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partenaires Accueil > Les grands Entretiens d’Actu-Philosophia > Entretien avec Aurélien Barrau (1) : Autour de "Dans quels mondes (...) Entretien avec Aurélien Barrau (1) : Autour de "Dans quels mondes vivons-nous ?" mardi 5 juin 2012, par Florian Forestier Cet entretien a lieu suite à la parution du livre à deux voix Dans quels mondes vivons-nous, co-écrit par Jean-Luc Nancy et Aurélien Barrau. Physicien théoricien né en 1973, professeur à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, membre de l’Institut Universitaire de France, professeur invité à l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques (IHES) et à l’Institute for Advanced Study de Princeton, Aurélien Barrau s’est d’abord fait connaître par ses recherches consacrées aux trous noirs et à la cosmologie primordiale (pour lesquels il a reçu le Prix Bogolyubov en 2005). Ses recherches telles que présentées sur sa page internet, concernent la cosmologie, la phénoménologie de la gravité quantique, la diffusion des particules dans la Galaxie, les trous noirs, la théorie des champs en espace courbe d’une part, l’astronomie grand champ, la matière noire et l’énergie

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Entretien avec Aurlien Barrau (1): Autour de "Dans quels mondes vivons-nous?"mardi 5 juin 2012,parFlorian ForestierCet entretien a lieu suite la parution du livre deux voixDans quels mondes vivons-nous, co-crit par Jean-Luc Nancy et Aurlien Barrau.Physicien thoricien n en 1973, professeur lUniversit Joseph Fourier de Grenoble, membre de lInstitut Universitaire de France, professeur invit lInstitut des Hautes Etudes Scientifiques (IHES) et lInstitute for Advanced Study de Princeton, Aurlien Barrau sest dabord fait connatre par ses recherches consacres aux trous noirs et la cosmologie primordiale (pour lesquels il a reu le Prix Bogolyubov en 2005). Ses recherches telles que prsentes sur sa page internet, concernent la cosmologie, la phnomnologie de la gravit quantique, la diffusion des particules dans la Galaxie, les trous noirs, la thorie des champs en espace courbe dune part, lastronomie grand champ, la matire noire et lnergie noire, le rayonnement cosmique, lastronomie gamma en ce qui concerne le volet exprimental[1].La cosmologie le passionne autant sur son volet philosophique que son volet physique pour la conception du rel quelle met en jeu. Ses collaborations dans ce domaine sont dailleurs nombreuses[2].Je tiens remercier Aurlien pour sa disponibilit, pour le temps et la gnrosit consacrs ses rponses et pour sa bienveillance.Au-del de la thorie standardActu-Philosophia:La recherche en physique thorique actuellement admet une thorie dite standard, qui entend lier llectromagntisme, les forces nuclaires faible et forte. Sa problmatique centrale est actuellement, si jai bien compris, lunion de la force lectromagntique (de porte infinie) et de la force faible (dont linfluence est uniquement sensible lchelle microscopique, au niveau du noyau atomique). certaines chelles dnergie cependant, force faible et lectromagntisme deviennent similaires, alors que cette similarit se brise dautres chelles. Un champ scalaire, appel boson de Higgs, a ainsi t introduit pour comprendre comment les bosons intermdiaires peuvent acqurir une masse non-nulle qui cantonne linteraction faibles aux trs petites distances. Cette thorie est dite standard, mais il me semble que le boson de Higgs na toujours pas t exprimentalement trouv, malgr lentre en fonction du LHC au CERN.A ct de a, un ensemble de modles thoriques non standard attaque de faon plus globale la question de lunification des forces: la thorie des cordes et des supercordes, la gravit quantique boucles, etc Ces modles mobilisent des structures mathmatiques trs complexes, et ne sont la plupart du temps pas considrs comme des thories physiques part entire, avec tout ce que cela implique.Jaimerais dabord te demander si tu peux faire un bref panorama des forces en prsence. Jaimerais ensuite, et surtout comprendre ce qui distingue proprement parler les thories non-standard des thories standards. Peuvent-elles sappuyer sur des donnes ou des indices exprimentaux? Impliquent-elles quelque chose comme un changement de paradigme, une rcriture densemble de la cosmologie et de la physique des particules? Bref: pourquoi les considre-t-on comme de simples modles? Quels sont cependant les motivations de ces modles?Et enfin: quest-ce qui te fait toi penser que la physique thorique, et en particulier la cosmologie, est lore dun nouvel ge dor?Aurlien Barrau: Tout dabord je souhaiterais revenir sur cette ide de simple modle. Comment une proposition scientifique pourrait-elle tre autre chose quun simple modle? Quoi que lon nonce, il sagit toujours dune projection sur le rel partir dun cadre (dune manire d affronter le rel pour le dire comme Deleuze) et certainement pas dun accs direct la profondeur ontique de la Nature! Le modle standard de la physique des particules est donc, ni plus ni moins que toute autre thorie, une modlisation de certains phnomnes, apprhends dun certain point de vueCela dit, le modle standard actuel est effectivement peu satisfaisant. La capacit prdictive est bonne mais les fondements son fragiles.Je pense que la dcouverte du boson de Higgs est imminente. Cest un lment essentiel car il permet de rsoudre la tension qui semble exister entre la qute dunification luvre en physique fondamentale et la diversit effective du rel. Le champ de Higgs permet de briser les symtries et donc de comprendre pourquoi le monde peut tre aussi multiple quand bien mme la thorie sous-jacente prsenterait, quant elle, une grande capacit unificatrice.Nanmoins, mme avec la dcouverte trs probable du champ de Higgs le modle standard nest videmment pas une rponse ultime. Il comporte beaucoup de paramtres libres dont la valeur est tout fait arbitraire. Il repose sur de nombreuses hypothses artificielles. Il nunifie que deux des quatre interactions. Et, surtout, il ninclut pas la gravitation! Il est donc videmment ncessaire daller au-del de ce modle. Cette dmarche est complexe dans la mesure o les expriences actuelles ne donnent aucun signe permettant de dterminer quelle serait la meilleure piste suivre.La supersymtrie est une ide intressante qui consiste chercher de nouveaux liens entre les forces et les particules (cest--dire entre les interactions et les corps). Elle nest pourtant pas encourage par les mesures actuelles.La thorie des cordes est beaucoup plus ambitieuse et tente dunifier toutes les interactions et toutes les formes de matire. Lide est sduisante mais la construction est extrmement scabreuse et il est trs difficile de faire la moindre prdiction testable.La gravitation quantique boucles est, quant--elle, plus modeste. Elle ne vise pas devenir une thorie du tout, mais concilier la physique quantique avec la relativit gnrale. Ce qui constitue dj un objectif extraordinairement difficile.Un changement de paradigme est toujours possible. A dire vrai, nous lesprons intensment. Ces moments de ruptures sont fascinants et merveilleux. Hlas, je ne le vois pas poindre. Je pencherais plutt pour une volution ventuellement assez radicale des ides en cours. Je mexpliquerai sur cette position par la suite.

MultiplicitAP:Comme tu lcris dansDans quels mondes vivons-nous?, un certain nombre de questions poses par la cosmologie actuelle implique une multiplicit de points de vue, des mises en forme. La pulsion dunification en science traduit la prolifration des objets possibles, en quelque sorte la ncessit de mnager de plus en plus de jeu dans lunit. Ainsi une mta-structure de diversit semble sinscrire dans la structure du multivers La pulsion de la physique contemporaine vers lunit est articule la mise jour dune vaste diversit[3].Cette multiplicit dans lunit est particulirement insistante lorsquon aborde la question des premiers instants de lunivers, mais ce quil ma sembl comprendre, tu as dabord t rendu sensible cette question travers tes travaux sur les trous noirs si jai bien compris, sur une varit de trous noirs de petite taille dont les conditions mobilisent tous les domaines de la physique thorique. Jaimerais aussi te demander ce qui ta amen de ces trous noirs aux multivers...AB: Je vois trois diversits luvre en physique. Dabord la multiplicit des phnomnes, des objets et des lois. Ensuite, la multiplication des champs disciplinaires. Enfin, la multitude des thories concurrences dans le mme champ disciplinaire. Ce troisime niveau est mon sens le plus intressant. Dans la vision usuelle, popprienne, une seule des ces thories est correcte et chaque autre sera limine par des expriences de plus en plus prcises. Cette vision est bien videmment sense et raisonnable. Les choses, quand on les regarde de faon approximative semblent en effet parfois avancer de cette manire. Mais, sans tre en mesure de prouver cette intuition, jai la conviction de plus en plus claire quil serait possible de dcrire adquatement le mme monde par plusieurs modles tout fait diffrents (ce qui ne signifie bien videmment pas que tous les modles se valent). Je minterroge donc sur la possibilit de considrer que plusieurs approches non ncessairement quivalentes soient simultanment correctes. Le mythe de lunit a la vie dure. Mais il nest pas davantage dmontr que lhypothse contraire! Peut-tre est-il temps dexplorer cette piste.Ce qui est dailleurs li la fin de ma rponse ta question prcdente. Une rvolution ncessite un investissement considrable. Dvelopper une thorie srieuse et radicalement nouvelle me semble demander plusieurs dcennies de travail plusieurs dizaines de chercheur temps plein. Au moins. Cest ce quil a fallu la gravitation quantique boucles pour quelle devienne crdible. Et la thorie des cordes il y a quelques dcennies. Aujourdhui, nous disposons de beaucoup de pistes prometteuses: gomtrie non-commutative, topo, causets Elles pourraient conduire des rsultats de la plus haute importance, peut-tre une rvolution. Mais il faudrait pour cela quun certain seuil critique dactivit soit atteint. Et ce nest aujourdhui pas le cas. Le systme de recherche (et ce nest pas ncessairement toujours une mauvaise chose) encourage le regroupement des chercheurs autour dun paradigme dominant. Je pense donc, pour des raisons essentiellement sociologiques, quune rvolution est peu probable court ou moyen terme: il faudrait, pour que ce soit possible, investir davantage de moyens dans les pistes marginales, ce qui nest gure compatible avec les exigences actuelles.Du point de vue de mon parcours, je nai pas t trs original. La structure dun trou noir est trs proche de celle de lUnivers et, de fait, beaucoup de cosmologistes ont dabord tudi les trous noirs. En effet, les petits trous noirs sont fascinants parce quils convoquent tout autant la relativit gnrale que la mcanique quantique, nos deux grandes thories physiquesCosmologie et institutionsAP:Y a-t-il donc des raisons institutionnelles ce que le modle non-standard reste sous-investi? Je me souviens dune interview dans laquelle Carlo Rovelli semblait dire, par exemple, que le systme franais, bas la fois sur les mathmatiques et sur une slection prcoce et disons, assez militaire de ses scientifiques, tait peu appropri promouvoir des physiciens thoriciens, surtout pour travailler sur ce type de question.Il me semble avoir compris que tu avais travaill sur un certain nombre de dispositifs capables de fournir des donnes (mise en place dun dtecteur de particules sur la station spatiale ISS, lexprience ballon CREAM, linstallation dun tlescope grande ouverture ddi ltude de lnergie noire, etc.) Il me semble comprendre quil y a matire de vritables avances, tout en mobilisant des investissements moins lourds que ceux du LHC. Quest-ce qui fait que lattention des autorits semble davantage tourne vers les dispositifs trs lourds comme le LHC?AB: Cette dimension sociologique est essentielle. Mais elle est constitutive de toute posture intellectuelle. Ni plus ni moins en science quautre part. Une proposition ne peut devenir crdible que si un nombre suffisant de spcialistes comptents la considrent comme telle. Il est videmment impossible de poursuivre chaque ide nouvelle en y consacrant les efforts ncessaires pour en sonder toutes les consquences. Les forces requises sont hors de porte. En ce sens, il est lgitime quun certain nombre de thmes privilgis mergent. Cependant, il me parat clair que le systme actuel ne fait effectivement pas suffisamment cas des positions originales et spculatives. Mais cest aussi un problme politique: la mise en place du systme catastrophique de financement sur projet (ANR) et des agences dvaluation (AERES) rend presque impossible lmergence dides radicalement nouvelles. Ce qui est assez grave mon sens.En revanche, je ne pense pas que le LHC soit remplaable. Les questions auxquelles il peut rpondre ne sauraient tre abordes par aucune autre exprience ce jour. Je pense que cette aventure est justifie et nous attendons les dernires conclusions avec impatience. Il est effectivement indispensable que de petits projets (parfois marginaux) puissent exister en marge des trs grosses expriences. Mais lapport du LHC nen demeure pas moins irremplaable. La nature de ce qui y est tudi (la structure intime de la matire) me semble mriter cet engagement.AP:Pour le champ dans lequel tu travailles, quels sont les grands rsultats attendus actuellement? Quelles observations ou expriences sont le plus susceptibles de faire avancer ces recherches?AB: Dans mon activit propre, le satellite europen Planck, qui permet de mesurer le fond diffus cosmologique, la premire lumire de lUnivers, avec une prcision sans gal, apportera beaucoup. Les modles de cosmologie quantique boucles sur lesquels je travaille prdisent dventuelles infimes diffrences par rapport au scnario usuel et il pourrait devenir ainsi possible dobserver quelques traces de lre davant le Big Bang (que lon rebaptise alors Big Bounce Grand Rebond).Par ailleurs, pour tenter de comprendre pourquoi lexpansion de lUnivers acclre, ce qui est trs curieux dans la mesure o la gravitation est une force attractive qui devrait donc jouer comme un freinage, je participe au grand projet de tlescope LSST. Cet instrument de 8 mtre de diamtre est en dbut de construction au Chili. Il permettra de cataloguer des milliards de galaxies et de les utiliser pour tenter de comprendre ce quest le moteur de cette mystrieuse acclration.MultiversAP:On va passer la cosmologie proprement dite, aux multivers. Tu prsentes diffrents modles et niveaux de multivers: multivers engendrs par le Big Bang, univers enfantant dautres univers travers les trous noirs... multivers de niveau suprieur encore... Te serait-il possible den faire un bref panorama? (on pourra renvoyer en lien au texte que tu proposes en ligne ce sujet)AB: Il faut dabord dfinir ce quest lunivers. Par dfinition, en physique, notre univers est lensemble de ce qui est en contact causal avec nous. Cest dire lensemble de ce avec quoi on pourrait (ou aurait pu) changer des informations si lon disposait dune technologie infiniment puissante. On appellera multivers un ensemble dunivers. Et, en effet, il existe (peut-tre) plusieurs niveaux de multivers.La relativit gnrale prdit que dans deux des trois gomtries compatibles avec la cosmologie, lespace est strictement infini. Il doit donc ncessairement y exister une infinit dunivers. Les phnomnes y sont ventuellement diffrents mais les lois qui y rgnent y sont les mmes.A un niveau plus lev, par exemple dans le cadre de la thorie des cordes et de linflation, on peut imaginer un multivers o les lois elles-mmes ne sont plus les mmes dun monde lautre! Une vritable mta-strate de diversit.Beaucoup dautres formes de multivers semblent galement envisageables: dans certaines interprtations, la mcanique quantique prdit lexistence dunivers parallles; la structure interne des tours noirs ouvre la porte vers de possibles autres univers et la gravitation quantique boucles pose les jalons dun multivers temporel (univers se succdant dans le temps.)Le choc en retour de la cosmologie sur la philosophieAP:Selon toi, peut-on penser quil y ait une rouverture de questions philosophiques au sein de ces modles? Peut-on aller jusqu dire ici quil y a quelque chose comme un choc en retour qui renouvelle les racines mme de la physique comme science? Non plus seulement dans limage du monde quelle donne, mais un dplacement, un approfondissement, une mise en mouvement de ce que Husserl aurait appel son telos? Il semblerait que la physique finisse par exiger, pour quon donne sens ce quelle dit, une conception philosophique du monde ou plutt de ltre.AB: Je pense quil faut tre trs circonspect sur ces questions. En un sens, la physique vit trs bien sans philosophie. La grande majorit des physiciens considrent la philosophie au mieux avec une totale indiffrence, au pire avec un vident mpris. Et force est de constater qu quelques notables exceptions prs les philosophes ne se sont pas beaucoup intresss la science de leur temps. Je ne me prcipiterai donc pas pour crier la ncessaire interdpendance de ces champs de pense.Mais, effectivement, la problmatique du multivers a cette vertu de requrir un peu plus quune simple comptence technique. Elle demande de sinterroger non pas sur ce quest la physique une question mon sens strile mais sur ce quon attend delle. Il est impossible de prendre partie sur cette question sans inviter dans le dbat un positionnement ontologique. Ou, ce qui revient finalement au mme, un dpassement de cette ontologie dans ce que tu nommes, avec Husserl, untelos. A niveau pratique, le multivers a le mrite de montrer aux physiciens dont les repres pistmologiques sont souvent caricaturaux que le principe popprien conduit une vision de la discipline un peu atrophie!Pour tre tout fait honnte, je ne crois pas quune spculation philosophique ou, plus prcisment, mtaphysique puisse utilement guider les recherches scientifiques autour du multivers. En revanche, je suis convaincu que les philosophes devraient semparer de ce matriau scientifique pour le faonner suivant la dynamique propre dune investigation plus conceptuelle.La philosophie des physiciens et la philosophie des philosophesAP:En croyant reformuler une ontologie, beaucoup dinterprtes de la mcanique quantique nont fait que transposer le modle ontologique ancien sur de nouvelles bases en basculant la charge de la ralit sur le vecteur dtat, en dissolvant les choses, en postulant par exemple une indtermination gnratrice porteuse des proprits que les entits individues ntaient ontologiquement plus capables dassumer De la mme faon, il est sans doute pistmologiquement assez fascinant de considrer le processus par lequel la charge de ralit migre vers le formalisme mathmatique et est prsent pour certains physiciens (comme George Lochak[4]porte par les symtries ( partir du dveloppement des thories de la jauge), par llgance mathmatique de la thorie. Mais l encore, il sagit de rapporter un rel apparent un plus rel, darticuler un fond un fondement.En quelque sorte, la grammaire ontologique est en grande partie reste inchange dans ces glissements la logique selon laquelle on considre que quelque chose est ou pas, et la structure ontologique darrire-plan reste grosso modo celle du principe et du fondement. Pour toi linverse un peu comme Michel Bitbol[5]mais avec dautres outils il sagit bien de dconstruire cette logique de prcomprhension du rel. Michel Bitbol ne le fait pas de la mme faon: il sappuie sur Kant et Wittgenstein, alors que tu prends plutt Derrida comme fil conducteur. Il propose (Bitbol) une interprtation de la mcanique quantique qui distingue, dans la faon dont la thorie construit lobjectivit de ses phnomnes, un domaine que le formalisme dcontextualise et un domaine dont la contextualit est intgre dans le formalisme. De l, il fait, comme tu le fais dune autre faon, de la relation la catgorie matricielle, la diffrence quil demeure dans un cadre kantien assoupli, largi que tu dpasses pour ta part.Je trouve en tout cas ces deux dmarches extrmement fcondes. Les dbats philosophiques qui sont en gnral mens autour de la physique sont certes passionnants, mais dans les structures de pense mobilises sont ou bien trs classiques (par exemple au sujet du temps prsentisme, ternalisme, etc.[6]ou bien trs spcialiss (la question des proprits dispositionnelles, etc.)Or je dcouvre en te lisant (ou en lisant Bitbol) la possibilit de dvelopper une apprhension densemble des questions rencontres par la physique thorique qui rejoint finalement les questions poses la philosophie dans ses protocoles mmes depuis un sicle.Je trouve a tout fait fascinant.AB: Puisque tu ne poses pas ici de question, je me permets de ne pas rpondre! Je me rjouis simplement que ce chantier tintresse. Il faut reconnatre que presque tout reste faire.Je lisais il y a peu lexcellent ouvrageDeconstructionsde Nicholas Royle qui mavait t conseill par Hlne Cixous. Je reproduis ici les titres des chapitres (qui sont aussi des articles): deconstruction and cultural studies, dconstruction and drugs, deconstruction and ethics, deconstruction and feminism, deconstruction and fiction, deconstruction and film, dconstruction and hemerneutics, dconstruction and love, deconstruction and a poem, deconstruction and the postcolonials, deconstruction and psychoanalysis, deconstruction and technology, dconstruction and weaving. Nest-il pas tonnant quaucun article ne pose la question Deconstruction and physics? Ou mme Deconstruction and science. Je pense que cette voie est ouverte et doit tre explore.Le rel et le possibleAP:Mon dveloppement suivant est inspir par la lecture de ton texte[7].Si jai bien compris en te lisant, la question des constantes et de leur ajustement semble tre la principale motivation dun modle de multivers. Les constantes universelles sont celles quil fallait pour que nous existions: si elles ntaient pas celles-l nous ne serions probablement pas l (principe anthropique). Dune certaine faon, il ny a l rien de plus quun tat de fait: il est logique quil y ait des conditions telles que nous puissions tre l puisque que si elles ntaient pas remplies, personne ne serait l pour poser la question.Cest sur cette facticit des constantes que la physique thorique semble, disons, buter. Celle-ci remonte en effet de structures mathmatiques descriptives des structures mathmatiques darrire-plan de plus en plus globales et complexes. Cest lintelligibilit du modle qui devient en quelque sorte porteuse de ralit. Do llargissement possible du modle vers un mta-modle producteur de constantes, voire un mta-mta modles producteur de mta-modles. Il semblerait quy ait chez certains physiciens un dsir platonicien, voire, hglien dauto-production de lordre intelligible. Cela me semble patent dans le modle de mta-mta-modle de Tegmark que tu discutes[8].Or, pour toi, la question de lintelligibilit ne doit pas tre spare de celle de la ralit de la rencontre. Le rel nest ni purement rationnel, ni une structure de fait donne. Tu cris ainsi () il semble que la mathmatique, qui, dans le sillage du leibnizianisme, devient une mathmatique qualitative et une science gnrale des situations, tend semparer du monde quelle exprime et rsume dans les structures fondamentales. La ralit, cependant, se dfend: non seulement lexistence, dans sa fluidit et ses dbordements, ne se laisse pas du tout rduire la logique des classes et la figure de lappartenance, mais lopration mme de classer, applique aux tres les plus banals, rencontre en fait demble de multiples difficults.[9]Tu cris par ailleurs quil faut renoncer au principe de correspondance avec un rel suppos monovalu. Il sagit de montrer comment la physique souvre une ralit dont il ne sagit plus de se demander comment est le rel la question nest plus non plus limage que la physique donnerait dune ralit, mais ce que le rapport de la physique la ralit actuellement implique. Je te cite: Lirralisme ne consiste pas affirmer que rien nest rel mais que nous ne manipulons que des reprsentations au sein dune pluralit irrductible qui se substitue lusuelle ontologie univoque. Le rel devient relationnel. Il ne sagit plus tant de dcouvrir la structure intime et intrinsque que de comprendre comment lextriorit--soi rpond une manire de faire un monde.[10]Le rel nest plus, il fonctionne. Il rpond aux sollicitations et forme des univers sur nos propositions.[11]Le rel en quelque sorte sur-existe comme matrice de relations. Cest pourquoi, pour toi, le rel ne vient pas rduire la prolifration des multivers mais la redoubler en r-ouvrant lide mme de mise en relation. Ainsi Le fondement nest ni lUn parmnidien ni mme la multiplicit deleuzienne, il est une pluralit alternativement un et multiplicit selon les versions. Ces versions ne sont pas que des discours, elles sont les mondes.[12]AB: Dabord, je voudrais revenir sur lenjeu du multivers. Je ne partage pas exactement ton analyse. Je ne pense pas que le multivers soit un modle labor pour rpondre une quelconque question. Si tel tait le cas, il ne serait pas convaincant. Il est presque toujours possible de trouver un modle qui permette de conduire aux effets escompts. Ce qui est intressant est justement que le multivers nestpasun modle. Il est, au contraire, uneconsquencede modles labors pour rpondre des questions trs claires de physique des particules ou de gravitation relativiste. Les univers multiples apparaissent comme uneconsquencede ces modles, ils ne sont pas eux-mmes le modle. La thorie des cordes, par exemple, a t invente pour tenter dunifier toutes les interactions fondamentales et toutes les particules lmentaires. Il se trouve que les dernires avances laissent penser quelle conduit un quasi-continuum quasi-infini de lois possibles. Lie linflation qui cre des univers-bulles, elle va donc permettre lmergence dun multivers de trs haute diversit. Mais elle na pas t cre cette fin: les enjeux ont trait la physique des particules. De mme, la gravitation quantique boucle a t invente pour tenter de concilier la thorie dEinstein, dune part, avec celle de Schrdinger et Heisenberg dautre part. Le fait quelle conduise un multivers temporel est une consquence qui ntait pasa prioriattendue. Cest dailleurs en ce sens que le multivers est une proposition testable (disons rfutable), mme sil est impossible daller effectivement visiter ces autres univers. Il suffit de tester localement la thorie qui le prdit: si cette thorie venait tre infirme, toutes ses consquences y compris bien sur ses univers multiples seffondreraient avec elle. A contrario, si la thorie venait tre suffisamment corrobore pour entrer dans le paradigme dominant, il serait inepte (et mme tout fait incohrent) de lui dnier la consquence univers multiples.Et, en effet, outre la formidable rvolution quil reprsenterait sil tait avr, le multivers apporterait galement une rponse une question fondamentale: pourquoi les lois de la physique semblent-elle si extraordinairement adaptes lexistence de la complexit? Sil nexiste quun seul univers (avec donc une seule loi physique luvre), il est extrmement compliqu de comprendre pourquoi nous avons joui de cette incroyable chance conduisant des structures complexes. A contrario, sil existe une infinit dunivers peupls par une multitude de lois diffrentes, il est tout fait comprhensible que certains dentre eux soient hospitaliers et nous nous trouvons naturellement dans lun de ceux-ci. Le problme de naturalit ou dajustement fin est ainsi rsolu. De la mme manire que notre plante, la Terre, nest pas du tout reprsentative de notre univers (mais constitue un lieu exceptionnellement hospitalier), notre univers na pas vocation tre reprsentatif du multivers.Au niveau plus philosophique, et sans que cela soit directement li au multivers, je plaide en effet pour une vision strictement non-rductionniste de la physique. Pour le dire de manire simple et rapide, je suis sur ce point dans la droite ligne des propositions du philosophe amricain Richard Rorty. Ne surtout pas tenter de voir dans la science une reprsentation du monde. Je pense quil serait fructueux pour reprendre lexpression dun autre philosophe analytique, Nelson Goodman de considrer la physique comme une manire, parmi dautres, de faire un monde. Autrement dit, comme tu le soulignais, de dplacer la question de lessence vers la pratique, de lontologie vers le fonctionnement.Notes[1]http://lpsc.in2p3.fr/barrau/[2]http://lpsc.in2p3.fr/barrau/aurelien/cours.html[3]Cf. icihttp://lpsc.in2p3.fr/barrau/aurelien/gravite_etendue.pdf[4]Cf. par exempleLa gomtrisation de la physique, Paris: Flammarion, 1994)[5]On renverra lensemble des travaux de Michel Bitbol, en particulier Mcanique Quantique, une introduction philosophique, Paris: Flammarion, 1996, Laveuglante proximit du rel, Paris: Flammarion, 1997, surtout De lintrieur du monde, Paris: Flammarion, 2010[6]Pour une synthse ce sujet, voir par exemple le second chapitre de Pierre Buser, Claude Debru,Le temps, instant et dure: de la philosophie aux neurosciences, Paris: Odile Jacob, 2011[7]http://lpsc.in2p3.fr/barrau/aurelien/multivers_lpsc.pdf[8]cf.http://lpsc.in2p3.fr/barrau/aurelien/multivers_lpsc.pdf, p. 95 - 98[9]p. 98[10]p. 123[11]p. 124[12]p. 123Un article deFlorian ForestierFlorian Forestier est membre titulaire du Centre dtudes de la philosophie classique allemande et de sa postrit (CEPCAP, Paris IV), membre associ lquipe de Recherche sur les Rationalits Philosophiques et les Savoirs (ERRaPhis, Universit de Toulouse) et au centre Prospero de luniversit Saint-Louis Bruxelles. Aprs avoir t plusieurs annes conservateur charg de collection la Bibliothque nationale de France (dpartement littrature et art), il est actuellement charg de cours Sciences Po Paris et Paris X et consultant indpendant. Sa thse, dirige par Alexander Schnell et soutenue en 2011, tait consacre aux fondements spculatifs de la phnomnologie. Il est lauteur de nombreux articles, ainsi que de La phnomnologie gntique de Marc Richir (Springer, Phaenomenologica, 2014), de Le rel et le transcendantal (Jrme Millon, Krisis, 2015), ainsi que de Paysages (roman, 2008), de La boite (posie, 2008) et de La plante creuse (nouvelles, 2013).Derniers articlesDavid Lapoujade: Deleuze, les mouvements aberrants

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Levinas et la philosophie analytiqueColloque international de Philosophie, 21 au 23 Avril, 2015, Parismardi 10 mars 2015,parThibaut GressA linitiative de la Socit internationale Emmanuel Levinas (SIREL), en collaboration avec New York University - ParisSoutiens: Program University Fund, Rgion Ile de France, la Socit Intermdes, DAADNew York University Paris , 57, boulevard Saint Germain, Paris 5Organisateurs: Corinne Enaudeau, Michel Olivier et David UhrigA partir dune rflexion philosophique, politique et sociale, fonde sur lanalyse de la subjectivit cartsienne, lintentionnalit husserlienne, la responsabilit spcifique de la pense juive, Emmanuel Levinas a produit lune des rares philosophies originales du XXe sicle. Sa nouveaut consiste dans labandon des modalits traditionnelles du fondement de lthique dans lontologie, ou dans la rationalit comme telle, ou dans une tlologie de lhumain. Lthique, en tant que porteuse du sens ultime de la rationalit, de lhumain et de ltre, devient ds lors philosophie premire. Loin de se restreindre un usage interne la phnomnologie, ce bouleversement vacue lontologie comme horizon du sens. Ainsi, une dimension essentielle de la philosophie europenne est-elle dplace, et par l lapproche de ses domaines traditionnels.La philosophie analytique et celle de Levinas ne trouvent-elles pas dans leur commune remise en cause de lontologie un terrain de rencontre, dapprofondissement ou de critique rciproque? LAutrement qutre, cette sortie du processus de ltre chez Levinas, se veut sens de lhumanit de lhomme et non description de lhumain. Il en merge une subjectivit non-solipsiste, dialogale. A ce titre, elle est susceptible de solliciter la philosophie analytique comme traitement pistmologique du langage, jusque dans ses dveloppements les plus fins, telle sa reconnaissance de la rationalit des motions.Il conviendrait donc, pour la premire fois, dtudier simultanment ces deux approches de la philosophie, dexplorer leur entretien, dont voici, sans prsomption dexhaustivit, quelques thmes possibles et dj abords par des penseurs des deux rives.Le langage: La tradition analytique structure la philosophie du langage en deux courants, lun privilgiant la rfrence au monde, lautre plus proche du second Wittgenstein, soulignant lusage socialis des mots et les jeux de langage exprimant des formes de vie. Levinas pour sa part, dsigne par le terme Dit toute structure grammaticale du langage, quelle soit logico-rfrentielle ou socialise, pour lopposer au Dire, cest--dire ladresse autrui qui prcde tout contenu de signification. Levinas offre-t-il ainsi une entre sur la comprhension et linterprtation exprimable par la philosophie analytique? Les philosophies pragmatiques dAustin et de Cavell ont-elles une faon de saisir la notion de Dire?

La morale:La philosophie analytique organise la philosophie morale selon des familles dapproche (thique et mta-thique, dontologisme, thorie des vertus, utilitarisme, contractualisme, intuitionnisme ...) tandis que la philosophie morale de Levinas relve simultanment des catgories utilises par plusieurs de ces familles. Levinas en appelle autant lmotion thique quil sollicite une forme dthique intuitionniste et de commandement imprescriptible propre aux thiques du devoir. Symtriquement, des traces dupour-autrui apparaissent dans lutilitarisme, et certains contractualismes manifestent des aspects de la question lvinassienne du tiers. Levinas ignore les lignes analytiques de partage de la pense thique. Faut-il en conclure que sa philosophie est incompatible thoriquement avec lapproche analytique? Ou bien cette dernire peut-elle recevoir et critiquer la morale lvinassienne?La politique: Pour Levinas, le champ politique se mesure louverture ou la fermeture de lordre juridique (ltat et ses institutions) la relation thique. La dmocratie se reconnatrait laptitude du droit entendre la dtresse dautrui et corriger la justice. Comment la philosophie analytique prend-elle en compte la dtresse dautrui? Le principe de diffrence de Rawls (les ingalits sont acceptables si elles profitent aux plus dmunis) ou le contractualisme de Scanlon, par exemple, sont-ils une manire de rpondre linsupportable? Ou bien la souffrance relve-t-elle toujours dune exprience en premire personne qui ouvre des droits, mais non dune sensibilit autrui ouvrant des devoirs, comme cest le cas pour Levinas, ce qui questionne la libert?

Lesthtique: Une question de lesthtique analytique est de savoir quand il y a art, quand quelque chose fonctionne on non comme de lart. Il y a alors dbat interne sur ce que lart fait ou est, sur lautonomie de luvre, sur lexprience esthtique (expression, impression, jugement). La rflexion lvinassienne nenvisage lart que sous langle de ses enjeux thiques. Luvre dart sy caractrise par son indiffrence au monde et autrui: elle nous enferme dans une forme immuable qui se fait destin et nous porte ainsi lirresponsabilit. Lart ne se pense-t-il qu travers ses usages ou sa porte thique?Le religieux: Pour Levinas, le judasme ne relve pas dun discours sur lorigine de ltre et du monde mais sur le sens en tant quil est normatif. A ce titre, il se dtache de tout mysticisme. Il ne serait pas inconcevable de nous demander si et comment le religieux est une rfrence partage par Levinas et Wittgenstein ainsi que certains philosophes analytiques par opposition ceux qui (tel Russell) le rejettent dans le mystique incompatible avec la logique. De plus lobservance juive ne serait-elle pas lillustration de lindissociabilit des faits et des valeurs soutenue par un certain pragmatisme (Putnam)? Cette confrontation la ralit temporelle ne contribue-t-elle pas briser lunit mystique issue de la primaut du bien selon Russell?Intervenants: Flora Bastiani, Eva Buddeberg, Pascal Delhom, Elise Domenach, Corinne Enaudeau, Martin Gak, Sandy Goodhart, Joelle Hansel , Kevin Houser , Shojiro Kotegawa , Michael Morgan, Michel Olivier, SorenOvergaard, Isabelle Pariente-Butterlin, Corinne Peluchon, Arkady Plotninsky, Jean-Franois Rey, Jean-Michel Salanskis, David Uhrig,Andrew Wilshere, Anna ZielinskaP.-S.Pour sinscrire au colloque,cliquer ici.