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 “Quaderni di Ricerca in Didattica”, n17, 2006. G.R.I.M. (Department of Mathematics, University of Palermo, Italy) La géométrie dans l’enseignement secondaire et en formation…, Bernard Parzysz 128 La géométrie dans l’enseignement secondaire et en formation de professeurs des écoles : de quoi s’agit-il ? Bernard Parzysz Dept. de Mathematiques I.U. F.M. 45044 ORLEANS Cedex 1 - France [email protected]  Résumé : La géométrie enseignée, de l’enseignement primaire à l’université, se construit comme une modélisation de l’espace physique et évolue d’une « géométrie de l’observation » à une « géométrie de la démonstration ». On peut rendre compte de cette évolution en considérant plusieurs paradigmes géométriques distincts. Au niveau de l’enseignement obligatoire, on peut en part iculier distinguer deux paradigmes : une géométrie « spatio- graphique » (ou G1) et une géométrie « proto-axiomatique » (ou G2). En fait, la résolution d’un problème de géométrie élémentaire consiste en une succession d’allers et retours entre G1 et G2, centrés sur la « figure ». Celle-ci joue un rôle crucial dans le processus ; en effet,  bien qu’el le constitue une aide précieuse dans l es conjectures, elle peut également constituer un obstacle à la démonstration, car « l’évidence de la figure » peut être source de confusion dans l’utilisation des données. La recherche relatée ici s’est intéressée aux rapports aux savoirs géométriques des futurs professeurs des écoles en France; elle a consisté en l’élaboration et l’analyse d’un questionnaire et d’une séance de formation, en environnements papier crayon et informatique (logiciel de géométrie dynamique Cabri géomètre). Les résultats obtenus montrent que, si ces étudiants ont des connaissances certaines dans G2, ils ne relient pas nécessairement les savoir- faire (constructions géométriques classiques) aux théorèmes qui les justifient ; d’autre part, leur « géométrie personnelle » a tendance à amalgamer G1 et G2. Enfin, l’étude du discours « méta » lors des débats suggère que des interventions ponctuelles du professeur peuvent aider les étudiants à prendre conscience de l’existence des deux paradigmes. Mots-clés : paradigmes géométriques, « figure » géométrique, futurs professeurs des écoles. Abstract: The geometry which is taught from elementary school to university is commonly viewed as a modelisation of physical space and it evolves from an « observation geometry » to a « mathematical proof geometry ». This evolution can be described with the help of a few different geometrical paradigms. At compulsory school level, two such paradigms can be distinguished : a « spatio-graphic » geometry (or G1) and a « proto-axiomatic » geometry (or G2). In fact, solving a geometrical problem consists of repetedly moving from G2 to G1 and  back. It is centred on the « figure », which plays a crucial role in the process because, although it is of considerable help for conjecturing, it can also constitute an obstacle to working out a mathemat ical proof since the « figure obviousness » can be a source of confusion in using the data. The research which is here reported focused on the French preservice school-teachers’ relation to geometrical knowledge; it consisted in working out and analysing a questionnaire and a teaching session, both in paper + pencil and computer (namely Cabri geometre software) environments. The results show that, although students have indeed a positive theoretical geometrical knowledge (within G2), they do not always link their technical knowledge (i.e. classical geometrical constructions) with the theorems which justify it;  besides, their « personal geometry » tends also to confuse G1 and G2. And, finall y, the study of the « meta » discourse during the verbal debates suggests that limited interventions of the teacher may help the students to become aware of the existence of two distinct paradigms. Keywords: geometrical paradigms, geometrical « figure », preservice school-teachers.

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Quaderni di Ricerca in Didattica, n17, 2006. G.R.I.M. (Department of Mathematics, University of Palermo, Italy)

La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation de professeurs des coles : de quoi sagit-il ?Bernard ParzyszDept. de Mathematiques I.U.F.M. 45044 ORLEANS Cedex 1 - France [email protected]

Rsum : La gomtrie enseigne, de lenseignement primaire luniversit, se construit comme une modlisation de lespace physique et volue dune gomtrie de lobservation une gomtrie de la dmonstration . On peut rendre compte de cette volution en considrant plusieurs paradigmes gomtriques distincts. Au niveau de lenseignement obligatoire, on peut en particulier distinguer deux paradigmes : une gomtrie spatiographique (ou G1) et une gomtrie proto-axiomatique (ou G2). En fait, la rsolution dun problme de gomtrie lmentaire consiste en une succession dallers et retours entre G1 et G2, centrs sur la figure . Celle-ci joue un rle crucial dans le processus ; en effet, bien quelle constitue une aide prcieuse dans les conjectures, elle peut galement constituer un obstacle la dmonstration, car lvidence de la figure peut tre source de confusion dans lutilisation des donnes. La recherche relate ici sest intresse aux rapports aux savoirs gomtriques des futurs professeurs des coles en France; elle a consist en llaboration et lanalyse dun questionnaire et dune sance de formation, en environnements papier crayon et informatique (logiciel de gomtrie dynamique Cabri gomtre). Les rsultats obtenus montrent que, si ces tudiants ont des connaissances certaines dans G2, ils ne relient pas ncessairement les savoirfaire (constructions gomtriques classiques) aux thormes qui les justifient ; dautre part, leur gomtrie personnelle a tendance amalgamer G1 et G2. Enfin, ltude du discours mta lors des dbats suggre que des interventions ponctuelles du professeur peuvent aider les tudiants prendre conscience de lexistence des deux paradigmes. Mots-cls : paradigmes gomtriques, figure gomtrique, futurs professeurs des coles. Abstract: The geometry which is taught from elementary school to university is commonly viewed as a modelisation of physical space and it evolves from an observation geometry to a mathematical proof geometry . This evolution can be described with the help of a few different geometrical paradigms. At compulsory school level, two such paradigms can be distinguished : a spatio-graphic geometry (or G1) and a proto-axiomatic geometry (or G2). In fact, solving a geometrical problem consists of repetedly moving from G2 to G1 and back. It is centred on the figure , which plays a crucial role in the process because, although it is of considerable help for conjecturing, it can also constitute an obstacle to working out a mathematical proof since the figure obviousness can be a source of confusion in using the data. The research which is here reported focused on the French preservice school-teachers relation to geometrical knowledge; it consisted in working out and analysing a questionnaire and a teaching session, both in paper + pencil and computer (namely Cabri geometre software) environments. The results show that, although students have indeed a positive theoretical geometrical knowledge (within G2), they do not always link their technical knowledge (i.e. classical geometrical constructions) with the theorems which justify it; besides, their personal geometry tends also to confuse G1 and G2. And, finally, the study of the meta discourse during the verbal debates suggests that limited interventions of the teacher may help the students to become aware of the existence of two distinct paradigms. Keywords: geometrical paradigms, geometrical figure , preservice school-teachers.

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Car les mathmaticiens, faisant abstraction de toute matire, mesurent les formes et les espces des choses par leur seule intelligence. Leon Battista ALBERTI, Della Pittura (1436)

Lune des finalits de lenseignement de la gomtrie dans le cursus obligatoire est de faire passer les lves dune gomtrie de lobservation une gomtrie de la dmonstration , et la notion de figure sur laquelle je reviendrai est un lment central et incontournable dans les pratiques de ce niveau. La rsolution dun problme de gomtrie lmentaire, qui sappuie fortement sur cet lment, consiste en une succession dallers et retours, souvent implicites, entre les deux types de gomtrie et risque de mettre, si lon ny est pas attentif, les lves dans une position inconfortable, voire de les conduire des conflits cognitifs. Cest pour tenter de prciser cette situation quont t entreprises dun certain nombre de recherches rcentes ([Parzysz 2001], [Parzysz & Jore 2002], [Houdement & Kuzniak 2000, 2003]). Elles montrent en particulier que le rapport la gomtrie des tudiants de premire anne dIUFM se prparant au professorat des coles ne les met pas toujours mme de grer ce type de conflit avec leurs futurs lves. Si lon se place au niveau de lenseignement obligatoire, la gomtrie, mme si elle est un discours portant sur des entits thoriques, est issue de considrations faites sur des objets matriels (maquettes, figures ), et fait parfois usage de tels objets sous la forme de mtaphores. Do un problme majeur, sur lequel je reviendrai, qui est cause de nombreuses incomprhensions : en gomtrie, professeur et lves ne jouent pas toujours au mme jeu. Je tenterai ici, en mappuyant en particulier sur les travaux de mon quipe, de prciser comment se manifeste ce problme et sur quels malentendus il repose. Je proposerai aussi des pistes de rflexion pour des recherches futures. 1- Le cadre thorique. En ce qui concerne lopposition gomtrie dobservation / gomtrie de la dmonstration , P.M. Van Hiele distingue deux niveaux dapprhension des formes gomtriques [Van Hiele 2002) : Au niveau infrieur, le niveau visuel, les formes sont identifies par la vue : Cest un carr parce je vois que cen est un . Au niveau suprieur, une forme est identifie par ses proprits : Cest un triangle isocle parce quil a trois cts dont deux sont gaux . Jai appel ce niveau, niveau descriptif. Si un enseignant veut quelque chose de mieux quune pense instrumentale, il devra prendre en compte la diffrence entre les deux niveaux. Quant C. Houdement et A. Kuzniak, sappuyant sur F. Gonseth, ils distinguent trois paradigmes gomtriques [Houdement & Kuzniak 2003] : - une gomtrie naturelle (G I), dans laquelle la gomtrie se confond avec la ralit ; - une gomtrie axiomatique naturelle (G II), qui est un schma de la ralit - une gomtrie axiomatique formaliste (G III), o le cordon ombilical avec la ralit est coup. Dautre part, M. Henry distingue trois types de rapport lespace dans lenseignement / apprentissage de la gomtrie [Henry 1999] :La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation, Bernard Parzysz

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- la situation concrte - une premire modlisation, qui consiste en l'observation d'une situation relle et sa description en termes courants. (...) La description qui en dcoule est alors une sorte d'abstraction et de simplification de la ralit perue dans sa complexit, dans la mesure o certains choix sont faits pour ne retenir que ce qui semble pertinent de cette situation vis--vis du problme tudi. - une mathmatisation, labore partir du modle prcdent. Sur la base de ces trois approches, notre quipe sest place dans un cadre thorique comportant au total 4 paradigmes, qui sarticulent selon le schma suivant : gomtries non axiomatiques type de gomtrie objets validations concrte* (G0) spatio-graphique (G1) physiques perceptivo-dductives gomtries axiomatiques protoaxiomatique (G2) axiomatique (G3)

thoriques hypothtico-dductives

* A proprement parler, G0 nest pas une gomtrie.

Les lments sur lesquels repose ce modle synthtique sont, dune part la nature des objets en jeu (physique vs thorique), dautre part les modes de validation (perceptif vs hypothtico-dductif). Partant de la "ralit", ou encore du "concret" (G0), qui n'est pas encore gomtrique car ses objets sont des ralisations matrielles avec toutes leurs caractristiques (matire, couleur, etc.), nous opposons d'une part une gomtrie non axiomatique, s'appuyant sur des situations concrtes1 qui sont idalises pour constituer le "spatio-graphique"2 (G1), et d'autre part une gomtrie axiomatique, l'axiomatisation pouvant tre explicite compltement (G3)3, ou non (G2), et la rfrence au "rel" tant facultative pour la premire (mais pas pour la seconde) ; dans le dernier cas, nous parlerons de gomtrie proto-axiomatique. En outre, et contrairement ce qui se passe pour G3, la composition de G2 ne peut tre dfinie de faon prcise, car dune part elle prsente une composante institutionnelle (les programmes) qui volue dans le temps, et dautre part elle est galement sujette des variations locales . Par exemple, au cours dune activit donne, un professeur peut dcider de sintresser une notion qui nest habituellement pas prise en compte par institutionnellement au niveau considr. Cest le cas en particulier de la notion de convexit, qui nest pas prise en compte dans les programmes de gomtrie de lenseignement secondaire, ce qui empche de dmontrer par exemple que deux bissectrices dun triangle sont scantes. Du point de vue didactique, la distinction entre ces gomtries apparat dans les ruptures de contrat qui se produisent entre l'une et l'autre, et plus prcisment: - passage de G0 G1: matrialit des objets en jeu (bois, carton, paille...) - passage de G1 G2: paisseur des traits, des points; justification perceptive - passage de G2 G3: proprits juges "videntes".

D'aprs le Petit Larousse (d. de 1999): 1.qui se rapporte la ralit, ce qui est matriel (...) 2. Qui dsigne un tre ou un objet rel . 2 Qualificatif d Colette Laborde (voir par exemple [Laborde & Capponi 1995]). 3 On trouvera en Annexe 1, comme illustration de G3, un exemple daxiomatique dvelopp par G. Choquet. La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation, Bernard Parzysz

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(N.B. Au niveau de lenseignement obligatoire, ce sont G1 et G2 qui jouent un rle crucial dans la construction par llve de son rapport aux savoirs gomtriques. Cest pourquoi, dans la suite, nous nous restreindrons ces deux paradigmes.) En se rfrant la thorie anthropologique du didactique [Chevallard 1999], on peut considrer G1 et G2 comme deux praxologies qui, pour un mme type de problmes (comme par exemple les problmes de construction sous des contraintes fixes) se distinguent la fois au niveau des techniques, des technologies et des thories : pour G1, les techniques utilises pour la rsolution de ce type de tches sont essentiellement lies l'usage d'instruments tels que rgle gradue, compas, querre, rapporteur (perception instrumente). Les technologies (mode de validation) font galement usage des instruments, qui sont alors utiliss pour contrler le dessin construit par la constatation visuelle de concidences ou de superpositions : graduations de la rgle, pointes du compas, bords de l'querre, rayons du rapporteur4... Le niveau thorique absent dans la pratique usuelle serait une thorie relative la prcision ou l'conomie des tracs, qui est effectivement atteste historiquement. Ainsi, dans la prface de sa Geometria del compasso (1797), Mascheroni, adoptant le point de vue des constructeurs dinstruments scientifiques, indique que pour dmontrer en gnral la supriorit de lusage du compas sur celui de la rgle, quand il sagit de dcrire avec prcision des lignes lpreuve du microscope, il suffit de dire quavec une rgle tant soit peu longue, il est presque impossible de garantir la prcision de tous les points quon trace, tant il est difficile quelle soit rigoureusement droite dans toute sa longueur. Ft-elle mme trs droite, les praticiens savent que la trace dune ligne mene le long de la rgle porte avec elle une incertitude de paralllisme dans le mouvement de laxe de la pointe qui marque, ou de la parfaite application de cette pointe larte de la rgle. Le compas nest point sujet ces deux inconvniens, il suffit que son ouverture soit fixe et les pointes trs fines ; en plaant lune delles en un point pris pour centre , lautre dcrit un arc aussi exact quil est possible. [Mascheroni 1828, pp. 9-10] Plus loin, il prcise quelques principes de ralisation effective des tracs au compas seul : Nous ajouterons ici en faveur des artistes pour lesquels, en grande partie, cet ouvrage est crit, que, bien convaincus de limportance des erreurs qui rsultent de lcart et du rapprochement des branches du compas pour obtenir avec prcision des ouvertures diffrentes, nous aurons soin de rsoudre les problmes avec le moindre nombre possible douvertures de compas []. Dailleurs, comme pour la prcision pratique de la position dun point, il importe que la section des lignes qui le dterminent se fasse angle droit ou approchant, nos ferons toujours en sorte quun arc en coupe un autre, ou angle droit, ou au moins sous un angle qui en diffre peu. [op. cit. pp. 28-29] En 1903, Emile Lemoine publie la Gomtrographie ou Art des constructions gomtriques, qui, pour toute construction, donne () un symbole qui est une sorte de

Cette technologie est galement applique la vrification des instruments de trac, en particulier dans les anciens manuels de collge. Ainsi, dans les manuels anciens, trois techniques de G1, toutes fondes sur la perception (instrumente ou non) sont indiques comme moyens de vrifier la rectitude dune rgle : vise, fil tendu le long de la rgle, retournement de la rgle. La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation, Bernard Parzysz

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mesure de sa simplicit et des chances de sa plus ou moins grande exactitude 5. A la mme poque, K. Nitz sintresse au mme problme et se place explicitement au niveau des Realgebilden (figures relles)6, en considrant par exemple un point comme un disque, une droite comme une bande dtermine par deux parallles et un cercle comme une couronne [Nitz 1906]. Un peu plus tard, A. Sainte-Lagu mentionne la gomtrographie, dans laquelle, selon lui, "on cherche les constructions les plus rapides" ([Sainte-Lagu 1913] p. 352), c'est-dire celles qui font intervenir un nombre minimal d'oprations ; il donne des conseils permettant d'amliorer la prcision des tracs, tels que : "pour des travaux prcis, l'querre ne doit jamais servir mener des perpendiculaires une droite, mais seulement des parallles une droite" "un point P dtermin par l'intersection de deux droites est d'autant mieux connu que l'angle de ces droites est plus voisin d'un angle droit" "une droite joignant deux points n'est trace avec une certaine prcision que si les deux points sont loigns d'au moins un ou deux centimtres" "un dessinateur habile (...) fait en mme temps toutes les constructions analogues, en traant par exemple tous les cercles de mme rayon les uns la suite des autres..." (ibid. pp. 350-351) pour G2 et pour le mme type de tches, les techniques concernent des objets gomtriques (droites, points, segments, cercles...) dont l'existence est assure par des noncs (dfinitions, axiomes, proprits admises...), et l'usage des instruments permet d'en obtenir des reprsentations (dessins). Les technologies correspondantes consistent en la production d'un discours de type dductif appliqu aux donnes de l'nonc et utilisant des lments de G2 rencontrs antrieurement. Le niveau thorique est constitu par une gomtrie axiomatique de type G3 (la gomtrie affine euclidienne). Comme nous l'avons dit cependant, une technique trs gnrale dans G2 est la ralisation et l'tude de "figures" (= dessins, cf plus loin 3) sur lesquelles on fera ventuellement agir des techniques de G1 dans le but de rechercher des indices qui permettront d'aboutir une dmonstration. Prenons ainsi l'exemple de la construction aux instruments (rgle et compas) d'un pentagone rgulier, et considrons les deux constructions donnes successivement (fig. 1 et fig. 2) par A. Drer dans son Instruction sur la manire de mesurer ([Drer 1525] pp. 79-80): du point de vue actuel, la premire (pentagone inscrit dans un cercle), en accord avec G2, est une construction exacte7 tandis que la seconde (pentagone construit sur un ct) est une construction approche, mme si elle est valide par la perception : en effet, rien ne permet de distinguer visuellement des productions graphiques obtenues partir de chacune de ces deux constructions.

Cit in [Houdement & Kuzniak 2002] p. 20. Sur ce sujet, on pourra consulter avec profit [Houdement & Kuzniak 2002], qui donne plusieurs exemples dutilisation de la gomtrographie. 7 Cest la construction dite de Ptolme 6

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fig. 1

fig. 2

En ce qui concerne les institutions dans lesquelles vivent ces diffrentes gomtries, on peut dire que G1 correspond l'cole lmentaire, tandis que G2 correspond au lyce et G3 l'universit. Mais qu'en est-il pour le collge ? En fait, ce sont essentiellement les "figures", objets communs G1 et G2, qui mettent ces deux gomtries en concurrence chez des non-experts comme le sont les lves de collge. Plus prcisment, pour un lve donn confront une tche de gomtrie : - si elle est perue comme relevant de G1, elle conduira sappuyer sur des techniques de G1 (ralisation d'une "figure" + comparaison, superposition, mesurage...) - si elle est perue comme relevant de G2, elle conduira sappuyer sur des techniques de G2 (ralisation d'une "figure" + dmonstration). Notons enfin que G1 et G2 sont susceptibles de se contrler lune lautre: - G2 contrle G1: si une contradiction perceptive est releve sur la "figure" (G1), on peut rechercher dans G2 lerreur qui la produite ; - G1 contrle G2: si la conclusion d'un raisonnement gomtrique surprend, le retour la "figure" et aux techniques de G1 peut permettre de confirmer ou d'infirmer ce rsultat. 2. Larticulation G1-G2. L'articulation G1-G2 est au cur de la problmatique de l'enseignement obligatoire, et plus encore de celle de l'enseignement professionnel, par rapport l'enseignement gnral : ce qui compte, dans une perspective professionnelle, c'est l'efficacit et non la justification: on utilise ventuellement la thorie pour rechercher des procdures efficaces, mais pas ncessairement. On se situe donc dans une problmatique de la prcision, et non de la conformit la thorie (quon peut appeler la "rigueur"). Ainsi, un manuel de dessin industriel franais prsente-t-il des constructions la rgle et au compas des polygones rguliers convexes, et prsente comme des constructions approches celles qu'il propose pour le pentagone, l'heptagone et l'ennagone, alors que la premire est exacte. Par contre, le mme manuel, mettant sur le mme plan la construction la rgle et au compas de la bissectrice et celle des trisectrices, omet dindiquer que cette dernire est une construction approche.

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Envisageons maintenant quelques types ou genres de tches (au sens de Chevallard) gomtriques, la lumire des paradigmes G1 et G2. Exemple 1 : valider une conjecture donne. Il y a (au moins) deux faons dy parvenir : a) Utiliser comme technique une dmonstration (ventuellement facilite par une figure ) et sappuyer sur une technologie constitue, dune part dune gomtrie partiellement axiomatise, et dautre part dun raisonnement hypothtico-dductif, lensemble relevant de la gomtrie G2 (la thorie correspondante tant une gomtrie euclidienne axiomatise de type G3). b) Utiliser comme technique la ralisation dun objet graphique ( figure ) et sappuyer sur une technologie constitue dun corpus de constructions gomtriques (issues plus ou moins directement de G2) associ la validation perceptive, lensemble relevant de la gomtrie G1 (la thorie correspondante tant la gomtrographie). Exemple 2 : montrer quun objet X satisfait une proprit P. a) On peut sappuyer exclusivement sur lnonc qui dfinit la configuration gomtrique (la figure ne servant que de support et ntant jamais voque) et utilisr des dfinitions et des thormes du cours pour dmontrer que lobjet x satisfait bien la condition P. b) On peut raliser une figure comportant lobjet X, ralis selon des constructions gomtriques, puis vrifier visuellement quil satisfait la proprit P. Ou bien plus raffin on peut effectuer une construction de lobjet Y satisfaisant la proprit P, puis constater visuellement la superposition de X et de Y8. (N.B. lobjet X nest pas de mme nature dans les deux cas : dans le premier cest un objet physique et dans le second cest un objet thorique.) Exemple 3 : reproduire un dessin une chelle donne. a) si le dessin reproduire est associ un texte qui le dfinit gomtriquement, la tche consiste dabord laborer une procdure de construction partir de ce texte, puis la transformer pour la rendre conforme la consigne (multiplication des distances par le coefficient adquat, les angles tant conservs). b) si le dessin nest pas associ un nonc qui le dfinit, la tche consiste cette fois identifier une procdure de construction possible, le reste sans changement par rapport au a). La diffrence fondamentale entre les deux tches rside dans la dtermination de la procdure de construction qui sera mise en oeuvre : dans le premier cas elle est donne, soit explicitement (algorithme), soit implicitement (nonc descriptif) ; dans le second cas, il faut labstraire du dessin, avec une possibilit non ngligeable d erreur , cest--dire dinterprtation non conforme lide du concepteur du dessin initial. Ce qui est gnant, cest que ce type de tche a t donn plusieurs fois, dans la version b) ci-dessus, lors des concours de recrutement des professeurs des coles franais. La dmarche, depuis la conception de lexercice jusqu sa correction, peut tre schmatise comme suit.

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Nous rencontrerons cette procdure plus loin, dans le 5.

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CONCEPTEUR DU SUJET Dessin D1

Figure F1

G2

G1 DessinD1 Figure F2 CANDIDAT

Figure F2 Dessin D2

G2

G1 CORRECTEUR Dessin D2 Figure F2 G2

1 Le concepteur du sujet imagine une figure F1, quil reprsente, en utilisant un algorithme de construction A1, par un dessin D1 qui est reproduit dans lnonc. 2 Le candidat observe ce dessin et en conclut, sur cette seule base perceptive, quil reprsente une figure F2. Puis il associe F2 un algorithme de construction A2. Il applique ensuite F2 la transformation (changement dchelle) et reprsente F2 sous la forme dun dessin D2, en laccompagnant du mme algorithme A2 ( lexception de la transformation des longueurs). 3 Le correcteur de lpreuve juge la production du candidat en se fondant sur le dessin D2 et sur lalgorithme A2. La question est de savoir sur quoi porte cette correction. Ce peut tre sur la seule mise en uvre correcte de la transformation (conservation des angles et multiplication des longueurs par une constante). Mais ce peut aussi tre sur la conformit de lalgorithme A2 avec lalgorithme A1 fourni par le concepteur et sur la mise en uvre de la transformation . La premire option correspond une tche bien dfinie dans G2 et la ralisation dun dessin (passage de G2 G1). Mais la seconde inclut en outre un dcodage du dessin D1, cest--dire une tche relative au passage de G1 vers G2. Dans cette option le candidat sera jug, non pas ce qui serait quitable sur ses comptences dans G2 et sa ralisation dun dessin gomtrique, mais galement sur sa lecture du dessin de lnonc ce qui ne lest pas : en effet, si cette lecture nest pas conforme celle qui est attendue, le candidat sera pnalis. Exemple 3 : Classement des cts dun triangle selon leur longueur. Cette activit a t donne dans le cadre d'une exprimentation en classe de sixime9 (lves de 11 ans environ) : on donne chaque lve une feuille de papier sur laquelle sont dessins des triangles (voir Annexe 2), la consigne (orale) tant la suivante :

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En collaboration avec F. Colmez.

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Pour chaque triangle, ranger ses trois cts du moins long au plus long; pour tablir ce rangement, n'utiliser comme seul instrument que le compas. Les tracs raliss devront tre laisss sur la feuille, afin de permettre la justification de lordre obtenu. Dans un premier temps, la plupart des lves utilisent leur compas comme un outil reporter des longueurs. Cependant, en leur demandant de rechercher une conomie de moyens pour parvenir au rsultat, on les amne tracer le moins de cercles possible (en fait, deux ou trois ; voir ci-aprs). Ainsi, pour un triangle ABC, on peut commencer par tracer le cercle de centre A passant par B: si C est intrieur (resp. extrieur) ce cercle, on en dduit AC < AB (resp. AC > AB). En recommenant alors successivement avec le cercle de centre B passant par C et le cercle de centre C passant par A, on peut finalement ordonner les trois cts. Dans quelle(s) gomtrie(s) se situe donc cette activit ? Comme les objets sur lesquels on travaille "concrtement" sont des dessins tracs sur une feuille de papier, le problme est apparemment pos dans le cadre de la "gomtrie concrte" (G0). Mais les lves de ce niveau savent dj que les traits n'ont pas d'paisseur, etc. ; en consquence, ils se situent en principe d'emble dans la gomtrie spatio-graphique (G1). Pour accomplir la tche demande, ils vont avoir comparer des longueurs de segments, et plus particulirement avec la consigne modifie- utiliser un rsultat qu'ils connaissent, savoir "si un point est intrieur (resp. extrieur) un cercle, sa distance au centre est infrieure (resp. suprieure) au rayon". Cette "proprit", qui leur a vraisemblablement t introduite par lenseignant selon un procd d'ostension, fait en ralit partie dune gomtrie axiomatique (G3). Ainsi, Choquet dfinit respectivement le cercle, son intrieur et son extrieur comme ensembles des points du plan euclidien dont la distance un point donn est gale (resp. infrieure, resp. suprieure) un rel positif donn, et il en dduit que toute demi-droite ayant pour origine le centre rencontre le cercle (le point d'intersection tant unique) [Choquet 1964, pp. 127 sq.]. Soient alors G le cercle de centre O et de rayon r et M un point du plan (M O); la demidroite [OM) coupe G en un point unique A et, si M [OA], on a OM < OA, donc M est intrieur G; mme chose dans les autres cas, d'o l'quivalence: OM < OA M appartient un rayon du cercle. Pour un lve de Sixime, le fait que M est intrieur au cercle (au sens topologique) se constate sur le dessin, et permet d'en infrer l'ingalit des longueurs (grce la proprit cite plus haut), tandis que, dans la gomtrie de Choquet, cette ingalit est la dfinition mme de l'intrieur. Ce qui distingue les deux situations, c'est que dans le second cas la "proprit" en question prend place dans une thorie dductive, alors que dans le premier cas elle a sa source dans le spatio-graphique. En fait, comme le dit Choquet : "A cet ge [avant 14 ans] on ne prsente pas la gomtrie sous forme dductive, mais on donne cependant les dmonstrations de quelques thormes simples partir de prmisses acceptes par les lves cause de leur caractre intuitif ; ces prmisses constituent les axiomes des petits ilts dductifs ainsi constitus." (op. cit. p. 164) Ceci correspond bien une "gomtrie proto-axiomatique" (G2), dans laquelle les objets et la dmarche de validation sont "localement" les mmes que dans une gomtrie axiomatique. Illustrons maintenant l'articulation G1-G2 l'aide de l'activit dcrite ci-dessus. Le type de stratgie le plus efficace (fig. 3) consiste en fait utiliser conjointement les deux gomtries.

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reprage visuel du ct le plus long

comparaison des deux autres cts

comparaison avec le premier ct

fig. 3 Par exemple : on commence par reprer l'il l'un des trois cts du triangle comme tant de longueur maximale (conjecture dans G1, s'appuyant sur la percpetion visuelle); puis on compare entre eux les deux autres cts : pour cela, on trace le cercle centr au sommet commun aux deux cts et passant par l'un des deux autres sommets (rgionnement du plan par un cercle, donc dans G2): on constate alors (nouveau recours la perception, et donc G1) la position du troisime sommet par rapport au cercle trac, et on conclut (retour au rgionnement et G2). Il ne reste plus qu' comparer, par la mme mthode, le plus long de ces deux cts avec le premier ct, et conclure (dans G2). Si la conjecture initiale tait correcte, il a donc suffi de tracer deux cercles pour ranger les trois cts, moyennant le jeu de cadres G1 G2 G1 G2 G1 G2. Plus gnralement, on peut dans le cas prsent distinguer un quadruple balancement entre G1 et G2, et plus prcisment: 1- au niveau de la tche: la tche propose parat a priori ressortir G1, mais les contraintes imposes la font en fait passer dans G2; 2- au niveau de la dmarche: les tracs raliss (G1) concrtisent des constructions gomtriques, en l'occurrence des cercles (G2); 3- au niveau de l'outil: la proprit utilise a t "tablie" en se rfrant G1 (c'est le "caractre intuitif" dont parle Choquet), mais elle est utilise comme "axiome" de G2 (de par les objets en jeu et les formulations utilises); 4- au niveau de la validation: la "lecture" des ingalits sur les longueurs est perceptive: on voit sur le dessin que tel point est intrieur tel cercle (G1), mais la formulation de la rponse fait usage du symbolisme li G2. Ainsi, si lon se place du point de vue de la validation, les rtroactions du milieu (perception instrumente ou non) sont valides dans G1, mais non dans G2. On peut donc dire que G1 est une gomtrie perceptivo-dductive, tandis que G2 est une gomtrie hypothtico-dductive. 3. La dialectique su / peru. Nous venons de voir que, au niveau de l'enseignement obligatoire, G1 et G2 se trouvent imbriques plusieurs niveaux, et la rsolution d'un problme les fait intervenir l'une et l'autre, alternativement, divers moments. Par exemple : G1 G2 : modlisation d'un problme "concret" G2 G1: ralisation d'un dessin dans un but heuristique G1 G2 : dmonstration d'une conjecture rsultant de l'observation G2 G1: "vrification", sur un dessin, d'une conclusion thorique Dans tous les cas se met en uvre une vritable dialectique du su et du peru ([Parzysz 1988], [Parzysz 1989], [Colmez & Parzysz 1993]). Jai initialement dvelopp les notions de su et de peru propos la reprsentation de lespace en gomtrie ([Parzysz

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1988, 1989]), et il nest peut-tre pas inutile dy revenir succinctement ici. Il sagit dun cadre interprtatif des productions graphiques (dessins) qui prend son origine dans les travaux de Gombrich ([Gombrich 1960, 1982]). En effet, pour Gombrich, lartiste de lEgypte antique ne peignait pas ce quil voyait, mais ce quil savait des paysages et des personnages, rels ou mythologiques, le but tant de les rendre reconnaissables. Cest pourquoi, en particulier, le visage et les jambes dun tre humain sont figurs de profil, tandis que le torse est reprsent de face. De faon gnrale, lorsquil sagit de reprsenter un objet tridimensionnel, et si lon veut quil soit facilement identifi, on le dessine selon un point de vue habituel (le vu ), cest--dire, le plus souvent, peu prs de face (mais pas compltement) et lgrement de dessus. Mais ceci ne permet pas de conserver la totalit des proprits spatiales de lobjet (le su ), car certaines parties sont caches et dautres dformes par la perspective. Il est donc ncessaire de ngocier ce qui se fait le plus souvent de faon non rflchie la coexistence du vu et du su, afin darriver une reprsentation synthtique de lobjet. Prenons comme premier exemple la fig. 4, qui reproduit une peinture gyptienne (14e sicle av. J.C.) reprsentant un bassin carr rempli deau et entour darbres.

fig. 4 Le bassin est reprsent vu de dessus (ce qui permet den conserver sur le dessin la forme rectangulaire), leau quil contient est symbolise de faon classique par des ondulations parallles et les arbres, perpendiculaires au sol dans la ralit, sont reprsents perpendiculaires aux bords du dessin du bassin ; on est donc bien ici dans un mode de reprsentation qui privilgie le su par rapport au percu, puisque certains des objets sont figurs sous un angle de vue inhabituel (bassin vu de dessus, arbres reprsents couchs ou la tte en bas). Cette coexistence du su et du peru dans une mme reprsentation nest pas toujours pacifique et peut donner lieu des conflits, comme par exemple sur le lit de la fig. 5, dessin ralis partir dune partie de la miniature de la mort de Mose figurant dans la Bible de Naples (14e sicle). Ce lit est reprsent en perspective, avec des fuyantes (le vu) ; les bandes parallles qui ornent la couverture sont reprsentes parallles (le su). Le conflit apparat en bas du dessin droite, o la dernire bande dcorative est oblique par rapport au pied du lit, au lieu de lui tre parallle comme on sy attendrait.

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fig. 5 Il en va de mme dans les productions des lves. Ainsi, lorsque nous avons demand des lves de diffrents ges de dessiner une pyramide de faon quun de leur camarade puisse reconnatre lobjet reprsent [Colmez & Parzysz 1993], le dessin le plus frquemment obtenu a t, en classe de CM2 (10 ans) celui de la fig. 6, en classe de 5e (12-13 ans) celui de la fig. 7 et en classe de 2e (15-16 ans) celui de la fig. 8.

fig. 6

fig. 7

fig. 8

En CM2, le su est trs prsent, sous la forme du carr de base, de la symtrie globale du dessin et des deux triangles isocles ; en 5e, le vu prend davantage dimportance car la base est vue en perspective, mais la face avant reste isocle ; enfin, en 2e, le dessin est structur autour de la hauteur et se rapproche encore davantage de la vision photographique10. On peut cependant penser que cette difficult nexiste pas dans le cas des objets plans, car on peut en principe les reprsenter tels quils sont (en dautres termes, le su concide avec le vu). Mais elle apparat sous une autre forme, cause du rle ambigu jou par la figure de gomtrie. Rappelons la distinction dsormais classique entre la figure (qui est un objet gomtrique thorique dfini par un nonc) et le dessin (qui est une reprsentation matrielle de cet objet thorique sur un support plan : feuille de papier, cran dordinateur) [Parzysz 1989]. Dans une gomtrie axiomatique il existe deux faons de prendre en charge le peru dans la validation: - ou bien on le rcuse totalement, et on dveloppe alors une gomtrie purement axiomatique (mme si certains axiomes trouvent leur origine dans la perception du monde physique) ; - ou bien, l'instar de Clairaut [Clairaut 1741], on dcide de ne pas "encombrer inutilement" la thorie en dmontrant des proprits perceptivement videntes. Mais alors, tt ou tard, le problme de cette vidence se posera, propos d'une figure o la prtendue vidence n'apparat pas, d'un dessin conduisant une hypothse implicite errone ou d'une dmonstration dans laquelle l'vidence de l'lve n'est pas accepte par le matre. Cest--dire que lon verra apparatre, au sein dune argumentation, un nouveau conflit entre le su (les proprits gomtriques donnes dans lnonc ou dmontres) et le peru (les proprits10

Mme si la perspective est parallle et non pas centrale.

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induites de lobservation du dessin) ; cest ce que nous appelons la contamination du su par le peru (CSP), et qui apparat notamment lorsque llve inclut dans sa dmonstration (en principe dans G2) une proprit, vraie ou fausse, qui a t observe sur son dessin mais na pas t donne dans lnonc, ni dmontre auparavant. Par nature, cette CSP chez des lves en situation de rsolution de problme est lie une apprhension discursive11 du dessin. Ainsi, dans une tude rcente effectue avec des lves en fin de lyce [Dvora & Dreyfus 2004], T. Dvora et T. Dreyfus se posent la question des motivations qui les guident lorsquils ont recours une (des) affirmation(s) non justifie(s) dans une dmonstration gomtrique. Ils concluent que ces affirmations non justifies sont faites : - dans la grande majorit des cas, sans que les lves en soient conscients ; - lorsquils croient quelles sont correctes ; - dans le but de parvenir un pas critique de la dmonstration ; - dans le but de faciliter la ralisation de la tche, dcarter un obstacle et de mener immdiatement au but. On voit donc que cette lecture abusive du dessin qui est la base de la CSP nest pas seulement lie la perception, mais quelle est partie prenante dans la dmarche de preuve. 4. Larticulation G2-G3. La question des rapports de la gomtrie proto-axiomatique G2 avec la gomtrie axiomatique G3 se pose galement : la premire n'est-elle qu'un sous-produit, une version allge de la seconde, dans laquelle des blocs (sous-champs conceptuels de Vergnaud) ont t occults ? Ou ne se situe-t-elle pas plutt dans une problmatique diffrente, celle d'une gomtrie en construction ? Plus prcisment: bien qu'on sache qu'il existe quelque part une (des) gomtrie(s) axiomatique(s) qui pourra (pourront) ventuellement servir en quelque sorte de "caution scientifique" , il s'agit ici de faire accder les lves aux connaissances gomtriques en leur faisant prendre en charge une double dmarche: 1 une dmarche de modlisation de l'espace physique, s'effectuant en deux temps : d'abord du concret (G0) au spatio-graphique (G1), puis du spatio-graphique (G1) au protoaxiomatique(G2) ; 2 une dmarche de type hypothtico-dductif, l'occasion de la rsolution de problmes spatiaux qui auront pralablement t mathmatiss. Sous peine de compromettre cette entreprise, la gestion des parties non dductives de la dmarche doit alors tre aussi transparente que possible, les arguments d'ordre perceptif ( on voit que... ) cdant ventuellement le pas, en fonction du questionnement des lves, une attitude moins hypocrite et plus modeste (du type : on voit, et on peut effectivement dmontrer que.... Quant nous, nous admettrons ce rsultat ). Ceci revient, en quelque sorte, considrer l'assertion qui suit la formule nous admettrons... comme un axiome local (ou, comme on le voit parfois dans les manuels, une proprit admise ). La diffrence entre une gomtrie proto-axiomatique (G2) et une gomtrie euclidienne compltement axiomatise (G3), de type Choquet, apparat donc d'ordre quantitatif et non qualitatif ; la distinction ne se situe en effet, ni au niveau des objets en jeu, ni celui de la Lapprhension discursive dune figure correspond une explicitation des autres proprits dune figure que celles indiques par la lgende ou par les hypothses. () La fonction pistmologique de lapprhension discursive est la dmonstration. . ([Duval 1996] p. 126). La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation, Bernard Parzysz11

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dmarche de preuve, mais celui de la place faite l'axiomatique sous-jacente: il serait en effet thoriquement possible de dmontrer ce que l'on admet, mais en ajoutant des axiomes ad hoc: le problme ne serait que dplac, et non supprim. Bien entendu, il s'agit l, pour les lves, d'une entreprise sur le long terme, qui pourra en particulier prendre appui maintes reprises sur des situations trompeuses du spatiographique, destines contrecarrer ce qu'il est convenu d'appeler l'vidence du dessin , c'est--dire la prgnance du peru sur le su. La prise en compte du rle ambigu, et pourtant essentiel, du peru (tantt la source de la dmarche de modlisation ou des conjectures, et tantt obstacle la dmarche dductive) est ici fondamentale. Il s'agit d'une question certes dlicate, mais qui apparat cruciale si l'on veut permettre aux lves l'accs, non seulement aux concepts, mais aussi la dmarche de la gomtrie thorique. Notons au passage quen environnement papier-crayon les symboles conventionnels de codage du su (galits de longueurs ou dangles, perpendicularit) sont destins visualiser des proprits gomtriques, cest--dire intgrer davantage de su dans le peru, de faon faciliter la mise en uvre de cette dialectique. Certes, un expert en gomtrie lmentaire saura tout moment en principe dans quelle gomtrie (G1 ou G2) il se trouve; pour lui, le peru guide (conjecture) et contrle (vrification) le su, mais ne le commande pas. Mais ce n'est en tout cas pas le cas pour un dbutant (tel l'lve du dbut du collge), et un objectif majeur de l'enseignement de la gomtrie ce niveau est justement d'engager l'lve dans cette dmarche d' expertise , en l'amenant matriser ce balancement dialectique qui est, non seulement invitable, mais en ralit constitutif de l'laboration dynamique d'un domaine mathmatique compris, ce niveau, comme une modlisation de l'espace physique. 5. Le cas des futurs professeurs des coles. En France, le public des futurs professeurs des coles en formation initiale (PE1) est particulirement intressant du point de vue de larticulation G1-G2, car ils sont amens travailler, dune part dans G2 lors de la prparation du concours de recrutement12, et dautre part dans G1 lors des stages en tablissement scolaire. En outre, comme nous lavons vu plus haut, G2 est amen servir de contrle aux activits des lves, qui se situent dans G1. Il est donc important, pour leur formation, quils sachent diffrencier les deux paradigmes sans ambigut. Cest afin dtudier le rapport aux savoirs gomtriques des PE1 que nous avons ralis, de 2000 2004, une recherche comprenant notamment un questionnaire et des sances de formation, faisant partie de la prparation normale au concours. Les principaux objectifs de cette recherche taient (1) dtablir un inventaire et une classification des types dargumentation utiliss en gomtrie par les PE1, (2) de mettre lpreuve le cadre thorique dcrit plus haut et (3) dlaborer et de tester des ingnieries didactiques (en environnements papier-crayon et informatique) destines faire prendre conscience aux PE1 de la distinction G1 / G2 et les amener un comportement plus expert en gomtrie. Je me contenterai ici dvoquer certains points significatifs de cette recherche. 5.1. Le questionnaire.

Les PE1 ont tous sauf exception, comme les mres de trois enfants une licence (dune spcialit quelconque). Lpreuve de mathmatiques du concours comporte une partie mathmatique constitue dexercices de niveau collge, et une partie didactique . La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation, Bernard Parzysz

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Le questionnaire a t pass auprs de 878 PE1. Je me contenterai ici dvoquer trois des items quil comportait, et qui concernent la construction de la mdiatrice de deux points : les items 3, 5 et 8 (voir Annexe 3). Dans les trois cas, la tche prescrite tait la construction de la mdiatrice du segment [MN]. Dans litem 5, le segment tait situ au milieu du cadre rserv la rponse, tandis que dans litem 3 il tait voisin du bord infrieur de ce cadre. Enfin, dans litem 8, deux triangles isocles de base [MN] (non trace) taient dessins. Sur la construction demande, nos objectifs taient les suivants : - pour litem 5, identifier les procdures disponibles chez les PE1 (en particulier celles utilisant le compas seul et celles utilisant lquerre et la rgle gradue) ; - pour litem 3, voir si la contrainte impose conduisait des procdures diffrentes de celles de litem 5 ; - pour litem 8, voir si les PE1 allaient ou non reprer que la mdiatrice tait dj donne par les points U et E13. Comme nous nous y attendions, la procdure la plus utilise dans litem 5 (78 %) est lutilisation de deux intersections darcs de cercle de mme rayon, centrs en M et en N et situs de part et dautre de la droite (MN] (fig. 9). Nous avons en outre distingu une sousprocdure trs frquente (3 fois sur 4) consistant prendre comme rayon des 4 cercles tracs la longueur MN.

fig. 9

fig. 10

fig. 11

Dans litem 3, et mme si elle persiste malgr tout (14 %), cette procdure est majoritairement adapte (51 %) en conservant lintersection suprieure associe, soit (3 fois sur 4) un angle droit (fig. 10), soit (1 fois sur 4) au milieu de [MN] (fig. 11), la procdure milieu + querre atteignant ici 28 % (au lieu de 11 % pour litem 5). Enfin, dans litem 8, un PE1 sur deux (49 %) trace directement la droite (UE) et 18 % utilisent lun de ces deux points dans leur construction, en lassociant un autre lment (intersection darcs, milieu ou perpendiculaire). De plus, le recours lanalyse implicative [Gras 1996] nous a amens conclure lexistence dun degr dexpertise plus ou moins lev chez les PE1. Nous avons en effet pu constater que ceux qui, en position standard, utilisaient un rayon gal MN, avaient davantage de difficult changer de procdure en cas de contrainte impose. Nous lexpliquons par le fait que cette procdure est fige et ne prsente aucun degr de libert, et quelle est en fait un simple savoir-faire, non reli un savoir gomtrique. Enfin, pour litem 5 (trac de la mdiatrice sans contrainte), les rponses obtenues la question : Prcisez quelles proprits de la mdiatrice vous utilisez sont synthtises dans le tableau suivant, o ont t distingues 3 procdures (en colonnes) :13

On trouvera une tude dtaille des rsultats obtenus pour ces trois items dans [Parzysz & Jore 2002].

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r MN Equidistance Milieu et angle droit Autre Sans commentaire 35% * 33% 14% 18%

r = MN 16% 39% 15% 30%

Milieu et angle droit 0% 71% 4% 25%

* Les pourcentages indiqus sont des pourcentages de chaque colonne.

Pour les PE1 qui utilisent deux intersections darcs de cercle, on remarque, et ceci pour les deux sous-procdures, le taux important (plus dun sur 3) de ceux qui justifient leur construction par le fait que la mdiatrice est la droite perpendiculaire au segment passant par son milieu (ce qui est la dfinition quils ont apprise lorsquils taient eux-mmes lves). Ce commentaire met en vidence le fait que beaucoup ne font pas le lien entre cette proprit relevant de G2 et la technique de trac quils mettent en oeuvre dans G1, celle-ci tant pour eux vide de sens. Ce qui a pour consquence le fait quils ne sont pas mme de pouvoir contrler lun par lautre, ni dadapter leur procdure. 5.2. La sance exprimentale. Il sagissait de proposer aux PE1, en dbut de formation, une situation ambigu , en ce sens quil ntait pas prcis si la tche de rfrence relevait de G1 ou de G2. Dautre part, il ne sagissait pas de rsoudre un problme de gomtrie, mais dindiquer les moyens possibles pour rpondre la question de gomtrie pose. En loccurrence, les tudiants taient rpartis en groupes de 4, les tudiants dun mme groupe tant munis chacun dune version numriquement diffrente dun mme problme [Parzysz 2001]. Voici le schma gnral de lnonc propos : Tracer une droite d. On appelle O un point de cette droite. Tracer le cercle C1 de centre O et de rayon R1. Ce cercle coupe la droite d en deux points A et B. Tracer le cercle C2 de centre O et de rayon R2. Tracer le cercle C3 de centre A et de rayon R3. Ce cercle coupe le cercle C2 en deux points C et D. Quel(s) moyen(s) pouvez-vous mettre en uvre pour savoir si la droite (CD) est, ou non, la mdiatrice du segment [AB] ? Dans chacune des 4 versions, des valeurs numriques diffrentes taient donnes aux rayons R1, R2 et R3 ; ces valeurs taient choisies de faon que, dans deux des versions on avait (R1)2 + (R2)2 = (R3)2, et dans les deux autres (R1)2 + (R2)2 tait voisin de (R3)2, mais cependant diffrent (fig. 12). Notre ide tait que, dans chaque groupe, deux tudiants travaillent sur une version dans laquelle (CD) tait mdiatrice de [AB] et les deux autres sur une version dans laquelle (CD) ntait pas mdiatrice de [AB], mais la diffrence tant imperceptible. Autrement dit, pour deux des tudiants de chaque groupe la rponse la question (CD) estelle la mdiatrice de [AB] tait oui dans G1 et dans G2, et pour les deux autres elle tait oui dans G1 et non dans G2. Chaque groupe avait pour consigne de raliser une affiche unique prsentant sa (ou ses) rponse(s), et aprs affichage tait mise en place une discussion collective des productions.

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fig. 12 Comme nous nous y attendions, la plupart des groupes ne se sont pas contents dvoquer des moyens de savoir si oui ou non (CD) tait mdiatrice de [AB], mais ont dvelopp des argumentations. Nous en avons trouv de trois types : a) argumentation relevant de G2 ; cest par exemple le cas de laffiche suivante : La mdiatrice du segment [AB] le coupe perpendiculairement en son milieu O. Si AOC est triangle rectangle en O, alors la droite (CD) est la mdiatrice de [AB]. On applique la rciproque du thorme de Pythagore : Si AC2 = CO2 + OA2, alors AOC est triangle rectangle en O. Mme chose avec le triangle AOD. Si AOC et AOD sont triangles rectangle en O, alors C, O, D sont aligns et (CD) est la mdiatrice de [AB]. On voit que cette justification se prsente comme une dmonstration classique de gomtrie du collge, mme si elle est incomplte [le cas o la relation de Pythagore nest pas vrifie nest pas trait]. b) argumentation relevant de G1, comme dans lexemple suivant : Dfinition de la mdiatrice: Cest une droite qui coupe un segment en son milieu perpendiculairement. Donc tout point situ sur la mdiatrice dun segment [AB] est situ gale distance de A et de B. Moyens: * pour vrifier que (CD) passe par le milieu de [AB]: - O milieu de [AB]. (CD) passe-t-elle par O? - avec compas ou rgle gradue: est-ce que CA = CB? ou DA = DB? * pour vrifier que (CD) [AB]: - avec querre * pour vrifier que (CD) est la mdiatrice de [AB]:

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- construire la mdiatrice de [AB], si elle est confondue avec (CD) alors (CD) est la mdiatrice de [AB]. - construction du losange ACBD. B = B? Le dbut de cette affiche relve manifestement de G2. Par contre, les moyens envisags, mme sils utilisent la terminologie et les notations deG2, reposent tous sur des mesures ou des constructions aux instruments : elles se situent donc sans ambigut dans G1. On peut au passage noter la technique de superposition que jai voque plus haut, technique qui consiste ici construire la mdiatrice de [AB] et voir si elle se concide visuellement avec (CD). c) argumentations paraissant relever de G2 mais reclant une CSP, comme celle-ci : C1 est le cercle de centre O: tous les points du cercle sont situs gale distance du point O. Donc: * OA = OB * O milieu de [AB] Comme A et B (d), les points A, O, B sont aligns. - C et D sont sur les cercles C2 et C3 respectivement de centre O et A. Donc: * OC = OD, O milieu de [CD] * AC = AD. - le triangle ACD est isocle en A car AC = AD. La demi-droite [Ad) issue de A coupe [CD] en O. Comme O est milieu de [CD], [AO] est la hauteur et la mdiatrice de [CD]. - On en dduit que [AB] et [CD] sont perpendiculaires en O. Donc [CD] mdiatrice de [AB]. Ce texte se prsente comme une authentique dmonstration de gomtrie et manifeste une certaine expertise de G2, par lutilisation correcte du vocabulaire et du symbolisme ; largumentation est clairement expose et les affirmations sont justifies sauf O milieu de [CD] , qui sappuie sur la seule galit OC = OD et admet implicitement lalignement des points C, O, D : les 4 tudiants du groupe se sont fait piger par lobservation de la figure , qui leur a fait croire cet alignement. Sur lensemble de lexprimentation nous avons obtenu au total 31 affiches : 10 se situent dans G2, 8 dans G1, et 13 font coexister des moyens relevant de G1 et de G2, le plus souvent de faon non consciente, la distinction nette entre G1 et G2 ntant le fait que de 3 groupes. Ce type de sance a galement t ralis dans un environnement de gomtrie dynamique (Cabri gomtre), avec un nonc et des modalits diffrents : Soient A et B deux points du plan et O le milieu du segment [AB]. Soient M un point du plan et M le symtrique de M par rapport au point O. Tracer le cercle de centre A passant par M et le cercle de centre B passant par M. On appelle I un point dintersection de ces deux cercles. Que se passe-t-il pour le point I lorsque le point M se dplace dans le plan ?

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fig. 13 Je me bornerai ici signaler les diffrences et les similitudes constates entre les deux environnements (pour plus de dtails, on pourra consulter [Parzysz 2003]). Les diffrences portent sur les effets induits par les environnements papier-crayon et Cabri, notamment le fait que, lors la rsolution du problme, Cabri facilite considrablement laccs la conjecture, essentiellement grce son aspect dynamique. Certaines des similitudes observes sont sans doute lies au manque de familiarit des tudiants avec loutil Cabri (comme par exemple le fait de raliser successivement plusieurs constructions sur un mme Cabri-dessin plutt que dutiliser laspect dynamique du logiciel), mais dautres semblent tre de nature perceptive, comme le principe de superposition dont jai parl ci-dessus, consistant comparer le dessin de lobjet conjectur avec celui de lobjet exprimental. De mme, en ce qui concerne les dmarches de validation, lvidence visuelle de la figure , qui srige en obstacle la mise en uvre correcte dune dmonstration, est comparable dans les deux environnements ; jirai mme jusqu dire quelle est plus importante en environnement Cabri, du fait de la qualit du logiciel, et plus prcisment de la grande prcision des dessins raliss. Si nous considrons maintenant lensemble des rsultats obtenus grce au questionnaire et grce aux diverses sances centres sur la mdiatrice, nous pouvons affirmer que, dans leur grande majorit, les PE1 disposent dun bagage relativement important de connaissances de G2, tout fait suffisant pour enseigner la gomtrie lcole lmentaire : dfinitions thormes, vocabulaire, symbolisme14. Ils connaissent galement les principales constructions classiques : mdiatrice, losange. Malgr tout, il apparat que la plupart dentre eux ne possdent pas un degr dexpertise gomtrique suffisant pour leur faire distinguer que la preuve perceptive et la dmonstration ne se situent pas sur le mme plan et que les figures quils ralisent ne sont que des reprsentations matrielles dobjets thoriques de la gomtrie de la fin du collge. 5.3. Le discours mta. Dans le but de rechercher des moyens damliorer cette situation quelque peu proccupante, nous avons dcid dtudier les changes verbaux lors de certaines des sances exprimentales menes sur la mdiatrice, et plus particulirement de nous focaliser sur le discours mta qui intervient lors des diverses prises de parole, quil provienne de lenseignant ou des tudiants. A la suite de divers chercheurs (notamment [Schoenfeld 1985], [Robert & Robinet 1993]), nous distinguons en effet deux types de discours : un discours gomtrique et un discours mta . Plus prcisment, en ce qui nous occupe ici, le qualificatif "mta" sera rserv un discours sur la gomtrie enseigne (objets en jeu,14

Je prcise que, pour devenir PE1, il faut passer un test de franais et de mathmatiques.

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validations), le niveau gomtrique consistant en discours de gomtrie. Notre tude nous a amens subdiviser le discours mta en deux niveaux : - le premier (mta contextualis, ou mta 1) tant un discours spcifique au problme gomtrique support (par exemple : Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne montre pas que CD passe par O ) ; - le second (mta dcontextualis, ou mta 2) tant un discours gnral portant sur la gomtrie ou mme, plus gnralement, sur les mathmatiques enseignes (par exemple : En mathmatiques, on nous demande toujours de dmontrer )15. Nous avons alors t conduits distinguer trois types de discours plus ou moins superposs : gomtrique / mta 1 / mta 2. Dans ce cadre, la connaissance vise chez les PE1 (cest--dire lexistence de deux paradigmes gomtriques) se situe au mta 2. Le court extrait de dialogue ci-dessous permet de voir, sur un exemple, comment lintervention du professeur peut orienter le dbat du mta 1 vers le mta 2 [E1, E2 et E3 sont des tudiantes, P est le professeur. Le problme est celui du 5.2. et le point C est le symtrique du point C par rapport au point O] : E1 : Sur le dessin initial la diffrence de trac entre CC' et CD tait Ca allait de mme pas un millimtre. () Mais en agrandissant l'cart s'est considrablement agrandi, donc l a vient pas de l'imprcision des tracs, a vient bien de la construction qui fait que CC' et CD ne sont pas confondus. P : Et malgr a, ta camarade ne reoit toujours pas ton argument. () E2 : On le voit sur la figure, mais P : Et voir sur la figure, a ne te suffit pas ? E3 : a suffit. Mais en fait, en mathmatiques on nous demande toujours de dmontrer, hein ? () Est-ce qu'on a le droit de se baser sur le dessin, ce moment-l ? On voit ici ltudiante16 E1 faire des considrations situes dans G1, en utilisant une technique propre ce paradigme (lagrandissement) ; elle se situe donc au niveau mta 1. Puis ltudiante E2 entame une phrase qui se situe au mme niveau, et qui sans doute confrontera G1 et G2. Le professeur, qui sen rend immdiatement compte, saisit loccasion qui lui est ainsi offerte de dcontextualiser lenjeu, qui est celui de linsuffisance du peru par rapport au su (dans G2), cest--dire de passer au niveau mta 2. Enfin, une troisime tudiante, E3, poursuit sur cette lance en posant la question du contrat didactique, donc en se plaant galement dans le mta 2. De faon plus gnrale, notre exprimentation a montr quune situation, dont la consigne se situe dans le mta 1 et qui est conue de faon ce que la perception risque de provoquer des CSP, peut effectivement permettre de dvelopper chez les PE1 un dbat au niveau du mta 1. Mais il nest pas pour autant assur ce qui est lobjectif vis que le dbat engag finira par accder au niveau mta 2, mme si cest le cas dans lexemple prcdent. Nous avons galement pu observer que, mme si le rle de lenseignant apparat important pour faire voluer le dbat vers le mta 2 grce des coups de pouce judicieuxOn pourrait galement distinguer un troisime niveau (mta 0), consistant en un discours de type "rcit de la dmarche gomtrique" (par exemple : "On a dit que C' tait diffrent de D") ; mais nous l'assimilons au niveau gomtrique. 16 Les PE1 hommes sont trs minoritaires. La gomtrie dans lenseignement secondaire et en formation, Bernard Parzysz15

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(comme sur lexemple ci-dessus), il arrive que ce soient les tudiants eux-mmes qui amnent le dbat au niveau mta 2. Enfin, il nest pas vident que le discours se maintienne ce niveau, et il semble quon assiste plutt une succession de transitions entre les trois niveaux Bien sr, il ne sagit ici que de constatations ponctuelles qui ncessiteraient dtre tudies sur une priode plus longue, et dont on il faudrait valuer les effets court et moyen terme. En effet, dans ce domaine "la perspective est celle du temps long : les interventions ne se conoivent que sur une certaine dure, ne serait-ce que pour tablir les changements d'habitude qu'elles impliquent pour les lves" [Robert & Robinet 1993 p. 32]. 6. Conclusions et perspectives. Lun des objectifs de lenseignement de la gomtrie dans lenseignement primaire et secondaire est damener les lves prendre progressivement conscience de lintrt de disposer, parmi les outils intellectuels leur disposition, dune gomtrie thorique, obtenue comme modlisation de lespace physique, qui permette de rpondre sans ambigut aux questions quon peut se poser dans le domaine spatial y compris dans la vie quotidienne de par le fait quelle nest pas soumise aux alas et aux contingences lies la perception. La distinction de plusieurs paradigmes gomtriques, qui se diffrencient par la nature de leurs objets, leurs types de validations et leur niveau de formalisme, parat susceptible dclairer cette question. En particulier, les statuts et le rles de la figure , cest--dire du dessin ralis sur la feuille de papier ou sur lcran de lordinateur, gagneraient sans doute tre clairement pris en compte dans lenseignement et dans la formation des enseignants de mathmatiques, avec comme objectif damener les futurs professeurs un degr d expertise leur permettant de reconnatre, dans leur discours et leurs productions comme dans ceux de leurs lves, le(s) paradigme(s) mis en jeu. Il reste pour cela imaginer, mettre en uvre et valuer des dispositifs de formation susceptibles de favoriser cette prise en de conscience. Les situations gomtriques ambigus , cest--dire dans lesquelles la tche demande ne relve pas clairement dun paradigme donn ou dans lesquelles la figure peut se rvler trompeuse, semblent comme nous lavons vu une piste intressante exploiter. Il en va de mme de la gestion des dbats suscits par la discussion conscutive la rsolution de telles situations, o le rle de lenseignant pour faire voluer dbat semble important. Bibliographie Choquet, G. (1964) : Lenseignement de la gomtrie. Ed. Hermann, Paris. Colmez, F. & Parzysz, B. (1993) : Le vu et le su dans l'volution de dessins de pyramides, du CE2 la Seconde, in Espaces graphiques et graphismes d'espaces. Contribution de psychologues et de didacticiens l'tude de la construction des savoirs spatiaux (sous la direction d'A. Bessot et P. Vrillon), pp. 35-55. Ed. La Pense Sauvage, Grenoble. Drer, A. (1525): Instruction sur la manire de mesurer. Traduit de lallemand et prsent par J. Bardy et M. Van Peene. Ed. Flammarion, Paris 1995. Duval, R. (1996) : Smiosis et nosis. Ed. Peter Lang, Berne. Dvora, T. & Dreyfus, T. (2004) : Unjustified assumptions based on diagrams in geometry, in Hoynes, M.J., Fuglestad, A.D. (eds) Proceedings of the 28th PME International Conference, 2, pp. 311-318. Gombrich, E.H. (1960) : Art and Illusion. Ed. Phaidon, London.

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Extraits de "L'enseignement de la gomtrie", de G. Choquet (Ed. Hermann 1964) Axiome 0: Le plan contient au moins deux droites, et toute droite contient au moins deux points. Axiome 1a: Pour tout couple (x, y) de points distincts de , il existe une droite et une seule contenant x et y. Axiome 1b: Pour toute droite D, et pour tout point x, il passe par x une parallle et une seule D. Axiome 2a: A toute droite D sont associes deux structures d'ordre total, opposes l'une de l'autre. Axiome 2b: Pour tout couple (A, B) de droites parallles, et pour tous points a, b, a', b' tels que a, a' A et b, b' B, toute parallle ces droites qui rencontre [a, b] rencontre aussi [a', b']. Proposition 7.1: Supposons que le nombre cardinal des droites soit >2. Pour toute droite D, il existe une partition unique de ( - D) en deux ensembles convexes 1 et 2. Aucun de ces ensembles n'est vide et, pour tous x1 1, x2 2, l'intervalle [x1, x2] rencontre D. Annexe 2. Une activit en classe de sixime. Pour chaque triangle, rangez ses trois cts du moins long au plus long.

Annexe 3. Trois items du questionnaire PE1

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