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PARRAINAGE CIVIQUE AU QUÉBEC : PRATIQUES D’INTÉGRATION SOCIALE À TRAVERS LE JUMELAGE

Rapport de recherche présenté :Au Regroupement québécois de parrainage civique

Rédaction:Madame Jocelyne Le Blanc, PhD (Première partie - Préparation de la recherche et cueillette des données) etMadame Maria Elisa Montejo, PhD (Deuxième partie - Analyse des résultats)

Montréal, 20 avril 2007

Pour se procurer un exemplaire de ce document, faites parvenir votre demande :par télécopieur : 514 289-1963par courriel : [email protected]

© Regroupement québécois du parrainage civiqueLa reproduction d’extraits est autorisée à des fi ns non commerciales avec mention de la source.Toute reproduction partielle doit être fi dèle au texte d’origine.Merci à Parrainage civique de l’Est de l’Île de Montréal pour avoir cédé les droits relatifs à la photo en couverture (Photographe : Franck Gay).

2349, rue Rouen, 4e étage, bureau 2.111Montréal (Québec) H2K 1L8Téléphone : 514 289-1161Sans frais : 1 877 727-7246Télécopieur : 514 289-1963Site Web : www.parrainmarraine.comCourriel : [email protected]

Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2007Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 2007

ISBN : 978-2-923658-01-8

Nous employons le genre maculin dans le seul objectif d’éviter une lecture fastidieuse.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 6

PREMIÈRE PARTIE PRÉPARATION DE LA RECHERCHE ET CUEILLETTE DES DONNÉES 7

CHAPITRE 1 – OBJECTIFS DE LA RECHERCHE, CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE 7

CHAPITRE 2 – LE CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE, CONCEPTS 9 2.1 a) Le principe de normalisation 9 b) La dimension de l’auto-détermination 15 2.2 La Valorisation des Rôles Sociaux 16 2.3 L’empowerment 20 2.4 Le processus de production culturelle du handicap 26

DEUXIÈME PARTIE L’ANALYSE ET LES RÉSULTATS 34

CHAPITRE 3 – LES ORGANISMES DU PARRAINAGE CIVIQUE 35 3.1 Les années d’expérience 35 3.2 Pignon sur rue : ville et région 35 3.3 Problématiques de la clientèle et activités off ertes 36 3.4 Les jumelages 36 3.5 Vers une appropriation des organismes par ses membres 37

CHAPITRE 4 – LE PARRAINAGE CIVIQUE À TRAVERS LES PERCEPTIONS DES PERSONNES FILLEULES 39 4.1 Les trajectoires du jumelage 40 4.2 Les impacts du parrainage sur les personnes fi lleules 41 4.2.1 Impacts sur le plan individuel 42 4.2.2 Impacts sur le plan social 42

CONCLUSIONS 44

IMPORTANCE DE L’INSERTION SOCIALE 44

RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES EN VUE DE POURSUIVRE LA RECHERCHE-ÉVALUATION 45

RÉFÉRENCES 46

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INTRODUCTION

Le parrainage civique comme forme de soutien et de socialisation des personnes ayant des incapacités physiques, psychologiques, intellectuelles ou autres est bien présent dans la province du Québec. Certains des organismes ont déjà atteint leurs trente années d’existence et d’autres ont commencé leur travail depuis peu de temps. Cependant, aucune étude sur l’évaluation des impacts du travail réalisé n’avait encore été entreprise.

Le rapport que nous présentons ici est le résultat de plusieurs années de travail. Il débute avec la présentation d’un projet de recherche intitulé Impacts sociaux du Parrainage civique au Québec, qui a été présenté en 2004 par le Regroupement québécois du parrainage civique (RQPC) et fi nancé par le Service à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS) en 2004.

L’objectif central de la recherche était à l’origine de mettre en lumière les bienfaits du parrainage civique, grâce aux activités de jumelage, aussi bien pour les personnes ayant une ou des incapacités que pour leur marraine/parrain. Les pratiques de jumelage sont organisées et encadrées par les organismes de parrainage civique à travers le Québec.

Ce rapport présente l’ensemble des étapes qui ont été nécessaires à la réalisation de la recherche ainsi que les résultats obtenus en ce qui à trait aux personnes fi lleules, c’est-à-dire les personnes souff rant d’une ou plusieurs incapacités, et les eff ets sur le plan individuel et sur le plan social de la relation de jumelage. Le volet concernant les marraines/parrains fera l’objet d’une autre recherche.

Le mandat de cette recherche a été confi é à madame Jocelyne Le Blanc, docteur en sociologie de l’Université de Montréal, sous la direction d’un Comité de pilotage de la recherche, formé des personnes membres du C.A. du RQPC et d’un intervenant d’un des groupes membres. Pour des raisons indépendantes de la volonté de l’une et l’autre parties, la recherche n’a pu être réalisée qu’en partie par cette chercheure et a donc été complétée par une autre chercheure, madame Maria Elisa Montejo, docteur en anthropologie, engagée pour eff ectuer l’analyse du matériel et procéder à la rédaction du rapport de recherche.

Outre cette introduction, le rapport comporte deux parties. Une première partie qui fait état de la préparation de l’enquête sur le terrain et de la réalisation ce celle-ci. Les objectifs de la recherche et la méthodologie seront présentés au chapitre 1. Le chapitre 2 est consacré à la revue de la littérature relative aux aspects théoriques du parrainage, il a été rédigé par madame Le Blanc.

Quant à la deuxième partie de ce rapport, elle porte sur les résultats de la recherche faite à partir des analyses du matériel cueilli sur le terrain. Ainsi, le troisième chapitre donnera un bref aperçu des organismes et des individus ayant participé à l’étude et évoquera quelques faits saillants du travail accompli par les organismes. Le chapitre 4 fait état des principaux constats établis suite à l’analyse des entrevues des personnes souff rant d’une défi cience et jumelées depuis plus d’un un an au moment de l’entrevue.

Enfi n, nous présentons sous forme d’une double conclusion des recommandations qui aideront, espérons-nous, à poursuivre et à améliorer le travail des organismes de parrainage civique.

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PREMIÈRE PARTIE : PRÉPARATION DE LA RECHERCHE ET CUEILLETTE DES DONNÉES

CHAPITRE OBJECTIFS DE LA RECHERCHE, CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE AUTEUR : JOCELYNE LE BLANC

L’objectif principal de cette recherche est de montrer que le mouvement du parrainage civique et les pratiques dans les organismes locaux de parrainage civique sont toujours pertinents et d’actualité en ce début du XXIe siècle. Puisqu’il s’agit d’une recherche qualitative, elle va puiser dans l’expérience et dans le vécu de la population cible. Ainsi, à travers le discours des personnes handicapées, il sera possible de montrer l’importance que prend pour elles le fait d’être soutenues par ces organismes, principalement grâce aux pratiques de jumelage.

Le parrainage civique se défi nit comme suit :

un programme de soutien par un citoyen ou une citoyenne bénévole à une personne marginalisée pour sa diff érence de capacités ou de santé, dans un contexte qui n’est ni professionnel, ni institutionnel et qui s’exprime d’abord et avant tout dans une relation de personne à personne. (Cadre de référence, 2002)

De plus, cette recherche veut montrer comment les personnes défi cientes qui sont jumelées à des parrains/marraines vont plus facilement s’intégrer dans la société. Dans un contexte de restrictions budgétaires de la part des gouvernements provincial et fédéral, qui s’accompagne d’une importante responsabilisation sociale, par les organismes communautaires à but non lucratif, des populations marginalisées, le mouvement du parrainage civique prend tout son sens.

L’intégration des personnes ayant une ou des incapacités passe par la reconnaissance de leur existence ainsi que par l’adaptation des environnements, aussi bien physiques que sociaux, de façon à leur assurer une pleine participation sociale en leur permettant d’être des citoyens à part entière. (Cadre conceptuel, 2007)

Quant à la méthodologie qui a été utilisée pour atteindre les objectifs proposés, elle est essentiellement qualitative. Cela signifi e que les données recueillies lors d’entretiens semi-dirigés ne sont pas statistiquement signifi catives. Par contre, la recherche qualitative a l’avantage d’interroger des individus qui partagent une ou plusieurs caractéristiques dans des milieux divers et de montrer une grande variété de situations tout en fournissant des éléments de réponse pertinents pour notre recherche.

Une fois circonscrite la revue de la littérature (voir chapitre 2), il a été possible de construire les grilles d’entrevue. L’une s’adressait aux coordonnatrices des organismes locaux de parrainage civique dans le but d’obtenir des renseignements sur ceux-ci avant de procéder à l’entrevue des personnes fi lleules. L’autre grille était destinée aux personnes fi lleules recrutées.

Le Regroupement québécois du parrainage civique compte une vingtaine d’organismes locaux membres. Dans le cadre de notre recherche, seulement certains organismes ont été retenus. Madame Le Blanc et la coordonnatrice du RQPC en 2004 ont procédé à la sélection des organismes selon les critères suivants :

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diversité quant à l’environnement (urbain, rural) et quant au type de clientèle (type d’incapacité, groupe d’âge). Onze organismes de parrainage civique ont fi nalement été choisis pour y mener l’enquête : six œuvrant dans des milieux grandement urbanisés et cinq dans des milieux plus ruraux. Les entrevues, d’une durée moyenne de deux heures, cherchaient à comprendre les pratiques et interventions communes et spécifi ques à chaque organisme afi n de recueillir des informations préliminaires aux entrevues sur les jumelages des personnes fi lleules interviewées. (Le Blanc, 2006)

La grille d’entrevue utilisée pour les personnes fi lleules touchait diff érents aspects du parrainage et de l’impact du soutien apporté par les organismes de parrainage civique à la personne ayant des incapacités. Les organismes devaient fournir une liste des personnes ayant des incapacités et bénéfi ciant d’un jumelage. Ainsi, une quarantaine de fi ches d’inscription ont été remplies par les responsables des organismes. La chercheure principale et la coordonnatrice du RQPC ont tiré au sort treize personnes ayant des incapacités pour les interviewer.

Toutes les personnes ayant été interviewées (gestionnaires et personnes fi lleules) ont signé un formulaire de consentement les assurant de l’anonymat de leurs propos.

Une quinzaine d’entrevues ont été réalisées auprès des personnes fi lleules dans les bureaux des organismes locaux de parrainage civique. Les entrevues ont eu lieu dans onze organismes disséminés à travers le Québec et la majorité d’entre elles ont été enregistrées. Ces entrevues qualitatives ont duré en moyenne une heure trente. C’est donc sur la base de ce matériel que l’analyse et les constats qui en découlent ont été faits.

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CHAPITRE LE CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE, CONCEPTSAUTEUR : JOCELYNE LE BLANC

Ce chapitre a été l’œuvre de madame Le Blanc. Ce document a été présenté aux membres du comité de pilotage de la recherche au mois d’avril 2005. Nous le reprenons ici au complet.

Le présent document se divise en quatre parties, chacune correspondant à un concept qui garnira notre boîte à outils intellectuelle et servira à la fabrication de notre cadre théorique. Ces concepts sont :

2.1 a) Le principe de normalisation – incluant b) la dimension de l’auto-détermination (Wolfensberger, Roos et Nirje, in Wolfensberger, 1972)

2.2 La Valorisation des Rôles Sociaux (VRS) (Wolfensberger, 1983)2.3 L’empowerment (Ninacs, 2002)2.4 Le processus de production culturelle du handicap (PPH) (Fougeyrollas, 1995)

D’autres concepts seront utilisés dans l’élaboration de notre cadre d’analyse, tels ceux de l’inconscient du savoir (Foucault, 1966, 1969; Le Blanc 2000, 2004), de biopouvoir (Foucault, 1975, 1976; Le Blanc, 2000, 2004), de vulnérabilité (Delor, 1997, 2000; Saillant et al. 2004) et de désaffi liation (Castel, 1994). Sans oublier bien sûr celui de parrainage civique / citizen advocacy (Wolfensberger).

. .A LE PRINCIPE DE NORMALISATION

Lorsque dans les années 1970, Wolfensberger fait paraître son ouvrage The Principle of Normalization in Human Sciences, la plupart des personnes « retardées mentalement » sont internées dans des institutions pour y être cordées dans d’immenses dortoirs et alitées jour et nuit, en attendant la mort. La seule activité que leur croient possible la plupart des gestionnaires et des intervenants, et qui frôle l’obsession de leur part, est l’entraînement à la propreté, c’est-à-dire à la continence. Les enfants confi nés à leur lit qui ne reçoivent aucune stimulation meurent dans une proportion alarmante de 50 % dès la première année de leur institutionnalisation. (Wolfensberger, 1972/1977, p. 124-125)

En 1969, Wolfensberger se rend en Scandinavie pour la première fois. Bien qu’il ait déjà pris connaissance dans les années précédentes du modèle scandinave par l’intermédiaire de diapositives, de conférences, de contacts et de collaborations avec les leaders du mouvement de l’activation et de la normalisation, cette visite a sur lui un impact digne d’une « conversion ». Sa surprise réside principalement dans le fait de constater que les personnes défi cientes profondes institutionnalisées déambulent par leurs propres moyens ou au moyen de marchettes, de chaises roulantes ou de tout autre appareil. « Acres of full beds replaced by acres of activation equipment ! », s’exclamera-t-il. (p. 126)

Lorsqu’il reviendra en Amérique, il fi xera un but aux personnes qui comme lui luttent pour une humanisation des services institutionnels : « virtually total ambolition of immobility, and to a large extent also nonambulation, of the profoundly retarded and multiply handicapped ». Car Wolfensberger suggère de miser sur le potentiel de ces enfants (0 à 6 ans), inaugurant un progrès inimaginable dans l’état des connaissances sur cette problématique à l’époque. (p. 127)

Il ne croit pas que le seul investissement d’argent de la part de l’État apportera un changement souhaitable. « Thus, more than money, we shall need an ideology, an attitude, a conviction, a determination. » Il est persuadé qu’il faut d’abord s’orienter vers un changement des mentalités à l’égard de la défi cience intellectuelle pour que les investissements budgétaires nécessaires deviennent rentables dans l’application de programmes effi caces, ainsi imprégnés d’une « vision ». Cette vision sous-tendue par le principe de justice accorde à tous non pas le

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privilège mais le droit à un développement total de leur potentiel. Son combat sera donc idéologique. Cette idéologie portera l’étendard de la normalisation1. (p. 128, 135)

LE PRINCIPE DE NORMALISATION

LE PREMIER À CONCEVOIR LA NORMALISATION, BANK-MIKKELSEN (1959), À L’ÉPOQUE DIRECTEUR DU DANISH MENTAL RETARDATION SERVICE, LA DÉFINIT COMME SUIT : « LETTING THE MENTALLY RETARDED OBTAIN AN EXISTENCE AS CLOSE TO THE NORMAL AS POSSIBLE. » C’EST GRÂCE À LUI SI, EN 1959, CE PRINCIPE FUT INCLUS DANS LA LOI DANOISE SUR LES SERVICES AUX PERSONNES DÉFICIENTES INTELLECTUELLES. (P. 27)

Dix années plus tard, Nirje (1969), directeur (executive director) du Swedish Association for Retarded Children inscrit ce principe dans un ouvrage d’ailleurs dirigé par Kugel et Wolfensberger lui-même. Il modifi e toutefois la défi nition de Mikkelsen ainsi : « Making available to the mentally retarded patterns and conditions of everyday life which are as close as possible to the norms and patterns of the mainstream of society. » (p. 27)

Avec la publication de son ouvrage sur la normalisation auquel participent quatre collaborateurs dont Nirje, Wolfensberger affi ne la défi nition de ce dernier et propose la suivante :

Utilizing of means which are as culturally normative [or typical, or conventional] as possible, in order to establish and / or maintain personal behaviors and characteristics which are as culturally normative as possible. (Wolfensberger, 1972/1977, p. 28)

Ce principe de normalisation englobe aussi bien l’architecture que la gestion humaine (human management).

La normalisation n’a pas pour but d’obtenir la « normativité2 », en tant que telle, des personnes ayant un problème de retard mental, précise Wolfensberger. D’une part, il s’agit d’un processus de développement personnel et social par lequel une personne, peu importe son handicap, pourra développer au maximum son potentiel dans un contexte culturel donné.

It does imply that in as many aspects of a person’s functioning as possible, the human manager will aspire to elicit and maintain behaviors and appearances that come as close to being normative as circumstances and the person’s behavioral potential permit. (Wolfensberger, 1972/1977, p. 28)

D’autre part, puisque la déviance est par défi nition dans le regard de l’autre, il faut surtout s’attarder aux pratiques (caractéristiques et comportements3) qui rendent une personne déviante aux yeux de cet autre. (p. 28)

Wolfensberger dira de ce concept qu’il est tout ce qu’il y a de plus simple dans sa défi nition, mais sa mise en pratique a des implications qui vont au-delà de ce qu’on peut imaginer de prime abord (1972/1977, p. 29). Ailleurs, il soutiendra que son concept est radical. (Voir Race, 2003)

La normalisation implique deux dimensions qui structurent l’environnement de la personne « déviante ». • La première dimension, l’interaction, touche la personne directement. (Il me semble qu’on peut également

la désigner comme la dimension de l’intervention qu’elle agisse sur un plan architectural, ou au niveau des services sociaux et de santé ou autres).

• La seconde, l’interprétation, concerne la manière dont cette personne est représentée symboliquement dans l’esprit d’autrui (à laquelle s’ajoutent les étiquettes, les concepts, les stéréotypes, la perception des rôles sociaux, les attentes face à ces rôles). (p. 32)

1 Cette attitude implique en soi un nouveau regard sur la défi cience intellectuelle. Il suggère par exemple d’adapter tous les appareils et techniques mises au point par l’orthopédie et la physiatrie aux enfants atteints de défi cience. Il propose également l’utilisation de la physiothérapie. (p. 129)

2 Normativité : ce qui est conforme à la norme. Cette défi nition implique l’adhésion à un certain conformisme.3 Je préfère utiliser le terme pratique plutôt que comportement pour traduire behavior parce qu’il me semble moins lié

à la « normativité » et tient davantage du processus.

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Pour agir à ce dernier niveau, il faut tenir compte du mouvement circulaire entre l’image de soi, la représentation qu’autrui se fait de la personne « déviante » et la réponse de celle-ci à cette représentation d’autrui4. Lorsque la personne se retrouve ainsi poussée dans la déviance, ce mouvement circulaire risque de s’exacerber davantage pour induire une plus grande exclusion encore : « it is almost inevitable that a climate or subculture of deviancy is created which exacerbates rather than reverses the deviancy of those within this climate or subculture ». (p. 32)

Puisque la perception des rôles et les stéréotypes exercent une infl uence considérable sur les comportements, il faut donc par ailleurs tenir compte du pouvoir inimaginable de la rétroaction entre l’attente et la réponse à cette attente en fonction du rôle social5 pour contrer l’exclusion engendrée par la déviance. (p. 31)

La normalisation comprend également trois niveaux d’action : • premièrement, au niveau microsocial6, « the individual human managers with individual (potentially)

deviant persons », • deuxièmement, toujours au niveau micro, « the immediate (primary) and intermediate social systems

that act upon a person (family, peer group, classroom, school, neighborhood, place of work, service agency) »,

• troisièmement, au niveau macrosocial7 cette fois, « the larger relevant societal social systems (such as school system of an entire province, nation, laws, mores of society). » (p. 31-32)

La plupart des mesures de normalisation s’inscrivent surtout à l’intérieur des deux premiers niveaux qui touchent plus directement la personne, le niveau micro. Elles permettent un changement à la fois dans les perceptions et dans les comportements grâce à l’eff et positif d’un mouvement circulaire qui s’enclenche comme suit :

a measure may serve the function of shaping a normative skill while simultaneously creating a normative role perception in an observer which, in turn, elicits additional normative role perception in an observer which, in turn, elicits additional normative behavior from the deviant client in a benefi cial circularity. (Wolfensberger, p. 39)

Il y a donc chez Wolfensberger cette notion de circularité qui fait en sorte que les changements qui surviennent dans une dimension se répercutent sur une autre dimension et ainsi de suite dans un eff et d’enchaînement. Pour ne donner qu’un exemple, certains aménagements architecturaux peuvent, malgré leur silence de pierres, lancer un appel au respect ou, à l’inverse, vociférer de la déshumanisation. « Architecture speaks a powerful language, and can shout out loud interpretations of the client-users of buildings. » (p. 40) Un drain installé au beau milieu d’une pièce commune dans une institution pour les personnes défi cientes intellectuelles incite à les percevoir comme des animaux de zoo et, de toute évidence, invite à les traiter ainsi (p. 40). La « déviance » est une construction sociale et culturelle (our own making), soutient Wolfensberger. Alors que bien souvent le « déviant » est inoff ensif pour la société8. (p. 41)

Wolfensberger insuffl e ainsi à son concept de normalisation une force théorique puissante (powerful theoritical force) qui prend origine dans la psychologie sociale. Cependant, ce concept, il le veut simple et accessible dans ses applications matérielles, et économiques fi nancièrement. Un concept exigeant qui requiert également une conversion de l’esprit (ou du regard). De plus, un concept qu’il croit universel dans tous les domaines de la gestion humaine (human management) parce que juste, équitable et moral (right). « It subsumes many current human management theories and measures - but goes beyond them… » (p. 41) Par ailleurs Wolfensberger conçoit ce concept à l’encontre du modèle médical et thérapeutique. La normalisation se veut donc une puissante idéologie qui s’éloigne du modèle médical pour proposer un modèle social de la « déviance » qui s’applique aussi bien à la défi cience intellectuelle qu’à la santé mentale. (p. 103).

4 « adding to the latter labels, concepts, stereotypes, role perceptions, and role expectancies that are applied to a per-son, and that often determine the circularity between his own self-concept, the way others react to him, and the way he is likely to respond » (p. 31).

5 « full power of the feedback loop between role expectancy and role performance » (p. 31).6 J’identifi e ce niveau individuel comme microsocial. 7 J’identifi e ce niveau qui engloble la société comme macrosocial.8 Il est à noter que l’idée de circularité développée dans ce paragraphe (qui est un des fondements de la pensée

immanente d’Aristote) rejoint la vision du pouvoir chez Michel Foucault. Nous y reviendrons.

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Le principe de normalisation rejette donc la ségrégation des « déviants » et exige rien de moins que l’intégration physique et sociale sous toutes ses formes :

… let us defi ne integration as being the opposite of segregation; and the process of integration as consisting of those practices and measures which maximize a person’s (potential) participation in the mainstream of his culture.

For a (deviant) person, integration is achieved when he lives in culturally normative community setting in ordinary community housing, can move and communicate in ways typical for his age, and is able to utilize, in typical ways, typical community resources : developmental, social, recreational, and religious facilities; hospitals and clinics; the post offi ce; stores and restaurants; job placements; and so on. (Wolfensberger, p. 47-48)

L’intégration physique n’équivaut pas à l’intégration sociale. Ce n’est que lorsque l’intégration sociale est aussi probante que l’intégration physique que l’on peut croire qu’il y a réelle intégration, ajoutera-t-il.

(Puis Wolfensberger détaille les divers points par lesquels on peut juger d’une réelle intégration. En ce qui concerne l’intégration physique, il s’agit des types de services selon leur localisation, leur accessibilité, leur contextualisation géographique et leur dispersion pour de petits regroupements plutôt que leur concentration pour de plus grands groupes. Concernant l’intégration sociale, il retient les points suivants : « the program features aff ecting social integration, labelling (the labels that are given to services and facilities, the labels and terms applied to the clients) and building perception (the way in which the service building is perceived). » Sans oublier toute l’intégration scolaire et professionnelle9. (p. 49-54)

En somme l’intégration est le corollaire principal de la normalisation avec des implications majeures au niveau des programmes sociaux et des aménagements architecturaux. (p. 54)

LA « DÉVIANCE » : UNE CONSTRUCTION SOCIALE ET CULTURELLE « INCONSCIENTE »

La normalisation s’oppose à la déviance en ce sens qu’elle suppose la production d’une représentation sociale, ou la fabrication d’une image, de la personne défi ciente intellectuelle ou de toute autre personne ayant un handicap comme une menace ou un danger pour la société. Elle est ainsi déshumanisée et peut être qualifée de déchet, d’objet de pitié, de perpétuel enfant, de malade, etc. (Wolfensberger (1992) p. 20-24; Race (2002) p. 199, tableau 11.1) Ces représentations de diff érents types de déviants impliquent un diagnostic (ou une étiquette reliée au type de déviance), une forme de traitement ou de thérapie dans une institution (clinique ou hôpital), nécessitant l’intervention du corps médical (et des services sociaux)10. D’où une exclusion sociale.

It clearly must be kept in mind that deviancy is of our own making; it is in the eyes of the beholder. An observed quality only become a deviancy when it is viewed as negatively value-charged. And the same quality that may be negatively valued in one culture may be positively valued in another. (Wolfensberger, 1972/1977, p. 13)

Wolfensberger conçoit donc la notion de déviance dans une perspective de relativisme culturel en tant que construction sociale. Elle teinte le regard d’une culture et constitue en soi une idéologie qu’il qualifi e de négative et qu’il désire remplacer par l’idéologie positive de la normalisation.

D’ailleurs dans ses premiers ouvrages, Wolfensberger retrace l’historique du stigmate (utilisé dans le sens de Goff man, 1961, 1963) – sur un continuum allant de la dévalorisation jusqu’à la déshumanisation – subi par les personnes défi cientes intellectuelles, particulièrement aux États-Unis. Sans oublier les appels à l’eugénisme, par exemple : en 1967, Atlantic Monthly, un magazine américain, suggère de sacrifi er des personnes défi cientes intellectuelles considérées comme des végétaux humains pour la transplantation d’organes dans le but d’améliorer l’humanité. (Wolfensberger, 1972, p. 17) Aujourd’hui, cet eugénisme se manifeste par des techniques prénatales

9 Wolfensberger ne dénie pas le principe des ateliers protégés mais en rejette l’aspect ségrégationniste. Il croit que ces ateliers doivent se multiplier et servir plutôt d’intégration au marché de l’emploi régulier.

10 Notons que l’avènement de la désinstitutionalisation n’a pas fait disparaître cette déviance, elle l’a seulement trans-formée.

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de détection des anomalies chez le fœtus en vue d’un avortement le cas échéant11. De plus, la question de l’euthanasie ou du suicide assisté des personnes handicapées soulève aussi tout un questionnement dans sa dimension éthique en ce qui concerne le handicap et sa portée sociale.

Les solutions utilisées jusqu’à maintenant pour pallier la déviance sont de trois ordres, souligne Wolfensberger : soit, littéralement, la destruction des déviants (par exemple, par les nazis), soit leur ségrégation (dans des institutions ou d’une autre manière), soit l’interversion de leur condition. C’est cette dernière solution que choisit la normalisation au moyen de la sensibilisation, de l’éducation, d’un traitement et de la prévention ou encore de méthodes de redéfi nition sociale. (p.24-25)

Wolfensberger précisera que cette dévalorisation d’un être humain représenté à la limite comme un sous-humain se produit à un niveau inconscient chez ceux et celles qui la pratiquent. En somme, constate-t-il, il s’agit d’un processus de répression – on pourrait ajouter d’oppression (Race, 2002, p. 202). Reprenant les mots de Vail (1967), Wolfensberger (1972, p. 18) qualifi era ce processus comme celui d’une déshumanisation des personnes dévalorisées socialement (process of the dehumanization of devalued individuals). Les personnes qui sont l’objet de l’opprobre sociale se sentent honteuses face à celles qui la leur font subir de par leur condescendance.(JLB)12. (JLB) Ce processus se produisant à travers le temps, soit historiquement, et, le plus souvent, à l’insu des personnes qui elles-mêmes le perpétuent inconsciemment. (Le Blanc, 2000, 2004)13 Il spécifi e :

Only by understanding this process of repression of an unacceptable impulse can we also understand certain dehumanizing behaviors, or why some dehumanizers are remarkably unaware that their behaviors and attitudes are dehumanizing and are perceived to be so by others14. (Wolfensberger, 1972/1977, p. 18)

Pour comprendre entièrement un tel processus, il faut pouvoir saisir comment il s’est construit socialement et chercher par ce moyen, tel que le formule Wolfensberger, à « manipuler » de façon « consciente » et « systématique » les attentes sociales envers les rôles que jouent les individus. (Wolfensberger, 1972/1977, p. 104) En fait, cette « manipulation consciente et systématique » implique une transformation radicale de la perception des personnes handicapées socialement, une conversion du regard. Ce concept de processus de déshumanisation des personnes dévalorisées socialement rejoint celui du processus de production du handicap de Fougeyrollas (1995) défi ni dans une perspective holistique. L’holisme contient en soi une notion de circularité. Nous y reviendrons.

Pour conclure cette section, rappelons que la « déviance15 », qui engendre l’exclusion, est un processus social et individuel « inconscient » (absolument injustifi able) qui agit de façon négative et en circularité sur l’image de soi, la représentation qu’autrui se fait de la personne « déviante » et la réponse de celle-ci à cette représentation d’autrui. Cette conception de l’autre en tant que déviant imprègne toutes les dimensions d’une société et d’une culture données, créant à la fois des blessures psychosomatiques et des obstacles à l’intégration sociale des personnes considérées comme « déviantes ». Elle prend son origine dans le processus de dévalorisation qui façonne des rôles sociaux, historiquement dévolus aux déviants et qui se transforment temporellement et spatialement selon les sociétés et les cultures, et qui même se raffi nent mais demeurent tout aussi blessants pour les personnes qui y sont confi nées. (JLB) [« The whole notion of devaluation, and its origins in deviancy theory and the historic roles; the wounds… » (Race, 2003, p. 81)]

La normalisation cherche donc à contrer la vision sociale et culturelle de la déviance en rendant ce processus conscient par la sensibilisation, l’éducation, le traitement respectueux de la personne et la prévention. Elle désire modifi er le regard sur l’autre face à sa diff érence en agissant positivement sur les représentations (les façons

11 Ce constat n’est pas un jugement de valeur. On peut comprendre ce geste des parents dans un monde où la perfor-mance est la norme et dans lequel les services et le soutien aux familles se réduisent comme peau de chagrin.

12 Et si, par malheur, ces premières manifestent leur colère face aux injustices et inégalités qu’elles subissent, elles sont doublement traitées avec condescendance et d’autant plus stigmatisées.

13 Wolfensberger donne plusieurs exemples historiques de ce processus. À partir de mes propres travaux, je me per-mets ici de préciser sa pensée. Identifi er ce processus en tant qu’inconscient n’équivaut en rien à le justifi er ou à l’excuser.

14 Sur ce point, l’analyse de Wolfensberger rejoint aussi celle de Freire, Foucault et Arendt, entre autres.15 On verra que Fougeyrollas emploie plutôt le terme handicap social ou culturel.

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dont on conçoit l’autre diff érent) et les dispositifs architecturaux, institutionnels, de soins, etc. pour transformer les relations sociales entre les « déviants » et les « non déviants » et faire ainsi rétrograder le processus circulaire d’exclusion engendré par la « déviance » vers l’intégration sociale. (JLB)

LE PRINCIPE DE NORMALISATION : UN DOUBLE CONCEPT (Philip Roos, 1972)

Pour rédiger son ouvrage sur la normalisation, Wolfensberger s’est entouré de quatre collaborateurs dont, entre autres, Roos et Nirje. (Ce dernier a donné une défi nition du concept de normalisation que Wolfensberger a affi née.) Dans son article, « Reconciling behavior modifi cation procedures with the normalization principle » (chapitre 10), Roos oppose le modèle comportemental (behavioral), qu’il défend, au modèle médical et aussi à d’autres types de thérapie (dont la psychanalyse qu’il considère comme une thérapie par la parole, peu effi cace, contrairement à la thérapie behaviorale qui est une thérapie de l’action). Il cherche par là-même à démontrer la compatibilité du modèle comportemental avec le principe de normalisation. Sans vouloir m’attarder à ce débat, je retiendrai quelques extraits de ce chapitre qui alimenteront notre discussion sur le lien entre la normalisation et le processus d’empowerment.

La normalisation tente de s’éloigner du modèle médical (incluant celui des services sociaux) parce que les comportements déviants y sont considérés comme des maladies, maladies auxquelles on applique un traitement ou une cure dans le but d’en délivrer l’individu atteint. Cette façon de voir induit une relation d’impuissance, de passivité et de dépendance chez la personne « malade » d’une part, et, d’autre part, crée une illusion d’omnipotence et d’omniscience chez le guérisseur (médecin, thérapeute ou intervenant social), causant, le plus souvent, davantage de problèmes d’adaptation. Ce type de traitement devant être appliqué par des experts, il relègue, par conséquent, la famille, les amis et l’entourage de la personne « malade », eux aussi, dans l’impuissance et la passivité. (Roos, p. 139)

Ce qu’il nous faut particulièrement retenir des propos de Roos, c’est l’importance que l’on doit accorder aux variables environnementales dans une approche thérapeutique. (p. 140) « The concept that environmental conditions can aggravate deviancy is now generally accepted. » (p. 143) Il considère de plus qu’une thérapeutique effi cace doit tenir compte de facteurs humains fondamentaux : « In working with human beings a good human relationship, which includes understanding, respect, warmth and genuine interest and concern, is probably the most potent [comportemental] reinforcer16. » (p. 141)

Roos relève un autre point, toujours dans le but de mettre en valeur l’approche behaviorale, mais que nous reprendrons pour notre discussion plutôt dans la perspective de l’empowerment (tel que conçu par Ninacs, 2002) : « It is essential to recognize that the principle of normalization, as defi ned by Wolfensberger (…), refers both to a means and to an end, or as Wolfensberger states : ‘… both a process and a goal’17. » Notons que Nirje (1969b) insistait plutôt dans sa défi nition de la normalisation sur les moyens ou le processus alors que Wolfensberger soulignera l’importance du but. (p. 146) Roos poursuit :

By defi ning the principle of normalization as referring both to a goal and to a process, Wolfensberger suggests we are dealing with a dual concept. The appropriateness of normalization as a goal is not an issue open to investigation – it is strictly a matter of values18. On the other hand, the eff ectiveness of normative procedures in reaching this goal is very much an empirical matter, open to empirical investigation19. (p. 147-148)

16 Je souligne.17 Je souligne.18 Rappelons-nous que Wolfensberger (1972) dira de la normalisation qu’elle se veut une idéologie puissante.19 Je souligne.

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. .B LE DROIT À L’AUTO‐DÉTERMINATION Bengt Nirje (1972)

D’entrée de jeu, Nirje reconnaît que la revendication du droit à l’auto-détermination par des groupes considérés, sous un angle paternaliste, comme des incapables n’ayant pas droit de parole, est dérangeante pour une grande partie de la société (bodies in society). Il est par conséquent diffi cile pour les aveugles, les sourds, les handicapés physiques, les pauvres, les groupes minoritaires en général, de faire valoir leur droit de parole. Et lorsqu’on aborde le cas des personnes ayant une défi cience intellectuelle, les plus handicapées de toutes les personnes handicapées, la chose peut sembler inimaginable. (p. 177-178)

… when it comes to the mentally retarded – where part of the basic handicap is an impairment in clear expression, and in adjusting to social demands and realities – such aspirations are not yet commonly accepted as feasible or even desired. (Nirje, p. 178)

Malgré cet obstacle en apparence insurmontable, Nirje est d’avis que si les personnes défi cientes intellectuelles empruntent aussi le sentier de l’affi rmation de soi, alors la facette la plus négligée du principe de normalisation (je suppose qu’il s’agit ici de l’auto-détermination) pourra enfi n être implantée.

Dans la suite de son article, Nirje donne l’exemple des pays scandinaves qui, au début de des années 1970 (il y a 35 ans de cela), avaient déjà accompli un bon bout de chemin en ce sens. Des conseils (councils), dans lesquels siégeaient des personnes défi cientes intellectuelles, avaient été mis sur pied dans diverses institutions telles : les écoles spéciales, les centres de formation professionnelle, les résidences (residential homes), les groupes d’accueil (group homes), les maisons de chambres (boarding homes) et les ateliers protégés.

Des clubs sociaux avaient été créés et étaient administrés par les personnes défi cientes avec l’aide de personnes non-défi cientes dans une optique d’auto-détermination. « Their nonretarded friends could give support and sometimes also quietly intervene as advocates. » (p. 183) Nirje démontre ainsi que par ce type d’apprentissage, ces personnes ont davantage pris confi ance en elles et ont pu mieux déployer leur potentiel. En plus de développer un réseau à l’intérieur de leur propre club, elles ont élargi ce réseau grâce à des contacts et rencontres avec d’autres clubs comme les leurs, mais aussi d’autres types de groupes et d’organisation. « … the realization that they were sharing problems and interests with others helped the members in redefi ning to themselves their situation as retarded, as well as experiencing their awareness of being retarded in a new and dignifi ed way. » (p. 183)

La prolifération de ces clubs sociaux a créé une demande pour des cours sur les procédures parlementaires. Ces cours, surtout pratiques, furent mis sur pied pour enseigner aux personnes défi cientes intellectuelles les rudiments du fonctionnement d’un conseil, d’un comité ou d’une organisation. Tout ce processus a mené à l’organisation, en 1968 puis en 1970, d’une conférence nationale suédoise pour les adultes ayant une défi cience intellectuelle. Nirje croit que ce type de regroupement peut aussi être organisé en fonction d’autres intérêts que ceux du divertissement. Ils peuvent aussi varier en ce qui concerne le degré d’auto-détermination.

Bien des gens se sont carrément opposés au principe d’auto-détermination pour les personnes défi cientes intellectuelles ou ont voulu tout simplement en limiter la portée. Nirje énumère tous les arguments apportés en vue de démontrer que cette auto-détermination a ses limites chez les personnes défi cientes intellectuelles. J’en reproduis ci-dessous quelques-uns :

… the argument might go, this still does not mean that they are really able to render meaningful judgment about the things they are dealing with, and that consequently their expressions should not be taken seriously or as having real social validity […] When retarded start dealing with all but minor decisions, they are out of their realm. […] It might also be argued that all these programs for enabling the retarded to express themselves […] is a very good therapeutic device. […] And that is all there is to it. [Etc…] (p. 187-188)

Mais Nirje soutient que l’auto-détermination procure plus qu’un bénéfi ce thérapeutique ou pédagogique. Ce qui compte avant tout, comme pour tout type d’expériences de ce genre, c’est le contenu des échanges. « The persons aff ected most intimately – the mentally retarded themselves – have added the voices of their real experiences. » (p. 188)

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En s’exprimant de la sorte, ils peuvent rendre compte de l’expérience des personnes qui sont moins en mesure ou même incapables d’exprimer leurs besoins. Ils savent très bien de quoi ils parlent. Cependant, Nirje nous met en garde contre le danger d’un processus d’auto-détermination qui ne se ferait pas dans le plus grand respect des droits de ces personnes, citoyennes au même titre que les autres. À savoir jusqu’où ira l’auto-détermination des personnes défi cientes intellectuelles, seule son incarnation dans des initiatives locales pourra le laisser voir. (Sur ce point, il serait intéressant de savoir si un bilan a été fait de ces expériences dans le mouvement du Citizen advocacy/Parrainage civique, depuis ce temps.)

Et Nirje de conclure :

But when mentally retarded adults express their right to self-determination in public and in action, and thus gain and experience due citizen respect, they also have something to teach, not only to other and obviously more capable minority groups, but also of society in general; something about the deeper importance of democratic opportunities, the respect due to everyone in a democratic society – and that otherwise, democracy is not complete. (p. 189)

. LA VALORISATION DES RÔLES SOCIAUX VRSWolf Wolfensberger (1983)

Avant de vous attaquer à la lecture de cette section, veuillez prendre note que je devrai approfondir la compréhension de la VRS par d’autres lectures afi n de mieux clarifi er ce concept. (JLB)

En 1983, Wolfensberger propose un nouveau concept, la valorisation des rôles sociaux (VRS), qu’il substitue à celui de normalisation controversé et, semble-t-il, mal interprété (Race, 2003, p. 80). En reprenant le terme de normalisation à Bank-Mikkelsen et à Nirje, depuis 1969, il avait tenté d’élaborer une théorie scientifi que qu’il voulait universelle, rigoureuse et congruente aux sciences sociales et behavioriales. Il considère qu’il n’a pas été pris au sérieux, surtout par ceux qui ne se sont pas donnés la peine de lire ses écrits sur ce concept ainsi que ceux des autres (Wolfensberger, 1985, in Race, 2003, p. 8120)

Ce concept de substitution, il l’emprunte, tel qu’il l’exprime, au vocabulaire canadien-français, utilisé depuis 1980, dans les enseignements sur la normalisation. (Wolfensberger, 1985 in Race, 2003, p. 83) Il spécifi e que la VRS, tout comme la normalisation, plus qu’un concept, est une théorie de service social.

La défi nition la plus achevée de la VRS (selon Race, 2003) qu’il donne, se lit comme suit :

the creation, support and defense of valued social role for people who are at risk of social devaluation, because if a person’s social role is a societally valued one, then other desirable things will be accorded to that person almost automatically, at least within the resources and norms of his/her society. (Wolfensberger, 1985 in Race, 2003, p. 81)

Pour atteindre la valorisation des rôles sociaux ainsi que de meilleures conditions de vie pour les personnes « dévalorisées21 », il identifi e plusieurs objectifs qu’il regroupe en deux grandes catégories : • premier but : la transformation des représentations sociales (« enhancement of people’s social image or

perceived value in the eyes of others »), • deuxième but : l’enrichissement des compétences (« enhancement of their competencies »). (Wolfensberger,

1985, in Race, 2003, p. 82)

Il espère que cette précision sur les buts de la VRS pourra eff acer les malentendus concernant le terme de normalisation :

20 Wolf Wolfensberger. 1985. « Social Role Valorisation : a new insight, and a new term, for normalization », Australian As-sociation for Mentally Retarded Journal, 9(1), 4-11.

21 Je mets entre guillemets ce (dé)qualifi catif que Wolfensberger met entre parenthèse.

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the new term […] captures the fact that the things we […] considered to be normalizing really contribute to the enhancement of the social role(s) of a person or group in the eyes of others. (Wolfensberger, 1985, in Race, 2003, p. 86)22

Voici comment Wolfensberger explique le processus fondamental d’exclusion, essentiellement négatif, que tente de dévier la VRS par un mouvement de rétrogradation pour atteindre les buts de la normalisation et le remplacer par un processus de développement personnel et social.

In our society, image enhancement and competency enhancement can be assumed to be generally reciprocally reinforcing, both positively and negatively. That is, a person who is competency-impaired is highly at risk of becoming seen and interpreted as of low value, thus suff ering image-impairment; a person who is impaired in social image is apt to be responded to by others in ways that impair/reduce his/her competency. Both processes work equally in the reverse direction; that is, a person whose social image is positively valued is apt to be provided with experiences, expectancies, and other life conditions which generally will also increase his/her competencies, and a person who is highly competent is also more apt to be imaged positively… (Wolfensberger, 1985, in Race, 2003, p. 82-83)

On voit bien que Wolfensberger conçoit ce processus de la VRS dans une perspective de circularité tout comme le concept de normalisation. Tel qu’il le précise lui-même, il s’agit d’aller au-delà de la seule valorisation d’une personne. Ce type de valorisation se situe strictement au niveau empirique et rejoint le système des valeurs alors que la VRS se veut en plus un cadre théorique scientifi que. (Wolfensberger, 1985, in Race, 2003, p. 85)

Malgré la clarifi cation qu’apporte la défi nition de la VRS, les débats se sont poursuivis sur la radicalité du concept selon la droite et son conservatisme selon la gauche. (Wolfensberger (1995) s’explique, voir extrait #13 in Race, 2003, p. 104-106) Voici comment il positionne ce débat :

What the right does not like about normalization/SRV is its implicit or explicit accusation that prevailing cultural values and arrangements are oppressive of certain classes, and that unless at least some of these values are changed, large numbers of people will be made and/or kept devalued (often for no fault of their own), and in most cases also oppressed. The right is fi rst of all embarrassed that SRV shows its values and structures to cause and maintain devaluation; and secondly, it does not like the idea of making structural changes in society. Yet further, the right has never been particularly sympathetic to the lowly or weak, and especially not people whom it perceives as having brought their troubles on themselves; and to the degree that any devalued groups are so perceived, then to that degree the right resents the idea that society should do good things to and for them, especially if these things are costly and demanding.

The critique of SRV from the left has been (a) vastly more explicit than that from the right, and (b) vastly more visible […]. One reason is that so many people in human services, and especially in academic roles related to human services, lean to the left…. The critique from the right has been less explicit : it really did not have to be, since the right’s identity in many countries has been so heavily and ‘successssfully’ bound up with prevailing structures, law, funding and service control, and that in many instances even when more left-leaning governments were in control. (Wolfensberger, 1995, in Race, 2003, p. 105)

Wolfensberger ne veut prendre position ni d’un bord ni de l’autre.

Normalization and SRV theory have always been clear (though sometimes those who have taught and promoted these have not) that they emphasize both capitalizing upon cultural values, and the need to change at least some of them; therefore, any unnuanced criticisms that normalization/SRV are allied to the status quo, or that they are subversive of it, are both faulty. (Wolfensberger, 1995, in Race, 2003, p. 105)

Il ajoute que cette formulation s’est précisée entre les années 1992 et 1994. Il soutient que ce sont les valeurs personnelles, qui se situent au-dessus (above) de la théorie des sciences sociales qu’est la VRS, qui permettent de faire des choix de société, pour qu’elle advienne. (Race, 2003, p. 106) Selon lui, les valeurs morales

22 Voir tableau #3.1 (Wolfensberger, 1985, in Race, 2003, p. 84) sur les objectifs spécifi ques des deux buts de la VRS.

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individuelles doivent guider les choix sociaux. Valeurs qu’il oppose au pouvoir. Ici, sa notion de la démocratie semble se concentrer sur les valeurs individuelles comme agent de changement23.

One’s values will determine whether one believes that in regard to any devalued group, only society should have to make any changes or accomodations, but not the devalued party or those who may have control over the lives of the devalued party. It is also one’s values that tell one in which direction societal values should be changed, if one believes they should be […] (Wolfensberger, 1995, in Race, 2003, p. 106)

Par ailleurs, dans un de ses derniers écrits, il réfutera la notion d’empowerment parce que pour lui la notion de pouvoir ne s’applique pas à sa théorie24. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, Extract #14)

Cette notion d’empowerment, plus particulièrement l’affi rmation de soi et l’auto-détermination, a provoqué une vaste controverse en ce qui concerne la VRS. Notion que Wolfensberger (1994, 2002) rejette totalement dans ses derniers écrits entre autres et cela de façon fort polémique. Pourtant, comme nous l’avons vu, dans son ouvrage publié en 1972 sur la normalisation, un chapitre (#13) écrit par Nirje concerne le droit à l’auto-détermination.

Wolfensberger (2002, in Race, 2003, p.110) explique que la diff érence entre la normalisation et la VRS se situe justement à ce niveau, celui de l’auto-détermination. « Both Nirje’s (1969) and Wolfensberger’s (1972) formulations of normalization did promote normative autonomy and rights for people, but this is no longer true of SRV25. » (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 109) Le principe de normalisation était un mélange d’idéologie et de science sociale empirique, alors que la VRS fonde ses revendications sur l’empirisme et les sciences sociales. Ce qui revient à dire que la VRS se situe en dehors d’un fondement idéologique. Elle devient donc idéologiquement neutre et du fait même ne peut défendre une position d’empowerment.

Par contre, quelques lignes plus haut, toujours dans le même article, il reproche à certains d’avoir mal interprété le principe de normalisation qui, selon eux, aurait mis de l’avant la défense des droits et l’empowerment (selon Nirje, 1969 et Wolfensberger, 1972)26. Ces mêmes personnes regretteraient que cette dimension ait été abandonnée dans la reformulation de la VRS27. Wolfensberger considère que cette interprétation est erronée parce que la normalisation n’a été que partiellement concernée par la question des droits et que la notion de pouvoir n’a infi ltré le service social que dans les années 1980. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p.107) Autrement dit, il relèverait de l’anachronisme de lui attribuer une telle position. Compte tenu de la popularité des notions d’auto-détermination et d’empowerment, certains (qu’il nomme « power people ») ont présumé qu’elles étaient le but ultime de la VRS. Alors que l’idéologie de l’empowerment repose en grande partie sur un modèle de coercition et de confl it, la VRS, elle, repose largement sur des stratégies d’éducation et de persuasion afi n de changer les perceptions, les attentes et les attitudes. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 108)

L’idéologie de l’empowerment est en fait une religion, c’est-à-dire un système de croyances qui se situe à un niveau supra-empirique. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 108) En conclusion de son texte, il ira jusqu’à affi rmer qu’il s’agit d’une dictature religieuse. (p. 115) Pour Wolfensberger font partie des religions, le capitalisme, le communisme, le fascisme, la démocratie, le judaïsme, le christianisme (etc.), même l’athéisme. (p. 108) La VRS, on s’en doute, échappe à un système de croyances en tant que corpus théorique fondé sur l’empirisme (empiricism-based body of theory), élaborée (à partir de plusieurs théories) pour décrire, expliquer et prédire, en surplomb, les phénomènes ( « at a high and overarching level »). Ce que prône la VRS demeure dans le domaine de l’empiriquement falsifi able donc celui de la science :

23 Lorsque dans The Principle of Normalization in Human Sciences, il considère la déviance comme une construction sociale, il écrit : « one’s own making ». On pourrait peut-être traduire ici « one’s values » par valeurs sociales??? Cela reste à clari-fi er.

24 Wolf Wolfensberger. 2002. « Social Role Valorisation and, or versus, « Empowerment » ». Mental Retardation, 40(3), 252-258.

25 Je souligne.26 Pour ce que j’en comprends, Nirje (1994) semble, lui aussi, s’être éloigné de la position de Wolfensberger dans sa redé-

fi nition de la VRS. C’est Wolfensberger lui-même qui le laisse sous-entendre et fort implicitement.27 Wolfensberger n’est pas à une contradiction près dans cet article fort polémique, où il se targue de rigueur scientifi que

pour justifi er son point de vue.

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imagery and competency are seen as the two major strategies for attaining valued social roles, and SRV posits that people in valued social roles are apt to be accorded the good things in life […] SRV aspires to base its claims entirely on empiricism and on social science28. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 109)

Pour Wolfensberger la question est : comment accorder ces bonnes choses aux personnes ? Est-ce en leur permettant d’occuper des rôles sociaux valorisés par les autres ou est-ce en exerçant le pouvoir, l’autonomie et l’auto-détermination sur leur vie et, il ajoute, du pouvoir sur les autres ? La VRS choisit la première option. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 109)

Wolfensberger estime que « l’idéologie du pouvoir » se berce de l’utopie d’égalisation (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 110) et renie qu’historiquement, toutes les sociétés ont été stratifi ées. (p. 115) Il préfère croire en la bonne foi des personnes imprégnées de valeurs modernistes qui, en soi, évite les jugements de valeurs. (p. 111) De toute façon, il faut tenir compte des limites de l’auto-détermination, en ce qui concerne les compétences normatives, chez les personnes les plus handicapées, particulièrement les personnes défi cientes intellectuelles. D’où l’importance d’un tiers qui intervient auprès de la personne handicapée (competency-impaired) pour l’aider à prendre une décision et éviter des conséquences indésirables. (p. 111-112)

SRV acknowledges both the reality and the relevance of such competency impairments, emphasizes the importance of competency-enhancement, and predicts that to the degree that a party’s competency impairments limit its ability to wisely make life decisions, and to understand and constructively deal with the good or bad consequences of those decisions, then to that degree things will go ill with that party unless other people with good sense, good judgment, wisdom, and positive feelings for the party are willing and permitted to make decisions for that party - again, to the degree the party is impaired in a particular competency at issue. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 112)

En faisant valoir le droit à l’auto-détermination et au libre choix à tout prix, Wolfensberger trouve que « l’idéologie du pouvoir » banalise le fait que ces personnes puissent se retrouver dans des situations leur causant un tort souvent irréparable. Ce qui semble le préoccuper, c’est que « l’idéologie du pouvoir », au nom de l’idéal de l’empowerment, cautionne le déversement (dumping) de ces personnes dans la société en les laissant se débrouiller seules sans contrainte et sans supervision, mais également sans le soutien dont elles auraient besoin pour vivre décemment et en sécurité. (En fait, sans la nommer comme telle, il critique ici la dérive de la désinstitutionalisation.) Contrairement à cette idéologie29, la VRS ne dicte pas une position de valeurs (a stance of values, societal values), elle ne peut que donner de l’information afi n de déterminer si de telles mesures permettent la protection ou, au contraire, la dégradation de ces personnes. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 112)

Social Role Valorisation is an overarching conceptual and action scheme that informs one how one may be able to enhance people’s social roles if that is what one wants to do…. But empowerment or self-determination schemes seek only30 power and autonomy31. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 114)

Finalement, Wolfensberger assimile l’individualisme radical, l’auto-détermination, l’empowerment, le libre choix et la défense des droits à la « volonté de puissance » de Nietzsche, sans toutefois défi nir ce concept32. L’empowerment et l’auto-détermination sont des religions, pire, des dictatures religieuses qui ne veulent que le pouvoir au détriment de l’estime (valuation) et de l’acceptation de soi et des autres. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 115)

The promotion of empowerment and total self-determination from impaired people comes at the worst possible time, namely, just as humanity is beginning to be beset by environmental catastrophe and the

28 Je souligne.29 Et ajoutons, contrairement aussi au principe de normalisation qui se voulait une idéologie puissante.30 Souligné par Wolfensberger.31 Je souligne.32 Il faut l’avouer, ce qui n’est pas une mince aff aire. Dans cet article, Wolfensberger brandit à quelques reprises le

spectre d’une dérive nietzschéenne qu’on doit comprendre le plus souvent comme une opposition au relativisme, à l’anarchisme et au cataclysme qui guette l’Occident.

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return of an age of plagues, and as both Western societies and the world order – such as it was – are collapsing33. (Wolfensberger, 2002, in Race, 2003, p. 114)

Par ailleurs, le point que voici est important pour la suite de notre démonstration, dans l’avant-dernière phrase de son article, on constate que Wolfensberger, contrairement à ce qu’il laisse entendre par sa description de la normalisation, se révèle anti-constructiviste donc essentialiste34 :

Very naively, they believe (or at least talk as if they believed) that what others consider to be human nature is only learned, and that one of the most self-evident and true universals of human history can be abolished - as long, of course, as they are on top with the power… (Race, 2003, p. 115)

Nous n’aborderons pas ce point immédiatement. Mais souvenons-nous, pour l’instant, que nous avons fait le choix, épistémologiquement parlant, d’une démarche d’évaluation constructiviste. Rappelons-nous également qu’en donnant une « défi nition sociale de la « déviance » » (1972, p. 13 et suiv.), Wolfensberger la conçoit comme une construction sociale et que la normalisation, qui a pour but l’intégration sociale, s’oppose à la déviance sociale.

. L’EMPOWERMENT William A. Ninacs (2002)

COURTE BIOGRAPHIE DE WILLIAM A. NINACS

William A. Ninacs a développé une intervention en service social polyvalente, dans le souci d’établir des ponts entre les modèles théoriques et la réalité vécue par les diff érents acteurs du développement des personnes et des collectivités. Ses multiples expériences dans l’entreprise privée, le milieu communautaire, les institutions publiques et parapubliques, en font un chercheur, un formateur, un consultant et un conférencier renommé dans le domaine de l’empowerment, du développement local et du développement économique communautaire.

SA THÈSE DOCTORALE

Dans sa thèse de doctorat, Ninacs étudie certaines initiatives québécoises de développement économique communautaire (DÉC) sous l’angle de l’empowerment. (2002, p. ii) L’apport original de sa recherche réside dans son regard critique porté sur le DÉC au Québec à travers la lorgnette de l’empowerment. (p. 2) Bien que son champ d’action diff ère complètement de celui du parrainage civique, nous pouvons tout de même tirer amplement profi t de son analyse innovatrice d’une grande profondeur.

Pour l’auteur, l’empowerment est à la fois une construction théorique et une approche d’intervention sociale. En tant que construction théorique, elle permet de saisir comment les individus ainsi que les communautés s’approprient, ou se réapproprient, et mettent en action « une capacité d’agir de façon autonome ». (p. 2) Ninacs fonde son analyse sur un corpus théorique important en quantité et en qualité qui lui fournit des assises solides. Autrement dit, le concept d’empowerment lui servira d’outil intellectuel majeur pour analyser son objet (le DÉC). (p. 49) Envisagé comme une approche d’intervention sociale, cette fois, l’empowerment a pour fonction de soutenir les eff orts des individus et des communautés dans la recomposition de leur capacité d’action. (p. 2)

Bref, cette thèse suggère que si on néglige le développement de la conscience critique et celle de la citoyenneté, on risque de compromettre la capacité à favoriser les changements structurels nécessaires dans la mise en œuvre d’une action civique. (p. iii)

33 L’éditeur prend la peine de noter que cette prédiction fut faite avant le 11 septembre 2001. 34 La perspective constructiviste considère que les caractéristiques individuelles et les phénomènes sociaux sont surtout

acquis, alors que l’approche essentialiste soutient qu’ils sont avant tout innés.

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L’empowerment vise donc la capacité d’action des communautés et des individus qui les composent. Mais l’empowerment est plus qu’un but, il est à la fois et surtout un processus par lequel « une collectivité s’approprie le pouvoir ainsi que sa capacité de l’exercer de façon autonome ».

Le principe de l’empowerment prend son origine dans l’idée que « les individus et les collectivités ont le droit de participer aux décisions qui les concernent ». (p. 50) Ce type d’approche est en rupture avec celle axée sur la bienfaisance, du fait qu’elle présuppose le rapport entre tous les individus « comme étant fondé sur la réciprocité et foncièrement égalitaire ». (p. 50) L’empowerment stimule un sentiment de pouvoir personnel, permet de prendre conscience de sa capacité d’infl uencer le comportement d’autrui, cherche à accroître les forces existantes des individus et des communautés dans une perspective écologique et aussi selon l’adhésion à une idée que « le pouvoir n’est pas une denrée rare » (Gutiérrez, 1995, in Ninacs, 2002, p. 51). « [Ê]tre empowered, c’est prendre le risque d’agir, c’est oser étaler ses compétences en public que ce soit individuellement ou en groupe. » (Breton, 1994, in Ninacs, 2002, p. 51)

Suite à une recension d’écrits, Ninacs a élaboré un cadre conceptuel de l’empowerment pour le service social35. Cela lui a permis d’identifi er trois types d’empowerment qu’il défi nit comme suit :

• l’empowerment individuel « correspond au processus d’appropriation d’un pouvoir par une personne ou un groupe »;

• le self-empowerment « permet aux personnes possédant déjà la capacité d’entreprendre une démarche autonome de le faire »;

• l’empowerment communautaire constitue « la prise en charge du milieu par et pour l’ensemble du milieu ». (Ninacs, 2002, p. 51)

À l’instar de l’auteur, nous reprendrons un à un ces trois types d’empowerment afi n d’en saisir la portée spécifi que et générale.

L’EMPOWERMENT INDIVIDUEL

L’empowerment individuel s’élabore en quatre étapes : la participation, les compétences, l’estime de soi et la conscience critique, qui s’enchaînent simultanément jusqu’à s’enchevêtrer et permettre un passage de l’état sans pouvoir (disempowerment) à un état avec pouvoir (empowerment). (p. 52) Pour illustrer ce processus, Ninacs choisit l’image de quatre cordes d’un câble (correspondant aux quatre étapes) qui s’entrelacent et se renforcent mutuellement (p. 54) De plus, chacune de ces étapes comporte plusieurs dimensions ou composantes. Il s’agit donc d’un processus multidimensionnel. Je cite :

• la participation comporte deux volets, l’un sur le plan psychologique (droit de parole et participation aux décisions) et l’autre sur le plan pratique (capacité de contribuer et d’assumer les conséquences de sa participation);• les compétences sont avant tout techniques; elles impliquent les connaissances et les habiletés

permettant, d’une part, la participation à l’action et, d’autre part, son exécution, et elles peuvent se manifester tant par l’acquisition de nouvelles compétences que par la réévaluation de celles déjà possédées (Papineau et Kiely, 1994); • l’estime de soi renvoie à une transformation psychologique qui annule les évaluations négatives

antérieures intériorisées et incorporées dans l’expérience de développement de l’individu et par laquelle il arrive à être satisfait de lui-même (amour de soi), à évaluer ses qualités et ses défauts (vision de soi) et à penser qu’il est capable d’agir de manière adéquate dans les situations importantes (confi ance en soi) (André et Lelord, 1999), et donc à se percevoir comme possédant une capacité d’action lui permettant d’atteindre des objectifs personnels ou collectifs, selon le cas (Papineau et Kiely, 1994), mais qui requiert la valorisation de sa contribution à l’atteinte des objectifs, aussi minime soit-elle, par d’autres personnes (Lord et Hutchinson, 1997);

35 Nous ne rendrons pas ici toute la complexité de ce cadre conceptuel spécifi que à son objet d’analyse, le DÉC. Nous nous en servirons comme appui pour discuter de l’empowerment afi n de pouvoir l’adapter, s’il y a lieu, au parrainage civique au Québec.

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• la conscience critique comprend le développement d’une conscience de groupe (conscience collective), la réduction de l’autoculpabilisation (conscience sociale36) et l’acceptation d’une responsabilité personnelle pour le changement (conscience politique) (Gutiérrez, 1995); elle renvoie également à la capacité d’analyse sociopolitique résultant de la dynamique dialectique d’action de réfl exion (Staples, 1990) qui anime le sentiment d’appartenance et conduit à un engagement envers les autres37. (Ninacs, 2002, p. 52-54)38

Chacune de ces quatre composantes se renforce mutuellement. Ce renforcement réciproque agit progressivement sur un continuum vers l’empowerment qui varie selon les cas. Quoiqu’on ne soit pas en mesure de comprendre clairement comment ces composantes se réalisent ainsi, du moins on sait que leur interaction caractérise l’empowerment. (p. 54)

Plusieurs composantes du processus d’empowerment sont d’ordre psychologique et, de fait, des transformations sur ce plan sont nécessaires pour passer de l’apathie et du désespoir à l’action, pour contourner les eff ets pervers des interventions sociales axées sur la bienfaisance ou sur la pathologie et pour surmonter les blocs de pouvoir indirect que constituent les évaluations négatives déjà intériorisées et incorporées, les stigmatisations collectives (Lee, 1994) et les stéréotypes sociaux négatifs39. (Grosser et Mondros, 1985, in Ninacs, 2002, p. 54-55)

Le développement de la conscience critique constitue également une dimension majeure de l’empowerment chez un individu. Les auteurs qui y font référence s’inspirent de Paolo Freire40 et supposent que les personnes exclues socialement renferment au fond d’elles-mêmes des « blocages indirects qui sont le produit de défi ciences structurelles de pouvoir ». Pour le dire autrement, parce qu’elles subissent l’exclusion sociale ou économique, du fait de leur handicap ou de leur appartenance à un groupe social spécifi que, comme par exemple les personnes homosexuelles, cela agit sur leurs structures psychique et somatique (ou les structures qui relèvent de l’esprit et du corps). (JLB)41 Bien que certains membres d’un groupe subissant l’oppression puissent s’approprier individuellement un degré de pouvoir et de compétence, en général, la majorité des membres d’un même groupe stigmatisé demeurent opprimés. (Stapples, 1990, in Ninacs, 2002, p. 55-56)

Selon Freire, pour qu’il y ait émergence d’une conscience critique, il doit y avoir une dynamique dialectique (c’est-à-dire une dynamique d’aller-retour continu) entre l’action et la réfl exion qu’il surnommera la « praxis ». Cette dynamique interactive favorise « un cheminement psychologique s’orientant vers des changements structurels socioéconomiques ou politiques » (Breton, 1993, in Ninacs, 2002, p. 56) que Ninacs, à l’instar d’autres auteurs, envisage dans une perspective holistique. (Nous reviendrons sur cette perspective surtout lorsque nous aborderons le processus de production du handicap social de Fougeyrollas.) C’est dire que l’empowerment doit passer par l’action pour résoudre les problèmes et modifi er l’environnement, et en ce sens il est conçu à la fois comme un processus et un but. Il s’agit d’œuvrer à la résolution des problèmes et à la modifi cation de l’environnement. Puisque ces problèmes ne se règlent pas une fois pour toutes, cela exige un perpétuel mouvement des individus et des collectivités vers le changement. (Ninacs, 2002, p. 56-59)

De plus, l’empowerment individuel équivaut à devenir compétent.

Lorsqu’un individu peut exercer un pouvoir, il est empowered, et les étapes qu’il doit franchir pour y arriver constituent le processus d’empowerment. Il s’ensuit que l’état d’empowerment serait caractérisé par la capacité de choisir, de décider et d’agir. À ce titre, il se rapproche du concept de compétence utilisé dans la sphère de l’éducation42. (Ninacs, 2002, p. 60)

36 On peut faire référence ici à ce que Wolfensberger dit sur la droite qui culpabilise la personne qu’elle dévalorise (deva-lued person). (in Race, 2003)

37 Je souligne.38 Voir le tableau fabriqué par Ninacs (2002, p. 53) sur le processus d’empowerment individuel.39 Je souligne.40 Paolo Freire est ce pédagogue brésilien qui développa la méthode de l’alphabétisation dite de la conscientisation.

L’éducation : pratique de la liberté (1967) et Pédagogie des opprimés (1969) sont les deux ouvrages majeurs dans les-quels il rend compte de sa pédagogie.

41 Ninacs n’aborde pas ce dernier point. Nous y reviendrons avec la notion de biopouvoir de Michel Foucault.42 Je souligne.

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La compétence en éducation se défi nit comme la capacité d’accomplir une tâche donnée. Pour ce faire, l’individu doit entrer en interaction. Cela implique que le groupe constitue, pour lui ou elle, le lieu privilégié pour devenir empowered ou compétent. « Logiquement, le processus d’empowerment individuel requiert un moyen pour assurer que la capacité d’agir dépasse la seule dimension psychologique. » (p. 61)

Le temps est, au même titre que l’interaction, une ressource importante pour que l’empowerment advienne. Il s’agit d’un processus à long terme qu’on ne peut forcer ou précipiter en raison des nombreuses étapes à franchir sur les quatre plans mentionnés plus haut43. Le « processus est souvent plus important que les résultats tangibles de l’action ». (p. 62) Ce sont surtout les eff orts déployés par la personne qui augmentent son sentiment d’avoir du pouvoir sur sa vie et son environnement. « De plus, un processus peut aussi avoir pour but la réparation des « ruptures » antérieures (Tropman et Erlich, 1995), telles la stigmatisation et la culpabilisation des personnes ayant subi une oppression. » (Ninacs, 2002, p. 63) Ninacs ajoute que le sens du risque constitue aussi un élément fondamental du processus d’empowerment puisqu’il exige un engagement.

Dans une perspective holistique, ce processus n’est pas linéaire mais plutôt multidimensionnel44 et, de plus, les diff érentes dimensions sont en interaction et en mutation continuelles. Ceci renvoie au caractère dialectique des phénomènes dynamiques et donc le processus d’empowerment individuel serait un éternel renouveau, où l’individu est continuellement à la recherche des ressources requises pour faire face aux nouveaux accrocs qui, inévitablement, garniront son parcours de façon récurrente.45 (Ninacs, 2002, p. 63-64)

Sur le plan de l’intervention, les conditions essentielles pour encadrer une pratique sociale visant l’empowerment sont : la poursuite de la justice sociale dans une dynamique d’entraide et « la reconnaissance du processus de conscientisation comme processus politique de libération ». En outre, afi n de prévenir le développement d’une relation de pouvoir entre l’intervenante et la personne dans le besoin, les intervenants doivent :

souscrire au principe d’autodétermination des individus (ce qui implique moins de certitude dans leur expertise), utiliser la persuasion plutôt que la coercition, avoir la compassion comme qualité essentielle, partager toute l’information avec les individus et les faire participer aux décisions qui les concernent. (Ninacs, 2002, p. 64)

LE SELF-EMPOWERMENT

Le self-empowerment est aussi un type d’empowerment individuel. Il épouserait la position limite selon laquelle « il n’existe pas de société mais seulement des individus en interaction avec d’autres individus ». Selon cette perspective, il serait du ressort de chacun de faire valoir ses intérêts personnels, de façon autonome voire égoïste, en vue d’améliorer son bien-être économique. Ce type d’empowerment privilégie l’épanouissement de personnes déjà en mesure d’agir de façon autonome, sans aucun soutien, en leur enlevant tout simplement les obstacles qui peuvent entraver leur démarche. Il s’agit plutôt d’un self-empowerment entreprenarial auquel l’empowerment individuel et communautaire peut emprunter certaines composantes telles : l’initiative, le besoin d’accomplissement et d’autonomie, la confi ance en soi, le sens du risque et l’engagement. Le self-empowerment ne vise pas le changement social et il occulte « le recours à l’action collective pour améliorer le bien-être des personnes défavorisées ou des collectivités en déclin ». En ce sens, il récuse « l’oppression structurelle en plaçant le fardeau du processus d’empowerment entièrement sur les épaules de l’individu », peu importe sa situation. (p.64-66)

L’EMPOWERMENT COMMUNAUTAIRE

L’empowerment communautaire est un cheminement vécu simultanément par la collectivité et les individus qui la composent. Ce cheminement s’eff ectue par la participation, l’imputabilité, la communication et la gestion du changement et des transitions.

43 Rappelons-nous : la participation, les compétences pratiques, l’estime de soi et la conscience critique.44 On pourrait ajouter circulaire.45 Je souligne.

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• La participation permet à tous les membres de la communauté, y compris les plus démunis, de participer à sa vie et à ses systèmes;

• L’imputabilité oblige les systèmes de la communauté à rendre des comptes afi n de favoriser la compétence ainsi que l’effi cacité des individus et de la communauté;

• La communication facilite l’interaction positive et l’expression de points de vue divergents;• La gestion du changement et des transitions encourage le développement d’un sentiment d’appartenance

à la communauté et l’action sur des enjeux sociétaux plus larges. (p. 66)

L’empowerment communautaire augmente le pouvoir collectif. On pourrait dire qu’il tente de transformer la communauté en groupe d’entraide élargi. Dès lors, il constitue « une progression complexe partant de l’acquiescement passif des membres d’une communauté à leur engagement critique par rapport aux autres membres » (Sadan et Churchman. 1997, in Ninacs, 2002, p. 67-68), afi n qu’advienne une communauté empowered « où les personnes, tant individuellement que par l’entremise d’organisations, mettent en commun leurs capacités et leurs ressources, ce qui mène, en fi n de compte, à la compétence de la communauté ». (Schulz et al., 1995, in Ninacs, p. 76) Ainsi, l’empowerment individuel et l’empowerment communautaire sont des processus indissociables. (Ninacs, p. 79) (Voir tableau de Sadan et Churchman (1997, in Ninacs, 2002, p. 68) sur les sept étapes de l’empowerment communautaire.)

Ninacs constate à regret que les évaluations de l’empowerment communautaire sont défi cientes parce qu’elles mesurent l’empowerment des individus plutôt que celui de toute la communauté en question (Zimmerman et Rappaport, 1988), parce qu’elles n’arrivent pas à composer avec la complexité des facteurs sous-jacents à la participation (Itzhaky et York, 1994) ou encore parce qu’elles ne reposent que sur les impressions des leaders (Staples, 1990). Il croit que l’autoévaluation pourrait pallier certaines de ces lacunes. (in Ninacs, 2002, p. 68-69)

Sadan et Churchman (1997, in Ninacs, 2002, p. 68) (voir étape 7 de leur tableau), considèrent l’autoévaluation comme l’étape fi nale du processus d’empowerment communautaire et le déclencheur d’un nouveau cycle. Ces auteurs soutiennent que : « les personnes ayant participé [au processus d’autodétermination] verront les limites et les faiblesses du cheminement qui se termine, ce qui devrait les inciter à recommencer le processus en reciblant le tir ».

Par ailleurs, l’organisation communautaire est une approche d’intervention qui permet d’atteindre un empowerment communautaire. (Quoique l’empowerment ne s’avère pas toujours sa fi nalité ou sa seule fi nalité.) (Ninacs, 2002, p. 74) Ce type d’intervention sociale vise deux buts qui s’imbriquent l’un dans l’autre. L’organisation communautaire cherche donc à fortifi er et à soutenir les individus, seuls, en famille ou en groupe, et aussi à transformer les systèmes dans lesquels les individus évoluent. (p. 69) De telle sorte que les communautés deviennent un environnement plus effi cient, plus effi cace et plus soutenant et assurent ainsi l’épanouissement de ses membres et des relations sociales qu’ils entretiennent entre eux. (p. 70)

Mondros et Wilson (1994 in Ninacs, 2002, p. 73) identifi ent trois modèles d’action sociale : le lobbying, l’action politique et le modèle communautaire. Selon les deux premiers modèles, le contrôle de l’intervention par les membres ne constitue pas un facteur signifi catif pour atteindre leurs buts, bien que leur implication à l’intérieur des activités soit considérée comme cruciale. « Seul le modèle communautaire (grassroots) – qui s’apparente à l’action communautaire de défense des droits sociaux (Mayer et Panet-Raymond, 1991) – off re des possibilités sur le plan de l’empowerment (malgré des contradictions importantes), car l’empowerment des membres y constitue l’objectif “interne” principal. » ( Mondros et Wilson, 1994) (in Ninacs, 2002, p. 74) Voilà pourquoi « l’empowerment communautaire renvoie spécifi quement à l’empowerment de la communauté en tant que telle, car cette dernière est un système en soi et non pas la simple addition de ses membres ». (Ninacs, p. 80)

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CONCLUSION

Pour reprendre les mots de Robert Castel (1994)46 (in Ninacs, 2002, p. 88) qui analyse le processus de désaffi liation économique et sociale, on pourrait affi rmer que le processus de production du handicap social (Fougeyrollas, 1995) qui mène à l’exclusion constitue un processus de disempowerment. L’intervention pour le contrer, qui vise l’empowerment, doit s’eff ectuer sur deux plans : celui du travail et celui des relations sociales. Il me semble que ce sont les deux choses fondamentales qui permettent à un individu de jouir d’un certain bien-être et qui, en somme, font partie des « bonnes choses » que la vie doit off rir à tous les êtres humains, pour reprendre les mots de Wolf Wolfensberger.

Pour conclure brièvement, je poserais les questions suivantes : • La notion de « good things to be accorded in life » de Wolfensberger ne correspond-elle pas à ces deux

choses, le travail et les relations sociales47 ? • Peut-on croire que ce qu’il nomme les « devalued persons » est synonyme des « individus disempowered »

de Ninacs ?• Les « valued persons » qui sont arrivées à exercer une infl uence sur leur communauté et la société de façon

plus générale, comment y sont-elles parvenues ? Seraient-elles des « self-empowered individuals » ? Ce sont ces personnes qui selon Wolfensberger doivent accompagner les « devalued persons ».

• La notion d’empowerment est-elle une antithèse à celle de la VRS (et de la normalisation) ? • Comment peut-on viser la VRS en mettant de côté la notion de pouvoir (et aussi d’oppression48) telle que

conçue par l’approche de l’empowerment ?• Comment peut-on intégrer la notion de pouvoir dans le but d’une meilleure analyse politique et d’une

intervention sociale qui développent la conscience critique en évitant les écueils que dénonce Wolfensberger (pas toujours très clairement ni scientifi quement, comme il le soutient) ?

46 « La dynamique des processus de marginalité : de la vulnérabilité à la désaffi liation », in Cahier de recherche sociologi-que, n° 22, p. 11-27.

47 Le RQPC agissant sur le plan des relations sociales. Voir la nomenclature des 17 bonnes choses que dresse Wolfens-berger (in Race 2003 p. 116-118).

48 L’exclusion sociale est une des formes de l’oppression. L’oppression est « un processus par lequel des groupes ou des individus, qui ont le pouvoir prescrit ou acquis, limitent injustement les vies, les expériences et les opportunités des groupes et des individus, qui ont moins de pouvoir ». (Lindsay, 1992, p. 11, in Ninacs, 2002, p. 66 nbp#28)

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. LE PROCESSUS DE PRODUCTION DU HANDICAP SOCIAL PPHPatrick Fougeyrollas (1995, 2002)

COURTE BIOGRAPHIE DE PATRICK FOUGEYROLLAS

Depuis trente ans déjà, Patrick Fougeyrollas œuvre dans le domaine de l’exercice des droits des personnes handicapées, de la réadaptation, et du soutien à l’intégration sociale au Québec. Incontestablement, il est un leader dans ce domaine non seulement au Québec mais encore sur le plan international. Par ses travaux de recherche, il a tenté de comprendre les modes d’intégration ou d’exclusion sociale des personnes diff érentes dans leur fonctionnalité, leur comportement et leur esthétique. Alors qu’il était chef du service de la recherche et de la planifi cation à l’Offi ce des personnes handicapées du Québec (OPHQ), il a coordonné une vaste recherche-action, en concertation avec les associations de personnes handicapées, des ministères, des établissements et organismes des réseaux parapublics et communautaires, qui a mené à la rédaction du rapport À part…égale (1984). Le Gouvernement du Québec a repris les orientations générales de ce rapport dans sa politique de prévention des défi ciences, d’adaptation-réadaptation et d’intégration sociale des personnes handicapées, adoptée en 1985. Il a de plus été un acteur signifi catif dans la mise sur pied du Comité québécois et de la Société canadienne de la Classifi cation internationale des défi ciences, incapacités et handicaps (CIDIH). Ses travaux de recherche doctorale ont d’ailleurs servi à la révision de la CIDIH qui relève de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). (Fougeyrollas, 1995, p. 15-17)

Chercheur d’envergure internationale, monsieur Fougeyrollas est actuellement directeur de l’enseignement et du soutien scientifi que à l’Institut de réadaptation en défi cience physique du Québec (IRDPQ), chercheur au Centre de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS), professeur associé aux départements d’anthropologie, de sociologie et de réadaptation à l’Université Laval ainsi que président du Réseau international sur le Processus de production du handicap (RIPPH).

HISTORIQUE D’UNE CLASSIFICATION

À la fi n du XIXe siècle émergeait une Classifi cation internationale des maladies (CIM) qui devint la responsabilité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1946. Cette classifi cation sert d’instrument de référence, d’information et de formation d’une importance capitale pour le corps médical international et la production de statistiques nécessaires à la planifi cation et à l’évaluation dans le domaine de la santé. (Fougeyrollas, 2002, p. 1, 1995, p. 50)

Il y a une trentaine d’années, l’OMS a entrepris la révision de cette classifi cation. C’est en 2001 qu’elle a offi ciellement adopté une nouvelle classifi cation qui en était déjà à sa dixième révision. De ce fait est né un supplément à la CIM, « visant à défi nir un langage pour identifi er et mesurer les conséquences de longue durée des maladies et traumatismes ». Ce supplément est fi nalement devenu indépendant de la CIM sous l’appellation de Classifi cation internationale du fonctionnement du handicap et de la santé. (Fougeyrollas, 2002, p. 1)

Pendant les trois dernières décennies, Fougeyrollas a œuvré au cœur même d’une équipe de chercheurs et d’intervenants travaillant à cette révision. Les travaux et les débats auxquels il a participé ont mis en évidence trois composantes qui ont permis l’émergence des sciences du « handicap49 » dans le contexte de la modernité. Ces composantes que sont l’évolution conceptuelle, les diff érents paradigmes (ou modèles théoriques) et les rapports de force sociopolitiques servent de matériaux dans la construction de tout savoir « scientifi que50 » d’où émerge une science. (2002, p. 1)

Cette nouvelle redéfi nition des maladies et des handicaps s’eff ectue au moment où l’ONU entreprend la reconnaissance internationale des droits de la personne. On assiste aussi au même moment (dans les années 1960-1970) à « l’émergence des idéologies de la désinstitutionalisation et de la normalisation particulièrement dans le champ psychiatrique, avec la distinction nouvelle des “malades mentaux” et des “défi cients mentaux” ». Cette distinction entraîne la mise sur pied de deux réseaux de prise en charge distincts orientés vers une

49 C’est Fougeyrollas qui met lui-même ce terme entre guillemets.50 C’est Fougeyrollas qui met lui-même ce terme entre guillemets.

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intégration dans la communauté. Cette nouvelle orientation introduisait « une dimension sociale dans un modèle d’intervention jusque là monopolisé par le modèle diagnostic curatif médical ». (2002, p. 2)

En eff et, le modèle diagnostic curatif commandait d’évaluer quantitativement, pour le calcul de l’indemnisation, la relation de cause à eff et d’une maladie ou d’un traumatisme qui limitait les activités. Le type d’activités évalué était confi né à la capacité de travail. (2002, p. 2) Considérant les avancées de la technologie biomédicale et pharmaceutique, la santé publique a dû développer une approche complémentaire à ce modèle diagnostic classique curatif de la CIM. (p. 3)

C’est dans un tel contexte, au début des années 1970, que l’OMS confi a à un consultant externe, Philip N. Wood, le mandat de développer un supplément classifi catoire à la CIM afi n de « prendre en compte les conséquences des maladies et blessures dans un sens large incluant toutes les maladies et de constituer la base de futurs systèmes d’information ». Il devait également documenter le phénomène en croissance exponentielle, la chronicité. (2002, p. 3)

Professeur à l’Université de Manchester en Angleterre, rhumatologue et épidémiologiste, Wood (1989) propose une Classifi cation internationale des défi ciences, incapacités et handicaps. Il s’agit « d’un ordonnancement, d’une grande puissance explicative, des composantes d’un portrait appliqué à l’individu ou à une collectivité présentant des séquelles signifi catives et persistantes d’un événement pathologique » et qui va bien au-delà de la classifi cation qu’elle devra remplacer qui, elle, se contentait d’apposer des diagnostics à des ensembles de symptômes ou manifestations pathologiques. (2002, p. 3) Ce qu’il faut d’abord retenir pour notre propos, c’est un apport remarquable de Wood qui enfi n reconnaissait les « conséquences désavantageuses sur le plan social du fait d’avoir des incapacités ». Ces travaux51 s’inscrivaient :

dans un prolongement des théories de la déviance et de la stigmatisation élaborées par Friedson (1965) et Goff man (1963) qui avaient montré que les « déviances » infl uencent les attitudes, en raison des valeurs liées aux attentes sociales et aux défi nitions culturelles de ce qui constitue une performance ou un comportement « normal » et acceptable par autrui. Ces travaux sociologiques ont contribué en sciences sociales à mettre en évidence le rôle des facteurs environnementaux sociaux comme producteurs d’obstacles à la participation de personnes ayant des diff érences esthétiques, comportementales ou fonctionnelles à la vie sociale. Leurs idées ont aidé à amorcer un changement de perception du processus de handicap antérieurement centré sur les problèmes intrinsèques à la personne. Ceci est à la base de la reconnaissance progressive que le « handicap » est une construction sociale ayant d’importantes conséquences (Morvan et Paicheler, 1990, English 1977). Il faut souligner le progrès considérable apporté par les préoccupations de Wood de mise en valeur des conséquences socioéconomiques des incapacités entraînant des conditions d’exclusion du monde du travail, de paupérisation et de désaffi liation sociale52. (Fougeyrollas, 2002, p. 5)

Bien que dans sa classifi cation Wood identifi e « le handicap comme un phénomène social déterminé par les attentes normatives des autres », il n’en demeure pas moins que l’accent est mis sur la personne et son échec à se conformer aux normes sociales. Par conséquent, cette classifi cation a été (particulièrement le troisième axe que composent la nomenclature et le concept de handicap) l’objet de critiques, surtout de la part du mouvement de promotion des droits des personnes handicapées. Nous verrons que Fougeyrollas se préoccupera de développer cet aspect dans une perspective plus englobante.

Sur ce plan social, particulièrement dans la promotion des droits et la planifi cation des politiques, le Québec a joué un rôle important. Par ailleurs, suite à sa thèse de doctorat, dans laquelle il se penchait de façon critique sur le processus de production culturelle du handicap, Fougeyrollas (1995) proposera, pour la révision de la CIDIH de l’OMS, un modèle conceptuel intégrant complètement les facteurs environnementaux comme déterminants, au même titre que les facteurs personnels, de la qualité de la participation sociale. Il s’insérera donc ainsi au cœur d’une action qui fera du Québec un leader international dans cet important processus de révision. C’est dans cette foulée qu’a été adoptée la loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées du Québec (1978) qui mènera à la création de l’Offi ce des personnes handicapées du Québec (OPHQ), au sein

51 Dans cette lignée, il faut mentionner ceux de Saad Nagi (1965), un sociologue qui avait auparavant proposé une mo-difi cation de la CIM.

52 Je souligne.

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duquel Fougeyrollas jouera un rôle important. Par la suite, en 1986, il participait avec Mario Bolduc et Maryke Muller à la mise sur pied du Comité québécois sur la CIDIH (CQCI-DIH). (2002, p. XX; 1995, p. 97-98)

Nous ne nous attarderons toutefois pas à ce passionnant historique puisque notre objet ne touche pas directement la question de la classifi cation des handicaps (qui fut un très long processus en ce qu’il impliquait des changements conceptuels vers une vision paradigmatique holistique plutôt qu’exclusivement biomédicale, centrée sur les facteurs personnels et négligeant les facteurs sociaux). Ce qui nous intéressera particulièrement chez Fougeyrollas sera sa défi nition du processus de production du handicap (PPH) en tant que fait social. Nous retiendrons également pour notre propos les défi nitions de défi cience, d’incapacité et de handicap mises de l’avant comme dimensions du PPH.

Rappelons néanmoins qu’au début des années 1980, le mouvement québécois de promotion des droits des personnes handicapées, en accord avec Disabled People’s International, critique la « linéarité de cause à eff et (défi cience > incapacité > handicap) du modèle de la CIDIH53 » entraînant un diagnostic qui stigmatise les personnes concernées. Ce modèle persiste à utiliser le paradigme biomédical et refuse de reconnaître explicitement les obstacles environnementaux. (2002, p. 7) Le modèle adaptation-réadaptation exemplifi e un tel paradigme orienté sur l’individu comme centre du problème à régler (1995, p. 29). De ce fait, il fournit peu d’information sur le degré d’intégration sociale ou de marginalisation vécues quotidiennement par la personne dans son milieu de vie. (p. 31)

Plus tard, au début des années 1990, le Comité québécois sur la CIDIH en collaboration avec l’OPHQ reçoit le mandat des décideurs et des experts internationaux de la CIDIH, de proposer une révision du concept de handicap ou de désavantage social. Ce comité spécial s’appuiera la politique d’À part… égale (publié par l’OPHQ, 1984), en accord avec la perspective du mouvement de promotion des droits des personnes handicapées (en Amérique du Nord et en Scandinavie), et mettra de l’avant un modèle explicatif du processus de production du handicap compatible avec une approche anthropologique holistique, globale ou bio-psycho-sociale considérant l’individu et son environnement avec toutes les relations vitales qui les unissent (1995, p. 75, npb#1). Ces travaux aboutiront à la publication de la Classifi cation québécoise intitulée Processus de production culturelle du handicap dont Fougeyrollas fut l’auteur (1995). (2002, p. 10)

LES TRAVAUX DE FOUGEYROLLAS : PROCESSUS DE PRODUCTION CULTURELLE DU HANDICAP (PPH)

Par cette classifi cation, Fougeyrollas s’éloigne d’un modèle d’analyse linéaire de cause à eff et et intègre dans une nomenclature complexe les divers aspects du handicap qui par le fait même illustre le caractère relatif de la production des handicaps. Ce modèle classifi catoire permettra de mieux comprendre les liens complexes entre les nombreux facteurs du processus de production du handicap que sont les facteurs de risque (qui concernent les causes), les défi ciences (en terme de systèmes organiques aff ectés), les incapacités (selon les capacités touchées) et les facteurs environnementaux (qui constituent en somme les obstacles à la fois spatiaux ou architecturaux et sociaux). De tels facteurs entrent en interaction et déterminent les habitudes de vie étroitement liées aux situations de handicap. (1995, p. 195, fi gure #17) Une classifi cation aussi exhaustive illustre « les interrelations entre les diff érences fonctionnelles conséquentes de divers types de maladies ou traumatismes et les variables environnementales et socioculturelles régularisant leur intégration sociale et leur autonomie dans leur milieu ». (1995, p. 18)

Fougeyrollas souligne que Freidson (1965) a cerné la déviance en tant qu’« écart d’une normalité défi nie par le social ». Cette défi nition sous-tend « la notion de responsabilité individuelle à faire le choix du comportement déviant, et la majorité des recherches et théories ont visé à donner une explication à ce processus de choix ». (1995, p. 19) Les chercheurs ont également assimilé à la déviance les personnes ayant des défi ciences physiques ou intellectuelles et des handicaps physiques, en mettant de côté toutefois la notion de responsabilité. Ces

53 Sous cet angle « les barrières physiques et sociales auxquelles se heurtent les personnes ayant des incapacités risquent d’être interprétées “comme un problème concernant principalement l’individu diff érent” ». (Fougeyrollas, 1995, p. 117) Autrement dit, comme un problème d’abord et avant tout d’ordre individuel sans aucune contextualisation sociale et culturelle.

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déviances sont plutôt conditionnées par une pathologie ou un traumatisme54. « Le concept de diff érence apparaît toutefois plus adéquat pour aborder la question du processus de production du handicap consécutif à une défi cience physique ou mentale. » Peu de chercheurs (à part quelques sociologues) ont tenté d’analyser les relations entre les diff érences corporelles et leurs conséquences fonctionnelles et sociales. (1995, p. 20) C’est surtout du côté de la philosophie de l’histoire et de l’épistémologie que :

les fondements de l’analyse de l’évolution historique des signifi cations corporelle, fonctionnelle, comportementale ou esthétique […] se sont plutôt développées grâce aux travaux de Georges Canguilhem (1966) et en particulier, de Michel Foucault (1972.55. (1995, p. 21)

Les travaux de Fougeyrollas56 s’inscrivent, entre autres, dans cette lignée. Ils ont pour but de préciser la « relation interactive entre les diff érences fonctionnelles individuelles et les variables environnementales et socioculturelles dans la production de situations de handicap ». (1995, p. 22)

Les perceptions des diff érences et les discours qui les véhiculent dans une société ou une culture évoluent et se transforment selon l’environnement socioculturel qui produit une signifi cation pour cette diff érence.

Ces environnements sont diversifi és selon qu’il s’agit des interprétations de la personne qui vit le problème elle-même, des versions familiales et des proches signifi catifs, des versions religieuses, médicales, corporatives (professionnelles, syndicales, patronales), administratives, légales ou encore populaires comme dans les médias. Toutes ces interprétations de la diff érence physique et mentale peuvent être considérées d’un point de vue anthropologique comme constituant des facettes des discours sur les diff érences corporelles, comportementales ou d’apparence. (1995, p. 26)

Autant de discours, qui souvent s’embrouillent et se court-circuitent, nécessitent de rétablir une « interprétation sociale des diff érences corporelles ». Voilà pourquoi Fougeyrollas désire clarifi er les signifi cations et les spécifi cités des champs couverts par les concepts de défi cience, d’incapacité et de handicap, grâce à sa défi nition du processus de production du handicap social. (1995, p. 26)

Avant de défi nir ces trois dimensions (la défi cience, l’incapacité et le handicap) constitutives du processus de production du handicap social, voyons encore plus précisément de quoi est constituée la perspective holistique de Fougeyrollas. Cette perspective tente de comprendre quels sont les obstacles nuisant à la participation et à la réalisation de rôles sociaux qui ne soient pas uniquement de nature personnelle, mais elle intègre aussi les facteurs normatifs culturels (ou les représentations sociales) qui empêchent cette participation sociale. (1995, p. 37) En s’inspirant des travaux de Marc-Adélard Tremblay (professeur d’anthropologie qui fut son directeur de recherche), il incorpore selon cette perspective :

à la fois des éléments qui découlent des fondements biologiques, psychologiques et culturels de la personnalité et ceux qui se rapportent à l’insertion de l’individu dans un réseau de groupes d’appartenance et à l’intériorisation du mode de vie d’une civilisation particulière. La santé comme « fait total » dépasse la simple notion de santé, ou encore la compréhension des systèmes de dispensation des soins pour permettre la saisie de l’individu agissant dans sa culture57. (Tremblay, 1982, in Fougeyrollas, 1995, p. 41-42)

Wood (OMS, 1988) proposait pour la révision de la CIDIH des défi nitions conceptuelles qui englobent trois niveaux de conséquences des expériences vécues par une personne suite à un processus pathologique :

1. l’extériorisation par la défi cience2. l’objectivisation par l’incapacité3. la socialisation par le handicap

54 Je commenterais que les auteurs en interpellant cette notion de choix, par exemple pour tous types de toxicomanes, ne tiennent pas compte des traumatismes psychiques qui sont aussi handicapants que les traumatismes physiques. Ce qui n’empêche toutefois pas que les gens se responsabilisent face à leur déviance.

55 Je souligne.56 Ainsi que ceux de Henri-Jacques Stiker. (« Corps infi rmes »,1982)57 Je souligne.

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1. La « défi cience correspond à toute perte de substance ou altération d’une fonction ou d’une structure psychologique, physiologique ou anatomique ». Cette défi nition dévie des normes biomédicales. La défi cience décrit une « identité organique de l’individu à un certain moment »58. (OMS, 1988) (Fougeyrollas, 1995, p. 56)

C’est une caractéristique (soi-disant) « neutre » (OMS, 1988) au même titre que l’âge, le sexe, la race. Elle n’est pas contingente à l’étiologie (ou à l’étude des causes des maladies). Autrement dit, la personne ayant une défi cience n’est pas une personne malade (processus pathologique actif). Les défi ciences sont « des diff érences de la normalité biologique humaine, congénitales ou conséquentes d’une maladie ou d’un traumatisme ». La nomenclature des défi ciences se lit comme suit : 1. intellectuelles, 2. du psychisme, 3. du langage et de la parole, 4. auditives, 5. de l’appareil oculaire, 6. des autres organes, 7. du squelette et de l’appareil de soutien, 8. esthétiques, 9. des fonctions générales, sensitives, ou autres. (1995, p. 56-57)

2. [Une] incapacité correspond à toute réduction (résultant d’une défi cience) partielle ou totale, de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans des limites considérées comme normales pour un être humain. […] L’incapacité correspond à un écart par rapport à la norme en terme d’action de l’individu et non pas d’un organe ou d’un mécanisme [comme dans le cas d’une défi cience]. Ce concept est caractérisé par un excès ou une diminution des comportements ou activités normales59. (OMS, 1988) (Fougeyrollas, 1995, p. 58-59)

« Ce concept vise à décrire le degré de diffi culté à réaliser une activité avec son corps dans la pratique et de façon objective. » Comme par exemple s’habiller, marcher, communiquer verbalement, lire, établir des relations. La nomenclature des incapacités comprend celles concernant : 1. le comportement, 2. la communication, 3. les soins corporels, 4. la locomotion, 5. l’utilisation du corps dans certaines tâches, 6. les maladresses, 7. celles révélées par certaines situations, 8. celles concernant des aptitudes particulières, 9. autres restrictions d’activités.(1995, p. 59)

Les comportements individuels sont assujettis à des valeurs et à des sanctions sociales et culturelles. La transgression de ces comportements normatifs comme dans le cas d’incapacité fonctionnelle ou comportementale relève du handicap. (1995, p. 59)

3. [Le] handicap pour un individu donné résulte d’une défi cience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport à l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels). (OMS, 1988) (Fougeyrollas, 1995, p. 60)

Ce sont les conséquences sociales des défi ciences et des incapacités déterminées par les valeurs que lui attribuent l’individu concerné lui-même, son groupe d’appartenance et le système social dans lequel il s’insère. Cette relation aux autres peut déterminer un statut, un écart dans la tenue de rôles sociaux habituellement attendus. La réponse culturelle à la diff érence corporelle, fonctionnelle et comportementale est variable et normative. Elle peut engendrer des obstacles à l’intégration sociale de la personne60. (Fougeyrollas, 1995, p. 60)

Voici la nomenclature des handicaps selon l’OMS : 1. d’orientation, 2. d’indépendance physique, 3. de mobilité, 4. d’occupation, 5. d’intégration sociale, 6. d’indépendance économique, 7. autres handicaps. (1995, p. 60-61)

De nombreuses critiques ont été adressées, et particulièrement de la part du Mouvement international des personnes ayant des incapacités, à cette nomenclature proposée par Wood et l’OMS. Ces critiques se focalisent surtout sur le troisième axe concernant le handicap qui « est traité comme une caractéristique de l’individu ». (1995, p. 61-63 et 69)

Bien que Wood soulignât dans son modèle, de manière novatrice à l’époque, l’importance de la dimension environnementale, il n’était pas parvenu à déployer tous les éléments nécessaires à une intégration complète.

58 Je souligne.59 Je souligne.60 Je souligne.

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De telle sorte que son modèle demeurait trop collé à la perspective individualiste et clinique. D’où l’aporie de ses travaux conceptuels que Fougeyrollas, par ses propres travaux étalés sur deux décennies, tente de corriger.

Au Québec, le modèle théorique de Wood (version remaniée de la CIDIH, 1988) a néanmoins inspiré, dès sa présentation, l’élaboration de modèles d’intervention et de changement social novateurs (OPHQ 1984; Bolduc, 1986, Fougeyrollas, 1987)61 qui intègrent les caractéristiques positives de la personne (plutôt que strictement négatives) ainsi que les interventions visant à réduire les obstacles environnementaux et socioculturels. (Fougeyrollas, 1995, p. 63)

En 1988, Fougeyrollas présente un Modèle de production et prévention des handicaps. Ce modèle global propose une analyse environnementale qui pourra servir aussi bien pour divers types d’intervention individualisés que dans la défi nition des politiques sur le plan international. (p. 73) Le modèle de Fougeyrollas clarifi e celui de Wood, spécifi quement sur la fragmentation conceptuelle entre les incapacités et les handicaps62. Dès lors, il conçoit le handicap comme le résultat d’une situation où entrent en jeu l’interaction de l’individu avec son environnement éco-social. Du coup, il récuse une approche essentiellement médicale basée sur l’étiologie, la localisation et la manifestation organique et fonctionnelle du processus de production du handicap. (p. 71) Selon cette perspective holistique, ce sont les facteurs environnementaux et socioculturels qui produisent ou préviennent les situations de handicap. C’est dire que le handicap est en soi situationnel et dépend des valeurs et des perceptions socio-culturelles. Une telle défi nition du handicap en tant que conséquences sociales des défi ciences et des incapacités, laisse entrevoir qu’une transformation sur ce plan éliminera les barrières environnementales injustement érigées à l’encontre des personnes handicapées. Ou pour le formuler selon les mots même de Fougeyrollas et qui pourraient former l’hypothèse générale (de départ) de la recherche du RQPC :

La variabilité des composantes, réagissant au phénomène de la diff érence corporelle, fonctionnelle et comportementale, détermine un degré de réalisation des rôles et activités attendus par le milieu et, en bout de ligne, le degré d’intégration sociale de la personne diff érente63. (Fougeyrollas, 1995, p. 69)

Voilà, enfi n, où se situera le cœur théorique de notre recherche qui rejoint la théorie de la valorisation des rôles sociaux de Wolfensberger.

Il est à noter que l’intégration sociale (selon le document de l’ OPHQ, À part… égale, 1984) s’eff ectue sur quatre niveaux. La participation sociale dont s’occupe exclusivement le RQPC, constitue un de ces niveaux d’intégration sociale, au même titre que le maintien dans le milieu, l’intégration scolaire et l’intégration professionnelle. (1995, p. 91) Par ailleurs, si l’on tente de positionner l’action du RQPC à partir de ce modèle d’intervention (Figure #10, p. 92), elle se situerait sur le plan de l’interrelation entre la personne perçue comme handicapée et ses rôles sociaux dans l’organisation socioculturelle. Et elle se défi nirait vraisemblablement par la suppression des obstacles sociaux à l’intégration, particulièrement dans la vie sociale et associative ainsi que dans les loisirs.

Ce positionnement de l’action engagerait le RQPC à opter pour la défi nition du handicap en tant que « barrières sociales » et à travailler « à atténuer les défi ciences et les incapacités » ainsi qu’à « améliorer l’environnement physique et aussi [à] modifi er les mentalités » (tel que le proposait, en 1988, la CQCI-DIH).

Revenons au processus de production du handicap proposé par Fougeyrollas (1995). Il optera, suite à ses travaux, pour de nouvelles défi nitions du handicap, de la défi cience et de l’incapacité qui diff érent de celles de Wood en ce qu’elles tentent de faire le pont entre les concepts d’incapacité et de handicap que le modèle de Wood segmentait et qui permettent ainsi de répondre à la question suivante :

61 On retrouvera le modèle de Bolduc (1986), « Clientèles et problématiques visées, types d’intervention correspon-dants », in Fougeyrollas (1995, p. 64, fi gure #7) et celui de Fougeyrollas (1987), « Les niveaux d’actions », in Fougey-rollas (1995, p. 65, fi gure #8)

62 63 Je souligne.

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Comment distinguer ce qui appartient directement à la personne, c’est-à-dire ce qui relève des conséquences organiques et fonctionnelles de sa maladie ou de son traumatisme, de ce qui relève des conséquences sociales, c’est-à-dire des contraintes que ces caractéristiques individuelles vont entraîner sur les activités et rôles sociaux valorisés par la société d’appartenance et qui sont suscitées par l’environnement, le contexte écologique et social64 ? (1995, p.137)

Il faut ici spécifi er que cette question, à portée holistique, tente de pallier la lacune majeure, identifi ée par le mouvement de défense des droits des personnes handicapées, propre au modèle de Wood. (1995, p. 137) Elle inspirera la question de départ à laquelle notre recherche tentera de répondre. (J’essaierai ultérieurement de la formuler plus spécifi quement en fonction de l’objet de recherche du RQPC et d’expliciter davantage pourquoi elle sert notre recherche.)

Voici la nouvelle défi nition du handicap telle que proposée par Fougeyrollas :

Le handicap est une perturbation pour une personne dans la réalisation d’habitudes de vie compte tenu de l’âge, du sexe, de l’identité socioculturelle, résultant d’une part de défi ciences ou d’incapacités et d’autre part d’obstacles découlant de facteurs environnementaux.

Cette défi nition fait appel à deux nouvelles notions qui n’existent pas dans la Classifi cation expérimentale de l’OMS : celle des habitudes de vie et celle de facteurs environnementaux.

Les habitudes de vie sont celles qui assurent la survie et l’épanouissement d’une personne tout au long de son existence. Ce sont les activités quotidiennes et domestiques ainsi que les rôles sociaux valorisés par le contexte socioculturel pour une personne selon son âge, son sexe et son identité sociale et personnelle65.

La notion d’habitudes de vie a été choisie pour son sens très large englobant les pratiques et les modes de vie. Elle évite le recours à la notion piégée de normalité, sur le plan social, et est compatible au respect du relativisme socioculturel. [Le relativisme sur le plan social et culturel suppose que] [l]es habitudes sociales, les habitudes de vie diff èrent selon les appartenances de la personne, son identité et les diverses sociétés.

Les facteurs environnementaux sont l’ensemble des dimensions sociales, culturelles, écologiques qui déterminent l’organisation et le contexte d’une société.

Les facteurs environnementaux qui entrent en interrelation avec les défi ciences et incapacités pour perturber l’accomplissement des habitudes de vie de la personne sont des obstacles. Il faut toutefois éviter une interprétation restrictive de la notion d’obstacle et préciser qu’il peut aussi, dans certaines situations, constituer une sorte de facilitateur. Toutefois la notion d’obstacle […] constitue l’essentiel des préoccupations d’élimination des facteurs perturbant la réalisation des habitudes de vie des corps diff érents66. (Fougeyrollas, 1995, p. 149-151)

Cette nouvelle défi nition appelle une redéfi nition du concept de défi cience et d’incapacité. Fougeyrollas propose alors :

Une défi cience correspond à toute anomalie ou modifi cation physiologique, anatomique ou histologique67. (1995, p. 194) L’incapacité correspond à toute perturbation résultant de la défi cience, de la capacité de réaliser des activités physiques et mentales considérées comme normales pour un être humain (selon ses caractéristiques biologiques)68. (p. 203)

Suite aux nomenclatures (des systèmes organiques, des capacités, des habitudes de vie et des facteurs environnementaux) proposées et révisées (p. 194-238) est présentée une enquête selon des études de cas,

64 Je souligne.65 Nos entrevues auprès des fi lleuls porteront sur cette dimension du handicap social.66 Je souligne. Nos entrevues porteront également sur cette dimension du handicap social.67 Je souligne. Une description des caractéristiques et une nomenclature des systèmes organiques suivent cette défi ni-

tion. Puisqu’elles ne servent pas notre propos, nous les avons délaissées.68 Je souligne. Une nomenclature exhaustive complète cette défi nition.

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eff ectuée au Centre François-Charon et au sein de son Centre-Jour, à Québec. Ces études de cas, auprès de cinq usagers, illustrent l’application du modèle conceptuel du processus de production culturelle des handicaps. (p. 255) Puisque cette enquête s’éloigne de nos préoccupations de recherche, nous achèverons ainsi le compte rendu de cet ouvrage sur le PPH, sans toutefois oublier de citer pour conclure l’énoncé suivant. Cet énoncé (dé)constructiviste montre à quel point l’analyse de Fougeyrollas se démarque radicalement du modèle classique biomédical, encore très dominant :

En fait, le handicap n’existe pas en soi et il ne peut y avoir de « statut » de personnes handicapées. Il n’existe que des situations de vie où l’interaction entre les diff érences fonctionnelles et le contexte entraîne un écart de la norme, de ce qui se serait passé dans cette même situation si la personne n’avait pas ces diff érences. Une analyse environnementale globale est, selon nous, essentielle à toute tentative de décryptage du phénomène du handicap. Pourtant, elle n’a jamais été réalisée […]69. (1995, p. 386-387)

D’où l’importance d’accoler un qualifi catif au concept de handicap : « social ».

69 Je souligne.

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DEUXIÈME PARTIE : L’ANALYSE ET LES RÉSULTATS

AUTEUR : MARIA ELISA MONTEJO

Comme nous l’avons mentionné précédemment, madame Montejo a pris la relève en utilisant le matériel collecté dans les organismes locaux de parrainage civique sur l’organisation des organismes mêmes et sur le vécu des personnes fi lleules ayant été interviewés. Nous présentons ici les résultats, suite à la compilation de réponses et à l’analyse du matériel obtenu.

Pour réaliser l’analyse, nous avons retenu l’approche de recherche inductive très utilisée en recherche qualitative et mise de l’avant par les chercheurs Glaser et Strauss (1967). Elle est connue sous l’appellation « analyse par théorisation ancrée ». De cette façon, à partir du matériel obtenu lors des entrevues, nous avons procédé à la codifi cation des entrevues. Par la suite, et à l’aide de matrices thématiques, nous avons eff ectué des comparaisons qui permettent donc de distinguer des groupes de répondants. Ainsi, certaines caractéristiques, tel le sexe, le groupe d’âge, le nombre d’années vécues en situation de jumelage, vont sans doute diff érencier ou apparenter les répondants selon les eff ets consécutifs à leur participation à des jumelages proposés par des organismes de parrainage civique. En toile de fond, nous verrons que le milieu écologique donne lieu à des éclairages particuliers sur la pertinence du mouvement de parrainage civique. La modifi cation des environnements physiques et sociaux va contribuer à l’insertion sociale des individus ayant une ou plusieurs défi ciences.

Il faut préciser que pour les analyses, nous avons décidé d’écarter un des organismes dont la population cible touche des enfants mineurs de moins de 18 ans. Par conséquent, les deux entrevues réalisées auprès de cet organisme ne font pas partie du matériel analysé dans ce rapport. Nous avons utilisé les données provenant de dix organismes locaux de parrainage civique et de treize personnes adultes ayant des incapacités, et membres de ces organismes.

De plus, avant de compléter la rédaction de ce rapport, nous avons présenté au comité de pilotage de la recherche les principaux constats découlant de l’analyse du matériel. Cet exercice a permis une sorte de validation des résultats et a contribué à progresser dans la compréhension du mouvement de parrainage civique.

Tout d’abord nous présenterons brièvement les organismes qui ont participé à la recherche et qui nous ont mis en contact avec des membres (personnes ayant des incapacités) afi n que nous puissions les interviewer. Ensuite, il sera question de la perception que ces personnes ont d’elles-mêmes, de leur parrain/marraine, et des diff érences dans leur vécu avant et après le jumelage, ainsi que de leur perception de l’expérience de jumelage comme telle.

Il est important de ne pas généraliser ces résultats. L’échantillon est composé de participants qui ont été en mesure de s’exprimer, qui n’étaient pas lourdement handicapés, ni en état de crise. Cependant, la valeur des informations données ne doit pas être mise en cause. Au contraire, ce sont ces témoignages qui donnent force à l’existence du mouvement de parrainage civique.

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CHAPITRE LES ORGANISMES DU PARRAINAGE CIVIQUE

Le Regroupement québécois du parrainage civique compte une vingtaine d’organismes locaux membres. L’objectif de tous ces organismes est de promouvoir l’insertion sociale des personnes ayant une défi cience quelconque. C’est principalement à travers des pratiques de jumelage que se fait cette insertion. Le principe du jumelage est, comme nous l’avons déjà mentionné, de construire une amitié entre deux personnes : celle qui est atteinte d’une défi cience (fi lleul) et un parrain bénévole. Les organismes se chargent de collecter les demandes, de les prioriser et de recruter des parrains-bénévoles. Ensuite, l’organisme prépare la rencontre et si les deux personnes se mettent d’accord pour entreprendre un jumelage, il se charge du suivi jusqu’à ce que la relation de jumelage soit bien établie.

Les organismes ayant participé à la recherche ont été choisis sur une base provinciale et régionale dans le but de sélectionner autant des organismes établis dans des milieux urbains métropolitains que des organismes régionaux desservant de vastes territoires moins peuplés. C’est sur la base des informations données par les gestionnaires des organismes et trouvées dans la documentation (dépliants, rapports annuels, publications, etc.) que cette analyse a été eff ectuée.

Tous les organismes (10) suivent de près le cadre de référence adopté par le Regroupement en l’an 2000 et qui a fait l’objet de modifi cations en 2002 et en 2007 (RQPC, 2007).

. LES ANNÉES D’EXPÉRIENCE

Depuis une trentaine d’années, le Québec a vu naître et grandir des organismes de parrainage civique, tous répondants à des besoins de la population défi ciente, dans le but de l’aider à s’intégrer dans la société et à se faire accepter comme personne à part entière.

Parmi les organismes ayant participé à la recherche (10), plusieurs (6) ont été créés à la fi n des années 1970 et au début des années 1980. Sans doute, l’expérience qu’ils ont acquise et leur pérennité justifi ent leur existence. Les quatre autres sont nés au cours de la dernière décennie. Ils commencent aussi à acquérir de l’expérience et à être reconnus dans leurs territoires respectifs.

Contrairement à une idée reçue, les organismes plus anciens n’ont pas d’infl uence sur la création des nouveaux organismes que ce soit en milieu urbain ou en milieu régional. Il n’y a donc pas de corrélation entre l’année de création de l’organisme et le milieu dans lequel il mène ses activités. On rencontre des populations présentant des défi ciences sur tout le territoire de la province.

. PIGNON SUR RUE : VILLE ET RÉGION

Six des organismes qui ont participé à la recherche couvrent un territoire correspondant à une ville, voire à une métropole, tandis que les quatre autres organismes sont situés en région.

Ici encore, il n’y a que quelques diff érences quant au développement des organismes, exception faite des territoires trop vastes pour que l’intervention puisse être eff ectuée de façon soutenue partout. En revanche, si l’on regarde du coté des jumelages actifs et de ceux en attente, il y a des diff érences entre les organismes en milieu urbain et ceux établis en régions.

Les statistiques disponibles sur les jumelages dans les dix organismes ayant participé à la recherche et dont le matériel a été utilisé pour des fi ns d’analyse, en décembre 2005, sont les suivantes :

• Total jumelages actifs : 861 (755 long terme et 86 court terme)• Total personnes en attente de jumelage : 571

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En milieu urbain, la population qui est en attente de jumelage représente la moitié de la population qui est déjà jumelée tandis qu’en milieu régional la population en attente dépasse de peu celle déjà jumelée. Cette donnée pourrait être interprétée comme la preuve d’un défi cit de parrains bénévoles face à une grande demande de personnes ayant des défi ciences.

Par ailleurs, tous les organismes participent à des Tables de concertations locales ou régionales et sont reconnus par la population.

. PROBLÉMATIQUES DE LA CLIENTÈLE ET ACTIVITÉS OFFERTES

Les problématiques de santé vécues par la population ciblée sont très diversifi ées. Cependant, certains organismes ont choisi de mettre l’accent sur une population présentant une seule problématique, par exemple la défi cience intellectuelle (4/10), tandis que d’autres organismes acceptent une clientèle cible présentant diverses problématiques de santé (6/10), par exemple handicap physique, psychique ou touchant la santé mentale.

Au-delà du fait d’accueillir des clientèles avec diverses problématiques de santé ou non, d’autres caractéristiques spécifi ques à chaque organisme, tel l’âge, s’ajoutent. Ainsi, quelques organismes se sont spécialisés dans des clientèles jeunes tandis que d’autres s’adressent à des clientèles adultes et âgées.

Pour les organismes dont la clientèle cible est diversifi ée quant à ses problématiques de santé, il semble que la réalisation des objectifs soit plus complexe car les sources de fi nancement sont réduites du fait que les bailleurs de fonds favorisent des clientèles plus homogènes. Au dire de certains gestionnaires, il y a encore beaucoup de méconnaissance et de préjugés envers les populations souff rant de défi cience intellectuelle ou de problèmes de santé psychique ou mentale. Les populations de personnes âgées, même ayant des handicaps physiques importants, sont moins discriminées et la population cherche à leur venir en aide plus facilement.

. LES JUMELAGES

D’après les informations obtenues auprès des organismes ainsi que suite aux entrevues individuelles de personnes fi lleules, on a pu constater que l’activité centrale de tous les organismes ayant participé à l’enquête est celle du jumelage entre une personne défi ciente et un parrain/marraine afi n de construire une relation profi table et favoriser l’insertion sociale.

Deux types de jumelage sont pratiqués par les organismes.

Le jumelage à long terme : il attire des bénévoles dont on ne peut clairement défi nir l’origine au sein de la population, il s’agit principalement de femmes jeunes, adultes ou même âgées. Ce sont elles qui sont le plus facilement recrutées comme marraines. Dans plusieurs organismes, on reconnaît la diffi culté de recruter des hommes comme bénévoles parrains. Le jumelage à long terme permet de créer des liens d’amitié solides et une entraide sur une période qui va de 2 à 22 ans, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Le jumelage à court terme : il est principalement assumé par des étudiants du niveau collégial et universitaire désirant entrer en contact et faire des stages avec diverses populations membres des organismes de parrainage civique. Dans ce cas, il s’agit d’un bénévolat utilitaire, ce sont des activités très spécifi ques qui sont accomplies par les étudiants (accompagnement, appels téléphoniques, etc.). Rarement ces jumelages à court terme deviennent des parrainages à long terme.

Les organismes respectent, dans la mesure du possible, le choix de la personne ayant des incapacités quant au sexe et à l’âge du parrain. Dans une grande majorité des organismes, il y a plus de femmes bénévoles que d’hommes. Les organismes n’ont pas encore trouvé la façon d’attirer les hommes vers le bénévolat. Le défi pour les organismes, précise une coordonnatrice, est de composer avec deux réalités : la première, répondre aux besoins de la personne handicapée et la seconde, s’accommoder des disponibilités des parrains bénévoles.

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Dans tous les organismes, la liste d’attente des personnes qui souhaitent commencer un jumelage avec un bénévole est considérable et, parfois, elle égale et dépasse le nombre de jumelages actifs dans les organismes. D’ailleurs, les statistiques sur les jumelages ne sont pas toujours disponibles (âge, sexe, durée, diffi cultés, acquis dus à l’élargissement du réseau social). Ces données sont importantes pour la crédibilité de l’organisme et pour la gestion interne, c’est le centre du travail des organismes, et pourtant les chiff res ne sont pas répertoriés.

Une bonne tenue des livres au sujet des pratiques de jumelages (jumelages actifs, jumelages en attente, jumelages terminés) serait pourtant appréciée de tous puisque ce pourrait être un baromètre du travail accompli par l’organisme, bref, un outil d’évaluation du travail réalisé année après année.

Par ailleurs, la formation de parrains et le suivi des jumelages est assez inégale d’un organisme à l’autre. Parfois la formation des parrains se fait en individuel, parfois en groupe. Le contenu des formations est variable d’un organisme à l’autre, selon les problématiques de santé des participants.

Quelques organismes ont décidé d’attendre les demandes de parrains avant d’organiser les formations. Les organismes qui desservent divers types de clientèles ont de la diffi culté à donner une formation sur mesure et à faire le suivi des bénévoles. La variété des situations, principalement dans les cas de personnes atteintes de désordres psychiques et de santé mentale, requiert des formations individuelles et sur mesure, car elles sont plus effi caces. Dans le cas des personnes ayant plus d’une problématique de santé, la formation du bénévole s’avère d’autant plus nécessaire et complexe.

En plus de s’adonner à des activités de jumelages, la plupart des organismes off rent des activités sociales tout au long de l’année, ce qui permet aux personnes participant aux jumelages de sortir avec leur bénévole. De plus, pour ceux qui sont en attente d’un parrain bénévole, ces activités sont encourageantes, car elles sont l’occasion pour eux de constater que des amitiés sont possibles et d’être réconfortés dans leur espoir du fait qu’ils font partie aussi de cet organisme.

Les activités organisées par les organismes contribuent aussi à faire du recrutement de bénévoles, à lancer des campagnes de fi nancement et à faire connaître l’organisme.

. . VERS UNE APPROPRIATION DES ORGANISMES PAR SES MEMBRES

La participation de la clientèle cible dans les Conseils d’administration des organismes de parrainage civique est variable. Cependant, il semble que dans le mouvement communautaire il y ait un mouvement d’engagement et d’appropriation par les membres utilisateurs des services de leur propre organisme. Cette situation contribue à l’insertion sociale et reconnaît en même temps les capacités que quelques membres peuvent développer dans ce sens.

Par ailleurs, les personnes défi cientes sont aussi encouragées à agir à leur tour en tant que bénévoles pour d’autres personnes au sein de l’organisme dont elles sont membres ou pour tout autre organisme qui vient en aide aux personnes en diffi culté. Là encore, c’est une autre forme de participation sociale importante.

Certains organismes proposent d’autres services et d’autres activités que les jumelages dans le but de favoriser l’insertion de ses membres (personnes vulnérables) et de mener la défense de leurs droits. Des activités artistiques et sportives, entre autres, sont off ertes.

Néanmoins, pour la grande majorité des organismes, le jumelage demeure l’activité centrale. Le soutien que ce rapport entre deux personnes apporte peut amener la personne ayant des incapacités à trouver une voie et à s’ouvrir à de nouveaux horizons.

Le parrain devient un agent de changement pour la personne fi lleule et, si l’objectif d’insertion sociale est amorcé, la personne pourra aller de l’avant pour chercher d’autres options possibles afi n de réaliser son intégration sociale.

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Avant de terminer cette section nous voulons ajouter les suggestions faites par des coordonnatrices afi n d’améliorer le rôle du RQPC comme organisme rassembleur :

• Montrer l’importance du cadre de référence du parrainage civique pour tous les organismes membres.

• Promouvoir et réaliser des formations auprès des bénévoles.

• Donner de l’importance aux régions même si le siège social est situé dans la métropole. Bref, promouvoir, la participation des régions pour qu’elles soient mieux représentées au sein du RQPC.

• Assurer la visibilité de tous les groupes membres du RQPC.

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CHAPITRE LE PARRAINAGE CIVIQUE À TRAVERS LES PERCEPTIONS DES PERSONNES FILLEULES

Ce chapitre porte sur la perception des participants, c’est-à-dire des personnes ayant une ou des défi ciences qui, au moment de l’entrevue, se trouvaient en jumelage actif depuis au moins un an.

Les participants ont été recrutés par les organismes membres du RQPC retenus pour participer à la recherche. Comme nous l’avons mentionné plus haut, 15 entrevues ont été eff ectuées par madame Le Blanc au cours de l’été 2006. Cependant, aux fi ns de l’analyse, nous avons décidé de retirer les deux entrevues réalisées auprès d’enfants mineurs âgés de moins de 18 ans.

Regardons de plus près quelques caractéristiques des personnes ayant des incapacités et qui ont bien voulu participer à la recherche.

Tableau 1Groupe d’âge et sexe des personnes fi lleules interviewées

Groupe d’âge Sexe TotalF M

18-39 ans 3 3 640-59 ans 3 1 460-74 ans 2 1 3Total 8 5 13

Plus de femmes que d’hommes ! Pourtant, lors de la préparation du travail de terrain, on avait l’intention d’interviewer un nombre égal de femmes et d’hommes. Mais il n’est pas impossible non plus que parmi les membres des organismes de parrainage civique le nombre des femmes ayant une incapacité soit plus élevé que celui des hommes. Du côté des parrains-marraines bénévoles, nous avons pu constater une pénurie d’hommes prêts à se porter volontaires pour agir en tant que parrains bénévoles. Par ailleurs, il est reconnu que les femmes ont plus de facilité à communiquer, quand il s’agit de parler de leurs conditions de vie et de santé, que les hommes.

Pour ce qui est de la qualité des entrevues, les femmes semblent avoir plus de choses à dire. Certaines ont connu la souff rance depuis leur enfance, abandon, familles d’accueil. À l’âge adulte, d’autres ont séjourné dans des hôpitaux psychiatriques pour de courtes périodes et ont été obligées de se séparer de leurs enfants. Des femmes défi cientes intellectuelles ont souff ert de la discrimination, elles ont dû supporter des moqueries, accepter de vivre avec la peur dans des conditions diffi ciles : restrictions alimentaires et interdiction de sortir de la résidence. D’ailleurs, les femmes ayant des incapacités physiques importantes ont été contraintes à déménager dans un milieu urbain de façon à avoir accès aux services d’adaptation domiciliaire, d’ergothérapie et d’accompagnement d’un préposé.

Quant aux hommes, plus de la moitié sont jeunes et demeurent donc chez leurs parents ou quelqu’un de leur famille. Ils font encore des études, leurs diffi cultés ne sont pas comparables à celles des femmes. Pour ce qui est des hommes plus âgés ayant vécu des épisodes de maladie mentale, ils essayent de se reconstruire un réseau social et de s’adonner à de nouvelles activités.

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Tableau 2Type d’incapacité ou de problème de santé70

Type d’incapacité ou de problème de santé n

Incapacités physiques 5

Problèmes visuels 2

Santé mentale 5

Défi cience intellectuelle 4

Les personnes qui vivent avec des incapacités physiques et qui ont besoin d’utiliser une chaise roulante ont de la diffi culté avec le transport public adapté. Les participants retenus diagnostiqués défi cients intellectuels ne se reconnaissent pas comme tels, exception faite d’une personne. Ceci peut être attribuable au fait que les politiques d’intégration scolaire ont fait en sorte que les enfants défi cients intellectuels soient éduqués dans les mêmes écoles que les autres enfants mais dans des classes spéciales.

Il n’est pas surprenant d’apprendre que 4 participants sur 13 ont fréquenté l’université et que 3 d’entre eux ont obtenu des diplômes. Cependant, leurs conditions de vie au moment de l’entrevue étaient aussi précaires que celles des autres participants n’ayant fréquenté que l’école primaire.

La plupart des personnes ayant des incapacités, interviewées dans le cadre de notre recherche, et qui ont été jumelées luttent pour devenir autonomes. C’est un projet à court ou à moyen terme dans lequel s’insère l’expérience du jumelage au sein d’un organisme de parrainage civique. En eff et, l’organisme par ses activités diverses et par le jumelage cherche à contribuer au succès de cet objectif individuel.

Par ailleurs, les participants ont, au moins une fois par année, recours à des services de santé et à des services sociaux, soit auprès d’un CLSC ou d’un Centre de réadaptation, soit pour un simple examen annuel médical.

Le lieu de résidence est également varié. Les jeunes personnes demeurent encore avec leurs familles. Les adultes vivent en appartement, en résidence ou en famille d’accueil.

Comme on a pu le constater, les participants ne constituent pas un groupe homogène, au contraire, les spécifi cités sont assez importantes. Est-ce que le fait d’être jumelé à un parrain va faire en sorte qu’ils vont fi nir par se ressembler entre eux ?

. LES TRAJECTOIRES DU JUMELAGE

À la question : comment avez-vous pris connaissance de la possibilité d’être jumelé et qui a fait les démarches ? voici les réponses que nous avons obtenues.

Certains participants ont vu des annonces ou des articles dans un journal local et se sont adressés eux-mêmes à l’organisme. D’autres, en particulier les personnes jeunes, ont été référés par l’intervenant ou par un membre de la famille.

Entre le moment de faire la demande pour être jumelé et la réalisation du jumelage, il peut s’écouler quelques mois, voire quelques années. Une fois que la personne a été évaluée et qu’elle correspond aux critères de l’organisme, elle peut être confi ée à un parrain bénévole. Parfois, les jumelages ne fonctionnent pas pour diverses raisons (peu d’intérêts communs, éloignement géographique, déménagement dans une autre région) et provoquent donc une interruption pendant laquelle l’organisme cherche un autre parrain qui pourrait convenir à la personne fi lleule.

70 Certaines personnes avec incapacité présentent deux types de problème.

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Peu de participants ont été jumelés à deux ou trois reprises sans que cela fonctionne, et fi nalement l’organisme trouve le parrain qui convient pour développer une amitié. Dans le cas des jumelages à court terme qui ne durent pas plus d’un an, il est impossible d’établir des liens d’amitié avec le parrain.

Tableau 3Nombre d’années en jumelage

Années de parrainage NbUn an 22 - 4 ans 44 - 10 ans 510 ans et + 2Total 13

Importance spatio-temporelle dans le jumelage.

Dans la trajectoire des personnes parrainées, il semble que la durée du parrainage dans le temps ait un rapport direct avec le développement de liens sociaux forts entre les deux personnes. Les réponses des personnes fi lleules nous ont permis d’établir les étapes nécessaires à la construction d’un jumelage à long terme qui pourra se transformer en amitié.

Après une première rencontre entre les personnes en présence de l’intervenant de l’organisme de parrainage civique, les deux personnes vont traverser une première étape que j’appellerai l’apprivoisement. Durant cette période, les organismes recommandent fortement des rencontres assez rapprochées dans le temps de façon à faire connaissance. La deuxième étape est celle de l’établissement d’un rapport de confi ance qui se tisse au fur et à mesure que le gens se connaissent et se fréquentent. Si les sorties de la personne fi lleule avec le parrain ne sont pas suivies, s’il n’y a pas de contacts téléphoniques réguliers, il peut y avoir rupture ou au moins un questionnement sur la relation de jumelage. Ce n’est pas seulement à travers le jumelage que l’insertion sociale des personnes défi cientes se met en place, mais après quelques années de jumelage, la routine peut s’installer et le sens du jumelage peut être en péril, c’est pourquoi le suivi et les activités qui vont appuyer les acquis du jumelage sont importants.

Enfi n, les jumelages qui durent plus de 6 ans permettent de développer des liens d’amitié au point qu’elle prend le relais et s’installe. Les rencontres sont moins fréquentes, les appels téléphoniques le sont davantage. Les liens créés au cours des années sont forts et même si le parrain ne réside pas dans la localité, l’amitié se maintient.

Cependant, une question reste à examiner : les liens construits entre deux personnes dans un programme de parrainage sont-ils suffi sants pour affi rmer que la personne défi ciente est désormais capable de s’intégrer à la communauté ?

. LES IMPACTS DU PARRAINAGE SUR LES PERSONNES FILLEULES

Quelles étaient les attentes des personnes quand elles se sont adressées à un organisme de parrainage civique ?

Les plus jeunes cherchaient avant tout de la nouveauté à travers des activités sociales, sportives ou même artistiques. Le réseau familial étant assez limité et contraignant parfois, ils s’ennuyaient et souff raient probablement de l’isolement.

Pour les adultes, la recherche d’un parrain est aussi liée à l’isolement social subi suite à un événement ayant nécessité une hospitalisation plus au moins prolongée, à la perte d’autonomie fonctionnelle ou à des problèmes de santé mentale. Il s’agit donc de récupérer l’estime de soi, de se refaire un réseau social, de construire un

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nouveau projet de vie. Le parrain est l’oreille attentive qui écoute la personne fi lleule afi n de bien la connaître. De son côté, la personne fi lleule appelle son parrain non seulement en cas de détresse mais aussi pour avoir des nouvelles ou organiser une activité quelconque.

Pour les personnes plus âgées, le besoin est souvent plus utilitaire, il s’agit alors d’accompagnement pour les activités liées à la vie quotidienne sans que nécessairement le lien d’amitié soit introduit dans la relation.

4.2.1 IMPACTS SUR LE PLAN INDIVIDUEL

Seules les personnes qui ont vécu une expérience de parrainage assez longue, soit 5 à 6 ans, ont pu nous parler des impacts de cette expérience sur leur vie. La relation parrain/personne fi lleule a eu le temps d’atteindre sa maturité jusqu’à devenir une relation d’amitié, ces personnes fi lleules sont donc en mesure de décrire un changement qualitatif dans leur quotidien.

Ainsi, une des participantes nous dit que l’organisation de sa vie quotidienne s’est améliorée :

Grâce à elle (marraine) je fonctionne bien… je lave mon linge et je l’organise dans les tiroirs. Je prends soin de mon apparence…

Enfi n, certaines personnes vont découvrir un goût pour la lecture, avoir envie de suivre des cours, des formations, d’aller au cinéma. Plus l’amitié se développe, plus les personnes en jumelage se ressemblent. La personne fi lleule va prendre son parrain comme modèle, donc avec le temps ils vont partager des goûts communs. Entre femmes, il va y avoir des échanges de cadeaux, des petites gâteries qui vont faire plaisir à l’une et à l’autre comme preuve d’amitié et du plaisir de partager une grande amitié. La confi ance a pris la place de la méfi ance et les personnes fi lleules oublient leurs incapacités.

4.2.2 IMPACTS SUR LE PLAN SOCIAL

Non seulement les organismes de parrainage civique, par les pratiques de jumelage, permettent aux personnes défi cientes d’établir une relation d’amitié qui améliore l’estime de soi, donne confi ance dans ses capacités personnelles et encourage à ouvrir des nouvelles portes, mais ils apportent aussi des transformations dans la vie de ces personnes sur un plan social.

À travers le jumelage, des personnes ayant des incapacités ont trouvé une vraie famille et d’autres ont trouvé une deuxième famille avec laquelle ils font des activités bien diff érentes de celles réalisées avec la famille naturelle. Il est rare cependant que le réseau du parrain devienne le réseau de la personne fi lleule. Les gens se rencontrent pour certaines activités mais en dehors de celles-ci, ils ne se parlent pas.

D’autres eff ets positifs nous sont rapportés : prendre confi ance en soi, se rendre compte de sa propre valeur comme personne, être capable de communiquer, d’agir et de faire des nouveaux apprentissages. Un jeune homme nous explique :

J’ai vaincu ma gêne, je suis capable de mieux m’exprimer, je suis plus ouvert maintenant et je trouve que maintenant j’attire des amis…

Au fur et à mesure que la personne ayant des incapacités se transforme au contact de son parrain, d’autres personnes, comme par exemple des anciens amis, des collègues de travail, et même des membres de la famille, que les circonstances d’incapacité avaient éloignés de cette personne, reviennent et cette fois-ci les liens sont encore plus forts.

Pour d’autres personnes défi cientes qui souhaiteraient vivre avec leur conjoint handicapé également, il y a peu de possibilités. Le coût associé à la vie de couple est très élevé, selon les participants. Comme la principale source de revenu demeure l’aide sociale, celle-ci serait réduite dans le cas d’un couple en cohabitation. Au moins 3

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personnes ont souligné cette diffi culté, cependant les jeunes amoureux sont plus optimistes et espèrent pouvoir vivre en couple dans un futur rapproché.

L’insertion sociale est aussi encouragée par les organismes de parrainage civique. Ils off rent la possibilité de participer au Conseil d’administration de l’organisme à des membres ayant des défi ciences. Quelques-unes des personnes interrogées font partie du C.A. de leur organismes et se sentent fi ères de leur contribution. D’autres personnes font partie du C.A. d’autres organismes communautaires et exercent ainsi leur participation citoyenne. Par ailleurs, les activités sociales organisées par les organismes de parrainage sont bénéfi ques pour les personnes défi cientes. C’est dans ces fêtes et occasions spéciales qu’elles se sentent intégrées à une communauté et développent ainsi un important sentiment d’appartenance à la grande famille du mouvement du parrainage civique.

Finalement, il est diffi cile d’établir avec certitude d’autres impacts sociaux du parrainage civique puisque avant même d’être parrainées les personnes fi lleules étaient déjà engagées dans diverses structures : les écoles, les camps de vacances l’été, les ateliers de travail supervisés pour ce qui est des jeunes. Certaines personnes handicapées physiques adultes ou âgées ne sont pas nécessairement isolées, elles peuvent compter sur un réseau. Ces personnes sont très actives dans un ou plusieurs organismes qui leur viennent en aide. On peut y voir un acte de remerciement qui contribue également à leur épanouissement social.

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CONCLUSIONS

IMPORTANCE DE L’INSERTION SOCIALE Comme nous venons de le montrer, les pratiques de jumelage dans les organismes de parrainage civique au Québec représentent un important apport social pour les personnes ayant des incapacités. Les théoriciens, les gestionnaires et intervenants, ainsi que les personnes qui ont participé à cette recherche nous l’ont affi rmé.

Même après avoir mené à bien cette recherche, il reste beaucoup de questions auxquelles il ne pourra être répondu ici et maintenant. Pour obtenir un portrait à la fois plus global et plus précis de l’envergure et de l’apport social du parrainage civique, il faudra continuer les recherches. Il sera essentiel d’interviewer les parrains bénévoles pour connaître également leur perception de la contribution sociale qu’ils accomplissent à l’intérieur des organismes et qui s’étend à l’extérieur, dans les communautés locales.

Tous les acteurs sociaux qui sont impliqués, à un niveau ou à un autre, dans l’aide aux populations défi cientes doivent prendre position et appuyer les organismes communautaires afi n qu’ils poursuivent, avec plus d’énergie encore, leurs eff orts pour intégrer ces personnes dans la société.

De toute évidence, sur le plan administratif, les organismes devront se mettre à jour. Des données statistiques fi ables sur les services demandés par la population, les services accordés et les personnes en attente de service seront extrêmement utiles pour compléter le portrait du parrainage civique au Québec.

De plus, si nous désirons évaluer le travail accompli par les organismes, il sera absolument nécessaire de faire un travail de recherche longitudinale, ce qui suppose que les données obtenues lors de cette recherche doivent être comparables à celles des années suivantes pour les mêmes populations. Les comparaisons serviront sans doute à voir de plus près quels éléments contribuent eff ectivement à l’insertion sociale des personnes handicapées.

Les conditions de vie des populations défi cientes et handicapées sont en général assez diffi ciles, tous les participants en ont fait état, mentionnant qu’il est primordial pour eux de s’insérer sur le marché du travail à condition qu’il soit adapté à leurs capacités.

Encore aujourd’hui au Québec, la méconnaissance de l’Autre, qu’il soit défi cient, immigrant, minorité visible ou autre, est bien réelle. Il faut travailler pour sensibiliser les populations à l’apport qu’elles peuvent faire. Il faut démystifi er, détruire les préjugés envers les populations défi cientes de la part de celles qui ne le sont pas. Une participante très engagée a dit :

Nous sommes ouverts à côtoyer des gens, mais les autres (population non défi ciente) ne veulent pas de nous… Ce n’est pas parce que nous sommes en fauteuil roulant que nous sommes des extraterrestres…

Nous avons démontré la pertinence, encore actuelle, du travail mené par les organismes de parrainage civique en ce qui concerne principalement l’insertion sociale des individus aff ectés par une défi cience physique, psychique, intellectuelle entre autres.

Le jumelage permet sans aucun doute à ces personnes de s’ouvrir sur le monde extérieur. La possibilité d’échanger, de partager et de donner de soi à des personnes qui ne partagent pas ces défi ciences, est pour plusieurs d’entre elles la seule occasion de côtoyer les autres, de s’intéresser et de s’investir dans des activités nouvelles comme assister à des événements culturels ou sportifs, et de faire des nouveaux apprentissages. Poursuivre un projet

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commun, pour une grande majorité des personnes interviewées, correspond à rechercher une plus grande autonomie qui leur permet de se considérer comme des personnes à part entière, voire comme des citoyens.

Il est donc important de créer et d’occuper des espaces sociaux où les personnes ayant des incapacités puissent entrer en relation avec des personnes qui n’ont pas d’incapacités.

En somme, tous les acteurs impliqués dans l’insertion sociale des populations marginalisées, comme dans le cas présent les populations handicapées, doivent contribuer à montrer l’importance de créer un environnement physique et social favorable à l’insertion de ces personnes.

RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES EN VUE DE POURSUIVRE LA RECHERCHE‐ÉVALUATION

Bien qu’à l’origine, quand le protocole de recherche a été présenté au SACAIS, il fût question de recherche-évaluation, le processus de recherche et de collecte des données n’a cependant pas permis de le faire. Nous recommandons qu’il soit possible de continuer la recherche de façon à pouvoir comparer les résultats obtenus en 2006 avec d’autres données qui seraient recueillies ultérieurement. Cela permettra de suivre la trajectoire des personnes fi lleules et de leurs parrains afi n de démontrer avec beaucoup plus de force les bienfaits du jumelage comme pratique de parrainage social.

Il sera important d’utiliser d’autres techniques et d’autres instruments pour la quête des données permettant de suivre la trajectoire des jumelages et de valider les résultats de la recherche. S’il y a possibilité de poursuivre la recherche, il y aura lieu de faire des entrevues de groupes auprès des intervenants impliqués dans les organismes et responsables de l’organisation des jumelages.

Il aurait été pertinent aussi d’aller voir les dossiers des personnes fi lleules, tout en s’assurant de la confi dentialité des informations, avant la rencontre pour l’entrevue. Cela serait une bonne façon de connaître les mécanismes d’évaluation de chaque organisme et de comprendre les méthodes retenues en réponse aux questions des parrains et des personnes fi lleules.

Pour les organismes membres du Regroupement québécois du parrainage civique, et pour le regroupement même, il est recommandé de se donner la tâche d’eff ectuer avec précision les statistiques relatives aux pratiques de jumelage. Cela aurait l’avantage de fournir aux agents gouvernementaux, aux bailleurs de fonds, aux chercheurs et aux organismes eux-mêmes pour leur propre satisfaction, des chiff res clairs qui feront transparaître facilement le travail réalisé dans une année par l’organisme.

Nous recommandons aux organismes, si cela est possible, de mettre à jour les dossiers des membres, ce qui faciliterait la tâche de préparation du rapport annuel d’activités. La standardisation de cet outil, comme de celui pour enregistrer les statistiques de jumelage ou d’autres activités, s’avère indispensable pour la bonne continuation du travail réalisé par ces organismes.

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