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Revue de pensée des arts plastiques Dossier La Part de l’Œil numéro 32 2018 2019 L’œuvre d’art entre structure et histoire Greimas et la sémiotique de l’image

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Revue de pensée des arts plastiques

Dossier

La Part de l’ŒilLde

numéro 32 2018 • 2019

Dirk Dehouck : Liminaire

Giovanni Careri : “L’objet théorique” entre structure et histoire

Muriel van Vliet : André Leroi-Gourhan et Claude Lévi-Strauss Anthropologie et morphologie de l’art

Miguel António Domingues : Fonderie & Manufacture de Métaux

Didier Vaudène : Feuillets d’abîme I

Alice Mara Serra : Image et structuration minimale : à partir de Derrida, Deleuze et Didi-Huberman

Audrey Rieber : “Car l’espace aussi est un concept temporel” (P. Klee) La logique de l’image selon Gottfried Boehm

Hugo Dumoulin : La série, le pouvoir, le diagramme Trois concepts pour penser l’esthétique dans le moment philosophique des années 1960

Judith Michalet : Synchronisme heuristique versus anachronisme fantasmatique L’œuvre d’art entre deux sens de l’histoire

Jehanne Paternostre : L’archive : entre réceptions et opérations

Bénédicte Duvernay : L’avant-garde russe, le cubisme et l’idée de structure

Filippo Fimiani : “Il faut détruire les oiseaux”. Mythes et histoires de l’artiste désœuvré

Emmanuelle Chérel : Narrations postcoloniales depuis la France

Thu-Van Tran : La décennie rouge 1971-1981

Patrice Maniglier : Mai 68 en théorie (et en pratique) Dossier : Greimas et la sémiotique de l’image Maria Giulia Dondero & Jean-Marie Klinkenberg : Après Greimas. Des tâches pour la sémiotique visuelle

Jean-François Bordron : La sémiotique structurale de Greimas et la question de l’image

Anne Beyaert-Geslin : L’imperfection de l’image : une histoire prolongée de l’esthésie

Isabelle Rieusset-Lemarié : La sémiotique plastique : une iconologie baroque ? Incidences sémio-anthropologiques du cadre sur la puissance dynamique de l’image

Marion Colas-Blaise : La sémiotique visuelle naissante : Greimas et sa postérité

Gian Maria Tore : Limitations et illimitations d’une sémiotique de l’image Figurativité, réflexivité, multiplicité

Pierluigi Basso Fossali : La sémiotique visuelle de Greimas entre archéologie et actualité

Angela Mengoni : Le tournant iconique et la sémiotique plastique de Greimas

Varia Chakè Matossian : Marcel Duchamp et le Séducteur kierkegaardien

Jérôme Flas : Quelle est la part de l’œil dans l’esprit de la musique ? Réflexions sur La Naissance de la tragédie

L’œuvre d’art entre structure et histoire Greimas et la sémiotique de l’image

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ISBN 978-2-930174-50-1

3239,00 EUR

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publié avec le concours de la Fédération Wallonie-Bruxelles du Service public francophone bruxellois (COCOF) de la Fondation Universitaire de Belgique et du Fonds national de la Recherche scientifique Presses de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles

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L’œuvre d’art entre structure et histoire Greimas et la sémiotique de l’image

Dossier

La Part de l’Œil

Revue annuelle de pensée des arts plastiques

numéro 32 2018 •2019

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La revue La Part de l’Œil a été créée en 1985 par Luc Richir et n’a eu de cesse, depuis sa création, d’ouvrir ses colonnes aux chercheurs avec lesquels elle partage une commune passion pour les œuvres, leurs logiques d’élaboration et le désir d’aborder ce qu’elles ont de plus irréductible.

Comité de rédaction : Luc Bachelot Maud Hagelstein Corinne Bonnetain Anaël Lejeune Dirk Dehouck Lucien Massaert Éliane Escoubas Chakè Matossian Murielle Gagnebin Aram Mekhitarian Bruno Goosse Olivier Salazar-Ferrer Comité de lecture : Philippe Armstrong Thierry Lenain Yve-Alain Bois Danielle Lories Adriano Duarte Rodrigues Pierre Rodrigo Filippo Fimiani Maria Stavrinaki Michel Guérin Rudy Steinmetz Kathia Hanza Tristan Trémeau Jean-Claude Lebensztejn

Diffusion et distribution : “Pollen Diffusion”, 93260 Les Lilas, France Contact : [email protected] La Part de l’Œil Rue du Midi 144 – 1000 Bruxelles E-mail : [email protected] Site : http://www.lapartdeloeil.be T.V.A. n° BE 0441-637-337 Couverture : Miguel António Domingues, Méridien I et II, 2014, pigment, acrylique et crayon sur papier, chacun 37 x 28 cm. Accrochage à la Fonderie & Manufacture de Métaux, Bruxelles, 2015. Mise en page : Anne Quévy ISBN 978-2-930174-50-1 © La Part de l’Œil, 2018

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Dossier : L’œuvre d’art entre structure et histoire Greimas et la sémiotique de l’image

Dirk Dehouck Liminaire 7 Giovanni Careri “L’objet théorique” entre structure et histoire 13 Muriel van Vliet André Leroi-Gourhan et Claude Lévi-Strauss Anthropologie et morphologie de l’art 25 Miguel António Domingues Fonderie & Manufacture de Métaux 43 Didier Vaudène Feuillets d’abîme I 51 Alice Mara Serra Image et structuration minimale : à partir de Derrida, Deleuze et Didi-Huberman 69 Audrey Rieber “Car l’espace aussi est un concept temporel” (P. Klee) La logique de l’image selon Gottfried Boehm 83 Hugo Dumoulin La série, le pouvoir, le diagramme Trois concepts pour penser l’esthétique dans le moment philosophique des années 1960 99 Judith Michalet Synchronisme heuristique versus anachronisme fantasmatique L’œuvre d’art entre deux sens de l’histoire 121 Jehanne Paternostre L’archive : entre réceptions et opérations 145 Bénédicte Duvernay L’avant-garde russe, le cubisme et l’idée de structure 153 Filippo Fimiani “Il faut détruire les oiseaux”. Mythes et histoires de l’artiste désœuvré 169 Emmanuelle Chérel Narrations postcoloniales depuis la France 191 Thu-Van Tran La décennie rouge 1971-1981 203 Patrice Maniglier Mai 68 en théorie (et en pratique) 211

Dossier : Greimas et la sémiotique de l’image Maria Giulia Dondero & Jean-Marie Klinkenberg Après Greimas. Des tâches pour la sémiotique visuelle 230 Jean-François Bordron La sémiotique structurale de Greimas et la question de l’image 237 Anne Beyaert-Geslin L’imperfection de l’image : une histoire prolongée de l’esthésie 249 Isabelle Rieusset-Lemarié La sémiotique plastique : une iconologie baroque ? Incidences sémio-anthropologiques du cadre sur la puissance dynamique de l’image 261 Marion Colas-Blaise La sémiotique visuelle naissante : Greimas et sa postérité 275 Gian Maria Tore Limitations et illimitations d’une sémiotique de l’image Figurativité, réflexivité, multiplicité 297 Pierluigi Basso Fossali La sémiotique visuelle de Greimas entre archéologie et actualité 309 Angela Mengoni Le tournant iconique et la sémiotique plastique de Greimas 331

Varia

Chakè Matossian Marcel Duchamp et le Séducteur kierkegaardien 343 Jérôme Flas Quelle est la part de l’œil dans l’esprit de la musique ? Réflexions sur La Naissance de la tragédie 365

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Dossier : Greimas et la sémiotique de l’image

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1. Publié dans Actes Sémiotiques, Documents, VI, n° 60, 1984. Dans sa préface à l’article, Greimas précise que le texte avait été écrit en 1978 et qu’il était destiné à devenir la postface d’un ouvrage collectif dirigé par Jean-Marie Floch et intitulé De l’abstrait au figuratif, ouvrage qui n’a jamais vu le jour et dont les textes ont été publiés ailleurs par leurs auteurs. Une première version de cet article fut néan-moins publiée en italien en 1980 dans Film -critica 307-309 (a. XXXI), sous le titre “Semio -tica figurativa e semiotica plastica”. 2. Il y nomme aussi Ada Dewes, Denis Alkan, Alain Vergniaud et Diana Luz Pessoa de Barros. 3. “Cranach : la beauté de la femme”, avec T. Keane Greimas, Eutopias, n° 26, 1993.

Ce dossier prend place dans le cadre des manifestations qui marquèrent, en 2017, la commémoration du centième anniversaire de la naissance d’Algirdas Julien Greimas. L’équipe de sémioticiens liégeois organisa en décembre de cette année commémorative une journée d’étude consacrée à “Greimas et la sémiotique de l’image”. Par ce biais, qui peut sembler très latéral pour aborder l’œuvre du sémioticien, il s’agissait d’évaluer la contribution de Greimas à la sémiotique visuelle. Il est vrai que Greimas ne s’impliquera guère personnellement dans le déve-loppement de cette discipline, laissant ce soin à ses disciples. Dans l’article publié en 1984 dont il est évidemment beaucoup question dans ce dossier de La Part de l’Œil – “Sémiotique figurative et sémiotique plastique”1 –, Greimas nomme ces disciples, au premier rang desquels, Jean-Marie Floch et Félix Thürlemann2, en indiquant n’avoir joué auprès d’eux qu’un rôle “d’observateur et de conseiller”. Mais l’influence et la persistance dans le temps de cet article (suivi d’ailleurs quelques années plus tard d’un autre, consacré à la beauté de la femme peinte3), se manifestent jusqu’à nos jours et ne paraissent pas faiblir, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer les résultats du tournant visuel. Avant de revenir sur cet article, et tenter d’évaluer ce qui, du programme qui y est décrit, a été développé – ou non – par la sémiotique visuelle contem-poraine, nous souhaitons situer l’apport de Greimas et de son école dans ce contexte. Non pas en étudiant les influences que Greimas aurait manifeste-ment reçues ou explicitement revendiquées, mais en pointant les proximités entre sa théorisation et toutes les manifestations d’une mutation en cours que l’on est en droit d’appeler un “iconic” ou un “pictorial turn”.

En effet, dans les années 1970 et 1980, la sémiotique visuelle n’est pas encore entrée dans sa phase d’institutionnalisation – que l’on peut dater de 1989, avec la fondation de l’Association Internationale de Sémiotique Visuelle –, mais ses contours se dessinent et ses problématiques se formulent. Un moment important de ce mouvement est assurément la parution, au début de la décen-nie, du numéro 15 de la revue Communications intitulé L’analyse des images (1970). C’est lors de cette phase que des travaux importants s’élaborent. On pense à ceux de Christian Metz, qui auront eu le mérite d’offrir une multitude

Après Greimas Des tâches pour la sémiotique visuelle Maria Giulia Dondero & Jean-Marie Klinkenberg

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d’outils raffinés à l’analyste, mais qui n’ont pas réussi à penser ces outils dans un projet épistémologiquement cohérent ; aux travaux de René Lindekens – on se rappellera ses Éléments pour une sémiotique de la photographie 4 ou ses Essais de sémiotique visuelle 5 –, dont les contributions sont, elles, résolument épistémologiques, mais ne parviennent pas à circonscrire les spécificités sémio-tiques du visuel ; enfin à ceux, toujours actuels, d’Umberto Eco, lequel discute déjà à peu près tous les thèmes discutables de la discipline – comme celui de la représentation –, et cela déjà dans La Structure absente (1968), dans son article “Sémiologie des messages visuels”, paru dans le numéro cité de Communications ou encore dans son ambitieux Trattato, de 1975, où il mène très loin la pro-blématisation du concept d’iconisme6. L’avènement du plastique (face au figuratif, à l’iconique) C’est dans le cadre de ce mouvement qu’il faut situer ce que l’on peut nommer “l’avènement du plastique”. On peut dire que cet avènement a été lointainement préparé par la pensée de Jean-François Lyotard, et de tous ceux qui ont œuvré à la redécouverte du corps dans notre épistémè ; car le plastique est toujours lié à la question du faire ou à celle de la matière. Cette réhabilitation accompagnera toute l’esthé-tique et la pensée sur l’art jusqu’à nos jours, et inspirera des travaux de tous types qui, restant en lisière de la sémiotique, l’ont peut-être alors influencée, et l’influencent sûrement toujours aujourd’hui ; cette histoire-là reste encore à écrire. À titre d’exemple, nous retiendrons les travaux de Jean-Joseph Goux qui, avec Les Iconoclastes (1978), se situe résolument sur le plan philosophique7. La distinction qui oppose le plastique au figuratif, ou à l’iconique – la termi-nologie choisie renvoyant à un autre point de discussion possible – n’était pas nouvelle, certes, mais elle trouve maintenant à se dire et à se problématiser. On la retrouve par exemple, sous un nom assez proche, chez Hubert Damisch dans sa communication au premier Congrès mondial de sémiotique, tenu à Milan en 19748. L’analyse de la distinction se fait plus précise et plus métho-dique dans la seconde moitié des années 1970. Par exemple, dans le champ de l’esthétique, où on se rappellera le rôle du québécois René Payant tôt dis-paru, qui opposait “iconique” et “pictural”9. Mais le premier travail consacré frontalement à la théorisation de cette distinction est le gros article du Groupe µ, qui lui fournira la maquette de son Traité du signe visuel 10. Ce texte, paru en 1979 et élaboré à partir de 1976, s’intitulait “Iconique et plastique. Sur un fondement de la rhétorique visuelle”11. Il restait à se donner les moyens techniques pour analyser le plastique, que le paysage sémiotique ne fournissait pas alors. C’est ce à quoi se sont employé plusieurs auteurs à la fin des années 1970 et au début des années 1980. On y est souvent parvenu à travers des analyses de cas précis. Nous pointerons par exemple l’analyse de Kandinsky par Floch et la série d’études que le même auteur fait paraître en 1980 et 198112, l’analyse de Mondrian par Jean-Clarence Lambert13 en cette même année 1980 ou encore celle que le Groupe µ mène sur Bart van der Leck14. Et soyons attentifs, soit dit entre parenthèses, au fait que ces trois pionniers de l’art abstrait ont procédé par une stylisation, une schématisation progressive et accentuée de motifs figuratifs ; ce qui suggère, dans une sorte d’argumentation par l’exemplum que la frontière est malaisée à établir dans les faits, ce qui nécessitera de bien la tracer en droit, et qu’une

4. René Lindekens, Éléments pour une sémio-tique de la photographie, Bruxelles/Paris, AIMAV, Didier, 1971. 5. René Lindekens, Essais de sémiotique visuelle, Paris, Klincksieck, 1976. 6. Umberto Eco, La Struttura assente, Milano, Bompiani, 1968, trad. fr. La Structure absente. Introduction à la recherche sémiotique, trad. par Uccio Esposito-Torrigiani, Paris, Mercure de France, 1972 ; U. Eco, Trattato di semiotica generale, Milano, Bompiani, 1975, trad. fr. par-tielle dans La production des signes, Paris, Livre de Poche, 1992. 7. Jean-Joseph Goux, Les Iconoclastes, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philoso-phique », 1978. 8. “Huit thèses pour (ou contre ?) une sémio-logie de la peinture”, rapport présenté au pre-mier congrès de l’Association Internationale de Sémiotique à Milan, 2-6 juin 1974. Repris dans Macula n° 2, pp. 17-23. Et publié sous le titre “Sur la sémiologie de la peinture”, dans Seymour Chatman, Umberto Eco et Jean-Marie Klinkenberg (dir.), A Semiotic Landscape : Proceedings of the First congress of International Association for Semiotics Studies, La Haye, Paris, New York, 1979, pp. 128-136. 9. René Payant, 1980, “L’Art à propos de l’art. Citation et intertextualité”, Parachute, 17, pp. 25-32. 10. Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées », 1992. 11. Groupe µ, “Iconique et plastique. Sur un fondement de la rhétorique visuelle”, dans Groupe µ (dir.), Rhétoriques, sémiotiques, n° spécial de la Revue d’Esthétique, n° 1-2, Paris, U.G.E., 1979 (coll. 10/18), pp. 173-192. 12. Jean-Marie Floch, “Sémiotique plastique et langage publicitaire”, Actes sémiotiques, Docu -ments, III, n° 26, 1981 ; “Kandinsky : sémio-tique d’un discours plastique non figuratif ”, Communications, n° 34, 1981, pp. 135-157. 13. Jean-Clarence Lambert, Le Noir de l’azur, Paris, Galilée, 1980. 14. Groupe µ, “Du sensible à l’intelligible dans l’image : essai de lecture plastique d’une pein-ture non-figurative”, Analyse Musicale, n° 4, 1986, p. 3 et 19-20.

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15. Roger Odin, “Quelques réflexions sur le fonctionnement des isotopies minimales et des isotopies élémentaires dans l’image”, dans L’Iso topie, n° 1 de Linguistique et sémiologie, 1976, pp. 81-116. 16. Car, bien sûr, du côté de la physique, de la psychologie de la perception, de la psycho-logie sociale, de l’anthropologie, de l’ethno-linguistique ou de l’esthétique, de tels systèmes abondent. 17. Algirdas Julien Greimas, Du Sens, Paris, Éditions du Seuil, 1970. 18. “Sémiotique figurative et sémiotique plas-tique”, art. cit., p. 4. 19. Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette (Langage, Linguis -tique, Communication), 1979, p. 146.

sémiotique iconique doit faire place au phénomène de la stylisation. Rares sont en revanche les travaux qui tentent de se placer d’emblée au niveau théo-rique général, et par exemple de postuler un système d’unités plastiques mini-males. Parmi ces quelques tentatives, il faut inscrire la contribution de Greimas, celle du Groupe µ, et celle de Roger Odin, qui fait de la “tache” l’unité consti-tutive de l’isotopie élémentaire de l’image15. Il n’en reste pas moins que le danger de la construction ad hoc a alors été lar-gement conjuré : nombre d’analyses de cas ont en effet débouché sur des ten-tatives de systématisation et ont produit des concepts aisément transposables ou généralisables. Par exemple, les travaux de Floch ont permis de faire avancer la réflexion de la sémiotique générale sur le processus d’homologation entre les structures du plan de l’expression et celle du contenu (semi-symbolisme) ; et Thürlemann (dans son analyse de trois peintures de Paul Klee) est le premier à postuler en sémiotique16 l’existence d’un système chromatique global, indé-pendant des énoncés particuliers ; un système certes encore insatisfaisant, mais audacieux et sachant exploiter intelligemment les concepts extra-sémiotiques sur le sujet. L’originalité de la position greimassienne L’originalité de la position de Greimas n’est pas de prétendre participer à la mise au point de cet appareillage, mais d’inscrire plus ambitieusement sa démarche de sémiotique visuelle dans une quête de généralisation et de conso-lidation épistémologique, dont les travaux réunis dans le premier volume Du sens17 rendent compte. Une quête qui l’a amené à traiter de problèmes aussi différents que le sens du geste, ou le sens de la nature. Il le déclare d’ailleurs : « Les progrès internes de la sémiotique générale ont joué un rôle déterminant »18 dans l’approche qu’il propose de faire des phénomènes visuels. Dans son article “Sémiotique figurative et sémiotique plastique”, il traite donc de questions assurément fondamentales en sémiotique visuelle, mais dont la portée dépasse le cadre de celle-ci. Un exemple concerne le fait que, pour Greimas, les manifestations de ce qu’il nomme la figurativité constituent une composante autonome et transversale de cette sémiotique générale. Le rapport que qualifie le mot “figuratif ” étant tout sauf simple : « Le qualificatif figuratif est seulement employé à propos d’un contenu donné […] quand celui-ci a un correspondant au niveau de l’expression de la sémiotique naturelle (ou du monde naturel) »19. Mais de quoi est-il question exactement lorsqu’on envisage la correspondance avec ce monde naturel ? et quel est le statut de celui-ci ? Cette question déborde de toute évidence le cadre du visuel. Ce souci de généralisation se manifeste aussi dans l’ambition d’identifier des catégories plastiques, et de les rendre opérationnelles via des oppositions per-tinentes. Ces exigences convergent dans une démonstration : celle qui établit que tout langage est une organisation hiérarchique et contrastive de termes catégoriels. Mais en retour, placer les faits visuels dans ce cadre général permet aussi de pointer leur spécificité, comme par exemple leur caractère tabulaire, qu’ils tien-nent de leur inscription dans l’espace. L’établissement de ces spécificités étant dans la démarche comme autant de précieux corolaires.

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Bien sûr, ces propositions généreuses ne sont pas exemptes d’hésitations. On est ainsi frappé par le nombre de termes apparaissant entre guillemets dans le texte de 1984, comme si l’auteur hésitait à les assumer ; ce qui contraste puis-samment avec le ton résolument assertorique du Dictionnaire 20, paru un peu auparavant, en 1979. Nous pensons à la réunion des phénomènes visuels sous des bannières comme celle d’“art pictural”, où à la question du regroupement des images en fonction de leur institutionnalisation, ce que nous nommons aujourd’hui les “statuts de l’image”, sur quoi nous reviendrons ci-après. Sept acquis En relisant aujourd’hui “Sémiotique figurative et sémiotique plastique”, on s’aperçoit que des pistes ouvertes devaient être plus résolument développées, et que d’autres demandaient à l’être. Ce retard est dû, paradoxalement, à la difficulté qu’ont éprouvée plusieurs élèves directs de Greimas à se détacher des enseignements du maître. Avant de venir au questions – nous en iden-tifions quatre – qui ont servi de cadre à Greimas mais n’ont pas été directement développées par lui dans ses textes sur l’image (la variation culturelle, la généa-logie des images, leur matérialité, leur statut social), nous souhaitons nous exprimer sur ce qui a été la base de maintes études menées par la suite, et qui demeurent parmi les réussites de la sémiotique greimassienne tout court. Nous en listerons sept : 1. le déplacement de l’attention du producteur à l’observateur, voire de l’imi-tation des formes à leur reconnaissance ; 2. la mise en évidence de la densité des traits nécessaire et suffisante pour constituer un formant figuratif, et le problème qui lui est directement lié, de la gradualité entre effets véridictoires, voire iconiques, et le dépouillement des figures ; 3. la mise au point de catégories plastiques, et notamment la distinction entre catégories éidétiques, qui sont décrites comme discriminantes et isolantes (structurellement parlant, négatives), et les catégories chromatiques, décrites comme constituantes, voire individuantes (positives) ; 4. l’hypothèse que c’est l’opérabilité sur des images qui permet de les saisir, à savoir un travail d’analyse, de décomposition et recomposition. L’important est que Greimas ne tranche pas entre les deux branches de l’alternative qui s’offre à lui : décomposer le global en unités ou constituer le global à partir d’unités préexistantes, en affirmant que :

« Peu importe dès lors que telle analyse débute par la reconnaissance des traits minimaux dont la combinatoire produit les figures et les for-mants plastiques ou qu’elle cherche a saisir d’abord des “blocs de signi-fication” ou des “dispositifs”, unités de dimensions plus vastes, décom-posables. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de démarches de segmentation qui reposent, pour une bonne part, sur des saisies intui-tives dont il faut, en premier lieu, expliciter les procédures »21 ;

5. la définition du semi-symbolisme, concept qui a connu plusieurs reprises et actualisations, et qui a permis de s’éloigner des approches iconographiques et symboliques de l’image ; 6. l’adossement de la figurativité à la sémiotique du monde naturel, à consti-tuer. Greimas signale que l’iconisme – ici, il conserve ce terme – peut produire une représentation du monde naturel grâce à un processus de réduction du nombre des qualités de ce monde, au sein de la catégorie elle-même réduite de ses qualités visuelles ;

20. Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, op. cit. 21. Algirdas Julien Greimas, “Sémiotique figu-rative et sémiotique plastique”, art. cit., p. 14.

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22. Ibid., p. 13. 23. Ibid., p. 9. 24. Ibid., p. 4.

7. l’approche que Greimas a développée de la relation entre système et procès dans le cadre de l’image, qu’il faut aborder autrement que le rapport système-procès dans les langages naturels :

« Un tel système, déclaré comme existant, mais inconnu, ne peut avoir quelque chance d’être saisi et explicite que par l’examen des procès sémio-tiques – des “textes visuels” – par lesquels il se réalise : c’est dire que la connaissance des objets planaires particuliers peut seule mener a celle du système qui les sous-tend et que si les procès sont d’abord saisis comme réalisés, ils présupposent le système comme virtuel et, de ce fait, ne pou-vant être représenté que sous la forme d’un langage construit ad hoc.22 »

Cette précision concernant le système construit ad hoc nous renvoie à la pre-mière des questions que nous considérons comme à développer : celle de la généalogie des images. Ce passage est opérable via la relation entre paroles et langues, entre la diversité des images et le système qui peut les rendre com-parables et commensurables. Des pistes à explorer Nous quittons ainsi le relevé des problèmes théoriques qui ont connu un cer-tain succès et constitué un certain héritage, pour aborder les quatre questions annoncées. Comme elles n’ont reçu que récemment l’attention qu’elles méri-tent, nous les considérons comme des missions s’imposant à la discipline. Ce sont : 1. le problème général de la variation ; 2. la généalogie des images, pro-blème de variation diachronique ; 3. la matérialité et les techniques mobilisées dans la production d’énoncés visuels ; et 4. les statuts des images. Ces quatre questions doivent se comprendre dans le cadre d’une problématique plus générale et plus fondamentale : qu’a fait la sémiotique et que doit-elle faire à l’avenir pour répondre à ces questions, qui avaient, dans l’article de Greimas, un simple rôle de cadrage par rapport à la question très précise abor-dée, la distinction du figuratif et du plastique ? Greimas posant que la figurativité est une lecture du monde, il se voit néces-sairement amené à insister sur la relativité culturelle de cette lecture23. Or c’est là un thème largement oublié par la sémiotique en général et la sémiotique visuelle en particulier. Tout à la quête de modèles opératoires puissants, notre discipline a fréquemment négligé d’aborder le phénomène de la variation des objets sur lesquels elle porte son attention. De là une relative pauvreté des ins-truments qui devraient lui permettre de penser cette variation, et, plus géné-ralement, une certaine pauvreté de sa pensée sociologique. Cette pauvreté est certes un paradoxe dans la triple mesure où la discipline prend pour objets des phénomènes de toute évidence touchés par la variation culturelle, où, dès sa naissance, Saussure l’inscrivait explicitement dans le champ de la psychologie sociale, et où elle se donne fréquemment comme une praxis. Parmi les axes de variation, le temps. Et c’est ici que nous rencontrons la pro-blématique de la généalogie des images, fortement liée à la possibilité de conce-voir le système de la peinture sur la diachronie. Pour l’évoquer, nous citerons la clôture de l’introduction de Greimas à son article de 1984 en guise d’enca-drement : « qu’en est-il de ces systèmes de connotation collectifs, de nature pathemique, mythique ou épistémique, qui, étrangers au plastique dénotatif, recouvrent, par panneaux entiers, les toiles et les époques ? »24. La question de la généalogie va de pair avec le problème du corpus d’images, qui n’est abordée que très rapidement au tout début du texte de Greimas :

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« Le choix du mot sémiotique pour designer le champ d’exploration qu’on cherche a se constituer n’est pas innocent : il implique que les barbouillages qui recouvrent les surfaces utilisées a cette fin constituent des ensembles signifiants et que des collections de ces ensembles, dont les limites restent a préciser, sont, a leur tour, des systèmes signifiants25. »

Les limites des collections de ces ensembles restent à préciser, car il faut décider quels sont les liens pertinents entre les images. Si Greimas s’est penché sur la syntaxe des unités au sein d’un tableau, il n’a pas oublié de penser au fait qu’il faut prendre en compte la syntagmatique des tableaux au sein des col-lections d’images. Floch a répondu en partie à cette question dans son analyse de Composition IV de Kandinsky, lorsqu’il identifie les images plutôt figuratives de Kandinsky qui peuvent nous aider à comprendre l’abstraction étudiée. Si Floch a abordé la question du système ad hoc en restant dans le cadre de la production d’un seul artiste, en étudiant la généalogie auctoriale, d’autres cher-cheurs se sont consacrés à la notion de “série” au sein de la production de cer-tains artistes. Nous pensons aux travaux de Pierluigi Basso Fossali sur Denis Roche et à ses recherches sur la peinture de Francis Bacon, ainsi qu’aux travaux d’Angela Mengoni sur la plaie dans l’art26. La troisième question, celle de la matérialité des images et de leurs techniques d’instauration, et plus précisément du faire (opposé au dire) et de la “gestualité articulatoire” comme “manière de faire du peintre” avait déjà été abordée par le Groupe µ à la fin des années 1970, puis dans le Traité du signe visuel, notam-ment à travers les notions de “texture” et de “grain”27. Par la suite, la sémiotique post-greimassienne s’est penchée sur la matérialité de l’image, notamment grâce à la distinction entre support formel et support matériel formulée par Jacques Fontanille28, distinction à laquelle les travaux en sémiotique de la photographie et de l’image numérique ont fait suite, en y intégrant la question du geste d’inscription29. En ce qui concerne la quatrième question, celle des statuts des images – à savoir des systèmes symboliques qui nous permettent de rendre intelligibles les images, tels que le statut artistique, le statut publicitaire, le statut docu-mentaire, le statut scientifique etc. – des travaux importants ont été effectués par Basso Fossali dans son Dominio dell’arte 30. Déjà en 2002, il discutait le statut artistique comme lieu institutionnel de productions de valeurs en concur-rence ou en tension avec les valeurs d’autres domaines sociaux. Plus récem-ment, Jean-François Bordron31 s’est penché sur la question de ce qu’il appelle “l’économie des images”, le terme désignant en premier lieu l’ordonnancement qui fonde la possibilité des valeurs et leur éventuelle circulation. Interroger l’économie d’une image revient ainsi à se demander dans quel ordre global elle s’inscrit, quelle articulation fondamentale elle présuppose pour que l’on puisse la comprendre. L’enquête sur les statuts de l’image doit être encadrée au sein du travail sur le corpus déjà entamé via la généalogie, pendant dia-chronique du point de vue sur les statuts, de nature plutôt synchronique. On voit bien que ce qui posait un problème à l’époque de l’écriture de l’article de Greimas, était le rapport entre une image et son corpus de référence, entre l’image et son héritage, entre l’image et son domaine social, ainsi qu’entre l’image et les catégories analytiques permettant de décrire sa spécificité média-tique, toutes questions qui deviennent le programme des années à venir.

Maria Giulia Dondero & Jean-Marie Klinkenberg

25. Ibid., p. 6. 26. Pierluigi Basso Fossali et Maria Giulia Dondero, Sémiotique de la photographie, Limo -ges, Pulim, 2011 ; Pierluigi Basso Fossali, Il trittico 1976 di Francis Bacon. Con Note sulla semiotica della pittura, Pise, ETS, 2013 ; Angela Mengoni, Ferite Il corpo e la carne nell’arte della tarda modernità, Colle Val d’Elsa, SeB Editori, 2012. Voir aussi l’article de Jacques Fontanille sur le peintre lituanien Ciurlionis contenu dans Sémiotique du visible. Des mondes de lumière (P.U.F., Paris, 1995) et d’autres études qui ont commencé à réfléchir à la question de la généa-logie via une analyse quantitative de larges cor-pus d’images (Lev Manovich, “Data Science and Digital Art History”, International Journal for Digital Art History, n° 1, 2015, pp. 13-35 ; Maria Giulia Dondero, “The Semiotics of Design in Media Visualization : Mereology and Observation Strategies”, Information Design Journal 23/2, 2017, pp. 208-218 ; Dondero, “La remédiation d’archives visuelles en vue de nouvelles iconographies : le cas de la Media Visualization de Lev Manovich”, Interin, n° 1, vol. 23, 2018, pp. 85-107). L’enjeu est de com-prendre si l’analyse computationnelle en opé-rant sur les paramètres plastiques peut accom-pagner la production des outils pour percevoir des filiations difficiles à repérer à l’œil nu. 27. Maria Giulia Dondero, “La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. À partir du Groupe µ”, Actes Sémiotiques, 2010, en ligne, http://epublications.unilim.fr/revues/ as/3084. 28. Jacques Fontanille, “Du support matériel au support formel”, dans Arabyan & Klock-Fontanille (dirs), L’Écriture entre support et sur-face, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 183-200. 29. Maria Giulia Dondero et Everardo Reyes-Garcia, “Les supports des images : photogra-phie et images numériques”, Revue Française des Sciences de l’Information et de la Commu -ni cation, 9, 2016, en ligne : http://rfsic.revues. org/2124. 30. Pierluigi Basso Fossali, Il dominio dell’arte. Semiotica e teorie estetiche, Rome, Meltemi, 2002. 31. Jean-François Bordron, “Rhétorique et éco-nomie des images”, Protée n° 38, vol. 1, 2010, pp. 27-40.