raison

sur ce phénomène inexpliqué. Mon regard resta suspendu à celui de

l’enfant. L’impression de connaître cette petite fille était plus forte au fil

des secondes qui s’écoulaient alors que mon regard pénétra le sien, plus

intensément.

– Went est un ami de ton oncle, ma puce.

Je relevai la tête et ancrai mon regard dans celui de Jenna jusqu’à ce

qu’elle baisse les yeux vers mes mains, posées sur la table. Je fis la même

chose et fermai les paupières en constatant que je serrai les poings si forts

que mes jointures en étaient blanchies.

– C’est le copain d’oncle Sébastien ? Comme mon copain Jack ?

demanda-t-elle soudainement.

Jenna hocha la tête pour acquiescer.

Un ami ?!

J’avais l’impression d’être beaucoup plus que ça !

Comment avait-elle osé me faire ça ?

Cette enfant… ma fille !

Il n’y avait aucun doute possible.

Voilà donc les raisons de son départ, cinq ans auparavant ?

Mon Dieu, je n’en revenais pas…

Je soupirai longuement afin de calmer la colère qui montait en moi.

Ma fille… et visiblement, elle n’avait jamais rien dit de son existence à

personne.

– C’est bien ça, mon trésor. Il habite la maison face à la nôtre. Il vient

juste passer les fêtes dans sa famille.

Je déglutis et fixai Sébastien qui venait de lui répondre.

Puis, je cherchai Jenna du regard, mais celle-ci refusait de me prêter

53

attention.

– C’est ton voisin, alors ? demanda-t-elle avant de manger.

– Oui… mais c’est la maison de ses parents, répondit Sébastien en me

lançant un regard interrogateur.

– Heu… oui, ton oncle a raison, murmurai-je alors qu’elle attendait

visiblement que je m’adresse à elle. Dis-moi ? Tu… as déjà fait ta liste au

Père Noël ?

Quel imbécile je fus !

Je venais de sortir cette question stupide qui surprenait tout le monde à

part cette petite fille qui m’offrait un large sourire avant de me répondre

qu’elle ne voulait pas grand-chose.

Et puis, j’appris qu’elle était certaine que le Père Noël savait déjà ce

qu’elle désirait plus que tout au monde.

J’osai un regard vers Jenna.

Contrairement à son frère qui me scrutait d’un regard étonné celle-ci

était paralysée d’effroi

– Et toi, tu l’as déjà envoyée ?

– Hein ? Quoi ?

– Ne t'en fais pas, Maddy. Went doit être un peu fatigué avec le

décalage horaire, fit Sébastien en me lançant un sourire moqueur.

– Euh, ouais… je suis un peu fatigué, répondis-je en esquissant un

faible sourire, gêné par le regard scrutateur de l'enfant.

Maddy…

– Et si j’ai l’adresse, je lui enverrais quand même ma lettre, mais mes

copines à Paris ont dit qu’il y avait trop de neige là-bas.

Sébastien se mit à rire et la rassura en lui proposant de lui remettre

cette fameuse liste afin qu’il la lui donne en personne. Je ne pouvais

retenir un sourire à la vue du visage de cet ange qui rayonnait par son

large sourire, le même que celui de sa mère.

– T’es d’accord, maman ?

Je jetai un coup d’œil vers Jenna, attendant que son regard croise le

mien.

– Pardon ?

– On pourra donner la lettre à oncle Sébastien pour qu’il la donne au

Père Noël ?

– Euh, oui bien sûr, ma chérie. Tu as terminé ? Il faut te préparer.

54

Oh, non… si tu crois que tu vas t’en tirer comme ça, Jenna, tu te

trompes.

Alors que je l’observai, elle se leva de sa chaise, mais Sébastien

l’empêcha de s’éclipser de la pièce.

– Euh, tu peux attendre dix minutes ? J’ai un coup de fil urgent à

passer.

– OK… souffla Jenna en serrant les mâchoires.

Satisfait, j’esquissai un large sourire à l’adresse de Jenna qui me

foudroyait du regard.

– Cela ne te dérange pas, Went ?

– Oh, mais non ! Vas-y, prends ton temps. Je pourrais faire plus ample

connaissance avec ma… Maddy.

Je vis Jenna fermer les yeux avant d’enfouir son visage entre ses

mains.

Oui, je n’avais plus aucun doute sur la paternité de cet enfant, ma chère

Jenna.

– Alors ? Tu as quel âge au juste, Maddy ? lui demandai-je en

m’abaissant légèrement vers elle.

– J’ai quatre ans.

– Mm… et tu as quatre ans depuis longtemps ?

– Non, je sais plus… Maman ?

– Oui, ma puce.

– Je peux aller regarder mon dessin animé ?

– Oui, vas-y. Il faut que je discute avec ta mère, répondis-je sans

laisser le temps à Jenna de le faire.

Je savais que ma réponse allait l’agacer, mais je m’en fichais. J’étais

furieux contre elle. Je la vis se redresser vivement dans l’intention de

retenir Maddy, mais je l’en empêchai.

– Laisse-la aller voir son dessin animé !

– Lâche-moi !

Je n’avais pas prêté attention à mon geste brutal lorsque j’emprisonnai

son bras dans ma main. Maddy partit vivement de la pièce.

– Comment as-tu pu me faire ça ?!

– De quoi parles-tu ?!

– Ne fais pas l’innocente ! Nous savons tous les deux que cet enfant

est la mienne, n’est-ce pas ?!

55

– Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu peux me le dire ?

Furieux, je resserrai mon emprise afin qu’elle cesse de gigoter ainsi

pour se libérer.

– Went, tu me fais mal…

– Dis-moi que Maddy est ma fille !

– Non ! C’est la mienne, tu m’entends ! hurla-t-elle, furibonde.

– Tu mens…

Nous nous dévisageâmes un moment puis je desserrai ma prise à la vue

des larmes qui emplissaient ses paupières.

La culpabilité m’envahit alors pour l’avoir malmenée ainsi. Les

marques de mes doigts avaient marqué sa peau. Hébété par mon

comportement, je la fixai tandis qu’elle passait une main sur la région

douloureuse de son bras.

– Excuse-moi… je ne voulais pas te faire de mal.

Elle fit un pas en arrière à mon approche. Elle manqua de trébucher. Je

la rattrapai rapidement, mais visiblement, elle anticipa très mal mon geste,

car elle protégea son visage par ses bras.

– Jenna…

– Va-t'en, Went. S’il te plaît… va-t'en, murmura-t-elle d’un ton

suppliant.

– Non, je ne peux pas. Je ne fuirai pas comme tu l’as fait. Maddy est

ma fille, inutile de le nier.

– Tu te trompes. C’est ma fille !

– Tu comptes pouvoir berner tout le monde encore longtemps ?

Je venais de la mettre en colère…

Elle me fit face en serrant les poings, me fusillant d’un regard assassin.

– Tu t’entends ? Tu as oublié ce que tu m’as dit, c’était une erreur,

Jenna ! hurla-t-elle, les larmes aux yeux. Je t’avais dit de ne pas

t’inquiéter, car… tout ce qui te faisait peur, c’était la réaction des gens, de

mon frère en particulier ! Tu avais tellement honte de moi…

– C’est faux ! la coupai-je d’une voix forte. Tu dis n’importe quoi !

Je fus furieux.

Comment pouvait-elle me mettre ça sur le dos ?

Elle devait avoir les nerfs à vif, car elle partit dans un rire douloureux.

– C’est faux ?! Tu te fous de moi ? Dois-je te rappeler que tu m’avais

tout simplement jetée après avoir tiré ton coup ? Ça t’a fait quoi de

56

coucher avec celle que tu considérais comme ta petite sœur, hein ? Et,

complètement innocente qui plus est ?! Ça t’a fait quoi ? hurlait-elle tandis

que je l’attirai brutalement contre mon torse.

– Arrête, Jenna… calme-toi…

– Ferme-la ! s’écria-t-elle en frappant mon torse de ses poings afin

que je desserre mon emprise sur elle.

– Jenna… je t’en prie…

Mon cœur se serra à la souffrance que je lui avais causée. Je la serrai

contre moi tandis que son corps était secoué par les sanglots. Alors que je

savourai inconsciemment les émotions qui montaient en moi de la tenir

dans mes bras, elle me repoussa avec violence.

Aussitôt, je tentai une nouvelle approche.

– Je sais que c’est de ma faute, Jenna… Depuis que tu es partie, il n’y

a pas eu un seul instant sans que je regrette…

– Je sais pour tes regrets ! Inutile de me les rappeler.

– Non, tu ne sais rien ! criai-je à mon tour. Laisse-moi finir, je t’en

prie.

Je m’approchai rapidement d’elle et l’attirai à nouveau contre moi.

Cette fois, elle ne me repoussa pas. Nos regards s’ancrèrent l’un à

l’autre…

Et comme auparavant, je sentis mon cœur s’affoler.

Comme autrefois, j’avais cette jeune fille fragile entre mes bras pour la

rassurer, la consoler…

– Écoute-moi, s’il te plaît…

Elle secoua la tête et baissa les yeux, complètement bouleversée par la

situation.

N’avait-elle donc jamais imaginé qu’un jour, nous puissions nous

retrouver ?

N’avait-elle jamais entrevu le fait – rien qu’un instant – que j'aurais pu

découvrir la vérité sur le lien qui me liait à Maddy ?

Je laissai un léger soupir s’échapper de mes lèvres et doucement, je

relevai son visage avant d’essuyer ses larmes.

– Laisse-moi, Went…

La laisser…

Jamais je ne referais cette erreur.

Non, jamais plus…

– Il faut qu’on parle, Jenna, répondis-je d’une voix brisée par

57

l’émotion.

– Maman ?

Vivement, elle se détacha de moi et se frotta le visage. J’eus du mal à

la voir ainsi si bouleversée par ma faute. Son regard se posa alors sur moi

et bien plus que je ne l’aurais imaginé, mes sentiments remontèrent

irrémédiablement à la surface, intacts…

Soudain, une présence derrière moi attira mon attention. Je me

retournai et fixai Maddy.

Ma fille… le fruit d’un amour impossible…

Elle me regarda d’un air effrayé. Je pouvais sentir son appréhension,

voir sa colère dans ses yeux jusqu’à ce qu’elle la prenne dans ses bras et

quitte la pièce, me laissant seul, le regard vide et anéanti.

Jenna

Le souffle court, j’arrivai à l’étage et déposai Maddy dans sa chambre.

Tremblante, je la déshabillai tandis que j’eus de plus en plus de mal à

retenir les larmes qui se formaient déjà dans mes yeux.

– Qu’est-ce que t’as, maman ?

– Rien, ma chérie… Tout va bien, mentis-je en reniflant avant de la

reprendre dans mes bras. Nous allons prendre ton bain, ensuite nous

partirons nous promener, d’accord ?

Elle hocha la tête, le sourire retrouvé sur ses lèvres.

Pendant que je lui donnai le bain, j’évitai de penser à notre

conversation houleuse avec Went. Je ris avec Maddy pour ne pas

m’effondrer à la culpabilité qui me rongeait de l’intérieur.

– Jenna ? Où es-tu ?

La voix de Sébastien me parut soucieuse. Aussitôt, l’angoisse

m’arracha un faible cri à la pensée que Went lui avait tout raconté.

– Dans la salle de bain, cria Maddy.

Aussitôt, la porte s’ouvrit. Je me tournai vers lui et soupirai de

soulagement à la vue du sourire qu’il nous lançait.

– Tu as bientôt terminé ?

– Euh… oui, pourquoi ? Tu as bien l’air pressé.

Soulevant ma fille dans mes bras, je l’enroulai dans une serviette de

bain et relevai les yeux vers mon frère. Il passa une main dans ses

cheveux, signe de nervosité.

58

– Euh… j’ai eu mon éditeur au téléphone et il insiste pour que je me

rende à Sydney pour la promo.

Je secouai la tête, surprise de le voir si soucieux.

– Et alors ? C’est quoi le problème ? demandai-je en frictionnant

Maddy qui le dévisagea.

– Où est le problème ?! Mais je ne tiens pas à vous laisser seules

toutes les deux.

– Je te rappelle que je n’ai plus dix ans, Séb, lui fis-je remarquer. Pour

combien de temps dois-tu t’absenter ?

– C’est l’affaire de trois ou quatre jours, pas plus.

– On survivra alors, lançai-je en souriant pour le rassurer.

– Ça ne te dérange vraiment pas ?

– Bien sûr que non.

– OK, dans ce cas, je vais préparer mes valises.

Je hochai la tête et émergeai doucement de mes pensées lorsque

Maddy frémit légèrement. Je terminai alors de la préparer.

Une fois habillée, je lui demandai de m’attendre dans sa chambre, le

temps de prendre une douche rapide. Elle acquiesça, ravie de retrouver ses

jouets qu’elle s’empressa de sortir du coffre.

Après m’être assurée qu’elle resterait bien sagement dans sa chambre,

je retournai dans la salle de bain et restai adossée contre la porte

verrouillée.

Là, toute l’émotion retenue en la présence de Went se déversa en un

torrent de larmes.

Malgré mes efforts pour garder le rythme normal de ma respiration, les

sanglots me secouèrent fortement. Déverser cette eau salée ne réglerait

pourtant pas la situation dans laquelle je m’étais fourrée toute seule. Je me

répétai cet argument subtil, mais mes pleurs ne cessaient pas pour autant.

Une fois ma nuisette échouée au sol, je me pressai vivement sous la

douche. Je fermai les yeux et rejetai la tête en arrière, espérant que l’eau

effacerait les traces de mes pleurs.

Je savais pourtant qu’aucun miracle ne pourrait me sortir de cette

situation.

Je lui avais caché l’existence de sa fille !

Certes, il m’avait rejetée, mais la vérité était telle qu’elle le fut

aujourd’hui.

Went savait à présent et, inévitablement, il voudra assumer ses

59

responsabilités.

Went

Cela faisait plus de dix minutes que je faisais les cent pas dans la

cuisine, ruminant ce qu'il venait de se passer.

Qu’est-ce que je vais faire à présent ?

Bon sang ! Quel crétin étais-je !

J’étais certain que cette petite fille était la mienne.

Son regard… oh mon Dieu…

Comment vais-je pouvoir la persuader de m’écouter ?

Elle ne me pardonnera jamais…

Moi qui disais, il y avait tout juste une semaine dans une interview que

j’aimerais avoir des enfants, une femme à aimer, bien que celle-ci fût déjà

toute trouvée au fond de mon cœur.

Si je m’étais attendu à ça !

J’ai une fille…

Soudain, je me stoppai un instant pour reprendre mon souffle. Il fallait

à tout prix que nous parlions. Elle avait l’air si fragile… et par ma

stupidité, elle avait affronté tout cela sans personne.

Dans un sens, je n’arrivai pas à lui en vouloir… elle n’avait que dix-

huit ans et j’en avais presque trente-deux au moment des faits ! J’aurais dû

comprendre les raisons de sa fuite. J’aurais dû faire attention… Si je lui

avais avoué les sentiments que je ressentais pour elle, nous n’en serions

pas là aujourd’hui…

– Désolé, mon pote.

La présence soudaine de Sébastien me fit sortir de mes pensées

agaçantes.

– Oh… pas de souci.

– Si justement, j’en ai un gros.

Fronçant les sourcils, je l’observai tandis qu’il s’installait sur une

chaise en soupirant, passant une main dans ses cheveux.

Soudain, mon regard tomba sur une valise à l’entrée de la pièce.

– Ne me dis pas qu’elle repart ?

– Quoi ? Oh, non, c’est moi.

Je soupirai de soulagement.

– Mon éditeur veut à tout prix que je sois présent à Sydney pour une

60

convention.

– Ah… et alors, qu’est-ce qui te pose problème ?

– Jenna ! Je ne veux pas qu’elle et Maddy restent seules. Tu sais, elle

ne va pas terrible en ce moment, même si elle prétend le contraire.

– Hum…

Malgré le pincement au cœur que j’éprouvai, je m’installai près de lui,

comptant bien obtenir des réponses à mes questions.

– C’est elle qui ne veut pas rester seule ?

– Non, au contraire. Elle vient de me dire que ça ne la dérangeait pas,

mais pour être honnête…

– Ne t’en fais pas, le coupai-je en posant une main sur son épaule. Je

suis là.

Il me décrocha un regard surpris et grimaça.

– C’est gentil, mais je doute qu’elle apprécie. Tu sais, Jenna est assez

indépendante maintenant et elle le prendra mal si je te demande de garder

un œil sur elle et la petite.

– Tu n’as qu’à rien lui dire.

Il partit dans un rire nerveux et secoua la tête avant de rétorquer :

– Ouais, en espérant qu’elle ne s’aperçoive de rien.

– Je saurai me montrer discret.

Génial !

Enfonce-toi un peu plus et c’est lui qui finira par découvrir le pot aux

roses.

– Dis-moi ? À propos de Jenna…

– Quoi ? Ne me demande pas si je sais qui est le père de la gamine,

elle refuse de m’en parler.

– Tu… as essayé de savoir ?

– Toute une nuit… j’ai essayé de la convaincre de se confier à moi,

mais il n’y a rien eu à faire… Tu te rends compte ? Elle a été jusqu’à

inventer une grande histoire d’amour avec un français pour que je ne

soupçonne rien.

– Quoi ? Un français ?

– Oui, mais il s’est avéré que ce n’est qu’un ami, fit-il en soupirant

longuement. Tu sais, j’avoue que je n’avais pas rêvé de cette vie-là pour

elle…

Je déglutis péniblement à la souffrance qui émanait de sa voix.

61

– Ce n’est pas ta faute, Séb.

– Peut-être, mais ce mec qui l’a éloigné pendant tout ce temps

entendra parler de moi. Je peux te l’assurer ! rétorqua-t-il d’une voix

brisée par la colère.

Je retins un gloussement qui montait à ma gorge et avalai difficilement

le goût amer qui suivit. Je n’aimai pas le voir souffrir ainsi, il aimait Jenna

plus que tout et je me rappelai encore combien il la protégeait autrefois de

tout ce qui pouvait lui faire du mal, y compris les garçons… et le seul vrai

danger avait toujours été devant ses yeux... moi, son ami de toujours…

– Bon, il faut vraiment que je termine de préparer mes affaires.

– Ouais… euh, je vais rentrer me reposer un peu, puis je passerai dans

l’après-midi pour m’assurer qu’elles vont bien.

Je me levai de ma chaise et le regardai, attendant qu’il sortît de ses

pensées. Je n’aimais pas l’expression de son visage et encore moins le

regard qu’il posait sur moi.

– Merci, Went, je te revaudrai ça.

– Pas de quoi, murmurai-je d’une voix mal assurée.

Il me sourit, ce qui eut le don de me rassurer légèrement.

Malheureusement pas pour très longtemps.

– Tu sais, ne le prends pas mal, mais j’aurais vraiment aimé que tu

tombes sous le charme de ma sœur, Went. Je sais qu’avec toi, elle aurait

été heureuse.

– Séb…

– Non, désolé. Oublie ce que je viens de dire.

– Attends…

Je fermai les paupières et inspirai profondément tandis que son regard

pesait sur moi. Je le regardai alors, serrant les poings dans mes poches en

essayant de trouver le courage de tout lui avouer.

– Laisse tomber, vieux. Allez, rentre te coucher. On en reparlera à mon

retour. Et surtout, tu m’appelles s’il y a un problème, OK ? me demanda-t-

il en m’entraînant vers la porte.

Je ne pouvais qu’acquiescer d’un signe de tête, l’esprit complètement

chamboulé avant de prendre conscience que je me retrouvai sur le trottoir.

62

6

JACK

Jenna

Sébastien était prêt à partir pour l’aéroport. Bien que je lui aie proposé

de l’accompagner, il avait refusé, prétextant qu’il n’aimait pas les « au

revoir » de cette façon.

Nous fûmes sur le pas de la porte et il m’enlaça à nouveau dans ses

bras.

– Tu m’appelles, d’accord ?

Je hochai la tête, feintant un sourire malgré le pincement au cœur que

j’éprouvais. Il souleva Maddy dans ses bras et la mitrailla de bisous.

– Tu me manques déjà !

– Je pourrais t’appeler aussi ?

– Tu as même intérêt !

Ému, il me tendit Maddy puis me donna un dernier baiser sur le front

avant de s’engouffrer dans le taxi qui l’attendait.

Maddy et moi le saluâmes de grands signes de la main jusqu’à ce que

la voiture disparût au coin de la rue.

Un long soupir s’échappa de mes lèvres. Je reposai Maddy au sol.

– On va faire le bonhomme de neige, maman ?

– Tout à l’heure, ma chérie. D’abord, que dirais-tu si nous allions

manger chez Jack toutes les deux ?

– Ouais ! s’exclama-t-elle en sautillant gaiement sur le trottoir.

Je me mis à rire devant son enthousiasme. Elle entra et je jetai un coup

d’œil vers ma voiture. Je grimaçai en remarquant que les vitres étaient

toutes recouvertes de neige.

Très vite, je me mis à enlever la poudreuse avant de rejoindre Maddy à

l’intérieur.

– On y va ?

– Oui !

63

J’entrepris de la préparer avec empressement. Il fallait que je me

calme, il ne viendrait pas ici. D’ailleurs, je ne voulais pas le revoir

maintenant…

– GR… ce bouton m’agace !

Maddy se mit à rire tandis qu’elle m’observait me battre avec le

bouton récalcitrant. Je soupirai longuement puis, une fois calmée, je

parvins à fermer la boutonnière de sa veste.

J’enfilai la mienne.

Maddy bien couverte, j'attrapai mon sac avant de prendre la main de

ma fille pour l’entraîner à l’extérieur.

Tout en évitant de regarder droit devant moi, j’installai Maddy à

l’arrière de la voiture. Et tandis que je l’attachais, je sentis un regard se

poser sur moi. Je fermai les yeux un instant, priant silencieusement pour

que ce ne soit pas lui.

Le sourire de Maddy en train de m’observer m’aida à me concentrer. Je

déposai un bisou sur le bout de son nez et refermai la portière.

Rapidement, je m’engouffrai à l’intérieur et pris une profonde inspiration.

Soulagée, je démarrai la BMW et jetai un coup d’œil vers le côté.

Personne n’était là.

La rue était pratiquement déserte.

Seuls des enfants s’amusaient à se jeter de grosses boules de neige.

Poussant un dernier soupir, nous quittâmes enfin l’entrée du garage

avant de prendre la route.

Quelques minutes plus tard, je trouvai enfin une place pour nous garer.

Les rues n’avaient pas changé, remarquai-je, légèrement irritée d’avoir

tourné en rond pendant une dizaine de minutes pour trouver où me garer.

– On est arrivée, maman ?

– Oui, ma puce.

La neige commença à retomber pour le plaisir de Maddy qui se mit à

sautiller tout le long du trajet que nous eûmes à faire à pied. Je souris, tout

en l’observant dans sa tentative d’attraper les flocons qui virevoltaient

devant elle, dans les airs.

Cinq minutes plus tard, je poussai la porte de chez Jack.

– Mes chéries ! s’exclama-t-il en levant les bras vers le plafond,

visiblement ravi de nous revoir.

– Salut, Jack !

– Bonjour, fit Maddy avec un large sourire.

64

– Comment allez-vous aujourd’hui ? demanda Jack en nous

embrassant chaleureusement. J’espère que vous comptez déjeuner ici ?

– Bien sûr.

– J’aime trop les ham… burgers !

Jack se mit à rire et nous entraîna à notre table.

– Sébastien doit vous rejoindre ? questionna-t-il tandis que je

m’installais.

– Non, il est parti à Sydney.

– Je pensais qu’il ne voulait pas y aller, observa Jack en fronçant les

sourcils d’un air songeur.

– Son éditeur a appelé. Il a dû insister, je présume.

– Hum… peut-être.

– Maman, je peux aller voir les poissons ?

Je souris avant d’acquiescer d’un signe de la tête. Je l’observai tandis

qu’elle se précipitait vers l’aquarium.

Le sourire aux lèvres, je tournai le visage vers Jack qui s’installait en

soupirant à la place de Maddy.

– Tu es sûre de pouvoir rester seule ?

– Nous sommes restées toutes les deux bien plus longtemps. Ce n’est

que l’affaire de quelques jours, Jack.

– Hum…

– Nous passerons ici tous les jours si ça peut te rassurer, mais il est

inutile de t’en faire pour nous, le rassurai-je tandis que je remarquais les

traits soucieux de son visage.

– Oui, je sais. Mais je ne peux pas m’empêcher de me faire du souci.

Si jamais il rentre…

– Il est déjà là, Jack, soufflai-je en baissant les yeux.

– Jenna ?

– Sébastien l’a ramené de l’aéroport, tôt dans la matinée…

– Mon Dieu… tu l’as vu ?

Je hochai la tête et restai un moment silencieuse avant de lui raconter

que, dans l’ensemble, tout s’était bien passé.

– Tu sais que tu ne mérites pas ça. Je veux dire… ton père qui n’a

jamais reconnu la chance d’avoir une fille comme toi…

– Jack, s’il te plaît.

– Excuse-moi, mais cette histoire me met hors de moi à te voir souffrir

65

comme ça !

Je secouai la tête, priant pour qu’il cesse de me rappeler ainsi les

moments douloureux du passé. L’image de mon père hanta mon esprit,

encore et encore…

Je me revis, petite fille en larmes en train d’essayer par tous les

moyens qu’il me prenne dans ses bras après une chute du haut du

toboggan. Sébastien était absent … et lui, il me laissait là, seule, allongée

dans l’herbe, hurlant « papa » à tout bout de champ.

Les larmes emplissaient mes paupières, brouillant ma vue au souvenir

de cet instant traumatisant pour une petite fille d’à peine trois ans que

j’étais.

La main de Jack agrippa la mienne. Je soulevai la tête et ancrai mon

regard humide dans le sien, compatissant.

– C’est ma faute… je ne voulais pas dire ça.

– Ce n’est rien, Jack. Tu es là, toi, et tu as toujours été là quand j’avais

besoin de réconfort.

Je m’interrompis quelques instants avant de balayer mes larmes d’un

geste rageur.

– Je ne veux plus en parler… Maddy est heureuse et c’est tout ce qui

compte.

– Hum… elle n’a jamais réclamé son père ?

– Si, soufflai-je en inspirant profondément. Je lui ai dit que notre

histoire était compliquée, mais qu’il l’aimait plus que tout au monde et,

qu’un jour, il reviendrait. Je sais que je n’aurais pas dû lui dire ça, mais

rien que la pensée qu’elle puisse imaginer que son père ressentait de

l’indifférence envers elle m’était insupportable. Je sais qu’à présent, il

faudra que je rétablisse la vérité… si Went le veut bien. Je n’ai pas envie

de lui mettre des bâtons dans les roues… jusqu’à maintenant, j’ai toujours

réussi à me débrouiller toute seule…

– Hé, Jenna… du calme, ma belle. Il sait qu’il est le père ?

Je hochai la tête en signe d’acquiescement.

D’ailleurs, je fus certaine qu’il s’en était aperçu à la seconde même où

son regard avait croisé celui de Maddy.

– Dans ce cas, il faut que vous parliez. Vous êtes des adultes tous les

deux… je ne prendrais pas sa défense, mais Went est un homme bien et

très responsable… à part cette nuit-là.

– Je l’ai voulu, Jack.

66

– Je sais, mais il est plus âgé que toi, et il aurait au moins dû prendre

des précautions. Comment…

Je le coupai de suite en me mettant à rire. C’était juste nerveux. C’était

parti tout seul tandis que mes larmes recommençaient à s’échapper de mes

paupières.

Oui, Went est un homme bien, le meilleur que je n’ai jamais rencontré,

bien qu’il m’ait clairement fait comprendre qu’il avait commis une erreur

en prenant mon innocence.

– Tout va s’arranger, ma petite Jenna, me rassura-t-il en se levant

avant de venir me serrer contre lui.

– Je l’espère… pour Maddy…

– La voilà, me dit-il en se détachant de moi. Alors, ma chérie ? Ils te

plaisent les poissons ?

– Oui, le rouge on dirait Némo.

– Mais c’est lui, Maddy !

– C’est vrai ? s’exclama-t-elle en écarquillant les yeux.

Nous rîmes à la vue du visage rayonnant de ma fille. Puis, je la pris sur

mes genoux tandis que Jack partait en cuisine pour chercher nos

commandes. Maddy passa ses petits bras autour de mon cou. Je fermai les

yeux et savourai cet instant.

L’amour qu’elle me donnait me satisfaisait pleinement.

– Je t’aime, ma chérie.

– Moi aussi maman…

Je lui souris, heureuse.

– Pourquoi le copain à oncle Sébastien t’a crié dessus tout à l’heure ?

Je blêmis.

– Je… Non, ma chérie. Il ne m’a pas crié dessus.

– Si, je l’ai entendu, insista-t-elle en me fixant droit dans les yeux.

Je déglutis péniblement et secouai la tête. Ma fille était si têtue parfois.

– Tu as raison, mais c’était de ma faute.

– Pourquoi ? Tu as été méchante avec lui ?

– Oui, ma puce. Maman a été très méchante avec lui.

Sa main se posa contre ma joue avec tendresse, ce qui me sortit de mes

pensées.

– Je suis sûre qu’il t’en veut plus.

Je la fixai, incrédule.

67

– Je l’espère, mon ange.

Nous échangeâmes un sourire complice puis je la vis froncer les

sourcils.

– Dis, maman, y’a un monsieur derrière toi qui nous regarde

drôlement.

Aussitôt, je plissai le front et me tournai d’un mouvement vif vers

l’intrus.

Mes lèvres s’entrouvrirent.

Bouche bée, je fixai l’homme qui me contemplait en arborant un large

sourire satisfait aux bords des lèvres.

– Peter ?

Went

Incapable de fermer l’œil malgré la fatigue accumulée avec le décalage

horaire, je ne cessai de me retourner dans mon lit tandis que son visage

revenait hanter mon esprit. Je soupirai de lassitude à force de retenir

toutes mes émotions face à cette rencontre.

Maddy… ma fille.

J’avais une fille avec elle.

Je me répétai inlassablement ce fait, mais je n’arrivais pas à trouver un

moyen de discuter avec Jenna. Je la sentais si fragile, si vulnérable.

Mais quoi de plus normal que de vouloir en apprendre plus sur ma

fille ?

Elle était revenue et savait pertinemment qu’un jour ou l’autre, je

découvrirais toute la vérité.

Je ne sus ce qui m’avait pris tout à l’heure. Proposer à Sébastien de

veiller sur elles… cela m’avait paru une bonne idée, mais à présent, je

n’en fus plus très sûr.

Je finis par me lever, conscient que je n’arriverais pas à faire de sieste.

J’avançai près de la fenêtre. Mon regard se posa – comme chaque fois que

je revenais ici –, sur la maison d’en face.

Les rideaux avaient changé, mais je ne pouvais pas dire si cette

chambre était encore la même.

Peut-être appartenait-elle à Maddy désormais ?

Un soupir de lassitude s’échappa de mes lèvres et je fermai les yeux. Il

me fallut un instant pour anéantir tout le flot de questions de mon esprit.

68

C’est alors que les paroles de mon ami – me disant qu’il aurait aimé que

Jenna et moi soyons ensemble – survinrent inévitablement en moi, comme

un écho tandis que j’avais l’impression étrange de retomber dans le passé.

Presque cinq ans auparavant…

Une seule et unique nuit où je l’avais aimée comme jamais j'aurais cru

un jour être capable de le faire. Je me rendis compte à cet instant que les

autres aventures que j’avais connues après cette nuit n’avaient rien de

comparable avec ce que j’avais éprouvé pour elle.

Malgré son innocence, ses gestes hésitants et le regard un peu effrayé

qu’elle avait ancré au mien – comprenant ce qui allait se passer –

m’avaient bouleversé bien plus que je ne le pensais. Quelque chose de

puissant et de fort avait pris possession de moi. Mais c’était aussi la

première fois qu’une femme avait pleuré lorsque je lui faisais l’amour.

Était-ce à cause de cette attention qui m’avait touché au plus profond ?

Était-ce cette réaction qui m’avait dérouté ? Qui avait éveillé les

sentiments que je m’évertuais pourtant à étouffer depuis toujours ?

Je n’en savais rien et je ne le saurais peut-être jamais.

Pourquoi avais-je agi ainsi ?

Peut-être était-ce la panique qui m’avait envahi en comprenant ses

véritables sentiments à mon égard, qui m’avait poussé à agir comme le

pire des crétins ?

Un crétin… repoussant cette jeune fille que j’aimais sincèrement

depuis toujours.

Perdu dans mes sombres pensées, je pris soudain conscience que la

voiture de Jenna n’était plus devant le garage. Rapidement, et sans

réfléchir si mes intentions étaient bonnes ou mauvaises, je sortis de ma

chambre et rejoignis ma mère dans la cuisine.

Je stoppai, surpris en remarquant la présence de ma sœur.

– Ferme ta bouche, grand frère, tu vas finir par avaler une mouche !

Je souris et vins l’enlacer, heureux de la revoir après six longs mois de

tournage.

– Content de te voir. Comment vas-tu ?

Elle éclata de rire et se détacha de moi après avoir posé un baiser

sonore sur ma joue. Elle n’avait pas perdu cette manie d’embrasser

comme grand-mère !

Je grimaçai.

– Je vais mieux que toi apparemment, si j’en juge tes yeux, lança-t-

69

elle d’un ton moqueur en s’installant à la table.

– Tu n’as pas réussi à dormir, mon chéri ?

– Non, maman…

– Tu te coucheras de bonne heure ce soir ! Ton père ne devrait pas

tarder à rentrer.

– Et Sophia ? Elle vient bien pour les fêtes ? demandai-je, suspicieux

en remarquant la grimace d’Elena.

– Non, ta sœur est trop occupée par son travail…

– Et son nouveau petit ami, ironisa-t-elle, le sourire aux lèvres.

Je levai les yeux au plafond et secouai la tête, agacé tandis que ma

mère soupirait.

Elena, toujours en train de parler, même si ce n’était pour rien dire…

– Tiens, mon grand. Ton café.

– Merci.

– Alors, Elena ? Comment va Tom ?

– Tu te fiches de moi ? s’écria-t-elle en me fusillant du regard.

– Lena… ton frère n’est pas au courant.

– Au courant de quoi ? demandai-je, interrogateur.

– Euh…

Je fronçai les sourcils et ancrai mon regard au sien. Je constatai qu’elle

hésitait, et ce, pour la première fois.

– Tu vas me dire ce qu'il se passe, Elena ?!

Elle soupira d’un air de lassitude et d’exaspération mêlée. Ma mère lui

lança un regard rassurant et lui sourit légèrement tandis que je restais dans

l’incompréhension la plus totale.

Qu’est-ce qu’il avait bien pu lui faire ce Tom pour la mettre dans cet

état ?

– Vous n’êtes plus ensemble ? demandai-je en fixant son visage.

Elle secoua la tête, et resta silencieuse. Je serrai les mâchoires, blessé

qu’elle ne m’ait rien dit.

– Depuis combien de temps ?

– Deux mois… murmura-t-elle avant de relever le visage.

– Et je peux savoir pourquoi je suis le dernier au courant ? demandai-

je en haussant le ton.

– Vraiment ? se moqua-t-elle, d’un ton sarcastique.

J’écarquillai les yeux à cette question. L’irritation que j’éprouvais si

70

souvent envers ma chère petite sœur revint en moi.

– Très bien, dit ma mère en levant une main, remarquant mon

agacement. En fait… je n’ai rien voulu te dire, car tu aurais été capable

d’aller le trouver.

– Qu’est-ce qu’il t’a fait ? questionnai-je ma sœur d’une voix que

j’avais du mal à reconnaître.

– Mais rien… Rassure-toi, il ne m’a pas touchée… enfin, pas comme

tu le penses.

– Elena !

– Désolée, man… En fait, je l’ai surpris avec une autre femme.

– L’enfoiré, crachai-je en serrant les poings.

– Oh, ce n’est plus important… ça aurait pu être pire.

Surpris, je haussai un sourcil et attendis qu’elle approfondisse cette

dernière parole.

– Ben, quoi ? J’aurais très bien pu le surprendre au lit avec un

homme !

– Elena ! protesta notre mère, outrée.

Je retins mon rire difficilement. Comme je le disais, ma sœur avait

toujours eu le don de m’agacer au plus haut point et à la seconde suivante,

de m’attendrir comme personne.

– Tu ne vas pas essayer de le voir ?

– Non, soufflai-je en lui souriant pour la rassurer.

– Super. Merci, Went.

Je la regardai droit dans les yeux et hochai la tête.

– Du moins, pas s’il ne t’ennuie pas.

– Oh, ça ne risque pas… Il est parti en France avec sa nouvelle

potiche.

– Elena !

Je me mis à rire sans essayer de me retenir. Ma mère secoua la tête,

complètement excédée par nos comportements futiles. Je posai une main

sur son bras et me penchai vers elle avant de lui donner un baiser sur la

joue.

– Vous savez bien tous les deux que je n’aime pas que vous vous

moquiez des gens !

– Parce que tu crois que lui s’en prive ? fit Elena, en écarquillant les

yeux.

71

– Bon, ça suffit, les enfants ! Parlons d’autres choses… Dis-moi, tu as

vu Jenna, mon chéri ? Sébastien m’a dit qu’elle était revenue.

– Oui… tu ne l’as pas encore vue ? demandai-je d’une voix

légèrement rauque.

– Non, malheureusement. Je l’ai vue prendre sa voiture il y a un peu

moins de deux heures… elle avait l’air pressé.

– Maman vient de me dire qu’elle a une fille ! Te rends-tu compte ?

Elle est si jeune ! Tu l’as vu sa gamine ? Comment est-elle ?

Oh, ce n’est pas vrai !

On ne pourrait pas changer de sujet ?

J’aurais préféré me moquer encore de Tom.

– Elena ! fis-je d’un ton agacé par ses questions.

– Je me demande si c’est à cause de ça qu’elle est partie…

– Oui, sûrement. Sébastien m’a raconté un peu sa situation, confia ma

mère en secouant la tête d’un air navré. Cette pauvre petite n’avait pas été

beaucoup gâtée dans sa vie et il a fallu qu’elle s’entiche d’un homme…

– Comment sais-tu qu’elle était amoureuse ? demanda Elena, excitée

comme une puce.

– Par Sébastien, il s’inquiète beaucoup pour elle.

– Oui, mais... qui est le père de cette petite ?

Je déglutis péniblement et bus une gorgée de mon café pour me donner

une contenance.

– Personne ne le sait, continua ma mère en me lançant un regard

étrange avant de hausser les épaules. Jenna n’a rien dit.

– Tu veux dire que le père n’est pas au courant ?!

Alors que je lançai un regard vers ma mère qui lui répondait

négativement d’un signe de la tête, une envie folle d’étrangler ma sœur

me prit.

– Mais c’est dégueulasse ! s’écria-t-elle, les yeux exorbités.

– Peut-être, mais nous ne pouvons pas juger cette petite, voyons !

Jenna a toujours été une enfant adorable. Si elle a pris la fuite ainsi, elle

devait avoir de bonnes raisons.

Je n’en pouvais plus, j’en avais assez d’entendre ce discours digne de

mégères ! Je terminai rapidement mon café et me levai d’un bond, faisant

sursauter ma pauvre mère qui me fixait d’un air étonné.

– Qu’est-ce que tu as, mon chéri ?

72

– Euh… rien. Je vais faire un tour. Je peux prendre ta voiture ?

– Oui…

– Tiens, intervint Elena en sortant un trousseau de clés de sa poche.

Prends mon 4x4, je te vois mal au volant de la voiture de man !

– Merci, murmurai-je en lui prenant les clés.

– Dis donc, Elena ! Je peux savoir ce que tu reproches à ma voiture ?

Je n’entendis pas la réponse de ma sœur, car je m’éclipsai rapidement

de la pièce. J’avais besoin de la voir, il fallait que je la trouve.

Décidé à mettre les choses au clair avec la mère de mon enfant, je

refermai ma veste et sortis de chez moi avec la ferme intention de la faire

parler…

Cela faisait plus d’une dizaine de minutes que je circulai dans les

avenues de la ville, évitant les embouteillages avec intelligence. Mon

regard se portait partout à la fois, essayant de repérer la BMW grise aux

vitres teintées.

Je soupirai, exaspéré en réfléchissant à ce que j’allais bien pouvoir lui

dire, même si l’idée finale était déjà toute trouvée dans ma tête.

Les mains agrippées à mon volant, j’accélérai, ne prenant plus en

compte la limitation de vitesse autorisée avant de remarquer une place

libre. Je garai le 4x4 et lançai un regard vers le restaurant de Jack,

espérant qu’elle s’y trouvait, car je ne voyais pas sa voiture.

Pestant intérieurement à l’idée de devoir affronter une fois de plus le

propriétaire des lieux, je sortis du véhicule et m’avançai vers le restaurant

d’un pas décidé.

Je ne me préoccupais pas des personnes présentes à l’intérieur. Une

seule m’intéressait à cet instant. Celle qui se trouvait derrière son

comptoir. Jack me foudroya d’un regard empli d’animosité. Je pris sur

moi sans savoir si Jenna lui avait parlé et je m’avançai vers lui, sachant

pertinemment que je n’étais plus le bienvenu – depuis deux ans – dans cet

établissement.

– Qu’est-ce que tu veux ? me lança-t-il tout en posant ses poings sur

ses hanches.

– Bonjour, Jack, répondis-je en souriant légèrement avant de

m’avancer jusqu’au comptoir.

– Si tu la cherches, elle est partie il y a une demi-heure.

Je fronçai les sourcils, assez surpris, je l’avoue, qu’il me donne cette

73

information. Nous nous défiâmes du regard pendant quelques instants,

cherchant à nous déstabiliser l’un et l’autre.

Je cédai le premier et poussai un long soupir de lassitude avant de

prendre place sur un tabouret. Je l’observai alors et remarquai qu’il

baissait les armes.

– Tu veux quelque chose ?

– Euh… tu as changé d’avis ?

– Arrête de faire ton impertinent un peu ! Tu veux un café, oui ou

non ?

J’acquiesçai d’un signe de tête, incapable de prononcer un mot. Il

fallait que je me reprenne. Le changement brutal de son comportement

envers moi me laissait perplexe.

Silencieux, je l’observai tandis qu’il se hâtait à préparer ma boisson.

Lorsqu’il eut terminé, il déposa ma tasse sur le comptoir, des

éclaboussures s’en échappèrent.

– Merci.

– Pourquoi es-tu revenu ? me demanda-t-il après un bref instant de

silence.

– Je… C’est le seul endroit que je connaisse où Jenna se sente bien.

Où elle peut se réfugier…

– Tu la crois toujours aussi vulnérable, n’est-ce pas ?

Je souris.

– Je n’en sais trop rien, mais je sais qu’elle t’aime beaucoup.

– C’est vrai, mais tu sais aussi qu’elle fuit les gens qu’elle aime.

Je baissai les yeux à cette remarque qui m’étreignit le cœur.

Éprouvait-elle encore des sentiments pour moi ? En tout cas, si j’en

croyais Jack, elle me fuyait toujours.

– Écoute, Jack… je ne sais pas si elle t’a confié…

– Elle n’en a pas eu besoin ni même de me raconter les détails, si tu

veux tout savoir. J’ai tout compris depuis bien longtemps. Le regard de

Maddy m’a simplement confirmé ce que je pensais.

– Comment ça ? demandai-je, interloqué.

Il secoua la tête.

– Quoi, comment ça ? Que j’aie tout découvert deux ans plus tôt, ou la

ressemblance avec ta fille qui est ma foi… très frappante ?

Interdit, je le fixai sans comprendre. Il se pencha alors vers moi.

– Si tu n’éprouvais pas de tels sentiments à son égard, tu n’aurais

74

jamais pris sa défense et saccagé mon restaurant la dernière fois que tu es

venu chez moi !

– Il l’avait insulté ! rétorquai-je d’une voix rauque à la colère qui

montait en moi à ce souvenir.

– Tu y vas un peu fort, Went ! Tu sais bien qu’il l’aimait beaucoup !

– Assez certainement pour dire qu’elle était devenue une moins que

rien !

– Tu as mal compris ses paroles, Went, rétorqua-t-il en secouant la tête

d’un air navré.

– Il aurait mieux fait de choisir ses mots dans ce cas ! fulminai-je, les

poings serrés.

– Je sais qu’il le regrette… et toi ? Tu as eu de la chance que Sébastien

était là pour te calmer ! Sans lui, tu aurais été bouclé pour agression et

dégradation…

– Si tu avais porté plainte... mais tu ne l’as pas fait ! le coupai-je d’un

ton plus doux.

– Elle ne me l’aurait jamais pardonné… et, entre nous, j’avoue qu’il

était temps que quelqu’un lui donne une correction. Avec ses grands airs

arrogants et supérieurs, il m’est toujours sorti par les trous de nez celui-là,

mais c’était son ami.

Un sourire s’étira sur mes lèvres à son aveu.

Moi qui avais toujours pensé qu’il ne me pardonnerait jamais d’avoir

mis une raclée à ce crétin qui se faisait passer pour le meilleur ami de

Jenna.

– Bon alors ? Que comptes-tu faire en ce qui concerne Maddy ? Parce

que si c’est pour créer des problèmes ne compte pas sur moi pour te

laisser faire ! Et je ne te dirai pas où tu peux les trouver.

Maddy…

Qu’est-ce que je comptais faire ?

Si je le savais…

– Pour être honnête, je n’en sais rien. Nous devons parler tous les

deux.

– Tu l’aimes toujours ?

Je levai un sourcil et fixai son regard.

– Dois-je vraiment te répondre ?

– Non, je ne crois pas, dit-il avant de rire légèrement.

75

Je l’accompagnai alors dans un faible rire et soupirai, anxieux de

penser qu’elle refuserait toute discussion.

La main de Jack se posa sur mon épaule. Je relevai les yeux vers les

siens alors que les larmes montaient en moi.

– Je vais te dire où tu peux la trouver, mon garçon. Mais avant… il

faut que tu me promettes de ne pas te battre.

– Me battre ? Jamais je ne me battrais…

– Je ne te parle pas de Jenna, Went, mais de Peter.

J’écarquillai les yeux de stupeur avant que la colère m’envahissait de

plein fouet.

Mon Dieu…

Le sang battant à mes tempes, je me levai d’un bond tout en

l’interrogeant du regard, priant silencieusement pour qu’il me dise où la

trouver.

76

7

DANS LA GUEULE DU LOUP

Jenna

Assise sur le banc du parc aux côtés de Peter, j’observai Maddy qui

terminait de tasser la neige sur le bonhomme de neige que nous venions

de faire tous les trois.

Nous nous étions promenés dans les rues New Yorkaises après avoir

déjeuné ensemble. Bien sûr, il était surpris de constater que j’avais déjà

une fille, et bien que je croisasse les doigts pour qu’il ne fasse pas le

rapprochement avec Went, il avait compris. C’est alors que je lui avais

tout expliqué, le temps que Maddy était retournée observer Némo dans

l’aquarium de Jack.

D’ailleurs, celui-ci avait lancé des regards noirs vers Peter. Je ne

comprenais pas cette soudaine animosité entre eux. J’attendais donc que

nous fussions sortis du restaurant pour questionner Peter. Il m’avait paru

hésitant avant de m’avouer les raisons.

D’ailleurs, je n’en revenais toujours pas.

D’après les dires de Peter, Went l’avait volontairement cherché jusqu’à

ce qu’ils finissent par en venir aux mains. J’avouais que j’étais assez

surprise... cela ne ressemblait vraiment pas à Went, lui si prévenant et

attentionné avec tout le monde. Je ne faisais que penser à notre

conversation et je n’arrivai pas à comprendre cette soudaine violence.

– Hé, tu vas bien ?

Peter posa sa main sur la mienne. Ce geste eut le don de me sortir de

mes réflexions, mais vivement, je libérai mes doigts.

– Qu’as-tu, Jenna ?

– Rien… je vais bien.

– Tu es sûre ? Tu es aussi pâle que cette poudreuse.

Je lui souris et secouai la tête avant d’engouffrer mes mains dans les

poches de ma veste.

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– Dis-moi… je peux te poser une question ?

– Bien sûr, tout ce que tu veux, Jenna, répondit-il en se postant devant

moi.

– Je… Tu as dit quelque chose à Went pour qu’il s’emporte…

– C’est donc ça qui te préoccupe ?! me coupa-t-il en effleurant ma

joue du bout des doigts.

Mon cœur se souleva dans ma poitrine à son geste. Je voulus repousser

sa main, mais il referma un bras autour de ma taille avant de m’attirer plus

près de lui.

– Peter…

– Tu m’as manqué, Jenna, murmura-t-il d’une voix un peu rauque.

Je sentis mon corps qui commençait à trembler à ce contact.

Qu’est-ce qu’il fabriquait ?

Non… pas ça…

Rapidement, je le repoussai et le regardai, hébétée. Il se mit à rire.

– T’es malade !

– Détends-toi, ma belle, je veux juste t’embrasser.

– Arrête ! soufflai-je en le repoussant.

Terrifiée par l’expression de son regard, je déglutis péniblement alors

qu’il m’attirait contre son torse. Je tentai de me libérer de son étreinte,

mais, bien plus fort que moi, mes efforts restèrent vains. Je ne savais pas

ce qui lui prenait, mais je ne le reconnaissais plus.

Je ne reconnaissais plus l’ami qu’il avait été autrefois.

Comment pouvait-il avoir changé à ce point ?

Alors qu’il se pressait davantage contre moi, j’eus l’horrible

impression de suffoquer. La nausée m’envahit brutalement, tout aussi

violemment lorsqu’il écrasa ses lèvres sur les miennes. J’essayai de me

débattre, le frappant de mes poings, mais je ne réussis qu’à viser ses

épaules.

– Maman ?! Maman !

Les cris effrayés de ma fille me parvinrent.

C’en fut trop…

La colère bouillit dans mes veines, ce qui me donna assez de force

pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Je cessai de gigoter et trouvai le

courage d’entrouvrir mes lèvres.

Cette ordure gémit, pensant que je cédai enfin à son baiser brutal et

répugnant.

78

Il allait vite déchanter.

Avant qu’il entreprît de faufiler sa langue dans ma bouche, je mordis

avec force sa lèvre inférieure. Si fort que le sang ne tarda pas à perler sur

celle-ci. Il poussa un cri de douleur et me poussa violemment. Répugnée,

je le foudroyai du regard tandis qu’il tenait sa lèvre enflée et ensanglantée.

De suite, je me tournai vers ma fille pour la rassurer, mais elle n’était

plus là. En une fraction de seconde, la panique m’envahit de plein fouet

lorsque la voix de Went me rassura :

– Elle est ici.

Je me tournai dans sa direction et me précipitai vers Maddy. Je la pris

des bras de Went et la serrai contre mon cœur, laissant mes larmes

s’échapper de mes paupières.

– Tout va bien, ma puce… ne t’en fais pas.

– C’est un méchant Peter… veux plus le voir.

– Tu ne le reverras plus jamais, ma chérie.

– C’est certain ! grogna Went, les poings et mâchoires serrées tandis

qu’il ne lâchait pas le regard de Peter.

Je n’osai pas le regarder dans les yeux. Je n’avais pas besoin de le faire

pour comprendre qu’il était furieux d’avoir assisté à ce qui venait de se

passer. Je tentai alors désespérément de réconforter ma fille qui pleurait à

présent à chaudes larmes dans mon cou.

– Calme-toi, mon ange, c’est fini.

– Je vais le tuer…

Je levai la tête et le priai du regard de ne rien faire, mais son visage

était si dur et si froid que je cachai le mien dans les cheveux de mon

enfant.

– Reste ici avec la petite, me dit-il en pressant sa main sur mon

épaule.

Je voulais le retenir, mais j’en fus incapable.

Paralysée, je le fixai tandis qu’il se dirigeait d’un pas vif vers Peter.

Went

En apercevant ma fille qui hurlait de frayeur devant la scène qui se

jouait dans ce parc, je m’étais précipité vers elle avant de la prendre dans

mes bras. J’étais furieux plus que jamais, prêt à tuer cette ordure pour

avoir apeuré mon enfant. Je n’avais jamais éprouvé tant de haine

79

auparavant, ce qui m’avait paralysé quelques secondes.

Je l’avais serré si fort contre moi, espérant la rassurer pour qu’elle

cesse de pleurer. J’avais ressenti le besoin de la protéger et lorsqu’elle

avait entouré ses bras autour de mon cou, s’y accrochant avec tant de

force, cela m’avait rendu complètement amorphe.

J’avais assisté à toute la scène.

Puis Jenna s’en était sortie toute seule et avait accouru vers moi. Je

n’avais qu’une envie à cet instant… l’attirer contre moi et l’emmener loin

d’ici. Mais je lui avais rendu Maddy, du moins, je l’avais laissée me

l’arracher de mes bras.

Les images de cette altercation fouettèrent mon esprit encore et encore

jusqu’à ce que je fusse arrivé près de lui. Le regard haineux, je l’agrippai

violemment par le col de sa veste et le plaquai contre le tronc d’un arbre.

– Tu t’approches d’elle encore une seule fois et je te jure que tu vas le

regretter !

– Lâche-moi ! grogna-t-il en essayant de se dégager. Pour qui tu te

prends à la fin, Riller ?!

– Pour qui je me prends ? répétai-je en riant de sarcasme. Espèce

d’ordure ! Repose encore une fois tes sales pattes sur elle et…

– Quoi ? Qu’est-ce que tu vas faire, hein ?

Furieux, j’agrippai sa gorge, l’empêchant de bouger pour de bon.

J’appuyai de plus en plus fort jusqu’à ce que son visage vire au rouge.

– Ar… rête…

– Ne l’approche plus, c’est compris ? hurlai-je en donnant une

pression plus forte sur sa gorge.

– OK… suffoqua-t-il.

Je le relâchai, écœuré par l’individu. Il se tint la gorge des deux mains

et tenta de reprendre sa respiration.

– Dégage ! rageai-je en le poussant dans la direction opposée de Jenna

et Maddy.

Je ne dus pas le répéter deux fois qu’il partait déjà en courant,

manquant de trébucher à plusieurs reprises. Je fermai les paupières,

soulagé au plus profond de moi-même que j’eusse réussi à contrôler mes

pulsions. Je me tournai ensuite vers l’endroit où se trouvait Jenna, mais

elle avait disparu.

Jenna.

Maddy.

80

Je me mis à courir vers la sortie du parc, furieux qu’elle se fût enfuie,

mais je l’aperçus quelques secondes plus tard.

Le souffle court, je les rattrapai.

– Jenna !

Elle accéléra le pas, serrant son enfant tout contre elle.

– Arrête-toi !

– Maman, entendis-je crier ma fille.

Elle se stoppa. Je cessai de courir et avançai vers elle tandis qu’elle

restait immobile.

– C’est Went, maman.

J’esquissai un faible sourire à l’adresse de l’enfant qui me fixait dans

les yeux, contrairement à Jenna qui gardait le dos tourné. J’effleurai la

joue de Maddy et me postai devant sa mère.

– Jenna, soufflai-je d’une voix douce.

Elle releva la tête et planta un regard humide dans le mien.

– Tu vas bien ?

– Oui… je vais bien, bredouilla-t-elle d’une voix tremblante.

Elle mentait, c’était évident.

– Viens avec moi, Maddy. Je vais te porter.

La petite m’ouvrit les bras aussitôt et je la calai contre mon flan.

J’attirai ensuite Jenna de l’autre côté et la serrai doucement, conscient

qu’elle était bouleversée.

– On va rentrer, OK ?

Elle hocha la tête et laissa un sanglot étouffé s’échapper de ses lèvres.

Je serrai les mâchoires, furieux contre Peter.

– Pourquoi elle pleure, maman ?

J’hésitai un instant à lui répondre, mais son regard insistant eut raison

de moi.

– Ta maman est fatiguée, ma puce… elle a besoin de se reposer.

– Moi aussi je suis fatiguée.

– Rentrons dans ce cas, lui répondis-je avant de déposer un baiser sur

sa joue rosie par le froid.

Elle me sourit et acquiesça tandis que Jenna commençait à s’accrocher

à mon bras, passé autour de sa taille.

Nous marchâmes en silence jusqu’au 4X4.

– Nous y sommes, c’est la voiture d’Elena, l’informai-je en cherchant

son regard.

81

– Tes sœurs sont ici ?

Sa voix était encore tremblante et je décelai à nouveau une vague de

panique dans son regard.

– Seulement Elena. Sophia est prise par son travail…

– Ma voiture est garée de l’autre côté.

– Je viendrai la chercher tout à l’heure, rétorquai-je tandis que les bras

de Maddy se resserraient autour de mon cou.

– Went…

– Je n’ai pas l’intention de te laisser prendre le volant après ce qu'il

vient de se passer, Jenna.

– Je vais bien ! rétorqua-t-elle, me fusillant d’un regard réprobateur.

– Cesse de tout compliquer, s’il te plaît, soufflai-je en plissant les

yeux.

Elle baissa la tête et murmura d’une voix rauque :

– Je suis désolée…

De quoi était-elle désolée exactement ?

– Monte dans la voiture, fis-je d’une voix autoritaire en ouvrant la

portière.

Elle allait rétorquer à nouveau, mais je l’en interdis d’un regard appuyé

avant de tourner le visage vers Maddy.

– Je vais t’installer, d’accord ?

Elle hocha la tête et j’entrepris ensuite d’attacher sa ceinture de

sécurité tandis que Jenna restait immobile, près de la portière ouverte.

J’embrassai Maddy sur le front et allai la rejoindre.

– Jenna, tu es sûre que ça va ? demandai-je, inquiet.

Elle secoua la tête et ancra son regard au mien. Mon cœur se serra

irrémédiablement à la vue de ses larmes.

– Je suis désolée…

– Hé, fis-je, ému avant de l’attirer contre moi. Ce n’était pas ta faute,

c’est lui le seul responsable, d’accord ?

Elle me repoussa une seconde plus tard sans ménagement. Je la fixai,

avalant la colère que j’éprouvai à ce sentiment de rejet.

– Monte dans la voiture, s’il te plaît. Maddy est épuisée, il faut qu’elle

dorme un peu.

– Tu n’as pas à me dire comment m’occuper de ma fille !

Elle exagérait.

82

Je fermai les poings, irrité au plus profond de moi.

Dans un geste vif, je refermai la portière. Maddy n’avait pas à entendre

ça.

– Tu te fiches de moi ?! criai-je en plantant mon regard dans le sien.

Elle soupira, énervée.

– J’ai juste envie de rentrer, Went.

– Nous devons parler et tu le sais !

– Je n’ai rien à te dire. Ce qui s’est passé avec Peter…

– Je ne te parle pas de Peter, Jenna !

– Tu étais furieux…

J’hallucinai, que racontait-elle au juste ?

– Mais de quoi parles-tu ? J’étais furieux oui, mais à cause de Maddy !

Elle était effrayée !

– Je sais… murmura-t-elle en baissant les yeux.

– Pourquoi l’avoir suivi ?

– Je pensais que tu ne voulais pas parler de lui !

– Ne joue pas avec moi, Jenna.

Elle partit d’un éclat de rire.

Je m’énervai.

– Pourquoi ne pas lui avoir rendu son baiser ?

Son rire cessa, j’exaltai.

Je m’avançai d’un pas, me rapprochant un peu plus. Elle blêmit de plus

belle.

– Pourquoi ne pas lui avoir rendu son baiser ? insistai-je en posant

mes mains sur ses bras, l’empêchant ainsi de fuir.

– Je… n’en avais pas envie et ce n’est pas ton problème ! répondit-

elle, exaspérée.

– Au contraire, c’est aussi mon problème, Jenna, murmurai-je.

– T’es complètement taré, Riller ! Rentrons maintenant.

– Attends ! intervins-je à nouveau en la retenant par le bras. Et si…

j’essayai de t’embrasser, là, maintenant ?

Je ne savais pas ce qu'il venait de me prendre de lui poser une telle

question, mais une partie de moi fut satisfaite en remarquant la confusion

totale de son regard.

– Tu… risquerais de te retrouver la lèvre en sang !

Je souris.

83

– Je ne te crois pas, m’amusai-je à la taquiner.

– Fais-toi plaisir dans ce cas ! rétorqua-t-elle sans ciller.

Je serrai les mâchoires, confus à mon tour à sa réplique. Elle était

sérieuse…

– Plus tard, Jenna. Rentrons, ordonnai-je d’un ton sec avant de

contourner la voiture.

Je pris place derrière le volant et mis le moteur en marche.

Jenna ne desserra pas les lèvres pendant tout le trajet. Une fois arrivé

devant chez elle, je coupai la voiture et lançai un regard vers l’arrière.

Un sourire se dessina sur mes lèvres.

– Elle s’est endormie.

– Très bon observateur, railla Jenna avant de sortir du 4x4.

Je fulminai intérieurement, mais je sortis à mon tour avec un calme

vulnérable.

Je la rejoignis près de la portière. Elle détacha la ceinture de Maddy.

– Nous devons parler, Jenna.

– Pas maintenant !

– Et quand penses-tu que tu trouveras un moment pour tout

m’expliquer ?!

– T’expliquer quoi ? me demanda-t-elle sans prendre la peine de me

regarder.

Je restai interdit, essayant de me calmer alors qu’elle prenait Maddy

dans ses bras.

Vivement, je refermai la portière et la suivis jusqu’à la porte. Je la vis

rouler des yeux puis elle entra.

– Laisse-nous !

– Non, répondis-je en la suivant à l’intérieur.

Elle soupira d’irritation et se tourna vers moi alors que je fermais la

porte.

– Je ne bougerai pas d’ici avant de tout comprendre.

– Alors, je te souhaite bonne chance, fit-elle en s’avançant vers

l’escalier.

Je m’empressai de la retenir.

– Jenna !

– Je vais mettre ma fille au lit, tu permets ? lâcha-t-elle en me fusillant

d’un regard noir de colère.

84

J’acquiesçai, piteux.

– Et tu vas rester enfermé là-haut, n’est-ce pas ?

– Je n’ai pas l’intention de fuir par la fenêtre avec elle, si c’est ce qui

te fait peur.

J’esquissai un faible sourire tout en pestant intérieurement. Je me

sentais mielleux, incapable de prononcer un mot.

– Je reviens dans une minute, me dit-elle, consciente que j’étais perdu

dans mes pensées.

J’acquiesçai alors tandis qu’elle montait à l’étage, Maddy dans ses

bras.

Je restai un instant là, en bas de l’escalier, le regard rivé vers le haut.

Elle était vraiment impossible !

Un long soupir s’échappa de ma gorge. J’ôtai ma veste et la posai sur

le dossier du canapé. Je ne savais pas combien de temps elle mettrait à me

rejoindre, mais je commençai déjà à perdre patience. Nerveux, je marchai,

tournant autour de la table basse du salon. J’écoutai attentivement les

bruits que je pouvais percevoir de l’étage, mais le silence était total.

Elle m’avait berné.

Une fois de plus.

Mais je ne la laisserais pas s’en tirer de cette façon. Je me dirigeai vers

la cuisine.

Connaissant la maison dans les moindres recoins, j’ouvris l’armoire

fixée sur le mur et en sortis deux grands bols. J’espérais qu’elle aimait

toujours le chocolat chaud…

Tandis que j’entreprenais la préparation des chocolats, un large sourire

étira mes lèvres, revoyant le visage adolescent de Jenna, qui buvait son

bol de chocolat.

Un jour, elle était avec Sébastien et moi au salon, nous regardions un

film. Charlie était au bar, ce soir là… et, comme souvent, Séb m’avait

proposé de rester avec lui au lieu de rejoindre nos amis respectifs… il ne

voulait pas que Jenna reste seule. Et je le comprenais.

Jenna était bien plus mature que la plupart des jeunes femmes de son

âge. Elle savait entretenir des conversations sérieuses et avait toujours eu

le don de nous mettre à l’aise. J’aimais beaucoup sa compagnie. Elle

comprenait toujours ce que j’éprouvais quelles que soient les situations

qui me tombaient dessus.

Elle me faisait rire aussi… avec sa maladresse attachante et les

85

grimaces qui se dessinaient sur son visage quand elle se sentait mal à

l’aise.

Comme ce soir-là où je l’avais taquinée tandis qu’elle avait des

moustaches de chocolat au-dessus des lèvres. La seconde suivante, elle

avait remarqué que je me moquais d’elle avec son frère et quand elle

voulut reposer son bol sur la table, celui-ci avait glissé de ses doigts, se

renversant sur le tapis du salon. Cela s’était terminé en fous rires

infernaux alors qu’elle fulminait, nous jetant au visage les coussins du

canapé.

Perdu dans mes pensées, je sursautai au bruit de la porte qui s’ouvrit.

Lentement, je me tournai vers elle et la scrutai. Elle avait encore pleuré et

était toujours aussi nerveuse.

Je constatai également qu’elle n’avait pas perdu sa manie de se triturer

les doigts. Faisant mine de ne pas laisser paraître mon trouble, je ramenai

nos bols sur la table.

– Je t’ai préparé un chocolat.

– Went…

– Tu aimes toujours ça, j’espère ?

– Ouais, souffla-t-elle en soupirant.

– Viens t’asseoir.

Elle obtempéra, mais je restai sur mes gardes. Les larmes n’allaient pas

tarder à apparaître, j’en fus certain.

Installée en face de son bol, je tirai une chaise et m’assis à son côté,

tout près d’elle.

Une longue minute de silence s’installa entre nous. Elle gardait la tête

baissée tandis que j’attendis de trouver son regard… qui ne vint pas.

– Jenna, murmurai-je d’une voix douce.

Elle n’eut aucune réaction alors j’écartai tendrement les mèches de ses

cheveux qui cachaient la vue de son visage.

Là, tout dérapa.

Mon cœur s’étreignit dans ma poitrine à la vue d’une larme qui

stagnait dans le coin de sa paupière.

– Ne pleure pas…

Ma voix était rauque, tremblante.

– Je suis désolée…

Je fermai les paupières pendant un bref instant puis elle se jeta à mon

cou. Mes bras l’entourèrent aussitôt et j’attendis qu’elle veuille bien se

86

calmer.

– Je suis là, maintenant.

– Non !

Je ne compris rien.

Elle se détacha de moi avec rapidité. Incrédule, je secouai la tête avant

de prendre son visage entre mes mains.

– Tu ne comprends rien…

– Alors, explique-moi, rétorquai-je d’un ton fort.

Je vis dans son regard une multitude d’émotions qui s’installait. La

haine, la colère, l’amour…

Ses larmes coulèrent abandonnement, sans retenue tandis qu’elle me

fixait dans les yeux.

Je fus confus, complètement déstabilisé par l’émotion que j’éprouvais.

– Jenna, murmurai-je en l’attirant dans mes bras.

Elle se laissa faire, pour mon plus grand bonheur.

Combien de fois avais-je rêvé de cet instant ?

Combien de fois avais-je imaginé pouvoir obtenir le bonheur de la

tenir à nouveau contre moi ?

– Tu m’as tellement manqué… je n’aurais pas dû te le cacher, je suis

désolée… Went, je suis tellement désolée.

Perdu, je fermai les paupières, savourant uniquement ce moment.

– Ne pleure pas, c’est tout ce que je veux, Jenna… s’il te plaît…

Ma voix était méconnaissable.

– Il faut que j’aille voir Maddy, me dit-elle soudainement en se

détachant de mon étreinte.

– Elle dort.

– Je ne l’entendrais pas d’ici et…

– OK, OK, fis-je.

Pour la rassurer, je lui proposai de nous installer au salon.

Elle accepta puis quitta la pièce d’un pas rapide. Je soupirai avant de

prendre nos boissons et la rejoignis.

Installée dans le canapé, elle avait ramené ses genoux jusqu’à son

menton, serrant ses jambes entre ses bras. Toute sa fragilité était visible…

et cela n’arrangeait pas mon état.

– Tiens, bois un peu, ça te fera du bien, lui dis-je en lui tendant son

bol.

Elle me remercia d’un faible sourire et but une gorgée tandis que je

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m’installais à son côté. Je la contemplai, le cœur broyé par la culpabilité

que j’éprouvais toujours envers elle. Je l’avais fait souffrir, l’avais fait fuir

alors que mes sentiments étaient réels. J’avais fait la plus grande erreur de

ma vie et je devais en assumer les conséquences.

Je sortis de mes pensées lorsqu’elle se redressa pour déposer son bol

sur la table. Tandis qu’elle s’installait plus confortablement dans le

canapé, je croisai son regard et je me détendis.

Un rire monta à ma gorge.

– Quoi ?! demanda-t-elle d’un ton sec.

Je souris et elle comprit, mais je ne lui laissai pas le temps d’essuyer le

surplus de chocolat que je portai mes doigts à ses lèvres. Une vague de

sensations plus déroutantes les unes que les autres me terrassa. Elle dut

éprouver la même chose, car elle ôta ma main de la sienne. Vivement, je

serrai ses doigts dans les miens, l’empêchant de dégager sa main.

– Went…

– J’ai besoin de te l’entendre dire…

Elle planta un regard paniqué dans le mien et hocha la tête.

– Oui… Maddy est ta fille.

Je fermai les yeux, soulagé d’avoir enfin eu cette confirmation.

– Elle a ton regard…

J’ouvris les paupières et ancrai mon regard au sien.

– Elle est magnifique… elle te ressemble aussi…

– Je sais… me coupa-t-elle avant de pousser un long soupir.

Je serrai sa main plus fermement.

– Écoute… je sais que nous devons parler, mais… Sébastien n’est pas

au courant et…

– Si tu t’inquiètes au sujet de ton frère, je vais tout lui raconter.

– Non ! s’écria-t-elle. Je dois le lui dire moi-même. C’est moi qui suis

partie sans rien dire à personne, Went ! C’est moi qui ai caché l’existence

de Maddy…

– Jenna, la coupai-je, comprenant qu’elle était sur le point de craquer.

Tu n’es pas la seule responsable… J’aurais dû t’avouer que…

Je m’interrompis, hébété par l’aveu que j’étais sur le point de lui faire.

Elle me fixa, troublée tandis que je puisais au fond de moi le courage

de continuer.

88

8

AVEUX

Jenna

Je restai immobile, incapable de faire le moindre mouvement. Mes

yeux rivés aux siens, j’attendais qu’il continue. Ce qu’il fit après avoir

emprisonné ma deuxième main dans la sienne.

– Je t’ai menti, Jenna… Je ne sais pas ce qui m’a pris ce soir-là,

mais… ça n’aurait pas dû se passer ainsi parce que… je t’aimais, et je t’ai

toujours aimé.

Hébétée par ses paroles, ses mots que j’avais si souvent désiré entendre

dans sa bouche me paralysèrent complètement. Sa tirade tambourina dans

mon esprit pendant plusieurs secondes tandis qu’il attendait une réaction

de ma part.

Il disait m’aimer…

Mes paupières se fermèrent à la douleur qui vint me transpercer.

J’aurais dû savoir à cette minute qu’il mentirait et qu’il serait prêt à tout

faire pour me consoler. Je secouai alors la tête, me tirant de ma rêverie par

une claque mentale que je m’infligeais.

– Jenna…

Son murmure suivit la main qu’il posa sur ma joue, accélérant

irrémédiablement mon rythme cardiaque. J’ouvris les yeux et me heurtai à

son regard qui me bouleversa au plus haut point, faisant instantanément

contradiction avec mes précédentes pensées. Je sentis le malaise

m’envahir tandis que j’essayais de comprendre ses réelles motivations.

Un tas de questions se bouscula dans ma tête.

J’en eus assez… l’envie de hurler sur lui bouillonna en moi, mais je

fus incapable de prononcer le moindre mot, le moindre son. À la place, je

me levai d’un bond, mettant un terme au contact de nos mains.

– Pars de chez moi !

Il se leva vivement, me faisant face. J’eus l’impression de tomber.

89

Ses deux mains s’accrochèrent à mes épaules tandis qu’il baissait son

visage vers le mien. Son souffle chaud effleura mes lèvres. Je réagis tel un

volcan en éruption et bondis en arrière, le foudroyant d’un regard noir de

colère.

– Sors d’ici !

– Laisse-moi te…

– Parler ? le contrai-je, hors de moi. Tu veux me faire croire après tout

ce temps que tu m’aimais ? Et que tu m’aimes encore, c’est ça ?! Je sais

que je suis stupide, mais…

– Arrête de hurler ! Tu vas réveiller Maddy, me coupa-t-il en me

poussant vers la porte d’entrée.

Prisonnière de ses mains qui me retenaient par les épaules et contre

cette porte que je voulais ouvrir pour le chasser, je restai immobile,

estomaquée par sa soudaine brutalité.

– Va-t'en, insistai-je d’une voix mielleuse.

Il secoua la tête et je fulminai en remarquant le petit sourire en coin qui

se dessinait sur ses lèvres.

– Que cherches-tu à faire ?

Il parut surpris par ma question, mais répondit calmement :

– Je n’en sais rien, mais… nous avons une fille, Jenna, et je n’ai pas

l’intention de faire comme si elle n’existait pas.

Je baissai les yeux.

Je savais au fond de moi qu’il n’était pas du genre à fuir ses

responsabilités, mais la situation était plus compliquée à présent et je

n’avais plus la force de me battre.

Il baissa sa garde, comprenant probablement que je n’allais plus fuir à

toutes jambes. J’en profitai néanmoins pour me dégager de son emprise et

m’avançai vers la table basse. Je ramassai nos bols et lui jetai un coup

d’œil discret avant de me rendre dans la cuisine.

Seule et loin de sa vue, un sanglot m’étrangla la gorge.

Furieuse, je claquai les bols dans l’évier avant de poser les mains sur le

meuble, tentant désespérément de calmer les soubresauts de mon corps.

Alors que je décelai un semblant de calme m’envahir, j’entendis la porte

se refermer derrière moi. Il était là, juste à quelques mètres, et je n’eus pas

besoin de poser mon regard sur lui pour savoir qu’il me fixait.

Je me tournai tout de même après avoir balayé, dans un geste rageur,

les larmes de mes joues.

90

Il s’avança d’un pas hésitant, puis de deux jusqu’à ce qu’il fût en face

de moi.

Ancrés l’un à l’autre, nos regards restèrent ainsi pendant une longue

minute, deux peut-être, mais ce silence m’irritait. Il dut entendre mes

pensées, car je le vis entrouvrir les lèvres.

– Jenna, il faut que tu me croies.

Je fermai les yeux tandis que mon cœur se soulevait dans ma poitrine.

J’aimerais tant pouvoir en être capable, mais la vie était ainsi faite.

Personne n’avait pu m’aimer à part mon frère et j’avais du mal à le croire

malgré la sincérité profonde de sa voix.

Je tentai un ultime effort et ouvris les paupières. Il s’était approché un

peu plus et je n’eus pas le temps d’anticiper ses mouvements qu’il m’attira

contre lui. Perplexe, je restai immobile à cette étreinte. Puis, un soupir

indéchiffrable s’échappa de ma gorge malgré moi.

À cet instant, je sentis quelque chose d’humide dans mon cou.

Interloquée, je l’écartai doucement de mon corps. Il avait le regard clos

tandis que son front s’opposait au mien.

J’en fus bouleversée.

Lentement, je levai la main vers son visage et stoppai la descente d’une

larme le long de sa joue. Il ouvrit enfin les yeux et plongea son regard

dans le mien.

– Je n’ai jamais cessé de t’aimer, Jenna.

À cette seconde, je refusai de le regarder et je mis fin à cet échange

visuel, au risque de briser davantage toutes les barrières que j’avais

dressées au fil des années.

– Ne fais pas ça, je t’en prie, clamai-je d’une voix fatiguée.

Il m’agrippa les poignets et les plaça le long de mon corps.

– J’ai besoin que tu me croies. Laisse-moi parler à ton frère…

– Non, c’est à moi de le faire, Went.

– C’était ma faute, Jenna. Tu es partie à cause de moi… si je ne

m’étais pas comporté comme un goujat ce soir-là, nous… nous aurions pu

élever notre fille tous les deux.

Je le regardai, abasourdie par ce talent inné d’acteur qu’il possédait.

– Arrête ça.

– Pourquoi refuses-tu de me croire ? Je t’aime… et depuis plus

longtemps que tu ne l’imagines !

Je secouai la tête puis me libérai de son emprise.

91

– Je vais appeler Sébastien. Je vais lui dire ce qu’il s’est passé. Je ferai

tout ce que je peux pour que votre amitié ne soit pas lésée par cette

histoire et en ce qui concerne Maddy, je ne t’empêcherai pas de la voir,

mais il est inutile de me faire croire à un avenir avec toi. Me dire que tu

m’as aimée et que tu m’aimes ne changera rien à la réalité, Wentworth !

– Mais… qu’est-ce que tu racontes ? me demanda-t-il en bredouillant,

visiblement incrédule.

– Je ne suis plus cette petite fille qu’on manipule, Went. J’ai grandi,

j’ai mûri et j’ai des responsabilités que j’assume, mais je t’en prie, ne me

prends pas pour une conne ! Ton talent d’acteur est vraiment

impressionnant et…

Il me coupa d’un mouvement vif de la main qu’il posa contre mes

lèvres.

– Pourquoi refuses-tu de voir que je ne joue pas ?

Je baissai instinctivement le regard vers ses lèvres, placées à quelques

millimètres des miennes, et je sentis mon cœur cogner douloureusement

dans ma poitrine.

La colère s’empara de moi tandis que j’ôtais sa main de ma bouche.

– Pourquoi ?! Tu veux que je te dise les raisons pour lesquelles je ne

peux pas te croire ?!

Je le vis faire un pas en arrière tout en secouant la tête d’un signe

d’acquiescement. Furieuse contre moi-même alors que je m’étais jurée de

garder le contrôle de mes sentiments et, surtout, que je ne trahirais jamais

cette partie de mon cauchemar, un sanglot s'échappa de mes lèvres.

Mais j’avais tout fichu en l’air…

Il voulait des réponses et ce fût à bout de force que je lâchai d’une voix

trahissant mon mépris :

– Mariana… elle m’a dit que tu étais avec elle, le lendemain de cette

fête. Je ne t’en veux pas… tu aimais les femmes plus expérimentées et…

non une fille comme moi. Alors, s’il te plaît, ne dis plus jamais que tu

m’as aimée ! Maintenant, va-t'en…

Went

Je ne saurais dire combien de temps je fus resté là, dans l’incapacité

totale de faire le moindre mouvement ou d’émettre le moindre son. La

profonde souffrance de Jenna me transperçait le cœur, le déchirant en

92

miette. J’étais indécis, essayant de comprendre.

Je l’observai toujours sans pouvoir trouver une explication logique à

cet aveu.

Mariana ?

Que venait-elle faire dans cette histoire ?

Ses larmes roulaient encore et encore, marquant ses joues meurtries.

J’eus la désagréable impression que je lui avais fait bien plus de mal que

je ne l’avais imaginé. Le soupir qu’elle laissa échapper de ses lèvres me

sortit de ma léthargie. J’avançai d’un pas, mais au même moment, Jenna

perdit l’équilibre.

– Jenna !

Je la rattrapai vivement et l’aidai à s’installer sur la chaise. Je me

baissai à sa hauteur, gardant une main sur les siennes tandis que, de

l’autre, j’ôtais ses cheveux de son visage.

– Tu vas bien ?

– Oui… je suis juste épuisée.

Je ne résistai pas à l’envie de prendre à nouveau son visage entre mes

mains. Doucement, mes pouces effleurèrent ses paupières rougies par ses

larmes et descendirent vers ses joues. Son regard se vrilla au mien une

seconde avant qu’elle rompe le contact en fermant les yeux.

Je soupirai doucement et baissai les yeux vers ses lèvres tremblantes.

Une vague de désir m’électrisa lorsque je me mis à les caresser.

– S’il te plaît… arrête, me dit-elle en ôtant ma main de ses lèvres.

Nos regards se défièrent un instant puis elle ajouta :

– Ne me dis pas qu’elle a tout inventé, Went.

– Il ne sait jamais rien passer avec elle, clamai-je.

Elle me lança un regard assassin. Je me relevai et allai m’installer sur

la chaise à son côté.

– Dis-moi ce qui s’est passé.

– Mm… tu veux vraiment savoir ?

– Je t’en prie…

Elle hocha la tête après un moment d’hésitation.

– Après… cette nuit-là… pendant le premier mois, j’évitai de sortir.

Toi, tu n’étais pas là, tu étais reparti pour Los Angeles. Tu es revenu peu

de temps après, en attente d’une réponse pour un rôle, d’après mon frère.

Les semaines passèrent et tu ne venais plus à la maison comme autrefois.

Je me suis dit alors que tu m’en voulais. Un jour, pendant les cours, j’ai

93

été prise d’un malaise puis les nausées sont apparues plus tard… mais je

n’y avais pas prêté attention, je n’en savais rien pour être honnête. J’ai fini

par faire un test et… tu connais le résultat, terminai-je dans un rire

nerveux

– Jenna…

– Ne m’interromps pas, s’il te plaît. J’étais déboussolée… Je ne savais

pas quoi faire. J’aurais voulu en parler à Séb, mais je n’y suis jamais

parvenue et puis… après avoir réfléchi, j’ai décidé de venir t’en parler

et… c’est Mariana qui m’a ouvert la porte. Elle était surprise que je

demande à te voir. J’ai prétexté que je devais te remettre un message de

mon frère. Puis, en discutant un peu, elle a commencé à me parler de toi,

de votre relation…

– Il n’y a jamais rien eu, Jenna. Nous étions de simples amis, la

coupai-je, ahuri par la souffrance dans sa voix et l’appréhension de

connaître la suite.

– Tu en es bien certain ?

Elle ne me laissa pas le temps de confirmer qu’elle s’élançait déjà :

– Elle m’a dit qu’elle pensait que tu étais sorti pour lui acheter une

bague de fiançailles, Went.

– Quoi ?

– Je ne l’ai pas cru au départ. Je me suis mise à la questionner et elle

m’a certifié que votre relation amicale avait évolué le 4 décembre, le

lendemain de mon anniversaire… Le lendemain où…

– Jenna, non ! Tu l’as cru ? Comment as-tu pu la croire, bon sang ?!

J’étais furieux. Ce sentiment fut dirigé vers Mariana, mais aussi envers

elle, car elle n’avait pas pris la peine de m’en parler… non, elle avait fui

pour un quiproquo.

– C’est ce qu’elle m’a raconté ! Tu peux me dire ce que j’étais censée

faire après que tu m’aies fait comprendre que je ne comptais pas pour toi ?

– M’en parler ! hurlai-je en me levant d’un bond, les nerfs à vif.

– Je n’ai trouvé qu’une solution qui pouvait arranger tout le monde. Je

voulais juste te laisser tranquille et je suis partie.

Je fermai les yeux et essayai d’apaiser la douleur puissante qui

m’irradiait entièrement. Je secouai la tête, le cœur déchiré par la

culpabilité.

– Je ne regrette pas ce qui s’est passé, Went, murmura-t-elle d’une

voix basse.

94

Je me tournai, interloqué par son aveu. Son regard noyé de larmes me

peina. J’avançai vers elle et me baissai à sa hauteur.

– Regarde-moi, soufflai-je, d'une voix émue.

Jenna

Hésitante, je relevai le visage et restai désemparée à la vue de son

regard empli d’émotions. Je n’avais jamais eu l’occasion de lire de tels

sentiments dans l’iris de ses yeux et cela me perturbait plus que de raison.

Nous nous fixâmes, tels des pantins figés, attendant que quelque chose

nous rende notre mobilité.

Un sentiment contradictoire s’éleva en moi, mais j’étais bien trop

troublée pour le décrire convenablement. J’eus l’impression que les

minutes perduraient… l’envie de lui hurler dessus pour qu’il rompe ce

silence m’envahit. Je voulais qu’il me dise sa version ou, du moins, qu’il

prononce un mot, quel qu’il soit. C’est alors que son regard se baissa

légèrement, lentement…

Je dus prendre une seconde de plus pour constater qu’il fixait mes

lèvres et une explosion brutale se propulsa dans mes entrailles.

J’appréhendais plus que tout qu’il découvre les émotions que j’éprouvai

en cet instant.

– Jenna, tout ça est faux… il faut que tu me croies. Il n’y a jamais rien

eu avec elle. Ce n’était qu’une amie, je te le jure.

Il prit mon visage en coupe dans ses mains et je fermai les yeux un bref

instant avant de les rouvrir.

– Je t’en prie, il faut que tu me croies…

Sa voix respirait la sincérité même et je le crus. Il avança alors son

visage vers le mien. Encore dans la réserve, je fermai les paupières à

nouveau et sentis son front se poser contre le mien.

– Je ne te quitterai plus. Plus jamais…

Grisée et terrifiée par les mots qu’il venait de prononcer, une larme

s’échappa de ma paupière. Il la cueillit dans un geste tendre et effleura

mes lèvres des siennes.

Je bondis de ma chaise, apeurée par son geste, mais il me retint contre

lui tandis que les sanglots montaient dans ma gorge. Lasse, épuisée à

cause des chocs émotionnels que je venais de subir depuis ces dernières

heures, ces dernières années, je me jetai à son cou.

95

Went

Elle me croyait à présent. Du moins, ce fut la pensée que je voulais

garder à l’esprit. Je la serrai contre moi, le cœur lourd et léger à la fois

tandis que ses larmes trempaient la peau de mon cou.

Elle était si fragile, si vulnérable…

Je lui avais fait tant de mal que j’étais persuadé que jamais je ne

pourrais faire disparaître cette culpabilité que j’éprouvais.

Nous restâmes là, enlacés l’un contre l’autre pendant de longues

minutes. Mes mains caressèrent son dos, sa nuque puis mes doigts se

faufilèrent dans ses cheveux. Elle pleurait toujours dans le creux de mon

cou et je serrai un peu plus fermement son corps tremblant, causé par les

soubresauts de ses sanglots. Je la berçai, l’apaisant par des paroles

rassurantes.

Les minutes s’écoulèrent dans un long silence. J’eus l’impression

qu’elle ne voulait pas retirer son visage de mon cou où elle avait trouvé

refuge. Je la comprenais.

Je me haïssais pour le comportement que j’avais eu, cinq ans plus tôt…

et dire que ma vie aurait pu être différente.

J’imaginai les scènes d’un parcours empli de bonheur avec celle que

j’aimais.

J’imaginai douloureusement la naissance de mon enfant.

Toute la souffrance et la solitude qu’elle avait dû éprouver me firent

l’effet d’une gifle monumentale. Tel un tsunami, les pires sensations

qu’elle eut à affronter déferlaient en moi. Instinctivement, je la serrai

encore plus fort avec désespoir. J’aimerais tant être capable de remonter le

temps.

Je ne savais pas de quoi serait fait mon avenir avec elle, mais je ne

pouvais pas faire comme si les sentiments que j’éprouvais n’existaient

pas. Je ne pouvais pas taire ma paternité… non, je ne le pouvais pas,

j’avais une fille et je l’assumerais.

Nous restâmes encore quelques instants enlacés puis elle bougea.

Silencieusement, je pris conscience qu’elle peinait à tenir debout. Je la

soulevai alors dans mes bras.

Je perçus un faible gémissement de sa part, mais elle ne broncha pas,

gardant précautionneusement son visage dans mon cou.

96

Elle était épuisée.

Je l’emportai dans le salon et l’allongeai délicatement sur le canapé.

Elle garda les yeux fermés et se tourna à demi. Rapidement, je tirai le

plaid et la couvris avant de m’agenouiller près d’elle. Tendrement,

j’écartai une mèche de son visage et déposai un baiser sur son front.

– Dors, mon ange. Je reste près de toi.

Elle marmonna quelques mots inaudibles puis s’endormit. Je restai à

même le sol, continuant de caresser ses cheveux quand mon téléphone se

mit à sonner.

Vivement, je le sortis de ma poche.

– Elena…

Poussant un soupir, je me levai et partis vers la cuisine pour ne pas la

réveiller.

– Je peux savoir où tu es, frérot ?

– Je…

– Ah, au fait ! Papa a appelé, il est bloqué à l’aéroport. Il sera de

retour que demain matin.

– OK, mais…

– Tu rentres dîner avec nous ? Maman voudrait inviter Jenna à

manger, ce soir.

J’écarquillai les yeux.

Non, ce n’était pas envisageable.

Faisant les cent pas dans la pièce, je frottai mon crâne d’une main

nerveuse. Il fallait que je trouve une excuse, mais Elena et ses

jacassements intempestifs m’en empêchèrent.

– Tu peux t’arrêter deux minutes ? la coupai-je alors qu’elle me parlait

des arguments de notre mère pour inviter Jenna et sa fille.

– Oh, excuse-moi… Bon, je peux savoir où tu es ?

– Euh… écoute, c’est compliqué. Dis à maman que je m’excuse, mais

ne m’attendez pas ce soir, d’accord ?

– Mais bon sang de bonsoir ! Ma voiture est devant la maison ! Mais

tu es où ?!

Je fermai les yeux, irrité.

Elle était vraiment incroyable, bon sang !

Exaspéré, je soupirai et j'eus la pensée qu’il valait mieux l’informer du

lieu où je me trouvai à cet instant, car elle serait bien capable d’ameuter

tout le quartier pour me retrouver.

97

– Elena… il faut que je te parle, mais s’il te plaît, promets-moi

d’abord que tu ne diras rien aux parents ?

– Euh… tu me fais peur là. Je ne t’ai jamais entendu me demander…

– Elena ! préférai-je la couper avant de l’entendre à nouveau formuler

un récit inutile.

– OK ! Mais ne compte pas sur moi si c’est pour couvrir des

conneries ! Enfin… ça m’étonnerait de toi, mais…

– Cesse de parler, s’il te plaît.

– D’accord, d’accord. Je t’écoute ?

Je roulai des yeux et restai un instant silencieux afin de retrouver mon

calme.

– Je t’écoute ! répéta-t-elle en articulant chaque syllabe.

– Promets-le-moi d’abord.

– Je… promis, souffla-t-elle d’un air exaspéré. Je peux cracher si tu

veux ?

– Non !

– Bien, alors parle !

– OK… je suis avec Jenna. Ne me pose pas de questions, s’il te plaît,

anticipai-je avant qu’elle ne me coupe. Dis juste à maman que je

m’excuse pour ce soir. Je rentrerai tard et débrouille-toi pour qu’elle ne

vienne pas chercher Jenna.

– Bon sang, Went ! Tu es avec Jenna ?!

– Elena… je t’en prie, c’est important.

– Euh, d’accord, mais tu as intérêt de me raconter tout ce que tu me

caches, Wentworth !

Je poussai un soupir désabusé et acquiesçai. De toute façon, je

comptais bien raconter toute la vérité… y compris à Maddy.

– Très bien, je lui dirai que tu es avec des amis.

– Merci, Elena… je te revaudrai ça.

– Oh, mais tu as plutôt intérêt ! Demain matin, je veux tout savoir,

OK ? Oh, mon Dieu !

– Quoi ?

– Tu es avec Jenna… tu es amoureux d’elle.

Je fermai les yeux et inspirai profondément.

– Je t’expliquerai tout demain, Elena, lui lançai-je avant de raccrocher

vivement.

98

Las, je m’installai sur une chaise et pris mon visage dans mes mains

avant de masser mes tempes douloureuses. Je savais que ma sœur tiendrait

parole, mais j’appréhendai leurs réactions. Mes parents, et surtout

Sébastien, quand ils découvriront que je suis le père de Maddy. Ils

tomberont de haut, mais peu importe. Mes sentiments pour Jenna étaient

forts, rien ne pourrait changer ça.

Déterminé dans ma décision, je fouillai dans le carnet d’adresses de

mon portable et fixai le nom de mon meilleur ami sur mon écran.

J’inspirai profondément et appuyai sur la touche de communication

lorsque la porte s’ouvrit.

Vivement, je me retournai et découvris Maddy, le visage encore

ensommeillé. Je raccrochai avant que la communication n’aboutisse et

répondis à son petit sourire. Je n’eus pas le temps de me lever qu’elle

s’avançait vers moi en me tendant les bras.

– Hé, ma puce, soufflai-je en la prenant sur mes genoux.

– Elle dort, maman.

– Oui, répondis-je en souriant avant de passer ma main sur sa joue.

Elle était très fatiguée… et toi, tu as bien dormi ?

Elle hocha la tête en souriant puis, sans que je m’y attende, ses bras

passèrent autour de mon cou. Une onde de chaleur inconnue m’envahit

alors. Je la serrai contre moi et fermai les paupières, savourant toutes ses

émotions qui me bousculaient.

Nous restâmes ainsi jusqu’à ce qu’elle s’écartât lentement.

Nos regards se croisèrent puis ses petites mains vinrent atterrir sur mes

joues. Je souris puis me mis à rire alors qu’elle s’amusait à me tripoter le

nez.

Je pris sa main et déposai un doux baiser sur ses doigts.

– Dis-moi, le monsieur au parc... il a fait mal à ma maman ?

– Non, ma chérie.

– Alors pourquoi elle a pleuré ?

– Elle… elle était fatiguée, murmurai-je, troublé.

– Oui, mais... le monsieur du parc il est méchant.

– Oui, Maddy. Il ne te fera plus peur, ma puce.

– Tu vas rester avec maman et moi, dis ?

Mon cœur s’emballa à cette question. Je passai mes doigts sur son

visage et un soupir s’échappa de mes lèvres.

Je la serrai alors contre moi et murmurai d’une voix que j’eus du mal à

99

reconnaître :

– Je resterai aussi longtemps que ta mère le voudra, Maddy.

100

9

APPROCHE

Jenna

Immobile depuis quelques minutes, j’étirai mon corps

douloureusement. La bouche sèche, j’eus l’impression que j’avais un mal

fou à ouvrir les paupières.

Dans un dernier effort, j’y arrivai enfin. J’aperçus en premier lieu le

cuir noir du canapé. L’esprit embué par le sommeil, je tournai la tête et

compris que j’étais au salon, chez nous.

Je fermai à nouveau les paupières, trop alourdies par mes pleurs.

– Oh !

Instantanément, je me redressai brusquement, faisant glisser le plaid

qui me recouvrait.

En me remémorant les derniers événements qui venaient de se passer

avant que je ne m’endorme, je fis glisser mes jambes du canapé et

patientai quelques instants.

J’avais besoin d’une minute.

Mon esprit fonctionna à cent à l’heure. Je tournai et retournai les

paroles de Went dans ma tête. Les mots tendres qu’il m’avait murmurés au

creux de l’oreille de sa voix douce et suave.

Personne ne m’avait jamais dit ces choses-là auparavant.

Il m’aimait alors ?

Était-ce vraiment possible ?

Je poussai un long soupir et enfouis mon visage dans le creux de mes

mains. Une palette d’émotions m’envahit alors, faisant battre mon cœur

un peu plus vite tandis qu’il me paraissait douloureux tant j’avais du mal à

concevoir son amour… et surtout, l’espoir d’y croire vraiment.

Ce fut alors que tous mes moments de grandes solitudes me revinrent à

l’esprit, laissant place au vide profond de mon âme. La culpabilité

m’assaillit de toutes parts alors que les images de mes gestes dévastateurs

101

arrivèrent en flash.

J’étais enceinte de trois mois et demi…

J’étais seule, dans l’obscurité de ma chambre dans l’appartement que

je venais de louer. Je me rappelai qu’il était plus d’une heure du matin. Je

m’étais réveillée, les larmes coulant sur mes joues creusées comme

chaque fois que je faisais ce rêve. Les images de Went avec Mariana sur

les couvertures des magazines.

La veille, une de trop avait intercepté mon regard. Je n’avais pas pris la

peine de l’ouvrir et d’y lire l’article. Il avait l’air heureux et c’est tout ce

qui m’importait… Moi, j’avais l’habitude de me sentir seule, mal aimée…

Lui ne méritait pas d’éprouver cette sensation, ce sentiment qui ne

conduisait qu'au néant.

Mais ce jour-là, cette photo était la goutte de trop.

Je m’étais levée pour aller me réfugier dans la salle de bain. Pendant

de longues minutes, je fixais mon reflet dans le miroir. Je ne ressemblais

plus à rien… Telle une âme sans vie, je me contentais d’assister au temps

qui s’écoulait sous mes yeux.

La lame de rasoir qui était posée sur le bord du lavabo avait atterri

entre mes doigts.

Les yeux secs pour avoir trop longtemps pleuré, je la fixais s’introduire

dans ma chair. La vue du sang ne m’avait pas horrifiée, alors

qu’auparavant, une seule goutte aurait suffi à ma vue pour perdre

connaissance. Mais l’état second dans lequel je me trouvais m’avait donné

la force, le courage de continuer d’enfoncer la pointe tranchante de cette

lame avant de tracer une ligne verticale sur mon poignet, puis une

horizontale.

Je ne voulais pas me laisser une chance d’y échapper…

Je ne saurais dire combien de temps j’étais restée assise à même le sol

de la salle de bain, à fixer mes veines qui se vidaient.

Une petite flaque visqueuse s’était formée peu à peu sur le carrelage

blanc. Mes doigts s’étaient mis à tracer des lettres dans celle-ci, mais très

vite, tout s’effaça…

J’attendais la mort, apaisée pendant que ma vue s’animait de l’image

de son visage.

Je n’avais plus la force de continuer, d’espérer un jour, une seule

minute qu’on puisse m’aimer comme je le méritais… mais le méritais-je

vraiment ?

102

Le courage et la force de poursuivre cette vie n’existaient plus. Je

voulais à tout prix cette délivrance, je voulais que la mort me l’offre

enfin…

Mais celle-ci n’était jamais venue me chercher. Julie et son petit ami

s’étaient disputés et elle était arrivée chez moi pour passer la nuit. Je lui

avais remis une clé de mon appartement, sachant que le couple subissait

des disputes répétées.

Ce fut ainsi que j’avais appris qu’elle m’avait secourue.

Pendant plus d’une semaine, j’étais restée dans un état comateux puis

j’avais fini par ouvrir les yeux. Je m’étais réveillée dans une chambre

d’hôpital. Le poignet bandé et un tas de perfusions avaient réveillé ma

conscience.

L’acte désespéré auquel j’avais eu recours n’avait pas réussi à chasser

ce vide toujours présent en moi. C’est alors que la culpabilité m’avait

envahie de plein fouet à la vue des électrodes collées sur mon ventre

légèrement arrondi.

À cet instant, et pour la première fois depuis ces trois derniers mois,

j’avais pris conscience que mon bébé était bien là, vivant dans mon

ventre.

Mes pleurs s’étaient alors évaporés, me culpabilisant du geste que

j’avais commis. Ce bébé ne méritait pas de mourir par ma faute…

Pour la première fois, j’avais pris conscience de l’amour que cet enfant

m’offrait. Pour la première fois, je m’étais juré de lui donner tout l’amour

que je n’avais jamais eu…

J’ouvris les paupières, troublée par mes douloureux souvenirs, et je

fixai les cicatrices sur mon poignet pendant plusieurs secondes. D’un

geste vif et rageur, je baissai ma manche. Il fallait que je m’enlève tout ça

de la tête…

À cet instant, j’entendis des éclats de rire provenant de la cuisine. Je

reconnus ceux de Maddy et ceux de Went. Il était encore ici…

Engourdie par le sommeil, je me levai lentement et constatai qu’il était

plus de vingt heures. Mes jambes me parurent fragiles, mais je m’avançai

tout de même vers la pièce, appréhendant le regard de celui qui se trouvait

à l’intérieur…

Dans un effort surhumain, je me retrouvai devant cette porte. J’inspirai

profondément, me guindant de courage. Je survivrais…

Hésitante, ma main vient se poser à plat contre le bois laqué et je la

103

poussai. Je retins mon souffle alors que Maddy et Went se tournaient vers

moi.

– Maman ! Tu es réveillée ! s’exclama-t-elle en se jetant dans mes

bras.

Je lui souris et fermai les yeux, savourant son petit corps contre le

mien. Le regard de Went se posa sur moi, je pouvais le sentir.

J’ouvris alors les paupières et reposai Maddy sur le sol avant de

froncer les sourcils en m’apercevant du champ de bataille qui régna dans

la pièce. Des plats et un tas de vaisselle sale étaient éparpillés sur la table

maculée de farine.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? demandai-je en fixant les dégâts

– On a fait des pizzas ! s’exclama Maddy d’une voix fière.

– Des pizzas ?

– Oui, on a voulu te faire une surprise.

Je relevai les yeux vers Went qui venait de prononcer ces mots. Il me

sourit puis s’avança vers moi. Je sentis le sol se dérober sous mes pieds.

– Jenna…

Je déglutis difficilement avant de lever les yeux vers lui. Son regard

intense plongea dans le mien et, inévitablement, des sensations

vertigineuses se bousculèrent en moi.

Sa main vint frôler la mienne. Je souris légèrement tandis que je ne

pouvais détacher mon regard du sien. Il possédait toujours le don de

m’hypnotiser comme personne.

– Assieds-toi. Maddy et moi étions en train de finir de tout nettoyer,

murmura-t-il en jetant un coup d’œil à ma fille qui empilait déjà des plats

les uns sur les autres.

Déboussolée, je glissai sur la chaise et observai le regard pétillant de

ma fille. Elle fixait son père. Je n’avais jamais vu ces étincelles dansantes

dans ses pupilles d’un bleu azur…

– Attends, ma puce, je vais les prendre.

– Non, je vais le faire. Je suis une grande fille, je te l’ai déjà dit,

rétorqua-t-elle en empêchant Went de prendre les plats.

Il se mit à rire à sa réplique avant d’approuver d’un hochement de la

tête. Ils débarrassèrent la table tous les deux et remplirent le lave-

vaisselle.

Je restai indécise par rapport à la situation qui se déroulait devant mes

yeux.

104

– Dis, ma puce ?

– Hum ?

– Tu es une grande fille ? demanda-t-il en souriant.

– Ben oui…

– Alors, est-ce que tu pourrais aller dans ta chambre quelques

instants ? Il faut que je parle avec ta maman.

– D’accord. Je peux te faire un bisou avant ?

Surprise par cette demande, j’écarquillai légèrement les yeux tandis

qu’il se penchait vers elle.

– Bien sûr, ma chérie.

Les larmes me montèrent irrémédiablement à la vue de Maddy qui

embrassa son père sur la joue. Je me levai alors qu’elle se tournait vers

moi. Elle s’avança tandis que je m’abaissais pour lui donner un baiser.

– Tu sais, Went, il est gentil, lui…

– Je sais, Maddy… écoute, quand nous aurons discuté, il faudra que je

t’annonce quelque chose d’important.

Je m’interrompis, bouleversée par les paroles qui venaient de franchir

mes lèvres. Elle hocha la tête et sortit de la pièce d’un pas enthousiaste. Je

me redressai vivement et m’approchai de l’évier. Ma gorge asséchée me

rappela le besoin vital de m’hydrater. Je savais qu’il était derrière moi,

mais il eut l’obligeance d’attendre que j'aie terminé mon verre d’eau.

– Jenna…

Son murmure me provoqua un long frisson. Son corps était tout prêt du

mien et je n’osai pas me retourner. Il finit par poser ses mains sur mes

épaules, je fermai les paupières, savourant l’instant. J’aurais dû anticiper

ce qui allait suivre, mais je n’étais plus qu’une poupée fragile entre ses

mains, car il attira mon dos contre son torse… une onde de chaleur

s’empara de moi, instantanément.

J’ouvris les paupières tout en retenant mon souffle tandis que ses bras

passaient autour de moi. Son étreinte afflua le désir que j’éprouvais pour

lui. Son odeur emplit mes narines avec délectation. J’étais incapable de

penser, de réfléchir ni même de respirer tant cette vague de sensations

déboula en moi comme un tourbillon d’une puissance rare.

Je sentis son souffle sur ma nuque, mon cou, et essayai tant bien que

mal de garder un semblant de contrôle, de reprendre mes esprits malgré

les battements de son cœur battant contre mon dos.

105

– Jenna…

– Hum ?

Il m’obligea à me tourner vers lui. Aussitôt, nos regards s’ancrèrent

l’un à l’autre. Ému, il m’attira dans ses bras et me serra contre lui.

– Je t’aime… murmura-t-il au creux de mon oreille avant d’y déposer

ses lèvres.

Je fermai les paupières à la puissante émotion qui s’empara de mon

être. Je passai mes bras autour de lui et répondis à son étreinte avant de

redresser mon visage vers le sien. Nous restâmes silencieux, les yeux rivés

sur nos lèvres. Puis, je remarquai le désir dans son regard. Ses iris d’un

vert éclatant étaient plus bleutés que jamais. Il me transperça, me toucha

jusqu’au tréfonds de mon âme, l’animant d’un sentiment nouveau. Je

sentis ses mains glisser dans mon dos jusqu’à mes hanches. Ses caresses

me brûlèrent, électrisant chaque centimètre de ma peau.

Tout hésitante que je le fus, il approcha son visage du mien et un

gémissement de plaisir s’échappa de ma gorge lorsque ses lèvres vinrent

effleurer les miennes. Il se recula aussitôt, cherchant une quelconque

réaction dans mon regard, sur mon visage…

Cette attente.

Ce silence… c’en fut trop.

Je reposai ma bouche sur la sienne d’un mouvement vif et savourai sa

douceur jusqu’à ce que sa langue force le barrage de mes lèvres.

Réprimant un gémissement, je m’accrochai à sa chemise que je n’osai

plus lâcher de peur qu’il disparaisse. Nos langues se retrouvèrent d’abord

dans des gestes timides et hésitants. Puis, la puissance qui émana de ce

contact enivrant fit disparaître toute la réserve de nos mouvements,

laissant place à une passion insoupçonnable, pour ma part.

Nos langues s’enroulèrent l’une à l’autre, se séparant un instant pour

mieux reprendre le ballet fougueux de nos mouvements effrénés. Je

savourai le goût de sa bouche. J’imprégnai les caresses de ses mains sur

mon corps qui devinrent de plus en plus possessives.

Avide de ses mains, mon corps ne m’appartenait plus…

Il se colla contre moi, recherchant le plus possible le rapprochement de

nos corps.

Mon cœur s’emballa dans un rythme fou, un rythme unique, effréné

par toute la multitude de sensations qui m’animait.

Fébrile et à bout de souffle, je m’écartai de ses lèvres et baissai le

106

visage avant de le poser sur son torse. Je souris, satisfaite de notre trouble

respectif. Il vint ensuite poser ses doigts sous mon menton pour relever

mon visage. Nos regards s’ancrèrent l’un à l’autre.

– Ça va ?

– Heu… oui, je crois, répondis-je, légèrement troublée par sa

question.

Il se mit à rire légèrement puis opposa son front au mien en inspirant

profondément.

– Tu es magnifique.

Je souris, émue par ce compliment. Soudain, je me rendis compte qu’il

retenait un fou rire.

– Qu’est-ce qui t’amuse, Went ?

– Tu ne m’as pas mordu, répliqua-t-il en pouffant.

– Très drôle !

Je m’écartai de lui et fulminai intérieurement tout en allant m’installer

sur une chaise.

– Je… Personne ne m’avait embrassée à part toi et, quand Peter a…

– Jenna…

Je m’interrompis, troublée par l’aveu que je venais de lui faire. Il

s’agenouilla à ma hauteur et caressa tendrement ma joue.

– Depuis tout ce temps, tu veux dire que… tu n’as jamais rencontré

personne ?

– Non. Personne. Je sais que tu dois penser que je suis bizarre, mais…

je n’ai jamais voulu que…

Oh mon Dieu !

Voilà que je n’arrivai plus à parler. Il allait vraiment penser que j’étais

folle…

Comment lui avouer que je n’avais jamais ressenti ce besoin auprès

d’un autre ?

Comment lui dire que j’avais peur qu’un autre que lui pose ses lèvres

sur les miennes et efface ainsi l’empreinte des siennes ?

Non… je ne pouvais pas.

– Je t’ai fait tellement souffrir que tu as perdu toute confiance en toi,

n’est-ce pas ?

– Je… ne sais pas, mais disons que je n’ai jamais pu cesser de penser

à toi et…

Je m’interrompis, troublée par l’émotion que j’observai dans son

107

regard. Il était ému, mais il culpabilisait davantage, c’était évident. Je pris

ses mains dans les miennes, interrompant les douces caresses qu’il

procurait à mes joues.

Il me scruta, les yeux humides, et j’inspirai profondément avant de lui

murmurer d’une voix mal assurée :

– Je t’aime…

Went

Ces mots venaient de s’ancrer dans mon cœur, consolidant cet espoir

de vivre enfin notre amour. Je plantai mon regard dans le sien et un

sourire timide étira ses lèvres.

– Tu… Je crois que les pizzas sont en train de brûler.

J’écarquillai les yeux et tournai la tête vers le four où une odeur de

carbonisé monta à mes marines.

– Merde ! pestai-je en me précipitant.

Elle pouffa à mes gestes paniqués qu’elle observa pendant que je sortis

la première pizza du four enfumé. Je regardai les dégâts, déçu…

Les yeux plissés, je me redressai et observai Jenna quelques secondes.

Les joues en feu, elle déglutit péniblement, constatant que je venais de la

surprendre en flagrant délit. Elle reluquait mon postérieur !

– Je pense que je ferais mieux de nous faire livrer.

– Ho... mm…

Je jetai un œil sur la pâte noircie et redoutai la déception de Maddy.

Elle était si enthousiaste dans la préparation des pizzas… et le moment

que nous avions passé ensemble, tous les deux, ne devait pas se solder par

un échec.

Alors, je sortis mon Black Berry de ma poche et commandai deux

pizzas, précisant que sur l’une d’entre elles, il fallait disposer une tomate

cerise au centre, la petite touche personnelle de Maddy.

Tandis que je mettais fin à mon appel téléphonique, Jenna s’approcha

de l’évier et contempla le résultat catastrophique de notre dîner. J’aperçus

un sourire au bord de ses lèvres, mais je restais dans la déception la plus

totale…

– Le livreur devrait être là dans une demi-heure.

Elle hocha la tête et ancra son regard au mien. Je m’approchai,

conscient de la lueur de désir dans ses iris.

108

J’effleurai sa joue avec tendresse. Elle ferma les yeux.

– Jenna… murmurai-je, le souffle court.

– Je… ferais mieux d’aller voir ce que fait Maddy… articula-t-elle

gauchement en s’éloignant.

Je souris légèrement à son trouble, mais la retiens par le poignet. Elle

me regardait d’un air paniqué tandis que ses joues se mirent à rosir. Je la

trouvai encore plus belle lorsqu’elle rougissait ainsi. Je savais que je ne

devais pas la brusquer et qu’elle avait besoin de temps, c’était évident…

J’essayai alors de contenir mon désir.

Doucement, je caressai sa joue et replaçai une de ses mèches derrière

son oreille. Elle baissa le regard, et je la vis lutter de toutes ses forces pour

ne pas se laisser aller dans mes bras.

– Je vais prendre une douche… et… m’occuper de Maddy, le temps

que les pizzas arrivent, murmura-t-elle en levant les yeux vers les miens.

– D’accord… j’espère qu’elle ne va rien remarquer…

– Quoi ?

– Pour les pizzas, répondis-je en riant légèrement. Tu es sûre que tu

vas bien ?

Elle hésita quelques secondes puis hocha la tête avant de m’offrir un

large sourire.

– Oui, ça va. Il faut que j’aille prendre une douche… enfin, j’y vais…

maintenant…

Je souris, ravi qu’elle n’ait pas perdu cette façon de s’exprimer

gauchement lorsque je la mettais mal à l’aise.

J’aurais bien voulu la retenir pour lui donner encore un long baiser,

mais elle fit volte-face avant de quitter la pièce.

Jenna

Honteuse d’éprouver un si grand trouble, je montai à l’étage en

catimini. Il avait dû me trouver idiote d’avoir rougi comme une tomate et

de ne pas avoir était capable d’articuler correctement.

Secouant la tête pour sortir de mes pensées désastreuses, je me dirigeai

vers la chambre de ma fille. Elle était assise en tailleur sur son lit et

s’amusait avec sa poupée qu’elle avait prénommée Coraline, comme sa

copine française.

Je souris, attendrie alors qu’elle murmura des mots dans l’oreille de

109

son amie. Soudain, à la voir ainsi, un sentiment de nostalgie s’empara de

moi. J’eus l’impression de me revoir, petite fille, parlant comme elle le

faisait à une poupée qui était au courant de tous mes petits secrets.

– Maman ?

Perdue dans mes pensées, je relevai brusquement la tête et lui souris.

– Hé, ma puce. Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je avant de

m’installer au bord du lit.

– Rien... je parle avec Coraline.

– Tu lui racontes des secrets ?

– Non, je lui ai dit que Went m’a appris à faire des pizzas.

Je réprimai un rire.

– Je suis certaine que ta pizza sera délicieuse, ma chérie.

– Je sais pas, j’ai pas beaucoup faim.

Je plissai les yeux à la petite mine qui apparut sur son visage.

– Maddy ? Tu ne te sens pas bien ?

– Si.

– Tu as mal quelque part ? insistai-je en me saisissant de son menton,

l’obligeant à me regarder.

– Mais non, répondit-elle en soufflant.

– Dis-moi ce qui te tracasse, mon ange ?

Elle plongea son regard dans le mien et je constatai avec un pincement

au cœur qu’elle était triste. Je la soulevai dans mes bras et l’installai sur

mes genoux. Je caressai ses cheveux et la serrai contre moi. Sa petite main

chaude se glissa dans la mienne. Je déposai un léger baiser sur son front

avant de pousser un soupir de compassion.

– Parle-moi, ma chérie, murmurai-je en la berçant doucement.

– Tu… as pleuré à cause du monsieur du parc…

– Ho, ma puce… mais non. C’est terminé, Maddy, la rassurai-je,

troublée.

– Il m’a fait peur… et Went m’a dit qu’il fera plus jamais de mal à

toi…

– Chut… il a raison. Je suis sûre que Peter s’en veut de s’être

comporté de la sorte.

– Went va manger avec nous, hein ?

Je la regardai, confuse, pendant une fraction de seconde alors que je

lisais dans son regard l’envie de passer du temps avec lui. Je lui souris

110

tendrement et acquiesçai d’un hochement de tête.

– Oui, il reste avec nous, mais il est l’heure de prendre ton bain.

Elle poussa un cri de joie et se leva d’un bond. Je me mis à rire.

Ensuite, nous nous dirigeâmes vers la salle de bain. Je terminai de lui

sécher les cheveux, le cœur gonflé de bonheur au moment de complicité

que nous partagions.

Soudain, des coups frappèrent à la porte. Mes mains se mirent à

trembler instantanément. Je pestai intérieurement et inspirai profondément

avant de lui demander d’entrer.

– Waouh ! Tu es toute belle, Maddy, lança-t-il alors qu’elle tournait

sur elle-même, lui montrant fièrement sa chemise de nuit de princesse.

– C’est ma nouvelle !

J’observai Went d’un œil discret. Il lui souriait avec tendresse. Puis, je

le vis s’avancer jusqu’à Maddy avant de la soulever dans ses bras.

– Les pizzas sont cuites, ma puce. J’ai allumé la télé, tu nous attends

au salon ?

– Tu vas rester avec ma maman ?

Je pouffai discrètement, mais me repris à la vue du visage décomposé

de Went.

– Je vais juste heu… lui dire un truc, répondit-il en déposant Maddy

sur le sol.

– Je peux mettre un dessin animé ?

– Oui, bien sûr, ma puce, répondis-je en échangeant un sourire avec

elle avant qu’elle ne quitte la pièce.

Un silence pesant s’installa entre nous. Il me fixa avec intensité tandis

que je détournais le regard.

– Qu’est-ce que tu voulais me dire ?

Attendant sa réponse, je lui fis face. Remarquant qu’il fermait la porte,

les battements de mon cœur commencèrent à s’accélérer.

Vivement, je me détournai et posai la serviette de Maddy sur le

séchoir.

Je ne l’avais pas entendu s’approcher. Il m’attira contre son torse et

une vague de désir incandescente monta inexplicablement en moi. J’eus

l’impression de défaillir, de me liquéfier dans ses bras.

Je fermai les paupières à la sensation de bien-être enivrant qui

bouleversa mes sens. Ma tête dévia sur la gauche, appréciant la caresse de

son souffle contre ma peau.

111

Ma respiration s’accéléra dangereusement alors qu’une de ses mains se

posait sur mon ventre. Un léger soupir s’échappa de sa gorge puis ses

lèvres se posèrent sur la veine palpitante de mon cou.

Réprimant un gémissement, j’ouvris les paupières et me tournai

lentement vers lui. Nos fronts se collèrent l’un contre l’autre, nos corps se

frôlèrent tandis que nos souffles se mélangeaient. Je me perdis dans la

profondeur de son regard puis baissai les yeux vers ses lèvres qui

s’approchèrent des miennes.

Doucement, elles se joignirent l’une à l’autre puis dans des

gémissements de plaisir intenses à ce bouleversant contact, je répondis à

son baiser avide, fougueux…

Je n’eus jamais à affronter pareil dilemme. Mon désir pour lui était si

puissant, sauvage que j’en avais mal, mais j’essayai de calmer mes

ardeurs. Ses mains fermes qui venaient de m’enserrer par la taille me

firent l’effet d’une bombe. Vivement, je m’écartai.

– Désolé, murmura-t-il au creux de mon oreille.

– Ça va... répondis-je, à bout de souffle.

– Jenna… tu ne te rends même pas compte de l’effet que tu as sur moi.

– Oh… désolée…

– Ne le sois pas, je sais que tu as besoin de temps et…

– Went, l’interrompis-je, gênée.

Il soupira et hocha la tête avant de murmurer d’une voix douce :

– Je vais rejoindre Maddy… prends ta douche, ensuite… nous lui

dirons ?

– D’accord.

Il déposa un léger baiser sur mes lèvres et s’avança vers la porte. Je

baissai les paupières, troublée.

– Jenna ?

– Mm ?

Je relevai mon visage vers le sien et répondis à son doux sourire.

L’intensité de son regard fut si puissante que j’eus l’impression de me

trouver nue devant lui.

– Fais vite, me dit-il avant de sortir rapidement de la pièce.

112

10

MADDY

Went

Cela faisait plus de dix minutes que Jenna était descendue au salon.

Vêtue d’un pantalon de jogging et d’un pull trop grand pour elle, je ne

pus m’empêcher de la trouver irrésistible.

Maddy était installée entre nous, une part de pizza dans la main et les

yeux rivés sur Le Monde de Némo1 qu’elle m’avait demandé de mettre.

Je souris tandis que ma patience était de plus en plus soumise à rude

épreuve. Jenna voulait lui annoncer que j’étais son père… cela ne serait

pas simple pour elle, ni pour Maddy, j’en avais bien conscience, mais je

désirais réellement qu’elle sache.

Je les observai toutes les deux. Elles venaient de terminer de manger

une part de pizza. Jenna était mal à l’aise, elle avait la gorge nouée par

l’angoisse, constatai-je tandis qu’elle buvait une gorgée de soda avec

difficulté.

– Maman ? Tu peux donner mon verre ?

– Tiens, ma puce, répondit-elle en lui donnant son jus de fruit.

– Merci.

Jenna lui sourit et la contempla un long moment. Une palette de

sentiments et d’émotions contradictoires passa sur son visage.

La joie, la culpabilité, l’amour, l’appréhension… étaient présents dans

les iris de ses yeux.

– Regarde, maman ! Il a perdu son papa ! s’exclama soudainement

Maddy d’une voix triste.

Je venais de sursauter légèrement. Je baissai le regard vers ma fille qui

me tendait son verre, la mine tristounette.

– Ils vont se retrouver, répondis-je en le posant sur la table, tout en

1 Film d’animation réalisé par Andrew Stanton et Lee Unkrich en 2003.

113

croisant le regard de Jenna.

– Oui, je sais. Tu l’as déjà vu ?

– Euh… non, pas en entier.

– Ben comment tu sais qu’il va retrouver son papa, alors ?

Je lui souris et lançai un regard à Jenna qui eut l’air amusé par sa

question.

– Bien… j’ai un ami qui adore les dessins animés.

– Il s’appelle comment ton ami ?

– Jason, répondis-je en souriant.

– Colars ? me demanda Jenna, le regard plissé.

– Oui. Tu connais ?

– Ben… disons que c’est mon personnage préféré... dans la série…

– Je vois… murmurai-je en souriant sans quitter son regard.

– C’est qui ? demanda Maddy.

– Il travaille avec moi, en fait.

Jenna se mit à rire alors que je lui demandais d’un regard de me venir

en aide.

– Maddy ?

– Oui ? répondit-elle en se tournant vers sa mère.

– Tu te souviens de la série que maman regardait, JAMI ?

– C’est les DVD que tu ne veux pas que je regarde ?

– Oui, c’est ça…

– Je joue dans cette série, intervins-je alors qu’elle écarquillait les

yeux.

– C’est vrai ?

J’acquiesçai d’un hochement de tête en riant. Elle s’agenouilla sur le

canapé avant de me sauter dessus. Je l’installai sur mes genoux et fixai

Jenna qui m’offrait un sourire éblouissant.

– Et tu pourras faire Némo aussi ?

– Non, ma chérie… je ne peux pas faire Némo, répondis-je en

pouffant. Tu trouves que je ressemble à un poisson, toi ?

Amusée, Jenna se mit à rire alors que j’imitais le poisson. Maddy

rigola aux éclats et plaça ses mains sur mes joues afin que je cesse cette

imitation comique.

– Mais non ! Némo, il fait pas comme ça ! Regarde !

Je m’efforçai de ne pas rire alors qu’elle se mettait à loucher vers ses

114

lèvres qu’elle plaçait en Ô.

Elle était vraiment adorable et, surtout, elle ne manquait pas de

répartie.

– Oui, j’avoue que tu le fais beaucoup mieux que moi, lui dis-je en

passant mon index sur le bout de son nez.

– Je t’apprendrai si tu veux.

– J'en serais ravi, ma puce ! Tu veux encore une part de ta délicieuse

pizza ?

– Oh non… j’ai trop mangé… maman ?

– Oui, mon ange ?

– C’est quoi que tu devais me dire tout à l’heure ?

Nous restâmes béats l’espace de quelques secondes. Les yeux plissés,

Maddy regardait sa mère, puis elle planta son regard dans le mien.

Je paniquai…

– Jenna…

J’attendis qu’elle me regarde et la priai intensément de continuer.

– Tu te souviens de ce que je t’ai dit, concernant ton papa ? demanda-

t-elle, d’une voix un peu hésitante.

– Oui, répondit Maddy en secouant la tête de haut en bas. Tu m’as dit

que papa m’aimait très, très fort, mais qu’il pouvait pas être avec nous.

Bouleversé, je réprimai un faible cri de surprise et fixai Jenna. Je

m’aperçus que les larmes envahissaient ses yeux ambrés. Elle baissa le

regard, évitant le mien.

Avec un pincement au cœur, je constatai qu’elle avait du mal à faire

face à ses douloureux souvenirs, mais j’éprouvai un grand soulagement en

sachant qu’elle ne m’avait pas écarté de leur vie, malgré mon absence.

– C’est ça, mon ange…

– Maddy ? murmurai-je d’une voix douce.

– Mm ?

– Ta maman a raison, ton papa t’aime beaucoup… m’autorisai-je à

continuer, sachant que je ne pouvais pas laisser Jenna seule le lui

annoncer.

Elle me remercia d’un doux sourire.

Rassuré, je vins poser ma main contre sa nuque et nous restâmes ainsi,

plongés dans le regard de l’autre jusqu’à ce que Maddy se mît à gigoter.

– Ben, tu le connais, toi, mon papa ? me demanda-t-elle de sa petite

115

voix innocente.

Ému, je hochai la tête

– Went…

– Je… suis ton papa, Maddy, soufflai-je dans un murmure.

Retenant mon souffle, je lançai un regard vers Jenna qui effaçait

discrètement une larme de sa joue. Maddy me fixa, légèrement surprise,

avant de se tourner vers sa mère.

– C’est vrai ? Went, c’est mon papa ? demanda-t-elle, d’une voix

douce.

– Oui, c’est vrai, ma chérie. Went est ton papa et…

Elle s’interrompit brusquement alors que Maddy venait de réfugier son

visage dans son cou.

Mon cœur se serra douloureusement, appréhendant sa réaction. Jenna

la serra dans ses bras quelques instants puis elle me lança un regard

humide d’encouragement.

– Ma puce… murmura-t-elle en écartant ses petits bras qu’elle serrait

fortement autour de son cou. Si ton papa n’était pas présent, ce n’était pas

sa faute, tu le sais…

– C’était à cause de moi ? demanda-t-elle d’une voix triste.

– Non ! J’étais… en colère contre lui, mais…

– T’es plus fâchée maintenant ? demanda-t-elle, inquiète.

– Non, ma puce, je ne suis plus fâchée. Ton papa n’y était pour rien.

J’eus du mal à contenir mon émotion et ce fut bien pire lorsque Maddy

tourna son visage vers le mien pour y planter un regard empli d’innocence

pure.

Je la fixai, les larmes aux yeux et dans l’incapacité de trouver les bons

mots pour la rassurer.

Puis, contre toute attente, elle se jeta à mon cou, serrant ses bras

comme si elle s’accrochait à une bouée de sauvetage.

– Je suis là, maintenant… murmurai-je, ému en poussant un long

soupir de soulagement.

Je fermai les paupières, savourant cet instant de pur bonheur qui

m’était donné. Je sentis ensuite la main de Jenna se glisser dans la mienne.

Le cœur gonflé de joie, j’ouvris les paupières et lui adressai un sourire

avant de l’attirer contre moi. Nous restâmes ainsi tous les trois pendant un

long moment, les larmes aux yeux en savourant le commencement d’une

vie que j’avais auparavant refusé d’imaginer…

116

Ce n’est qu’une heure plus tard que nous décidâmes avec Jenna de

mettre notre fille au lit. Elle s’était endormie contre moi depuis quelques

minutes alors que nous venions de lui promettre de l’emmener à Central

Park dès le lendemain.

Je fixai mon enfant qui dormait paisiblement quand Jenna

m’interpella :

– Viens.

J’acquiesçai d’un hochement de tête et me penchai vers Maddy,

déposant un baiser sur son front.

– Bonne nuit, mon ange.

Je suivis Jenna dans la cuisine et la contemplai. Elle venait d’enfouir

son visage dans ses mains et je craignais une fois de plus qu’elle fût en

train de pleurer.

Hésitant, je m’avançai vers elle et me baissai à sa hauteur avant de

prendre ses mains dans les miennes.

Soulagé, j’esquissai un sourire alors qu’elle redressait la tête, les yeux

secs, mais brillants d’amour.

– Ça va ?

– Mm, je suis juste un peu fatiguée…

Elle évita mon regard une seconde puis finit par plonger ses iris

ambrés dans les miennes. Je lui souris alors qu’elle se redressait. J’en fis

de même et l’attirai contre moi. Je déposai un baiser sur son front.

Ses mains passèrent dans mon dos et, aussitôt, une vague de désir

s’empara de moi, éveillant tous mes sens.

Alors que je saisissais son menton entre mon pouce et mon index pour

effleurer ses lèvres des miennes, la vibration de mon portable dans ma

poche interrompit mon geste.

Frustré, je fermai les yeux avant de me détacher à regret de Jenna qui

me souriait légèrement.

– Excuse-moi.

– Ce n’est rien.

Poussant un soupir, je sortis mon Black Berry de ma poche.

– Ce n’est pas vrai ! pestai-je en lisant le message d’Elena. Jenna ? Je

suis désolé, il faut que j’aille voir ma mère… elle s’apprête à venir ici si

elle ne me voit pas dans cinq minutes… je reviens tout de suite après…

– Non… ça va, ne t’en fait pas.

Énervé, je hochai la tête et répondis à ma sœur que j’arrivais dans la

117

minute.

Une fois le message envoyé, je rangeai mon téléphone dans ma poche

et m’avançai vers elle.

La déception était visible dans ses traits. Je l’attirai aussitôt dans mes

bras et l’embrassai d’un doux baiser, promettant bien d’autres à venir.

– Je reviens plus tard.

– Tu vas le… lui dire ? me demanda-t-elle d’une voix brouillée

d’appréhension. Maintenant ?

– Oui, il le faut…

– Il est très tard… et… si tu veux que je vienne…

Je l’interrompis, posant un doigt sur ses lèvres.

– Je m’en charge, Jenna.

– Went…

– Ne te fais aucun souci. Tout ira bien, OK ? la rassurai-je en passant

une main dans ses cheveux.

– D’accord…

– Jenna… soufflai-je en la serrant contre moi. Je ne sais pas comment

ils vont tous réagir, mais quoi qu’il arrive, je ne vous quitterai plus, toi et

notre fille.

– Went… murmura-t-elle, troublée.

Je souris légèrement avant de l’écarter doucement afin de lire

l’expression de son visage. Rien que l’idée de la laisser seule me rendait

malade.

Après tous les chocs émotionnels qu’elle venait de subir dans la

journée, je m’étonnai qu’elle arrivât encore à tenir debout.

– Va te coucher, je te rejoindrai plus tard… j’ai toujours un double des

clés.

– Et ton père ? J’ai peur qu’il soit furieux après toi.

– Il rentre demain… mais ça ira, arrête un peu de t’en faire. Tu as

toujours eu une place spéciale dans le cœur de mon père… ça ne changera

pas, ma puce.

– Je sais, et c’est ce qui me fait peur justement ! dit-elle en s’écartant

de moi, prenant conscience qu’il sera sans doute le plus déçu des autres.

– Écoute… on ne peut pas faire comme si je n’étais pas le père de

Maddy, Jenna. Ils finiront tous par s’en rendre compte et, d’ailleurs, je ne

comprends toujours pas comment Séb n’a pas remarqué la

118

ressemblance…

– Il faudrait peut-être qu’il consulte un ophtalmologue.

Je plissai les yeux et me mis à rire à sa remarque.

– Went… promets-moi de ne pas t’engueuler avec eux, c’est tout ce

que je te demande, murmura-t-elle tandis que je l’attirais encore dans mes

bras.

– Tu sais que tu es incroyable, toi ?

– Dis-leur que tout est ma faute… que je suis partie !

– Arrête ! la stoppai-je en l’écartant de mes bras. Calme-toi, tu n’es

pas la seule responsable.

– Je…

– Non, Jenna ! Laisse-moi faire, murmurai-je avant de m’emparer de

ses lèvres.

Je l’embrassai d’un doux et long baiser puis y mis fin à contrecœur.

Pantelante et à bout de souffle, elle me fixa d’un air ahuri.

– J’y vais. Va te coucher, tu es fatiguée.

– D’accord…

– Je te rejoins très vite, soufflai-je en caressant tendrement sa joue

avant de quitter la pièce.

Je rentrai chez mes parents et fronçai les sourcils alors que je ne

trouvais personne au salon. Je m’avançai sans faire de bruit vers la

cuisine.

– Ah, tu es enfin là !

Je roulai les yeux puis fixai Elena qui se tenait droite devant moi, les

bras croisés.

On aurait dit ma mère, prête à m’enguirlander pour avoir dépassé le

couvre-feu.

– Où est maman ?

– En haut, elle doit dormir.

– Quoi ? m’écriai-je, comprenant qu’elle m’avait menti. Je pensais

qu’elle était sur le point de débarquer chez Jenna ?

Elle poussa un soupir avant de grimacer.

– C’est bien ce que tu m’as dit !

– J’ai menti, je suis désolée, mais il fallait que tu rentres !

– Elena ! Je te rappelle que je n’ai plus quinze ans !

– Oui, je sais ! Mais au moins, je suis certaine de t’avoir empêché de

119

faire une bêtise.

Las, je m’installai sur une chaise et frottai mon visage vigoureusement.

Si elle savait… la bêtise était faite depuis longtemps.

– Qu’est-ce qui te prend, Wentworth ? me demanda-t-elle en

s’installant à mes côtés.

Je restai silencieux quelques secondes, le temps de trouver le courage

d’avouer enfin les sentiments que j’éprouvais pour Jenna.

Pour la première fois, le fait d’en parler me rendait nerveux malgré la

pointe de soulagement que je ressentais en sachant qu’il était temps de

faire éclater la vérité.

– Tu es amoureux d’elle ? De Jenna ?

Je redressai la tête et la fixai. Ses yeux étaient exorbités comme jamais.

Elle pouvait se montrer très perspicace quand elle le voulait.

– Tu es fou ?! Tu te rends compte qu’elle a une fille ? Elle est bien

trop jeune, bon sang ! Tu as bu ou quoi ?

– Ça suffit ! m’énervai-je en tapant du poing sur la table.

Elle fit un mouvement de recul, l’air effrayé. Je poussai un long soupir

et secouai la tête pour effacer la colère qui venait de monter en moi.

– Went… murmura-t-elle en posant sa main sur mon bras.

– Je l’aime… depuis toujours, Lena... Personne n’a jamais été mis au

courant…

– Quoi ? Comment est-ce possible ? hoqueta-t-elle, complètement

interloquée par mon aveu.

– Il faut que je vous dise quelque chose…

– Non, non… fit-elle en secouant la tête comme si elle voulait effacer

ce qu’elle venait d’entendre. Tu es tombé sur la tête… Ce n’est pas

possible autrement. Pas Jenna ! Tu ne vas vraiment pas bien… Tu es

malade ?

– Je t’assure que non. Je ne me suis jamais senti aussi bien, figure-toi !

Elle me fixa, abasourdie alors que je ne pouvais m’empêcher de

sourire.

– Pendant toutes ces années, je pensais que mes sentiments pour elle

s’estomperaient au fil du temps, mais je me suis rendu compte qu’il n’en

est rien.

– Mais… j’ai du mal à comprendre. Tu dis l’avoir toujours aimé,

mais… il y a encore un mois, tu espérais te rapprocher de Sarah et il y a

120

trois mois tu vivais une histoire d’amour avec Gwen… et…

– Cela n’a rien à voir !

– Comment ça ? Went, bon sang ! Tu vas me faire croire que toutes

ces filles ne représentaient rien pour toi ?

– Ne mêle pas Sarah dans cette histoire, tu veux…

– Tu as toujours aimé Sarah, bon sang ! C’est elle que tu aimes plus

que tout, mais pas Jenna !

– C’est ce que tout le monde voudrait, oui ! Mais Sarah est une amie,

rien d’autre. Il n’y a jamais rien eu entre nous et il ne se passera jamais

rien ! Sarah est une femme exceptionnelle, certes, mais ce n’est qu’une

amie. La femme que j’aime est Jenna, tu m’entends ?!

– Si tu en es si convaincu, alors pourquoi ai-je l’impression que tu

essaies de t’en convaincre toi-même ?

Je restai sans voix.

– Écoute… je suis ta sœur, je te connais…

– Arrête, tu ne me connais pas aussi bien que tu le penses, Elena !

Je fermai les yeux alors que les visages de Jenna et de Maddy

s’animaient dans mon esprit. Je restai silencieux quelques instants,

sachant pertinemment que je faisais l’objet d’une contemplation sévère

d’Elena.

– Maddy est ma fille, Lena, soufflai-je en ouvrant les paupières,

tombant sur la stupeur des traits de son visage.

– Quoi ? s’exclama-t-elle. Ta… fille ?

Je la fixai et éprouvai un pincement au cœur à la voir pâlir ainsi. Un

silence pesant s’installa entre nous.

Je me retins néanmoins de lui faire la remarque de respirer lorsque ses

yeux s’assombrirent par la colère.

Alors, je lui expliquai.

– Il y a cinq ans… je me suis conduit comme le pire des salauds.

Quand elle m’a avoué ses sentiments… j’ai pris peur, mais surtout… j’ai

pris conscience que je ressentais exactement la même chose qu’elle…

Je m’interrompis quelques instants. Je savais que ce n’était pas aussi

aisé d’y croire.

– J’ai cédé… je l’ai aimée une seule fois et, comme un abruti, je l’ai

envoyée balader juste après. Elle n’a jamais rien dit à personne. Quand

elle a découvert qu’elle était enceinte, elle est venue ici, me trouver…

121

mais elle est tombée sur Mariana qui s’est fait un malin plaisir de l’induire

en erreur.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? me coupa-t-elle enfin. Et que faisait-

elle ici, celle-là ?

– J’ai dû partir pour Los Angeles, pour le travail très tard dans la

soirée. Maman lui a dit de rester à la maison cette nuit-là… c’est le

lendemain matin où Jenna est venue pour m’apprendre qu’elle attendait un

bébé… notre bébé.

– Tu veux dire que tu viens seulement d’apprendre que cette petite est

ta fille ? s’écria-t-elle soudainement.

– Oui… Mariana a fait croire à Jenna que nous étions fiancés ou je ne

sais quoi d’autre.

Je me stoppai, les mâchoires serrées à la colère qui envahissait chacune

de mes terminaisons nerveuses.

– Mon Dieu… souffla-t-elle, l’air indécis. Tu veux dire qu’elle a

préféré ne mettre personne au courant, ni même son frère ?

– Tu as tout compris…

– Elle est partie, pensant que tu faisais ta vie avec une femme que tu

n’as pourtant jamais aimée.

– Elle ne le savait pas… murmurai-je, furieux de ma naïveté passée.

Je m’en veux tellement…

– Ce n’est pas ta faute, Went. Elle ne voulait pas que tu te sentes

obligé de…

– Je sais… mais si j’avais avoué mes sentiments... si je ne m'étais pas

comporté comme la pire des ordures, on n’aurait pas perdu tout ce temps.

– Avec des « si » on pourrait refaire le monde.

J’en étais conscient.

Je hochai la tête, ma vue commençait à s’embuer de larmes. La main

d’Elena exerça une pression réconfortante sur mon poignet. Je relevai le

visage et la remerciai d’un faible sourire avant de remarquer ses lèvres

entrouvertes.

– Tu as fait la connaissance de ta petite fille, aujourd’hui ?

– Oui, soufflai-je dans un soupir profond. Elle est magnifique ! Maddy

est une petite fille si… parfaite.

– Elle te ressemble ?

– Elle a mes yeux, la couleur de mes cheveux et... je trouve qu’elle a

122

les mêmes oreilles que papa…

– Donc les tiennes, ajouta Elena en éclatant de rire avant de redevenir

très sérieuse.

– Mm… elle a le sourire de Jenna…

– Tu l’aimes vraiment, n’est-ce pas ? Tu ne dis pas ça parce qu’elle a

eu un enfant avec toi.

– Non ! Tous mes sentiments sont revenus à la surface à la seconde

même où je l’ai aperçue. Maddy n’est venue qu’après… C’est là que j’ai

compris. Elle a essayé de contourner le sujet, mais elle ne sait pas

mentir… Bon sang, Elena, si tu savais comme je suis heureux et en même

temps, si coupable de l’avoir laissée affronter ça toute seule. Elle m’avait

tant manqué que je me demande comment j’ai pu vivre tout ce temps sans

chercher à la retrouver.

– Tu avais des nouvelles d’elle par Sébastien ?

– Oui, mais elles étaient si évasives. Elle a écarté également Séb de

l’existence de Maddy.

– Il ne sait pas que tu es le père ? me demanda-t-elle, les yeux

écarquillés.

– Non, pas encore…

– Waouh ! Je crois que j’ai besoin d’un verre… d’alcool très fort !

Je me mis à rire légèrement et me levai de ma chaise en serrant sa main

dans la mienne pour la remercier de m’avoir écouté… bien que j’y fusse

un peu forcé.

– Je t’accompagne…

Oh mon Dieu !

Je restai paralysé sur place, incapable de faire le moindre mouvement

alors que je venais à peine de me retourner. Je déglutis péniblement et

baissai la tête un court instant avant de faire face de nouveau à la paire

d’yeux azur qui me fixait, une lueur de déception profonde dans le regard.

– Maman…

– Oh… je crois que je vais aller me coucher, murmura Elena en se

levant de sa chaise.

– Sympa, soufflai-je en la foudroyant du regard.

Je me retournai et inspirai profondément en fermant les yeux.

– Wentworth…

– Maman… il y a longtemps que tu es là ? lui demandai-je

123

difficilement.

– Assez longtemps pour…

– Je suis désolé.

Je baissai le regard, le cœur serré, tandis qu’elle s’installait sur la

chaise que j’occupais quelques instants auparavant. Je ne voulais pas

qu’elle l’apprenne de cette façon.

– Je suis vraiment désolé que…

– Non, coupa-t-elle. Je n’aurais pas dû écouter aux portes. Mais quand

j’ai compris que vous discutiez de Jenna… je n’ai pas pu m’en empêcher.

– Man… soufflai-je en prenant place à son côté. Je suis désolé de te

décevoir.

– Ce n’est pas ta faute, mon garçon. Tu ne savais pas.

– Je n’aurais jamais dû la quitter de cette façon.

– Les choses appartiennent au passé, à présent. Tout le monde fait des

erreurs, le plus important est d’en assumer les conséquences à présent.

Je restai silencieux, légèrement troublé par le calme de sa voix.

– Tu ne m’en veux pas ? demandai-je en la fixant.

– Tu es assez grand pour assumer les conséquences de tes actes. Je

m’inquiète seulement pour elle… pauvre Jenna…

– Elle a tant souffert par ma faute.

– Tu n’es pas le seul responsable d’après ce que j’ai entendu.

Comment Mariana a-t-elle pu se comporter de cette façon ? Je l’avais

toujours soupçonnée de ressentir une profonde jalousie envers Jenna, mais

de là à lui mentir aussi effrontément !

Je poussai un long soupir et passai une main sur mon visage afin

d’effacer la fatigue que j’éprouvais.

– Jenna éprouve-t-elle toujours les mêmes sentiments à ton égard ?

– Oui, je pense. Nous en avons discuté tout à l’heure…

– C’est une bonne chose, mon fils… souffla-t-elle en fronçant les

sourcils. Maddy sait-elle qui tu es ?

Un sourire étira mes lèvres en repensant à la tendresse que j’avais lue

dans son regard.

– Oui, nous lui avons dit… elle est heureuse d’avoir enfin un père…

même si elle est un peu déboussolée, ce que je peux comprendre. Elle est

adorable… je suis sûr que tu l’aimeras.

– Je n’en doute pas. Écoute… je sais que tu es capable d’assumer ton

124

rôle de père à merveille, mais je ne voudrais pas que tu demandes à Jenna

de fonder la famille parfaite si tu n’es pas…

– Je l’aime plus que tout, je te rassure, la coupai-je vivement.

Elle posa sa main sur la mienne et ancra son regard humide d’émotions

au mien.

– D’accord, mon chéri. Je suppose que vous n’avez pas pu régler tous

les détails de cette situation ?

– Non… mais une chose est certaine, je ne veux plus les quitter.

– Tu vis à Los Angeles, Wentworth. Ton travail t’accapare

énormément…

– Je ne suis pas le seul acteur à vouloir construire une vie de famille,

maman.

– Oh, je sais bien, mais penses-tu que Jenna est prête à te suivre dans

le monde du show-business ? me demanda-t-elle en haussant un sourcil.

Je restai silencieux quelques secondes, étudiant cette question dans

mon esprit. Ma mère connaissait si bien Jenna que je redoutai qu’elle

puisse penser que c’était un peu prématuré et qu’elle refuserait de venir

vivre avec moi.

– Sébastien m’a dit qu’elle revenait ici pour prendre la gérance de la

bibliothèque.

– On trouvera quelque chose là-bas si elle veut travailler… mais elle

n’en aura pas besoin.

– Went ! s’exclama-t-elle soudainement. Tu penses que Jenna se

sentira bien à rester à la maison tous les jours en attendant ton retour ?

– Euh… je ne sais pas. Écoute, maman, je ne voudrais pas te vexer,

mais on n’en a pas encore discuté. Je ne peux donc pas te dire ce qu’elle

compte faire.

Elle me regarda un instant d’un air indécis puis approuva ma remarque

d’un hochement de la tête avant de me gratifier d’un large sourire.

– Tu as raison. Puis de toute façon, je suis certaine que tu pourras la

rendre heureuse.

– J’ai l’impression que tu n’es pas surprise d’apprendre mes

sentiments pour elle.

– En effet, souffla-t-elle en soupirant longuement. Je le savais depuis

bien longtemps… bien que je n’ai jamais pensé que vous aviez eu une

relation… qui a conduit à une petite fille.

125

– Comment ça, tu le savais ? J’ai toujours essayé de cacher l’attirance

que j’éprouvais pour elle. Même Séb n’a jamais rien vu !

– C’est ce que tu crois, mon garçon ! Sébastien est quelqu’un

d’intelligent. Il aime sa sœur plus que tout, tu le sais.

– Ne me dis pas qu’il a des soupçons !

– Je ne sais pas, mais il a toujours souhaité qu’un jour Jenna rencontre

un homme comme toi, qui puisse lui donner l’amour qui lui a toujours été

interdit. Charlie l’aimait, mais il ne lui a jamais montré.

– Charlie était une ordure ! lâchai-je d’une voix furieuse en pensant à

tous les moments de solitude que Jenna avait connue par sa faute.

– Went… Jenna n’a jamais manqué de rien.

– Peut-être, mais il ne lui a jamais donné le plus important. Je peux

encore voir son regard… si triste lorsqu’il se montrait complètement

indifférent à son égard. C’était sa fille, maman !

Elle me regarda de manière incrédule avant de baisser la tête sans

émettre un mot. Elle me donna l’impression d’être au courant de quelque

chose.

– Quoi ?

– Rien, fit-elle en relevant son visage avant de secouer légèrement la

tête. Jenna est une jeune femme exceptionnelle, mon garçon. Depuis toute

petite, elle l’a toujours été, mais elle a tellement souffert.

– Je sais...

– N’écoute que ton cœur et ne la pousse pas à prendre des décisions si

importantes dans l’immédiat, tu veux ?

Je ne pus que sourire à l’inquiétude qui traversait ses yeux. Elle

l’aimait beaucoup et l’avait toujours considérée comme sa fille.

– Non, ne t’inquiète pas. Tout ce que je veux c’est qu’elle soit

heureuse et que notre fille le soit aussi.

– Très bien. Maintenant, il faut que vous parliez de tout ça,

tranquillement. Tu as tout mon soutien, Went… mais par contre, ne

compte pas sur moi lorsque tu en informeras ton père.

J’ouvris la bouche pour rétorquer, mais la refermai, incapable de

protester. Je hochai la tête lentement, me perdant dans mes pensées alors

qu’une grande appréhension me traversait à l’idée qu’il ne réagirait pas

aussi bien que ma mère.

– Allez, file mon garçon. Elle doit t’attendre.

126

– Merci, maman, fis-je en l’enlaçant dans mes bras.

– Demain soir, je veux que tu m’amènes Jenna et ma petite fille pour

le dîner, et… pas d'excuse !

Je me mis à rire avant d’acquiescer.

– D’accord, nous serons là. Vers quelle heure papa devrait-il être

rentré ?

– Mm… vers neuf heures.

– OK, je viendrai pour lui parler.

– C’est très bien. Après qu’il t’aura dit ce qu’il en pense, je suis

certaine qu’il sera ravi d’apprendre qu’il est grand-père, depuis le temps

qu’il l'espérait ! lança-t-elle en riant à la vue de mon expression paniquée.

– Tu es très rassurante, man !

– Allez, va la retrouver, mon fils ! Et embrasse-la pour moi !

– Je n’y manquerai pas, répondis-je en souriant, le cœur gonflé de

soulagement. Je t’aime.

– Moi aussi, mon fils… moi aussi.

Ce fut le cœur plus léger que je montai à l’étage et m’avançai vers la

chambre de Jenna. J’ouvris la porte lentement et la découvris endormie.

La faible lueur des réverbères qui passait à travers la fenêtre reflétait

sur son visage. Ses cheveux éparpillés sur l’oreiller me donnèrent

l’impression de contempler un ange dans son halot de lumière. Elle

dormait paisiblement et je fus confronté entre l’envie de la réveiller et de

la laisser tranquille, paisible dans son sommeil.

Doucement, je m’installai sur le bord du lit et effleurai du bout des

doigts son visage. Elle bougea légèrement et je ne pus que sourire au

grognement de protestation qui s’échappait de ses lèvres. Lèvres

tentantes… que j’eus envie d’embrasser, de posséder.

Je fermai les paupières, le temps de reprendre mes esprits et de calmer

les précipitations de mon cœur.

– Went ?

J’ouvris les yeux rapidement et tombai sur son regard ensommeillé.

Je me penchai vers elle alors qu’elle se redressait. Elle passa ses mains

sur son visage.

– Comment ça s’est passé ? me demanda-t-elle, d’une voix trahissant

son inquiétude.

127

– Ça s’est bien passé. Ne t’en fais pas, lui répondis-je en m’allongeant

près d’elle. Viens là…

– Non… dis-moi ce que ta mère a dit, s’il te plaît, Went…

– Jenna, murmurai-je en l’attirant dans mes bras. Elle est pressée de te

revoir et elle a hâte de faire la connaissance avec sa petite-fille. Elena est

aussi au courant.

– Comment… elles sont en colère après toi, n’est-ce pas ?

– Non, ma puce… tout va bien, tu n’as pas à t’en faire. Endors-toi, tu

es fatiguée, lui dis-je en passant une main dans son dos.

– J’ai si peur que…

– Jenna, la coupai-je en prenant son visage entre mes mains. Je te

raconterai tout en détail demain, si tu le veux, mais tout s’est bien passé.

Pour être honnête, ma mère se doutait de mes sentiments pour toi depuis

longtemps. Elle est contente pour nous deux, pour Maddy… Tout se

passera bien, maintenant. Tu n’as plus à t’en faire pour quoi que ce soit, je

serai toujours là.

Je la vis froncer les sourcils, mais je n’avais pas envie de me battre sur

le sujet pour ce soir. Je passai ma main dans son dos, caressant ses

muscles tendus par l’angoisse qu’elle éprouvait.

– Tu dors ? me demanda-t-elle, quelques minutes plus tard.

Je pris conscience que j’avais stoppé mes caresses et que j’avais les

yeux fermés.

– C’est à toi que je devrais poser la question. Je pensais que tu t’étais

endormie.

– Non… répondit-elle dans un murmure en posant sa main sur mon

torse.

Je fermai les paupières à l’onde de désir qui m’enivra au contact de sa

main. Je la resserrai un peu plus contre mon corps en feu et ouvris les

yeux.

Doucement, j’écartai quelques mèches de son visage et les replaçai en

arrière. La gorge nouée face au chamboulement de mes sens, je posai mes

lèvres sur son front et y déposai un léger baiser.

Dans la pénombre de la pièce, à demi éclairée par les lumières

extérieures, je plongeai mon regard dans ses pupilles d’or qui brillaient

d’une lueur éblouissante.

Nous nous fixâmes un court instant puis nos lèvres se scellèrent,

écrasant un long gémissement de plaisir de nos bouches unies. Je la

128

ramenai sur moi, glissant ma langue dans sa bouche que je fouillai

délicatement, savourant les moindres recoins. Très vite, la passion nous

submergea.

Notre baiser se fit alors plus fougueux, plus intense, abreuvant ce feu

qui crépitait en nous.

Alors que ses mains venaient de se poser sur ma nuque, mon cœur se

souleva dans ma poitrine à la douceur de sa caresse, à la tendresse innée

qui émanait de ses gestes. Mes mains glissèrent alors sous son pull qui

cachait les courbes voluptueuses de son corps. Mes doigts effleurèrent son

ventre, son dos. Je savourai ce toucher… sa peau si soyeuse, si enivrante.

Nos langues ne cessèrent de se goûter.

Dans un mouvement souple, je la basculai sur le côté sans interrompre

notre baiser. Mon corps recouvrit le sien avec prudence. J’entrepris alors

de lui enlever son haut, mais elle me retint les poignets.

Réprimant un soupir de protestation et de frustration mêlée, je mis fin à

notre baiser et posai mon front contre le sien.

– Je… balbutia-t-elle, paniquée.

Je la sentis à fleur de peau et compris que je pressais trop les choses

entre nous. Mon esprit devint alors plus clair lorsque le brouillard du désir

se dispersa. J’étais conscient des craintes qui l’animaient et me sentis

coupable de lui infliger cette sensation de panique.

Doucement, je caressai sa joue et déposai un léger baiser sur le bout de

son nez.

Elle sembla si surprise que j’avais envie d’éclater de rire, mais la

situation ne s’y prêtait pas. Alors, je me contentai de reprendre ses lèvres

avec douceur. Je l’embrassai lentement et m’écartai de son corps avant

que la situation ne dérapât à nouveau. Je ne voulais pas reproduire les

mêmes erreurs du passé. Je voulais être certain qu’elle me désirait autant

que je la voulais.

– Went…

– Chut… l’interrompis-je en posant un doigt sur ses lèvres encore

gonflées par mes baisers. Nous sommes tous les deux fatigués, Jenna. Je

veux juste que tu t’endormes dans mes bras.

– Je suis désolée… j’en ai envie aussi.

– Je sais, répondis-je en souriant avant de l’attirer contre moi. Nous

avons tout le temps, Jenna… pas ce soir. Il faut que tu te reposes,

d’accord ?

129

– Je t’aime… souffla-t-elle en fermant les paupières.

Je souris et, pour toute réponse, mes bras se refermèrent autour d’elle,

savourant le contact de son corps contre le mien.

– Je t’aime aussi, Jenna.

Je lâchai un soupir d’aise. Toutes les émotions fortes que nous avions

éprouvées aujourd’hui eurent raison de nous.

Très vite, nous nous endormîmes dans les bras de l’un et l’autre et,

pour la première fois de ma vie, je m’autorisai enfin à rêver de notre

avenir.

130

11

DOULOUREUSE VERITE

Jenna

Constatant la luminosité du soleil qui pénétrait par la fenêtre, je me

mis à bouger légèrement avec un sentiment de bien-être exceptionnel. Il y

avait bien longtemps que je n’avais pas dormi aussi sereinement, aussi

paisiblement. J’ouvris à demi les paupières alors que ma main tapotait

plusieurs fois sur le matelas où Went aurait dû se trouver. Mais la place

était vide. Je me redressai brusquement et passai les mains sur mon visage

afin de me réveiller avec plus d’énergie.

Pendant un instant, je me demandai si je n’avais tout simplement pas

rêvé de la nuit dernière.

Went était-il bien ici, m’entourant de ses bras protecteurs ?

Oui, je pouvais encore sentir son odeur enivrante.

Je laissai un soupir de soulagement s’échapper de mes lèvres avant

d’enfouir mon visage dans son oreiller imprégné de son parfum que je

savourais un long instant avant de me décider à sauter du lit.

Un regard vif vers le réveil et je constatai qu’il était encore tôt.

Sept heures vingt… Maddy devrait encore dormir deux bonnes heures,

connaissant le sommeil de plomb de ma fille.

Vivement, je sortis de la chambre et allai vérifier si elle dormait bien.

Je souris à la vue de mon bébé endormi, un sourire d’ange sur les lèvres.

Sans bruit, je refermai la porte et entrai dans la salle de bain. J’avais

besoin de prendre une douche avant de retrouver Went en bas.

Du moins, je supposais qu’il y était, à l’odeur du café qui flottait dans

l’air.

Le sourire aux lèvres et débordante d’une énergie nouvelle, je me

déshabillai et filai dans la cabine de douche. Je sursautai légèrement alors

que la température de l'eau était glaciale.

Quelle idiote je faisais !

131

J’aurais dû vérifier avant de me placer sous la pommette. Irritée contre

ma gaucherie, je sautillai pour me réchauffer. Une fois la température de

l’eau correcte, j’offris mon visage au jet puissant de la douche et soupirai

de satisfaction.

Je fermai les yeux tandis que les images de cette nuit me revenaient à

l’esprit. Je m’étais réveillée en plein milieu de la nuit et avais trouvé le

visage de Went contre ma poitrine.

Il dormait à poings fermés. J’étais restée immobile pendant quelques

minutes à le contempler dans son sommeil. Il ne m’avait jamais paru aussi

beau que cette nuit.

Doucement, du bout des doigts, j’avais dessiné le contour de son

visage et avais versé quelques larmes silencieusement… Cette fois, des

larmes de pur bonheur, celui que je ne croyais plus espérer un jour.

Je commençai à me sécher les cheveux lorsque je sentis une présence

derrière moi. Horrifiée, je resserrai la serviette autour de mon corps et

baissai les yeux.

– Euh, je suis désolé… je t’ai apporté ton petit-déjeuner, je pensais

que tu serais encore au lit.

J’esquissai un léger sourire tandis que je refusais de le regarder dans

les yeux. Je le vis malgré tout avancer vers moi. Doucement, il effleura

mon visage jusqu’à ce que mon regard se posât sur le sien. Ses iris

brillaient d’une intensité accrue, provoquant une couleur profonde et vive

de l’océan qui les animait.

Grisée par sa présence toute proche, je restai immobile, incapable de

réagir lorsqu’il avança son visage vers le mien.

Son baiser se fit doux. Je répondis avec hésitation puis je pris le temps

de savourer chaque seconde qui s’écoulait tandis que mes bras

encerclaient son cou. L’onde de désir fut si violente qu’un gémissement de

plaisir s’échappa de mes lèvres au contact de ses mains sur ma peau nue.

À cet instant, ce baiser si sensuel d’une pureté sans faille se mit à

évoluer au rythme de nos cœurs battants à l’unisson. La fougue s’empara

de nos êtres, de nos sens aiguisés appelant à l’amour…

Went

Dans la passion de notre étreinte, je la soulevai dans mes bras, satisfait

qu’elle s’accrochât à mes épaules. Je la pressai contre mon corps et

132

l’installai sur le meuble du lavabo sans quitter mes lèvres des siennes.

Mes mains glissèrent lentement le long de ses flancs que j’explorais à

travers le tissu éponge de la serviette que j’estimais de trop. Ses

gémissements m’encouragèrent à continuer l’exploration de son corps qui

devenait très vite avide de mes caresses.

Placé devant elle, je posai mes mains sur ses genoux que j’écartai

doucement avant de m’avancer contre son corps. Un gémissement rauque

s’éleva dans la pièce alors que nos langues continuaient de danser dans un

même rythme effréné.

La douceur de sa peau sous mes doigts qui remontaient le haut de ses

cuisses m’enivra totalement… entièrement. Jamais je n’avais connu un

désir si puissant, si fascinant qu’à cet instant.

Soudain, à bout de souffle, nous mîmes fin à notre baiser. Elle caressa

ma nuque du bout des doigts tremblants tandis que nos regards restaient

ancrés l’un à l’autre.

– Went, murmura-t-elle d’une voix rauque.

Je souris et ôtai mes mains de ses jambes afin d’entourer son visage. Je

savais qu’elle n’était pas encore prête.

– Je sais, soufflai-je en embrassant son front avant de la soulever du

meuble pour la reposer au sol.

– Oh !

Je me mis à rire légèrement alors qu’elle retenait sa serviette contre

elle. Je l’aidai à la replacer malgré l’envie de la lui arracher.

– Tu devrais prendre ton petit-déjeuner. J’ai posé le plateau sur le lit,

l’informai-je en m’écartant légèrement de son corps trop tentant.

– D’accord.

– En attendant, je vais aller rechercher ta voiture et j’irai discuter avec

mon père.

– Oh, je…

Remarquant la panique qui s’installait dans son regard, je la coupai

aussitôt en me rapprochant d’elle.

– Ne t’inquiète pas, tout se passera bien et ma mère nous invite à dîner

ce soir. Elle a hâte de connaître Maddy.

– Non, je… je…

– Jenna, la coupai-je à nouveau. Ma mère t’aime beaucoup, tu le sais.

Et tu connais les sentiments de mon père à ton égard. Tu n’as rien à

craindre.

133

– Oui, mais… laisse-moi venir avec toi. Tu n’as pas besoin d’affronter

ton père seul alors que je suis la seule responsable.

– Jenna, s’il te plaît… l’interrompis-je en soupirant doucement avant

de relever son visage vers le mien. Tout se passera bien. Tu restes ici avec

Maddy le temps que je ramène ta voiture et que je discute avec mon père.

Ensuite, nous irons à Central Park, d’accord ?

Elle hocha la tête, gardant ce sentiment de panique dans le fond de ses

yeux. Je l’embrassai une dernière fois et reculai sans cesser de la regarder.

Le sourire aux lèvres à la vue de la gêne qui se dessinait sur son

visage, je détaillai son corps. Le désir, toujours présent en moi, s’intensifia

à nouveau jusqu’à ce que mon regard glissât vers ses mains.

Là, mon cœur manqua un battement.

– Went…

– Je ferais mieux d’y aller, je te retrouve dès que je le peux, Jenna,

bredouillai-je d’une voix mal assurée avant de quitter la pièce d’un pas

rapide.

Étouffant un grognement de douleur, je m’adossai contre la porte

pendant quelques instants. J’avais besoin de reprendre mon souffle tant je

fus bouleversé par la vision des cicatrices sur son poignet. Je me mordis

violemment la lèvre afin d’atténuer le sentiment de culpabilité qui me

rongeait de plus belle.

Jenna…

Que lui avais-je fait ?

La vue brouillée par les larmes et le besoin d’évacuer toute cette haine

que j’adressais à ma misérable personne, je m’éclipsai de chez elle d’un

pas pressé.

Plus tard, lorsque je fus de retour avec la voiture de Jenna, je restai

quelques instants sur le trottoir à observer les flocons qui virevoltaient

devant moi. J’avais essayé de comprendre les raisons de ces cicatrices sur

son poignet, mais je m’en voulais tellement que mon esprit ne pouvait y

parvenir…

J’étais furieux contre elle, contre moi.

Je me sentais perdu, mais j’étais conscient qu’à présent elle comptait

sur moi. Elle était si fragile que je ne pouvais pas la brusquer de cette

façon. Jenna et Maddy avaient besoin de moi… je devais me reprendre.

J’inspirai profondément puis remontai le col de ma veste juste à

134

l’instant où un taxi s’arrêtait devant chez moi. Je fronçai les sourcils et

fixai la portière arrière qui s’ouvrait.

C’était bien lui.

Mon père était là, l’homme que je redoutais plus que jamais.

– Hé, fiston ! s’exclama-t-il en ouvrant ses bras.

– Salut, papa…

Je répondis à son étreinte. Les yeux fermés, je savourai l’instant de nos

retrouvailles puis me détachai alors que le chauffeur de taxi réclamait son

dû.

Rapidement, je sortis quelques billets et les lui tendis.

– Pourquoi as-tu payé le chauffeur, junior ?

– Junior ? Y’avait bien longtemps que tu ne m’avais plus appelé

comme ça, remarquai-je en répondant à son sourire.

– Oh, oui, tu as raison, rétorqua-t-il en riant avant de poser son bras

autour de mes épaules, m’entraînant vers la maison. Comment tu vas, mon

grand ? Y’a un sacré bout de temps qu’on ne s’est pas vu.

– Je vais bien, mais toi ? Tes conférences se sont bien passées ?

– J’ai connu mieux, mon garçon… cela doit être à cause de l’âge, que

veux-tu, je vieillis.

– Tu plaisantes ! On dirait un jeune homme de vingt ans !

– Hé ! s’exclama-t-il en me donnant une tape dans le dos. Ne te

moque pas de ton vieux père ! Allons voir ta mère et ta sœur.

– Papa… je sais que tu viens juste d’arriver, mais il faut que je te parle

de quelque chose d’important.

Il fronça les sourcils et hocha la tête silencieusement. Nous entrâmes

tous les deux lorsque ma mère accourut vers lui pour l’embrasser,

heureuse de le retrouver après deux longues semaines à courir dans tout le

pays pour participer aux conférences et meetings des facultés de droit.

– Alors, comme ça Sophia préfère rester chez elle plutôt que de venir

passer les fêtes en famille ?

– Elle a beaucoup de travail, chéri.

– Du travail, oui ! Nous avons toujours été réunis pour le réveillon !

Comment peut-elle…

– Jim ! Tu sais très bien qu’elle est sur une grosse affaire. Devrais-je

te rappeler que c’est toi qui l’as poussée à devenir avocate ? demanda ma

mère en croisant les bras, l’air satisfaite par la piqure de rappel qu’elle

135

venait de lui lancer.

Un grognement sourd de protestation s’échappa des lèvres de mon

père. Je lançai un regard vers ma mère qui roulait les yeux. Elena nous

rejoignit dans la cuisine. Après une accolade affectueuse avec notre père,

elle vint vers moi et déposa un baiser sur ma joue.

– Bon courage, Wenty, me chuchota-t-elle à l’oreille tandis que mes

muscles se crispaient instantanément.

Alors qu’elle s’installait à mes côtés, je la foudroyai du regard. Notre

père s’en aperçut, mais ne prit pas la peine d’émettre un commentaire. Il

se contenta juste de me fixer, les paupières plissées.

Mal à l’aise, je raclai ma gorge avec difficulté puis je bus une gorgée

de café que notre mère venait de servir.

Prenant une contenance, je bombai le torse et lui souris.

– Alors, papa, ton voyage s’est bien passé ?

– Oui, à part ce petit retard… dis-moi, ma chérie, de quoi voulais-tu

me parler au téléphone ? demanda-t-il en se tournant vers ma mère.

– Oh… euh… c’est à propos de… Jenna, mon chéri, répondit-elle

d’une voix troublée.

– Jenna ?!

Je déglutis péniblement alors que nous pûmes tous percevoir

l’inquiétude dans sa voix.

– Qu’est-ce qui se passe avec Jenna ?

– Elle… elle est rentrée, mon chéri.

J’observai son visage. Ses traits d’inquiétudes s’effacèrent

instinctivement à l’annonce de ma mère, laissant place au soulagement.

Ses lèvres arborèrent un large sourire et je compris à la lueur

scintillante qui dansait dans ses pupilles qu’il était ravi, soulagé. Ma sœur

me lança un regard appuyé. Je baissai la tête en soupirant légèrement,

prenant conscience à cet instant que je risquais gros en lui annonçant.

– Mais… comment va-t-elle ? Elle est venue ici ? Sébastien n’en avait

pas parlé ?

– Une question à la fois, Jim… je sais que tu es content de savoir

qu’elle est de retour, mais…

– Oui. Non. Non.

Nous tournâmes la tête vers Elena.

– Jenna va bien, oui. Elle n’est pas venue ici, non. Et non, Séb n’en

136

avait pas parlé, car il n’était pas au courant de sa venue. Je répondais juste

à tes questions, papa, se défendit-elle.

Exaspéré, je soupirai et secouai la tête avant de terminer mon café.

– Je vais aller la voir… il y a tellement longtemps…

– Non !

Je fermai les yeux à l’exclamation qui venait de franchir mes lèvres.

C’est alors que les regards incompréhensifs et compatissants se

tournèrent vers moi.

Je raclai ma gorge pour me donner une contenance, mais mon père

comprenait très bien que nous lui cachions quelque chose.

– Vous pouvez me dire ce qu’il se passe ? C’est à propos de Jenna ?

Le silence s’installa autour de la table. Il perdait patience et je me

sentis plus que minable à cet instant, étant dans l’incapacité de répondre.

– Anna ? Que se passe-t-il ? demanda-t-il en se tournant vers ma

mère.

– Je… Jenna n’est pas revenue ici toute seule.

– Elle s’est mariée ?

– Non… elle est ici avec sa fille, Maddy… elle a quatre ans.

J’osai à peine lever les yeux vers lui. Le visage blanchi plus que

jamais, il restait quelques secondes abasourdi puis plaça ses mains sur son

visage avant de le frotter énergiquement.

Je sentis l’appréhension me gagner au fur et à mesure que les traits de

son visage se crispaient.

– Elle a eu un enfant…

– Oui… elle est adorable, consentit ma mère à répondre.

– Tu l’as vu ? Et toi, Elena ?

– Euh… non, mais Went l’a vu, rétorqua-t-elle en me lançant un

regard de désolation.

J’inspirai profondément avant de fondre mon regard dans celui de mon

père. J’acquiesçai d’un signe de tête puis un sourire étira mes lèvres à

l’image de Maddy qui hantait mon esprit.

– Wentworth ? J’ai la nette impression que tu me caches quelque

chose. Je me trompe ?

– Non… Tu ne te trompes pas, papa.

– Tu sais quelque chose ? Sébastien t’en avait parlé ?

– Non, il ne savait pas qu’elle avait une fille. Jenna a gardé secrète

137

l’existence de Maddy.

Incrédule, il me fixa. Je lançai un regard vers ma mère et Elena qui

m’encourageaient d’un léger signe de tête. Je me levai alors puis passai

une main nerveuse dans mes cheveux, signe d’anxiété, ce qui ne trompait

pas mon père.

– Bon, tu vas me dire ce qu’il se passe ? s’écria-t-il soudainement en

me faisant face.

– Papa… hier lorsque j’ai vu Jenna pour la première fois depuis

presque cinq ans… je me suis rendu compte à quel point elle m’avait

manqué.

– Et alors ? Elle nous a tous manqué, non ? Bon sang ! Qu’essaies-tu

de me dire ? Elle a manqué à tout le monde !

– Oui, peut-être… mais deux mois avant qu’elle ne quitte le pays…

nous avons eu une relation tous les deux. Je sais, je me suis conduit

comme le pire des crétins, mais mes sentiments sont encore exactement

les mêmes, en bien plus forts, et aussi… ils sont partagés avec ceux que je

découvre pour Maddy… ma fille.

Je ne pris pas conscience que je venais de fermer les yeux après ma

tirade. Je n’osai pas le regarder. Ce n’était pas la peine, je pouvais sentir la

crispation de ses muscles malgré la distance qui nous séparait… jusqu’à

ce que je sente deux mains m’empoigner par les épaules.

– Jim ! cria la voix apeurée de ma mère.

– Tu as fait un enfant à Jenna ?! hurla-t-il en me secouant à bout de

bras.

J’ouvris les yeux pour lire une profonde déception et colère dans son

regard. Mon cœur se serra douloureusement à la culpabilité que

j’éprouvais.

– Papa… ce n’est pas de sa faute ! Jenna ne serait pas partie si

Mariana n’avait pas mis son grain de sel, rétorqua Elena en s’approchant

de moi.

– Tu savais qu’elle était enceinte ? me demanda-t-il sans quitter le

regard du mien.

– Non, je ne le savais pas ! Si je l’avais su, j’aurais tout fait pour

qu’elle reste ici ! Je sais que j’ai fait une erreur, mais…

Le souffle coupé par la main qui venait de s’abattre d’une extrême

violence sur ma joue, je serrai les mâchoires, incapable de continuer.

138

Furieux, je lui lançai un dernier regard et sortis de la pièce en claquant

violemment la porte de la cuisine.

Ma vue, brouillée par les larmes, je m’avançai vers l’entrée afin de

retrouver Jenna et notre fille lorsque la voix de mon père me stoppa.

– Excuse-moi… reste ici, Wentworth… je ne voulais pas…

– Ça va… le coupai-je dans un murmure en restant immobile.

Je fermai les yeux, écoutant le moindre mouvement qu’il faisait dans

mon dos. Un soupir long brisa le silence puis une main m’obligea à lui

faire face.

– Je ne voulais pas te frapper… je suis désolé, me dit-il en gardant ses

mains posées sur mes épaules.

Silencieux, je hochai la tête.

À cet instant, quiconque pourrait me comparer à un petit garçon qui

venait de se faire réprimander par son paternel, or, si ma tête restait

baissée vers le sol, évitant le regard de mon père, c’était juste parce que je

me sentais trop honteux d’y lire de la déception.

Lui, qui m’avait toujours inculqué des valeurs primordiales envers les

femmes, ne pourrait jamais pardonner à son fils unique de s’être comporté

ainsi avec l’une d’elles, sans compter que celle-ci était Jenna, cette petite

fille qu’il avait toujours portée dans son cœur.

– Raconte-moi tout, me lança-t-il d’une voix calme.

Je relevai la tête et fondis mon regard hésitant dans le sien avant

d’acquiescer doucement d’un signe de tête.

– Que veux-tu que je te dise ?

– Tout ! Est-ce si compliqué ? Je te rappelle qu’il s’agit de Jenna, bon

sang ! Jenna ! répéta-t-il en s’emportant.

– Oui, il s’agit de Jenna, papa, rétorquai-je calmement. J’ai toujours

éprouvé des sentiments pour elle…

– Tu es fou, mon garçon ! Te rends-tu compte que cette pauvre petite

ne s’est jamais sentie aimée ? Qu’as-tu fait pour qu’elle s’abandonne à

toi ? hurla-t-il, les poings serrés.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu imagines ? Que j’aie joué sur sa

vulnérabilité pour coucher avec elle, c’est ça ?

Stupéfait par ces propos, je le foudroyai du regard alors qu’il s’agitait

dans la pièce.

– C’est quand... elle a découvert qu’elle était enceinte qu’elle est

139

partie ?

– Oui… Elle est venue m’en parler, mais je n’étais pas là. Mariana lui

a laissé entendre que nous étions ensemble. Je sais que je lui ai fait

beaucoup de mal et, crois-moi, je le regretterai toute ma vie. Si j’avais su

qu’elle attendait mon enfant, j’aurais tout fait pour la garder.

– Non de Dieu, Wentworth !!!!! Comment as-tu pu être aussi

inconscient ?

– Je sais…

– Elle… elle n’avait que dix-huit ans ! Tu étais plus âgé et censé te

comporter comme un homme, bon sang ! grogna-t-il en se prenant le

visage entre les mains.

– Je sais, papa… je regrette. Mais je compte réparer mes erreurs.

J’aime toujours Jenna et…

– En es-tu certain ? Car tu as beau être mon fils, je ne te laisserai pas

jouer avec elle !

– Mais pour qui me prends-tu ? m’écriai-je, énervé. Je l’aime, papa !

J’ai commis une erreur en la repoussant, crois-moi que chaque jour depuis

toutes ces années, il n’y a pas un instant où je ne me suis pas haï pour ça !

J’ai commis une erreur… je ne suis pas prêt à recommencer… J’ai une

petite fille avec Jenna… et je compte bien rattraper le temps perdu avec

elles.

Je m’interrompis tandis que quelqu’un frappa à la porte. Mon père

pesta intérieurement et lâcha un juron avant de se diriger vers l’entrée.

Conscient que nous n’avions pas terminé cette discussion, je me

retournai et allai m’installer dans le canapé. Je fermai les paupières et

inspirai profondément avant de prendre mon crâne entre les mains tandis

qu’il allait ouvrir.

– Jenna !

J’écarquillai les yeux avant de me redresser vivement à l’exclamation

étonnée de mon père. Très vite, je compris ce qu’il se passait. Sans

réfléchir, je rejoignis le pas de la porte et trouvai Jenna qui me souriait

avant de baisser la tête. Je pris ma fille dans mes bras et l’embrassai sur la

joue alors qu’elle passait ses bras autour de mon cou.

– Je voulais te voir…

– C’est gentil, ma chérie…

– Jenna, répéta mon père d’un air abasourdi en la fixant avant de

140

tourner son regard vers Maddy.

– Bonjour… Jim, murmura-t-elle d’une voix hésitante.

Je m’avançai vers Jenna et passai un bras autour de sa taille au silence

qui s’installait. Le regard ému de mon père me toucha profondément.

– Tu n’aurais pas dû venir, ma puce, murmurai-je en me penchant

légèrement vers elle.

– Qu’est-ce que tu racontes, Wentworth ? Jenna a toujours été la

bienvenue chez nous !

Surpris et plus ou moins confus, je le regardai dans les yeux et

répondis à son faible sourire. Soulagé, du moins, pour le moment, je

reposai Maddy au sol avant de m’accroupir à sa hauteur.

– Ma chérie ? Je te présente mon père… c’est ton grand-père,

informai-je, ému en remarquant la douceur qui s’installait dans le regard

de celui-ci.

– Bonjour Maddy… tu es très jolie…

Je souris alors qu’elle se cachait derrière mes jambes. Je surpris à cet

instant l’échange de regard entre mon père et Jenna.

– Entrez…

Silencieusement, nous passâmes devant lui.

– Went ? murmura Jenna en pressant sa main sur mon bras. Tu peux

nous laisser, deux minutes ?

Je fronçai les sourcils et fixai mon père. Méfiant, j’acquiesçai tout de

même d’un hochement de la tête et déposai un léger baiser sur la tempe de

Jenna avant d’emmener Maddy dans la cuisine.

– Viens, ma puce, je vais te présenter à ta tante et ta grand-mère. Elles

vont être heureuses de te voir.

Jenna

Un sourire plaqué sur mes lèvres, je contemplai Went et Maddy tandis

qu’ils s’éloignaient. Le moment était venu de faire face à l’homme pour

qui j’avais le plus grand respect. Je fermai les yeux un instant et inspirai

profondément, le temps de me donner la force de l’affronter. D’affronter

un père aimant, celui que j’avais toujours envié de voir dans les prunelles

de mon père.

– Jenna…

Je me tournai et plantai mon regard directement dans le sien. À cet

141

instant, j’eus l’impression que mon corps sursautait... tremblait à cause de

l’émotion qui me traversait.

Avec des yeux humides, il s’approcha et m'attira dans ses bras où je me

laissai tomber avant de fondre en larmes.

– Tu aurais dû m’appeler… murmura-t-il en me serrant contre lui.

J’aurais tout fait pour t’aider.

– Vous en aviez déjà bien trop fait.

– Je t’ai toujours dit que je serais là… si tu en avais besoin.

– Je suis désolée.

Il m’écarta de ses bras et me prit par les épaules. Mon regard se leva

vers le sien et je lus toute la tendresse qu’il éprouvait pour moi.

Celle-ci n’avait pas disparu.

– Jenna… j’ai ce que tu m’as demandé, il y a de ça des années et…

Une douleur puissante me coupa le souffle. Incrédule, je le fixai et

secouai la tête.

– Non… Je ne veux pas savoir, je ne veux plus savoir… S’il vous

plaît… Ne me dites rien.

– D’accord, d’accord… Je te le promets, mais sache simplement que

tu serais soulagée. Ton père m’a confié une lettre peu après ton départ,

lorsqu’il a compris qu’il ne te reverrait jamais.

– Je ne veux pas… plus jamais je ne veux y repenser. Mon père est

mort.

– Je comprends… mais…

– Non ! m’exclamai-je en m’écartant de lui d’un bond.

Non, je ne pouvais pas.

Tout ça appartenait au passé.

– OK, ne te mets pas dans un état pareil. Tu sais que tu peux me faire

confiance, ma petite. Si cela peut te rassurer, je ne sais pas ce qu’il t’a

écrit. Cette lettre est toujours restée fermée et en sécurité, mais… le jour

où tu voudras la lire…

– Je vous la demanderai, arrivai-je à murmurer avant qu’il m’attirât à

nouveau dans ses bras. Merci pour tout, Jim.

– De rien, ma petite Jenna.

– Je sais que je vous ai déçu en partant ainsi, mais Went n’y est pour

rien… je l’aime depuis…

– Je sais…

142

Je m’écartai de son étreinte avant de l’interroger du regard.

– J’ai compris lorsqu’il m’a avoué tout à l’heure ce qu’il s’est passé il

y a cinq ans. Je n’admets pas son comportement irresponsable, je l’avoue,

mais…

– C’est moi qui ai tout fait pour…

– Arrête, Jenna ! m’interrompit-il en levant la voix. Je connais

comment fonctionne un homme et Went en est un…

– Votre fils est quelqu’un de bien, Jim. Ne mettez pas toute la

responsabilité sur lui, je n’accepterais pas que vous vous fâchiez tous les

deux alors que c’est moi seule qui ai pris cette décision.

– Je ne vais pas me fâcher avec lui, mais il doit comprendre…

– Je pense qu’il a compris, le coupai-je en souriant.

Il leva les yeux au plafond et soupira d’un air résigné.

– Tu sais que tu as le don de me faire sentir coupable d’avoir été trop

sévère avec lui ? Bien que ce n’était qu’une gifle, mais…

– Quoi ?! m’exclamai-je fortement. Vous l’avez giflé ?

Je me demandai ce que j’avais bien pu dire de drôle, car il éclata d’un

fou rire en secouant la tête tout en se tenant le ventre.

Mon Dieu… il avait giflé Went… je ne me rappelai pas qu’un seul jour

il ait levé la main sur ses enfants.

– Allez, viens ! fit-il en se calmant tout en me prenant par les épaules.

Je te promets de ne plus recommencer.

– Jim ?

Nous stoppâmes nos pas. Je restai silencieuse quelques secondes et

déglutis péniblement à la vue de son regard plissé qu’il plongeait dans le

mien.

– Je… je l’aime… je sais que c’est réciproque, mais je… je ne veux

pas qu’il…

– Tu as peur qu’il te mente pour votre fille ?

Je souris avant d’acquiescer.

– Ne crains rien… mon fils est fou de toi, je l’ai lu dans son regard il y

a un instant, me dit-il alors que je baissais la tête. Jenna… Je sais que tu

n’es pas habituée à te sentir aimée, importante aux yeux d’un homme, à

part Sébastien… mais profite de tout le bonheur qui t’a toujours été

refusé. Tu sais, murmura-t-il en relevant mon visage et en saisissant mon

menton. Je me suis battu plus d’une fois avec ton père afin qu’il ouvre les

143

yeux, qu’il voit enfin la brave enfant que tu es… que tu souffrais

tellement !

– Jim, le coupai-je, émue.

– Went t’aime, Jenna. Je voudrais que tu sois heureuse, et si c’est avec

mon fils alors que demander de plus ? Qu’importe ce qu’il se passera, je

serai toujours là pour toi et Maddy… elle est adorable !

Je me mis à rire alors que les larmes s’échappaient de mes paupières,

émue par ses paroles.

Une fois de plus, nous nous étreignîmes un instant et je soufflai un

remerciement qui venait du plus profond de mon cœur avant de les

rejoindre dans la cuisine.

144

12

INSTANTS MAGIQUES

Went

Je ne m’étais pas attendu à ce que Maddy s’adaptât aussi vite avec ma

famille. Mes parents étaient tout simplement gâteux devant elle et ma

sœur avait rajeuni de dix ans !

Elena lui avait offert sa première poupée de chiffon. J’étais surpris

qu’elle l’ait gardée depuis toutes ces années.

Je secouai la tête, prêt à partir de chez eux pour nous rendre à Central

Park comme convenu. Jenna était rayonnante, mais je m’inquiétai au teint

de son visage, plus pâle que d’habitude.

– Alors, vous êtes prêtes ? leur demandai-je, impatient de quitter ma

famille.

– On va au parc ? me demanda Maddy.

– Oui, ma puce…

– Oh, je peux venir ?

– Elena…

– Oh non, toi, tu restes, ici ! Nous devons aller voir Maggie.

Je fronçai les sourcils et esquissai un sourire à l’adresse de ma sœur

pour la taquiner. Je savais qu’elle redoutait toujours autant la meilleure

amie de notre mère, bien plus amène à la bonne éducation et aux

anciennes traditions familiales.

– Merci encore pour tout, fit Jenna en embrassant mon père, puis ma

mère.

– De rien, ma chérie, et nous vous attendons ce soir !

– Avec plaisir.

Je roulai des yeux, moi qui avais espéré pouvoir passer la soirée avec

Jenna, c’était raté. Elle avait accepté l’invitation de mes parents avec un

grand plaisir.

145

– On y va, maman ?

– Oui, ma chérie, mais inutile de me tirer comme ça ! rit-elle tandis

que Maddy lâchait le pan de sa veste.

– À ce soir et amusez-vous bien, tous les trois.

– Merci, maman, la remerciai-je avant de l’embrasser sur la joue.

Allez, ma princesse, nous y allons cette fois.

Je pris ma fille dans mes bras et nous sortîmes tous les trois de la

maison.

Un instant plus tard, j’attachai Maddy à l’arrière de la voiture de Jenna.

– Je suppose que tu veux conduire ? me demanda-t-elle en me

souriant.

– Oui. Merci, fis-je dans un murmure tandis qu’elle déposait les clés

dans le creux de ma main.

– Comment tu te sens ?

– C’est plutôt à moi de te poser la question… ton père m’a dit qu’il

s’était emporté…

– Oh, ce n’est rien… répondis-je en esquissant un faible sourire. Tout

s’est bien passé, non ?

Elle baissa la tête et je l’attirai au plus près de moi. Son front se posa

contre mon torse et je surpris du coin de l’œil le rideau de la fenêtre de

chez mes parents se refermer.

– Qu’est-ce qui te fait rire ? me demanda Jenna en relevant son visage.

– Je crois bien qu’ils nous espionnent.

– Oh, lâcha-t-elle en s’écartant vivement de mon étreinte.

Rapidement, je m’empressai de la ramener dans mes bras.

– Ne t’inquiète pas…

Je m’interrompis à la chaleur de son visage que je venais d’effleurer de

la main.

– Tu es sûre que tu vas bien ?

– Oui, oui… je crois que j’ai juste attrapé un petit rhume, rien de bien

grave.

À cet instant même, et pour confirmer sa réponse, elle éternua.

– Je pense qu’on ferait mieux de rester à la maison.

– Non, nous lui avons promis et… excuse-moi…

– Jenna, tu es brulante, remarquai-je plus distinctement.

– Nous ne resterons pas longtemps, d’accord ?

146

J’acquiesçai à contrecœur, mais ne pus insister, car elle allait déjà

s’installer dans la voiture.

Nous arrivâmes quelques minutes plus tard. Les yeux écarquillés par la

vue du marché de Noël installé dans l’allée centrale du parc, Maddy

sautillait sur ses pieds, tirant nos mains qu’elle avait enlacées.

– On peut acheter un sapin ?

– Si tu veux, mon ange, répondis-je en souriant.

Le stand était juste devant nous. Maddy nous lâcha la main avant de se

mettre à courir.

– Elle est géniale, soufflai-je en attirant Jenna contre moi.

– Ouais… mais, s’il te plaît, ne cède pas à tous ses caprices.

– C’est juste un sapin.

– Pour l’instant, oui, c’est juste un sapin, me répondit-elle en roulant

des yeux avant d’éternuer à nouveau.

Je souris tandis que nous rejoignîmes Maddy, en admiration devant un

sapin de Noël gigantesque.

– Il ne passera jamais dans la voiture, celui-ci.

– Nous pouvons livrer, madame ! lança le vendeur qui avait entendu

Jenna.

Elle se tourna vers moi et secoua la tête.

– Vous pouvez le livrer dans l’après-midi ? demandai-je au vendeur.

– Pas de problème, monsieur, il vous suffit de remplir cette fiche.

Je pris la fiche et inscrivis l’adresse de livraison rapidement avant de la

lui rendre.

– Tenez.

– Merci, à tout à l’heure.

Je hochai la tête et rattrapai Jenna et Maddy qui ne m’avaient pas

attendu. Elles parcouraient l’allée où les petits chalets de bois, dressés sur

la pelouse du parc, avaient pris place. De nombreux commerçants étaient

installés afin de vendre toutes les décorations extérieures et intérieures,

ainsi que des petits objets magnifiques pour le sapin.

Jenna m’attendit et passa un bras autour de ma taille avant de coller

son visage dans le creux de mon épaule. Maddy ne cessait de sautiller à

travers les différents étalages.

– Elle est très énergique ! Se rend-t-elle compte que nous avons du

mal à la suivre ? lui demandai-je en me penchant vers son oreille pour

147

déposer un baiser.

– Parle pour toi ! J’arrive à la suivre, moi, c’est toi qui traînes !

– Tu veux peut-être qu’on se mette à courir ?

– Bien sûr que non !

– Maman ! Je veux ça, regarde !

Elle me sourit et déposa un baiser sur mes lèvres avant de rejoindre

notre fille. Penaud, je l’observai s’éloigner, alors que j’eus l’impression de

mettre fait avoir. Je les rejoignis et entourai mes bras autour de la taille de

Jenna.

– Tu viens d’insinuer que je suis trop vieux ?

Elle se retourna vers moi, le regard écarquillé.

– Tu as bien insinué que je ne savais pas conduire !

– Maman !

– Je n’ai jamais dit ça, lui répondis-je en me baissant vers ses lèvres

pour l’embrasser.

Ceci ne devait être qu’un simple baiser, léger et aérien, mais elle passa

ses bras autour de mon cou et tout dérapa. Notre baiser s’approfondit

dangereusement avant que je pris le temps de maîtriser le désir qui venait

de m’irradier de toute part.

Ce fut à bout de souffle que nous mîmes fin à notre baiser. Les joues

rosies, elle baissa le regard tandis que je riais, amusé par la gêne que je

remarquais sur son visage.

Je la vis froncer les sourcils et compris que Maddy tirait sur sa veste

pour obtenir son attention.

– Désolé, ma puce… que veux-tu ? demanda-t-elle en caressant sa

joue.

– Depuis tout à l’heure, j’ai dit que je voulais ça, regarde !

– Oh la, deux minutes, mademoiselle ! Est-ce une façon de parler ? Je

t’interdis de parler ainsi, Maddy ! C’est compris ?

J’observai la fermeté dont faisait preuve Jenna envers la petite. Je

n’osai pas intervenir, mais je ne pouvais pas m’empêcher de lancer un clin

d’œil rassurant vers ma fille alors qu’elle posait son regard sur moi.

– Maddy ? Tu sais que je n’aime pas quand tu exiges les choses.

– Oui… je sais. Je suis désolée, maman, je le ferai plus.

Jenna soupira. Je souris, fier de ma fille.

– Montre-nous ce que tu as vu d’aussi intéressant, ma puce.

148

Elle s’avança vers le stand à quelques mètres de nous.

– C’est celui-là que tu veux ? demandai-je en décrochant le

bonhomme de neige de son présentoir.

– Oui, il est beau, hein ?

– Oui, il est tout mignon, répondit Jenna.

– Regarde, ma puce, il y en a d’autres dans le même thème, fis-je en

montrant les sujets de Père Noël, rennes et autres.

– On peut tous les prendre ?

Je lançai un regard vers Jenna qui fixait notre fille d’un air indécis.

– Papa ? On peut les prendre ?

– Bien sûr, ma puce.

– Super !

Je souris tandis que mon cœur venait de faire un bond dans ma

poitrine. C’était la première fois qu’elle m’appelait papa…

Une minute après que j’eus repris mes esprits, je demandais au

vendeur de préparer toute la collection de sujets. Le temps qu’il

l'emballait, je me tournai vers Jenna qui était perdue dans ses pensées. Je

levai une main vers son visage et caressai sa joue. Son regard s’ancra au

mien et j’eus la nette impression qu’elle était encore plus chaude qu’à

notre départ.

– Tu as de la fièvre.

– Non, ça va, rassure-toi.

– On devrait rentrer…

– Oh non, papa ! Regarde, le Père Noël va être là, lança Maddy.

Je me tournai vers elle et regardai dans la direction de l’affiche, collée

sur un présentoir.

– Mm… oui, il sera là vers quatorze heures…

Je lançai un regard vers Jenna qui me souriait pour me rassurer, mais je

ne pouvais pas m’empêcher d’être inquiet.

– Maman est souffrante, ma puce.

– Mais non, ça va, rétorqua-t-elle en me fixant. Je vais bien ! Et

Maddy n’a jamais eu l’occasion de voir le Père-Noël.

– D’accord, mais nous allons d’abord aller manger chez Jack, tu

prendras une aspirine et nous reviendrons pour la visite du Père Noël. Tu

pourras le voir, d’accord, Maddy ?

Elle hocha la tête, le sourire jusqu’aux oreilles et vint me donner la

149

main. Je réglai ensuite nos achats et pris le sachet avant d’entourer la taille

de Jenna et de l’attirer contre moi. Elle leva les yeux vers les miens. Nous

nous sourîmes amoureusement et partîmes chez Jack, qui sera sans doute

ravi de nous voir tous les trois.

Le restaurant était bondé. Jack, comme je l’avais imaginé, avait bondi

de joie à notre entrée, mais sa réaction n’était pas aussi proportionnée que

j’aurai pu le croire lorsque Maddy lui avoua que j’étais son père.

Jenna avait ri à son air hébété.

J’étais perdu dans mes pensées lorsque je sentis la pression des doigts

de Jenna entre les miens. Je tournai le visage vers le sien et esquissai un

large sourire.

– Tu vas mieux ? demandai-je alors qu’elle ancrait son regard au

mien.

– Oui… l’aspirine m’a fait du bien. Tu pensais à quoi ?

– À nous…

– Mm ?

– Je pensais à nous, répétai-je en souriant.

– Maman ? Est-ce que je peux aller voir Némo ?

Jenna accepta après lui avoir ôté la sauce du hamburger de ses lèvres.

– Elle est en pleine forme… pas comme toi, murmurai-je en penchant

la tête vers son oreille. Jenna, tu es sûre que tu ne préfères pas que nous

rentrions ?

– Non… Maddy serait triste si elle manquait le Père Noël.

– D’accord… acceptai-je à contrecœur.

Je m’interrompis alors que mon Black Berry se mit à sonner. Je le

retirai de ma poche et lançai un regard hésitant vers Jenna.

– Quoi ?

– C’est ton frère. Il faut que je lui réponde.

– Oui, oui, bien sûr, acquiesça-t-elle.

Je remarquai la lueur de panique dans son regard. Doucement, je levai

une main vers sa joue et la caressai tendrement pour la rassurer.

– T’en fais pas, murmurai-je.

Je la serrai contre moi tout en prenant l’appel. Sa voix s’éleva dans le

récepteur, je pris une inspiration plus profonde que les autres, trouvant

enfin le courage d’émettre un mot.

150

– Salut…

– Hé ! Comment tu vas, Went ? Tu as eu mon message ?

– Euh… ouais…

– Tu as eu des nouvelles de Jenna ? Comment vont-elles, bon sang ?

À chaque fois que j’appelle, elle n’est jamais là !

– Oh, elle va bien.

– Et Maddy ?

– Elles vont toutes les deux très bien, Séb. Tu n’as pas à t’en faire, le

rassurai-je avec plus d’assurance.

– Tu plaisantes ? Pas à m’en faire ? Tu as des sœurs, tu peux savoir ce

que ça fait…

– Séb ! Je suis avec elles.

– Comment ça, avec elles ?

– Oui… répondis-je en souriant avant de baisser les yeux vers Jenna.

– Tu peux préciser ?

Je roulai des yeux au ton amer qu’il venait d’employer.

Préciser ?

Comment voulait-il que je précise ?

Je poussai un soupir de lassitude et essayai de paraître normal devant

Jenna qui me dévisageait.

– Nous sommes en train de déjeuner chez Jack, Sébastien.

– Oh… souffla-t-il d’un air rassuré qui me laissa légèrement penaud.

Rien que ça ? Déjeuner chez Jack ! Comment tu t’y es pris pour qu’il te

laisse passer la porte de son restaurant ? Et je serais curieux de savoir

comment tu y es entré sans qu’on t’y traîne ?

– Euh…

Remarquant mon trouble, Jenna se redressa brusquement.

– Je… t’expliquerai…

– Je vois…

Euh… qu’est-ce qu’il voyait au juste ?

– Tu n’as pas pu résister aux charmes de mes deux petites femmes,

c’est ça ? me demanda-t-il d’un ton ironique.

– Tes petites femmes ? répétai-je d’une voix un peu trop forte. Euh…

oui, c’est ça… il faut dire qu’elles ont le don de…

– Minute papillon ! me coupa-t-il, visiblement sous le choc. Qu’est-ce

que tu veux dire par là ?

151

– Rien du tout.

Un silence s’installa.

– Bon, Jenna est près de toi ? J’aimerais lui parler.

– Elle est en train de…

– Went ! me coupa-t-il d’un ton irrité.

– Je te la passe…

Jenna

Went me tendit son téléphone en grimaçant d’impuissance. Je lui

souris et déposai un léger baiser sur ses lèvres avant de parler à mon frère.

– Salut Séb.

– Ah, ma sœurette ! Tu sais que je mourrais d'inquiétude sans avoir de

tes nouvelles ?

– Je suis désolée, j’aurais dû t’appeler, mais tu n’as pas à t’en faire. Je

te rappelle que Maddy et moi savons nous débrouiller toutes seules… et

Went reste avec nous, la plupart du temps.

– Tu as une drôle de voix, ma chérie. Tu es sûre que tu vas bien ?

– Oui, je couve seulement un petit rhume.

Un blanc s’installa entre nous alors que je l’entendais souffler. J’en

profitais pour poser mon regard sur Went qui observait le moindre

changement des traits de mon visage. Je lui souris avant de passer la main

sur sa joue, je ne pouvais pas m’empêcher de le toucher, d’effleurer sa

peau. Il prit mes doigts et les porta à ses lèvres. Nous nous sourîmes

amoureusement et je vins me blottir à nouveau dans ses bras.

– Alors ? Tout se passe bien pour toi, Séb ?

– Euh… ouais, ça va. J’ai seulement hâte de rentrer.

– Ah… si c’est parce que tu te fais du souci pour nous, tu…

– Non, ce n’est pas ça, ma puce. C’est juste que… de faire cette

promo, ce n’est pas du tout mon truc !

– Je vois. Tu rentres bientôt ?

– Dans deux jours.

– La veille du réveillon ! fis-je en déglutissant péniblement.

– Oui, je suis désolé, Jenna, et ici, j’ai trouvé pas mal de choses

superbes pour Maddy. Elle va être folle de joie.

– Ne la gâte pas trop tout de même.

152

– Tu ne vas pas m’empêcher de gâter ma nièce préférée.

– Tu n’en as qu’une, rétorquai-je en riant légèrement.

– Raison de plus. Allez, va falloir que j’y aille, Jenna. Je t’embrasse et

fais un gros bisou à Maddy pour moi.

– D’accord. Je t’embrasse aussi Séb.

– Tu peux me repasser Went ?

– Euh…

– Je ne vais pas le manger à travers le téléphone, Jenna !

J’écarquillai les yeux et tendis son portable d’un mouvement vif.

– Il… te demande.

Went arbora un léger sourire pour me rassurer, mais il ne put cacher

l’inquiétude que son regard manifestait. Mon Dieu, pourquoi venait-il de

me dire ça ? Il avait compris, j’en étais certaine…

Went

Les yeux froncés d’inquiétude à la pâleur que venait de prendre son

visage, je repris le téléphone.

– Went ?

– Euh… oui ?

– Continue à prendre soin d’elles le temps de mon absence. Est-ce que

tu pourras venir me chercher à l’aéroport ? Je t’appellerai dès que je serai

arrivé.

– Oui, bien sûr. Pas de problème.

– Très bien. Tu viendras seul, ce n’est pas la peine que Jenna et

Maddy soient présentes pour entendre ce que j’ai à te dire. Compris ?

Je ne savais pas quoi répondre. J’émis un son guttural qu’il prit sans

doute pour une acceptation, car il mit fin à la conversation. J’essayai de ne

pas montrer l’état de panique dans lequel je me trouvai et inspirai

profondément avant d’offrir un sourire à l’adresse de Jenna.

– Il… a des doutes ?

– Mais non…

– Si, j’en suis sûre…

– On verra bien, mon ange, murmurai-je en la serrant contre moi.

Je soupirai lentement et l’embrassai tendrement sur la tempe.

Ce fut à cet instant que je vis qu’elle tenait la rose que je venais de

153

fabriquer avec la serviette en papier.

– Tu as pris la rose ?

– Oh, oui. Merci, elle est magnifique, répondit-elle avant de

m’embrasser.

Je répondis à son baiser avec lenteur, savourant le contact de sa langue

contre la mienne. Celui-ci m’apaisa, me rassura, me donnant un peu plus

de courage pour affronter Sébastien.

Dans deux jours…

Je souris avant de quitter ses lèvres puis je baissai les yeux vers la rose

qu’elle tournoyait entre ses doigts.

– Je suis content que tu aimes. Tu sais, la première fois, j’ai mis plus

de trois heures à pouvoir réussir à en faire une convenable !

– Tu en as déjà offert une à une femme ?

Je pouffai avant de poser mes lèvres sur son front.

– À Lori, enfin, c’était plutôt Michael qui lui a offert et… sinon, tu es

la première à qui j’en offre une, hors plateau de tournage. En plus, je la

trouve plus réussie que celles qu’on utilise pour la série.

Elle me sourit amoureusement avant de se caler contre moi. Nous

restâmes un long moment ainsi jusqu’à ce que Maddy revînt vers nous

afin de nous faire comprendre qu’elle avait envie de retourner à Central

Park pour ne pas manquer la visite du Père Noël.

Quand nous arrivâmes au stand où le Père Noël se trouvait, une longue

file d’enfants, qui étaient accompagnés de leurs parents, patientaient.

Maddy était heureuse, impatiente de le voir de plus près. Nous dûmes

attendre plus d’une heure afin qu’elle puisse avancer vers lui.

– Je veux pas…

Surpris, je lançai un regard vers Jenna qui restait silencieuse.

– Jenna ? Tu vas bien ? lui demandai-je, inquiet.

Elle hocha la tête puis se baissa vers notre fille.

– Tu n’as pas à avoir peur, mon ange. Tu as vu tous ces enfants, ils

n’ont pas eu peur…

Maddy leva son regard vers le mien. Je lui adressai un sourire

d’encouragement et la soulevai dans mes bras.

– Je resterai à côté de toi, d’accord ?

Elle acquiesça, serrant ses bras autour de mon cou. Je l’installai sur les

genoux du Père Noël peu après qu’elle fut rassurée par l’homme à barbe

154

blanche.

Jenna

Je restai à l’écart et observai la magie dans les yeux de mon enfant.

J’avais l’impression qu’elle était heureuse à cet instant. Went venait de

l’installer sur les genoux du Père Noël et il contemplait notre fille qui

discutait timidement avec l’homme.

Le regard de Went croisa le mien. Je répondis à son sourire puis

m’avançai vers Maddy qui s’apprêtait à sauter dans mes bras.

– Alors, ma chérie ? Tu lui as dit ce que tu voulais pour Noël ?

– Non, je lui ai dit qu’oncle Sébastien allait lui donner ma lettre.

Je levai les yeux vers Went qui haussait les épaules d’un air amusé.

– Il est temps de rentrer, nous informa-t-il.

– D’accord ! On a déjà le sapin ?

Oh mon Dieu…

– Le sapin, gloussai-je en me rappelant que le livreur devait venir le

livrer.

– Ne t’en fais pas, j’ai demandé à Elena de leur ouvrir si nous n’étions

pas rentrés.

Je soupirai de soulagement. Décidément, il pensait à tout.

– Rentrons, me dit-il en prenant Maddy dans ses bras.

J’acquiesçai d’un hochement de la tête puis nous nous mîmes sur le

chemin du retour.

– Jenna ?

Le murmure de Went me fit sortir de mes pensées. Je constatai alors

que nous étions déjà arrivés devant la maison. Je tournai la tête et répondit

à son sourire avant de pousser un léger soupir.

– M’étais-je endormie ?

– Tu as l’air épuisé.

– Mm… c’est ce rhume.

– On devrait appeler le médecin, tu as encore de la fièvre, constata-t-il

en posant sa main sur mon front.

– Je ne vais pas appeler le médecin pour un simple rhume, Went,

répliquai-je, amusée.

Je le vis rouler des yeux et je me tournai vers Maddy.

– Je ne suis pas la seule à être fatiguée, on dirait.

155

– Je suis pas fatiguée, maman, lança Maddy en bâillant.

Went se mit à rire avant de rétorquer :

– Elle n’a pas de fièvre, contrairement à toi.

Je lui tirai la langue avant de sortir de la voiture.

Rapidement, avant même que Went me rejoignît, j’ouvris la portière de

Maddy et la détachai.

– Voilà le livreur pour le sapin. Il tombe à pic.

Je souris et soulevai Maddy dans mes bras.

– Je vais ouvrir.

– D’accord.

Je m’avançai avec Maddy dans les bras vers la porte, ayant la

désagréable impression de ne plus sentir mes jambes.

– Maman ?

– Oui, mon ange ?

J’enfonçai la clé dans la serrure tandis que ma fille restait silencieuse.

J’entrai avant de la déposer sur le canapé.

– Qu’est-ce que tu as, tu es malade ?

– Non, ma puce. Je vais bientôt aller mieux, c’est promis.

Je la pris sur mes genoux. Nous nous étreignîmes un instant, restant

silencieuses toutes les deux.

– Je l’aime bien, papa. T’es sûre qu’il va plus repartir ?

Je replaçai les boucles brunes de ses cheveux vers l’arrière et déposai

un baiser sur son front avant de la serrer dans mes bras.

– Ton papa t’aime beaucoup, Maddy. Quoi qu’il arrive, il restera

toujours près de toi.

– Mm… et grand-père et grand-mère ?

Je lui souris avant d’acquiescer d’un hochement de la tête.

– Ils sont très heureux de t’avoir rencontrée, tu as vu ?

– Oui… Pourquoi ils sont jamais venus en France pour nous voir ?

Je fronçai légèrement les sourcils et pris une profonde inspiration avant

de planter mon regard dans le sien.

– Ils… ils ne savaient pas qu’ils avaient une petite fille. Je ne leur

avais pas dit…

– C’est papa !

Soulagée de passer à côté de son interrogatoire, je la regardai s’avancer

vers la porte en courant. Je me levai et aidai Went à faire entrer l’imposant

156

arbre de Noël dans le salon.

– Tu es sûr qu’on arrivera à le faire entrer ? criai-je pour qu’il

m’entende.

– Fais attention de ne pas te faire mal !

– Pousse-toi, ma puce, va t’installer sur le fauteuil, ordonnai-je à

Maddy en tirant la pointe du sapin vers moi pour le faire entrer.

À peine eussé-je le temps de demander à ma fille de s’éloigner qu’une

force plus forte me propulsa vers l’arrière. Un cri s’échappa de ma gorge

alors que je me retrouvais sur les fesses, les jambes en l’air et ensevelie

sous le sapin.

– Papa !

– Ma puce… ça va ?

J’ouvris les paupières. Les sourcils froncés, j’aperçus le visage inquiet

de Went et de Jim avant de constater qu’Anna et Elena étaient présentes

également dans la pièce.

– Euh… ouais, je crois…

Je voyais bien que Went retenait son rire en remarquant la béatitude sur

mon visage et les gloussements amusés de sa sœur ne devaient pas l’aider

à se contrôler.

– Excuse-moi, me dit-il en me relevant.

– C’est ma faute… je ne savais pas que tu te trouvais derrière, ma

belle.

– Oh… ce n’est pas grave… je vais bien, rassurai-je Jim.

Une fois installée sur le canapé aux côtés d’Anna et de Maddy, Went se

tourna vers sa sœur et la foudroya du regard.

– Arrête un peu de rire et viens me donner un coup de main.

– Excuse-moi, Jenna, me dit-elle en riant toujours.

– Ce n’est rien, il y avait longtemps que je ne m’étais pas ridiculisée

de la sorte, répondis-je en lui souriant.

Went me lança un regard puis un silence s’installa pendant quelques

secondes avant que nous éclatâmes tous de rire.

Elena et Went redressèrent le sapin sous les applaudissements de

Maddy qui était visiblement ravie de son choix.

– Il est plus grand que tout à l’heure !

– Mais non, ma puce. C’est juste qu’à l’extérieur, les sapins paraissent

toujours plus petits qu’ils ne le sont en réalité, répondit Anna d’une voix

157

douce en la prenant sur ses genoux.

– Bon, je vais aller préparer le chocolat et on va le décorer, d’accord ?

demanda Went à l’adresse de Maddy qui hochait la tête, le regard pétillant

de bonheur.

– On va vous laisser le décorer…

– Mais non, Jim, vous pouvez rester…

– On ne voudrait pas vous déranger.

– Non, je veux que vous restiez là ! rétorqua Maddy.

Jim posa son regard dans celui de son fils et finit par sourire.

– D’accord.

– Très bien, répondis-je en me levant. Je vais aider Went.

– Reste assise, Jenna…

– Non, non, ça va. Et Maddy va vouloir leur raconter sa rencontre

avec le Père Noël ?

– Oh, tu as vu le Père Noël ? demanda Jim en s’installant à son côté.

Je souris à Went et posai ma main dans la sienne qu’il me tendait avant

de pénétrer dans la cuisine.

Alors que nous entendîmes quelques bribes de conversations qui se

déroulaient au salon, je souris et me laissai aller dans ses bras.

Depuis tout à l’heure, j’avais envie de me retrouver seule avec lui.

Ses bras se refermèrent dans mon dos et je sentis la douce chaleur de

son corps m’envahir. Doucement, je m’écartai légèrement afin de lire

l’expression de son regard.

Il me sourit à son tour avant de passer ses mains sur mon visage. Son

front s’opposa au mien tandis que je pouvais deviner qu’il tentait de

contenir le puissant désir qu’il éprouvait à cet instant.

Sans trop savoir qui de nous deux fit le premier pas, nos lèvres se

scellèrent, écrasant nos gémissements de plaisir respectifs. Tout en

répondant à son baiser avide, mon corps se pressa alors contre le sien. Ma

langue caressait la sienne tandis que la sensation de vertige me prit à

nouveau.

– Je m’inquiète vraiment, Jenna…

– Non, je suis juste fatiguée.

– Je t’aime… murmura-t-il contre ma bouche avant de reprendre mes

lèvres.

Alors que j’allais lui répondre, je fus prise à nouveau d’un

158

éternuement. Il éclata de rire tandis que la honte me submergeait.

– J’espère… que tu ne vas pas l’attraper… at… atc…

– Ne t’inquiète pas pour moi, ma puce. C’est passé ? demanda-t-il en

prenant mes poignets.

– Oui… je crois…

Je lui souris et suivis son regard vers mes avant-bras. Je réprimai un cri

de stupeur alors qu’il fixait mes cicatrices.

Paniquée, j’essayai de ramener mes bras contre moi, mais il resserra

son emprise.

Bouleversée, je me mis à trembler et baissai le regard pour éviter le

sien.

– Jenna…

– Laisse-moi, Went, soufflai-je en essayant de m’écarter.

Il me retint fermement.

À quoi m’attendais-je ?

Les pires souvenirs du passé refirent surface.

– Je suis désolée…

– Viens là, dit-il en m’attirant contre lui.

La douceur et la force de son étreinte furent si intenses que je fondis en

larmes contre son torse.

– C’est moi qui suis désolé… parle-moi, Jenna.

– Non… je ne peux pas.

– D’accord… je ne te forcerai pas à m’en parler, mais je… je ne veux

plus jamais que…

– Je ne referai plus jamais la même erreur, Went.

Il releva mon visage, le tenant en coupe entre ses mains et vrilla son

regard dans le mien.

Délicatement, il balaya de son pouce les larmes de mes joues et

effleura mes lèvres des siennes.

– Je t’aime…

Un gémissement s’échappa de ma gorge alors que sa langue forçait le

barrage de mes lèvres. Je répondis à son baiser presque violent, sauvage,

provoqué par la colère de mon acte destructeur.

Pendant de longues minutes, nous restâmes enlacés, savourant ce

baiser qui, peu à peu, se transforma en une longue et langoureuse danse

sensuelle.

159

– Oups… désolée…

La voix de sa sœur vint casser l’instant magique que nous étions en

train de partager. Je m’écartai de ses lèvres et tournai la tête vers la porte

de la cuisine.

– Elle est repartie au salon…

– Tu crois que si on s’éclipsait…

– Went !

Doucement, il m’embrassa d’un baiser chaste avant de murmurer :

– Je rêve d’être à ce soir…

Je l’interrompis en posant mon doigt sur ses lèvres et ancrai mon

regard au sien. Je me sentais tellement bien dans ses bras que je ne

résistais pas à l’envie de me blottir contre son corps que je serrais contre

le mien.

J’entourai son cou de mes bras et déposai un baiser près de son oreille

avant de murmurer d'une voix troublée par l'appréhension :

– Moi aussi…

160

13

SI JE TE LE DIS…

Jenna

Le reste de la journée se passa dans une ambiance chaleureuse. Les

parents de Went restèrent avec nous, pour le plus grand plaisir de Maddy

qui avait les yeux pétillants de bonheur aux histoires de Noël que lui

racontait son grand-père.

Went et moi étions restés assis dans le canapé, nous tenant la main et

nous lançant des regards discrets.

Elena était repartie une fois la plupart des décorations installées sur le

sapin.

– Papa, je peux mettre l’étoile maintenant ?

Went se leva et la porta à bout de bras afin qu’elle atteigne le sommet

de l’arbre.

Jim lui tendit l’étoile, couleur or, qu’elle agrippa aussitôt dans ses

petites mains.

– Tu vas réussir à la mettre ?

– Oui… je crois… mais ne bouge pas…

– Je ne bouge pas, mon trésor, je t’assure, répondit Went en riant.

– Mais si tu bouges ! J’ai peur de tomber.

Je me levai et m’approchai.

– Calme-toi, Maddy. Ton père ne te lâchera pas.

Elle me sourit avant d’acquiescer de la tête. Je continuai à l’observer

dans sa concentration tandis qu’elle recommençait une autre tentative.

– C’est bon, j’ai réussi ! s’exclama-t-elle en tapant dans ses mains.

– Tu vois !

– C’est le plus beau sapin de Noël que je n’ai jamais vu, soufflai-je

d’un murmure alors que le regard de Went vint s’ancrer au mien.

– C’est quand que le Père Noël va venir ?

La question de Maddy me fit revenir à l’instant présent. Went la déposa

161

sur le sol avant de lui donner un tendre baiser.

– Tu sais que le Père Noël passe uniquement si les enfants ont été très

sages ?

Elle hocha la tête et fit une petite mine dubitative.

– Tu as été sage, Maddy ?

– Bien sûr qu’elle a été sage ! Cette enfant est un vrai petit ange.

La réplique de Jim me fit sourire.

– Grand-père a raison ? demanda Went en souriant.

– Oui… j’ai toujours été sage. Hein oui, maman ?

– Oui, ma puce, c’est vrai. Tu es une petite fille très sage.

– T’as vu. Alors, il va venir quand ?

Je pouffai, amusée par l’éclat dans son regard.

– Dans trois jours, ma chérie.

– Oui, et vous viendrez passer le réveillon avec nous, j’espère ?

Ma gorge se noua à la demande d’Anna qui nous regardait tour à tour.

Je baissai les yeux et déglutis péniblement, songeant à la réaction de

Sébastien quand il apprendra la vérité.

– On ne sait pas, maman… Sébastien…

– Mais il sera ravi de venir à la maison ! Qu’est-ce qui vous ennuie ?

– Ce n’est pas ça, mais Séb n’est pas encore…

Went s’interrompit à la mine dépitée de sa mère.

– Je vois…

Le sourire aux lèvres, Jim s’approcha de nous avant de secouer la tête.

– Ne vous en faites pas… il sera peut-être un peu surpris, mais je suis

certain qu’il va…

– Papa… je ne crois pas que sa réaction sera aussi bonne que tu le

penses. Pendant toutes ses années, je lui ai caché la vérité… et…

– Le Père Noël ne va pas venir pour toi alors ?

J’observai le regard interrogateur de Jim se poser sur moi puis revenir

vers Went. La question de Maddy nous laissa légèrement perplexes. Je

cherchai quoi lui répondre lorsque l’éclat de rire de Jim brisa le silence

pesant de la pièce.

La main de Went passa dans les boucles soyeuses de ma fille et il lui

sourit, attendri, toute trace d’inquiétude disparut.

– Le Père Noël ne vient que pour les enfants, ma chérie.

– Et oncle Sébastien sera bientôt là ?

162

– Oui, mon ange. Dans deux jours il sera là. Il te manque ?

– Mm, murmura-t-elle en hochant la tête.

Je souris puis j'ouvris les bras quand elle me demanda de s’installer sur

mes genoux. Je la serrai contre moi et déposai un baiser dans ses cheveux

alors qu’elle se mit à bâiller ouvertement.

– Tu es fatiguée, ma chérie… il vaudrait mieux que tu ailles te reposer

un peu.

– Oui, ce soir, vous venez tous manger à la maison, ajouta Anna en

passant une main tendre dans les cheveux de Maddy.

– À ce soir, grand-mère, répondit ma fille d’une voix tout

ensommeillée.

– Je vais la monter, les informai-je.

Je me levai pour remercier les parents de Went pour leur aide.

– On vous attend pour vingt heures.

– D’accord.

Went

Je regardai Jenna qui montait Maddy à l’étage. La main de mon père se

posa sur mon épaule. Je me tournai et le fixai tandis que ma mère passait

son manteau.

– C’est gentil d’être venus…

– Pas de quoi, mon garçon. Écoute… je suis vraiment désolé…

– Papa…

– Non, écoute-moi. Je suis vraiment désolé pour ma réaction. Je ne

voulais pas te gifler. Je ne veux pas qu’elle soit malheureuse… je sais que

vous formez une vraie famille et j’espère que tout s’arrangera pour vous

deux, pour le bien de cette petite.

– Je ferais tout ce que je peux pour les rendre heureuses, papa. Tu n’as

plus à te faire de souci.

Ému, je fixai son regard, et le besoin de lui poser la question qui me

brûlait les lèvres depuis ce matin se fit de plus en plus oppressant.

– Je sais, Wentworth.

– Papa ?

– Mm ?

– Que voulait te dire Jenna, ce matin ?

163

Il baissa les yeux tout en continuant de fermer les boutons de sa veste.

Je lançai un regard discret vers ma mère qui baissait la tête à son tour et je

savais à présent que tous mes doutes étaient fondés.

Ils me cachaient quelque chose d’important.

– Went, écoute… commença-t-il en soupirant. Il y a deux ans… j’ai

croisé Jenna pendant un congrès en France…

– Quoi ! hurlai-je, furibond. Tu ne l’as jamais dit ! Tu savais pour

Maddy ?

– Non, non… répondit-il en secouant la tête. Je ne savais pas. Elle ne

m’avait rien dit. Elle travaillait dans un bar… je… écoute, elle m’a

demandé de n’en parler à personne. Elle ne voulait pas que Sébastien

vienne la chercher ou je ne sais quoi d’autre… Ce matin, je lui ai dit que

je n’en avais jamais parlé et… je lui ai dit également que j’avais réussi à

obtenir ce qu’elle m’avait demandé…

– Qu’est-ce que c’est ?

– Quand elle a appris que son père avait un cancer… et qu’il avait

besoin d’une greffe de rein… Jenna n’a pas hésité malgré les rapports

confus qu'ils entretenaient tous les deux. Elle a été à l’hôpital pour passer

des tests. Je m’en suis occupé… elle m’a fait promettre de ne rien dire à

personne…

– Bon sang… soufflai-je en m’écroulant sur le canapé. Tu ne m’as

jamais rien dit… Tu le savais ? demandai-je à l’adresse de ma mère en

serrant les poings.

– Non, pas tout de suite. Il m’en a parlé à la mort de Charlie…

Bon sang, j’avais du mal à tout comprendre.

Pourquoi tant de secrets ?

Pourquoi avait-elle demandé à mon père de l’aide alors que j’aurais pu

être là ?

Je ne savais plus quoi penser…

– Went…

– Il ne l’a jamais aimée ! Pourquoi aurait-elle fait ça pour lui alors

qu’il ne l’a jamais considéré comme sa fille ? demandai-je, la voix brisée

par la colère que je ressentais encore envers cet homme.

Je fixai mon père qui s'approchait de moi. Il s’installa à mon côté et

posa une main sur mon épaule. Il hésita un instant avant de m’avouer :

– Elle n’a rien fait. Elle ne lui a pas fait don d’un de ses reins pour la

simple et unique raison… le test de compatibilité a échoué…

164

Cette phrase résonnait toujours dans ma tête alors que j’étais dans la

cuisine, fixant le paysage neigeux par la fenêtre. Mon père m’avait fait

promettre de ne pas bousculer Jenna pour cette lettre… Je n’en revenais

pas.

Charlie ne serait pas son père biologique ?

Pourquoi aurait-il gardé ce secret ?

Cela n’expliquait pourtant pas la manière dont il la traitait.

Poussant un long soupir, j’essayai de prendre contenance avant d’aller

la rejoindre à l’étage.

Ce fut dans sa chambre que je la retrouvais, quelques minutes plus

tard. Elle était allongée sur le côté, les yeux clos. Je m’avançai,

contemplant les traits de son visage. Elle avait l’air si vulnérable ainsi…

– Jenna, soufflai-je dans un murmure tout en m’installant au bord du

lit.

– Mm…

J’esquissai un sourire alors qu’elle remuait légèrement. Je posai ma

main sur son front et constatai qu’elle n’avait plus de fièvre, pour mon

plus grand soulagement.

– Tu dormais ?

– Non… je me reposais un peu, par contre Maddy s’est vite endormie.

Alors qu’elle tentait de se redresser, je l’en empêchai en la maintenant

par les épaules.

– Reste allongée un peu…

– Non, ça va aller, et puis il faut que je me prépare pour le dîner chez

tes parents…

Je souris et ancrai mon regard au sien.

Doucement, j’effleurai sa joue du bout des doigts.

Ce contact provoqua en moi un léger frisson jusqu’à l’échine. Ses

lèvres s’étirèrent en un large sourire malgré l’appréhension que je lisais

dans ses yeux.

– On a le temps, il n’est que dix-sept heures.

– Ils sont partis ?

– Mm… oui.

Nous restâmes ainsi, à nous regarder dans les yeux. Je ne pouvais

m’empêcher de sourire aux tremblements de ses lèvres tandis que ma

main se posait sur son ventre.

– Je… Went…

165

Remarquant son embarras, je resserrai mes doigts autour de sa main

qu’elle venait de poser sur la mienne, l’encourageant à continuer.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Je… je ne voudrais pas que tu… Tu viens d’apprendre que Maddy

est ta fille. Tu me dis m’aimer encore depuis tout ce temps… mais… je ne

voudrais pas que tu te voiles la face pour nous… Tu as ta vie et je ne veux

pas qu’elle se complique…

– Hé… attends un peu, ma puce, la coupai-je en prenant son visage

entre mes mains.

– Went…

– Je t’aime, Jenna. Depuis toujours. Même s’il n’y avait pas eu

Maddy, je pense que je t’aurais avoué mes sentiments…

– J’ai si peur que tu…

– Non, Jenna. J’ai pris ma décision à la seconde même où je t’ai

retrouvée.

Elle baissa la tête et ferma les yeux un instant. Je pouvais comprendre

ses hésitations, mais elle devait me croire. Je n’avais jamais cessé de

l’aimer. Elle avait toujours été présente dans mon cœur.

– Dis-moi que tu me crois, Jenna ? Je t’aime, je t’ai toujours aimée et

le plus grand de mes regrets sera toujours présent en moi. De t’avoir fait

croire le contraire, ce soir-là…

– C’est moi qui t’ai embrassé, me coupa-t-elle en souriant timidement.

– Dis-moi que tu me crois ? insistai-je, ancrant mon regard au sien.

Une longue minute s’écoula.

– Je te crois, Went.

– Je t’aime, soufflai-je avant d’effleurer ses lèvres d’un doux baiser.

– Je t’aime aussi… mais je ne…

– Quoi ? demandai-je en lui souriant, passant une main dans ses

cheveux. Dis-moi ce qui te tracasse ?

Je la vis rougir de plus belle.

– Tu as peur ?

– Je… oui.

– Je ne te ferais aucun mal, ma puce, promis-je en prenant son visage

dans mes mains avant de l’attirer vers le mien.

– Je sais…

Ma main caressa sa joue et je sentis son cœur s’emballer aussitôt. Nos

166

regards restèrent ancrés l’un dans l’autre. Mes lèvres, à quelques

millimètres des siennes, j’hésitai un instant. Puis, j’esquissai un faible

sourire de satisfaction alors que je constatais qu’elle attendait que je

l’embrasse.

Doucement, je soudai nos bouches. Un frisson me traversa le corps. Je

passai une main dans son dos et la pressai contre moi alors que nos

langues se cherchaient. Je la sentais si fébrile, tremblante et incertaine que

j’essayai de refouler la vague de désir qui m’habitait pour y aller

doucement.

Je ne voulais pas l’apeurer…

Jenna

Je répondis à son doux baiser en remontant les paumes de mes mains le

long de son torse jusqu’à son cou où mes bras vinrent l’entourer avec

amour. Ce geste eut le don de provoquer la fougue de notre étreinte. Il

m’enveloppa de ses bras tandis que tous mes sens s’éveillaient à la chaleur

qui émanait de son corps. Je sentis sa respiration se saccader alors que

mon cœur battait à un rythme effréné. Nos langues ne cessèrent de se

taquiner, provoquant une montée d’excitation surprenante.

– Went…

Il s’écarta de mes lèvres à mon murmure. Nos regards se croisèrent,

hésitants, avant de s’y ancrer pleinement. Il me fixa, les yeux brillants de

désir, mais il devait se douter de la grande appréhension qui régnait en

moi. Alors que sa main allait et venait dans mon dos, je caressai ses lèvres

si tentantes.

Cet instant, pourtant tant rêvé, me fit perdre tous mes moyens. J’avais

envie de lui comme jamais je n’avais pu ressentir un tel désir. Je relevai

les yeux et vrillai un regard franc au sien. Il me fixait, les lèvres

entrouvertes. Je l’attirai à moi et n’écoutant plus que mon cœur qui battait

à tout rompre, je décidai alors de contrôler ce nouveau baiser et de me

laisser aller dans ses bras.

Laissant ma peur de côté, j’écrasai ses lèvres dans un gémissement de

plaisir, presque sauvage qui le laissait légèrement perplexe. Mais très vite,

sa langue s’insinua dans ma bouche. Possessive, elle retrouva la mienne

tandis que nous roulions sur le lit. Je souris sans cesser de l’embrasser.

Plus détendue, plus sereine, je me laissai aller contre son corps, me

167

délectant de toutes ses sensations que ses caresses produisaient en moi. Je

savais que cela pouvait paraître étrange, mais j’eus l’impression que

c’était la première fois que nous étions si intimes tous les deux.

À ce souvenir, la panique s’insinua en moi et, sans m’en rendre

compte, je me redressai vivement, lui mettant un coup de coude dans la

tête.

– Ho ! Je suis… je suis désolée, Went… Excuse-moi, je ne voulais…

– Chut… calme-toi, ce n’est rien.

À bout de souffle, je baissai les yeux et passai mes mains sur mon

visage.

Plus gauche que moi, il n’y avait pas, c’était bien connu !

J’avais tellement honte à cet instant.

– Excuse-moi… si tu…

– Ce n’est pas ça…

J’entendis son soupir, je relevai la tête.

– Dis-moi ce qu'il te fait peur ?

Je restai silencieuse, plus honteuse que jamais.

– Je sais que je me suis mal conduit.

– Mais non, ce n’est pas ça… le rassurai-je en fixant les étincelles de

ses iris.

– C’est quoi alors ? Si tu veux attendre…

– J’en ai envie, Went… et c’est ça que… je viens de te donner un coup

alors que…

Son éclat de rire m’interrompit. Je le regardai, surprise que la situation

l’amusât.

Qu’avais-je dit de si drôle ?

– Ma puce… excuse-moi, fit-il en passant ses mains sur mes joues.

– Ce n’est pas drôle, Went. Je ne sais pas si je serais à la hauteur…

je…

Il m’interrompit en posant un doigt sur mes lèvres. Son rire avait cessé,

laissant place au silence.

– Je suis sûr que tu seras parfaite… et laisse faire les choses, ma

chérie.

– J’aurais peut-être dû gagner de l’expérience pendant toutes ces

années.

Il écarquilla les yeux.

168

Quelle gourde j’étais !

– Certainement pas !

Je fronçai les sourcils à la colère qui assombrissait ses pupilles.

– Quoi ? Tu as…

– Je sais, mais… ho, bon sang, je n’y crois pas que tu parles de ça

comme s’il s’agit… Jenna ! Peu importe que tu n’aies pas d’expérience.

Puis… je suis le seul et le resterait, non ?

Mes lèvres s’étirèrent en un large sourire à la question qu’il venait de

me poser sur un ton hésitant.

– Oui… il n’y a que toi que j’ai toujours voulu. Je t’aime Wentworth,

murmurai-je contre ses lèvres avant de l’embrasser avec fougue.

Nous étions chez ses parents depuis plus d’une heure et je ne pouvais

pas m’empêcher de songer à ce qu’il s’était passé tout à l’heure, dans ma

chambre. Prêts à revivre une étreinte passionnée, son portable s’était mis à

sonner. Bien malgré moi, il avait décroché en remarquant que l’appel

venait de son ami, Dominic Price, l’acteur qui jouait son frère dans la

série JAMI.

À mon avis, celui-ci venait de se disputer avec sa femme et avait

besoin de parler à Went. Ce fut à ce moment-là que Maddy se réveilla.

J’avais donc laissé Went dans la chambre, le temps de préparer son goûter,

puis de lui donner son bain.

Il nous avait rejointes, une fois sa communication terminée.

Je n’avais pas eu la délicatesse de m’empêcher de lui demander ce

qu’il avait. C’est ainsi qu’il m’avait expliqué que la femme de son ami

demandait le divorce. C’était assez incompréhensible pour moi. Went me

disait qu’ils s’entendaient bien et qu’ils formaient une famille soudée avec

leurs quatre enfants. Je ne comprenais pas pourquoi ils parlaient donc de

se séparer.

– C’est à cause du boulot, m’avait-il répondu.

Indécise, je l’avais fixé et il avait compris que je m’inquiétais. Il

m’avait prise dans ses bras et m’avait murmuré des paroles apaisantes à

l’oreille, sous les yeux amusés de Maddy, tandis qu’un tas de questions

envahissait mon esprit.

– Hé, tu es avec nous ?

Je sursautai légèrement et redressai la tête avant de fixer Elena qui

éclatait de rire.

169

– Heu… oui, désolée, j’étais perdue dans mes pensées.

Elle me sourit en haussant les épaules. Je lançai un regard vers Went

qui parlait de son travail avec son père. Maddy était sur ses genoux et

semblait avoir sommeil. Je lui souris et passai une main dans ses boucles.

– Tu es fatiguée, ma puce ? lui demandai-je d’une voix douce.

– On devrait rentrer… proposa Went en plongeant son regard dans le

mien.

– Oh, mais nous n’avons pas encore pris le dessert.

– Maman…

– Veux une glace ! s’exclama Maddy en se redressant sur les genoux

de Went qui se mit à rire.

– On va se mettre au salon, ce sera mieux, non ? demanda Elena en

interrogeant ses parents du regard.

– Bien ! Tu nous ramènes tout ça, ma fille !

Went pouffa en voyant la grimace contrite de sa sœur à la réplique de

leur père.

– D’accord.

– Je vais t’aider, lançai-je en me levant de la chaise.

– Allez, jeune fille, on y va !

Maddy sauta sur ses pieds, tout à fait réveillée à présent. Elle se

précipita au salon avec ses grands-parents tandis que Went marchait vers

moi. Il posa ses mains sur mes hanches et m’attira contre lui.

– Je descends à la cave chercher la glace, lança Elena en roulant des

yeux. Et n’en profitez pas, tous les deux ! J’en ai pour deux minutes.

Je me mis à rire et levai les yeux vers Went. Je lui souris

amoureusement en remarquant son regard empli de désir.

– Maddy est trop gourmande.

– Ah ? Un peu comme son père, non ?

Il me sourit puis se pencha vers mon visage. Doucement, il effleura

mes lèvres du bout de sa langue.

– J’ai envie de toi… j’ai envie de rentrer… souffla-t-il en déposant des

petits baisers sur ma bouche.

Je déglutis avec difficulté à la vague de plaisir qui me submergeait. Je

fermai les paupières alors qu’il continuait ce doux supplice. Très vite, la

tentation d’approfondir ce baiser vint au-dessus de toute résistance. Mes

bras passèrent autour de son cou et je l’attirai contre moi alors qu’un

170

gémissement s’échappait de nos bouches avant qu’elles ne se soudassent

avec une fougue enivrante.

– Ah, ben je savais bien que vous alliez en profiter !

Went réprima un grognement de protestation à la voix de sa sœur, qui

venait de pénétrer dans la pièce, une bûche glacée à la main.

– Tu es sûre qu’on en aura assez avec une seule ? demanda Went en

souriant.

– Oui, voyons ! Si tu crois que je vais retourner à la cave pour que

vous continuiez à vous… à vous…

– Tu as perdu ta langue ? Ou le fil de la conversation, peut-être ?

Je donnais un léger coup à Went tandis qu’il éclatait de rire.

– Va voir ta fille au salon et laisse-nous un peu tranquilles.

Il m’interrogea du regard et je lui assurai que tout irait bien.

– OK…

Il m’embrassa tendrement, ignorant le long soupir de lassitude de sa

sœur derrière nous.

– Tu devrais y aller, gloussai-je en ayant du mal à contenir

l’amusement dans ma voix.

– D’accord. Je t’aime, souffla-t-il contre mes lèvres avant de déposer

un baiser sur celles-ci, toujours gonflées par le plaisir.

Je lui souris, lui faisant comprendre la réciprocité de son amour, et

l’observai tandis qu’il quittait la pièce. Je me tournai ensuite vers Elena

qui me fixait d’un air béat.

– Qu… quoi ? demandai-je en bredouillant.

– Qu’est-ce que tu lui as fait ? Je n’ai jamais vu mon frère aussi

souriant que ce soir… et c’est la première fois que je l’entends prononcer

ce « je t’aime »… même pas quand il était avec… oh, désolée…

– Non, c’est rien, fis-je d’une voix bredouillante, me demandant

silencieusement de qui elle voulait parler.

– Tu sais… je suis contente qu’il t’ait avoué ses sentiments. Vous

formez un beau couple tous les deux.

– Merci, Elena.

Je répondis à son sourire, légèrement indécise. Je terminai ensuite de

verser le café dans les tasses et me tournai vers elle.

– Elena ?

– Oui ?

171

Je déglutis, honteuse des questions qui se bousculaient dans ma tête,

mais je savais que si je ne lui demandais pas, Went ne m’en parlerait

jamais.

– Euh… à qui pensais-tu tout à l’heure quand tu me parlais de…

– Avec une fille qu’il a connue à Los Angeles… Tu sais… je n’avais

jamais aimé cette fille. Il l'a ramenée à la maison pendant la coupure de la

série…

– C’était sérieux ?

– Non. Elle… je pense qu’elle l’aimait vraiment, mais elle désespérait

un peu de le laisser presque indifférent à l’amour qu’elle lui portait.

Je retins un petit soupir de soulagement malgré le pincement au cœur

que j’éprouvais pour cette femme. Je savais ce que c’était d’aimer à sens

unique et il n’y avait rien de pire à cela.

– Hé ! Ne t’en fais pas. C’est terminé depuis plus d’un an.

– Mm…

– Et toi ? Tu as…

– Non.

Je la vis écarquiller les yeux à l’exclamation qui venait de franchir mes

lèvres.

– Non ? Tu veux dire que depuis tout ce temps…

Je poussai un long soupir et m’installai sur la chaise dans un

mouvement de lassitude. Elena semblait très étonnée de la nouvelle.

J’avais envie de sourire à la voir aussi dubitative.

– OK… j’ai du mal à comprendre pourquoi ?

– J’ai toujours aimé Went…

– Oui, je sais, mais tu es magnifique, belle, intelligente…

– Et mal dégourdie, continuai-je en souriant alors qu’elle hochait la

tête avant de s’installer à côté de moi.

– Je dirais que c’est ce qui fait ton charme.

Je roulai des yeux et me mis à rire en repensant au coup de coude que

j’avais malencontreusement donné à Went, tout à l’heure.

– À Paris, on dit pourtant qu’il y a de très beaux hommes.

– Oui, c’est vrai, mais…

– Et tu n’as pas craqué ?

– Non ! Une… fois…

Je soupirai et fermai les paupières une fraction de seconde avant de

172

sourire à mes souvenirs.

– Oh, raconte-moi, je veux tout savoir ! me lança-t-elle, excitée

comme une puce.

– Mais il ne sait rien passé ! lui dis-je en roulant des yeux, amusée. En

fait… c’était un médecin… je l’ai rencontré quand j’ai été hospitalisée

pour…

Je m’interrompis, consciente de mes derniers mots qui suscitaient

d’autres questions de sa part alors que je n’avais pas envie d’y répondre.

Elle m’interrogea du regard et me fit signe de la tête, m’encourageant à

poursuivre.

– C’est… en fait, il était très gentil, mignon…

– Comment il était ?

– Euh… je ne sais plus trop. Grand, brun aux yeux verts… mais pas

identique à ceux de Went…

– Tu me rassures, répliqua-t-elle en prenant un air exaspéré, ce qui eut

le don de me faire rire. Bon, alors ? Qu’est-ce qu'il s’est passé ?

– Il m’a invitée à dîner, un soir. J’ai accepté, car il avait réussi à me

persuader de me changer les idées. C’était agréable. Quand il m’a

raccompagnée, il a voulu m’embrasser et… je l’ai repoussé…

– Pourquoi ? Il avait l’air de te plaire pourtant.

– Oui… enfin, non ! Je te l’ai dit, Elena… je n’ai jamais pu oublier

Went et je ne me voyais pas du tout entamer une relation amoureuse avec

un autre…

Je m’interrompis, tentant de déchiffrer l’expression de son regard, mais

je compris qu’elle était concentrée sur quelque chose derrière moi.

Mon cœur manqua un battement.

Je me retournai et vis Went, adossé contre le chambranle de la porte, le

regard ému.

– Je… les parents vous attendent.

– Je vais porter le café, dis-je avant de me lever vivement de la chaise,

les joues rougies par la honte.

Went

– T’es vraiment pas malin, Riller !

– Désolé… je ne savais pas que c’était une conversation privée,

173

répliquai-je en m’avançant vers la table.

Je pris les assiettes et les disposai sur un plateau alors que je sentais le

regard de ma sœur posé sur moi.

– Tu sais, Went… je me demande vraiment si tu mérites tout l’amour

qu’elle éprouve pour toi.

J’écarquillai les yeux et stoppai mon geste sous l’insulte. Elle soupira

et secoua la tête, l’air désolé.

– Merci beaucoup, Elena ! C’est vraiment très sympa de ta part !

– Ne te vexe pas, mais… j’aime bien Jenna et je ne voudrais pas que

tu la fasses souffrir.

– Je l’aime beaucoup plus que toi et ne crains rien, je ne la ferai plus

souffrir. Je regrette bien assez.

– Excuse-moi. Si tu dis que tu l’aimes, je te crois alors.

Je fronçai les sourcils, peu convaincu par cette réponse.

– Qu’est-ce que tu veux dire, Elena ? lui demandai-je en vrillant mon

regard au sien.

Elle haussa les épaules, visiblement contrariée.

– Comment te le dire… elle t’aime, c’est évident, mais toi… j’avais

toujours pensé que toi et Sarah…

– Je t’en prie, la coupai-je en serrant les mâchoires.

– Went, nous en avions déjà parlé tous les deux. Tu t’es confié à moi,

tu ne l’as pas oublié ?

– Enlève-toi ça de la tête, OK ! C’est du passé. J’ai une fille et…

– Ne lui mens pas, Wentworth. Ne te mens pas non plus à toi-même !

– J’aime Jenna, Elena ! répétai-je en articulant chaque syllabe.

Elle me foudroya du regard avant de baisser la tête.

– Si tu le dis…

– Hé, attends, la retins-je en l’agrippant par le bras.

Son regard ancré au mien me déstabilisa pendant un bref instant.

– Je l’ai fait souffrir, Elena, et jamais je ne me le pardonnerai…

– Ce n’est pas en jouant cette comédie que tu te feras pardonner,

Went !

– Je ne joue pas ! m’écriai-je en serrant fermement mon étreinte

autour de son bras. Je n’aime pas Sarah, tu m’entends ? C’est Jenna que

j’aime.

– C’est faux et tu le sais. Je sais qu’au fond de ton cœur tu as toujours

174

aimé Sarah, c’est inutile de le nier parce que…

Elle s’interrompit et grimaça de douleur. Je pris conscience à cet

instant que je lui faisais mal.

Vivement, je relâchai mon étreinte, le souffle court.

– Tu es un homme bien, Wentworth. Tu tiens à assumer tes

responsabilités envers Jenna et Maddy, je peux le comprendre, mais tu ne

seras jamais pleinement heureux…

– Stop ! m’écriai-je avant de serrer les lèvres de colère. Tu ne

comprends pas, Elena.

Les larmes aux yeux, elle secoua la tête et s’éclipsa de la pièce, me

laissant seul avec cette dernière remarque qui hantait ma tête.

Celle-ci résonnait toujours en moi lorsque nous fûmes rentrés. Maddy

dormait dans mes bras et je la montai à l’étage, Jenna derrière moi.

La soirée s’était bien déroulée, mais tout le monde pouvait voir que ma

sœur et moi étions contrariés après notre retour de la cuisine. Jenna ne

m’avait pas interrogé, bien trop pensive après l’appel téléphonique de

Sébastien. Son frère avait appelé chez mes parents et mes doutes se

confirmaient encore un peu plus dans mon esprit.

Oui, j’étais pratiquement sûr qu’il savait pour Jenna et moi…

J’embrassai ma fille sur le front et la recouvris avant de m’écarter,

laissant Jenna lui souhaiter une bonne nuit. Nous descendîmes dans la

cuisine.

– Tu veux que je fasse du café ?

Je la fixai, surpris par sa proposition alors qu’elle entreprenait déjà de

mettre de l’eau dans la cafetière.

– Jenna ?

– Mm ?

– Il est plus de minuit. Tu ne vas quand même pas boire du café

maintenant ?

Elle haussa les épaules et plongea son regard dans le mien.

– OK, lança-t-elle en stoppant la préparation.

Je m’avançai lentement vers elle, constatant qu’elle était angoissée.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Rien, souffla-t-elle en baissant les yeux. C’est juste que je n’arrête

pas de me poser des questions sur Sébastien. Je pense qu’il se doute de

quelque chose et je n’aime pas.

175

– Hé, la coupai-je en prenant ses mains dans les miennes. Séb n’est

pas idiot, je pense qu’il a des doutes aussi, mais ça ne doit pas t’empêcher

de dormir, OK ?

– Tu rigoles ? Je lui ai caché la vérité, Went ! Il ne me le pardonnera

jamais.

– Bien sûr que si. Ton frère t’aime plus que tout, Jenna…

– Il va te détester !

– C’est donc ça qui t’inquiète ?

Elle ne répondit pas. Je soupirai et l’attirai contre moi. Je fermai les

paupières tandis qu’elle refermait ses bras autour de mon cou.

– Il comprendra, Jenna. Et il sera rassuré de savoir que ce n’est que

moi.

Elle pouffa pendant une seconde puis s’écarta de mon étreinte en

secouant la tête.

– Si je suis partie il y a cinq ans, c’est parce que je ne voulais pas vous

détruire tous les deux.

– Ça suffit, Jenna. Nous avons encore deux jours pour y penser.

– Je sais.

Elle ancra son regard au mien et vint se blottir dans mes bras. Je la

serrai tout contre moi. Elle releva ensuite la tête et, n’y tenant plus, je

l’embrassai.

Elle répondit avec ferveur à mon baiser. Je l’enlaçai plus étroitement,

réprimant un gémissement de plaisir alors qu’elle approfondissait notre

échange. Nos langues se firent plus exigeantes, plus fougueuses tandis que

je laissai une de mes mains s’aventurer sur son corps.

Je la sentis fébrile et tremblante d’émotions. À bout de souffle, je mis

fin au baiser avant d’embrasser son visage, déposant de légers baisers,

partant de sa mâchoire jusqu’à son oreille.

– Went…

Je redressai la tête et fus ému de voir l’éclat de ses pupilles s’ancrer

aux miennes. Je la serrai contre moi et posai mon front contre le sien. Là,

contre toute attente, elle reprit mes lèvres avec fougue. Une nouvelle

vague de chaleur m’engloutit alors que je ressentais un sentiment de

satisfaction.

– On… soufflai-je contre ses lèvres avant de m’écarter légèrement. On

devrait monter…

Elle me répondit par un léger sourire avant de hocher la tête.

176

Dans un mouvement vif, je la soulevai dans mes bras et l’embrassai à

nouveau jusqu’à ce que nous fussions arrivés dans sa chambre.

Pantelante dans mes bras, je la déposai sur le lit et la contemplai avant

de constater que des larmes perlaient au coin de ses paupières.

– Tu es sûre ? demandai-je d’une voix mal assurée. Parce que… si tu

me dis oui, je ne pourrai bientôt plus m’arrêter.

Ses yeux brillèrent d’un éclat incandescent alors qu’elle hochait la tête

en signe d’acquiescement. Je me perdis dans l’intensité troublant de son

regard tandis qu’elle s’accrochait à moi.

Je restai immobile, essayant de comprendre ce qu'il se passait dans sa

tête, mais très vite, le sourire qu’elle m’offrit et le contact de ses mains sur

ma chemise qu’elle entreprit de déboutonner me rassurèrent.

N’y tenant plus, je l’attirai à moi avec violence et plaquai ma bouche

contre la sienne. Ma langue se fit possessive, brutale, mais je pris peu à

peu conscience que je devais mettre un frein à mes ardeurs, je ne voulais

pas la brusquer.

C’est alors que mon baiser se fit plus doux, plus subtil tandis qu’elle

terminait gauchement de m’ôter ma chemise avant de l’envoyer valser

dans la pièce.

Ses doigts sur ma peau me brûlèrent agréablement…

– Jenna…

– Fais-moi l’amour, Went…

– Chut… nous avons tout le temps, soufflai-je en plongeant mon

visage dans son cou.

Elle me fixa, visiblement contrariée par ce que je venais de dire. Je

caressai ses lèvres de mon pouce tandis que ses mains glissaient le long de

mon torse. Je frémis à la vague de désir encore plus forte.

– Tu es si belle, murmurai-je en passant mes mains sous son haut.

Je sentis sa peau frissonner à mon contact. Je souris, satisfait de lui

rendre la monnaie de sa pièce.

Incapable d’attendre plus longtemps, je me mis à la déshabiller avec

des gestes experts. Son pantalon et son soutien-gorge tombèrent sur le sol,

quelques minutes plus tard alors que nos bouches se cherchaient. Puis, je

m’écartai légèrement pour la contempler, mais elle croisa ses bras sur sa

poitrine en un réflexe de pudeur. Doucement, je saisis ses poignets et les

écartai, libérant les globes parfaits de ses seins appelant mes caresses.

Les joues en feu, elle murmura mon nom…

177

N’y tenant plus, je caressai son visage d’une main tandis que l’autre se

posa sur sa hanche. Je ne voulais pas qu’elle ressentît de la peur ou qu’elle

ait des doutes. Je me penchai vers sa poitrine et lui donnai une myriade de

baisers, titillant du bout de ma langue ses bouts rosés.

Satisfait des petits soupirs qui s’échappaient de ses lèvres, je redressai

la tête et l’embrassai avec une fougue non soutenue jusqu’à ce que le désir

de nos corps s’enflammât…

178

14

TROUBLES

Jenna

J’inspirai profondément pour mieux m’enivrer du parfum de sa peau

virile, mêlé à celui de son eau de toilette. De ses mains possessives, il

commença alors à me caresser, comme s’il voulait explorer chaque

centimètre de mon corps, imprimant sa marque sur ma chair. Puis, ses

doigts s’aventurèrent jusqu’au cœur de ma féminité, portant au paroxysme

l’émotion bouleversante qui se déchaînait en moi. D’un geste lent et

assuré, il ôta le dernier tissu que je portais et revint au-dessus de mon

corps tremblant. Ses doigts vinrent alors reprendre ses douces caresses. Je

me cambrai, haletante, pour mieux l’accueillir en moi.

– Jenna… tu me rends fou… souffla-t-il, reprenant mes lèvres avant

de redresser la tête.

Je souris, ailleurs.

C’est alors que mon regard croisa le sien avant de se porter sur le

sachet qu’il tenait entre les doigts. Hésitante, je le pris et lui souris,

étonnée par moi-même.

Il se pencha vers moi et m’embrassa. Je le repoussai et fermai les

paupières avant de les rouvrir. Je ne pouvais pas interrompre cet instant

magique, celui dont j’avais toujours rêvé. Je devais mettre tous les doutes

que j’éprouvais encore dans le fin fond de mon âme. J’avais si peur d’être

maladroite que je stoppai mon geste. Il me rassura et me reprit le

préservatif des mains.

– Je t’aime…

Il ne me laissa pas le temps de lui répondre, sa bouche fondit sur la

mienne. Je répondis à son baiser avec avidité, m’accrochant à ses épaules.

Nos jambes se mêlèrent, nos souffles se confondirent, nos respirations

s’accélèrent. Incapables désormais de contrôler les forces irrépressibles

qui nous poussaient l’un vers l’autre, nous nous enlaçâmes avec passion.

179

– Viens, le suppliai-je, haletante. Maintenant…

Je le sentis trembler, luttant un instant contre lui-même, puis il

s’abandonna au désir qui nous submergea tous les deux, aussi puissant

qu’une lame de fond. Mes jambes entourèrent ses hanches dans un geste

instinctif.

– Went…

– N’aie pas peur, me dit-il doucement.

Il avait dû lire l’appréhension dans mon regard, car il me rassura,

reprenant notre baiser où il s’était arrêté. Après une multitude de caresses,

toutes aussi enivrantes les unes que les autres, il plongea son regard dans

le mien, plus intense que jamais, et entra en moi…

Sans ouvrir les paupières, je m’étirai dans le lit et étouffai un

gémissement de douleur. J’ouvris les yeux et restai un instant interdite

alors que je me demandais si tout cela n’était pas qu’un rêve, si tout ne

provenait pas une fois de plus de mon imagination.

Légèrement troublée, je me redressai et observai autour de moi. Les

sourcils arqués d’étonnement, je découvris le champ de bataille du lit et

souris avant de me laisser retomber lourdement sur le matelas.

– Tu es réveillée ?

Je sursautai à la voix douce et agréable de Went qui entra dans la

chambre, uniquement vêtu de son jean. Je ne pus détacher mon regard de

son corps si tentant. Je l’observai alors qu’il pouffait en posant le plateau

du petit-déjeuner sur la commode.

Lentement, il s’installa sur le bord du lit et je n’eus qu’une envie : me

jeter dans ses bras pour l’embrasser fougueusement afin de le remercier

pour la nuit inoubliable que nous venions de passer.

– Bonjour, mon ange, fit-il avant de se pencher sur mes lèvres pour

m’embrasser.

– Salut…

Il esquissa un sourire amusé. Mes joues s’empourprèrent derechef. Il

colla son front au mien et je répondis à son sourire.

– Tu as bien dormi ?

Je hochai la tête, incapable de prononcer le moindre son, le moindre

mot alors que mon regard ne se détachait plus de ses lèvres. Je l’aimais si

fort, si puissamment, que je me demandais si tout l’espoir que je gardais

en moi n’allait pas me faire faux bond à nouveau.

180

Je ne pourrais plus supporter un autre échec, plus maintenant alors que

mon cœur lui appartenait pleinement. Je me fis violence pour repousser

mes tristes craintes et écoutai cette petite voix au fond de moi qui me

bousculait. Je souris à cette pensée et constatai à cet instant la brillance de

la paire d’yeux devant moi… si proche.

Je me perdis irrémédiablement dans cet éclat de lumière azur. Je ne

saurais dire qui de nous deux venait de faire le premier geste envers

l’autre, mais nous nous retrouvâmes enlacés à nous embrasser éperdument

tandis que je refoulais toutes les questions sur l’avenir qui venaient de

prendre place dans mon esprit.

À bout de souffle, nous dûmes mettre fin à notre étreinte. Troublée par

le brouillard passionnel qui venait de s’emparer de moi, je fermai les

paupières et inspirai profondément tandis qu’il riait dans mon cou.

– Maman…

– Merde ! étouffai-je en ramenant la couverture sur mon corps.

– J’ai oublié de fermer…

Je déglutis et réprimai l’envie de me mettre à rire à la vue du visage de

Went qui pâlit lorsque la porte s’ouvrit tout doucement. Je regardai ma

petite Maddy qui avançait vers nous, plongeant son regard encore tout

ensommeillé dans le mien.

– Bonjour, ma puce.

– Bonj… pourquoi t’es là, papa ?

Perplexe, il écarquilla les yeux.

– Euh…

– T’as fait un cauchemar ? Tu voulais que maman te fait un câlin ? lui

demanda Maddy.

– Non, ma puce… ce n’était pas un cauchemar, répondit-il alors que je

pouffais.

– Viens là, ma chérie, murmurai-je en la ramenant vers moi. Ton papa

n’a pas fait de cauchemars, il a juste… dormi avec moi.

– Oh, répondit-elle en souriant. J’ai faim, papa.

Went se mit à rire, amusé par le don qu’elle avait de passer du coq à

l’âne. Il lui tendit les bras en la regardant avec tendresse.

– On va aller te préparer ton petit-déjeuner, ma chérie.

– Je peux avoir des cakes au Nutella ?

– Il en reste dans le four, dis-je à Went qui me lançait un regard

181

interrogateur.

– OK, alors allons-y, s’exclama-t-il en serrant Maddy dans ses bras.

Tu nous rejoins ?

Je répondis d’un hochement de tête et souris alors qu’il se penchait sur

moi afin de déposer un rapide baiser sur mes lèvres. Je soutins son doux

regard où je lus la frustration dans le fond de ses pupilles. Je souris, mi-

amusée, mi-frustrée également, et l’observai tandis qu’il quittait la pièce

avec notre fille.

Une demi-heure plus tard, je sortis de la douche, un grand sourire sur

les lèvres, et allai les rejoindre à la cuisine.

– Maman ! On pourra aller au parc aujourd’hui ? me demanda Maddy.

Je levai les yeux vers Went qui haussait les épaules.

– Je ne sais pas, ma chérie. Il fait très froid.

– Mais je veux aller… y’a encore le papa Noël…

– Mais non, Maddy, le Père Noël ne sera pas là, tu l’as vu hier…

– J’ai oublié de demander quelque chose, répondit-elle dans une moue

attendrissante.

Je soupirai alors que Went s’approchait d’elle. Il s’agenouilla à sa

hauteur et lui demanda :

– Qu’est-ce que tu as oublié de lui demander ?

– Je peux pas te le dire, mais faut que je vois le Père Noël !

– Je peux t’aider si tu me dis ce que c’est…

– Non ! s’écria-t-elle, colérique.

– Maddy ! l’enguirlandai-je, furieuse.

– Je veux le Père Noël, je te dis !

– Ma chérie…

– Il n’y a pas de « je veux » ! Va dans ta chambre pendant dix minutes.

– Non ! lança-t-elle en croisant les bras sur son torse.

– Obéis à ton père, Maddy ! intervins-je malgré mon trouble.

Je les observai tandis qu’ils se défiaient quelques instants du regard.

J’avouai que je ne savais pas comment m’y prendre avec elle parfois. Cela

faisait plusieurs jours qu’elle se comportait de cette façon et elle savait

pertinemment que cela ne me plaisait pas.

Soudain, alors qu’un silence pesant envahissait la pièce, notre fille se

releva, les yeux emplis de larmes, et quitta la pièce. Mon cœur se serra

dans ma poitrine. J’essayai de faire un geste pour la suivre, mais Went

182

m’en empêcha.

– Laisse-la, Jenna.

– Elle… tu as raison, répondis-je en soufflant. Je déteste la voir si…

– Jenna, m’interrompit-il en prenant mon visage entre ses mains.

Avant que tu n’arrives, elle venait de me dire qu’elle avait déjà tout

demandé ce qu’elle voulait…

– Quoi ? Mais alors…

– Je ne sais pas pourquoi elle prétend maintenant avoir oublié quelque

chose… mais c’est peut-être tout simplement une excuse pour aller au

parc.

Je soupirai et levai les yeux au plafond. Je reconnaissais bien là

Maddy, prête à tout pour obtenir ce qu’elle voulait de moi.

– C’est une chipie.

– Je sais.

– J’ai l’impression de voir une brève partie de ton caractère en elle,

souffla-t-il en souriant avant de poser ses lèvres contre les miennes.

J’écarquillai les yeux et le repoussai légèrement afin qu’il

approfondisse un peu plus.

– Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

– Quoi ?

– Ce que tu viens de dire ? insinuerais-tu que j’ai tout fait pour obtenir

ce que je voulais ?

– Ce n’est pas ce… désolé, murmura-t-il en grimaçant. Excuse-moi,

ma puce, ce n’est pas du tout ce que je voulais dire.

Je le fixai, le défiant un instant du regard, et compris à la lueur de ses

pupilles qu’il était vraiment désolé. Je lui souris et poussai un long soupir.

– OK.

– Tu me pardonnes ? me demanda-t-il en m’attirant contre lui.

– Comment veux-tu que je te dise non avec ce regard-là ? murmurai-je

avant que nos lèvres se scellent en un long et doux baiser…

Lorsque Went avait levé la punition de Maddy, cinq minutes plus tard,

elle avait décidé d’abandonner l’idée de nous rendre au parc. Bien sûr, elle

avait autre chose en tête.

C’est ainsi que nous venions de passer la journée avec les parents de

Went. Anna nous avait invités à dîner et, malgré la tentation de refuser,

183

j'avais accepté en voyant Maddy et Elena me faire les yeux doux.

J’étais épuisée, sans compter que ce rhume ne m’avait toujours pas

quittée. Went alla mettre notre fille au lit et j’en profitai pour ranger la

cuisine lorsque mon regard se porta sur le répondeur qui clignotait.

À pas lents, je me dirigeai vers la console et appuyai sur le bouton de

la messagerie.

« Vous avez deux nouveaux messages

Aujourd’hui à 15 h 35 — Jenna… salut, c’est moi. Je voulais

seulement te rappeler de dire à Went de venir me chercher à l’aéroport

demain, dans l’après-midi. J’atterris vers quinze heures… (Il soupira)

Sinon, ici tout va bien, il me tarde de rentrer à la maison. J’espère que ma

nièce préférée va bien ? Bon, je dois te laisser… je t’embrasse, sœurette. »

Les mains tremblantes, je pressai le bouton pour écouter les autres

messages.

Second message :

« Aujourd’hui à 19 h 38 — Jenna, tu n’es pas encore là ? ! Écoute… je

ne sais pas comment te dire ça, mais… je ne pourrais pas rentrer demain

comme convenu et… tu ne vas pas aimer ce que j’ai à te dire, mais je ne

pourrai pas passer Noël avec vous. Appelle-moi dès que tu rentres, s’il te

plaît… Je t’aime. »

Indécise et soucieuse à l’écoute de ce dernier message, je m’adossai

contre le mur en soupirant lorsque Went pénétra dans la pièce.

– Hé, ça va ? Maddy s’est endormie, elle avait l’air épuisée.

– Oui, il faut dire qu’Elena n’a pas arrêté de la faire jouer, répondis-je

en souriant tandis qu’il s’avançait vers l’évier.

– Tu vas bien ? Tu as l’air un peu fatigué aussi, non ?

– Non, non… je vais bien. C’est juste que je m’inquiète un peu.

De suite, il vint me rejoindre près du téléphone et écarta une mèche de

mon visage.

– Dis-moi ce qui t’inquiète, mon ange ?

– Sébastien a laissé deux messages… le dernier est assez inquiétant,

184

écoute.

Je me tournai vers le répondeur et fis repasser le second message de

mon frère. Tandis que Went l’écoutait, j’observai les traits de son visage et

lui tendit ma main qu’il réclamait.

– Tu veux que je le rappelle ?

– Non, je vais le faire.

– OK, souffla-t-il avant de m’embrasser tendrement. Je vais prendre

une douche, je sens encore la limonade au citron que Maddy a renversé

sur moi.

Je me mis à rire et répondis à son dernier baiser avant qu’il ne quittât la

pièce. Une fois seule, je laissai un long soupir s’échapper de mes lèvres et

m’installai sur la chaise en composant le numéro de Sébastien. J’attendis

quelques secondes puis, au moment où j’allais mettre fin à l’attente, le

cliquetis du décrochement à l’autre bout de la ligne se fit entendre.

– Séb ? C’est moi.

– Oh, Jenna !

– Désolée d’appeler si tard, mais… je viens de rentrer et j’ai eu ton

message. Tout va bien ?

– Euh ouais… ça va.

Surprise par le ton de sa voix, je fronçai les sourcils et restai un court

instant silencieuse avant de lui demander :

– Qu’est-ce qui se passe, Séb ?

– Rien…

– Rien ? répétai-je. Tu laisses un message, racontant que tu ne seras

pas là pour les fêtes, et…

– Je sais. Excuse-moi, attends une seconde, s’il te plaît.

De plus en plus décontenancée, j’écarquillai les yeux et restai indécise

un instant alors que j’entendais quelques chuchotements. Il n’était pas

seul…

– Jenna ?

– Oui, je suis là. Je te dérange peut-être ?

– Non… écoute… je ne sais pas comment te dire ça, mais j’ai… enfin,

j’ai rencontré une vieille connaissance et comme elle reste ici pendant une

semaine…

– Tu aimerais passer le reste du temps avec elle ? Qui c’est ? Je la

connais ? l’interrogeai-je, le sourire aux lèvres, complètement rassurée.

185

– Non ! Non, tu ne la connais pas. Écoute, je suis désolé de…

– Hé ! Ne t’en fais pas, je comprends.

– Je sais que tu comprends, Jenna, mais ça m’embête de vous laisser

toutes seules pour les fêtes.

– Nous ne sommes pas seules, Sébastien. Nous sommes invités à

passer le réveillon chez les Riller.

– Ah, ben ouais !

Je fronçai les sourcils à cette exclamation qui m’avait tout l’air d’un

léger sarcasme.

– Qu’est-ce que tu as ? Tu es fâché ? demandai-je, troublée.

– Fâché ? Pourquoi serais-je fâché ? Y aurait-il une raison pour que je

le sois ?

– Euh… en fait, il faut que je te parle et…

– Arrête, Jenna. Pas maintenant, s’il te plaît.

De plus en plus déconcertée, je laissai un soupir de lassitude passer

mes lèvres.

– D’accord.

– Je vais devoir te parler également à mon retour, p’tite sœur.

– D’accord. Je t’aime, Sébastien, murmurai-je, décontenancée.

– Moi aussi, ma sœurette…. Écoute, je vais essayer d’être là le jour de

Noël, mais je ne te promets rien. Je t’appellerais de toute façon, OK ?

– Mm… OK. Je te passerai un coup de fil demain dans la soirée.

– Super. Embrasse ma nièce, tu veux ?

– Bien sûr.

– Salue Went également et rappelle-lui que nous devons discuter tous

les deux.

– Euh… oui, bien sûr. Je lui dirai, répondis-je alors qu’il se mettait à

rire.– À demain. Prends soin de toi.

Je n’eus pas le temps de répondre qu’il raccrocha.

Perplexe, je restai un instant, assise sur la chaise de la cuisine, le

combiné à la main. Puis, je me levai et continuai à mettre un peu d’ordre

dans la pièce, plongée dans mes pensées.

Une fois terminé, je me rendis au premier, ayant la certitude que mon

frère n’allait pas être enchanté de connaître toute la vérité.

Arrivée à l’étage, je mis fin à mes sombres pensées et pénétrai dans la

186

chambre de Maddy. Doucement, je m’avançai près de son lit et esquissai

un sourire à la vue de mon petit ange endormi. Je me penchai sur elle et

l’embrassai sur le front avant de la recouvrir.

Prenant soin de ne pas faire de bruit, je sortis de la pièce sur la pointe

des pieds.

Dans ma chambre, la lueur de la lune passait à travers les stores,

éblouissant la pièce d’un halot de lumière doux, créant ainsi une ambiance

chaleureuse et sensuelle. Went était encore sous la douche à en juger par

le bruit de l’eau qui coulait toujours. Je me mis à déglutir avec difficulté à

l’idée qui passait dans mon esprit, éveillant mon désir. Je fis un pas vers la

salle de bain puis reculai de deux, complètement hésitante à cause du

manque de confiance en moi que j’avais.

C’est alors que je restai là, près de la fenêtre, à contempler les flocons

de neige qui virevoltaient à l’extérieur. Immobile, je fermai les yeux et

soupirai légèrement, imaginant le corps nu de Went sous les jets de la

douche lorsqu’il m’appela.

– Jenna ?

– Oui ?

– Viens…

– Euh… OK, j’arrive.

Je m’approchai de la porte et inspirai profondément avant d’entrer. Je

levai les yeux et souris à sa vue. Il sortait de la cabine de douche, une

serviette nouée autour de ses hanches… terriblement sexy.

– Tout va bien ?

– Euh… oui… en fait, il ne rentre pas pour les fêtes, car il a rencontré

une vieille connaissance. Il ne veut pas me dire de qui il s’agit, mais il

m’avait l’air d’être bien au téléphone.

– Tout va bien, alors…

– Oh, oui. Il m’a dit aussi que je devais te rappeler que vous devrez

avoir une conversation tous les deux. Tu crois qu’il se doute ? J’en suis

sûre… répondis-je moi-même. Il était bizarre tout à l’heure quand il m’a

dit de te saluer et puis… je n’en sais trop rien. Toute cette histoire me

fatigue, pour être honnête. Je n’ai pas envie de lui mentir plus longtemps

et je….

Je m’interrompis au contact de ses doigts sur mes lèvres. Je levai la

tête et ancrai mon regard au sien. Très vite, je fus prise d’un vertige à

l’intensité de ses iris tandis qu’il caressait mes lèvres de ses pouces.

187

– Tout va bien, ne pense pas à tout ça maintenant…

– D’accord, répondis-je aussitôt dans un souffle.

Nos regards restèrent plantés dans les pupilles brillantes de désir de

l’un et l’autre. Puis, je portai le mien sur ses épaules où des gouttelettes

stagnaient sur sa peau. Mon cœur s’emballa rapidement, mon souffle se fit

de plus en plus court alors que j’observai enfin son visage qui s’approchait

du mien.

– Viens avec moi… souffla-t-il en m’entraînant vers la cabine de

douche.

J’écarquillai les yeux et ouvris la bouche pour refuser, mais mon

trouble s’intensifia lorsque ses mains revinrent près de mon visage.

– Laisse-toi aller, mon ange, murmura-t-il en prenant possession de

mes lèvres.

Je fermai les yeux à la vague de frissons qui électrisa mon corps tout

entier à ce baiser ardent. Répondant avec la même fièvre, je nouai mes

bras autour de son cou et me laissai aller dans ses bras… tout contre lui,

jusqu’à ce qu’il s’écartât de moi soudainement.

J’étouffai un juron lorsque je compris son mouvement de recul. Maddy

pleurait. Went alla la rassurer puis me rejoignit dans la pièce où nous nous

aimâmes à nouveau.

Une semaine venait de s’écouler et comme je m’y étais attendue,

Sébastien n’avait pas donné de nouvelles. J’étais inquiète, mais je savais

qu’il allait bien et le dernier coup de fil – datant du soir de Noël — me

rassurait. Celui-ci avait discuté plus d’une heure avec Maddy au sujet des

cadeaux qu’elle avait reçus de la part des Riller. J’avais au préalable,

prévenu ma fille de ne pas dire à son oncle que Went était son père et je

soupçonnais d’ailleurs mon frère d’éviter le sujet « Went ».

– Je peux savoir à quoi tu penses, ma chérie ?

Je relevai le visage et fixai le regard bleu azur qui me scrutait d’un air

amusé. Je secouai la tête et répondis à son sourire avant de me lever de ma

chaise.

– Oh, rien. Je pensais juste au soir du réveillon, répondis-je en

m’approchant vers lui.

– Ah… et à quel moment en particulier ? Quand nous étions chez mes

parents ou… quand nous sommes rentrés ? demanda-t-il en me soulevant

dans ses bras.

188

– Arrête un peu ! répondis-je en riant. Où est la petite ?

– Elle s’amuse avec Elena dans la chambre. Tu sais que tu es légère,

toi ?

Je le repoussai, il me reposa au sol.

– Tu ne te plains pas quand ça t’arrange !

Je le vis hausser un sourcil avant de s’avancer d’un pas menaçant vers

moi.

– Ce n’est pas ce que je voulais dire, Riller ! Lâche-moi, mon cœur.

– D’accord, souffla-t-il en s’écartant, l’air vexé.

Je roulai des yeux.

Qu’il pouvait être infernal quand il s’y mettait !

Par moment, je le comparai à Maddy, à sa façon de faire la moue

quand je refusais de lui donner ce qu’il voulait. Mais comme toujours, la

culpabilité me serra le cœur et je m’avançai vers lui, le sourire aux lèvres.

Il resta impassible pour me punir tandis que j’embrassai son cou. Il ne

montrait aucune réaction et je sentis l’irritation me gagner lorsque

j’aperçus un semblant de sourire se dessiner au bord de ses lèvres.

Je me levai alors sur la pointe des pieds et l’embrassai d’un doux

baiser. Rapidement, il referma ses bras autour de mon corps et

m’embrassa avec fougue.

– Mm… Jenna…

Je souris contre ses lèvres et écartai légèrement mon visage du sien,

mettant fin à notre baiser ardent. Nos regards s’affrontèrent un instant puis

nous nous sourîmes amoureusement alors que nous savions pertinemment

que le désir de ne faire plus qu’un était devenu omniprésent.

– On devrait aller voir si Maddy…

– Elle n’est pas seule, ma puce, souffla-t-il en enroulant une mèche de

mes cheveux autour de ses doigts.

– Je sais, mais on devrait voir si elle est prête… on doit aller chez

Jack, non ?

– On ne pourrait pas repousser à demain soir ? demanda-t-il en collant

son front au mien.

– Si tu y tiens, mais Maddy sera probablement déçue.

– Hum… oui, tu as raison.

Nous nous sourîmes, amusés, lorsque la porte de la cuisine s’ouvrit en

grand dans un boucan infernal. Par réflexe, je me tournai vers les cris de

189

Maddy et les éclats de rire d’Elena.

– Mais… qu’est-ce que vous avez fait ? demandai-je avant d’éclater

de rire à la vue du visage d’Elena, recouvert de peinture.

– J’ai maquillé tante Elena, papa !

– Oh, oui je vois ça, murmura-t-il dans mon cou en étouffant un rire.

– Euh… tu t’es vue dans une glace, Elena ?

– Ben oui, c’est pourquoi je lui ai promis que si je l’attrape, je lui fais

manger un tube de dentifrice !

– Essaie de t’en prendre à ma fille pour voir, rétorqua-t-il, menaçant.

– Mais tu as vu ce qu’elle m’a fait ? Même dans un cirque je ne serais

pas acceptée !

– Tu t’es laissé faire, rétorqua Went en haussant les épaules. Tu es

l’adulte ici, elle n’est qu’une enfant donc tu n’as pas à te plaindre sur les

conséquences de ses actes, surtout que… elle a essayé de t’arranger un

peu.

J’éclatai de rire alors que Maddy sautait dans les bras de son Went.

Elena tira la langue et me fit un clin d’œil complice tandis que le père et la

fille se murmuraient des secrets à l’oreille.

– Maddy ?

– Oui ?

– Il est l’heure d’aller te laver si tu veux manger chez Jack.

– Ah super ! Tu peux me donner mon bain, papa ?

– Bien sûr.

Went m’embrassa et installa Maddy sur ses épaules avant de se tourner

vers sa sœur.

– Désolé, mais ne m’en veux pas si je ne t’embrasse pas, hein !

Maddy pouffa, ravie que son père taquinât Elena. Celle-ci lui tira la

langue avant qu’il sortît de la cuisine avec notre fille.

– J’adore ton sens de l’humour, Riller ! hurla-t-elle alors que la porte

se refermait.

– Vous êtes tout le temps en train de vous chamailler tous les deux,

remarquai-je en souriant.

– Hé oui. Mais c’est lui qui me cherche toujours ! Enfin… ça dépend.

Je me mis à rire et allai ouvrir le placard. J’en sortis deux verres.

– Une limonade ?

– Ce n’est pas de refus. Merci, Jenna. Alors ? Tu as eu des nouvelles

190

de ton frère ?

– Non, pas pour l’instant.

– Mm… c’est bizarre, non ?

– Je ne sais pas. La dernière fois au téléphone, il avait l’air d’être

content.

– Tu penses qu’il a rencontré quelqu’un ?

– Oui, mais il n’a rien voulu me dire.

– Hum…

Je fronçai les sourcils, constatant qu’elle était perdue dans ses pensées.

Je terminai mon verre de limonade, l’observant quelques secondes avant

de soupirer longuement.

– Tu vas bien ? lui demandai-je, soucieuse de la voir si pensive.

– Oh, oui. Je réfléchissais, c’est tout. Alors, dis-moi ? Mon frère et toi

avez pris une décision ?

– À quel propos ? demandai-je en fronçant les sourcils.

– Ben, pour vous, pardi ! Tu sais bien qu’il doit retourner à Los

Angeles pour son travail dans moins d’une semaine, maintenant.

– Mm… on n’en a pas encore discuté…

– Je vois… bon, je vais me préparer avant que Went redescende et se

fiche de moi à nouveau.

– D’accord.

Le sourire aux lèvres, je la remerciai de s’être occupée un peu de

Maddy et la raccompagnai à la porte.

Une fois seule dans le salon, j’inspirai profondément, tentant d’effacer

toutes les questions qui revinrent dans mon esprit. Elena avait raison, nous

aurions dû en parler. Je n’aurais pas dû éviter ce sujet de conversation…

mais il y avait tellement de choses qui posaient problème.

Maddy commençait seulement à apprécier la nouvelle vie qu’elle

menait, ici, dans notre maison à New York. Séb n’était toujours pas au

courant de la vérité et j’avais vraiment envie de concrétiser ce projet pour

la bibliothèque.

Went

Je n’arrivais pas à cesser de m’inquiéter du silence de Jenna. Depuis

notre arrivée chez Jack, elle restait dans son mutisme, perdue dans ses

191

pensées, et répondait aux questions de mes parents par des hochements de

la tête. De plus, elle était pâle comme jamais et avait à peine touché à son

assiette.

– Maman ? Je peux avoir ta pizza ?

J’esquissai un sourire amusé. Si Jenna n’avait pas d’appétit, notre fille

l’avait pour deux.

– Bien sûr, ma puce.

Je plissai le front, soucieux tandis qu’elle disposait sa part dans

l’assiette de Maddy.

– Tu ne vas pas tout manger, Maddy ! lui demandai-je en secouant la

tête avant de sourire, amusé de la voir admettre le contraire d’un

hochement de tête.

– Mais laisse-la manger, cette petite !

– Maman, Went a raison, elle a déjà mangé le sien et… Jenna ? lança

ma sœur.

Je tournai la tête vers Jenna et l’inquiétude monta d’un cran à la vue de

son visage blanchir.

– Hé, tu ne te sens pas bien ?

– Si… j’ai juste du mal à digérer, ça va.

Je ne crus pas une seule seconde à cette explication. Je fixai un instant

Elena qui devait penser la même chose que moi et lançai un regard vers

mes parents qui avaient l’air inquiet également. Alors que je passais un

bras autour de la taille de Jenna, ma mère reposa ses couverts et chercha

son regard.

– Oui, tu es toute pâle.

– Non, je vous rassure… excusez-moi une minute.

– Bien sûr.

– Je t’accompagne, intervins-je en m'apprêtant à me lever.

– Non, non… j’arrive, ne t’en fais pas.

Je restai immobile, surpris par ce refus. Elle me sourit, histoire de me

rassurer, et se faufila jusqu’au fond de la salle.

Tous les regards se tournèrent vers moi.

– Quoi ?

Elena haussa les épaules et baissa la tête.

– Maman est malade ?

J’esquissai un sourire à l’adresse de ma fille qui paraissait inquiète.

192

– Je ne sais pas, mon trésor.

– Tu devrais peut-être t’en assurer, me fit mon père.

Je hochai la tête, mais avant même que je me lève, ma sœur me

devança.

– Laisse, je vais y aller.

– OK.

J’observai silencieusement ma sœur qui emprunta le même chemin que

Jenna jusqu’aux toilettes.

– Hé, fiston ?

– Hum ?

– Qu’est-ce qui ne va pas ?

– Je ne sais pas… ça doit être le stress.

– Elle s’inquiète certainement pour Sébastien, non ? demanda ma

mère en croisant mon regard.

– Je ne sais pas…

Le silence retomba autour de notre table.

Du coin de l’œil, je constatai que ma mère callait à la moitié de son

repas tandis que mon père dévorait le restant de la part de pizza que

Maddy venait de laisser avant de se faufiler vers l’aquarium.

Ce fut à cet instant que Jack s’arrêta à notre table, un large sourire aux

lèvres, comme à son habitude.

– Tout va bien ?

– Oui, Jack. Merci, la petite a adoré.

– Il n’y a pas que Maddy, à mon avis, lança ma mère d’un ton amusé

en levant les yeux vers mon père.

Jack se mit à rire et se disait satisfait de la soirée. Nous discutâmes

quelques minutes puis Maddy revint, la mine apeurée. Surpris, je la serrai

instinctivement dans mes bras alors qu’elle se jetait sur moi.

– Qu’est-ce que tu as, ma puce ?

– J’ai peur… le monsieur là-bas… continua-t-elle en sanglotant.

– Oh, calme-toi, ma puce, répondis-je doucement en essayant de

desserrer ses bras autour de mon cou pour voir son regard. Maddy,

regarde-moi, ma chérie… chut, ne pleure pas.

Je tentai d’obtenir l’attention de son regard, mais elle s’obstinait à

garder son visage dans mon cou. Doucement, je le pris entre mes mains et

déposai un baiser tendre sur son front. Mes parents, ainsi que Jack

193

s’inquiétèrent, mais ils me laissèrent questionner ma fille.

– Je suis là, dis-moi ce qui t’a fait peur, tu veux ?

Elle hocha la tête. J’effaçai les larmes de ses joues alors qu’elle avait

l’air de reprendre son calme.

– C’est le monsieur de l’autre jour… tu m’avais dit que je le reverrais

jamais, papa…

Ses mots me firent l’effet d’une bombe.

– Peter…

Peter, il ne pouvait s’agir que de lui.

Rapidement, j’inspectai la salle du regard tandis que mon cœur se mit à

battre à une allure folle. Ma fille avait peur de cet homme, je n’accepterais

pas qu’il s’approche d’elle à nouveau, ni de Jenna.

Bordel, où était-il passé ?

– Ma chérie, regarde papa… où est-ce que tu l’as vu, ma puce ?

– À côté de l’aquarium… où est maman ? Je veux ma maman !

– Chut…

Je la serrai dans mes bras alors qu’elle se mit à pleurer à nouveau. Jack

posa alors la main sur mon épaule et me fit comprendre d’un regard qu’il

partait à la recherche de cet homme.

– Je vais aller chercher maman, ne t’en fais pas, ma puce.

Ma mère et Jack s’éloignèrent tous les deux. Mon père, quant à lui,

poussa un long soupir irrité et me fixa tandis que je fouillais la pièce du

regard, prêt à bondir pour lui mettre mon poing sur la figure.

– Que s’est-il passé avec Peter pour que ta fille en ait peur ?

– Rien…

– Tu plaisantes, j’espère ? Cette petite est traumatisée !

– Je sais… Jenna l’a rencontré il y a quelques jours et il a essayé de

l’embrasser devant la petite… elle a pris peur.

– Je vois. On va rentrer à la maison, Maddy.

Je souris légèrement alors que Maddy levait les yeux vers moi. Son

regard noyé de larmes m’étreignait le cœur. Je lui donnai un baiser et la

tendis à mon père qui la prit immédiatement dans ses bras.

– Tu vas rester avec grand-père cinq minutes, d’accord, ma puce ?

– D’accord.

– Ne fais pas l’idiot, Went.

Je me retournai pour le fixer et hochai la tête avant de contourner la

194

table pour me mettre à sa recherche.

Quelques minutes plus tard, je revins, ne l’ayant pas trouvé. Jenna était

assise, Maddy dans ses bras.

– Hé… murmurai-je en m’installant à son côté.

– Tu…

– Je ne l’ai pas trouvé. On va rentrer, d’accord ?

Elle hocha la tête et je l’aidai ensuite à se lever. Je laissai Elena mettre

le manteau à Maddy tandis que j’enfilai ma veste. Je donnai un coup de

main à Jenna également, remarquant que ses gestes étaient bien trop lents.

– Qu’est-ce que tu as, Jenna ?

– Rien… je suis juste fatiguée.

Fatiguée ?

Je n’y croyais pas, c’était quelque chose d’autre.

Troublé de la voir si fragilisée, je portai la main à son front. C’était

étrange, elle n’avait pas de fièvre.

– On devrait appeler un médecin.

– Non… je vais juste aller dormir et ça ira.

J’allais protester, mais ma mère me devança :

– Oui, ça doit être la fatigue. Jim ? Tu devrais avancer la voiture.

– J’y vais. À bientôt, Jack, et merci beaucoup, c’était délicieux.

– De rien, Jim, revenez quand vous voulez !

– On n’y manquera pas.

Une fois mon père partit du restaurant, je lançai un regard à ma mère

qui tenait Maddy par la main. Je me penchai vers le visage de Jenna qui

tenait à peine sur ses jambes.

– Je n’aime pas te voir comme ça, murmurai-je avant de l’attirer

contre moi.

– Je suis désolée, je ne veux pas que tu t’inquiètes.

– Chut… laisse-moi m’inquiéter pour toi.

195

15

CONFRONTATIONS

Jenna

Inquiète de mon état de santé, Anna Riller me proposa de garder

Maddy pour la nuit. J’acceptai en constatant l’enthousiasme de ma fille.

Went était monté à l’étage pour préparer ses affaires et j’allais m’installer

dans le canapé.

Elena me rejoignit.

– Tu sais, on s’inquiète aussi, tout comme Went.

– Je vais bien, répondis-je en esquissant un léger sourire.

– Ce n’est pas l’impression que tu donnes.

– Je crois que c’est la fatigue que j’ai accumulée depuis pas mal de

temps… et disons que ton frère ne me laisse pas trop dormir en ce

moment.

Je grimaçai en remarquant qu’elle se bouchait les oreilles.

– Passe-moi les détails, tu veux ?

Je ris, amusée par sa réaction.

– Quand on parle du loup !

Je levai les yeux vers Went et Maddy.

– Tu es prête ? demandai-je à l’adresse de ma fille qui vint me faire un

câlin.

– Oui. Papa va venir me mettre au lit, tu veux bien ?

– Bien sûr, mon ange. Tu seras bien sage, n’est-ce pas ?

Elle hocha la tête et ramena sa poupée de chiffon vers son cou. Went la

souleva dans ses bras et m’embrassa sur les lèvres d’un doux baiser.

– Je n’en ai pas pour longtemps, me dit-il avant de lancer un regard

vers sa sœur. On y va ?

– Oui, je t’attendais ! lança-t-elle avant de me saluer.

Je les accompagnai à la porte et la refermai après leur départ. Je montai

à l’étage et me préparai pour la nuit.

196

Tout en bâillant, je m’installai dans mon lit et soupirai, songeant aux

étranges phénomènes qui s’étaient déroulés dans la soirée. Je ne savais pas

à quoi étaient dus mes malaises, mais je me sentis mieux, une fois

allongée.

Les yeux clos, je commençai à m’endormir lorsque j’entendis la porte

s’ouvrir.

– Tu dormais ?

– Je m’endormais, le corrigeai-je en lui souriant.

Il s’installa sur le bord du lit et se déshabilla.

– Tu te sens mieux ?

– Oui… ça va.

– Demain, on ira voir le médecin, d’accord ? murmura-t-il en posant

ses lèvres près des miennes.

– Went ! Ce n’est pas la peine, je vais mieux !

– Je serais rassuré si c’est un médecin qui me le dit, Jenna.

Je soupirai de lassitude et levai les yeux au plafond lorsqu’il m’attira

contre lui. Mes bras l’entourèrent instinctivement. Il me colla contre son

torse et je fermai les paupières, savourant son souffle dans mon cou,

m’émoustillant entièrement.

– On ira tous les deux, d’accord ? insista-t-il en glissant sa main sur

mon ventre.

– Hum…

– C’est oui ?

Je souris tout contre sa peau, resserrant mon étreinte.

– D’accord… si ça peut te rassurer, cédai-je avant qu’il prît possession

de mes lèvres et de mon corps.

Un sourire flottait sur mes lèvres. J’ouvris doucement les paupières,

percevant les premières lueurs du jour qui se levaient. J’étais sur un petit

nuage après la nuit que je venais de passer dans les bras de Went. Il était à

mon côté, dormant à poings fermés. Je souris de plus belle, revivant les

souvenirs de ce moment magique.

Curieusement, je ne me sentais pas fatiguée, mais mes membres étaient

tout endoloris, signe évocateur d’une nuit agitée qui me fit prendre

conscience que je n’avais pas dormi beaucoup. Nous avions fait l’amour

plusieurs fois. Ni l’un ni l’autre ne pouvant se passer de caresses et de

baisers. Nos corps réclamant sans cesse l’autre.

197

Un léger soupir d’aise s’échappa de mes lèvres et je sentis le bras de

Went qui resserrait ma taille.

Doucement, je posai ma main dessus et le caressai.

Le désir m’embrasa irrémédiablement.

Tandis que je portais mon regard à son visage, je ne pus m’empêcher

de ressentir un sentiment de culpabilité. Durant cette nuit, j’avais essayé

de prendre les commandes de nos jeux amoureux, mais je n’y étais pas

parvenue. Chaque geste devenait gauche, trop hésitant pour le combler.

Le combler devint alors une obsession. Même s’il ne cessait de me

rassurer, je savais que je devais me laisser aller. Lui ne pensait qu’à mon

plaisir, c’était le plus important, disait-il.

Un sourire étira mes lèvres à la pensée qui me vint à l’esprit.

Précautionneusement, je levai son bras de mon ventre et me levai.

Hors du lit, je le contemplai tandis qu’il remuait légèrement sous les

draps. Rapidement, je me faufilai hors de la chambre. J’avais besoin de

quelque chose qui pourrait m’aider dans ma tâche. Alors, j’entrai dans

celle qui servait de débarras et mis la main sur la paire de menottes que

j’avais trouvées pendant les travaux.

J’hésitai tout de même un court instant lorsque je fus dans ma

chambre.

– Chérie ?

– Oh !

Je cachai d’un mouvement rapide ma trouvaille dans mon dos et

m’approchai du lit d’une démarche hésitante.

– Il n’est que sept heures, ma puce… t’étais où ?

– Je suis désolée, je ne voulais pas te réveiller, murmurai-je en me

glissant sous les draps.

– C’est la place vide à côté de moi qui m’a réveillé. Viens là, me dit-il

en me ramenant contre lui.

Ses lèvres glissèrent dans mon cou et j’avalai difficilement.

C’était le moment de jouer !

Je tournai alors la tête vers la sienne et effleurai sa bouche de doux

baisers. Il remua légèrement, m’attira un peu plus contre son corps

brûlant. Ses mains commencèrent à me caresser et je fermai les paupières,

savourant les sensations qu’il me provoquait.

Très vite, nos langues se retrouvèrent alors dans une danse effrénée,

diabolique alors que nous roulâmes tous les deux dans les draps déjà

198

spectateurs de nos ébats. Mais cette fois, je fus décidée à prendre le

contrôle.

La gêne et l’hésitation s’envolèrent.

Dès qu’il fut sur le dos, je m’écartai de ses lèvres, une lueur taquine au

fond des yeux, et me redressai.

– Jenna…

– Attends, l’interrompis-je en prenant ses mains dans les miennes. J’ai

envie de te faire l’amour, Went.

Il parut surpris, mais m’offrit un large sourire.

– Viens là, ma puce.

– Non, attends.

Doucement, je me penchai sur ses lèvres que je caressais

sensuellement du bout de la langue. Il essayait de me rendre mon baiser,

mais je reculai légèrement. Un gémissement de protestation s’échappa de

sa gorge. Je souris, consciente de ma satisfaction. J’avais envie de le

rendre fou, j’avais besoin de lui donner autant de plaisir que j’en avais

reçu durant toute la nuit.

– J’aimerais que tu me laisses faire, Went.

Fasciné, il ancra son regard au le mien.

– D’accord.

Ravie, je souris.

– Ferme les yeux.

Il obtempéra. C’est alors que mes doigts entourèrent ses poignets.

J’exaltai…

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Garde les yeux fermés, s’il te plaît.

– D’accord.

– Promis ?

Satisfaite de son acquiescement silencieux, j’attrapai la paire de

menottes laissée sous les draps et la lui mis avant de l’attacher à la tête du

lit. – Jenna ! soupira-t-il dans un murmure rauque.

– C’est à mon tour de te faire l’amour…

– Jen…

Il serra les mâchoires au contact de mes lèvres sur son torse.

– Ma puce… Enlève-moi ça, tu veux ?

199

Je redressai la tête en souriant avant de remonter vers son visage. Je

déposai un baiser sur ses paupières, un autre sur son nez, ses joues, ses

lèvres.

– Pas maintenant.

Anticipant une réplique, je l’embrassai.

Très vite, nous retrouvâmes cette frénésie exquise jusqu’à ce que le

souffle nous manque. Nos regards s’ancrèrent avidement, intensément,

puis je l’embrassai à nouveau, d’abord doucement, en prenant soin de

prendre le temps de savourer ce baiser puis je laissai mes lèvres glisser le

long de son cou, son torse…

Du coin de l’œil, je le vis fermer les yeux. Il n’en pouvait plus de cette

torture et je m’amusai à prendre mon temps.

– Tu vas me tuer…

Je souris, amusée par le trouble que je lisais dans son regard, dans la

contraction de ses muscles qui se tendaient sous sa peau hâlée. Je

poursuivis ensuite mon ascension sur son corps. Mes lèvres

l’embrassèrent aux endroits où je n’avais jamais osé auparavant.

Ses gémissements étouffés m’encouragèrent, me réconfortant dans ma

tâche qui n’était autre que de lui faire plaisir.

Soudain, quelque chose se produisit.

Un bruit de moteur parvint à mes oreilles.

Je fronçai les sourcils et me levai vivement sans prendre conscience

que Went était sur le point de partir dans les abîmes de la jouissance.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

Je m’approchai de la fenêtre et fixai le taxi garé devant la maison. Je

lançai un regard horrifié vers Went qui tentait de se redresser puis le

reportai sur le véhicule. Je fermai les paupières en voyant mon frère y

sortir. Mon cœur s’arrêta un instant.

– Jenna ? Détache-moi, ma puce.

J’ouvris la bouche, le regard écarquillé, et fixai Went comme si je le

voyais pour la première fois. Ma main se porta à mes lèvres, étouffant un

cri effrayé.

– Jenna ? Qu’est-ce que tu as, chérie ?

– C’est… mon frère… Séb est ici, bégayai-je.

– Quoi ? Mais dépêche-toi de me détacher !

Euh… comment lui dire ?

Bon sang, que je suis idiote !

200

– Arrête de rester là, viens me détacher !

Affolée, je m’approchai de lui puis reculai, hésitante, ne sachant pas

comment le lui avouer.

– Jenna !

– Je… je… je ne sais pas où se trouve les clés… Oh mon Dieu !

Paniquée, je fis des allées et venues dans la chambre, la main posée sur

mes lèvres. Je n’osai pas poser mon regard sur Went, mais je le sentais

s’agiter sur le lit.

Je n’avais pas les clés !

Mais quelle imbécile je faisais, décidément !

– Jenna, ne pleure pas…

– Je ne pleure pas… Il faut qu’on arrive à te détacher. Mais qu’est-ce

qu’il fait ici ? Je pensais qu’on aurait dû aller le chercher à l’aéroport et…

– Calme-toi, ma puce, m’interrompit-il d’une voix douce. Jenna !

Viens ici, viens près de moi. Maintenant ! intima-t-il, alors.

Je me stoppai, bouleversée par le ton fort qu’il venait d’employer.

Tremblante, je m’approchai de lui et me jetai à son cou, pleurant

comme une adolescente qui venait de prendre conscience qu’elle avait fait

une grosse bêtise, nous mettant dans une situation plus qu’embarrassante.

– Chut… regarde-moi, chérie.

J’obéis, reniflant et essuyant mes larmes d’un geste rageur.

– Respire, Jenna…

– Je vais… oui, attends…

Je pris une profonde inspiration et expirai lentement avant de fermer

les yeux afin de calmer les battements fous de mon cœur.

– S’il te trouve comme ça… Oh mon Dieu, Went ! Je vais aller

chercher une pince coupante, ça devrait marcher. Tu ne bouges pas, je

reviens tout de suite.

– Je ne risque pas de m’enfuir, répondit-il en roulant des yeux alors

que je courais déjà hors de la pièce.

Quelques minutes plus tard, soulagée que Sébastien parlât au livreur de

journaux, je remontai à l’étage, arme en main. Je me stoppai à l’entrée de

la chambre et avalai de travers à la vue de l’homme nu au milieu de mon

lit.

Si mon frère le découvrait ainsi, je ne donnais pas cher de notre peau, à

tous les deux.

201

– J’ai ce qu’il faut, affirmai-je en pénétrant dans la chambre,

essoufflée comme jamais.

– Ce n’est pas trop tôt ! Qu’est-ce que tu fichais ? Et ton frère ?

demanda-t-il en essayant toujours de relever le drap sur ses jambes.

– Ben, le temps que je trouve ce dont j’avais besoin. Je suis désolée…

Séb discute avec le livreur de journaux… Mon Dieu, Went, je suis

vraiment désolée…

– Hé, arrête, calme-toi.

Je hochai la tête et repris mon souffle avant de fixer ses poignets.

Rapidement, une fois l’outil en main, je constatai avec déception qu’il ne

m’était d’aucune utilité.

Ma vue se brouilla à cause des larmes, j’étouffai un sanglot et secouai

la tête.

– On n’y arrivera jamais. Si j’arrive à couper les maillons, tu seras

toujours attaché au lit, murmurai-je d’une voix désespérée. Tu crois que si

je demande à un policier…

– Jenna !

– Ben, je cherche une solution, moi ! m’énervai-je, irritée.

– Parce que tu crois que je ne cherche pas, peut-être ! Ce n’est pas moi

qui ai eu cette idée stupide !

– Stupide !? criai-je en écarquillant les yeux.

Il soupira et ferma les yeux une seconde avant de plonger un regard de

désolation dans le mien.

Furieuse, je bondis du lit.

– Hé, mais tu vas où ?

– Faire un tour !

– Mais tu ne vas pas me laisser comme ça ! Qu’est-ce… Jenna !

Jenna ?

Je l’entendais crier, mais je m’en moquais.

Vexée par ses paroles, j’allai m’enfermer dans la salle de bain et

m’adossai à la porte, soupirant longuement. J’avais bien envie de le laisser

dans cette situation, mais je ne pouvais pas lui faire ça.

Une idée me vint alors à l’esprit.

Ça pouvait peut-être marcher, me disais-je en souriant.

Une minute plus tard, je pénétrai à nouveau dans la chambre.

– Excuse-moi, ma puce… ce n’est pas ce que je voulais dire…

202

– Tais-toi, aboyai-je, toujours furieuse contre lui.

– Qu’est-ce que tu…

– Tais-toi.

J’enfonçai la fine barrette à cheveux de Maddy dans la serrure de la

menotte.

Concentrée, je fixai la tige que je tournai légèrement, doucement

jusqu’à ce qu’un léger cliquetis retentisse.

– Ouf… soufflai-je en reprenant ma respiration.

J’avais réussi.

– Merci, ma puce.

– Tiens, débrouille-toi tout seul pour l’autre, répliquai-je en lui

mettant la pince dans la main. Et à l’avenir, ne t’en fais pas, je ne ferais

plus rien de stupide !

Je le vis ouvrir la bouche, mais aucun son n’en sortit, trop abasourdi

par mon attitude.

Je me détournai alors, prête à le laisser terminer quand il m’appela :

– Jenna !

– Je vais rejoindre Sébastien. Maintenant, c’est à toi de te débrouiller,

monsieur parfait.

– Je n’ai jamais dit ça, arrête !

– Non, bien sûr…

– Ma puce, tu ne vas pas te fâcher ?

– Je suis une idiote qui n'a que des idées stupides ! rétorquai-je en

levant les mains d’un signe d’impuissance avant de m’éclipser de la pièce.

Les battements de mon cœur n’avaient jamais été aussi forts

qu’aujourd’hui. Je pris le temps de prendre une grande inspiration derrière

la porte de la cuisine avant de m’engouffrer dans la pièce. Je devais

trouver le courage pour affronter mon frère.

Il était là, devant moi.

Je lui souris avant de me jeter à son cou alors qu’il venait d’ouvrir les

bras.

– Content de te revoir.

– Moi aussi… je ne savais pas que tu revenais aujourd’hui, tu aurais

pu téléphoner !

– Je te dérange, peut-être ?

J’écarquillai les yeux tandis qu’il se reculait légèrement pour planter

203

son regard dans le mien comme s’il pouvait lire la vérité en moi. Je retins

mon souffle et réagis au bout de quelques secondes.

– Mais… euh… Bien sûr que non !

J’étais de plus en plus inquiète en voyant l’air sérieux qu’il affichait

puis un sourire se dessina sur ses lèves.

Je poussai un soupir de soulagement et répondis à son sourire.

– Tu peux me dire pourquoi tu ne m’as pas appelée ? Went m’avait

laissé entendre qu’il devait venir te chercher à l’aéroport, lui dis-je en me

versant une tasse de café avant de m’asseoir en face de lui.

– Je n’ai vraiment pas eu le temps… en fait…

Je fronçai les sourcils, soucieuse de son silence soudain.

– Ça s’est mal passé avec ton amie ?

– Ouais… c’est juste qu’elle a dû rentrer chez elle et…

– Tu es amoureux d’elle ?

Je souris à la vue de ses joues qui commençaient à rosir à ma question.

– Excuse-moi, ce n’est pas mes affaires…

– Ne dis pas n’importe quoi, Jenna.

– Mais…

– J’n’en sais rien. Je l’ai toujours vue comme une amie, mais quand

nous avons passé du temps ensemble…

– Ton amitié s’est transformée en quelque chose de plus fort…

– Ouais… je pense.

Je ris légèrement puis baissai la tête, songeant à toutes ces années où

j’avais secrètement gardé l’espoir de vivre pleinement mes sentiments

avec l’homme qui… actuellement, devait sans doute se sentir très mal. Je

pouffai à cette pensée avant de remarquer l’interrogation dans le regard de

Sébastien.

– Je peux savoir pourquoi tu ris comme ça ?

– Oh, c’est rien du tout !

– Mm… dis-moi, tu as vu Went…

– Quoi ? m’exclamai-je un peu trop fort.

– Il n’est pas ici ?

– Euh…

– Jenna, je peux te poser une question ? me demanda-t-il après

quelques secondes de silence.

Je déglutis péniblement, incapable d’émettre un son. Je finis par

204

hocher la tête en signe d’acquiescement avant de terminer mon café d’un

trait.

– Je t’écoute.

– Went et toi… vous ne seriez pas… tu ne vas pas te fâcher, hein ?

– Euh… je ne comprends pas ce que tu veux dire, mais… je dois

effectivement te parler de…

– OK ! Pas la peine de me faire un dessin.

– Quoi ? demandai-je, surprise.

Je l’observai alors qu’il se mettait à rire. Il se leva et alla se servir un

café.

Perdue dans mes réflexions, j’eus l’impression que mon cœur venait de

cesser de battre lorsque la porte de la cuisine s’ouvrit en grand.

Appréhendant de tomber sur le regard interrogateur de Went, je fixai mon

frère et tentai de ne pas dévoiler mes mains tremblantes…

Went

Impossible pour moi de laisser Jenna affronter seule son frère. J’étais

tout de même resté derrière la porte pendant quelques minutes avant de

l’ouvrir au bon moment. Pas très fier sur ce coup-là, je souris à Sébastien

qui fit volte-face à mon entrée.

– Hé, Went ! Salut. Nous étions justement en train de parler de toi.

– Salut, Séb, répondis-je d’une voix fébrile en échangeant une étreinte

amicale. Comment ça s’est passé ?

– Oh, pas terrible la promotion, mais… j’ai passé un bon moment.

– Super alors.

– Ouais, tu veux un café ?

– Euh… oui je veux bien, répondis-je en cherchant le regard de Jenna

qui contemplait ses doigts qu’elle triturait nerveusement.

– Installe-toi, je te sers. Et vous deux ça s’est bien passé à croire…

– Oui, oui…

Je fixai Jenna qui daigna enfin lever la tête. Je lui souris avant de

reporter mon attention sur mon ami, comprenant qu’elle désirait que je

dise quelque chose.

– En fait, on a passé pas mal de temps ensemble et…

– Vous êtes ensemble !

205

Je déglutis, surpris, puis tournai la tête vers Jenna qui n’avait pas l’air

hébété par sa remarque. Nous nous regardâmes pendant quelques

secondes.

– Je vois…

Je souris puis tendis mon bras sur la table avant d’effleurer la main de

Jenna du bout des doigts.

– Sébastien, je voudrais que tu saches que…

– Went ! Je ne suis pas aveugle, j’ai bien vu dès que tu as revu ma

sœur que quelque chose s’était passé. En tout cas, je suis content que ce

soit toi, mais je te préviens que si…

– Je ne lui ferai pas…

– Oh, je vous rappelle que je suis encore dans la pièce ! s’exclama-t-

elle en nous fixant.

Sébastien éclata de rire. Je le suivis, soulagé jusqu’à ce que Jenna

poussât un long soupir de lassitude avant de se lever.

– Je vais monter prendre…

– Hé, sœurette ! Pas la peine de te gêner pour moi, tu peux

l’embrasser, tu sais.

Elle écarquilla les yeux à la remarque de son frère.

– C’est une idée stupide, Sébastien ! Mais à ce que je vois, ça doit être

de famille !

– Hein ?

– Je vais prendre une douche, répéta-t-elle, visiblement toujours en

colère après moi. Seule ! termina ma lionne avant de sortir de la pièce.

– J’ai raté un épisode ?

Même plusieurs, mon pote, mais je ne pensais pas qu’il voudrait en

connaître les détails.

Je secouai la tête afin d’effacer les images de cette étreinte unique que

nous venions de vivre tous les deux et ancrai mon regard à celui de mon

ami.

– Oh, tu rêves ?

– Non, non, c’est juste que nous avons eu une petite… dispute.

– Dispute ?

– Mm… si on veut.

– Fais attention, Went, je sais que t’es un gars bien, mais Jenna est tout

ce que j’ai depuis toujours… Je m’en suis occupé depuis qu’elle est venue

206

au monde et…

– Ne t'en fais pas, Séb... Je l’aime et…

– Et Sarah ?

– Quoi Sarah ? rétorquai-je en écarquillant les yeux, sentant la colère

monter en moi.

– Ouais… je ne sais pas, mais je pensais que tu avais des sentiments

pour elle et…

– Sarah et moi sommes de très bons amis, Séb. J’aime Jenna et…

– Oh, mon pote, pas la peine de t’énerver, je te crois… Si tu dis que tu

aimes ma sœur, pas de souci, mais je te jure que si tu lui fais du mal…

– Je ne lui ferai plus de mal, Séb, rétorquai-je aussitôt en me levant de

ma chaise.

– Plus ? Cette dispute a dû être rude alors…

Je souris et étouffai un rire même si ce n’était pas de bon cœur, mais

plutôt par nervosité.

– On s’est juste un peu chamaillés, t’en fais pas, répondis-je enfin,

faisant allusion à ce qui s’était passé avant son arrivée. En tout cas,

j’espère que Maddy a hérité de mon caractère et non du sien.

Je souris, imaginant ma petite chipie au caractère bien trempé lorsque

je sursautai violemment au fracas de verre brisé. Étourdi, je m’écartai et

baissai la tête vers le sol où mes pieds baignaient dans le café, la tasse de

Sébastien venant de heurter avec force la paroi du comptoir. Mon esprit ne

fit alors qu’un tour…

Je le fixai, ne comprenant pas sa violence soudaine.

– Qu’est-ce que…

– Tu n’as pas fait ça ?!

– De quoi tu parles ? demandai-je en fronçant les sourcils et reculant à

son approche.

– Tu veux dire que Maddy…

Il s’interrompit et serra les mâchoires de colère ainsi que ses poings. Je

déglutis avec difficulté, comprenant le quiproquo à mon entrée dans la

pièce.

– Séb… murmurai-je en le fixant d’un air désolé.

– C’est ta fille ! hurla-t-il. Comment as-tu osé lui faire ça ? Comment

as-tu osé profiter d’elle ainsi ?

La gorge nouée, je levai les mains en face de moi pour le stopper alors

207

qu’il s’avançait à nouveau. Le regard froid et noir de colère, il s’arrêta

alors que la porte s’ouvrit.

Jenna fit irruption dans la pièce. Elle nous regarda tour à tour, ne

comprenant plus rien.

– Que…

– Sors d’ici, Jenna.

– Pardon ? dit-elle, estomaquée avant de comprendre. Oh là, du calme,

tous les deux. Qu’est-ce qu'il vous prend ?

J’essayai d’éloigner Jenna, mais elle ne me laissa pas faire, s’incrustant

entre nous afin de nous empêcher d’en venir aux mains.

La tension était palpable, presque effrayante. Le regard que Séb posa

sur moi provenait d’une profonde blessure, d’une trahison qu’il n’aurait

jamais osé imaginer. Je fus dérouté quelque peu. Ce regard me fit mal, me

blessa beaucoup plus que je ne pouvais le penser.

– Je t’ai dit de sortir de cette pièce ! On a des choses à mettre au clair,

lui et moi, hurla Séb sans desserrer ses poings.

– Je suis concernée, je te rappelle ! Je reste et maintenant, tu arrêtes,

Sébastien !

– Que j’arrête ! gronda-t-il à proximité de mon visage… Alors que

cette ordure t'a mise enceinte et t’a laissée partir de la maison ! T’es

complètement malade, bordel ! Comment as-tu pu me mentir ?

– Je ne t’ai pas menti… répondit Jenna d’une voix tremblante.

– Séb…

– Ferme-la, toi ! Sors de chez moi tout de suite où je te jure que tu le

regretteras !

Je fixai Sébastien et baissai les yeux alors qu’il venait de quitter la

pièce en claquant la porte. Jenna se tourna vers moi, les larmes aux yeux.

Le cœur serré, je l’attirai dans mes bras pour la serrer contre moi, la

rassurer, mais elle me repoussa doucement.

– Je vais lui parler…

– Ma puce… murmurai-je, n’approuvant pas cette idée.

– S’il te plaît, Went… Tu devrais rentrer, voir si Maddy va bien… je

viendrai après.

– Tu es sûre que…

– S’il te plaît, insista-t-elle en me fixant intensément, remarquant sans

doute la réelle douleur que j’éprouvais.

208

– Je t’aime… lui dis-je en emprisonnant son visage entre mes mains.

– Je sais.

– Appelle-moi, Jenna.

– D’accord.

J’esquissai un maigre sourire et l’embrassai avant de partir.

Jenna

Cela faisait dix minutes que Went avait quitté la maison. Mon frère

n’avait toujours pas réapparu dans la pièce. Je savais que nous devions

avoir une discussion tous les deux… mais les craintes étaient telles que

j’attendais, que je patientais…

Je soupirai longuement et fis encore des allées et venues dans la

cuisine avant de me décider enfin de prendre les choses en main. Il n’avait

pas le droit de traiter Went de la sorte, de le chasser de cette maison. Il

n’était pas le seul responsable, et cela, je m’apprêtai à le lui dire de ce pas.

Je le retrouvai, comme je le pensais, dans son bureau. J’entrai sans

prendre la peine de frapper. Il releva les yeux de l’album photos, nous

enfants, qu’il était en train de regarder. Mon cœur se serra. Je m’approchai

de lui, doucement, avant de m’installer lourdement dans le fauteuil face à

lui.

– Sébastien…

– Ce n’est pas le moment, Jenna.

– Je sais qu’avec toi ce n’est jamais le moment, mais…

– Parce que tu vas dire que c’est de ma faute ? Que je ne t’ai pas

accordé un seul instant pour que tu me parles de vous ? Combien de fois

je t’ai demandé de revenir, de rester, Jenna ? Combien de fois à ton retour

je t’ai demandé de me parler du père de Maddy ? De l’ordure qui t’avait

fait tellement souffrir ?

– Arrête… ce n’est pas ce que tu crois ! J’ai toujours aimé Went et…

– Tu l’as toujours aimé ! répéta-t-il, furibond. Tu crois peut-être que je

ne le voyais pas ?!

Je déglutis péniblement à ses cris. Il me regardait froidement. Je fermai

les yeux avant de les planter dans les siens.

– Ce n’est pas la peine de hurler, Sébastien ! Went ne savait pas pour

Maddy ! Je suis partie sans qu’il sache qu’il allait être père ! Si tu dois

209

encore blâmer quelqu’un, c’est moi seule, pas lui !

Immobile, il me fixa pendant quelques secondes puis secoua la tête,

lassé.

– Tu ne l’as pas fait toute seule à ce que je sache ! Il est tout autant

responsable que toi, Jenna. Tu te rends compte… toutes ces années où il

posait son regard sur moi alors qu’il avait… mon Dieu…

– Séb… il en a souffert, que tu le croies ou non. Je t’assure que pour

Maddy, il n’en savait rien.

– Comment a-t-il pu faire ça ? À ma propre sœur ! parla-t-il à lui-

même en serrant son crâne entre ses mains.

– Je ne pense pas que tu aies besoin d’un dessin, si ? m’énervai-je.

– Ne sois pas stupide !

Je pouffai nerveusement.

– À croire que je le suis vraiment ! rétorquai-je en me levant avec

l’intention de quitter la pièce.

La main sur la poignée, je me stoppai et pris le temps de trouver le

courage de lui dire ce que j’avais sur le cœur, depuis trop longtemps

enfoui au fond de moi.

Doucement, j’ouvris les paupières et me retournai vers lui. Il n’avait

pas bougé, seul, son regard croisa le mien, l’évita puis s’y ancra.

– Nous avons fait l’amour qu’une seule fois, Sébastien. Went ne

voulait pas…

– Tu vas me dire que tu l’as violé, peut-être ? Qu’est-ce que tu ne

ferais pas pour qu’il s’en sorte, ricana-t-il.

Je fronçai les sourcils, furieuse qu’il se mît à rire de son air sarcastique.

Je serrai les poings et ravalai ma fierté pour continuer.

– Si tu veux tout savoir, je l’y ai poussé ce soir-là… il te respectait,

Sébastien. Went ne voulait pas que votre amitié soit compromise à cause

de moi. Crois-le ou non, ce n’est plus important à présent, mais… sache

qu’il t’apprécie beaucoup et qu’il s’en est toujours voulu de ne t’avoir

jamais rien dit.

– Oui, ben il aurait dû le faire ! grogna-t-il en se levant de sa chaise

avant de regarder par la fenêtre.

– Mm… es-tu vraiment sûr que tu lui en veux, Sébastien ?

– Que cherches-tu à me faire dire, Jenna ? me demanda-t-il d’une voix

forte avant de se tourner vers moi.

210

– J’ai juste l’impression que ce qui te gêne le plus c’est que tu n’as pas

remarqué la ressemblance de Maddy avec son père… ou alors que tu as

sciemment fermé les yeux pour régler tes comptes avec lui.

– Arrête… laisse-moi maintenant, fit-il dans un murmure en se

tournant à nouveau vers la fenêtre.

Je souris, satisfaite de comprendre que j’avais touché un point sensible.

– Tout le monde a des secrets, Sébastien…

– Oui, tout le monde en a, souffla-t-il en baissant les épaules d’un air

las.

Une larme roula aussitôt sur ma joue au ton de sa voix. Il semblait

profondément ému par ce que je venais de lui dire. Redressant le dos

fièrement, j’ouvris la porte et jetai un dernier regard dans sa direction.

– Maddy a retrouvé son père, Séb… je l’aime, je l’ai toujours aimé…

quoi que tu en penses. Je ne veux pas que tu te mettes entre nous, que tu

lui en veuilles pendant des années. Vous êtes amis, Séb… et si je suis

partie, c’était exactement pour cette raison. Je ne voulais pas que cette

amitié entre vous meure à cause de moi…

– Laisse-moi, je t’ai dit… murmura-t-il d’une voix tremblante par

l’émotion qu’il éprouvait face à cette vérité.

– D’accord.

Je refermai la porte et m’y adossai, prenant le temps de retrouver mon

souffle, mes esprits. J’effaçai mes larmes d’un geste puis me dirigeai vers

ma chambre, poussant un long soupir de soulagement. J’avais enfin rétabli

la vérité…

La vue brouillée encore de larmes, je décrochai le téléphone avant de

m’installer sur le lit. Je composai le numéro de Went. Sa voix suave me

parvint aussitôt.

– Tu lui as parlé ?

– Oui…

– Jenna…

– Ne t’inquiète pas pour lui, tout ira bien… il lui faut juste un peu de

temps.

– Je m’en veux tellement de ne pas avoir su lui expliquer.

– Disons que c’est lui qui n’a pas pris la peine de t’écouter.

– Peut-être…

– Went… n’y pense plus, s’il te plaît… j’ai juste besoin… de toi,

211

d’être avec toi et Maddy.

– Je termine de la préparer et nous arrivons, ma puce.

– D’accord, répondis-je d’une voix émue.

– Je t’aime, tu sais… Excuse-moi pour tout à l’heure, je ne voulais

pas.

– Laisse tomber, l’interrompis-je en riant légèrement.

– D’accord. J’arrive dans dix minutes.

Je raccrochai, le sourire aux lèvres, et sortis de ma chambre.

En passant devant le bureau de Sébastien, je me stoppai et inspirai

longuement avant d’ouvrir la porte avec hésitation. Mon regard se posa

sur lui qui était installé sur son fauteuil, le visage enfoui dans le creux de

ses mains.

Le cœur lourd, j’avançai silencieusement et fixai la page de l’album

qui était ouverte. La vue de la photographie me fit l’effet d’une gifle. Je

reculai, petit à petit alors que Sébastien se leva vivement pour m’attirer

dans ses bras. Je me détachai de son étreinte, tentant de reprendre mes

esprits à la vue de cette photo.

– Qu’est-ce que tu as, Jenna ?

– Rien du tout… c’est juste quelque chose qui m’a frappée… écoute,

Séb… je sais que c’est toi qui t’es toujours occupé de moi, comme un père

et…– Papa t’aimait, Jenna. J’espère qu’un jour tu l’accepteras malgré ce

qui s’est passé.

Émue, je hochai la tête.

– Nous verrons.

– OK.

– On a frappé ?

– Oui, je crois.

– Ça doit être Went et Maddy.

Un silence s’installa entre nous. Je posai ma main sur son bras afin

d’attirer son attention.

– Je suis vraiment désolée, Séb… mais s’il te plaît, je voudrais que tu

fasses un effort pour…

– Je le ferais pour Maddy, mais ne me demande pas de faire comme si

nous étions toujours les meilleurs amis du monde.

– D’accord, murmurai-je, déçue.

212

– Vas-y, je vous rejoins dans deux minutes, le temps de me changer.

Je hochai la tête et l’embrassai sur la joue avant de le serrer dans mes

bras. Je savais qu’il souffrait de cette situation… être le dernier au courant

n’était pas toujours facile à accepter.

Et il s’agissait de nous, Went et moi.

Deux personnes qu’il aimait… et nous l’avions fortement déçu.

Je le regardai à nouveau puis quittai la pièce avant de descendre

rapidement l’escalier.

– J’arrive ! criai-je alors que les coups à la porte redoublaient.

Je l’ouvris et le cri enthousiaste de Maddy s’éleva dans la maison.

– Hé, ma chérie ! m’écriai-je en souriant avant de la soulever dans

mes bras et de la serrer contre moi. Comment tu vas, ma puce ? Tu as

passé une bonne nuit chez grand-mère ?

– Oui ! Tante Elena m’a dit que je l’ai tapée pendant la nuit, mais je

suis sûre que c’est pas vrai.

Je souris et la déposai sur le sol à sa demande. Mon regard se porta

alors sur les yeux de Went qui me souriait.

– Ça va ?

– Oui. Entre. Qu’est-ce que tu attends ? lui demandai-je en remarquant

son hésitation.

– Tu es sûre ?

– Oui, allez, viens.

– Où il est, oncle Sébastien ?

– Il arrive dans deux minutes, le temps de se changer. Tu as pris ton

petit-déjeuner ? demandai-je à Maddy en la suivant dans la cuisine avec

Went.

– Ouais, mais mamie n’avait plus de cookies.

– Ah, ma pauvre puce. Et alors, tu as mangé quoi ? l’interrogea Went

en la hissant sur sa chaise.

– Des céréales, mais c'était pas celles que j’aime.

– Tu les as mangées quand même ?

– Oui, papy m’a dit que j’allais grandir si je les mangeais toutes.

Je souris en fixant Went et Maddy en train de discuter sur le contenu de

son petit-déjeuner.

Ce qui me rappela que Went n’avait pas pris le sien. Sans rien dire, je

me dirigeai vers le meuble où la vaisselle était rangée et sortis deux bols

213

que je remplissais de lait avant de les déposer sur la table où étaient

installés le père et sa fille.

– Merci, ma puce, me dit-il en passant son bras autour de ma taille,

réclamant un baiser.

– Attends, je prends les céréales, répliquai-je en me détachant de son

étreinte sans lui offrir ce qu’il me demandait silencieusement.

– Alors, ma puce, qu’est-ce que tu voudrais faire aujourd’hui ?

– Je sais pas… il neige plus.

– Tu n’as pas d’idée ?

– Non… dis, papa ? C’est quand qu’on va à Los Anges ?

– Los Angeles, ma chérie, la corrigea-t-il en écartant quelques mèches

de cheveux de son visage.

– Tu viens à peine d’arriver chez toi et tu demandes déjà à partir au

loin ?

– Oncle Séb ! s’exclama Maddy en se jetant dans ses bras.

– Salut, ma princesse ! Tu m’as manqué, ma chérie.

Je souris, émue de le voir serrer Maddy ainsi dans ses bras. Je sentis

ensuite le regard soucieux de Went sur moi. Un pincement au cœur me fit

réagir, je n’aimais pas le voir ressentir de l’inquiétude. Je m’approchai

alors puis débarrassai la table. En passant près de Went, je posai une main

rassurante sur son épaule.

– Je vais t’aider.

– OK, répondis-je tandis que Séb et Maddy étaient en train de parler

de ses cadeaux de Noël.

– Mais pourquoi t’étais pas là ? Je voulais te voir.

– Je sais, ma puce. Je regrette de ne pas être venu avant… mais j’étais

avec quelqu’un qui avait besoin de moi, car elle se retrouvait toute seule

pour passer les fêtes…

– Oh, et pourquoi elle était toute seule ?

– Parce que… parce qu’elle n’a presque plus de famille et qu’elle était

trop loin.

– Mm… ben, tu sais avant maman et moi, on était toujours seules pour

le Noël et maintenant je suis toute contente parce que j’ai mon papa, papy

et mamie et aussi tante Elena !

– Waouh… tu en as du monde maintenant… et tu m’oublies ?

– Ben t’étais pas là !

214

J’observai Séb qui lui souriait d'un air amusé et ému à la fois. J'avais

les larmes aux yeux aux mots de ma petite puce. Went avait dû le

remarquer, car sa main vint prendre la mienne.

Je levai les yeux et répondis à son sourire pour le rassurer.

– Tu n’as pas oublié pour le médecin ?

– On verra, Went… je me sens mieux, répondis-je avant de m’écarter

de lui.

– Le médecin ?

Oh non… il avait entendu.

Je me tournai vers mon frère qui m’interrogeait du regard.

– Oui, elle a eu quelques étourdissements hier et…

– C’est bon, Went ! C’est passé, l’interrompis-je, irritée.

– Il a raison, tu dois aller voir le médecin, Jenna.

Ah ben voilà, ils étaient déjà redevenus d’accord ces deux-là !

– Je vous répète que je vais mieux.

– Maman a été beaucoup malade, oncle Sébastien.

Ma fille ne m’aidait pas.

Je croisai le regard de mon frère et devinai aisément qu’il était

contrarié, mais il prit Maddy contre lui et lui demanda :

– Que dirais-tu d’ouvrir tes cadeaux ?

– Mes cadeaux ?

– Oui, le temps que tes parents aillent chez le médecin, je vais te

montrer ce que le Père Noël a ramené pour toi.

– Oui !

– OK, vous avez gagné ! lançai-je en soupirant d’impuissance.

Mon frère esquissa un sourire de satisfaction et s’éclipsa de la pièce

avec ma fille.

Je secouai la tête, amusée, avant de sentir la main de Went effleurer

mon dos. Puis, son souffle vint aussitôt me chatouiller le cou alors qu’il

resserrait son étreinte.

– Je t’aime.

Je posai mon front contre le sien avant d’ouvrir les paupières. Nos

regards s’ancrèrent aussitôt l’un à l’autre, ravivant instinctivement le désir

qui me submergeait comme chaque fois que je le plongeais dans le sien.

– Je t’aime aussi, murmurai-je avant de répondre à son doux baiser.

– On y va ?

215

– Tu es sûr ?

– Certain ! Je t’emmène chez le médecin que tu le veuilles ou non.

– D’accord, soufflai-je dans un murmure avant de me défaire de son

étreinte… Allons-y tout de suite dans ce cas.

– Hum… pressée ?

Je me retournai, mon sac à la main, et roulai des yeux à la vue de son

regard malicieux.

– Oui, maintenant, Riller, avant que je ne fasse quelque chose de

stupide.

Il pouffa, mais se stoppa très vite à mon regard noir qui se vrillait au

sien, et j’ouvris la porte, prête à partir.

– Haaaaa…

– Tu n’as rien ? s’inquiéta-t-il en me relevant du sol.

– Non, non, ça va… t’aurais pu me le dire que ça glissait !

Je le vis écarquiller les yeux, incrédule.

Furieuse de m’être ridiculisée à nouveau devant lui, j’attrapai les clés

de ses mains et lui lançai :

– Je conduis !

– Bien sûr, mon amour…

J’avais bien décelé son ton ironique, mais je laissai mes réflexions de

côté et m’engouffrai dans ma voiture.

216

16

COMPLICATIONS

Went

Cela faisait deux jours que nous avions vu le Docteur Charton pour

Jenna et je m’inquiétai toujours. Ses malaises étaient plus fréquents et

j’avais la nette impression qu’elle perdait du poids bien qu’elle me

contredit quand je lui faisais la remarque.

Le silence de Séb n’arrangeait rien. Il répondait seulement à Jenna

quand elle lui parlait et jouait avec Maddy quand il ne s’enfermait pas

dans son bureau. Il m’ignorait totalement.

Cela me blessait, évidemment.

Et je culpabilisais chaque fois que mon regard croisait le sien, chaque

fois où je trouvais Jenna perdue dans ses pensées.

Elle était si fragile…

Et j’étais sur le point de discuter de notre avenir, car je venais – la

veille – de recevoir un coup de fil de mon agent, m’informant que le

tournage reprenait dans quatre jours. Je ne savais pas comment lui

annoncer la nouvelle. Et le plus important, je ne savais pas qu’elle serait

sa réaction, bien qu’elle eut accepté de venir vivre avec moi à Los Angeles

dans les prochaines semaines.

Je montai à l’étage, décidé à lui demander si elle voulait toujours me

suivre jusqu’en Californie. Je la trouvais dans sa chambre. Elle était

allongée sur le lit, les yeux clos, tandis que Maddy fouillait dans la

bibliothèque.

Surpris de découvrir qu’elle tirait sur la pochette de DVD de la série

dans laquelle je jouais, je m’approchai.

– Hé, ma princesse, qu’est-ce que tu fais avec ça ? demandai-je en lui

prenant.

– Je veux regarder, papa. Oncle Sébastien a dit que je pouvais regarder

un DVD sur mon lecteur qu’il m’a acheté.

217

– Oui, tu peux regarder, mais un dessin animé.

– Pourquoi ?

– Parce que ce n’est pas de ton âge ce film-là, répondis-je en lui

souriant.

Elle me fixa en soupirant puis haussa les épaules.

– D’accord. Je peux regarder quoi alors ?

– Euh, je ne sais pas.

– Tous ceux-là, je les ai déjà vus, papa.

– OK… et pourquoi ne pas regarder la télévision dans ce cas ? Il ne

passe peut-être pas de rediffusion à cette heure ?

– Non, je veux regarder JAMI.

Je soupirai à cette façon de me tenir tête.

– Je te l’ai dit, mon trésor, ce n’est pas de ton âge.

– Mais t’es mon papa et je veux te voir à la télé, me répondit-elle en

croisant les bras.

Comme si j’allais céder…

– Maddy, soufflai-je avant de l’emmener dans sa chambre.

Je l’installai sur son lit et la contemplai tandis qu’elle baissait le regard

sur ma main. Je fis de même et fronçai les sourcils, constatant que j’avais

gardé la pochette.

– C’est qui elle ? me demanda-t-elle.

Je fixai la pochette du DVD et fronçai les sourcils alors que ma gorge

se serra. Je m’installai près d’elle et scrutai quelques instants le visage de

Sarah.

– C’est… Sarah… elle joue avec moi dans cette série.

– C’est ton amoureuse ?

– Quoi ? bredouillai-je, déstabilisé.

– Tu la regardes comme maman, fit-elle en gardant son regard planté

dans le mien.

J’avalai difficilement et retournai la pochette que je posai sur mes

genoux.

– Je… oui, en fait, Sarah et moi sommes amoureux dans la série. Nous

jouons la comédie, tu comprends ?

Elle secoua la tête.

– Je vois, murmurai-je, perdu avant qu’une idée me vînt à l’esprit.

C’est comme… dans les films ou dans les dessins animés que tu regardes,

218

ma puce. Tu sais Superman, il ne vole pas vraiment dans la vraie vie et

d’ailleurs, il n’existe pas.

– Mais toi t’existes, papa !

– Oui… mais ce que tu vois à la télévision, c’est du semblant. Les

gens… les acteurs jouent la comédie.

– Comme quand tu fais semblant d’embêter tante Elena ?

Faire semblant de l’embêter ?

Ce n’était pas tout à fait ça.

– Oui, on peut dire ça, fis-je en lui souriant. Alors, tu as une idée ?

Que veux-tu regarder ?

Elle haussa les épaules.

– Ben, je crois que je ne vais pas regarder la télé. Je vais faire un

dessin.

– Très bonne idée, lançai-je en ébouriffant ses cheveux.

Je l’aidai alors à installer ses feutres et crayons de couleur sur sa petite

table basse et l’embrassai sur le front avant de retourner voir Jenna.

Elle dormait toujours. Je m’avançai vers la bibliothèque et remettais le

DVD à sa place, évitant de regarder la pochette. Puis, je me dirigeai vers

le lit et contemplai Jenna pendant un long moment avant d’effleurer sa

joue. Elle remua doucement puis ouvrit les paupières.

– Bonjour, Belle au bois dormant, murmurai-je en souriant.

– Mm… quelle heure est-il ?

– Il est un peu plus de dix-sept heures. Tu as fait une longue sieste,

dis-moi !

– Mm, gémit-elle en se redressant contre les oreillers.

Je plissai le front, remarquant qu’elle était toujours aussi fatiguée.

– Tu es sûre que ça va ?

– Oui, laisse-moi le temps d’émerger, tu veux ?

Je hochai la tête, légèrement frustré qu’elle me rejetât ainsi, mais sa

main vint caresser la mienne.

– Excuse-moi, marmonna-t-elle avant de m’attirer dans ses bras.

Je fermai les yeux, savourant cette étreinte, minime fut-elle.

– Où est Maddy ?

– Dans sa chambre, elle dessine.

– Oh…

– Jenna ?

219

Je me redressai pour planter mon regard dans le sien.

– Il faut que je te parle de quelque chose.

Elle parut tout éveillée.

Elle se redressa encore et m’encouragea :

– Je t’écoute.

– C’est à propos de mon travail… le tournage doit reprendre lundi

matin et…

– Quel jour sommes-nous ?

– Mercredi, mon ange, répondis-je d’une voix douce.

– Oh, lâcha-t-elle avant de soupirer.

S’en suivit un court silence qu’elle brisa en prenant mes mains dans les

siennes.

– Je crois qu’on va devoir parler à Séb à nouveau.

– Oui, je sais.

– Il sera furieux.

– Jenna… tu n’es pas…

– Tu veux nous quitter ? me coupa-t-elle, une lueur de panique dans

les yeux.

– Quoi ? Non ! Qu’est-ce que tu racontes ? Ma vie est avec toi et

Maddy désormais.

Elle parut soulagée. Le sourire aux lèvres, elle m’embrassa

tendrement.

– Je sais que c’est rapide, mais… je t’aime…

– Moi aussi, je t’aime. Ne t’inquiète pas, je suis juste déçue de faire

faux bond à Séb pour la bibliothèque. Il s’est battu pour que je la reprenne

et…

– Tu ne seras pas obligée de travailler, Jenna, la coupai-je en prenant

son visage entre mes mains.

– Went… je dois m’occuper…

– Tu trouveras de quoi faire à Los Angeles si tu y tiens, mais…

Je m’interrompis, entendant les pas lourds de Sébastien dans l’escalier.

La porte de la cuisine claqua violemment et je compris qu’il venait

d’entendre notre conversation.

Jenna soupira longuement avant de lâcher un juron.

– Qu’est-ce que tu fais ? lui demandai-je alors qu’elle sortait du lit.

– Il faut que je lui parle.

220

– Non, reste ici. Je dois le faire.

Elle me scruta un instant puis hocha la tête. Je souris et l’enlaçais

tendrement.

– Sois prudent, OK ?

Je pouffai, la serrant plus fermement contre mon corps.

– Ne t’inquiète pas, je ne risque rien, la rassurai-je avant de lui donner

un long baiser et de quitter la pièce.

J’avançai à pas hésitants en direction de la cuisine. J’espérai qu’il

comprendrait ou, du moins, me pardonnerait pour tous les mensonges

lorsqu’il se posait des questions sur le départ de sa sœur. Je savais que

d’apprendre que nous allions bientôt partir en Californie le contrariait et je

pouvais le comprendre. Il venait à peine de retrouver sa chère sœur et de

faire la connaissance de sa nièce cachée.

J’attendis quelques secondes derrière la porte, faisant le vide dans mon

esprit, puis entrai. Sébastien était immobile devant la fenêtre, contemplant

les flocons de neige qui venaient de refaire apparition dans le ciel grisâtre.

Je n’avais pas dit un mot, mais il savait que j’étais présent. Les muscles de

son dos se crispèrent, ce qui ne me rassurait pas du tout, mais je pris

l’initiative de faire un pas dans sa direction.

C’est alors qu’il émit un long soupir et, sans se tourner vers moi, il me

lança d’une voix neutre :

– Assieds-toi !

– Séb…

– Ne discute pas. Assieds-toi, s’il te plaît.

– OK…

Je m’installai sur une chaise sans quitter mon regard de son dos. À cet

instant, il se retourna et me fixa. Je serrai les mâchoires et déglutis en

voyant la colère et la déception qui hantaient son regard.

– Écoute… je sais que tu m’en veux et tu as raison…

– Mais tu as sans doute un tas d’excuses à me fournir !

Je ne répliquai pas et encaissai la dureté de ses paroles avant de

secouer la tête tandis qu’il émettait un grognement avant de venir

s’installer face à moi. Je baissai mon regard, mal à l'aise, avant de trouver

le courage de continuer cette conversation.

– Je n’ai pas envie d’écouter comment tu as réussi à séduire ma

sœur…

– Ce n’est pas ce que tu crois, l’interrompis-je en sentant la colère

221

monter en moi. Je n’ai jamais cherché à la séduire, Séb. Crois-le ou non,

mais… je l’aime…

– Peut-être que tu l’aimes maintenant, oui, mais ne me fais pas croire

que tu l’as toujours aimée ! C’était une gosse ! Bordel ! hurla-t-il.

Je fermai les yeux, furieux qu’il me prît pour ce genre d’homme.

– Écoute… Jenna m’a demandé de ne pas faire d’esclandre, je n’en

ferai pas, mais sache que tu… que je… tu m’as énormément déçu ! Non

pas le fait que tu as eu une aventure avec ma sœur, mais que… tu ne m’en

aies jamais parlé !

– Comment aurais-je…

– Rappelle-toi combien de fois je t’ai fait part de mes sentiments

lorsqu’elle a quitté la maison sans prévenir ?! Tu savais très bien que j’en

souffrais, que je ne comprenais pas les raisons de ce départ et tu ne m’as

jamais rien dit ! Tu étais mon ami, Went, et… tu me déçois… surtout

quand je pense à la confusion de tes sentiments pour Sarah !

– Quoi Sarah ? bégayai-je, les yeux écarquillés.

– Arrête, Went ! Tu sais très bien de quoi je parle. N’oublie pas que

nous étions amis et que tu me disais tout… enfin, ce qui t’arrangeait,

cracha-t-il, dégouté.

C’en fut assez, je me levai vivement, laissant tomber la chaise sur le

sol dans un fracas saisissant.

– Tu as du mal à supporter la vérité, n’est-ce pas ?

– Tu dis n’importe quoi, Sébastien ! J’aime Jenna plus que tout et j’ai

bien l’intention de vivre avec elle et notre fille, m’écriai-je en le

foudroyant froidement.

– Et laisser l’amour que tu ressens pour ton amie enfouie au plus

profond de ton cœur ? Tu la feras souffrir, Went, et je te jure que si Jenna

ne s’en remet pas…

La rage m’irradia de toute part.

Comment osait-il mettre Sarah sur le tapis ?

Pour qui me prenait-il ?

Hors de moi à la vue du sourire sarcastique sur son visage, je

m’avançai et le frappai violemment de mon poing.

Il se redressa, incrédule, tandis qu’un filet de sang coulait de sa narine

droite.

Me confrontant au sentiment de culpabilité, je reculai, hébété par mon

geste…

222

– Tu ne les mérites pas.

– J’aime Jenna, Séb, et que tu le veuilles ou non…

– Je ne ferai rien pour l’empêcher de te suivre, mais sache qu’en ce

qui nous concerne, tu peux faire une croix sur notre amitié.

– Séb… je ne voulais pas…

Je m’interrompis, confus, tandis que la culpabilité m’assaillait de plus

belle. Je le fixai tandis qu’il se dirigeait vers l’évier pour se nettoyer. Les

yeux brillants de larmes, je m’approchai de lui. Je ne pouvais pas laisser

cette amitié que nous conservions depuis que nous étions enfants se

détruire.

Non…

Je ne pouvais pas…

Jenna m’en voudrait tant…

– Tu ne voulais pas quoi ? Hein ?

– Je…

– Me foutre ton poing dans la gueule ?

Je baissai le regard, blessé du rire cynique qu’il laissa échapper de ses

lèvres.

– Went… je comprends que tu puisses être en colère… Après tout, je

viens de te faire ouvrir les yeux sur tes sentiments pour Sarah que tu

t’efforces de cacher.

– C’est Jenna que j’aime, arrête de penser que c’est Sarah, ce n’est

que mon amie ! répliquai-je d’une voix assez forte pour l’en persuader.

– Ouais, ton amie ! cracha-t-il. Combien de fois t’ai-je accompagné au

bar pour prendre des cuites quand elle allait rejoindre son mari et que tu

étais dégouté ? Combien de fois ?

– Écoute… soufflai-je en proie à une grande peine de sentir qu’il soit

toujours en colère contre moi et surtout, qu’il s’obstinait à penser que

j’aimai Sarah. Si je ne t’ai rien dit pour Jenna, c’est que je savais que

c’était une erreur…

– Une erreur ! ? Tu te fous de ma gueule !

– Mais non… j’éprouvais réellement des sentiments pour elle avant

cette nuit-là où…

– Passe-moi les détails, veux-tu !

– Tu crois que je ne m’en suis jamais voulu durant toutes les années ?

À chaque fois qu’on se voyait, j’avais l’impression que je pouvais t’en

223

parler et la seconde d’après…

– Laisse tomber, j’ai plus envie de t’entendre. Je ne te reconnais plus,

je ne sais plus dire si c’est l’acteur qui parle à cet instant, tu vois !

– Je l’aime, Séb. C’est sincère et rien ni personne ne….

– Peut-être, mais en attendant, le fait est là, Wentworth ! Elle n’avait

que dix-huit ans, elle s’est retrouvée seule avec une môme à élever… Et…

je n’étais pas là pour elle… par ta faute.

– Je ne le savais pas, bon sang ! Si je l’avais su, j’aurais tout fait pour

l’empêcher de partir !

Il me toisa froidement puis resta silencieux pendant quelques secondes

avant de soupirer de lassitude. Je savais qu’il pensait que je disais la

vérité. Il me connaissait et il était bien conscient que j’aurais assumé mes

responsabilités.

Je le suivis du regard tandis qu’il s’effondrait sur la chaise. Il posa ses

coudes sur la table avant d’enfouir son visage dans le creux de ses mains.

Peiné, je m’approchai de lui et ramassai la chaise au passage avant de

reprendre ma place.

– Je comprends que tu sois déçu et je m’en excuse, Séb… je ne sais

pas quoi te dire d’autre pour que ton sentiment de trahison s’apaise,

mais… j’ai envie de la rendre heureuse, de prendre soin de mon enfant.

– C’est tout ce que je souhaite aussi, murmura-t-il.

Il releva enfin la tête et j’ancrai mon regard au sien. Il était ému, au

bord des larmes, mais il faisait tout pour ne pas perdre la face devant moi.

– Je veux aussi qu’elle soit heureuse et que Maddy grandisse auprès

d’un père qui prend soin d’elle. Jenna n’a jamais eu cette chance, Went,

et… j’ai essayé pourtant… à croire que j’ai raté quelque chose.

– Quoi ? Ne dis pas ça. Jenna t’aime énormément. C’est pour nous

préserver tous les deux qu’elle est partie… soufflai-je, ému avant de

baisser mon visage vers la table.

– C’est-ce qu’elle t’a dit ?

Incapable de sortir un son de ma bouche tandis que je distinguais

l’éclat de ses yeux emplis d’espoir, je hochai la tête puis m’efforçai de

fixer mes mains que je croisai devant moi.

– Oui… c’est ce qu’elle m’a confié. Je sais… je sais que je ne peux

pas revenir en arrière, Sébastien, mais sache que si je le pouvais, j’aurais

tous fait pour comprendre les raisons de son départ avant qu’elle ne quitte

le pays. J’aime Jenna…

224

– Mm… elle t’aime et je pense que c’est le plus important… laisse-

moi juste le temps de faire le point.

– D’accord, arrivai-je à articuler, la gorge serrée par l’émotion. Je… je

crois que je vais rentrer chez mes parents.

– Non !

Je relevai la tête à son exclamation et le vis se lever.

– Elle m’en voudra si je te laisse partir… et j’ai besoin d’aller faire un

tour. Reste avec elles.

– OK.

Je me levai à mon tour et lui souris légèrement.

– Je suis désolé de… soufflai-je en posant mes doigts sur mon visage,

lui signifiant la blessure de son nez.

– T’a seulement eu de la chance que ma nièce soit à l’étage, Riller.

Je poussai un soupir de soulagement puis hochai la tête avant qu’il ne

quittât la pièce.

Lorsque je remontai à l’étage, Jenna m’attendait en haut de l’escalier.

Je restai silencieux et lui pris la main qu’elle me tendait. Nous nous

dirigeâmes vers la chambre après nous être rassuré que Maddy dessinait

toujours.

– Raconte-moi.

Je soupirai doucement et m’installai sur le bord du lit. Elle vint se

nicher entre mes jambes et maintint mon menton afin de me redresser la

tête.

L’appréhension était présente dans son regard.

– Il est toujours en colère, mais on a pu discuter un peu…

– Went ?

– Il lui faut du temps, Jenna… je le comprends.

– Je suis tellement désolée, répliqua-t-elle.

– Ce n’est pas ta faute, tu entends ? fis-je d’une voix forte en

l’écartant de mon corps. Ce n’est pas ta faute. C’est du passé, nous

sommes réunis maintenant.

Son regard était presque apeuré. Je m’en voulais d’avoir été si brusque

avec elle. Je desserrai lentement mes mains de ses bras puis les plaçai sur

ses joues avant d’attirer son front contre le mien.

– N’oublie jamais que je t’aime, Jenna… tu le sais, n’est-ce pas ? Je

sais que tu le sais… soufflai-je avant de prendre possession de ses lèvres.

225

Deux heures plus tard, Sébastien n’était toujours pas rentré. Jenna s’en

était inquiétée et avait essayé de le joindre sur son portable, mais il ne

répondait pas. Je levai les yeux vers elle qui reposait le combiné du

téléphone sur son socle en soupirant.

– Arrête de t’inquiéter, Jenna.

– Je sais… souffla-t-elle avant de se retourner vers le téléphone qui se

mit à sonner.

J’esquissai un sourire puis plissai le front.

– … oui, Docteur… merci… très bien. Au revoir.

Je lançai un regard rassurant à Maddy qui avait levé les yeux de sa

nouvelle feuille à dessin.

– C’était un docteur ?

Je fronçai les sourcils, surpris que Jenna restât immobile. Je me levai

avant de passer ma main sur le visage de ma fille puis allai la rejoindre.

– Hé, quelque chose ne va pas ?

– Non… il a juste confirmé que je manquais de vitamines.

– Oh… ce n’est rien de grave alors ?

– Les résultats sanguins sont bons. Ne t’en fais pas. J’ai juste une

anémie, mais... j’en avais également quand j’étais petite !

J’essayai de me convaincre que ce n’était pas grave au sourire qu’elle

arborait sur les lèvres, mais je sentais qu’elle ne me disait pas tout. Je

n’eus cependant pas le temps de l’interroger davantage, car Maddy nous

accapara.

Jenna se mit à préparer le souper tandis que j’aidai notre fille à

terminer son dessin.

– Le ciel est bleu, tu veux mettre quelle couleur ?

– Du rose ? Ou du noir ?

– Un ciel noir ? Ce n’est pas très joyeux, ma puce, lui expliquai-je en

passant une main dans ses boucles brunes.

– Ben, m’en fiche, je vais mettre du rose alors.

– OK, comme tu veux, soufflai-je avant de lancer un regard discret

vers Jenna qui peinait à retenir son rire.

Je finis par me lever, Maddy était concentrée sur le ciel qu’elle

coloriait en rose. Je m’approchai lentement de Jenna et passai mes bras

autour de sa taille avant de plonger mon visage dans le creux de son cou.

226

– Mm…

– Laisse-moi finir… murmura-t-elle tandis que mes mains

s’aventuraient sous son haut.

Je souris contre son cou, constatant son trouble aux caresses légères

que mes doigts produisaient sur la peau douce de son ventre.

– Maman ?

J’enlevai mes mains de sa peau et me reculai en soupirant de

frustration.

– On va partir bientôt ?

Je sentis Jenna se tendre alors qu’elle acquiesçait d’un hochement de la

tête.

– Tu es triste de venir avec moi ? lui demandai-je avant de m’installer

à son côté. Maddy ? Tu ne veux pas venir ?

– Si, j’ai pas envie de rester sans toi, mais maman m’a dit que tu

travaillais là-bas et c’est loin d’oncle Sébastien.

– Tu as peur de ne pas voir ton oncle assez souvent ?

Elle hocha la tête et baissa les yeux.

Ému, je soulevai son visage et ancrai mon regard au sien.

– Oncle Sébastien pourra venir à la maison aussi souvent qu’il le

voudra, ma chérie.

– C’est vrai ?

– Bien sûr, ma princesse. Je ne l’empêcherai jamais de venir voir sa

nièce préférée. Et tu sais, je suis sûr que tu te plairas à la maison. Il y a

toujours un grand soleil et, chaque soir, quand je rentrerai, toi et moi on

ira nager dans la piscine.

– C’est vrai ?

– Oui, c’est vrai, mon ange, répondis-je en riant à son exclamation.

– Oui, mais j’sais pas nager.

– Je t’apprendrai, Maddy. Tu verras, tu vas te plaire à Los Angeles.

Elle me sourit et vint se blottir dans mes bras. Je resserrai mon étreinte

et fermai les yeux, imaginant tous les moments de bonheur que nous

vivrons tous les trois.

– Je pourrais voir ton travail ? me chuchota-t-elle à l’oreille.

Je souris et me redressai avant de la prendre dans mes bras.

– Bien sûr, ma puce. Je te montrerai comment ça se passe et je

t’emmènerai au parc aussi, tu verras, on va bien s’amuser !

227

– Au parc ?

– Oui, à Disneyland ! On y passera un week-end entier et on ira à la

plage.

– Ouais !

Je me mis à rire à son enthousiasme débordant et aux étincelles qui

peuplaient à présent son regard. Je la chatouillai quelques secondes puis

nous décidâmes d’aider sa mère dans la préparation du repas, mais

rapidement, Maddy baissa les bras.

– Remonte tout ça dans ta chambre et mets ton pyjama, lui ordonnai-je

d’une voix douce en lui montrant son bloc à dessin et ses feutres qui

traînaient sur le comptoir.

– D’accord.

Le sourire aux lèvres, je l’observai tandis qu’elle quittait la pièce, les

bras chargés.

– Tu es bien silencieuse, fis-je remarquer à l’adresse de Jenna lorsque

nous fûmes seuls.

– Oh, je pensais à Séb…

Je soupirai et allai l’enlacer tendrement.

– Ma puce ?

– Mm ?

– Que t’a dit le médecin ?

– Je te l’ai dit. C’est juste une anémie, pas de quoi en faire un plat !

répondit-elle, un peu énervée.

Je la tournai vers moi et cherchai la vérité dans son regard fuyant.

– Tu as eu un autre rendez-vous ?

– Euh… non, murmura-t-elle en déglutissant péniblement avant de

s’écarter de mon étreinte.

Je fronçai les sourcils, de plus en plus suspicieux. Je l’observai

quelques secondes et j'aperçus ses mains trembler tandis qu’elle mettait la

table.

– Tu te moques de moi !

– Pardon ? s’exclama-t-elle, surprise avant de me faire face.

– Il te dit que tu n’as qu’une anémie et il ne t’a pas donné un autre

rendez-vous pour une prescription ? lui demandai-je sans ciller.

– Euh… il m’a dit juste de bien manger et de reprendre des forces,

Went… Mais si tu ne me crois pas, tu peux l’appeler ! rétorqua-t-elle en

228

me fusillant d’un regard noir de colère.

Je restai silencieux, continuant de l’observer avant d’émettre un soupir

de résignation. Je devais me faire des idées…

Je m’avançai vers elle et plaçai mes mains autour de son visage.

Doucement, je caressai ses joues de mes pouces, ses lèvres fines avant

d’ancrer mon regard au sien.

– Je te crois, ma puce… mais ça me rassurerait si tu vas le voir.

– D’accord, OK, j’irai demain, pendant ses consultations, d’accord ?

répondit-elle en souriant.

Je lui souris et hochai la tête, satisfait. Alors que j’allais approcher mon

visage du sien, la sonnette de la porte d’entrée résonna.

– Qui cela peut-il bien être ? demandai-je, surpris.

– Tu devrais aller voir.

J’acquiesçai avant de l’embrasser tendrement et allai ouvrir la porte.

– Elena ?

– Salut, dit-elle en pénétrant à l’intérieur.

Je soulevai un sourcil, surpris de la voir ce soir.

– Tu n’es pas avec les parents ?

– Non ! Ils sont invités chez Maggie donc…

– Tu as préféré venir ici pour taper l’incruste ! rétorquai-je en riant à

la grimace d’excuse qu’elle arborait sur ses lèvres. Tu es pile à l’heure, on

allait passer à table.

– Super ! s’écria-t-elle en ôtant sa veste avant de m’embrasser sur la

joue.

– Chérie ?! Devine qui est là ? criai-je du salon à l’adresse de Jenna

tandis que ma chère sœur ouvrait la porte de la cuisine.

Génial, me dis-je à l’éclat de rire des deux jeunes femmes.

La soirée allait être longue…

Jenna

J’ouvris les paupières et esquissai un sourire aux images qui me

revinrent en mémoire en découvrant le corps alangui de Went à mon côté.

Je restai quelques minutes sans bouger, de peur qu’il se réveillât, et

songeai à la soirée de la veille.

Après le coup de fil du médecin, m’annonçant que mon examen

sanguin était très inquiétant – ce que j’avais omis volontairement de dire à

229

Went –, Elena était apparue dans la cuisine.

Maddy était aux anges. Elle aimait beaucoup sa tante et celle-ci s’était

amusée à lui montrer des photos de son père au même âge qu’elle. Went

était gêné et furieux contre sa sœur, pour ne pas changer.

Une fois l’heure passée pour Maddy, Went l’avait accompagnée à

l’étage, me laissant le loisir de discuter un peu avec Elena. J’avais surpris,

au cours du repas, ses petites absences et son regard éteint à plusieurs

reprises, ce qui m’avait inquiétée.

À force de persuasion, j’avais réussi à la faire parler en mettant un

doigt sur le responsable.

Quelle fût ma surprise de découvrir l’identité de cet homme !

Séb, mon frère.

Elle éprouvait des sentiments pour lui et je l’avais deviné la dernière

fois où elle m’avait demandé quand il rentrerait…

J’esquissai un sourire à cette pensée. Elena était amoureuse de mon

frère. Si ce n’était pas comique !

Évidemment, elle m’avait demandé de garder cela pour moi et surtout

de ne pas en toucher un mot à Went.

Je lui avais donné ma parole.

– Y’a longtemps que tu es réveillée ?

Je tournai la tête et esquissai un sourire avant d’embrasser ses lèvres.

– Bonjour. Juste à l’instant, répondis-je en caressant son visage.

– Mm… bonjour, mon ange.

– Il faut que j’aille prendre ma douche, l’informai-je alors qu’il

m’attirait contre lui.

– OK, je te rejoins ?

Je fis mine de réfléchir, histoire de le taquiner un peu. Sa réaction fut

immédiate, il se leva du lit et m’y tira vivement avant de me porter dans

ses bras jusqu’à la salle de bain.

Les miens passés autour de son cou, je riais avant qu’il m’interrompît

par un baiser ardent. J’y répondis avec la même fougue. Nos langues se

lièrent dans une passion époustouflante. Mon corps trembla légèrement

dans ses bras au désir qui me consumait.

Dans des mouvements experts, il ôta son dernier vêtement, je fis de

même, avide de reprendre mes caresses. Il me souleva dans ses bras et

m’attira dans la cabine de douche. Il alluma l’eau, vérifia la température

tandis que j’avais enfoui mon visage dans son cou pour aspirer sa peau

230

sensible, là où sa veine palpitante battait à tout rompre.

Il murmura des paroles incompréhensibles d’une voix rauque, laissant

des gémissements de plaisir s’échapper de ses lèvres pour ma plus grande

satisfaction. Ses mains s’affolèrent ensuite sur mon corps et j’entrepris les

mêmes actions sur le sien.

À bout de souffle, nous nous admirâmes un instant puis il m’attira au

plus près de son corps. Je vis l’envie pressante de ne faire plus qu’un

danser dans ses iris d’un vert éclatant, mais il prit le savon à l’aveuglette

alors que ses lèvres revinrent m’embrasser.

Chaque centimètre de ma peau passa sous ses doigts.

Je n’en pouvais plus.

– Went…

Il me plaqua alors contre la paroi de la douche et glissa sa main dans le

creux de mes cuisses.

Avide, je sentis la réaction violente et primitive de Went contre mon

ventre. Je me cambrai contre lui tandis qu’il poursuivait ses longs va-et-

vient de ses doigts.

Au bord du gouffre, je relevai son visage et le suppliai du regard.

– Maintenant…

Il me sourit, visiblement satisfait de lui, puis me souleva dans ses bras.

Je m’agrippai à son cou, mes jambes se placèrent autour de sa taille tandis

qu’une décharge électrique me traversait de part en part. Il reprit mes

lèvres, intensifiant son baiser, et entra en moi dans un coup de reins

puissant.

Moment exquis…

Haletante, j’eus l’impression que mon corps se liquéfiait sur place.

J’émis un râle de protestation lorsqu’il se retira. Je fus incapable de

respirer convenablement alors qu’il plongeait en moi à nouveau. Il

renouvela cette douce torture à plusieurs reprises.

Ses coups de reins se firent de plus en plus vifs, de plus en plus

rapides, accélérant ma respiration, mon souffle, intensifiant mes

gémissements qu’il écrasa de ses lèvres. Puis, nous explosâmes à

l’unisson, criant dans la bouche de l’un et l’autre.

Sa main caressa mon dos lentement, dessinant des formes imaginaires

sur ma peau encore frémissante par cette brutale explosion.

– Je t’aime, Jenna.

– Je t’aime aussi, Went, soufflai-je, le souffle erratique.

231

Nous nous fixâmes pendant quelques secondes, incapables de

prononcer le moindre mot.

Ce fut inutile.

Je sortis la première de la salle de bain et descendis à la cuisine, un

sourire au bord des lèvres. Surprise de constater la présence de mon frère

dans la pièce, je me stoppai.

Je sentis mon sourire s’effacer à la pensée que Séb avait dû entendre

nos ébats.

– Tu pourrais descendre de ton petit nuage pour me dire bonjour,

sœurette !

Je relevai la tête et déglutis péniblement avant de lui offrir un large

sourire.

– Désolée… Salut, Séb, murmurai-je en l’embrassant sur la joue.

– Ouais… Installe-toi, je te ramène ton café et j’ai été à la

boulangerie, je t’ai acheté des croissants.

– Hé, c’est super ! Mais dis-moi ? Il y a longtemps que tu es levé ? Je

ne t’ai pas entendu rentrer hier…

– C’est parce que je viens de le faire.

J’écarquillai les yeux, surprise.

– Mais… tu as passé la nuit dehors ?

– Non… enfin, une partie.

– Comment ça ? demandai-je, intriguée.

– Mange !

Je baissai le regard vers le bol de café fumant et les viennoiseries qu’il

venait de poser sur la table pour me faire taire. Je le regardai un instant

puis secouai la tête, lui indiquant par ce geste qu’il ne s’en sortirait pas

aussi facilement.

– Tu étais où ?

– Jenna… je suis majeur !

– Ah ! Ça te va bien de dire ça ! répliquai-je, outrée qu’il osât donner

cette excuse.

– Je suis sorti, c’est tout ! Que veux-tu que je te dise d’autre ? râla-t-il.

– Pas la peine de t’énerver !

– Je ne m’énerve pas !

– T’en es sûr ? demandai-je en fixant son regard sans ciller.

232

Il roula des yeux, exaspéré par mon insistance, et finit par se détourner

afin de se servir une tasse de café. Je l’observai. Je pouvais apercevoir

l’exaspération sur son visage.

– Bon d’accord, je ne poserai plus de question, dans ce cas ! me

renfrognai-je, boudeuse.

– Je suis allé voir des potes à moi et j’ai roulé pas mal de temps,

m’avoua-t-il enfin.

Un silence s’installa dans la pièce. Je savais pertinemment les raisons

qui l’avaient décidé à sortir de la maison. Il avait besoin de réfléchir, et je

ne l’en blâmai pas. Tout ce que je voulais, c’était qu’il pardonna à Went et

qu’ils redeviennent aussi complices qu’autrefois.

– Jenna… j’ai réfléchi et… je me suis emporté, je m’en excuse. Tu

avais raison.

– À quel propos ? demandai-je d’une voix émue.

– Je… pense que la colère que j’ai éprouvée était plus dirigée contre

moi. J’avais remarqué tes regards sur Went quand tu étais ado… et…

comment ai-je pu ne pas m’en rendre compte ? Et pour Maddy… Cette

petite est son portrait craché !

J’émis un faible rire et baissai la tête afin de cacher les larmes qui ne

tardaient pas à apparaître dans mes paupières.

– Je suis vraiment désolé, petite sœur.

Je fermai les yeux puis plaquai ma main sur la sienne qu’il venait de

poser sur mon bras. Je tournai mon visage vers lui avant d’ancrer mon

regard au sien puis, soudain, nous nous étreignîmes.

– Merci, Sébastien, murmurai-je, en m’écartant. Tu as toujours été

comme un père pour moi et je… suis désolée de ne t’avoir rien dit, de ne

pas m’être confiée à toi.

– Je t’aime tellement, Jenna. Si tu savais combien je t’aime.

Émue, je souris alors que les larmes roulaient le long de mes joues.

Délicatement, il les balaya de ses pouces dans un geste tendre et

m’attira à nouveau contre lui, partageant une nouvelle étreinte fraternelle.

– Je t’aime aussi, grand frère.

Quelques instants plus tard, je terminai mon café lorsque la porte de la

cuisine s’ouvrit. Went lança un regard vers mon frère qui lavait la

vaisselle.

La tension fut palpable dans la pièce. Mon regard partit de Went à Séb.

Je comprenais que j’étais de trop dans la pièce. Je me levai et apportai

233

mon bol dans l’évier.

– Bon, je vous laisse.

– Où tu vas ? me demanda Went en me retenant par le bras.

– Euh… j’ai un truc à faire, je n’en aurai pas pour longtemps.

– Mais tu ne m’avais pas…

– Je sais, mais… oh, ça te dérange de t’occuper Maddy ? demandai-je

en prenant l’air embarrassé.

– Bien sûr que non ! répliqua-t-il vivement.

– Super ! lançai-je en me mettant sur la pointe des pieds pour

l’embrasser sur les lèvres.

– Jen…

– À tout à l’heure ! m’exclamai-je en quittant la pièce.

Amusée, je pouffai dans ma main droite tandis que de la gauche, je

retins la porte de la cuisine. Je devais m’assurer qu’ils n’allaient pas en

venir aux mains encore une fois.

Je vis Went, toujours debout. Il hésitait à s’avancer, mais le fit la

seconde suivante.

– Salut, Séb, lança-t-il d’une voix peu confiante en se servant un café.

– Salut.

Went avait le dos tourné et je perçus le regard exaspéré de mon frère.

Je secouai la tête, amusée par son comportement futile.

Went alla ensuite s’installer à la table. Le silence était juste pesant…

– C’est toi qui les as ramenées ?

Je plissai le front et compris qu’il parlait des viennoiseries, car il en

prit une.

– Ouais, répondit mon frère.

– C’est gentil.

– Elles sont pour Maddy et Jenna !

Je déglutis péniblement à la douleur que j’éprouvais à son ton glacial.

Sur cette réplique un peu brusque, il stoppa son geste avant de reposer le

croissant sur la table.

– Désolé.

– De quoi ?

– Pour beaucoup de choses, répliqua Went du tac au tac, sentant

visiblement la colère reprendre possession de lui.

Ils se fixèrent pendant quelques secondes puis soupirèrent de lassitude

234

chacun de leur côté.

Un sentiment de déception m’envahit.

Moi qui voulais qu’ils règlent tout avant notre départ pour la

Californie, ce ne fût pas gagné !

J’allai mettre un terme à ma curiosité quand je vis Went reprendre le

croissant qu’il avait posé sur la table et le mordre à pleine dent sous le

regard de mon frère qui ne fit, cette fois, aucune remarque.

235

17

QUAND LE DESTIN S’EN MÊLE…

Jenna

J’étais toujours installée dans ma voiture, devant le cabinet du

médecin. Je regardai droit devant moi, perdue dans mes pensées. Cela

faisait bien une heure que j’avais quitté la maison et je n’avais toujours

pas trouvé le courage de sortir de ma BMW pour affronter le médecin.

J’étais idiote…

Mon état de santé n’était peut-être pas aussi grave après tout. Les

médecins pouvaient faire des erreurs… et puis, je me sentais bien mieux.

Un soupir de lassitude s’échappa de mes lèvres tandis que mes muscles

restaient tendus à l’extrême. J’avais peur.

Poussant un énième soupir, je me décidai enfin à descendre de la

voiture et jetai mon sac en bandoulière sur mon épaule avant de

m’avancer vers la porte.

J’entrai et balayai la pièce du regard.

– Vous désirez ?

– Euh… bonjour… Je viens voir le Docteur Charton.

– Très bien, je vais le prévenir. Vous pouvez patienter dans la salle

d’attente juste ici.

Je tournai la tête dans la direction qu’elle pointait du doigt et

j’acquiesçai.

– Merci.

Assise sur une chaise au côté d’un enfant de plus de dix ans et sa mère,

j’essayai d’apaiser le tremblement de mes mains. N’y pouvant plus de

rester là à attendre, au bout de quelques minutes, je me levai et fis les cent

pas dans la pièce, consciente des regards intrigués sur moi.

Soudain, la porte du cabinet s’ouvrit. Mes yeux se posèrent sur le

médecin qui me fixait, un pli soucieux sur le front.

236

– Jenna, entrez.

Je déglutis péniblement avant de m’avancer rapidement. Le médecin

me serra la main, je le saluai une fois qu’il eut fermé la porte de son

cabinet.

– Installez-vous, Jenna.

– D’accord…

– J’ai revu vos analyses de sang et… personne n’a pu venir avec

vous ?

– Euh… non, répondis-je, surprise par sa question.

– Et votre frère ? Si vous voulez, je l’appelle…

– Non ! le coupai-je en élevant la voix. Qu’est-ce qui se passe au

juste ? Vous avez été si confus au téléphone.

Il acquiesça de la tête et fixa le stylo qu’il tenait à la main pendant

quelques secondes avant de relever son visage.

– C’est exact. Je vous ai informée que vous aviez une forte carence en

fer, mais aussi que vos résultats nous montrent une importante baisse de

vos globules rouges.

– Une infection ?

– Oui.

Il prit un instant pour inspirer, je vis qu’il se sentait mal à l’aise. Les

tremblements de mes mains s’accentuèrent, j’eus l’impression d’être sur le

ponton d’exécution.

– Docteur… qu’est-ce que j’ai ? questionnai-je d’une voix inquiète.

– J’ai demandé au labo de refaire les analyses et… il s’avère que vous

présentez des hypoleucocytoses.

J’ouvris la bouche en Ö, incapable de sortir un son avant de secouer la

tête.– Pourriez-vous être plus clair ? S’il vous plaît…

– Bien sûr… C’est une diminution importante du nombre de globules

blancs. Comme votre anémie a fait chuter vos globules rouges, les blancs

auraient dû augmenter. Or, ce n’est pas le cas.

– Et ? insistai-je, constatant qu’il prenait un instant pour continuer.

– Je crains fortement que votre infection soit d’origine

chromosomique…

– Je ne comprends rien à ce que vous me dites, Docteur ! m’énervai-

je, sentant les larmes me monter dans la gorge.

237

Il baissa la tête d’un air ennuyé puis la releva lentement. Son regard

noisette plongea dans le mien et je ressentis l’anéantissement de tout le

bonheur que je commençais à entrevoir.

– Je pense que c’est… une leucémie, Jenna. Je suis désolé.

– Une…

Je ne pus continuer. Tétanisée par cette annonce, je me relevai

doucement et marchai dans la pièce.

Ma vue se brouilla par les larmes. Je sentis la nausée m’envahir de part

en part comme si ce médecin venait de m’arracher le droit d’être enfin

heureuse. Mes pensées se dirigèrent aussitôt vers ma petite Maddy que je

ne verrais probablement pas grandir.

Mon Dieu…

Il devait se tromper, je ne pouvais pas être malade.

– Vous avez dû vous tromper, Docteur…

– Je préférerais, croyez-moi.

Je fermai les yeux, m’accrochant au dossier de la chaise, et tentai de

faire le vide en moi.

– Il y a un traitement ? demandai-je après plusieurs minutes de

silence.

– Oui, mais tout d’abord je dois vous faire une autre analyse qui

permettra d’en apprendre plus sur le stade.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Juste un hémogramme des numérations sanguines. Je dois vous faire

une autre prise de sang, le tube contiendra un anticoagulant… je… cet

examen est essentiel pour apprécier un dysfonctionnement de la moelle

osseuse ou des perturbations appelées périphériques.

J’écoutai tout en ayant du mal à réaliser tout ça.

– Jenna ?

Je sursautai légèrement au contact de la main qu’il posa sur mon

épaule et secouai la tête afin de reprendre mes esprits.

– Jenna, je sais que c’est difficile, mais vous pouvez encore avoir de…

– Arrêtez, je vous prie… le coupai-je en m’écartant. Je suis

condamnée, n'est-ce pas ? soufflai-je, laissant une larme rouler le long de

ma joue.

– Je suis désolé, Jenna.

Je hochai la tête, ravalant mes larmes, et lui offrit un léger sourire pour

238

ne pas éclater en sanglots.

– Quand dois-je faire cet examen ? demandai-je en redressant le torse,

prête à me battre.

– Demain matin, huit heures… Jenna ? Je voudrais que vous soyez

accompagnée.

– Non, l’interrompis-je. Je ne veux pas en parler… à qui que ce soit !

– Mais, ce serait beaucoup mieux pour vous pour…

– J’ai dit non ! le coupai-je d’une voix furibonde avant de me calmer.

Je ne veux pas que Sébastien l’apprenne, ni personne d’autre, vous

m’entendez ?!

– Je pourrais vous donner le numéro de téléphone d’un médecin.

– Non, je n’en ai pas besoin d’un psychologue. C’est mon choix,

Docteur. Je ne veux pas qu’ils le sachent ! Je veux juste vivre une vie

normale, du moins, ce qu’il m’en reste... je ne veux pas qu’ils me

regardent chaque seconde en se disant que…

Je m’interrompis et laissai les larmes couler abondamment sur mes

joues. Le médecin passa son bras autour de mes épaules et me réconforta

doucement par ce geste tendre.

– Très bien, je comprends… mais serez-vous assez forte pour vous

battre toute seule ?

Je m’écartai de lui comme s’il venait de me brûler avec cette question

douloureuse. Je baissai les yeux et une évidence s’empara de tout mon

être.

Pour rien au monde, je ne voulais les faire souffrir.

Ma fille, Went… mon frère…

Non, je ne pouvais pas leur imposer ça.

C’est alors que je me tournai vers le médecin et le remerciai avant de

reprendre mon sac.

– Je vous vois demain, lançai-je avant de quitter la pièce d’un pas

rapide.

Après avoir quitté le cabinet du médecin comme une furie, je décidais

d’aller rendre visite à Jack avant de rentrer à la maison. Comme à son

habitude, il ne m’avait pas posé de question, mais je savais qu’il

comprenait que je n’allais pas bien. Je n’avais pas cessé de pleurer dans la

voiture, me demandant si tout cela était bien réel.

Mes yeux m’avaient trahie.

239

Il m’avait offert un café, tentant de me faire rire à plusieurs reprises,

mais le chagrin m’avait submergée à nouveau. Mes pensées devenaient

plus pesantes à l’idée de laisser à jamais les personnes que j’aimais le plus

au monde.

J’aurais pu confier à Jack le mal qui me rongeait de l’intérieur, mais

cela était difficile, trop difficile… Il aurait été si triste et le fait d’imaginer

que je pouvais lui imposer ça me l’interdisait.

C’est alors qu’après avoir partagé un moment avec lui autour d’un bon

café, j’avais inspiré pendant de longues secondes et m’étais décidée à

rentrer, prête à affronter leurs regards. Jack avait tenté une dernière fois

d’obtenir mes confidences, mais j’avais refusé, lui jurant que tout allait

bien. Il m’avait alors rappelé qu’il était là si je désirais en parler, avant de

m’enlacer tendrement. J’avais répondu à son étreinte, un pincement au

cœur, et l’avais embrassé sur la joue avant de quitter le restaurant, sans

plus attendre.

Je soupirai, gardant dans un coin de ma tête que les analyses du

lendemain seraient meilleures. J’inspirai une longue goulée d’air, prête à

rentrer à la maison.

Je vis Maddy sortir sur le seuil alors que je coupais le moteur de la

voiture. Went la suivait, le visage crispé par l’angoisse. J’inspirai alors

profondément tout en évitant son regard à travers le pare-brise, et une

force venue de nulle part m’aida à balayer les dernières heures

insupportables qui venaient de s’écouler.

Affichant un large sourire sur mes lèvres, je sortis de la voiture et

prenait Maddy dans mes bras. Alors que je sentis ses petites mains se

refermer autour de mon cou, je crus pendant une fraction de seconde que

la force de faire face à mon destin s’effacer.

Mais je résistai…

Je leur devais bien ça.

Savourant le contact de ses petites lèvres qui se posaient sur ma joue,

j’ouvris les paupières en esquissant un sourire avant de déposer à mon

tour un baiser sur son front.

– T’étais où maman ? Papa et moi on s’inquiétait !

– Je suis désolée, ma chérie. J’étais juste partie chez Jack.

Du coin de l’œil, je vis Went froncer les yeux à ma réponse. Il avança

vers nous et demanda à Maddy de rentrer avant qu’elle ne prît froid.

Je suivis ma fille du regard et enfonçai mes mains dans mes poches.

240

– Tu étais chez Jack ? me demanda-t-il d’une voix douce avant de

déposer un baiser sur mon front.

– Mm… il te passe le bonjour.

– Il ne m’a rien dit. Il vient juste de m’appeler pour nous inviter

samedi soir avant notre départ pour la Californie.

– Oh, fis-je d’un petit cri de surprise avant que le silence s’installât

entre nous.

– Jenna ?

– Mm ?

– Tu es sûre que tu vas bien ?

– Oui, je t’assure… c’est juste que je suis un peu fatiguée, mentis-je

avant d’entrer.

– Tu devrais retourner voir le médecin.

Je me stoppai et fermai vivement les paupières alors qu’il m’entourait

de ses bras.

– Oh, mais je suis passée au cabinet. Sa secrétaire avait préparé

l’ordonnance.

– Ah bon… pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Je serais venu avec toi,

répliqua-t-il, déçu.

Je me détachai de son étreinte et replaçai une mèche de mes cheveux

derrière mon oreille en me raclant la gorge.

– Ce n’était pas la peine, j’ai tout ce qu’il me faut. Je suis passée à la

pharmacie en sortant de chez Jack, tout à l’heure, l’informai-je en

brandissant le sachet devant son nez.

– OK. Qu’est-ce qu’il t’a prescrit ?

– Du fer, des vitamines et des médicaments contre les nausées.

Il hocha la tête sans pour autant rompre notre échange visuel.

J’esquissai un semblant de sourire et lui demanda :

– Alors comme ça, Jack voudrait fêter notre départ ?

– J’en ai bien peur, répondit-il en riant légèrement avant de

m’embrasser avec tendresse. Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu sortais ce

matin ?

Troublée, je baissai les yeux avant de répondre à son léger sourire.

– Tu as voulu nous tendre la perche à ton frère et moi, n’est-ce pas ?

– Tu m’en veux ? demandai-je en faisant une mine de désolation.

– Non, souffla-t-il avant de m’embrasser à nouveau.

241

Je souris, satisfaite, et ne résistai pas à l’envie, au besoin pressant, de le

serrer dans mes bras.

– Je t’aime.

– Moi aussi.

Je me détachai ensuite de son étreinte avant de me rendre dans la

cuisine où Maddy criait qu’elle avait faim.

– Que voudrais-tu manger, mon ange ? lui demandai-je en souriant

alors qu’elle tentait d’ouvrir le four.

Went alla l’en empêcher.

– Ce n’est pas l’heure de manger des pâtisseries, princesse !

– Mais j’ai faim !

– Je vais préparer le repas, mon ange, intervins-je en passant ma main

sur sa joue.

– D’accord.

Quelques minutes plus tard, Maddy partit informer Sébastien que le

déjeuner était prêt.

– Au fait, comment s’est passée ta conversation avec mon frère ?

– Viens, on va s’asseoir, me dit-il en m’entraînant vers une chaise.

Déroutée d’apercevoir les difficultés qui se manifestaient sur son

visage quand il m’expliquait la discussion qu’il avait eue avec mon frère,

je sentis mon monde s’écrouler.

– Ça ne s’est pas bien déroulé, n’est-ce pas ? Went, il faut vraiment

que vous vous réconciliiez parce que… Maddy a besoin de vous deux et…

Le cœur lourd, j’étouffai un sanglot.

Went

Hébété soudain par ses pleurs, je m’agenouillai à sa hauteur et

emprisonnai son visage entre mes mains.

– Hé, mais qu’est-ce que tu as, ma puce ?

– Rien…

– Rien, répétai-je en fronçant les sourcils. Pourquoi te mets-tu dans un

état pareil ? On ne s’est pas entretués, ma chérie.

– Arrête ! hurla-t-elle subitement avant de me repousser.

Abasourdi par sa réaction, je l’observai tandis qu’elle se levait de sa

chaise, furibonde, alors que ses pleurs redoublaient.

242

J’attendis un instant, essayant de comprendre les raisons de cette

réaction brutale puis, n’y parvenant pas, j’avançai vers elle d’un pas

hésitant.

– Hé, ma puce… excuse-moi si je t’ai mise en colère, mais… qu’est-

ce que tu as ?

– Je veux juste que vous vous réconciliiez tous les deux avant que…

nous partions à Los Angeles.

Doucement, j’effaçai ses larmes de mes pouces et déposai un baiser sur

le bout de son nez avant de sourire.

– Je pense que nous sommes sur la bonne voie, mon amour. Il est

inutile de te mettre dans cet état. Tout s’arrangera avec Séb, d’accord ?

– Tu es sûr ?

– Oui, je le suis, mon ange, répondis-je, le cœur serré à la douleur que

je lisais dans son regard. Viens là.

Je l’attirai dans mes bras et la berçai quelques instants. Elle avait l’air

si fragile, si délicate.

– Excuse-moi, Jenna… Je ne pensais pas.

– Non, ce n’est rien… c’est moi, je m’excuse. Je suis à bout de nerfs,

désolée.

– Je comprends… Ça va mieux ? demandai-je en l’écartant

légèrement de mes bras afin d’ancrer son regard au sien.

– Oui.

– Tu es sûre ?

– Oui, c’est bon, répéta-t-elle en appuyant sa réponse par un large

sourire. Tu penses qu’il t’en veut encore ?

– S’il m’en veut encore c’est certain, répondis-je en soupirant. Il a

raison et je le comprends, je l’ai trahi en quelque sorte, mais nous voulons

la même chose tous les deux. Votre bonheur, à toi et à Maddy.

J’observai une expression de tristesse qui passait sur son visage. Je

tentai de comprendre ses pensées, mystérieuses furent-elles, car je

soupçonnai qu’elle me cachait quelque chose d’important, mais le sourire

qu’elle arborait m’empêcha de trouver mes réponses. J’effleurai sa joue

du bout des doigts. Son regard s’anima enfin, plongeant dans le mien.

– Je suis vraiment stupide de réagir de la sorte, tu as raison. Je suis

sûre que vous trouverez une solution.

– Je ne m’en fais pas, ne t’inquiète pas, et ce matin, il a entendu la

243

conversation que j’ai eue avec notre fille. Je lui disais que son oncle

pourrait venir quand il souhaitera vous rendre visite. D’ailleurs, elle l’a

déjà invité à passer les fêtes de fin d’année à Los Angeles avec ma

famille.

– Oh ! C’est… génial.

Je souris, satisfait, et l’embrassai.

– Tu verras, tout s’arrangera…

Elle hocha la tête et me tendit ses lèvres que je happais avec tendresse.

Soudain, comme saisie par un élan désespéré, elle m’enlaça et

m’embrassa avec passion. Une déferlante d’amour s’abattit sur moi.

– Vous ne pourriez pas arrêter de vous bécoter tous les deux ?

Les yeux écarquillés, nous nous écartâmes l’un de l’autre, mettant fin

ainsi à cette étreinte passionnée, avant de nous tourner vers Sébastien qui

portait Maddy dans ses bras.

Jenna commença alors à pouffer, cachant son visage dans mon cou, et

je ne résistai pas à l’accompagner dans son rire, remarquant que Sébastien

secouait la tête en roulant des yeux.

Le déjeuner se passa bien. L’ambiance n’était plus aussi tendue que ses

derniers jours. Bien sûr, Séb et moi n’engageâmes plus de conversations

comme par le passé, mais il restait courtois envers moi, du moins devant

Maddy.

Car, je ne m’attendais pas à la supercherie qui allait suivre...

– Oncle Sébastien ?

– Oui, ma puce ?

– Ça veut dire quoi "bécoter" ?

J’écarquillai les yeux par sa question tandis que Jenna laissait un

grognement inaudible s’échapper de ses lèvres. Séb, quant à lui, esquissa

un semblant de sourire.

– Euh… c’est une question pour ton père, ça, ma chérie.

– Pour papa ?

– Oui, tu vois…

– Hé ! intervins-je en faisant une moue indignée.

– Oui, tu vois, les papas sont censés expliquer ce genre de chose à leur

enfant… et, tu n’as qu’à lui demander pendant que je parle avec maman,

d’accord ?

– D’accord !

244

– Non, mais attends. Comment veux-tu que je lui explique ça ?!

demandai-je, outré alors que Jenna et lui marchaient déjà vers la sortie.

– Ben, tu prends exemple sur la pub qui passe à la télé, avec les

bouteilles de lait !

J’écarquillai les yeux, stupéfait par la situation dans laquelle il venait

de me fourrer. J’eus juste le temps d’apercevoir le regard amusé de Jenna

avant qu’il ne l’entrainât dans le salon.

Penaud, je fixai la porte qui venait de se refermer, oubliant que ma

petite Maddy était restée dans la pièce, attendant la signification du mot

« bécoter »…

– Alors, papa ? Ça veut dire quoi ?

Je baissai le regard vers elle et déglutis péniblement tandis que son

sourire me paraissait tout aussi moqueur que celui de son oncle.

Jenna

Je venais de terminer d’emballer nos affaires avant de prendre un

instant pour me reposer. Les valises de Maddy étaient déjà bouclées.

Assise sur le bord du lit, je me perdis dans mes pensées, songeant à la

conversation que j’avais eue avec Sébastien. Il m’avait d’abord informée

que la gérance de la bibliothèque avait trouvé preneur, mais je continuais à

m’en vouloir. Je me détestais de le laisser seul ici alors que nous avions

encore beaucoup de choses à rattraper, lui et moi… mais comme il l’avait

si bien dit lorsqu’il m’avait serrée dans ses bras, mon avenir était avec ma

propre famille à présent. Je devais foncer, ne pas regarder en arrière.

Mes pensées m’emmenèrent ensuite chez Jack, la veille au soir. Il nous

avait tous invités pour fêter notre départ. La famille de Went et mon frère

étaient tristes, tout comme Jack qui n’avait cessé de s’inquiéter pour moi.

Il avait d’ailleurs menacé Went que si, par malheur, il ne prenait pas soin

de moi, il prendrait le premier avion pour lui botter les fesses. Nous

avions ri, moi également, malgré la profonde douleur que j’éprouvais. Il

allait me manquer… ils allaient tous me manquer…

Maddy était tout excitée par ce nouveau départ, cette nouvelle vie qui

nous attendait avec Went. Celui-ci lui racontait tellement de choses

formidables qu’une partie de moi angoissait à l’idée qu’elle pût être déçue

une fois arrivée en Californie.

Le point positif de la soirée fut les coups d’œil complices que j’avais

245

aperçu entre mon frère et Elena. Elle était aux anges pendant le dîner

tandis qu’ils discutaient tous les deux de son roman.

– Je peux entrer ?

Je sursautai légèrement puis repris mes esprits à l’écoute de la voix de

mon frère. Je relevai la tête et lui souris.

– Tu vas bien ?

– Oui, ça va, répondis-je en soufflant tandis qu’il s’installait près de

moi.

– Où est Maddy ?

– Elle est avec Went, chez ses parents.

– Oh…

– Tu me promets que tu viendras nous voir dès que tu le pourras ?

demandai-je, le regard brillant de larmes.

Il me sourit tendrement puis entoura mes épaules d’un bras avant de

m’attirer tout contre lui. J’évitai de fermer les yeux pour ne pas

commencer à pleurer, mais l’émotion était trop forte.

– Je viendrai, Jenna… mais promets-moi de passer des heures au

téléphone avec ton frère.

Je me mis à rire légèrement puis m’écartai de son étreinte avant de

plonger mon regard dans le sien.

– Je te le promets, Séb. Tu vas me manquer.

– Tu vas me manquer aussi, ma petite sœur… Dis-moi, il vous reste

un peu plus d’une heure avant le grand départ et je me demandais si tu

voulais venir avec moi ?

– Où ça ?

Je le fixai, attendant une réponse que pourtant je connaissais déjà,

constatai-je à l’expression de son regard. Je laissai un long soupir

s’échapper de mes lèvres.

Je savais que cela lui tenait à cœur, alors pourquoi pas.

– D’accord, Séb.

– Tu es sûre ?

– Je le fais pour toi alors oui, répondis-je en me levant.

– Je ne veux pas que tu te sentes forcée, Jenna.

– Non, non ! Écoute, t’en fais pas, d’accord. Je pense aussi que j’ai…

que j’en ai besoin…, ajoutai-je, tout en baissant le regard.

– D’accord. Allons-y.

246

Je redressai la tête et le remerciai d’un large sourire alors qu’une boule

d’angoisse prenait place dans le fond de ma gorge. Nous descendîmes au

rez-de-chaussée.

À cet instant, la porte d’entrée s’ouvrit sur Maddy, Went et Elena.

– Prête pour la Californie, Jenna !?

– Salut, Elena. Oui, on est prêt… Went ? Je… je dois partir quelques

minutes avec Séb.

– On n’en aura pas pour longtemps, intervint mon frère en remarquant

le regard interrogateur de Went posé sur lui.

– OK.

Je lui souris en hochant la tête puis me levai sur la pointe des pieds.

Mes lèvres effleurèrent les siennes d’un doux baiser puis s’approchèrent

de son oreille.

– Je t’expliquerai, lui soufflai-je dans un murmure.

– Ne sois pas en retard.

247

18

UN DERNIER ADIEU

Went

Je soupirai de lassitude, ignorant l’endroit où Sébastien emmenait

Jenna. Je venais de refermer la porte de chez elle quand Elena me

demanda :

– Vous ne vous êtes toujours pas réconciliés, tous les deux ?

Je la foudroyai du regard et déposai Maddy sur le sol. Elle courut

s’installer dans le canapé et alluma la télévision. J’esquissai un sourire et

l’informai que sa tante et moi devions parler.

Après que ma fille, déjà concentrée sur les images de l’écran, ait

acquiescé de la tête, j’attrapai le bras d’Elena et l’entraînai vers la cuisine.

– Hé !

– Tu ne pourrais pas attendre que Maddy ne soit pas dans la même

pièce que nous pour aborder le sujet ? lançai-je en fixant son air hébété.

– Oh… désolée. Elle ne sait rien ? Elle doit se douter que…

– Oui, elle s’en doute peut-être, mais Sébastien et moi faisons le

maximum pour ne pas avoir un mot plus haut que l’autre en sa présence !

– OK, OK, pas la peine de te mettre en colère.

– Je ne suis pas en colère, soupirai-je en m’installant sur le tabouret,

près du plan de travail.

– Qu’est-ce que tu as ? Et ne me dis pas que tu as peur de l’avion, tu

ne fais que de voyager entre Los Angeles et Dieu sait où !

J’étouffai un léger rire en secouant la tête.

Elena et son humour !

– Non, c’est juste que je m’inquiète un peu…

– Au sujet de Jenna ?

Je hochai la tête, le regard dans le vide.

– Tu n’as pas à t’en faire, Went ! Jenna t’aime, voyons !

248

– Mais ce n’est pas ça qui m’inquiète. Je sais qu’elle m’aime et que ce

sera merveilleux de vivre ensemble avec notre fille, mais…

– Sa santé te préoccupe toujours ?

Je relevai la tête, l’interrogeant du regard.

– Tu sais quelque chose ?

– Non… seulement, tout à l’heure elle avait l’air complètement

épuisée et je lui ai dit de se reposer un peu, mais elle a refusé… elle était à

bout de souffle.

– Ce n’est pas la première fois…

– Maman dit que c’est les effets de l’anémie.

– Mm, peut-être… répondis-je en soupirant. Bon, je vais mettre les

affaires dans le coffre. Tu peux rester avec la petite ?

– Bien sûr.

Je la remerciai d’un sourire et l’observai tandis qu’elle s’avançait vers

la porte. La main sur la poignée, elle se retourna vers moi et ajouta d’une

voix émue :

– Je suis sûre qu’elle ira mieux d’ici quelque temps, Went. Ne t’en fais

pas. Le soleil de la Californie lui fera le plus grand bien !

Je souris.

– Dis-moi, j’ai l’impression qu’une de mes sœurs va souvent me

rendre visite, je me trompe ?

– Oh que non, tu ne te trompes pas ! Et puis, il faut dire que j’ai une

nièce à voir maintenant. Je l’adore, c’est un vrai petit ange.

– Ouais, elle te ressemble un peu. Elle peut sembler être un ange et la

seconde d’après… une vraie petite diablesse.

Je pouffai tandis qu’elle plissait le regard, prête à bondir sur moi, mais

elle n’en fit rien.

– Elle va me manquer, Went.

– C’est gentil pour moi, ça ! répliquai-je en faisant une moue

dubitative avant de lui lancer un clin d’œil complice. Viens aussi souvent

que tu le souhaites, tu sais bien que tu es la bienvenue, petite sœur.

Elle me sourit et sortit de la pièce. Je restai quelques instants dans la

cuisine, perdu dans mes pensées, et songeai à nouveau au matin, la veille.

Je m’étais réveillé seul. Jenna était rentrée une heure plus tard. Elle

m’avait dit avoir profité que les routes n’étaient plus enneigées pour

passer chez Jack. Pourtant, je lui avais posé la question pendant la soirée.

249

Il m’avait en effet confirmé sa venue, mais l’heure où elle avait quitté la

maison ne correspondait pas avec ses dires. Bien sûr, je n’avais pas

insisté, car je pouvais lire dans son regard qu’il était triste de la voir partir

à l’autre bout du pays aussi vite.

C’était vraiment étrange…

Je secouai la tête afin de sortir toutes les questions de mon esprit et me

levai en inspirant une bonne bouffée d’air avant de me mettre au travail,

les valises ne rentreraient pas toutes seules dans le coffre.

Jenna

Je fixai devant moi sans pouvoir être capable de ressentir la moindre

émotion. Si ce ne fut ce petit sentiment que j’empêchai de se développer

vraiment, car je ne pouvais le décrire. La neige avait recouvert le sol et

l'on devinait que personne n’avait mis les pieds ici depuis un moment. Je

sentais la présence de Séb derrière moi, ce qui me réconfortait, car je

savais que je n’aurais pas été capable de l’affronter seule, même si peu de

choses restaient de lui.

Seul, un morceau de marbre froid à son nom le désignait désormais…

Aucune fleur n’ornait la stèle de mon père. J’en éprouvai un léger regret et

fermai les yeux, tentant désespérément d’apaiser ce sentiment avant de le

voir disparaître.

J’y arriverais, je le savais.

J’inspirai profondément l’air hivernal qui pénétrait avec violence dans

mes poumons puis, lentement, je m’accroupis et posai une main hésitante

sur ce marbre glacial. Je sentis alors celle de Sébastien se poser sur mon

épaule en signe d’encouragement et de réconfort.

Ma main libre vint à la rencontre de la sienne, le remerciant

silencieusement d’être là, avec moi, tandis que je fixai le prénom de mon

père. Je sentis les larmes qui montaient, mais cette fois, je ne les retins

pas.

Depuis que j’avais appris qu’il n’était plus de ce monde, je n’avais pas

éprouvé le besoin, ni la force de le pleurer.

Aujourd’hui, je le pouvais…

Les yeux embués, j’esquissai un léger sourire empli de tristesse qui

s’abattait à présent sur moi.

Dévastatrice, la vague se fit brutale, galvanisant toute la rancœur que je

250

ressentais pour cet homme.

Là, à cet instant… à ses pieds, devant lui, je lui pardonnais.

Enfin…

– Adieu, Charlie…

De retour dans ma maison d’enfance de New York, un sourire s’étira

sur mes lèvres alors que j’aperçus Went et Maddy près de la voiture.

– Jenna ?

Je tournai la tête vers Sébastien. Il posa sa main sur la mienne en signe

d’encouragement. Je lui offris un sourire tandis qu’il arrêtait le moteur de

la voiture.

Complices plus que jamais, nous sortîmes du véhicule. Maddy se jeta

aussitôt dans mes bras, l’air surexcité.

– J’ai aidé papa à tout mettre dans le coffre ! Et papa m’a dit que je

devais dormir dans l’avion… c’est vrai ?

– Oui, ma puce, répondis-je en pouffant à la mine de déception qui

passait sur son visage.

– Il vaut mieux que tu dormes sinon tu seras trop fatiguée pour visiter

ta nouvelle maison à notre arrivée, ma puce, intervint Went en la prenant

dans ses bras.

Il me lança un doux sourire avant de se pencher vers mes lèvres. Je

savourai son baiser léger.

– Ça va ?

– Oui, je vais bien, Went.

– Je vais refaire le tour à l’étage pour voir si cette jeune fille n’a rien

oublié, annonça-t-il en l'installant sur ses épaules.

Le sourire sur les lèvres, je les observai tandis que Maddy éclatait de

rire.

– Jenna ?

Je me retournai vers Jim qui traversait la rue.

– Où est maman ? demanda Elena qui se tenait près de la porte que

Went venait de refermer.

– Elle arrive, elle arrive. Tu sais bien qu’elle déteste les adieux !

Elena roula des yeux.

– Ce n’est pas des adieux, papa !

– Dis ça à ta mère, Elena ! Tu sais très bien que c’est toujours dur pour

251

elle de voir partir ses enfants.

Peinée, je levai les yeux vers lui, songeant aux paroles de Sébastien,

pendant nos conversations téléphoniques, concernant les coups de blues

d’Anna lorsque son fils repartait chez lui après avoir passé quelques jours

en famille.

À cet instant, Went nous rejoignit sur le trottoir.

– Tout va bien, elle n’a rien oublié, me dit-il en m’embrassant

tendrement avant de se tourner vers son père. Où est maman ?

Jim roula des yeux avant de soupirer longuement.

– Oh non, ne me dis pas qu’elle pleure encore ?

– Tu devrais aller la voir, intervins-je.

– Tu as raison. J’y vais.

Je contemplai Went qui traversait déjà la rue.

– Je… vais aller voir Maddy, annonça Sébastien en me lançant un clin

d’œil.

– Je viens avec toi ! poursuivit Elena avant de marcher sur ses pas.

Je pouffai, ravie de son empressement.

Dehors, je restai avec Jim alors que quelques flocons de neige

commençaient à tomber.

– Je comprends Anna. Ça ne doit pas être évident pour elle.

– Ce n’est jamais facile pour une maman de dire au revoir à ses

enfants… Surtout maintenant qu’elle a sa petite fille qu’il emporte avec

lui.

– Qu’il emmène, corrigeai-je en riant.

Il se met à rire également et s’approcha de moi, me faisant face.

– Et toi, comment ça va ?

– Euh… ça va. Ne vous en faites pas.

– Tu es prête à partir, n’est-ce pas ?

Je le fixai, restant silencieuse pendant quelques secondes.

– Oui, bien sûr… je suis heureuse, Jim.

– Je sais… Écoute, avant que vous ne partiez, j’aimerais te reparler de

cette lettre que ton père a laissée à ton sujet.

– Pas maintenant…

– Jenna, je pense que tu devrais la lire.

Indécise, je fermai les paupières et sentis les battements de mon cœur

s’accélérer dangereusement.

252

– Je sais et je le ferai, Jim…. Sébastien m’a emmenée sur sa tombe,

murmurai-je d’une voix hésitante.

– C’est vrai ?! J’en suis content et fier de toi, ma grande… Il fallait

que tu y ailles !

De plus en plus surprise par la façon dont il magnait avec habilité ce

dont j’avais besoin, je le regardai de manière incrédule alors qu’il se mit à

rire aux éclats.

Puis, quelques secondes plus tard, la tendresse qu’il me portait apparue

de son visage.

– Qu’est-ce que tu ressens à présent ?

– Je… j’ai l’impression qu’un gros poids s’est enfin enlevé. Je ne

pensais pas qu’il fallait que j’y aille pour ressentir cette espèce

d’apaisement, mais… je crois que je suis capable de lui pardonner à

présent. Je l’ai fait et, peu importe ce qui est écrit dans cette lettre, la seule

chose qui compte maintenant, c’est que je vive à fond tous les moments

que je passerais avec Maddy et votre fils.

Un large sourire étira ses lèvres puis, rapidement, je me retrouvai dans

ses bras. Je répondis à son étreinte, lâchant un doux soupir de

soulagement, tandis qu’une larme roulait sur ma joue.

– Merci pour tout ce que vous avez fait, Jim.

– Pas de quoi, ma petite Jenna…. Tu sais bien que je t’aime beaucoup

et je te souhaite d’être heureuse, tu le mérites et… dès que tu seras prête,

appelle-moi et je te la donnerai. Tu as déjà fait un grand pas en avant et je

suis sûr que tu seras capable d’en faire d’autres.

Je m’écartai de lui à ces mots avec une vague impression qu’il faisait

allusion à quelque chose qui m’était incompréhensible. Néanmoins, je

n’eus pas le temps de l’interroger que la voix d’Anna se fit entendre

derrière moi.

– Excusez-moi d’être en retard !

– Mais non, tu n’es pas en retard, maman. On doit être à l’aéroport

dans une demi-heure ! rétorqua Went en lui souriant tendrement.

– Oui et tu crois qu’une demi-heure suffira pour embrasser ma petite

Maddy ?

Je le vis lever les yeux au ciel avant de venir m’enlacer.

– Pff, elle ne changera jamais !

– C’est une mère formidable.

253

– Une grand-mère formidable aussi. Figure-toi qu’elle m’a fait

promettre de la faire téléphoner au moins deux à trois fois par semaine,

m’informa-t-il en posant son front contre le mien.

– Mm… Maddy les adore, elle se fera un plaisir de les appeler,

répondis-je tandis que son regard s’ancrait au mien.

Émue, je souris contre ses lèvres qu’il vint de poser contre les miennes.

Je lâchai un petit soupir de satisfaction avant de répondre à son baiser.

– Je crois qu’on devrait y aller.

– Oui… répondis-je d’une voix rauque.

Nous arrivâmes à l’heure à l’aéroport. Tous les autres avaient tenu à

nous accompagner. Au fur et à mesure que les minutes passaient, je sentais

l’émotion me gagner à nouveau. Tandis que nous discutâmes dans

l’imposant hall de l’aéroport, mon regard se perdit sur leurs visages, sur

les paroles réconfortantes qu’ils échangeaient avec nous, Maddy et Went.

Mon frère restait silencieux, mais gardait, pour me rassurer – sans doute –,

le sourire aux lèvres tout en serrant sa nièce contre lui. J’observai mon

enfant qui chuchotait quelque chose à son oreille avant qu’il n’éclatât de

rire. Anna, quant à elle, rappelait à nouveau à son fils qu’il ne devait pas

oublier sa promesse.

Le grand départ approchait…

– Tu vas me manquer, Jenna.

Je déglutis péniblement avant de plonger mon regard dans celui

d’Elena. Elle me sourit tristement et nous nous enlaçâmes.

Du coin de l’œil, je vis l’émotion de Went qui passait sur son visage

alors que je mettais fin à l’étreinte de sa sœur.

Maddy approcha de ses grands-parents pour un dernier au revoir. Je

contemplai mon petit bout de choux de quatre ans qui entourait ses petits

bras autour du cou d’Anna et de Jim.

Une vague d’émotions me submergea.

Ma vue se brouilla quand j’aperçus mon frère qui avançait vers

Wentworth. Ils s’étreignirent amicalement, presque fraternellement

comme autrefois, et cette vision eut raison de moi.

Les larmes m’échappèrent.

– Fais attention à elles, Went… Je te les confie.

– Tu peux compter sur moi.

Je balayai rapidement une larme de ma joue lorsque mon frère

254

s’approcha de moi tandis que Went enlaçait sa mère.

– N’oublie pas que je serai toujours là pour toi, me dit-il dans le creux

de l’oreille.

J’étouffai un sanglot et le serrai fermement dans mes bras.

– Je t’aime Séb… promets-moi que tu seras toujours là pour ma fille ?

Il eut l’air surpris, car il s’écarta de moi un instant, plantant son regard

dans le mien.

– Je te le promets, répondit-il d’une voix brisée par l’émotion.

Je le remerciai d’un sourire et l’embrassai une dernière fois avant

d’enlacer les parents de Went. Ce fut à cet instant que la voix provenant

des haut-parleurs s’éleva dans l’aéroport, priant les passagers du vol à

destination de Los Angeles de s’avancer. La petite main de Maddy glissa

dans la mienne. Je lui jetai un regard d’encouragement puis me tournai

une dernière fois vers Elena qui ravalait ses larmes.

– Prends soin de lui, soufflai-je en esquissant un léger sourire.

Émue, elle hocha la tête puis leva le regard vers Sébastien qui la

dévorait des yeux.

– Un ciné ce soir ?

– Volontiers…

Je pouffai à la vue du regard inquisiteur de Went, mais l’entraînai vers

le tarmac, ignorant son grognement de mécontentement.

Nous étions arrivés chez Went, la veille dans l’après-midi, et New York

me manquait déjà, même si je n’avais pas eu une minute à perdre. Notre

plus grand plaisir à Maddy et moi fut quand Went avait reçu le coup de fil

du réalisateur de la série. Un problème technique étant survenu sur le lieu

du tournage, la reprise était retardée à mardi.

Nous avions profité de ce laps de temps avec lui. Néanmoins, cette

journée était passée à une extrême vitesse. Maddy avait déjà adopté la

grande piscine de la maison. Elle était aux anges.

Quant à moi, j’avais profité que Went apprenait à Maddy de nouveaux

mouvements de brasse pour ranger la chambre de notre petite fille.

D’ailleurs, j’avais été agréablement surprise de savoir qu’il avait organisé

notre venue depuis New York. Il avait demandé à Rosa, la gouvernante,

d’acheter tout ce dont une petite fille de quatre ans avait besoin.

Rosa, je ne l’avais pas encore rencontrée, Went lui ayant donné son

jour de congé afin que nous restions en famille.

255

– Cette petite ne me ressemble pas seulement physiquement ! me dit-il

en pénétrant dans la chambre.

Je sortis de mes pensées et répondis à son doux sourire. Je venais de

m’allonger sur le lit, prenant un instant pour me reposer. Il s’avança vers

moi puis m’embrassa.

– Où est Maddy ?

– Elle se change dans sa chambre. Tu vas bien ?

– Oui, je suis juste fatiguée, murmurai-je d’une faible voix tout en

détestant lui mentir ouvertement.

Alors qu’il me fit tourner vers lui pour me serrer dans ses bras, je

fermai les paupières, répondant avec sincérité à son étreinte tandis qu’une

bourrasque de questions se posait à moi.

J’avais tellement envie de lui dire ce qu’il se passait… j’avais

tellement besoin de lui et de son soutien, mais je ne trouvais pas les mots.

Pendant les minutes où nos corps restèrent enlacés, je tournai plusieurs

phrases dans ma tête, aussi incompréhensible l’une que l’autre, pour lui

avouer ce mal, cette maladie qui nous séparerait peut-être dans peu de

temps.

Comment annoncer une chose si terrible à l’être aimé ?

Comment lui avouer que nous vivions l’un des derniers moments

ensemble ?

Je ne pouvais pas… pas maintenant du moins.

– Hé, ma puce…

– …

– Regarde-moi, m’ordonna-t-il en prenant mon visage en coupe dans

ses mains.

– Went…

– Mon Dieu, Jenna, qu’est-ce que tu as ? Pourquoi pleures-tu ?

– Je… je ne pleure pas, reniflai-je en balayant les larmes traîtresses

qui coulaient le long de mes joues sans que je m’en rende compte.

– Jenna… dis-moi ce qui ne va pas. Je t’en prie…

Confuse, je le fixai.

Ses prunelles étaient si claires, si transparentes que je pouvais

apercevoir le reflet de mon visage blafard.

Nous nous dévisageâmes un long moment. Ses mains étaient toujours

posées sur mes joues qu’il caressait tendrement de ses pouces. Je fus prise

entre l’envie de lui avouer la vérité sur ma maladie et celle de fuir à toutes

256

jambes. Cette deuxième solution serait sans doute la meilleure, me dis-je

tandis qu’une vague de tristesse m’emplissait jusqu’à l’âme.

– Jenna ?

– Je… suis juste fatiguée, mon cœur. Ne t’inquiète pas, lui répondis-

je, un sourire forcé sur les lèvres.

Il ne me croyait pas, c’était évident.

– Je t’aime, tu sais…

– Je le sais, Went… murmurai-je en fermant les yeux. Je t’aime

aussi… plus que tout.

Nous fûmes sur le point de nous embrasser lorsque Maddy apparût

dans la chambre.

– Papa ?

– Oui, mon ange ?

– Tu t’en vas demain ?

Je grimaçai, constatant la tristesse qui voilait son regard. Went l’attira

dans notre lit et l’embrassa sur le front tandis que je la serrais dans mes

bras.

– Je dois travailler, mon ange. Tu te souviens, je t’avais parlé que je

devais retourner au travail ?

Elle hocha la tête.

– C’est demain que je dois y aller, mon ange. Mais ne t’en fais pas, je

serai de retour avant que tu te couches.

– Tu promets ?

– Oui, je te le promets, ma chérie.

– Tu rentres pas manger ?

– Non, mais je vous appellerai entre les scènes que je dois tourner,

OK ?

– D’accord… tu vas nous manquer, papa.

Émue, je fixai Went dans les yeux alors qu’il l’enlaçait contre lui.

– Vous allez énormément me manquer aussi, ma chérie… mais je

verrai avec Paul si vous pouvez venir sur le plateau. On trouvera bien un

moment à passer ensemble, d’accord ?

– D’accord, papa !

– Allez viens, je vais te préparer ton goûter ! proposa-t-il pour le plus

grand plaisir de notre petit estomac sur pattes.

Je lui souris, pouffant légèrement, alors qu’elle avait déjà filé à la

257

cuisine…

Went

Une fois son goûter avalé, je laissai Maddy au salon devant un dessin

animé puis montai à l’étage. Ce que je découvris dans la chambre me

souleva le cœur. Jenna était en train de se réveiller, les traits de son visage

durcis par la douleur. Une panique s’empara de tout mon être et je me

précipitai vers elle.

– Jenna ? Ma puce…

– Went… je me suis endormie…

Je hochai la tête et l’aidai à se redresser avant de m’installer à son côté.

Je l’attirai contre moi et passai une main dans ses cheveux désordonnés.

Je sentis sa peau brûlante.

– Tu as encore de la fièvre… j’appelle le médecin, dis-je en me levant.

– Non… ça va, ne t’en fait pas.

– Arrête de me dire de ne pas m’en faire ! Jenna.

Je m’interrompis, prenant conscience que je venais d’élever la voix.

– Excuse-moi… je vais appeler le médecin, ma puce. Je suis inquiet

pour ton état de santé. Tu es toujours fatiguée et…

– Ce sont les médicaments… il n’y a pas de quoi s’affoler.

– Quels médicaments ?! demandai-je, les sourcils arqués. Jenna ?!

– Où est Maddy ?

Elle se fichait de moi.

– Elle regarde la télé… Qu’est-ce que tu me caches, chérie ? Écoute…

je reprends le tournage demain, mais si tu veux…

– Non !

Je la vis blêmir à nouveau, encore un peu plus.

– Jenna… murmurai-je avec lassitude. Je n’aime pas te voir comme

ça… dis-moi ce que sont ces cachets ?

– Le traitement que m’a donné le Docteur Charton… ne t’en fait pas,

j’irai mieux.

Déconcerté, je la fixai un instant et finis par répondre à son sourire, me

rappelant qu’elle m’en avait bien informé, bien que je n’ai pas le souvenir

de l’avoir vue le prendre.

Lentement, je levai la main et caressai sa joue, et laissant mes doigts

258

qui dérivaient vers ses lèvres entrouvertes. Elle ferma les yeux un bref

instant avant de les rouvrir, brillant plus que de raison.

– Je te promets d’aller mieux, Went, murmura-t-elle d’une voix faible.

– Viens là…

Elle obtempéra aussitôt, enfouissant son visage dans mon cou. Je

fermai les paupières et poussai un soupir de soulagement.

– Je t’aime.

– Moi aussi, ma puce.

– Tu dois être là-bas à sept heures, demain ?

– Ouais, répondis-je. Tu vas me manquer, mon cœur.

– Toi aussi…

259

19

QUAND LA VERITE FAIT MAL…

Went

Je finis par garer ma voiture sur le parking où mon nom était inscrit

sur le bitume. J’arrêtai le moteur et pris quelques instants, profitant encore

des minutes de solitude qui s’offraient à moi. Mon esprit revint à l’heure

qui s’était écoulée avant mon départ…

Jenna était déjà levée et avait insisté pour me préparer un copieux

petit-déjeuner.

Un sourire étira mes lèvres, songeant à l’instant intime que nous avions

partagé à la place. Elle avait l’air en forme et, pendant un bref instant, elle

avait réussi à anéantir toutes traces d’inquiétudes qui sommeillaient en

moi. Elle m’avait d’ailleurs promis de rendre visite au médecin de la ville

dans la journée. Je lui avais demandé de l’appeler plusieurs fois

aujourd’hui.

Je devais bien avouer que je n’avais pas été très bon acteur à mon

départ. Jenna avait décelé aisément ma réticence à la quitter. Ce fut alors

qu’elle m’avait presque jeté dehors afin que je me rende à mon travail.

À ce souvenir, un petit rire s’échappa de mes lèvres puis je quittai

l’habitacle de mon 4x4.

Malgré le lever du soleil qui commençait seulement à offrir ses rayons

à travers les nuages encore gris de la nuit, la température montait

progressivement et je me surpris à relever les manches de ma chemise tout

en me dirigeant vers les bureaux annexés à une cour gigantesque où se

trouvaient des lignées de caravanes toutes identiques.

L’angoisse me reprit soudainement lorsque mon regard croisa celui de

Paul à l’autre bout de la cour. Il était en pleine discussion avec des

membres de l’équipe. Je m’avançai d’un pas rapide, car il avait déjà l’air

irrité, du moins, ce fut ce que j’analysais à travers les grands gestes de

main qu’il faisait en s’adressant à plusieurs hommes armés de fils pour les

260

uns et caméras pour les autres.

– Went ! Te voilà !

J’attendis d’être à quelques mètres de lui pour lui répondre. À mon

approche, les hommes s’éloignèrent après un bref salut de la tête, nous

laissant sans doute seuls pour nos retrouvailles.

– Salut Paul, comment tu vas ? lui demandai-je alors qu’il m’offrait

une accolade amicale.

– Bien et toi ? Tu te sens d’attaque ?

– Comme toujours.

– Très bien, alors suis-moi. Les autres ne sont pas encore arrivés…

– Ah !

Je fronçai les sourcils, légèrement surpris. Habituellement, Paul

réunissait tous ses acteurs en même temps.

– Ouais… je voulais te parler de certaines choses et puis… tu n’avais

pas un truc à me dire ?

– Euh… si…

Il hocha la tête tandis que je la baissais, m’évertuant à me rappeler le

discours que j’avais préparé pour leur annoncer que j’étais « papa ». Je

savais au fond de moi que Paul et mes agents étaient satisfaits du fait que

j’étais célibataire, ce qui me valait comme nom auprès de la presse, « le

célibataire le plus convoité de l’Amérique ».

S’ils savaient à présent ! pensai-je silencieusement en suivant Paul qui

s’avançait vers une des nombreuses caravanes.

Près de l’une d’elles, il sortit un trousseau de clés et ouvrit la porte

avant de se tourner vers moi.

– Tiens. C’est la tienne.

– Merci, répondis-je en prenant les clés que je fourrais dans la poche

de mon jean.

– Tu as tout ce qu’il te faut ici. Nous n’allons pas procéder comme les

précédents tournages. Dès qu’une pause aura lieu ou qu’une retouche

maquillage s’imposera, c’est ici, dans votre petit nid douillet, que les

membres de l’équipe viendront prendre soin de vous.

J’opinai de la tête tout en jetant des coups d’œil furtif à l’intérieur. Tout

était confortable et spacieux. Un coin était consacré au maquillage, et les

costumes ou tout ce dont nous aurons besoin se trouvait déjà à disposition.

De l’autre côté, sur la gauche, un immense salon avait trouvé sa place

261

avec un canapé d’angle de couleur nacre. Sur la paroi était scellé un écran

plat de taille moyenne ainsi qu’une stéréo pour meubler le silence pendant

les repos entre les scènes.

– On tient beaucoup à cette dernière saison et on veut que vous ayez

tous vos moyens pour…

– La dernière ? Ils ont enfin décrété la fin ? demandai-je en

m’installant avec lui autour de la petite table ronde qui faisait office de

salle à manger, disposée entre le dressing et le salon.

– Ouais… Nick avait pas mal d’idées pour continuer, mais tu sais

comment ils sont ! On a dû se battre pour cette saison alors, j’espère qu’on

ne sera pas déçus.

– T’inquiète pas… ici on n’est pas numéro un, mais quand tu regardes

les audiences en Europe ou…

– Ils s’en contrefichent pas mal, Went ! On est aux États-Unis. C’est

ici que les audiences doivent être au maximum et non ailleurs, bien que

c’est une bonne chose pour vous, acteurs. Tu pourras toujours aller en

France après la clôture si tu ne trouves rien… mais qu’est-ce que je

raconte ?

Je me mis à rire alors qu’il secouait la tête énergiquement.

– Tu es un acteur excellent, Went. Je suis sûr qu’ils vont se mettre à

genoux pour une signature de ta part.

– On n’y est pas encore, Paul ! l’interrompis-je, sentant qu’il était sur

le point de s’énerver à cause de cette fin ultime qui approchait.

Le silence enveloppa l’habitacle de la caravane. Nos regards se

croisèrent avant de se fuir aussitôt, comme si quelque chose d’ennuyeux

devait être dit.

– Ah, j’allais oublier. Pam, ton assistante, elle ne sera là que demain…

– OK.

– J’espère que ça ira ?

– Bien sûr, répondis-je en riant doucement. Je serai capable d’aller me

chercher un café, ne t’en fais pas.

– Tu plaisantes !?

Les yeux plissés, je le fixai, étonné qu’il s’emportât.

– Ophélie est nouvelle ici, elle se fera un plaisir de jouer ce rôle

pendant l’absence de Pam.

– Comme tu voudras, soufflai-je afin d’éviter de l’offenser à nouveau.

262

– Très bien. Bon, qu’est-ce que tu devais me dire d’aussi important ?

Je déglutis et baissai la tête lentement avant de la redresser. J’inspirai à

fond, puis je fus sur le point d’ouvrir les lèvres pour lui annoncer quand il

coupa mon élan, les yeux écarquillés.

– Ne me dis pas que tu comptes rompre ton contrat !?

– Quoi ? Mais… non ! Qu’est-ce que tu vas chercher ?

– Ben… je ne sais pas, mais je pense que je ne pourrais pas t’en

vouloir avec les critiques qui fusent sur nous…

– Je ne te lâcherai pas, Paul ! Je pensais que tu le savais…

– Oui… oui, excuse-moi.

Je poussai un long soupir de lassitude et secouai la tête avant de me

lever.

Faisant quelques pas sur le lino, je sentis son regard oppressé dans mon

dos. Je pris alors une plus forte inspiration et me tournai vers lui.

– Je suis papa, Paul, murmurai-je, évitant son regard pendant une

seconde avant de l’ancrer au sien.

Un cri étouffé s’échappa de ses lèvres et il me regarda d’un air

absolument ébahi.

– Tu… tu, quoi ?

Je souris alors qu’il secouait la tête, pensant peut-être qu’il avait mal

entendu.

– Je suis papa, Paul, répétai-je d’une voix plus forte en reprenant ma

place, face à lui.

– Tu es papa… tu es papa… pourquoi ne l’ai-je pas appris plus tôt ?

Et depuis quand est-ce que tu es père ? Je pensais que tu avais rompu avec

cette garce de…

– Paul ! Il ne s’agit pas de Gwen .

Encore plus choqué, il poussa un son guttural qui m’effraya presque.

Les yeux littéralement sortis de leurs orbites, il me dévisagea, ahuri.

– Ne tire pas de conclusions hâtives, s’il te plaît. Il y a seulement deux

semaines que je viens d’apprendre que je suis père d’une petite fille.

– Mais…

– Elle vient d’avoir quatre ans.

Je levai la main en signe de réconfort, mais aussi pour qu’il ne

m’interrompît plus.

– Notre histoire est assez compliquée avec Jenna, mais…

263

– Compliquée !

– Ne hurle pas, Paul, le priai-je en fronçant les sourcils.

– Oh, mais non, pour ça, je laisse Pam s’en charger ! Tu te rends

compte que tu viens de m’annoncer que tu es père d’une gosse de quatre

ans !?

Silencieusement, je retins un soupir d’exaspération tout en hochant la

tête.

– Je n’en reviens pas… tu es sûr que c’est bien ta fille ?

– Je ne comprends pas ?

– Ben, tu sais… tu es un acteur et…

– Il vaudrait mieux que tu t’arrêtes, Paul. Jenna n’est pas ce genre de

femme et je n’ai aucun soupçon à avoir sur la paternité de mon enfant.

– Jenna ?

– Oui, Jenna, murmurai-je en esquissant un sourire.

– Tu l’aimes ? Tu peux m’expliquer, je suis lourdé là. Tout le monde

croit dur comme fer que tu es toujours un cœur à prendre depuis ta rupture

avec l’autre mollasse… Pardon.

Je soupirai de lassitude et levai les yeux vers le plafond.

– Je crois que je l’ai toujours aimée… quand je l’ai revue, après toutes

ses années…

– Gwen ?

– Mais, non ! m’énervai-je en massant mes tempes, devenues

soudainement douloureuses. Soit tu m’écoutes sans m’interrompre, soit…

– D’accord, d’accord. Raconte-moi tout !

Je le regardai, silencieux puis confirmai d’un mouvement de la tête que

je terminerai de tout lui raconter. Ce que je fis, omettant bien entendu les

détails qui nous étaient propres, à Jenna et moi.

J’attendis et observai l’expression de son visage qui s’était détendu. Il

soupira lentement puis ses yeux d’un bleu profond transpercèrent les

miens.

– Je sais que ma question va te paraître très égoïste, mais…

– Je t’en prie ?

– Doit-on s’inquiéter de ta nouvelle situation ? Je veux dire…

– Pas du tout, Paul. Jenna est heureuse de me voir exercer ce que

j’aime le plus…

– Oui, mais avoir un enfant signifie des problèmes inattendus et…

264

– Dom a des gosses et…

– Tu n’es pas Dominic, Went ! Écoute… tu sais tout comme moi que

ton image de célibataire intéresse la presse et…

– Mais je n’en ai rien à faire ! Je ne me rappelle pas avoir signé

quelque chose qui me demandait de rester célibataire le temps de la durée

de mon contrat !

– Bien sûr…

– À moins que j’aie omis de lire les clauses notées en tout petit ? lui

demandai-je d’une voix pleine d’humour pour détendre l’atmosphère.

– Tu sais très bien que je t’en aurais fait part.

– Je plaisantais, Paul… répliquai-je en roulant des yeux.

– Ouais.

Peu convaincu, il me fixa puis finit par pousser un cri d’enthousiasme

en se levant.

– Bon, ils ne vont plus tarder ! Je te félicite, papa ! Si je m’y attendais

à celle-là…

Son rire me déplut, je me renfrognais dans le mutisme et le foudroyai

du regard.

– Fais pas cette tête, je te comprends, ne t’en fais pas. Je suis content

pour toi, c’est sincère…

– Mais ? demandai-je en fronçant les sourcils, constatant la grimace

qu’il arborait.

– Je ne serai pas là quand tu apprendras la nouvelle à Pam et à Sa…

Il s’interrompit soudainement et me fixa d’un air hébété. Mon cœur se

mit à battre rapidement dans ma poitrine douloureuse, imaginant sans mal

ce qu’il fut sur le point de dire.

– Il… faut que j’y aille… je te préviendrai dès qu’ils seront tous là.

– Non… dis-leur de venir me rejoindre ici, l’informai-je d’une voix

saccadée par l’angoisse.

Il hocha la tête silencieusement puis s’avança vers la porte. Baissant la

tête sur le lino où mon regard se perdait inconsciemment, je sentis la main

de Paul se poser sur mon épaule avant d’entendre sa voix nouée de

compassion :

– Si tu as besoin de moi…

– Je sais, trouvai-je juste à dire avant d’enfouir ma tête dans le creux

de mes mains.

265

Pendant quelques minutes, je me trouvais seul dans la caravane où je

passerais le plus clair de mon temps à présent, la pensée d’appeler Jenna

hanta mon esprit, mais je dus balayer cette idée rapidement, pensant que

peut-être elle s’était rendormie et puis cela ne faisait pas encore une heure

que nous nous étions quittés.

Je réprimai à nouveau un long soupir puis, étant sur le point de

m’installer dans le canapé, des coups résonnèrent à la porte.

Rapidement, j’allai ouvrir. Un large sourire se planta sur mes lèvres

alors que Jason me bondissait dessus, manquant de nous renverser en

arrière.

– Content de te revoir, mon pote ! Comment tu vas ?

– Je vais bien, et toi ? répondis-je en remarquant les autres derrière lui.

Hé, vous êtes tous là ?

– Salut, Went.

– Dom, saluai-je en répondant à son accolade.

Une fois libéré de son étreinte, je leur fis signe de la main afin qu’ils

prennent possession des lieux. Robert entra à son tour, ainsi qu’Emma et

William. Mon regard s’attardait toujours à l’arrière au fur et à mesure que

j’embrassais mes amis, heureux de les revoir.

C’est alors qu’elle entra, le visage toujours aussi souriant. Son regard

croisa enfin le mien et je ne sus évaluer la joie que je ressentais au fond de

moi de la revoir après tout ce temps.

– Sarah, murmurai-je alors qu’elle s’approchait, les bras ouverts.

– Went… tu m’as manqué.

Je fermai les yeux et resserrai mes bras autour de son corps.

Nous restâmes ainsi pendant quelques secondes… une minute, je ne

saurais le dire, mais elle fut la première à mettre un terme à cette étreinte

amicale.

– Tu vas bien ? lui demandai-je dans un murmure en replaçant une

mèche de ses cheveux derrière son oreille.

Elle hocha la tête, l’air ravi que nous nous retrouvions. Nous savions

tous les deux que les regards des autres étaient posés sur nous, comme

aimantés, mais cela nous importait peu. Tous ici savaient que Sarah et moi

étions de très bons amis et ce lien fusionnel qui nous unissait était

important pour chacun de nous.

– Alors, comment étaient ces quelques semaines de vacances ?

Je me tournai vers Dominic et lui souris avant d’entraîner Sarah par le

266

bras vers le salon où ils avaient déjà tous pris place.

– Pour ma part, il est temps qu’on reprenne le tournage ! ronchonna-t-

il en soupirant. Ces gosses n’ont pas arrêté une seconde.

– Tu les as eus pendant les deux semaines ? demanda Sarah.

– Ouais. Mon ex-femme est partie avec son nouveau petit copain faire

la connaissance de sa nouvelle belle famille…

– Elle aurait pu prendre ses gosses, alors !

– Jason et sa manière douce, répliqua Dom en roulant des yeux d’un

air excédé. Bon, parlons de vous ?

– Moi, tout cool.

– Comme toujours, Robert, acquiesçai-je en lui faisant un clin d’œil.

Nous discutâmes alors quelques minutes, de tout et de rien. J’écoutai,

toujours silencieux.

Soudain, alors que William s’engageait dans une conversation qui

concernait la nouvelle saison, je sentis le regard de Sarah sur moi. Je

souris aussitôt puis tournai la tête vers elle. Complices comme autrefois,

nous nous observâmes en silence, sachant pertinemment que nous

n’avions besoin d’aucun mot pour nous comprendre.

– Bon, ben, on devrait y aller avant qu’il perde sa bonne humeur.

Je tournai la tête vers Dom qui se levait du canapé, suivi par les autres.

C’est alors que je pris conscience qu’il était temps pour moi de leur

apprendre ma nouvelle situation qui me remplissait de bonheur.

– Attendez, répliquai-je à l’instant où Sarah se mettait entre nous.

– J’ai quelque chose d’important à vous dire…

Sarah et moi venions de parler en même temps. Nos regards se

croisèrent avant de nous mettre à rire.

– Quoi ? Vous avez quelque chose à nous dire ?

Je plissai rapidement les yeux, fixant Jason qui avait le regard

écarquillé, la bouche ouverte par la béatitude.

– Jas, ferme-la. On vous écoute, intervint Dom.

– Euh… vas-y, Sarah… lui dis-je, légèrement confus.

– Euh… non, je ne sais pas ce que tu dois dire, mais vas-y, je t’en prie.

– Comment ça, vous ne savez pas ? s’étonna à nouveau Jason.

Je poussai un soupir exaspéré, comprenant aisément les pensées qui

l’avaient traversé. J’inspectai le regard de Sarah et secouai la tête.

– D’accord, cédai-je en remarquant l’insistance de ses yeux.

267

Je pris alors une grande inspiration puis me tournai vers mes amis.

– Voilà, comme vous le savez, pendant ce break, je suis allé chez mes

parents, à New York… et… vous savez, mon meilleur pote, Sébastien, eh

bien…

– Le mec qui habite en face de tes vieux ?

– Oui, soufflai-je en hochant la tête. Eh bien, sa sœur est revenue…

– Sa sœur ?

Je m’interrompis, fixant Dom d’un air surpris par l’exclamation de sa

voix. Il me jugea d’un regard froid, presque furieux, et lança un regard

inquiet vers Sarah.

– Jenna, elle s’appelle Jenna, continuai-je sans me soucier des paires

d’yeux peu amicaux. Il y a cinq ans, nous avions eu une… relation…

– Non…

Je ne prêtai pas attention à Jason qui gloussait à nouveau.

– Oui, Jenna et moi avions eu une relation très courte, mais… on s’est

retrouvés et… pour vous passer les détails de cette histoire…

– Non, vas-y, on t’écoute, Went… Qu’est-ce qui se passe ? Vous vous

êtes remis ensemble ? me demanda William en posant une main

encourageante sur mon épaule.

– Oui et… je suis papa.

Voilà, c’était dit également.

– Il est papa…

– T’es papa ?!

– Non…

– Comment ?

Je secouai la tête afin de tenter de reprendre mes esprits, noyés dans les

chuchotements et soupirs surpris et embarrassés.

– Maddy, ma fille a quatre ans. Jenna est partie pour la France à

cause… de moi. Je n’ai jamais su qu’elle était enceinte, mais ça n’a plus

d’importance…

– Tu veux dire que cette femme t’a fait un gosse dans le dos ?

– Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé, Dom, rétorquai-je aussitôt

à sa réplique que je pris pour une insulte.

– Ah oui ? Et comment tu as pris ça, toi ?!

Je fis un pas en arrière sous la fureur de sa voix qui fit taire tous les

chuchotements.

268

– Dom… c’est entièrement de ma faute et Jenna… bref, il y a eu un

énorme quiproquo. Elle a fui, elle était très jeune et…

– Comment ça très jeune ? Elle a quel âge ?

Je déglutis péniblement avant de baisser la tête à la vue des regards

furibonds qui se posaient tour à tour sur moi. Je remarquai que seule Sarah

ne me jugeait pas, elle ne disait rien et se contentait de contempler le lino

posé sur le sol.

– Je… elle a vingt-trois ans.

Une, deux, trois, quatre secondes s’écoulèrent où ne furent que

gloussements outrés et soupirs indescriptibles. Rouge de honte à la

réaction de mes soi-disant amis, je repris mes esprits et inspirai

profondément avant de leur lancer :

– Je sais que ça peut paraitre bizarre, mais Jenna est une femme

formidable. C’est la mère de mon enfant et, quoi que vous pensiez, je suis

bien avec elle.

– Tu l’aimes ?

J’ancrai mon regard à celui de William et hochai la tête.

– J’y crois pas ! T’es papa, mon pote, alors ?! s’exclama Jason.

Je poussai un soupir de soulagement en acquiesçant alors qu’il venait

vers moi pour me féliciter. Robert et William suivirent.

– C’est votre histoire à tous les deux, personne ne te jugera, n’est-ce

pas ?

Je remerciai Robert d’un sourire et attendis la réponse des autres.

– Non, bien sûr que non ! Mais tu nous les présenteras, hein ?

– Bien entendu, Jas… elles seront heureuses de vous connaître tous.

– Elles sont venues à Los Angeles ?

– Oui, Dom…

– OK…

Son murmure m’étonna de nouveau. Toutes ses réactions m’étonnèrent

d’ailleurs. Il était le seul à ne pas réagir comme je l’avais souhaité, ainsi

que Sarah qui était restée silencieuse jusqu’alors, évitant mes regards.

– Bon, on y va ? Paul va vraiment finir par s’énerver ! lança Robert

qui ouvrait déjà la porte de la caravane.

– Oh, et toi, Sarah ? Qu’est-ce que tu voulais nous dire ? demanda

Jason.

Elle leva la tête, le regard indéchiffrable, ne cessant de m’éviter.

269

– Sarah ? murmurai-je en posant une main sur son bras.

– Rien… rien d’important. Félicitations, Went, je suis très heureuse

pour toi.

– Merci, répondis-je en sentant mon cœur se serrer à la douleur que je

perçus enfin dans son regard.

Elle m’adressa un sourire forcé et nous quitta d’un pas rapide. Jason la

suivit en poussant des cris joyeux pour se mettre au travail. Seul, Dom

resta avec moi. Nous nous fixâmes alors quelques secondes, essayant de

savoir ce à quoi pouvait bien penser l’autre.

– Excuse-moi d’avoir réagi comme ça… je suis vraiment heureux

pour toi, Went.

– Merci.

– C’est juste que ça m’a foutu un choc et puis…

Il s’interrompit et lança un regard vers la fenêtre qui donnait sur la

cour où les autres marchaient en direction du bureau de Paul.

– Qu’est-ce qu’elle a ? demandai-je en soupirant, les yeux froncés.

Dom se tourna vers moi et baissa la tête avant de s’avancer vers la

porte. Il posa la main sur la poignée puis releva les yeux.

– Elle… il y a six mois, elle avait demandé le divorce. Elle était juste

heureuse de t’annoncer qu’elle était enfin divorcée, Went.

J’ouvris la bouche…

Aucun son ni aucun mot n’en sortirent.

Ma respiration devenait chaotique comme si je venais de courir un

marathon, essayant de poursuivre, d’attraper quelque chose qui ne cessait

de m’échapper. Ma vue se brouilla l’espace de quelques secondes puis

j’entendis la porte claquer.

Dom était parti.

Seul, je laissai ma respiration s’élever dans la pièce. J’inspirai

longuement, expirai tout en expulsant la douleur brûlante de mes

poumons.

Confus, les paroles de Dom hantèrent mon cerveau pendant de longues

minutes, revenant sans cesse en écho insupportable. Je me laissai alors

tomber sur la banquette, tentant de reprendre mes esprits, mais je me

surpris pour la première fois depuis très longtemps à ressentir un vide.

Un espoir anéanti s’emparait de tout mon être…

J’étais resté quelques minutes seul, décontenancé par la nouvelle que

270

venait de m’apprendre Dominic. Ensuite, la stupeur avait laissé place à un

sentiment de colère et de déception mêlée.

En colère… parce que j’aurais dû être auprès d’elle pendant ces longs

mois de trajet entre les rendez-vous d’avocats et de juges, mais aussi, pour

la soutenir, l’emmenant dîner quelque part pour lui changer les idées.

Déçu… parce que tout simplement elle ne m’en avait pas parlé. Six

mois qu’elle avait demandé le divorce et je n’étais mis au courant que

maintenant !

Pourquoi ne m’avait-elle rien dit ?

Bon sang, moi qui croyais que nous étions unis par un lien incassable !

Nous étions très proches tous les deux.

Pourquoi cela avait-il changé de cette façon ?

Je secouai la tête, irrité par les pensées qui hantaient mon esprit. Je

sortis enfin de mon refuge et allai les retrouver. Tout le monde était

présent, sauf Dom et Sarah. Je plissai le front, me demandant si la

nouvelle que j’avais annoncée l’avait bouleversée.

Non. Sarah n’était pas ainsi.

Elle aimait me voir heureux et souhaitait plus que tout mon bonheur

auprès d’une femme qui saurait m’aimer pour l’homme que j’étais et non

l’acteur qu’on voulait s’arracher.

– Ah, tu es là !

Je relevai la tête et m’approchai du groupe qui s’était entassé dans le

bureau de Paul.

– Tiens, voilà le premier script. Je vous donne une petite heure et on

commencera les mises en scène.

J’acquiesçai d’un hochement de tête en saisissant les feuillets de la

main droite.

– Merci.

– Euh… j’aurai besoin de toi uniquement pour les premières… et…

Emma, on t’attend sur le plateau 3 dans deux heures.

– Très bien.

– Jason, j’aurais besoin de toi pour treize heures, mais je veux que tu

restes dans les parages comme Dom et Sarah. On a besoin de vous pour

les essayages.

– OK.

Je fronçai les sourcils, cherchant du regard Dom et Sarah, mais ils

n’étaient pas dans cette pièce. Je me tournai vers Jason et me penchai vers

271

lui.– Où sont-ils passés ? murmurai-je tandis que Paul terminait de

donner ses instructions.

– J’en sais rien. Je crois que Sarah est partie revoir son script.

Je le remerciai d’un faible sourire puis patientai que Paul en terminât

pour m’éclipser de la pièce rapidement. Alors que j’arrivai à l’extérieur,

dans la cour, mon regard se durcit à la vue de Sarah qui contournait les

nombreuses caravanes, à l’aide de Dominic qui avait passé un bras autour

de sa taille.

Sans réfléchir, j’avançai vers eux, essayant de les suivre, mais je les

perdis de vue. Vexé, je fixai tour à tour les devants des caravanes afin de

trouver le nom de Sarah.

Quelques minutes plus tard, je la vis. Elle était installée juste à côté de

la mienne. Je soupirai puis frappai contre la porte sans me poser de

question. Personne ne me répondit, je serrai les mâchoires de colère

lorsque je sursautais au contact d’une main sur mon épaule.

– Qu’est-ce que tu fous !? T’es con, tu m’as fait peur ! m’écriai-je en

foudroyant Dom du regard alors qu’il se contentait de secouer la tête.

– Elle est repartie chez elle.

– Pourquoi ?

– Paul a seulement besoin d’elle cet après-midi…

– Je croyais qu’il nous avait demandé de rester dans les parages ?

aboyai-je.

– Je peux savoir en quoi ça t’intéresse ? Qu’est-ce que tu as ?

Je fermai les yeux, tentant de me calmer. Dom avait raison.

– Si tu veux lui parler, elle sera là vers quatorze heures.

– Oui, mais on doit revoir nos répliques.

– La scène sera tournée que demain ou après demain. Vous aurez tout

le temps pour ça, non ?

– Euh… oui, t’as raison, murmurai-je en inspirant.

Je baissai le regard, gêné par les yeux de Dom qui ne cessaient de me

dévisager d’un air étrange.

– Si on se prenait un café, tous les deux ?

– OK.

– Allez, viens.

C’est alors que je me laissai entraîner jusqu’à sa caravane, identique à

272

la mienne. Je m’installai sur la banquette.

– Dis-moi, tu as bien dit qu’elle était repartie chez elle ? Mais où ça ?

– Hum, depuis que son divorce a été prononcé, elle loue une chambre

au Carlton…

– Pourquoi ? Je veux dire, comment s’est passé son divorce ? Tu as

l’air très au courant…

– Ne lui en veux pas, Went. Si elle ne t’a rien dit c’est qu’elle voulait

être sûre de… que le divorce soit prononcé.

– J’y comprends rien, murmurai-je en posant les coudes sur la tablette

avant d’enfouir mon visage entre mes mains.

– Sarah t’avait parlé de leurs disputes, non ?

Je hochai la tête d’un signe d’acquiescement. Elle m’en avait parlé et

combien de fois avais-je ressenti le besoin d’aller trouver ce minable de

Kévin !

Je fermai les yeux, balayant d'un trait la colère qui venait de reprendre

possession de moi. Elle se dissipa… mais le souvenir d’une de nos

nombreuses conversations revint à ma mémoire…

– Tu n’as qu’un mot à dire, Sarah.

Elle avait plissé le front, me regardant de son air étonné. Je lui

souriais pour la détendre un peu, mais mon regard était décidé, ancré au

sien comme souvent nous avions l’habitude de nous parler du regard.

– Arrête de dire n’importe quoi, Went.

– Je suis sérieux, Sarah. Kévin n’a aucun droit de se comporter de la

sorte avec toi. Il te prend pour une moins que rien… ça me met hors de

moi, tu comprends ?

– Je sais, avait-elle murmuré en baissant les yeux.

– Sarah… promets-moi de prendre la bonne décision. Ce mec ne te

mérite pas.

– Le divorce ? J’en sais rien, Went… ça fait si longtemps que nous

sommes mariés.

– Peut-être qu’il est temps que ça se termine alors, qu’il est temps de

passer à autre chose… avais-je lâché en posant mes doigts sous son

menton pour relever son visage. Tu es malheureuse avec lui, Sarah…

Son regard s’était alors brouillé par les larmes tandis qu’il était

plongé dans le mien.

273

Je me souvins encore de la souffrance que j’avais éprouvée et, surtout,

la grande impuissance qui me brisait de l’intérieur, car je ne pouvais pas

lui venir en aide.

Sarah fut la première à stopper l’échange de nos regards. Doucement,

je l’avais prise dans mes bras et nous étions restés enlacés pendant de

longues minutes où je l’avais bercée contre mon torse.

– Promets-le-moi, Sarah ?

– Je te le promets, Went.

J’avais fermé les yeux, soulagé par un sentiment que je n’avais pas su

réellement déterminer.

– Tiens, ton café.

Revenu au moment présent, je redressai la tête. Je le remerciai d’un

pâle sourire puis baissai les yeux de nouveau.

– Tu lui en veux à ce point ?

– Non, oui… je ne sais pas… Je me demande seulement pourquoi elle

ne m’en a pas parlé.

– Hé, n’oublie pas que vous ne vous êtes pas vus beaucoup non plus

ces derniers temps.

Oui, c’était exact. Sarah et la disparition de son personnage dans la

dernière saison n’avaient pas arrangé les choses… mais nous nous

téléphonions toutes les semaines ! Elle aurait pu m’en parler.

– Elle reprend le boulot, Went. Elle est encore assez inquiète pour les

premiers jours …

– Elle n’a pas à l’être.

– Je dois en conclure que tu seras toujours son ami ?

– Bien sûr que oui ! répliquai-je en le foudroyant du regard. Écoute…

je sais que la nouvelle que je vous ai apprise l’a sûrement bouleversée…

elle t’en a parlé ?

Je déglutis péniblement au regard assombri de Dom.

Il finit enfin par s’installer face à moi et but une gorgée de son café

avant de reposer sa tasse et de me regarder.

– Oui, elle m’en a parlé.

– Et ?

– Went… elle ne m’a pas dit grand-chose, tu sais. Tu la connais,

savoir ce qu’elle pense est souvent difficile.

274

– Arrête…

– Je ne suis pas aussi complice avec elle que toi, mon vieux. Je sais

seulement qu’elle est heureuse pour toi.

– Elle t’a dit ça ? demandai-je en fronçant les sourcils, peu convaincu.

– Disons que… c’est ce qu’elle m’a fait comprendre.

– Explique ?

Il roula des yeux, exaspéré par mon insistance.

Dom poussa un long soupir.

– Je lui ai fait part de mes doutes si tu veux tout savoir et elle m’a prié

de ne pas t’ennuyer avec ça et de te laisser vivre ta vie comme tu

l’entendais.

Surpris, je haussai les sourcils.

– Elle t’aime beaucoup, tu le sais bien. Sarah ne veut que ton bonheur

même si…

– Il faut que je lui parle, le coupai-je.

– Paul va te tuer si tu te barres d’ici.

– Peu importe, je dois lui parler, fis-je d’un ton décidé en me levant

brusquement.

– Went…

– Au Carlton ?

Il hocha la tête d’un air éberlué.

Je sortis rapidement sans écouter les protestations que j’entendais alors

que je m’avançais vers mon 4x4.

Malheureusement, je n’eus pas le temps de sortir mes clés de ma poche

que la voix furieuse de Paul s’approcha de moi.

– Hé, merde…

– Magne tes fesses, Riller ! Je te donne deux minutes pour poser ton

cul dans mon bureau !

Je levai les yeux au ciel, me félicitant de l’avoir mis en fureur le

premier, alors que, habituellement, cette place était réservée à Jason.

Vaincu, je rebroussais chemin…

275

20

SARAH

Jenna

J’aidai Maddy dans son troisième coloriage lorsque, enfin, le

téléphone sonna. J’échangeai un sourire complice avec ma fille avant de

me précipiter sur le combiné.

– Went ?

– Oui, c’est moi. Comment vas-tu, ma puce ?

Je fermai les yeux un instant, heureuse d’entendre le son de sa voix.

– Je vais bien, et toi ? Comment ça se passe, pas trop dur la reprise ?

– Un peu… faut juste le temps qu’on reprenne nos marques. Et

Maddy ?

– Oh, elle va très bien. Elle était impatiente tout comme moi d’avoir

de tes nouvelles, ris-je alors que Maddy approchait, un large sourire sur

les lèvres.

– Je suis désolé de ne pas avoir appelé plus tôt…

– Ne t’en fais pas, je comprends.

Je fronçai les sourcils au silence qui s’installa pendant un instant.

– Jenna ?

– Hum ?

– Tu… tu as pris rendez-vous chez le médecin ?

Un léger sourire s’installa sur mes lèvres à son inquiétude.

– Oui, mais ne t’en fais pas pour moi, mon cœur. Je me sens vraiment

mieux.

– Quand est-ce que tu dois t’y rendre ?

– En fin de journée. D’ailleurs, tu rentres vers quelle heure ?

demandai-je, sachant pertinemment que je ne pouvais pas emmener

Maddy avec moi.

– Euh… je ne sais pas trop. Normalement on doit avoir fini tôt

276

aujourd’hui, mais tu sais… Paul va sûrement organiser un petit truc après

et…

– Oh, lançai-je déçue.

– Je rentrerai, ma puce.

– Non, non ! Reste jusqu’au bout, tout ira bien.

– Tu es sûre ?

– Oui, ne t’en fais pas et puis ce n’est pas comme si tu nous avais

abandonnées, Went. Rosa est ici. Elle est très gentille.

– Je suis content, tu vas l’adorer !

J’esquissai un sourire, remarquant que Maddy tendait la main vers le

combiné.

– Je te passe Maddy, elle est impatiente de te parler.

– D’accord. Jenna ?

– Oui ?

– Je t’aime.

Je souris.

– Je t’aime aussi, Went.

Sur ce, je tendis le combiné à Maddy qui me l’arracha presque de la

main. Je pouffai puis la déception se peignit sur mon visage.

Alors qu’elle posait des questions à son père, je me servis un grand

verre d’eau que j’avalai d’un trait afin d’effacer la boule de stress qui

venait de s'installer dans ma gorge.

Le rire de Maddy m’aida tout de même. Je reposai le verre et allai la

rejoindre.

À son côté, j’attendais qu’elle eût terminé sa conversation, espérant

entendre sa voix de nouveau, mais ce ne fut pas le cas.

– D’accord, à ce soir.

Maddy raccrocha. Je restai un instant immobile puis baissai le regard

vers ma fille qui me fixait d’un air désolé.

– Papa a dû partir, il était en retard.

– Oh… ce n’est pas grave. Il rentrera ce soir.

– Oui, il a promis qu’il sera rentré pour me border.

– C’est super alors ! répliquai-je en la soulevant dans mes bras.

Qu’est-ce que tu veux faire cet après-midi ?

Elle leva les yeux, mimant une recherche d’occupation. Je m’amusai

de la voir ainsi, toute sérieuse, puis ses lèvres s’étirèrent en un large

277

sourire.

– On ferait pas des crêpes ?

– Maintenant ? Il n’est que quatorze heures, ma puce.

– Oui, mais j’ai pas d’autres idées.

Je grimaçai.

En effet, je n’en avais aucune également. Ne connaissant rien de la

ville, je ne pouvais pas me permettre d’emmener Maddy dans les rues

immenses de Los Angeles où je risquerais de nous perdre.

– Où alors, on va à la piscine ? me dit-elle en haussant les épaules.

– Si tu veux, oui.

– Et après on fera des crêpes ?

Je hochai la tête en signe d’acquiescement et me surpris à ressentir un

étrange sentiment de nostalgie et d’amertume. Les souvenirs des dernières

années revinrent effleurer mon esprit comme s'ils me heurtaient

violemment.

Tous ces jours, tous ces longs mois durant les trois premières années de

vie de Maddy m’avaient été si pénibles, ne sachant pas comment évoluer

pour son épanouissement. Je n’y connaissais rien à l’éveil d’un enfant,

comment l’occuper pendant des heures, comment lui faire comprendre

qu’elle avait besoin de faire la sieste l’après-midi. Ou tout simplement,

comment survivre toutes les deux ?

Elle effleura ma joue, ce qui me ramena au moment présent. Nos

regards se croisèrent un instant puis je poussai un long soupir.

– Tu t’ennuies, n’est-ce pas ? lui demandai-je dans un murmure.

– Oui… avant j’avais mes copines.

– Je sais, mon ange, mais tu t’en feras d’autres ici.

– Comment ?

Je plissai le front, m’interrogeant intérieurement, puis une idée vint

titiller mon esprit.

– J’ai peut-être une idée pour remédier à ça, ma puce… mais je

devrais peut-être en parler à ton père…

– C’est quoi ?

Je ne répondis pas et me pinçai les lèvres tandis que je remarquais

l’impatience dans ses grands yeux verts.

– Tu aimais bien l’école à Paris…

– Tu vas me mettre à l’école ?

278

Je me mis à rire à l’exclamation joyeuse qui s’élevait dans la pièce.

– Ça te tente ?

– Oui ! Oui ! Je vais aller à l’école !

Nous rîmes toutes les deux, complices, puis, sans me préoccuper des

pensées qui avaient éveillé mon esprit douloureux quelques minutes

auparavant, nous sortîmes de la maison qui me paraissait étouffante sans

la présence du propriétaire.

Went

Après le coup de fil passé à Jenna pour m’assurer que tout allait bien,

Jason et moi avions regagné tous les deux le plateau 3 où nous avions

encore une scène à tourner.

Paul m’avait expliqué – après m’avoir rappelé à l’ordre lorsqu’il s’était

aperçu que j’allais quitter le site – que je devais commencer à travailler la

scène des retrouvailles avec Sarah. Ce fut pour cette raison que j’avais

accompagné Jason sur le plateau, mais celle-ci avait encore disparu. Dom

m’avait pourtant dit, quelques minutes plus tôt, qu’elle était revenue.

Esquissant un pâle sourire à l’adresse de Jason qui me fixait, je lui donnai

une tape dans le dos et l’informai que je poursuivais mes recherches.

Je me rendis alors à l’emplacement opposé où se réunissaient nos

caravanes. Au loin, je l’aperçus. Elle était devant son refuge en train de

discuter avec Emma. J’hésitai un court instant avant de m’approcher

d’une démarche nonchalante ; du moins, je le pensais jusqu’à ce que le

regard de Sarah croisât le mien.

– Euh… on se voit plus tard, Sarah.

– D’accord. A plus, l’entendis-je répondre tandis que je m’approchais.

– Sarah…

– Salut, Went. Tu as déjà tourné ?

– Euh… oui, la première scène… répondis-je d’une voix hésitante.

Sarah ?

Elle se tourna vers la porte, prête à entrer dans sa caravane, mais je la

retins par le bras avant de la faire tourner vers moi.

– Je dois… lire le script.

– On doit le faire ensemble, répliquai-je en ancrant mon regard au

sien.

– D’accord, acquiesça-t-elle dans un murmure.

279

Je serrai les mâchoires, constatant que notre relation venait

brusquement de subir un changement radical. Elle était tendue, presque

affolée à l’idée de rester seule avec moi.

Venais-je de perdre mon amie, ma meilleure amie ?

Non, c’était inconcevable. J’avais bien trop besoin d’elle…

– Tu entres ? me proposa-t-elle d’une voix timide alors que son regard

noir me faisait froid dans le dos.

Je hochai la tête. Elle se tourna prestement et ouvrit la porte. Elle entra

silencieusement et je la suivis. Elle se dirigea jusqu’au salon et je la vis

sursauter lorsque je fermais la porte, un peu trop brusquement.

– Pourquoi ne m’avoir rien dit ?

Elle gardait le dos tourné. La colère m’envahit alors de plus belle. Je

m’avançai jusqu’à elle. Avant même que j’entrepris de poser mes mains

sur ses épaules, elle me fit face, le regard empreint d’une lueur de

déception.

– Je pourrais te retourner la même question, répliqua-t-elle sans ciller.

– Ne joue pas à ça, Sarah. Ça fait deux semaines que je suis au

courant, toi ça…

– Le téléphone existe !

Abasourdi, je haussai un sourcil.

– Excuse-moi, murmura-t-elle en fermant les paupières. Je n’aurais

pas dû crier…

Mon regard furieux ne quitta pas le sien. Puis, un soupir s’échappa de

ma gorge, abandonnant la lutte. Décidément, je ne pouvais pas lui en

vouloir pour quoi que ce soit.

– J’aurais dû t’appeler, c’est vrai, murmurai-je en m’avançant vers

elle.

Elle me sourit. Je posai mes mains sur ses épaules et les laissai glisser

jusqu’à sa taille. Elle ferma les paupières tandis que je l’attirais dans mes

bras.

– Tu m’as manqué, Sarah, soufflai-je, la serrant tout contre moi.

– Toi aussi, tu m’as manqué…

Nous restâmes un instant immobile, savourant enfin nos retrouvailles.

Puis elle y mit fin…

– Went, je sais que j’aurais dû te mettre au courant, mais…

– Non, ce n’est rien, la coupai-je en lui souriant et en replaçant une

280

mèche de ses cheveux derrière son oreille. Mais je voudrais que tu me

racontes tout.

– J’attends aussi des réponses de ta part.

– Tu les auras.

Nous échangeâmes un sourire complice, ravis de nous entendre comme

au bon vieux temps.

– Allez, dis-moi ! s’exclama-t-elle en prenant ma main dans la sienne

avant de m’entraîner sur le canapé. Je veux tout savoir ! Comment est-

elle ? Et ta fille ? Maddy, c’est ça ?

– Oh, oh ! Doucement, l’interrompis-je en riant. Je vais tout te

raconter, mais avant dis-moi comment ça se fait que tu vis dans un hôtel ?

Ta maison ?

– On a décidé de la mettre en vente.

– Et tu vis à l’hôtel ? Pourquoi ?

– Ce n’est qu’une question de temps. Demain soir, je dois aller visiter

un appartement à deux pas d’ici.

– Et tu es divorcée depuis combien de temps ?

– Deux mois, répondit-elle en grimaçant alors que j’écarquillais les

yeux.

– Deux mois ? Si je me souviens bien, on s’est parlé au téléphone il y

a un mois, non ? On a discuté pendant plus d’une heure, Sarah. Pourquoi

ne pas me l’avoir dit à ce moment-là ?

– Qu’est-ce que ça aurait changé que tu le saches il y a un mois ou

maintenant ?

Je compris qu’elle venait de regretter cette question. Mon regard vide

d’expression la toisa pendant de longues secondes.

– Je ne voulais pas t’ennuyer avec ça et il fallait faire le moins de bruit

possible, tu sais comment est la presse à scandale.

– Parce que tu ne me faisais pas confiance ? demandai-je, blessé. Tu

penses que j’aurais crié sur les toits que tu étais divorcée ?

– Non, non. Arrête de t’emporter, je…

– Je ne m’emporte pas, m’écriai-je d’une voix pourtant dure.

Seulement, je suis déçu de ne pas avoir été là pour toi…

– Tu es en colère ?

– Non.

– Si, tu l’es.

281

– T’es vraiment butée, Yanel ! répliquai-je en soufflant avant de lui

sourire. Encore heureux que tu n’aies jamais emprunté son nom de

famille.

Elle roula des yeux puis me frappa au bras, ce qui déclencha mon

hilarité, comme chaque fois que nous plaisantions ensemble contre Kévin.

– Casimird ! Sarah Casimird, articulai-je péniblement, pris d’un fou

rire, peut-être trop exagéré au regard noir de colère qu’elle me lançait.

– Tu es trop con, tu le sais ?

– Oui, je suis vraiment con, comme tu le dis, répliquai-je, cessant

soudainement de rire. Je… excuse-moi de m’être moqué.

Elle secoua la tête avant de s’installer au fond du canapé. Je l’observai

silencieusement tandis qu’elle ramenait ses jambes repliées contre sa

poitrine. Je m’approchai un peu plus d’elle afin d’ancrer mon regard au

sien.

– Je te pardonne si, enfin, tu daignes répondre à mes questions, me

dit-elle pour mon plus grand soulagement.

Je lui souris avant de hocher la tête en signe d’acquiescement, me

promettant à moi-même de tout lui dire, depuis le début.

– D’accord.

Pendant de longues minutes, je lui racontais tout. Depuis le début…

Toute notre histoire, le commencement l’amitié avec Sébastien, le besoin

insoupçonnable de protéger Jenna qui était devenu ma priorité. Je

l’informais de la souffrance que je ressentais en la voyant si triste face à

un père pour qui elle était invisible, au manque d’amour qu’elle ressentait.

Étrangement, je n’appréhendais pas son jugement.

Je lui disais tout…

D’une voix hésitante pourtant, je lui avouais mon comportement

impulsif et peu responsable lorsque nous avions fait l’amour. Elle venait à

peine d’avoir dix-huit ans…

Je jetai des coups d’œil furtifs vers Sarah afin de lire dans les

expressions de son visage ce qu’elle pensait. Mais rien ne ressortait de ses

traits délicats. Elle m’écoutait silencieusement, étrangement sereine. Je

me posais des questions sur cette absence de réactions, mais très vite,

j’enchaînai mon récit.

À présent, elle était au courant des raisons de la fuite de Jenna.

Objectivement, je lui indiquais que je lui avais pardonné de m’avoir caché

l’existence de mon enfant. Jenna était désemparée et jeune.

282

Inexpérimentée, elle avait quitté le pays pour une destination inconnue

à ses yeux et elle avait réussi à élever, aimer notre fille, comme je l'aurais

fait. Je ne pouvais pas lui faire de reproche.

J’en arrivai à mon retour à New York, ma découverte de sa présence,

lorsque je me stoppai et fixai Sarah qui daignait enfin lever les yeux vers

moi.

– Euh… tu veux quelque chose à boire ? demanda-t-elle, confuse.

– Je veux bien… attends, la stoppai-je en la retenant par le bras. Je

vais y aller.

Très vite, je servis deux verres de soda et lui en tendis un.

– C’est moi qui parle depuis tout à l’heure et c’est toi qui meurs de

soif ? remarquai-je en riant doucement.

Elle posa son verre à moitié vide sur la table basse qui trônait devant le

canapé et reprit sa place. Son regard croisa le mien avant de s’y ancrer, et

je fus incapable de rompre le silence à cet instant.

– Je t’écoute… murmura-t-elle en me souriant.

– Tu n’as pas plutôt des questions à me poser ?

Elle leva un sourcil, comprenant ensuite que j’étais embarrassé.

– Si cela peut t’aider…

– Oui, je crois, répondis-je en riant nerveusement.

– Went… je suis contente que tu me racontes ton histoire, mais… ce

que je ne comprends pas c’est… tu dis l’aimer, OK, mais alors pourquoi

tu n’as jamais parlé d’elle ?

– Je…

– Désolée, me coupa-t-elle, mal à l’aise.

– Si je n’en ai jamais parlé, c’est que je n’étais pas très fier de moi, tu

sais. Tu me vois te raconter que j’avais couché avec la petite sœur mineure

de mon meilleur pote ?

– Mais tu le fais aujourd’hui, répondit-elle en posant sa main sur la

mienne.

Je baissai les yeux, fixant ses doigts tremblants posés sur les miens. Je

souris puis relevai la tête tandis que je tournais ma main pour serrer la

sienne.

– Oui, mais aujourd’hui, tout est différent. Nous avons une fille, j’ai

une fille… tu la verrais, elle est magnifique.

– Je veux bien le croire… Écoute, j’ai juste une question… Jenna m’a

283

l’air quelqu’un de bien… certes, elle est beaucoup plus jeune que toi, mais

je crois que son expérience l’a fait mûrir bien plus vite que la plupart

d’entre nous.

– Hum…

– Went… murmura-t-elle en se levant du canapé, brisant le contact de

nos mains enlacées. J’ai tout de même du mal à te suivre… ne crois pas

que je te juge, mais…

– Mais quoi, Sarah ? insistai-je en me levant à mon tour pour lui faire

face.

Elle ferma les paupières une fraction de seconde seulement puis ancra

son regard au mien avant d’inspirer profondément.

– Tu dis n’avoir jamais cessé de l’aimer… alors, pourquoi toutes ces

femmes ?

J’ouvris la bouche, mais aucun son ne sortit. Mes lèvres se refermèrent

lentement et formèrent un fin trait d’incertitude.

– Je n’en sais trop rien… Je…

– Went, insista-t-elle.

– Quand je l’ai revue, ce matin-là… chez Séb… tout le passé a

ressurgi. Je m’en veux d’avoir agi si mal avec elle, Sarah.

– Est-ce que tu l’aimes, Wentworth ?

Incrédule au ton de sa voix cinglante, je la fixai, incapable de sortir le

moindre son.

Sarah

Il me fixa avec une lueur terrifiante dans le fond des yeux qui

assombrissait les couleurs claires de ses iris. Je compris qu’il était

bouleversé, complètement pris au dépourvu par ma question. Il s’effondra

sur le canapé et cacha son visage entre ses mains.

– Bien sûr que je l’aime, Sarah.

Sa réponse m’étreignit douloureusement le cœur, mais la culpabilité

m’envahit de suite. Je ne pouvais pas me permettre de telles émotions.

Non…

Tout était définitivement exclu.

Il avait besoin de soutien, rien d’autre. Seulement de conseils et d’une

oreille attentive, comme je m’efforçais toujours de l’être pour lui.

Silencieusement, je m’approchai et m’installai à son côté. Il releva la

284

tête, ancrant son regard au mien.

– C’est vrai, je l’aime…

– D’accord, répondis-je en fronçant les yeux, surprise à la douleur qui

émanait de sa voix.

– C’est ma vie, à présent.

Je hochai la tête, refusant de lui faire de la peine en lui avouant mes

pensées réelles quant à la situation. Mais je ne pouvais rester silencieuse

alors que les doutes que je nourrissais pouvaient avoir de graves

conséquences.

– Très bien, Went. Tout ce que je peux te dire c’est que… j’espère

sincèrement que tu l’aimes, car si… tu te voiles la face, tu la feras souffrir

autant que tu souffriras. Cette petite fille a retrouvé son père… tu es

responsable maintenant. Elles comptent sur toi.

Il me considéra d’un regard étrange avant de hocher la tête et de

soupirer longuement. Soudain, il m’attira contre lui. Je fermai les

paupières, savourant son étreinte.

– Merci, murmura-t-il en déposant un baiser dans le creux de mon

cou.

Je levai les yeux au plafond, m’efforçant de ne pas faire couler les

larmes qui menaçaient de rouler sur mes joues et ainsi faire comprendre à

Went que je venais de trahir toutes les raisonnables paroles que je venais

de lui dire.

Je continuai alors de le bercer contre moi pendant un long moment,

puis quand je sentis que je ne risquais plus rien, que mes larmes avaient

séché avant même qu’elles n’eussent le temps de couler, j’écartai le corps

de mon ami du mien dans une exclamation joyeuse qui sonnait faux à mes

oreilles.

– Bon alors ! On regarde le script ?

– OK, souffla-t-il en m’adressant un doux sourire.

J’appréciais au plus profond de moi les moments passés avec Went.

Dans ma carrière d’actrice, il était le seul acteur à qui j’aimais donner la

réplique. Nous nous entendions parfaitement sur les tournages ou dans

notre loge pendant les répétitions.

– Vous êtes là ? Went ? Sarah ?

Je plissai le front à la voix de Dom à l’extérieur.

– Mince, ça fait déjà une heure que nous répétons. On devrait…

– Euh… t’es sûre ? me coupa-t-il en souriant. On pourrait le laisser

285

chercher cinq minutes, non ?

– Pour que Paul sorte de ses gongs ? Non, merci, plaisantai-je en

m’approchant de la porte pour ouvrir à notre visiteur.

Mais je n’en eus pas le temps. Deux bras m’encerclèrent par la taille.

Mon souffle se coupa immédiatement au contact de son corps épousant le

mien.

– Qu’est-ce… que tu fais ? soufflai-je, la respiration saccadée.

– On devrait terminer… notre…

Il s’interrompit soudainement tandis que nos regards plongeaient dans

les iris de l’autre. Incapable de prononcer un mot, il se contenta de me

fixer. Une intensité bouleversante brilla.

Son visage se pencha légèrement vers le mien et je fermai

instinctivement les paupières tout en posant une main sur son torse pour le

stopper. Paralysée, je restai immobile, le cœur cognant dangereusement

dans ma poitrine.

Dans un dernier effort, j’ouvris les paupières et baissai mon visage

tandis que le sien s’approchait lentement. Son front se posa alors contre le

mien.

Je déglutis péniblement et essayai de le repousser, mais mes membres

ne m’obéissaient plus, trop alourdis par l’intensité de ce moment.

Mais je devais le faire…

C’était à moi de mettre un terme à cette étreinte.

– Went…

Je sentis ses bras se resserrer davantage autour de mon corps.

– Sarah…

– On doit y aller. Arrête ça, s’il te plaît.

Je le vis blêmir au ton de reproche qu’il reconnut dans ma voix. Ses

bras me libérèrent alors. Il était furieux contre lui, je pouvais le deviner…

puis, il se détourna, honteux.

Mon cœur se serra à la vue de sa culpabilité. Le dos tourné, il avait

recouvert son visage de ses mains.

Je devais réagir, vite…

Je posai alors une main sur son épaule et murmurai :

– Il faut y aller, Went.

– D’accord, souffla-t-il.

Il se retourna et, tout comme je le fis, me sourit d’un air désolé.

– Sarah…

286

– Non, le coupai-je en secouant la tête. Je sais.

Il me contempla pendant quelques secondes et je constatai qu’une

larme coulait le long de ma joue. Bouleversée, je fis volte-face et ouvris la

porte avant de lui lancer, dans un murmure bouleversant :

– Prends le temps qu’il te faut pour nous rejoindre…

Le cœur serré, je quittai ma caravane et allai rejoindre les autres sur le

plateau.

Deux heures plus tard, toute l’équipe se retrouva dans le hangar

aménagé pour le visionnage des scènes que nous avions tournées cet

après-midi.

J’allai prendre place sur l’une des chaises disposées en rangée devant

le vidéo projecteur. Paul se tenait debout au côté de Nick. Visiblement, ils

discutaient du script. Tout le monde n’était pas encore présent. Seuls,

Dom et William étaient installés devant ainsi que des responsables

techniques.

Jason et Robert arrivèrent dans la minute qui suivit.

Je balayai l’endroit d’un regard discret à la recherche de Went quand

Jason vint s’installer à mon côté.

– Sarah ?

Je redressai la tête et le fixai.

– Tu vas bien ?

– Ouais, soupirai-je en esquissant un sourire. Un peu fatiguée par cette

première journée, mais tout va bien. Et toi ?

– Je vais toujours bien, tu le sais ! Oh ! Voilà Went ! Hé, mon pote !

Amène-toi ! s’écria-t-il à son attention.

Celui-ci obtempéra aussitôt et s’installa à son côté. Je me remerciai

intérieurement d’avoir choisi cette chaise, me permettant de n’avoir qu’un

seul voisin, Jason.

Paul commença à cet instant son petit récapitulatif de la journée. Il

avait évidemment fait référence à la scène des retrouvailles des

personnages que nous jouions avec Went. Celle-ci prenait plus de temps à

mettre en place et il fallait que je me ressaisisse.

– On mettra ça en place demain matin, Sarah ? On fera les premiers

essais.

– D’accord, répondis-je en lançant un regard à Went.

– On va visionner ce que ça donne et ensuite on se retrouve tous dans

287

le bâtiment C.

Pendant quelques minutes, je fixai l’écran devant nous et fronçai les

sourcils à mon apparition. Jamais, je ne m’étais trouvée aussi mauvaise.

À mon avis, Paul voudra que nous recommencions la scène. Je

soupirai, lassée sans en comprendre les raisons puis mon regard croisa

celui de Went. Je baissai rapidement la tête avant de regarder à nouveau

l’écran, concentrée.

Les minutes passèrent très longuement. Je surpris néanmoins le regard

de Paul sur mon partenaire avant de se tourner vers le scénariste et lui

murmurer des paroles à l’oreille.

Il n’était pas satisfait, ça sautait aux yeux.

Ce fut alors que j’attendis la fin de la séance de visionnage dans le

doute et l’angoisse des foudres de Paul qui s’abattraient volontiers sur

nous.

Ce que je méritais…

Je soupirai de soulagement lorsque l’écran s’éteignit.

– Dans une heure au bâtiment C, les gars !

Je fixai Paul qui venait de crier assez fort pour que tout le monde

l’entendît, mais il ne me porta aucun intérêt.

– Wentworth ?

– Oh, Robert…

– Tu es sûr que tout va bien ? Tu as l’air dégouté…

– Ce n’était pas terrible.

– Tu rigoles ?! Ça passe super bien. On sent bien que tu es en quête de

vengeance…

– Ouais, pour venger ta petite Lori, entendis-je Jason répliquer.

Je ne redressai pas la tête du script dans lequel je venais de me plonger,

sentant d’avance qu’il devait foudroyer Jason du regard. D’ailleurs, mon

doute s’avéra exact lorsque j’entendis l’excuse de Jason.

– Went ?

Surprise qu’il ne répondît pas, je levai la tête juste à temps pour voir

qu’il quittait le hangar, furieux.

Je laissai mon script sur ma chaise et le suivis. Ce que je n’aurais pas

dû faire, mais je ne pouvais pas le laisser seul…

Une fois dans la cour, j’inspectai les lieux du regard et le vis à

quelques mètres des caravanes. Vivement, je m’empressai de le suivre et

l’appelai. Il s’arrêta alors…

288

– Quoi ?

– Je… je suis désolée pour tout à l’heure. Je n’avais aucun droit de te

parler de cette manière.

Qu’est-ce qui venait de me prendre ?

– Non, tu as bien fait… j’aurais fait une erreur si tu ne m’avais pas

arrêté, me répondit-il en évitant le regard blessé que je posai sur lui.

– Oui… tu as raison.

– N’en parlons plus, d’accord ?

Je hochai la tête, profondément blessée par les paroles qui venaient de

me fouetter telle une gifle qui vous remet à votre place dans la seconde

même où vous avez envisagé le meilleur pour vous.

– Sarah… on est amis, n’est-ce pas ?

Sa question me fit revenir à l’instant présent. J’acquiesçai d’un

hochement de la tête et fronçai les sourcils alors qu’il pouffait.

– Qu’est-ce qu’il a de si drôle, Riller ? demandai-je, vexée.

– Rien… c’est que… en fait, je me demandais si tu voudrais bien

m’aider à m’enlever ces satanés tatouages sur les bras ?

Légèrement déroutée par sa question, j’allais accepter, mais une petite

voix s’éleva dans mon esprit.

– La maquilleuse…

– Elle est partie à seize heures, son fils est malade.

– Oh… tu n’as qu’à les laisser…

– Pour que ma fille les voie ? Non, je n’ai pas envie qu’elle pense que

son père est devenu un fan de ces trucs-là, répliqua-t-il en souriant avant

de froncer les sourcils. Laisse tomber, ce n’est pas grave, je vais le faire.

– Ne dis pas de bêtise. Je vais t’aider.

– Si ça te dérange, je demande à Jason.

– Pour qu’il te troue la peau ? demandai-je en riant. Allez, viens.

Il me sourit, satisfait.

– Je ne comprends pas pourquoi Paul a insisté pour qu’on me les

mette aujourd’hui… c’est à peine si on les distingue sur mes poignets, me

dit-il tandis que j’ouvrais la porte de ma caravane.

– Surtout que c’est assez flagrant que tu les as simplement sur les

bras.

– Ouais, j’ai vu. Il voudra sûrement qu’on refasse la scène.

– Ce n’est pas la première fois qu’on capte les erreurs visuelles.

289

– Ouais, souffla-t-il en me tendant la crème qui faciliterait

l’enlèvement de ses tatouages.

Je lui souris avant de prendre le tube de sa main.

– Installe-toi et enlève ta chemise, lui dis-je en cherchant une

serviette.

– Il y a une là-bas.

Je suivis son regard et allai prendre celle qui se trouvait sur la console

près des différents produits de maquillage nécessaire pour le tournage.

Alors que je me tournai à nouveau vers lui, je réprimai un gloussement

en le découvrant torse nu. Je fermai les yeux et les rouvris rapidement

avant qu’il ne se rendît compte de mon trouble.

Tout en pestant intérieurement contre mon comportement puéril, je

m’avançai près de lui.

– Tends ton bras, murmurai-je en évitant de poser mon regard dans le

sien.

– D’accord.

– Je te fais mal ? demandai-je alors qu’il gigotait sur sa chaise.

– Non, bien sûr que non. Pourquoi penses-tu que tu me fais du mal ?

– Tu n’arrêtes pas de bouger.

– Oh, désolé.

Je lui souris et pris l’éponge afin de la passer sur son bras. Une fois les

dessins retirés, je me redressai et inspirai profondément avant de lui

sourire.

– Tu peux le lever ?

Il acquiesça d’un hochement de tête et s’exécuta sans rechigner.

– Hé ! Arrête de bouger.

– Tu me chatouilles ! protesta-t-il en collant son bras contre son torse.

Je roulai des yeux, tentant de retenir le rire qui montait en moi à la vue

de sa mine boudeuse.

– Je n’ai pas fait exprès, Riller. Allez, on ne va pas y passer la nuit.

Il soupira puis leva son bras avant de le rebaisser rapidement. Ses

doigts frôlèrent les miens.

– Laisse, je crois que je vais pouvoir le faire, me dit-il en prenant

l’éponge imbibée de crème.

– Tu sais que tu es vraiment un gamin, Riller ! Je plains la

maquilleuse.

290

– Elle ne me chatouille pas, elle !

– Ah, parce que tu crois que je fais exprès ! C’est toi qui es

chatouilleux, répliquai-je en croisant les bras sous ma poitrine.

– Je voudrais bien t’y voir, Yanel. Si tu trouves ça drôle de se faire

tripoter dans tous les sens…

– Ah, parce que selon toi, j’étais en train de te tripoter ! m’écriai-je,

outrée.

– Mais non, pas toi… je te parlais de la maquilleuse.

– Oh… allez, donne-moi ça et arrête de bouger, lui ordonnai-je en

reprenant l’éponge.

Il roula des yeux avant de se mettre à rire sans bouger.

– J’en ai plus que pour cinq minutes, Went. Essaie de rester calme,

veux-tu ?

– C’est facile à dire, ronchonna-t-il alors qu’il fût pris d’un sursaut au

contact de mes doigts sous son bras. Pense à me rappeler de supplier Paul

pour qu’il fasse quelque chose contre ces tatouages, Sarah.

Je lui souris, continuant de frotter doucement sa peau.

– Tu as de la chance que tu en aies que sur les bras.

– T’oublies que j’aurai une scène à faire où je devrai l’avoir

entièrement, répliqua-t-il en cherchant mon regard.

Je stoppai mon geste, soudainement pétrifiée en écoutant ses paroles.

Mon regard se baissa vers le sien et, de nouveau, je fus hypnotisée par son

intensité profonde.

Déstabilisée, je déglutis péniblement puis repris mes esprits avant qu’il

ne soit trop tard.

– C’est fini, dis-je d’une voix hésitante avant de contourner Went et de

me placer de l’autre côté.

– Plus qu’un, souffla-t-il en me souriant avant de prendre mon poignet

dans sa main. Merci, Sarah.

– Je… n’ai pas fini, réussis-je à répondre d’une voix troublée.

Mon regard se perdit pendant quelques secondes sur les doigts de Went

qui caressaient tendrement la peau de mon poignet. De plus en plus

troublée par sa caresse, je m’écartai un peu trop vivement. Il se redressa

d’un geste vif et me rattrapa dans ses bras avant que je ne tombe sur le sol.

Je tentai aussitôt de me détacher de son étreinte.

Bon sang, qu’est-ce qui m’avait pris ?

291

– Désolée… murmurai-je me remettant sur mes pieds.

– Ça va ?

– Oui. Je… on devrait se dépêcher…

– D’accord…

292

21

REGRETS

Jenna

Remarquant l’heure bien avancée, j’étouffai un soupir de lassitude en

déposant Maddy sur le canapé. Elle venait de s’endormir, épuisée par le

fol après-midi que nous venions de vivre toutes les deux. Lançant mon sac

à main sur le fauteuil, je m’installai à côté d’elle et l’observai pendant de

longues minutes.

Elle avait eu le sourire pendu aux lèvres pendant notre sortie. N’ayant

aucune nouvelle de Went, j’avais décidé de rendre une petite visite à

l’école maternelle. Il nous avait fallu un bon quart d’heure de route avant

de la trouver alors qu’elle se trouvait plus près de la maison que je ne

l’avais pensé.

Bien que Maddy eut été excitée de s’inscrire dans cette école, j’avais

essayé néanmoins de temporiser cette exaltation. La directrice de

l’établissement s’était révélée très compréhensive et Maddy avait sauté de

joie lorsque madame Ambres l’avait acceptée.

Ce fut alors que tout s’était enchaîné très vite. Après m’avoir proposé

de la garder pendant les deux dernières heures afin qu’elle fasse

connaissance avec sa maîtresse et ses camarades de classe, je m’étais posé

beaucoup de questions sur la réaction que Went allait avoir.

L’ayant laissée au soin de la directrice, j’étais repartie par le chemin

inverse. Arrivée devant la propriété imposante de Went, j’avais coupé le

moteur et, sans descendre de la voiture, j’avais pris le temps de réfléchir

tout en observant la maison. Je me demandais comment il allait réagir à

cette décision que j’avais prise sans le consulter, ce n’était pas faute

d’avoir tenté de le joindre pour le prévenir pourtant, mais je tombais

toujours sur sa messagerie.

Déroutée, je m’étais donc rendue chez le médecin comme il me l’avait

demandé, au moins j’avais fait quelque chose de bien si jamais il devait

293

me reprocher l’inscription de Maddy à l’école maternelle.

Un long soupir s’échappa de mes lèvres en repensant à la conversation

que nous avions eue. Je lui avais montré mes derniers résultats sanguins

ainsi que les résultats biologiques que j’avais reçus à New York et que je

gardais précieusement dans mon sac à main.

Le Docteur Hart était un homme âgé d’une cinquantaine d’années et

j’appréciais fort bien son franc parlé qui me rassurait profondément,

même si les paroles dures à entendre ne me laissaient pas trop d’espoir

face à la réalité de mon état.

D’après lui, je pouvais vivre encore quelques années, mais l’issue

serait fatale.

Je le savais…

Le traitement que le Docteur Charton m’avait prescrit était le meilleur

pour la leucémie dont j’étais atteinte. En quelque sorte, ce traitement était

de la dernière génération et atténuait les mauvaises cellules sans pour

autant les détruire complètement. Mais grâce à ces comprimés, elles ne se

multiplieraient plus. Ce qui me rassura et me donna un grain d’espoir

malgré tout.

Pendant qu’il prenait ma tension, je lui révélais les crises de fatigues

incessantes qui survenaient à n’importe quel moment. Il m’avait répondu

que c’était un des inconvénients du traitement, mais que cela passerait au

fil du temps. Je n’avais pu m’empêcher de me demander combien de

temps au juste j’avais devant moi avant que Went ne découvrît mon état

de santé.

Le Docteur Hart avait certainement la capacité de lire dans les pensées,

car, à cet instant, il m’avait posé la question.

– Jenna… votre ami est-il au courant de votre état ?

Je n’avais pas répondu, me contentant de secouer la tête.

– Personne n’est au courant ?

Toujours silencieuse, j’avais dégluti péniblement et avais baissé les

yeux.

– C’est très délicat comme situation à gérer… je peux comprendre que

vous ne vouliez pas leur causer du tracas, mais… vous ne pouvez pas

affronter cela toute seule.

– Si. Je le peux… Ils n’ont pas besoin de souffrir… pas maintenant,

avais-je répondu, l’émotion coincée au fond de la gorge.

– Oui… Je peux comprendre. Il y a deux ans, une de mes patientes

294

avait réagi de la même façon que vous. Je ne voudrais pas vous faire peur,

mais… à force de s’entêter à savoir comment elle allait lui cacher sa

maladie, leur couple a été mis en danger.

– Il… elle lui a dit ? avais-je demandé d’une voix pitoyable.

– Non… elle est décédée il y a six mois.

Mon cœur s’était serré à la douleur qui venait de fouetter toutes les

parcelles de mon corps.

– Nous avons une aide psychologique à la clinique où je travaille. Je

ne vous forcerai pas à en parler à votre entourage, mais… je vous donne

rendez-vous avec le Docteur James. C’est un bon médecin et il pourra

vous aider.

– Serait-il capable de faire des miracles ? avais-je demandé en

souriant bien que la douleur profonde qui émanait de la boule d’angoisse

incrustée au fond de ma gorge me faisait souffrir.

– Il ne guérira pas la maladie, mais il apaisera votre souffrance, Jenna.

– Je… ne souffre pas.

Il s’était contenté de me sourire tendrement et m’avait glissé le petit

carton de mon rendez-vous avec l’aide psychologique de la clinique dans

la main avant de mettre fin à notre conversation.

Perdue dans mes pensées, la sonnerie de mon portable m’en sortit

rapidement. Un large sourire de soulagement étira mes lèvres en voyant le

numéro de Went s’afficher sur l’écran de mon portable. Je quittai

prestement la pièce afin de ne pas réveiller notre fille.

– Went ? Tu as eu mon message ? demandai-je dans un souffle en

fermant la porte de la cuisine.

– Oui, désolé de ne t’appeler que maintenant, mais j’étais en plein

tournage.

– Oh, ce n’est rien.

– Tu l’as inscrite à l’école ?

– Oui… Tu ne m’en veux pas ?

– Bien sûr que non. Comment t’est venue cette idée de vouloir

l’inscrire si vite ?

– Maddy. Elle s’ennuyait et…

– D’accord. Elle commence quand ? Tu l’as bien inscrite à l’école la

plus proche ?

– Oui, le Montessori Schools, répondis-je en hésitant.

295

– Ouais, je vois où c'est…

– La directrice est très gentille. Maddy est restée les deux dernières

heures, elle a adoré !

– Déjà ! Et… elle n’est pas trop jeune ?

– Elle a quatre ans, Went. Elle allait à l’école avant…

– Oui, c’est vrai… tu as raison, excuse-moi. Si Maddy est heureuse

d’aller à l’école… Et toi, comment tu vas, ma puce ?

– Je vais bien, répondis-je en souriant. Tu me manques.

– Toi aussi, ma chérie. Écoute, j’espère que je pourrai rentrer tôt, mais

on doit encore discuter avec Paul et…

– Ne t’en fais pas, mon cœur… je comprends. Tu as l’air fatigué ?

– Non, ça va… je dois te laisser, mon ange.

– D’accord. Je t’aime.

– À ce soir, Jenna, lança-t-il rapidement avant de mettre fin à la

communication.

Sarah

Nous en avions terminé avec les tatouages. Enfin ! Je connaissais les

contraintes du tournage pour lui et s’il y avait bien quelque chose qu’il

détestait dans cette série, c’était de devoir porter les erreurs tragiques de

son personnage sur son corps.

Nous avançâmes à présent tous les deux vers le bâtiment où Paul nous

avait demandé de nous rendre. Sur le chemin, je sentais les regards

discrets de Went sur moi.

– J’espère qu’il ne va pas nous retenir trop longtemps.

– Moi non plus… j’avoue que je suis fatiguée, répondis-je en lui

souriant en retour. Et… Jenna et ta fille doivent t’attendre.

– Oui… j’ai promis à Maddy que je serais rentré avant qu’elle aille se

coucher, mais… il est déjà plus de huit heures.

– Paul comprendra si…

– Non, ça va aller, me coupa-t-il. Je vais rester encore un peu.

Je baissai la tête, contemplant le béton où j’avais l’impression que mes

pieds s’enfonçaient lourdement.

Pendant le reste du chemin, nous nous concentrâmes tous les deux sur

nos pas dans un silence étonnement pesant, mais tout aussi apaisant.

296

Je ne pouvais jamais expliquer ce que je ressentais chaque fois que

nous étions ensemble. Went m’apaisait tout en me bouleversant par

moment.

Cette journée avait été pour moi la plus étrange qu’il m’était donné de

vivre. La nouvelle qu’il nous avait annoncée dans la matinée m’avait

bouleversée, mais je ne pouvais m’empêcher de ressentir du bonheur… du

moins, j’étais heureuse qu’il le soit. Je savais qu’il désirait trouver

l’amour et créer une famille. Je ne pouvais donc pas lui en vouloir.

Non, c'était à moi seule que j'en voulais. Je me détestais d'avoir de

telles pensées contradictoires.

– À quoi songes-tu ?

Sa voix suave me fit perdre le fil de mes réflexions. Je relevai la tête et

la secouai légèrement tout en lui souriant. Nous arrivâmes à destination et

les cris joyeux des autres attirèrent mon attention.

– Rien de particulier, lui répondis-je, remarquant qu’il attendait

toujours ma réponse. J’espère pouvoir m’éclipser de là avant la nuit, c’est

tout.

– Moi aussi. Allez, allons-y, souffla-t-il en me tenant la porte pour me

laisser passer la première.

Le sourire aux lèvres, je pénétrai à l’intérieur du bâtiment où des tables

avaient été installées le long du mur. Des boissons et amuse-gueules

trônaient au centre tandis que Jason était en train d’en fourrer dans sa

bouche. Je roulai des yeux en constatant qu’il nous appelait d’un signe de

main.

– Vous êtes enfin là ! Où étiez-vous, tous les deux ? Non, je ne veux

rien savoir !

Je me tendais aux étranges allusions qu’ils nous lançaient.

– On discutait, répondit Went.

– Bon, allez boire un verre, tout est prêt !

– Tu veux boire quelque chose ? me demanda Went en posant sa main

sur mon bras pour attirer mon attention.

Je tournai la tête et acquiesçai :

– Je veux bien un jus de fruit, répondis-je en croisant le regard

d’Emma. Je…

– Vas-y, je te rejoins.

Je hochai la tête et me dirigeai vers Emma. Nous discutâmes toutes les

deux près des boissons. William et Dom arrivèrent, nous cachant de la vue

297

de Jason et de Went qui venaient de s’approcher. Je tendis l’oreille,

essayant de capter leur conversation :

– Comment ça ? demanda Jason d’un air ahuri.

– Tu es toujours en train de te goinfrer !

– Dom a terminé les bretzels, mais y’a encore plein de trucs là-bas. Tu

veux du pâté ?

J’esquissai un large sourire, faisant mine de participer à la conversation

de mes amis. J’entendis néanmoins l’éclat de rire de Wentworth. Ensuite,

je perdis le fil de la conversation jusqu’à ce que sa voix s’élevât :

– Qu’est-ce que tu veux dire par là ?!

Je tournai légèrement la tête vers eux et je vis du coin de l’œil que

Dom et William en firent autant.

– … Disons qu’on avait l’habitude de voir les gonzesses te tourner

autour et… je n’aurais jamais imaginé que tu serais attiré par une gamine !

Je fermai un instant les paupières avant de croiser le regard de Dom,

sur ses gardes.

– Ferme-la, Jason. Jenna n’est pas une gamine, tu ne la connais pas !

Et c’est ma vie, OK ! Occupe-toi de tes fesses !

Le cœur serré, je le vis quitter Jason d’un pas pressé.

– Je ne sais pas ce qu’il a bien pu lui dire, mais il a l’air très énervé,

constata William en ancrant son regard au mien.

Je hochai la tête puis m’excusai auprès d’eux. Je retrouvai Went près

de la porte de sortie. Il fouillait l’endroit du regard.

– Oh, tu es là, je te cherchais ! me dit-il lorsque je fus arrivée près de

lui.

J’esquissai un faible sourire et le remerciai pour le verre qu’il me

tendait.

– Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je, remarquant que les paroles de

Jason l’avaient atteint.

– Rien du tout… il faut que je rentre. On se voit demain !

Je n’eus pas le temps de le retenir qu’il quittait le bâtiment.

Perplexe, je gardai mon regard rivé sur la porte.

– Qu’est-ce qu’il a ?

Je me tournai vers Emma qui venait de me rejoindre.

– Je n’en sais rien.

J’aurais voulu le rattraper, lui demander ce qu’il avait, mais je n’en fis

rien. Je restais là, stupéfaite par son départ.

298

Ce fut alors que je sentis la main d’Emma se poser sur mon épaule. Je

me ressaisis aussitôt et levai les yeux au haut plafond afin de retenir

l’émotion qui me gagnait de façon inhabituelle.

– Sarah ?

– Je vais bien, ne t’en fais pas, répondis-je en lui faisant face.

Elle hocha la tête, m’offrant un léger sourire. Mal à l’aise, mon regard

fuit le sien, inquisiteur et inquiet à la fois. Jason arriva vers nous à cet

instant.

– Tu t’amuses ? lui demandai-je en souriant.

– Ouais, juste avant les dernières cinq minutes.

– Qu’est-ce qui te prend, mon gars ?

Je levai la tête à l’interruption de Dom qui lui donna une bourrade dans

le dos.

– Je me suis fait envoyer chier comme un malpropre, figure-toi !

Étonnés, nous le fixâmes tous les trois.

– Et qui a osé ?

– Went ! Je n’en reviens pas qu’il m’ait parlé de cette façon. Je ne sais

pas ce qui lui prend en ce moment, mais il a intérêt à se calmer !

Je restai silencieuse, peu surprise par les tensions qui régnaient entre

eux après les bribes de conversation que j’avais entendue.

– Je suis sûre que ça s’arrangera, tentai-je de le rassurer en plantant

mon regard dans celui de Jason pour apaiser sa colère.

– Ouais, parce que tu crois que c’est de ma faute, comme toujours ! Tu

prendras tout le temps sa défense sans savoir si Monsieur est responsable

ou non ! aboya-t-il avant de grogner. Je vais boire un verre !

Éberluée par son flux de paroles, je restai béate tandis qu’il s’éloignait.

– Oh là… je crois qu’il lui en veut sur ce coup-là.

– Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? murmurai-je, évitant le regard

inquisiteur de Dom.

– Ne t’inquiète pas pour lui, Sarah… Jason est en colère, mais ça

passera. Tu sais bien qu’il ne peut pas rester fâché très longtemps.

Je fixai Emma et lui souris pour la remercier. Je savais qu’elle tentait

de me rassurer, mais la boule qui était apparue à nouveau au fond de ma

gorge ne disparut pas pour autant.

– Sarah, ne t’en fais pas…

Je levai de nouveau la tête vers Dominic qui s’était rapproché de moi,

299

passant son bras autour de ma taille.

Un long soupir s’échappa de mes lèvres et je posai ma tête contre son

torse, le remerciant intérieurement pour cet instant de tendresse rare de sa

part.

– Je vais aller voir Paul, à tout à l’heure, annonça Emma.

– D’accord.

Dom resta près de moi après son départ. Nous discutâmes du tournage

de demain puis il me proposa de boire un autre verre en sa compagnie.

J’acceptai la coupe de champagne qu’il me tendait, j’en avais besoin.

– Tu veux en parler ?

Mon front se plissa derechef, je secouai la tête.

– Il n’y a rien à dire, Dom.

– Arrête ça, Sarah. Pas avec moi…

– Tais-toi ! aboyai-je en sentant les larmes qui montaient.

– Je suis ton ami, Sarah.

– Mais tu es aussi le sien et tu deviendras celui de Jenna…

– Ne fais pas ça, me dit-il en plongeant son regard dans le mien.

Je baissai les yeux, pestant intérieurement pour mes remarques futiles.

Je n’avais pas le droit de lui en vouloir.

– Je sais que tu l’aimes. Tu l’as toujours aimé, Sarah.

Je levai sur lui un regard noir de colère à sa remarque. Nous nous

fixâmes alors pendant quelques secondes.

Voilà que mes résolutions s’effacèrent peu à peu alors que ses yeux

compatissant scrutaient les miens. J’avais pourtant, pendant toute la

journée, tenté de garder enfouies en moi toutes ces émotions qui ne

demandaient qu’à se libérer.

Dom avait dû s’en rendre compte. Il venait de s’emparer de ma main et

de me tirer vers l’extérieur avant de me prendre dans ses bras, juste au

moment où mes sanglots s’échappaient douloureusement du plus profond

de mon être.

Went

J’étouffai un bâillement tout en me garant devant la maison. Aucune

lumière ne fusait de l’intérieur. Jenna devait déjà dormir depuis

longtemps, ainsi que Maddy à qui, pourtant, j’avais promis d’être là pour

la coucher.

300

Mais qu’est-ce qui m’avait pris ?

Je laissai mon front heurter le volant, incapable de comprendre ce qui

m’était passé par la tête. Après mon départ du site, j’aurais dû rentrer chez

moi et retrouver les femmes de ma vie… au lieu de cela, j’avais roulé...

roulé jusqu’à ce que la fatigue me rattrapât.

Je me redressai, pestant à voix basse contre mon comportement. Je ne

me sentais toujours pas mieux, mais j’étais trop fatigué pour tenter d’en

comprendre les véritables raisons. Je ne me voilais pas la face pour autant,

car j’avais conscience que les aveux de Dom en étaient la cause.

Je fermai les yeux un instant pour reprendre mes esprits. Je sortis de la

voiture et claquai doucement la portière en prenant une bouffée d’air pure.

Tout en m’avançant dans l’allée, j’espérais que Jenna soit profondément

endormie. Je n’avais pas envie de lui mentir sur mon retard. Je grimaçai

en ouvrant la porte alors que mon regard tomba de suite sur la pendule

accrochée sur le mur. Une heure trente-cinq du matin…

Pendant un instant, je me demandais si la pile n’était pas usée.

Impossible que j’ai pu rouler pendant plus de quatre heures. Pourtant, le

tic tac fonctionnait merveilleusement bien. Je dus faire un effort pour ne

plus fixer cette maudite horloge, et je pénétrai dans le salon.

Rien n’avait changé. Je me contentai alors d’avancer vers l’escalier

que je montais rapidement après m’être déchaussé. Le silence régnait dans

la maison. À l’étage, également. Personne n’aurait pu imaginer que la

maison ne soit pas vide. J’ouvris avec précaution la porte de la chambre

de ma fille et sentis la panique m’envahir à la vue du lit vide. Rapidement,

je me tournai et entrai vivement dans la nôtre.

Soulagé de constater que Maddy était endormie dans les bras de sa

mère, je fermai les yeux un bref instant avant de les ouvrir. Là, une

profonde douleur m’envahit la poitrine. La culpabilité m’assaillit

derechef.

J’aurais dû être là…

Lentement, je m’avançai et posai une main sur les cheveux de ma fille.

Elle dormait paisiblement et je n’eus pas le cœur à la réveiller pour la

remettre dans son lit. Je me penchai vers elle et l’embrassai légèrement

sur le front avant de baisser mon regard vers le visage de Jenna. Je me mis

à déglutir péniblement à la vue de ses traits tirés par l’inquiétude malgré le

profond sommeil où elle était plongée. J’embrassai sa tempe tout aussi

légèrement puis quittai la chambre.

301

Le reste de la nuit se passera pour moi dans le lit étroit de ma petite

Maddy.

– Papa ! Papa ! T’es rentré !

L’envie de me plonger sous les draps m’effleura l’esprit. Peinant à

ouvrir les paupières, je sentis ma fille effectuer des bonds sur le lit en

s’exclamant joyeusement. Je ne pus retenir un sourire, puis un rire alors

qu’elle venait de s’installer pratiquement sur mon visage.

– Maddy, ronchonnai-je en me redressant tout en ouvrant les yeux. Ça

va, ma puce ?

– Oui.

– Je vois que tu es en pleine forme, canaille, murmurai-je en la serrant

dans mes bras.

Je fermais les yeux, savourant le contact de ses petits bras autour de

mon cou.

Pendant quelques secondes, nous restâmes enlacés pour notre petit

câlin matinal.

– Excuse-moi de ne pas avoir tenu ma promesse, ma chérie…

– Oh, c’est rien, papa. Maman m’a dit que tu avais beaucoup de

travail… Pourquoi t’es dans mon lit ?

– Oh, euh… je suis rentré très tard et comme tu dormais bien dans

mon lit, je n’ai pas osé te réveiller, lui expliquai-je en replaçant ses

boucles en désordre derrière ses oreilles.

Pour toute réponse, elle haussa les épaules d’un air indifférent. Son

innocence me fit sourire, je lui déposai un tendre baiser sur le front et la

serrai dans mes bras.

– Tu ne m’en veux pas alors ?

– Non, papa, je te pardonne.

– Je suis content, répliquai-je en souriant tandis qu’elle s’écartait

vivement.

– Où est maman ? Elle est déjà levée ? Mais quelle heure est-il ?

– Elle est à la cuisine, elle m’a dit qu’il était l’heure que tu te lèves…

mais je sais pas quelle heure il est, moi.

Je lui souris avant de jeter un coup d’œil vers le cadran de ma montre.

– T’es en retard ?

– Non, ça va. J’ai encore une petite heure devant moi, lui répondis-je

302

en sortant les pieds du lit. Maman m’a dit que tu as été à l’école, hier ?

– Ouais, et j’adore beaucoup, tu sais, mais il y a un garçon il n’arrêtait

pas de m’embêter.

– Ah et comment il s’appelle ce petit garçon ? lui demandai-je en

passant mon jean.

– Euh… ben, je sais plus.

Je haussai un sourcil, surpris par l’indifférence qu’elle portait à cet

enfant.

– Tu pourras venir me chercher à l’école ?

– Euh… si je peux, je viendrai, mon cœur. À quelle heure as-tu

terminé ?

– Je sais pas.

– Allons rejoindre maman, ma puce, on lui demandera, lui dis-je en

me dirigeant vers la porte.

– J’arrive après, papa. Maman m’a demandé de me préparer.

– Tu veux un coup de main ?

– Non ! Je suis grande. Maman t’attend en bas, toi.

Je pouffai au ton autoritaire qu’elle venait d’employer.

– Très bien, Mademoiselle, je file.

Je répondis à son petit sourire satisfait et sortis de sa chambre.

Poussant un long soupir dans le couloir, j’avançai lentement, essayant de

reprendre mes esprits encore embrumés par la longue nuit que j’avais

passé les yeux ouverts.

Une fois derrière la porte de la cuisine, je me rendis compte que je

m’étais arrêté afin de prendre le temps de respirer profondément. Je

secouai la tête, irrité par ma constatation, puis pénétrai dans la pièce.

De suite, un large sourire s’étira sur mes lèvres. Jenna était déjà prête

pour la journée. Elle se tenait près de l’évier et lavait sa tasse. Elle n’avait

pas remarqué ma présence, du moins, ce fut ce que je constatais, car elle

sursauta légèrement lorsque je passai mes bras autour de sa taille.

– Hé, comment tu vas, mon ange ?

– Went… ça va, répondit-elle en se tournant lentement.

Elle me sourit. Je l’embrassai tendrement avant de plonger mon regard

dans le sien.

– Je suis désolé pour hier soir…

– Non, me coupa-t-elle en posant son index sur mes lèvres. Tu

303

travaillais, ce n’est pas grave. Je pense que c’est juste une question

d’habitude.

Je fronçai les sourcils tandis que la culpabilité montait à nouveau en

moi. Je levai une main vers mes lèvres et emprisonnai sa main dans la

mienne.

– Ce ne sera pas toujours comme ça, murmurai-je, ému par sa

compréhension presque innocente.

– Je sais…

Je lui souris tendrement puis fermai les yeux au contact de ses lèvres

sur les miennes. Mes bras se refermèrent autour de sa taille tandis que

j’approfondissais notre baiser.

– Tu ferais mieux de prendre ton petit-déjeuner, tu vas être en retard,

me dit-elle en rompant notre étreinte.

– Il n’est que sept heures… on a encore un peu de temps, répondis-je

en prenant son visage entre mes mains.

– Oui, peut-être, mais Maddy ne va pas tarder.

Jenna avait raison, nous entendîmes ses pas qui approchaient. Je

m’écartai de son étreinte, légèrement frustré par la coupure rapide de notre

baiser. Nous nous sourîmes puis elle quitta mes bras, m’invitant à

m’asseoir pour le petit-déjeuner. Maddy était déjà prête, l’enthousiasme se

lisait sur son visage.

Elle s’installa à mon côté, le sourire triomphant sur les lèvres.

– Tu as vu, je me suis habillée toute seule !

– Tu es sublime, ma puce, répondis-je en riant en ajustant le col de sa

chemise.

Quelques minutes plus tard, Jenna posa une assiette de viennoiseries

sur la table et insista auprès de Maddy pour qu’elle finisse son verre de

lait.

Je racontai ma journée de la veille, évitant bien entendu ce que j’avais

éprouvé pendant le tournage. Jenna m’écoutait d’une oreille attentive et en

l’observant du coin de l’œil, je constatai qu’elle avait souffert de mon

absence.

– Tu as l’air très fatigué en tout cas. J’espère qu’ils vont te laisser

respirer ?

– T’en fais pas, répondis-je en lui prenant la main. Le début est

toujours plutôt difficile, mais une fois qu’on reprend, on se remet vite

dans le bain.

304

– Hum… et… tu leur as appris à… tes amis pour…

– Oui, la coupai-je en remarquant son hésitation. Ils sont heureux pour

moi.

– Super !

– D’ailleurs, ils sont impatients de vous connaître toutes les deux !

– On pourra venir te voir, papa ?

– Bien sûr, mais pas tout de suite, ma chérie. Paul est assez nerveux et

je ne pense pas que cette semaine serait le bon moment pour…

– Ben, la semaine prochaine alors ?

J’éclatai de rire par son absence d’entrain et lui promis que je ferais

mon possible pour leur faire visiter le site.

Dix minutes plus tard, j’embrassai mes femmes et quittai la pièce pour

aller me préparer.

Un long moment après, je descendis et trouvai Maddy dans le salon en

train de visionner les dessins animés. Nous échangeâmes un sourire

complice puis j’allai retrouver Jenna à la cuisine.

– Bon, il est temps que je parte.

Elle me sourit avant d’avancer vers moi. Je l’attirai dans mes bras et

soupirai longuement.

– Tu vas me manquer.

– Toi aussi, ma puce. Je vais essayer de rentrer tôt ce soir. Je t’appelle

dans la journée, OK ?

Émue, elle hocha la tête avant de répondre à mon doux baiser.

– Au fait, comment tu trouves Rosa ? lui demandai-je en caressant ses

lèvres.

– Elle est adorable. Maddy l’aime beaucoup.

– Je savais que tu allais l’aimer.

Elle me sourit aussitôt avant de baisser le regard. Je fronçai les

sourcils, surpris par la tristesse qui émanait des traits de son doux visage.

– Ma puce…

– Tu devrais y aller, mon cœur. Tu vas être en retard.

Je hochai la tête et repris ses lèvres dans un baiser chaste avant de

quitter la pièce, le cœur empli de regrets.

Après avoir embrassé Maddy, je quittai la maison et poussai un long

soupir une fois installé dans ma voiture.

Sur le chemin, je m’efforçai de ne plus penser à la veille. Tout ce que

305

je voulais garder en tête était Jenna et Maddy.

Une fois arrivé sur la place de parking qui m’était réservée, je coupai

le contact et grimaçai à la vue de la personne qui m’attendait, les bras

croisés sur la poitrine, me fusillant du regard.

– Et moi qui pensais que la journée d’hier serait la plus difficile…

ronchonnai-je en sortant de la voiture.

J’avouai que j’étais très heureux de la revoir, mais j’en fus

complètement soulagé lorsque Dominic se posta face à moi, m’arrêtant

derechef et me cachant de la vue de mon agent.

– Salut, Dom…

– Salut.

– T’as pas bien dormi, toi ?

– Non… et j’ai l’impression que t’as pas la grande forme non plus,

mon pote.

– On peut dire ça, murmurai-je en penchant la tête discrètement sur le

côté afin de vérifier si Pam était toujours là à m’observer.

– Qu’est-ce que tu fous ?

– Pam a l’air furax…

– C’est peu de le dire. Je l’ai entendue, elle hurlait de t’arracher la tête

et que si Paul essayait de s’interposer, elle avait une arme dans son sac à

main et n’hésiterait pas à s'en servir.

Il éclata de rire si fort que je fronçai les sourcils. J’avais dû me rendre

ridicule en gardant la bouche grande ouverte. Je roulai des yeux,

constatant qu’il venait de raconter n’importe quoi.

– Heureusement que tu ne fais pas dans le comique, ta carrière serait

vite interrompue, lançai-je en soupirant. Sans déconner, elle a dit quelque

chose ?

– Ouais… mais Sarah a réussi à la calmer.

Surpris, je fronçai les sourcils, mais je m’interdis aussitôt de penser de

nouveau à elle.

– Elle est donc au courant…

– Ouais. Paul lui a tout raconté.

– Je vois.

– Dis-moi, qu’est-ce qui s’est passé hier soir ?

– Comment ça ?

– Tu t’es disputé avec Jas ? Il avait l’air dégouté que tu l’aies envoyé

306

paître…

– Donc, tu sais ce qu’il s’est passé, pourquoi me demander ? Écoute,

j’aimerais qu’on me foute la paix, c’est tout. Je suis avec la femme que

j’aime et nous avons une fille, point barre !

– Riller ! Amènes tes fesses tout de suite, tu veux ? me lança Pam.

– Oh, non… grimaçai-je en lançant un regard appelant à l’aide à Dom

qui haussait les épaules avant de se mettre à rire.

Merci les amis… pensais-je tout en me dirigeant vers Pam. Je lui

souris et levai les bras pour la serrer contre moi. Contre toute attente, elle

répondit à mon étreinte presque fraternelle puis je sentis une vive douleur

me traverser le bras.

– Aie ! Mais tu… tu m’as pincé ! m’écriai-je en me massant le bras.

– Oui ! Et ne crois pas que je viens de me venger pour ta vie privée,

Riller ! À ce que je viens de comprendre, tu n’autorises personne à s’en

mêler et tu as raison, mais ce que je ne supporte pas, mon petit, c’est que

je suis la dernière à être informée ! Et c’est pour cette raison que je viens

de te pincer. Tu as une objection à faire ?

– Euh… non, répondis-je, mielleux.

– Très bien ! Alors, dépêche-toi de bouger tes fesses, tu as une scène

dans dix minutes. Ton café est prêt alors grouille !

Je secouai la tête, hébété par son débit de paroles. Je lâchai alors un

soupir de résignation tout en me détournant de son regard meurtrier. Ce

fut dans les moments comme celui-là que je pouvais comprendre, pendant

un instant, les rumeurs des fans qui parlaient à son sujet. Ils voyaient tous

un bouledogue pour désigner mon agent.

Je souris en entrant dans ma caravane alors que mon regard se porta de

suite sur mon frappuccino et des donuts. Pam ne méritait en aucun cas

cette race de chiens pour la désigner, pensai-je en riant avant de

m’emparer de ma petite collation.

C’est à cet instant que la porte s’ouvrit sur elle.

– Merci, Pam, lançai-je en mordant dans mon donuts.

– De rien, Riller. Tu peux me dire ce qui s’est passé ?

– Quoi ? Tu es au courant de tout, je suppose.

– Oui, mais te voir prendre la mouche dès qu’un de tes amis prononce

le prénom de ta douce, il y a quelque chose qui cloche.

– Mais non, c’est seulement que j’ai l’impression qu’il critique son…

307

– Âge ?

Je ne répondis pas, me contentant de baisser la tête et de boire une

gorgée de ma boisson. J’avais parfois l’impression que Pam savait lire en

moi et savais, dans ce cas, que je n’avais pas besoin de répondre pour

qu’elle comprît ce qui me tourmentait.

D’ailleurs, elle déchiffrait souvent ce qu’il se passait dans ma tête

avant moi.

Je l’entendis soupirer de lassitude quelques secondes après. Puis, elle

prit place en face de moi sur la banquette qui me servait de petite salle à

manger.

– J’ai parlé longuement avec Sarah ce matin. J’ai aussi appris pour son

divorce.

Je fronçai les sourcils, mais évitai son regard. Je savais qu’elle

attendait mon attention que je finis néanmoins par lui accorder après avoir

soupiré plus que de raison.

– Ouais… je l’ai appris hier aussi. Mais au fait, je ne pensais pas te

voir aujourd’hui.

– Ne change pas de sujet, Went.

– Oui, elle a divorcé, et alors ? m’écriai-je, dérouté avant de

m’adoucir. Donc, t’es revenue.

– Oui, je suis revenue plus tôt que prévu.

– Pourquoi ?

Elle roula les yeux, exaspérée, mais me répondit :

– Tout simplement parce qu’une amie avait besoin de moi hier soir et

tu n’en connaîtras pas les raisons avant que nous ayons parlé tous les

deux !

– Il n’y a rien à dire, Pam.

– Oh, tu ne gagneras pas à ce petit jeu, Riller ! Je te connais mieux

que personne !

– C’était qui cette amie qui avait besoin de toi ? Je la connais ?

– Flute !

– Pam ! m’écriai-je, irrité en remarquant que j’avais vu juste.

– Tu la connais très bien même, mais je lui ai promis de ne pas t’en

parler parce qu’elle se fait du souci pour toi ! Grand Dieu, est-ce que tu le

mérites ?!

– C’est Sarah ? Qu’est-ce qu’elle avait ?

308

– Je n’ai pas dit que c’était elle !

– Tu ne sais pas mentir, Pam. Pourquoi avait-elle besoin de toi ?

– Elle ne savait pas qu’elle allait avoir besoin de moi ! C’est… Dom

qui m’a appelée, m’avoua-t-elle enfin.

– Dom ?! répétai-je, surpris. Tu peux m’expliquer ?

– Il n’y a rien à expliquer. En gros, elle a craqué et elle a un peu trop

bu. Dom a paniqué, il ne savait plus quoi faire et il m’a appelée.

– Où est-elle ?

– Au maquillage depuis une heure et je doute que ça cache…

– Quoi ? Putain, Pam, tu me parles ou quoi ?

– Pff ! J’ai le droit d’avoir moi aussi une vie privée !

– Pam… soufflai-je en me massant les tempes à la douleur qui

commençait à me lanciner dans la tête. Je vais bien, je suis heureux, c’est

ce que tout le monde voulait, non ? lui demandai-je en ancrant mon regard

au sien. Je le suis et j’en ai assez qu’on me prenne la tête avec ça !

Je fermai les yeux, regrettant de lui avoir parlé sur ce ton qui ne faisait

que confirmer ses soupçons.

– Bon, très bien. Tu es heureux, j’en suis heureuse… comme tout le

monde !

Elle se leva et s’avança vers la porte.

– Pam, je ne voulais pas me mettre en colère, désolé.

– Non, ce n’est rien… et tu as raison, on n’a pas à se mêler de ta vie

privée, mais essaie de comprendre aussi que tu n’as pas à me poser de

questions sur la vie privée des autres.

– Mais j’n’en fais rien ! Je m’inquiète juste pour Sarah…

– Elle s’inquiète aussi pour toi. J’allais oublier, je voulais te dire que

tu as dix minutes pour te préparer, Paul veut revoir une scène d’hier et

ensuite tu auras deux heures avec Sarah pour votre scène de…

retrouvailles… avant de faire les essais.

– D’accord, répondis-je en ressentant une culpabilité monstrueuse de

l’avoir blessée également. Pam ?

– Oui ?

– Merci, murmurai-je en lui souriant.

J’attendis qu’elle me réponde, mais comprenant qu’elle n’en ferait

rien, je me levai à mon tour pour m’approcher d’elle.

– Tu ne vas pas me faire la tête, hein ? lui demandai-je en posant les

309

mains sur ses épaules.

– Bien sûr que non… tu sais que je t’aime trop pour ça, même si par

moment, j'ai envie de t'envoyer mon pied aux fesses pour te réveiller.

– Je t’aime aussi, Pam, lui répondis-je en la prenant dans mes bras.

Elle répondit à mon étreinte et je sentis mon cœur se soulever de

tendresse, abattant les derniers remords que j’éprouvais. Un long soupir

s’échappa de mes lèvres et je la libérai de mes bras.

– Reste avec moi, j’aurai besoin de toi.

– Ouais, d’accord, mais à tes risques et périls.

Je pouffai, heureux de retrouver la Pam tenace que j’appréciais malgré

les taquineries et tracas qu’elle me donnait avec ses panoplies de

questions et de remarques.

Pratiquement prêt pour rejoindre Paul, je me tournai vers elle et lui

lançai :

– Tu sais… on a parlé avec Sarah et… elle m’avait l’air un peu

bouleversée… c’est de ma faute, je sais…

– Non, ce n’est pas ça. Elle a eu seulement beaucoup de mal à

affronter son divorce toute seule.

– Elle aurait dû m’en parler, répliquai-je d’une voix encore pleine

d’amertume.

– Elle le regrette… mais c’est terminé à présent. Elle est libre et elle

est soulagée parce que ce Kévin était vraiment une petite ordure.

Je fronçai les sourcils, me perdant un instant dans mes pensées,

songeant aux dernières paroles de Pam.

Soudain, la voix de Paul retentit dans les haut-parleurs installés dans la

cour, exigeant ma présence immédiate sur le plateau 2.

310

22

JEU DE RÔLE

Jenna

J’étais perdue dans mes pensées quand la voix de Maddy me fit

sursauter :

– Maman, y’est l’heure de l’école ?

– Oh mon Dieu, oui.

Je retrouvai Rosa à la cuisine pour la prévenir que je conduisais Maddy

à l’école. Puis, la course contre la montre débuta pour toutes les deux

alors que ma fille me taquinait sur le chemin à prendre.

Décidément, sa mémoire était meilleure que la mienne, constatai-je en

comprenant qu’elle avait eu raison d’insister pour tourner à droite après le

feu tricolore.

Quelques minutes plus tard, elle était dans sa classe, un large sourire

sur les lèvres, ravie de se retrouver avec d'autres enfants de son âge. Je

poussai un long soupir de lassitude et de soulagement mêlé puis

m’installai derrière le volant de la voiture.

Sur le chemin du retour, j’écoutai la radio quand je pris conscience

d’avoir oublié mon sac à main dans la précipitation. Je soufflai, irritée, car

j’avais laissé mon téléphone portable à l’intérieur et je ne pouvais

satisfaire cette brusque envie d’entendre sa voix.

Une fois garée dans l’allée de la propriété, je pris mon temps pour

descendre de la voiture et m’avançai lentement vers la porte d’entrée. Je

découvris Rosa dans le salon, elle venait de terminer de passer

l’aspirateur.

– Jenna ! Déjà de retour ?

– Euh… oui. L’école n’est pas très loin.

– Elle est très agréable votre fille.

– Oui… en général.

311

Elle se mit à rire avant de me faire face.

– Vous voulez un bon café ? Je viens d’en refaire.

Perplexe, je la fixai un instant puis acquiesçai d’un signe de tête. Je la

suivis dans la cuisine, légèrement mal à l’aise à cause de la gentillesse de

cette femme que je ne connaissais pas vraiment.

Pendant une bonne heure, nous étions tout de même parvenues à

discuter tranquillement de mon passé. Contre toute attente, je n’avais pas

recouru à des efforts pour expliquer notre présence ici à Maddy et moi.

Rosa se révéla compréhensive et d’une gentillesse formidable qui m’avait

mise à l’aise en moins de cinq minutes après m’avoir installée à ses côtés

pour le café.

Elle m’avait, à son tour, expliqué qu’elle connaissait bien Went, depuis

son arrivée à Los Angeles. Elle l’avait rencontré lors d’un casting alors

qu’elle faisait le ménage derrière les studios. Went l’avait abordée tandis

qu’elle était sur le point d’être renvoyée, car elle avait omis de débarrasser

la salle après le passage d’un candidat pour une série télévisée. Il s’était

montré charmant et très compatissant envers ses larmes. Elle n’avait pu

résister à sa proposition et avait accepté de travailler pour lui. D’après

elle, et je ne pouvais que la croire, une amitié très forte s’était liée entre

eux. Went la considérait comme une amie et se confiait beaucoup à elle.

Je souris, perdue dans mes pensées aux compliments qu’elle adressait

sur lui. C’est vrai que Went avait un sens inné pour aider autrui, et cela

faisait partie de sa personnalité profonde.

Ensuite, nous abordâmes nos retrouvailles. Le téléphone se mit à

sonner à cet instant. Je souris tandis qu’elle se levait d’un bond pour

répondre.

– Jenna, c’est pour vous !

Je levai la tête et la remerciai d’un sourire en prenant le combiné

qu’elle me tendait. Elle s’éclipsa aussitôt de la cuisine.

– J’imagine qu’on était trop accaparée par la gigantesque piscine de

Riller pour appeler son frère ?

Un rire ravi s’échappa de mes lèvres.

– Sébastien ! Je suis contente de t’entendre, comment tu vas ?

– Oh moi, ça va bien, si tu comptes le fait qu’on ne me laisse pas une

minute à perdre avec ce roman.

– Ah bon ? m’exclamai-je en fronçant les sourcils. Qui ne te laisse pas

une minute ?

312

– Et comment ça va, toi ? Et Maddy ?

Je compris par ces questions qu’il évitait la mienne, je souris, amusée à

l’idée qui passait dans mon esprit.

– Tout va bien. Maddy est à l’école, je l’ai inscrite hier et elle adore !

– Déjà ?

– Oui, elle commençait à s’ennuyer.

– Et toi ?

– Ben… répondis-je en haussant les épaules. Il me manque, mais je

trouverai bien une occupation.

– Ouais… et Rosa est là, elle est très gentille, tu t’entendras bien avec

elle.

– Tu la connais ? demandai-je, légèrement surprise.

– Je ne l’ai jamais rencontrée, mais on s’est souvent parlé au

téléphone.

– Ah, oui…

– Tu ne l’aimes pas ?

– Si, bien sûr que si… mais dis-moi, les parents de Went vont bien ?

– Oui. Ils m’ont demandé de t’embrasser dès que tu téléphonerais…

mais je te rappelle que c’est moi qui l’aie fait.

Je souris puis pouffai au ton de sa voix déçue.

– Encore désolée, Séb, mais je n’ai vraiment pas eu le temps.

– Je te pardonne à condition que tu me rappelles dans la semaine en

présence de Maddy, ma nièce me manque.

– Tu lui manques aussi. J’en parlerai avec Went si on peut venir un

week-end.

– C’est une super idée, sœurette ! Bon, écoute… je dois te… laisser…

Tu m’appelles, OK ?

– Oui, mais… qui est…

Je m’interrompis, étonnée qu’il mît fin à notre conversation si

rapidement.

Je fronçai les sourcils tout en raccrochant, me demandant si j’avais

bien entendu une voix féminine dans le récepteur.

– Étrange, soufflai-je en secouant la tête pour clarifier mon esprit

avant d’aller rejoindre Rosa afin de lui donner un coup de main.

Sarah

313

Plaquant mes lunettes de soleil sur le nez, je fixai Went et Dominic au

loin. Ils approchaient vers moi. Je déglutis péniblement, constatant que

Went avait remarqué ma présence. Il me sourit alors que je tournai

vivement la tête et m’apprêtais à rentrer dans ma caravane lorsque Pam

arrêta mon geste.

– Oh, Pam !

Elle me sourit tendrement puis relâcha mon bras en soupirant de

lassitude ou de gêne, je ne saurais le dire.

– Tu penses vraiment que tes lunettes t’aideront ?

Un léger sourire étira mes lèvres puis je secouai la tête.

– Je ne crois pas, non, répondis-je en les ôtant juste assez pour qu’elle

se rende compte des dégâts de la nuit dernière.

– Bof… le maquillage cache tout de même les énormes poches que tu

avais sous les yeux.

Tout en replaçant ma paire de lunettes sur le nez, je pouffai à son air

moqueur et enthousiaste qui lui correspondait tant malgré la tragédie de la

situation. Je dramatisais un peu trop en la qualifiant comme telle, mais je

n’avais jamais autant souffert que la veille. Je mettais cela sur le compte

de la libération de mes maux.

Dom avait réussi à me faire craquer en un seul regard, empli de

compassion.

Lui savait…

Lui seul pouvait estimer l’ampleur des dégâts causés par l’annonce de

l’abolition du célibat de mon ami.

Mon ami… oui.

Celui que je faisais tout pour éviter depuis mon arrivée ce matin. À

présent, je me perdis dans son regard sous mes lunettes opaques. Il

approchait seul maintenant, car Dominic venait d’entrer dans sa caravane.

– Bon, je vais aller commander à manger. Je te prends quelque chose ?

– Euh… non merci. Je n’ai pas très faim, lui répondis-je en reprenant

mes esprits.

– Il faut que tu…

– Pam. Ça va, je vais mieux. Je n’ai pas faim, et il me reste des trucs

dans le frigo, ça ira.

– Très bien, souffla-t-elle. À tout à l’heure, ma belle.

– À tout à l’heure, répondis-je en la contemplant tandis qu’elle

314

s’éloignait. Pam ?

– Oui ?

– Merci, lui lançai-je en lui souriant.

Elle me rendit mon sourire et me fit un signe de tête avant de reprendre

sa marche. Je fermai les yeux tout en inspirant profondément. Puis, je me

tournai, évitant que mon regard ne se posât sur Went et entrai dans ma

caravane. Je fermai la porte et m’appuyai un instant contre celle-ci.

– Tu es stupide, Sarah ! soufflai-je en quittant l’entrée avant de

m’installer dans le salon tout en prenant le script de la scène que nous

devions répéter.

Je savais que l’heure était venue pour lui de me rejoindre dans mon

refuge. J’en avais conscience également hier malgré l’état dans lequel je

m’étais mise toute seule.

Dom et Pam m’étaient d’un grand soutien et peu après qu’ils eurent

quitté ma chambre, j’avais pesé le pour et le contre de mes pensées.

Pendant un long moment, j’avais réfléchi à cette situation et avais –

longtemps après, lorsque les premiers rayons du soleil brûlaient la peau

blanchâtre de mon visage – pris une décision sur notre relation. Mais pour

cela, je devais à tout prix adopter un nouveau comportement envers lui.

Je m’efforcerai à m’y tenir. Coûte que coûte, je parviendrais à

respecter la promesse que je m’étais faite.

Serrant les poings pour me concentrer davantage sur les souvenirs de la

veille alors que j’avais compris que je venais de prendre la meilleure

décision qui soit, des coups frappèrent contre la porte.

Je relevai la tête, sentant mon corps entier se raidir en entendant la

voix de Went.

– Sarah ? C’est moi.

Là, toutes mes résolutions s’envolèrent lentement de mon esprit, de

mon âme. L’impression désagréable que mon souffle me manquait

s’intensifia, balayant ainsi l’illusion que je m’étais faite. Or, je doutais à

présent d’être assez forte, mais d’avoir conscience qu’il souffrirait par ma

faute me redonna l’envie, le pouvoir de lutter contre mes sentiments que

j’enfouissais derechef – non sans tristesse – au plus profond de moi avant

de l’inviter à entrer.

– Entre…

Je gardai la tête baissée sur le script, constatant que mes doigts étaient

si serrés que je pouvais le froisser.

315

Sans quitter les répliques que nous devions nous échanger, j’entendis la

porte se refermer lentement et le soupir qu’il lâcha enfin. Je fus incapable

à cet instant de relever le visage vers lui. Je savais qu’il m’observait,

attendant un bonjour de ma part… mais je ne pouvais pas. Je restai figée

sur le canapé, les yeux rivés sur ses lignes qui me semblaient des plus

difficiles à jouer.

Je me remerciai d’avoir gardé mes lunettes à l’intérieur, car je pus

l’observer du coin de l’œil sans qu’il ne s’en rendît compte. Il venait de

croiser les bras sur son torse.

Le front plissé, il me fixait d’un regard inquisiteur.

– Tu comptes rester plantée là pendant longtemps ?

– Tu ne m’as pas dit bonjour.

Je haussai un sourcil, légèrement étonnée de sa réponse.

Ce fut donc ce qu’il attendait.

– Quelqu’un t’a joué un sale tour ? me demanda-t-il soudainement.

– Quoi ?

– De la glue se serait-elle glissée sur le canapé ?

J’ouvris la bouche, puis la refermai avant de me mettre à rire. Went et

son humour étrange ! Je secouai la tête et ronchonnai quelques mots

inaudibles en me levant du canapé.

– À croire que je n’ai pas été visée, mais il y en a peut-être sur le

plancher, répliquai-je en baissant les yeux vers ses pieds.

Il éclata de rire puis finit enfin par s’avancer vers moi. Contre toute

attente, je ne m’écartai pas lorsqu’il m’attira dans ses bras.

Son soupir de bien-être s’échoua dans mon cou. Je fermai les

paupières, savourant pleinement son étreinte même si mon cœur criait de

douleur.

– Alors… euh, tu as eu le temps de voir le script ? lui demandai-je en

reprenant place dans le canapé.

– Oui. Ça ne va pas être facile…

– Hum… disons que nos personnages n’auront jamais de moment à

eux.– C’est peut-être mieux ainsi, non ?

Je haussai un sourcil, légèrement confuse au regard qu’il posait sur

moi.– Je ne sais pas trop… Les fans aimeraient bien voir plus que ce qu’il

316

est écrit là-dedans, répliquai-je en levant le script. Cela ne parait pas très

réel, Went. Imagine retrouver la femme que tu aimes après l’avoir crue

morte… pourrais-tu te contenter d’un chaste baiser ?

– Paul m’a dit qu’ils allaient mettre tout en place de façon à ce que les

fans pensent qu’ils feront bien plus que de… s’embrasser, répondit-il en

s’éclaircissant la voix.

– Oh… je crois qu’on peut leur faire confiance, alors.

– Oui. Dis-moi, tu comptes garder ces lunettes pendant que nous

travaillons ?

– Pourquoi ? Ça ne dérange en rien si je les…

Je m’interrompis, remarquant ses mains qui se levaient vers mon

visage d'une lenteur calculée.

J’aurais pu m’éclipser, oui, j’aurais pu, mais je fus incapable de reculer

ou de faire le moindre geste. Je fermai les yeux tandis qu’il m’ôtait ma

paire de lunettes.

– Je préfère voir tes yeux, souffla-t-il en me les tirant du nez. Bon

sang, Sarah ! Qu’est-ce que tu…

J’ouvris les paupières rapidement. Il retint un cri étouffé à la vue de la

rougeur profonde de mes pupilles.

– Qu’est-ce que tu…

– C’est bon ! Je n’ai rien de grave, rassure-toi, c’est juste que je n’ai

pas beaucoup dormi la nuit passée et…

– Sarah ! me coupa-t-il en me retenant par les épaules. Tu es…

– Affreuse ? le coupai-je d’une voix vexée alors qu’il commençait à

sourire d’un air amusé.

– Je ne dirais pas ça, mais… tu as l’air d’avoir pleuré pendant des

jours…

– Non, mentis-je, blessée…

Je le vis plisser le regard, attendant visiblement que je lui avouasse la

vérité. Mais je n’en fit rien, sachant pertinemment qu’il n’avait pas besoin

de l’entendre de ma bouche. Il suffisait de me regarder pour comprendre,

et qui d’autre que lui savait mieux lire en moi comme dans un livre

ouvert ?

Personne…

Seul Went était capable d’une telle chose.

Il me comprenait depuis toujours et savait comment faire pour me

317

consoler, me rassurer lorsque je me trouvais dans une position de

faiblesse.

Mais tout était différent désormais. Il ne pouvait rien faire pour panser

les blessures profondes que le destin avait causées à mon cœur.

Went

La douleur dans ma poitrine se réveilla précipitamment à l’écoute de sa

voix qui me laissait comprendre que j’avais effectivement raison.

– Dis-moi ce qui se passe, Sarah ? demandai-je tout en relevant son

visage que je pris dans les paumes de mes mains.

– Je n’ai rien.

– Ne me mens pas, je te connais, non ? Je pensais qu’on avait rien à se

cacher tous les deux, qu’on était amis ?

Elle me considéra d’un regard confus et étonné avant de secouer la

tête.– Bien sûr que oui, Went. J’ai trop bu hier, c’est tout !

– Ce n’est pas toi, Sarah… tu ne bois jamais.

– J’ai le droit de faire des exceptions, il me semble. Je te rappelle que

je suis une femme libre et…

Elle s’interrompit, consciente que je venais de lâcher son visage à ses

mots.

– Tu es libre… oui, répétai-je d’une voix douloureuse. Je n’ai rien à

dire, excuse-moi, tu fais ce que tu veux.

– Ne prends pas la mouche, Went. On devrait se mettre au travail.

– OK, acceptai-je en soupirant.

Son comportement envers moi avait changé et cela me dérangeait à un

point que je n’aurais jamais osé m’avouer, mais les faits étaient là, plus

que présents entre nous.

Quelque chose s’était brisée irrémédiablement à l’annonce de mes

engagements vis-à-vis de Jenna et de Maddy, et aussi de son divorce, j’en

avais conscience.

À cette constatation, je ressentis un point douloureux dans ma poitrine

puis mon cœur se resserra étrangement. Je ne voulais pas la perdre… non,

je ne pourrais me satisfaire de perdre ce qui nous liait tous les deux.

J’avais besoin d’elle.

La colère monta alors en moi dans une telle vague inattendue de

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puissance que je restais paralyser de toute part, essayant de la réduire

avant de faire une chose que je regretterais toute ma vie.

Mon regard se posa alors sur son visage et je fermai les yeux au

soulagement profond que je ressentis soudainement à la vue de son

sourire.

La colère disparut aussi vite qu’elle était venue. Je la fixai, puis sentis

mes lèvres qui s’étiraient en un large sourire sans que je ne puisse en avoir

le contrôle.

Pendant les dix minutes qui suivirent, nous restâmes silencieux,

concentrés chacun de notre côté sur le script. N’y pouvant plus de relire

pour la dixième fois ces quelques lignes, je soupirai un grand coup et me

tournai à demi vers elle.

– On pourrait peut-être essayer, non ? On n’a pas beaucoup de

répliques…

– Comme tu veux. Alors, voyons voir… Lori se tient devant une

fenêtre et elle attend que Rupper te ramène…

Je souris en acquiesçant alors qu’elle venait de se relever et imitait les

gestes de son personnage. Je la contemplai attentivement et la vis jeter les

feuillets du script sur le canapé avant de se tourner vers moi.

– Qu’est-ce que tu attends ? Place-toi près de la porte, on la fait !

– Très bien, chef ! répondis-je en riant avant de me diriger à l’autre

bout de la caravane. Prête ?

Elle me lança un large sourire puis acquiesça d’un signe de la tête

avant que j’aperçusse sa lente et profonde inspiration pour se concentrer et

se mettre dans la peau de son personnage. J’en fis de même, fermant les

yeux et inspirant à mon tour une grande bouffée d’air.

Sarah et moi aimions répéter nos scènes. Nous avions cette facilité de

nous mettre rapidement dans l’esprit de Michael et Lori, deux

personnages s’aimant d’une passion mal venue.

Je fronçai les sourcils, perdant le fil de ma concentration. Sarah soupira

d’impatience et je me remis dans l’état d’esprit d’un homme retrouvant la

femme qu’il aimait plus que tout alors qu’il avait cru l’avoir perdue à

jamais.

Je m’approchai d’elle alors qu’elle se tournait vivement vers moi, le

regard étincelant d’une émotion inouïe.

– Lori… soufflai-je en m’avançant plus rapidement, faisant mon

possible pour marquer l’expression d’incrédulité mêlée à la joie de la

319

retrouver.

Elle ne dit rien, se contentant de me voir approcher à une vitesse folle

pour prendre son visage entre mes mains. Comme le précisait le script,

elle me sourit alors que je la contemplais d’un regard empli d’amour et de

passion.

Je pouvais entendre son cœur battre dangereusement. Ses mains se

portèrent à mes poignets. Son souffle court chatouilla mon visage au

même instant que ses doigts se serraient davantage.

Mes doigts glissèrent sur ses joues, s’attardant un peu sur les traces

encore visibles de sa nuit agitée puis, la seconde d’après, je la serrai

fermement contre mon torse. Je fermai les paupières, éprouvant une

grande émotion à retrouver la femme que mon personnage était censé

aimer. Puis, je l’écartai légèrement, reprenant son visage entre mes mains.

– C’est bon… Michael l’embrasse maintenant…

Elle s’interrompit brusquement, les lèvres pincées. Je compris qu’elle

préférait passer à la scène suivante pour éviter le baiser que nous devions

échanger.

Légèrement frustré, je hochai la tête.

– D’accord. Je te serre dans mes bras, dis-je en l’enlaçant doucement

de peur qu’elle me repoussât. Et puis ils font la coupure ici pour nous

reprendre ensemble…

– Sur le lit, continua-t-elle en grimaçant légèrement.

– Euh… Ouais. Tu as aussi….

– Oui, de l’autre côté, me coupa-t-elle avant d’éviter mon regard.

Je souris, sachant que pour la première fois nous nous sentîmes gênés

tous les deux. Elle se recula légèrement puis s’avança dans l’autre pièce

où devait se trouver un lit de fortune tout comme dans mon antre.

Je la suivis sans hésiter.

– OK… tu veux revoir le script ?

– Euh… non, je crois pouvoir me rappeler.

– Très bien alors… va t’allonger.

– Hum… murmura-t-elle en s’allongeant sur le lit.

– Parfait… attends, vaut mieux que nous nous préparions mieux.

Elle haussa un sourcil, étonnée par ma remarque, puis m’observa

pendant que je plaçai un oreiller dans son dos et la recouvris d’un drap.

Elle me sourit, amusée par mon attention, et reprit sa concentration

minutieuse.

320

– C’est bon ?

– Je pense… répondis-je tout en me redressant.

– Ça ira, Went ! Je suis certaine qu’on réussira la scène du premier

coup, me dit-elle pour me rassurer.

Je hochai la tête, conscient que j’en faisais un peu trop, mais la tension

qui existait entre nous me mettait dans un état étrange. Ce fut alors qu’elle

laissa un soupir s’échapper de ses lèvres que les questions s’imposèrent à

mon esprit.

Voudrait-elle que nous jouions cette scène jusqu’au bout ?

– Went ? Ça va ? me demanda-t-elle, le regard interrogateur.

– Euh… oui.

Je passai une main sur mon visage afin de reprendre mes esprits.

– Nous ne sommes pas obligés de finir cette scène maintenant…

– Si… il le faut, on la tourne demain et… je préfère que nous soyons

prêts tous les deux, la rassurai-je en lui offrant un tendre sourire.

– D’accord, c’est comme tu veux.

– Très bien.

Je laissai un long soupir s’échapper du plus profond de moi et plongeai

mon regard dans le sien.

Pendant quelques secondes, nous nous fixâmes silencieusement et je

compris que nous étions prêts.

Parvenu à me mettre dans la peau de mon personnage, j’avançai vers

elle en lui souriant amoureusement. Je m’avouai qu’il n’était pas très

difficile de jouer la comédie, surtout à l’expression épanouie qu’elle avait

sur le visage. Ses pupilles chocolat brillaient de façon à éblouir quiconque

croisait son regard.

Je me surpris à me concentrer de nouveau plus profondément puis

m’agenouillai sur le lit, face à elle. Je sentis sa jambe frôler la mienne, ce

qui m’ébranla pendant un instant. Mon regard plongea dans le sien,

pénétrant et avide.

– Je te croyais partie pour toujours…

Je fus surpris par le ton de ma voix, rauque et émue, à la réplique que

Michael devait dire à Lori.

Pendant une fraction de seconde, je la contemplai et compris qu’elle

était prête à continuer. Un faible sourire étira mes lèvres au moment où je

me penchai sur elle. Mon souffle se fit court sans que je pusse exercer une

emprise quelle qu’elle soit.

321

J’abandonnais toute résistance…

Mon esprit s’évada loin de Michael, loin de Lori.

J’étais moi-même lorsque nos lèvres s’effleurèrent lentement. Je lui

donnai un doux baiser puis ne résistant pas à mettre de la passion entre

nous, je l’approfondis dans une inconscience aveugle où plus rien ne

comptait autour de nous…

Sarah

Je fermai les yeux au contact doux de ses lèvres contre ma bouche

tremblante. Alors que je croyais qu’il allait s’écarter et passer à la réplique

suivante, il appuya son baiser.

Je m’efforçais du mieux que je pouvais à rester de marbre, mais

émotionnellement, je n’y tins plus. Encore moins lorsque ses lèvres

forcèrent le barrage des miennes.

Tout s’envola en éclat.

Mes résistances, le couple de personnages que nous étions supposés

jouer.

Tout.

Plus rien n’existait à part nous. À part ce baiser empli de passion qui

s’approfondissait dangereusement de seconde en seconde.

Sa langue effleura la mienne avec une certaine retenue puis fouilla ma

bouche, faisant naître des gémissements de plaisir à ce contact intime.

Ce n’était pas écrit…

Cette pensée me ramena lentement à la réalité.

À bout de souffle, il rompit notre baiser et ferma les yeux tout en

posant son front contre le mien.

– Went… murmurai-je, les larmes aux yeux.

Il resta immobile, front contre front, il tentait de retrouver une

respiration normale avant qu’il ne vînt fixer mes lèvres.

– On l’a bien fait… c’était super. Si on refait ça devant Paul, ce sera le

plus heureux des hommes.

Je déglutis péniblement et compris qu’il était tout aussi bouleversé que

moi. Je finis par détacher mes bras qui s’étaient fermés autour de son cou

lors de notre baiser puis lui souris.

– Je l’espère, arrivai-je à articuler.

– On continue ?

322

Je hochai la tête, complètement paumée.

– J’ai quelque chose pour toi, reprit-il, comme le script l’indiquait.

– C’est quoi ? demandai-je en m’efforçant de sourire et de me

reconnecter au personnage de Lori.

Il me sourit amoureusement avant d’enjamber mon corps pour sortir du

lit. Il n’eut pas le temps de reprendre que quelqu’un frappa contre la paroi

métallique de la caravane.

– Qui est-ce ? demandai-je en me relevant rapidement.

– Du calme, Sarah…

Il me prit la main, m’entraînant dans la pièce principale. Je lui

ordonnai alors de s’installer dans le canapé avant que j’aille ouvrir.

– Oh, Pam !

– Désolée de vous interrompre, je vous ramène de quoi vous nourrir.

– C’est gentil, entre.

– Non. Il faut que vous continuiez de vous préparer. Paul vous attend

tous les deux vers quatorze heures.

– D’accord, répondis-je en prenant les sacs qu’elle me posa dans les

bras avant de disparaître précipitamment. Waouh… quelle tempête !

– Elle est toujours comme ça, répondit Went. Ça nous laisse donc

encore deux bonnes heures. On a le temps de manger, viens.

J’acquiesçai d’un hochement de tête et le suivis au salon, sachant

pertinemment qu’il s’efforçait de paraître naturel, comme si les dernières

minutes n’avaient jamais existé.

– Tiens… c’est du chinois, me dit-il en me posant mon carton sur la

table.

– Merci.

Un silence pesant s’installa entre nous. Je soupirai puis entamai mon

déjeuner sans grand appétit.

Du coin de l’œil, je l’observai. Il n’avait toujours pas commencé à

manger et restait figé, le front plissé, alors qu’il avait l’air perdu dans ses

pensées.

– Un problème ?

– Quoi ?

– Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu m’as l’air furieux ou…

– Non, ça va. T’en fais pas.

– Je ne m’en fais pas, mais si tu…

323

– Y’a rien, Sarah ! lâcha-t-il brusquement en me fixant dans les yeux.

Surprise par sa colère soudaine et aussi par la blessure que je ressentis

aussitôt dans ma poitrine, je secouai la tête. Nous nous fixâmes ensuite et

je compris qu’il était désolé du ton qu’il venait d’employer.

Serait-ce ainsi à présent, entre nous ?

Je m’efforçai d’enlever ces questions de mon esprit et repris une

bouchée qui me donna un goût fade dans la bouche.

– Excuse-moi… me dit-il d’une voix hésitante.

– Pas de problème.

– Sarah…

– Mange !

– Sarah ! Excuse-moi, je ne voulais pas te…

– Ce n’est rien. Laisse tomber, s’il te plaît.

Il poussa un soupir, comprenant qu’il était inutile d’insister. Je sentis

son regard sur moi puis je plissai le front, étonnée d’entendre ses

gloussements incontrôlés.

Il se fichait de moi maintenant, j’aurais tout vu ! J’avais une envie

subite de le frapper.

À ma pensée, il se jeta au fond du canapé tout en se tenant le ventre à

force de rire comme un fou. Je n’en connaissais pas les raisons et ceci

m’irritait plus que jamais. Je n’hésitai plus alors à assouvir cette envie

irrésistible qui m’envahissait de toute part. Je reposai mes baguettes sur la

table basse puis me retournai vers lui avant de lever mes poings que

j’abattis violemment – du moins, le pensais-je – contre son torse.

– Tout ça te fait marrer, n’est-ce pas ?

Son rire s’effaça. Je déglutis péniblement à la lueur de colère qui

s’installa dans son regard.

Soudain, sans m’en rendre compte, il se jeta sur moi.

Je tentai de me débattre de toutes mes forces, mais nous retombâmes

tous les deux dans le canapé.

À bout de souffle, je constatai que je reposai sur lui, de tout mon corps.

Nos visages étaient proches, beaucoup trop proches. Je sentis les

battements de son cœur contre ma poitrine.

Dans un brouillard épais qui enferma mon esprit, je ne me rendis pas

compte qu’il venait de lâcher mes poignets et, dans un mouvement rapide,

mon corps se retrouva prisonnier du sien.

– Calme-toi, murmura-t-il en me serrant contre lui.

324

Allongée sous lui, je ne pus faire le moindre mouvement. Son regard

s’ancra au mien et dès que je le déviai pour l’éviter, je sentis son étreinte

se resserrer plus fermement.

– Lâche-moi tout de suite, aboyai-je, furieuse.

– Sinon quoi ?

Son souffle effleura mes lèvres. Mon corps frissonna sous le sien, dur

et chaud, que je ressentais à travers le tissu de mes vêtements.

Hypnotisée par son regard océan où je venais de plonger, je me sentais

incapable de parler, de penser ou même de respirer. D’ailleurs, il eut l’air

satisfait de mon trouble, de mon immobilité parfaite, car il profita de ma

léthargie pour porter ses doigts à mes lèvres. Je réagis aussitôt.

– Fiche-moi la paix, Riller !

– Tu vas te calmer, Sarah ! Je voulais juste enlever la nourriture que tu

as… maintenant sur la joue et tes lèvres.

Ahurie, je tournai la tête vers lui, les yeux écarquillés. Il me sourit dans

un sourire à damner une sainte.

– J’ai… je…

– Laisse-moi t’enlever ça, répondit-il d’une voix rauque.

Mes paupières se fermèrent au contact de ses doigts sur mes lèvres. Je

sentis mes joues qui s’empourpraient de façon inattendue.

– Tu comptes m’écraser encore pendant longtemps ? lui demandai-je,

sentant la chaleur de son corps attiser la mienne.

– Pourquoi… Pourquoi tu m’as frappé ?

J’ouvris grand les yeux alors qu’il ne bougeait pas d’un centimètre, me

tenant toujours à sa merci.

– Tu te fichais de moi ! m’écriai-je en le foudroyant du regard.

– C’était drôle, se moqua-t-il ouvertement en passant le bout de ses

doigts sur ma joue.

– Je te déteste… murmurai-je dans un souffle avant de déglutir

péniblement au contact de sa douce caresse.

Cet abruti me souriait.

– Tu me détestes ?

– Lâche-moi, Went.

– Regarde-moi dans les yeux et répète ce que tu viens de dire.

– Pourquoi le ferais-je, tu es sourd ? mordis-je, sentant la colère

m’envahir.

325

Il sourit de plus belle, continuant de caresser la peau rougie de ma

joue.

– Je ne te lâcherai pas avant que tu le fasses pourtant.

De plus en plus de mal à respirer, je le fixai, interdite, et essayai de

trouver les forces nécessaires enfouies au fond de moi pour le satisfaire,

mais mes recherches restèrent vaines.

Son regard avait changé. Le mien était attiré dans le sien, à nouveau,

m’hypnotisant encore pendant quelques secondes ou minutes, je ne saurais

le dire.

– Alors ? insista-t-il en resserrant son emprise sur mon corps.

– Je…

Je ne pouvais pas continuer…

Son regard venait de se baisser vers mes lèvres et je sentis alors mon

esprit se détacher de mon corps alors que celui-ci, malgré le poids de

Went sur moi, n’était qu’apesanteur.

– Je ne peux pas… finis-je par murmurer sans vraiment m’en rendre

compte.

Un silence pesant nous paralysa tous deux.

– Je veux que tu me le dises, Sarah. Dis-moi que tu me détestes !

– Non ! répétai-je en secouant la tête, laissant par ce geste une larme

s'échapper de ma paupière. Je ne peux pas…

Went

Que ne pouvait-elle pas ?

Me dire en face qu’elle me détestait ou alors rester simplement ainsi,

sans bouger alors que mes mains emprisonnaient son visage ?

– S’il te plaît… dis-le-moi, murmurai-je d’une voix si brisée par

l’émotion que je ne reconnus pas.

Elle secoua la tête, refusant tout bonnement de me rassurer. À cet

instant, mon Black Berry se mit à sonner.

Vivement, je me levai, laissant ainsi Sarah libre de tout mouvement.

– Jenna ?

– Went… salut.

– Il y a un souci ?

– Euh… non, pourquoi ? Je dois avoir un problème pour pouvoir

326

t’appeler ?

– Non, bien sûr. Attends deux secondes, s’il te plaît, murmurai-je

avant de quitter la pièce. C’est bon… comment tu vas ?

– Je vais bien, et toi ?

– Ouais… on est en pleine répétition avec…

– Je te dérange, désolée…

– Je peux prendre quelques minutes, Jenna, ne t’en fais pas.

– Je voulais juste entendre ta voix.

– Tu me manques. Je serai à la maison de bonne heure ce soir,

répondis-je en fermant les paupières, essayant de reprendre mes esprits.

– C’est vrai ?

– Oui, c’est vrai.

Je lâchai un faible rire à son exclamation satisfaite.

– Je pourrais être de retour vers dix-sept heures. Maddy sera déjà

rentrée…

– Oui, et elle sera ravie de te voir à la maison.

– Hum… sinon, rien de neuf ? Comment ça se passe avec Rosa ?

– Elle est géniale ! On s’entend très bien toutes les deux.

– C’est parfait alors.

– Mon frère a appelé ce matin !

– Ah ! Il va bien ?

– Ouais… J’avais l’impression qu’il n’était pas seul, mais…

– Ne me dis pas qu’Elena était avec lui ?!

– Je ne suis pas sûre, mais… serait-ce un problème ?

– Je… j’en sais rien, à lui de me le dire ! lançai-je d’une voix furieuse.

– Attends… c’est inutile de te mettre en colère.

– Jenna… excuse-moi, mais il va falloir que je te laisse.

– D’accord.

– Hé…

– Oui ?

– Je t’aime.

– Moi aussi, Went.

Je fermai les yeux et expirai profondément tout en coupant mon Black

Berry. Ce fut alors que je me tournai vivement vers Sarah qui tournait la

tête immédiatement.

Un sourire se dessina sur mes lèvres en constatant qu’elle n’avait rien

327

loupé de ma conversation avec Jenna. Je restai pensif un instant et finis

par approcher. Nous avions été interrompus et je comptai bien continuer

notre conversation.

Elle semblait toujours furieuse contre moi et reculait d’un pas à mon

approche.

Sans attendre, je repris son visage entre mes mains, ignorant ses gestes

de recul.

– Dis-le-moi ?

– Va te faire voir, Went ! Lâche-moi !

Son regard s’ancra au mien, me défiant outrageusement.

Était-ce si compliqué de me l’avouer ?

Cette attente était tout simplement insupportable.

C’en était trop.

Tous mes efforts ne servirent en rien. Ma raison ne m’appartenait plus.

Plus rien ne m’appartenait…

Je ne pensais qu’à l’instant présent où Sarah, seule, était importante.

Au fin fond de ma conscience, je l’entendis murmurer un « non », mais

c’était déjà trop tard.

Je ne pensais plus à l’après…

Tout ce qui était concret, réel à cet instant fut mes lèvres qui

s’écrasèrent irrémédiablement sur les siennes.

Sarah

– Non…

J’entendis le son de ma voix devenue méconnaissable alors que ses

lèvres s’écrasèrent avec violence sur les miennes. Pendant une fraction de

seconde, je n’étais plus capable de faire le moindre geste puis ma raison

s’éveilla vivement. Je tournais le visage avant qu’il ne soit trop tard, mais

son corps se pressa plus fermement contre le mien. J’étais prise au piège

et, malgré les sensations de ce contact intime de sa bouche contre la

mienne, je réussis néanmoins à puiser assez de forces pour le repousser.

– Tu es complètement fou ! hurlai-je alors que je me libérais de son

corps soudain devenu ramolli.

Il retomba sur le canapé, comprenant à cet instant qu’il avait commis

l’erreur à ne pas faire.

J’étais furieuse, debout en train de faire des pas dans le petit salon,

328

alors qu’il restait inerte.

– Je… je suis désolé, Sarah… murmura-t-il en soufflant d’une voix

tremblante.

J’allais rétorquer, lui montrer à quel point j’étais en colère, furieuse

contre lui, contre moi-même d’avoir ressenti pendant une fraction de

seconde un désir puissant et l’envie de répondre à ce baiser volé.

Mais non… je ne pouvais pas.

Mon regard était vrillé au sien, complètement anéanti. Je ne savais pas

si je devais me sentir soulagée ou blessée de le voir dans cet état. Il

regrettait son geste, il n’y avait aucun doute là-dessus.

– Pars… articulai-je alors, incapable de poursuivre.

– Sarah, je suis sincèrement désolé… je regrette, je ne sais pas ce qu’il

m’a pris.

Je secouai la tête, éberluée d’entendre sa voix si amère et

profondément douloureuse.

À cet instant, je jurerais qu’il pleurait. Mon cœur se serra plus encore

puis je finis par fermer les yeux, sentant mes barrières tomber à nouveau.

Encore une fois, je ne résistais pas.

J’avançai alors vers lui et posai une main sur le haut de son crâne.

Là, son corps se mit à trembler violemment et je m’installai à ses côtés

rapidement avant de le prendre dans mes bras et de le bercer tout contre

moi.

– Calme-toi, bon sang… Went ! lui dis-je, émue par les sanglots qui

sortaient de sa gorge.

Je ne l’avais jamais vu ainsi. Il était dans une situation que je ne

connaissais pas, mais je savais, du moins, je me doutais que ses

sentiments étaient bousculés.

Nous restâmes alors quelques instants ainsi. Sans mots, sans bruits,

nous nous retrouvâmes à nouveau dans les bras l’un de l’autre, à se

consoler mutuellement… bien qu’il ne sache pas que je ressentisse autant

le besoin de l’être.

Mais lui seul importait…

Mettant ma souffrance de côté, je tentais de reprendre un visage

impassible, même si je savais pertinemment que la tristesse ne s’effacerait

jamais de mes traits. Mais je le devais, j’étais forte. J’avais réussi à me

préparer à mon divorce après plus de dix ans de vie commune avec un

homme que je n’aimais pas. Je pourrais affronter cette petite crise

329

passagère et aidais mon ami à se retrouver.

Oui, je le pouvais…

– Qu’est-ce qui t’arrive ? lui demandai-je une fois que ses sanglots

s’apaisèrent enfin.

Il lâcha un long soupir et s’écarta de mon étreinte tout en évitant mon

regard.

– J’en sais rien… je ne sais plus où j’en suis, Sarah… Je suis désolé…

j’espère que tu arriveras à me pardonner un jour…

Il leva enfin la tête vers moi et je sentis mon cœur tambouriner

violemment dans ma poitrine à la vue de ses yeux rougis par ses larmes.

– Went…

– Je suis désolé, Sarah… répéta-t-il d’une voix paniquée.

– Arrête de me dire que tu es désolé, Went. Je veux savoir ce qui se

passe dans ta tête. C’est… Jenna ? arrivai-je enfin à lui demander.

– Non ! s’écria-t-il en se levant vivement du canapé. Non ! Non !

J’aime Jenna, tu m’entends !

Je fermai les yeux, blessée au plus profond de mon âme, et tentai de

reprendre mon souffle malgré la douleur puissante que je sentais dans la

poitrine.

Je pris conscience que ma main s’était portée sur mon cœur lorsque je

sentis ses battements effrénés cogner contre la paume de ma main

tremblante à présent.

– Qu’est-ce qui nous arrive, Sarah ?

Si la scène de tout à l’heure avait meurtri mon cœur, cette question le

fit voler en éclat.

Mon regard humide de chagrin s’éleva à la rencontre de ses yeux

océan qui ne reflétaient qu’obscurité.

Avec un effort surhumain, je repris néanmoins mes esprits, mais n’étais

pas convaincue que ma voix dissimulerait ma peine.

– Tu dois te ressaisir, Went… Je sais où j’en suis moi, c’est toi !

commençai-je à m’énerver pour feindre mon trouble.

– Je… ne comprends pas…

– Il n’y a pourtant rien à comprendre, Went ! Tu es avec Jenna ! Vous

avez une petite fille alors, s’il te plaît… Elles ont besoin de toi…

– Sarah… murmura-t-il en approchant.

Je me reculai vivement alors qu’il tentait de s’emparer de mon visage.

330

Les bras tendus vers son torse, je l’empêchais d’avancer.

– Arrête avant que tu ne gâches tout, Went ! claquai-je en ancrant mon

regard au sien.

– Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tout était terminé avec Kévin !? Tu

aurais dû, Sarah…

– Tu n’es pas bien ! Il faut que tu te ressaisisses, tu entends ! criai-je

en lâchant les larmes tant retenues pourtant.

– Je t’avais demandé de le quitter, Sarah ! Ce n’était pas seulement un

conseil d’ami.

– Arrête, murmurai-je en sentant les soubresauts de mon corps me

secouer violemment. Ne dis pas ça…

– Sarah… souffla-t-il en maîtrisant mes bras dans ses mains, me

plaquant contre lui.

– Va-t’en, je t’en prie !

– Je… ne peux pas, Sarah…

– Si, tu le peux, rétorquai-je en reniflant et en redressant la tête, prête

à tout pour le stopper. Tu le peux. Nous sommes amis, rien de plus. Je ne

t’aime pas et je regrette si j’ai fait quelque chose pour te faire penser

qu’on…

– Tu sais très bien que c’est faux ! hurla-t-il, furieux d’entendre mes

paroles.

– Tu as une femme, une petite fille… tu les aimes, tu entends ! Tu vas

rejoindre les autres et oublier tout ça ! Si tu ne veux pas le faire pour toi

alors fais-le pour moi, je t’en prie ! le priai-je alors que je fixais la tristesse

dans ses yeux.

Le cœur déchiré, je le fixai tandis qu’il reculait, les bras ballants. Un

nœud se forma dans ma gorge alors que je compris qu’il n’allait plus rien

faire pour changer ce scénario dont j’avais pourtant rêvé durant ces

dernières années.

Tout était terminé…

Tout était enfin fini…

– Je suis vraiment désolé… Je… je ne veux pas te perdre, Sarah…

J’ouvris les paupières à ces mots qui résonnèrent en moi comme un

supplice en écho à mon cœur.

Je ne le voulais pas non plus.

Non, je n’accepterais jamais de le perdre.

331

– Nous sommes amis, Went. Tout se passera bien, je te le promets. On

est amis, répétai-je dans un souffle, constatant qu’il restait immobile à me

fixer comme si c’était la dernière fois qu’il me voyait.

– D’accord… pardonne-moi, je ne sais pas ce qu’il m’a pris, répondit-

il en posant sa main sur la poignée de la porte, prêt à l’ouvrir et à

disparaître avant d’aggraver la situation.

– Went ?

– Oui ?

– Promet-moi d’oublier et que tout sera toujours pareil ? lui demandai-

je, laissant la dernière larme couler le long de ma joue.

– Si c’est ce que tu veux… je te le promets, acquiesça-t-il en ancrant

son regard humide de larmes dans le mien avant de sortir.

Une fois la porte refermée, je plaquai mes mains contre mes lèvres afin

d’éviter qu’un son n’en sortît. Je m’étais efforcée de ne pas craquer, mais

à cet instant, j’étais seule. Je fermai les yeux, le corps parcouru de

sanglots que j’étouffais fortement dans mes paumes et me laissai glisser

jusqu’au sol, éraflant mon dos contre la paroi métallique, aussi froide que

mon cœur l’était à présent.

332

23

MISE AU POINT…

Went

Cela faisait plus d’une semaine à présent que nous avions repris le

tournage. Sarah et moi avions réussi la scène qui demandait le plus de

travail et Paul était si satisfait de notre performance qu’il avait organisé un

dîner pour le week-end suivant.

Dans trois jours…

Pourtant, celle-ci nous avait apporté beaucoup de difficultés

émotionnellement, surtout le jour où nous avions tenté notre premier essai

devant les caméras.

Après le vrai baiser que je lui avais donné.

Après la monumentale erreur que j’avais commise.

Mais Sarah avait porté la responsabilité de ce fiasco devant Paul qui

avait conclu qu’elle était perturbée à cause de son divorce.

S’il savait…

Je poussai un énième soupir, fixant le ciel éclairé de ses étoiles. Je

fermai ensuite les paupières, songeant encore et encore aux jours qui

avaient suivi mon faux pas.

Après avoir quitté sa caravane, je m’étais réfugié dans la mienne

pendant la dernière heure où nous étions supposés travailler sur la scène.

Pam était venue me voir et avait compris à mon regard qu’elle ne devait

pas me forcer la main avec sa panoplie de questions inutiles. Pour la

première fois, elle s’était tue, comprenant mon besoin de solitude, et

m’avait laissé avec mes remords, seul. Je supposais, et j’en étais presque

certain, qu’elle était allée voir Sarah qui, je le savais, ne dirait pas un mot

sur mon comportement inacceptable.

Je soufflai, irrité par les images incessantes du visage si triste de Sarah

revenant sans cesse dans mon esprit. Je n’avais pas peur qu’elle en parlât,

je savais qu’elle ferait tout pour oublier et qu’elle me pardonnerait malgré

333

le silence éloquent du reste de la journée. Elle m’avait évité jusqu’à ce que

Paul l’autorisât à quitter le site plutôt que prévu. Je m’étais senti mal à cet

instant, ressentant la culpabilité m’envahir en pensant à la souffrance que

je lui avais infligée avec égoïsme. Ensuite, la colère m’avait parcouru tout

le corps lorsque Dom avait exigé de la raccompagner après m’avoir

foudroyé du regard. Il avait compris, je le savais.

Après tout, tout le monde sur le tournage se doutait que quelque chose

s’était passé. Depuis toujours ils rêvaient de voir en nous plus qu’une

simple amitié. Je n’avais jamais autorisé cela se produire.

Non… j’attendais pour ça de ne plus être totalement libre alors qu’à

présent, elle l’était !

Mais de retour chez moi, j’avais su mettre de côté le sujet de Sarah.

Jenna était si attentionnée envers moi que je ne pouvais lui montrer que

j’étais tracassé par quelque chose. Ce soir-là, nous avions fait l’amour

avec un sentiment de désespoir certain…

Le reste de la semaine avait été plus calme.

Sur le tournage, Sarah se comportait comme toujours, comme

autrefois, mais je savais pertinemment qu’elle devait faire des efforts pour

me fixer dans les yeux… tout comme je le faisais.

Dom était de plus en plus proche et je compris plus tard qu’elle lui

avait demandé de l’accompagner pour visiter un appartement. J’avais

éprouvé un sentiment de haine vis-à-vis de mon ami, mais je savais en

mon for intérieur que c’était de la pure jalousie.

Quand le week-end arriva, je fus confronté entre l’envie de rester à la

maison, enfermé dans le salon, et les propositions de Maddy qui me priait

de l’emmener au parc d’attractions.

Je n’avais pas réussi à résister à sa petite moue adorable.

Nous avions alors passé tout le week-end là bas pour le plus grand

bonheur de Maddy, et le mien pour m’avoir ôté de l’esprit le tumulte de

mes sentiments.

Jenna

Je me réveillai tout en m’étirant paresseusement. L’esprit encore

embué de sommeil, je tendis le bras sur le côté et fronçai les sourcils sans

prendre la peine d’ouvrir les yeux. Un long soupir de déception s’échappa

de mes lèvres en constatant que mes doigts s’accrochaient au drap alors

334

que je pensais y trouver Went. Je me redressai, ouvris les paupières et mon

regard tomba sur l’heure indiquée sur le réveil.

– Cinq heures…

Surprise de constater qu’il était déjà debout, je sortis du lit et me mis à

la recherche de quelque chose à me mettre sur le dos. Je souris en me

rappelant l’étreinte fougueuse de notre soirée avant qu’il ne tombât

endormi, épuisé. Je passai alors la chemise de Went, le seul vêtement qui

se trouvait dans la chambre et descendis sans faire de bruit.

Toutes les pièces de la maison étaient dans l’obscurité. De plus en plus

soucieuse de ne le trouver nulle part à l’intérieur, je m’avançai dans la

cuisine et vis une ombre sur la terrasse. Lentement, je m’en approchai et

sentis mon cœur se serrer douloureusement à sa vue. Il était installé sur

une chaise longue, le regard perdu dans le vide. Son visage reflétait une

émotion intense que je me trouvais incapable de définir.

D’où j’étais, je pus admirer la lueur brillante de ses yeux océan, mais

je compris aussi qu’il éprouvait une peine assez grande pour le lire ainsi

dans son regard si souvent impénétrable.

Je restai quelques instants à l'observer derrière la porte-fenêtre. L’envie

de le rejoindre s’intensifia, mais je restai là, comme si au fond de moi, je

savais que je commettrais une erreur. Je me contentais de l’observer alors

qu’il se trouvait seul avec ses tourments. J’étais certaine à cet instant qu’il

n’allait pas bien. Je n’avais jamais vu cet éclat de souffrance dans son

regard, pas même lorsqu’il m’avait fait comprendre que notre première

étreinte était une erreur…

Cette nuit, comme le lendemain de son premier jour de tournage,

j’avais ressenti son besoin urgent de lui appartenir, de me donner du

plaisir par la force et la puissance de son désir. Pendant les premières

minutes, j’étais restée ahurie par la façon dont il m’avait mise à nue dans

notre lit. Lui, qui se vouait une tendresse et une complicité intacte dans

nos ébats amoureux, ce soir, il m’avait fait l’amour si désespérément que

j’en avais pris peur. Bien sûr, je ne lui avais pas fait part de mes craintes et

m’étais contentée de répondre à ses attentes. Mais au fond de moi, je ne

pouvais croire qu’il avait changé. Son comportement avait changé, mais je

voulais à tout prix écarter ces pensées de mon esprit et vivre chaque

moment avec intensité et bonheur.

Je le devais…

Après une dernière inspiration profonde, je décidai enfin de le

335

rejoindre.

– Hé, me lança-t-il en ouvrant ses bras lorsque son regard croisa le

mien.

– Salut, murmurai-je en m’installant dans ses bras.

– Tu es déjà réveillée ?

– Hum… tu me manquais, répondis-je en blottissant mon visage dans

son cou.

– Je n’avais plus sommeil.

– Qu’est-ce que tu fais ici ?

– Je regardais les étoiles, souffla-t-il en me serrant dans ses bras. La

nuit est magnifique.

– Le soleil ne va pas tarder à se lever, répondis-je en pouffant dans son

cou.

Je devinais son sourire tandis que ses mains glissaient le long de mon

dos. Un soupir d’aise s’échappa de mes lèvres.

– Tu vas attraper froid.

– Non… je suis bien, là.

– Tu n’es plus fatiguée ?

– Non… ça va. Tu commences à quelle heure aujourd’hui ?

– Je… je crois que je vais me rendre sur le site très tôt. Paul veut me

voir pour la dernière scène que nous avons tournée.

– Je pensais qu’elle s’était bien déroulée ?

– Oui… mais je pense qu’il veut régler encore quelques détails pour

les prochaines scènes avec Sarah.

– Sarah… répétai-je en me redressant, constatant qu’il était mal à

l’aise.

– Ouais, souffla-t-il en prenant mon visage entre ses mains. Ce ne sont

pas des scènes évidentes à faire.

– Hum… je comprends. Ça se passera bien, j’en suis sûre. Tu es un

acteur brillant, Went.

Il me sourit avant de m’embrasser tendrement sur les lèvres. Je finis

par casser son baiser, j’avais besoin de lire dans son regard.

– Elle semble très gentille comme actrice et… vous êtes amis tous les

deux, n’est-ce pas ?

– Oui… articula-t-il sèchement. C’est une bonne actrice.

– J’aimerais bien la rencontrer un jour.

336

Je le vis hésiter un instant avant de laisser un rire léger s’élever de sa

gorge.

– Tu la rencontreras sûrement très bientôt, ainsi que les autres aussi,

Dom, Jason, William, Rob et…

– J’espère qu’ils ne vont pas… je veux dire, j’espère que je leur

plairai, le coupai-je en grimaçant.

Il plissa le front, surpris.

– Ils seront fous de toi, me rassura-t-il ensuite. Tu es une femme

merveilleuse, Jenna. Tout le monde t’adore.

– C’est faux…

– C’est vrai, ma puce… Je suis certain qu’ils vont tous t’adorer. Ils

vont tous avoir envie que tu te sentes à l’aise, que tu sois bien…

– Je suis beaucoup plus jeune et…

– Arrête.

– Went…

– Pas de ça, Jenna. S’il te plaît, me pria-t-il en posant son front contre

le mien.

– Je suis trop maladroite.

Ma réplique le fit pouffer.

– C’est ce qui fait ton charme, et tu le sais.

– C’n’est pas drôle ! pestai-je en écartant mon visage du sien pour le

regarder. Je te rappelle que depuis que nous sommes ici, je n’ai pas…

j’ai…

Il secoua la tête, me coupant le fil.

– Tu as renversé le pot de confiture il y a trois jours, tu t’es entaillé le

pied à notre arrivée, car tu avais renversé toutes les nouvelles assiettes qui

étaient sur le plan de travail. Tu es tombée deux fois sur les fesses en

sortant de la piscine et tu as oublié d’éteindre la graisse à frire… euh…

combien de fois ?

Outrée, je gardai la bouche ouverte, les bras croisés sur la poitrine, en

attendant la fin de son énumération. Il disait vrai, je ne pouvais

malheureusement pas le nier, mais une réflexion s’imposait tout de même.

– J’ai oublié d’éteindre la graisse deux fois seulement et je te rappelle

que la deuxième fois, c’est toi qui étais supposé l’éteindre alors que j’étais

occupée avec Maddy !

– Ouais… c’est vrai, répondit-il en faisant mine de réfléchir avant

337

d’éclater de rire.

– Tu viens de me vexer !

– Ce n’était pas le but, désolé, ma miss catastrophe, me taquina-t-il en

riant.

Je soupirai dans son cou avant de me mettre à rire à mon tour.

À cet instant, je me sentis terriblement bien. Le contact de ses bras

protecteurs autour de moi m’apaisait profondément, comme si rien ne

pouvait plus jamais m’atteindre ou me faire du mal. Dans le passé, Went

avait toujours été là pour me rassurer lorsqu’il remarquait que je me

sentais seule, désemparée par la tristesse profonde qui me hantait de me

sentir à ce point rejetée par un père que j’aimais pourtant.

– À quoi penses-tu ? me demanda-t-il enfin après quelques minutes de

silence.

– À toi… il y a plus de dix ans. Je n’avais que treize ans quand…

– Je me souviens, me coupa-t-il en passant ses doigts dans mes

cheveux. Tu avais essayé une nouvelle teinture…

Je roulai les yeux à son rire, mais je ne le suivis pas dans son

amusement. Il le ressentit sans doute, se rappelant peut-être ce qu’il s’était

passé ensuite.

– Ma puce… fit-il dans un murmure en caressant mes cheveux avant

de relever lentement mon visage. C’est du passé tout ça…

Je secouai la tête, les larmes aux yeux.

– J’étais devenue verte… lui rappelai-je avec émotion en constatant

qu’il était ému lui aussi. Quand je suis descendue dans la cuisine, tu étais

là avec Séb et papa… vous étiez en train de discuter du dernier match.

– Les Chicago Bulls.

– Hum… Séb avait poussé un cri effrayé… papa avait daigné lever le

regard sur moi… il… j’avais beau lui dire que j’étais désolée… il…

– Jenna… ton père était…

– Je… je lui ai pardonné, tu sais…. Il avait bu certainement… il s’était

levé et m’avait empoignée par les cheveux… si tu n’étais pas intervenu…

– Chut… me coupa-t-il en me pressant contre lui, le cœur serré

douloureusement à cette altercation violente avec mon père. Je ne l’aurais

jamais laissé te faire du mal, Jenna… Tu n’étais qu’une petite fille…

Les larmes se mirent à couler, repensant aux foudres que mon père

avait déversé sur Went alors qu’il me protégeait.

338

Tandis qu’il me berçait tout contre lui, je repensai à cette scène qui

m’avait marquée… non pas parce que mon père était furieux contre moi,

mais, car Went avait pris un coup par ma faute.

Il m’avait prise dans ses bras et me serrait contre lui alors que j’étais

en larme.

– T’es vraiment qu’une moins que rien ! On dirait une pute ! avait

clamé mon père en hurlant.

– Ne lui parlez pas comme ça !

– Arrête un peu de la protéger, Riller ! T’es toujours en train de

t’occuper de ses conneries !

– Elle ne fait jamais de connerie ! Occupez-vous d’elle comme un

père, bon sang ! Jenna est votre fille !

– Ferme ta gueule, Went ! T’as pas à la ramener chez moi, tu as

compris ?

Mon père avait hurlé tout en s’approchant dangereusement de nous.

Mon frère s’était interposé, mais il avait réussi à m’agripper par le bras

et à me tirer violemment vers lui. J’avais atterri sur le sol, ma tête

heurtant durement le carrelage. J’avais dû perdre connaissance une

fraction de seconde, car je n’avais pas vu ni entendu le coup que mon

père avait porté sur le visage de Went. Séb avait réussi à l’emmener dans

le jardin afin de le calmer puis Went s’était occupé de moi. Il m’avait

prise dans ses bras et emportée dans son véhicule afin de m’amener chez

le coiffeur le plus proche.

Dans la voiture, il n’avait pas dit un mot. Je lançais des regards

terrorisés dans sa direction tout en laissant mes larmes rouler le long de

mes joues. Sa mâchoire était crispée par la colère et j’avais eu peur à un

moment qu’il m’en veuille.

– Je suis… désolée, Went…

– Ce n’est pas ta faute, Jenna. Arrête de pleurer, ça va s’arranger.

– Il t’a frappé…

– Ce n’est rien, ne t’en fais pas, je n’ai rien senti, m’avait-il dit pour

me rassurer.

– Tu saignes.

Il s’était mis à rire alors qu’il avait arrêté la voiture sur le parking. Il

s’était tourné vers moi et avait posé la paume de sa main contre ma joue

avant de se mettre à balayer mes larmes dans un geste tendre qui m’était

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encore inconnu.

– Je ne laisserais jamais personne te faire du mal, ma puce.

Je lui avais souri, soulagée par ces mots que personne n’avait jamais

encore prononcés en ma faveur.

Ce jour-là, Went était devenu mon héros, celui qui me sauverait

toujours des griffes de mon père jusqu’à ce que tout ait déraillé entre nous.

– Je t’aime tellement, Went, murmurai-je en chassant mes souvenirs.

– Moi aussi, ma puce.

Je fermai les yeux avec un poids en moins dans la poitrine à son

murmure. Nous restâmes ainsi pendant quelques minutes, savourant notre

étreinte.

– Tu es fatiguée, tu devrais te remettre au lit.

– Non, ça va aller. Tu vas te préparer ? lui demandai-je alors qu’il

m’aidait à me mettre debout.

– Oui… il faut que j’apprenne mon script, je voudrais vraiment être

prêt et ne pas décevoir Paul.

– Et Sarah…

Il porta son regard vers le mien avant d’acquiescer d’un hochement de

la tête. Puis, me prenant la main, nous entrâmes.

– Je vais faire du café.

– D’accord, répondit-il en me donnant un tendre baiser. Je vais me

préparer.

Je lui souris, le contemplant tandis qu’il quittait la pièce.

Perdue dans mes réflexions, je pris conscience que les souvenirs du

passé étaient aussi vifs et profonds que mes sentiments pour lui. Secouant

la tête afin de mettre fin aux doutes qui hantaient à présent mon esprit, je

me concentrai sur la mise en marche de la cafetière.

Went

J’arrivai sur le parking du site et un soupir de lassitude s’échappa de

mes lèvres en remarquant que je devais être le premier sur les lieux. Les

voitures de Paul et des équipes techniques étaient déjà présentes, mais les

places de parking de Dom, Sarah ou encore Jason étaient vides. J’inspirai

profondément et sortis de mon 4x4. Je vis Paul qui me héla au loin, je

remarquai qu’il était déjà bien énervé.

340

Il y avait sûrement un nouveau souci pour les plans, me dis-je en

m’approchant vers lui.

– Salut, Paul, comment tu vas ?

– Dans mon bureau !

Surpris, je hochai la tête et pénétrai dans le hangar où se trouvait son

bureau.

Il me laissa entrer le premier et me suivit après avoir fermé la porte.

La tension était palpable et je me sentais si ridicule, si gêné d’éprouver

le besoin de me mettre sous terre qu’un faible rire nerveux s’échappa de

mes lèvres.

– Je suppose que tu te doutes des raisons pour lesquelles je t’ai

demandé de venir me voir avant que tout le monde n’arrive ?

Perplexe, j’ancrai mon regard au sien alors qu’il s’installait dans son

fauteuil en grommelant.

Remarquant mon haussement d’épaules, il me demanda :

– Que se passe-t-il avec Sarah ? Vous vous êtes disputés ?

– Non.

– Je ne vous ai jamais vus aussi bizarres tous les deux !

– Je… il faut le temps que nous nous remettions dans le bain,

répliquai-je en m’installant sur le fauteuil en face de son bureau. Écoute…

je pensais qu’on avait réussi cette scène, encore hier tu disais que c’était

une tuerie !

– C’est pourquoi je t’en parle à toi et non à elle. Je sais qu’elle vit des

moments difficiles entre son divorce et…

– Et ? demandai-je en plissant le front, complètement déboussolé par

cette remarque.

– Quoi ? T’es pas au courant que Kévin lui a mis des bâtons dans les

roues pendant le jugement ? C’est très difficile pour elle alors… je

voudrais que tu y mettes du tien pour l’aider, Went. Sarah et toi vous êtes

très liés et… il faut… Mince, elle ne t’a rien dit ?

Hébété, je secouai la tête.

– Non ! On n’a pas discuté de ça…

– Je vois… je pensais qu’elle t’avait tout raconté étant donné que

vous…

– Qu’est-ce qu’il lui a fait ? Et c’est quoi le lien entre son divorce et

notre scène ? demandais-je en serrant les poings à la colère qui montait en

341

moi.– Elle ne m’a pas tout dit, tu penses bien, mais à ce que je sais c’est

qu’il la flanquait à la porte de leur maison. Il a réussi, je ne sais pas

comment, mais… elle a eu tous les torts. Et ça joue dans sa manière de

bosser, figure-toi !

Écarquillant les yeux, je le fixai en espérant qu’il m’en dise plus, mais

il secoua la tête d’un air ennuyé.

– Comment ça ? Tu veux dire qu’il a tout gardé ? La maison, les…

– Ouais… tout. Sarah s’est retrouvée à loger dans un hôtel payé par la

prod… J’ai rencontré son avocat… elle ne le sait pas, mais il m’a avoué

qu’elle n’avait rien fait pour se défendre alors qu’elle avait les moyens ou

preuves, je n’en sais rien… pour gagner ce divorce.

– Tu veux dire… qu’il l’a menacée de quelque chose ? demandai-je

dans un souffle alors que les battements de mon cœur s’accéléraient à la

haine qui me comprimait la poitrine.

– J’en suis pas sûr à cent pour cent, mais… écoute, je vois que tu

n’étais au courant de rien… tu peux me dire ce qu'il se passe entre vous ?

– Rien du tout, mentis-je en évitant son regard avant de me lever.

Écoute… la scène est à revoir oui ou non ?

– Non, murmura-t-il l’air ennuyé d’avoir pris cette excuse pour me

parler de Sarah. Elle est très bien, même trop bien. Je n’avais jamais vu

Sarah aussi parfaite, émotionnellement, et… toi non plus.

Je poussai un soupir, soulagé de ne pas être dans l’obligation de revivre

ces émotions bouleversantes des retrouvailles de nos personnages.

– Went, je sais que vous êtes très proches tous les deux, mais tout le

monde ici a ressenti le malaise qu’il y a entre vous et…

– Il n’y a aucun malaise, Paul, le coupai-je en évitant son regard.

Il y eut un silence puis il se leva de son fauteuil et me lança :

– Très bien… je compte sur toi pour l’épauler au cas où…

– Ne t’en fais pas, Paul, j’irai lui parler.

Il hocha la tête et je quittai son bureau d’un pas pressé, conscient qu’à

cet instant, Sarah avait dû vivre un vrai calvaire par ma faute.

Voilà plusieurs minutes que j’essayais de prendre congé de Freddy, un

membre de l’équipe du tournage qui me racontait ses petits malheurs

routiniers. J’attendais poliment qu’il finisse de me raconter comment il

342

avait embouti l’arrière d’un taxi hier soir et m’excusai auprès de lui, lui

rappelant que je devais me préparer aux risques de m’attirer les foudres de

Paul. Il éclata de rire, comprenant mes inquiétudes, et me salua avant de

s’éloigner. Je poussai un long soupir de soulagement et repris mon chemin

en direction de la caravane de Sarah.

Lorsque j’écoutais Freddy d’une oreille distraite, je l’avais aperçue en

compagnie de Dom et je pensais à la discussion que nous devions avoir

tous les deux. Ce ne fut pas aisé, loin de là, car quand je m’aperçus que je

venais de frapper contre sa porte, les mots que je voulais lui dire

s’échappèrent de mon esprit.

– C’est ouvert !

Je grimaçai au ton de sa voix. Elle devait être furieuse et je me

contentais de prendre encore quelques secondes avant d’ouvrir la porte qui

nous séparait, histoire de me donner une contenance.

– Merde… lâcha-t-elle en ouvrant la porte.

– C’est comme ça que tu me dis bonjour maintenant ?

Elle parut hébétée à ma vue et esquissa un sourire d’excuse.

– Je… je…

– Je plaisante, Sarah, murmurai-je avec l’envie de la prendre dans mes

bras.

– Salut, finit-elle par articuler avec beaucoup de mal en se levant sur

la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ma joue.

Je souris, soulagé qu’elle ne me repoussât pas lorsque je la serrai dans

mes bras amicalement.

– Tu vas bien ? lui demandai-je.

– Ouais… disons que la matinée est déjà mouvementée.

– Que se passe-t-il ?

– Oh… j’ai signé pour un appart hier soir et j’ai paumé mes papiers,

me répondit-elle en soulevant la paperasse qui ornait le centre de la table

basse.

– Tu veux que je t’aide ?

Je ne savais pas ce que j’avais dit de mal, mais elle se tendit en levant

une main vers moi.

– Il est là ! s’exclama-t-elle en filant dans la dernière pièce.

Je me sentais mal, terriblement mal, de la voir jouer la comédie. Elle

riait faussement et ça me faisait beaucoup plus de peine que si elle avait

343

pleuré de colère, de déception ou je ne sais quoi encore.

C’en fut trop.

Je ne pouvais pas la laisser se comporter ainsi alors que je savais

pertinemment qu’elle souffrait au fond d’elle, tout comme je souffrais

également. Je la rejoignis alors et la trouvais installée sur le bord du lit, le

regard perdu dans le vide.

– Sarah…

– Oh… il était bien là, fit-elle en désignant son papier sur le lit.

– Il faut qu’on parle Sarah.

– Non ! Tu…

– S’il te plaît, insistai-je en me postant devant elle. Tu sais très bien

qu’on n’arrivera à rien si on ne met pas les choses à plat tous les deux.

Elle leva les yeux et les baissa avant de se relever. Je restai immobile,

ne lui laissant pas d’autre choix que de se trouver face à moi.

– Sarah…

– D’accord. De quoi veux-tu parler ?

– De nous.

– Non ! s’écria-t-elle, la mâchoire serrée. Il n’y a pas de nous, Went.

– Si, Sarah. Je ne me voile plus la face devant toi alors essaie d’en

faire autant, sinon on arrivera à rien, et tu le sais, claquai-je en sentant la

colère qui perçait dans chacun de mes mots.

– Nous sommes amis, rien de plus, Went.

Je soupirai, exaspéré, et me frottai le visage d’une main vigoureuse

pour tenter de me calmer.

– D’accord. Nous sommes amis, mais ce qui s’est passé l’autre jour…

– C’est oublié, Went ! Tu as pété un plomb, ça arrive, et je ne t’en

veux pas. Tu… tu viens d’apprendre que tu as une fille, tu es en couple à

présent, tu es déboussolé, c’est tout.

Je fermai les paupières, dérouté par les excuses infondées qu’elle

m’adressait. Je secouai la tête avant de planter mon regard dans le sien.

– C’est donc de cette façon que tu vois les choses, n’est-ce pas ?

– Que veux-tu que je te dise ?

– Je veux seulement que tu sois honnête avec moi.

Elle pouffa, toujours nerveusement, car la situation dans laquelle nous

nous trouvions ne s’y prêtait pas et elle en avait bien conscience.

– Que je sois honnête ? Tu veux quoi, Went ? Si tu veux que je sois ta

344

maîtresse, il en est hors de question ! claqua-t-elle en me foudroyant d’un

regard froid.

– Je ne te demande pas d’être ma maîtresse, Sarah, répliquai-je en

posant mes mains sur ses épaules.

– Tant mieux ! Maintenant on peut commencer ? demanda-t-elle en

s’écartant.

– Je pense que je vais parler à Jenna, Sarah… murmurai-je dans un

souffle.

Elle se tourna vers moi vivement et approcha d’un pas.

– Tu es complètement fou, Riller ! Pourquoi voudrais-tu lui parler ?

Pour ce qu’il s’est passé l’autre jour, c’est ça ? Il n’y a rien eu, tu

m’entends ?

C’était faux, et elle le savait très bien.

Je ne pouvais supporter qu’elle nie l’évidence.

D’un pas vif, je l’agrippai par les épaules et l’obligeai à me regarder.

– Très bien, Yanel, tu veux nier ? Alors, nie tant que tu le peux, mais

je te jure qu’un jour…

– Rien, Went ! Il n’y aura jamais un jour…

– J’ai tout gâché, n’est-ce pas ? lui demandai-je après quelques

secondes de silence pesant.

– Went… souffla-t-elle, apeurée par l’insistance de mon regard.

– Je veux seulement que tu répondes à une question, Sarah. Juste une

seule.

Elle pesa le pour et le contre mentalement puis finit par hocher la tête.

– D’accord… après, il faut qu’on répète.

Un léger sourire étira mes lèvres à cette réplique puis, très vite, je me

concentrai sur la réponse que j’attendais à la question que je voulais lui

poser. Nos regards se vrillèrent l’un dans l’autre dans un silence

électrisant.

– Si je n’étais pas parti… si Jenna n’était pas revenue et si…

– Ça fait beaucoup trop de « si », Wentworth.

– Est-ce que nous serions ensemble, aujourd’hui ? Je veux juste que tu

me le dises, Sarah, soufflai-je tandis que je sentais mes résistantes

s’affaiblir en remarquant la brillance de son regard noisette. Sarah ?

Réponds-moi, je t’en prie.

– Je… on ne peut pas faire un Nouveau Monde avec des « si », lança-

345

t-elle d’une voix brisée par l’émotion.

– Tu refuses de me répondre, Sarah, constatai-je en resserrant

l’emprise de mes mains sur ses épaules. Sois franche avec toi-même…

– Je ne sais pas, Went ! Peut-être que oui, peut-être que non !

Elle s’écarta brusquement de mon emprise et je fermai les yeux,

dérouté mais soulagé à la fois qu’elle acceptât enfin d’évoquer cette

possibilité.

Ses sentiments étaient donc réciproques, ce qui n’arrangeait pas notre

situation. Perdu dans mes réflexions, je me surpris à défaillir un court

instant alors qu’elle venait de poser ses mains sur mon torse.

Le cœur battant à tout rompre, je baissai les yeux vers les siens.

– Arrête tout de suite, Went. N’y pense plus, je te le demande.

– Comment veux-tu que j’oublie ça, Sarah ? demandai-je, ému, en

posant ma main sur sa joue. Ils avaient tous raison depuis le début…

même Séb savait… je t’aime depuis…

– Ne dis pas ça ! hurla-t-elle, laissant une larme rouler sur sa joue. Ne

dis pas ça…

Mon cœur cessa de battre si soudainement qu’un bruit s’échappa de

mes lèvres avant de la prendre dans mes bras. Ce fut dans une étreinte

désespérée que je la serrais étroitement contre mon cœur et la gardais ainsi

de longues minutes, jusqu’à ce que ses sanglots s’apaisent.

Sarah

Le cœur lourd de remords et de regrets, je me détachais de ses bras

lorsqu’il prit ma main et m’attira dans le canapé. Soudain affaiblie par le

flot d’émotions, je me laissais retomber sur ses genoux alors qu’il me

serrait contre lui.

– Reste près de moi quelques minutes, Sarah… murmura-t-il en

déposant un baiser sur mes cheveux.

– Je ne veux pas… je ne peux pas, Went, balbutiai-je en enfonçant

mon visage dans son cou.

– On se sent mal tous les deux, Sarah… si tu savais comme je m’en

veux d’avoir été aveugle tout ce temps.

– Tu as Jenna et Maddy, il faut à tout prix qu’on arrive à…

– Rester amis ?

346

– Tu l’aimes aussi…

– Ce n’est pas pareil, claqua-t-il sèchement alors que je me redressais

afin d’ancrer mon regard au sien.

– Que veux-tu dire ? Tu l’aimes, tu l’as dit ! Qu’est-ce que tu fais,

Went ?

– J’en sais rien… ça était si vite quand je l’ai revue… et quand j’ai su

que j’avais une fille… je…

Ce n’était pas la peine qu’il aille plus loin.

Je saisis.

Amèrement je le comprenais, car je le connaissais mieux que personne.

Went était un homme responsable et il voulait assumer, quitte à se

sacrifier lui-même pour le bonheur de son enfant et de la mère qui l’avait

profondément attristée.

Je fermai les yeux, tentant de recouvrer mes esprits.

– Explique-moi si cela peut t’aider à comprendre, mais… des gens

vont souffrir quoi que tu fasses et… je ne veux pas être la femme qui est

la cause des…

– Chut… m’interrompit-il en posant son pouce sur mes lèvres. Je ne

veux pas te faire souffrir, Sarah.

– Je saurai m’en sortir, Went, répliquai-je en me relevant avant de

faire quelques pas dans le salon. Tu dois assumer tes responsabilités.

Mets-toi en tête que nous sommes amis, il faut que tu le fasses…

– Ce n’est pas si simple.

– Je le sais, mais tu y arriveras. Tu es quelqu’un d’intègre et tu lui

seras fidèle, d’accord ? lui demandai-je en évitant son regard brillant

d’émotion. Nous avons des vies différentes maintenant alors n’en parlons

plus, s’il te plaît. Promets-le-moi, c’est tout ce que je te demande alors

si…

– Tu me demandes beaucoup là.

Je me relevai et fis un pas dans la pièce.

– Si tu m’aimes, tu le feras, murmurai-je en détournant les yeux.

Du coin de l’œil, je le vis se lever. Il s’approcha et je fis un pas en

arrière, mais il fut plus vif que moi.

– Je t’aime, Sarah, souffla-t-il en prenant mon visage entre ses mains.

– Ne dis plus ça, m’efforçai-je d’articuler en levant mes yeux,

déterminés vers les siens.

347

Nous restâmes alors silencieux pendant quelques instants. Ses mains

recouvraient toujours mes joues, leur infligeant une vraie torture de

caresses du bout de ses doigts. Mais je ne bronchais pas, trop absorbée par

le regard intense qu’il vrillait au mien.

Quelque part en moi, je savais que mes résistances s’effondreraient à la

seconde même où il pencherait la tête pour m’embrasser. Je céderais et la

culpabilité en serait plus énorme, mais je pouvais lire dans son regard

qu’il avait compris que je ne voulais pas être cette femme-là. Celle qui va

le retrouver après avoir quitté sa famille. Je ne pouvais pas et il était assez

gentleman pour ne pas me l’infliger.

– Alors, ça sera toujours comme ça entre nous ? Amis ? demanda-t-il

d’une voix vibrante de chagrin.

Je hochai la tête, refoulant mes larmes au plus profond de mon être, et

lui esquissai un faible sourire, retrouvant notre complicité d’antan.

– Je ne veux pas perdre ce lien, Went. Je ferai tout pour que tu te

sentes moins…

– Coupable, amer ? continua-t-il en poussant un long soupir.

– Inutile de te sentir coupable, Went. Ce sont les aléas de la vie…

– Oui, mais ils nous sont tombés dessus au mauvais moment, répliqua-

t-il en m’adressant un faible sourire.

– On y arrivera, fis-je en inspirant profondément avant de m’écarter

de lui.

– OK…

Approuvant notre accord, un large sourire se dessina sur mes lèvres

alors que je me contentais de taire la douleur qui grondait au plus profond

de mon âme, me rappelant pourtant les peines que je ressentirais encore,

inlassablement.

– Rien n’a existé entre nous… nous ne sommes que les meilleurs amis

du monde et rien n’y personne ne pourra casser ça, c’est ce que tu veux, tu

en es certaine ?

– Oui, dis-je tout aussi troublée en secouant la tête.

– OK… Qu’est-ce que tu dirais si on commençait à répéter dans ce

cas ?

Je savais pertinemment qu’il refoulait également l’envie d’arrêter cette

comédie. Mais j’étais consciente aussi – et c’était le plus important – que

nous défions cette situation. Il fallait que nous enterrions à jamais nos

sentiments réciproques et restions lucides sur nos rôles qui seraient les

348

plus périlleux que nous connaîtrions dans nos carrières respectives.

Jenna

Je venais de rentrer à la maison, après avoir emmené Maddy à l’école,

lorsque la sonnerie du téléphone résonna. Balançant mon sac dans le

canapé, je courus jusqu’au combiné et décrochai, à bout de souffle.

– Salut, sœurette !

– Oh, Séb… salut.

– Je vois que tu es très heureuse d’entendre ton frère, ça me fait

plaisir.

Je pouffai et pris le socle du téléphone que je posais sur mes genoux,

m’installant confortablement dans le canapé.

– Mais ça me fait plaisir, Séb. Je viens de rentrer, j’ai conduit la petite

à l’école.

– Ah oui, c’est vrai. Dis, je pensais que tu devais m’appeler ?

Je grimaçai à l’oubli.

– Désolée, c’est que…

– Tu es à Los Angeles, tu dois avoir beaucoup à faire.

Je roulai des yeux, sentant par le ton de sa voix qu’il en était vexé.

– Tu te trompes, Séb. Si je te disais que je n’ai pas encore bougé de la

maison. Les seuls trajets que j’effectue c’est entre l’école de Maddy… à

part bien sûr le week-end au parc d’attractions, mais tu es au courant.

– Donc, tu t’ennuies ! souffla-t-il avant d’élever la voix. Y’en a un qui

entendra parler de moi. Comment va-t-il, au fait ?

– Oh, il va bien. Il est très pris par le tournage, tu sais, lui expliquai-je

d’une voix d’excuse.

– C’est pas pour autant qu’il doit te délaisser.

– Il ne me délaisse pas ! m’exclamai-je en ouvrant grand les yeux.

D’ailleurs, il est rentré plus tôt hier et…

– C’est bon, passe-moi les détails.

Je pouffai à nouveau et lui demandai à mon tour :

– Comment vont ses parents ?

– Oh, ils vont bien. Ils m’ont encore dit de t’embrasser, ainsi que la

petite et leurs fils, bien sûr.

– Tu les embrasseras pour nous aussi. Et Elena, comment va-t-elle ?

349

lui demandai-je en m’efforçant de cacher mon exaltation quant aux doutes

que j’avais à propos de la relation qu’il avait (sans doute) avec la sœur de

Went.

– Elena ?

– Ouais, Elena !

– Ben, je suppose qu’elle va bien.

– Tu veux dire quoi par là ? demandai-je, surprise, avant qu’il se mette

à rire.

– T’as pas fini ton interrogatoire, n’est-ce pas ?

– Merde, lâchai-je en manquant de faire tomber le socle du téléphone.

– Qu’est-ce que t’as encore fait ?

– Oh, rien du tout. Alors ? Tu me racontes ? insistai-je en jouant avec

le fil du téléphone.

– Y’a rien à raconter, on est sorti deux ou trois fois, c’est tout. Et si je

t’appelle, c’est pour avoir de tes nouvelles pas pour t’en donner. Dis-moi

plutôt comment tu vas ? Tu n’étais pas en forme quand tu es partie d’ici et

tu… vous me manquez toutes les deux.

Pour changer de sujet de discussion, Séb avait toujours été très fort. Je

roulai des yeux légèrement exaspérée et perdis de suite mon entrain.

– Maddy aime l’école, je crois même qu’elle est tombée amoureuse

d’un de ses camarades.

– Tu plaisantes, j’espère !

– Je ne pense pas, non… y’a aucun mal là-dedans, répondis-je en

souriant légèrement.

– Ouais, ouais… et toi, ça va mieux ?

Je fermai les yeux à cette question et me mis à déglutir péniblement. Je

gardais un peu trop longtemps le silence, car je perçus l’inquiétude dans

sa voix à présent.

– Jenna ? Qu’est-ce que tu as ?

– Rien… Je vais bien…

– Jenna… c’est moi, ton frère, et il me semble que tu m’as promis de

ne plus rien me cacher.

– Séb… soufflai-je en laissant une larme s’échapper de ma paupière.

Je…

– Tu veux que je vienne ?

– Non ! m’écriai-je en reniflant sans m’en rendre compte.

350

– Merde, Jenna ! Tu vas me dire ce que tu as, car je te jure que je vais

débarquer ! Tu sais très bien que je ne plaisante pas.

– Oh ! Calme-toi, s’il te plaît. Je vais bien, arrête, lui mentis-je en me

sentant mal tout à coup. Il faut…

– Non, tu ne vas pas raccrocher maintenant. Je te connais, tu es ma

sœur et tu n’as jamais pleuré pour rien alors, maintenant, tu me dis ce qu'il

se passe !

Je fermai les paupières, horrifiée par la situation dans laquelle j’avais

plongé la tête en avant. Je pris une profonde inspiration et sentis la

culpabilité m’envahir de plein fouet, telle une vague dévastatrice.

– Tout va bien, c’est juste que… New York me manque, tu me

manques, Went me manque !

Je posai une main sur mon front, sentant la pâleur s’installer sur mon

visage alors que j’avais soudain du mal à respirer normalement. Je tentai

de reprendre mon souffle puis je sentis mes bras s’affaiblir avant que tout

mon corps se mît à réagir de cette façon.

Paniquée, je pressai mon dos contre le dossier du canapé et me répétais

inlassablement que ce petit malaise allait passer.

– Jenna ? Tu m’inquiètes vraiment…

– C’est juste… ça va passer, t’en fais pas, lui dis-je en sentant les

forces revenir dans chaque parcelle de mon corps douloureux à présent.

– Reviens à la maison quelque temps. Vous avez été trop vite, tous les

deux… s’il te plaît…

– Je me sens bien ici, Séb, répondis-je en secouant la tête, perplexe

qu’il me dise une chose pareille. Je ne quitterai pas Went…

– Oui, ça je le sais, mais juste pour quelque temps. J’ai envie de

prendre soin de toi et ne me dis pas que Went le peut. Tu dis toi-même

qu’il est très pris par le tournage.

Je prenais conscience qu’il avait raison, mais je m’efforçais de trouver

une solution pour effacer l’inquiétude de mon frère.

– Je te promets que si j’ai besoin de toi, je reviendrai, Séb. Arrête de

t’inquiéter pour moi, je vais bien. Maddy adore l’école, je ne vais pas une

fois de plus la perturber pour un oui ou un non.

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Laisse tomber…

– Ouais, d’accord, mais n’oublie pas que je suis là et que tu pourras

351

toujours compter sur moi. Appelle-moi à n’importe quelle heure,

n’importe quand, OK ?

– OK, répondis-je, émue par ces paroles alors que je l’avais blessé très

souvent avec mes mensonges et mon départ, quelques années plus tôt.

– D’accord. Je vais te laisser. Ouais.

– Tu as prévu un programme pour ta journée ?

– Oh… je vais m’occuper de la maison, Rosa ne vient pas

aujourd’hui, lui dis-je en jetant un coup d’œil autour de moi, sachant

pertinemment que j’avais déjà fait le ménage avant de conduire Maddy à

l’école.

– Mm… repose-toi un peu. Je t’appelle demain. Je t’embrasse.

– Moi aussi. Je t’aime Séb, ajoutai-je, les larmes aux yeux, avant de

raccrocher le combiné.

Je restais quelques instants à penser à cette discussion. La culpabilité

m’assaillit derechef. Comment pouvais-je lui mentir aussi ouvertement à

lui, mon frère, alors qu’il n’avait cessé de me soutenir depuis toujours ?

Poussant un grognement, je me laissais retomber sur le canapé, cette

fois, je n’eus pas le temps de rattraper le téléphone qui se brisa sur le sol.

Horrifiée, je pestai à voix haute contre ma maladresse et le ramassai

avant de me redresser et de fondre en larmes.

Quelques minutes plus tard, après avoir avalé mon médicament, que

j’avais oublié, et m'être passé le visage sous l’eau fraîche, je me sentais

beaucoup mieux. J’en profitai alors pour réfléchir sur le repas de ce soir,

Maddy ne rentrant pas pour déjeuner, j’avais largement le temps de

prévoir, mais je ne savais pas quoi faire d’autre.

Went me manquait vraiment beaucoup et je sentais que notre relation

allait en souffrir si je le trouvais toujours aussi distant. Comme chaque

fois que cette pensée venait à mon esprit, je secouai la tête, me disant que

je devais me faire des films.

Ce fut alors que je me décidais à monter à l’étage pour faire les lits et

ranger un peu la chambre de ma fille afin d’apaiser cette énergie subite

qui m’envahissait toujours au moment où je ne l’attendais pas.

352

24

QUAND TOUT VA MAL…

Went

Vendredi… nous étions déjà arrivés en fin de semaine et la réception

de Paul avait lieu le lendemain.

Je la redoutais… plus que tout…

Je venais de rentrer du tournage, épuisé, et je me surpris à devenir de

plus en plus agacé d’entendre des cris incessants. Je fermai les yeux,

tentant de garder mon calme alors que je rêvais pourtant de rester

tranquille à la maison, dans un silence apaisant comme j'en avais toujours

eu l'habitude en rentrant chez moi après une journée harassante de

tournage. Or, ce n’était plus le cas.

Déjà à mon arrivée, j’avais remarqué l’attitude éloignée de Jenna, les

bavardages incessants de Maddy m’avaient littéralement donné la

migraine.

Et maintenant, elles se mettaient à se disputer toutes les deux !

Un grognement d’agacement s’échappa de mes lèvres puis je me

décidai à me lever du canapé pour me rendre à l’étage voir ce qu’il se

passait entre elles.

Arrivé devant la porte de la salle de bain, je me stoppai, constatant que

Maddy était dans le bain alors que Jenna s’évertuait à la sortir de la

baignoire. La petite n’était pas d’accord. Un léger sourire se dessina sur

mes lèvres tandis que je restais derrière la porte.

– Je vais dire à papa que tu veux pas !

– Ton père est en bas, laisse-le tranquille ! Maintenant tu sors de là,

Maddy !

– Non ! Je veux jouer encore un petit peu.

– Je te promets que si tu ne sors pas tout de suite de la baignoire…

– T’as pas le droit de faire du chantage, papa a dit que c’était pas

bien !

353

– Ne mêle pas ton père à tout ça, Maddy.

Elle avait l’air vraiment énervé, il fallait intervenir. J’ouvris alors la

porte et les fixai à tour de rôle.

– Papa…

– Ça suffit !

Je ne savais pas ce qu'il lui prenait, mais elle venait de hurler sur notre

fille qui se mit à pleurer.

Hébété, je lançai un œil vers Jenna, mais celle-ci me foudroya du

regard.

– Oh, Maddy…

– T’es méchante !

– Oui… ne pleure pas…

– Qu’est-ce qui te prend de lui crier dessus comme ça ?! claquai-je,

furieux, en pénétrant dans la pièce, voyant Maddy en pleurs. Viens là, ma

puce, murmurai-je en enveloppant ma fille dans une serviette avant de la

prendre dans mes bras.

– Je… elle fait exprès de me provoquer, murmura Jenna d’une voix

tremblante, à bout de nerfs.

Je me tournai vers elle et la trouvai complètement perdue. Je soupirai

puis secouai la tête avant de sortir de la pièce, ne prenant pas la peine de

lui répondre, du moins pas maintenant, pas en la présence de Maddy.

– On va aller mettre ton pyjama, d’accord ? demandai-je à ma fille qui

me sourit timidement avant de coller son visage dans mon cou.

Jenna

Je me retrouvai seule avec la culpabilité pour unique compagnie à

l’épuisement que je ressentais. Je m’installai sur le bord de la baignoire,

prévoyant un malaise imminent, et je fermai les yeux avant de me mettre à

sangloter silencieusement.

Qu’est-ce qui m’avait pris ?

Je restais quelques minutes là à injurier mon traitement, cause de mon

comportement lunatique, d’après le médecin. Je tentai de me calmer, de

reprendre mes esprits, tout en me demandant comment j’allais expliquer

cette crise de nerfs à Went. Ce qui n’arrangerait pas le sentiment

d’éloignement que j’éprouvais.

Depuis deux jours, je le trouvai si distant avec moi. Les moments

354

intimes que nous avions étaient vite devenus inexistants ou presque.

La veille, il était rentré très tard, je dormais déjà. Oh bien sûr, je

comprenais que son travail soit important, mais si j’avais imaginé que la

vie de couple se résumait à de brefs aperçus comme nous le vivions en ce

moment, je me demandai si j’aurais accepté de le suivre, surtout que je

restai consciente du peu de temps qu’il me restait.

Ce fut à cet instant que la conversation avec le médecin revint à mon

esprit…

J’y étais allée dans la journée et, déjà, dans la salle d’attente, j’avais

pressenti que notre couple n’était pas au meilleur de lui-même et j’avais

pris le temps de tout analyser. Je n’avais jamais autant ressenti ce manque

de tendresse pourtant bien connu depuis que j’étais arrivée dans ce bas

monde.

Bas monde… je devrais être heureuse pourtant.

Ma fille était présente et nous étions réunis au côté de l’homme que

j’aimais plus que tout depuis toujours.

Était-ce peut-être le problème ?

Je secouai la tête nerveusement, persuadée que je me faisais des films

aux doutes de mes propres sentiments.

Ne l’aurais-je pas trop mis sur un piédestal ?

Depuis mon enfance, je l’avais toujours considéré comme mon plus

grand héros.

L’homme qui m’offrait de tendres sourires lorsque je n’avais plus le

goût de vivre.

L’homme qui s’interposait entre mon père et moi dans les moments de

confrontation.

L’homme avec qui je pouvais parler lorsqu’il revenait à New York.

L’homme tout simplement, tendre et aimant, celui qui ne montrait

aucun préjugé et vous ouvrait son cœur et sa sympathie.

Alors pourquoi ressentais-je ces sentiments contradictoires ?

Peut-être que je l’idolâtrais un peu trop…

Je ne devrais pas ressentir cela, mais je ne pouvais faire autrement…

– Jenna ?

J’avais sursauté à la voix du médecin tout en redressant la tête. Son

regard compatissant avait eu le don de me faire revenir à la réalité.

– Oh, bonjour Docteur, je…

355

– Entrez.

J’avais souri timidement, perplexe d’avoir été prise en flagrant délit

de remise en question.

Rapidement, je l’avais suivi dans le cabinet et m’étais installée sur la

chaise qu’il m’avait désignée d’un signe de main. Toujours silencieux, ce

qui ne présageait rien de bon, le Docteur Hart s’était installé derrière son

bureau avant d’ouvrir mon dossier médical. Je l’avais observé

silencieusement, sentant l’angoisse me paralyser petit à petit. Les traits

de son visage étaient durs et soupçonneux, ce qui me laissait penser qu’il

devenait de plus en plus inquiet au fil de sa lecture.

Les quelques secondes qui passaient m’avaient paru des minutes...

des heures lentes et désagréablement angoissantes.

– Hum… Jenna, comment vous sentez-vous en ce moment ?

D’abord surprise par sa question, je l’avais considéré quelques

secondes avant de hausser les épaules.

– Je dirais que je me sens angoissée…

– Oui, je comprends, mais je vous parlais de ces derniers jours depuis

que nous nous sommes vus ?

– Oh… eh bien… j’ai… je ne sais pas. Il y a des jours où je me sens

épuisée et puis…

– Un regain d’énergie ?

J’avais acquiescé de la tête. C’était tout à fait ce que je ressentais.

– Je vois…

– Quel rapport avec ma maladie ?

– Oh, tout est lié. Je vous expliquais que votre traitement pouvait

jouer sur votre corps.

– Je… oui, mais je m’emporte pour un rien ou alors…

– Les symptômes d’une femme enceinte…

– Quoi ? ! avais-je hurlé en écarquillant les yeux, stupéfaite.

– Je vous rassure, vous n’êtes pas enceinte, Jenna. C’était indélicat

de ma part de faire cette comparaison, mais le traitement que vous avez

provoque les mêmes symptômes…

– OK… OK, je vois. Je ne suis pas enceinte, avais-je répété en

soupirant de soulagement alors qu’un pincement étrange m’étreignait la

poitrine.

– J’ai… vos résultats, Jenna.

356

J’avais fermé les yeux, consciente que la voix du médecin

s’attendrissait de compassion.

– Je suis désolé, Jenna, mais vos résultats démontrent une progression

accrue…

– Non, s’il vous plaît… avais-je murmuré en secouant la tête, prête à

lui demander ce que je voulais savoir. Combien de temps, docteur ? Il me

reste combien de temps ?

J’avais gardé mon regard sur lui, étonnée que ma vue ne se voila pas

de larmes que je sentais pourtant m’envelopper de l’intérieur.

– Je… six mois, un an. Je suis sincèrement désolé, Jenna.

J’avais à nouveau fermé les yeux afin de trouver les forces nécessaires

pour lui faire face. Pour faire face à la dure réalité qui me frappait… qui

me poussait dans une colère, une haine profonde que je laissais enfermée

en moi malgré l’envie de hurler… de crier ma douleur, mon refus de

partir ainsi.

– Jenna, j’ai pris rendez-vous avec le Docteur James. Il faut que vous

alliez le voir, c’est important.

– Je n’ai pas besoin de psychologue, Docteur !

– Jenna… il faut que vous mettiez votre famille au courant de votre

maladie. Ils ont le droit de savoir.

– J’ai le droit de les épargner. Comment pourrais-je apprendre à ma

fille de quatre ans que sa mère va la laisser ? Comment lui dire que je

l’abandonne ? Elle a besoin de moi… je ne peux pas… je ne peux pas lui

infliger cela.

– Vous serez bien obligée de la préparer, Jenna. Il le faut, vous devez

le faire.

– Non… c’est trop dur… avais-je murmuré dans un souffle alors

qu’une larme s’échappait de ma paupière, imaginant l’instant où je

devrais apprendre à mon bébé que j’allais l’abandonner.

– Jenna… je ne voudrais pas me montrer insistant, mais j’ai vu

beaucoup de patients qui réagissaient comme vous…

– Nous en avons déjà parlé, Docteur.

– Le Docteur James pourrait vous aider. Si vous n’êtes pas prête à en

parler à vos proches, je vous demande au moins de vous rendre à ce

rendez-vous, s’il vous plaît.

J’avais baissé le regard vers le carton qu’il me plaçait dans la paume

357

de la main.

Samedi, dix heures...

J’avais rangé le carton de rendez-vous dans la poche de mon jean

avant d’attraper mon sac à main et de lui tourner le dos. Alors que

j’allais partir sans un mot, trop bouleversée par ces quelques minutes, le

médecin m’avait retenue.

– Jenna ! Allez-y… Wentworth est un patient de mon confrère et…

J’avais ouvert la bouche, hébétée d’abord avant que mon corps fût

parcouru d’une vague de colère abrupte. Je lui avais alors fait face. Mon

regard s’était soudain asséché, les poings fermés, je tentais de stopper les

tremblements de mes doigts en les serrant à l’intérieur de mes mains.

– Vous n’avez pas le droit !

– Je ne le ferai pas, mais sachez que si Wentworth venait à savoir que

vous êtes ma patiente, je ne pourrais lui mentir si…

– Je vous attaquerai en justice ! avais-je répliqué, affolée

intérieurement.

– Jenna…

– Docteur Hart… je ne suis pas prête à lui en parler. Pas maintenant.

J’ai besoin de savoir, de me sentir rassurée à propos de Maddy… je ne

veux pas partir loin d’elle en sachant qu’elle sera malheureuse.

– C’est une excuse et vous le savez, Jenna. Il est temps de vous

préparer à le leur annoncer. Il le faut. Pour leur bien, pour le vôtre, ils

doivent savoir.

Toutes ces pensées, doutes et questions qui hantèrent mon esprit, je les

balayais très vite en entendant les pas de Went approcher.

Je me relevai et passai de l’eau fraîche sur mon visage afin d’effacer

mes larmes. La porte s’ouvrit au moment où je m’épongeais à l’aide d’une

serviette. Je n’osais pas me tourner dans sa direction, de peur d’affronter

la colère que j’avais aperçue tout à l’heure dans son regard. Je ne voulais

pas me disputer avec lui, surtout pour l’éducation de notre fille que j’avais

pourtant assumée seule ces dernières années.

Il entra dans la pièce et resta silencieux quelques secondes tandis qu’il

m’observait.

– Tu vas me dire ce qu'il se passe ?

– Rien… répondis-je en fermant les yeux, essayant de manière

désespérée de faire passer le malaise.

358

– Ne mens pas, Jenna. Je vois bien que tu es fatiguée et qu’un rien te

met hors de toi ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

– Elle me provoquait, c’est tout… Je suis épuisée, tu as raison. Je vais

aller m’allonger un peu, lui dis-je en essayant de m’écarter vivement.

Mais il ne me laissa pas faire. D’un mouvement vif, il m’attira contre

lui avant de me serrer dans ses bras.

– Jenna…

– Arrête, fiche-moi la paix, s’il te plaît, lançai-je en essayant de me

libérer de son étreinte.

– Mais qu’est-ce que tu as, bon sang ?! s’écria-t-il, furieux à son tour.

Je me faufilai très vite hors de ses bras et gagnai la porte d’un pas vif.

Je ne me voyais pas lui dire maintenant, lui avouer tous les doutes que

j’avais en tête, dans mon cœur. Je ne me voyais pas lui raconter qu’il avait

fait une erreur, que nous avions fait l’erreur d’essayer de vivre une vie de

couple.

Il me dirait que je jetais trop facilement l’éponge… Et il n’aurait pas

tort, sachant que cela ne faisait que deux petites semaines que nous

vivions tous les deux avec notre enfant.

– Tu me fais quoi là ? Tu me fais la tête parce que je t’ai annoncé

qu’on ne partirait pas voir ton frère ce week-end ? Je t’ai dit que je devais

aller à cette réception et…

– Non.

– On ira le week-end prochain si tu veux.

– Non, lâchai-je en le foudroyant du regard.

– Bordel, Jenna, arrête ça, s’il te plaît, t’es plus une gamine !

– En tout cas la gamine a réussi à élever ta fille pendant…

– Oh ! Je te rappelle que si tu m’avais prévenu que j’avais une fille, je

m’en serais occupé tout de suite ! Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que je

t’ai fait ?

– Je veux juste me reposer cinq minutes, est-ce trop te demander ?

l’interrogeai-je d’un ton dur en le foudroyant du regard avant de sentir

mon cœur fondre dans la culpabilité qui m’assaillait à la vue de son air

blessé.

– Mais… tu vas me dire ce que tu as à la fin ?

– Laisse-moi.

– Très bien ! Comme tu voudras ! cria-t-il en sortant de la salle de

359

bain avant moi.

Went

Furieux, je fus sur le point de descendre l’escalier lorsqu’elle me

rattrapa par le bras.

– Où vas-tu ?

– Faire un tour, tu auras le temps de te reposer, répliquai-je d’une voix

amère avant de filer au rez-de-chaussée.

– Went ?

– Ne m’attends pas pour dîner.

– Quoi ? ! Non, mais attends, tu ne vas pas partir à cause de ça !?

– Je vais revenir, mais j’ai besoin… de prendre l’air.

– Tu vas voir ta maîtresse, c’est ça ?

Je ne répondis pas, trop offusqué d’entendre les paroles qu’elle venait

de proférer. Je la regardai seulement une brève seconde, peiné, et ne

réfléchis pas davantage, j’attrapai mes clés sur la console et quittai la

maison rapidement.

J’ignorais les raisons de mon comportement, mais j’avais besoin de

fuir, de partir loin d’elle, de peur peut-être de prononcer des paroles que je

regretterais. Je ne savais plus où j’en étais, tout ça était tellement nouveau.

Je ne m’étais pas préparer pour vivre une situation pareille.

Je venais de me garer sur le bas de côté. Voilà deux heures que j’avais

quitté la maison, Jenna et Maddy. Sans cesser de réfléchir à une solution à

cette situation, je fixai l’horizon, la ville de Los Angeles plongée dans la

tombée de la nuit.

Plusieurs lumières scintillaient un peu partout. Des lumières

multicolores, les illuminations des boîtes de nuit branchées où la jet-set

faisait la fête comme tous les vendredis. Je n’avais jamais été attiré par ces

endroits peuplés de personnalités excentriques qui aimaient se montrer en

public, contrairement à mes acolytes. Je préférais et mettais toujours un

point d’honneur à ne jamais m’exhiber ou discuter de ma vie privée avec

des inconnus. Mais ce soir, toutes mes anciennes résolutions tombaient.

J’avais besoin de parler, de me confier afin de trouver la meilleure

solution. Bien que je ne me vis pas m’accouder à un de ces bars et vider

ce que j’avais sur le cœur au premier venu qui s’installerait à mes côtés, je

remis le contact et repris ma route.

360

Épuisé d’avoir conduis pratiquement toute la nuit, je n’avais qu’une

hâte, me retrouver au fond de mon lit et dormir. Mais en fermant la porte

de la maison tout revint dans ma tête. Les paroles et le comportement de

Jenna refoulèrent mon cerveau comme une vague géante et dévastatrice.

Durant ces longues heures à errer dans la ville et aux alentours de Los

Angeles, j’avais pourtant réussi à ne plus y penser, à refouler mes

sentiments et la colère que j’éprouvais après notre violente dispute.

Secouant la tête pour m’ôter les dernières images passées aux côtés de

Jenna, je montai à l’étage en soupirant doucement pour ne réveiller

personne. Rapidement, j’ouvris la porte de la chambre de Maddy et un

léger sourire se dessina sur mes lèvres en voyant mon petit ange qui

dormait paisiblement, entouré de ses innombrables peluches. Je pris soin

de refermer la porte sans bruit puis inspirai une bouffée d’oxygène

pendant quelques secondes avant d’entrer dans la chambre où je perçus

instantanément le bruit de la respiration régulière de Jenna.

Délicatement, je m’installai sur le bord du lit et entrepris de me

déshabiller lorsque je sentis un léger mouvement dans mon dos. Je stoppai

mon geste aussitôt et patientai quelques secondes.

Rien ne se passa.

Alors, rapidement je terminai de me dévêtir et m’allongeai sur le lit,

prenant soin de ne pas toucher Jenna, d’ailleurs, j’évitais que mon regard

se tournât vers elle. Quelque chose me disait qu’elle ne dormait pas et je

n’avais pas envie de discuter pour le moment.

Tout ce que je désirais à cet instant était de dormir…

– Papa… papa, faut te réveiller !!!

– Hum… laisse-moi dormir, Maddy, grognai-je sans ouvrir les yeux,

ayant grand besoin de profiter du sommeil encore quelques instants.

– Mais je veux que tu me conduises aux cours de peinture !

– Pas maintenant, il fait encore noir.

– Mais non, y’a plein de soleil et on est samedi, papa !

Samedi ?

Ce mot me sortit instantanément de ma léthargie. Vivement, je me

redressai et ouvris de grands yeux en direction du réveil sous le regard

surpris de ma fille.

– Merde ! lâchai-je en lisant sur l’écran digital qu’il était déjà plus de

361

huit heures.

– Hein ! T’as dit un gros mot !

J’ouvris la bouche pour rétorquer et la refermai aussitôt à la mine

horrifiée de ma petite fille qui avait pris place dans le lit. Je levai les yeux

d’un air exaspéré puis ne pus m’empêcher de retenir un sourire.

– Excuse-moi, mon trésor, fis-je en soupirant avant de la serrer dans

mes bras quelques instants. Papa est très en retard… ta mère aurait pu me

réveiller, grognai-je en sentant la colère monter en moi.

– Pourquoi tu travailles aussi aujourd’hui ?

– Euh… oui, j’ai encore quelques scènes à vérifier, ma chérie. Maman

le savait, elle aurait dû me réveiller !

– Ben oui, mais elle m’a dit qu’elle voulait pas te réveiller, car t’es

rentré tard hier. T’as été où, papa ?

– Maddy, soufflai-je en me frottant le visage rigoureusement.

– Maman s’est inquiétée, tu sais.

– Je…

– C’est vrai que tu l’aimes plus, ma maman ?

Stupéfait, je la fixai sans pouvoir émettre un son ou un geste pour la

réconforter. Son petit air triste me déstabilisa profondément, déchirant

davantage mon cœur.

Fronçant les sourcils, je posai enfin la paume de ma main sur sa joue

pour la rassurer.

– Qui t’a raconté ça, ma puce ? demandai-je d’une voix douce.

– Personne, mais… quand le papa de ma copine criait sur sa maman

c’est parce qu’il l’aimait plus et…

– Hé, hé, doucement, mon ange… ce n’est pas parce que les papas et

les mamans se disputent qu’ils ne s’aiment plus, tu sais, l’arrêtai-je en la

prenant sur mes genoux.

– C’est vrai ?

– Oui, ma puce, répondis-je en esquissant un sourire à la vue de ses

grands yeux verts qui s’ouvraient à la joie qu’elle éprouvait.

– Ça veut dire que tu aimes encore maman ?

Jenna

Je fermai les yeux et serrai les poings en entendant la question de

362

Maddy. Non pas que je voulais surprendre cette conversation, mais je

venais voir ce qu’elle fabriquait alors que je lui avais demandé de se

préparer pour l’école.

Derrière la porte, je comptais mentalement les secondes de silence qui

s’écoulaient dans la chambre. Went mettait trop de temps à répondre à

notre fille et l’angoisse, la panique et la peur de le perdre m’assaillirent.

– Bien sûr, mon ange.

Je soupirai de soulagement en entendant sa réponse, bien que je ne fus

pas totalement rassurée.

Pourquoi avait-il mis aussi longtemps pour lui répondre ?

J’avais tout gâché ou alors il était encore très en colère contre moi.

Quelques secondes passèrent puis je me décidai à réagir et mettre un

terme à cette situation. J’ouvris la porte d’un geste vif et portai aussitôt

mon regard sur Maddy qui se tourna vers moi en grimaçant.

– Maddy, va te préparer, s’il te plaît !

– J’y vais.

Je secouai la tête alors qu’elle sauta du lit avant de s’enfuir en courant

de la pièce. La porte de la salle de bain claqua rapidement et je profitai du

bruit pour me détourner du regard pesant de Went et me mis à la recherche

du tablier que j’avais acheté à Maddy pour les cours de peinture.

Je me souvins néanmoins aussitôt que je ne l’avais pas rangé ici, mais

je fus incapable de rebrousser chemin.

– Jenna…

Les larmes commencèrent à se former dans mes pupilles en entendant

son murmure. Je sentis sa présence derrière mon dos et fus incapable de

faire le moindre geste, comme s’il pouvait suspendre toutes mes facultés

de coordination rien qu’à son approche.

Après quelques secondes de silence, un sanglot s’échappa de ma gorge

et je me tournai au même moment avant de me sentir attirer dans ses bras.

– Chut… Calme-toi, Jenna…

– Je… suis désolée… Je ne voulais pas me disputer avec toi…

murmurai-je en sanglotant tout en le serrant fortement contre moi.

– Je sais… c’est passé… OK ?

Il enveloppa mon visage entre ses mains et je perdis le fil pendant un

instant. Mon regard évita le sien, trop honteuse de mon comportement de

la veille et des regrettables paroles que je lui avais jetées au visage. Puis,

l’insistance de Went eut raison de moi. La douceur de ses mains contre ma

363

peau m’apaisa et je relevai la tête, ancrant mon regard à la profondeur de

ses yeux océan.

– Je m’en veux tellement, Went… lui avouai-je en reniflant alors qu’il

balayait mes larmes de ses pouces.

– Moi aussi, je suis désolé, Jenna. Je n’aurais pas dû partir et j’aurais

dû comprendre qu’il t’était difficile de rester seule à la maison et…

– Non… secouai-je la tête à ses arguments. Ce n’est pas ça… je ne

sais pas ce qu’il m’a pris, j’étais à bout de nerfs et… tu me manques et j’ai

l’impression…

Je m’interrompis, affolée par les mots que je prononçais.

– Tu as eu l’impression de quoi, ma puce ?

– Je… je ne sais pas, mentis-je en haussant les épaules. Je suis

désolée, mon cœur…

– Ce n’est rien, viens là, me dit-il d’une voix douce en me serrant dans

ses bras.

Nous restâmes ainsi, dans les bras de l’un et l’autre, quelques minutes

puis je m’écartai, consciente qu’il allait être en retard.

– Tu devrais te préparer, fis-je en lui souriant tendrement.

– Je suis déjà bien en retard.

– J’aurais dû te réveiller, désolée.

– Oh, Paul ne va pas en faire tout un plat, ne t’en fais pas.

– Tu es sûr ?

– Hum… je ne suis jamais en retard, contrairement à tous les autres,

me répondit-il en m’offrant un large sourire. Je vais me préparer… je

devrais pouvoir être rentré pour le déjeuner.

– D’accord, répondis-je en hochant la tête.

Je le vis hésiter un instant, ce qui me brisa le cœur, mais il m’embrassa

tendrement quand notre fille arriva.

– Maman ? J’ai fini !

Je me mis à rire contre la bouche de Went alors que nous allions

approfondir ce baiser.

– Bon, je vais prendre une douche rapide et pars travailler, lança Went.

– Tu peux me faire des tresses, Man ?

Je hochai la tête sans prendre la peine de poser le regard sur Maddy qui

venait de pénétrer dans la pièce alors que Went était en train de la quitter.

Frustrée, mais soulagée, je soupirai longuement avant de me baisser vers

364

ma fille qui patientait, les sourcils froncés.

– T’es plus fâchée, dis ?

– Fâchée ? Je n’étais pas fâchée…

– Si, tu l’étais.

Je pris sur moi pour ne pas rouler des yeux en sa présence devant

l’insistance de ses propos et me contentais de hausser les épaules avant de

la soulever dans mes bras pour l’installer sur le bord du lit.

– Papa et moi on s’est juste disputés, ma chérie. Tout est rentré dans

l’ordre maintenant.

– Tu es sûre ?

Sa question s’éleva dans ma tête comme un écho réfléchissant à mes

propres doutes. Mais je ne pouvais décevoir à nouveau ma fille. La voir

triste me culpabiliserait davantage et je ne voulais en aucun cas être la

responsable de ses larmes ou de son mal-être. Tout comme Went,

d’ailleurs, il avait préféré répondre à ses questions pour ne pas la blesser

ou du moins pour ne pas qu’elle se fasse du souci quant à la relation de ses

parents. Pourtant, j’étais presque certaine que quelque chose avait changé

entre nous, mais je n’étais pas encore capable de comprendre de quoi il

s’agissait.

La prise de conscience de nos réels sentiments ?

Mes regrettables paroles auraient-elles eu un impact inévitable sur

l’homme que j’aimais depuis toujours ?

Je ne savais plus, je ne voulais plus y penser. Pas maintenant du moins,

pas tant que Maddy était à mes côtés et me réclamait silencieusement de

faire sa coiffure.

Ce que je fis après avoir repris mes esprits.

Après avoir emmené Maddy à l’école, je me rendis, comme il était

convenu avec le Docteur Hart, chez le psy sans grand enthousiasme.

J’attendais depuis quelques minutes dans la salle d’attente vide et

soupirais de lassitude. Mon esprit s’évadait malgré moi vers la décision

que j’avais prise.

Une fois que je me serais prêtée au jeu avec ce médecin, j’appellerai

mon frère qui se ferait certainement une joie de me retrouver pour

quelques jours.

– Jenna ?

– Oui, c’est moi, répondis-je en me levant d’un bond avant de

365

m’approcher de l’homme qui venait de pénétrer dans la salle d’attente.

– Docteur James, entrez, je vous prie.

Je le remerciai d’un sourire léger et pénétrai, anxieuse, dans le bureau.

Aussitôt, mon regard parcourut la pièce à la recherche d’un fauteuil où

souvent les psys endorment leurs patients. Ce bureau en était dépourvu,

pour mon plus grand plaisir, mais cela me fit m’interroger sur le

déroulement de ce rendez-vous que j’avais accepté à contrecœur.

Le Docteur James me présenta un siège, j’y retombai vivement et

serrai mon sac contre moi. Je savais que je devais paraître anxieuse, mais

je ne pouvais m’empêcher de me poser des questions sur cette entrevue et

ce jeune médecin. D’ailleurs, il me paraissait beaucoup trop jeune pour

s’occuper de patients en fin de vie.

Avait-il des dons d’apaisements ?

Mes pensées s’interrompirent soudainement alors qu’un petit

éclaircissement de gorge se fit entendre.

– Je suis content que vous soyez venue, Jenna…

– Je n’ai pas eu le choix, claquai-je en le foudroyant du regard.

Écoutez, si cela ne tenait qu’à moi je ne serais pas ici et… c’est vraiment

une mauvaise idée, vous savez. Je ne crois pas du tout qu’un psy pourrait

m’aider…

– Pourtant j’ai envie de vous aider.

– Que vous ayez envie ou non m’importe peu.

– Et pourquoi cela ?

– Vous seriez capable de me donner encore une dizaine d’années à

vivre ? lui demandai-je en serrant les poings à la profonde colère qui

venait de me submerger.

– Je ne peux pas en effet, mais parler vous soulagerait.

– À votre avis, ce n’est pas ce que j’étais en train de faire ? demandai-

je d’un ton réprobateur.

Il me considéra d’un air étrange et je commençais à éprouver de la

gêne. Je baissai les yeux, cédant à ce regard d’un vert étonnement clair, et

secouai la tête pour me rafraîchir les idées.

– Je sais que le Docteur Hart s’inquiète… c’est normal, il est médecin,

mais je vais bien, mis à part cette condamnation.

– Vous leur avez parlé ?

J’écarquillai les yeux. Stupéfaite, je restai là, immobile, alors que mon

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esprit se perdait dans ce regard insistant.

– Vous avez raison sur une chose, l’inquiétude du Docteur Hart, Jenna.

Il s’inquiète comme tout médecin qui verrait que sa patiente refuse de

l’aide auprès de ses proches.

– Il est trop tôt.

– J’ai lu votre dossier et, au contraire, il est plus que temps de leur

apprendre votre maladie. Vos examens sanguins sont de plus en plus

inquiétants, Jenna.

– Je ne peux pas… j’ai des choses à régler avant et…

– Pour votre fille ? Maddy, c’est ça ?

Pétrifiée, je hochai la tête.

– Elle n’a que quatre ans… je peux comprendre ce que vous pensez,

mais… elle doit être préparée à…

– Ma mort ? m’exclamai-je, horrifiée à cette pensée. Comment

voulez-vous que je m’y prenne ? Lorsqu’elle est dans son bain ?

Lorsqu’elle est sur le point d’aller se coucher, j’arrête l’histoire que je lui

lis et je lui dis : ah, au fait, ma chérie, je ne te l’ai pas encore dit, mais tu

devras bientôt vivre avec ton père, car je vais mourir ?! C’est comme ça

que vous voulez que je lui apprenne ? Que je brise les moments qu’elle

aime ! hurlai-je avant de me mettre à sangloter. Je suis désolée…

Je n’aurais pas dû m’emporter.

Cette pensée tragique en imaginant le visage de Maddy se décomposer

lorsque je lui apprendrais ma mort proche m’était insupportable.

À présent, j’étais en larmes et sanglotais, le corps tremblant. Je cachai

mon visage entre mes mains, redoutant le regard du médecin qui venait de

me jeter la réalité en face, à nouveau.

Alors que je tentai de me calmer, d’apaiser ces sanglots détestables qui

me firent passer pour une faible devant cet inconnu, je sentis une main se

poser sur mes cheveux. Je reculai légèrement, refusant ce contact avec cet

homme horrible qui voulait du mal à mon enfant, à l’homme que j’aimais,

mais cette main fut suivie d’une seconde puis mon cerveau refusa de

m’obéir.

– Je vous déteste… murmurai-je, constatant qu’il s’était mis à genoux

pour être à ma hauteur.

– Je sais…

Je ne fus alors plus capable de me reprendre, d’éviter de pleurer encore

et encore, alors que cette fois, ma tête vint se poser contre le torse de cet

367

homme. Il me serra contre lui, ses mains parcourant le haut de mon dos. Je

fermai les yeux, continuant à pleurer avant de sentir une pointe de

soulagement monter peu à peu en moi…

Rosa venait de quitter la maison pour aujourd’hui. J’en profitai alors

pour me reposer quelques minutes, épuisée par ce flot d’émotions

qu’Andrew m’avait obligée à traverser. Le Docteur James était quelqu’un

de très gentil et ouvert. Je m’étais fait une fausse idée sur cet homme,

mais je repoussais toujours celle de consulter un psychologue.

En outre, il avait réussi à me faire parler sur la décision que j’avais

prise pendant la nuit. Contrairement à ce que j’imaginais quant à sa

réaction, il m’avait donné l’impression de la comprendre. Il m’avait

toutefois suggéré de revenir avant de me sentir trop fatiguée.

Je soupirai et me redressai sur mon lit. Il avait raison, je ne pouvais pas

partir ainsi, laisser Maddy dans les jambes de Went alors qu’il était en

plein tournage.

Si Andrew ne m’avait pas ouvert les yeux, qu’en aurait-il été ?

Ma fille et l’homme que j’aimais m’en auraient tellement voulu. Peut-

être que ce fut cette unique raison qui me poussait à partir quelque temps.

Oui, je voulais le mettre en colère après moi. Les abandonner serait

plus facile pour tout le monde.

– Arrête, Jenna, murmurai-je en secouant la tête, me focalisant sur

l’accord passé avec mon médecin.

Je me levai puis inspirai profondément avant d’attraper le téléphone et

de composer le numéro de Sébastien.

– Jenna ? Comment tu vas ? fit-il après un moment.

– Tout va bien, mentis-je en fermant les yeux avant de les rouvrir et de

prendre mon courage à deux mains.

– Tu es sûre ? Comment ça se passe à Los Angeles ?

– Oh, tout va bien. Maddy adore l’école et Went est toujours pris par

le tournage…

– Vous me manquez beaucoup…

– Justement, je t’appelais pour te demander si tu ne verrais pas

d’inconvénient si… écoute, Séb…

– Parle-moi ? Qu’est-ce que tu as ? Tu t’es disputé avec lui, c’est ça ?

– Mais, non ! Arrête, Séb… Went est un amour, ce n’est pas de ça

qu’il s’agit.

368

– Dis-moi ce que c’est alors, tu commences à me faire peur.

– J’ai besoin de prendre quelques jours pour réfléchir et… est-ce que

tu veux bien…

– Tu reviens avec la petite ?!

– Ne t’emballe pas… murmurai-je en soupirant, comprenant son

enthousiasme. Je viens seule, Sébastien, c’est juste pour quelques jours.

– Et Maddy ? Tu viens de me dire que Went est débordé avec le

tournage ?

– Oui, mais il s’arrangera, ne t’inquiète pas pour lui.

Étonnée par la petite minute de silence qui suivit, je fermai les yeux et

m’installai sur le bord du lit, sentant la nausée m’envahir.

– Mais si cela te dérange, je prendrai…

– Qu’est-ce que tu racontes, Jenna ?! Je serai ravi de te revoir à la

maison, sœurette.

– Très bien… je… merci, Séb, lui dis-je, émue.

– Jenna ?

– Hum ?

– Went n’est pas encore au courant, n’est-ce pas ? Tu sembles

inquiète.

– Je vais lui parler tout à l’heure, mais il n’y verra pas d’inconvénient,

j’en suis certaine…. Et… j’ai besoin de parler à Jim.

– À Jim ? Pourquoi ça ?

– Je te le dirai dès que je serai de retour, mais en attendant, je ne veux

pas que tu en parles, s’il te plaît ?

– Je te le promets, mais ton comportement me surprend… tu me

caches quelque chose…

– Je te rappelle dès que j’ai mon billet d’avion, Séb. Il faut que je te

laisse.

– Jenna !

– Quoi ? demandai-je en roulant des yeux pour ne pas laisser mes

larmes de culpabilité s’échapper de mes paupières.

– Je t’aime…

Je retins un sanglot avant de fermer les paupières très fort pour que

celui-ci ne s’échappât pas plus loin que du fond de ma gorge. Mon cœur

se serra douloureusement dans ma poitrine, mais je finis par reprendre le

dessus pour ne pas l’inquiéter davantage.

369

– Je t’aime aussi, Séb, répondis-je d’une voix brisée par l’émotion

avant de raccrocher rapidement...

SUITE DANS LA SECONDE PARTIE…

Le mardi 29 mars 2013

aux Editions Sharon Kena

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Merci à

Je tiens à remercier tout particulièrement mon époux, Franck, qui

possède une patience exemplaire.

Mes enfants, Jymmy, Jason, Nathan, Nolwenn et Virginie.

Mes plus chères amies qui m’encouragent chaque instant, surtout dans

mes moments de doutes : Julie Vasseur, Véronique Barrère et Audrey

Robert.

Je ne peux taire plus longuement la gratitude particulière que j’aie vis-

à-vis de Hafida H pour la réalisation de mes couvertures.

À toute l’équipe des éditions, je les remercie pour tout le travail

qu’elles fournissent depuis le commencement.

À Mélissa Letabareux, Christelle Morize, Sandrine Delerue, Valerye

Husson, Stéphanie De Rop-Moise.

Karine, Hafida, Imane, Camille et tous les membres du forum de

Wentworth Miller.

Il m’est malheureusement impossible de dresser la liste complète des

personnes que j’aimerais remercier, alors, un grand merci aux nouveaux

lecteurs et aux fidèles…

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Couverture réalisée par Hafida H

N° éditeur : 917089-36540

dépôt légal : février 2013

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Document OutlineTable des matières1 RETOUR CHEZ MOI2 EXPLICATIONS3 COMPLICES4 À BOUT DE SOUFFLE5 COUP D’ÉCLAT6 JACK7 DANS LA GUEULE DU LOUP8 AVEUX9 APPROCHE10 MADDY11 DOULOUREUSE VERITE12 INSTANTS MAGIQUES13 SI JE TE LE DIS…14 TROUBLES15 CONFRONTATIONS16 COMPLICATIONS17 QUAND LE DESTIN S’EN MÊLE…18 UN DERNIER ADIEU19 QUAND LA VERITE FAIT MAL…20 SARAH21 REGRETS22 JEU DE RÔLE23 MISE AU POINT…24 QUAND TOUT VA MAL…