Par Philippe Moniotte - Clichés de l'auteur. Pixels et chitine · macrophotographie ou “macro”...

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Le numérique, c’est quoi ? Dans son principe, la photo numé- rique n’est pas fondamentalement différente de la technique tradi- tionnelle, dite “argentique”. Dans les deux cas, un système de len- tilles plus ou moins complexe et réglable, projette une image sur une surface sensible à la lumière et qui enregistre durablement l’in- formation que constitue cette image. Simplement, le “film” à Insectes 29 n°137 - 2005 (2) Photographier les insectes sur le terrain a longtemps été le privilège de quelques spécialistes, souvent lourdement – et coûteusement – équi- pés. L’apparition de la photographie numérique a changé cette situa- tion et le simple promeneur, curieux d’entomologie, peut maintenant documenter ses observations par des photos de qualité très acceptable. Grammoptera ruficornis (Coléoptère Cérambycidé). Nikon Cool Pix 8700 au flash intégré, avec diffuseur. mation. C’est parce que cette in- formation est stockée sous la forme d’une liste de nombres que la technologie en question s’ap- pelle numérique. Pour le reste, Chrysolina coerulans (Coléoptère Chrysomélidé). Nikon Cool Pix 995 en lumière naturelle. Par Philippe Moniotte - Clichés de l'auteur . Pixels et chitine La photographie numérique des insectes dans leur environnement base de sels d’argent a été rem- placé dans les appareils photo nu- mériques (dits APN ou photo- scopes) par un capteur constitué d’un grand nombre de points sen- sibles, qui relaient vers la carte-mé- moire l’information concernant l’intensité et la couleur de la lu- mière qui les a atteints. Le nombre de ces points (appelés pixels) déter- mine la définition de l’image re- constituée à partir de cette infor-

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■ Le numérique, c’est quoi ? Dans son principe, la photo numé-rique n’est pas fondamentalementdifférente de la technique tradi-tionnelle, dite “argentique”. Dansles deux cas, un système de len-tilles plus ou moins complexe etréglable, projette une image surune surface sensible à la lumièreet qui enregistre durablement l’in-formation que constitue cetteimage. Simplement, le “film” à

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Photographier les insectes sur le terrain a longtemps été le privilège dequelques spécialistes, souvent lourdement – et coûteusement – équi-pés. L’apparition de la photographie numérique a changé cette situa-tion et le simple promeneur, curieux d’entomologie, peut maintenantdocumenter ses observations par des photos de qualité très acceptable.

Grammoptera ruficornis (Coléoptère Cérambycidé).Nikon Cool Pix 8700 au flash intégré, avec diffuseur.

mation. C’est parce que cette in-formation est stockée sous laforme d’une liste de nombres quela technologie en question s’ap-pelle numérique. Pour le reste,

Chrysolina coerulans (Coléoptère Chrysomélidé).Nikon Cool Pix 995 en lumière naturelle.

Par Philippe Moniotte - Clichés de l'auteur .

Pixels et chitine La photographie numérique desinsectes dans leur environnement

base de sels d’argent a été rem-placé dans les appareils photo nu-mériques (dits APN ou photo-scopes) par un capteur constituéd’un grand nombre de points sen-sibles, qui relaient vers la carte-mé-moire l’information concernantl’intensité et la couleur de la lu-mière qui les a atteints. Le nombrede ces points (appelés pixels) déter-mine la définition de l’image re-constituée à partir de cette infor-

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■ Le dilemme de la profondeurde champLes moyens qui s’offrent au photo-graphe pour optimiser la quantitéde lumière qui va créer une imagesur son capteur sont au nombrede trois : il peut augmenter letemps de pose, ouvrir davantage lediaphragme de l’appareil ou ap-porter un complément de lumièreartificielle. Examinons chacune deces possibilités dans le contexte dela macro de terrain.Augmenter le temps de pose, c’est-à-dire diminuer la vitesse de prise devue, pose le problème du “bougé” :une vitesse inférieure à 1/60e deseconde exige que l’appareil et lesujet soient immobiles pendant celaps de temps. Deux contraintesquasi-impossibles à satisfaire surle terrain.Ouvrir au maximum le dia-phragme, de manière à admettre leplus de lumière possible sur le cap-teur est une plus mauvaise solutionencore pour le macrophotographe.Pour le comprendre, il nous fautpénétrer les arcanes de la notion dela profondeur de champ (PDC) : laPDC est la zone située entre les dis-tances extrêmes où, pour un ré-glage donné de mise au point, lesobjets donneront une image nettesur le capteur. C’est, si l’on veut,une tranche de la réalité qui don-nera une image de bonne défini-tion. En deçà et au-delà, les objets

entre quelques centimètres etquelques dizaines de centimètres.La majorité des APN compacts(dont l’objectif est physiquementindissociable du corps de l’appa-reil) permettent sans accessoiresupplémentaire le fonctionne-ment en mode macro.Qui dit photo dit lumière. En ma-cro de terrain, le problème n’estpratiquement jamais un excès delumière disponible, mais aucontraire un déficit. Cette particu-larité, on va le voir, est la sourceprincipale des difficultés qu’il vanous falloir affronter.

toutes les lois d’optique qui déter-minent les conditions de prise devue sont identiques dans les deuxtypes de photographie. La grande différence, c’est que cesdonnées numérisées sont immé-diatement interprétables et mani-pulables par un ordinateur. Ellespeuvent être modifiées de toutes lesmanières, jointes à des messagesou des documents électroniques,converties en images imprimées,multipliées à l’infini et conservéessur des supports très compacts. Ajoutons que chacune de ces pho-tos étant virtuelle, on peut se per-mettre de “mitrailler” sans soucide gâcher de la pellicule et on vi-sualise instantanément ses photossur l’écran de l’APN : deux aspectsplus qu’utiles pour nous qui allonsphotographier dans la nature dansdes conditions souvent difficiles etimprévisibles.

■ Dessiner avec la lumièreAssez illogiquement, la photogra-phie de petits objets s’appelle lamacrophotographie ou “macro”pour faire court. Elle requiert l’uti-lisation d’objectifs qui lui sont par-ticuliers, et qui permettent de s’ap-procher de son sujet. Dans le casdes insectes, la distance de prisede vue est généralement comprise

Anoplius viatticus (Hyménoptère Pompilidé). Nikon Cool Pix 8700 au flash intégré, sans diffuseur.

Le Taon Tabanus bromius (Diptère Tabanidé). Nikon Cool Pix 995, en lumière naturelle.

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apparaîtront flous. Or, cette tranchede PDC s’amincit de manière dra-matique lorsqu’on s’approche dusujet. Pour la majorité des objectifs,elle ira par exemple de huit mètresjusqu’à l’infini, mais son épaisseurne sera plus que d’une paire de mil-limètres lorsque l’appareil est placéà cinq centimètres du sujet. C’estdire si ce paramètre prend touteson importance en macro. Et le dia-phragme, cet écran circulaire quis’ouvre et se ferme derrière les len-tilles pour régler la quantité de lu-mière admise (exactement commela pupille de l’œil) influence la PDC :fermer davantage le diaphragme(augmenter le nombre f, en jargonde photographe) augmente la PDC,et inversement. On voit ainsi que,pour obtenir la PDC nécessaire enmacro, nous voudrons fermer au-tant que possible le diaphragme,c’est-à-dire choisir le nombre f leplus élevé et réduirons donc ce fai-sant la lumière disponible sur lecapteur. Pour résumer, la macro de terrainva nous imposer de choisir des vi-tesses d’obturation et des réglagesde nombre f aussi élevées que pos-sible, alors qu’en général le photo-graphe de portraits ou de paysagescompense l’un par l’autre !

La solution consiste, au moins enpartie, à travailler dans des condi-tions de haute luminosité, soit ausoleil, soit en utilisant un flash,qui fournit une grande quantité delumière au sujet qui, en macro, estproche. Mais c’est une lumièredure, presque sans ombres, et ilengendre des reflets très gênantssur les surfaces polies ou réfléchis-santes. Pour ces raisons, on auraintérêt à utiliser un diffuseur delumière sur le flash – un simplemorceau de plastique ou de papiertranslucide fera souvent l’affaire.

■ La mise au pointLa mise au point (MAP) est, pourles raisons décrites plus haut, spé-cialement importante et critiqueen macro. Malheureusement, àmoins que vous ne disposiez d’un

APN reflex (auquel cas vous n’avezsans doute pas besoin de cesquelques conseils !), vous allezêtre obligé de faire confiance à lafonction automatique de MAP,l’“autofocus”. La majorité des APNsont pourvus de différents modesde mesure, qui permettent dechoisir quelle partie de l’image vir-tuelle est utilisée pour ce réglagede distance. Il faut impérative-ment sélectionner un mode ponc-tuel, qui permet de contrôler avecprécision, dans le viseur ou surl’écran LCD, quels éléments de laphoto seront dans la zone de net-teté (dans la PDC). En vérité, leproblème de la MAP en macro nu-mérique est souvent frustrant etest une cause majeure d’échecs.

■ Les recommandations pour débuterS’il n’ y pas de recette-miracle, onpeut toutefois donner quelquespistes à qui souhaite faire ses pre-mières armes. Tout d’abord, il est vital d’ap-prendre à connaître les fonctionsmanuelles ou semi-automatiquesde votre APN. Le mode automa-tique, on l’a compris, n’est presque

jamais adéquat pour la macro.C’est un des charmes du numé-rique, que l’on puisse s’exercersans frais et en constatant immé-diatement les résultats, surtout sil’on travaille à côté de son ordina-teur (j’ai bien dû prendre une cen-taine de macrophotos des touchesde mon clavier !) En pratique, commencez par ré-gler l’APN en mode priorité à l’ou-verture et sélectionnez le plusgrand nombre f disponible. Voyezsi la photo est suffisamment éclai-rée en déclenchant à la vitesse du1/250. Si la photo est sombre, pas-sez à une vitesse inférieure(1/125…) et vérifiez le résultat. Unevitesse inférieure à 1/30 étant dé-conseillée lorsqu’on travaille àmain libre, même avec appui, vousserez sans doute amené à dimi-nuer le nombre f si la photo esttoujours sombre à cette vitessed’obturation. Enfin, dans les situa-tions de faible éclairement, il fau-dra recourir au flash, de préférenceéquipé d’un diffuseur. De même sivous souhaitez réaliser un instan-tané d’insecte en mouvement.Cette petite routine empirique estune simple suggestion et chacun

L’Aeshne mixte (Aeshna mixta, Odonate Aeshnidé) mâle. Nikon Cool Pix 8700 en lumière naturelle.

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Le Moyen nacré, Argynnis adippe (Lépidoptère Nymphalidé). Nikon Cool Pix 995, en lumière naturelle.

L’Épeire des fissures, Nuctenea umbratica (Arachnidé) femelle occupée à tisser sa toile. Nikon Cool pix 995, vue nocturne au flash.

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développera sans doute son ap-proche personnelle. Elle est ra-pide, dés lors qu’on a l’APN bienen main et deviendra vite un auto-matisme permettant d’évaluerchaque situation.C’est peut être le moment de rap-peler qu’une photo originale légè-rement sous-exposée sera aisé-ment “corrigée” par la suite aumoyen des logiciels adéquats,alors qu’une photo surexposée aperdu définitivement l’informa-tion nécessaire à la création d’uneimage nuancée.

■ Sur le terrainTous les insectes ne sont paségaux devant la photographie.D’abord par leurs dimensions : lespapillons et les libellules, par leurtaille relativement avantageuse (etleur esthétique), constituent descibles de choix, en particulier pourle débutant. Ensuite par leur mo-bilité : les chenilles comme les co-léoptères bien patauds vous laisse-ront le loisir d’explorer lespossibilités techniques de votreAPN en toute tranquillité. Puis il ya les peureux, ceux qui déguerpis-sent ou s’envolent à la moindrealerte. Avec eux, il faudra ruser, lessurprendre par exemple dans uneactivité qui les absorbent, telle lachasse, la confection du nid, laponte ou… le sexe. Enfin, il y a lesinfatigables, ceux qui ne tiennentpas en place. Pour ceux-là, lesheures matinales ou bien untemps frais mais ensoleillé se révé-leront souvent plus propices en ra-lentissant l’activité.Quelques conseils généraux pourl’approche :- pas de mouvements brusques

(c’est la technique du caméléon !) ;- ne projetez pas votre ombre sur

l’insecte que vous guettez ;- approchez graduellement l’appa-

reil, en prenant une série de pho-tos de plus en plus rapprochées.De cette manière, vous conserve-rez quand même un document sil’insecte s’enfuit prématurément.

L’usage d’un tripode est en généralpeu pratique, voire impossible sur

le terrain. Pour stabiliser quandmême l’appareil, on utilisera unecrosse ou, plus simple et vraimentléger et peu encombrant, un “mo-nopode” téléscopique (muni d’unerotule), voire une simple canne ouun bâton.

■ À la maisonAvant l’apparition du numérique, lephotographe amateur se contentaitle plus souvent d’expédier son film àun laboratoire spécialisé, puis d’ad-mirer (ou de déplorer !) au retour lerésultat. Aujourd’hui, chaque ordi-

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nateur peut se muer en unechambre noire virtuelle, qui permetde manipuler les images dans unemesure qui laisse rêveur. Pour cela,il suffit de disposer d’un logiciel édi-teur d’image, d’un peu de pratique etd’une certaine dose d’imagination etde sens critique. Il en existe de com-plexité variable et les APN sont gé-néralement vendus avec une ver-sion de base à installer sur votreordinateur. Sans parler de l’éditeurqui fait partie intégrante de ce bonvieux Windows. Et puis, on peut ac-quérir des logiciels très complets,tels PaintShop ou Photoshop, dontles possibilités sont quasi illimitées,mais qui requièrent un apprentis-sage poussé. Une simple liste despossibilités d’un tel éditeur évoluéprendrait des pages et sortirait ducadre de cet article. En pratique,vous apprendrez en quelques mi-nutes à recadrer vos photos, à enchanger la teinte dominante, labrillance et le contraste ou bien à enoptimiser la netteté. Et tout cela àl’écran, de la manière la plus rapideet la plus intuitive qui soit. Le rêve,quand on se souvient des manipula-tions de la chimie argentique !Ceci posé, les outils miracles dunumérique ne corrigeront jamaiscomplètement les défauts de l’ori-ginal : il n’y a rien de tel qu’une ex-cellente photographie de départ,optimisée par traitement informa-tique. Sans exception, les photosqui illustrent cet article ont étéplus ou moins retravaillées.

■ Le choix d’un APNLe choix disponible est vaste etchange avec une rapidité désespé-rante, aussi je me garderai bien depréconiser une marque ou un mo-dèle. Cependant, si vous souhaitezacquérir un APN avec le projet depratiquer la photo d’insectes sur leterrain, voici quelques critères quidevront, par ordre décroissant d’im-portance, retenir votre attention :• la possibilité d’un mode macro etla distance minimale de mise aupoint. Cette dernière devrait êtreinférieure à dix centimètres. Deuxou trois cm sont une valeur idéale ;

• la disponibilité d’un mode de ré-glage manuel ou semi-automa-tique, vous permettant de modifierle nombre f et la vitesse d’obtura-tion en fonction de vos résultats ;

• la présence d’un écran LCDorientable est un avantage nonnégligeable ;

• les autres critères habituels de sé-lection, tels que résolution, qualitéde l’optique, domaine de focale(zoom) et… budget sont évidem-ment d’application comme pourtout choix d’appareil photo.

■ Et maintenant ? Outre l’impression conventionnelle(sur votre imprimante à jet d’encreou dans un laboratoire profession-nel), il y a de nombreuses manièresde tirer parti de vos photos numé-riques. Vous pourrez les partageravec vos amis via la messagerie élec-tronique, créer votre propre site sur laToile, pour le peupler de vos œuvresassorties des commentaires de votrecru ou encore participer à l’un oul’autre des nombreux groupesd’échange de photographie entomoou nature. Tels, parmi bien d’autres,http://fr.groups.yahoo.com/group/

photentomo/ (1) (groupe d’échange et de discussion francophone sur la photographie des insectes) ethttp://www.treknature.com/ (groupemultilingue d’échange de photos“nature”).

N’oubliez pas d’archiver vos docu-ments – plutôt deux fois qu’une ! –sur disque dur supplémentaire,CD ou DVD. À ce propos, signa-lons enfin que c’est une bonneidée de conserver systématique-ment vos documents originaux etpas seulement les versions amélio-rées, recadrées, etc. Il vous seraloisible de revisiter ces photos du-rant les longues soirées d’hiverpour en tirer peut-être un nouveauparti ou y repérer les détails quivous auraient échappé en pre-mière vision. r

L’auteur

Philippe Moniotte est fondateur etanimateur de la liste de diffusionPhotentomoContact : [email protected] personnel Entomopix à :http://users.skynet.be/fa213618

Pterostichus madidus (Coléoptère Carabidé) femelle. Nikon Cool Pix 995, en lumière naturelle.

(1) Voir Insectes n°132, p. 12.