Paris sportifs et corruption

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1/92 ETUDE Paris sportifs et corruption Comment préserver l’intégrité du sport IRIS Pascal BONIFACE Sarah LACARRIERE Pim VERSCHUUREN Alexandre TUAILLON University of Salford (Manchester) Pr. David FORREST Cabinet PRAXES-Avocats Me Jean-Michel ICARD Jean-Pierre MEYER CCLS (Université de Pékin) Dr. Xuehong WANG

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Comment préserver l'intégrité du sport?

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ETUDE

Parissportifsetcorruption

Comment préserver l’intégrité du sport

IRIS Pascal BONIFACE Sarah LACARRIERE Pim VERSCHUUREN Alexandre TUAILLON University of Salford (Manchester) Pr. David FORREST Cabinet PRAXES-Avocats Me Jean-Michel ICARD Jean-Pierre MEYER CCLS (Université de Pékin) Dr. Xuehong WANG

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 3

TROIS EXEMPLES MAJEURS DE CORRUPTION SPORTIVE LIEE AUX PARIS SPORTIFS 8

I. LA VULNERABILITE DU MONDE DU SPORT FACE AUX PARIS SPORTIFS 13

A. ANALYSE DES ACTEURS ET DES METHODES DE LA CORRUPTION SPORTIVE 13 1. LA FRAUDE SPORTIVE SUR LE TERRAIN : PREMIER ECHELON DE LA CORRUPTION 14 2. LE ROLE DU CLUB ET DE LA FEDERATION : LA FRAUDE SPORTIVE « INSTITUTIONNELLE » 20 3. LA FRAUDE SPORTIVE EXOGENE : LE GROUPE CRIMINEL EXTRA-SPORTIF 26 B. LE ROLE SPECIFIQUE DES PARIS SPORTIFS DANS LA CORRUPTION 35 1. LA MONDIALISATION RECENTE DU MARCHE DES PARIS SPORTIFS 36 2. CES EVOLUTIONS FRAGILISENT-ELLES L’INTEGRITE DU SPORT ? 39 3. LE DANGER PROVENANT DES PARIS DITS « ILLEGAUX » ET ASIATIQUES 42 4. LES OPERATEURS DE PARIS ET LES MISES FRAUDULEUSES 46

II. LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION SPORTIVE LIEE AUX PARIS 49

A. LES ACTEURS DE LA PREVENTION ET LEURS INTERACTIONS 49 1. LE MOUVEMENT SPORTIF 49 2. LES OPERATEURS DE PARIS SPORTIFS 51 3. LES AUTORITES PUBLIQUES 52 B. UNE ACTION CIBLEE SUR LES ACTEURS DE LA CORRUPTION : DU TERRAIN A LA CRIMINALITE

ORGANISEE 53 1. INTEGRATION AU SEIN DU MOUVEMENT SPORTIF : INFORMATION ET DISSUASION 53 2. RENFORCEMENT DES MOYENS D’ENQUETE ET DE SANCTION 58 C. UNE ACTION CIBLEE SUR LES VECTEURS DE LA CORRUPTION : LE MARCHE MONDIAL DES PARIS

SPORTIFS 65 1. LA REGULATION DE L’OFFRE : ENCADRER ET SURVEILLER LES PARIS 65 2. LE CONTROLE DE LA FRAUDE 69

III. RECOMMANDATIONS 81

A. POUR LES ACTEURS 81 1. POUR LE MOUVEMENT SPORTIF 81 2. POUR LES AUTORITES PUBLIQUES 83 B. ENJEUX DE COORDINATION INTERNATIONALE 84 3. GESTION DE LA DIVERSITE DES APPROCHES DE REGULATION DES PARIS SPORTIFS 84 4. LUTTE CONTRE LES RESEAUX CRIMINELS TRANSNATIONAUX 85

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INTRODUCTION

« C'est certain, il y aura davantage de matchs truqués à l'avenir si le monde sportif ferme les yeux et si nous n'avons pas de bons contacts avec les sociétés de paris et les gouvernements. À terme sera remise en cause la crédibilité des résultats. Le sport est basé sur la hiérarchie qui puise ses valeurs sociales et morales dans le mérite. En fait c'est celui qui s'est donné le plus de moyens légaux ou qui a travaillé le plus dur qui gagne. Si demain cette exemplarité du champion est remplacée par la manipulation des matchs ou la corruption des joueurs, alors toute la crédibilité du sport disparaitra. (…) Il y a déjà des pays où des compétitions de football ne sont plus crédibles et où on enregistre une désaffection du public ».

Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO)

le 1er mars 2011 L’année 2011 a été le théâtre d’une mobilisation sans précédent du monde sportif pour défendre l’intégrité du sport face à la menace grandissante que font peser des organisations criminelles qui manipulent des matchs aux fins de s’enrichir et de blanchir de l’argent sale par l’intermédiaire des systèmes de paris sportifs en ligne. Le Comité international olympique s’est posé en fer de lance du mouvement avec un sommet extraordinaire organisé le 1er mars 2011 sur la lutte contre la corruption sportive. Deux mois plus tard, la FIFA (Fédération internationale de football association) a promis l’allocation de 20 millions d’euros à la lutte contre les matchs truqués, via notamment la création d’une structure de coopération avec Interpol à Singapour. L’UEFA (Union of european football associations) et les principales fédérations sportives ont également opté pour des mesures proactives afin d’éloigner le sport des risques de la corruption. Cette prise de conscience générale intervient dans un contexte de scandales, de fraudes, de rumeurs et d’instructions judiciaires dans de multiples pays et pour de nombreuses disciplines. L’augmentation apparente des cas de fraude sportive, en particulier ceux liés aux activités de paris, menacerait l’essence même du sport. La glorieuse incertitude du sport, la loyauté et l’image des athlètes sont autant de valeurs mobilisatrices et populaires qui risquent d’être ébranlées si aucune mesure sérieuse n’est envisagée pour mettre un terme à la corruption. À terme, et comme cela a pu être observé dans certains pays asiatiques ou d’Europe orientale, la mort du sport est programmée si les autorités sportives et publiques ne se mobilisent pas pour lutter contre la fraude. En supprimant l’aléa du sport, la corruption finit par tuer la discipline : le public se désintéresse de compétitions truquées, les sponsors refusent d’y associer leur image, les médias tournent le dos et les clubs finissent par agoniser, faute de ressources. Les championnats du sud-est asiatique étaient particulièrement populaires dans les années 1990 avant que la corruption généralisée et les trucages de matchs ne finissent par vider les stades et faire fuir les investisseurs. En avril 2011, l’ouverture du championnat professionnel chinois s’est réalisée dans un contexte de grave crise interne puisqu’une nouvelle affaire de corruption a conduit à l’incarcération de plusieurs cadres de la fédération, ce qui a convaincu le sponsor principal et le diffuseur télévisuel de

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ne pas renouveler leur contrat avec la ligue, tandis que les premières rencontres se réalisaient dans l’indifférence générale… En Europe balkanique, le constat est similaire. Le risque de décrépitude du sport moderne face aux scandales répétés est réel et ne doit pas être sous-estimé. Une préoccupation majeure est la présence de plus en plus récurrente d’organisations criminelles transnationales dans les affaires de corruption sportive. Depuis deux décennies, ces organisations criminelles transnationales sont passées, schématiquement, d'une implantation régionale et à fort aspect familial, à une dimension internationale et diversifiée, tant dans les activités illégales ou non, que dans les modalités d'action. Elles ont su tirer profit de l'évolution des réglementations, des failles des systèmes juridiques et judiciaires, de l'ouverture des frontières, de l'accroissement du libre-échange, conséquences directes de la mondialisation. Elles ont su s’adapter, sans grande difficulté, aux changements de régimes politiques, aux dictatures ou démocraties, sans jamais disparaître, bien au contraire, ce qui est tout à la fois singulier et particulièrement inquiétant, notamment sur un plan stratégique. L’augmentation du poids des paris sportifs au niveau mondial représente une aubaine pour les organisations criminelles, comme l’explique d’ailleurs Chris Eaton, directeur sécurité à la FIFA : « Il existe des bandes de gangsters qui agissent comme des ‘’entreprises’’ et transforment les paris en un problème mondial »1. Les paris sportifs représentent aussi une opportunité de blanchiment pour les mafias. Selon Noël Pons, spécialiste des mafias et de la fraude : « La concentration de plusieurs supports de blanchiment et de fraudes dans un même périmètre géographique incontrôlable permet de blanchir, mais surtout de rentabiliser au mieux les détournements criminels. C’est pour ces raisons, les intérêts se cumulant, que la criminalité s’est largement impliquée dans les paris sur la Toile. Elle y trouve une certaine impunité due à l’installation dans les places offshore, une absence de contrôle des entreprises qui autorise tous les montages (en particulier ceux relatifs au blanchiment) et la possibilité de développer des actions de lobbying nécessaires à la libéralisation de ce secteur qui leur serait hautement profitable »2. Le sport moderne n’est donc pas proprement armé pour faire face à ces réseaux puissants, déterminés et intéressés par ces diverses possibilités de profits pouvant être réalisés sur les marchés de paris sportifs. Un parallèle est fréquemment effectué entre la corruption sportive et les affaires de dopage qui fragilisent aussi le sport et en particulier le cyclisme. Le problème du dopage et celui de la corruption sportive liée aux paris sportifs, même s’ils menacent tous les deux l’intégrité des compétitions, accusent toutefois des différences fondamentales. Tout d’abord le dopage concerne un ou plusieurs athlètes qui trichent pour gagner. La corruption liée aux paris sportifs met en scène des équipes ou des joueurs qui bien souvent trichent pour perdre. Nous le verrons plus loin, cette différence est fondamentale dans la compréhension des enjeux et de la lutte contre la fraude. Deuxièmement, les paris sportifs représentent un marché mondial sans commune mesure avec le marché des produits dopants et il a considérablement augmenté ces dernières années au point de constituer une activité

1 Frankfurter Allgemeinen Sonntagszeitung, 21 août 2011. 2 Noël Pons, « Économie criminelle : vieilles ficelles et ruses insolites », Pouvoirs, 2010/1 n° 132, p. 29-40.

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économique dont le poids est devenu incontournable aujourd’hui. Fin 2011, on estime que les paris sportifs génèrent dans leur globalité près de deux cents milliards d’euros de mises par an. Évidemment, et même si les résultats ne sont pas encore à la hauteur des espoirs des opérateurs, l’avènement des paris sur internet a permis de décloisonner les marchés asiatiques et européens, et de multiplier l’offre de paris à travers le monde. Les sites de paris en ligne se livrent une concurrence féroce, conduisant à des formules de plus en plus attractives, de plus en plus complexes, pouvant inspirer des stratégies de corruption sportive. À l’heure actuelle on peut parier 24h sur 24, sur tout type de compétitions et de disciplines, dans tous les pays. Ce sont autant de fenêtres d’opportunités pour les criminels qui auraient les moyens de prédéterminer le score d’une rencontre sportive, et ainsi réaliser des profits spectaculaires. L’instauration, en France, de la loi de mai 2010 de régulation des paris sportifs en ligne1 se veut une réponse du législateur aux risques éventuels liés à la dérégulation des paris sportifs à l’échelle mondiale. Cette loi met en place un régulateur central, l’Autorité de régulation des jeux en Ligne (ARJEL), qui accorde des licences aux opérateurs de paris et vérifie que leurs activités se conforment au droit français. Dix-huit opérateurs de paris sportifs en ligne sont actuellement autorisés en France2 et sont soumis à une fiscalité particulière ainsi qu’à des règles plutôt strictes concernant les formules de paris proposées. L’esprit de la loi de mai 2010 est de légaliser l’activité, afin de la canaliser à travers des opérateurs surveillés et a priori responsables, tout en luttant contre les sites non-licenciés dont l’accès depuis la France est théoriquement bloqué. Mais la régulation française semble fragile lorsque l’on constate l’ampleur du marché mondial des paris, le manque d’harmonisation des législations nationales, les capacités quasi-illimitées des organisations et le manque de coopération entre les autorités publiques et privées dans la lutte contre ces pratiques criminelles transnationales. C’est dans cette optique que l’équipe d’experts à l’origine de ce Livre blanc a choisi de travailler. Notre ambition est de participer à la réflexion actuellement menée sur l’ensemble du territoire européen, et de tenter d’identifier les grands risques que la corruption sportive, profitant des opportunités offertes par le développement des paris sportifs en ligne, peut faire peser sur l’intégrité du sport. L’acte de corruption, selon l’acception large retenue dans le cadre de cette étude et qui diffère de la définition juridique, trop étroite, s’entend comme toute atteinte ou tentative d’atteinte à un résultat ou à un fait de jeu sportif, dans le but de s’enrichir sur le marché des paris sportifs. En effet, l'action de corruption de l'acteur sportif n'a d'intérêt que si elle est faite en parallèle à des placements de sommes d'argent sous la forme de paris, en « dur » c'est-à-dire dans des salles de paris, ou sur des sites de paris en ligne. Cette définition suppose un rapport, direct ou indirect, entre un corrupteur (entendu également au sens large, d’une personne physique à une organisation criminelle), qui altère un résultat ou un fait sportif,

1 Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. 2 Liste des opérateurs consultable sur : http://www.arjel.fr/-Liste-des-operateurs-agrees-.html.

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et un corrompu, qui est dans la grande majorité des cas étudiés, un sportif ou un arbitre, et plus rarement un membre de la direction du club ou de l’encadrement sportif. La problématique du programme de recherche, dont le présent Livre blanc est la traduction finale, s’est centrée autour de plusieurs questions-clés : en quoi les paris sportifs concourent-ils à un risque spécifique de manipulation sportive ? Comment ce risque se matérialise-t-il et comment peut-il être détecté le plus en amont possible ? Quelles sont les caractéristiques de l’organisation actuelle du monde du sport qui le rendent intrinsèquement vulnérable à des criminels qui ont pour ambition de tirer profit des opportunités suscitées par les paris sportifs en ligne ? Quel est l’état des programmes de prévention, de détection et de lutte contre les paris et les matchs truqués ? Quelles sont les principales recommandations que nous pouvons dresser afin d’optimiser la défense de l’intégrité du sport ? Après la présentation de trois cas majeurs de corruption sportive, la première partie du Livre blanc est dédiée à la compréhension du risque de corruption liée aux paris sportifs. Comme souligné dans le rapport de Jean-François Vilotte, président de l’ARJEL, publié en mars 2011, les études sur les risques de corruption sportive sont insuffisantes par rapport à la multiplication des scandales liés aux paris sportifs : « Le premier constat est celui de l’absence d’outils de connaissance et d’évaluation de ces risques alors que dans le même temps, les médias exposent, de plus en plus fréquemment, des affaires préoccupantes de manipulations de rencontres sportives qui apparaissent liées à des activités de paris et constituant des alertes sérieuses sur l’intégrité et la sincérité des compétitions »1. Cette première partie réalise une typologie globale du phénomène de la corruption sportive afin de comprendre les modus operandi des corrupteurs, et les vulnérabilités inhérentes au monde du sport. Les nombreuses affaires révélées ces dernières années sont étudiées et utilisées pour nourrir cette typologie. De fait, ces principales affaires concernent surtout le football, mais aussi le tennis, le cricket, voire le basket-ball. Ces sports concentrent donc l’attention de l’étude. Outre l’analyse du phénomène de corruption sportive, la première partie étudie également la mondialisation du marché des paris sportifs et cherche à mesurer dans quelle mesure celle-ci peut générer des risques spécifiques à l’encontre de l’intégrité du sport. À partir de cette grille de lecture de la corruption sportive et du rôle des paris sportifs dans l’inflation des cas de fraude, le Livre blanc effectue dans sa deuxième partie une analyse critique des procédures de lutte contre la fraude mises en place par les trois acteurs clés du secteur : le mouvement sportif, les opérateurs de paris et les autorités publiques. Ces trois protagonistes ont des intérêts propres dans la sauvegarde de l’intégrité de nos compétitions. Nous l’avons déjà vu, la manipulation des résultats lèse le spectacle sportif et porte atteinte aux valeurs du sport moderne. De plus, le milieu du sport se trouve particulièrement désarmé face aux capacités transnationales des organisations criminelles contemporaines. Les autorités publiques, quant à elles, sont concernées par la pénétration du sport par ces organisations criminelles qui y blanchissent quasi-impunément le fruit de leurs activités. Au souci de l’ordre public s’ajoute le besoin de préserver l’image et la place du sport, vecteur de cohésion sociale et d’éducation pour les différentes générations. Du côté des opérateurs de paris, parfois floués par les corrupteurs qui placent des mises frauduleuses sur leurs sites, la lutte contre la fraude sportive est une nécessité pour sauvegarder leur activité économique et ne pas se rendre complices d’activités

1 Jean-François Vilotte, « Préserver l’intégrité et la sincérité des compétitions sportives face au développement des paris sportifs en ligne », rapport à Madame Chantal Jouanno, ministre des Sports, remis le 17 mars 2011.

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criminelles. Ce Livre blanc fait état des différents programmes et moyens mis en place pour lutter contre la corruption sportive sur le terrain et limiter l’attrait des paris sportifs pour les criminels. Enfin, dans une dernière partie, une liste de recommandations est défendue, afin de trouver un système multilatéral de coopération, optimal entre ces trois catégories d’acteurs. Ce système doit couvrir la prévention et la dissuasion de la corruption, la détection des cas de fraude et la facilitation des enquêtes politico-judiciaires afin de pénaliser au mieux l’activité criminelle susceptible de sévir aux abords des terrains. Pour répondre à ces exigences, une équipe de recherche internationale a été constituée sous l’impulsion de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), et a permis de fédérer les compétences de différents pôles de recherche :

- l’IRIS, classé 25e think tank mondial sur les questions de sécurité et de défense1, qui travaille depuis de nombreuses années sur les enjeux géoéconomiques et géopolitiques du sport ;

- l’université de Salford (Manchester), dont une unité dirigée par le Professeur David Forrest est spécialisée dans l’analyse de l’économie des paris sportifs ;

- le China Center for Lottery Studies, centre de recherche basé à Pékin et reconnu dans l’analyse des paris sportifs en Asie ;

- et enfin le cabinet PRAXES-Avocats, avec Maître Jean-Michel Icard et Jean-Pierre Meyer, spécialistes de l’analyse criminelle.

Le curriculum vitae des chercheurs et spécialistes ayant conduit cette étude figure en annexe. En plus de cette plateforme internationale de réflexion et de travail, nous avons bénéficié des compétences d’autres experts régionaux, thématiques, notamment celles du journaliste d’investigation Declan Hill, qui nous ont permis d’affiner et d’approfondir nos hypothèses. Enfin, nous tenons à vivement remercier l’ensemble des acteurs du mouvement sportif, des opérateurs de paris, des autorités de régulation, des services de police, de justice et de renseignement que nous avons pu rencontrer durant cette étude menée sur une année et qui ont accepté de nous expliquer leurs positions, leurs préoccupations et leurs difficultés. La liste des personnalités rencontrées figure également en annexe.

Paris, le 1er décembre 2011

1 James Mc Gann, Global « Go-To Think Tanks » Report 2010, University of Pennsylvania, janvier 2011

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Trois exemples majeurs de corruption sportive liée aux paris sportifs

LE SCANDALE DES BLACK SOX (1919)

Ou comment la meilleure équipe de base-ball de l’époque accepta de perdre la finale des World Series

En 1919 l’équipe des White Sox de Chicago possédait les meilleurs joueurs de l’époque, dont Eddie Cicotte, Chick Gandil, et la star « Shoeless » Joe Jackson. En finale de la compétition reine, elle choisit de se saborder. Menée

par Gandil, qui réussit à enrôler plusieurs coéquipiers, Chicago laissa les Cincinnati Reds gagner le championnat de 1919.

Un facteur clé qui conditionna le trucage résidait dans les rapports extrêmement tendus des joueurs avec leur président, qui refusait d’améliorer leurs conditions salariales.

La corruption fut décidée le 18 septembre 1919, quand le joueur Gandil demanda 80 000 dollars au bookmaker Joseph « Sport » Sullivan. Gandil contacta ensuite sept coéquipiers, dont Eddie Cicotte, qui acceptèrent le trucage pour 10 000 dollars chacun. Le joueur vedette Joe Jackson a, quant à lui, constamment affirmé avoir refusé la proposition, malgré les accusations de Gandil qui rappelait que Jackson était la star de l’équipe et que son implication était décisive pour le bon déroulement du trucage.

Gandil devait recevoir l’argent avant le premier match (1er octobre 1919), mais Sullivan – dans l’incapacité d’avancer l’argent – mit alors dans la boucle Arnold Rothstein, parieur professionnel qui put avancer les fonds. La veille du premier match (à l’époque la finale se jouait en neuf rencontres), seul Cicotte reçut une avance de 10 000 dollars. Le lendemain, il tapota sur le dos d’un joueur adverse, pour signaler que le marché était conclu et que le trucage allait avoir lieu. Les Reds gagnèrent le premier match. Bien que n’ayant pas encore perçu l’argent promis pour le trucage du premier match (mis à part Cicotte), les White Sox décidèrent de perdre le deuxième match.

Le soir même Gandil demanda que 40 000 dollars (sur les 80 000 promis) soient remis pour le trucage de la finale. Seuls 10 000 dollars lui furent versés et les joueurs comploteurs, se sentant floués, estimèrent qu’ils devaient abandonner l’idée du trucage. Ils remportèrent alors la troisième manche.

Avant la quatrième manche, le bookmaker Sullivan apporta alors 20 000 dollars à Gandil et lui assura que 20 000 dollars supplémentaires seraient avancés si les White Sox perdaient le quatrième match. L’argent fut distribué, Chicago perdit, mais les 20 000 dollars promis n’arrivèrent jamais. Les conspirateurs décidèrent alors d’abandonner le trucage et battirent les Reds dans les sixième et septième manches.

Arnold Rothstein, le parieur professionnel, prit alors les choses en mains et dépêcha l’un de ses hommes pour menacer l’un des joueurs de rétorsions physiques sur lui-même et sur sa femme, s’il gagnait sa mise en jeu. Le lendemain, les Reds l’emportèrent finalement.

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Alors que plusieurs journaux commencèrent à diffuser les rumeurs de trucage, le joueur vedette Jackson alerta son président et lui adressa une lettre suggérant que la finale pourrait être truquée. Sous le poids grandissant des rumeurs, les propriétaires des deux clubs nommèrent un commissaire et lui donnèrent tous les pouvoirs pour enquêter.

Cicotte et Jackson admirent l’existence du trucage, mais Gandil nia jusqu’au bout. Un procès se tint en 1920, où les huit joueurs et plusieurs parieurs (à l’exception de Rothstein) comparurent. Le procès déboucha sur un acquittement général, faute de preuves (les témoignages de Cicotte et Jackson auprès de la commission d’enquête avaient mystérieusement disparu du dossier). Le scandale fut en tous les cas suffisamment important pour que le public décide de rebaptiser cette affaire en Black Sox (chaussettes noires) pour signifier son manque de pureté sensé être symbolisé par le blanc immaculé de White Sox. La Fédération de base-ball décida toutefois de bannir les huit joueurs de toute activité liée au base-ball, avec cette phrase qui garde aujourd’hui encore toute sa force : « Aucun joueur qui truque un résultat, ni aucun joueur qui entreprend ou promet de truquer un résultat, ni même aucun joueur qui se trouverait en compagnie d’une bande de joueurs et parieurs crapuleux qui discutent ensemble des méthodes et moyens pour truquer un résultat, et qui n’alerte pas immédiatement son club ne pourra un jour jouer au base-ball professionnel »1.

1 Traduit de l’anglais : « no player who throws a ball game, no player that undertakes or promises to throw a ball game, no player that sits in conference with a bunch of crooked players and gamblers where the ways and means of throwing a game are discussed and does not promptly tell his club about it, will ever play professional baseball ». Voir : http://law2.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/blacksox/blacksoxaccount.html.

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L’AFFAIRE HANSIE CRONJE (2000)

Ou comment le cricket fut lui aussi fragilisé par la fraude sportive

Le 7 avril 2000, la police de New Delhi (Inde) révéla détenir l’enregistrement d’une écoute téléphonique entre le capitaine de l’équipe sud-africaine Hansie Cronje et Sanjay Chawla, un parieur clandestin indien, dans laquelle les deux individus discutaient manipulation de rencontres.

Trois autres joueurs sud-africains furent mentionnés : Herschelle Gibbs, Nicky Boje et Pieter Strydom. Le lendemain, la fédération sud-africaine démentit tout trucage, mais suspendit Cronje, après qu’il avoua à un joueur qu’il n’avait pas été « tout à fait honnête ».

Une commission King fut créée par la Fédération sud-africaine de cricket en juin 2000, afin de mener l’enquête. Très vite, Gibbs avoua que Cronje lui avait proposé 15 000 dollars pour marquer moins de vingt runs lors d’un match en Inde en 2000, et qu’Henry Williams, un autre joueur, s’était vu promettre la même somme pour concéder plus de cinquante runs lors de ses lancers. Gibbs marqua soixante-quatorze runs et Williams se blessa. Aucun d’eux ne reçut l’argent.

Une semaine après les révélations de Gibbs, Cronje déclara avoir reçu 140 000 dollars pour tenter de corrompre ses deux coéquipiers et avoua ses relations avec un syndicat de paris clandestins en Inde. Il avoua également avoir vendu des informations stratégiques et avoir abandonné une manche qui ne pouvait plus influencer le score final lors d’une rencontre contre l’Angleterre en 20001.

En août 2000, Gibbs et Williams furent suspendus six mois pour avoir manqué d’alerter les autorités, et en octobre 2000, Cronje fut suspendu à vie pour toute activité liée au cricket professionnel. Deux ans plus tard, il mourut dans un accident d’avion, inspirant toutes sortes de théories sur une possible implication des cercles de parieurs clandestins dans sa mort.

Plusieurs affaires avaient déjà ébranlé le monde du cricket à la fin des années 1990. En 1998 il fut découvert que la Fédération australienne avait secrètement suspendu en 1995 deux joueurs qui avaient donné des informations à des parieurs sri-lankais. Plusieurs joueurs avaient également révélé des cas de trucages, mais les enquêtes n’avaient jamais abouti.

L’affaire Cronje interpella la Fédération internationale de cricket qui décida de créer en son sein une unité anti-corruption formée de policiers et dotée de véritables moyens d’investigation.

1 http://www.telegraph.co.uk/sport/cricket/international/7765224/How-Hansie-Cronje-became-most-infamous-villain-in-crickets-fixing-scandals.html.

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LE PROCÈS DE BOCHUM (EN COURS)

Le scandale ignoré du football européen

Le deuxième volet du procès de Bochum s’est conclu le 19 mai 2011 avec la condamnation à plusieurs années de prison des cinq protagonistes, membres d’une organisation criminelle balkanique : Dragan Mihelic, Deniz Celik, Marijo Cvrtak, Ante Sapina et Ivan Pavic. Une première

procédure avait déjà abouti à la condamnation en avril 2011 de quatre autres criminels du même réseau : Nurretin Günay, Tuna Akbulut, Stefan Relic et Kristian Sprecakovic.

Ce procès, qui est toujours en cours, constitue aujourd’hui la plus grande affaire de corruption dans l’histoire du sport européen.

Il est la traduction pénale d’une vaste enquête qui commença – par hasard – à la fin de l’année 2008. À l’époque, les policiers enquêtaient sur un réseau de prostitution et de stupéfiants mené par une organisation criminelle transnationale basée à Bochum (Allemagne). Mais les enquêteurs découvrirent que les criminels dirigeaient également un vaste réseau de corruption sportive et de paris truqués destiné à blanchir les fruits de leurs activités. Le 19 novembre 2009, après un an d’écoutes téléphoniques, cinquante personnes furent arrêtées et mises en examen pour corruption de plus de trois cent vingt matchs de football dans une dizaine de pays européens. Des rencontres internationales et de coupe d’Europe furent inclues dans l’instruction.

La corruption sportive était organisée méthodiquement entre les personnes qui identifiaient les matchs à truquer, les personnes qui avançaient l’argent nécessaire au trucage, les corrupteurs qui contactaient (directement ou par des intermédiaires) les sportifs, les personnes qui plaçaient les paris et récupéraient les mises, etc. De grands argentiers mafieux étaient également accusés de financer les syndicats criminels de paris depuis l’Asie.

Les footballeurs les plus vulnérables étaient ciblés (joueurs plutôt âgés, joueurs en fin de contrat, endettés, etc.). Sur les trois cent vingt matchs truqués, les modes opératoires variaient en permanence. Parfois l’arbitre était acheté, parfois c’était la corruption d’un ou plusieurs joueurs qui était privilégiée, parfois toute une équipe était corrompue, voire même les deux équipes ! Un club belge fut aussi directement racheté par l’un des membres du gang, ce qui lui permit de placer des joueurs complices sur le terrain et de truquer facilement des rencontres. Des matchs amicaux furent également organisés par les corrupteurs, aux seules fins de susciter l’ouverture de paris sportifs sur ces rencontres.

Les criminels établirent un système d’étoiles qui permettait de classer les matchs dont la manipulation était sûre (cinq étoiles pour les matchs dont les deux équipes étaient achetées) jusqu’aux matchs les moins sûrs (une étoile pour un seul joueur acheté sur les vingt-deux). Le montant des mises sur les sites de paris était décidé en fonction de ce classement.

Au total, en l’espace d’un peu plus d’une année, 12 millions d’euros furent injectés afin de corrompre joueurs, arbitres, entraineurs, et officiels de fédérations. Plusieurs dizaines de millions d’euros furent pariés, dont 32,4 millions sur le compte d’un seul parieur enregistré chez l’opérateur asiatique (et licencié au Royaume-Uni) Samvo. Au final, on estime à 7,5 millions d’euros le bénéfice réalisé par ce gang.

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Il est à noter que le Croate Ante Sapina, maître d’œuvre de ce réseau, avait déjà été inculpé dans une affaire précédente (l’affaire Hoyzer), qui avait éclaboussé le football allemand en 2005. À l’époque, Ante Sapina et ses deux frères, Milan et Philip, avaient été inculpés pour corruption de deux arbitres allemands : Dominik Marks et Robert Hoyzer. Ce dernier avait touché 70 000 euros de la part d’Ante Sapina qui profita du trucage mis en place pour remporter environ 2 millions d’euros de profits sur vingt-trois matchs de deuxième et troisième division allemande, un match de Coupe d’Allemagne et un match du championnat turc, entre avril et décembre 20041. Ante Sapina fut condamné à près de trois années de prison mais n’y resta que quelques mois.

Dans l’affaire Bochum, Ante Sapina déclara qu’il pariait environ 1 million d’euros par mois, sur une trentaine de matchs et qu’il cherchait à corrompre en moyenne un match par semaine. Il révélait aussi qu’il utilisait l’ancien joueur d’Osnabruck, Thomas Cichon, pour entrer en contact avec les joueurs à corrompre. Sapina avoua avoir corrompu quelques arbitres au cours de l’année 2009. Ce fut le cas avec Novo Panic qui arbitra le match Lichtenstein-Finlande, et avec Olek Orekhov qui arbitra un match entre le FC Bâle et le CSKA Sofia. Le premier arbitre fut radié à vie par l’UEFA en février 2010, le second par le Tribunal arbitral du sport (TAS)2 le 18 janvier 2011.

Les révélations de Sapina éclaboussèrent également l’UEFA puisqu’on découvrit que Sapina y disposait d’un appui. Son complice, Jozef Marko, officiait au comité de l’arbitrage et pouvait ainsi désigner certains arbitres peu scrupuleux sur les rencontres sportives qui intéressaient Sapina. À la suite de cette affaire, Marko fut suspendu par l’UEFA. Ce procès, dont un troisième volet judiciaire doit avoir lieu, est passé assez inaperçu en Europe (le quotidien sportif français L’Équipe, par exemple, n’a pratiquement pas couvert l’instruction).

_ Distribution géographique des rencontres truquées retenues

par les deux premiers volets de l’instruction dans le cadre du procès de Bochum

1 http://www.lalibre.be/sports/football/article/251651/la-justice-sans-pitie-pour-hoyzer.html. 2 Le TAS, créé en 1984 et basé à Lausanne, est une institution indépendante mettant au service du sport international une organisation apte à trancher tous les litiges ayant un lien avec le sport. Voir le site internet : http://www.tas-cas.org/.

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I. La vulnérabilité du monde du sport face aux paris sportifs

A. Analyse des acteurs et des méthodes de la corruption sportive

La présente partie synthétise les connaissances sur la corruption sportive, en identifiant les acteurs, les méthodes et les conditions qui favorisent ces dynamiques criminelles. Il s’agit ainsi de proposer une typologie de la corruption sportive, une grille de lecture permettant d’appréhender le phénomène dans sa globalité et sa singularité.

Plusieurs études scientifiques se sont également attachées à la question, soit en se concentrant sur une approche économique1, soit en se focalisant sur un pays2 ou un sport en particulier. L’ouvrage Comment truquer un match de foot ?3 effectue un premier recensement de ces dynamiques criminelles, des modes opératoires et des acteurs de la corruption sportive sans pour autant proposer une lecture globale et synthétique de la question.

La corruption est un comportement qui existe indépendamment du sport, et le trucage de rencontres sportives a toujours existé, ses modalités d’exécution variant en fonction du contexte spatio-temporel et de l’évolution des technologies. Comme c’est le cas avec d’autres problèmes (violence, racisme), le sport reflète les valeurs et les tendances de la société qui l’abrite. Le sport en soi n’est pas créateur de corruption, de racisme ou de violence. Mais le sport, comme la politique par exemple, peut en être la victime.

Nous nous proposons d’analyser la corruption sportive dans sa globalité, c’est-à-dire d’étudier l’ensemble des atteintes (ou tentatives d’atteinte) à l’intégrité du jeu, y compris celles qui n’ont pas pour essence l’enrichissement sur le marché des paris. En effet, il apparaît que tous les cas de trucage peuvent participer de la compréhension du fonctionnement et des conditions de la corruption sportive.

Les modèles de corruption sportive ont été classés en trois catégories, afin d’en faciliter l’analyse et la compréhension. Le premier axe porte sur la « fraude sportive individuelle » qui décrit le trucage concret d’une rencontre sportive. Le deuxième axe d’étude porte sur la corruption motivée par un club ou une fédération, et le troisième axe se concentre sur la corruption impliquant des organisations criminelles extérieures au monde du sport.

Ce choix n’empêche pas les recoupements, car il n’existe pas de modèle prédéfini de corruption. Chaque cas répond à sa propre logique, en fonction de l’identité des corrupteurs et des corrompus, de leurs motivations, de leurs moyens et de leur environnement.

1 Voir Forrest D., McHale I.G. and McAuley K., Risks to the Integrity of Sport from Betting Corruption, Report commissioned by the Central Council for Physical Recreation, 2008. 2 Aleksei Matveev, Match truqué : comment on achète et on vend les matchs dans le football russe (Traduit du russe : Kak Pokupaiut i Prodaiut Matchi v Rossiiskom Futbole), Eksmo, 2009. 3 Declan Hill, Comment truquer un match de foot ?, Florent Massot, 2008, 443 p.

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Pour chacune de ces catégories, l’analyse étudie :

- les méthodes concrètes de la corruption, - les acteurs concernés, - la manière dont la fraude a été reportée sur le marché des paris sportifs, - les conditions légales, économiques et culturelles qui facilitent les dynamiques criminelles.

La réflexion est illustrée par des cas de corruption emblématiques. Les scandales se sont multipliés ces dernières années et concernent toutes les disciplines, tous les niveaux de jeu et de nombreux pays. Ces cas médiatisés permettent aujourd’hui de bénéficier de l’information nécessaire pour mieux comprendre les stratégies, les mécanismes à l’œuvre ainsi que les intérêts des corrupteurs. Ces informations ont été complétées par une importante série d’entretiens de l’équipe de recherche permettant ainsi d’affiner l’analyse des logiques criminelles.

1. La fraude sportive sur le terrain : premier échelon de la corruption

Tout cas de corruption sportive implique à un moment donné la falsification d’un résultat ou d’un fait de jeu. L’athlète (ou l’arbitre) est dès lors le premier rouage de la corruption. C’est son action (ou à l’inverse son inertie) qui est susceptible de fausser le déroulement d’une rencontre et d’incarner la fraude.

L’intégrité est l’essence même du sport moderne. La beauté des compétitions réside dans l’incertitude du résultat, la contingence absolue des duels qui permet à la plus petite des équipes de pouvoir battre la plus grande, et l’athlète le moins bien coté de vaincre le favori. Sur tout terrain de sport, la compétition rassemble des athlètes qui, malgré leurs différentes qualités intrinsèques, partagent le même objectif de victoire. La contingence inhérente à toute rencontre sportive explique la popularité du sport, les émotions procurées par le sort des athlètes, quand ils gagnent ou quand ils perdent. Or, le trucage de rencontres revient à duper les témoins, à leur donner l’illusion de l’incertitude alors que le sort de la rencontre est préalablement décidé. Et, bien que certaines compétitions soient attentivement suivies par un grand nombre de (télé)spectateurs, il existe de multiples possibilités pour un athlète aujourd’hui de tromper son public.

Comment se manifeste le trucage sur un terrain de football ?

Comment aujourd’hui peut-on truquer un match de football sans attirer l’attention des nombreux journalistes sportifs et (télé)spectateurs qui observent pourtant attentivement tous les faits de jeu ?

Il est évidemment impossible d’appliquer des règles scientifiques pour décrire le comportement des joueurs tricheurs. L’histoire récente et les cas de trucage avérés montrent que tous les cas de figure existent concernant les acteurs : les deux équipes entières, une seule équipe, seulement un ou plusieurs joueurs, le corps arbitral, ou encore un membre de l’encadrement sportif qui peut droguer certains joueurs pour les affaiblir. On a même vu des techniciens de stade éteindre les lumières afin de figer les scores et empocher ainsi des gains sur le marché des paris1 !

1 The floodlight scandal : http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/426189.stm.

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La forme de corruption la plus typique et la plus courante dans le football implique toutefois quelques joueurs qui entrent sur le terrain avec pour but de laisser passer volontairement un certain nombre de buts. La corruption du gardien et d’au moins un défenseur central peut être suffisante pour assurer une défaite, même si souvent plusieurs autres joueurs (défenseurs et milieux) prennent part au trucage.

Comment ces joueurs arrivent-ils à encaisser un but sans attirer l’attention des observateurs ? Les principales solutions pour les tricheurs ne résident pas dans les faits de jeux comme les expulsions, les penaltys ou les buts contre son propre camp. Ces pratiques, si elles ont existé, sont toutefois trop visibles et à même de susciter méfiance et polémiques. En revanche, les erreurs défensives volontaires qui amènent les buts sont moins flagrantes et plus susceptibles d’entretenir le doute. Il peut s’agir d’erreurs de marquage, de couverture du hors-jeu ou d’autres formes de placements qui peuvent sembler moins suspectes car plus fréquentes au cours des matchs. Ainsi, lors d’une attaque adverse un défenseur peut « couvrir » ouvertement la ligne de hors-jeu. Parfois ces erreurs sont commises de façon « impardonnable » et peuvent trahir le trucage, mais comment prouver la faute intentionnelle ? Ainsi, un joueur de football rencontré dans le cadre de cette étude avoue qu’il savait quand des membres de son équipe avaient décidé de ne pas jouer le match simplement en repérant ces erreurs ou maladresses qui, selon lui, « ne peuvent pas être commises par un joueur professionnel »1.

Traditionnellement la corruption dans le football s’incarne à travers l’altération du résultat final d’une rencontre. Toutefois, les nouveautés technologiques inhérentes au secteur des paris sportifs ont contribué au développement de trucages plus subtils, dont notamment ce que l’on appelle le spot fixing. Certains opérateurs de paris sportifs proposent en effet de parier, par exemple, sur le nombre de cartons, sur le premier ou dernier joueur qui recevra un carton, ou sur la première touche, la première faute, le nombre de minutes de temps additionnel, le tireur de tel corner, le nom du premier remplaçant à entrer sur la pelouse, etc. On le comprend, ces formules démultiplient alors les risques de corruption car il est très facile de truquer ces faits de jeu sans influer pour autant sur le cours de la rencontre. Par exemple un ancien joueur de Premier League (Ligue 1 anglaise), Matt Le Tissier, raconte dans son autobiographie comment les joueurs pouvaient manipuler le début de rencontre en déterminant à l’avance l’équipe qui jouera la première touche. Lors d’un match Southampton-Wimbledon en avril 1995, Le Tissier devait ainsi sortir la balle du terrain dès l’engagement, afin que l’équipe adverse bénéficie de la première touche. Mais un joueur non averti de la manipulation empêcha la sortie du ballon, ce qui faussa le trucage2. Ce type de malversation est extrêmement difficile à prouver. Par ailleurs, comme il n’altère nullement le score final, il peut être plus aisé de faire accepter ce type de manipulation par les joueurs eux-mêmes.

La corruption du corps arbitral n’est pas la méthode la plus sûre pour réussir le trucage d’un match. Néanmoins, plusieurs facteurs confèrent à l’arbitre de champ un rôle important. D’une part, il décide seul, puisque l’arbitrage vidéo n’existe pas et les décisions collégiales avec les arbitres de ligne sont certes possibles à la requête de l’arbitre central, mais pas obligatoires. D’autre part, les contacts physiques sont nombreux et souvent leur irrégularité n’est pas objectivement définissable, ce qui confère une véritable autorité à l’arbitre qui fonde ses décisions sur sa propre opinion. Enfin, les penaltys et/ou expulsions sont des conséquences potentielles de ces décisions qui peuvent faire basculer le déroulement d’une rencontre.

1 Entretien avec un joueur de football albanais le 29 juin 2011 à Tirana. 2 Matt Le Tissier, Taking le Tiss : my autobiography, HarperSport, 2009, 352 p.

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Plusieurs exemples peuvent illustrer le comportement d’un arbitre corrompu. Le premier exemple provient du match amical Nigéria-Argentine du 1er juin 2011, durant lequel l’arbitre a accordé deux penaltys « imaginaires », le deuxième après huit minutes de temps additionnel (un volume irrationnel de paris avait été enregistré en faveur d’un nombre de buts supérieur à quatre ; une enquête est actuellement en cours)1. Le deuxième exemple concerne l’arbitre bosnien Novo Panic, qui a accordé un penalty également très litigieux lors du match Liechtenstein-Finlande du 9 septembre 2009 comptant pour les qualifications pour la Coupe du monde 2010. Cette rencontre fait d’ailleurs partie des matchs truqués analysés dans le cadre du procès de Bochum2.

En plus des joueurs ou des arbitres, les membres du staff sportif peuvent également participer à la corruption. Ainsi, le coach est dans une position déterminante car il peut modifier la composition de son équipe, c’est-à-dire placer des joueurs à des postes inhabituels et procéder à des changements préjudiciables. L’encadrement médical a également accès aux joueurs et peut, par exemple, les droguer afin qu’ils ne soient pas au mieux de leur forme physique3. Enfin, et de manière plus inattendue, le trucage de rencontres peut aussi s’appuyer sur des intervenants plus secondaires, comme par exemple des responsables de maintenance. Ce fut le cas en 1997 où plusieurs matchs du championnat anglais de Premier League furent interrompus pour cause de coupure d’électricité. Les techniciens du stade avaient éteint les lumières afin de figer le score du match. Sur les sites de paris asiatiques, en cas d’interruption technique du match, le score au moment de l’interruption est en effet considéré comme le score final.

Le nombre de points d’entrée pour la corruption dans le football est donc important (arbitre, encadrement, joueurs, soigneurs, intervenants techniques extérieurs…) et les nombreuses affaires citées ci-dessus l’illustrent bien. Mais ces pratiques ne sont pas utilisées uniquement dans le football et ce sont aujourd’hui toutes les disciplines sportives qui sont concernées par de telles méthodes.

L’adaptation de la corruption sportive aux différentes disciplines

Le tennis accuse certaines particularités qui concentrent les risques. S’agissant d’un sport individuel, la tentative de corruption peut être jugée plus facile. En effet, la défaite n’implique qu’un athlète et non pas une équipe. Le tennisman bénéficie ainsi d’une forte maîtrise de sa performance. Pour perdre il lui suffit de sortir quelques balles, de servir doucement, ou de courir légèrement moins vite. Ces dix dernières années de nombreuses rumeurs et cas de corruption avérés ont émaillé la vie du circuit professionnel. La première affaire supposée de corruption médiatisée remonte au mois d’octobre 2003, lors du tournoi de Lyon. La société de paris Betfair avait à l’époque enregistré 130 000 euros de paris sur la victoire de Fernando Vicente, pourtant coté à 5 contre 1, contre Evgueni Kafelnikov, l’un des meilleurs joueurs au monde. La victoire de Vicente (6-3 ; 6-2) déclencha une enquête. Mais celle-ci ne put aboutir, faute de preuves. Des soupçons ont également pesé sur l’abandon du Russe Nikolaï Davydenko (quatrième joueur mondial à l’époque) face à l’outsider argentin Martin Vassalo-Arguello en août 2007 lors du tournoi de Sopot (Pologne), match pour lequel Betfair avait encore une fois enregistré des mises particulièrement irrationnelles : 7 millions d’euros furent en effet pariés sur la victoire de l’Argentin, soit dix fois plus que la normale pour un match de ce type. Même si l’affaire Davydenko n’a pas abouti, de nombreux joueurs de tennis ont ensuite avoué avoir été contactés par

1 Le match en images : http://www.youtube.com/watch?v=walsILYlTTQ. 2 Les images du penalty litigieux : http://www.youtube.com/watch?v=SGAHZM7GAmo. 3 Il peut par exemple les « bloquer » avec un mauvais dosage de corticoïdes.

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des corrupteurs, révélant ainsi la vulnérabilité du tennis face aux risques de corruption1. En 2011, deux joueurs ont été suspendus à vie par la Fédération internationale de tennis pour avoir tenté de truquer les résultats de matchs : le serbe David Savic et l’autrichien Daniel Koellerer2, qui a fait appel de cette décision devant le Tribunal arbitral du sport, dont le verdict est attendu au début de l’année 2012. Enfin, le tennis est également concerné par les trucages portant sur les faits de matchs, puisque des joueurs peuvent choisir de perdre un set, un jeu ou un point précis, sans pour autant aliéner leurs chances de remporter le match.

En ce qui concerne le rugby, les possibilités de trucage sont considérées comme moindres. Le rugby est un sport où la dimension collective est encore plus prégnante qu’au football. Pour être assuré de la réussite du trucage, il faudrait ainsi corrompre le capitaine d’une équipe, le buteur et éventuellement un ou deux autres joueurs clés de l’équipe3. Quant à l’arbitre, s’il peut influencer le match sur certaines occasions, notamment en accordant une pénalité face aux poteaux, ou dans sa gestion de certaines phases de jeu (touche, mêlée, jeu au sol), il est toutefois très difficile de garantir un score uniquement en le soudoyant. À l’heure actuelle, aucun cas de défaite volontaire n’a encore été médiatisé, mais depuis août 2010, une affaire portant sur un détail du match secoue le monde du rugby à XIII en Australie. Peu avant une rencontre entre les North Queensland Cowboys et les Canterbury Bulldogs, un nombre irrationnel de paris sportifs avaient été misés sur le fait que les Cowboys marqueraient une pénalité en début de match. Quelques minutes après le coup d’envoi, le joueur Ryan Tandy (Bulldogs) commit une faute grossière juste en face des poteaux4, laissant le champ libre aux Cowboys pour effectivement tirer une pénalité facile. Mais les Cowboys préférèrent jouer à la main et marquer un essai5, faisant ainsi échouer la tentative de trucage. Malgré cet échec, le joueur en question, ainsi que plusieurs complices, ont été traduits en justice et condamnés6. Le rugby n’est donc plus totalement à l’abri de comportements voyous.

Disciplines comprenant moins de joueurs, le basket ou le handball sont aussi des cibles potentielles de tentatives de trucage. Au basket, la corruption d’un meneur et d’un intérieur peut être suffisante pour assurer le score voulu. Les arbitres peuvent aussi jouer un rôle déterminant, du fait des contacts physiques nombreux et souvent sujets à polémique. Lors du championnat d’Europe de basket-ball disputé en septembre 2011 en Lituanie, un dirigeant grec s’est ainsi vu exclure du tournoi pour avoir tenté de soudoyer plusieurs arbitres7. De nombreux cas de trucages sont également repérés dans le championnat universitaire américain. Récemment, plusieurs basketteurs français ont avoué avoir été approchés8. Au handball, deux acteurs sont centraux : le gardien et l’arbitre. En 2009, l’Association

1 http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/35132/1/Paris%20Sportifs%20RDPC%20BFincoeur.pdf. 2 http://www.rai-see.org/news/south-eastern-europe/1756-serbian-tennis-player-david-savic-banned-for-life-after-corruption-probe.html. 3 http://www.rugby.com.au/LinkClick.aspx?fileticket=h1YSPvLbRH4%3D&tabid=1800. 4 http://www.dailytelegraph.com.au/sport/nrl/new-twist-in-ryan-tandy-bet-scandal/story-e6frexnr-1225912091032. 5 L’action litigieuse en images : http://video.au.msn.com/watch/video/wwosraw-tandy-involved-in-alleged-match-fix/x4rzv39?cpkey=2a09c551-15bc-4dfb-915c-1b722ceda814. 6 http://www.sportsnewsfirst.com.au/articles/2011/10/06/tandy-guilty-after-match-fixing-trial/. 7 http://www.sport.fr/basket/championnat-d-europe-de-basket-ball-2011-corruption-un-grec-exclu-de-l-eu-232357.shtm. 8 http://www.lefigaro.fr/autres-sports/2010/12/01/02021-20101201ARTSPO00365-tentative-de-corruption-en-pro-a.php.

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européenne de handball a ainsi déclaré que de nombreux soupçons pesaient sur l’intégrité de plusieurs matchs de coupe d’Europe et que les arbitres étaient régulièrement ciblés par les corrupteurs1.

D’autres affaires dans d’autres disciplines attestent de l’étendue du risque de corruption. Au billard, discipline où les gestes sont calculés avec minutie, les joueurs sont en capacité de participer activement à des trucages. En mai 2010, le désormais quadruple champion du monde de billard (snooker) John Higgins a ainsi été victime d’une fausse proposition de trucage. Des journalistes, se faisant passer pour des membres d’une organisation mafieuse, sont parvenus à obtenir son accord pour participer à une opération de corruption. Higgins avait accepté de perdre quatre manches dans quatre tournois différents, le tout en échange d’une somme de 300 000 euros2. Sur l’enregistrement (la scène était filmée), le joueur assurait qu’il n’était pas difficile de perdre volontairement, qu’il suffisait de rater certains coups...3. De même, le cricket est un sport dont l’image a déjà été ternie par plusieurs scandales majeurs du sport (voir par exemple l’affaire Hansie Cronje relatée ci-dessus). En novembre 2011, plusieurs joueurs de l’équipe nationale pakistanaise ont été condamnés pour avoir truqué différentes phases de jeu lors d’une rencontre face à l’Angleterre durant l’été 20104. Encore une fois ce sont des journalistes déguisés en corrupteurs qui ont piégé les joueurs pakistanais. Ces exemples de testing journalistiques prouvent que même les plus hautes compétitions peuvent être truquées.

Les méthodes mises en œuvre pour porter atteinte à l’intégrité du sport sont, comme nous venons de le voir, nombreuses et variées. Aucune discipline sportive n’est à l’abri d’une manipulation. Chaque intervenant peut constituer une porte d’entrée à la corruption. L’influence d’un entraîneur respecté par son équipe, d’un soigneur, le rôle important d’un arbitre constituent autant de possibilités d’action pour qui veut influer sur le déroulement ou l’issue d’un match. Mais la cible majeure de ce système est et demeure le sportif lui-même. Il convient donc de s’attarder sur le profil des sportifs et d’étudier les failles qui peuvent faciliter leur participation (ou non) à ce type d’entreprise criminelle.

Les sportifs et la corruption

Il s’agit désormais de comprendre les caractéristiques propres aux sportifs qui permettent d’expliquer une certaine sensibilité à la corruption.

Un premier élément qui distingue les athlètes concerne leur éducation et leur environnement. Pour une grande partie d’entre eux, les athlètes sont formés et vivent dans un circuit fermé au sein duquel leur comportement est prédéfini, calculé, et où s’exerce une importante pression de la part de l’encadrement sportif, familial et médical, voire du milieu journalistique. Le manque de perspectives en dehors de ce milieu fermé peut tendre à inhiber les jugements éthiques de l’athlète. Comment en effet peut réagir un athlète de haut niveau face à une demande émanant d’une personne (ou d’un groupe de personnes) qui, depuis des années, consacre son temps (et son argent) à l’entraîner, le former, le soutenir dans les épreuves sportives et personnelles ? En outre, le rapport des individus avec l’illégalité est variable selon les sociétés, et la corruption sportive est une pratique plus ou moins répandue. Dans des disciplines mondialisées comme le football ou le tennis, une attention particulière

1 http://www.sports.fr/cmc/omnisports/200914/le-handball-en-eaux-troubles_221204.html. 2 http://www.telegraph.co.uk/sport/othersports/snooker/7989823/John-Higgins-affair-how-the-events-unfolded-in-ex-world-champions-fight-to-clear-name.html. 3 La scène en images : http://www.youtube.com/watch?v=CNIZOeyfWtI. 4 http://www.liberation.fr/depeches/01012368996-deux-joueurs-pakistanais-de-cricket-reconnus-coupables-de-corruption.

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est par exemple accordée par les autorités sportives aux joueurs en provenance d’Europe orientale et balkanique.

Une deuxième clé de lecture réside dans le rapport à l’argent et au jeu. Les athlètes sont par essence des individus extrêmement familiers avec la sensation du risque (risque de perdre un match ou une compétition, risque de se blesser…). L’excitation, l’adrénaline provoquées par le jeu sportif et la compétition peuvent parfois se poursuivre dans les jeux d’argent, et notamment les paris sportifs1. En janvier 2011 un joueur de football allemand, René Schnitzler, qui évoluait dans l’équipe de St Pauli en deuxième division allemande, a ainsi avoué avoir accepté des pots-de-vin afin de rembourser des dettes de jeu très importantes2.

Enfin, il convient de ne pas négliger la précarité financière des sportifs. Malgré les images relayées par la presse et montrant de grands sportifs aux salaires mirobolants, la majorité des sportifs ne bénéficie pas d’une rémunération aussi extravagante que le veut la croyance populaire. Le salaire moyen net des athlètes dans des disciplines comme le handball ou le volley-ball peut être dérisoire. Même dans le football, les ligues inférieures ne sont pas particulièrement riches : le salaire minimal d’un joueur de National en France pour la saison 2010-2011 était estimé à 1 700 euros brut3. Les sportifs évoluant en Europe centrale, orientale ou balkanique reçoivent quant à eux des salaires qui ne leur permettent pas d’adopter un train de vie dispendieux, voire même décent. De plus, et ceci concerne également les championnats d’Europe occidentale, l’économie des clubs sportifs est extrêmement aléatoire car elle dépend des sponsors, de la billetterie, des droits télévisés, et donc des résultats du club. De nombreux clubs de football se retrouvent ainsi régulièrement en difficulté et il arrive que les joueurs ne soient pas payés, comme cela a été souligné lors de la grève des joueurs de football espagnols en août 20114. Mais ceci est monnaie courante dans les pays d’Europe du Sud et orientale. En Albanie, si le salaire mensuel net du joueur vedette national avoisine les 6 000 euros, les jeunes joueurs gagnent quant à eux aux environs de 500 euros par mois, soit l’équivalent du salaire de base d’un fonctionnaire dans ce pays. La précarité est telle que les contrats sont à durée déterminée (un an) et chaque année, nombreux sont les joueurs à ne pas recevoir leur salaire pendant un ou plusieurs mois5.

L’économie du tennis professionnel n’est pas moins aléatoire. Les joueurs de tennis ne perçoivent pas de salaire fixe. Pour la grande majorité d’entre eux, les seules sources de revenus sont les gains des compétitions. Il existe donc une importante différence entre les rentrées financières des joueurs de premier plan (qui bénéficient en plus de sponsors et de contrats publicitaires s’ajoutant aux gains du circuit) et celles des autres joueurs qui sont obligés de parcourir le circuit des tournois secondaires, et notamment les challengers. La situation professionnelle et financière de ce deuxième groupe est donc particulièrement précaire. Le moindre passage à vide ou la moindre blessure physique peut compromettre leur équilibre financier. Cette fragilité peut constituer une faille dont certains corrupteurs peuvent profiter.

1 Entretien avec le syndicat des joueurs de handball français le 30 septembre 2011 à Paris. 2http://www.bookmakersreview.com/Ratings_History/Sapinas_match_fixing_ring_recruited_players_with_gambling_problems/10719/ 3 http://www.unfp.org/fileadmin/user_upload/Lettre%20UNFP/statut-joueur-federal.pdf 4 http://www.lefigaro.fr/football-clubs-etrangers/2011/08/11/02017-20110811ARTSPO00357-le-foot-espagnol-en-greve.php 5 Entretien avec un entraineur de club albanais le 30 juin 2011 à Tirana.

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Comme expliqué dans le rapport de David Forrest, Ian McHale et Kevin McAuley1, le sportif pèsera les coûts et les bénéfices d’une opportunité de trucage, sous la forme d’un calcul mathématique qui peut se résumer ainsi : l’utilité du trucage résulte de la pondération entre les gains escomptés et les risques de pertes encourus (sur le plan financier, moral, juridique et sportif), en fonction de la probabilité de succès du trucage et du risque d’être détecté. Plusieurs critères sont pris en compte dans cette formule : probabilité de détection, richesse du sportif, gain financier escompté, pénalité financière en cas de détection, pénalité morale (réputation), goût pour la transgression ou à l’inverse inclinaison à la culpabilité.

2. Le rôle du club et de la fédération : la fraude sportive « institutionnelle »

La corruption sur le terrain est la manifestation concrète de la corruption sportive. Ses règles sont assez simples à comprendre : pour truquer un match, il faut corrompre les joueurs car ce sont eux qui gagnent ou qui perdent sur le terrain. Mais il serait incomplet de n’observer que les joueurs. Le processus de corruption peut également impliquer d’autres acteurs, physiquement plus éloignés du terrain de jeu, mais qui sont largement capables d’orchestrer la corruption sportive.

La corruption peut en effet être décidée et organisée au niveau de l’administration sportive, à savoir un club, ou une fédération. Au football par exemple, les cas de trucage les plus fréquents impliquent les clubs eux-mêmes. Les scandales qui ont secoué les championnats de football turcs et grecs en 2011 mettent en cause les clubs eux-mêmes. Lors du Championnat d’Europe de Basket 2011 en Lituanie, c’est un membre de la délégation grecque qui a contacté les arbitres de deux rencontres afin de tenter de les soudoyer.

Le modèle classique : le trucage pour faire gagner son équipe, « Acheter un match »

Il s’agit de la forme « traditionnelle » du trucage ; il ne vise pas prioritairement les paris sportifs mais plutôt l’enjeu sportif de la victoire prédéterminée. Les méthodes de trucage utilisées dans ces situations sont les mêmes que lorsqu’elles concernent directement les paris sportifs. D’où l’intérêt de s’y attarder.

Dans certains cas, la victoire a plus d’importance pour un club ou un athlète que pour son adversaire. Dès lors, ce dernier se verra offrir une compensation financière en échange de sa défaite. Ce peut être le cas par exemple lorsqu’une équipe plus forte rencontre une équipe supposée plus faible. Quitte à perdre, l’équipe plus faible peut perdre en gagnant de l’argent ! C’est le raisonnement qui avait permis à l’Olympique de Marseille de corrompre certains joueurs de Valenciennes en 1993. À l’époque Marseille était en lutte pour le titre et devait jouer la finale de Coupe d’Europe quelques jours plus tard. Les dirigeants phocéens avaient souhaité « garantir le score », afin que les joueurs puissent se préparer mentalement à la finale contre l’AC Milan. En contact avec un joueur de Valenciennes, le président de l’OM Jean-Pierre Bernes avait eu ces mots qui résument bien la situation : « De toute façon, vous allez perdre. Pourquoi ne pas perdre avec 30 000 francs dans la poche ? »2. Le risque de match ainsi truqué s’accroît à mesure qu’approche la fin de la saison, lorsqu’une équipe est encore en lice pour la victoire en championnat, la promotion ou le maintien, et que la rencontre n’a pas d’enjeu sportif pour l’adversaire. Ici les paris sportifs ne sont pas la raison première de la corruption, mais cela

1 D. Forrest, I. McHale et K. McAuley, op. cit. 2 Declan Hill, op. cit., p 144.

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n’empêche aucunement les différents acteurs de profiter de la prédétermination du résultat pour amasser des gains sur le marché des paris.

Concrètement, la corruption de l’adversaire peut être effectuée de plusieurs manières. Une première méthode est de contacter directement les joueurs, comme cela a été fait par l’OM en 1993. La prise de contact était réalisée par un joueur marseillais, Jean-Jacques Eydelie, qui a ainsi appelé trois joueurs stratégiques de l’équipe de Valenciennes : le défenseur central Jacques Glassman (l’homme qui a révélé l’affaire), le meneur de jeu Jorge Burruchaga et l’attaquant Christophe Robert. J-J. Eydelie connaissait ces trois joueurs qui avaient été ses coéquipiers plus tôt dans sa carrière, à Nantes ou à Tours. Les joueurs ciblés sont ainsi d’abord approchés par un sportif ou un agent, quelqu’un qu’ils connaissent, puis mis en relation avec le directeur général ou le président du club, qui va proposer le marché.

Une deuxième méthode, notamment relatée par Aleksei Matveev1, pour un président de club est de contacter le président du club adversaire. Non seulement les présidents de club d’un même championnat se connaissent souvent personnellement, mais surtout ils se comprennent car ils ont chacun les mêmes objectifs et les mêmes contraintes (obligation de résultats, de rentrées financières, etc.). Les présidents de club ont une double position stratégique vis-à-vis des joueurs. Tout d’abord, ils les connaissent. Ils savent lesquels d’entre eux sont moins scrupuleux et ne dénonceront pas la corruption. C’est par ces joueurs-là que le trucage pourra être effectué. Ensuite, le président est celui qui rémunère les joueurs et leur donne les conditions d’exercer leur métier. Il a donc une autorité particulière sur eux et les joueurs sont moins tentés de dénoncer le comportement criminel de leur propre président. Selon nos travaux, cette méthode de contact de président à président serait très fréquente en Albanie et en Russie par exemple, où les présidents ont une autorité plus forte sur les joueurs et où la corruption peut même prendre des proportions systémiques. En effet, en Europe orientale ou balkanique les clubs peuvent s’accorder « des faveurs » d’une année à l’autre. Un club en difficulté pour le maintien va demander quelques scores avantageux lorsqu’il affronte certains clubs « amis ». Le club contracte ainsi une sorte de « dette de corruption » qu’il devra rembourser dans les années suivantes, par d’autres matchs truqués, ou des transferts de joueurs. En Albanie, cette technique d’échange de faveurs peut même prendre des allures politiques, lorsque qu’un club d’une municipalité d’une certaine couleur laisse gagner un club affilié à un dirigeant politique ami en compétition électorale2.

Pour un club ou une fédération, la corruption d’un match peut également se réaliser par l’intermédiaire des arbitres. Comme nous l’avons vu, le résultat du trucage d’un match par l’intermédiaire d’arbitres est moins garanti que celui d’un trucage impliquant des joueurs. Il est également souvent plus visible. L’étude de la corruption sportive dans le cas de la Russie et de l’Albanie a ainsi révélé que l’option arbitrale est la plus souvent retenue après l’échec de la négociation avec les joueurs. De nombreux témoignages d’anciens arbitres relatent les pratiques courantes de cadeaux offerts par les clubs avant les matchs de coupes d’Europe, pratique très répandue dans les années 1980 et 1990. Ces cadeaux ne représentaient pas systématiquement une proposition de trucage, la frontière entre hospitalité et corruption n’étant pas toujours très nette. Le recours au service de prostituées pour « amadouer » les arbitres a ainsi souvent été utilisé. Le scandale dit du sifflet doré au Portugal illustre cette pratique.

1 A. Matveev, op. cit. 2 Entretien avec un entraineur de club albanais, op. cit.

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Cette affaire remonte à 2004 et concerne un trafic d’influence de la part du président du FC Porto, Jorge Pinto Da Costa. Celui-ci a été suspendu deux ans pour avoir acheté des arbitres. Deux tentatives de corruption ont été retenues par la commission de discipline de la Ligue nationale portugaise. Dans le premier cas l’arbitre Jacinto Paixao et ses adjoints s’étaient vus offrir les services de prostituées par le club après un match contre Estrela da Amadora le 24 janvier 2004, remporté 2-0 par le FC Porto. Dans l’autre cas, l’arbitre Augusto Duarte s’est rendu chez Pinto Da Costa qui lui a remis une enveloppe contenant 2 500 euros, deux jours avant une rencontre de championnat contre Beira-Mar qui s’est achevée sur un match nul le 18 avril 20041.

À la différence du staff sportif qui est concentré sur l’amélioration des performances sportives de l’équipe, les présidents de club ont des obligations plus larges, notamment en termes de rentabilité financière. Ils sont au confluent de l’économique, du juridique et du politique, car il est de leur devoir de défendre les intérêts de leur club. Certains, peu scrupuleux, peuvent donc être tentés de franchir la ligne rouge, pour réaliser les objectifs qui leur sont assignés. De par leurs relations, certains peuvent essayer d’obtenir un appui intéressé au sein d’instances sportives nationales ou internationales, pour que soit ainsi désigné, par exemple, un arbitre sur lequel ils exercent une influence. Ce fut le cas lors du scandale dit du Calciopoli, impliquant notamment Luciano Moggi, directeur général de la Juventus de Turin entre 1994 et 2006 et récemment banni à vie de toute activité liée au football par la fédération italienne. Le scandale a éclaté au printemps 2006 suite à la publication dans la presse italienne d’écoutes téléphoniques entre Moggi et Pierluigi Pairetto, ancien arbitre chargé par la fédération italienne et l’UEFA de sélectionner les arbitres pour certaines rencontres organisées entre 1999 et 2004. Ces écoutes révèlent des échanges de faveurs entre Moggi qui offrait des cadeaux (comme des voitures de luxe) et Pairetto qui désignait des arbitres supposés favorables à la Juventus. Les écoutes ont démontré que Pairetto s’entretenait également avec Massimo Moratti, président de l’Inter Milan entre 1995 et 2004, puis entre 2006 et 2010, Adriano Galliani, président du Milan AC de 2004 à 2006, Massimo Cellino, président de Cagliari depuis 1992 et Giacinto Facchetti, président de l’Inter Milan de 2004 à 2006. Voici un extrait de conversation datant de 20052 entre Giacinto Facchetti et Paolo Bergamo, autre ex-sélectionneur des arbitres du championnat italien, avant un match opposant l’Inter Milan à la Sampdoria de Gênes. La rencontre, arbitrée par Paolo Bertini, fut remportée par les Milanais 3-2, alors qu’ils étaient menés 0-2.

« Facchetti : Allô Paolo ? C’est Facchetti. Bergamo : Bonjour Giacinto. Facchetti : Je suis en train d’aller au stade et j’ai dit aux miens d’avoir avec Bertini un certain tact, une certaine disponibilité. Je l’ai dit aux joueurs, avec Mancini et les autres. Bergamo : Tu verras que cela va être un beau match. Facchetti : Très bien. Bergamo : Il est prédisposé [l’arbitre Bertini, NDLR] à faire un bon match ? Facchetti : Oui, oui, très bien. Bergamo : Tu verras, c’est un match qu’on gagnera ensemble. Facchetti : Je voulais seulement te dire que je l’ai fait. [référence au discours tenu à ses joueurs de respecter l’arbitre, NDLR]

1 http://www.cahiersdufootball.net/article.php?id=4159. 2 http://www.france24.com/fr/20100413-calciopoli-rattrape-autres-equipes-italie-serie-a-corruption-matchs-truques.

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Bergamo : Tu verras que les choses iront dans la bonne voie, puis l’équipe commence à avoir confiance en elle, à faire des résultats, ça donne du moral. »

Autre exemple plus récent, le 25 septembre 2011, le président de la Commission d’arbitrage de football roumaine, Vasile Avram, a été arrêté par la police après avoir reçu 19 000 euros de la part d’un homme d’affaires, sponsor du FCM Targu Mures en première division, en échange de la désignation d’arbitres dits favorables1. Son prédécesseur Gheorge Constantin avait également été arrêté pour corruption en 2009.

Un nouveau mode de trucage directement induit par les paris sportifs : « vendre le match », ou jouer à « qui perd gagne »

En lien avec l’avènement des paris sportifs, un nouveau mode de corruption a été développé par les clubs. Il vise en priorité l’enrichissement sur les marchés de paris : il s’agit cette fois de faire perdre sa propre équipe, ce qui est plus facile que de convaincre une autre équipe de perdre, et de miser d’importantes sommes d’argent sur sa propre défaite.

Cette méthode peut être utilisée par les clubs qui sont en difficulté financière et/ou qui doivent disputer des compétitions ou des rencontres avec peu d’enjeu sportif. Un exemple-type est le cas du club macédonien FK Pobeda, dont le Tribunal arbitral du sport a confirmé en avril 2010 l’exclusion pour huit ans de toute compétition européenne (décidée en 2009 par l’UEFA), pour corruption liée aux paris à l’occasion du premier tour préliminaire de la Ligue des Champions 2004-20052. Lors du match aller, les Macédoniens ont perdu 3-1 à domicile contre le club arménien du FC Pyunik. Sur le marché de paris asiatiques, les sommes jouées pour ce match ont été dix fois plus importantes que ce qui est habituellement observé et elles ont été en grande majorité orientées en faveur du club arménien, qui n’était pourtant pas le favori.

Le club éprouvait de nombreuses difficultés financières et certains joueurs n’avaient pas été rémunérés depuis plusieurs mois. L’ancien entraîneur avait quitté le club en renonçant à la moitié des mensualités qui lui étaient dues. Le trucage a été décidé et organisé par le président, Aleksandar Zabrcanec, qui a demandé aux joueurs de perdre le match aller. À la mi-temps du match retour, et alors que Pobeda menait 1-0, il a demandé à ses joueurs de laisser le FC Pyunik égaliser, ce qui se produisit.

Dans le cas où un président de club décide de la défaite de sa propre équipe, la fraude est plus difficilement détectable car les négociations du trucage sont internes au club. Certes, une telle décision implique un grand nombre de participants, et les risques de fuites vers la presse ou vers les autorités ne sont pas négligeables. Mais ils sont toutefois plus limités que dans le cas où le processus de corruption implique des éléments extérieurs au club, comme dans l’affaire OM/VA (Olympique de Marseille/Valenciennes). Par ailleurs, certains paramètres jouant en faveur du secret doivent être pris en compte dans une telle situation et permettent de lier le pacte de corruption. Ce type d’arrangement peut ainsi permettre de garantir le paiement des salaires de l’équipe pendant plusieurs mois. Chacun est donc directement concerné, à titre personnel.

1 http://www.romaniantimes.at/news/Sports/2011-09-26/17145/Chief_of_referees_arrested_for_fixing_matches. 2 http://www.tas-cas.org/d2wfiles/document/4129/5048/0/AWARD20192020Pobeda20INTERNET.pdf.

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En acceptant de perdre, les joueurs et la direction du club vont pouvoir parier sur leur propre défaite et réaliser une importante plus-value. Par ailleurs, une défaite sera encore plus profitable si les joueurs s’accordent pour perdre avec une marge importante, puisque les paris sur des scores à grands écarts (par exemple 4-0 ou 5-1) rapportent énormément au parieur victorieux. Ce cas de figure peut être illustré par la rencontre entre le club biélorusse du Dnepr Mogilev et le club albanais Laci, au premier tour préliminaire de l’Europa League en juillet 2010. Le match aller en Albanie s’est soldé sur un match nul, rendant les cotes pour le match retour relativement élevées, car le pronostic était plus difficile. Au retour en Biélorussie, Laci a perdu 7-1, avec de nombreux buts entachés d’irrégularités flagrantes1.

En ce qui concerne l’enrichissement sur le marché des paris, les présidents de club peuvent prendre eux-mêmes les paris, demander à leurs joueurs de parier individuellement, et surtout revendre l’information à des groupes criminels. Dans le cas du club FK Pobeda, le président aurait reçu 300 000 euros pour avoir vendu l’information de la défaite du match aller à des éléments criminels extérieurs au club. La décision de laisser filer la rencontre peut ainsi être prise conjointement entre un président de club et un groupe criminel éventuellement proche de lui. À l’inverse, le passage du club au second tour des qualifications préliminaires pour la Ligue des Champions n’aurait rapporté que 30 000 euros au club, et ce alors que le club n’était pas sûr d’être en mesure de se qualifier pour les tours suivants. En effet, il y avait très peu de chances qu’il puisse remporter les trois tours préliminaires, notamment parce qu’aux deuxième et troisième tours, il aurait fallu battre de grands clubs européens. Ainsi, pourquoi ne pas abandonner directement la compétition et toucher ces centaines de milliers d’euros qui permettent au club d’assurer financièrement une grande partie de la saison ? D’autant que dans certains pays d’Europe orientale, les tours préliminaires de coupes d’Europe offrent de plus grosses cotes que les matchs nationaux, considérés comme trop corrompus par les opérateurs de paris2. Le trucage des matchs européens rapporte ainsi beaucoup plus.

Deux paramètres favorisent ce type de comportements de la part de certains clubs : d’une part la situation financière particulièrement difficile de certains milieux sportifs, d’autre part le système organisationnel des clubs.

La précarité du football européen revêt plusieurs formes. Tout d’abord, dans les championnats les plus relevés du continent, comme en Espagne ou en Italie, les clubs les plus riches sont entraînés dans une spirale d’endettement qui peut fragiliser progressivement leur situation. Afin d’attirer les meilleurs joueurs, ces clubs proposent des salaires très élevés et participent ainsi à la surenchère des montants des transferts, en achetant sans toutefois parvenir à équilibrer leurs comptes. Certains clubs peuvent se retrouver alors incapables de rémunérer leurs joueurs, comme ce fut le cas en Espagne au cours de l’année 2011. L’endettement excessif des clubs est une cause première de leur fragilité financière,

comme l’a souligné l’économiste du sport Bastien Drut3. Le président de l’UEFA Michel Platini, soulignait récemment ce risque en faisant référence aux scandales à répétition concernant les matchs

1 Les images de la rencontre : http://www.youtube.com/watch?v=n-0Ov2Y9A_M. 2 Entretien avec un employé d’un opérateur de paris albanais le 27 juin 2011 à Tirana. 3 Bastien Drut, Économie du football professionnel, collection Repères, La Découverte, 2011, pages 100 et suivantes.

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arrangés et les grèves en Espagne et en Italie : « si un joueur n’est pas payé, le risque d’être influencé par des ‘arrangeurs’ est majeur »1.

Mais les situations financières les plus précaires concernent avant tout les ligues inférieures des principaux championnats, ainsi que les ligues d’Europe orientale et balkanique.

Journaliste sportif russe depuis 1980, Aleksei Matveev2 explique que 80 % des clubs russes professionnels sont déficitaires, ce qui obligerait ainsi les dirigeants à trouver des astuces pour tenter de remplir les caisses. La situation est semblable en Albanie, où de nombreux clubs sont dans l’incapacité de payer les salaires des joueurs. Les présidents souffrent également du manque de sponsors et de (télé)spectateurs, situation qui s’explique notamment par la perte de crédibilité totale du jeu tant la corruption est généralisée. Les clubs albanais sont détenus en partie par les municipalités qui n’investissent que très peu dans ces derniers et leurs infrastructures. Ainsi, le Dynamo Tirana, figurant pourtant parmi les clubs les plus titrés et champion national en 2010, a connu une saison catastrophique en 2010-2011, avec de nombreux salaires impayés. Le président, ne pouvant plus avancer les frais, aurait demandé à ses joueurs de « s’auto-rémunérer » en truquant des rencontres3. Au terme de la saison le président a quitté le club, le laissant sans direction. Le club n’est plus propriétaire de son terrain d’entrainement, qu’il est obligé de louer. Son siège social est à l’abandon et c’est l’entraineur des jeunes qui a dû reconstituer une équipe pour le championnat. L’exemple du Dynamo Tirana est assez représentatif de la précarité du système organisationnel d’une partie des clubs de football européen.

Les principaux clubs et en particulier ceux d’Europe occidentale disposent d’une organisation (départements administratif et financier, sportif, direction générale…), d’un conseil d’administration, et sont entourés d’organes de surveillance (audit, surveillance multilatérale des différentes activités du club). Mais ce mode de gouvernance n’est pas propre à la majorité des clubs de football, souvent unilatéralement dirigés par un seul président. Les joueurs et le staff sportif sont en charge de la conduite des affaires sportives, et le président assure la gestion administrative et financière. Pour de nombreux clubs en Europe, le président a principalement un rôle de businessman qui cherche un retour sur son investissement. Le danger est réel lorsque le club est en situation de difficulté financière. Le président, qui, à la différence du staff sportif, n’a pas toujours évolué dans le monde du sport, est potentiellement moins enclin à respecter le principe de l’intégrité sportive, notamment lorsqu’un trucage permet d’équilibrer les comptes.

Que ce soit pour acheter ou vendre un match, un facteur est déterminant dans la facilitation du trucage : l’opacité du monde du sport. Cette complexité est propre à l’économie du club, qui dépend de nombreuses variables, entrées comme sorties : billetterie, transferts de joueurs, salaires, déplacements, droits TV, sponsoring, primes, immobilier (stade, terrains d’entrainements...), publicité, etc. Ces multiples activités impliquent que de nombreux acteurs gravitent dans le milieu (agents de joueurs, staff, sécurité, fédération, groupes de supporters, investisseurs et autres sponsors, etc.). L’environnement des clubs s’apparente ainsi parfois à un vaste milieu fermé et opaque, ce qui peut

1 The Guardian, 28 août 2011. 2 A. Matveev, op. cit. 3 Entretien avec un ancien joueur de football albanais le 27 juin 2011 à Tirana.

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réduire d’autant plus la probabilité de détection des cas de trucage et rendre les enquêtes judiciaires particulièrement difficiles1.

3. La fraude sportive exogène : le groupe criminel extra-sportif

Dans certains pays, les liens entre le milieu du sport et les milieux criminels sont nombreux et anciens. Il s’agit de pays dans lesquels la régulation étatique est laxiste et où le crime organisé s’est développé, vers tous types de secteurs, sans épargner le monde du sport. Les disciplines infiltrées varient en fonction des pays, mais les réseaux mafieux affectionnent généralement les sports les plus populaires. Cela peut ainsi permettre d’adosser des activités criminelles souterraines à une image publique positive, celle d’un sport aux millions de supporters. C’est ce que certains appellent le « blanchiment de l’image », c’est-à-dire qu’une entreprise criminelle peut essayer de s’acheter une certaine forme d’autorité morale en investissant dans une activité mobilisatrice et populaire.

Sur le territoire européen, le football a ainsi parfois attiré à lui des investisseurs peu scrupuleux, voire criminels. Comme le souligne un rapport du Groupement d’action financière (GAFI) publié en 20092, le modèle économique du football peut représenter une aubaine pour des groupes criminels, notamment à des fins de blanchiment d’argent :

« Le marché du football professionnel a connu une croissance exceptionnelle depuis le début des années 1990, en raison de l’augmentation des droits de télévision et du sponsoring. Parallèlement le marché du travail des joueurs professionnels s’est mondialisé. Les transferts sont effectués dans le monde entier. Les flux transfrontaliers d'argent qu’ils impliquent ne relèvent pas du contrôle des instances de football nationales et le contrôle de ces flux financiers présente de nombreuses failles dans lesquelles s'est engouffrée la pègre ».3

La globalisation du marché du football est concomitante avec la diversification des activités mafieuses qui profitent de leurs connections transnationales pour contourner les systèmes de détection et de lutte contre le crime organisé. Les récentes affaires de corruption en Italie ont ainsi mis en lumière la proximité entre la criminalité albanaise et la criminalité italienne. Les liens culturels et historiques sont forts entre ces deux pays, séparés seulement par l’Adriatique, et environ 400 000 Albanais vivent en Italie. Les mafias albanaises et italiennes coopèrent facilement4 et, dans le cadre du scandale du football italien de 2011, il fut établi que les mafias italiennes vendaient l’information des matchs truqués aux Albanais, qui pariaient dans leur pays sur des sites de paris sportifs en ligne non autorisés en Italie.

L’enquête liée au procès de Bochum a également révélé une structure criminelle transnationale puissante, avec des ramifications dans de nombreux pays : Allemagne, Slovénie, Slovaquie, Hongrie, Turquie, Croatie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique, Albanie, Autriche, Suisse, Finlande, Canada, Bosnie, Ukraine, etc. Le réseau rassemblait plusieurs Croates basés en Allemagne, qui ordonnaient les

1 Entretien avec la Cellule de lutte contre la fraude dans le monde du football le 23 août 2011 à Bruxelles. 2 FATF Report, “Money Laundering through the Football Sector”, juillet 2009. Le FATF (Financial action task force) est la désignation anglo-saxonne du GAFI. 3 http://www.fatf-gafi.org/dataoecd/7/41/43216572.pdf. 4 Jean-François Gayraud, Le monde des mafias, géopolitique du crime organisé, Odile Jacob, 2005, 443 p.

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trucages et chargeaient des intermédiaires d’orchestrer les fraudes dans plus de dix pays. Les paris étaient ensuite enregistrés par des parieurs professionnels qui récupéraient également les gains et les redistribuaient.

Le blanchiment, priorité des grandes organisations criminelles

Le souci premier d’une organisation criminelle réside dans la nécessité de donner aux sommes mal acquises une apparente légalité, faute de quoi elles ne peuvent servir que dans des circonstances très limitées. Il s’agit donc de blanchir cette manne monétaire considérable, afin de pouvoir en jouir librement. Toutes activités criminelles confondues, les sommes blanchies chaque année s’élèveraient ainsi entre 2 et 5 % du PIB mondial selon le Fonds monétaire international.

Les montants des gains liés à des activités criminelles font débat. Certains estiment que les volumes liés à la drogue atteindraient 8 % des échanges mondiaux (500 milliards de dollars, selon l’Organisation des Nations unies).

En 2008, les autorités italiennes ont saisi environ 4 milliards d’euros de biens appartenant aux quatre mafias principales agissant sur le territoire (Camorra, Cosa Nostra, 'Ndrangheta, Sacra Corona Unita) : 60 % des saisies ont concerné des biens immobiliers, 21 % des biens mobiliers (automobiles, navires…), le solde étant essentiellement constitué de 887 entreprises et commerces, ce qui démontre la pénétration notable de la sphère licite1.

Le « bilan » de l'année 2009 des quatre mafias italiennes est éloquent et ces chiffres concernent seulement les activités et bénéfices réalisés en Italie, et identifiés par la justice. Le blanchiment constituerait, après les investissements, le deuxième poste de dépenses des mafias. Le bénéfice net serait ainsi supérieur à 78 milliards d’euros par an, soit 6,5 milliards par mois…2 Ces chiffres doivent être relativisés car il est techniquement impossible de connaître la réalité des activités économiques de ce type d’organisation mais l’analyse permet toutefois d’établir un ordre de grandeur.

Les organisations criminelles ont ainsi un besoin stratégique de blanchir leur argent et comme l’explique le rapport du GAFI3 sur le blanchiment dans le milieu sportif, le football est un secteur propice aux activités financières mafieuses. Quelles formes prennent ces investissements mafieux dans le milieu footballistique ?

« Le loup dans la bergerie », ou la prise de contrôle de clubs par les criminels

En décembre 2010, la fuite de documents diplomatiques américains organisée par Wikileaks a révélé un rapport de l’ambassade américaine à Sofia (Bulgarie) intitulé « Le football bulgare reçoit un carton rouge pour corruption »4. On peut y lire notamment :

« Il est largement estimé que les clubs de football bulgares sont contrôlés directement ou indirectement par des figures de la criminalité organisée qui utilisent les équipes comme un moyen de se faire légitimer, de blanchir de

1 Ministère de l’Intérieur italien, dépêche du 22 décembre 2008 2 Douzième rapport sur la criminalité mafieuse et les entreprises de l’association SOS Impresa, disponible en ligne : http://www.sosimpresa.it/8__rapporto-2009.html 3 FATF Report, op. cit. 4 L’intégralité et les références du câble diplomatique : http://www.novinite.com/view_news.php?id=123740

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l'argent ou de se faire de l'argent rapidement (…). Aujourd'hui presque toutes les équipes appartiennent ou ont été liées à des personnalités de la criminalité organisée (…). Des allégations de jeux d'argent illégaux, de matchs dont les résultats sont fixés d'avance, de blanchiment d'argent et de non-paiement d'impôts, empoisonnent le championnat ».

Un exemple historique permet de saisir clairement les intérêts mafieux dans le contrôle d’un club. Il s’agit du cas Arkan, éminent membre du régime de Milosevic en ex-Yougoslavie, qui utilisa le club d’Obilic FK comme fer de lance de ses activités criminelles aussi nombreuses que diversifiées1. À la fin des années 1980, Arkan était le leader d’un groupe de hooligans du club du Red Star de Belgrade, groupe ultra-violent qu’il transforma en milice paramilitaire qui commit de graves exactions pendant les guerres de Yougoslavie2. La milice les Tigres d’Arkan, fut d’ailleurs dissoute suite aux accords de Dayton en avril 1996. Deux mois plus tard, Arkan racheta le FK Obilic qu’il transforma en club de premier rang, remportant même le championnat yougoslave en 1998. L’ouvrage du journaliste américain Franklin Foer3 relate les diverses techniques utilisées par le président du club pour remporter des victoires : corruption, menaces, etc. Des groupes de supporters étaient composés d’anciens membres de sa milice, qui n’hésitaient pas à pointer leurs fusils contre les joueurs adverses, et à proférer des menaces personnelles (parfois sous forme de chants). Régulièrement, Arkan se rendait en personne dans les vestiaires adverses à la mi-temps afin d’ordonner de laisser gagner Obilic. Un joueur raconta qu’il avait été enlevé et séquestré alors que son équipe affrontait le club… Il n’est ainsi pas si étonnant qu’en l’espace d’une saison Obilic FK soit devenu champion de Yougoslavie ! La propriété du club permit à Arkan de blanchir un montant important de capitaux, via la billetterie du stade, les sponsors, les transferts de joueurs et les paris sportifs. Les rencontres internationales lui permirent également d’organiser des trafics illégaux (armes, stupéfiants), les délégations sportives étant très rarement fouillées par les services douaniers. Même s’il dut confier la direction du club à sa femme en 1998 en raison d’une menace de l’UEFA qui menaçait d’exclure le club des compétitions européennes, Arkan a profité du football pour étendre sa popularité tout en continuant à faire prospérer ses activités illégales.

Un autre exemple illustre parfaitement les avantages que procure l’acquisition d’un club, celui de l’homme d’affaires chinois Zheyun Ye qui prit possession d’un club finlandais, puis belge, en 2004-2005, dans le but d’organiser des matchs truqués et de s’enrichir sur le marché des paris sportifs. Il racheta tout d’abord le club finlandais de l’AC Allianssi où il plaça deux proches, Thierry Pister et Olivier Suray. Plusieurs joueurs belges furent également transférés dans ce club et participèrent à un match truqué (0-8 !) contre le club finlandais de FC Haka en juillet 2005. Très vite la fédération et la police finlandaises ont ouvert une enquête et condamné le club à 10 000 euros d’amende pour ne pas avoir aligné sa meilleure équipe. Zheyun Ye revint alors en Belgique (où il avait déjà tenté d’entrer en contact avec des clubs) et se montra actif au sein de deux clubs en particulier : Lierse et La Louvière. Il y organisa une dizaine de matchs truqués, dont Lierse-La Louvière (7-0) en 2005, à des fins d’enrichissement sur le marché des paris asiatiques. Mais selon le parquet fédéral belge, ces deux clubs n’étaient pas les seuls avec lesquels Zheyun Ye était actif en matière de paris. Ainsi, au cours de la saison suivante (2005-2006), un joueur du FC Brussels aurait accepté de l’argent pour manipuler le

1 http://observer.guardian.co.uk/osm/story/0,,1123137,00.html. 2 Christopher S. Stewart, Hunting the Tiger: The Fast Life and Violent Death of the Balkans' Most Dangerous Man, Thomas Dunne Books, 2008, 336 p. 3 Franklin Foer, How Soccer Explains the World: An Unlikely Theory of Globalization, Harper, 2004, 272 p.

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résultat du match opposant le 20 septembre le KAA Gent à son propre club. Un joueur de Saint-Trond aurait été, par l’intermédiaire d’un responsable de La Louvière, convaincu de truquer le match entre Saint-Trond et La Louvière, le 29 octobre 2005. Au cours de la même période, treize autres joueurs auraient encore été approchés avec des promesses de dons d’argent allant jusqu’à 100 000 euros, à condition de lever le pied sur le terrain lors de certains matchs. Ces joueurs auraient décliné l’offre. Les autorités furent alertées par le site de paris en ligne Betfair qui détecta des mises anormalement élevées sur les rencontres Saint-Trond-La Louvière et Cercle de Bruges-Saint Trond. Une procédure judiciaire a été ouverte et le procès en correctionnelle qui implique trente-et-une personnes doit toujours avoir lieu, tandis que Zheyun Ye fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Si Zheyun Ye fut bien arrêté par la police, un cafouillage juridico-policier lui profita et lui permit d’être relâché quelques heures après son interpellation. Depuis lors, il a totalement disparu de la circulation1.

La facilité avec laquelle cet entrepreneur mafieux a pu intégrer le milieu du football belge est inquiétante, et ce d’autant plus que son action a été reproduite par un autre investisseur crapuleux quelques années plus tard. Révélé par l’instruction du procès de Bochum, le cas de la corruption sportive au sein du club de l’UR Namur, alors pensionnaire de D2 belge, révèle la fragilité du milieu footballistique face aux agissements mafieux.

En raison des graves difficultés financières du club, son président Jean-Claude Baudart, cherchait un repreneur capable de rééquilibrer les comptes, mais ses tentatives échouèrent. Il se tourna alors vers un investisseur croate résidant en Allemagne, Marijo Cvrtak. Le 22 janvier 2009, le président Baudart et Marijo Cvrtak conclurent un accord aux termes duquel le Croate paierait 100 000 euros immédiatement, puis deux tranches de 50 000 euros en l’espace de quatre mois. Cvrtak acceptait également de reprendre les dettes du club, à hauteur de 700 000 euros, en échange de son entrée au conseil d’administration, où il fut présenté en sauveur. Afin de crédibiliser son arrivée, Cvrtak inventa une fausse société de management sportif slovaque, BTC Sport Management. Désormais solidement implanté au sein de la direction du club, Cvrtak fit entrer sept joueurs dont il avança le salaire et qu’il savait corruptibles. Deux de ces joueurs ont par la suite eu des rôles majeurs dans le trucage des matchs : le Serbe Nemanja Cvetkovic et le Bosniaque Dragan Bubic. Ce dernier avait été embauché avec pour mission d’acheter d’autres coéquipiers. En tous les cas son transfert ne fut pas vraiment réalisé sur des critères sportifs puisque l’équipe médicale du club jugea qu’il pesait 29 kilos de trop pour être compétitif ! Six joueurs furent finalement impliqués, la prime s’élevant généralement à 2 000 euros par match truqué. Pendant ce temps, Cvrtak et ses comparses profitèrent pleinement du trucage en empochant 225 000 euros sur le marché des paris. Le club de Namur a depuis été rétrogradé en D3 et Cvrtak condamné à cinq années de prison. Ses avoirs, déposés dans une banque de Zagreb, ont été gelés et leur montant (3,6 millions d’euros2) atteste des capacités des organisations criminelles transnationales modernes.

Ces deux exemples illustrent parfaitement l’intérêt que peuvent avoir des organisations criminelles à investir le champ de la direction d’un club sportif, et la facilité dont elles disposent pour mettre en œuvre leur stratégie. Dans les pays où les réseaux criminels ont de l’importance, les milieux sportifs sont donc spécifiquement visés par les mafias. Il ne s’agit pas uniquement d’acteurs mafieux qui

1 http://sportmagazine.levif.be/sport/actualite/affaire-ye-le-principal-suspect-vivrait-sans-se-cacher/article-1194809714946.htm. 2 http://sportmagazine.levif.be/sport/actualite/l-ur-namur-et-les-matches-truques/article-1194965881109.htm.

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détiennent directement des clubs, mais aussi de relations occultes entre des présidents de club et certains milieux de la pègre. En Russie par exemple, les situations financières critiques poussent certains dirigeants à accepter ce que l’on appelle « le toit », c’est-à-dire la protection assurée par un groupe mafieux en échange d’impôts et/ou d’autres services. Dans son ouvrage1, Aleksei Matveev explique par exemple que les présidents de club participent à la couverture des trafics illégaux sous le nom des clubs qui ne font pas l’objet de la même surveillance de la part des autorités publiques, notamment lors des déplacements des équipes à l’étranger pour les matchs de coupe d’Europe. Les comptes des clubs sont ainsi gangrénés de différents capitaux obscurs versés par des mafiosi-supporters qui n’investissent pas dans le football pour l’amour du jeu.

Un article du Russkii Reporter vient corroborer ces informations sur les liens entre les clubs de football et la mafia et donne plusieurs exemples de liens mafieux avérés2. La direction régionale de lutte contre la criminalité (РУБОП) de Moscou avait mis en évidence les liens entre les succès du club Saturn, de la banlieue de Moscou, avec le parrain Oleg Shishkanov. Le CSKA Moscou est quant à lui dirigé depuis 2001 par Evgenii Guiner, qui a également été président de la première ligue de football en 2004 et 2006, et qui fut mêlé à plusieurs scandales. Le club du Spartak Moscou s’est également retrouvé sous la coupe de groupes mafieux, notamment le groupe d’Alazan et de l’un de ses leaders Ruslan Atlangueriev, qui a utilisé le club pour ses affaires personnelles. Larissa Netchaeva, qui devint directrice générale du Spartak et qui tenta de faire cesser ces pratiques, fut assassinée en 1997.

Les petits clubs russes de province, même s’ils vivent en partie grâce à des fonds publics, intéressent les groupes mafieux. En 2001, le club Fakel de Voronej a connu des démêlés avec la justice. Des sommes importantes allouées au club par l’administration ont été perçues par des personnes n’ayant officiellement aucun lien avec le club, mais qui, curieusement, l’accompagnaient constamment dans ses déplacements. Même si les pratiques des années 1990 et du début des années 2000 sont aujourd’hui moins courantes, il reste difficile de se défaire de ces méthodes. En mai 2008, Rustam Saїmanov, qui était alors directeur du club Rubin de Kazan, s’est ainsi retrouvé en prison pour avoir été mêlé à une série de meurtres au milieu des années 1990. Osman Kadiev, président du club de football Dinamo de Makhatchkala, capitale du Daguestan, est pour sa part recherché au États-Unis – il

y est considéré comme le n°3 de la mafia russe aux États-Unis – et a été mêlé à un match truqué en 2008 entre le club Terek et CSKA. L’arbitre de la rencontre avait avoué avoir subi des menaces à la mi-temps dans les vestiaires par trois personnes, dont Osman Kadiev3.

Aujourd’hui, le championnat russe de football figurerait parmi les plus corrompus au monde. Au point que les opérateurs de paris refusent désormais d’ouvrir les paris sur les matchs de seconde division, ainsi que sur un nombre important de matchs de la première division. Deux clubs russes font actuellement l’actualité dans les pays occidentaux. Le premier est le club de Terek Grozny, dirigé par le président de la République tchétchène, Ramzan Kadyrov. Celui-ci souhaite faire du club de Grozny une vitrine internationale de « sa » République et a injecté des fonds très importants dans le développement de l’équipe et des infrastructures. Les violations des droits de l’homme et autres crimes dont est accusé Kadyrov alimentent les rumeurs autour de sa capacité à truquer des rencontres. Le deuxième club, Anzhi Makhatchkala, s’est illustré en 2011 en recrutant le joueur de football

1 A. Matveev, op. cit. 2 Russkii Reporter, n°70, 23 octobre 2008. Article disponible en russe : http://expert.ru/russian_reporter/2008/40/kriminal_v_futbole/ 3 Ibid.

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Samuel Eto’o pour un salaire annuel de 20 millions d’euros, sur trois ans. Au début de l’année 2011, le club a été racheté par le milliardaire Suleyman Kerimov, proche de Magomedsalam Magomedov, président de la République du Daguestan, voisine de la Tchétchénie. L’appropriation de clubs de football par des dignitaires politiques de régimes autoritaires soupçonnés d’entretenir des liens avec des organisations criminelles représente donc un risque potentiel supplémentaire de corruption sportive.

La corruption sportive ex-nihilo : comment truquer un match depuis l’extérieur ?

Sans développer de liens institutionnels avec les structures sportives, les organisations criminelles sont en capacité de soudoyer un ou plusieurs athlètes pour dévier le cours d’un match. Elles peuvent ainsi profiter des vulnérabilités du monde du sport que nous avons identifiées plus haut, et dans certains cas, comme nous l’avons vu aussi, peuvent s’appuyer sur des moyens financiers exceptionnellement élevés pour arriver à leurs fins. Notons que dans l’extrême majorité des cas, les trucages réalisés à l’instigation de criminels extra-sportifs ont pour but l’enrichissement sur les marchés de paris.

L’approche directe : couteau sous la gorge ou billets sous les yeux

Pour convaincre les sportifs de truquer un match, certains criminels peuvent utiliser une méthode « classique » : la menace. Il s’agit ici de mettre en œuvre des moyens de pression verbale, d’user de chantage ou d’exercer des violences physiques. Dans le scandale qui a secoué le football italien en 2011, un gardien approché pour permettre la victoire 3-0 de l’Inter Milan sur Lecce aurait reçu des menaces physiques suite à l’échec de l’opération. Les pays où les pratiques mafieuses sont courantes sont plus prompts à connaitre ce type de pression physique et psychologique sur les joueurs.

L’autre forme d’approche directe est celle de la corruption financière, en proposant une somme d’argent en échange d’une contre-performance. Lors du dernier Championnat d’Europe de basket-ball disputé en septembre 2011 en Lituanie, un membre de la délégation grecque, Stavros Ellianidis, a contacté par téléphone trois arbitres différents pour les convaincre d’avantager la Grèce lors des matchs du premier tour. Il a notamment contacté l’arbitre allemand du match contre le Monténégro en lui proposant 20 000 euros s’il avantageait la Grèce1.

Ces contacts directs sont très peu dénoncés. Dans le tennis, la médiatisation des affaires Kafelnikov et Davydenko a incité certains joueurs à sortir de leur silence en reconnaissant avoir été approchés dans le passé. Dans l’édition du jounal Le Monde du 31 octobre 2007, le tennisman marocain Younes El Ayanaoui se confie :

« C’était il y a cinq ou six mois en Europe. Mon téléphone portable sonne. À l’autre bout du fil, quelqu’un qui me dit être l’agent tchèque du joueur que je dois affronter au premier tour du tournoi auquel je participe. Et que me propose-t-il ? De me ‘coucher’, de laisser gagner mon adversaire qui, soi-disant parce qu’il est jeune, a besoin de gagner des points pour progresser au classement. J’étais estomaqué. 25 000 euros. Soit le montant de la dotation globale de ce tournoi et quatre ou cinq fois plus que ce que j’aurais empoché si j’avais remporté le tournoi. Moi, j’ai dit non, mais comment ne pas être tenté si on est

1 http://basket.blog.lemonde.fr/2011/09/09/un-officiel-grec-exclu-de-la-competition-pour-tentative-de-corruption/.

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juste financièrement, ce qui est souvent le cas de ces joueurs qui évoluent sur ce circuit secondaire ».

Le joueur belge Gilles Elseneer a été approché pour perdre son match de premier tour à Wimbledon en 2005 contre Potito Starace en échange d’une somme de 100 000 euros1. Un autre joueur belge, Dick Norman, a lui aussi reconnu avoir été contacté à deux reprises pour perdre un match en échange d’une importante somme d’argent :

« C’était à l’occasion d’un tournoi Challenger. Je m’en rappelle vaguement car cela remonte déjà à un petit temps. On m’avait proposé quelque chose comme 500 000 ou 1 million d’anciens francs belges [environ 12 000 ou 25 000 euros]. Je n’avais pas donné suite »2.

Le joueur français Arnaud Clément a lui aussi été la cible d’une tentative de corruption : « J’ai été appelé une fois il y a quatre ans dans ma chambre d’hôtel pour me demander si je voulais jouer relax le lendemain. À l’époque ce n’était pas un phénomène d’actualité, alors j’ai pensé qu’on était en train de me faire une connerie. J’ai dit non, non et j’ai raccroché »3. En mars 2007, lors du tournoi d’Indian Wells en Californie, le joueur Dmitry Tursunov a également reçu un appel sur le téléphone de sa chambre d’hôtel pour lui proposer de l’argent contre une défaite4. Enfin en 2007, Novak Djokovic a révélé qu’on lui avait proposé 255 000 dollars pour perdre un match au premier tour du tournoi de Saint-Pétersbourg5.

Le tennis n’est pas la seule discipline concernée par ce type d’agissement. Le 6 avril 2005, Kenan Erol, membre d’un réseau criminel turc, rencontre le gardien de but de l’équipe de football Akçaabat Sebatspor. Erol avait déjà officialisé le trucage du match contre le club de Kayseri avec d’autres membres de son équipe, mais il devait désormais convaincre le gardien de laisser filer des buts. Voici un extrait de la retranscription de l’enregistrement récupéré par la police turque grâce au président de Sebatspor qui avait appris la tentative de corruption et placé le gardien, Hakan Olgun, sur écoute :

« Kenan Erol : J’ai parlé du trucage à tous les autres joueurs. Les autres le savent. Hakan Olgun : Quoi ? Toute l’équipe est au courant ? Kenan Erol : Ne t’inquiètes pas ! Hakan Olgun : Je ne comprends pas. Tu veux juste que je quitte ma surface et que je me mange un but ? Kenan Erol : À la mi-temps vous mènerez 1-0. Mais Kayseri doit gagner le match. Tu devras laisser passer 2 ou 3 buts en seconde mi-temps. Hakan Olgun : Je peux te faire confiance ? Kenan Erol : L’argent est dans la voiture. Laisse-moi te montrer. Hakan Olgun : Tu veux dire que c’est des paris ? Ou tu as un arrangement avec l’autre équipe ? Est-ce que notre staff est au courant ? Kenan Erol : Si t’en parles à ton staff tu ne recevras pas une seule lire ! J’essaie de te faire une faveur. Ces personnes essaient de parier 500-600 milliards de lires. [il montre

1 http://www.nytimes.com/2007/09/27/sports/27iht-27bribe.7662052.html. 2 La Dernière Heure, 27 septembre 2007. 3 http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/35132/1/Paris%20Sportifs%20RDPC%20BFincoeur.pdf. 4 http://sportsillustrated.cnn.com/2007/writers/sl_price/09/04/scorecard0910/index.html?eref=si_latest. 5 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/scpc2007-1.pdf.

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le sac avec l’argent] Il y a 200 000 euros dans le sac et il y en aura plus. Il te suffit de nous donner le score qu’on veut. Hakan Olgun : Mec ! Ce ne sont que des billets de 500 euros. Je n’ai jamais vu autant d’argent dans ma vie ! Tu vas me les donner ? Kenan Erol : Quand le match sera terminé, ce sera dans ta poche. Hakan Olgun : J’ai 130-140 milliards de lires turques de dettes. Combien je vais recevoir ? Kenan Erol : Au moins 75 milliards de lires turques. Le reste ira à tes amis ».1

L’approche indirecte : utilisation d’intermédiaires ou maturation d’une relation de long terme

Pour des organisations extra-sportives, il reste difficile d’approcher des athlètes ou des arbitres qui vivent dans un circuit fermé. L’approche indirecte, plus subtile, est logiquement souvent utilisée.

Le recours à des intermédiaires spécialisés dans la corruption est une technique classique d’approche. Ce sont dans la plupart des cas, des ex-joueurs, agents de joueurs, ou membres du monde sportif qui y sont connus, et qui peuvent même y jouir d’une bonne réputation. L’intermédiaire est donc idéalement quelqu’un du même milieu que les sportifs à corrompre et qui pourra les rassurer sur les risques encourus. Ces intermédiaires sont également capables d’identifier les joueurs faibles, fragiles psychologiquement ou en difficulté financière, voire en fin de carrière, et qui constitueront des cibles idéales.

Le scandale des matchs truqués qui a éclaté en Italie en mai 2011 a impliqué plusieurs anciens joueurs – dont le célèbre Giuseppe Signori, ancien attaquant des années 1990-2000 – qui représentaient les milieux criminels et organisaient la corruption sur le terrain. Ils contactaient le capitaine et/ou le gardien de but, leur remettaient 400 000 euros, somme qui deviendra le tarif « officiel » pour acheter un match de série A (première division italienne). Le joueur contacté était en charge du bon fonctionnement de la corruption et, si besoin, passait la combine à quelques autres joueurs. Certes, il devait alors partager ses gains, mais s’assurait dans le même temps des chances de réussir le trucage. Le match JuveStabia – Sorrente du 5 avril 2009 peut être cité en exemple puisque c’est Cristian Biancone, un avant-centre en fin de carrière et ami d’enfance de Francesco Avallone, l’un des hommes importants de la mafia locale (le clan d’Alessandro), qui contacta le gardien de but de l’équipe pour le convaincre de laisser filer un but, tout en lui rappelant le type de rétorsion physique auquel il pouvait s’attendre s’il ne truquait pas le match comme convenu2. Le schéma de corruption est présenté en annexe 1.

La corruption peut aussi naître d’une relation de connivence entre un sportif et l’intermédiaire. Ce dernier se rapproche progressivement de l’entourage du joueur, ce qui peut lui permettre dans un premier temps d’évaluer ses faiblesses et addictions (famille, jeu, femmes, dopage, dettes ou difficultés de carrière). L’intermédiaire commence également à lui faire quelques cadeaux, ce qui permet d’approfondir les liens. Le stade de la corruption véritable est atteint lorsqu’il est demandé au joueur de lever le pied sur un match. Il s’agit d’un véritable engrenage car une fois qu’un sportif a accepté les premiers cadeaux, la relation corrupteur-corrompu est enracinée. Si le sportif refuse de

1 Tuncer Y, “Sali Hakan şikeyi 90'dan çikardi!”, Zaman Spor, Istanbul, 12 avril 2005, in Declan Hill, op. cit., pp. 162-163. 2 La Gazzetta dello Sport, 10 décembre 2010.

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truquer une rencontre, le corrupteur lui rappelle les premiers cadeaux qui ont été acceptés et qui ont contribué à renforcer leur relation. Si le joueur se montre trop réticent, des menaces peuvent intervenir, sachant que désormais le criminel connait le joueur et ses possibles faiblesses.

L’établissement de ce type de relation de confiance se nomme grooming en anglais. Il s’agit de gagner progressivement la confiance du sportif, de préparer le terrain, ouvrir la « porte d’entrée du crime » pour placer la (première) proposition de trucage. Cette technique peut être particulièrement efficace dans un sport individuel comme le tennis, où les jeunes joueurs se retrouvent souvent seuls sur le circuit et sont ainsi plus enclins à se laisser approcher par des inconnus. Avec un peu de talent, certains parviennent même à devenir de véritables agents pour les athlètes ciblés, c’est-à-dire qu’ils vont gérer leur calendrier, s’occuper de leurs déplacements, leur fournir des médecins, des kinésithérapeutes, etc.

Évidemment les sportifs ne constituent pas les seules et uniques cibles. Les arbitres peuvent également se révéler être des proies intéressantes, comme l’a démontré l’affaire Robert Hoyzer en Allemagne. Cet arbitre de football fut suspendu à vie en 2005 par la fédération allemande de toute activité liée au football pour avoir truqué plusieurs rencontres pour lesquelles il officiait. L’une d’entre elles était un match de Coupe d’Allemagne opposant, le 21 août 2004, l’équipe amateur de Paderborn au club de Hambourg, l’une des principales équipes allemandes. Hambourg perdit 4-2 après que deux penaltys hautement litigieux furent sifflés et l’expulsion de l’un de ses joueurs prononcée1. Robert Hoyzer avait établi une relation durable avec une organisation criminelle croate dont certains membres fréquentaient le café King, un bar et opérateur de paris à Berlin. Il s’y rendait souvent et a entretenu des liens progressivement devenus amicaux avec notamment Ante Sapina, gérant du café berlinois, et ses deux frères Milan et Philip. C’est ensuite que ces trois frères lui proposèrent de truquer plusieurs rencontres pour placer des paris dans leur agence de Berlin2.

Pour les organisations criminelles les plus puissantes, le plus commode est d’organiser soi-même les matchs !

L’éventail des techniques de corruption à disposition des criminels est presque sans limite puisqu’il apparait depuis peu que des matchs amicaux fantômes ont été organisés par des organisations frauduleuses dans le seul but de tromper le marché des paris.

Par exemple, deux matchs amicaux improbables se sont déroulés à Antalya (Turquie) en février 2011: Lettonie-Bolivie et Estonie-Bulgarie, rencontres arbitrées par un trio respectivement hongrois et bosnien. La Lettonie a battu la Bolivie 2-1, tandis que l’Estonie et la Bulgarie se sont séparées sur un match nul 2-2, les sept buts étant marqués sur des penaltys. Pendant ce temps, plusieurs millions d’euros étaient placés sur les marchés asiatiques sur le fait que trois buts ou plus seraient marqués par match. Les deux matchs ont été organisés par Footy Sport International, une agence sportive basée en Thaïlande qui s’est chargée de recruter (et corrompre) les arbitres. L’homme à la tête de cette organisation était un singapourien, du nom d’Anthony Santia Raj. Il s’est présenté sous le nom de Tony aux quatre fédérations nationales à qui il a adressé un email d’invitation en novembre 2010 pour venir jouer en Turquie trois mois plus tard. Il s’est avéré que l’agence Footy Sport International était

1 Les images : http://www.youtube.com/watch?v=Qp5R1wcxTuw. 2 http://www.telegraph.co.uk/sport/2356513/Special-Report-Hoyzers-whistle-blowing-echoes-across-Europe.html.

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factice. Depuis, les six arbitres ont été bannis à vie par la FIFA et Anthony Santia Raj est recherché par la police1.

Un deuxième exemple, incroyable et pourtant bien réel, est celui du match Bahreïn-Togo organisé le 7 septembre 2010 au Bahreïn. L’équipe présente avec le maillot du Togo n’était pas l’équipe nationale, mais un assemblage de joueurs non professionnels qui perdirent 3-0 contre la véritable équipe du Bahreïn. La fédération togolaise a dû être surprise d’apprendre la défaite de son équipe nationale, alors qu’au moment où se jouait le match contre le Barheïn, celle-ci était dans un autobus, de retour d’une rencontre officielle disputée contre le Bostwana2. L’homme qui organisa ce match « fantôme » se nomme Wilson Perumal Raj. Il est connu des instances internationales pour être impliqué dans de nombreuses affaires de corruption sportive depuis les années 1980. Il fut emprisonné une première fois en 1995 pour avoir corrompu un joueur dans le championnat de Singapour, puis une deuxième fois en 2000 pour en avoir agressé physiquement un autre dans le but de l’empêcher de jouer un match. En 2009, il réussit à corrompre l’équipe nationale du Zimbabwe qui effectuait une tournée asiatique, avant d’organiser la rencontre fictive entre le Bahreïn et le Togo. Il a été arrêté le 25 février 2011 en Finlande, où il a été condamné à deux ans de prison pour avoir truqué des rencontres du championnat finlandais avec neuf joueurs (dont sept Zambiens) qu’il payait entre 20 000 et 50 000 dollars par match arrangé3. La saisie de son téléphone portable, qui comprenait les contacts de membres de fédérations nationales, d’employés d’opérateurs de paris, de criminels financiers, de joueurs professionnels et d’arbitres, a démontré l’existence d’un véritable réseau de corruption international.

Comme ces exemples de matchs fantômes en attestent, le monde du sport n’est donc pas à l’abri d’agissements criminels à dimension transnationale très astucieux, voire incroyables tant certaines pratiques sont osées.

B. Le rôle spécifique des paris sportifs dans la corruption L’analyse des cas de corruption sportive a déjà révélé que de nombreux trucages sont organisés dans le but de s’enrichir sur le marché des paris sportifs. En effet, la corruption a toujours été intimement liée aux jeux d’argent. Les lois du cricket et du golf en Angleterre auraient été codifiées au XVIIIe siècle afin de résoudre les disputes liées aux paris. Le cricket a notamment une histoire riche en cas de triches et de paris frauduleux. David Forrest cite un article de presse datant de 1774 critiquant l’évolution du cricket, perverti selon l’auteur par le « jeu excessif »4. Depuis lors, que ce soit le scandale des Black Sox de 1919 au base-ball, l’affaire Hansie Cronje au cricket en 2000, l’affaire Davydenko au tennis en 2007 ou le procès de Bochum en 2010, nombreux sont les scandales de corruption liés aux activités de paris.

Ils se sont multipliés ces dernières années, alors même que, simultanément, le phénomène des paris sportifs s’est généralisé, notamment grâce aux sites de paris en ligne. Il convient donc de se pencher

1 http://www.asiaone.com/News/Latest%2BNews/Sports/Story/A1Story20110311-267582/2.html http://news.bbc.co.uk/sport2/hi/football/14481355.stm. 2 http://online.wsj.com/article/SB10001424052748703384204575509830139498188.html. 3 http://www.telegraph.co.uk/sport/football/8648454/Global-match-fixing-investigation-claims-major-scalp-as-Wilson-Raj-Perumal-is-jailed-for-two-years.html http://www.telegraph.co.uk/sport/football/8496787/Wilson-Raj-Perumal-the-convicted-match-fixer-who-ran-international-empire-yards-from-Wembley.html. 4 Forrest, McHale et McAuley, op. cit.

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sur les particularités des paris sportifs et sur leurs évolutions récentes : quel a été l’impact des paris sportifs virtuels (sur internet) ? Existe-t-il des risques inhérents à cette nouvelle façon de parier ?

Avant l’arrivée d’internet, les paris sportifs étaient organisés selon des modalités déterminées par chaque État. Ainsi, en France, la Française des Jeux avait le monopole sur le Loto Foot, puis sur les premiers paris à cotes autorisés à partir de 2003. Le Royaume-Uni avait quant à lui choisi de concéder de nombreuses licences à des bookmakers, opérateurs de paris à cotes qui proposaient différentes formules de paris dans des points de vente ou par téléphone, mais dans un cadre strictement national.

1. La mondialisation récente du marché des paris sportifs

À la fin des années 1990 de nombreux sites de paris en ligne se sont créés, indépendamment de tout contrôle étatique. Profitant du développement d’internet, ces sites ont commencé à proposer leur offre aux internautes du monde entier, sans pour autant disposer d’autorisations préalables. Selon une étude réalisée par l’institut de veille informatique Cert-Lexsi en 20061, 80 à 90 % des 10 000 sites de jeu d’argent présents sur internet ne possèderaient aucune licence viable. La formation en quelques années de ce marché virtuel non contrôlé a mis sous pression les différentes législations qui encadraient les activités de paris au niveau national.

En 2005, le Royaume-Uni fut parmi les premiers pays à ouvrir son marché et a depuis délivré des agréments à environ 3 200 opérateurs. La France a attendu le mois de mai 2010 pour proposer une réglementation, et elle autorise aujourd’hui dix-sept opérateurs à commercialiser des paris sportifs sur internet, la gestion des paris sportifs « en dur » demeurant le monopole de la Française des Jeux. L’Italie et la Belgique ont également choisi de réglementer le marché, et l’Espagne et le Danemark sont sur le point de suivre la même voie.

Au niveau européen, les paris sportifs ne font pas l’objet d’une réglementation de la Commission européenne. La référence juridique revient donc à la jurisprudence de la CJCE (Cour de justice des Communautés européennes) qui, à travers une succession d’arrêts depuis le début des années 2000, a pu établir une série de principes de réglementation européenne des paris. Les jeux de hasard et d’argent sont considérés comme des prestations de services (et donc soumis à la liberté d’établissement et de prestation dans l’espace Schengen), mais les États ont le droit de restreindre leur exploitation pour des raisons impérieuses d’intérêt général, qui sont principalement la protection des consommateurs (prévenir les phénomènes d’addiction) et la protection de l’ordre public (prévenir les délits et fraudes). Dans ces cas, la restriction étatique doit être cohérente et systématique (non-discriminatoire). Enfin, il n’existe pas de reconnaissance mutuelle entre les États membres en matière de jeu d’argent. Le fait qu’un opérateur dispose d’une autorisation dans un État membre n’empêche pas un autre État de l’interdire ou de subordonner son offre de jeux à une autorisation préalable de sa part.

Aujourd’hui la cartographie européenne des législations est des plus singulières. Malgré certaines restrictions nationales comme en France ou en Italie où les sites des opérateurs non-licenciés sont (théoriquement) bloqués par les régulateurs, des milliers de sites de paris sportifs échappent à toute régulation et demeurent accessibles à la quasi-totalité des internautes du monde entier.

1 Cert-Lexsi, “Gambling Cybercrime Study”, juillet 2006.

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Un marché à taille vertigineuse

Très peu de statistiques permettent de mesurer la taille du marché mondial des paris sportifs. Une grande partie de cette activité serait illégale ou s’effectuerait dans des pays où elle n’est pas (ou peu) répertoriée. Quelques sources permettent cependant d’apprécier les proportions du marché des paris.

H2 Gambling Capital1 estime le montant total des mises sur internet dans le monde à environ 16,4 milliards d’euros en 2004, 32,6 en 2008, et aux environs de 50,7 milliards d’euros pour 2012 (projection). Les explications de ce triplement de volume en huit ans sont d’une part l’augmentation du taux de retour aux joueurs (TRJ), c’est-à-dire le ratio gains/mises et, d’autre part, l’augmentation du revenu moyen des habitants de certaines régions asiatiques, historiquement très friands de paris sportifs, même si c’est surtout en Europe que le marché des paris sportifs s’est développé.

De tels chiffres doivent toutefois être pondérés, notamment du fait de l’existence de pratiques qui peuvent artificiellement gonfler les sommes recensées. Ainsi, de nombreux parieurs « professionnels » misent parfois sur une équipe ou un athlète et décident aussi de se couvrir en misant sur son adversaire, en fonction de l’évolution des cotes. Ces mises sont donc additionnées dans le cadre d’une approche globale, alors que dans l’optique individuelle du parieur, elles s’annulent. Toutefois, ces estimations permettent surtout de constater une évolution dont la tendance pour le moment est à l’accroissement régulier.

Cette hausse de la consommation de paris s’est réalisée en parallèle à la hausse des cotes (c’est-à-dire du taux de retour des joueurs), qui correspond elle-même à une baisse des prix (le pari rapporte plus, donc il est moins cher). Cela a permis en retour d’attirer plus de paris et de parieurs. En effet, l’une des caractéristiques traditionnelles du marché des paris réside dans la forte élasticité de la demande à la variable prix, c’est-à-dire que la demande évoluera de façon plus que proportionnelle à la variation de prix. L’attractivité toujours plus grande de l’offre de paris, de par les niveaux de TRJ offerts aux parieurs, a ainsi alimenté l’accroissement du marché, et inversement.

L’augmentation des cotes et du profit des parieurs

Quelques études ont mis en exergue l’augmentation des taux de retour aux joueurs sur le marché des paris. Des estimations réalisées par H2 Gambling Capital sont reprises par différents protagonistes, comme la Commission européenne2 ou la Remote Gambling Association (RGA). Cette dernière, dans un rapport de 2010, indique que les marges des opérateurs (par rapport aux mises) ont diminué de 10% en 2004 à 9 % en 2008, et projette 8 % de marge en 20123. La baisse des marges, indépendamment de l’évolution des mises, indique que les opérateurs ont été forcés à baisser les prix (et donc augmenter le TRJ) pour conserver leurs clients. Par exemple, en misant au hasard chez l’opérateur Ladbrokes sur les 380 matchs de la saison de Premier League en Angleterre en 2000-2001, le parieur aurait perdu 11,13 % de ses mises en moyenne, contre 6,1 % en 2010-2011. Cette hausse du TRJ se retrouve chez les autres opérateurs, elle est d’autant plus sensible si le parieur compare les opérateurs et choisit les

1 RGA Report, “Sports Betting: Legal, Commercial and Integrity Issues”, janvier 2010, p. 9. H2 Gambling Capital est une société de conseil spécialisée dans l’analyse du marché des paris. La RGA est un syndicat d’opérateurs de paris sportifs licenciés au Royaume-Uni. 2 Commission Européenne, « Livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur », mars 2011 : http://ec.europa.eu/internal_market/consultations/docs/2011/online_gambling/com2011_128_fr.pdf 3 RGA Report, op. cit., p. 9.

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meilleures cotes. En augmentant le TRJ, un opérateur réduit certes ses propres marges mais peut espérer attirer plus de parieurs ou a minima conserver sa propre clientèle. Cette tendance semble se développer un peu partout où le TRJ n’est pas clairement encadré par la loi, afin de faire face à la concurrence mondialisée et facilement accessible, avec des offres aisément comparables, via internet.

Des nouvelles formules de paris, toujours plus attractives

Grâce à la généralisation d’internet et à l’augmentation du volume global des paris, les opérateurs ont pu proposer de nouvelles formules et d’autres innovations qui ont elles-mêmes contribué à l’attractivité des paris et à l’augmentation des volumes. Progressivement les opérateurs ont ainsi affiné leur offre et proposé de parier sur certains détails ou sur différentes phases de jeu : le nombre de cartons, le nombre de corners, l’identité des buteurs, le bénéficiaire de la première touche, le vainqueur de telle phase de jeu, etc. Les combinaisons sont quasi-infinies !

Internet a également permis le développement du « pari en live », c’est-à-dire la possibilité de parier pendant le cours du jeu. Les parieurs peuvent suivre le match en direct sur internet et parier sur le site en temps réel, en fonction du déroulement de la rencontre. Simultanément, les opérateurs de paris emploient des « coteurs » qui suivent la rencontre et les mises enregistrées, et modifient les cotes en fonction de l’évolution du jeu (buts, dominations, blessures, etc.) et des mises. Aujourd’hui la société Sportradar estime que 90 % des paris sont enregistrés sur le marché en live au tennis, et 70 % au football1.

En parallèle, les paris sportifs se sont étendus à de multiples compétitions et couvrent actuellement l’ensemble du sport professionnel et même une partie du sport amateur. Les plus grands sites de paris sportifs, comme sbobet ou bet365 peuvent par exemple proposer des paris sur le championnat des moins de 19 ans de football bulgare, la troisième division de football turque, les compétitions de fléchettes, le saut à ski, les tournois de tennis junior, etc. Techniquement des paris sportifs sont possibles à tout moment, 24h/24.

Internet a enfin permis le développement d’un nouveau mode de paris, nommé le betting exchange, littéralement échange de paris. Plusieurs opérateurs ont mis en place ce modèle, mais la société britannique Betfair en est l’acteur largement dominant. Il ne fixe pas les cotes, laissant les parieurs effectuer les paris entre eux : un individu propose un pari X qui doit ensuite trouver un contre-parieur prêt à miser sur la non-réalisation du pari X. Betfair ponctionne une faible commission homogène sur l’ensemble des paris, laissant aux parieurs l’opportunité de récupérer (TRJ) environ 97 % de leurs mises initiales, et même davantage pour les meilleurs clients. À titre de comparaison, le TRJ en France est fixé par la loi et ne peut dépasser 85 % des mises.

L’étude de l’impact d’internet sur le marché des paris a ainsi permis d’identifier les principales caractéristiques du marché aujourd’hui : des TRJ moyens qui augmentent, un accroissement des paris enregistrés et une extension des paris vers de plus en plus de compétitions et de formules de paris.

1 Entretien avec la société Sportradar le 1er septembre 2011 à Richmond-on-Thames.

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2. Ces évolutions fragilisent-elles l’intégrité du sport ?

Les paris sur les détails du match : un risque spécifique ?

Nous l’avons évoqué plus haut, il est plus facile de corrompre un détail de match pour deux raisons :

- il peut n’impliquer qu’un seul protagoniste (joueur, gardien ou arbitre), - il n’a pas forcément d’incidence sur le résultat final de la rencontre.

Certaines affaires récentes illustrent la réalité du risque : le rugby en Australie (décembre 2010 : trucage de la première pénalité d’un match), le football en Écosse (octobre 2011 : soupçon de trucage du premier carton du match1), le cricket en Angleterre (août 2010 : trucage de trois lancers dans une certaine séquence de jeu). Ce risque de trucage est donc réel. Toutefois, les opérateurs semblent en avoir conscience et n’acceptent généralement pas de fortes mises sur de tels détails de match. De plus, le marché sur ce type de pari n’est pas jugé assez liquide (trop peu de personnes misent sur ces formules). Les opérateurs sérieux, ne voulant pas prendre de risque démesuré, n’accepteront que très rarement des mises trop importantes sur ces marchés.

Aujourd’hui, les principales formules de paris sur lesquelles se concentrent les mises issues de la corruption sportive concernent :

- les résultats à la mi-temps et les résultats finaux, - le nombre de buts inscrits dans le match (plus de deux buts, moins de trois buts par exemple), - la différence de buts entre les deux équipes, - l’Asian total et l’Asian handicap, définis ci-après (voir le paragraphe intitulé « La structure

pyramidale des paris asiatiques »).

Les risques liés aux paris en live et au betting exchange

Les paris en direct sur internet posent un risque spécifique car, dans le cas où une certaine phase de jeu est truquée, il est possible de profiter des variations de cotes et d’être ainsi assuré de gains quelle que soit l’issue de la rencontre.

Le pari en live permet de placer un total de mises plus important que ne l’autorise le marché en pré-match. Il est en effet possible de parier tout au long de la rencontre et ainsi de multiplier les mises. Si l’on sait par exemple qu’un match va se terminer à 3-0, et que le troisième but a déjà été marqué, on peut continuer à parier en misant sur le fait qu’il n’y aura pas d’autre but dans le match. Le pari en live peut donc être particulièrement intéressant aussi pour des acteurs criminels.

Concernant le betting exchange, prenons l’exemple d’un pari réalisé en live sur un match de tennis. Si l’on sait que tel joueur favori va perdre le premier set, on peut jouer contre lui avant le match, puis à la fin du premier set profiter de l’augmentation des cotes (provoquée par sa perte du premier set) pour jouer en sa faveur. Grâce à l’addition des deux paris, le parieur est assuré de gagner de l’argent quel que soit le résultat final de la rencontre2 . Le risque est évident car il est demandé au sportif de perdre

1 http://www.guardian.co.uk/football/2011/oct/06/wayne-rooney-father-alleged-betting-scam 2 David Forrest, op. cit.

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le premier set, et non pas le match entier, qu’il peut toujours espérer gagner (surtout s’il est favori et donc supposé plus fort).

Le betting exchange peut être particulièrement porteur de risque dans le cadre des courses hippiques car il permet de parier sur le fait qu’un cheval ne va pas gagner (non-réalisation du pari X). Il est de fait plus facile de faire en sorte qu’un cheval ne gagne pas une course plutôt qu’il ne la gagne… Cette question ne se pose pas de la même manière pour les autres sports. Certes on pourrait l’imaginer en athlétisme (courses), F1 ou cyclisme, mais peu de paris sont aujourd’hui enregistrés sur ces disciplines. On pourrait aussi imaginer que concernant l’identité des buteurs des matchs de football, on puisse parier que tel joueur ne marque pas, ce qui, encore une fois, est plus facile à réaliser que de faire en sorte que tel joueur marque. Mais l’enjeu n’est alors pas très stimulant pour des parieurs sincères, et les mises risqueraient d’être trop faibles. Une organisation criminelle ne pourrait alors pas utiliser ce type de paris pour tenter d’y faire fructifier un trucage, sauf à se contenter de gains plus limités.

L’un des réels problèmes liés au betting exchange est que l’opérateur n’essuie aucune perte en cas de trucage sportif, puisqu’il ne fait que mettre en relation les parieurs. En conséquence l’opérateur peut être relativement indifférent à des manipulations et moins incité à dénoncer des cas de trucage (c’est-à-dire un parieur plaçant de façon suspecte une large somme de paris) puisqu’il n’aura pas au final à payer les gains des vainqueurs. En réponse, l’entreprise Betfair fait valoir le travail de son équipe intégrité qui surveille l’évolution des mises et alerte les autorités en cas de mouvement suspect. Plusieurs scandales ont été en effet révélés grâce aux alertes de Betfair, l’affaire Davydenko (2007) étant la plus connue1.

Internet et la question de l’anonymat des parieurs

Sur le réseau des paris non virtuel, c’est-à-dire dans les agences de rue de France et du Royaume-Uni par exemple, on peut placer des paris de façon anonyme, en payant et en recevant les gains en liquide. Mais cet anonymat n’est possible que sur des montants de paris et de gains limités. Deux cas ou suspicion de trucage ont déjà concerné le réseau en dur : l’affaire Hoyzer (2005), qui mettait en œuvre des criminels qui pariaient sur le réseau physique allemand (l’opérateur monopolistique Oddset) et l’alerte liée au match Tours-Grenoble en ligue 2 de football le 29 avril 2011. Peu avant ce match, la Française des Jeux a remarqué que de nombreux points de ventes en Corse et dans le Sud-Est du pays avaient atteint leur seuil d’acceptation de mise par agence. Ces paris étaient massivement enregistrés en faveur de l’équipe de Grenoble qui pourtant était dernière du classement à l’époque et jouait à l’extérieur. À la mi-temps, Grenoble mène 2-0 et la Ligue de football professionnel, alertée par l’opérateur de paris et face à l’évolution du score qui confirme les soupçons, place le match sous surveillance. Finalement, Tours a égalisé et le match s’est terminé à 2-2. Une enquête policière a ensuite été réalisée mais n’a pas abouti. La fraude sportive n’a pas été formellement établie, mais cette affaire montre que le réseau des paris en dur n’est pas non plus à l’abri de potentiels cas de trucage.

En ce qui concerne les paris virtuels, tout mouvement « irrationnel » est a priori détectable et traçable par les opérateurs, puisque la création de comptes clients sur les sites internet est impossible si le parieur ne donne pas ses coordonnées personnelles, et notamment bancaires (pour approvisionner le compte et récupérer ses gains). Pourtant, tout internaute aguerri peut falsifier son identité, créer de fausses adresses IP et utiliser des comptes bancaires « fantômes ». Il existe même sur internet des sites

1 Entretien avec l’équipe de sécurité de Betfair le 14 avril 2011 à Londres.

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proposant l’ensemble de ces services ainsi que des modes d’emploi pour développer ou bénéficier de ces black markets1. En cas de paris frauduleux, l’opérateur gardera certes la trace des paris et des gains distribués, mais ne connaitra pas la réelle identité du parieur.

Un secteur aux allures de marché financier totalement dérégulé, où les risques sont inhérents à la perspective de profits démesurés

À l’échelle mondiale, l’environnement des paris sportifs en ligne se rapproche des conditions d’une compétition « pure et parfaite », où le consommateur se dirige vers le producteur de son choix et où les sites comparateurs de cotes lui permettent de s’orienter vers la meilleure offre. Auparavant, les activités de paris sportifs étaient surtout organisées par des opérateurs monopolistiques ou licenciés à l’échelle nationale. Comme nous l’avons vu, la mondialisation du marché des paris sportifs a provoqué une augmentation des profits et du volume de paris, deux phénomènes qui ont agi en interaction puisque, bénéficiant de plus de liquidités, les opérateurs peuvent plus facilement augmenter le taux de retour aux joueurs. Entre temps, les opérateurs ont aussi profité de cet environnement déterritorialisé pour couvrir leurs risques, en pariant eux-mêmes chez d’autres opérateurs du marché, et en premier lieu vers les sites les plus rentables, comme les sites asiatiques ou même Betfair (voir exemple d’opération de couverture dans l’encadré ci-dessous).

Exemple d’opération de couverture Pour une rencontre entre une équipe A et une équipe B, un opérateur de paris propose des cotes suivantes : L’équipe A l’emporte : 1,61 L’équipe A ne l’emporte pas (victoire de l’équipe B ou match nul) : 2,47 Imaginons que l’opérateur enregistre sur cette rencontre un chiffre d’affaires de 100 000 €, et que 70 % des parieurs misent sur l’équipe A. - Si l’équipe A ne l’emporte pas, l’opérateur gagne 100 000 € - 100 000 € * 30% * 2,47 = 25 900 € - Si l’équipe A l’emporte, l’opérateur doit payer : 70% × 100 000 € × 1,61 = 112 700 €. Il perd donc 12 700 € sur ce match. Pour couvrir ses risques, l’opérateur peut parier chez un autre opérateur qui propose une cote à 1,85 pour la victoire de l’équipe A. S’il parie 10 000 € sur l’équipe A : - Si l’équipe A ne l’emporte pas, le bilan financier total est : 25 900 € - 10 000 = 15 900 €. - Si l’équipe A l’emporte, le bilan financier total est -12 700 € + (10 000 × 1,85 – 10 000) = -4 200 €. En définitive, l’opération de couverture permet à l’opérateur de minimiser ses pertes en cas de victoire de A mais minimise aussi ses gains en cas de non-victoire de l’équipe A.

Le fondement du risque porté par les paris sportifs en ligne repose donc sur la taille du marché mondial du jeu, qui véhicule une masse de plus en plus importante de fonds. L’extrême liquidité de ce

1 http://www.pubblicaamministrazione.net/file/whitepaper/000156.pdf.

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marché permet aussi aux opérateurs de couvrir les risques entre eux, et ainsi d’accepter des mises toujours plus importantes, à des cotes toujours plus avantageuses et sur des paris toujours plus dangereux pour le sport (tournois jeunes, amateurs et/ou dans des pays où la criminalité organisée est très active).

Outre la liquidité du marché des paris, où l’argent circule de la même façon que sur un marché financier totalement dérégulé, le second risque majeur lié à l’organisation de ce marché globalisé réside dans l’importance des sites dits illégaux, c’est-à-dire des sites de paris sportifs dont les services sont accessibles depuis des pays où les opérateurs n’ont pas acquis de licence ou d’autorisation préalable pour délivrer leur offre.

3. Le danger provenant des paris dits « illégaux » et asiatiques

Les opérateurs de sites illégaux ou non licenciés sur un territoire donné, ne sont soumis à aucune procédure de surveillance des paris enregistrés, ne sont pas tenus de communiquer les éventuels cas de suspicion de trucage et sont libres de proposer les paris de leurs choix, avec les cotes de leurs choix (aucun seuil maximal de TRJ ne leur est imposé).

L’un des enjeux des législations britannique et française (mais aussi italienne et bientôt espagnole) a été de capter la demande des paris du marché illégal pour l’attirer sur le marché régulé, considéré comme plus sûr car soumis à des procédures de protection de l’intégrité des compétitions. Certes, il sera toujours possible pour des internautes aguerris de contourner le blocage des sites illégaux en France et de placer les paris sur le site de leur choix. Mais l’objectif de cette législation vise avant tout à assécher le marché illégal. En effet, si des millions d’euros provenant de parieurs légitimes sont réorientés vers le marché légal, les opérateurs illégaux n’auront plus les liquidités suffisantes pour proposer des offres avantageuses.

Mais malgré la bonne intention qui habite la loi française et les autres tentatives de régulation, celles-ci apparaissent impuissantes face à l’ampleur du marché mondial des paris sportifs, porté notamment par la puissance des opérateurs de paris asiatiques qui représentent la grande majorité de l’offre illégale de paris dans le monde.

Concrètement, le marché des paris asiatiques est concentré sur quelques sites de paris qui véhiculent une quantité impressionnante de mises. Le poids monétaire de ces sites excède largement le marché des paris sportifs européens. En Chine continentale, la proportion entre les paris légaux (c’est-à-dire les paris sportifs opérés par la loterie nationale) et les paris illégaux serait de un à dix. Le China Center for Lottery Studies estimait en 2007 le marché illégal à près de 7 milliards d’euros.

La structure pyramidale des paris asiatiques

Ces sites asiatiques représentent la partie immergée d’un vaste réseau pyramidal de paris illégaux qui s’étend dans l’ensemble de l’Asie orientale. Pour comprendre l’établissement de ce système, il faut remonter à l’ère coloniale des puissances occidentales, pendant laquelle de nombreuses populations – notamment chinoises – furent appelées à travailler à Hong-Kong et en Asie du Sud-Est. Cette diaspora s’implanta durablement et favorisa le développement des triades (mafias chinoises) en Asie du Sud-Est puis, à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, le développement de réseaux de paris sportifs de rue. Dans de nombreux pays asiatiques, le pari est une activité fortement ancrée. Par exemple le Nouvel An chinois est souvent l’occasion de se rendre aux casinos en famille et de placer des paris sportifs.

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Ces réseaux de rue sont constitués de multiples coursiers, hommes de rue, qui prennent les paris auprès de la population locale (par téléphone ou en face à face) et qui les transfèrent à des bookmakers régionaux qui en gèrent la finance en plaçant eux-mêmes les paris auprès de maisons de paris suprarégionales fonctionnant comme des places financières artisanales et locales. Désormais, ces marchés de paris « physiques » tendent à être remplacés par les sites internet. Ainsi, les bookmakers régionaux gèrent l’ensemble des mises et couvrent le risque en pariant sur les sites en ligne asiatiques. Ces sites sont donc habitués, depuis toujours, à accepter des mises très importantes car elles sont l’addition de milliers de paris de rue qui remontent jusqu’à eux sous la forme d’un seul pari, qui peut être très volumineux.

Au niveau de la rue, chaque parieur individuel doit être introduit et cautionné via un référent, il s’agit d’un mécanisme courant dans les réseaux de paris illégaux (comme aux États-Unis par exemple), qui facilite les transactions. Les paris à crédit deviennent ainsi possibles, mais le risque existe alors que la violence soit utilisée si le remboursement se fait attendre. Il s’agit d’une culture de paris officiellement illégale, mais fortement répandue.

Les paris se prennent souvent par téléphone et les paiements s’effectuent soit en liquide soit en transaction bancaire. Le parieur ouvre un compte bancaire et en confie les coordonnées au bookmaker qui lui donne en échange un numéro de téléphone avec lequel il pourra placer ses paris. Les gains sont payés deux à trois jours après la rencontre sportive.

Ce système a eu pour conséquence d’avoir fortement concentré le marché des sites de paris, puisqu’un faible nombre de sites capte un maximum de fonds. Ces sites proposent un taux de retour au joueur particulièrement élevé (autour de 97 %), leur faible marge étant compensée par le volume très important de mises. Échappant à toute régulation, ces opérateurs proposent un éventail extrêmement large de compétitions, de formules de paris et acceptent des mises particulièrement importantes.

Selon l’estimation d’un expert de l’activité des paris sportifs, un site asiatique peut accepter jusqu’à 20 000 euros environ d’un seul compte client sur une rencontre du championnat de football de Roumanie (contre quelques centaines d’euros pour un opérateur européen). Pour un match du championnat belge, les opérateurs asiatiques accepteraient jusqu’à 300 000 euros de mises cumulées, et jusqu’à un million d’euros pour un match d’un grand championnat européen (50 000 et 75 000 euros pour les sites européens).

En Asie les parieurs sont friands de deux types de paris en particulier : l’Asian total et l’Asian handicap. Le premier correspond au nombre de buts inscrits dans le match. Le parieur va ainsi miser sur le fait qu’il y ait plus de 2,5 buts, ou moins de 4 buts, etc.1. L’Asian handicap est quant à lui intéressant lorsqu’une équipe ou un athlète rencontre un adversaire réputé moins fort. L’opérateur attribue dès lors un « handicap » à l’équipe favorite, pour gagner son pari l’équipe favorite doit gagner avec plus de tant de points d’écart correspondant à la taille du handicap. Les paris Asian handicap recèlent de nombreuses variantes techniques, mais le nombre de buts d’écarts entre les deux équipes est l’objet central du pari.

1 En Albanie ce mode de pari est également réputé et fait l’objet de diverses blagues. Un exemple : deux amis regardent un match. Une équipe marque et l’un des amis crie de joie. Quelques minutes plus tard l’autre équipe égalise et le même individu manifeste encore sa joie. Son ami lui demande « Mais pour qui es-tu ? » et l’autre lui répond « Pour les deux ! Je veux juste beaucoup de buts… ».

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Les sites asiatiques de paris en ligne Les principaux sites asiatiques sont 188bet.com, sbobet.com, ibcbet.com, 12bet.com. Le site sbobet.com, par exemple, fut fondé en 2004 mais représente l’héritage d’une activité commencée en 1994 à Singapour et qui s’est répandue en Malaisie, en Indonésie puis aux Philippines où l’entreprise de paris sportifs a acquis une licence de paris en ligne dans la zone économique de Cagayan, juridiction très peu contraignante. L’entreprise bénéficie également d’une licence sur l’Ile de Man depuis 2009, qui lui permet d’avoir une partie de son activité autorisée au Royaume-Uni et d’être membre de RGA, tout comme l’entreprise. L’entreprise Ibcbet quant à elle est licenciée aux Philippines et au Royaume-Uni également.

Paris sportifs et corruption, la leçon asiatique

L’attractivité des cotes disponibles sur ces sites, couplée à une habitude culturelle des paris en Asie, a permis aux paris sportifs d’exploser dans la deuxième moitié des années 1990. Dans un premier temps, ces paris se sont massivement dirigés vers les championnats locaux. Mais en l’espace de quelques années, les scandales de corruptions sportives ont commencé à se multiplier. De même, la retransmission de plus en plus de matchs à la télévision a permis à la population de se rendre compte d’elle-même de l’ampleur des trucages sur le terrain1.

La corruption policière et l’absence de volonté politique de régler le problème ont conduit à une quasi-impunité du crime organisé en Asie du Sud Est, qui profite ainsi de la vulnérabilité du milieu sportif pour truquer un maximum de rencontres et s’enrichir sur les sites de paris sportifs en ligne.

Le développement non régulé des paris sportifs dans un environnement où la criminalité organisée, et la corruption en général, sont importantes est particulièrement mortifère pour le monde du sport. Ce phénomène se retrouve sur le continent européen dans des pays comme l’Albanie, où le football était très populaire au début des années 1990. À partir du milieu des années 1990, la fin du régime dictatorial albanais a permis certaines dérégulations dans le secteur économique et financier. Les paris sportifs ont donc aussi pu s’y développer, et avec eux les agences de paris « en dur » puis en ligne. Comme en Asie, les milieux criminels y ont vu une perspective intéressante d’enrichissement (et de blanchiment) et ont truqué de plus en plus de matchs, dans des proportions telles qu’ils en ont épuisé la crédibilité du football albanais, qui aujourd’hui n’attire plus les foules. Les stades auparavant remplis de supporters sont désormais vides et tombent en décrépitude car les sponsors n’osent plus investir dans un milieu tellement gangrené par la criminalité2.

À l’instar de la ligue albanaise, les championnats de Chine, de Malaisie ou de Singapour ne font plus recettes eux non plus, alors qu’ils étaient très populaires au début des années 1990. Les sponsors et les médias ne veulent plus cautionner la triche, ce qui participe d’autant plus à la dégradation des championnats. L’exemple de la Chine est emblématique. Ces deux dernières années, plusieurs

1 Declan Hill, op. cit. 2 Entretien avec un ancien entraineur de football albanais le 28 juin 2011 à Tirana.

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scandales successifs ont conduit à l’arrestation de nombreux arbitres, joueurs et de plusieurs membres de la Fédération chinoise de football, dont le président lui-même1. En avril 2011, le championnat s’est ouvert sans le sponsor principal – Pirelli –, qui a rompu son contrat avec la ligue chinoise2. Le diffuseur national, China Central Television, refuse quant à lui de retransmettre les rencontres3. En Asie, la popularité décroissante des championnats locaux a conduit la population à préférer suivre les compétitions européennes, considérées comme plus propres et où l’aléa sportif semble mieux préservé.

Le sport européen, nouvelle cible des paris asiatiques

L’engouement populaire pour les compétitions européennes a poussé les opérateurs asiatiques à diversifier l’offre de paris, contribuant ainsi au gonflement du marché mondial des paris et à la concentration de son offre sur le sport européen. En conséquence, la perspective de profits a poussé certains criminels asiatiques à tenter de corrompre des rencontres en Europe, pour ensuite s’enrichir sur le marché en Asie.

Dès 1994, le gardien de but du club de Liverpool, Bruce Grobbelaar est accusé de corruption, après avoir été filmé lors d’une entrevue avec un homme d’affaires malaisien avec qui il discutait de la possibilité de truquer des matchs. Faute de preuve, il ne sera pas condamné, mais devra payer les frais de procès car son « comportement malhonnête » a été établi4. Quelques années plus tard, en 1997, des membres d’un syndicat de parieurs asiatiques (deux Malaisiens et un Chinois) ont réussi à deux reprises à soudoyer des techniciens de stade anglais pour qu’ils éteignent les lumières du stade pendant les rencontres (en cas d’interruption d’un match, les sites asiatiques considèrent le score au moment de l’arrêt comme étant le score final). Deux rencontres, West Ham-Crystal Palace et Wimbledon-Arsenal, ont ainsi été interrompues par l’extinction d’éclairage, et la troisième tentative, lors du Charlton-Liverpool, échoua quand le collègue d’un technicien corrompu dénonça le complot5. En 2004, c’est le championnat belge qui fut visé par l’intermédiaire de l’homme d’affaire Ye (voir ci-dessus) qui réussit à corrompre de nombreux matchs en l’espace de quelques mois.

Malgré ces quelques cas, dont le procès de Perumal Raj en mai 2011 semble être le dernier exemple en date, la corruption sportive en Europe est rarement le cas de mafias asiatiques qui orchestreraient la corruption depuis les confins du continent asiatique. Souvent lors de scandales de trucage, les sites de paris asiatiques sont pointés du doigt car ils enregistrent des mises aux montants irrationnels sur des rencontres qui en deviennent suspectes. Mais la présence des paris frauduleux sur les sites asiatiques ne signifie pas que la corruption émane automatiquement de criminels asiatiques. En Europe, les criminels peuvent accéder eux-mêmes aux opérateurs asiatiques. Les Albanais, par exemple, parient massivement sur ces sites, notamment parce qu’on y trouve les meilleures cotes, l’offre de paris la plus diversifiée et surtout parce que ces sites acceptent des mises très importantes. Ainsi, le dernier scandale de paris truqués en Italie mettait en œuvre des Albanais qui avaient connaissance de rencontres arrangées et qui pariaient sur le marché asiatique. Les organisations criminelles italiennes

1 http://www.theepochtimes.com/n2/content/view/30796/. 2 “Chinese football has millions of fans but no sponsor” par Michael John Scott : http://madmikesamerica.com/2011/04/chinese-football-has-millions-of-fans-but-no-sponsor/. 3 http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-pacific-12936084. 4 http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200102/ldjudgmt/jd021024/grobb-1.htm. 5 http://www.independent.co.uk/news/uk/crime/the-floodlights-went-out-ndash-and-an-asian-betting-syndicate-raked-in-a-fortune-2066133.html.

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qui n’avaient pas accès à ces sites depuis l’Italie, vendaient donc l’information relative aux matchs truqués aux groupes albanais qui pouvaient s’enrichir via les sites de paris en ligne basés en Asie.

4. Les opérateurs de paris et les mises frauduleuses

Une question semble dès lors légitime : comment ces sites peuvent-ils continuer à accepter des mises suspicieuses et constamment rembourser les gains (très importants) des comptes de criminels truqueurs de matchs ?

Le procès de Bochum a révélé que plus de 32 millions d’euros avaient été misés par un seul compte-client chez l’opérateur asiatique (et licencié au Royaume-Uni) Samvo. Grâce aux dizaines de matchs truqués et via ce seul et unique compte, l’organisation criminelle croate a ainsi réalisé autour de 7,5 millions de profits. Comment cet opérateur a-t-il pu accepter de telles mises visiblement frauduleuses (36 000 euros auraient été pariés sur un match de D4 turque) ? Et surtout, comment l’opérateur a-t-il pu payer au total 7,5 millions de gains au titulaire du compte sans alerter les autorités ?

Deux éléments de réponses relatifs au fonctionnement du marché mondial des paris peuvent permettre de comprendre cette situation.

Les parieurs professionnels

Une partie des parieurs sont des parieurs professionnels, qui agissent sur le marché des paris comme sur un marché financier. Ils réalisent des calculs statistiques pour comprendre les évolutions des cotes et peuvent profiter de ces variations pour placer des sure bets, c’est-à-dire des combinaisons de paris qui sont gagnantes, quel que soit le score d’une rencontre. Par exemple sur un match entre une équipe A et une équipe B, on peut miser sur les trois combinaisons possibles (victoire de A, match nul, victoire de B) chez chaque opérateur qui propose la meilleure cote et sur chacune des trois propositions, le gain est assuré quelle que soit l’issue du match. Les parieurs professionnels (et les blanchisseurs d’argent) repèrent ces opportunités et peuvent placer des sommes extrêmement importantes et obtenir un maximum de profits sans prendre le moindre risque ! Comme sur les marchés financiers les moins régulés, ces acteurs scrutent les mouvements de cotes, et par leurs mises importantes et répétées, peuvent eux-mêmes faire basculer les cotes. Cette frange de parieurs est également très attentive aux informations sportives sur les matchs. Si par exemple une personne apprend que deux joueurs clés d’une équipe ne seront pas alignés sur le terrain, elle peut alors décider de placer d’importants paris sur cette équipe, avant même que les opérateurs n’apprennent l’information et ne modifient leur cote en défaveur de cette équipe. Dès lors, une variation plus ou moins irrationnelle des cotes peut faire penser à d’autres parieurs professionnels que le score de tel match est déterminé à l’avance et que la baisse des cotes est le résultat de corrupteurs qui parient massivement d’un côté du match. Ils vont donc eux aussi s’engouffrer dans la brèche et parier massivement, avant que la cote ne descende trop, ce qui va pourtant pousser l’opérateur, alarmé face à tant de paris sur une équipe, à continuer à faire chuter la cote de l’équipe.

Les mécanismes sur les paris sportifs sont ainsi similaires aux comportements moutonniers et agressifs que l’on peut observer sur les marchés financiers. Généralement les opérateurs de paris connaissent bien ces parieurs professionnels légitimes (wise men) car ils placent souvent des paris importants et leur identité n’est pas forcément cachée. Ils ont d’autant plus intérêt à assumer leur comportement et à montrer patte blanche qu’ils ont beaucoup d’argent en jeu à travers cette activité. Il est impossible pour un opérateur de savoir si une mise importante provient alors d’un cas de corruption. Le pari peut provenir d’un parieur professionnel légitime.

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Rappelons qu’il peut aussi provenir d’un bookmaker régional asiatique qui fait remonter une multitude de paris de rue sur un site en ligne, à travers une seule mise.

La couverture du risque, ou la prise en charge du pari frauduleux par une partie du marché

La couverture du risque est tout d’abord assurée par le nombre de mises exceptionnellement élevé enregistrées par les opérateurs de paris sur l’ensemble de leur offre. Pour un opérateur, 500 000 euros de paris perdus sur une mise peuvent être compensés par des millions d’euros de profits engrangés sur la durée. De plus, si, sur un match en particulier, l’opérateur enregistre une perte importante, il pourra toujours la compenser par une baisse passagère des cotes sur d’autres compétitions sportives, afin d’augmenter ses profits, avant de remettre les cotes à niveau une fois les pertes rattrapées. En règle générale, les opérateurs les plus importants disposent de liquidités conséquentes qui leur permettent de ne pas s’inquiéter si un compte client engrange des profits, même démesurés.

Le risque peut également être couvert si on le transmet à un autre opérateur. Nous l’avons déjà analysé, ces opérations de couverture inter-opérateurs sont courantes et faciles. Dans le cas d’un pari très important qui a pour origine un trucage de rencontre, le pari peut ainsi être réduit et transmis à un autre opérateur qui effectue la même opération et ainsi de suite. Le risque financier lié au pari frauduleux s’étale sur toute une partie du marché et devient donc acceptable pour chaque opérateur.

Enfin, on ne peut écarter l’idée qu’un opérateur puisse profiter du comportement d’un compte client qui gagne régulièrement en copiant ou sur-jouant ses mises chez d’autres opérateurs. Si un parieur a un historique de paris gagnants et qu’il place une mise de plusieurs dizaines de milliers d’euros sur le score d’un match de seconde zone, l’opérateur peut se douter que le parieur bénéficie d’une information illicite sur le match et en conséquence parier une somme encore plus importante chez des concurrents. Le risque n’est pas seulement couvert, il est renversé !

Sur le marché mondial des paris sportifs, les liquidités circulent rapidement et tous les opérateurs participent à la surenchère des paris. Actuellement, l’économie des paris sportifs est dominée par les sites asiatiques qui concentrent le plus de liquidités et définissent les tendances du marché. En effet, les opérateurs européens ouvrent généralement les paris quelques jours avant les opérateurs asiatiques, mais modifient leurs cotes en fonction de celles des opérateurs asiatiques. En Albanie par exemple, les opérateurs de paris ajustent leur prix en fonction des trois sites asiatiques les plus influents1. Ce poids des sites asiatiques dans le marché mondial atteste de leur puissance financière et prouve leur capacité à ingérer des mises frauduleuses, même importantes, sans pour autant mettre leur équilibre financier en péril.

Les principaux sites asiatiques (sbobet, ibcbet, 188bet, 12bet) sont aujourd’hui licenciés sur l’île de Man et donc autorisés sur le marché britannique. Le Royaume-Uni a en effet dressé une white list de juridictions étrangères dont les standards sont conformes aux standards britanniques, et dont les opérateurs licenciés peuvent accéder au marché britannique, même si techniquement ils ne sont pas régulés par la Gambling Commission2 qui a seulement en charge les opérateurs basés sur le sol britannique. Cette liste blanche inclut Gibraltar, Antigua, l’île de Man, la Tasmanie, Alderney et

1 Entretien avec un employé d’un opérateur de paris albanais le 28 juin 2011 à Tirana. 2 La Gambling Commission est l’autorité de régulation nationale des activités de jeux d’argent sur le territoire britannique.

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l’ensemble de l’Espace économique européen. Les opérateurs licenciés sur ces territoires sont autorisés à proposer leur offre aux citoyens britanniques, mais ne peuvent effectuer de campagne publicitaire.

L’autorisation des sites asiatiques dans certains pays européens symbolise le décloisonnement du marché mondial des paris sportifs et l’uniformisation progressive des opérateurs européens et asiatiques. Les opérateurs européens comme Betfair, Bet365 ou Ladbrokes proposent eux aussi leurs services au monde entier et concentrent des liquidités également de plus en plus importantes. La hausse des TRJ sur les sites européens, provoquée notamment par la concurrence des sites asiatiques, a augmenté la consommation de paris sur ces derniers. Betfair affirme recevoir plus de 5 millions de paris par jour en moyenne et attirerait près de 35 millions d’euros de paris rien que pour un match du championnat indien de cricket. Les liquidités circulent entre les opérateurs qui appartiennent à un vaste marché mondial décloisonné, même si les sites asiatiques le dominent encore largement.

* ***

Le risque de fraude qui menace actuellement l’intégrité de nos compétitions sportives est le résultat d’une interaction entre d’une part des vulnérabilités intrinsèques au fonctionnement du monde sportif et d’autre part la formation d’un marché mondial des paris sportifs dont une partie échappe à tout contrôle.

Les principales vulnérabilités du monde sportif sont la facilité concrète de trucage des rencontres, la précarité financière du milieu, l’opacité voire l’impunité dans certains contextes. En face, le décloisonnement des sites de paris européens et asiatiques a contribué à la formation d’un vaste marché dérégulé où un individu peut placer, en toute liberté, des mises astronomiques sur n’importe quelle compétition dans le monde.

Aujourd’hui, la fraude sportive liée aux paris sportifs peut prendre tout type de forme. Il peut s’agir d’un athlète qui place des paris individuellement sur un événement dont il choisit d’altérer le cours, ou de clubs qui choisissent de vendre un match pour s’assurer des rentrées financières. Toutefois, un risque grandissant émane des organisations criminelles qui ciblent le sport et profitent du manque de coopération entre les autorités publiques étatiques dans la lutte contre le crime transnational.

Ainsi, le risque de manipulation sportive est latent, diffus, multiforme, adapté aux différents contextes, et plus que jamais réel.

Comment gérer les différences entre les juridictions? Comment combattre les paris illégaux ? Comment réguler efficacement les opérateurs licenciés ? Et surtout, comment protéger l’intégrité du sport ?

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II. La lutte contre la corruption sportive liée aux paris Le parallèle est fréquemment fait avec le processus de lutte contre le dopage dans le sport, qui a connu une impulsion très forte avec l’affaire Festina en 1999, et pour laquelle la mise en œuvre d’outils opérationnels a été un processus de long terme. En ce qui concerne le risque de manipulation de rencontres, la prise de conscience est plus récente, et la réflexion sur les outils à mettre en œuvre en est encore à ses balbutiements. Quoi qu’il en soit l’année 2011 a été très riche en discussions, séminaires, mais également en scandales et suspicions. Cela illustre dans les faits que l’objet d’étude devient un vrai sujet sociétal, et même un enjeu politique, qui nécessite une action coordonnée des trois types d’acteurs impliqués : mouvement sportif, opérateurs de paris et autorités publiques. L’objet de cette partie est d’étudier la combinaison des mesures qui permettraient de préserver l’intégrité des compétitions sportives. Pour le mouvement sportif, la prévention passe par une meilleure visibilité de l’exploitation de ses compétitions sur le marché des paris sportifs, et ce afin de réagir en fonction du dynamisme et des spécificités de l’activité. La prévention passe aussi par la mise en œuvre de politiques structurelles permettant de donner un cadre au dialogue avec les autres parties prenantes, les autorités publiques en premier lieu. La puissance publique doit en effet également jouer un rôle majeur, à la fois pour contenir la pénétration de la criminalité organisée dans le monde du sport, mais aussi pour réguler l’offre de paris afin qu’elle s’exerce de manière transparente et soucieuse de la préservation de l’ordre public et de l’intérêt général. Face aux risques de corruption et de fraude, l’activité de paris sportifs doit s’exercer dans un cadre légal, assorti de mesures et de moyens de contrôle. La complexité de l’enjeu réside dans la cohabitation de différentes approches nationales de régulation. La dimension transfrontière de la lutte contre la corruption sportive montre que son traitement nécessite une coopération internationale renforcée face aux organisations criminelles transnationales impliquées, et ce dans plusieurs domaines (renseignement, police, justice).

A. Les acteurs de la prévention et leurs interactions

1. Le mouvement sportif

Le mouvement sportif est au cœur de la problématique de la préservation de l’intégrité et de la sincérité des compétitions sportives. Son rapport direct au terrain, son rôle dans l’organisation des rencontres sportives faisant l’objet de paris, lui confèrent une responsabilité centrale.

Le mouvement sportif désigne très largement l’ensemble des parties prenantes à la pratique et à la régulation du sport : fédérations sportives – nationales et internationales –, clubs, joueurs et athlètes, entraîneur et staff, agents, etc. Tout trucage est impossible sans qu’au moins l’un de ces acteurs n’y prenne une part active. Lutter contre la manipulation de rencontres, qu’elle soit liée ou non aux paris, constitue avant tout pour le monde du sport un enjeu d’éthique et de valeurs. La manipulation d’un résultat, y compris sur un aspect secondaire du jeu, est l’antithèse des valeurs sportives : dépassement de soi, performance, fairplay. Il s’agit plus fondamentalement de la négation de la « glorieuse incertitude du sport ». Le mouvement olympique proscrit dans son Code d’éthique toute forme de participation, de soutien ou de

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promotion des paris sportifs relatifs aux Jeux Olympiques. L’enjeu est évoqué dès la première section du texte, dans les obligations relevant de la « dignité »1 : « Dans le cadre de paris, les participants aux Jeux Olympiques ne doivent pas, de quelque manière que ce soit, enfreindre les principes du fair-play, avoir un comportement non sportif ou tenter d’influencer le résultat d’une compétition de manière contraire à l’éthique sportive ». La manipulation de rencontres constitue un risque majeur pour l’image du sport en général, tous acteurs et sports confondus. Un scandale peut porter durablement atteinte au crédit d’une organisation ou d’une discipline, que ce soit à l’échelle d’un pays ou au niveau international. Maintenir l’attractivité d’un sport constitue qui plus est un enjeu économique majeur, pour les fédérations comme pour les clubs, car de l’intérêt du public dépend la possibilité de disposer de ressources (sponsors, droits TV, publicité, billetterie, etc.). Il est difficile pour une institution sportive de communiquer sur le sujet de la corruption liée aux paris sportifs car il faut à la fois lutter contre le phénomène, mais, dans le même temps, ne pas donner l’impression que le sport est excessivement corrompu. Ainsi, le mouvement sportif est encore très réticent à dévoiler des scandales. Il privilégie dans la plupart des cas un règlement disciplinaire interne, tout en essayant de limiter la communication. Une autre réalité est que le mouvement sportif peine également à évaluer l’ampleur du risque, d’où l’importance de l’anticipation et de la prévention. La mondialisation économique a, depuis quelques décennies, considérablement nourri une tendance de mutation du sport en sport-business dans de multiples domaines. Cela se traduit par les sommes colossales investies dans la construction d’infrastructures, dans la tenue de grandes manifestations sportives, dans les contrats de sponsoring ou dans les opérations de transferts de joueurs. La médiatisation du sport a également joué un rôle majeur, générant des droits d’exploitation et attirant en masse les acteurs privés. Le résultat de cette géoéconomie du sport a été de créer des dépendances économiques pour le mouvement sportif. Dans la régulation, l’action revient aux instances dirigeantes du monde du sport (fédérations, clubs, associations) et celles-ci ne peuvent faire l’économie d’une action ciblée vers les acteurs du terrain (joueurs, entraîneurs, arbitres). Il s’agit de s’assurer de l’intégrité de l’ensemble de la chaîne des acteurs concernés. De ce point de vue, une des difficultés de la portée de l’intervention réside dans la multiplicité des niveaux d’action au sein du maillage institutionnel sportif. Des fédérations internationales aux organisations nationales, en passant par les clubs et syndicats d’athlètes professionnels, nombreux sont les acteurs impliqués. Les fédérations sont responsables des compétitions qu’elles organisent, les clubs sont responsables de la gestion de leurs actifs, les joueurs sont responsables de leurs performances individuelles et/ou collectives. Ainsi, l’action d’une fédération internationale peut avoir des effets limités sur les fédérations nationales, qui restent libres de leur organisation et de leurs procédures règlementaires.

1 Code d’éthique du CIO, article A, alinéas 5 et 6 : http://www.olympic.org/Documents/Reports/FR/Code-Ethique-2009-WebFR.pdf.

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Quoi qu’il en soit, l’étude des initiatives en cours démontre une mobilisation croissante du mouvement sportif à différents niveaux. Si certains sports sont encore peu armés pour évaluer le risque et s’en prémunir, les instruments déjà existants permettent d’identifier les bonnes pratiques à approfondir et à intégrer.

2. Les opérateurs de paris sportifs

Les opérateurs de paris constituent un support majeur de l’action car ils disposent de données permettant de détecter ou d’illustrer des atteintes à l’intégrité du sport. Le vecteur internet a contribué à la multiplication des acteurs intéressés par l’activité. L’offre se diversifie, et de plus en plus de paris sont proposés sur une variété toujours plus grande de compétitions sportives. À ce titre, les opérateurs ont un rôle important à jouer, car les produits qu’ils mettent sur le marché peuvent dans certains cas présenter des risques directs pour l’intégrité des compétitions sportives

La lutte contre la fraude liée aux paris sportifs est avant tout, pour les opérateurs, une préoccupation d’image et de réputation nécessaire pour préserver la confiance des parieurs. S’assurer de la sincérité des résultats sportifs sur lesquels ils engagent des paris est pour eux un enjeu de crédibilité. Par ailleurs, les opérateurs de paris sportifs évoluent dans un environnement économique concurrentiel, et le principe même du trucage de rencontres fausse cette concurrence. Le développement très important de l’offre ces dernières années élargit considérablement le champ d’exercice du contrôle. Les nouvelles voies ouvertes depuis quinze ans avec le développement d’internet ont participé à cet élargissement de l’offre, celle-ci étant étendue à la fois à de multiples sports et à diverses phases de jeu. Les opérateurs mettent en place des systèmes de monitoring qui servent à la fois à optimiser leur risk management – c’est-à-dire, pour les paris à cotes, se rapprocher le plus possible de leur objectif de

marge, malgré les aléas liés aux résultats sportifs –, et à détecter les paris irréguliers. Sur ce dernier volet, les initiatives ont fleuri ces dernières années, avec la mise en place de systèmes d’alertes précoces spécifiquement dédiés à la surveillance des paris sportifs. Ils constituent un support incontournable à la préservation de l’intégrité du sport et à la lutte contre le blanchiment. À cet égard internet peut permettre une meilleure gestion des mouvements suspicieux en faisant sauter le verrou de l’anonymat et en permettant l’agrégation de données sur la provenance, la nature et la concentration des transactions. Toutefois, cela n’empêche pas la permanence de la difficulté à suivre les transactions internationales. Il convient d’opérer une distinction entre, d’une part, les loteries1, et, d’autre part, les opérateurs privés, distinction qui tient à leurs statuts et identités respectifs. Les loteries sont d’essence publique, les opérateurs privés s’inscrivent davantage dans une démarche lucrative. Ainsi, bien souvent, leurs approches divergent quant aux conditions d’encadrement du marché et de régulation de l’offre. Ils partagent toutefois la préoccupation de lutte contre la fraude, les loteries dans une logique de préservation de l’ordre public, les opérateurs privés pour protéger leurs intérêts commerciaux (des

1 Le champ d’activité des loteries couvre initialement les jeux d’argent et de hasard (loto, jeux de grattage, etc.), mais celles-ci ont diversifié leurs activités et proposent également des paris sportifs. L’emploi du terme « loterie » dans la présente étude fera référence à ce dernier champ d’activité.

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compétitions trop largement corrompues risqueraient de faire fuir les parieurs). La multiplication des opérateurs privés sur le marché soulève également des préoccupations quant à la pérennité du bénéfice tiré du sport amateur via le financement traditionnel octroyé par les loteries d’État, qui représentent un revenu important (plus de 2 milliards d’euros par an pour les loteries membres de l’association European Lotteries, par exemple). La libéralisation du marché des paris doit intégrer la réflexion sur leur contribution au financement du sport.

3. Les autorités publiques

Les autorités publiques ont vocation à exercer un contrôle des risques d’atteinte à l’ordre public associés à l’activité du jeu. Il s’agit d’une part de lutter contre le marché illégal, d’autre part de protéger le consommateur et le citoyen.

Certains secteurs d’activité font l’objet d’une attention spécifique des pouvoirs publics, dès lors qu’il s’agit de protéger différentes composantes de la société et de veiller à la préservation de l’ordre public. Pour ce qui est des paris, et des jeux d’argent en général, les approches varient selon les pays et dépendent de constructions socio-culturelles ancrées. Dans tous les cas, l’activité est reconnue comme un enjeu sociétal car elle peut mener à des dérives addictives et des situations de précarité et de vulnérabilité liées à des dettes de jeu.

À l’international, plusieurs modèles de régulation des jeux d’argent cohabitent : prohibition, concessions exclusives (monopoles) ou multiples (licences), autorisations. Les législations créent des outils dédiés, juridiques et institutionnels. Des autorités de régulation encadrent l’activité, surveillent les systèmes de prélèvement, et tentent de lutter contre le marché illégal et les infractions à la loi.

L’essor d’internet a nécessité l’intégration de ce support de diffusion du jeu dans les approches de régulation. Or, comme dans d’autres secteurs d’activité, la déterritorialisation qui caractérise le monde virtuel complique l’encadrement de l’activité. L’attractivité accrue du marché des paris pour le crime organisé incite à une réflexion sur les dispositions légales et structurelles complémentaires à prendre pour lutter efficacement contre la fraude.

En ce qui concerne plus spécifiquement la manipulation de résultats sportifs, les autorités publiques n’ont pas vocation à réguler le sport ou à interférer dans l’organisation et le déroulement des compétitions sportives. Le mouvement sportif est attaché à la préservation de son autonomie. Toutefois, certaines activités qui sont financées par l’État pourraient être soumises à davantage de contrôle et, en particulier, à l’obligation d’adopter des mesures anti-corruption. De plus, les autorités publiques ont vocation à agir dans ce domaine, sur la base de prérogatives régaliennes, dès lors que celui-ci touche à des enjeux d’ordre public tels que la lutte contre la corruption la criminalité et l’économie informelle. Face à de tels risques qui pénètrent de plus en plus le sport, il y a un relatif aveu d’impuissance des organisations sportives. Le problème dépasse le simple le champ d’action du sport, et s’étend à des problématiques plus larges de lutte contre la criminalité organisée, notamment en raison des risques de blanchiment d’argent.

Cette criminalité est en effet attirée par le monde du sport, en raison notamment du faible contrôle exercé par les pouvoirs publics. La corruption sportive constitue ainsi une activité lucrative et à faible risque par rapport à d’autres activités criminelles qui concentrent l’attention des pouvoirs publics, et qui sont passibles de très lourdes peines pénales. Outre un effet de dissuasion, la législation pénale spécifique vis-à-vis des pratiques frauduleuses permettrait d’aider le mouvement sportif à se protéger.

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De plus – compte tenu du caractère transnational tant de la criminalité organisée que du marché des paris sportifs – il est important de disposer de passerelles de coopération entre pays, et ce, à plusieurs niveaux (lutte contre le marché illégal, régulation de l’offre, lutte contre la criminalité organisée, recours pénaux, etc.). Le Conseil de l’Europe a été pionnier dans la mobilisation des États sur le risque de corruption sportive en travaillant dès 2009 à une recommandation, adoptée en septembre 2011 au niveau ministériel1, qui engage les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver le sport. L’importance d’un partage d’expériences et d’une approche concertée entre États est en effet la voie la plus conforme aux intérêts des organisations sportives.

Deux axes ont d’abord été étudiés pour appréhender le phénomène : d’une part les acteurs et méthodes de la corruption sportive, d’autre part les risques inhérents au développement des paris sportifs. Dans cette même logique, nous nous intéressons ici aux parades qu’il conviendrait de mettre en place pour prévenir le risque, en ciblant l’action sur les protagonistes (des participants sportifs aux criminels), et en s’intéressant à la régulation des paris sportifs et aux moyens de surveillance et de contrôle associés. Dans un cas comme dans l’autre se pose alors le défi de la coopération internationale face au caractère transnational de l’enjeu.

B. Une action ciblée sur les acteurs de la corruption : du terrain à la criminalité organisée

Les acteurs de la corruption s’inscrivent dans une chaîne de responsabilités à géométrie variable selon la nature de la corruption sportive (isolée, systémique, exogène, etc.). Il y a d’une part les acteurs du monde du sport, à la fois sur le terrain (joueurs, arbitres, coach) et dans les coulisses (agents, gouvernance des organisations sportives). Il y a d’autre part les acteurs criminels qui s’infiltrent par différents biais, directement auprès des joueurs ou arbitres, ou au sein de clubs en difficulté ou de fédérations nationales fragilisées. Ceux-ci disposent de réseaux importants, notamment dans l’entourage des sportifs, et d’une capacité de mobilité indéniable.

1. Intégration au sein du mouvement sportif : information et dissuasion

Le mouvement sportif est central dans la préservation de l’intégrité du sport face au développement des paris. Les organisations sportives sont les premiers relais pour empêcher les corrupteurs de détruire leurs sports. Il est impératif de mettre en place un socle de mesures préventives et répressives. Il s’agit de dissuader les participants sportifs de se livrer à tout acte de corruption, et ce au travers d’une double démarche règlementaire et pédagogique. La prise de conscience est récente, concomitante avec l’explosion du marché des paris en ligne et la révélation d’affaires préoccupantes. Après que le football asiatique a été secoué par de multiples scandales dans les années 1990 et 2000, la menace s’est élargie s’est et déplacée vers les compétitions européennes et internationales, dont les parieurs asiatiques sont friands, participant ainsi à l’essor du marché. La révélation de l’affaire de l’arbitre Hoyzer Allemagne en 2005 a contribué à alerter le monde du sport sur les risques encourus. L’affaire du réseau Sapina qui a manipulé des dizaines (voire

1 Recommandation du Comité des ministres aux États membres du Conseil de l’Europe sur « La promotion de l’intégrité du sport pour lutter contre la manipulation des résultats, notamment les matchs arrangés ».

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des centaines) de matchs en Europe en 2009 a certes été très peu médiatisée par rapport à l’ampleur du phénomène, mais pour le monde du sport elle a été à l’origine d’une profonde prise de conscience. Ces dernières années témoignent effectivement d’une mobilisation croissante au sein du monde sportif, toutefois encore limitée à certains acteurs ou à certains sports. Le CIO, qui avait en 2006 intégré dans son Code d’éthique l’interdiction de parier, incite désormais les fédérations et le mouvement sportif en général à procéder de même. Il a signifié sa volonté de s’attaquer à l’enjeu à l’occasion d’un séminaire en juin 2010, qui a abouti à des recommandations pour le mouvement sportif autour de quatre leviers d’action :

- l’intégration de la question des paris dans les règlementations internes, - la mise en place de programmes de communication, d’éducation et de prévention, - la mise en place d’un groupe de travail sur la question de la surveillance des paris sportifs, - la collaboration avec les autorités publiques1.

La prise en compte du risque au sein du mouvement sportif est encore embryonnaire, et, pour le moment, elle répond davantage à une logique empirique qu’à une intégration structurelle. La complexité du maillage institutionnel sportif nécessite une réflexion applicable à l’ensemble de ses composantes. L’axe fort à privilégier est la prévention et l’anticipation, ce qui passe par l’intégration de normes dans les règlementations sportives et par la mise en place de programmes de sensibilisation à destination des participants sportifs. Le monde du sport est encore très peu familier des risques auxquels il est exposé, car il n’appréhende pas toujours bien le monde des paris et du jeu. Plus précisément, il ne découvre que progressivement les techniques complexes liées aux opportunités de parier, ainsi que les trucages qui peuvent en résulter. Il y a un important effort de pédagogie à réaliser, et ce à deux niveaux : d’une part auprès des dirigeants et formateurs – qui doivent bénéficier d’une expertise globale sur les paris sportifs et risques criminels associés afin de doter leurs sports des outils adéquats – d’autre part auprès des acteurs de terrain, athlètes et arbitres, qui sont les cibles privilégiées des criminels. Plus généralement se pose la question de la bonne gouvernance des organisations sportives. Il s’agit d’une condition préalable indispensable pour préserver les valeurs du sport. La situation précaire de certains clubs, et plus encore, de certains athlètes facilitent la pénétration d’acteurs criminels. Parallèlement et a contrario l’injection massive de fonds dans certains sports et, de manière générale, le poids accru de logiques financières de court terme véhiculent des risques pour l’intégrité du sport2. L’intégration du risque par la règlementation

Il est important que les organisations sportives intègrent dans leurs règlementations l’interdiction de recourir aux paris sportifs pour les participants impliqués directement dans les compétitions et

1 Recommandations pour le séminaire du CIO « Paris sportifs : un défi à relever », 24 juin 2010 : http://www.olympic.org/Documents/Conferences_Forums_and_Events/2010-06-24_Final_Recommendations_IOC_seminar_fre.pdf 2 Le rapport du GAFI publié en 2009 et intitulé « Money Laundering Through the Football Sector » montre de manière générale les faiblesses du secteur du football en matière de gouvernance. Cela le rend vulnérable à des activités criminelles, certes le blanchiment d’argent, mais aussi le trafic de personnes et de drogues, la corruption et la fraude fiscale : http://www.fatf-gafi.org/dataoecd/7/41/43216572.pdf.

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championnats. Ce champ des participants est large, il comprend tous les individus accrédités, athlètes, juges et arbitres, employés et officiels des organisations sportives, membres de l’organisation de la compétition, ainsi que l’entourage de toutes les personnes susmentionnés1. Ces règlementations doivent intégrer deux risques. Le premier est celui des conflits d’intérêts qui peuvent apparaître dès lors que les participants disposent d’informations privilégiés. Ce risque de délit d’initié (insider information) couvre les informations dont la transmission serait de nature à orienter la prise de paris par un tiers. Les participants sportifs n’ont pas toujours conscience du caractère précieux de ces informations. Elles concernent par exemple des renseignements sur l’état physique et moral des joueurs, ou sur les stratégies envisagées par l’encadrement des athlètes. Autant d’informations qui n’auraient pas fait l’objet d’une communication publique. Les participants sportifs doivent être pleinement sensibilisés à la dimension répréhensible liée au fait de transmettre des informations à des tiers ou d’en profiter soi-même en pariant sur les rencontres. D’autant plus que cet accès privilégié à l’information en fait des cibles de choix pour les truqueurs. Il s’agit là de la première porte d’entrée que ces derniers peuvent utiliser pour approcher les acteurs de terrain. Le second est le risque de corruption sportive et concerne quant à lui plus directement la manipulation d’un résultat et le fait d’avoir une attitude visant à influencer le cours ou le résultat d’un évènement sportif dans le but d’en tirer bénéfice pour soi ou pour un tiers. On peut envisager une approche commune du mouvement sportif sur le plan des principes2 :

- connaître les règles (appliquées à tous les niveaux : championnat, compétition, club, fédérations, pays de nationalité, etc.),

- ne jamais parier sur sa discipline, - ne jamais partager d’informations sensibles, - ne jamais truquer un évènement, - informer quelqu’un en cas d’approche.

Ces dispositions doivent être assorties de mesures disciplinaires et de possibilités de sanction, afin d’exercer un véritable effet dissuasif sur les participants. La FIFA a récemment banni à vie des arbitres pour leur implication dans des affaires de corruption sportive3. Actuellement, l’instruction de Bochum donne notamment lieu à de multiples échanges d’informations entre le parquet allemand et l’UEFA qui, au fur et à mesure, engage des procédures disciplinaires. C’est ainsi qu’un arbitre ukrainien a été écarté début 20114. Un arbitre peut même être banni à vie pour ne pas avoir rapporté qu’il a été approché.

1 Selon la définition retenue dans les Standards communs de SportAccord : http://www.sportaccord.com/multimedia/docs/2011/08/Model_Rules_on_Sports_Integrity_in_Relation_to_Sports_Betting.pdf. SportAccord, association regroupant une centaine de fédérations sportives internationales, a pour mission de promouvoir leurs intérêts communs et de partager les bonnes pratiques en matière de régulation du sport. 2 SportAccord. “Code of Conduct on Sports betting Integrity for athletes and officials”, http://www.sportaccord.com/multimedia/docs/2011/12/Code_on_Conduct_on_Sports_Betting_Integrity.pdf 3 http://news.bbc.co.uk/sport2/hi/football/14481355.stm. 4 http://www.sport.fr/football/pUn-arbitre-ukrainien-banni-vie-206773.htm.

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Le fait de se livrer soi-même à des paris ou de partager des informations privilégiées est une pratique des plus difficiles à contrôler. Il faudrait pour cela que les organisations sportives génèrent des listes de noms pour qui les paris sont prohibés et qu’un tel fichier puisse être croisé avec les fichiers joueurs des opérateurs de paris. Une telle option est envisagée mais nécessite une réflexion juridique importante sur la protection de données personnelles. Quoi qu’il en soit, un préalable indispensable est de sensibiliser l’ensemble des parties prenantes aux risques de corruption liés aux paris sportifs. Par exemple beaucoup de sportifs ignorent la problématique des conflits d’intérêt et se livrent sans voir à mal à la pratique des paris sportifs. Ainsi, est-il indiqué, dans le cadre d’un programme de prévention de joueurs mené par le syndicat européen EU Athletes1, et dont un volet consiste à sensibiliser les joueurs directement dans les vestiaires, que plus de la moitié des joueurs de football en Angleterre ne sont pas du tout conscients des obligations consécutives à leur statut2. En France en moyenne, dans un vestiaire de dix joueurs professionnels de basketball, deux avouent avoir déjà parié sur leur propre championnat3. Ces deux exemples illustrent le besoin impérieux d’éducation des participants sportifs. L’intégration du risque par la sensibilisation des acteurs

Il faut effectivement accorder une place importante aux athlètes. Au-delà du risque insider information, c’est plus encore celui de se retrouver pris dans un engrenage et une spirale criminelle dont les acteurs de terrain ignorent tout. Le facteur psychologique est central, un joueur ayant été sensibilisé à la question sera tout de suite enclin à percevoir la menace s’il est approché indirectement et s’il se voit offrir des faveurs. L’éducation des athlètes doit nécessairement favoriser l’interactivité, ce qui est l’esprit du programme e-learning tool, élaboré par SportAccord4, dont les supports sont des quizz et des vidéos. Celles-ci sont percutantes, notamment les témoignages de quatre personnes ayant été directement impliquées. Ainsi, un ancien joueur belge, pris dans l’engrenage des manœuvres de Zehun Ye en 2004 – 2005, explique la façon dont sa carrière a été ruinée et son entourage humilié. De la même façon, un repenti de la mafia new-yorkaise explique les menaces auxquelles il se livrait auprès des joueurs pour les maintenir sous sa domination (« slave to the fixer »). Au-delà de ces outils en ligne, il est important de prolonger l’action par une sensibilisation interpersonnelle, en face-à-face. On a vu comment les corrupteurs privilégiaient le recours à d’anciens joueurs (ou à d’anciens membres de l’environnement sportif, médical, etc.) comme intermédiaires. Leur aura auprès de jeunes générations favorise l’établissement d’une relation de confiance. Le raisonnement doit être le même en matière de prévention. Le sentiment de proximité avec celui qui éduque est très important. À cet égard, la démarche d’EU Athletes est intéressante car ce sont des

1 Voir le Code de conduite sur les paris sportifs pour les athlètes, EU Athletes : http://www.euathletes.info/uploads/media/Sports_Bettiung_-_Code_of_Conduct_for_AthletesEN.pdf. 2 Entretien avec Simon Taylor, Professionnal Players Federation, le 14 avril 2011 au Royaume Uni. 3 Entretien avec Jeff Reymond, Union nationale de footballeurs professionnels, le 30 mars 2011 en France. 4 SportAccord a élaboré un programme de sensibilisation accessible en ligne et assorti de possibilités d’approfondissement par la mise en œuvre de programmes sur mesure selon les sports : http://www.integrity.sportaccord.com/en/.

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sportifs qui s’adressent à des sportifs. Selon cette même logique, l’UEFA réfléchit actuellement à l’opportunité de travailler avec FIFPro, le syndicat mondial des joueurs de football, pour envisager une coopération sur le volet éducation. L’éducateur doit donc être bien sélectionné. Il faut qu’il soit dissocié de toute relation hiérarchique avec les joueurs, afin que ces derniers puissent se sentir libres de tout dire, y compris de faire remonter des informations à l’éducateur en aparté. En effet, les athlètes peuvent redouter que toute information rapportée (anodine ou plus compromettante) ne mette en péril leur carrière. D’où l’importance du rapport de confiance entre l’éducateur et les joueurs. Concernant le meilleur moment pour effectuer des campagnes de prévention, le CIO, la FIFA et l’UEFA mènent des sessions de sensibilisation à l’occasion de leurs compétitions, et notamment pour les championnats de catégories « junior ». Cependant, on peut présumer que cette prévention, qui est exercée en marge du déroulement des épreuves, n’est pas la plus opportune. En effet les athlètes sont à ce moment-là concentrés sur leurs objectifs sportifs et peu enclins à intégrer durablement les enjeux présentés. Les périodes d’entraînement apparaissent plus propices. Les fédérations et les clubs, au niveau national, doivent avoir l’initiative dans le cadre de leurs championnats respectifs, et utiliser les outils élaborés dans leurs sports respectifs. À qui les participants sportifs doivent-ils s’adresser en cas d’approche ou de soupçon ? Il s’agit là d’une question centrale à laquelle il est difficile d’apporter une réponse unique. En effet, il ne semble pas y avoir de solution universelle et le principal critère doit être la confiance. Les codes existants, que ce soit celui d’EU Athletes ou celui de SportAccord préconisent différentes solutions : le club (l’entraîneur en particulier, avec qui le lien personnel est fort), la fédération, ou l’association de joueurs. D’autres outils existent, telles les hotlines ou adresses e-mail génériques qui, dans les deux cas, doivent être pleinement sécurisés, de manière à garantir confidentialité et anonymat. Dans leur organisation les fédérations peuvent également préconiser des mesures spécifiques. L’éducateur aux risques liés aux paris peut ainsi lui aussi constituer un bon interlocuteur. L’essentiel est de s’assurer que le message délivré est correctement reçu et assimilé. Si ce n’est pas le cas, il ne doit pas être exclu d’envisager une autre solution et de changer l’interlocuteur amené à exercer la sensibilisation. Dans tous les cas, les organisations sportives doivent absolument mettre en place des procédures claires en cas de soupçon. L’intégration du risque par la mise en place de structures dédiées

À la suite au scandale d’Hansie Cronje en 2000, la fédération internationale de cricket a été la première à créer des outils diversifiés. Elle a ainsi élaboré un code de conduite très strict et mis en place une unité dédiée, l’ACSU (Anti-Corruption and Security Unit)1. D’importantes sanctions sont prévues à l’égard des joueurs, notamment s’ils parient sur leurs compétitions ou se livrent à la divulgation d’informations d’initié auprès de tiers. Plus encore, des sanctions sont même prévues en cas de corruption passive, c’est-à-dire quand un joueur omet de signaler une malversation dont il aurait été informé. La fédération peut également demander l’accès à des informations personnelles sur les joueurs, tels leurs relevés téléphoniques ou des données bancaires. Enfin, l’accent a été mis sur le contrôle de l’accès aux joueurs lors des compétitions (restrictions de l’utilisation de téléphones ou d’ordinateurs, accès restreint pour l’entourage, etc.). Un membre de l’ACSU du cricket assiste à tous les matchs internationaux afin de surveiller le déroulement du jeu. Par ailleurs, la fédération internationale de cricket s’attache à disposer d’informateurs et de contacts au sein des réseaux de paris

1 http://icc-cricket.yahoo.net/anti_corruption/overview.php.

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illégaux, qui recueillent des informations sur les possibles tentatives de corruption, notamment dans les réseaux de paris clandestins au sein du sous-continent indien. Les instruments établis par le cricket ont servi de modèle à la mise en place en 2008 d’une unité dédiée au sein de la fédération internationale de tennis : la Tennis Integrity Unit1. La logique est toutefois quelque peu différente dans le cas d’un sport individuel, qui nécessite une gestion personnalisée des athlètes, notamment en matière d’éducation. Selon le même modèle que l’ACSU, chaque joueur est dans l’obligation de répondre aux questions et de collaborer (informations, archives téléphoniques, etc.), et des restrictions d’accès à l’entourage des joueurs ont été mises en place. Les joueurs qui évoluent sur le circuit sont également sensibilisés à l’aide de programmes d’informations. Ils ont à leur disposition une adresse email confidentielle et une interface en ligne pour rester informés des enjeux liés à l’intégrité (une fois connecté un joueur est enregistré et la TIU peut suivre son rythme de consultation des informations). Depuis mars 2011, il existe également un support multimédia pédagogique auquel les joueurs ont accès, en six langues, présentant les risques. L’accent a enfin été mis sur la surveillance durant des compétitions (signature d’une charte pour toutes les personnes accréditées sur les tournois, interdiction des ordinateurs portables au sein des enceintes, visionnage vidéo aux abords des terrains, désignation des arbitres le matin des rencontres, etc.). La mise en place d’unités dédiées sur le modèle du cricket et du tennis constitue une approche intéressante, car elle correspond à une bonne prise de conscience des menaces criminelles, tout en prenant en compte les spécificités de chaque discipline sportive. L’UEFA vient pour sa part de mettre en place un réseau d’ integrity officers affectés à chacune de ses cinquante-quatre fédérations membres2. Cette mesure répond à la nécessité de disposer de points de contact dans les fédérations nationales, afin de permettre un échange d’informations dans l’hypothèse où le système de monitoring de l’UEFA détecterait des anomalies. Elle vise aussi à coordonner les actions de formation et de sensibilisation. Un des objectifs est bien entendu de favoriser une plus grande appropriation du risque par les fédérations nationales. Certes, l’UEFA est compétente dans le cadre de ses compétitions, mais elle ne peut prendre des mesures disciplinaires pour des cas de corruption portant sur des compétitions ou championnats nationaux. Le réseau des integrity officers permettra toutefois une meilleure diffusion et remontée d’informations. Ils seront également en contact avec les autorités pénales de leurs pays, et seront à même de fournir des informations sur le cadre légal et les éventuelles procédures engagées. La responsabilité première du mouvement sportif est de prévenir le risque, en l’intégrant dans ses règlementations et en se dotant d’outils de sensibilisation et de procédures pour faire remonter l’information.

2. Renforcement des moyens d’enquête et de sanction

Le poids accru du sport dans la mondialisation et les risques qu’elle induit justifient une mobilisation forte des autorités publiques pour s’attaquer aux dérives auxquelles cela l’expose. Cela vaut de

1 http://www.tennisintegrityunit.com. 2 http://www.uefa.com/uefa/management/legal/news/newsid=1680280.html.

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manière générale pour la surveillance de la bonne gouvernance du sport. On a vu comment certains clubs pouvaient devenir de véritables instruments utilisés au bénéfice d’activités mafieuses. Ces exemples incitent à interroger la responsabilité des États dans la régulation du sport. L’autonomie du mouvement sportif ne doit pas être un frein à la lutte contre la criminalité et la fraude dans le sport, d’où la nécessaire implication des pouvoirs publics. Il s’agit autant d’anticiper en collectant et partageant du renseignement en amont afin de s’attaquer aux organisations criminelles qui orchestrent la corruption sportive (et pour cela comprendre leur évolution), que de disposer d’outils de sanction pour dissuader a priori, ou réprimer a posteriori, tous ceux qui se laisseraient tenter par ces manipulations.

Face aux organisations criminelles transnationales : le besoin de renseignement et de coordination policière internationale Les services en charge du renseignement doivent être sensibilisés et missionnés sur une veille du phénomène de corruption sportive. Les formes de criminalité ont évolué avec la mondialisation. Les organisations mafieuses se sont adaptées dans le nouvel environnement post-Guerre froide, et en particulier ces quinze dernières années avec le développement exponentiel d’internet. Elles ont ainsi diversifié leurs activités. Évolution du crime organisé moderne

Ces vingt dernières années, l'évolution des organisations criminelles transnationales est passée, schématiquement, d'une implantation régionale et à fort aspect familial, à une dimension internationale et protéiforme. Ces organisations ont su tirer profit de l'évolution des réglementations, des failles des systèmes juridiques et judiciaires, de l'ouverture des frontières et de l'accroissement du libre-échange. Avant la chute du mur de Berlin, il existait, côté occidental, des groupes criminels et des entités mafieuses « traditionnelles ». Certaines de ces entités avaient migré en Amérique, et en particulier aux États-Unis, au gré des crises économiques, sociales, politiques. Les vagues d’immigration successives ont conduit à une agrégation de groupes criminels aux origines diverses. Ces organisations criminelles « traditionnelles » s’appuyaient, pour permettre leur expansion, sur deux piliers. D’une part, une diaspora importante dans les pays d’accueil (qui leur offrait un double avantage : une source de « main d’œuvre », venant grossir leurs rangs, et de revenus, notamment grâce au « racket » souvent pratiqué à l’encontre des membres de la communauté). Et, d’autre part, une stratégie calquée sur celles des entreprises, en termes de conquête de marché. Elles sont ainsi passées du statut de « PME du crime » à celui de multinationales. Aux États-Unis, comme dans certaines îles des Caraïbes (Cuba) ou en Amérique latine, elles ont su s’accroître et s’étendre, au travers de la drogue, du jeu (casinos, de Las Vegas à Miami, et jusqu’à La Havane), de la pornographie et de la prostitution, du trafic d’armes, etc. Mieux encore, et devançant la chute du mur, elles ont su profiter tout à la fois de leurs liens – géographique, culturel, et d’intérêt – avec d’autres entités, pourtant concurrentes, voire implantées dans certains pays de l’Est. C’est ainsi, que par exemple les mafias italiennes ont su nourrir une entente cordiale avec leurs homologues turques (Maffya), mais aussi albanaises, ces dernières bénéficiant d’un positionnement géographique stratégique sur le trajet de l’acheminement de la drogue en Europe depuis l’Afghanistan et le triangle

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d’or (Birmanie, Vietnam, Laos, Thaïlande). On a ainsi assisté à la mise en œuvre de joint-venture criminelles. À l'Est, l'idéologie et le discours officiel niaient l’existence d’une micro société. Celle-ci avait su, néanmoins, pendant la période communiste et à des fins de subsistance, s'organiser (petits trafics, rackets, corruption) et se développer au sein et malgré l’existence de régimes autoritaires. Le marché parallèle mis en place par ces microsociétés était utile pour les populations, et permettait d’une certaine manière à ces États de survivre sur un plan économique et social, grâce à cette microéconomie souterraine. Cette « utilité » sociale et économique peut expliquer pourquoi les organisations criminelles ont eu le temps de pénétrer profondément le tissu social, et ont été durablement acceptées par les populations locales. Lorsque le mur de Berlin est tombé, elles étaient à ce point ancrées et intégrées dans la société qu’elles ont été naturellement fédérées et récupérées par les « nouveaux » appareils d'’État. En Asie, la proclamation de la Chine communiste en 1949 avait marqué un « coup de frein » à la criminalité chinoise. L’instauration d’un régime centralisé fort et d’une économie planifiée a contraint les organisations criminelles à quitter la Chine continentale pour s’installer dans ses zones d’influence qu’étaient alors Hong-Kong, Macao, Taiwan ou Singapour, mais aussi à s’implanter dans le reste du monde, par l’intermédiaire d’une importante diaspora chinoise. Les mafias chinoises ont attendu les années 1980 – 1990 pour se réinstaller durablement sur le continent grâce au fléchissement du régime communiste sur les aspects économiques. Ensuite la rétrocession par le Portugal et par le Royaume-Uni des colonies de Macao et de Hong-Kong a parachevé définitivement le retour des mafias chinoises au cœur même de l’Empire du milieu. La chute du mur a eu pour effet l’internationalisation et la mondialisation du crime organisé. Les organisations criminelles ont immédiatement tiré profit des formidables opportunités offertes par la libéralisation des échanges, l'ouverture des frontières, la mondialisation et son contrôle juridique, et judiciaire relatif, la libre circulation des personnes et des biens, et l’appui des diasporas en place Elles ont compris les avantages qu'elles pouvaient tirer de l'essor technologique et du réseau internet. Cet essor s’est traduit dans les faits par un double mouvement : une diversification accrue des offres illicites, notamment en lien avec les nouvelles technologies, et une intégration progressive dans l'économie licite au travers d’opérations internationales de blanchiment (prises de participations, créations de sociétés, achats de fonds de commerce.., etc.), au travers de places financières et judiciaires accueillantes. Concernant la diversification des secteurs d'activités des organisations criminelles, elles ont étendu leur champ d'action, traditionnellement illégal, pour investir dans des pans entiers de l'activité économique1. Les gains issus de leurs activités leur permettent de s'adjoindre les services des meilleurs experts dans différents domaines, (avocats, juristes, spécialistes des montages financiers toujours plus sophistiqués, experts en informatique, lobbyiste, etc.) et ainsi, présenter leurs membres en hommes d’affaires respectables, se fondant aisément dans les cercles politiques et économiques. Après le 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme dans les pays occidentaux a

1 À titre d'illustration, les organisations criminelles, qui tiraient à l'origine leurs revenus essentiellement de vols, d'extorsion, de contrebande ou de trafics de stupéfiants, se sont désormais intégrées et installées dans toutes les sphères de l'économie légale (immobilier, travaux publics, traitement des déchets, finance, communication et médias, transport, monde du spectacle et du divertissement, restaurants, établissements de nuit, studios de cinéma, etc.).

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relayé au second plan la lutte contre la criminalité organisée transnationale, ce qui a permis pendant près de dix ans aux organisations criminelles d’investir de nouveaux pans de l’économie dans une relative impunité. Les jeux d’argent représentent un secteur particulièrement attractif pour la criminalité organisée, notamment en France où ils constituent un secteur privilégié d’investissement1. Certains syndicats criminels se sont spécialisés dans la corruption sportive, comme les fixers singapouriens agissant au profit des triades asiatiques2. D’autres en font une de leurs activités dominantes, comme dans le cas de l’affaire de Bochum, où les criminels croates (le réseau Sapina) comptaient parmi leurs autres activités criminelles une filière de prostitution et de blanchiment. Face à ces évolutions, le renseignement, la collecte de données et le partage d’informations sont indispensables à une lutte efficace contre ces organisations criminelles transnationales qui diversifient de plus en plus leurs activités. La lutte contre le crime organisé aujourd’hui

En France a été créé, en 2009, un organisme de centralisation des informations liées à la criminalité organisée, le SIRASCO (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée). Sa mission est d’opérer une centralisation de l’information sur la pénétration de la criminalité organisée dans divers trafics, et de s’intéresser à leurs spécificités et à leurs modes d’organisation, relais et champs d’activité. Elle s’appuie sur une base de données, VASCO (Vision analytique et stratégique de la criminalité organisée) et compile les informations à un niveau interministériel. Une telle institution nationale – qui a vocation à disposer d’une vision d’ensemble des activités des organisations criminelles sur le territoire – peut permettre d’agréger de l’information sur la corruption sportive. De la même manière le Royaume-Uni a créé en 2006 SOCA (Serious Organized Crime Agency), qui procède de la même volonté d’une approche globale de la criminalité organisée. La mobilisation des pouvoirs publics au niveau national est importante pour appréhender le risque sur son territoire, mais insuffisante pour lutter contre les dynamiques transnationales en jeu. Cette spécialisation nationale permet cependant de mettre en place les conditions favorables pour développer des passerelles de coopération internationale, notamment entre les services de police. Interpol, qui est une plateforme internationale de coopération entre polices, s’est illustré dans une série d’opérations qui avaient pour objectif de démanteler des réseaux de bookmakers illégaux en Asie. Trois opérations se sont déroulées en 2007, 2008 et 2010, en coopération avec les polices locales, pour procéder aux arrestations. Durant la Coupe du monde FIFA 2010, en l’espace d’un mois, ce sont plus de 5 000 personnes qui ont été arrêtées en Asie (Chine, Malaisie, Singapour, Thaïlande) et plus de 10 millions de dollars qui ont été saisis3. La dernière initiative d’Interpol en la matière s’inscrit dans le cadre d’une coopération avec la FIFA, qui a débloqué 20 millions de dollars, pour créer un centre de formation à Singapour couvrant plusieurs champs d’action, depuis la formation pour les athlètes et les

1 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/11/16/01016-20111116ARTFIG00623-pietro-grasso-la-france-cible-de-la-mafia.php. 2 http://www.asiaone.com/News/Latest%2BNews/Sports/Story/A1Story20111117-311087.html. 3 https://www.interpol.int/Public/ICPO/PressReleases/PR2010/PR059Fr.asp.

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dirigeants sportifs à celle des forces de police locales. Sa localisation à Singapour n’est pas anodine car le lieu offre, à l’instar de Hong-Kong, un laboratoire du nouveau visage des paris sportifs à l’heure d’internet en Asie. La mise en place effective est prévue pour 2013, mais reste à savoir comment cette démarche se traduira en termes de compétences nationales. Quoi qu’il en soit, disposer d’un lieu de formation aide à l’intégration de dispositifs et de savoir-faire aux niveaux nationaux. Cette initiative de formation peut être déployée à d’autres échelles, et notamment au niveau européen par Europol. La coopération policière est importante afin d’accéder à la preuve. À la différence du dopage pour lequel celle-ci peut être établie sur la base de prélèvements urinaires ou sanguins, la preuve de la corruption sportive est bien plus difficile à établir. Il n’est pas possible de faire l’économie d’une coopération internationale face à une pénétration qui n’a pas de frontières. Des passerelles entre les différents services, et entre les différents pays, sont donc indispensables. Interpol peut aider à la coordination des autorités locales. De la même manière, Europol commence à être sensibilisée sur le sujet, et peut jouer un rôle dans la coordination des investigations dans cette logique transfrontière, comme cela a pu être le cas dans l’instruction de Bochum. Sa fonction première est de coordonner, au niveau européen, les renseignements relatifs aux activités criminelles en Europe. De même Eurojust – dont la mission est d’encourager et améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites judiciaires entre les autorités compétentes des États membres de l'Union – pourrait être un acteur de cette coopération. La députée européenne néerlandaise Emine Bozkurt invite d’ailleurs à la création de joint investigation teams entre Eurojust et Europol pour une approche coordonnée et des échanges entre juridictions1.

La pénalisation de la fraude sportive

L’intérêt de la criminalité organisée pour le marché des paris sportifs ,et son implication croissante dans le trucage de matchs tient au faible risque auquel elle s’expose, en agissant sur ce secteur. À la différence de multiples activités mafieuses comme le trafic de drogue, le trafic d’êtres humains ou le trafic d’armes, les paris sportifs constituent une activité faiblement surveillée. Les criminels ne sont pas exposés à des sanctions dissuasives. D’une part, il y a ce que le mouvement sportif peut faire (surveillance des compétitions, sensibilisation de ses membres, etc.), et de l’autre il y a des outils pour lesquels il est nécessaire de recourir aux autorités publiques (écoutes téléphoniques, perquisitions, surveillance de données bancaires). Plusieurs fédérations ont ainsi recours à d’anciens policiers de carrière pour diriger leurs unités dédiées au trucage de matchs, comme la FIFA, et les fédérations internationales de cricket et de tennis. Cette démarche procède d’une réalité pragmatique ; ce sont des personnes qui sont habituées à appréhender le raisonnement et le fonctionnement des criminels et qui peuvent s’appuyer sur le réseau relationnel tissé au long de leur expérience professionnelle. Celle-ci peut également faciliter la prise de contact avec les autorités locales. Cette approche est opportune pour des sports très populaires et particulièrement exposés, mais elle n’est pas nécessairement adaptée à des disciplines moins répandues, dont les moyens peuvent être limités. Les saisines de la justice et de la police sont tributaires de l’existence d’une infraction

1 Réunion du Parlement européen, 22 septembre 2011.

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(présumée) à la loi, ou d’un flagrant délit. Ainsi, en France, le service Courses et jeux, en tant que service de police judiciaire, ne peut mener d’enquêtes qu’en cas d’infractions pénales. Aucune affaire n’est traitée actuellement en lien avec les paris sportifs. L’enquête préliminaire qui a eu lieu sur le match Tours-Grenoble (voir supra) n’a pas été approfondie, car elle exigerait un important travail d’investigation que les forces de police ne peuvent mener sans ressources dédiées et sans qualification pénale adaptée. En effet, la police, sauf demande explicite, n’est pas en mesure d’aller interroger les protagonistes de l’affaire – les joueurs notamment – pour recueillir les informations nécessaires à l’enquête1. Plusieurs pays ont toutefois pris en compte et inséré dans leurs codes pénaux un tel délit. C’est le cas en Turquie, en Italie, au Royaume-Uni, au Portugal, en Espagne, et bientôt en Australie. Les peines de prison vont de quelques mois à douze ans selon les pays et sanctionnent pour la plupart le corrupteur, quoique certaines envisagent également de pénaliser le corrompu (loi britannique notamment). Au-delà, se pose également la question de l’opportunité d’imposer une déclaration de soupçon et de prévoir des sanctions en cas de non-respect d’une telle disposition. La loi italienne remonte à 1989 et prévoit des sanctions pour les organisateurs de la corruption qui promettent de l’argent ou tout autre avantage à l’un des participants. Le joueur ou arbitre corrompu n’est pas directement concerné par l’infraction pénale, mais la loi impose un échange d’informations entre les autorités publiques et le mouvement sportif. Ainsi, dans l’affaire de 2006 du Calciopoli, les responsables ont été condamnés sur le fondement d’« associations de malfaiteurs » et de « fraude sportive ». La loi italienne prévoit par ailleurs une peine aggravée si la corruption est liée aux paris sportifs. Au Royaume-Uni, en 2005, un délit de cheating a été établi qui s’applique tant aux participants sur le terrain qu’aux commanditaires, et selon une échelle de sanctions différenciées. Il est intéressant de voir que dans le cas du jugement de Londres, les joueurs de cricket pakistanais ayant truqué des faits de jeu lors de rencontres internationales ont été condamnés à des peines de prison allant jusqu’à deux ans et demi. L’application de ce délit aux sportifs est un message fort envoyé à l’ensemble de la profession. La publicité autour des sanctions pénales dépasse celle autour des sanctions disciplinaires, qui sont certes dissuasives pour un joueur soucieux de sa carrière, mais peu dissuasives pour des joueurs déjà pris dans l’engrenage de la corruption ou en fin de carrière sportive. En Turquie une loi de 2011 implique que toute personne convaincue de corruption dans le but d'influencer le résultat d'un match est désormais passible d'une peine allant de cinq à douze ans de prison ainsi que d'une amende. La peine sera augmentée de moitié si la corruption implique des fonctionnaires, des dirigeants de clubs, des organisations criminelles, ou si elle a été commise pour influencer le résultat de paris sportifs. La pénalisation de la fraude sportive est notamment un moyen d’exposer plus directement des dirigeants de club peu scrupuleux qui se livreraient à des manipulations, soit en agissant à titre personnel, soit en s’associant à des organisations criminelles afin de leur donner des informations ou de répondre à leurs attentes. Cependant, au terme d’un débat très politisé, les peines de prison ont récemment été revues à la baisse par le Parlement turc2.

1 Entretien service Courses et jeux de la Direction centrale de la police judiciaire le 1er septembre 2011 en France. 2 http://ovipot.hypotheses.org/6810.

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La France plaide à son tour pour la création d’un tel délit. Un rapport du président de l’ARJEL a ainsi été adressé récemment au ministère des Sports afin de proposer son inscription dans la loi, dans le but de préserver l’intégrité et la sincérité des compétitions sportives1. En l’état, la proposition est de prévoir un délit aggravé lorsque la corruption sportive est commise en lien avec des paris sportifs. La peine envisagée pour toute atteinte au déroulement d’une compétition est de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Elle concernerait le corrupteur (celui qui « offre » ou « promet ») comme le corrompu (celui qui « agrée » ou « sollicite »), et porterait sur les manifestations se déroulant en France. Des peines plus importantes sont proposées dans le cas où cette corruption serait liée aux paris sportifs. La question de l’utilité réelle de créer un tel délit se pose dès lors qu’il est possible de recourir à d’autres infractions existantes dans les juridictions nationales telles que la corruption privée (affaire Olympique de Marseille / Valenciennes) ou le délit d’escroquerie (Hongrie). Dans l’instruction de Bochum, par exemple, certains pays ont eu recours à des outils existants dans leur droit interne. Ainsi, l’absence de délit de fraude sportive ne présage pas d’une impossibilité totale de poursuites. Néanmoins, son existence peut être à la fois dissuasive (pour les corrupteurs), mais surtout mobilisatrice (pour les autorités publiques de la justice et de la police). Dans ces logiques nationales, il s’agit d’aboutir à une sorte de « police du sport », non pas dans un objectif de surveillance du mouvement sportif, mais plutôt en vue de faciliter l’activation d’outils policiers et judiciaires. Outre ses vertus dissuasives, ce délit de fraude sportive « faciliterait la mise en œuvre de moyens d’investigation spécifiques »2. Aujourd’hui le risque est sous-estimé. Les procureurs de différents pays s’accordent à dire que le problème est majeur mais sous-traité. Systématiser la pénalisation de la manipulation de rencontres contribuerait alors à participer à une prise de conscience élargie. Certains acteurs du mouvement sportif plaident pour une telle harmonisation au niveau européen. C’est par exemple le cas de l’UEFA. Récemment, cette dernière s’est réjouie de la décision du Parlement européen de soutenir, entre autres dispositions, le fait que les fraudes liées aux paris sportifs soient qualifiées d’infractions pénales dans toute l'Europe3. Une étude est actuellement menée pour la Commission européenne sur le traitement juridique et pénal de la fraude sportive dans les vingt-sept États de l’Union4. Lutter contre les atteintes à l’intégrité du sport, orchestrées par des groupes ou des organisations criminels dans le but de s’enrichir via le marché des paris sportifs, nécessite de mener conjointement à l’action de prévention dans le domaine sportif, une action spécifique sur ce marché.

1 http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/114000165/0000.pdf. 2 http://www.senat.fr/leg/tas10-122.pdf. 3 http://fr.uefa.com/uefa/mediaservices/mediareleases/newsid=1716319.html. 4 À paraître en 2012, dirigée par KEA European Affairs.

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C. Une action ciblée sur les vecteurs de la corruption : le marché mondial des paris sportifs

La pratique des paris sportifs est une activité sociale et culturelle profondément ancrée dans certaines sociétés. C’est un réflexe naturel pour tout amateur de sport de pronostiquer (pour le simple plaisir ou en pariant). Par ailleurs, le sport génère des références identitaires qui sont de nature à encourager des supporters à prolonger l’excitation et le soutien dans le recours aux paris sportifs. La médiatisation du sport et la multiplicité des compétitions offrent aujourd’hui de nombreux espaces supplémentaires pour le développement des paris sportifs. Depuis une quinzaine d’années, l’arrivée des jeux en ligne a considérablement modifié l’équilibre et la structure du marché en permettant une déterritorialisation de la pratique. L’activité s’est originellement développée en dehors de tout contrôle et ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que les États ont commencé à réguler dans ce domaine. De nombreux opérateurs exerçant uniquement leur activité en ligne (pure players), et qui s’étaient développés en marge des règlementations nationales, ont donc dû progressivement adapter leur modèle aux contraintes nouvelles des marchés régulés.

Aujourd’hui, la difficulté de l’approche du marché illégal tient à la permanence de certains vides juridiques, ainsi qu’à des cadres légaux diversifiés, voire divergents, entre différents pays. Dans certains cas, tout ce qui n’est pas explicitement autorisé est interdit, dans d’autres tout ce qui n’est pas explicitement interdit est possible. Ainsi, par exemple, les visions sont opposées entre la France, qui, dans la loi de 2010, soumet la pratique à l’obtention d’une licence nationale, et le Royaume-Uni, qui considère qu’un opérateur licencié dans une législation « amie » (selon l’élaboration d’une white list) est autorisé à développer son offre sur le territoire. Face à la multiplication des acteurs sur le marché, et aux nouvelles possibilités de paris ouvertes par internet, lutter contre la corruption passe par la diminution de l’attractivité du marché pour les criminels et donc par un strict contrôle de la manière d’en tirer profit. Cela revient à réduire les passerelles d’enrichissement et de blanchiment, et, parallèlement, à réaliser un contrôle accru des mouvements et des mises sur le marché. Une telle entreprise nécessite une collaboration étroite des opérateurs de paris, que l’on pourrait désigner comme des « acteurs coopératifs » selon leur propension à se positionner sur des marchés régulés. La régulation de l’offre, la détection de cas suspicieux sur la base des mouvements de paris anormaux, et la veille du marché illégal, sont des moyens de contrecarrer les tentatives de corruption sportive. Les États commencent à intégrer ces problématiques mais conservent des logiques propres liées à leur histoire et à leurs objectifs. Dans tous les cas, la coopération internationale est incontournable pour préserver l’intégrité des rencontres et, malgré des approches de régulation différenciées, favoriser la lutte contre le marché illégal.

1. La régulation de l’offre : encadrer et surveiller les paris

Une exploitation concertée avec le mouvement sportif

Il est primordial que les responsables du sport soient informés et conscients des éléments et faits de jeu qui font l’objet de paris sur leurs compétitions et leurs équipes. La multiplication des acteurs sur les marchés des opérateurs, la multiplication des rencontres sportives couvertes et la diversité des

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formules proposées sont des éléments que le mouvement sportif doit appréhender pour identifier les risques qui seraient de nature à favoriser la corruption, selon les disciplines et selon les compétitions.

L’approche des régulations française, italienne et australienne (État de Victoria) a conduit à générer une liste de paris autorisés. Cette volonté relève en partie d’un souhait de limiter le recours à des paris qui, indéniablement, ne sont pas motivés par l’« amour du jeu récréatif » mais procèdent plutôt d’une recherche d’enrichissement. En France, cette liste est organisée par sport et selon deux axes, d’une part les « catégories de compétition », d’autre part les « types de résultats et phases de jeu correspondantes ». Ainsi, des paris tels que le premier carton jaune ou l’expulsion de tel ou tel joueur en football sont aujourd’hui prohibés en France. Il s’agit aussi d’empêcher de parier sur des rencontres entre équipes de championnats secondaires ou sur des compétitions amateurs, ou encore dans des pays où pèsent des soupçons de corruption systémique dans les championnats1.

Jusqu’à mai 2011, l’offre de paris sur les matchs amicaux internationaux de football était prohibée en France. Les évènements de 2011 soulignent les risques de telles rencontres. Le cas d’Antalya2 et celui du match Argentine/Nigeria3 en février, puis celui d’un tournoi amical aux Émirats arabes unis en mai20114, qui ont tous fait l’objet d’enquêtes de la FIFA, illustrent les risques inhérents à ce type de rencontres. Un plus faible contrôle de la fédération, du fait d’enjeux sportifs limités, peut ainsi ouvrir la voie à des manipulations. Comme il est très difficile d’envisager d’interdire les paris sur des matchs amicaux, il est important que ceux-ci fassent l’objet d’une attention particulière des organisations sportives. Cela passe notamment par des vérifications systématiques de l’identité des organisateurs de ces rencontres.

Nous avons également constaté dans la première partie de cette étude que certaines formules de paris sont par essence plus risquées. Elles peuvent dès lors encourager à la mise en place de fraudes spécifiques, jugées « anodines » par les cibles de la corruption, parce qu’elles ne modifient pas l’essentiel, à savoir le résultat final d’une compétition. Dans le cas des joueurs de cricket condamnés en novembre 2011, les manipulations portaient sur le manquement volontaire de trois actions de jeu5.

Étant donné la diversité des cadres règlementaires et la permanence du principe de subsidiarité, il revient au régulateur, en étroite concertation avec le mouvement sportif dont l’expertise technique est essentielle, de fixer les types de formules à risques et d’opérer la surveillance de la conformité des opérateurs de paris avec la loi en vigueur sur leur territoire.

La logique d’exploitation du sport par les opérateurs justifie une concertation étroite sur les types de paris autorisés dans les différentes disciplines. L’agrégation de données macroéconomiques sur l’offre et la demande du marché des paris sportifs, selon les sports et compétitions, peut permettre de prendre des décisions dans la durée et de sans cesse adapter l’offre aux facteurs de risque. Le régulateur peut ainsi servir d’interface pour centraliser ces informations à destination du mouvement sportif.

1 Pour un exemple de liste, celle de l’ARJEL au 26 mai 2011 : http://www.jeu-legal-france.fr/20110526_SportsAutorisesARJEL.pdf. 2 http://www.guardian.co.uk/sport/2011/feb/14/fifa-investigation-heavy-betting-friendlies. 3 http://www.huffingtonpost.com/2011/06/04/fifa-argentina-match-fix_n_871345.html. 4 http://www.asiaone.com/News/Latest+News/Sports/Story/A1Story20110505-277235.html. 5 http://www.lepoint.fr/sport/deux-joueurs-pakistanais-de-cricket-reconnus-coupables-de-corruption-01-11-2011-1391403_26.php.

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À cette fin, le droit au pari, instauré en France et en Australie dans l’État de Victoria, constitue un des moyens de porter cette logique de concertation. Ce droit conditionne la possibilité pour les opérateurs de paris de proposer des formules et ainsi d’obtenir un accord avec l’organisation sportive concernée. Il s’agit donc d’un droit d’exploitation donnant lieu au préalable à la négociation d’accords. Il implique le reversement d’une partie des mises enregistrées ou gains réalisés par les opérateurs au mouvement sportif. Ce droit au pari est présenté comme un moyen de financer l’intégration du risque de corruption par le mouvement sportif. Les bénéfices tirés doivent permettre de mettre en place les mesures d’anticipation et de prévention. Le mouvement sportif milite quasi-unanimement pour un tel droit. On peut notamment citer le SROC (Sports Rights Owner Coalition), groupe informel représentant plus de quarante organisations sportives, qui milite activement pour que ce droit soit reconnu au niveau européen1.

L’État de Victoria en a été le pionnier avec la législation introduite en 2004. En fonction des paris autorisés par le régulateur, les opérateurs ont ensuite l’obligation de signer un contrat avec l’organisateur pour obtenir l’autorisation du régulateur de proposer des paris. Ce dernier a d’ailleurs un rôle de médiateur et conciliateur dans l’hypothèse où les protagonistes n’arriveraient pas à se mettre d’accord. Les bénéfices qui en sont issus représentent environ 5 % du PBJ (Produit brut des jeux).

En France les contrats concernent, sauf rares exceptions, 1 % des mises. En un an les bénéfices dégagés des paris en ligne, en l’occurrence principalement pour le football professionnel, s’élèvent à 530 000 euros, ce qui est considéré comme un résultat faible. Cela s’explique par le fait que les évènements sportifs servant de supports de paris organisés en France ne couvrent que 15 % du montant total des paris enregistrés au plan national.

Le rapporteur de la loi française du 12 mai 2010, Jean-François Lamour, souligne que les vertus du droit au pari résident moins dans le profit qu’il peut représenter pour les organisateurs sportifs que dans l’outil de gouvernance de choix qu’il constitue, en leur permettant de mieux appréhender le poids des paris dans leurs disciplines et compétitions respectives. Le droit au pari est ainsi et surtout, outre une source de financement de la lutte contre la corruption sportive, un « outil d’encadrement et d’incitation à la surveillance des évènements sportifs ». Fin novembre 2011, le ministre des sports britannique a évoqué son souhait de mettre en place ce droit au Royaume-Uni2.

Le droit au pari, en facilitant une certaine logique d’arbitrage par les organisations sportives des paris autorisés sur leurs compétitions, sert ainsi tout à la fois de raison d’être et de support à cette exploitation concertée.

À noter toutefois que le droit au pari s’assimile à un droit de propriété intellectuelle qui permet en l’état le financement du sport professionnel en fonction du dynamisme des paris selon les disciplines. Compte tenu de la disparité de sa répartition selon les sports, il faut poser la question d’une éventuelle redistribution à la faveur de disciplines moins armées pour se prémunir de la corruption sportive. Par ailleurs, il semble important de porter le principe d’une utilisation systématique des bénéfices du droit au pari au profit de l’intégrité du sport.

1 http://sroc.info/images/stories/SROC_Position_Paper_on_Betting_-_31_May_2011.pdf. 2 http://www.igamingfrance.com/paris-sportifs-le-royaume-uni-va-instaurer-un-droit-au-pari-dici-2015-2016/25581.

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Il s’agit enfin de s’interroger sur la question du financement du sport amateur, que ce soit par le vecteur du droit au pari (dans une logique de redistribution), ou de manière complémentaire par la mise en place d’une contribution systématique des opérateurs. Les loteries, qui financent de manière traditionnelle le sport amateur, sont aujourd’hui concurrencées par des opérateurs privés qui ne se soumettent pas à une telle démarche, ce qui accentue les risques liés au financement durable du sport pour tous. Celui-ci est un axe fort du « plan de travail » en faveur du sport du Conseil de l’Union européenne (UE) pour la période 2011-20141.

La problématique des formules à risques

Le développement du live betting (ou In-play betting) génère des risques particuliers, d’abord parce que son contrôle en temps réel est peu aisé, ensuite parce que certaines formules de paris sont plus faciles à manipuler, enfin parce que les parieurs peuvent adapter leur comportement en fonction des variations de cotes du marché. À cet égard, certains criminels sont soupçonnés d’influencer une rencontre directement aux abords du terrain en utilisant divers codes. De plus le live betting pose la question des risques d’addiction qu’il génère. Sa pratique s’apparente davantage à une logique de jeu de hasard, et s’éloigne, dans une certaine mesure, d’une culture du pari fondée sur l’expertise sportive ou le soutien à une équipe. Face à ces risques et dérives, il apparaît a priori difficile d’interdire le live-betting, qui représente aujourd’hui plus de deux tiers du marché des paris sportifs, mais néanmoins souhaitable de le réglementer soigneusement et de l’encadrer étroitement. En effet, son succès nécessite de disposer d’outils de contrôle ultrasophistiqués et instantanés. Ce contrôle renforcé sur le marché des paris sportifs doit avoir des prolongements aux abords du terrain pour s’assurer de l’intégrité du comportement des participants sportifs et veiller à ce qu’ils ne soient pas soumis, en marge et pendant les rencontres, à des influences extérieures.

Le betting exchange (agrégation ou bourse d’échanges de paris), interdit en France, présente également un risque particulier. Tout d’abord le fait de pouvoir parier « contre » un évènement ou une équipe soulève des enjeux d’éthique, notamment par rapport aux valeurs fondamentales du sport liées au fairplay et au respect de l’adversaire. Il s’agit en outre d’un support permettant d’endosser indifféremment le rôle du parieur (back) ou de l’opérateur (lay), ce qui autorise des techniques d’arbitrage semblables à celles observées sur les marchés financiers, et ce d’autant plus qu’il permet d’obtenir les taux de retour aux joueurs les plus élevés du marché des paris sportifs (souvent supérieurs à 97 %). Au-delà même des risques de blanchiment qu’il est susceptible de faciliter, le betting exchange est une forme de pari particulière qui peut permettre de gagner « à tous les coups », notamment en se couvrant à l’aide d’un pari approprié en cas d’échec d’une tentative de corruption sportive. Le betting exchange permet également de spéculer sur des rumeurs de corruption ou de délits d’initiés, en misant sur les variations des cotes d’un événement.

Plus généralement, réguler l’offre revient à s’interroger sur son destinataire. Le marché des paris sportifs est en effet un marché d’offre comme l’atteste son développement ces dernières années. La demande est plutôt dominée par des parieurs professionnels qui s’adonnent à cette activité dans une logique de placements financiers pouvant s’apparenter au trading en bourse. Leur objectif est de bénéficier de la globalisation de l’offre pour opérer des arbitrages intéressants. 75 % du PBJ de la

1 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2011:162:0001:0005:fr:PDF.

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plupart des opérateurs du marché est réalisé par 5 % des parieurs, qui misent dans le cadre d’une démarche quasi professionnelle (ou addictive)1. Les 95 % restants peuvent être considéré comme le grand public, à la pratique récréative.

Afin de préserver l’esprit de pratique amateur, ou « populaire », plusieurs mesures semblent nécessaires. Outre une limitation du taux de retour au joueur qui peut de fait modérer l’intérêt des groupes ou organisations criminels, il semble aussi important de fixer les possibilités de mises à des niveaux raisonnables, à la fois pour limiter les risques de dépendance et de surendettement associés, mais aussi pour éviter que le marché des paris sportifs ne devienne qu’un simple outil aux fins de spéculation professionnelle.

2. Le contrôle de la fraude

Le régulateur doit jouer un rôle central dans la détection de la fraude, considérée ici comme la détection des paris irréguliers. Pour ce faire il doit être en mesure de connaître les évolutions du marché, les mises véhiculées, et la concentration des mises en fonction des compétitions. Cette vision doit également être facilitée en temps réel, compte tenu du développement très important du live-betting. Détecter des irrégularités permet ensuite d’établir des niveaux d’alerte et de prendre les mesures nécessaires en cas de fraude. Le régulateur doit jouer le rôle d’interface et de centralisation des données concernant cette dernière. Il peut à cette fin s’appuyer notamment sur les systèmes de monitoring existants chez certains opérateurs de paris.

Les systèmes de monitoring Le monitoring des paris sportifs est un outil efficace de surveillance et de suivi, qui peut à la fois servir d’alerte précoce, ou, utilisé a posteriori, contribuer à comprendre une fraude. La veille exercée sur le marché des paris sportifs permet de détecter des mouvements anormaux et suspicieux, et ce en fonction de plusieurs critères tels que l’évolution des cotes, les volumes pariés, leur provenance géographique, etc. Il s’agit d’un axe fort développé ces dernières années à l’initiative des acteurs du marché. Ainsi, le monitoring s’est développé, généralisé, et même mutualisé entre opérateurs. Outre son utilité pour la gestion de l’activité et l’observation de la concurrence, il est aussi utilisé et mis en avant comme un outil de veille sur les risques de corruption sportive. Un bon monitoring permet à un opérateur d’accroître sa marge sur les mises, notamment du fait des économies générées par la modification de certaines cotes consécutives à des paris suspicieux. S’il n’est pas déterminant et suffisant en lui-même pour établir des cas de corruption comme le serait un contrôle anti-dopage, il constitue néanmoins un support utile pour tenter d’appréhender la fraude. Le monitoring est appliqué en pré-match et en live. C’est aujourd’hui le live qui cristallise le plus de risques, car les truqueurs savent que du fait de la rapidité du système, la vigilance ne peut y être aussi efficace que pour les paris en pré-match. En effet, l’instantanéité couplée à la multitude de flux rend le contrôle bien plus complexe. La plupart des opérateurs du marché se concentrent actuellement sur le live, qui permet de multiplier l’offre de paris proposée, et, par conséquent, d’accroître sensiblement les

1 Entretien auprès de CK Consulting le 22 mars 2011 à Paris.

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mises. Par ailleurs, les marges réalisées par les opérateurs en pré-match sont de plus en plus réduites, du fait de la compétition entre opérateurs sur les taux de retour aux joueurs, mais aussi parce que de nombreux parieurs sont des professionnels au moins aussi experts que les coteurs. Dans ce contexte, les opérateurs mettent en place des systèmes sophistiqués de matrice entièrement informatisés, qui permettent une appréciation plus fine en cas de mouvement suspect, et qui peuvent servir à des identifications de fraudes a posteriori. Plusieurs paris peuvent faire l’objet de mesures d’alertes, notamment lorsque le placement semble irrationnel par rapport au niveau des équipes en jeu (en pré-match) ou en fonction de l’évolution du score (en live). Les soupçons s’accroissent si les liquidités sur le marché sont importantes, si certaines mises individuelles sont particulièrement élevées, ou encore si un grand nombre de comptes sont concernés et proviennent d’une même aire géographique. Les coteurs qui suivent le marché pour les opérateurs peuvent parfois eux-mêmes observer des mouvements suspects en temps réel. Par exemple, dans le cadre du match amical Nigéria/Argentine en juin 2011 sur lequel la FIFA a ouvert une enquête, les livers ont pu témoigner de la convergence d’éléments suspects : l’inscription d’un but supplémentaire sur un pénalty douteux à la 98ème minute, alors que le temps additionnel prévu était de cinq minutes, phénomène concomitant avec l’enregistrement d’un important volume de mises pour un but supplémentaire en fin de match sur le site de betting exchange de Betfair1. Le monitoring permet également de recenser le nombre de paris placés sur un même évènement sportif, sur des faits de jeu, ou de rendre compte des mises importantes placées sur des compétitions de séries inférieures. Outre l’étude des paris, le monitoring s’applique également à la surveillance des comptes clients. Ainsi des ouvertures massives de comptes pour placer des paris en vue d’un évènement sportif particulier peuvent constituer un indice de dynamique criminelle. Ces systèmes de détection et d’alerte sont de trois ordres :

- Élaborés au sein de chaque opérateur à des fins de développement et de protection de l’activité (risk management), et dont l’emploi peut être étendu à la détection du blanchiment d’argent et de la fraude sportive,

- Mutualisés entre opérateurs pour une mise en commun des alertes permettant de disposer d’éléments complémentaires d’appréciation,

- Intégrés aux organisations sportives via le recours à des systèmes ciblés de surveillance de leurs compétitions.

Les systèmes internes aux opérateurs

Chaque opérateur met en œuvre des mesures spécifiques de sécurité pour protéger son activité. Des échelles d’alerte sont établies, sur la base desquelles des rapports sont élaborés par sport et par compétition. Les comptes joueurs sont également suivis et analysés. Une partie des données est traitée à des fins de gestion de l’activité d’une part (de manière à optimiser les marges de l’opérateur), et d’alerte en cas de fraude, d’autre part. Les opérateurs surveillent en particulier les paris des joueurs les

1 Entretien avec un liver, juin 2011. NB : Un bon coteur doit avoir un goût affirmé pour les chiffres et l’analyse des tendances numéraires afin de bien comprendre la logique des cotes. Il doit disposer d’une bonne mémoire, et, de plus en plus, doit avoir une bonne connaissance du sport.

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plus rentables et/ou qui réalisent de mises élevées. Les opérateurs connaissent ainsi bien leurs parieurs professionnels (ou wise men). Ces systèmes servent également à surveiller les prix établis par les coteurs pour limiter les pertes en cas d’erreur. Les opérateurs redoutent en particulier les inversions de cote, en premier lieu sur le marché du live. Étant donné la rapidité et l’effervescence dans laquelle les paris se pratiquent en direct, les coteurs ne sont pas à l’abri de maladresses techniques ponctuelles, et il s’agit là d’un créneau sur lequel les parieurs les plus aguerris se positionnent afin de générer des profits. En outre, les systèmes de contrôle interne servent à se prémunir contre les risques liés à des coteurs malveillants qui pourraient utiliser leur position privilégiée pour s’enrichir, soit eux-mêmes, soit en fournissant des informations à des complices. Ainsi, un coteur peut devenir acteur de la fraude s’il modifie subitement les cotes (en les inversant) pendant quelques secondes, offrant à des complices voire des organisations criminelles la possibilité de réaliser un bénéfice garanti. En France, La Française des Jeux dispose d’un service de contrôle du jeu qui suit la politique de fixation des cotes sur les différentes rencontres, et assure le lien avec la direction de la sécurité en cas de détection de mouvement suspects. Celle-ci peut ensuite s’appuyer sur un canal multimédia, qui est en mesure de procéder aux vérifications complémentaires sur la base de paramètres antérieurs et des données comparatives disponibles, en fonction de la nature de l’alerte, avant d’établir son propre jugement sur l’intégrité de la rencontre et/ou des parieurs1. La société Betfair a également mis en place un système de monitoring qui est primordial compte tenu de la spécificité des risques de manipulation liés au betting exchange. Ce monitoring est d’autant plus important que la situation quasi monopolistique de l’entreprise sur son marché lui permet de concentrer des volumes de mises très importants. Les volumes de paris, et, en conséquence, l’évolution des cotes, font l’objet d’informations détaillées qui sont aussi accessibles aux clients2. Notons toutefois que Betfair ne peut être directement touché au plan financier par une fraude, puisque la technique du betting exchange est sans risque pour l’opérateur, qui se rémunère sur les gains des parieurs. Betfair anticipe donc en premier lieu un risque qui pourrait peser sur son image. Pour les opérateurs, l’enjeu est de tendre à une informatisation quasi-totale de leurs systèmes de contrôle via des matrices de cohérence préétablies. Une telle mesure permettrait de cantonner l’intervention de l’intelligence humaine au dernier stade d’alerte. En effet, les rencontres se multiplient et les ressources humaines ne sont pas de nature à croître aussi rapidement que le nombre de compétitions couvertes. Dans les cas de live betting, on imagine bien que, sans recours à l’informatique, tout contrôle serait quasiment inexistant. La mutualisation des outils de monitoring

En Europe, les loteries et les opérateurs privés ont chacun établi des procédures de mutualisation des outils, afin de disposer de données comparatives leur permettant d’appréhender plus finement le

1 Entretien département du Contrôle du jeu de La Française de Jeux le 28 juin 2011 à Boulogne-Billancourt. 2 Entretien service « Intégrité » de Betfair le 14 avril 2011 à Londres.

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risque. Ainsi, en cas de doute, si le mimétisme est établi par d’autres opérateurs partenaires, alors le niveau de suspicion s’élève. La mutualisation permet de vérifier si d’autres supports de paris ont été la cible des corrupteurs.

European Lottery Monitoring System (ELMS)1 Les loteries européennes ont été les premières à initier une telle démarche de coordination. Leur association remonte à 1999, intitulée à l’époque Match Info. Elle visait initialement le partage de connaissances sur leur domaine d’activités. Le système ELMS a été imaginé en 2005 et est depuis 2009 pleinement opérationnel. L’équipe de monitoring est composée de techniciens et analystes, basés à Copenhague, au sein de la loterie danoise. Ses membres effectuent un suivi en temps réel de plusieurs indicateurs : les volumes générés par les rencontres sur Betfair et l’évolution des cotes, tant chez les principaux opérateurs européens que chez les poids lourds du marché asiatique. L’association centre son action sur le football, et ce sont environ 5 000 rencontres qui ont été suivies entre janvier à octobre 2011, sur lesquelles quatre-vingt-treize alertes ont été émises. Désormais, l’ELMS envisage d’étendre ses compétences notamment vers le tennis et le basketball. En termes de fonctionnement, les membres peuvent s’appuyer sur un site internet officiel auquel ils ont accès confidentiellement à l’aide d’un mot de passe. A partir de celui-ci, les membres peuvent consulter l’ensemble des évènements sportifs qui ont fait objet d’alertes, selon une échelle de risque comportant cinq niveaux. Par ailleurs, des alertes mails sont générées par l’équipe et adressées automatiquement à l’ensemble des services dédiés au sein des loteries membres (le département Contrôle du jeu pour La Française des Jeux par exemple). Ces dernières doivent dès lors signaler si elles-mêmes ont constaté des anomalies susceptibles de nourrir le doute, notamment par rapport aux volumes enregistrés ou aux variations des cotes, anormales ou brusques. Aujourd’hui, l’Association des loteries européennes (EL) souhaite étendre ce système, avec l’aide de la World Lottery Association (WLA), aux loteries asiatiques (par exemple le Hong-Kong Jockey Club) et aux acteurs majeurs des autres continents. Aujourd’hui, les loteries ne sont pas les acteurs dominants dans les paris sportifs en Europe. Néanmoins, leur rôle de précurseurs et leur histoire partagée avec les pouvoirs publics leur confèrent une légitimité particulière, notamment dans l’optique d’étendre le monitoring aux autres régions du monde. La plateforme internet est un support particulièrement pertinent, permettant aux membres de disposer au quotidien de données précises et agrégées. En juin 2011, à l’occasion de leur Assemblée générale annuelle, les loteries européennes ont inscrit leur engagement dans la perspective de la préservation de l’ordre public et de l’intégrité du sport (Déclaration d’Helsinki). Elles y indiquent plus particulièrement leur motivation à combattre le blanchiment d’argent, considéré comme le levier principal de risque de corruption liée aux paris sportifs.

European Sports Security Association (ESSA)2 L’ESSA est une association d’opérateurs privés, dont les dix-sept membres sont des opérateurs leaders du marché en Europe. Créée en 2005 et composée à l’origine de six membres, l’ESSA est basée à

1 Entretien le 7 juin 2011. Voir https://www.european-lotteries.org/home.php. 2 Entretien le 8 mars 2011. Voir http://www.eu-ssa.org/.

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Bruxelles, et sa seule vocation est la préservation de l’intégrité du sport. L’opérateur Bwin en est l’un des membres les plus importants, et c’est essentiellement sur cet opérateur que repose l’Early Warning System de l’ESSA, à travers un système avancé basé à Gibraltar. Celui-ci accueille une équipe de sécurité composée de cinq personnes et dirigée par un headbookmaker, qui a pour mission d’étudier les mouvements suspects signalés par les membres de l’ESSA. L’association dispose également d’un bookmaker basé à Londres chez Ladbrokes. Elle est fondée sur le partage d’informations et, si elle communique sur les volumes, elle ne va pas toutefois jusqu’à échanger des données sur les comptes des parieurs en cas d’alerte. En 2010, l’ESSA a émis cinquante-huit alertes qui ont fait l’objet d’une enquête approfondie, dont quatre ont été considérées comme traduisant un important niveau de suspicion. Le recours à des prestataires par les organisations sportives

Sportradar1

Sportradar est une société commerciale qui a développé le système le plus abouti en termes de veille sur les opérations de paris. Elle a été créée en 2000, et emploie aujourd’hui trois cents collaborateurs, son activité s’étant considérablement accrue ces dernières années. L’entreprise est présente dans dix pays, en Europe principalement, mais également à Hong-Kong et en Russie. Elle est spécialisée dans le football mais ses activités se diversifient de plus en plus vers d’autres sports (handball, tennis, basketball, hockey sur glace). Les outils qu’elle a développés sur le live sont parmi les plus sophistiqués du marché. Sportradar est en contact avec environ trois cents opérateurs de paris sportifs – aussi bien des loteries que des opérateurs privés – principalement en Europe. Elle effectue 70 % de son chiffre d’affaires sur l’offre de données sportives à ces opérateurs (système Betradar), et 20 % sur des informations vendues aux médias. Elle propose en parallèle au mouvement sportif – les 10 % restant – des systèmes de détection de fraude, spécifiquement pour les accompagner dans le suivi de l’intégrité des compétitions (Betting Fraud Detection System ou BFDS). Une douzaine de personnes est affectée à ce service. Sportradar dispose d’une coopération avec l’UEFA depuis 2005, et travaille également directement avec des ligues professionnelles nationales (notamment en Allemagne et en France), ainsi qu’occasionnellement avec les autorités publiques. Le monitoring est concentré sur deux indicateurs : d’une part le mouvement des cotes des opérateurs, et d’autre part l’observation des liquidités chez Betfair. Concernant la variation des cotes, trois types de données sont analysés par le système BFDS : les cotes réalisées en pré-match, celles réalisées en live, et enfin l’Asian handicap des plus importants opérateurs. La société dispose aussi d’un coffre de données, mis à jour instantanément par une matrice informatique reprenant l’historique des rencontres et l’évolution de leurs scores. Ce système d’agrégation de données permet de disposer d’informations spécifiques sur les joueurs et les arbitres, basées sur le déroulement des rencontres auxquelles ils ont participé. Ces données, non publiques, permettent de croiser une multitude de critères et de participer à l’identification de pistes en cas de soupçon. Ce système sert aussi à la détermination des seuils d’alerte, qui sont établis en fonction de niveaux de déséquilibre, de 20 % (niveau vert), 50 % (niveau orange) et

1 http://www.sportradar.ag/.

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100 % (alerte rouge). Les alertes rouges sont transmises aux fédérations sportives de manière à leur permettre de prendre des sanctions le cas échéant. Il est à noter que 1 % des rencontres se situent en zone orange et rouge. Se fondant sur ses observations, Sportradar estime ainsi que trois cents rencontres professionnelles de football sont potentiellement truquées chaque année en Europe1.

L’Early Warning System (FIFA) et l’International Sports Monitoring (CIO) L’EWS a été mis en place à l’initiative de la FIFA en 2006 pour suivre les mouvements de paris à l’occasion du Mondial, et s’attache depuis lors au suivi de l’ensemble des rencontres internationales2. Il dispose de six salariées, et le coût annuel pour la FIFA est d’environ un million d’euros. L’ISM, qui est une sorte de filiale d’EWS, s’appuie pour sa part sur la même infrastructure technique ; mais est indépendante financièrement et n’est mise en place que de façon ponctuelle, en l’occurrence pour suivre les compétitions olympiques. De même que pour les autres systèmes de monitoring, l’EWS-ISM s’appuie sur une matrice informatique. L’accès aux informations est permis grâce à la mise en place de memorandums of understanding, accords non-contractuels signés avec près de quatre cent cinquante opérateurs de paris – publics et privés – dont deux tiers peuvent être considérés comme pleinement coopératifs et actifs dans la transmission de données. Parmi ces partenariats, on compte plus d’une vingtaine d’opérateurs asiatiques (parmi lesquels les quatre plus importants : IBC, SBO, 188, Singbet), et une même proportion d’opérateurs en provenance des Balkans (qui sont toutefois beaucoup moins importants en parts de marché)3. L’une des spécificités de l’EWS est de faire appel à des ressources humaines de veille, des informateurs, au nombre d’une vingtaine, qui opèrent en toute confidentialité, selon leurs spécialités, par sport ou par segment d’offre. Actuellement, l’EWS ne travaille pas directement avec les confédérations de la FIFA mais certains contacts ont été pris, notamment avec la confédération asiatique. Concernant les autres sports, le CIO encourage ses fédérations à recourir au système pour leurs compétitions, ce qui a été le cas ponctuellement (pour la fédération internationale de basketball par exemple). Il n’y a toutefois pas encore de coopération pérennisée.

Apports et limites des systèmes de monitoring Le monitoring peut être un outil probant de détection. Ainsi de grands opérateurs comme Bwin ou la société Sportradar avaient détecté les paris frauduleux liés à l’affaire Hoyzer, dans laquelle Oddset, opérateur public allemand, avait perdu plus de 26 millions d’euros. Cette affaire avait démontré que le marché légal n’était pas complètement exempt de risques, et pouvait également servir de support à la corruption. C’est d’ailleurs à la suite de ce scandale que Bwin a été à l’initiative de la création d’ESSA. On peut également évoquer le cas emblématique de l’affaire Davydenko en 2007, pour laquelle l’opérateur Betfair était cette fois à l’origine de l’alerte. Le joueur russe, pourtant largement favori,

1 http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-11789671. 2 http://fifa-ews.com/. 3 Entretien le 5 août 2011.

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avait abandonné dans le troisième set. Betfair avait enregistré plus de 6 millions de dollars de paris sur ce match, alors que la moyenne pour ce type de rencontre (second tour d’un tournoi annexe) est normalement estimée à dix fois moins. Plus encore, la plupart de ces sommes étaient pariées sur la victoire de son adversaire, et cette tendance s’est maintenue au cours du match alors même que Davydenko avait remporté le premier set. Compte-tenu de la conservation de nombreuses données, le monitoring peut être utile a posteriori pour disposer de certaines de celles-ci dans le cadre d’investigations et d’enquêtes. Ainsi, dans le cas du FC Podeba, l’UEFA avait mandaté un expert afin qu’il procède à une étude des données de paris. Celui-ci avait conclu à l’existence de tendances fortement inhabituelles sur le marché asiatique. Dans le cadre du procès de Bochum, le directeur de Sportradar a été entendu comme témoin. Ainsi les opérateurs et autres acteurs du marché ont une position stratégique, et peuvent être les observateurs de premier plan d’une anomalie qui peut cacher un système de corruption des compétitions sportives. Malgré cela, la portée du monitoring pour lutter contre la corruption sportive connaît quelques limites :

- Une alerte ne constitue pas une preuve. Il peut en effet y avoir beaucoup d’explications à des mouvements suspects, comme certaines caractéristiques de la rencontre sportive (contreperformance, blessure, etc.). La plupart des alertes automatiques émises par ces systèmes ne peuvent donc automatiquement être interprétées comme des cas de trucage avérés. Il faut ensuite passer à un autre niveau d’alerte, celui qui résulte du croisement des informations entre alertes automatiques et données préexistantes sur les participants sportifs (cf. supra Sportradar). Dans ce cas, cela permet d’affiner le diagnostic. Quoi qu’il en soit le monitoring ne peut suffire à prouver un cas de trucage. Il faut ensuite systématiquement enquêter à un autre niveau.

- Il est admis que la corruption s’exerce en particulier sur le marché illégal, qui fonctionne en dehors de toute régulation. En effet les opérateurs licenciés dans des juridictions relativement contraignantes ne sont pas les plus attractifs pour les criminels car, pour parier, ils doivent fournir un certain nombre d’informations qui permettent de faciliter leur identification en cas d’opération suspecte. En outre, les systèmes de monitoring transparents sont propres aux opérateurs « responsables » ou « coopératifs ». Dans le cas du « marché gris », il est certes possible d’accéder et d’intégrer les informations relatives aux variations des cotes de ces opérateurs, mais les données les plus utiles, celles relatives aux volumes de mises, ne sont pas accessibles.

- De manière générale, le fait que les volumes de mises et leur origine géographique ne soient connus que des opérateurs eux-mêmes (hors betting exchange) – pour des raisons de confidentialité face à la concurrence – ne permet pas une appréciation plus fine de la localisation des risques. L’analyse de tendances géographiques et la tenue de données agrégées sur le volume des mises rapporté au nombre de parieurs engagés n’existent pas à l’heure actuelle. Seuls les opérateurs peuvent par conséquent se livrer individuellement à ces éléments d’analyse et de détection d’activités douteuses.

- Dans de nombreux pays, il n’y a pas d’obligation légale pour les opérateurs de donner l’alerte. D’ailleurs, même lorsque cette obligation existe, comme c’est le cas au Royaume-Uni, sa portée est conditionnée à la mise en lumière de cas avérés permettant ensuite de vérifier si les

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opérateurs s’y sont bien conformés. De plus, ces derniers n’ont pas les mêmes critères concernant les seuils d’alerte. À l’heure actuelle, il n’a pas encore été envisagé d’établir des critères communs. Enfin, il n’y a pas d’audits de surveillance qui permettraient de s’assurer de la pleine intégrité des opérateurs.

- Par-delà la corruption, on peut noter que les techniques de couverture de risques ou encore les sure bets (processus qui consistent à miser sur les cotes les plus élevées du marché chez des opérateurs différents afin de générer un bénéfice garanti) peuvent également contribuer à générer des paris a priori inhabituels et brouiller la détection des fraudes. En effet, un pari dont le montant sera jugé « irrationnel » peut parfaitement émaner d’un parieur professionnel qui profite d’un sure bet, ou d’un opérateur qui couvre un risque. Dans ce cas, ce pari ne serait pas le fruit d’une manipulation de rencontre sportive.

- Les systèmes automatisés d’alertes, aussi sophistiqués soient-ils, ne sont pas en mesure de tout

repérer. Il arrive parfois que ces systèmes ne détectent pas de mouvements suspects, mais cela n’exclut pas pour autant qu’il y ait eu fraude. Par exemple, dans le cadre des deux cents premiers matchs incriminés lors de l’instruction de Bochum, la grande majorité des rencontres avait été suivie par Sportradar, mais seuls six d’entre elles avaient fait l’objet d’une alerte. Les matrices de cohérence ne sont pas infaillibles, elles doivent en permanence être réinitialisées, et ces systèmes ne peuvent faire l’économie de l’intelligence humaine.

- Les corrupteurs s’adaptent en permanence à leur environnement et le placement des paris opérés (en particulier dans la perspective de blanchir de l’argent) peut ainsi être suffisamment diffus pour échapper à la vigilance des systèmes de surveillance. En effet, les multiples opportunités offertes par le marché ouvrent la voie à des placements méthodiques, équilibrés et dispersés, permettant de contourner les systèmes d’alertes.

- L’échange d’informations entre opérateurs sur les comptes joueurs (provenance, dynamisme, supports, etc.) est difficile, pour des raisons diverses : lois protégeant les données personnelles et les échanges de fichiers, environnement concurrentiel, obligations de confidentialité vis-à-vis des clients, etc.

- Ces systèmes de monitoring sont surtout développés chez les Européens, mais cette culture de

la surveillance n’existe pas chez les opérateurs asiatiques. Pourtant, ces derniers disposent de multiples canaux de détection qu’ils utilisent en particulier en cas d’inversion de cotes qui auraient pu bénéficier aux parieurs. Dans ces cas, ils peuvent fréquemment être amenés à annuler des paris douteux. En revanche, ils ne communiquent absolument pas en matière de soupçon de trucage.

- Enfin, compte tenu du décloisonnement des marchés et de la pratique répandue de couverture de risques par les opérateurs eux-mêmes, tout trucage peut être véhiculé et diffusé sur différents marchés et chez différents opérateurs. À cause de cela, les systèmes de monitoring ne permettent pas toujours d’identifier l’origine et la provenance initiale du trucage.

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Le rôle d’interface du régulateur On constate aujourd’hui que les memorandums of understanding entre les opérateurs ou associations d’opérateurs avec les organisations sportives sont encore insuffisants à générer des mécanismes de veille partagés. Dès lors, un dispositif de points de contact semble essentiel, par opérateur et par sport (et par fédération ou ligue selon les disciplines ou la compétition), car il est important de disposer de passerelles étroites autour du régulateur dans tout cas de suspicion, que celle-ci provienne du sport ou des opérateurs, et ce de sorte à être le plus réactif possible (notamment en pré-match). Un tel dispositif permettrait de faire converger suffisamment d’éléments d’informations vers un interlocuteur unique, dans un temps record, et, par suite, d’abandonner ou au contraire d’approfondir les investigations, afin notamment d’activer le cas échéant le levier politico-judiciaire. Ce dispositif doit être centralisé par le régulateur, qui aurait à charge d’assurer le suivi des alertes, et d’informer en conséquence d’un côté le mouvement sportif et de l’autre les opérateurs. Cette idée d’interface au sein de l’autorité de régulation semble être de nature à favoriser un meilleur contrôle et une visibilité élargie en cas d’alerte émise par un ou plusieurs opérateurs. Le régulateur peut centraliser les informations et générer ainsi une sorte de coffre-fort, dans lequel toutes les données sont conservées et accessibles, puis ensuite informer lui-même le mouvement sportif en cas d’alerte sérieuse émise par un système de monitoring. Une telle procédure paraît importante pour ne pas multiplier ou dupliquer les démarches. À cette fin, il peut par exemple être envisagé qu’obligation soit faite aux opérateurs de réaliser, de manière trimestrielle, des rapports d’activité incluant des éléments sur le dynamisme du marché sur certains sports, certains clubs, certaines compétitions, assortis d’analyses transverses sur d’éventuelles anomalies constatées. Le régulateur pourrait également être en charge de croiser certaines données, afin de vérifier que les personnes interdites de paris ne disposent pas de comptes-joueurs chez les opérateurs. C’est cette même logique qui a présidé à la mise en place au sein de certaines autorités de régulation d’unités dédiées à l’intégrité du sport. Ainsi, le Sports Integrity Panel au Royaume-Uni a recommandé en 2010 la création d’une unité dédiée au sein de la Gambling Commission, la Sports Betting Integrity Unit (SBIU)1. Sa mission est de collecter et analyser les données relatives aux possibilités de fraude sur le marché des paris sportifs. Elle emploie douze personnes en son sein et s’appuie également sur l’Enforcement Unit de la Gambling Commission qui emploie dix personnes chargées des investigations. L’unité bénéficie aussi du travail de cinquante compliance managers qui sont en charge de surveiller que les opérateurs se plient aux règles générales. Au Royaume-Uni, les opérateurs ont pour obligation de signaler les paris suspects, qui constituent dès lors la principale base de travail de la Gambling Commission. Quand une alerte est donnée, une enquête préliminaire est organisée. Elle est menée auprès des autres opérateurs, des autorités sportives, des services de police et en utilisant la base de données de la Gambling Commission pour glaner un maximum d’informations. Puis on fait une estimation (assessment) où on décide si le cas mérite d’être approfondi. Si l’enquête se poursuit, on décide enfin qui en aura la charge (prosecuting competences), même si en pratique ce sont souvent des structures régionales de police qui réalisent les enquêtes. Au

1 http://www.sportingintelligence.com/2010/02/01/anti-corruption-experts-uk-needs-sports-integrity-unit-010202/.

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final, deux cent quarante alertes ont été traitées depuis la création de la SBIU en 2009, mais cent d’entre elles n’ont pas dépassé le stade de l’enquête préliminaire. La Gambling Commission est en mesure d’effectuer des tests sur les systèmes d’alertes des opérateurs sur lesquels elle a autorité. Elle a aussi la possibilité d’annuler tous les paris et de les faire rembourser en cas de problème, et ce pendant une période de six mois. En cas de suspicion d’activités criminelles, il n’y a alors plus de limite dans le temps. La France a suivi le même modèle en créant au sein de l’ARJEL un département Sport en charge des alertes sur les paris sportifs. Elle utilise à cette fin un système appelé Frontal qui est un dispositif de recueil et d’archivage sécurisé des données sur des événements et sur les échanges entre joueur et plateforme. Le régulateur est considéré comme le plus à même de centraliser l’information, que cela soit pour les interdits de jeu en général ou les conflits d’intérêt pour le monde du sport. La centralisation peut ainsi contribuer au croisement de données confidentielles provenant d’interlocuteurs différents, tandis que l’obligation de déclaration de soupçon et le renforcement des mesures de monitoring permettent, le cas échéant, d’activer les mesures répressives, tant du côté du mouvement sportif qu’en cas de paris, supports de trucage. Il est important de disposer d’une procédure en cas d’alerte, notamment dans le cadre de la prise de contact avec le mouvement sportif en vue de réaliser en interne les vérifications nécessaires. Ce rôle d’interface du régulateur permet de centraliser les informations, ce qui ensuite est nature à faciliter une concertation entre États, en particulier pour lutter contre le marché illégal.

L’opportunité d’une approche européenne Beaucoup de questions se sont posées au niveau européen suite aux différents recours introduits devant la CJCE ces dernières années. Ceux-ci ont conduit de nombreux États à réguler l’activité de paris sportifs en ligne. Le principe général est que les jeux d’argent et de hasard constituent une prestation de services soumise à restriction pour des raisons d’intérêt général, d’une part la protection des consommateurs (lutte contre la dépendance), d’autre part la défense de l’ordre public (éviter les délits et les fraudes). Ainsi, au sein de l’Union européenne, le principe de subsidiarité s’applique. À l’international, faute de convention spécifique, la même logique prévaut, ce qui conduit à une multitude de législations, et donc à des approches différenciées du champ que couvre le marché illégal. Une réflexion est en cours au sein de l’Union européenne pour la règlementation des jeux en ligne, qui comprend la question des paris sportifs. La Commission, qui a suspendu les procédures d’infractions, s’interroge sur l’opportunité d’une régulation au niveau européen. Ainsi, elle a lancé en 2011 une consultation sur les jeux d’argent et de hasard en ligne au sein de l’UE pour laquelle plus de deux cent cinquante réponses ont été apportées1. Cette consultation doit aboutir à une prise de position de la Commission en 2012. En novembre 2011, le Parlement européen a souligné la nécessité d’une approche concertée de la lutte contre le jeu illégal au sein de l’UE2.

1 http://ec.europa.eu/internal_market/services/gambling_fr.htm. 2 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/content/20111118STO31845/html/Une-action-coordonn%C3%A9e-pour-lutter-contre-les-jeux-d%27argent-en-ligne-ill%C3%A9gaux.

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Aujourd’hui les autorités de régulation nationales ne disposent pas d’un lieu formel de concertation sur leurs activités respectives et de discussion sur les juridictions. Compte-tenu du caractère globalisé du marché, cette démarche semble essentielle. Le rôle d’interface joué au niveau national par les autorités de régulation peut contribuer au renforcement d’une lutte contre le marché illégal au niveau européen. La disparité des législations ne doit pas être un frein à une coopération étroite. Dans un rapport d’octobre 2011, le Parlement européen préconise ainsi « un renforcement notable » de la collaboration entre autorités réglementaires nationales – sous la coordination de la Commission – en soulignant que « les solutions nationales isolées ne fonctionnent pas pour identifier les joueurs figurant sur les listes noires et lutter contre le blanchiment des capitaux, la fraude sur les paris et d’autres formes de criminalité organisée »1. Une concertation entre régulateurs permet aussi de voir les bonnes pratiques et instruments efficaces déployés par les juridictions nationales. Cela concerne en particulier les mesures techniques qui peuvent être prises à l’endroit du secteur bancaire ou des fournisseurs d’accès à Internet. La mobilisation prend de l’ampleur ces derniers mois au niveau de l’Union européenne, notamment en écho à la publication du Livre vert de la Commission et en réponse aux efforts de la présidence polonaise du Conseil au second semestre 2011, qui a abouti à des conclusions invitant à une approche concertée2. En outre, une commission du Parlement européen a récemment appelé à la création d'une Agence européenne de l'intégrité et de l'équité sportives, « établie dans le respect des articles 6, 83 et 165 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ». Sa mission consisterait « à coordonner la lutte contre la fraude et la corruption dans le sport ainsi que la lutte contre le dopage, sans préjudice des règles et du mode de fonctionnement de l'Agence mondiale antidopage » (Rapport Auconie, juin 2011)3.Cette option peut être étudiée en concertation avec le mouvement sportif. Quoi qu’il en soit, il semble indispensable et urgent pour celui-ci de bien appréhender ce « nouveau » secteur d’activités qui constitue une menace majeure pour son intégrité. Toute approche régionale et, plus encore, internationale peut servir à lui donner une meilleure vision des facteurs et supports de risques, afin de mieux les combattre.

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1 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2011-0342+0+DOC+PDF+V0//FR. 2 http://consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/educ/126413.pdf. 3 Projet d’avis de la Commission européenne, « Environnement, santé publique et sécurité alimentaire » : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-467.280+01+DOC+PDF+V0//FR&language=FR.

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III. RECOMMANDATIONS Le présent Livre blanc s’est attaché à démontrer les risques majeurs pour l’intégrité du sport que constituent les manœuvres de manipulation de rencontres à des fins d’enrichissement sur le marché des paris sportifs. Les voies ouvertes par les technologies de l’information et la globalisation de l’offre de paris placent les organisations sportives devant un phénomène nouveau depuis une dizaine d’années. La lutte contre la corruption sportive passe par l’adoption de mesures pour sensibiliser et dissuader les participants sportifs. Les autorités publiques ont également un rôle important à jouer, d’une part pour dissuader les protagonistes de participer à ces pratiques frauduleuses, et d’autre part en décidant de réguler le marché globalisé des paris sportifs. Compte-tenu des logiques transnationales à l’œuvre, des passerelles de coordination internationale sont indispensables en matière de police et de justice. Elles le sont aussi en matière de surveillance du marché illégal, car même si les approches et le périmètre de la régulation des paris sportifs varient selon les pays, tous les États sont préoccupés par les risques qui pèsent sur le sport et son intégrité, ainsi que sur l’ordre public et la sécurité.

A. Pour les acteurs

1. POUR LE MOUVEMENT SPORTIF

Règlementation

Adoption de normes prohibant pour les parties prenantes de s’adonner aux paris sportifs et de

communiquer des informations sensibles à des tiers, assorties de sanctions disciplinaires sévères. Dans l’hypothèse d’une implication dans un trucage, ou d’une tentative de trucage, portant soit sur le résultat final soit sur un fait de jeu, sanctions sévères et proportionnées.

Obligation de rapporter toute tentative d’approche et obligation de déclarer un soupçon sur des tiers (whistle-blowing) avec garanties de confidentialité et mesures de protection le cas échéant.

Sensibilisation

Mise en œuvre d’un programme d’information à destination des dirigeants des organisations

sportives, axé sur la connaissance du marché global des paris sportifs et des risques associés. Mise en œuvre d’un programme d’éducation auprès des acteurs du terrain axé sur les méthodes

d’approche déployées par les corrupteurs et sur les risques pour leur carrière en cas de participation à une entreprise frauduleuse.

Connaissance, veille, surveillance

Connaissance des dynamiques du marché et de l’exploitation commerciale des championnats et

compétitions par les opérateurs de paris. Les organisations sportives doivent être en mesure d’appréhender l’exposition de leur discipline aux paris sportifs. À cette fin, le mouvement sportif

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coopère étroitement avec les autorités de régulation. Ces dernières ont à charge de récolter l’information auprès des opérateurs.

Établissement par sport de listes de paris autorisés et catégorisation selon une échelle de risque. De même sur les compétitions et les périodes à risque.

Surveillance accrue au cours des compétitions sportives (déroulement des rencontres, entourage des acteurs du terrain, etc.), et en particulier des compétitions où les enjeux sportifs sont moindres (matchs de fin de saison, de fin de poules, etc.).

Mise en place d’opérations de testing afin de renforcer la surveillance et la dissuasion, auprès de différents acteurs du domaine sportif (arbitres, joueurs, dirigeants…).

Intégration de ressources

Coordination au sein d’une cellule dédiée à la lutte contre la fraude sportive attachée à la fédération

internationale. Mise en place d’un réseau de points de contact (sport betting integrity officers) chargé de

coordonner l’action, d’assurer le relais informationnel au sein de son organisation et le lien avec les autorités publiques.

Mise en place de protocoles à suivre en cas d’approche ou de suspicion, à la fois au sein de l’organisation sportive et en lien avec les autorités.

Le préalable pour le mouvement sportif est de prendre acte du caractère majeur, pernicieux et diffus de la menace. Les organisations sportives doivent en conséquence inscrire au rang de priorité la lutte contre la corruption sportive dans leurs objectifs et préoccupations de gouvernance.

Une première recommandation prioritaire : la création d’un Observatoire de la corruption sportive commun à tous les sports. Une base de données pourrait être centralisée au niveau des fédérations internationales. Elle rassemblerait l’ensemble des informations utiles aux organisations sportives sur la corruption liée aux paris. Au fur et à mesure, cet observatoire permettrait de concentrer les informations sur l’intégration progressive du risque par les différentes organisations sportives en fonction des disciplines et des types d’organisations (fédération nationale, ligues, associations d’athlètes, etc.). Comme pour le cas du dopage, – pour lequel l’intégration du risque a permis de disposer de données agrégés sur

son ampleur et étendue –, cet observatoire permettra au fur et à mesure de disposer de données quantitatives, à la fois sur la base des cas de suspicions et sur la base des procédures disciplinaires ou pénales engagées dans les différentes organisations sportives et pays. Ses compétences seraient strictement limitées à l’agrégation de données factuelles (y compris sensibles), qui seront notamment rapportées grâce au travail des structures dédiées ou integrity officers au sein du mouvement sportif. Son champ sera multiple : recensement des affaires tous sports confondus, partage d’expériences entre disciplines, évolution des aspects législatifs dans les différents États (régulation des paris sportifs et état des lieux des poursuites pénales). Cet observatoire servirait de laboratoire de réflexion sur l’opportunité de créer une Agence pour l’intégrité du sport, à l’image de ce que préconise le Rapport Auconie, qui disposerait de compétences formelles et d’un pouvoir de contrainte et de sanction à l’endroit du mouvement sportif. Si la création d’une telle agence semble pour le moment prématurée, la mise en place d’un Observatoire de la corruption sportive permettra d’apprécier la faisabilité et la valeur ajoutée d’une telle structure.

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2. POUR LES AUTORITES PUBLIQUES

Régulation de l’offre de paris sportifs

Mise en place au sein des autorités de régulation nationale d’une unité dédiée à l’intégrité des paris

sportifs qui soit à la fois une interface entre les opérateurs, le mouvement sportif, et les services de police, de renseignement et de justice.

Obligation pour les opérateurs de disposer de licences d’exploitation auprès du régulateur en concertation avec les organisations sportives quant au périmètre de l’offre.

Obligation pour les opérateurs de communiquer chaque trimestre un bilan d’activités détaillé sur les résultats d’exploitation des compétitions (éléments sur les volumes, rapportés aux compétitions et aux équipes, obligation de déclaration de cas sur la base de seuils prédéfinis).

Plus généralement, mise en place d’outils de régulation des paris sportifs de manière à les rendre moins attractifs pour le crime organisé.

Contrôle de la fraude

Centralisation du monitoring des opérateurs (soumis à obligation de déclarations de soupçons) et

croisement de l’ensemble des données disponibles sur le marché régulé (principe d’un coffre-fort). Interface avec les organisations sportives en cas de détection de paris irréguliers et obligation de

suivi pour ces dernières Utilisation par les États du levier des fonds publics importants versés à certaines disciplines

sportives moins médiatisées pour les obliger à adopter des mesures anti-corruption. Coopération avec la justice, la police et les services de renseignement

Recours juridiques

Pénalisation de la fraude sportive par la création d’un champ infractionnel avec sanctions

renforcées en cas de lien avec les paris sportifs. Construction d’un arsenal juridique propre aux paris sportifs s’inspirant des mesures existantes

pour les marchés financiers afin de lutter contre les délits boursiers (délit d’initiés, manipulation d’instruments financiers et propagation de fausses informations)1. .

Désignation au sein de la police judiciaire d’une autorité nationale compétente affectée à la lutte contre la corruption sportive.

Sensibilisation des acteurs de la lutte contre la criminalité, en particulier les autorités de renseignement.

1 Cf. directive n° 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 28 janvier 2003, portant sur les délits d’initiés et les manipulations de marché en vue de protéger l’intégrité des marchés financiers et maintenir la confiance du public.

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Recensement des structures de lutte contre la corruption et de leur contribution à la question spécifique de la fraude sportive. Opportunité pour les Organisations non gouvernementales qui luttent contre la corruption de

se constituer partie civile dans des cas de corruption sportive. Extension de la saisie des avoirs criminels aux cas de corruption sportive1 Publication automatique des condamnations.

B. Enjeux de coordination internationale

3. Gestion de la diversité des approches de régulation des paris sportifs

Approche concertée au niveau de l’Union européenne : mise en place au niveau européen d’une

institution formelle et permanente inter-régulateurs, dont les travaux seraient menés en respect du principe de subsidiarité en tenant compte des spécificités de juridiction. Lieu d’échange sur les alertes émises et traitées aux niveaux nationaux. Détermination de critères communs sur les « opérateurs coopératifs », à savoir ceux limitant

l’exercice de leur activité au marché régulé (respect des dispositions nationales). Approche élargie : sensibilisation des gouvernements, réseau « d’États coopératifs ».

Poursuite et soutien de la démarche du Conseil de l’Europe qui permet au-delà de l’UE de sensibiliser les pays d’Europe de l’Est. Elle permet par ailleurs d’étudier la faisabilité et les conditions d’une convention internationale.

Concertation sur la régulation du marché asiatique avec les autorités concernées.

Une deuxième recommandation prioritaire : la création d’une structure permanente intergouvernementale de surveillance et de suivi de l’offre de paris sportifs sur internet. Celle-ci centraliserait les données sur les types et formules de paris proposés selon les sports sur le marché mondial, agrègerait des informations sur les volumes de paris enregistrés, des statistiques sur les opérateurs de paris, sur les caractéristiques du marché (techniques de couverture et d’arbitrage), etc. Une telle structure s’appuierait en premier lieu sur le monitoring centralisé par les régulateurs nationaux, et pourrait également s’appuyer sur la participation des opérateurs (coopératifs) pour agréger de l’information et contribuer, par leurs savoir-faire, à l’approche du marché dérégulé. Cet Observatoire du marché mondial des paris sportifs pourrait se constituer en composante d’une approche plus large, notamment au niveau européen, d’un Observatoire du marché illégal du jeu. Cette dernière option permettrait, le cas échéant, de traiter plus largement de l’ensemble des risques que véhiculent les marchés du jeu sur internet, et notamment celui encore sous-estimé du blanchiment d’argent.

1 Cf. les compétences en France de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), instaurée en octobre 2011 : http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSD1103707C.pdf.

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4. Lutte contre les réseaux criminels transnationaux

La pénétration de la criminalité dans le monde du sport conduit au constat du besoin pour celui-ci de s’appuyer sur des relais d’investigation reposant eux-mêmes sur un cycle de renseignement collecte, analyse, partage : Au niveau européen : coordination des polices et justices nationales par la création au sein

d’Europol et d’Eurojust de points de contact affectés à la lutte contre la corruption sportive. Centralisation et échanges d’informations, veille juridique et réglementaire.

Sur le plan international : coordination du renseignement via Interpol, en concertation avec des structures nationales en charge du suivi de la criminalité organisée, et également en lien avec des organismes intergouvernementaux comme le GRECO (groupe d’États contre la corruption) au sein du Conseil de l’Europe, et de l’ODC (Office contre la drogue et le crime) au sein des Nations-Unies.

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ANNEXES

Liste des entretiens menés dans le cadre de la préparation du Livre blanc

MOUVEMENT SPORTIF

Professional Players Federation (PPF), Simon Taylor (General Secretary) – 14 avril 2011 – Londres (Royaume-Uni)

Tennis Integrity Unit (TIU), Jeff Rees (Director) et Elli Weeks (Financial Analyst) – 15 avril 2011 – Londres (Royaume-Uni)

Sportaccord, Ingrid Beutler (Manager Sports’ Social Responsibility Department) – 23 mai 2011 – Lausanne(Suisse)

Comité international olympique (CIO), Pâquerette Girard-Zappelli (Secretary of the Ethics Commission) – 23 mai 2011 – Lausanne (Suisse)

Federation of International Football Associations (FIFA), Chris Eaton (Head of Security) – 27 juin 2011 – Lyon (France)

Source protégée, ancien joueur de football albanais – 27 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Source protégée, ancien arbitre de football albanais – 28 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Source protégée, ancien entraineur d’un club de football albanais et de l’équipe nationale albanaise under 21 – 28 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Source protégée, joueur de football albanais – 29 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Source protégée, entraineur d’un club de football albanais – 30 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Julien Bérenger (Conseiller auprès de la direction générale) – 26 juillet 2011 – Paris (France)

Federation of International Basketball Associations (FIBA), Benjamin Cohen (Legal affairs manager) – 3 août 2011 – Lausanne (Suisse)

Union des Associations Européennes de Football (UEFA), Pierre Cornu (Chief counsel – Integrity and regulatory affairs), Graham Peaker (EU Legal Affairs Advisor) et Julien Zylberstein (Intelligence Coordinator) – jeudi 4 août 2011 – Nyon (Suisse)

Association des joueurs professionnels de Handball (Franck Leclerc) et Union des basketteurs professionnels / EU Athletes (Jeff Reymond) – 30 septembre 2011 – Paris (France)

Football Association (FA), Mathieu Moreuil (Head of European Public Policy) – 13 octobre 2011 – Entretien téléphonique

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Fédération française de tennis (FFT), Emilie Montané (Directrice juridique) – 25 octobre 2011 – Paris (France)

OPERATEURS DE PARIS/MONITORING

European Sports Security Association (ESSA), Khalid Ali (Secrétaire général) – 8 mars 2011 – Bruxelles (Belgique)

European Gaming and Betting Association (EGBA), Florian Cartoux (Senior Advisor) – 9 mars 2011 – Bruxelles (Belgique)

European Lottery (EL), Friedrich Stickler (Président) – 6 juillet 2011 – Entretien téléphonique

Betfair, Andy Cunningham (Head of Integrity), Susannah Gill (European Public Affairs Manager) et Remote Gambling Association (RGA), Jason Foley-Train (Head of Communication) – 14 avril 2011 – Londres (Royaume-Uni)

La Française des Jeux, Thierry Pujol (Directeur de la gestion des risques et de la sécurité), Francine Ruellan (Responsable sécurité économique), et Jean-Philippe Ronteix (Responsable Contrôle du jeu) – 28 juin 2011 – Boulogne Billancourt (France)

Source protégée, employé d’un opérateur de paris albanais – 28 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Source protégée, dirigeant d’un opérateur de paris albanais – 29 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Early Warning System (EWS-ISM) – Detlev Zenglein (Head of Competition Analysis) et Friedrich Martens (Manager Competition Analysis and Communications) – 5 août 2011 – Zurich (Suisse)

Sportradar, Darren Small (Director Integrity) et Ben Patison – 1er septembre 2011 – Richmond-on-Thames (Royaume-Uni)

REGULATEURS/AUTORITES PUBLIQUES/COORDINATION INTERNATIONALE

Gambling Commission, Neill Ireland (Head of the Sports Betting Intelligence Unit) et Paul Morris (Policy development manager for remote gambling) – 13 avril 2011 – Birmingham (Royaume-Uni)

Conseil de l’Europe (EPAS), Stanislas Frossard (Secrétaire exécutif) – 6 mai 2011 – Paris (France)

Direction générale de la gendarmerie nationale, Chef d’escadron Johanne Gojkovic-Lette (Bureau des Affaires criminelles, section délinquance financière et cybercriminalité) – 13 mai 2011 – Paris (France)

Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), Elénore Para, Cécile Thomas-Trophime (Direction juridique) – 19 mai 2011 – Paris (France)

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Pôle de Zagreb, Stéphane Dekerle (Colonel de gendarmerie) – 15 juin 2011 – Paris (France)

Ambassade française en Albanie, Jean-Louis Jacquinet (attaché de sécurité intérieure) – 27 juin 2011 – Tirana (Albanie)

General Directorate of Albanian police, source protégée (unité de lutte contre paris illégaux) – 28 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Commission européenne, DG Éducation Culture, Gianluca Monte (Policy Officer) – 12 juillet 2011 – Bruxelles (Belgique)

Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) Courses et Jeux, Jean-Pierre Alezra (Directeur) et Martine Chapelot (Chef de la division Courses) –1er septembre 2011 – Paris (France)

Commission des jeux de hasard, Etienne Marique (Président) et Marc Callu (Expert juridique) – 23 août 2011 – Bruxelles (Belgique)

Cellule de lutte contre la fraude dans le monde du football, Steven De Lil (Directeur), Alain Luyckx (Chef de service) – 23 août 2011 – Bruxelles (Belgique)

Cellule de traitement des informations financières (CTIF), Philippe de Koster (Président suppléant), Nathalie Laukens (Criminologue) – 24 août 2011 – Bruxelles (Belgique)

Commission européenne, DG Marché intérieur, Robert Mulac (Legal Officer) – 24 août 2011 – Bruxelles (Belgique)

Interpol, Emmanuel Leclaire (Assistant Director Command and Coordination Center) et M. Yau (Head of project AOC Drugs and Criminal Organizations Sub-directorate) – Lyon (France)

EXPERTS/ASSOCIATIONS

Noël Pons, consultant, spécialiste de la lutte contre la fraude sportive – 3 mars 2011 – Paris (France)

Philippe Chassagne, spécialiste des Balkans – 28 mars 2011 – Paris (France)

Transparency International (TI), Julien Coll (Délégué général) – 4 mai 2011 – Paris (France)

Source protégée, ancien analyste de la Direction du renseignement militaire, spécialiste de la criminalité russe – 17 mai 2011

Monitor Quest, Jonathan Joffe (Chief Executive Officer) – 29 juin 2011 – Paris (France)

Source protégée, journaliste sportif albanais – 30 juin 2011 – Tirana (Albanie)

Jean-Patrick Villeneuve, Professeur à l’IDHEAP (Institut des hautes études en administration publique) – 9 août 2011 – Entretien téléphonique

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Philippe Vlaemminck, avocat, spécialiste de la régulation des paris sportifs –23 août 2011 – Bruxelles (Belgique)

Christian Kalb, consultant, CK Consulting – 22 mars 2011 – Paris (France)

SEMINAIRES/REUNIONS

- Réunion du Comité de direction et du comité consultatif de l’EPAS (Conseil de l’Europe) – Projet de recommandation « Manipulation des résultats sportifs » – 7 juin 2011 – Strasbourg (France)

- “Fighting Fraud and Discrimination in Sport : the next steps” – Parlement européen – 22 septembre 2011 – Bruxelles (Belgique)

- SportAccord, Forum des fédérations internationales, “How to Stop Match Fixing from Destroying your Sport”, 14 novembre 2011 – Lausanne (Suisse)

- Séminaire UEFA-Association internationale des procureurs, 24 novembre 2011 – Nyon (Suisse)

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BIOGRAPHIES DES AUTEURS DU LIVRE BLANC

IRIS

Pascal BONIFACE – Directeur de l'IRIS

Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l'Institut d'Études européennes de l'Université de Paris 8.

Il dirige également La Revue internationale et stratégique (parution trimestrielle depuis 1991) et L'Année stratégique (parution annuelle depuis 1985).

Il a écrit ou dirigé la publication d'une quarantaine d'ouvrages ayant pour thème les relations internationales, les questions nucléaires et de désarmement, les rapports de force entre les puissances, ou encore la politique étrangère française ou l'impact du sport dans les relations internationales.

Pascal Boniface publie de nombreux articles dans des revues internationales de géopolitique et intervient régulièrement dans les médias, qu'ils soient nationaux ou internationaux, écrits ou audiovisuels.

Il est éditorialiste pour l'hebdomadaire Actuel (Maroc), et les quotidiens La Croix (France), La Vanguardia (Espagne), et Al Ittihad (Emirats arabes unis).

Pascal Boniface a présidé la Commission de prospective sur l'avenir du football auprès de la Fédération française de football. Il est aujourd'hui Secrétaire général de la Fondation du football.

Il est Chevalier de l'Ordre national du mérite et Chevalier de la Légion d'honneur.

Sarah LACARRIERE – Chercheur, IRIS

Sarah Lacarrière est chercheur à l’IRIS depuis 2009. Elle participe aux activités du pôle défense et sécurité, en particulier sur les mécanismes internationaux de gestion de crise. Parallèlement, elle mène des recherches sur les enjeux du développement durable, et s’intéresse plus spécifiquement aux négociations climatiques internationales. Elle travaille enfin sur les problématiques liées à l’internationalisation et à la géopolitique du sport, et a notamment coopéré aux côtés de Joël Bouzou à la réalisation de l’ouvrage La Paix par le Sport (éditions IRIS/Armand Colin, 2010).

Titulaire d’un Master 2 recherche Défense et sécurité internationale (Université Pierre Mendès France – Grenoble II) et d’un Master 2 professionnel Sécurité globale (Université Montesquieu - Bordeaux IV), elle est aujourd'hui co-responsable pédagogique du diplôme d’études fondamentales « Relations Internationales » de niveau master 1 d’IRIS SUP’.

Pim VERSCHUUREN – Chercheur, IRIS

Pim Verschuuren travaille sur les questions sportives dans les relations internationales au sein de l’IRIS depuis 2010. Il a contribué à la préparation de l’ouvrage La Coupe de monde dans tous ses États (Larousse, 2010) avec Pascal Boniface.

Parallèlement Pim Verschuuren est co-responsable pédagogique du diplôme d’études fondamentales « Relations Internationales » de niveau Master 1 de l’IRIS SUP’.

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Ses domaines de compétences concernent plus largement les aspects liés à la défense et la sécurité internationale. Il a effectué un stage à la Direction générale Relations externes de la Commission Européenne où il a travaillé sur les relations de l’Union européenne avec les pays d’Asie de l’Est.

Il est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Rennes. Son mémoire de fin d’études était consacré à la question de la doctrine nucléaire française depuis la fin de la Guerre froide. Il a également réalisé une année universitaire à l’Université du Queensland, en Australie, où il a étudié les relations internationales du nord-est asiatique, avant d’obtenir un Master 2 Law and Politics of International Security à l’Université d’Amsterdam.

Alexandre TUAILLON – Directeur adjoint de l’IRIS

Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Lille et de la Faculté de droit de l’Université de Lille 2, Alexandre Tuaillon a intégré l’IRIS en 2001, après avoir mené différentes missions en collectivité locale (Mairie de Villeneuve d’Ascq) et en entreprises (EDF, Eurostar). Chargé de communication (2001-2006), il devient directeur des relations extérieures de l’IRIS (2006-2009) avant d’être nommé directeur adjoint de l’IRIS. Après avoir conduit le processus menant à la reconnaissance d’utilité publique de l’IRIS, il est désormais en charge des relations avec le secteur civil (entreprises et institutions). Il pilote également les programmes de formation professionnelle de l’IRIS (formations internes et formations en entreprises) et est en charge de la gestion du Conseil d’administration de l’IRIS. Alexandre Tuaillon est par ailleurs élu local (Ville de Montreuil et Communauté d’agglomération Est Ensemble, Seine-Saint-Denis).

UNIVERSITE DE SALFORD David FORREST – Professeur d'Économie, Université de Salford, RU et Professeur honoraire, Institut polytechnique de Macao

David Forrest a étudié l’économie à l’Université de Western Ontario, au Canada. Il est économiste et économètre, et s’est spécialisé dans deux domaines : le sport et les jeux d’argent. Ces dix dernières années, il a publié une cinquantaine d’articles universitaires et a été l’auteur de rapports officiels sur la corruption dans le sport et les jeux d’argent chez les enfants en Grande-Bretagne. Il joue un rôle de conseiller auprès de diverses instances de réglementation britanniques et fait office de commentateur expérimenté auprès des médias.

CABINET PRAXES AVOCATS Jean-Michel ICARD – avocat associé – Cabinet PRAXES Avocats

Associé fondateur du cabinet PRAXES Avocats, Jean-Michel Icard est avocat au Barreau de Paris depuis 1978 (mention spécialisation en droit commercial). Il intervient dans l’anticipation des risques, notamment pénaux, au profit de sociétés et/ou groupes de dimension nationale et internationale (transport, industrie, informatique, banque…). Aux côtés du Général Jean-Pierre Meyer, il met en œuvre en conseil et formation la méthode déposée MARPSA (Méthode d’Appréciation du Risque Pénal et Stratégie d’Anticipation) au profit de ses clients, afin de les assister utilement dans l’anticipation, la prévention et la solution de leurs risques, notamment, pénaux. Après avoir été, de 1982 à 1985, professeur de droit pénal des affaires à l’INTEC (Institut National des Techniques Économiques et Comptables) puis directeur de séminaire à l’Institut d’Etudes Judiciaires de Paris II-

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Assas en droit pénal général et des affaires de 1982 à 1989, Jean-Michel Icard a enseigné à l’École Centrale de Paris de 1986 à 2001. Il a été président du groupe professionnel Droit de l’entreprise au CPA (Groupe HEC), professeur au cycle d’études supérieures des Banques Populaires et dispense de nombreuses conférences et formations lors de colloques nationaux ou internationaux en matière de sécurité des entreprises. Il intervient également aux côtés du Pôle Européen de Sécurité - CNPP en ce qui concerne l’anticipation des risques et notamment pénaux dans l’entreprise. Il est titulaire d’un DEA de théorie et de pratique du droit pénal et de droit pénal des affaires – Paris II-Assas, diplômé HEC (EMBA – CPA) et Auditeur diplômé de la 20e session nationale de l’INHESJ. Général Jean-Pierre MEYER – Conseiller spécial – Cabinet PRAXES Avocats

Le Général (2e section) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales. En outre, il a effectué de nombreuses missions de conseil à vocation stratégique pour des grands groupes. Au sein du cabinet PRAXES Avocats, aux côtés de Maître Jean-Michel Icard et de son équipe, il met en œuvre en conseil et formation la méthode déposée MARPSA (Méthode d’Appréciation du Risque Pénal et Stratégie d’Anticipation). Il est ingénieur de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr, breveté à l’École de Guerre, Auditeur du Centre des Hautes Etudes Militaires (CHEM) et de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN). Il est également titulaire d’un MBA de l’IAE de Paris.

CCLS - China Center for Lottery Studies Xuehong WANG – Directeur exécutif – China Center for Lottery Studies(CCLS), Université de Pékin

Le Docteur Wang Xuehong est la première diplômée en gestion des jeux de l'Université du Névada (Reno) à être revenue en Chine pour se consacrer à l’étude des jeux d’argent. Dans le cadre d’un doctorat en études policières, elle a mené des recherches sur l’industrie des jeux d’argent en Chine, au sein de l’Institut de recherche sur la fiscalité du ministère des Finances chinois. En tant que Directrice du Centre d’études chinois sur les jeux de loterie (CCLS) de l’Université de Pékin, le docteur Wang, en plus des tâches courantes liées à cette fonction, est chargée du développement de projets universitaires et de programmes de formation. Elle a par ailleurs dirigé avec succès le comité chinois de préparation à la Conférence internationale sur l'industrie des jeux et la santé publique, qui se tient chaque année. Grâce à ses efforts, l’Université de Pékin a mis en place le premier cursus de formation en gestion des jeux d’argent (MPA), dans le cadre de la gestion de la santé publique en Chine. Ses recherches portent principalement sur l’industrie des jeux et tout particulièrement des jeux d’argent en Chine. Ses récentes études incluent des études policières, des études de marché et des études sur les problématiques des jeux d’argent.