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-5- UNE,ENQUETE A L'OREE DE LA PLURIDISCIPLINARITE (1) par Marc-Eric GRUENAIS (*I >Gaspard BOUNGOU Bernard LACOMBE Agnès GU I LLAUME La présente étudé a été rédigée par Marc-Eric GRUENAIS h partir des 616ments et discus- sions internes 2 Péquipe du projet de la Direction Générale de la Recherche Scientifique (D.G.R.S.) de la République Populaire du Congo et de l'Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (centre de Brazzaville) sur les "Normes démographiques et nouvelles dimension9 familiales au Congo". . . * * * PLAN Introduction I - Conception et Réalisation de l'Enquête 1.1, Conception initiale et stratégie finale 1.2. Une approche démographique sommaire 1.3. Les questionnaires II - Les Familles du Démographe et de l'Anthropologue 2.1, Deux disciplines et un même objet 2.2. La famille ? 2.3. La famille unité de résidence et la famille réseau 2.4. Pratiques de démographe et pratiques d'anthropòlogue 111 - Que Faire de la Qualité Conclusion (1) Ce texte provient de la brochure AMIRA no 46 (Paris, Juin 1985, 88 pages), qui contient en outre plusieurs annexes, notamment les divers questionnaires (questionnaires abandonnés et questionnaire définitif). Pour toute information, dcrire h : Secrétariat AMIRA, INSEE-bureau 425, 18 boulevard Adolphe Pinard 75675 PARIS Cedex 14. (*I G. BOUNGOU est anthropologue h la Direction Générale de la Recherche Scientifique du Congo. M.E. GRUENAIS est anthropologue, A. GUILLAUME et B. LACOMBE démographes h I'ORSTOM. - O. R.S.T. O. M. Fonds Documentaire

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UNE, ENQUETE A L'OREE DE LA PLURIDISCIPLINARITE (1)

par Marc-Eric GRUENAIS (*I

>Gaspard BOUNGOU Bernard LACOMBE

Agnès GU I LLAUME

La présente étudé a été rédigée par Marc-Eric GRUENAIS h partir des 616ments et discus-

sions internes 2 Péquipe du projet de la Direction Générale de la Recherche Scientifique (D.G.R.S.)

de la République Populaire du Congo et de l'Office de la Recherche Scientifique et Technique

Outre-Mer (centre de Brazzaville) sur les "Normes démographiques et nouvelles dimension9

familiales au Congo".

. .

* * *

PLAN

Introduction

I - Conception et Réalisation de l'Enquête

1.1, Conception initiale et stratégie finale

1.2. Une approche démographique sommaire

1.3. Les questionnaires

I I - Les Familles du Démographe et de l'Anthropologue

2.1, Deux disciplines et un même objet

2.2. La famille ?

2.3. La famille unité de résidence et la famille réseau

2.4. Pratiques de démographe et pratiques d'anthropòlogue

111 - Que Faire de la Qualité

Conclusion

(1) Ce texte provient de la brochure AMIRA no 46 (Paris, Juin 1985, 88 pages), qui contient en outre plusieurs annexes, notamment les divers questionnaires (questionnaires abandonnés et questionnaire définitif). Pour toute information, dcrire h : Secrétariat AMIRA, INSEE-bureau 425, 18 boulevard Adolphe Pinard 75675 PARIS Cedex 14.

(*I G. BOUNGOU est anthropologue h la Direction Générale de la Recherche Scientifique du Congo. M.E. GRUENAIS est anthropologue, A. GUILLAUME et B. LACOMBE démographes h I'ORSTOM.

-

O. R.S.T. O. M. Fonds Documentaire

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INTRODUCTION

L ' en q u 6 te D G RS /O RST O M "N ormes d 6 m o g ra p h iq u es et n o uv e I I es dim en si0 ns fa mi lia I es a u

Congo'' était une enquête pluridisciplinaire qui associait un socio-démographe, responsable du

projet, une démographe, et deux socio-anthropologues (1). Tant par son thème que par la

composition de I ' équipe, l'enquête a fait apparafire deux difficultés majeures : d'une part, établip

une collaboration entre deux disciplines dont l'une (la démographie) utilise prioritairement une

méthode statistique alors que l'autre (l'anthropologie) privilégie une approche qualitative ; d'autre

part, tenter d'appréhender un objet (la famille) qui, pour aucune des disciplines en cause, n'a

donné lieu à une définition "acceptable par tous".

Nous exposerons ici les difficultés rencontrées dans l'exécution du travail en soulignant les

problèmes méthodologiques soulevés par la rencontre de deux disciplines qui se différencient, et

par leurs techniques, et par leur approche des phénomènes étudiés. II s'agit donc d'illustrer, h

partir d'un cas concret, comment les deux disciplines impliquées dans l'enquête se sont rencon-

trées, heurtées et/ou complétées.

'

Dans un premier temps, nous présenterons le contexte de l'enquête : partis-pris initiaux,

conditions d'exécution, choix et abandons en matière d'approche statistique. Dans une seconde

partie, nous nous attacherons h la nature de la collaboration entre démographie et anthropologie.

Nous proposero*ns enfin quelques réflexions au sujet de la relation quantitatif/qualitatil'.

I - CONCEPTION ET REALISATION DE L'ENQUETE

1.1. Conception initiale et stratégie finale

La demande initiale portait sur les budgets familiaux. Mais la DGRS congolaise, influencée

par les discussions en cours au Congo pour la création d'un code de la famille, transforma le

projet en une étude démographique de la famille congolaise.

(1) Si l'on exclut la phase préparatoire de pré-enquête, l'enquête proprement dite a commencé, une fois 1'6quipe au complet, en janvier 1983 et s'est poursuivie jusqu'en aoct 1983. En dépit de toutes les difficultés que nous avons pu rencontrer, le bilan de l'enquête est loin d'être négatif. Plus de 600 questionnaires collectifs, et plus de 1 O00 questionnaires indivi- duels ont été remplis.; leur exploitation est aujourd'hui achevée et un rapport final verra prochainement le jour.

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La direction de recherche qui prévalut alors fut la suivante : appréhender le phénomène

"famille" à partir de sa manifestation résideqtielle (ménage), des relations de parenté, et de son

actualisation à l'occasion de certains événements privilégiés (décès, aide économique, etc.).

J

Pour la réalisation de l'enquête, plusieurs contraintes furent fixées au.départ :

I.?

- l'enquête devait se fonder sur un échantillon national, les zones 2 enquêter. étant les

deux principales villes du Congo (Brazzaville ,et Pointe-Noire), un certain nombre de villes secon-

daires, et le milieu rural ; '

La stratégie adoptée fut alors de gonfler I'échantillon et de procéder 2 des monographies.

Nous avons retenu un nombre limité de régions (Brazzaville, Pointe-Noire, Mayombe, Niari,

Plateaux Bateke, Likouala) oÙ nous avons effectué des enquêtes intensives dans la limite de

temps que nous nous iitions fixée pour chaque terrain.

- _ - - _ - - - - _ (1) Même si, du bout du compte, l'enquête a coûté le prix prévu, la composition de son budget

fut complètement différente du budget prévisionnel ; ainsi, il n'y a pas eu de dépense d'es- sence.

- l'échantillon devait être restreint et déterminé selon la technique du sondage par quo- -f

tas ;

- le questionnaire ,devait être lourd : la recherche devait porter autant sur l'aspect rési-

dentiel (le ménage) que sur les relations familiales, au sens large, et sur les principaux aspects de

la vie sociale appréhendés à partir d'événements spécifiques, ceux-ci étant considérés comme la

c a k e de l'actualisation des relations familiales ; ./ - l'enquête quantitative devait être menée conjointement avec une enquête qualitative ;

pour ce faire, les enquêteurs devaient être de haut niveau et être intégrés 2 l'enquête comme des

collaborateurs. En d'autres termes, les concepteurs de l'enquête devaient exécuter le travail de

terrain ;

- le coût global devait être peu important et rester en rapport avec la durée de l'enquête

de terrain et le nombre de chercheurs impliqués.

Certaines difficultés, et notamment les difficultés matérielles, ont amené une modification

de la stratégie initialement prévue. Le projet prévoyait une Co-participation financière de

I'ORSTOM et de la DGRS congolaise ; dans les faits, seul I'ORSTOM supporta,le coût de l'enquê-

te. Les conditions mat6rielles de l'exécution du travail se trouvant alors changées, nous avons dû

renoncer 5 effectuer le sondage. En effet, le sondage par quotas demande être réalisé d'après

un plan prév'u à l'avance et il requiert des fonds et un véhicule que nous nbvons jamais eus (1).

Ajoutons que des données disponibles et une base de sondage anciennes augmentaient encore les

difficultés de mise en oeuvre d'une telle technique.

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Peu ou prou, les grandes lignes qui avaient prévalu lors de I'élaboration du projet ont ét6 maintenues. Cependant, eu égard aux conditions matérielles, mais aussi en raison de l'aspect

l'novateur'' du projet (par les disciplines en cause et par la nature de l'objet 2 appréhender),

l'enquête est devenue une "enquête de faisabilité".

I I a été procédé par hésitations, choix et abandons successifs ; trois jeux de questionnaires

furent élaborés avant d'arrêter le "bon". D'une manière générale, I'évolution des questionnaires,

et donc de l'enquête, alla dans le sens d'une réduction de l'importance accordée aux données

démographiques I'classiques'' au profit de questions présentant plus d'originalité et plus 2 même de

fournir des informations sur les réalités familiales.

1.2. Une approche démoqraphique sommaire

La scolarité et le métier, deux variables qui figurent habituellement dans les enquêtes

démographiques, ont été appréhendées très sommairement. Ce choix fut dicté en partie par une

raison pratique : la prise en compte de la scolarisation, d'une part, du métier et de sa définition

. précise, d'autre part, aurait demandé une série de questlons qui serait venue alourdir un

questionnaire déjà long. Dans la mesure oÙ DOUS avions décidé d'en rester à une approche démo-

graphique succincte pour orienter résolurnent le questionnaire vers l'exploration des relations

familiales, une approche très précise de la scolarisation et du métier n'était pas utile.

Pour estimer le niveau d'instruction, nous n'avons pas jug6 nécessaire d'opérer des dis-

tinctions fines (telle que la distinction dernière classe suivie/dernier diplôme obtenu) qui, au regard

du thème de Ilétude, n'apparaissaient pas primordiales. Res questions sur le nombre ae ,langues

connues et la nature de la connaissance de ces langues (langue comprise, parlée, écrite) nous

'sont apparues suffisantes et nous ont apporté une information aussi satlsfaisante que l'adoption de

catégories fines.

Une définition précise du métier fut &g,alement délaissée. Dans un pays comme le Congo,

et étant donné la taille de la population observée, les inconvénients d'une méthode grossière du

repérage des activités restent limit&. En effet, quand la plupart des enquêtes s'adonnent 2 une

activité qui relève du secteur primaire (agriculture, chasse, pêche) ef/ou 2 un petit commerce,

que faire d'une classification des professions et des statuts en 2 ou 3 chiffres alors que, à

l'analyse, nous répartirons les travailleurs entre qlemployésl', "ouvriers", "scolaires" et "autres"

dans les secteurs "industriel", "artisanal et informel", "commerce et transport", "agriculture et

autres secteurs primaires". I I n'en reste pas moins qu'à I'enquête'?on a parfois des problèmes de

choix, ainsi lorsqu'un rural vit des travaux agricoles de son épouse, ou Iorsqu'un agriculteur fait

de la vannerie, ou encore lorsqu'un vannier chasse ou pêche. Nous avons cherchk 2 pallier un tel

inconvénient en faisant figurer dans le' questionnaire trois activités afin de rendre compte de la

multiplicité des fonctions assurées par les agents dconomiques au Congo. On ne peut, par

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exemple, n6gliger la chasse qui est une activité très rémunératrice et qui, en certaines régions,

constitue la base des revenus.

En définitive, pour la partie "démographie" de l'enquête, nous avons choisi d'en rester aux

généralités, ces dernières étant envisagées comme variables nécessaires 5 la distinction de

sous-groupes dans la population.

1.3. Les questionnaires

' Comme nous le signalions plus haut, plusieurs jeux de questionnaire furent testés puis

abandonnés. L'évolution de l'enquête, dont témoigne l'utilisation de plusieurs questionnaires,

répondait à la préoccupation suivante : étant donné les contraintes d'une enquête quantitative,

comment aborder au mieux certains aspects de la réalité familiale au Congo de telle sorte que

ceux-ci puissent rendre compte de la famille congolaise ?

Ici, les contraintes étaient de deux ordres. En premier lieu, l'enquête devait prétendre 2 une

couverture nationale. Or, l'ensemble de la population congolaise est loin de manifester une

homog6néité en matière d'organisation familiale ( I ) . II fallait donc formuler des questions qui soient

pertinentes pour l'ensemble du territoire congolais mais qui, en même temps, devaient laisser I

apparafire les différences.

En second lieu, il nous fallait trouver des questions suffisamment précises et significatives

qui puissent apporter des réponses toutes aussi précises et significatives afin qu'un traitement

statistique fût possible. Une telle contrainte est particulièrement aiguë dans une .enquête sur la

famille. D'une part, travailler sur la famille, c'est travailler sur un objet non défini. D'autre part, les -

relations familiales sous-tendent nombre de relations sociales et dessinent un univers diffus de

réseaux qui ne sont ni toujours actualisés pour tous, ni toujours actualisés de la même manière.

A ces deux contraintes s'ajoutait un problème général de méthode. L'enquête sur la famille

au Congo était une enquête socio-démographique, Bien que l'aspect soclologique ait prédominé, il

n'en demeurait pas moins que. l'appréhension du phénomène étudié était orientée par des

préoccupations statistiques de sociologie quantitative et une perspective démographique. Or, face

au phénomène de la famille, la démographie est confrontée un problème qui tient 2 sa méthode:

Les phgnomènes familiaux ressortissent au champ des données collectives alors que la

démographie prend en compte des données individuelles (2). Comment résoudre une telle

contradiction étant donné le parti-pris d'une enquête qui se donne pour but d'explorer, en premier

lieu, les réalités familiales au détriment de certaines données que nous pourrions qualifier de plus

proprement démographiques ?

(1) Il existe, par exemple, une différence importante entre le Nord et le Sud du Congo : les popu-

(2) En effet, prioritairement, les données démographiques portent sur des individus de sexe et

- - - - - - - - - -

lations du Nord sont patrilinéaires, les populations du Sud matrilinéaires.

d'âge bien déterminés affectés d'événements bien définis.

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Le premier jeu de questionnaires, conçu alors que I'équipe n'était pas au complet, explorait

essentiellement .le ménage (au sens économique du terme). Après test, il est apparu qu'il ne

permettait pas de saisir les relations entre le ménage et la famille.

Ce premier questionnaire f i t place 2 un autre od tout ce qui avait trait aux conditions

matérielles de l'existence du ménage fut considérablement réduit au profit de la mise en valeur de

certaines relations familiales. La nouvelle orientation donna lieu 6 un questionnaire très ouvert qui

mélangeait, à parts sensiblement égales, questions factuelles et questions d'opinion. Le nouveau

questionnaire collectif permettant de recueillir les informations démographiques de base (habitat,

activités et démographie du ménage), et d'un questionnaire individuel oÙ il s'agissait d'explorer

une partie de la parentèle (1) d'un ou de plusieurs membres du ménage (le chef de famille et une

ou plusieurs de ses épouses).

I'

La parentèle explor6e était constituée de proches parents du sujet. Nous entendions par

"proches parer,ts" l'ensemble des descendants du père et de la mère du sujet (pour chaque

individu mentionné, y compris le père et la mère, étaient relevés tous les enfants issus des diffé-

rentes unions contractées), et le groupe familial au sein duquel le sujet avait passé son enfance

(les parents éducateurs n'étant pas obligatoirement les descendants des parents géniteurs). II

s'agissait alors d'identifier le devenir de chaque personne citée (la personne est-elle vivante ?

mariée ? selon quel régime ? a-t-elle des enfants ? oÙ habite-t-elle ?I ; et afin de préciser la na-

ture de la relation existant entre le sujet et les parents alors mentionnés, la date et la cause de la

dernière entrevue entre le premier et les seconds étaient notés. Par ailleurs,, pour déterminer

l'existence ou non de liens avec d'autres parents,-il était demandé au sujet quels étaient les

derniers événements auxquels il avait assisté ; et s'il recevait une aide de parents ou, au contraire,

aidait des parents sous forme d'envois d'argent et/ou de biens en nature. Enfin, il ktait procédé 2

une enquête généalogique.

La direction de recherche qui présida 2 I'élaboration de ce second questionnaire était la

suivante : en un premier temps, explorer systématiquement les relations entre un individu et des

parents occupant des positions généalogiques précises ;' les positions géngalogiques sont

déterminées a priori, le nombre total des individus qui les occuperont est inconnu au départ. En un

deuxième temps, utiliser les événements familiaux pour identifier I'existênce ou non de

l'actualisation de relations de parenté en dehors du champ des positions généalogiques retenues.

Enfin, l'enquête généalogique fut menée dans le but de définir la "famille" d'un individu en fonction

de sa connaissance de l'univers généalogique dans lequel il se situe. L'enquête généalogique

constituait, sans doute, la partie la plus exploratoire de l'enquête, et elle fut entreprise en I'ab-

sence d'une conception claire des possibilités de son exploitation.

I

(1) On désigrte par "parentèle" le groupe de parents qui ne se définit 'que par référence 2 un individu qui en forme le centre.

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ouvert, non pas pour les enquêtés, mais pour les enquêteurs : chacun des enquêteurs n'accordait

pas une importance égale aux différents points si bien que les informations recueillies n'étaient pas

homogènes. Néanmoins, l'idée directrice qui prévalut pour I'élaboration de ce questionnaire s'est

maintenue jusqu'au terme de l'enquête.

Nous avons par lq suite adopté un questionnaire plus. fermé, Le questionnaire collectif fut

encore allégé au profit du questionnaire individuel. Un accent particulier fut mis sur les événements

familiaux ; les questions alors reformulées offraient une moindre latitude d'interprétation. Ainsi,

l'exploration in extenso des relations entretenues avec un groupe de parents proches a laissé la

place à une interrogation du sujet sur un nombre limité de situations, celles-ci étant susceptibles

de fournir des indicateurs au sujet des relations familiales entretenues en dehors du groupe

résidentiel ou "ménage". L'enquête généalogique fut préservée mais limitée, tant par le nombre de

positions généalogiques 2 relever que par le nombre d'informations 5 recueillir pour chaque

personne mentionnée.

Le questionnaire définitif fut une remise en forme du troisième questionnaire : le plan de

chiffrement fut dessiné par le questionnaire lui-même et quelques questions sur l'héritage et les

modalités d'apprentissage des activités spécialisées furent alors ajoutées.

1

L'enquête a donc 6volué 2 partir d'un premier questionnaire qui, uniquement orienté sur le

ménage, s'est révélé insuffisant. II s'est alors agi d'appréhender le phénomène "famille" au Congo

comme un réseau de relations de parenté dans lequel se trouve inséré l'individu. Le point de

départ devenait ainsi un individu dans un ménage, le point d'arrivée, un certain nombre de parents

avec lesquels l'individu entretenait les relations les plus intenses. 1 ' r

Afin de préciser l'interaction ménage/fam&$q,j&avait ét6 entendu que seraient interrogés,

dans chaque groupe résidentiel, au moins un homme marié et une de ses épouses. Considérant

que l'homme et la femme sont issus de deux unités familiales différentes, leur réseau parental

respectif, par définition, n'est pas le même. Pourtant, il y a rencontre des deux réseaux du fait du

' mariage. AUSSI, en posant les mêmes questions 6 l'homme et 2 son épouse, on pouvait prétendre

recueillir quelques informations pour savoir si le réseau parental initial de l'homme et de la femme

s'organisait de manière identique (si chacun privilégiait les mêmes lignes) et dans quelle mesure la

cohabitation et, partant, la rencontre des deux réseaux parentaux réorientaient ces derniers (par

'i

-

'

exemple, groupe résidentiel privilégié ou non au détriment de l'univers parental respectif de

l'homme et de la femme ; réorientation ou non de la parenté de l'homme et de la femme avec celle

du conjoint).

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Le groupe de parents ainsi identifié devait dessiner, en quelque sorte, le "noyau dur" de

l'univers parental d'un individu, étant entendu que l'extension de ce "noyau dur" n'était pas

définie a, priori. Toute la difficulté fut d'arrêter et de délimiter les thèmes sur lesquels reposerait

l'identification du groupe de parents & prendre en compte eu égard aux contraintes de l'enquêtè

quantitative. Les différents questionnaires élaborés en sont l'illustration (1).

/

(1) De même que les questionnaires ont évol& au cours de l'enquête, la conception du traitement des données s'est modifiée. L'exploitation prévue, qui ne sera réalisée qu'en partie, partait de l'idée de résumer chaque sous-questionnaire en une échelle de valeurs. Par exemple, il aurait été utilisé pour l'habitat 5 ou 6 echelons sur une échelle "traditionnel/moderne". Nous pensions utiliser des procédures sophistiquées d'analyse de données. Dans un deuxième temps, un nouveau fichier de notre population aurait été établi en attribuant 2 chaque sujet des "notes" correspondant 2 la classe du sujet sur un point enquêté. L'ensemble de ces "notes" aurait été analysé comme nouveau fichier. Avec le questionnaire définitif, ce type d'analyse reste possible pour q'uelques points (ménage, habitat, etc.) ; en revanche, pour la maladie, par exemple, on a facilement le croisement de deux "notes" : nature de la maladie, par nature des soins (modernes/traditionnels); L'envoûtement n'est qu'une autre variable d laquelle sont données les valeurs oui/non. I I n'est pas utile pour cela de recourir 2 des procédures informatiques raffinées. Par ailleurs, une incompréhension entre I'équipe d'enquê- teurs et les analystes en informatique obligea 2 modifier la présentation des dossiers d'en- quête. Pour la saisie, il avait été prévu initialement une "saisie en continu" de l'ensemble du questionnaire. Cependant, chaque sous-questionnaire avait des dimensions variables (le ménage va de 1 2 30 personnes ; la généalogie, de 10 2 98 individus), si bien qu'il a fallu démarier les questionnaires en lots de sous-questionnaires homogènes et remettre sur chacun des sous-questionnaires un numéro d'identifiant. Nous vbyoiis ici combien la sépara-; tion physique des participants d'une équipe oeuvrant pour un même projet complique encore la réalisation d'une enquête, soit en raison de points de détail auxquels on ne peut songer avant, soit en amenant des incompréhensions et des quiproquos sur des questions claires pour chacun mais à côté desquelles on passe par mégarde.

,

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II - E S FAMILLES DU DEMOGRAPHE ET DE L'ANTHROPOLOGUE

2.1. Deux disciplines et un même obiet

Les réalités familiales occupent une place centrale dans les préoccupations de la démo-

graphie et de l'anthropologie. Bien que pour la première, le phénomène "famille", en lui-même,

ne soif pas un objet, elle prend nécessairement en .compte une certaine réalité familiale du fait

que ses recherches empiriques se fondent sur l'unité ''ménagev1 et que la famille est productrice

d'enfants .et de co-résidents. Quant 5 l'anthropologie, les réalités familiales lui ont donné ses I

lettres de noblesse ; elles sont un champ privilégié de ses recherches dans la mesure oÙ elles

constituent un des fondements de l'organisation sociale.

Inversement, les réalités familiales doivent nécessairement faire l'objet d'une approche

qualitative et statistique. En tant que phénomène social, les réalités fami!iales sont, au premier

chef, ì'objet des disciplines sociologiques. Etant donné ses traditions (étude des sociétés non

occidentales) et ses pratiques (qÚ¡ visent iÌ une compréhension globale du phénomène social

étudié), l'anthropologie est la discipline la plus appropriée pour mener une enquête Sbr la famille

en milieu africain. Mais 1'6poque n'est plus oÙ l'observation d'un nombre limité d'unités familiales

suffit 2 6Lablir des grandes lois sociologiques. Afin de rendre crédibles ses observations, de

justifier ses hypothèses, de donner un fondement 5 ses analyses, des données statistiques lui sont

indispensables. Pour le démographe, qui s'aperçoit de plus en plus que ce sous-produit

d'enquête qu'est la famille revêt une importance capitale, il n'est plus question de ne pas con-

nailre quelies'sont les réalilés qui se cachent derrière tout ce qui touche 5 la famille, puisque dcs

réalités familiales sont nécessairement prises en compte dans ses enquêtes. La collaboration

entre les deux discipiines face au phénomène famille apparail bien comme une nécessité.

Ces préoccupations furent 2 l'origine de I'enquQte s u la famille au Congo. Pour le démo-

graphe, il s'agissait a'apporter une contribution 5 une "démographie de la iamille" naissante ;

pouï l'anthropologue, de connailre les apports possibles du quantitatif dans l'approche des phé-

nomènes sociaux. Dès lors, face 2 l'objet "famille", et eu égard aux ambitions de l'enquête, la

démographie et I'anthropoiogie occupaient en la circonstance une position équivalenie. La

pluridisciplinarité ne devait pas être conçue comme 'une recherche sur l'objet privilégié d'une

discipline, laquelle discipline se serait adjointe des disciplines connexes, mais plutôt comme la

collaboration de deux disciplines face 2 un même objet qui est aussi un objet privilégié pour

chacune d'entre elles. Or la pluridisciplinarité ainsi conçue ne vas pas sans poser des problèmes

de compréhension.

c

En effet, il s'est avéré que le travail pluridisciplinaire est d'aútant plus difficile ï?i réaliser

que les disciplines associées sont proches, du fait d'une différence d'approche d'un même objet.

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Lorsque les disciplines associées sont très différentes, il y a alors ,complémentarité, juxtaposition

de disciplines pour I'éiude d'un même sujet ; les représentants des différentes' disciplines sont

impliqués dans un projet en raison de leurs compétences respectives quant au sujet d'étude. En

bref, dans ce cas, les représentants de diverses'discipiines ont un même sujet d'&de et non un

même objet ; les uns et les autres ont 6 s'apporter réciproquement. En revanche, lorsque des

disciplines différentes de "sciences hu3aines" sont associées, elles ont ou peuvent avoir un

même objet, elles s'attachent 6 une même réalité qui peut être appréhendée selon des modalités

différentes. L'objet étant le rnêrne, mais les approches différentes, il y a, du fait du nibme objet,

des possibilités d'interférences et d'incompréhension accrues. I I faut donc être d'autant plus

vigilant et précis sur la stratégie 6 adopter (nous ne parlons pas ici des techniques d'enquête)

que les disciplines impliquées ont un objet proche. Nous avons commis l'erreur de penser le

contraire. II était tout b fait légitime de considérer initialement que des disciplines proches

collaboreraient plus facilement que des disciplines éloignées les unes des autres, Contre toute

attente, le "bon sens" était trompeur. Chacun faisant confiance 6 ses capacités et 6 sa

connaissance du sujet, et faisant également confiance aux capacités des autres concepteurs de

l'enquête, il y a eu d'une part une tendance 5 rester sur son quant 6 soi théorique, d'autre part,

5 Gvoluer dans l'implicite.

A cet égard, l'attitude qui présida 5 I'élaboration du second questionnaire est révélatrice.

Chacun avait initialement une idée et des préoccupations différentes ; toutes ou parties de ces

préoccupations se sont exprimées dans les questions formulées. Le produit final fut une série de

questions élaborées en fonction des desiderata de chacun, mais le questionnaire, dans son

ensemble, ne faisait guère apparafire de cohérence globale. I I y eut peu de critiques au sujet des

questions formulées par chacun ; en dépit des réserves que chacun pouvait avoir au sujet de

certaines questions, les enquêteurs concepteurs trouvaient leurs préoccupations satisfaites par ce

questionnaire,, ceci compensant ceia. Chacun étant satisfait par un questionnaire très ouvert, il

pouvait sembler inutile de remettre en cause certaines parties .du questionnaire sur des points

estimés mineurs, puisqu'en dehors des préoccupations respectives. Cet aspect apparafira très

clairement lors du recueil des informations au cours du premier terrain.

Un tel exemple pose le problème général de la nature de la collaboration souhaitable entre

deux disciplines qui appréhendent différemment un même objet.

2.2. La famille ?

La démographie a une attitude paradoxale' vis-à-vis des réalités familiales. Pour la démo-

graphie, la famille n'est jamais dgfinie précisément, ni dans son contenu biòlogique, ni dans son

contenu social, ni dans son contenu économique ; elle est un objet annexe. Pourtant, certains

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- 15 - de ses aspects sont systématiquement collectés par la démograpfiie : la famille est un instrument

nécessaire de la méthode de collecte, elle est prise en compte pour la mesure de la fécondité,

etc. Pour la démographie, la famille n'est jamais définie par des critères théoriques fermes, elle

n'a pas, b proprement parler, de statut scientifique, pourtant, la démographie dispose de données

précises sur elle. Le meilleur exemple de ce paradoxe de la démographie est la catégorie

"ménage1', l'unité de collecte des enquêtes démographiques.

Le "ménage" est un groupe de personnes, en principe apparentées, partageant un même

toit et un même repas. Mais le ménage n'est pas l'unité résidentielle : b juste titre, les enquêteurs

n'hhitent pas h scinder une concession ( l i "concrète1', géographique, spatialement dëterminée,

en plusieurs unités si ses habitants estiment qu'ils ne forment pas un groupe résidentiel homogè-

ne. Le concept er; oeuvre n'est donc pas exactement la coricessim, c'est le ménage, notion

qu'il ne faut pas trop chercher h définir au risque de verser dans des problsmes de définition dont

la solution sera arbitraire.

v

Pour le démographe, llfamilleii et "ménage" sont nécessaires et non définis ; inversement,

'pour l'anthropologue, ces termes ne soni pas nk'essaires et recouvrent, dans une certaine

mesure, des réalités b définir. Le terme "ménage" n'est pas employé en anthropologie, on parlera

davantage d'unité domestique ou d'unité résidentielle ; quant au terme llfamilleil, il n'est qu'une

"catégorie sensible" qui se doit d'être explicitée par une approche rigoureuse.

-1

Nous voyons ici opérer une des divergences fondamentales qui séparent la démarche

démographique de la démarche anthropologique. Pour la démographie, la famille, comme le

mariage, sont des sous-produits d'enquête. Les données collectives relatives b la famille ne sont

pas recueillies pour elles-mêmes sur le terrain mais sont extraites d'informations d'enquêtes qui

n'ont pas été établies dans ce but. L'attitude du démographe face au phénomène "famille" est

sensiblement Equivalente b celle qu'il adopte envers le mariage (2) : II laisse aux enquêtés

eux-mêmes le soin de déterminer s'ils sont mariés ou non sans connafire exactement ce que

recouvre la réaliié du mariage dans la sociét6 considérée (31, tout comme il laisse le soin aux

enquêtés de déterminer quels sont les membres de leur famille. Deux des questions figurant dans

le second questionnaire sont révélatrices d'une telte attitude :

- quelles sont les personnes que vous considérez comme vos parents ?

- votre conjoint fait-il partie de votre famille ?

- - - - - - - - - -. (1) Relevons qu'il n'existe pas au Congo I'équivalent d'une concession qui peut être appréhen-

dée physiquement comme un enclos bien délimité. II existe en revanche des "parcelles" dont la réalité physique est souvent difficile i5 identifier.

(2) Le démographe relève le mariage dans les enquêtes et quand il étudie la nuptialité, il utilise d 'autres modalités.

(3) Cf Manuel des enquêtes démographiques par sondage en Afrique, C.E.A., Septembre 1974.

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- 16 -

Précisons, en premier lieu, les buts de telles questioni. Les sociétés du Sud Congo sont

matrilinéaires et virilocales E une fois mariée, la femme rejoindra la résidence de son mari, et les

enfants nés de l'union feront partie du groupe de residence de leur père, mais ces derniers

appartiendront au groupe de descendance de leur mère. Il s'agissait alors de savoir si les indivi-

dus qui habitaient ensemble faisalent partie de la "même famille". Poser ainsi le problème de ce

que l'on appelle en anthropologie un système dysharmonique ( I > repose sur le postulat suivant :

les membres d'une société ont une claire conscience de la manière dont fonctionne leur société

et de ses règles. L'époque n'est plus oÙ l'on pensait, par exemple, que le fait d'appeler "père" un

ensemble d'individus exprimait une méconnaissance du géniteur réel. Le démographe met b

profit, en toute légitimité, la connaissance implicite que, les enquêtés ont de leur vie sociale.

D'ailleurs, sans un tel postulat, toute recherche en sciences sociales serait vaine.

Cependant, cette manière d'envisager l'utilisation de la connaissance que les enquêtés

ont d'eux-mêmes s'avère peu satisfaisante pour l'anthropologue. Demander l'quelles sont les

personnes que vous considérez comme vos parents ? votre conjoint fait-il partie de votre famil-

le ? I 1 , c'est, dans une certaine mesure, demander aux enquêtés de fournir une réponse aux

hypothèses de recherche de I'enquête, Pour l'anthropologue, il faut d'abord décomposer le

problème, rechercher quels sont les aspects pertinents de la vie sociale qui permettront de le

résoudre, rechercher comment se pratique la contradiction apparente entre résider?ce virilocale et

filiation matrilin6aire. Aussi, une réponse au type de questions posées ci-dessus ne saurait $tre

satisfaisante et le simple fait de poser ces questions représente un défaut de méthode. Pour le

démographe (qui peut se contenter de distinctions sommaires en matière de mariage ou de

famille, quand ces deux thèmes ne sont pas des objets scientifiques spécifiques b l'enquête qu'il

effectue), toute réponse b de telles questions'pourra se révéler. satisfaisante, donc. exploitable.

Par ailleurs, l'emploi' du terme "famille" s'avère délicat rapporté aux réalités africaines.

Bien souvent, il n'y a pas, dans la langue des personnes intèrrogGes, un "concept vernaculaire"

équivalent au terme "famille". Demander simplement "quelle est votre famille ?'I risque alors de

donner lieu b toute unc série de réinterprétations de la part et de l'interprète, et de i'enquêt6.

(1) Sont dits dysharmoniques les systèmes oÙ règle de filiation et rzgle de résidence ne coincident pas (par exemple, filiation matrilinéaire, résidence virilocale), par oppositions aux systèmes harmoniques oÙ les deux règles .coincident (par exemple, filiation patrilinéaire, résidence patrilocale).

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,

- 17 - Par exemple, si l'on traduit le terme "famille" par kânda en kikongo, langue véhiculaire du Sud

Congo, et que l'on demande une personne quel est son. kânda, il répondra en donnant un nom

propre qui est le nom du clan matrilinéaire dont il fait partie, ce que désigne le terme kdnda. Si on

lui demande quelles sont les personnes appartenant 2 son kbnda, il répondra, en toute logique,

l'ensemble des descendants en ligne utérine de tel ancêtre. Mais en même temps, il n'existe

guère d'autre terme que celui de kânda pour exprimer les termes "famille" et "ménage". Des

difficultés insurmontables de traduction rendent donc peu adapté l'emploi du terme "famille" dans

un questionnaire (11.

\

En fait, démographes et anthropologues prennent en compte des réalités différentes.

Reprenons, comme exemple, les raisons invoquées pour abandonner le premier jeu de question-

naires : il permettait de saisir le ménage mais non la famille. Ici, le ménage renvoie presque au

groupe résidentiel ; la famille équivaut à tout ce qu'il y a "autour" du ménage. A cette con-

ception d'ordre démographique s'oppose la position de l'anthropologue pour lequel il n'y a, B la

limite, ni famille, ni ménage, mais seuleme'nt des unités sociales fondées sur des liens de parenté.

Ces unités sociales sont de tailles variables et s'inscrivent 2 différents niveaux de l'organisation

sociale (groupe domestique, segment de lignage, lignage, clan) ; et elles sont, par le jeu des

alliances matrimoniales, en relation avec d'autres unités sociales de nature équivalente.

L'ensemble des unités sociales ainsi définies peut être qualifié de "famille". Si avancer que la

famille ne coincide pas avec le ménage signifie qu'il existe des relations familiales réalisées en

dehors du groupe de Co-résidents, nous avons affaire, pour l'anthropologue, 2 un truisme : il

n'existe aucune société oÙ la règle serait la limitation dBs relations faniiliales au seul groupe de

résidents. Dans la mesure oÙ toutes les relations fondées sur des liens de consanguinité et

d'alliance peuvent être qualifiées, peu ou prou, de relations familiales, et oÙ, par exemple, tous

les membres d'une société peuvent se réclamer d'un même ancêtre (21, toute la question est

alors de savoir 5 quel niveau de la réalité sociale on s'adresse lorsque l'on procède h une enquê-

te statistique sur la famille. II faut ici différencier deux modaliti% d'approche de la réalité

familiale : la famille en tant qu'unité et la famille en tant qu'univers de relations fondé sur

l'actualisation des liens de parenté. Les deux approches furent présentes dans notre enquête, et

elles ont toutes deux posé le problème du choix de l'unité B observer.

5

0

- - - - - - - - - - (1) II faut remarquer que l'imprécision du terme français llfamillel; n'a rien à envier à i'impréci-

sion de certains termes vernaculaires se référant h des unités sociales fondées sur la pa- renté. Ainsi, en France, l'ensemble formé par un homme, son épouse et leurs enfants, consti- tue une famille, de même, indistiTictement, l'ensemble des descendants du dernier ancêtre connu (tantes, oncles, cousins, etc.). A noter que le français emploie le même terme "famil- le" pour'désigner l'ensemble des individus avec lesquels on est lié par une relation de pa- renté qqelconque, li5 oÙ les langues des sociétés africaines différencient entre parents en ligne agnatique et parents en ligne utérine. Sans compter les acceptions du terme "famille" qui ne font pas directement référence à un groupe de parents : par exemple, on dira de deux animaux de la même espèce qu'ils sont de la "même famille", ou encore, des employés d'une même entreprise, qu'ils forment une "grande famille".

(2) Cf l'exemple célèbre des 800 O00 Tiv du Nigéria qui sont tous issus d'un même ancêtre.

\

Voir B ce sujet L. BOHANNAN, "A genealogkal charter", Africa, XXll (41, October 1952 : 301 -31 5.

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- 10-

2.3. La famille unité de résidence et la famille réseau

Le questionnaire collectif relevait, entre autres, des informations ayant trait 5 l'habitat et

à la composition du ménage. L'identification du ménage en fonction de ,l'habitat, a soulewb

plusieurs difficultés.

II n'est pas rare de trouver au Congo, surtout dans les zones rurales, des familles (au

sens du groupe résidentiel) qui se répartissent dans plusieurs bâtiments. Dans la mesure oÙ, face

b un tel cas de figure, l'adoption d'une partie de la définition "classiqueg1 du ménage (5 savoir,

l'ensemble des individus partageant un même toit) risque de scinder arbitrairement un même

groupe familial, comment alors cerner l'unité 19ménage11 ?

Au-delà de la maison, l'unité physiquement appréhendable 2 laquelle il est fait le pllis

souvent référence au Congo est la parcelle, Cependant, l'unité "parcelle" n'existe pas toujours

ou, lorsqu'elle existe; elle peut être difficileme-nt identifiable. Mais surtout, 5 supposer qu'il fût

toujours possible de différencier des unités résidentielles délimitées au sein d'un ensemble

d'habitations, la prise en compte de la parcelle comme unit6 d'observation' ne permettrait pas

pour autant de résoudre la question de l'identification du ménage.

L.

Sur une même parcelle peuvent co-r6sider plusieurs 'lfamilleslt de la m8me famille e t leu

de familles différentes. Par exemple, on peut trouver sur une mGme parcelle un homme, son

(ses) 6pouse(s) et leurs enfants ; un frbre cadet et/ou un fils et/ou un neveu du premier avec

épouse(s1 et enfants ; ou encore, une de ses soeurs divorcées (ou sdparées) avec ses enfants.

A toutes ces personnes de la même famille peuvent venir s'ajouter les locataires. Qu'entendra-

t-on, dès lors, par famille ou ménage ? Quelles sont les personnes qui seront inscrites sur la

fiche démographique ? Dans la mesure oÙ fa démographie prend en compte l'existence de

"ménages multiples", dans une logique de l'approche démographique, il n'y aurait pas lieu de

scinder une telle unité circonscrite dans une parcelle. Mais en même temps, puisque, pour la

démographie, les critères du même toit, du m8me repas et des liens économiques peuvent

intervenir comme éléments de différenciation des ménages, et que les habitants d'une parcelle

peuvent être distingués et répartis de manibres différentes selon le critère retenuo il apparafi de

prime abord nécessaire de différencier plusieurs ménages dans le cas précité. Comment a;lors

identifier plusieurs ménages au sein d'une même parcelle, étant entendu que les critères de la

parcelle, du même toit, du même repas et des liens économiques ne sont ni totalement

satisfaisants, ni totalement à rejeter ?

'

Une des solutions adoptées fut de retenir une question relative au nombre de chefs de

famille présents dans la parcelle. Une telle question est cependant 'loin d'btre toujours opératoire.

I

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- 19 - En'effet, dans I'éventualité de la Co-présence sur une même parcelle d'un homme et d'un de ses

fils et/ou frères et/ou neveux mariés, il n'y aura, pour les personnes interrogées, qu'un seul chef

de famille, à savoir I'afib du {groupe des hommes co-résidents. Puisque selon les personnes

enquêtées, tous les ménages présents sur la parcelle dépendent d'un même chef de famille,

faudra-t-il alors recenser sur Ïa fiche démographique l'ensemble des personnes qui dépendent de

celui-ci ? L'identification du ménage en fonction du chef de famille peut poser un problème de

nature identique à celui de la prise en compte de la parcelle. t

II a fallu alors intrdduire une autre question pour opérer une différenciation des 'ménages : la distinction bâtiments sur la parcelle/ba^timents du ménage. Dans la perspective de l'enquête, et

eu 6gard au problème de l'identification de l'"unité de base" auquel une telle question se

rattachait, il s'agissait moins par Ià de faire un descriptif de ì'habitat que de repérer les différents

lieux d'habitation des différents ménages d'une même parcelle, les bâtiments alors identifiés

circonscrivant l'unité d'enquête. Seuls les bâtiments d'habitation étaient alors significatifs. Or,

l'identification des bâtiments d'habitation n'est pas toujours immédiate car, dans certains cas, des

bâtiments qui servent de cuisines, et qui sont, en premier lieu présentés comme des cuisines,

peuvent servir également d'habitations, pour une épouse et ses jeunes enfants, par exemple. En

posant la seule question du nombre de bâtiments, il y a alors le risque de laisser échapper une

partie de la population du ménage qui ne vit pas' dans un bâtiment considéré comme bâtiment

d'habitation. D'une manière générale, se pose ici le problème de ce qu'il faut entendre (et de ce

que les enquêtés vont entendre) par bâtiment. Dans les bâtiments du ménage peut être inclus un

bâtiment appartenant au ménage mais occupé par des locataires. Par ailleurs, expliquer aux

enquêtés, ce qu'il faut entendre par bâtiment du ménage peut amener 2 faire comprendre que le

bâtiment va6 n'est que le bâtiment qui regroupe des habitants partageant le même toit. Dans ce

cas, les petites maisons qui abritent parfois des adolescents célibataires encore totalement

n

I

i'

dépendants de leurs parents ne seront pas prises en compte. Face h ces questions, quelle fut la

stratégie adoptée au cours de l'enquête ?

La question du nombre de bâtiments fut résolue de manière tout b fait empirique au regard

des bâtiments d'habitation (2 l'exclusion des cuisines) présents sur la parcelle. A défaut de

l'existence d'une parcelle bien d6limitée, il étaif simplement demandé 1 la personne interrogée

quel était le nombre de bâtiments qui relevait de sa fi,nille, la personne interrogée pouvant

entendre par Ià soit sa propre maison, soit l'ensemble des maisons du groupe de résidence. Quant

aux personnes h recenser dans le questionnaire démographique, elles étaient déterminées par la

personne 'interrogée qui pouvait Ià encore comprendre soit les personnes habitant sous leflême

toit, soit les ha ltants parcelle. II est donc probable que les informations obtenues sur ces

sujets ne sont pas toujours homogènes. C'est donc plut6t l'attitude du démographe qyi a prévalu

dans le recueil des informations : les personnes interrogées connaissent et leur' parcelle, et leUr

famille, elles sont donc à même de proposer une unité pertinente.

t

? -

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- 20 - Deux autres 61éments ont é t é pris e n compte dans le questionnaire collectif pour I'iden-

tification du groupe domestique (car c'est bien de cela qu'il s'agit) : I'éventualité d'une aide

économique de personnes "qui n e font pas partie d e la maison", e t la présence d e commensaux

extérieurs a u "ménage1'. Ces deux questions ont été établies dans le but d e savoir si le ménage enquêté était économiquement autonome ou non. Elles devaient permettre de déterminer si le ménage était le lieu d e la production e t d e la redistribution ou bien s'il s'incluait dans une unité plus vaste.

Au sens strict, la question sur les personnes qui mangent ensemble n'est pas facilement applicable : des personnes peuvent manger ensemble régulièrement sous un même "abri"

(mwsnza) et appartenir B des groupes de résidence e t de cuisine distincts (1). Etendue a u seul sens d e la prise des repas e n commun, la question peut témoigner d e certaines solidarités, llgnagbres ou autres. Mais, c'est moins la commensdité elle-même qui était l'objet d'enquête q u e la redistribution de la production domestique.

li

Les questions sur la commensalité et l'aide économique extérieure devaient fournir des

indicateurs sur la famille en tant qu'unité génératrice de liens d e dépendance (l'unité est- elle

dépendante ? a-t-elle des dépendants ?). L'objectif était d e savoir si l'unité considérée correspondait ou non au groupe domestique entendu comme lieu d e la production (au sens large), de la reproduction e t de la redistribution.

Un autre mode d'approche d e la famille fut abordé dans l'enquête : la famille en tant qu'univers social dans lequel est inséré un individu. Cet vluniversl' fut appréhendé B partir des

événements familiaux, du nom des enfants e t d e la généalogie des individus interrogés.

A l'occasion d'un certain nombre d'événements (naissance, mariage, maladie, décès) qui touchent la famille, au sens le plus large du terme, un individu est tenu B des obligations envers des" parents spécifiques, ou, inversement, des parents sont tenus h des obligations envers lui. Aussi, 2 partir de questions sur les événements familiaux, nous pensions identifier un ensemble d e

parents que l'on peut légitimement considérer comme l'univers familial privilégié d'un individu.

Dans le mgme ordre d'idées, figurait dans le questionnaire une partie consacrée au nom des enfants d e l'individu interrogé. En demandant notamment quel était le lien d e parenté entre un enfant et la personne (ou ancêtre) dont il avait pris le nom, il s'agissait d e savoir si, dans l'attribution du nom prévalait le mode de transmission conforme h I'dtat civil (l'enfant

(1) ll y a alors utilisation commune par plusieurs familles voisines, apparentées OU non, d'un m ê m e abri ; cependant, l'abri est toujours approprié par un ai% d e segment d e lignage.

I

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-21-

n'est pas nécessairement révélateur d'une propension se conformer aux impératifs de l'état

civil. En premier lieu, il n'est pas rare qu'au nom du père soit adjoint un autre nom qui différencie

I

pris le nom d'un parent, et c'est ce dernier qui est pertinent,

Quant h l'enquête généalogique, elle fut menée dans le but de dresser le schéma de

l'ensemble de l'univers familial d'un individu par l'exploration de sa mémoire g6néalogique.La

solution qui fut retenue était un dénombrement des parents situés b la génération des parents

d'Ego et de leurs descendants. Dans l'optique quantitative de l'enquête, énonciation et

dénombrement d'un certain nombre de parents au sein d'un nombre limit6 deu générations

devaient suffire pour approcher ce que pouvait être la mémoire généalogique d'un individu, et,

partant, pour identifier l'extension de l'univers parental au sein duquel il se situait. I ,

Dans une perspective anthropologique, on peut cependant émettre des doutes sur la

11rentabilit61' d'une enquête ainsi menée. L'exploration de la mémoire généalogique pour identifier

le cercle de parents dans lequel un individu se situe est significative dans la mesure oÙ l'on

parvient aux limites de la mémoire ; ici, c'est l'absence d'informations qui est pertinente : on

peut en effet légitimement estimer que l'intensité des relations entre la personne interrogée et le

parent dont elle parle est en relation directe avec le nombre d'informations que la première peut

fournir BU sujet du second, les défaillances et les oublis de la mémoire marquant, en quelque

sorte, I& limites de la parent6 d'un individu. Or, limiter l'enquête une partie de la génération

des parents d'Ego et aux générations qui en sont issues, on obtient souvent des généalogies

sans aucun point d'interrogation ; de telles généalogies sont peu significatives. Par exemple, on

peut se trouver confronté h deux individus dont l'un aura une connaissance beaucoup plus

étendue que le champ exploré, alors que la connaissance généalogique de l'autre s'y limitera ; dans les deux cas, l'enquête fera apparailre des généalogies de taille équivalente (c'est-à-dire

des généalogies qui satureront le champ exploré), alors que la 'lfamillel' du premier est en fait

beaucoup plus étendue que la "famille" du second. De plus, une personne peut très bien avoir

une faible connaissance de l'univers généalogique que nous explorions, et une parfaite connais-

sance au sujet de parents classificatoires plus éloignés. Ces derniers ne sont pas pris en compte

étant donné les limites fixées, Aussi, quels que soient les cas de figure, l'objectif envisagé

(l'identification de la parentèle d'un individu par l'exploration de sa mémoire généalogique).

I

\

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- 22 - n~ sera guere réalisé : même pour les individus qui ont une mémoire généalogique très courte qui

siépuise avec la seule exploration de ia génération supérieure h Ego et des suivantes, on ne

peut être h même de dgcider si l'individu a une courte mémoire généalogique et, partant, s'il vit

dans un cercle parental restreint, h défaut d'avoir interrogé l'individu sur ses collatéraux plus

éloignes.

D'une manière générale, l'enquête a exploré l'ensemble des directions de recherche

susceptibles de fournir des informations sur la famille, et elle a surtout montré qu'il était possible

d'appréhender stathtiquement les différents points. Elle a sans -dÓute un peu souffert d'avoir

voulu trop 'embrasser en un même questionnaire; ce qui a eu parfois pour conséquence une

saisie par trop sommaire de chacune des dimensions familiales explorées. Peut-être est-il

préférable d'être moins ambitieux et de s'attacher plutôt une seule direction de recherche B :a

fois (soit le groupe domestique, soit les événements familiaûx, soit la généalogie).

L

I

2.4. Pratiques de démoaraphe et pratiques d'anthropoloque ,

Les divergences de conception du démographe et de l'anthropologue face au phénoms-

ne de la famille tiennent également aux différences dans l'approche du terrain.

II faut souligner tout d'abord qu'enquête ddmographique et enqu9te ethnographique ne se situent pas dans un même contexte institutionnel. Dans une certaine mesure, le d6mographe

travaille b façon (1). On attend de lui Un minimum d'informations sur la structure de la population

et il a une nécessaire information quantitative collecter. Les enquêtes démographiques sont

d'un coût élevé ; elles mobilisent des enquêteurs pour effectuer le terrain en une période de

temps relativement courte. En amont et en aval du terrain travaille une équipe pour la mise au

r ,

point de l'exploitation de l'enquête. Le temps de terrain est la phase la plus courte de I'enquSte,

les phases de préparation et d'exploitation sont les plus jongues. Par i ailleurs, étant donné le

coût des enquêtes démographiques; se pose nécessairement la question de la rentabilité. '

L'enquête ethnographique est toute autre. Son coQt est beaucoup moins important. Elle

mobilise un chercheur, .des informateurs, parfois des enqu&eurs, mais, avant tout, le chercheur

reste manre de l'information h acquérir. II oriente et modifie la recherche sur le terrain lui-mêpe

alors que pour la démographie, une fois l'enquête lancée, le processus est irréversible. De plus,

l'anthropologue "prend son temps'' : il effe,ctue de longs séjours sur le terrain, et,

traditionnellement, il s'attache pendant plusieurs années au même terrain. Ici, la question de la

rentabilité est moindre. I

- - - - - - - - I -

( I ) Dans le cas précis, le démographe devait répondre à un contrat bien déterminé.

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I - 23 - Les différences d'approche face au terrain se sont manifestées. clairement au début de

l'enquête. Le terrain ,offre au démograkhe une réalité qu'il prend en compte telle quelle,

c'est-à-dire que chaque elément'-rencontré sur le terrain est un élément discret, et-la réalité

sera découpée en autant d'éléments de nature équivalente. A la limite, pour la démographie,

c'est la partie qui compte, et la totalité de la réalit6 appréhendée sera constituée de la somme

des parties, En revanche, l'attitude qui avait prévalu initialement pour les anthropologues était

l'identification des grandes unités sociales '(lignages, segments de lignage localisés) avant le

passage des questionnaires. Le souci de l'anthropologue est toujours d'identifier, en premier lieu,

un cadre de référence ayant 'une consistance d'unité sociale pertinente dan's le système

considéré. Pour le démographej au contraire, le choix de Ia prise en Gompte d'un élément est

déterminé a priori, et 1'616ment retenu sera le seul envisagé, quelle que soit sa pertinence. Le

démographe s'attache au dénombrement sur une base homogène ; l'anthropologue, à I'iden-

tification des unités sociales opérantes.

Initialement, il avait été prévu que les deux approches se complètent sur le terrain

lui-même. La stratégie retenue avait, été, d'une part, le passage de questionnaires, d'autre part,

fa réalisation d'entretiens libres sur les problèmes de la famille au Congo avec les personnes

enquêtées. Mais la plupart du temps, la menée conjointe d'une enquête statistique et d'une

enquête qualitative s'est soldée par un échec. En effet, le passage des questionnaires était la charge des concepteurs qui devenaient ainsi les enquêteurs, Dans la mesure oÙ le -contrat

, requérait un minim-um de questionnaires remplis, et étant donné la taille réduite de I%quipe, il ne

restait que peü .de -temps, sur le terrain, pour .effectuer des entretiens informels avec l e s

enquêtés*- De plus, le questionnaire Gtant déjà très to9rd (de 45 minutes 1 hdure par

questionnaire), il était souvent difficile de mobiliser encore davantage le sujet interrogé pour

recueillir des informations qualitatives. Enfin, mener-à-bien une enguête qualitative -et en obtenir

des informations précises et fiables demande un minimum de confiance' entre l'enquêteur et

l'enquêté, et donc du temps, situation difficilement réalisable lorsqu'il s'agit de remplir des

questionnaires avant tout.

...

-_

I

Mais le recueil d'informations qualitatives-dans le Cadre d'une telle enquête peut soulever

d'autres difficultés, eu égard la formation des chercheurs impliqués. Par exemple, le second

questionnaire participait davantage d'un inventaire des thèmes 2 traiter que d'un véritable

questionnaike ; et les Informations qu'il permit d'obtenir étaient .largement d'ordre- qualitatif.

Démographe et anthropologue avaient des préoccupations différentes, et b hacun *- orienta le

recueil des données dans son sens. A l'issue de, l'enquête, les informations se so-nt rév?lées

totalement hétérogènks d'un enquêteur à l'autre.

. I

,

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- 24 - On peut d'ailleurs se demander jusqu'a quel point est viable l'entreprise initialement

projetée, à savoir la réalisation, par des disciplines différentes, d'enquêtes qualitatives dans le

cadre d'une enquête statistique pour étudier le même objet. Citons en exemple l'enquête menée

b Oursi (Burkina) par un socio-économiste, un agro-économiste et un démographe ; les trois

chercheurs devaient théoriquement procéder b la même enquête au sein d'un même espace

qu'ils s'étaient réparti. II s'est avéré, au bout du compte, que les informations recueillies par

chacun ne se recoupaient pas (11,

Pour que de telles difficultés soient surmontées, on pourrait songer I'établissement d'un

volumineux manuel d'enquête, d'autant plus long à préparer et d'autant plus précis qu'il

s'adresserait b des spécialistes. En effet, lorsque l'enquête de terrain implique les concepteurs

du travail, ceux-cl peuvent avoir tendance b attribuer b chacun des 616ments b explorer une

dimension particulière qui est fonction de la problématique de leur discipline. Si bien que chaque

question, chaque thème est soumis 2 une interprétation qui, pertinente pour une discipline, ne

l'est pas obligatoirement pour les autres, Afin de prétendre b une information homogène en la

circonstance, il faudrait pratiquement arriver b un compromis entre les diverses disciplines pour

chaque terme utilisé et sur la nécessaire information b acquérir lors des entretiens libres. Cela

nécessiterait sans doute une très longue préparation dont, par ailleurs, on ne pourrait jamais

savoir si elle serait garante du but fixé.

- _ - - - _ _ _ - - (1) F. SODTER (communication personnelle).

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. Au terme de ce compte-rendu des difficultés rencontrées a u cours de l'enquête sur la famille au Congo, nous pouvons proposer quelques réflexions sur la collaboration entre disciplines privilégiant une approche quantitative et disciplines privilégiant une approche qualitative. II n e s'agit pas ici de réduire le débat h une simple opposition qualitatif/quantitatif e n vantant respectivement les mérites, les limites e t la rigueur de chacune des approches. Car, e n fait, il n'y a pas opposition : il y a du quantitatif e t du qualitatif dans la démarche du statisticien e t du chercheur en sciences sociales. Comme I'écrit COUTY (11, la monographie d e village e t la monographie régionale, exemples-types d e travaux h forte composante qualitative, fourmillent d e

comptages, d e recensements, d e mesures e t d'estimations. Inversement, le plus élémentaire d e s tableaux statistiques "est bordé par deux marges énonçant des statuts administratifs (ivoirien/voltaique) ou des façons de se comporter (planteur/manoeuvre) e t ce sont bien ces marges qualitatives qui donnent un sens aux chiffres ou aux pourcentages placés h l'intersection des lignes e t des colonnes". Puisque la qu'aité est partout présente, la question est alors. de

savoir que faire d e cette qualité, comment l'approcher.

L'analyse statistique dénombre les qualités e t e n recherche les distributions ; les recher- ches e n sciences sociales chercrient à comprendre globalement les règles e t les lois de fonction- nement de la réalité étudiGe. La différence des deux approches tient à des oppositions de métho- des qui pourraient s'exprimer dans les termes suivants :

représenta tif v s distinctif dénombrement vs opposition.

Dans la démarche statistique prévaut la loi des grands nombres ; elle découpe la réalité e n Glasses de phénomènes e t recherche les taux d e réalisation d e ces différentes classes dans l'univers étudié. Sont alors significatifs, pour le statisticien, les éléments identiques. Inversement, pour I'antht.opologue, ce qui est significatif, c'est ce qui est distinctif, e t un élément prend sens e n ce qu'il entretient une relation d'opposition a v e c un autre élément. Pour employer une méta- phore empruntée à la linguistique, on pourrait dire que la démarche du statisticien privilégie une analyse paradigmatique, alors que l'anthropologue privilégie une analyse syntagmatique. La prise e n compte de l'information marginale par chacune des deux disciplines es t révélatrice b c e t

I 6gard.

f

(1) Ph. COUTY "Qual?atif et Quantitatif", Paris, AMIRA, Brochure no 43, Juin-Novembre 1983 (texte repris dans STATECO no 34, Juin 1983).

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- 26 - Pour l'anthropologue, il s'agit de mettre b jour des systèmes. Les systèmes élaborés ne

sont opérants que pour autant qu'ils permettent d'intégrer l'ensemble des cas de figure. Si

certains aspects de la réalité étudide n'ont pas été pris en compte au cours d'une analyse et sont

découverts après, ils peuvent alors venir invalider le système précédemment élaboré. II faudra

donc se mettre en qudte d'une nouvelle analyse pour trouver un système plus opératoire dans la

mesure oÙ il intégrera les dléments dont il n'a pas été tenu compte dans la première analysed

Pour l'analyse statistique, ¡es phénomènes marginaux ont leur place en tant que classe

dans u p répartition. Le souci n'est pas alors d'intégrer les marges dans une vision unitaire de la

réalité étudiée, Dans un sondage, par exemple, les classes d'événements peu réalisés peuvent

apparanre ou non dhns 1'6chantillon ; l'analyse statistique n'est jamais assurée de couvrir les

phénomènes peu réalisés, et si elle les couvre, elle les regroupera en une classe, appauvrissaht

ainsi nécessairement l'information.

A l'ambition d'une compréhension globale des réalités sociales de I'anthrdpologie s'oppose

la décomposition de la réanté en classes de phénomènes des disciplines statistiques, Dès lors,

comment concilier les deux approches ?

i COUTY (1) donne l'exemple suivant pour une collaboration possible entre analyse quanti-

tative et analyse qualitative : I'... la monographie, fructueux prealable 2 I'enqugte statistique,

servirait au repérage des objets b dénombrer, b la définition des critères de stratification, 5 l'analyse des mécanismes 5 WINTER (21, propose, dans un mgme ordre d'id6es, de

privilégier l'une ou l'autre approche, rejetant la solution d'un "compromis hybride" :

'I... il s'agit de promouvoir des svstbmes d'investiaation dans lesquels i-chaque mode

d'approche, chaque type d'investlgation garde sa spécificité mais valide l'autre. C'est en fonc-

tion des objectifs de connaissance &/ou d'action poursuivie que doit être définie la priorité

rQative (au double sens du terme priorité : antériorité, importance) de chaque type d'investiga-

*tion, et son r6le de validation" (soulignés par l'auteur).

(2) G. WINTER : V e u x mgthodes d'investigation irréductibles, mais comp16mentairesg1, Paris, AMIRA, Brochure no 43 (repris également dans STATECB no 34, p.,81).

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- 27 - Les heux options proposées par WINTER et COUTY se rejoignent en ce que chacune

propose un type d'approche oÙ analyse qualitative et analyse quantitative ne contribuent pas à

parts égales 2 la réalisation d'une enquête. L'une ou l'autre est privilégiée, mais pas les deux. Le

risque n'est-il pas alors de reléguer la discipline seconde au rôle d'"assistante sociale" de la

première ? Pour le cas qui mous préoccupe ici; la collaboration de l'anthropologie et de la

démographie, deux cas de figure peuvent se présenter, eu égard aux options de COUTY et

WINTER.

Premier cas de figure : l'anthropologie analyse un fait social, détermine les directions de

recherche, élabore .des hypothèses que la démographie vient confirmer ou Infirmer.

Second cas de figure : l'anthropologie constitue l'avant-garde, précise le contenu des

catégories qu'utilisera l'approche statistique qui dénombrera en ne tenant coypte que d'une

partie des remarques faites par la discipline annexe, la réalité sociale étant trop complexe pour

que tous ses aspects soient quantifiables,

Une troisième voie semble cependant possible, voie qui fut retenue 2 l'origine du projet de

l'enquête que nous avons menée : l'enquête démographique et l'enquête ethnographique sont

menées et exploitées séparément ; les résultats de la seconde sont utilisés pour commenter les

résultats de la première. Dans les trois cas, une des disciplines (sinon les deux) est lésée dans la

mesure oÙ la discipline seconde ne sert que de garde-fou 5 la discipline première.

Une véritable collaboration entre démographie et anthropologie, ou, d'une manière plus

générale, entre analyse statistique et sciences sociales est donc 2 trouver. Les recherches sur les

isolats (l), sur le choix du conjoint (2), ou encore sur ¡'influence du changement de l a structure

de la population sur les règles sociales (3) ont montré qu'une telle collaboration est possible.

(1) Voir, par exemple, l'article de Jean SUTTER et- Léon TABAH, dans Population,- 6(3), 1951 :, 481-489.

.I (2) Parmi les travaux récents sur ce sujet on peut citer Alice Bee KASAKOFF, "How many relati-

wes ?I1 in Paul BALLONOFF ed., Genealoaical Mathematics, Paris, La Haye, Mouton, 1974 : 215-235 ; Françoise HERITIER, L'exercice de la parenté, Paris, Gallimard Le Seuil, 1981 ; Gilles PISON, Dvnamiaue d'une Dopulation traditionnelle. Les Peul Bande (Sénécial Oriental), Paris, PUF, INED, 1982. \

(3) voir, par exemple, Maurice GODELIER, "Modes de production, rapports de parenté et structu- re démographique", La Pensée, no 172, 1979 : 7-31.

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- 2% - L'enquête sur la famille au Congo n'avait certes pas l'ambition de proposer une recherche

de pointe équivalente aux recherches citées ci-dessus. Néanmoins, elle a davantage tenu camp-

te du "compromis hybride" que de l'un des trois cas de figure pré-cités. L'enquête se donnait en

premier lieu comme une enquête quantitative, en second lieu, comme enquête qualitative. Le

second Jeu de questionnaires procéda d'un renversement de ce choix. Très ouvert, il partait

d'une compréhension (au sens d'''analyse en compréhension") des réalités familiales fondée sur la

connaissance de certains aspects des relations sociales que l'on sait être les moments

structurellement importants dans la vie sociale d'un individu et, par Id même, révélateurs de

l'intensité des relations familiales. Le questionnaire définitif, plus fermé, fut davantage orienté

vers le dénombrement, II faut néanmoins y relever, dans les questions ayaht trait Zi la parenté, la

recherche des liens généalogiques exacts entre l'individu enquêté e;t la personne dont il pst

question, dans le but d'appréhender les lignes privilégiées de la parenté d'un individu.

c

Relevons également la question suivante :

l'Lorsqu'un homme a quelque chose b donner, b qui le donnera-t-il en premier, au fils

ou au neveu ?'l.

Une telle question, aussi maladroite dans sa formulation soit-elle, est sous-tendue par

toute une problématique anthropologique, Dans toutes les socigt6s qui ressortissent au modèle

des sociétés 2 filiation unilinéaire (patrilin6aire, matrilinéaire, bilinéaire), un individu est affilié, par

son père et par sa mère, S deux groupes de descendance distincts. II est en position de "fils1@

vis-à-vis du lignage de son père ; de (fils de soeur) vis-à-vis du lignage de sa mère. A

chacune des positions correspondent des droits et des devoirs spécifiques. Par exemple, dans les

sociétés 2 forte inflexion matrilinéaire, comme les sociétés du 'Sud Congo, un individu

appartiendra au groupe de résidence de son père, y sera élevé, y effectuera son apprentissage,

mais il appartiendra au groupe de descendance de sa mère qui interviendra dans tous les

moments importants de la vie d'un individu (naissance, mariage, par exemple) et dont il héritera.

Poser la question du choix entre le fils et le neveu pour les biens 5 donner, c'est mettre l'individu

interrogé en face de ce qui peut apparafire, dans une certaine mesure, comme une contradiction

du système ; contradiction d'autant plus durement vécue que les conditions actuelles, et notam-

ment l'idéologie de la 'Vie modernett centrée sur la famille conjugale, favorisent le lien père-fils

a u détriment de la relation neveu-oncle qui est, dans le cas cité, la relation d'autorité par excei-

lence. Nous avons ic i un type d'interrogation qui touche véritablement b un "problème de socié-

té" dans le Congo actuel. Certes, la formulation de la question était maladroite, et afin de mieux

décrire statistiquement ce problème, il eût été nécessaire d'y adjoindre d'autres questions. Ce-

pendant, on peut entrevoir Ià un possible compromis entre deux disciplines ayant respectivement

vocation qualitative et quantitative : définir ensemble un .problème et rechercher les moyens d'en

saisir statistiquement certains aspects.

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- 29 - Cependant, orienter résolument l'enquête en ce sens n'était pas possible. Les contraintes

institutionnelles et la nécessité de remplir un contrat ne nous laissaient pas la liberté d'entrepren-

dre une telle recherche. En dépit du caractère exploratoire de I'enquste, l'objectif restait la

collecte de données démographiques. On peut d'ailleurs se demander jusqu'à quel point l'enquê-

te n'a pas souffert d'une difficile entente, sur un même projet, entre la tentative démographique

Wassique", tenant au contrat et aux contraintes instltutionneiles, et une tentative d'orienter

davantage la recherche vers la problématique évaquée ci-dessus. Au bout du compte, l'enquête

revêt un aspect un peu bancal : ni enquête démographique, ni enquête sociologique, elle est un

peu des deux.

-CONCLUSION

La démographie a ceci d'original qu'elle est constituée par un savoir statistique particulier,

le "noyau dur", qui s'applique'à des catégories qui sont les objets des sciences sociales et éCo-

nomiques en particulier ; c'est cette totalité (analyse statistique et catégories relevant des scien-

ces soc$les et économiques) qui fait la démographie. Toute la question dans une collaboration de

la démographie avec une autre science humaine est de connailre la place de l'analyse des

catégories qui sont ,'obJet de la démographie face au "noyau dur" de son analyse statistique.

S'agit-il obligatoirement d'une ,relation englobant/englobé, et dans ce cas l'analyse des catégo-

ries prévaut-elle sur l'analyse statistique, ou inversement ? Ou bien, analyse statistique et analy-

se des catégories peuvent-elles avancer de concert pour élaborer un nouveau produit ? Ce qui

est en-jeu, c'est donc la position réciproque des disciplines impliquées en un même objet dont

I'uhe privilégie le dénombrement, alors que l'autre privil6gie une compréhension globale des faits

6tudiés (1).

i '

I

(1) Pour un compte-rendu exhaustif de l'aspect "technique" de l'enquête, Cf Bernard LACOMBE, Gaspard BOUNGOU, Marc-E& GRUENAIS ; Norm'es d6"mRhIQUeS e t nouvelles dimensions familiales au Congo. Projet interdisciplinaire D.G.R.S./O.R.S.T.O.M.. Rapport de fin de pro- gramme, Brazzaville, O.R.S.T.O.M., Septembre 1983, 9 l pages.

: I

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