PARNY La Guerre Des Dieux 1799

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Evariste PARNY (1753-1814) LA GUERRE DES DIEUX PARIS -1799

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PARNY La Guerre Des Dieux 1799

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  • Evariste PARNY(1753-1814)

    LA GUERRE DES DIEUX

    PARIS -1799

  • LA GUERRE DES DIEUX

    Evariste Parny

    variste Dsir de Forges, chevalier puis vicomte de Parny,

    est un pote franais n le 6 fvrier 1753 Saint-Paul (le

    Bourbon, aujourd'hui la Runion) et mort le 5 dcembre 1814 Paris.

    Biographie

    variste Parny

    Parny tait issu d'une famille originaire du Berry, installe

    l'le Bourbon en 1698. Il quitta son le natale vers l'ge de dixans pour venir en France avec ses deux frres, Jean-Baptiste

    et Chriseuil. Il fit ses tudes chez les Oratoriens du collge deRennes. Il songea entrer dans les ordres et fit six mois dethologie au collge Saint-Firmin Paris, mais choisit en dfini-

    tive une carrire militaire, en estimant qu'il avait trop peu de re-

    ligion pour prendre l'habit, le christianisme le sduisant avant

    tout par les images de la Bible.

    Son frre Jean-Baptiste, cuyer du comte d'Artois, l'introdui-sit la cour de Versailles o il fit la connaissance de deux au-tres militaires qui, comme lui, se feront un nom dans la posie :Antoine Bertin, originaire comme lui de l'le Bourbon et de Nico-las-Germain Lonard, qui tait, lui, originaire de la Guadeloupe.

  • LA GUERRE DES DIEUX 3

    En 1773, son pre le rappela l'le Bourbon. Durant ce s-jour, il tomba passionnment amoureux d'une jeune personne,Esther Leiivre, que son pre l'empcha d'pouser. S'ennuyant

    de Paris, il retourna en France en 1775. Peu aprs son dpart,la jeune fille fut marie un mdecin. Cette histoire inspira les

    Posies erotiques, publies en 1778, o Esther apparat sous

    le nom d'lonore. Le recueil eut d'emble un grand succs etapporta la clbrit son auteur.

    Le 6 novembre 1779, Parny fut nomm capitaine au rgi-ment des dragons de la Reine. En 1783, Parny revint l'leBourbon pour rgler la succession de son pre et voyagea ga-lement l'le de France. En 1785, il quitta l'le Bourbon pourPondichry pour suivre, en qualit d'aide de camp, le gouver-

    neur gnral des possessions franaises dans les Indes.

    Il ne se plut pas du tout en Inde mais il y recueillit une part

    de la matire de ses Chansons madcasses, parmi les pre-miers pomes en prose en langue franaise. Il ne tarda pas revenir en France pour quitter l'tat militaire et s'installer en

    1786 dans la maison qu'il possdait dans le vallon de Feuillan-

    court, entre Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi, qu'on appe-

    lait la Caserne. Avec Bertn et Lonard, ils formrent la " soci-t de la caserne , qui avait coutume de s'y runir.

    Lorsqu'clata la Rvolution franaise, Parny, qui ne recevait

    aucune pension du Roi et qui ne s'intressait pas particulire-ment la politique, ne se sentit pas vritablement concern.

    Mais il devait solder les dettes laisses par son frre Jean-

    Baptiste et, en 1795, les remboursements en assignats le ruin-

    rent presque compltement. Il obtint une place dans les bu-reaux du ministre de l'Intrieur o il reste treize mois, puis

    l'administration du Thtre des Arts. En 1804, le comte Fran-ais de Nantes le fit entrer dans l'administration des droits r-

    unis.

    En 1802, Parny se maria avec Marie-Franoise Vally et,l'anne suivante, il fut reu l'Acadmie Franaise o il occupale 36^ fauteuil. En 1813, Napolon 1er lui accorda une pensionde 3.000 francs, mais celle-ci lui fut supprime sous la Restau-

    ration en 1814. Il mourut le 5 dcembre 1814.

  • LA GUERRE DES DIEUX

    uvr s

    La posie de Parny a ete extrmement populaire au dbut

    du XIXme sicle. " Je savais par cur les lgies du cheva-lier de Parny, et je les sais encore , crit ainsi Chateaubrianden 1813.

    Parny s'est fait connatre par ses Posies erotiques (1778)qui apportent un peu de fracheur dans la posie acadmique

    du XVIIme sicle. Il reste aussi par ses Chansons madcas-ses (1787), o il dit traduire des chansons de Madagascar, etqu'on s'entend pour considrer comme le premier essai depomes en prose en langue franaise. Certaines ont t misesen musique par Maurice Ravel.

    Voyage de Bourgogne, en vers et en prose, avec AntoineBertin, 1777

    pttre aux insurgents de Boston, 1 777Posies erotiques, 1 778Opuscules potiques, 1 779lgies, 1784

    Chansons madcasses, 1 787La Guerre des Dieux, pome en 10 chants, 1799 : pomecondamn par un arrt du 27 juin 1827 mais qui a sou-vent t rimprim clandestinement

    Goddam !, pome en 4 chants, 1804Le Portefeuille Vol, 1805, contenant : Les Dguisementsde Vnus, Les Galanteries de la Bible, Le Paradis perdu(pome en 4 chants)Le Voyage de Cline, pome, 1 806

    La varit est la source de tous nos plaisirs, et le plaisir

    cesse de l'tre quand il devient habitude.

    variste ParnyLeffres, janvier 1775.

  • LA GUERRE DES DIEUX

    Evariste PARNY(1753-1814)

    La guerre des dieux

    TABLE

    CHANT 1 6

    CHANT 2 17

    CHANT 3 30

    CHANT 4 44

    CHANTS 56

    CHANT 6 71

    CHANT 7 84

    CHANTS 96

    CHANT 9 113

    CHANT 10 127

    EPILOGUE 137

  • LA GUERRE DES DIEUX

    CHANT PREMIER

    Le Saint-Esprit est i'auteur de ce pome. Arrive desdieux du christianisme dans ie ciei. Coire des dieuxdu paganisme apaise par Jupiter, iis donnent un dn ieurs nouveaux confrres, imprudence de ia viergel\1arie. insoience d'Apoiion.

    Dans ce temps l, frres, de l'vangileMa pit mditait quelques mots

    ;

    Il tait nuit, et le sommeil tranquille.

    Autour de moi prodiguait ses pavots;

    Une clatante et soudaine lumireFrappe mes yeux ; des parfums inconnusSont tout coup dans les airs rpandus

    ;

    En mme temps d'une voix trangreJe cros entendre et j'entends les doux sons :

    Je me retourne, et sur mon secrtaireJe vois perch le plus beau des pigeons.

    A cet clat, cette voix divine.Sur mes genoux je tombe, je m'incline.Et dis : " Seigneur, que voulez-vous de moi ? - En vers dvots il faut chanter ma gloire.Il faut chanter notre antique victoire.

    Et des Franais corroborer la foi.- Hlas I Seigneur, cette oeuvre sublimeD'autres auraient un droit plus lgitime.

    De vos combats, de vos exploits divers.Quoique dvot, j'ai peu de connaissance :Le temps d'ailleurs corrige les travers

    ;

    Et j'ai sans peine abjur prose et vers.- Je le sais bien, mais ton impuissanceJe supplerai : recueille tes esprits.

    Sois attentif;je vais dicter, cris.

    Sans examen je dois donc tout crire.Si dans mes vers se glissent quelquefoisDes traits hardis trangers ma lyre.On aurait tort d'en accuser mon choix

    ;

  • LA GUERRE DES DIEUX

    La faute en est celui qui m'inspire.

    En vrit, Frres, je vous le dis.De Jupiter on clbrait la fte.Les Dieux divers, grands, moyens et petits,Devant son trne ayant courb leur tte

    Dnaient au ciel, et de leur souverain

    Ils partageaient le dlicat festin.

    Leur nourriture est friande et lgre.

    Quelques Eurus envoys sur la terreLeur apportaient le parfum des autels

    ;

    Sur des plats d'or on mangeait l'ambroisie,

    Et l'on buvait dans l'agate polie

    Ce doux nectar qui fait les immortels.Comme ils buvaient, arrive tire d'aileL'oiseau divin qui porte Jupiter :

    " Matre, dit-il, dans les plaines de l'air.

    Plac par toi, je faisais sentinelle.

    Mes yeux sont bons, ils ont vu tout l-basDes trangers d'assez mince apparence.Au maintien humble, aux cheveux longs et plats.Baissant leurs fronts jaunis par l'abstinence.

    Marcher sans bruit, de ct, pas pas.Les mains en croix sur leur maigre poitrine.

    Et par milliers franchir la sourdine

    Le mur sacr qui cerne tes tats.

    Partez, Mercure, allez les reconnatre,

    Dit Jupiter, et sachez leurs desseins.

    Minerve alors : " Ces gens-l sont peut-treDe nouveaux dieux, devenus nos voisins.- Le croyez-vous, ma fille ? - Je le crains.A nos dpens l'homme commence rire.Et nos excs prtent la satire.

    Nous vieillissons, je le dis sans dtour;

    Notre crdit baisse de jour en jour;

    Je crains Jsus. - Fi donc I Ce pauvre diable,Fils d'un pigeon, nourri dans une table.

    Et mort en croix, serait dieu ? - Pourquoi non ?- Le plaisant dieu I - Plus il est ridicule.Mieux il convient l'espce crdule

    Chez qui tout prend, except la raison.

  • 8 LA GUERRE DES DIEUX

    Sa loi d'ailleurs aux tyrans est utile;

    De l'esclavage elle rive les fers;

    De Constantin la politique habileL'adoptera : malheur l'univers !

    On va trs vite alors qu'on a quatre ailes :Voil Mercure, il entre, et sur son front

    On lit dj de fcheuses nouvelles." Ce sont des dieux. - Se peut-il ? Ouel affront I- Ce sont des dieux bien reconnus, vous dis-jeChez les Romains plus que nous en crdit.Sans dignit, sans grce et sans esprit.Leur prompt succs me parait un prodige.J'ai lu pourtant leur brevet sur vlin

    En bonne forme, et sign Constantin.Par cet crit, Jupiter on t'engage

    A respecter Jsus Christ et sa cour;

    Et la moiti du cleste sjour

    De ce faquin doit tre l'apanage.

    Au dernier mot de ce fcheux rcit.De toutes parts s'lve un cri de rage :Tombons sur eux ! Au combat I Au carnage !Ils y couraient ; mais calme en son dpit.En se levant, leur matre formidableFronce deux fois son sourcil redoutable.

    Le vaste Olympe aussitt s'branla;

    Les tapageurs, immobiles et blmes.

    Baissaient les yeux ; le plus hardi trembla,

    Et ses genoux se plirent d'eux-mmes. Vous le voyez, leur dit l'OlympienD'un air content, Jsus ne m'te rien

    ;

    J'ai conserv ma puissance premire;

    Je rgne encore, et malgr les jaloux.

    De mon sourcil la force est bien entire :Modrez donc un imprudent courroux.Plus sage qu'eux, parlez, belle Minerve

    ;

    Expliquez-vous sans crainte et sans rserve.

    " Vous le savez, l'homme fait les faux dieux.Et les dfait au gr de son caprice.

    Dit la desse, il faut donc dans les cieux

    Que Jsus Christ librement s'tablisse.

  • LA GUERRE DES DIEUX

    Point de combats, notre effort impuissant

    Affermirait son empire naissant.

    Le mpris seul nous en fera justice.

    De Jupiter c'tait aussi l'avis.Il ordonna qu'on laisst sans obstacle

    Les dieux chrtiens placer leur tabernacle

    Et s'arranger dans leur beau paradis. Il faut du moins les voir et les connatre,

    Dit Apollon. Si j'en crois les propos.

    Nous avons l d'assez tristes rivaux,Heureux pourtant, aujourd'hui nos gaux.

    Et qui demain nous supplantent peut-tre.Sachons leurs moeurs, leurs allures, leur ton.Et leurs dfauts. Ici la table est prte :

    Que Jupiter, par un message honnte.Leur offre tous un dn sans faon.

    Vous en rirez, et le rire est si bon ITout parvenu d'ailleurs est susceptible.

    En qualit de premiers possesseurs.De cet Olympe, hlas I trop accessible.Il nous convient de faire les honneurs.

    A ce discours qui flattait sa rancune.De l'auditeur la malice applaudit.De Jupiter la gravit sourit.Il hassait le Christ et sa fortune

    ;

    Autant qu'un autre il tait curieux :

    Mercure donc interroge ses yeux.Part comme un trait, et les bravo le suivent.Une heure aprs les convis arrivent.Etaient-ils trois, ou bien n'taient-ils qu'un ?

    Trois en un seul : vous comprenez, j'espre ?

    Figurez-vous un vnrable pre.

    Au front serein, l'air un peu commun,Ni beau ni laid, assez vert pour son ge.Et bien assis sur le dos d'un nuage.

    Blanche est sa barbe, un cercle radieux

    S'arrondissait sur sa tte penche.

    Un taffetas de la couleur des deuxFormait sa robe ; l'paule attache.

    Elle descend en plis nombreux et longs.

  • 10 LA GUERRE DES DIEUX

    Et flotte encor par-del ses talons.

    De son bras droit son bras gauche voleCertain pigeon coiff d'une aurole,

    Qui de sa plume talant la blancheur,

    Se rengorgeait de l'air d'un orateur.Sur ses genoux un bel agneau repose,Qui bien lav, bien frais, bien dlicat.

    Portant au cou ruban couleur de rose.

    De l'aurole emprunte aussi l'clat.Ainsi paru le triple personnage.

    En rougissant la vierge le suivait.Et sur les dieux accourus au passageSon il modeste peine se levait.D'anges, de saints, une brillante escorte

    Ferme la marche et s'arrte la porte.L'Qlympien ses htes nouveaux

    De compliments adresse quelques motsFroids et polis. Le vnrable Sire

    Veut riposter, ne trouve rien dire,

    S'incline, rit, et se place au banquet.

    L'agneau bla d'une faon gentille.

    Mais le pigeon, l'esprit de la famille,

    Quvre le bec, et son divin fausset

    A ces paens psalmodie un cantiqueAllgorique, hbraque et mystique.

    Tandis qu'il parle, avec tonnement

    On se regarde ; un murmure quivoque,Un ris malin que chaque mot provoque.Mal touffs circulent sourdement.

    Le Saint-Esprit, qui pourtant n'est pas bte.

    Rougit, se trouble, et tout court il s'arrte.

    De longs bravo, des battements de main.Au mme instant branlrent la salle." Voil, dit-on, la pompe orientale.Quel choix I quel got ! ces vers-l sont divins.

    Le beau pigeon qui sentait l'ironie.Attribuant son dsastre l'envie.

    Dissimula sa haine et son humeur.

    Il poussait loin l'amour-propre d'auteur.

    Le dn vint, exquise tait la chre,

  • LA GUERRE DES DIEUX 1

    1

    Et l'abstinence, aux chrtiens familire,

    Des convis redoublait l'apptit.L'un dvorait. La gentille chansonneQu'on nomme Hb, malignement sourit.Et de nectar coups presss l'entonne.

    Le doux Jsus, qu'on sollicite en vain.

    Honteux, gn, ne regardant personne.

    Croyant de plus que le bon ton ordonne

    De peu manger, rpond : Je n'ai pas faim.L'auteur tomb, par esprit de vengeance.

    En mangeant bien prend un air ddaigneux.Et du dgot affectant l'apparence.

    Il semble dire : On pourrait manger mieux.Junon, Vnus, et d'autres immortelles.

    Qui de leur rang affichaient trop d'orgueil.

    Daignaient peine honorer d'un coup d'il

    Ces dieux bourgeois, et chuchotaient entre ellesImpoliment elles tournaient le dos.

    Et se moquaient de la brune Marie.

    Son embarras, son air de modestie.Servaient de texte leurs malins propos.

    Qu'une fillette au village leve.Et dans Paris par le coche arrive,

    A Tivoli, qu'elle ornera si bien.Vienne montrer sa beaut pure et frache.

    Son teint vermeil emprunt de la pche.Ses traits charmants et son gauche maintien.Les connaisseurs l'entourent et la suivent

    ;

    Mais grand bruit nos sultanes arrivent.

    Jettent sur elle un coup d'il mprisant.

    Et leur dpit se console en disant :" Fi donc I elle est sans grce et sans tournure.Quel air commun ! Quelle sotte coiffure I Belle Marie, au Tivoli des deux.

    Ainsi parlaient tes rivales altires.

    Mais, n'en dplaise ces juges svres.

    De grands yeux noirs, doux et voluptueux.Des yeux voils par de longues paupires.Quoique baisss, sont toujours de beaux yeux.

    Sans qu'elle parle, une bouche de rose

  • 1

    2

    LA GUERRE DES DIEUX

    Est loquente, et mme on lui supposeBeaucoup d'esprit. De pudiques ttons,Bien spars, bien fermes et bien ronds.

    Et couronns par une double fraise.

    Chrtiens ou Juifs, pour celui qui les baise.

    N'en sont pas moins de fort jolis ttons.

    Aussi les dieux se disaient : " La petite

    Est trs gentille, et ne s'en doute pas.

    Ne pourrait-on de cette IsraliteDniaiser les novices appas ?

    Pour s'amuser, qu'Apollon l'entreprenne.

    D'une passade elle vaut bien la peine. >>

    Mais Apollon chantait alors des vers

    Dignes du ciel. Cent instruments divers

    Accompagnaient sa voix pure et sonore.

    On vit aprs la vive Terpsichore,La frache Hb, les Grces et l'Amour,Dans un ballet figurer tour tour.La Sainte Vierge, au spectacle attentive.

    Ne cache pas son doux ravissement.Elle applaudit, et sa bouche naveLaisse chapper deux mots de compliment

    Ce n'est pas tout ; la modeste Marie,S'apercevant qu'on la trouve jolie.

    Qu'avec plaisir Apollon l'coutait,

    Et qu'auprs d'elle en cercle on s'arrtait.

    Par le succs justement enhardie.

    Avec esprit aux paens rpondait.Certain motif que sans peine on devineLa fait sortir : la courrire divine.

    Sachant pourquoi, la guide poliment.

    Et de Vnus ouvre l'appartement.Mais soit dessein, soit hasard, la tratresse

    Ferme la porte, et seulette la laisse.La Vierge sainte, l'aspect imprvu,

    A la beaut de ce charmant asile.Reste longtemps de surprise immobile.

    Je le conois. Elle n'a jamais vu

    Que l'atelier obscur et misrableDe son poux, son village, et l'table

  • LA GUERRE DES DIEUX 1

    3

    O sur la paille elle accoucha d'un dieu.De sa surprise elle revient un peu :Au cabinet d'abord elle s'avance

    ;

    Pour elle il s'ouvre et prsente ses yeux

    De belle agate un vase prcieux,De forme ovale et dor sur son anse.Ne cassons rien, dit-elle, en remettantLe meuble heureux qu'elle prit un instant.

    Avec lenteur alors elle traverseD'appartements une suite diverse,

    De grands salons richement dcors.De frais boudoirs au plaisir consacrs.Le got y rgne, et non la symtrie.

    Des pots pars, des corbeilles de fleurs,Le nard et l'ambre, et surtout l'ambroisie.

    Parfument l'air de suaves odeurs.

    Remarquant tout, notre Vierge imprudenteVoit de Cyphs la tunique lgante.Les brodequins, le voile prcieux.

    Le rseau d'or qui retient ses cheveux,

    Et sa guirlande, et sa riche ceinture.

    Elle se dit : " Une telle parureDoit embellir, elle me sirait bien.Essayons-la, d'un moment c'est l'affaire

    ;

    Personne ici ne viendra me distraire.Oh I non, personne, et je ne risque rien. C'tait pour elle un difficile ouvrage

    ;

    De la toilette elle avait peu l'usage;

    Le temps pressait d'ailleurs, et gauchementElle ajusta ce nouveau vtement.

    Elle interroge une glace fidle

    Qui lui rpond : Vnus n'est pas plus belle.Se regardant et s'admirant toujours.Elle disait, mais tout bas : " Les AmoursPeut-tre ici me prendraient pour leur mre. Et des Amours la cohorte lgreSoudain se montre, et l'entoure, et lui dit :" Jeune maman, par quelle heureuse adresseA vos attraits ajoutez-vous sans cesse ? D'tonnement d'abord elle rougit.

  • 14 LA GUERRE DES DIEUX

    Puis se rassure, et tendrement sourit

    A ces enfants qui l'avaient alarme.L'un sur ses mains verse l'eau parfume

    Qu'un autre essuie ; ils sment sur ses pasLe frais jasmin et la rose nouvelle.

    Puis avec grce ils unissent leurs bras,

    Et sortent tous en chantant : Quelle est belle I

    De la louange on sait que le poisonEst trs actif : cette scne imprvueDe notre sainte enivre la raison.Pour s'achever, elle porte la vue

    Sur des tableaux o la tendre Cypris

    Faisait un dieu de son cher Adonis.

    Des volupts la dangereuse imageTrouble ses sens. Une vive rougeur.Qui n'tait plus celle de la pudeur,

    A par degrs color son visage.Elle entre alors dans un dernier boudoir.

    O des coussins d'une pourpre clatante.Formant un lit invitaient s'asseoir.

    Elle fait mieux, et s'y couche. Imprudente I

    Levant des yeux languissants et distraits.

    Avec surprise elle voit ses attraits.Son attitude et ses grces nouvelles.Multiplis par des miroirs fidles.

    Elle sourit, elle ouvre ses beaux bras.

    Ne saisit rien, soupire et dit tout bas :" Jeune Panther, objet de ma tendresse.Que n'es-tu l I ton heureuse matresse.Ainsi vtue enchanterait tes yeux.

    Ce lit pour nous serait dlicieux. Qn entre. Q ciel I c'est le dieu du Parnasse.Pour se lever elle fait un effort.

    Sur les coussins Apollon la replace.

    Ses mains il baise, et dit avec transport :" Ne fuyez pas, reine d'Idalie IJ'ai quelques droits et vous voil si bien I- Hlas ! Monsieur, je m'appelle Marie,Et non Vnus, laissez-moi, je vous prie

    ;

    Laissez-moi donc. - Oh je n'en ferai rien,

  • LA GUERRE DES DIEUX 15

    Impunment on n'est pas aussi belle,C'est Vnus mme, ou c'est encor mieux qu'elle,- Je vais crier. - Tout comme il vous plaira,Mais vos cris ici l'on entrera

    ;

    Votre costume est paen, l'on rira;

    Peut-tre aussi quelqu'un se fchera.

    Se plaindre un peu, menacer sans colre.Beaucoup rougir, c'est en pareille affaireTout ce qu'on peut et tout ce qu'on doit faire.

    Point de rplique ce sage discours.

    Baissant les yeux, dj faible et tremblante.

    Dj vaincue, elle combat toujours.Mais tout coup une bouche insolenteVient sparer ses lvres de corail.

    Et de ses dents baise le blanc mail.

    Sur les coussins, malgr son vain murmure,

    Le dieu pressant la pousse avec douceur;

    Un long soupir chappe de son cur.Et ce soupir disait : Quelle aventure I

    Les dieux font bien et font vite. Apollon

    Dans ses transports conservait sa raison;

    Pour notre sainte il craignait le scandale.

    Sacrifiant le reste de ses feux.

    Il sortit donc, rajusta ses cheveux.

    Et d'un air froid il rentra dans la salle.

    En ce moment Terpsichore attachaitTous les regards. La craintive MarieVermeille encor, de moiti plus jolie.

    Parut enfin au dernier coup d'archet.Le beau pigeon, gonfl de jalousie.

    Se lve et dit au modeste papa.Qui sans plaisir avait vu tout cela :

    " Qu'attendez-vous ? la sance est finie,Voici bientt l'heure de l'Anglus,

    Allons-nous-en et ne revenons plus.

    Allons-nous-en, rpte le bon pre.

    Allons-nous-en, rpte aussi Jsus,

    Et par un signe il avertit sa mre.

    De s'en aller elle eut quelque chagrin.La nouveaut de ce banquet divin.

  • 1

    6

    LA GUERRE DES DIEUX

    Le chant, la danse, et les tendres fleurettes

    Qui chatouillaient ses oreilles discrtes.

    L'avaient sduite, et son got se formait.

    Pendant la route elle en parlait sans cesse.Le Pre donc lui dit avec simplesse : Ma chre enfant, peut-tre que j'ai tort.Mais d'Apollon la musique m'endort.

    Je n'entends rien cette mlodie.

    Il aurait d nous donner du plain-chant.

    Cela vaut mieux. Quant la posie.

    Le Saint-Esprit n'en est pas trs content.

    Qn peut m'en croire, elle est faible et commune.Dit le pigeon

    ;pas un mot des serpents.

    Tous les lions y conservent leurs dents.Qn n'y voit point le soleil et la luneDanser ensemble et soudain s'abmer.Ni du Liban les cdres s'enflammer.

    " Des grands ballets, la beaut me fatigue.Disait Jsus, et ces chaconnes-l

    Ne valent point le menuet, la gigue.Que l'on dansait aux noces de Cana. La Trinit, discourant de la sorte.

    Au paradis rentre avec son escorte.

    FIN DU PREMIER CHANT

  • LA GUERRE DES DIEUX 17

    CHANT SECOND

    Organisation du Paradis. Conversation nave et instructive de ia Trinit. Dn rendu aux paens et termin par ia prsentation de queiques mystres.

    Belle Marie, toi dont la candeur,

    Les yeux baisss et le simple langage,

    Souvent d'un fils dsarment la rigueur.

    Entends ma voix, et reois mon hommage.Ton cur sensible et doux comme tes traits,A la piti ne se ferme jamais

    ;

    Tu compatis aux faiblesses humaines;

    De courts plaisirs parmi de longues peinesNe semblent pas tes yeux des forfaits.De ces plaisirs carte le tonnerre.Demande au ciel grce pour les amours,Pour les baisers qui consolent la terre.

    Par l'inconstance ils sont punis toujours.

    Vnus jadis par des soins efficacesLes protgeait ; mais trop vieille est Vnus,

    Trop libertine, et l'homme n'en veut plus.

    Dans cet emploi c'est toi qui la remplaces.Ah I puisses-tu longtemps le conserver IPuisse ton fils ne jamais prouver

    Le sort fcheux et la chute bizarre

    Qu' Jupiter doucement il prpare IDe Jupiter le vaste et beau palais

    Avait pour base une haute colline.

    Sur tout l'Olympe il s'lve et domine.

    Un mur de bronze en interdit l'accs;

    Et sur ce mur qui menace la plaine.En sentinelle on place tour tourBacchus, Diane, et ces fils de l'amour.

    Ces deux jumeaux que pondit une reine.Bellone et Mars au combat prpars.De sang chrtien ds longtemps altrs.Gardent la porte et sauront la dfendre.

  • 1

    8

    LA GUERRE DES DIEUX

    Leur fier courage aimerait mieux l'ouvrir,

    Et quelquefois il s'indigne d'attendre

    Un ennemi qu'il voudrait prvenir.Jupiter place au pied de la montagneD'autres guerriers

    ;plus loin dans la campagne

    Il tablit ses postes avancs.

    Mais d'attaquer il fait dfense expresse,

    Et prudemment sur la frontire il laisseQuelques Sylvains en vedette placs.

    Le paradis autrement s'organise.

    Au beau milieu des nuages ouverts.Sur un autel environn d'clairs.

    Du triple dieu la grandeur est assise.A ses genoux, ou bien leurs genoux,La Vierge occupe un tabouret modeste.

    Le doux Jsus, du bon ordre jaloux.

    Devant l'autel range la cour cleste.

    Au premier banc brillent les Sraphins,Du beau Trio contemplateurs fidles :Ces clairs flambeaux, ces lampes ternelles.Brlent toujours devant le saint des saints.

    Le pur amour sans cesse les consume.Le pur amour sans cesse les rallume.Plus bas on voit des visages trs ronds

    Et trs vermeils, des cheveux courts et blonds.De beaux yeux bleus, des bouches aussi belles.De frais mentons d'o s'chappent deux ailes.Mais point de corps. Ces minois enfantins.Ces ttes-l se nomment Chrubins :Nous les aimons, nos peintres de villageDans leurs tableaux en font souvent usage.Viennent aprs les Dominations,

    Trnes, Vertus, Principauts, Puissances,

    Esprits pesants, grosses intelligences.

    Qu'on charge peu de saintes missions.

    Regardant tout, mais atout inhabiles.

    Les bras croiss, ils sont l sur deux files.

    Propres sans plus garnir les gradins.

    A cet emploi se borne leur gnie :C'est ce qu'au bal, nous autres sots humains,

  • LA GUERRE DES DIEUX 19

    Nous appelons faire tapisserie.Du ciel ensuite arrivent les guerriers.

    Les gnraux, colonels, officiers.

    Connus l-haut sous le titre 6'Archanges,Le sabre en main conduisent leurs phalanges.

    Sous les drapeaux les Anges runisSont par Jsus inspects et bnis.

    De gaze fine une robe lgre.Un casque d'or panache flottant.Un bouclier, un tranchant cimeterre.De ces guerriers forment l'accoutrement.Du paradis la milice innombrableObissait au valeureux Michel,

    Qui sous ses pieds a terrass le diable.

    Pour supplants il a ce Gabriel,

    Beau messager, que la Vierge MarieToujours protge, et l'adroit Raphal,

    Qui sut jadis avec un peu de fiel

    Dsaveugler le bonhomme Tobie.Plus bas enfin on voit tous les lus

    Dans le parterre ensemble confondus.Plusieurs, dit-on, vants par la lgende.

    N'en sont pas moins des Saints de contrebande,

    De francs vauriens, pour tels biens reconnus.Par la cabale au ciel sont parvenus.

    Mais quel remde ? Un caprice du papeD'un rprouve peut faire un bienheureux.

    En vain Satan lui rservait ses feux;

    Sa bulle en main, l'enfer il chappe.Sans peine donc on entre en paradis.Lorsque dans Rome on a quelques amis.

    Du saint Trio l'il avec complaisanceErra longtemps sur sa nombreuse cour

    ;

    C'tait pour lui nouvelle jouissance.

    Puis il se lve et dit : " Jusqu' ce jour

    Errant, banni, vex par l'injustice.

    Je ne pouvais rgler votre service;

    Mais prsent je triomphe mon tour.Me voil dieu : du cleste sjourIl faut fixer l'ternelle police.

  • 20 LA GUERRE DES DIEUX

    Je veux d'abord une garde d'honneur

    Autour de moi, car je suis le Seigneur,

    Entendez-vous ? et j'aime qu'on me garde.Trois fois par jour [Anglus sonnera :

    Devant mon trne on se rassemblera.Et d'y manquer qu'aucun ne se hasarde.Pendant une heure en contemplation.

    Vous jouirez de cette vision

    Que les savants nomment intuitive.Exprs pour vous, de ma gloire trop viveJ'adoucirai l'clat et le fracas

    ;

    Vos faibles yeux n'y rsisteraient pas.Vous chanterez, car le plain-chant m'amuse.Et sur ce point je n'admets pas d'excuse.

    Vous chanterez [Excelcis gloria.Et des nols, et des Allluia.

    Vous me louerez, car j'aime la louange.Vous me louerez, car je suis le Seigneur,Le Seigneur Dieu, le Dieu fort et vengeur,

    Entendez-vous ? Et je veux qu'on s'arrange

    Pour me louer et ne louer que moi :Je suis jaloux, je ne sais pas pourquoi.

    Sur ce, partez, veillez sur vos glises.

    Et des paens redoutez les surprises.

    Chacun s'loigne avec docilit.Le Saint-Esprit, et le fils, et le pre.

    Prs de la Vierge, au fond du sanctuaire.

    Sont runis en petit comit.

    Leur entretien a de quoi nous instruire.

    Et mot mot je dois vous le redire.

    LE PRE

    Convenez-en, chez le sot genre humain.

    Nous avons fait un rapide chemin.

    JSUS-CHRIST

    En vrit, lorsque dans une tableMa pauvre mre accoucha sans secours

    ;

  • LA GUERRE DES DIEUX 21

    Lorsqu' vingt ans, oisif et misrable,

    Au pain d'autrui j'avais souvent recours;

    Lorsqu'avec peine un docteur charitable

    M'apprit lire et que dans mes leonsDu roi David j'expliquais les chansons

    ;

    Interrog par Anne le pontife.Remis ensuite son gendre Caphe,Quand je me vis de fouetteurs entour.Par ce Caphe Pilate livr.Par ce Pilate envoy chez Hrode

    Qui voulait voir le prophte la mode.

    Et par Hrode Pilate rendu,Puis sur ma croix tristement tendu

    ;

    Certes, alors je ne prvoyais gures

    Ce qui m'arrive. Qn parle de mystres.Notre succs est le premier de tous.

    LE SAINT-ESPRIT

    D'autres l'auraient obtenu comme nous.Le changement l'homme est ncessaire :En fait d'erreur il choisit la dernire.Dieu, le vrai Dieu, l'unique, l'ternel.

    En le crant lui dit : " Sois immortel.

    Je t'ai donn pour toi ta conscience.Au bien toujours elle conduit tes pas.Elle est ton juge au-del du trpas.

    Elle punit, pardonne, ou rcompense.

    Rien de plus simple. Aussi l'homme trouva

    Ce fond trop ple, et soudain le broda.Il se fit donc des dieux moins invisibles.Moins grands, moins bons, et surtout plus terribles.

    Aux sages lois crites dans son curIl ajouta des notes, des oracles.

    Un vangile, et toujours des miracles.Le seul remords ne fait pas assez peur.

    Il lui fallut des serpents, des furies.

    De gros vautours, de hideuses harpies.Des coups de fouets, de fourches, de hoyaux,A tour de bras appliqus sur le dos,

  • 22 LA GUERRE DES DIEUX

    Des lacs brlants et sans fond et sans bornes,Des cris, des pleurs, des diables et des cornes.Et tout cela pendant l'ternit.

    Mais des vertus qu'elle est la rcompense ?Nouveau travail, nouvelle extravagance.D'aprs ses gots, chacun volont

    Se fait au ciel un sjour enchant.La vieille y prend un visage de rose ;Le libertin y baise avec transport

    Ce qui lui plait ; le faible y devient fort ;Des lments l'ambitieux dispose

    ;

    Celui-ci boit ; celui-l fume et dort ;L'un n'y fait rien ; nous autres, pas grand'chose ;Car l'homme, hlas I mesquin dans ses dsirs.

    Se connat mieux en tourments qu'en plaisirs.Quoi qu'il en soit, crdule il nous adore.

    Profitons-en. Jupiter passera.

    Nous passerons et bien d'autres encore :Un seul demeure, un seul fut et sera.

    LE PRE

    Amen, Amen. Ce sermon d'vangileM'a paru long, et j'allais m'endormir.

    Votre conseil n'en n'est pas moins utile :

    Sur notre autel il faut nous affermir.

    Et profiter du pouvoir qu'on nous prte.

    Profitons-en sur l'heure. A moi les vents ISoufflez, sifflez, je veux une tempte.

    JSUS-CHRIST

    Voyez combien ils sont obissants IDj du jour les rayons s'obscurcissent.

    Sur l'horizon les vapeurs s'paississent;

    Jusqu'au znith les nuages pousss.Noirs, menaants, l'un sur l'autre entasss.

    Surchargent l'air de leur masse immobile :En vrit, l'on n'est pas plus docile.

  • LA GUERRE DES DIEUX 23

    LE PERE

    Savez-vous bien qu'un bel orage est beau ?

    LE SAINT-ESPRIT

    Trs beau, surtout quand on le fait soi-mme.

    LE PRE

    Il pleut, il grle ; et voil ce que j'aime :

    C'est pour la terre un dluge nouveau.

    LA VIERGE

    De ce dluge arrtez les ravages.Seigneur, mon Dieu I de cinquante villagesEn un moment vous noyez les moissons.Adieu les fleurs, les savoureux melons.

    Et tous les fruits que la terre obstineAccorde peine au travail d'une anne.

    Pourquoi troubler la marche des saisons ?Au mois de juin, de la vigne tonneNe gelez pas les innocents bourgeons

    ;

    Ou l'homme alors, qui sur nous aime mordre.En conclura que vous n'avez point d'ordre.

    JSUS-CHRIST

    Le vin, ma mre, est toujours dangereux.Il suffira qu'on en ait pour la messe.

    LE PRE

    L'enfant dit vrai, d'ailleurs ma sagesseTout est permis, je fais ce que je veux.

    Je fais n'est pas le mot propre et technique;

    Triple je suis, sans cesser d'tre unique;

    Etye fe/so/is vaudrait peut-tre mieux.

    Mais vous cdez quelque chose au plus vieux.

  • 24 LA GUERRE DES DIEUX

    Plus vieux ? non pas ! nous sommes du mme geDe moi pourtant tous deux vous procdez :Je vous ai donc d'un moment prcds ?On le croirait, c'est assez l l'usage...Point, mes enfants se trouvent mes jumeaux.Notre amalgame est un plaisant chaos.Et je m'y perds. Revenons l'orage.

    LE SAINT-ESPRIT

    Il va trs bien. Voyez-vous ces vaisseaux

    Battus, briss, engloutis par les flots ?

    Voici l'instant d'essayer le tonnerre,

    Ce vrai cachet de la divinit.Cherchez un but, foudroyez sur la terre

    Quelque vaurien qui l'aura mrit.

    LA VIERGE

    Pourquoi sur lui presser votre vengeance ?Demain peut-tre il ferait pnitence.

    LE PERE

    Dans la fort, remarquez-vous l-basUn bon cur qui malgr la tempte.Va d'un mourant adoucir le trpas.Et ce voleur qui brusquement l'arrte ?

    Sur le ciboire il veut porter la main.

    Car il est d'or. Le prtre fuit en vain.

    Dj le fer est lev sur sa tte.

    Fort propos j'arrive son secours.

    Feu !

    LE SAINT-ESPRIT

    Vous tremblez.

  • LA GUERRE DES DIEUX 25

    LE PERE

    Ces foudres sont bien lourds

    LE SAINT-ESPRIT

    Lancez donc.

    LE PERE

    Ouf I le drle est-il en cendres ?

    LA VIERGE

    Eh I non vraiment, votre carreau vengeur

    S'est dtourn sur l'innocent pasteur,

    Et roide mort vous venez de l'tendre.

    LE PRE

    Au paradis qu'on le place l'instant.

    LE SAINT-ESPRIT

    Ces foudres-l seront nos amusettes;

    Mais bien viser est un point Important,

    Et dsormais vous prendrez des lunettes.

    LE PRE

    Soit. Au surplus nous pouvons, je le vois.Nous divertir Ici comme des rois.

    LE SAINT-ESPRIT

    Ces paens seuls me donnent de l'ombrage.

    JSUS-CHRIST

    C'est, je l'avoue, un fcheux voisinage.

  • 26 LA GUERRE DES DIEUX

    LE PRE

    Notre ennemi plus que nous est gn :Cela console, et nous pouvons attendre.

    JSUS-CHRIST

    A ces messieurs nous devons un dn,Bon ou mauvais, il convient de le rendre.

    LE PRE

    Ainsi soit-il I D'Archanges radieux.

    Qu'une douzaine aille inviter ces dieux.Le groupe ail s'acquitte du message.

    On accepta, mais pour le jour d'aprs :Gens du bon ton ne se htent jamais

    ;

    Se faire attendre est assez leur usage.Le lendemain ils viennent un peu tard.

    Chacun se lve, on leur fait politesse;

    A table ensuite on se place au hasard;

    Elle est troite, on s'y pousse, on s'y presse.

    Et l'on sourit dj d'un air malin.

    Pour tout dn l'on voit quelques hosties

    Sur la patne avec grce servies.

    Qu'accompagnaient six burettes de vin.

    Non de Bordeaux, de Champagne ou du Rhin,Mais de Suresnes, et l'on assure mmeQu' sa naissance il reut le baptme.

    Les convis, peu faits ces faons.

    Disaient tout bas, entre eux : Nous souperons.Pour amuser ses ddaigneux confrres.

    Le doux Jsus, qui s'y connat vraiment.

    Aprs dn fit jouer des mystres.

    Qn commena par le commencement.Et sur la scne on mit le premier homme,La premire Eve, et la premire pomme.Du frais Eden ces heureux possesseurs.L'un jeune et beau, l'autre jeune et jolie.

    Les bras pendants allaient de compagnie.

  • LA GUERRE DES DIEUX 27

    D'un pas distrait ils marchaient sur les fleurs,

    Cueillaient des fruits, avalaient l'onde claire.

    Pour tout plaisir dnichaient les oiseaux,

    Jetaient du sable ou crachaient sur les eaux.

    Baillaient ensuite et ne savaient que faire.

    Ils se couchaient ensemble et dormaient bien.Ils taient nus et ne pensaient rien.

    Le diable arrive ; il parlait comme un ange.Eve l'coute et la pomme elle mange.Sans ce malheur, qui fut heureux pourtant.Le genre humain restait dans le nant.

    Que dis-je ? heureux I Le fruit croqu par elle.Et qui servit son instruction.

    Nous vaut tous une indigestionForte, terrible, et de plus ternelle.

    Ce dnouement dplut Jupiter." Monsieur, dit-il, vous faites payer cher

    Une reinette. Aux gourmands, encor passe;

    Mais leurs fils qui n'en ont pas got I

    Dans le nant aller chercher leur racePour la damner I Quelle svrit I

    Monsieur rpond : " J'ai trop puni les hommes.J'en conviendrai. Qu'y faire ? Je suis bon.

    Mais je suis vif;j'aimais beaucoup ces pommes.

    J'y tenais, moi, pourquoi me les prend-on ? La scne change : on dcouvre un village.

    Dans ce village un petit atelier.O travaillait un pauvre charpentier.Pauvre ? non pas, femme gentille et sageEst un trsor ; mais il n'y touche point :

    Son avarice est grande sur ce point.On voit encore une arrire-boutique.Un lit modeste, une vierge dessus,Dont les attraits ont dix-huit ans au plus,

    Et qu'assoupit un sommeil anglique.

    Il faisait chaud. Cette vierge en dormant

    A drang l'utile vtementQui la couvrait. La robe se replie

    Et laisse voir ce qu'on ne vit jamais;

    Sa jambe nue et sa cuisse arrondie,

  • 28 LA GUERRE DES DIEUX

    En s'cartant semblent chercher le frais.Un beau pigeon au plumage d'albtre,Du ciel alors descend sur le thtre.Son rouge bec et ses pattes d'azur,De son gosier le timbre clair et pur,Son aurole et surtout ses manires.Le distinguaient des pigeons ordinaires.

    Sur la dormeuse il plane galamment.

    S'abat ensuite, et lger il se pose

    Juste l'endroit dlicat et charmant

    O des amours s'ouvre peine la rose.De son plumage il le couvre un moment,Ses petits pieds avec adresse agissent.Son joli bec l'effleure doucement.Et de plaisir ses deux ailes frmissent." Auriez-vous cru, messieurs, que d'un pigeonIl pt jamais rsulter un mouton ?Dit le papa d'un air grave et capable.En nous, chez nous, tout doit tre incroyable.On croit pourtant, et voil ce qu'il faut.J'aime l'excs les nigmes sans mot.

    Du paradis la troupe infatigable.Pour terminer joua la passion.

    Et joua bien. Les convis, dit-on.

    Gotrent peu ce drame lamentable.Mais un malheur qu'on n'avait pas prvu

    Du dnouement gaya la tristesse.Bien flagell, le hros de la pice

    Etait dj sur la croix tendu.

    On choisissait pour ce rle pnibleUn jeune acteur intelligent, sensible.Beau, vigoureux, et sachant bien mourir.

    Il tait nu des pieds jusqu' la tte :

    Un blanc papier qu'une ficelle arrteCouvrait pourtant ce que l'on doit couvrir.

    Charmante encore aprs sa pnitence,La Madeleine au pied de la potence

    Versait des pleurs : ses longs cheveux pars.Son joli sein qui jamais ne repose.Du crucifix attiraient les regards.

  • LA GUERRE DES DIEUX 29

    Il voyait tout, jusqu'au bouton de rose;

    Quelquefois mme il voyait au-del.Prt mourir, cet aspect le troubla.

    Il tenait bon. Mais quelle fut sa peine.

    Quand le feuillet vint se soulever I Qtez, dit-il, tez la Madeleine,

    Qtez-l donc, le papier va crever.

    Soudain il crve ; et la Vierge elle-mme

    Pour ne pas rire a fait un vain effort." Le tour est bon, dit le pre suprme,

    On le voit bien, le drle n'est pas mort.

    Cet incident finit la tragdie.

    Qn se spare avec crmonie.Et les paens retournent dans leur fort.

    En rptant : le drle n'est pas mort.

    FIN DU SECQND CHANT

  • 30 LA GUERRE DES DIEUX

    CHANT TROISIEME

    Abandon et dtresse des dieux paens. Combat. Sam-son vaincu par Hercuie. Des Saintes commandes parJudith forment une attaque spare : eiie ne russitpas, mais Juditli gagne queique cliose. Les Paens bat-tent en retraite. Biocus de i'Oiympe. Priape et ies Saty-res font une sortie.

    Abandonnant la terrestre demeure,

    Un jour, dit-on, six hommes vertueux.Morts la fois, vinrent la mme heureSe prsenter la porte des Cieux.L'ange parat, demande chacun d'euxQuel est son culte, et le plus vieux s'approche.

    Disant : tu vois un bon mahomtan.

    L'ANGE

    Entre mon cher, et, tournant vers la gauche.Tu trouveras le quartier musulman.

    LE SECOND

    Moi, je suis Juif.

    L'ANGE

    Entre, et cherche une place

    Parmi les Juifs. Toi qui fait la grimace

    A cet Hbreu, qu'es-tu ?

    LE TROISIME

    Luthrien.

    L'ANGE

    Soit. Entre et va, sans t'tonner de rien,

  • LA GUERRE DES DIEUX 3

    1

    l'asseoir au temple o s'assemblent tes frres

    LE QUATRIEME

    Quaker.

    L'ANGE

    Eh bien, entre, et garde ton chapeauDans ce bosquet les Quaker sdentairesForment un club ; on y fume.

    LE QUAKER

    Bravo.

    LE CINQUIME

    J'ai l'honneur d'tre bon catholique.

    Et comme tel, je suis un peu surprisDe voir un Juif, un Turc en paradis.

    L'ANGE

    Entre, et rejoins les tiens sous ce portique.

    Venons toi;quelle religion

    As-tu suivie ?

    LE SIXIME

    Aucune.

    L'ANGE

    Aucune ?

    LE SIXIEME

    Non

  • 32 LA GUERRE DES DIEUX

    L'ANGE

    Mais cependant quelle fut ta croyance ?

    LE SIXIME

    L'me immortelle, un Dieu qui rcompenseEt qui punit. Rien de plus.

    L'ANGE

    En ce cas,Entre et choisis ta place o tu voudras.

    Ainsi raisonne, ou plutt draisonne

    Un philosophe, un sage de nos jours.Sage insens ! Mais que Dieu lui pardonne.Si Dieu le peut, cet trange discours.

    Franais, croyez tout ce qu'ont cru vos pres.

    Femmes, aimez ce qu'ont aim vos mres.Croyez, aimez, et lorsqu'il vous plaira.

    Du ciel pour vous la porte s'ouvrira.Non, arrtez : la guerre vient d'clore

    Dans ces hauts lieux. Le royaume d'azurA Jsus-Christ n'appartient pas encore :On va combattre. Attendre est le plus sr.

    Trop ngligs dans leur petit domaine.

    Les dieux paens subsistaient avec peine :

    L'encens manquait. Leurs rivaux plus heureux

    Escamotaient les terrestres prires.

    Les chants discords, les offrandes, les vux.Et les parfums l-haut si ncessaires.

    Gens affams n'entendent pas raison.Peu satisfaits de leur maigre pitance.Quelques Sylvains d'un apptit glouton

    Pleuraient un jour leur premire abondance.

    Leurs poings ferms, leurs regards menaants.

    Sur les chrtiens se dtournaient sans cesse.

    Ils dclamaient contre l'humaine espce.

    Quand tout coup un nuage d'encens

  • LA GUERRE DES DIEUX 33

    De leur humeur adoucit la tristesse." Bon ! dit l'un d'eux, celui-l vient nous,De sa vapeur d'avance je m'enivre.Comme il est gros ! Amis, rassurez-vous.Pour quelque temps nous aurons de quoi vivre.

    A bien dner tort il s'attendait.Quarante saints, qu'un ange commandait.Au paradis convoyaient ce nuage.Il s'approcha des Sylvains tonns.

    Et passa juste deux doigts de leur nez.

    Ce qui n'tait qu'un simple badinage,Au srieux fut pris par ces pandours.De Jupiter l'ordre est prcis. N'importe.A coups de sabre ils tombent sur l'escorte.L'escorte a peur, elle crie au secours :

    En attendant les coups pleuvent toujours.L'ange, priv de ses ailes rapides,

    A pied s'enfuit, on houspille les saints;

    Tout se disperse, et dj les Sylvains

    Sur le convoi portent leurs mains avides.

    Du paradis accourent par bonheurD'autres chrtiens qui leur font lcher prise.

    D'autres paens arrivent par malheur.

    Qui des premiers soutiennent l'entreprise.

    Trente contre un ces chrtiens combattaient;

    Plus aguerris, ces paens les frottaient;

    Et la victoire est encore indcise.

    Mais j'aperois Samson. Tremblez, faquins IL'arme fragile, instrument de sa gloire.

    Vaincra toujours : cette heureuse mchoire

    Brisa cent fols celle des Philistins.

    Fuyez, vous dis-je, ou c'en est fait des vtres.

    Et toi, Samson, prends garde aux sept cheveuxQui font ta force : invincible par eux.

    Dfends-les bien, laisse arracher les autres.

    Le casque en tte, il s'lance d'un sautAu premier rang. Un Sylvain tmrairePour le combat se prsente aussitt." Attends, dit-il, attends, mon cimeterreVa chatouiller cet norme derrire,

  • 34 LA GUERRE DES DIEUX

    Et de ce dos mesurer la largeur.

    Je veux... Soudain, la mchoire funeste

    Sur la mchoire atteint ce discoureur,

    La pulvrise et supprime le reste

    De sa harangue : alors chaque paenSe dfendit sans parler, et fit bien.Samson triomphe, et le parquet clesteDes dents qu'il brise est dj parsem.Par un courrier intelligent et preste.

    De ce dgt Hercule est inform.A ce rcit, le vaillant fils d'AIcmneRpond : J'y cours et, quittant les remparts.D'un pas rapide il traverse la plaine.

    Et des chrtiens tonne les regards.

    Lorsqu'on hurlant une hyne sauvage.

    De qui la faim augmente encor la rage.Du Gvaudan abandonne les monts.Le feu jaillit de sa rouge prunelle

    ;

    L'effroi, la mort descendent avec elle

    Sur les troupeaux pars dans les vallons;

    Tout fuit : enfants, chiens, bergers et moutons.

    Des Philistins le vainqueur intrpide.Se promettant un triomphe de plus.Seul attendit le vainqueur de Cacus.

    Impunment on n'attend pas Alcide.De prime abord, au hros des HbreuxDe sa massue il porte un coup affreux.Brave Samson, ton casque est mis en pices.Ton crne saint, frapp si rudement.Est branl sous ses crotes paisses.

    Ton large front s'incline forcment.Ton il se trouble et voit mille tincelles,Sur tes grands pieds un moment tu chancelles.Un seul moment. " Ce n'est rien, ce n'est rien. Il dit. Ce mot fait rire le paen.O du Trs-Haut assistance imprvue IDe la mchoire un coup miraculeuxEn mille clats a bris la massue.Le fier Samson relve un bras nerveux.Le fier Alcide au visage lui lance

  • LA GUERRE DES DIEUX 35

    Le court tronon qui formait sa dfense,

    Et brusquement le saisit aux cheveux.A cet aspect tous les chrtiens plissent,Et leurs clameurs dans les airs retentissent" Maudit paen ! il va les arracher.

    Laisserons-nous dans sa main furieuse

    De notre ami la tte prcieuse ?Dfendons-la. Ferme I osons approcher.

    D'un pervier quand la serre sanglanteVient de saisir l'alouette tremblante.

    Qui s'levait en chantant jusqu'aux cieux.

    Aux sons plaintifs que pousse la pauvrette.Du bois voisin le peuple harmonieux,Moineau, pinson, sansonnet et fauvette.

    S'lancent tous sur le tyran des airs

    Que n'meut point leur impuissante rage.Suivent son vol, et de leurs cris divers

    Font vainement retentir le bocage.

    Tel des chrtiens le courage discret

    Dfend Samson. Mais sourd leur colre.L'autre tirait sur l'paisse crinire.

    Tant et si fort qu'il emporte tout net.

    Et montre aux siens le bienheureux toupet.

    Ce fut alors que les cris redoublrent.Du gros Samson la factice vigueurS'vanouit et ses genoux tremblrent.

    Il voulut fuir. L'intraitable vainqueur

    D'un coup de poing acheva sa dfaite.

    De nos hros, l'me tait stupfaite.Leurs ennemis s'lancent de nouveau

    Pour se saisir du nuage en litige.A reculer d'abord on les oblige.Car nous tenions ce friand morceau :Mais l'apptit chez eux se tourne en rage.

    Revenant donc en vrais dtermins.Ils forcent tout, et s'ouvrent un passage.

    Il fallait voir sur l'odorant nuageLes combattants follement acharns.

    En sens contraire on le pousse, on le tire;

    Chacun y met sa griffe, on le dchire,

  • 36 LA GUERRE DES DIEUX

    On le dpce, et les flocons pars,Chargs d'encens, volent de toutes parts.On court aprs. Notre milice entireDu paradis dbouche en ce moment.Du grand Michel tonne la voix guerrire

    ;

    Il marche, avance et crie : Alignement I

    La Trinit qu'escortaient six mille anges.

    Se place ensuite au quartier gnral.Bnit trois fois ses nombreuses phalanges.Et de l'attaque arbore le signal.

    Pauvres paens, la rsistance est vaine,

    Vous le voyez : que peut une centaineDe combattants, que peut l'Olympe entierContre une arme innombrable et chrtienne ILe parti sage est de vous replier.

    C'est ce qu'ils font, non pas sans quelque peine.

    Serrs de prs, les coups htent leurs pas.De poste en poste on les pousse, on les chasse,Mars et Bellone arrivent et leurs bras.

    De l'ennemi rprime un peu l'audace.Des rangs entiers sont renverss par eux.On voit bientt sur le pav des cieuxD'anges, de saints, un abattis immense.

    Mais d'autres saints, d'autres anges tout frais,

    Oue prudemment d'autres suivent de prs.Du fougueux Mars fatiguent la vaillance." Morbleu ! dit-il, c'est ne plus finir.

    Las de frapper, mais toujours formidable.

    Le dieu s'arrte et soutient sans plir

    Des bataillons le choc pouvantable.Laissons-le faire, et sur le paradis

    Tournons les yeux : on n'y voit que des saintes.

    Qui, babillant, se confiaient leurs craintes

    Sur le combat livr par leurs amis.De ce troupeau ddaignant la cohue.Plus loin Judith se promne l'cart.La tte basse, elle marche au hasard.Elle est rveuse et semble trs mue.Aux demi-mots qu'elle laisse chapper,A son regard, son geste on souponne

  • LA GUERRE DES DIEUX 37

    Qu'un grand dessein occupe l'amazone,Et qu'elle trouve une tte couper.

    Judith revient et fortement s'crie :

    " Morbleu ! j'enrage, au lieu de babiller

    Que n'allons-nous en silence trillerDe ces paens au moins une partie ?Secondez-moi dans ce projet heureux.

    Que d'entre-vous les plus braves se lvent,Prenons en flanc ces brigands peu nombreux

    ;

    Dj battus, que nos bras les achvent.

    Sa tte haute et son air triomphant.D'un poing ferm le geste renaissant.

    Son autre main sur sa hanche place.Sa jambe droite avec grce avance.Mais plus encor la nouveaut du fait.

    De son discours assurrent l'effet.A ses cts trois cents femmes se rangent.Et prudemment leurs habits elles changent.Pour viter tout accident fcheux

    Qn prend des Saints la jaquette lgre.Le bouclier, le casque et la rapire.

    Et l'on promet de se battre comme eux.Du Ciel Judith connaissaient les passages :

    Son bataillon derrire les nuagesSe glisse, avance, et se croit bien cach.Mais sur l'Olympe en se moment perch.L'aigle attentif le dcouvre sans peine :

    A Jupiter il en fait son rapport.Au mme instant le dieu du Pinde sort.Et de soldats il prend une centaine.

    Au pas de charge il marche ces hussards.Et brusquement se montre leurs regards.

    Qui fut penaud ? Ces vaillantes donzellesS'arrtent court, dlibrent entre elles.

    Et la moiti dj tourne le dos.

    Le gnral que leur faiblesse irrite.Gronde, prore, et jurant propos.

    Tant bien que mal au combat les excite.De son ct l'intrpide Apollon

    A sur deux rangs form son bataillon.

  • 38 LA GUERRE DES DIEUX

    Du fourreau d'or sa lame tait tire." Qu'est-ce ? dit-il : ce maintien indcis,

    Ces blanches mains, ces genoux arrondis,Ces petits pas, cette marche serre.Annonceraient de faibles ennemis.

    De ces guerriers l'allure est malheureuse.Voyons pourtant car la mine est trompeuse.

    Sur le plus proche il s'lance aussitt.

    Et pour frapper son bras nerveux se lve.

    Notre hrone, au seul aspect du glaive.

    Ple d'effroi, raisonne ainsi tout haut :

    " Aprs le coup immanquable est ma chute :Pour abrger, je tombe avant le coup.

    Et sur l'arne une prompte culbute

    Etend la belle. Apollon rie beaucoup.

    Mais remarquant sous la courte jaquetteDe sa frayeur une excuse complte :" L'avez-vous vu ? dit-il ses soldats.

    C'en est bien un, je ne m'abuse pas.Tant mieux I levons ces trompeuses casaques.Ne tuons rien, mais des claques, des claques.

    Ce mot heureux circule promptement.Sur l'ennemi chacun tombe gaiement

    ;

    Gaiement encore aux claques l'on procde.

    Le jeu s'chauffe, et malheur la laide I

    Toujours sur elle on daube fortement.Sur la beaut la main aussi se lve

    ;

    Prte frapper, jamais elle n'achve :

    On la voyait retomber doucement.Du blanc satin caresser la surface,Et quelquefois la bouche prend sa place.

    Les unes donc grands pas dtalaient.Avec lenteur les autres reculaient.On les rattrape, et l'assaut recommence.Il plaisait fort. C'tait un jeu de main.

    Oui ne fut pas pourtant jeu de vilain.

    Ces culs de lys restaient en vidence :De la victoire on voulut profiter

    ;

    On les retourne, ils y comptaient d'avance.Quelle attitude I et quel profond silence I

  • LA GUERRE DES DIEUX 39

    On entendrait une souris trotter.Des gnraux doivent se battre ensemble,

    Et la Judith appartenait de droit

    Au dieu du Pinde. A l'cart il la voit." Viens, dit tout bas la Sainte, viens et tremble,

    Je ne veux point disputer, tu m'auras.

    Mais cet honneur bien cher tu le paieras.

    Par Apollon aussitt entreprise.

    Sa chastet rsiste faiblement,A ses dsirs elle est bientt soumise,A tout se prte et hte le momentO de ses sens il va perdre l'usage.Mais prenant got ce charmant ouvrage.

    Elle oublia de conserver les siens.

    Dans le plaisir Apollon la devance,Au but arrive, et soudain recommence." Bon I dit Judith, prsent je le tiens.

    Sa main alors subtilement ramasseLe fer tranchant auprs d'elle plac.

    Le dieu la voit, et son bras avancRetient en l'air le coup qui le menace." Peste I dit-il, je remplis vos souhaits.

    Je recommence, et votre main cruelleVeut m'gorger I Oue feriez-vous, la belle.Si ma faiblesse et manqu vos attraits ?Seriez-vous point la Judith ? Oui, vous l'tes,

    Et votre zle en veut toujours aux ttes.Moi, je suis bon. Loin de vous imiter,

    A vos appas, je prtends ajouter. Le tratre alors touche d'un doigt perfide

    Le point prcis o nat la volupt.

    Ce point secret, dlicat et timide,Dont le doux nom des Grecs est emprunt.En mme temps quelques mots il prononce.Des mots sacrs sans doute, et pour rponse.Le point touch subitement s'accrut.

    En frmissant Judith s'en aperut.On lui donnait trop ou trop peu. La belleS'cria donc : Suis-je mle ou femelle ?

    Elle s'lance et frappe tour de bras

  • 40 LA GUERRE DES DIEUX

    Le dieu malin qui riait aux clats.

    Tout en riant, adroitement il pare.

    La foule alors arrive et les spare.

    Vous avez vu des dugnes le troupeauMal figurer dans ce combat nouveau,Et par la fuite aux claques se soustraire.

    De tant courir il n'tait pas besoin;

    A les poursuivre on ne s'empressait gure.Elles font halte six cent pas plus loin.

    Et tristement regardent en arrire.

    A cet aspect, lecteur, figurez-vous.Et leur surprise et leur dpit jaloux.

    Que n'ose point une femme en colre ILa frayeur cesse, on revient sur ses pas.Et l'on retombe en cumant de rageSur les pcheurs qui ne s'en doutaient pas.Beaucoup avaient termin leur ouvrage.Mais il restait encor quelques traneurs.

    Et ces derniers se prtaient merveilles

    Au chtiment inflig par les vieilles.D'une main sche on claque ces claqueurs

    ;

    Et leurs amis, qu'amuse un tel spectacle,A la leon bien loin de mettre obstacle.Disaient : il faut leur apprendre finir.

    Ceux-l punis, les prudes implacables

    Fondent soudain sur les saintes aimables

    Qui du combat s'taient fait un plaisir.Pour prluder d'abord on s'invective.

    Aux coups de poing par degr on arrive,La rage augmente, on se prend aux cheveux.

    Au nez, au sein, la jaquette, aux yeux.Ailleurs encore ; et la troupe acharne.

    Que des paens animent les propos.S'en va tomber sur les deux gnraux.

    Que fit alors l'hrone tonne ?D'une voix forte elle cria : " Hol I

    Sparez-vous. Quel excs d'indcence !

    Vit-on jamais pareille extravagance ?

    Quoi ! vous veniez combattre ces gens-l.

    Et sous leurs yeux... le trait est impayable I

  • LA GUERRE DES DIEUX 41

    Au corps, au cur, vous avez donc le diable ?Sparez-vous, coquines, ou ces mains

    Vont arracher le reste de vos crins.

    Dj l'effet a suivi la menace.A droite, gauche, elle frappe et terrasse.Lors Apollon et ses heureux soldats.

    Gais et contents retournent sur leurs pas.

    Ce lieu tmoin de leurs folles attaques,Fut surnomm la Chapelle des claques.

    De vrais combats les attendaient ailleurs.Leurs compagnons affaiblis, hors d'haleine,Pliaient dj ; la foule des vainqueurs

    Entourait Mars ; Mars rsistait peine.

    Que voulez-vous, brigands du paradis ?S'criait-il. Quel dmon vous travaille ?N'approchez pas, sotte et vile canaille.

    Ou de nouveau, moi, je vous circoncis. Malgr les traits qui pleuvent comme grle.Sur les vaincus entasss ple-mle

    D'un pied barbare il monte et s'affermit.Frapp cent fois son bouclier gmit :

    N'importe, fuir il ne peut se rsoudre.

    Seul contre tous il reste insolemment.

    Comme un rocher que battent vainementLe vent, les flots, et la grle, et la foudre.

    De son palais le souverain des dieuxVoit des chrtiens le triomphe rapide.

    Sa main saisit la redoutable gide.Et sur son aigle il monte furieux." N'coutez pas une aveugle colre,

    Lui dit Minerve, et cdez au destin.

    De vos efforts qu'esprez-vous enfin ?Ainsi que vous, ces gens ont leur tonnerre

    ;

    Il est tout frais, et le vtre a vieilli.

    Pourquoi lancer au Christ enorgueilli

    De vains ptards ? Cachons notre impuissance.De la douceur donnons-lui l'apparence.Vous le voyez, nos braves championsFont clater un courage inutile.

    Qu'ils rentrent tous, ils sont peine mille,

  • 42 LA GUERRE DES DIEUX

    Et les chrtiens comptent par millions.

    Que de ces murs la force nous protge;

    Nous y pouvons soutenir un long sige.Moi cependant, chez les dieux trangers,

    J'irai conter notre msaventure.

    Notre faiblesse et nos pressants dangers :

    De leur appui leur intrt m'assure.

    Cette leon, mais surtout cet espoir.

    Calma du dieu la fureur indiscrte.A la prcheuse il donna plein pouvoir.Et sans dlai fit battre la retraite.

    Il eut raison. Ce combat ingalA ses guerriers allait tre fatal.Bellone et Mars, affams de carnage.

    N'obissaient qu'en frmissant de rage.

    Plus furieux ce dernier moment.Ils se pressaient d'assommer et d'abattre

    ;

    Puis en arrire ils marchaient lentement.

    Et quelquefois revenaient brusquement

    Sur les chrtiens qui tombaient quatre quatre,

    On les eut pris de loin pour les vainqueurs.En ordre ainsi les paens se retirent.De la montagne ils gagnent les hauteurs.Et renferms dans leurs murs ils respirent.

    L'ardent Michel se prsente aussitt.

    Et des remparts il veut tenter l'assaut.

    Mais tous n'ont pas son courage hroque.

    Le jour fuyait, et l'ombre pacifique

    Au doux sommeil invitait le soldat :Pour murmurer chacun ouvrait la bouche.

    Quand le Trio, qui jamais ne dcouche.Au lendemain renvoya le combat.Devant les murs, autour de la colline.

    Vingt bataillons par Michel sont placs.

    Au paradis le reste s'achemine.Sur des brancards emportant les blesss.

    Qn n'entend plus le fracas de la guerre.Aprs la gloire on cherche le repos

    ;

    Et le poltron, ainsi que le hros.

    Au doux sommeil a livr sa paupire.

  • LA GUERRE DES DIEUX 43

    Priape et Mars, aux portes du palais,

    Etaient de garde avec tous les Satyres." Eh quoi I dit Mars, tu rves ? tu soupires ?De ces brigands tu crains donc le succs ?- Moi ? point du tout, mais l'ennui me consume.-Je m'en doutais. Aux Satyres vraimentCe mtier-ci ne convient nullement.Veiller sans fruit n'est pas votre coutume,

    La continence est pour vous un tourment :

    Que je vous plains I - Mal propos tu railles.Dans ce moment je songeais aux batailles.Un grand projet occupait mon esprit.- Qu'est-ce donc ? Voyons. - Je voudrais profitMettre ce temps qu'au sommeil on enlve.- Par quel moyen ? - J'en connais un. - Achve.-Tu sais la guerre ; ainsi tu conviendrasQu'il n'est jamais de sige sans sortie.

    C'est une rgle au Parnasse tablie.

    Sur ces messieurs qui sommeillent l-bas

    J'en veux faire une ; et ne t'oppose pasA mon projet. Mes Satyres fidles.Ainsi que moi connaissent les chemins.La nuit est sombre, il faut qu' ces gredins

    J'aille couper le sommeil et les ailes.- Embrasse-moi, mon ami, tes soldatsDoivent aimer les nocturnes combats.

    Htez-vous donc, et partez pour la gloire.

    La porte s'ouvre. Aussitt ces pandours.

    Envelopps de l'ombre la plus noire.

    Quittent l'Qlympe, hlas I et pour toujours.

    FIN DU TROISIEME CHANT

  • 44 LA GUERRE DES DIEUX

    CHANT QUATRIME

    Histoire du Juif Pantlier, de l\/larie et de Josepli. Saint Ei-fin renie Jsus-Clirist et dserte. Sainte Genevive etSaint Germain. Priape et ses compagnons sont faits pri-sonniers, acceptent ie baptme, et viennent sur ia terrefonder ies ordres monastiques.

    En vrit, frres, je le rpte.Anges et Saints ple-mle tendus.Mais dcemment couverts d'une jaquette.Dormaient alors du sommeil des lus.L'un d'eux pourtant, sujet l'insomnie.

    De ces ronfleurs fuyant la compagnie.Se promenait avec le bon Elfin,Du purgatoire arriv le matin.Elfin disait : Fais cesser ma surprise.Ami Panther, et parle avec franchise.Je te croyais au fin fond des enfers.

    Jrusalem a vu notre jeunesse

    Narguer les lois, afficher la mollesse,

    Et des Romains imiter les travers.Les jeux bruyants, les belles courtisanes.

    Les longs dners, et les soupers profanes,

    Du paradis ne sont pas le chemin.Je me damnais : la vieillesse y mit ordre.Priv de dents, je ne pouvais plus mordre :

    De Jsus-Christ le systme divinMe plut alors O'aime les paraboles).Je l'adoptai sans trop l'approfondir.

    Et, sur mes pas craignant de revenir.J'assommai vite un prtre des idoles.

    Je fus brl tout vif, et bien martyr.

    Je t'en rponds : je soutins la gageure;

    Sans cris, sans pleurs, j'endurai la torture.Sur les tisons cuisant petit feu,

    A mes bourreaux je faisais la grimace.Mais quelquefois murmurant voix basse,

  • LA GUERRE DES DIEUX 45

    Entre mes dents je disais : Sacredieu !Et ce mot seul, qui ternissait ma gloire,Pour vingt mille ans me mit en purgatoire.L, de nouveau chauff, cuit et recuit,Mon corps chtif en charbon fut rduit.L'argent peut tout : de charitables femmesDe temps en temps rachtent quelques mesDu purgatoire en payant grassement,Et ce trafic abrge mon tourment.Juge, mon cher, si c'est avec dlicesQue de la nuit je hume la fracheur.As-tu connu ces horribles supplices ?Es-tu martyr, ou simple confesseur ?- Ni l'un ni l'autre. - Au moins la pnitenceDe tes excs rpara la licence ?Tu fus dvot ? - Jamais, en vrit.Pensant, vivant, comme mon ordinaire.Pour tre saint il m'en a peu cot.

    Je n'ai rien fait, je me suis laiss faire.- Explique-toi. - Lorsque JrusalemNe m'offrit plus d'aventure nouvelle.Je la quittai. Non loin de Bethlem,Je possdais une terre assez belle.

    Je comptais seul y passer quelques jours.

    Quand le hasard, qui m'a servi toujours.Me fit connatre une jeune grisette.Brune, il est vrai, mais du reste parfaite.

    Son vieux mari, trs mauvais charpentier.Ne gagnant rien, vivait dans la misre.Je l'occupai, je doublai son salaire.

    Et j'agrandis son chtif atelier.

    Par mes bonts sorti de l'indigence.Il s'puisait en longs remerciements

    ;

    Et sa moiti, sensible ma constance.M'en fit aussi : mais quelle diffrence I

    Je m'y connais, les siens furent charmants.

    Je trouvais tout dans ma jeune matresse.Beaut, fracheur, innocence et tendresse.

    Sans soins, sans art, mes sens tonns.Depuis longtemps muets pour les Phryns,

  • 46 LA GUERRE DES DIEUX

    Elle rendit la vie et la parole.

    J'en eus besoin : l'poux malignement

    Avait laiss tout faire l'amant.

    D'un tel malheur sans peine on se console.

    Un accident, au bout de quelques mois,Inquita notre vierge discrte.

    Moi, j'en riais. Sa taille rondeletteNe pouvait plus tenir dans mes dix doigts.Cet embonpoint me la rendit plus chre.Le vieux mari, qui s'avisait tort

    D'tre jaloux, exhala sa colre.

    De l'assommer je fus tent d'abord.Mais la piti vint modrer ma bile.Dans son grenier j'allais donc me cacher

    ;

    L, vers minuit, sautant sur le plancher.

    Par ce fracas j'veillai l'imbcile.

    Et je lui dis avec un porte-voix :" Ton dieu te parle, coute, misrable.Ta femme est grosse et ne fut point coupable.Respecte-la, je le veux, tu le dois.

    Point de soupons, d'humeur, ni de querelle.

    A son insu j'ai fcond son sein.Je bnirai l'enfant qui natra d'elle.

    Fille ou garon, sur cet enfant divin

    J'ai des projets : honore donc sa mre.Fais bon mnage, ou gare le tonnerre I

    Cette menace effraya le barbon.Ds ce moment sa douceur fut extrme.L'aimable vierge accoucha d'un garon.Et ce garon, c'est Jsus-Christ lui-mme.

    - Quoi ! notre Dieu ? - Notre Dieu. - Quel blasphme I- Sa mre ici jouit d'un grand pouvoir.Elle voulut auprs d'elle m'avoir.

    Et se chargea d'arranger cette affaire.

    J'y consentis, car je l'aime toujours.

    Qn se permit quelques malins discours;

    Je rembarrai les plaisants du parterre.

    Et de ma vierge un coup d'il les fit taire.- Quand je vivais, j'ai souvent entenduDe Jsus-Christ conter ainsi l'histoire.

  • LA GUERRE DES DIEUX 47

    De Bethlem ce bruit s'est rpanduChez les paens, mais j'tais loin d'y croire.Il est ton fils ! Et moi qui bonnementAi pour cet homme endur le martyre !Sur des tisons je me suis laiss cuire,Pour qui ? pour un... -Ton zle assurmentFut excessif, et je t'en remercie.

    - Dans votre ciel je ne resterai pas.Non, sacredieu I je vole de ce pas

    Chez les paens. Bonsoir. - Autre folie IArrte, coute... Elfin ne l'entend plus :

    Il dsertait en reniant Jsus.

    Panther en vain se met le poursuivre.

    L'obscurit favorisait sa fuite,

    Et dans sa course il dpassait les vents.

    Las de chercher, et las surtout de rire.

    Le jeune Hbreu revenait pas lents.Un lger bruit sur la gauche l'attire.Avec prudence il approche, et soudainIl reconnat la voix rauque d'Elfin.

    Oui, disait-il, l'affaire est immanquable.

    Ici tout ronfle, et, pour un coup de main.Jamais instant ne fut plus favorable.

    Allons, Priape, allons, il faut enfin

    Fminiser ces onze mille vierges.Pour qui Cologne a brl tant de cierges.

    Ce troupeau-l, des autres spar.Offre l'audace un triomphe assur.

    Bon I dit tout bas le fripon qui l'coute :Un coup de main, la surprise, l'effroiDes cris d'alerte et du trouble sans doute,La circonstance est heureuse pour moi.

    Dans ce fracas, je peux ma petiteFaire en secret une courte visite.

    Du sanctuaire o le divin TrioDort quelquefois sous un double rideau,

    A pas presss notre saint se rapproche.Pour la dcence on a construit tout procheUne chapelle, o la vierge au besoinSe retirait sans suite et sans tmoin.

  • 48 LA GUERRE DES DIEUX

    Pendant la nuit ses charmes y reposent.Le beau Panther d'un il brlant d'amourLorgnait la porte. Il rodait l'entour ;Mais ses vux des importuns s'opposent.Devant le trne est un poste nombreux :Pour chapper au sommeil qui les presse,

    Ces dsoeuvrs causaient tout bas entre eux,Allaient, venaient, et revenaient sans cesse.

    L'ange Aznor, d'ici-bas arrivant.

    Dsennuyait le cleste auditoire;

    D'un ton d'humeur il contait son histoire.

    Et les soupirs l'interrompaient souvent.

    " Vous le savez, disait-il, sur la terre.Prs de Lutce, au hameau de Nanterre,J'avais en garde une jeune beaut :

    Chez les mortels son nom est Genevive.J'aimais sa grce et sa navet.

    J'esprais tout de cette chaste lve.

    Auprs d'un bois, sur le bord d'un ruisseau.

    Elle habitait un petit ermitage.

    Des voyageurs vitant le passage.Elle y veillait sur un petit troupeau.

    Elle chantait assise sous l'ombrage.

    Tressait des joncs, et sa dbile main

    Soignait de plus un modeste jardin.Mais pour trouver une glise, une messe,

    Il lui fallait aller jusqu' Lutce.

    Dans cette glise elle voyait souventUn jeune abb, propre, doux et dcent.Joli, bien fait, aux pauvres secourable.

    Et qui sur elle, au moment de sortir.Jetait toujours un regard charitable.

    Accompagn du plus tendre soupir :C'tait Germain. A la sainte nouvelleIl en voulait. Mais pure autant que belle.

    Ma Genevive alors souponnait peuQu'on pt aimer autre chose que Dieu.

    J'tais surtout l'objet de ses prires,

    A tout moment son ange elle invoquait :A lui donner des pensers salutaires

  • LA GUERRE DES DIEUX 49

    Jamais aussi son ange ne manquait.Soins superflus ! Un matin la bergre,Voulant au pr conduire ses moutons,

    Voit qu'une eau pure a lav leurs toisons.Et s'aperoit qu'une main trangre

    Dans son jardin n'a rien laiss faire.Son esprit cherche, et ne peut concevoirQuand et comment ce prodige rapideS'est opr. Ce fut bien pis le soir.Pour tout festin prenant un pain fort noir,

    Elle s'en va puiser l'onde limpide.

    Elle revient : sa table offre ses yeux

    Le lait durci, des fruits dlicieux.

    Un pain trs blanc, et le miel, et la crme.A cet aspect sa surprise est extrme.D'abord timide, elle craint d'approcher.

    Et sur les mets qu'elle n'ose toucher

    Deux fois sa main de la croix fait le signe.Ne voyant pas s'altrer leur couleur.Ni leurs parfums, elle dit dans son cur : Ces prsents-l me viennent du Seigneur.Je les reois, mais je n'en suis pas digne.

    En y gotant, elle rflchissaitSur ce miracle, et dans sa petite meLa vanit doucement se glissait.Car une sainte, hlas I est toujours femme.La mienne au moins, de ce naissant poison.

    Sut prserver temps son innocence.

    Elle savait, malgr son ignorance.

    Que sur ce point Dieu n'entend pas raison.Sachant aussi qu' la moindre fredaine.

    Il est prudent d'ajouter aux remords

    La discipline, elle cherche la sienne.

    Bien rsolue fouetter son beau corps.

    Nouveau miracle I elle trouve sa placeUn gros bouquet de myrtes et de fleurs.Sur ses genoux elle tombe avec grce.Et du Trs-Haut reconnat les faveurs.

    Mais cependant son pch la chagrine.

    Et sa ferveur brle de l'effacer.

  • 50 LA GUERRE DES DIEUX

    Pour suppler cette discipline

    Qu'elle n'a plus elle veut ramasser

    Le caillou dur, et la ronce, et l'pine;

    Sur ce beau lit elle prtend coucher.Dans les buissons elle va donc chercherEpine et ronce ; et la nuit dj sombre,

    Pour l'arrter semble paissir son ombre.Au mme instant la plus douce des voixLui dit ces mots : Ecoute, et sois sans crainte.

    On pche encore alors que l'on est sainte.Dieu te pardonne, il t'aime, tu le vois.

    Ne cherche plus la ronce ni la pierre.Va, le sommeil est fait pour ta paupire.

    Vive l'excs, mais courte fut sa peur.

    Et le chagrin s'loigna de son cur.

    Elle regagne aussitt sa chaumire.

    Le vent sans doute teignit la lumire

    Qu'elle y laissa : trs bien l'on s'en passait.

    La jupe tombe, ensuite le corset.

    D'un lger voile elle entoure sa tte.

    Et la chemise est son seul vtement.

    Elle se couche. Q prodige charmant ICe jour pour elle tait un jour de fte.Le lit, les draps, de roses sont couverts.

    Leur doux parfum s'exhale dans les airs,Et tout coup d'une voix amoureuseElle s'crie : " Q vous, mon cher soutien,Ange du ciel qui me gardait si bienDe vos bonts Genevive est honteuse.Car c'est vous que mon modeste litDoit de ces fleurs la parure inconnue.

    N'est-il pas vrai ? - Sans doute, rponditLa mme voix qu'elle avait entendue.- Ah I - Ne crains point. - Connaissez mes souhaits,Ange charmant : montrez-vous ma vue.Et couronnez ainsi tous vos bienfaits.- Dieu le dfend, un chtiment svre...- J'abjure donc ce dsir tmraire

    ;

    Je vous crois beau. - Trop pour tes faibles yeux.- Puis-]e du moins vous toucher ? - Tu le peux.

  • LA GUERRE DES DIEUX 5

    1

    L'ange s'approche. Aussitt l'imprudente,

    Pour s'assurer qu'il vient du paradis,

    Ose toucher sa tunique flottante,Sa main douillette et ses bras arrondis.De ses cheveux les boucles naturelles.Son joli nez, les lvres immortellesD'o s'chappait une aussi tendre voix.

    Son frais menton, et surtout ses deux ailesQui constataient sa nature et ses droits.

    Cet examen, qu'elle prolonge encore.

    Trouble son me, et sa tte, et ses sens.

    Elle se livre au danger qu'elle Ignore,

    Ses bras tendus deviennent caressants.Certain dsir et l'entrane et l'agite.

    Un feu nouveau s'allume dans son sein.Et sur ce sein qui se gonfle et palpite

    De l'ange heureux elle presse la main.Il profita de l'aimable attitude.

    Et lui disait pour ne pas l'tonner :" Dieu, qui m'entend, par moi te veut donner

    Un avant-got de la batitude.

    Qui donc tenait cet amoureux discours ?Ce n'est pas moi, morbleu I dont bien j'enrage

    ;

    De la parole on nous dfend l'usage;

    C'tait Germain, qui depuis quelques jours

    Incognito log dans le village.

    Rodait sans cesse autour de l'ermitage.

    Vous concevez ma honte et mon courroux.A son destin j'abandonne la belle.Et me voil : des esprits comme nousNe sont pas faits pour tenir la chandelle. Ainsi parlait cet ange humili.Loin d'applaudir au courroux qui l'agite.

    De sa disgrce on riait sans piti.Qn et mieux fait pour notre IsraliteDe s'endormir. Dans un coin retir.Craignant les yeux, il se lassait d'attendre.

    Arrive enfin le moment dsir.Des cris confus de loin se font entendre :" Alerte I alerte ! Aux brebis du Seigneur

  • 52 LA GUERRE DES DIEUX

    Priape en veut. Debout ! qu'on se dpche !Ils sont ici. Non, c'est l qu'ils font brche.

    A droite I gauche I au Satyre I au voleur I Le rus Juif, dans ce trouble propiceQu'entretenait le lugubre tocsin,

    Facilement accomplit son dessein.

    Dans la chapelle en secret il se glisse." - Qui va l ? - Moi. - Qui vous ? - A ce baiser,A mes dsirs, tu peux me reconnatre.- Qses-tu bien ?... - L'amour fait tout oser.- Quelle imprudence I On t'aura vu peut-tre ?- Non, les paens occupent nos soldats.Qn crie, on pleure, on caresse, on s'chine :Je viens aussi, mon ange, la sourdine.Te violer, mais tu ne crieras pas.- Tes yeux encor me trouvent donc passable ?-Tu le sais trop, l'amour, le tendre amourEst mon seul bien. Il me rend supportableDu paradis l'Insipide sjour.Je prirais d'ennui sans ta prsence.

    Ces charmes-l sont les dieux que j'encense.Dieux du bonheur, dieux potels et doux.

    Dieux complaisants, tant fts sur la terre,

    Je vous adore et n'adore que vous.

    Lecteurs dvots, laissons-le dire et faire.

    D'autres pcheurs attendent nos regards.

    Sur eux les Saints fondent de toutes parts,

    Qn les empoigne au milieu des pucelles.Non pas debout, mais couchs auprs d'elles

    ;

    Non pas auprs... qu'importe ? Ils sont tous pris.Dans la capture Elfin n'est pas compris.L'adroit Elfin, ds l'attaque premire.

    De ces pandours dserta la bannire,Et le fripon, pour viter leur sort.

    S'tait rang du parti le plus fort.

    Voil Priape et sa troupe cynique

    Devant leur juge, et pour eux c'est un jeu.

    L'air impudent, l'attitude lubrique

    De ces vauriens, scandalisent un peuDu doux Jsus l'il dvot et pudique.

  • LA GUERRE DES DIEUX 53

    Le beau pigeon, surpris et stupfait,D'un nouveau psaume entrevoit le sujet.Mais le pater, qui de rien ne s'tonne :" Or , Priape, avec tes compagnonsQue faisais-tu chez mes jeunes tendrons ?Parle. - Vraiment la question est bonne INe sais-tu pas ce qu'aux vierges l'on fait ?- Tu violais ? - Mais. . . pas trop. - Rponds net.Et laisse l tes phrases ambigus.- Soit. C'est a tort que vous avez nichDans votre ciel ces vierges prtendues :Une moiti pour le moins a trich.-Tu mens, coquin. - Regardes-y, bon Pre,Et tu sauras qui de nous a menti.

    La rsistance est nulle, ou trs lgre.

    Tu vois pourtant comme je suis bti.- Vierges ou non, votre crime est le mme :Vous mritez l'enfer... ou le baptme.Il faut choisir. - Pouvons-nous balancer ?Qu'on nous baptise : aussi bien je m'ennuie

    Dans cet Olympe o l'homme nous oublie.Et d'o bientt il pourra nous chasser.

    Au mme instant la cohorte profaneCourbe la tte, et reoit sur le crne

    Trente seaux d'eau par les anges lancs.Pour ces brigands tait-ce bien assez ?" Ainsi soit-il, et nous voil des vtres.

    Dit saint Priape : allons, employez-nous.

    Vous n'aurez pas de plus fermes aptres.Ni les paens de rivaux plus jaloux.

    Jsus alors : " Ils sont francs et sincres.

    Leur zle est vif. Mon pre, employons-les.- Qu'en ferons-nous ? - Ds longtemps je voulaisChez les chrtiens former des monastres :Dans ce projet ces gens nous serviront.Forts et nerveux, sans peine ils soutiendront

    L'ennui du clotre et sa longue paresse.

    A ces vertus ils joindront quelque adresse,Et nos couvents bientt se peupleront.- D'un prompt succs, mon fils, ton plan est digne,

  • 54 LA GUERRE DES DIEUX

    - Naissez, croissez, pour fconder ma vigne.Multipliez, Carmes, Bndictins,Frres prcheurs. Frres ignorantins,

    Dominicains, Bernardins, Franciscains,

    Les uns chausss, les autres sans chaussure,

    Barbus ou non, avec ou sans tonsure.

    Gris, blancs ou noirs, mendiants ou seigneurs

    Et vous aussi, nonnes, mres et surs.

    Moines en jupe, la guimpe flottante.Soldats du Christ, pouses de la croix.

    Vous tous enfin qui vivrez de mes droits.Pour mes soutiens du doigt je vous dsigne.Naissez, vous dis-je, et fcondez ma vigne. A ce discours noblement dclam.Le Saint-Esprit en souriant rplique :

    " Trs bien, mon cher, ce style est potique.En me lisant, votre got s'est form. Tandis qu'il parle, on habillait nos drles.

    De blanche laine on couvre leurs paules,Et leur poitrine, et leurs membres velus.Un long cordon presse leurs reins charnus.Un pied de bouc avec peine se chausse :On l'largit, on l'allonge, on le fausse.D'un pied de moine on lui donne l'ampleur.Sans rien changer sa premire odeur.On tond leur tte, ensuite on la dcoreD'un large froc nou sous le menton :Embguin de ce blanc capuchon.Leur mufle noir parat plus noir encore.

    Ainsi vtus, d'un air trs dgag.

    De Jsus Christ ils vont prendre cong.Et chacun d'eux fait serment d'tre sage.Il les bnit en disant : bon voyage.

    Anges et Saints reptent : bon voyage.Le beau Panther entend ce dernier mot

    ;

    Il en conclut que la scne est finie.Droit sur la bouche il baise son amie,La baise encore et s'chappe aussitt.

    Mais un quidam, qui prs de l repose.

    Le voit sortir, sans distinguer ses traits.

  • LA GUERRE DES DIEUX 55

    Comment garder de semblables secrets ?Le lendemain il raconte la chose.

    Ce rcit plat, et passe en un momentDe bouche en bouche et d'oreille en oreille.Pour [Anglus la Vierge se rveille,

    Et sort enfin de son appartement.

    Sa bouche encore et s'entrouvre et soupire.Ses grands yeux noirs se ferment demi.La pauvre enfant ! elle avait peu dormi.

    On l'examine, et les plaisants de dire :" De notre reine, heureux le favori IEst-ce Panther, ou l'ange petit-matre.

    Ou le pigeon ? Ma foi, tous trois peut-tre.Mais coup sr ce n'est pas le mari.

    FIN DU QUATRIME CHANT

  • 56 LA GUERRE DES DIEUX

    CHANT CINQUIEME

    De jolies Bacchantes sduisent et enivrent presquetous ies Chrtiens employs au biocus. Dispute scien-tifique et scandaleuse. Impit de Saint Carpion. UnePaenne reoit de Saint Guignoiet ies sept sacrements.Extravagance de nos bienheureux ; iis entrent dansi'Oiympe.

    Gens du bon ton, galants auprs des dames,Et qui souvent surprenez leurs faveurs.

    Dans vos discours insolents et moqueursVous dnigrez, vous outragez les femmes.Celles qu'amour jeta dans vos filets,

    Que vous avez, ou que vous avez eues,Celles aussi que vous n'aurez jamais.Celles encor qui vous sont inconnues.

    Toutes enfin vos malins propos

    Servent de texte, ou vritable ou faux.

    Hommes ingrats ! forts de vos privilges.Pour triompher de leur faible raison.

    Vous osez tout. De la sductionDevant leurs pas vous semez tous les piges :Les soins adroits, les transports renaissants.

    Et la louange, et la gat foltre.

    Et les soupirs plus doux et plus touchants.

    Rien n'est omis. Elles ont combattre

    Tout la fois vous, leur cur et les sens :Et votre bouche accuse leur faiblesse IEt sans profit, souillant votre bonheur.

    Mchants et vils, leurs tendres caresses

    Vous imprimez le sceau du dshonneur !Lches ingrats I corrigeant votre ouvrage.

    Si la nature ce sexe charmant

    Voulait donner votre force en partage.

    On vous verrait changer timidement.

  • LA GUERRE DES DIEUX 57

    Non pas d'esprit, mais au moins de langage.Que le mpris soit votre chtiment

    ;

    Il vous est du ; certains que la vengeanceNe suivra pas une facile offense,Vous outragez ce sexe dsarm,Flatt toujours, et toujours opprim.

    Par ses refus du moins qu'il vous punisse.

    Pour vous, lecteur, aux femmes plus propice.Sur leurs erreurs fermez vos yeux discrets.

    Et de l'amour respectez les secrets.

    L'on est souvent mchant par jalousie.

    Vous le savez : n'Imitez pas les Saints,Qui sur la belle et sensible Marie

    Se permettaient quelques propos malins.Du paradis tandis que le parterre.En mdisant gayait Anglus,Plus loin nos Saints, employs au blocus.Riaient aussi, mais d'une autre manire.

    De ces remparts que leurs yeux observaient.Subitement une porte s'entrouvre :

    Qn s'arme, on tremble, on regarde, on dcouvreUn faible enfant que des femmes suivaient.C'tait l'Amour conduisant des Bacchantes

    ;

    C'tait un pige nos hros tendu.

    Par leur beaut ces prtresses galantes

    Peuvent d'un ange branler la vertu.Nos gens alors reprennent leur courage.Serrent les rangs et marchent grands pas

    Sur l'ennemi qui ne s'enfuyait pasEt qui gament poursuivait son voyage." Ces femmes-l n'ont pas peur et font bien.Dit l'ange Estral, j'aime assez les desses.

    Saint Jean rpond : " Leur habit, leur maintien.

    Ne semblent pas annoncer des princesses.- Reconnais-tu ce que portent leurs mains ?- Un lger thyrse et d'excellents raisins.Ce sont, je crois, djeunes vivandires

    ;

    A nous combattre elles ne songent gures.- La peau d'un tigre enveloppe demiLeurs corps d'albtre : et conviens, mon ami,

  • 58 LA GUERRE DES DIEUX

    Que leur beaut vaut bien les frais d'un sige.Quel air fripon I de pampres couronns,Leurs cheveux noirs aux vents abandonnsFont ressortir leurs paules de neige.

    Leurs jeunes mains caressent tour tour

    Ce bel enfant qui sans doute est l'Amour.- Serait-ce l le fils de Cythre ?Non. Voil bien ses ailes, son flambeau.

    Mais je ne vois ni carquois ni bandeau.

    Remarques-tu cette marche assure.

    Ces pieds de bouc, ce regard indcent ?Il atout l'air d'un Satyre naissant.- Satyre ou non, partout il saura plaire

    ;

    De l'autre Amour c'est sans doute le frre.

    A l'ignorant, qui juge avec rigueur.Cet entretien doit paratre un peu leste.

    Mais dans les camps cherche-t-on la pudeur ?L'oisivet, l'exemple si funeste,

    A la licence y disposent le cur :Qn n'y croit pas la valeur modeste,L'oreille y veut de graveleux discours.

    Des mots hardis, et l'homme le plus sage.Sans le vouloir, y prend en peu de joursD'un grenadier les moeurs et le langage.

    Il te sied bien, vain et chtif mortel,

    De critiquer ce que l'on dit au ciel IEsral approche, et fortement il crie :

    Halte-l I - Soit, lui rpond Agrie.- O courez-vous si gament ? et pourquoiPorter ici votre pied tmraire ?

    - Le sage a dit : Qn est bien que chez soi.Quittant du ciel la demeure trangre.Nous retournons sagement sur la terre.- Je vous en crois ; mais l'on ne passe pas.J'en suis fch pour vos jeunes appas.- Beau gnral, votre bouche est svre.Heureusement vos regards sont plus doux.Vous nous prenez pour femmes d'importance.Vous vous trompez : grisettes comme nousPeuvent passer, et sont sans consquence.

  • LA GUERRE DES DIEUX 59

    - Mais vous portez des vivres vos dieux,C'est aux chrtiens un dommage, une injure.- Non, ces fruits-l sont pour nous, je vous jure.On se nourrit autrement dans les cieux.- Elle a raison. Quoi ! ces grappes vermeillesNe tentent pas vos matres ddaigneux ?-Jamais No n'en cueillit de pareilles.N'est-il pas vrai ? - Je le crois. - Faites mieux.Gotez. - Oh I non. - Gotez-en, je le veux.A vos soldats mes compagnes honntesOnt prsent leur djeun frugal

    ;

    Faites comme eux, aimable gnral.- Eh bien, donnez, friponne que vous tes.-Je reconnais cette insigne faveur.- De ces raisins exquise est la saveur.J'ai voyag quelquefois en Syrie :Du bon No je daignais visiterL'humble cabane et la treille chrie ;Chez Abraham j'aimais m'arrter

    ;

    Loth m'hbergea dans la ville coupableDont le nom seul outrage beaut :Vous concevez comme j'tais ft IDes fruits choisis pour moi couvraient leur table.J'ai touch mme ces fameux raisinsQue rapportaient de la terre promiseLes claireurs envoys par Mose :

    Ils taient bons, les vtres sont divins.

    Tous djeunaient avec pleine assurance.Trop confiants, aucun n'a souponnDe ces doux fruits la magique puissance :Ils enivraient. Dj l'ange tonn

    Dans son cerveau cherche en vain sa prudence;

    Il y trouvait le trouble et la gat.

    Il se console, et croit gagner au change.

    Des tourdis qui l'avaient imitPlus vite encor la tte se drange.

    Au milieu d'eux, de ses hardis projetsL'Amour malin contemplait le succs.

    A nos soldats, que charmait sa figure.Il avait fait d'adroites questions

    ;

  • 60 LA GUERRE DES DIEUX

    Du bon Priape et de ses championsPar nous il sut la bizarre aventure :

    Il se vengeait, et nous le bnissions.

    Voyez un peu ces galantes prtressesAux yeux lascifs, aux perfides caresses,A nos guerriers tendre de jolis bras.De pampres verts orner leurs cheveux plats.Et leur presser des raisins sur la bouche.

    Aux coups lgers du thyrse qui les touche,De leur bon sens le reste a disparu.Dieu I quels propos alors se font entendre I

    Chacun dj d'une belle est pourvu.Et dit Amen. Les Saints ont le vin tendre.De nos guerriers cependant quelques-uns.Toujours grondeurs, et toujours importuns.

    Vieux impuissants, qui jamais n'ont su rire.

    Et que l'Amour ddaigna de sduire.De ces pchs spectateurs envieux.Criaient, tonnaient, et prchaient de leur mieux,

    MOSE

    Comment, chrtiens I ici, dans le ciel mme IOn punira cette insolence extrme.Dieu saura tout ; il est le Dieu vengeur.

    SAINT BLAISE

    Oui, faux lus, l'enfer va vous reprendre.

    MOSE

    Ils font les sourds. Quel excs d'impudeur I

    SAINT BLAISE

    Oubliez-vous que votre crateur

    Par un seul mot au nant peut vous rendre ?

  • LA GUERRE DES DIEUX 61

    L'ANGE ESRAL

    Mon crateur ? Votre Dieu ne l'est point

    SAINT BLAISE

    Vous blasphmez.

    L'ANGE ESRAL

    Les nations antiques

    Ont reconnu des esprits angliques.

    Le monde entier fut d'accord sur ce point.Juifs et chrtiens, venus aprs les autres,

    Nous ont trouvs tout faits : soyez des ntres.Nous dirent-Ils, et peuplez notre ciel.Trs volontiers, rpondit Gabriel

    ;

    Et pour nous tous il portait la parole.

    Tais-toi donc. Biaise, et retourne l'cole.

    SAINT GUIGNOLET, Mose

    Ouoi I vous pillez Mages, Phniciens,

    Brahmanes, Grecs, Parsis et Chaldens;

    Lpreux et nus, encrots d'ignorance.

    Du Nil au Gange on vit votre indigenceQuter, voler, au hasard ramasser

    De vieux haillons, les recoudre en Syrie,Sur votre corps sans got les entasser.

    Et puis, tout fiers de cette friperie.

    Pour crateurs vous voudriez passer ?

    SAINT CARPION, Mose

    Ton beau serpent, natif de Phnicie,D'un autre Eden franchissant le foss.Attaqua l'homme et s'en vit repouss.

  • 62 LA GUERRE DES DIEUX

    MOSE

    Chicane ! Allons, ma pomme est plus jolie,

    SAINT CARPION

    Soit ! Mais dj la curiosit,

    Bien avant Eve avait sduit Pandore.

    Ce trait charmant, ta plume l'a gt.

    SAINT BLAISE

    Quel baragouin !

    SAINT G